(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
M. A. Vandenpeereboom (page 939) procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.
La séance est ouverte.
M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Henry, ancien employé au chemin de fer de Mons à Manage, qui a perdu une jambe dans l’exercice de ses fonctions, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir un secours de la société concessionnaire. »
- Renvoi à la commisssion des pétitions.
M. de Renessse demande un congé de 2 jours.
- Accordé.
M. A. Roussel demande un congé jusqu'à mardi, en raison du décès de sa belle-mère.
- Accordé.
M. Moncheur, au nom de la commission qui a examiné le projet de loi tendant à proroger la loi sur les concessions de péages, dépose le rapport sur ce projet de loi.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et met la discussion de ce projet de loi à la suite de l'ordre du jour.
M. Cools. - Le département de la guerre a présenté à la chambre, il y a bientôt deux ans, une demande de crédit de 35,000 fr. à l'effet de payer quelques créances déjà anciennes, car il y en a qui remontent à 1832. La présentation du projet de loi a eu lieu à la séance du 29 mai 1849.
Je demanderai à M. le président si la chambre recevra bientôt le rapport sur ce projet de loi.
M. le président. - La section centrale a terminé son travail ; elle a conclu au rejet, et M. H. de Baillet a été nommé rapporteur.
M. Cools. - La chambre doit néanmoins être mise en mesure de se prononcer, et le rapport, quel qu'il soit, doit faire l'objet de nos délibérations.
M. H. de Baillet. - Le projet de rapport est fait et soumis depuis longtemps à la section centrale, qui ne l'a pas arrêté jusqu'ici.
M. le président. - Puisqu'il y a réclamation, la section centrale sera convoquée pour entendre la lecture du rapport.
M. Osy. - Comme pour tous les traités de commerce, j'ai examiné avec attention celui avec la Sardaigne pour voir si toutes ses stipulations sont dans l'intérêt du pays, de son commerce et de son industrie, et si elles sont toutes conformes aux lois existantes.
J'ai été très sobre à donner mon approbation aux traités de commerce.
J'ai voté contre les traités de 1844 et 1845 avec la France, ainsi que contre le dernier traité de navigation avec la France.
J'ai admis comme avantageux à la Belgique les traités du Zollverein et de l'Amérique.
Avec les Pays Bas, j'ai donné mon consentement par esprit de conciliation. Il y avait des stipulations très avantageuses à quelques-unes de nos provinces, quoique le commerce se trouvât lésé ; mais il faut savoir faire des sacrifices dans l'intérêt général et ne jamais se laisser guider par l'intérêt particulier ; réciproquement il faut savoir se faire des concessions.
La discussion du traité du Mexique est encore trop récente pour devoir vous rappeler que je repousse les traités qui sont contraires aux lois existantes, que nous devons respecter aussi longtemps qu'elles ne sont pas réformées, et même quand on ne les approuve pas ou qu'on cherche à les améliorer.
Faire des traités contraires aux lois existantes, c'est très dangereux ; parce que toutes les puissances sont à vous réclamer les moindres concessions faites à une autre puissance, et alors il n'est plus possible d'obtenir des concessions, que nous sommes en droit de demander de ceux avec qui nous traitons.
Aujourd'hui j'ai la satisfaction de pouvoir dire, après avoir mûrement examiné le traité avec la Sardaigne, que, sauf un point que je traiterai plus tard, tous les articles de la convention sont conformes aux lois existantes, et qu'on n'a fait de concessions que contre des compensations avantageuses pour notre commerce, notre industrie et notre navigation.
Je puis donc féliciter le gouvernement d'avoir pu négocier avec la Sardaigne sur un pied d'une aussi juste réciprocité pour les deux pays, et sans qu'aucune des deux parties ait fait des sacrifices au-delà de son système commercial.
Cependant cette négociation n'était pas facile ; la Sardaigne ayant aboli son système de droits différentiels, tandis que chez nous ce système règne encore dans son ensemble.
Nous avons donc refusé au pavillon sarde les arrivages indirects sur le pied d'égalité avec le pavillon belge, ou du pavillon du pays de production avec lequel nous avons des traités de commerce ; ils ne sont pas nombreux, seulement importants avec l’Amérique et nous l'avons étendu pour les arrivages du Brésil par pavillon brésilien.
Je dois dire, à cette occasion, que je regrette que nous n'ayons pas encore traité avec cet empire.
Par contre, nous avons obtenu (article 15) de pouvoir introduire en Sardaigne, de ports indirects, tous produits au même droit qus la nation la plus favorisée, autre que le pavillon même d'où l'importation a lieu.
Ainsi nous pouvons importer d'Odessa en Sardaigne par exemple des grains, au même droit que l'Angleterre, qui vient de faire de si grandes concessions ; et cependant la Sardaigne, pour ses importations du Brésil, d'Amérique, de la Havane, etc., est, à son arrivée en Belgique, sous le coup du droit commun. Cette négociation fait honneur à la Belgique, et je puis dire que notre dernière discussion, au sujet du traité avec le Mexique, fera adopter ce système par le parlement à Turin ; aussi j'ai remarqué qu'à la suite de l'exposé du projet de loi présenté à Turin, et comme pièce de conviction, on cite tout au long le dernier discours que j'ai prononcé ici il y a peu de temps à l'occasion du traité du Mexique.
Je suis aussi heureux de voir que nous sommes une des premières nations qui avons réussi à faire abaisser les droits d'entrée assez importants sur des produits de nos exportations. Je ne citerai que quelques objets.
Nous avions à payer pour nos draps, dont nous avons exporté, en 1850, pour 2,800,000 fr., 5 fr. 30 c. par kil. et 10 p. c. de la valeur ; et d'après le nouveau traité, nous sommes affranchis des 10 p. c. et le droit est réduit à 3 fr.
Pour les draps de moins de 10 fr. de valeur par mètre, nous n'avons plus à payer que 2 fr. au lieu de 4 fr. 50 c. par kil.
Pour les tapis, nous ne payerons plus que 1 fr. au lieu de l'ancien tarif de 2 et 3 fr., selon qualité.
Pour les sucres raffinés, dont nous avons exporté en 1848 pour 1,350,000 fr., seulement pour 523,000 fr. en 1849, mais en 1850, un million de kilogrammes, nous avons obtenu la réduction de 45 à 25 fr. par 100 kil.
Pour les glaces et les verres à vitre, nous avons obtenu une réduction de 10 fr., soit 40 p. c.
Pour les cristaux, le droit ne sera plus que de 15 au lieu de 40 fr.
Les droits sur les armes blanches sont diminués de moitié.
Le zinc, dont il nous importe d'encourager l'exportation, ne payera plus que 4 fr. au lieu de 8, s'il est en barres, et 8 au lieu de 16, s'il est laminé.
Les productions de notre métallurgie ont oblenu une réduction de 50 p. c. Ne perdons pas de vue que la Sardaigne nous a acheté pour 800,000 fr. en 1848 ; et comme en Italie il y a encore beaucoup à faire pour les chemins de fer, je ne doute pas que cette réduction nous sera très favorable par la suite.
Je suis vraiment fier pour la Belgique que cette fois nous ayons pris les devants sur la nation la plus industrielle du monde, et que notre traité a précédé de plus d'un mois le traité avec l'Angleterre, et de voir qu'elle n'a pas reçu le moindre avantage sur nous ; et, cependant, par son nouvel acte de navigation, elle avait à offrir beaucoup plus que nous, nous qui sommes retenus par nos droits différentiels.
Ainsi, je suis pour notre pays tout glorieux de l'article 11 du traité fait à Londres le 27 février de cette année, où il est dit concernant les droits de douane :
« Les réductions de douane accordées par la Sardaigne à la Belgique sont étendues à la Grande-Bretagne. »
Preuve que l'Angleterre n'a rien oblenu au-delà des concessions stipulées à notre traité du 24 janvier.
Nous n'avons donc pas suivi l'Angleterre, c'est elle au contraire qui a dû se contenter de ce que nous avons obtenu et de se référer à nos négociations.
Le seul regret que j'aie, c'est d'avoir dû concéder à la Sardaigne l'importation du sel par pavillon sarde, la Belgique depuis 1815 s'étant toujours réservé l'importation de cette marchandise pondéreuse pour l'avantage de son pavillon.
Mais je ne puis en faire un reproche à notre négociateur ; c'était devenu une nécessité depuis que nous l'avions, bien à tort d'après moi, concédé à la France par le dernier traité de navigation ; aussi je me félicite tous les jours, quand on parle sel, de ne pas avoir donné mon vote approbatif à cette mesure avec mon honorable ami M. Vermeire.
Aussi les ports de Bruges et d'Oslende regretteront plus tard cette concession, lorsque nous aurons d'autres traités plus importants à conclure ; car ne perdons pas de vue que tout s'enchaîne et que, quand une fois (page 940) vous vous êtes relâchés de vos principes, toutes les puissances ont le droit de réclamer les concessions faites à leurs rivaux. Ne disons pas. Je ne crains pas la France et la Sardaigne. Je veux bien que la marine marchande de ces pays ne vous porte pas ombrage, mais il y a d'autres puissances qui pourront vous faire une terrible concurrence.
Ne raisonnons donc jamais sur les exceptions, mais sur les principes.
Après avoir dit que le gouvernement ne pouvait pas éviter, après la première faute faite par le traité avec la France, de concéder le transport du sel par navire sarde, je me hâte au moins de lui exprimer ici mes remerciements dans l'intérêt de notre trésor et de notre industrie, de ne pas avoir accordé, comme à la France, par les traités de commerce de 1841 et 1845, le déchet de 12 p. c.
Avoir résisté à cette demande, ne doit pas avoir été facile pendant les négociations et doit nous donner des armes contre la France lors du renouvellement du traité.
Ne perdons pas de vue que ce déchet de 12 p. c. accordé à la France nous coûte un nouveau sacrifice, ajouté à tant d'autres, de près de 300,000 francs, les ports français de la Méditerranée nous important du sel aussi beau que celui de Liverpool, auquel nous n'accordons pas de déchet.
Après toutes ces considérations, je suis heureux de pouvoir donner cette fois et sans réserve mon consentement à la convention du 24 janvier et remercier le gouvernement d'avoir négocié sans faire de nouveaux sacrifices et de nous avoir procuré quelques avantages commerciaux et industriels ; et je profite de cette occasion de dire que j'aime mieux les avantages de cette nature que ceux qu'on a prodigués avec très peu de discernements depuis quelques années, sous forme de subsides, et dont nous parlerons dans une autre occasion.
Ces subsides sont toujours stériles, ne sont que des palliatifs et se font au détriment des négociants et industriels qui ne sont pas aussi actifs et influents que leurs heureux concurrents. Je ne puis assez les flétrir et les blâmer, il faut que tout le monde soit sur la même ligne et qu'il n'y ait de privilèges pour personne. Faisons des lois et des traités pour tout le monde, et que l'activité et l'intelligence de la nation ne soient pas comprimées par des faveurs accordées à quelques-unes.
Je me réserve, après la discussion générale, de demander au gouvernement un renseignement, une explication au sujet de l'article 3.
Permettez-moi maintenant, messieurs, de vous entretenir un instant de la situation où nous nous trouvons envers l'Angleterre et d'exprimer tous mes regrets de voir notre gouvernement aussi impassible à tout ce qui se passe autour de nous, sans s'émouvoir et sans nous faire même espérer qu'il s'occupe de faire un pas vers le mouvement commercial qui agite toute l'Europe, depuis que l'Angleterre et les Pays-Bas ont aboli leurs anciennes lois de navigation, et qui ont trouvé des imitateurs à Turin, et dont je vous parlais tantôt ; la Suède et la Russie ont adhéré au système anglais, et nous ne pensons pas à réformer notre système commercial de 1844. Anvers s'est émue de notre apathie, et vient de vous envoyer une pétition signé de 150 négociants, parmi lesquels il se trouve 14 armateurs. Je me hâte de dire que tout le commerce n'a pas signé, parce qu'il y a des négociants et des armateurs qui seraient plus ou moins froissés par des changements, à cause des relations directes établies avec les colonies ; mais d'autres négociants, qui ont les mêmes intérêts, se sont adressés à vous, dans l'intérêt du pays, en mettant de côté leurs intérêts privés.
En 1844, aussi, nous n'avons pas pu satisfaire tout le monde ; je sais que ma position est difficile dans cette circonstance ; mais il faut savoir se mettre au-dessus des intérêts privés et de ses affections, n'envisager que le bien-être général et attendre du temps les bonnes mesures que nous pouvons soutenir et tâcher de faire adopter.
L'Angleterre a aboli son acte de navigation de Cromwell et a déclaré tous ses ports et ses colonies ouverts à toutes les nations, en prescrivant au gouvernement de frapper par acte du conseil privé les nations qui n'adhéreraient pas, par des réciprocités, aux avantages qu'elle accorde par règle générale à toutes les nations du globe.
La Belgique depuis cette grande émancipation commerciale, n'a pas fait un pas en avant ; aussi nos importations par pavillon belge, qui ont des droits à payer, sont frappées d'une surcharge de 20 p. c. Ainsi, il y a peu de mois, un industriel de Bristol a reçu de la Havane un chargement de sucre par pavillon belge, et a été frappé d'une surtaxe de 20 p. c.
Tous les négociants anglais se sont empressés de prescrire à tous leurs comptoirs dans les colonies anglaises et étrangères de ne plus affréter de navires belges, et comme par la stagnation de nos raffineries, la marine belge trouvera peu de marchandises à la Havane pour Anvers, nos armateurs se trouveront fortement frappés cette année, ne pouvant être affrétés pour l'Angleterre.
Il y a peu de temps qu'il se trouvait à Marseille un grand navire belge en charge pour l'Australie, et il n'a pas pu trouver de fret, dans la crainte de voir notre pavillon frappé dans celle colonie anglaise. Le gouvernement lui-même redoute tellement cette mesure (et cependant il ne fait rien pour conjurer l'orage), que dans un affrètement récent fait à Anvers pour l'Australie, il annonçait qu'il donnerait la préférence au navire belge, si l'armateur voulait garantir la surtaxe éventuelle que le gouvernement anglais pouvait nous imposer.
Celle surtaxe pourrait aller beaucoup au-delà du fret, et personne ne peut s'y soumettre.
Ces deux exemples doivent engager le gouvernement à agir, à sortir de son impassibilité, à aviser à la réforme de notre système commercial et à tâcher de négocier avec l'Angleterre.
Aujourd'hui on ne frappa que le pavillon belge, mais si on venait à frapper les importations de la Belgique, vous ne pourriez plus profiter de la belle situation qui nous est faite par l'abolition des droits protecteurs en Angleterre, et je redoute toujours de voir paraître un ordre du conseil privé en vertu de l'acte du Parlement.
La Hollande ayant aussi aboli ses droits différentiels et réformé son système de commerce, a dû dénoncer notre traité de commerce, et il nous sera bien difficile de faire un bon traité avec ces voisins, si nous ne réformons pas notre législation commerciale.
Cette réforme faciliterait aussi vos négociations avec le Zollverein. Anvers pourrait devenir le port de l'Allemagne occidentale et centrale.
Ne perdons pas notre temps et mettons à profit le mouvement qui se fait chez nos voisins.
Je me réserve de développer d'autres considérations lorsque notre commission d'industrie nous fera rapport sur la pétition d'Anvers que j'ai déposée sur le bureau il y a quelques jours, et j'engage tous nos honorables collègues à réfléchir mûrement à la position qui nous est faite par les mesures adoptées par nos voisins, et j'espère que le gouvernement sortira finalement de son inactivité et voudra s'entourer de toutes les lumières pour pouvoir présenter, avant la fin de la session, quelques mesures qui le mettront ensuite à même de traiter avantageusement avec l'Angleterre, les Pays-Bas et le Zollverein, et nous verrons ensuite l'année prochaine à faire de nouveaux arrangements avec la France.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, l'honorable M. Osy donne une approbation éclatante au traité qui vous est soumis ; et il a bien voulu féliciter le gouvernement de la conclusion de ce traité ; j'aime à constater immédiatement ce fait, car comme l'a dit lui-même l'honorable préopinant, il ne s'est pas montré souvent favorable à de semblables arrangements internationaux. Ainsi je me rappelle qu'il a voté contre le traité du 13 décembre 1845 conclu avec la France ; qu'il a vivement combattu le traité de 1846 avec les Pays-Bas ; qu'il a été défavorable au traité conclu le 19 novembre avec la France ; et dernièrement un traité qui a reçu l'approbation presque unanime des deux chambres, l'a trouvé pour adversaire.
Ainsi, si le traité qui vous est soumis reçoit l'approbation de l'honorable M. Osy, c'est sans doute une preuve nouvelle des avantages qu'il doit procurer au pays.
Dans le discours que vous venez d'entendre, l'honorable député d'Anvers a plutôt critiqué le système commercial du gouvernement, que des détails même du traité.
Ainsi, selon l'honorable membre, le gouvernement serait resté dans une véritable impassibilité, dans une véritable apathie, vis-à-vis des changements qui se sont opérés naguère dans certaines législations commerciales. Eh bien, il n'en est rien ; le gouvernement a compris parfaitement ce que ces faits qui se sont passés dans des pays voisins avaient d'important, combien ils devaient attirer son attention ; il n'a éprouvé ni indifférence, ni indécision à cet égard.
Quand le moment opportun sera venu, le ministère fera connaître son opinion sur ces importantes questions.
Veut-on entamer un débat sur la question commerciale ? Je demande si ce débat serait bien prudent, bien opportun.
La chambre ne doit pas ignorer que nous avons à suivre de divers côtés dans le cours de cette année des négociations commerciales fort importantes.
Eh bien, est-ce le moment de venir annoncer des modifications dans nos lois douanières et commerciales ? L'honorable préopinant prétend que ce serait le moyen d'arriver à un traité de commerce avec le Zollverein et les Pays-Bas. Il ne fait pas attention que nous avons à réclamer des concessions industrielles en retour des concessions maritimes. Si d'avance nous proclamions nos intentions de réformer notre régime commercial et douanier, nous n'aurions plus de concessions maritimes à offrir, et, en vérité, je ne sais si ce serait très habile de commencer ainsi les négociations ; je crains bien que des discussions et des pétitions sur cet objet ne soient déjà nuisibles à leur succès.
Il y a, messieurs, deux manières de réaliser des réformes douanières et commerciales, comme l'a dit M. le ministre de Sardaigne, dans l'exposé des motifs du traité : 1° par des modifications générales appportées dans la législation ; 2° par des modifications conventionnelles à introduire par traités avec les puissances étrangères. Aussi longtemps que l'on voudra des traités industriels, si je puis ainsi les appeler, le second moyen sera, je crois, préférable.
L'honorable préopinant qui s'est montré, en 1844, un des grands partisans du système qui nous régit aujourd'hui, jusqu'à l'introduction de la disposition relative aux sept millions de kilogr. de café, change maintenant d'opinion, et montre ainsi qu'un certain nombre d'armateurs anversois ont grande hâte de renverser tout ou partie de notre système commercial. Je suppose qu'il s'agit tout au moins de la relâche, on ne s'est pas expliqué à cet égard.
Du reste, les principes qui animent le ministère actuel ne sont pas ceux qui ont démontré la nécessité d'un régime de droits différentiels. Mais le gouvernement, en cela comme en toute chose, croit qu'il ne faut pas agir avec précipitation ; quand il y a des droits acquis, des intérêts nombreux engagés au maintien d'une législation quelconque, ce n'est, dans tous les cas, qu'avec prudence que l’on doit y porter la main.
(page 941) Il y a, en outre, comme je le disais tout à l'heure, cette considération puissante que nous sommes à la veille de négociations très importantes, et je ne sais pas s'il serait très habile de dire, d'une part, que nous offrons des concessions douanières, des concessions maritimes, et d'autre part que l'on veut changer radicalement le système qui nous régit.
L'honorable M. Osy a ensuite signalé à l'attention de la chambre la situation dans laquelle nous nous trouvons à l'égard de l'Angleterre.
Il est vrai, messieurs, que les marchandises importées dans les ports anglais sous pavillon belge sont frappées d'une surtaxe de 20 p. c. Mais ce n'est pas un fait nouveau. Ce fait date de 1826. C'est en vertu d'un ordre du conseil du 30 janvier 1826 que cette surtaxe a été établie. L'Angleterre a pris cette mesure à la suite de la réduction de 10 p. c. adoptée dans la loi de 1822 en faveur du pavillon des Pays-Bas.
Eh bien, il me semble que si l'on était en droit de faire des reproches à l'administration actuelle, de n'avoir pas changé cet état de choses, ces reproches devraient s'adresser à plus forte raison à toutes les administrations antérieures.
En 1838 seulement une négociation fut couverte avec l'Angleterre ; mais cette négociation a échoué complètement.
Messieurs, il ne faut rien exagérer. Esl-ce que cette surtaxe porte un bien grand préjudice aux relations directes de la Belgique avec l'Angleterre, qui sont à coup sûr les plus importantes ?
Nos importations dans ce pays sont pour les trois quarts exemples de droit à l'entrée. Evidemment la surtaxe ne les atteint pas ; et quant à l'autre quart, il y a des occasions tellement nombreuses entre les ports belges et les ports anglais, que réellement le fret est aussi modéré que si la surtaxe n'existait pas.
Nous avons 700 navires de l'Angleterre qui viennent chaque année dans nos ports, indépendamment des navires tiers qui sont assimilés au pavillon anglais. Nous avons donc des occasions assez fréquentes, assez régulières pour l'importation en Angleterre du quatrième quart de nos produits qui sont atteints par des droits.
La preuve, messieurs, que nos relations avec l'Angleterre ne souffrent pas grandement, c'est qu'en définitive, de 12 millions qu'elles étaient il y a deux ou trois ans, elles ont atteint une valeur de 36 millions de fr. en 1849.
Cependant, messieurs, si je présente ces observations, ce n'est en aucune manière pour repousser l'idée d'un arrangement commercial avec l'Angleterre. Il serait évidemment préférable d'avoir avec cette grande puissance les relations les plus faciles. Mais on comprend aisément les difficultés qui doivent exister à cet égard.
Si le système de droits différentiels qui nous régit n'existait pas, si le monopole du transport du sel était ôté à notre marine marchande, évidemment nous n'aurions pas de difficulté à faire un traité de commerce et de navigation avec l'Angleterre. La surtaxe tomberait tout naturellement ; il ne faudrait pas même un traité pour atteindre ce but. Mais il s'agit de savoir, dans la situation actuelle, situation qui, je viens de le dire, n'a rien de si fâcheux, s'il y a lieu de précipiter la solution de cette affaire. Dans tous les cas, des négociations sont ouvertes avec l'Angleterre ; elles n'ont pas encore abouti jusqu'à présent, mais j'ai lieu de croire que l'année ne se passera pas sans qu'elles arrivent à un résultat.
L'honorable député d'Anvers a aussi présenté quelques observations qui se rattachent plus particulièrement au traité en discussion en ce qui concerne le sel.
Nous avons accordé l'assimilation des pavillons pour le transport direct des sels entre la Sardaigne et la Belgique ; nous avons refusé une faveur accordée à la France en ce qui concerne la déduction de 12 p. c. pour le raffinage.
L'honorable préopinant applaudit au résultat obtenu par le gouvernement en ce qui concerne ce dernier point ; et il n'approuve pas l'assimilation des pavillons. Ce n'est pas sans certains efforts que nous avons obtenu cette restriction.
Il est évident qu'en présence du traité du 13 décembre 1845, le gouvernement de la Sardaigne préférait obtenir les avantages accordés à la France.
Quant aux conséquences qui peuvent résulter pour la Belgique de l'assimilation des pavillons pour le transport des sels, je crois qu'elles ne sont pas très dangereuses.
Vous avez pu voir, messieurs, d'après les détails donnés à l'appui du projet de loi, que la quantité de sel qui pourra être importée de Sardaigne n'est pas considérable.
Je dois convenir, messieurs, que la concession faite à la France est, sous ce rapport, d'une beaucoup plus haute importance. Depuis quelques années surtout, des inconvénients graves, au point de vue du trésor, résultent de la déduction de 12 p. c. pour raffinage, accordée par la convention du 13 décembre 1845.
Ces inconvénients sont devenus beaucoup plus sensibles dans ces derniers temps. On n'avait en vue, en 1845, que les sels provenant de la côte occidentale de France, mais on nous importe maintenant des quantités assez considérables de sel provenant des côtes françaises de la Méditerranée, et comme ce sel est d'une pureté très grande, il ne perd presque pas au raffinage ; il en résulte une très forte diminution de recettes à cause de l'exportation avec restitution de droits du même sel.
Du reste, messieurs, l'assimilation des pavillons pour le transport du sel, qui a été stipulée par le traité de 1839, est assez secondaire : c'est la réduction pour le raffinage, accordée par le traité de 1845, qui est la cause réelle de la perte éprouvée par le trésor, et la preuve s'en trouva dans l'accroissement de l'exportation du sel raffiné, accroissement extrêmement notable. Il résulte des renseignements qui m'ont été adressés qu'une certaine quantité de ce sel n'était pas même soumise au raffinage et que cependant les sauniers profitaient du bénéfice de la prime d'exportation.
Eh bien, si je ne me trompe, le département des finances a déjà pris des mesures pour remédier à cet état de choses : il faudra, pour pouvoir jouir de la remise des droits, que le raffinage soit constaté par l'administration. Il n'en est pas moins vrai que c'est là une concession fort importante et assez onéreuse pour notre trésor ; or, cette concession n'a pas été accordée à la Sardaigne dans le traité soumis aux délibérations de la chambre.
Je bornerai là mes observations en réponse à l'honorable M. Osy ; j'attendrai, pour prendre de nouveau la parole, que d'autres orateurs aient pris part à la discussion.
M. de Muelenaere. - Je demanderai d'abord une explication à M. le ministre des affaires étrangères.
Il résulte du tableau inséré à la page 4 de l'exposé des motifs que les toiles de 9 fils payeront 100 francs par 100 kilog ; je demanderai quel est le droit que payeront, d'après la convention, les toiles d'une qualité inférieure, les toiles de 7 et de 8 fils. Je désire que M. le ministre veuille bien s'expliquer à ce sujet.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, voici quels seront les droits à payer à la valeur ; c'est une appréciation, qui pourra mieux faire ressortir la portée du traité.
Ainsi, par exemple, pour les toiles de moins de six fils, le droit est de 11 p. c. à la valeur ; pour les toiles de 6 et de 7 fils, le droit sera plus élevé ; il sera de 31 p. c ; pour les toiles de 8 fils, de 21 p. c ; de 9 fils,. 25 p. c ; de 12 fils, 20 p. c ; de 15 fils, 14 p. c ; de 17 fils, 10 p. c. : pour les toiles de 20 fils, 6 p. c.
Pour bien comprendre la portée de cette disposition, il faut se rendre compte de l'économie du tarif sarde.
Jusqu'à 9 fils, les droits varient d'après diverses catégories.
Au-delà de 8 fils, le droit est uniforme ; il en résulte certaines fluctuations difficiles à saisir au premier abord. On peut trouver anormale certaine différence entre le taux du droit payé pour 6 fils et celui payé pour les catégories de 7 et 8 fils.
Ce n'est pas que les diminutions qu'on a obtenues soient différentes, car la réduction a été de 50 pour cent sur le tarif entier ; mais certaines catégories sont beaucoup plus frappées en Sardaigne, parce que ces catégories sont principalement fabriquées dans le pays et qu'elles suffisent à l'approvisionner.
Voilà pourquoi les droils sont plus élevés sur ces catégories. Maintenant, pour les numéros plus élevés de 15, 17 et 20 fils, les droits sont beaucoup moins forts que pour celui dont je viens de parler, parce que la Sardaigne a besoin de ces catégories qui lui sont importées maintenant en presque totalité de l'Irlande.
La Belgique est parfaitement, je crois, à même d'importer ces toiles en Sardaigne. La preuve, c'est que nous en importons en Espagne.
Je signale donc à l'attention de M. de Muelenaere qu'il y a une grande différence dans le taux des droits à la valeur qui atteignent chaque catégorie. C'est de cette manière surtout qu'on peut apprécier l'importance du traité quant aux toiles et aux fils de lin.
M. de Muelenaere. - D'après la déclaration de M. le ministre des affaires étrangères, dont nous devons prendre acte, les tissus de lin de moins de 9 fils ne seront pas frappés d'un droit de 100 fr. par 100 kilog., mais de la moitié du droit payé maintenant en Sardaigne.
Il résulte de l'exposé des motifs qui accompagne le traité que nous discutons en ce moment, que le gouvernement s'est guidé d'après un double principe : « Deux de nos industries, dit-il, traversent une situation plus ou moins difficile ; elles devaient se présenter les premières à notre pensée. »
L'une de ces industries auxquelles le gouvernement fait allusion est l'industrie toilière. Le traité décharge les produits liniers de 50 p. c. des droits qui leur sont actuellement imposés. M. le ministre des affaires étrangères se félicite hautement de ce résultat. Les droits ainsi réduits, ajoute-t-il, sont abaissés de beaucoup au-dessous du taux des droits qui frappent nos toiles de qualité moyenne ou fine vendues en France même à la faveur de la convention du 13 décembre 1845.
Je regrette de ne pas pouvoir partager la confiance de M. le ministre des affaires étrangères. L'appréciation qu'il a faite de l'importance de cette convention en ce qui concerne l'industrie toilière est à mes yeux évidemment erronée.
En vertu du traité, les toiles de 9 fils payeront 100 fr. par 100 kilogrammes à leur entrée en Sardaigne.
Veuillez remarquer que les toiles de cette catégorie, c'est-à-dire de 9 fils, composent l'immense majorité de notre fabrication ; je crois même que ce sont les seules que nous puissions espérer d'exporter jamais dans les ports de la Méditerranée ; l'Irlande est en possession de ces marchés et elle jouit partout au moins des mêmes avantages que nous ; elle connaît les habitudes et les goûts de ces peuples ; sa fabrication est depuis longtemps organisée sur ce pied ; et chacun sait que pour ces pays, où le bas prix et l'apparence sont les qualités essentielles, il est impossible que nous soutenions la concurrence avec les toiles d'Irlande.
Nos toiles de neuf fils payeront donc un droit d'entrés do 100 fr. par (page 642) 100 kilog., c'est-à-dire un droit qui, sans exagération, nous pouvons drainer à 20 ou 25 p. c. de la valeur.
Je vous demande si, en présence d'un semblable droit, nous pouvons espérer que cette convention aidera au développement de notre commerce linier ? Quant à moi, je ne le pense pas.
Nos toiles de neuf fils sont frappées, à la frontière de France, d'un droit de 65 francs par 100 kilogrammes. C'est un droit exorbitant eu égard à la valeur intrinsèque de la marchandise ; c'est un droit qui provoque des réclamations générales, et qui, de tout temps, a été évalué à environ 14 ou 15 p. c. de la valeur. C'est là peut-être que gît la cause principale du malaise de notre industrie linière. Mais, d'après la convention, ce n'est pas 65 fr. les 100 kil. c'est 100 fr. par 100 kilog. que nos tissus de lin devront acquitter à leur entrée dans le royaume de Sardaigne. C’est donc 35 fr. de plus par 100 kilog. c’est-à-dire au-delà du tiers de ce que nous payons à l’entrée en France.
M. Rodenbach. - C'est un droit prohibitif.
M. de Muelenaere. - Et puis ne doit-on tenir aucun compte de l'augmentation des frais de transport qui, dans toutes les hypothèses, seront doubles ou triples de ce que coûte le transport de nos toiles, quand nous les exportons en France ?
Je ferai remarquer en outre que la comparaison faite par M. le ministre des affaires étrangères entre le nouveau traité fait avec la Sardaigne et la convention conclue avec la France le 13 décembre 1845, repose encore sur une grande erreur. Ce rapprochement manque complètement d'exactitude.
M. le ministre des affaires étrangères paraît avoir perdu de vue (qu'il me permette de le lui rappeler) que nos tissus de lin, d'après cette convention, sont placés en France dans une position exceptionnelle, que là nos tissus jouissent d'une réduction de tarif, à l'exclusion des produits anglais.
Or, je ne pense pas que cette faveur nous soit accordée par le traité avec la Sardaigne. C'est cependant cette exclusion qui aurait peut-être un prix infini pour nous.
Je pense donc, et je tiens pour constant que la convention produite aujourd'hui ne peut offrir pour l'immense production de notre industrie linière, c'est-à-dire pour les toiles de neuf fils et au-dessous, aucun avantage réel.
Je regrette sincèrement qu'on semble avoir perdu de vue, dans cette négociation, que ce qui intéressait surtout l'industrie des Flandres, c'était qu'on obtînt un abaissement considérable de tarif pour les toiles communes, et que celles-ci, pour le payement des droits, ne fussent pas assimilées à la toile la plus fine. L'Angleterre devait, il est vrai, désirer (elle avait de puissantes raisons pour cela) que cette distinction ne fût pas admise. Mais nous, au contraire, nous avions un puissant intérêt à la faire insérer dans la convention.
En résumé, la convention entre la Belgique et la Sardaigne, du 24 janvier dernier, n'allégera en rien les souffrances contre lesquelles se débat si cruellement notre industrie linière, ces souffrances qui semblent, au moment où je parle, devoir prendre une nouvelle intensité.
Cependant, comme la convention paraît offrir des avantages réels à d'autres industries du pays, pour ma part, je ne la repousserai pas, parce que je pense que toutes les industries doivent être en quelque sorte solidaires entre elles.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Quoi qu'en dise l'honorable préopinant, dont je ne nie pas, du reste, la compétence en cette matière, le gouvernement, dans la négociation qui a amené le traité du 24 janvier dernier, s'est beaucoup préoccupé de la question des toiles.
Un homme qui est parfaitement à même d'apprécier quelles toiles nous pourrions livrer à la consommation du Piémont a assisté aux négociations : c'est notre consul à Gênes ; homme capable, dont l'attention a élé constamment appelée sur cette question, qui a adressé de nombreux rapports au gouvernement ; dans toute la négociation, il a été à même de donner spécialement son avis sur la question des toiles,
Nous avons obtenu une réduction de 50 p. c. sur tous les droits dont le tarif sarde frappe les diverses catégories de toiles et les fils de lin.
L'honorable préopinant dit que l'on aurait dû obtenir une réduction plus considérable ; une réduction de 50 p. c. n'est pas cependant à dédaigner, ce me semble.
Je ne suis pas du tout convaincu, malgré ce qu'il a dit tout à l'heure, qu'aucune catégorie de nos toiles ne pourra profiter du traité. Les toiles d'Irlande en profiteront, comme elles profitent déjà de la situation actuelle ! Pourquoi les toiles belges ne pourraient-elles pas un jour rivaliser, atteindre la même perfection que les toiles irlandaises ?
Le devoir du gouvernement est d'obtenir d'abord des abaissements de tarif ; mais le devoir de l'industrie est de se perfectionner, de manière à pouvoir rivaliser, sur les marches étrangers, avec les industries similaires et profiter des avantages que les conventions internationales lui procurent.
Je ferai, d'ailleurs, remarquer à la chambre que l'honorable M. de Muelenaere ne nous a parlé que d'une catégorie de toiles, celle de 9 fils. Cette catégorie est très importante sans doute. Mais est-ce que les autres catégories seraient sans valeur pour la Flandre ? L'honorable M. de. Muelenaere, s'il était de cet avis, serait en contradiction flagrante avec des hommes très entendus dans la matière.
Ainsi quand il s'est agi de négocier avec l'Espagne, nous avons consulté des hommes fort compétents : un d'eux s'est rendu à Madrid pour donner des éclaircissements.
Que nous ont recommandé ces hommes compétents, appartenant aux Flandres ? D'obtenir des réductions sur les toiles de 12 à 17 et même 20 fils. Voilà ce que nous conseillait M. Cambier.
Cette considération ne s'applique-t-elle pas également à l'Italie ? Nos toiles de 12 à 20 fils peuvent- elles avantageusement se placer en Espagne et non en Sardaigne ?
Une autre opinion que je puis invoquer, et qui est également d'un grand poids, puisque c'est celle d'un homme qui est allé sur les lieux, où il fait le commerce des toiles en grand, et qui a parfaitement réussi dans ce commerce. Cet homme, c'est notre consul à Barcelone, M. d'Hont. Voici ce qu'il nous écrivait, il n'y a pas très longtemps :
« Ce n'est pas tant la supériorité de nos toiles que l'on conteste. Ce que nous devons faire, c’est de produire à bon marché, à meilleur marché que nous n’avons fait jusqu’ici. Je pense qu’on obtiendra cela du moment qu’on le voudra sérieusement, puisque d’autres qui étaient, il y a peu d’années, moins avancés que nous, l’ont obtenu. Je crois que pour les toiles fines de 24 à 30 fils, nous n’avons rien à envier aux Anglais : il faudrait, selon moi, porter toute l’attention sur les qualités communes et moyennes de 15, 16 et 23 fils, fil mécanique. La grande consommation est dans ces qualités.
« Je joins ici un échantillon de toile d'Irlande, la largeur est de 86 1/2 centimètres ; elle a coûté à Belfast 10 d. le yard, ce qui revient, si je ne me trompe, à fr. 1-18 le mètre. Si cette toile n'avait pas l'apprêt qu'elle a, ou si elle avait l'apprêt que nous donnons à nos toiles, personne n'en voudrait, elle ne serait pas vendable. C'est là le perfectionnement qu'il importerait d'atteindre en Belgique, car c'est par ce moyen que nos rivaux parviennent à donner à des produits inférieurs en qualité un tact et une apparence qui flattent et séduisent l'acheteur. »
Ainsi il ne s'agit pas uniquement de toiles de 9 fils ; mais bien plutôt de 12 à 20 fils qui, d'après M. Cambier, comprennent les deux tiers de nos exportations en Espagne.
En admettant donc, messieurs, que nous ne soyons pas à même d'exporter avec le tarif actuel les toiles de 9 fils, on ne peut pas disconvenir qu'au moyen des réductions que nous avons obtenues sur d'autres catégories, par exemple sur les catégories de six fils pour lesquelles le droit n'est que de 11 p. c. (et ceci est important, la Sardaigne étant un pays maritime où l'on a un grand besoin de cette espèce de toiles), pour les toiles de 12 à 20 fils, nous obtenons des avantages très notables qui me permettent d'exprimer l'espoir que notre industrie linière pourra, sinon immédiatement, au moins pendant la durée du traité, placer ses produits sur le marché sarde.
M. le comte de Muelenaere a bien voulu me rappeler que nous jouissions d'une position exceptionnelle en France. Je me permets, à mon tour, de lui dire que je n'ignorais cela en aucune manière, je le prie de le croire. Lorsque l'exposé des motifs a été rédigé, le traité conclu entre l'Angleterre et la Sardaigne n'avait pas paru. Par conséquent, nous jouissions, en vertu du traité en discussion, si le traité avec l'Angleterre n'avait pas été conclu, d'une position également exceptionnelle.
Mais je me permettrai aussi de rappeler à l'honorable M. de Muelenaere que si nous avons une position exceptionnelle en France, nous l'avons largement achetée.
Cette position exceptionnelle présente des avantages pour notre industrie linière, je ne le conteste pas ; mais il ne faut pas oublier que nous ne l'avons obtenue qu'au prix de très grands sacrifices.
Je prie l'honorable comte de Muelenaere de remarquer qu'il n'en est pas de même du traité avec la Sardaigne. Ce traité accorde un certain nombre de réductions de tarifs pour des produits sardes. Ces réductions ont de l'importance pour la Sardaigne ; mais je crois qu'elles ne nous portent aucun préjudice. Je suis obligé de lui faire remarquer cette difflérence entre le traité de 1845 et le traité que nous avons conclu le 24 janvier dernier.
Messieurs, on ne doit pas oublier que, pour exporter des produits, il faut deux choses ; il faut que le gouvernement cherche à obtenir, à l'étranger, des tarifs peu élevés ; mais il faut, en second lieu, qu'il y ait des perfectionnements dans l'industrie. Il faut que l'industrie se mette à la hauteur de ses rivales. Il est évident que si nous ne pouvons exporter que moyennant des privilèges sur les marchés étrangers, nous pourrons rarement arriver à des résultats avantageux. Ces privilèges ont, d'ailleurs, des inconvénients. Ils ont l'inconvénient, comme je le disais tout à l'heure, de coûter très cher, d'exiger les sacrifices douaniers et financiers très élevés. Ensuite une position privilégiée est un moyen d'endormir les industriels qui ne poursuivent pas alors tous les perfectionnements qu'ils pourraient entreprendre.
Il faut, messieurs, s'habituer à renoncer à toutes les idées de grands privilèges, tant sur les marchés intérieurs que sur les marchés extérieurs.
Certes, nous ferons tous nos efforts pour conclure avec les puissances étrangères les traités les plus avantageux, pour obtenir toutes les faveurs que nous pouvons désirer, sans devoir faire de trop grands sacrifices auxquels, pour ma part, je ne consentirai pas ; mais il ne faut pas se figurer que la Belgique qui, pour l'influence politique, ne peut être comparée aux grandes puissances, puisse se faire, sur les marichés lointains et sur les marchés européens, des positions privilégiées ; que l'on accueillera gratuitement ses produits avee des réductions extrêmement grandes, tandis que les produits de l'Angleterre, de la France, de l'Allemagne devront payer des droits beaucoup plus élevés.
(page 943) Nous avons obtenu un traitement privilégié en France pour les toules et fils de lin, mais je dois le répéter à l’honorable M. de Muelenaere, qui a appelé non attention sur ce point, nous n'avons, vous le savez, acquis cette position privilégiée qu'à l'aide de concessions très considérables, très lourdes, très onéreuses pour notre trésor.
Dans tous les cas, messieurs, en admettant que notre industrie linière, qui mérite à un si haut point notte sollicituie et qui a reçu, je pense, de nombreuses preuves de celle que lui porte le gouvernement ; en admettant que l'industrie linière ne puisse pas profiter, autant que nous l'avons espéré et que nous l'espérons encore, du traité du 24 janvier, il y a, messieurs, un très grand nombre d'autres articles dans le traité, qui évidemment profiteront de l'arrangement international qui vous est soumis.
Ainsi, dans l'état actuel des choses, nous exportons déjà en Sardaigne du sucre, des draps, des armes, des machines, des clous et plusieurs autres articles. Comme nous avons obtenu sur ces articles une réduction de 50 p. c, évidemment nous devons nous attendre à un accroissement dans l'exportation. Les Flandres y sont grandement intéressées, quand ce ne serait que pour certains tissus de laine.
Et quand, messieurs, il ne surgirait que les sucres, le traité a une véritable valeur. La consommation du sucre augmentera nécessairement en Sardaigne. Comme l'a fort bien exposé l'homme d'Etat qui est à la tête du commerce dans ce pays, la consommation du sucre y est fort limitée.
Eh bien, par suite de la réduction des droits, la consommation doit nécessairement doubler, tripler, et nous prendrons notre part dans l'alimentation de cette consommation. Ajoutez, messieurs, que presque tous les produits de nos grandes industries obtiennent des dégrèvements.
Les produits de l'industrie métallurgique, nos armes sur lesquelles les droits sont réduits à 6 p. c. et tant d'autres produits, dont je n'entreprendrai pas l'énumération qui est faite dans l'exposé des motifs et dans l'excellent rapport de l'honorable M. T'Kint de Naeyer.
D'une part donc nous obtenons un grand nombre de réductions importantes sur les produits de nos principales industries ; d'autre part nous faisons des concessions de valeur sans doute pour le Piémont, mais qui ne nous occasionnent aucun préjudice sensible. Telle est, messieurs, l'économie du traité.
L'intérêt maritime, qui est le grand intérêt pour la Sardaigne, reçoit une véritable satisfaction. En fait, quoiqu'il y ait réciprocité complète, l'assimilation des pavillons est beaucoup plus avantageuse à la Sardaigne qu'à la Belgique.
La Sardaigne, comme vous l'avez vu, possède 4,000 navires marchands ; la navigation y est à très bas prix ; nous avons 150 navires ; l'assimilation des pavillons est donc, en fait, beaucoup plus avantageuse à la Sardaigne qu'à nous. Cependant nous devons nous féliciter de cette concession. Ce qui nous manque pour notre commerce avec le Levant, ce sont des occasions de transports plus nombreuses, une navigation plus active, et si nous pouvons attirer dans nos ports un grand nombre de navires appartenant à la Sardaigne, nous aurons rendu un grand service à notre commerce d'exportation.
Nous prenons une bien faible part au marché du Levant, marché si important : comme on peut le voir dans l'exposé des motifs, nous n'exportons en Sardaigne que pour une valeur de 3 millions, et l'Angleterre seule exporte dans le port de Gênes pour une valeur de 20 millions de francs.
La France a un commerce immense avec la Sardaigne. Eh bien, nous devons tâcher d'obtenir une plus large part sur ce marché, et je suis intimement convaincu que nos industriels et nos négociants, s'ils veulent agir de leur côté, trouveront, dans le traité qui nous est soumis, un grand avantage.
Les contrées du Levant ont de tout temps attiré l'attention du gouvernement. Ces contrées ne sont pas très éloignées de la Belgique, et cependant nous y faisons extrêmement peu d'affaires. Nous avions, il est vrai, déjà conclu un traité avec la Grèce, et un traité avec les Deux-Siciles ; mais ces traités ne stipulaient pour ainsi dire que pour la navigation et ne présentaient aucune réduction de tarif, à l'exception cependant du traité conclu avec les Deux-Siciles en 1847 qui accorde une réduction sur les pistolets et quelques autres articles.
Vous voyez, messieurs, que le traité conclu le 24 janvier est infiniment plus large, et je n'hésite pas à dire que c'est le plus large et le plus complet que nous ayons conclu jusqu'à présent.
J'espère, messieurs, que la chambre trouvera dans le traité un autre résullat, c'est celui de resserrer encore les relations d'amitié qui existent déjà depuis longtemps entre les deux pays.
La Belgique et le Piémont ont les plus grands rapports : même population, même importance, mêmes institutions. Ces deux pays ont tous les motifs sérieux pour s'aider et s'entendre ; ils n'en ont aucun pour se nuire et se combattre. Eh bien, le traité du 24 janvier augmentera encore, je n'en doute pas, les relations d'amitié et la sympathie qui existent entre les deux nations.
M. de Haerne. - Messieurs, j'admets avec l'honorable ministre des affaires étrangères que la Belgique et la Sardaigne sont deux pays faits pour s'entendre ; que, sous presque tous les rapports et principalement sous le rapport commercial et industriel, il importe à l'un pays comme à l'autre de resserrer les liens d'amitié contractés par le projet de traité qui nous est soumis. Je ferai seulement remarquer en passant que, bien que la population soit à peu près égale, il est cependant vrai de dire que la consommation de la Belgique est plus importante que celle de la Sardaigne, et que sous ce rapport, circonstance dont il faut toujours tenir compte, le traité sera en général plus favorable à la Sardaigne qu'à nous.
Messieurs, je désire apporter, dans l'examen de ce traité, tout l'esprit d'impartialité que l'on doit nécessairement apporter dans une semblable discussion. Je désire être juste avant tout, ne rien exagérer ni en bien ni en mal, et je me hâte de reconnaître avec l'honorable ministre des affaires étrangères que si, d'un côté, nous n'avons pas pu obtenir tous les avantages que nous eussions désiré, il y a cependant des avantages réels dont on doit tenir compte.
Et quand je parle ainsi, messieurs, j'ai spécialement en vue certains articles dont il a déjà été question, non seulement les sucres, les machines, les armes, mais certains objets de fabrication qui concernent les Flandres.
Ainsi je ne ferai pas de difficulté de reconnaître qu'il y a certaines clauses du traité qui sont favorables aux Flandres, notamment celles qui sont relatives aux tissus de laine et de coton mélangés. Il y a une réduction de moitié sur cet article. C'est une fabrication qui a son importance et qui prend des développements, dans la Flandre occidentale principalement.
Je crois qu'il y a là un avantage réel qui ne doit pas être négligé dans cette discussion. J'ajouterai que pour ce qui regarde les fils de lin, je crois que les réductions obtenues par le traité donneront lieu aussi à une nouvelle exportation, particulièrement pour les fils retors, qui exïgent une assez grande main-d'œuvre, et dans lesquels nous pourrons, je pense, concourir avec l'Angleterre, avec l'Irlande.
Quant aux toiles, d'après les observations qui ont été échangées, c'est un article plus difficile à traiter. Je dirai d'abord que je redoute tout autant que l'honorable comte de Muelenaere la concurrence anglaise ; et, ici, que M. le ministre des affaires étrangères me permette de citer l'autorité qu'il a invoquée tout à l'heure lui-même, savoir l'autorité de notre consul à Gènes. J'ai eu l'honneur de faire, sur les lieux, la connaissance de notre consul à Gênes ; il a bien voulu me conduire dans le port franc pour me faire voir les étalages et les dépôts qui y existent, et j'ai pu m'assurer là de toute la difficulté qu'il y a pour la Belgique de lutter contre l'Irlande, en ce qui concerne les toiles, d'autant plus que le coton qu'on y mêle souvent donne un autre avantage à la Grande-Bretagne.
Cela résulte, comme notre consul me le fit observer avec raison, non seulement du bon marché et de la fabrication toute spéciale de l'Irlande, mais aussi du grand nombre d'occasions maritimes qui se présentent entre la Grande-Bretagne et la Sardaigne.
Voilà la véritable difficulté ; aussi, dans ces parages, n'y avait-il guère de nos produits. Cependant, le consul, au zèle et aux connaissances pratiques duquel je dois rendre hommage, n'allait pas jusqu'à dire que, dans son opinion, toute concurrence fut impossible ; seulement il la croyait très difficile ; il attachait, comme nous devons le faire aussi, beaucoup d'importance à l'augmentation de nos relations, et surtout à l'établissement de comptoirs et de dépôts dans le port franc de Gênes.
Pour suivre la discussion, je devrai entrer dans certaines explications relatives aux catégories.
En ce qui concerne la première catégorie, celle de moins de 9 fils qui, d'après le rapport de la section centrale, payera 11 p.c. à la valeur, je crois que la lutte sera en général très difficile. Ce droit, quoi qu'il ne soit pas prohibitif, ne laissera guère de place pour nous qu'à quelques spécialités.
Pour ce qui regarde la catégorie 9 fils, la lutte sera plus difficile encore, puisque là le droit va jusqu'à 31 p. c. C'est une prohibition qui appelle la fraude dans laquelle les Anglais l'emportent.
Pour les catégories supérieures, de 12 à 16 fils, par exemple, le droit est de 20 p. c. ; c'est encore exorbitant ; mais je dois faire remarquer, pour rester dans les bornes de l'impartialité que je me suis prescrite que de 17 jusqu'à 20 fils le droit s'abaisse, le poids diminuant d'une manière sensible relativement à la valeur. De sorte que le droit de 100 fr. par 100 kilog. restant toujours le même, il est évident qu'il présente une diminution notable.
La charge n'est plus que d'environ 10 p. c. à la valeur. C'est là un droit raisonnable, et quoiqu'il soit le même pour l'Angleterre, il favorisera, j'espère, l'introduction de certaines spécialités belges.
Il y a dans le traité un autre avantage dont on n'a pas encore parlé : c'est que l'écart qui existe entre l'écru et le blanc n'est que de 20 p. c. ; or, par le blanc, la toile perd de son poids et gagne en valeur. J'estime que les toiles blanchies ne payeront pas plus à la valeur que les toiles écrues. il en est tout autrement en France, comme on sait.
Si je conviens que le traité nous offre des avantages, je dois encore signaler parmi ses inconvénients celui qui résultera de l'abaissement des droits sur les fils que nous introduirons en Sardaigne ; car, il ne faut pas se le dissimuler, ce pays s'est proposé un but à peu près semblable à celui que la France a eu en vue dans le traité qu'elle a conclu avec la Belgique. Il se procure du fil à bon marché pour mieux combattre l'introduction des tissus.
En ce qui concerne les toiles en général, je dis cependant que la situation sera améliorée, en ce sens que la réduction portant sur diverses catégories doit faciliter nos importations, et si nous avons importé en Sardaigne une certaine quantité de toiles jusqu'à présent, si la France y a importé des toiles parmi lesquelles se trouvaient certainement des toiles belges, nous aurons maintenant un avantage nouveau. D'abord dans la (page 944) la baisse du droit qui, en règle générale, augmente la consommation, ensuite sur la France, comme sur certains autres pays, tels que la Suisse, par exemple, qui, elle aussi, importe des toiles en Sardaigne.
Ces avantage, comme me le fit aussi observer notre consul à Gènes, a trait particulièrement à nos spécialités. Il y a en Sardaigne une certaine classe de personnes qui attachent de l'importance aux toiles belges de fil fait à la main ; c'est là une spécialité dans laquelle nous obtiendrons une certaine faveur ; c'est la spécialité de la Suisse ; c'est la spécialité de certaines contrées de l'Allemagne ; c'est aussi la nôtre.
Or, comme nous avons un avantage sur la Suisse et sur d'autres pays, il est évident qu'aussi longtemps que nous en jouissons, cette catégorie de toiles belges s'introduira en Sardaigne plus facilement que par le passé. En un mot, pour bien définir ma pensée, je crois à une amélioration, mais peu considérable.
Ces avantages, je dois l'avouer, ne sont pas bien grands lorsqu'on considère ce que nous perdons d'autre part ; et ici, je suis obligé d'exprimer en passant mon regret que les contestations qui se sont élevées, il y a quelque temps, entre la Belgique et la France, au sujet de l'introduction d'une certaine espèce de nos toiles ; que ces contestations malheureusement ne soient pas encore terminées : nos introductions en France diminuent journellement, et je ne crains pas de dire que nous ne trouverons pas une compensation suffisante dans les avantages que le nouveau traité accorde à la Belgique.
Il y a environ deux mois, j'ai eu l'honneur de faire remarquer à la chambre que nous subissions des entraves du côté de la France ; ces entraves n'ont pas cessé, malgré les déclarations faites par le gouvernement. Je ne veux pas entrer plus avant dans cette question, parce que je craindrais de m'écarter trop de mon sujet ; une autre occasion de parler de cet objet se présentera. Seulement, je dois appeler toute l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur ce point ; je puis lui affirmer que les choses sont absolument restées dans le statu quo...
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - C'est une erreur !
M. de Haerne. - Pardon ; ce n'est pas une erreur ; si vous désirez une explication, je suis prêt à la fournir. C'est le statu quo dans ce sens qu'on continue à saisir les toiles écrues comme précédemment, sous prétexte qu'elles sont crémées.
Pour revenir au traité, je dirai que ce que nous avons surtout à craindre en Sardaigne, c'est la concurrence de l'Angleterre. Par une coïncidence assez bizarre, cette puissance a obtenu du gouvernement sarde, peu après, un traité semblable au nôtre, et qui lui confère sur le marché de la Sardaigne des avantages égaux à ceux que nous avons obtenus.
Il y a un point dont l'honorable M. Osy nous a entretenus, quant à la navigation : je veux parler de l’intercours indirect. Quoique l'honorable membre soit très compétent à cet égard, je me permettrai cependant une observation.
Je demanderai si l’intercours indirect, qui existe réciproquement entre l'Angleterre et la Sardaigne ne sera pas plus avantageux à la première puissance qu'à la seconde. Comme le faisait observer tout à l'heure, avec raison, M. le ministre des affaires étangères, l’intercours indirect entre la Belgique et la Sardaigne serait moins favorable au premier de ces pays qu'au second. Mais la position n'est pas la même entre l'Angleterre et la Sardaigne, et je doute fort que ce soit là pour la Sardaigne un avantage réel ; car quoique la marine marchande sarde soit assez importante, elle n'est certes pas à comparer à celle de l'Angleterre.
Je doute que sous ce rapport la Sardaigne ait à se louer plus du traité qu'elle a conclu avec l'Angleterre que de celui qu'elle a fait avec la Belgique.
Pour ce qui regarde les concessions de douanes, je reviendrai pour quelques instants sur cette question qui est assez importante ; je crois pouvoir le faire d'autant plus, que M. le ministre des affaires étrangères a traité tout à l'heure la question générale de nos relations extérieures ; je demanderai donc à la chambre la permission de lui présenter encore quelques courtes observations.
D'abord pour les concessions de douanes qui paraissent les mêmes, dans le traité anglo-sarde et le traité sardo-belge, il faut faire une distinction ; c'est que l'Angleterre, malgré son tarif qu'on qualifie de si libéral, a de véritables droits différentiels, non de navigation, mais de douane, en faveur des produits qui proviennent de ses colonies.
Il en résulte que les concessions faites à la Sardaigne par l'Angleterre ne sont pas aussi réelles que celles que nous faisons, parce que nous n'avons pas de colonies favorisées sous le rapport de la douane. Ces différences sont assez saillantes pour certains produits auxquels, d'après l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale, on attache une certaine importance en Sardaigne.
Je vous citerai entre autres l'article fromage. En Angleterre on paye 5 sch. par quintal pour l'entrée du fromage venant de l'étranger, en général ; et quand il vient des possessions britanniques, on ne paye qu'un schelling. Ici on accorde une réduction d'un quart, ce qui porte le droit à 4 schellings. Mais la Sardaigne a à subir la concurrence des possessions britanniques. Cette concession n'est qu'apparente.
Quant aux graines et aux semences, le droit général pour les provenances de l'étranger est de 5 schellings le quintal ; pour les possessions britanniques il est de 2 1/2. C'est le droit qu'on accorde à la Sardaigne ; on la met dans la même condition que les possessions britanniques.Donc encore une concurrence. Voyons les vins ; ils sont beaucoup plus imposés en Angleterre qu'en Belgique ; malgré l'abaissement général du tarif ils payent encore par hectolitre 6 liv. 1 schelling ; les vins venant des possessions britanniques ne payent que 3 liv. 10 schellings ; on fait la même concession que nous à la Sardaigne, on lui accorde une réduction d'un quart, ce qui réduit le droit à 4 liv. 10 schellings l'hectolitre. Ce droit est encore beaucoup plus élevé que celui qui pèse sur les vins du Cap, sur les vins des possessions britanniques. La concurrence est très sérieuse.
Remarquez que ce droit en lui-même est très élevé quand on considère le goût dominant du pays qui recherche, en fait de boisson, ce qui est fort et ce qui est national ; chacun sait qu'il y a bien des boissons qui font concurrence aux vins et quand le droit reste élevé comme il l'est ici, les concessions en deviennent moins réelles.
Je fais cette observation parce qu'on parle toujours de l'Angleterre comme de la terre classique de la liberté de commerce.
Quand il y a sous ce rapport des avantages en notre faveur, nous devons les faire valoir ; il est bon de constater ces faits pour qu'on puisse, à l'occasion, les invoquer et obtenir des avantages des pays qui ne les ont pas suffisamment appréciés.
Je dis que le vin de Sardaigne payera en Angleterre trois fois plus qu'en Belgique, d'après le tarif de Robert Peel.
Je citerai un autre article qui est aussi dans le traité avec la Sardaigne, c'est l'article oranges et citrons, qui paye en Angleterre 75 p. c. de la valeur, tandis qu'il ne paye en Belgique que 25 p. c.
Donc si l'Angleterre accorde un certain avantage à la Sardaigne (je ne veux pas contester l'observation de M. Osy, bien qu'elle rne paraisse sujette à caution), nous lui accordons, nous, des avantages que l'Angleterre ne lui accorde pas. Il est vrai que le traité anglais avec la Sardaigne est venu après le nôtre. J'aurais mauvaise grâce à vouloir faire, sous ce rapport, le moindre reproche à notre ministère.
Mais il n'est pas inutile, je pense, d'appeler l'attention du gouvernement sur un point aussi important pour qu'il en tienne note dans les relations qui doivent s'établir entre les deux pays, et qu'il prépare le terrain aux négociations futures, soit avec la Sardaigne, soit avec d'autres pays qui se présenteraient vis-à-vis de nous dans des circonstances analogues.
Le (raité anglo-sarde est fait pour 12 ans ; le nôtre n'est fait que pour 8 ans. C'est un avantage pour l'Angleterre. Je suppose qu'après l'expiration du terme du tratlé, nous ne puissions pas nous entendre avec la Sardaigne pour renouveler immédiatement la convention ; l'Angleterre, ayant le terrain libre, s'empare de la position et nous en rend l'accès quasi impossible pour l'avenir. C'est quelque chose pour l'Angleterre d'avoir obtenu quatre années de plus que nous pour la durée du traité.
Encore un mot : Je ne sais quelle serait la position de la Belgique dans le cas où un projet dont il a été fait mention dans la presse viendrait à se réaliser. On a parlé de l'union douanière de l'Italie ou d'une partie de la Péninsule. Quelle serait la position de la Belgique si une telle union venait à se former ?
Je termine, messieurs, en disant que je reconnais que le traité est bon, qu'il présente des avantages ; quoique j'eusse désire qu'il fût plus favorable pour la Belgique, je ne puis lui refuser mon assentiment. Je désire que, dans les négociations ultérieures avec la Sardaigne, on resserre les liens qui déjà nous unissent, afin d'obtenir un traité réciproquement plus favorable par un abaissement des deux tarifs.
Je le répète, les deux pays, tant par l'égalité de leur population que par la diversité de leurs climats et de leurs produits, sont appelés à s'entendre commercialement et à vivre en bonne harmonie.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - La chambre paraît désirer terminer la discussion, je ne dirai donc que quelques mots.
L'honorable M. de Haerne a parlé du traité conclu, le 27 février, entre la Sardaigne et l'Angleterre. Ce trailé n'a pas été une surprise pour le gouvernement, ni pour son négociateur.
Quiconque connaît les relations commerciales et politiques de la Sardaigne et de l'Angleterre comprend qu'il ne nous était pas possible d'obtenir une position plus favorable, plus privilégiée que l'Angleterre.
Nous en étions informés par notre négociateur qui dans tout le cours de la négociation a déployé beaucoup d'activité et de talent.
Je suis heureux de pouvoir lui rendre ce témoignage dans cette enceinte. Ce que nous avions à redouter, messieurs, c'était que l'Angleterre n'obtînt un traitement plus favorable.
Or, c'est pour ce motif que nous avions cherché à faire insérer dans le traité l'article 22, qui nous donne la garantie qu'aucune autre nation ne sera mieux traitée que la Belgique.
Ce n'est pas sans efforts que nous avons obtenu cet article. Nous avions précisément en vue l'Angleterre, car il y avait de fortes probabilités que cette grande puissance l'emporterait sur nous.
L'honorable M. de Haerne a demandé si la réalisation du projet d'union douanière en Italie était probable ; et quelle serait, dans ce cas, la situation de la Belgique. Ce projet est très éloigné, et peut-être même est-il chimérique. Dans le cas où il viendrait à se réaliser, je crois que nous conserverions les avantages du traité actuel, ce qui lui donnerait une plus grande valeur encore que celle qu'il a aujourd'hui.
L'honorable préopinant, s'occupant ensuite d'un autre sujet, a dit que la situation, quant à l'admission de nos toiles, était restée la même avec la France, malgré les déclarations récentes du gouvernement. Je sais (page 915) qu'il y a eu de nouvelles difficultés, une nouvelle saisie de nos toiles à la frontière de France ; mats la situation n'est plus la même, en ce sens que nous avons obtenu du gouvernement français l'admission d'un nouveau type.
Malheureusement les instructions ont été en retard. Il y a encore, je le sais, des difficultés ; mais notre légation de Paris fait, avec un zèle qui nese lasse pas, ses efforts pour les aplanir.
- - Plusieurs membres ; - La clôture !
M. Jacques. -Je prie la chambre de me laisser expliquer en quatre mots les motifs qui m'obligeront à voter contre le projet de loi.
M. Osy. - Si l'on désire clore, je veux bien renoncer à la parole que j'avais demandée pour répondre à M. le ministre, au sujet du système commercial. Mais il me reste à lui demander un renseignement sur l'article 3. Il serait plus convenable de renvoyer la discussion à demain. Il s'agit d'une affaire commerciale importante.
M. Delehaye. - L'honorable membre a déjà demandé ces renseignements en section centrale. Je crois donc qu'il pourrait renoncer à la parole, et que l'on pourrait clore la discussion.
M. Malou. - Si l'ordre du jour était excessivement chargé, je comprendrais que l'on insistât pour la clôture. Mais M. le ministre des affaires étrangères a fait une incursion dans le domaine des questions générales, des questions de commerce. Je crois que l'honorable M. Osy a le droit de répondre, et qu'on ne peut le lui ôter.
Je demande donc que la discussion continue.
M. Cumont. - Appuyé. J'ai également quelques observations à faire : l'objet est assez important pour qu'on l'approfondisse.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je ne m'oppose pas à ce que la discussion continue. Mais si elle doit continuer, je demande que ce soit aujourd'hui même, plutôt que demain.
Il n'est que quatre heures et demie, il n'y a aucun motif pour lever dès à présent la séance.
M. le président. - Puisqu'on est d'accord pour ne pas clore la discussion, elle continue. La parole est à M. Jacques.
M. Jacques. - Comme la chambre paraît avoir hâte d'en finir, je me bornerai à énoncer en quelques mots les motifs qui m'obligeront à voter contre le projet de loi.
J'ai cherché à apprécier quels seront, pour la Belgique, les résultats du traité qui est soumis aux délibérations de la chambre : il m'a paru que, pour bien les apprécier, il fallait envisager le traité sous le triple rapport de nos industries, de notre navigation et de nos finances.
Quant à notre industrie, il m'a paru que les résultats que le traité offre à la Belgique étaient insignifiants ; ils m'ont paru nuls pour notre navigation, compromettants pour nos finances.
Je n'aurai pas besoin d'entrer dans de longs développements pour justifier ces trois appréciations du traité.
D'abord, pour notre industrie, si l'on trouve dans le traité une réduction assez notable de certains droits de douane, on ne doit pas perdre de vue que les droits de douane, établis en Sardaigne, appartiennent au système protecteur le plus exagéré, de sorte que malgré les réductions consenties, les droits seront encore très élevés.
La Sardaigne a reconnu elle-même que son tarif était tellement élevé qu'elle a été amenée à réduire les droits dans l'intérêt de ses consommateurs. Il ne faut donc pas croire que les réductions de droits de douane, accordées par le traité, le soient dans l'intérêt de nos producteurs. Si elles étaient accordées à la Belgique seulement, cela aurait, je le reconnais, une certaine importance ; mais déjà elles sont accordées à l'Angleterre.
Avant peu sans doute les mêmes avantages seront accordés à la France et à l'Autriche : ainsi nos produits seront, après comme avant le traité, dans les mêmes conditions de concurrence avec les produits similaires étrangers.
Il n'y aura donc là, pour nos producteurs, aucune amélioralion dans les prix ni dans les débouchés.
Quant à la navigation, le traité ne fait que continuer à notre marine les avantages qui lui sont assurés tant par la législation en vigueur dans la Sardaigne que par la convention de 1838, qui continue à être observée de commun accord entre les deux pays.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - C'est une erreur.
M. Jacques. - Je n'ai pas vu qu'il y eût une différence réelle, sous le rapport de la navigation, entre la convention de 1838 et le traité de 1851.
Quant à nos finances, je dis que les stipulations du traité sont plus ou moins compromettantes.
Les réductions de droits de douane que la Belgique accorde aux produits de la Sardaigne, n'ont pas, à la vérité, une grande importance en chiffres. Mais le principe peut-être extrêmement dangereux pour les négociations avec les autres puissances.
Les réductions de droits que la Belgique accorde à la Sardaigne portent presque toutes sur des objets de consommation de luxe, tandis que les réductions accordées par la Sardaigne portent sur des objets de consommation générale usuelle.
Les droits que la Belgique réduit en faveur de la Sardaigne ont un caractère fiscal plutôt que protecteur. Ainsi le traité réduit les droits sur les vins de trois quarts pour la douane, et d'un quart pour l'accise.
Je ne puis consentir, pour ma part, à ce que la Belgique s'engage à ne pas percevoir sur une pareille consommation les droits qu'elle juge convenables dans l'intérêt de ses finances.
Il est évident que si vous accordez de pareilles réductions de droits sur les vins dans le traité avec la Sardaigne, vous ne pourrez pas les refuser plus tard à d'autres puissances.
Il y aura nécessité de maintenir les mêmes réductions de droits dans les traités que vous aurez à renouveler avec la France, avec l'Allemagne ; il y aura par là même nécessité de continuer à perdre un million par an sur les droits d'entrée et d'accises sur les vins, sur un objet de consommation qui est purement de luxe, sur un objet qui pourrait fort bien supporter les droits auxquels il était assujetti par notre législation ancienne.
Ce sont là, messieurs, en résumé, les motifs qui ne me permettent pas de voter pour la loi.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, je crains bien que l'honorable préopinant n'ait pas suffisamment approfondi l'examen du traité, car réellement il s'est trompé dans la plupart des observations qu'il a présentées.
Ainsi il dit que les réductions de droits de douane que nous obtenons ne procurent aucun avantage à notre industrie, parce que les droits restent encore exorbitants. Mais que l'honorable M. Jacques veuille bien jeter les yeux à la page 13 du rapport de la section centrale ; il y verra que, pour un très grand nombre d'articles, ces droits ne seront plus que de 7, 6, 5, 4 et 3 pour cent à la valeur. Est-ce exorbitant ?
M. Jacques. - Les produits similaires étrangers auront les mêmes avantages.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Cela est vrai pour l'Angleterre ; mais il ne m'est nullement démontré, il n'est pas même probable que plusieurs autres puissances les obtiennent. Mais je suppose que d'autres puissances obtiennent les mêmes faveurs. Sans doute, il vaudrait mieux avoir un régime privilégié. Mais je dois le dire à M. Jacques : Des traités de cette espèce qui nous concéderaient un traitement favorisé, il n'en votera pas beaucoup ; ils seront fort rares les traités où nous aurons un régime privilégié pour tous les articles de notre industrie.
Mais s'il y a réduction pour tout le monde, nous prendrons notre part des avantages de cette réduction ; l'industrie belge est assez perfectionnée, est assez puissante pour concourir avec ses rivales.
Quant à la navigation, nouvelle erreur de la part de l'honorable M. Jacques.
Il dit que la convention de 1838 nous procurait déjà les mêmes avantages. Or il n'en est rien. La convention de 1838 stipulait simplement l'assimilation pour les droits de navigation, qui pesaient sur la coque du navire, tandis que le traité nous accorde l'assimilation pour l'intercourse, en ce qui concerne les marchandises.
Voilà l'avantage que nous avons obtenu pour notre navigation. J'espère qu'il amènera ce résultat qu'il y aura des relatious plus actives, plus suivies entre les deux pays, et que par suite, nos produits ayant plus de moyens d'exportation, profiteront de cette amélioralion.
L'honorable membre vous a parlé des vins. Il est vrai que nous accordons là certaines réductions, parce qu'enfin il faut bien accorder quelque chose en échange des concessions que l'on obtient. Mais l'honorable membre n'a pas fait attention que nous avions déjà accordé la même faveur dans le traité conclu avec le royaume des Deux-Siciles ; par conséquent nous étions déjà liés, et il n'y avait pas le moindre inconvénient à nous lier encore.
Les observations de l'honorable membre auraient pu s'appliquer au traité avec les Deux-Siciles ; mais aujourd'hui elles n'ont aucune valeur ni aucune portée. Je dois donc croire que ces explications satisferont l'honorable M. Jacques qui n'a pu, on le conçoit, examiner le traité aussi attentivement que ceux qui s'en sont occupés particulièrement, et qu'il croira pouvoir lui donner un vote approbatif.
M. Rodenbach. - Messieurs, j'avais à peine reçu le traité conclu avec la Sardaigne, que je me suis empressé de le soumettre à de grands négociants qui ont exporté des toiles et qui en font fabriquer considérablement. Je leur ai demandé franchement : Que pensez-vous de l'article 3 ? Croyez-vous que nous puissions augmenter le nombre de nos exportations de toile en Sardaigne ? Ils m'ont répondu que cela était impossible, que ce traité n'amènerait pas la vente d'une aune de toile mécanique de plus en Sardaigne.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable M. de Haerne n'est pas de cet avis.
M. Rodenbach. - Les personnes, messieurs, qui ont émis cette opinion sont très compétentes, plus compétentes que les ministres mêmes, car ce sont des industriels expérimentés. Je pense, d'ailleurs, que nous avons dans cette enceinte même de grands négociants, des industriels qui s'occupent de la fabrication des toiles, et qu'ils ne partageront pas non plus l'opinion ministérielle.
Les négociants que j'interrogeais m'ont donc répondu qu'avec ce traité ils ne vendraient pas une aune de toile de plus. J'ai voulu en savoir les motifs. Ils m'ont répondu : C'est que probablement le ministère a omis d'envoyer à celui qui a négocié et qui a fait un traité dont nous devons reconnaître le mérite, des înstructions suffisantes pour lui faire comprendre que les toiles communes ne peuvent pas supporter les mêmes droits que les toiles fines.
(page 946) Pour les toiles fines, nous ne pouvons soutenir la concurrence avec l'Irlande, (Ce sont toujours, messieurs, les mêmes fabricants qui parlent ainsi.) La concurrence ne nous est possible que pour les toiles moyennes. Mais avec le tarif tel qu'il est établi par le traité, avec un droit uniforme de 100 fr. par 100 kilog., les importations en Sardaigne ne sont pas rendues plus faciles.
Nous ne pouvons soutenir la concurrence contre l'Irlande pour les toiles fines, parce que dans notre pays nous n'avons pas les fils à aussi bon marché.
Les filatures à la mécanique exercent en Belgique une espèce de monopole. Ces filatures y sont trop peu nombreuses ; elles font des bénéfices énormes et vendent trop cher aux fabricants et aux tisserands. D'un autre côté, on a en Irlande des filatures montées sur une grande échelle et des mécaniques plus perfectionnées. On y obtient aussi des capitaux à 2 et 3 p. c, tandis qu'ici on en obtient à peine à 5 ou 6 p. c. Il y a donc impossibilité pour nous de vendre en Sardaigne des toiles fines, si elles ne sont pas spécialement protégées. L'Irlande l'emportera sur nous.
Messieurs, je crois que j'ai bien fait de vous rapporter la conversation que j'ai eue avec ces négocians exportateurs, pour que le cabinet sache bien qu'en ce qui concerne les toiles, les Flandres n'obtiennent presque rien par ce traité. Je ne parle pas des autres articles. Je sais que, notamment pour les mécaniques, les machines, pour les laines, pour les cotons, et les étoffes à pantalons les Flandres obtiendront quelques avantages.
Mais quant aux toiles, il ne faut pas qu'on veuille nous faire croire que le traité aura le moindre résultat, surtout pour les toiles à la mécanique.
Cependant, messieurs, au moment où je parle, depuis 15 jours ou 3 semaines, la crise se fait de nouveau sentir dans l'industrie linière. Elle est notamment très grande dans les districts de Roulers, de Thielt et de Courtray ; on y renvoie les ouvriers faute de travail. Il est à craindre que cette crise n'augmente encore.
Il ne suffit pas, messieurs, qu'on vienne mettre en avant le traité qu'on a conclu ; il faut que le gouvernement avise à d'autres remèdes pour les tisserands des Flandres, et qu'il pense à la formation d'une société d'exportation.
Je pense que si le gouvernement le voulait sérieusement, il arriverait à la formation de cette société tant de fois promise et dont le besoin se fait si vivement sentir. En effet, messieurs, combien exportons-nous de toile vers les pays transatlantiques ? Nous en exportons tout au plus pour 1 million par an, tandis que l'Angleterre en exporte pour cent millions, que la France elle-même, dont l'industrie linière est moins avancée, en exporte pour 40 millions.
Si le gouvernement ne veut pas établir cette société d'exportation, il doit chercher d'autres moyens pour venir au secours de nos populations. Car je ne pense pas qu'on veuille de nouveau laisser nos tisserands plongés la misère. J'aime à croire que la crise ne sera pas aussi violente que celle qui a éclaté en 1846 et en 1847 ; mais bien que les vivres soient à bon marché, quand on n'a pas d'ouvrage, on ne peut pas nourrir sa famille, et beaucoup de nos tisserands sont dans ce cas aujourd'hui.
On accusera peut-être encore mes paroles d'exagération, mais plus tard on reconnaîtra de nouveau qu'elles ne sont encore une fois que l'expression de la vérité !
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.