(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Delfosse, vice-président.}
M. A. Vandenpeereboom (page 913) procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.
La séance est ouverte.
M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
M. Lelièvre. - N'ayant pas assisté à la séance d'hier, je crois devoir aujourd'hui me joindre à M. Moncheur pour recommander à M. le ministre de l'intérieur la pétition de l'Union commerciale de Namur relative à la vente des marchandises neuves. J'appelle l'attention du gouvernement sur l'objet important énoncé en la réclamation qui lui a été renvoyée et je le prie de s'en occuper sans délai.
- La rédaction du procès-verbal est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Simon présente des observations sur des économies à faire au budget de la guerre. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget de la guerre.
« Le sieur de Binckum demande que le gouvernement l'indemnise des pertes qu'il a éprouvées dans l'entreprise de la colonisation du district et du port de Santo-Tomas, en reprenant les terres qu'il a dû prendre à sa charge par suite de la non-exécution de ses engagements. »
M. Roussel. - Je demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du rapport supplémentaire sur la réclamation de Mme la comtesse de Hompesch.
- Cette proposition est adoptée.
M. de Chimay demande un congé pour cause d'indisposition.
M. Tremouroux, retenu chez lui par la maladie de sa mère, demande un congé.
- Ces congés sont accordés.
M. le président. - La commission conclut au dépôt de la pétition au bureau des renseignements.
M. Osy. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
Messieurs, par les pièces déposées par M. le ministre des affaires étrangères et par les divers rapports de la commission des pétitions, nous connaissons aujourd'hui parfaitement l'affaire de M. le comte de Hompesch.
Mais il y a encore un objet sur lequel je désire avoir des explications de M. le ministre des affaires étrangères, et qui se rattachent directement à cette affaire.
Si je suis bien informé, le gouvernement anglais, depuis une couple d'années, s'est beaucoup occupé de cette question dans l'intérêt de la maison de banque de Londres, Mills et Cie ; depuis l'année dernière surtout, depuis la conclusion des difficultés de l'Angleterre avec la Grèce, il paraît que les notes du gouvernement anglais sont beaucoup plus pressantes. On connaît les difficultés qu'a éprouvées la Grèce par suite de réclamations du même genre faites par l'Angleterre dans l'intérêt des particuliers.
Je ne redoute pas de pareilles mesures pour la Belgique, mais je crois qu'il est de l'intérêt du pays de connaître les réclamations qui lui sont adressées.
Je demande donc à M. le minisire des affaires étrangères de nous dire s'il voit quelque inconvénient à déposer sur le bureau les notes qu'il a reçues de l'Angleterre à ce sujet.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, l'Angleterre n'a fait aucune réclamation sur l'objet dont il est question dans l'interpellation de l'honorable préopinant. Il n'y a pas eu la moindre note remise ; il y a eu des pourparlers officieux relativement à cette affaire entre M. le ministre d'Angleterre et moi. Mais voilà tout. Il est vrai que le banquier qui a conclu l'arrangement du 22 novembre 1844 avec la compagnie de colonisation a adressé aussi une demande en indemnité au gouvernement belge ; mais cette demande en indemnité n'a pas été acceptée.
Je le répète, l'Angleterre n'a remis aucune note officielle au gouvernement belge relativement à cette affaire.
M. Osy. - Messieurs, il est possible qu'il n'ait pas été remis au gouvernement belge une note du secrétaire d'Etat chargé des affaires étrangères d'Angleterre ; mais nous savons d'une manière certaine que l'Angleterre s'occupe beaucoup de la réclamation de la maison de banque dont il s'agit, et nous venons d'apprendre par M. le ministre des affaires étrangères lui-même qu'il y a eu tout au moins une note officieuse. Eh bien, messieurs, il nous serait intéressant de savoir sur quoi l'Angleterre se fonde pour se mêler d'une affaire qui ne concerne absolument que l'intérieur du pays.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - J'ai déjà dit, messieurs, que l'Angleterre ne fait aucune réclamation. M. le ministre plénipotentiaire anglais accrédité à Bruxelles s'occupe des intérêts de ses nationaux en Belgique comme nos ministres à l'étranger s'occupent des intérêts des Belges dans les pays où ils sont accrédités ; mais aucune note quelconque n'a été remise ; il n'y a eu absolument que de simples conversations entre le ministre d'Angleterre et moi, conversations dont sans doute la chambre n'entend pas que je lui rende compte.
M. le président. - La chambre a chargé le bureau de nommer la commission chargée d'examiner le projet de loi qui a pour objet de proroger la loi sur les concessions de péages. Cette commission est composée de MM. Vermeire, Bruneau, Ch. Rousselle, Lesoinne, de Theux, Loos et Moncheur.
M. de Renesse. - Messieurs, la réclamation adressée à la chambre par Mme la comtesse de Hompesch me paraît devoir attirer son attention toute particulière, non seulement par son importance, mais aussi, sous le rapport de la question d'équité, de justice nationale, qu'elle soulève ; elle ne peut donc être repoussée de prime abord, ni par le gouvernement, ni par la chambre ; elle mérite d'être examinée avec bienveillance. Il est de notoriété publique que la pétitionnaire a sacrifié une forte partie de sa fortune, pour maintenir la colonie de Santo-Tomas ; à cet égard, le gouvernement ne pourra contester le sacrifice que Mme la comtesse de Hompesch s'est imposé, afin de venir au secours d'une colonie réduite en 1844 et 1845 à ses dernières ressources ; déjà, en 1847, Mme la comtesse de Hompesch a fait parvenir à M. le ministre de l'intérieur une déclaration, dûment légalisée, du directeur délégué de cette compagnie belge de colonisation, qui constate les avances considérables en argent faites par Mme la comtesse de Hompesch dans l'intéré du maintien de la colonie de Santo-Tomas. (Voir l'annexe B, insérée au Moniteur, séance du 12 mars 1851.)
Si la pétitionnaire a cru devoir souscrire des obligations en faveur de cet établissement colonial, c'est qu'elle a eu foi dans les promesses du gouvernement belge, et surtout en présence de la convention du 21 juillet 1844, par laquelle le ministère d'alors s'engageait à soumettre à la législature, avant le 31 décembre 1844, un projet de loi qui l'autoriserait à garantir à la compagnie belge de colonisation un minimum d'intérêt de 3 p. c. l'an, et 1 p. c. d'amortissement d'un capital de trois millions au plus, à emprunter par la compagnie à la suite du vote de la loi.
Si cette convention eût reçu son exécution de la part du gouvernement, Mme la comtesse de Hompesch ne se trouverait pas actuellement dans la pénible position de devoir réclamer la bienveillante intervention du gouvernement et de la chambre, afin que des mesures soient prises, et empêcher ainsi l'expropriation de ses propriétés d'affection et de famille.
Maintenant que la colonie de Santo-Tomas, d'après les rapports du gouvernement, paraît être en voie de prospérité ; que le gouvernement y a établi, avec le concours d'une société, un comptoir de commerce, que nos relations commerciales prennent chaque année une plus grande importance avec cette partie de l'Amérique centrale, il est de l'équité, de l'honneur du pays, de ne pas repousser la réclamation de la requérante par une fin de non-recevoir ; cette réclamation est surtout fondée sur l'équité, puisque c'est grâce au sacrifice d'une forte partie de sa fortune que Mme la comtesse de Hompesch est parvenue à soutenir une colonie actuellement prospère qui continuera probablement d'être d'une grande utilité pour la Belgique, par suite des nombreuses relations commerciales qui s'y sont formées, et par ce nouveau débouché pour les produits de nos différentes industries nationales. Sous un autre rapport, cet établissement colonial pourra aussi offrir un grand avantage au pays, par la formation, dans le district de Santo-Tomas, d'une colonie de Belges, au moyen d'une émigration sagement combinée et dirigée.
D'après les documents que Mme la comtesse de Hompesch a fait parvenir à la chambre, sur lesquels la commission des pétitions a fait rapport, et qui, en partie, ont été insérés au Moniteur, séance du 12 mars 1851, il résulte à l'évidence que les sacrifices, les avances de fonds faits par la réclamante, sont réels, et ne peuvent être désavoués ; que, sans son intervention pécuniaire, la colonie de Santo-Tomas eût été perdue depuis plusieurs années pour la Belgique.
Il s'agit d'examiner si ees dépenses, faites dans un but d'utilité publique, ne méritent pas d'être prises en considération ; sous ce rapport, la grande utilité du maintien de cette colonie ne pourra plus être contestée ; elle est d'ailleurs reconnue par le gouvernement. Déjà elle offre un assez grand avantage à notre navigation, à l'exportation de nos produits nationaux ; cette importance, par l'extension que doit nécessairement prendre notre commerce avec l'Amérique centrale, ne fera qu'augmenter ; si surtout l'on exécute le chemin de fer de Panama dans la direction de Chagres, ou le canal à travers l'Etat de Nicaragua, du port de Realejo à Saint-Juan, qui doit relier les deux océans.
D'après ces considérations, je crois que la chambre fera acte de justice, en accueillant avec faveur la réclamation de Mme la comtesse de Hompesch ; car elle ne demande pas de sacrifices réels du pays, voulant (page 914) donner en échange ou en garantie d'une juste indemnité, des terres à Santo-Tomas, d'une valeur chaque année croissante, d'après le rapport même de M. le ministre des affaires étrangères, et qui suffiraient pour la faire rentrer dans ses avances, si elle ne se trouvait actuellement sous la pression de l'expropriation forcée de ses propriétés situées en Belgique, données en hypothèque des capitaux qu'elle a avancés pour préserver la colonie de sa ruine ; d'ailleurs, la pétitionnaire se soumet à toutes les propositions convenables que la chambre et le gouvernement présenteraient pour la tirer de la pénible position ou elle se trouve actuellement.
S'il est établi que c'est par l'intervention des avances de fonds faites par madame la comtesse de Hompesch que cet établissement belge de colonisation, d'une grande utilité pour la Belgique, a été relevé de sa déchéance, et ceci paraît incontestable, l'on ne peut vouloir que le pays s'enrichisse des dépouilles d'une fortune privée, qui a ouvert à son commerce un débouché déjà très notable.
Je crois donc qu'il y a lieu d'appuyer la demande de la pétitionnaire auprès du gouvernement et de la chambre. Car c'est une question d'équité, fondée sur des considérations majeures, qui mérite de recevoir une prompte et favorable décision.
M. Orts. - Messieurs, je crois qu'il serait de l'intérêt de tout le monde que l'affaire qui a occupé si souvent la chambre, et encore plus souvent le pays, aboutît à une conclusion déterminée. Le dépôt au bureau des renseignements n'atteint pas du tout ce but. S'il est certain, par suite de l'examen de tous les documents qui se rattachent à cette affaire, que la Belgique retire aujourd'hui du maintien de la colonie de Santo-Tomas un bien quelconque, et que ce bien a été obtenu par les sacrifices pécuniaires d'un particulier, il serait digne du pays de ne point tolérer un semblable état de choses. Un pays pas plus qu'un particulier ne doit pouvoir être accusé, avec une apparence de vérité, de s'enrichir aux dépens d'autrui. Je crois donc que s'il était possible au gouvernement de terminer cette affaire par un arrangement à l'amiable, il poserait là un acte de la plus haute utilité.
Je proposerai donc avec d'honorables collègues de substituer aux conclusions qui tendent au dépôt au bureau des renseignements, le renvoi de toutes les pièces à MM. les ministres des affaires étrangères, de l'intérieur et des finances pour qu'ils cherchent un moyen de terminer tout différend entre les pétitionnaires et l'Etat belge. Nous ne voulons engager en rien la chambre ni le gouvernement ; nous demandons simplement que le gouvernement avise et nous apporte ensuite une conclusion déterminée.
M. le président. - Voici la proposition que M. Orts vient de déposer :
« La chambre verrait avec plaisir le gouvernement terminer bientôt par un arrangement à l'amiable, le différend existant entre l'Etat et les pétitionnaires.
« Elle renvoie, en conséquence, la pétition à MM. les minisires de l'intérieur, des finances et des affaires étrangères.
« (Signé) de Renesse, Orts, Armand de Perceval, Veydt, comte de Baillet-Latour, de Decker, comte de Liedekerke. »
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, la proposition qui est soumise à la chambre en ce moment est extrêmement vague. Le gouvernement a déjà été saisi par la chambre des pétitions dont il s'agit ; on a demandé au gouvernement des renseignements sur ces pétitions ; le gouvernemeut les a fait parvenir à la chambre ; la commission des pétitions a été de nouveau saisie de l'affaire, et elle se borne à proposer le dépôt au bureau des renseignements.
Si maintenant la commission des pétitions ou les membres qui ont signé la proposition voulaient aller plus loin, il me semble qu'il serait plus naturel de soumettre à la chambre une proposition spéciale formelle, à l'égard des mesures qu'il y aurait lieu de prendre en faveur des pétitionnaires.
La chambre ne peut pas se borner maintenant à un simple renvoi formulé dans des termes vagues ; il faut, ce me semble, pour rendre efficace un renvoi semblable, que la chambre exprime nettement son opinion.
Je ferai remarquer que si la colonie se raffermit dans ce moment, si elle peut donner dans l'avenir des avantages commerciaux à la Belgique, le gouvernement y a puissamment contribué de son côté ; il est intervenu indirectement, à la vérité, mais d'une manière très efficace en faveur de cet établissement. J'ai déjà eu l'honneur d'énumérer, dans la lettre que j'ai adressée à M. le président, les moyens par lesquels le gouvernement est venu en aide à la colonie. Ces moyens sont nombreux ; si le gouvernement n'était pas venu en aide, il est certain que la colonie ne subsisterait probablement plus maintenant.
Ainsi, si la Belgique doit indirectement retirer dans l'avenir certains avantages de cet établissement, le gouvernement y a puissamment contribué, il est ainsi venu également en aide aux actionnaires de la compagnie de colonisation.
Du reste, veuillez-le remarquer, messieurs, l'établissement de Santo-Tomas n'est pas une colonie du gouvernement ; elle reste une affaire complètement privée : le gouvernement l'a toujours ainsi déclaré ; ce n'est pas une affaire du gouvernement, c'est une affaire privée.
D'un autre côté, la chambre ne doit pas perdre de vue que la question est soumise en ce moment aux tribunaux ; la valeur de l'acte du 11 juillet 1844 a déjà été apprécié par un jugement du tribunal de première instance de Bruxelles. Que peut faire le gouvernement en présence de ce jugement ? On lui renvoie l'affaire pour qu'il la termine. Mais entend-on reconnaître qu'il y a des droits à faire valoir à charge du gouvernement ? Je ne le pense pas. Et il n'y a pas seulement ici le jugement du tribunal de première instance de Bruxelles, mais les ministres de 1844 qui ont traité l'affaire (car le ministère actuel y est resté étranger), mais les ministres de 1844 n'ont jamais pensé qu'il y eût lieu à indemnité en faveur, soit du président, soit de la compagnie de colonisation soit des actionnaires.
Il me semble que le moyen le plus simple, pour les honorables auteurs de la motion, serait de faire une proposition de loi formelle. Ils peuvent user de leur initiative aussi bien que pourrait le faire le gouvernement.
Mais dans les termes où la proposition est conçue, le gouvernement ne pourrait l'accepter ; car elle n'exprime nullement l'intention de la chambre.
M. Jacques. - En ma qualité de membre de la commission des pétitions qui s'est occupée de cette affaire, je crois devoir ajouter quelques mots.
Nous n'avons pas vu, dans la convention de 1844, que l'Etat belge ait contracté un engagement formel envers la compagnie belge de colonisation. Ce n'était qu'une convention éventuelle, sans aucune garantie.
Si Mme la comtesse de Hompesch, sur la foi de ce traité, qui ne signifiait rien, a pris des engagements qui ont tourné à son détriment, je ne crois pas que nous puissions faire retomber les pertes qu'elle a pu subir sur les contribuables de la Belgique, qui sont plus étrangers à cette affaire que Mme la comtesse de Hompesch.
Je repousse donc la proposition de renvoi à MM. les ministres de l'intérieur, des affaires étrangères et des finances avec invitation de terminer par une transaction qui serait nécessairement onéreuse pour l'Etat, c'est-à-dire pour les contribuables.
L'affaire est engagée devant les tribunaux, il convient d'y laisser statuer par la justice.
M. Orts. - La pensée des signataires de la pétition n'est pas de préjuger que l'Etat serait, en droit strict, débiteur de quoi que ce soit envers les pétitionnaires. Leur intention est d'inviter le gouvernement à rechercher un moyen quelconque, peu onéreux pour l'Etat, aussi peu onéreux que possible, de faire cesser une affaire désagréable pour le pays. On ne préjuge en aucune façon la question de droit par un tel renvoi.
Si le gouvernement ne trouve pas ce moyen, la question reste intacte devant les tribunaux qui décideront librement en dernier ressort.
C'est une invitation à la générosité pour autant qu'elle n'engage pas outre mesure les intérêts des contribuables, dont parlait tout à l'heure l'honorable M. Jacques ; et pour autant que ces contribuables, c'est-à-dire le pays, tirent quelque profit de l'affaire.
J'ajouterai un seul et unique mot encore. L'invitation que nous adressons au gouvernement, et à laquelle nous désirons que la chambre se joigne, a cette portée : La Belgique peul-elle consentir à la ruine d'une personne, alors qu'elle retire un bien incontestable de la conservation de la colonie, c'est-à-dire du fait qui a engendré cette ruine ?
M. Dumortier. - L'affaire dont il s'agit est réellement très sérieuse : on peut l'envisager à deux points de vue : au point de vue du droit rigoureux et de l'équité.
Je n'examinerai pas la question au point de vue du droit strict : cette question est du domaine des jurisconsultes ou des tribunaux.
Mais à celui de l'équité, il est hors de doute que la position du pays n'est pas ce qu'elle devrait être dans cette affaire.
Que s'est-il passé ? Une transaction a eu lieu entre le gouvernement belge et M. le comte de Hompesch, au nom de la compagnie belge de colonisation. Dans cet acte, le gouvernement prenait l'engagement de présenter aux chambres un projet de loi pour régulariser l'affaire de Santo-Tomas. Sur la foi d'un pareil engagement, les pétitionnaires devaient croire que leurs intérêts auraient été garantis par ce projet de loi.
Ce projet de loi n'a pas été présenté. Le gouvernement d'alors n'a pas exécuté la promesse qu'il avait faite dans cette pièce officielle, et pourtant un acte officiel est un acte sérieux, un acte auquel la pétitionnaire était en droit d'ajouter foi. Car lorsque des ministres signent un acte semblable, on ne peut méconnaître qu'il a une valeur incontestable.
Se fiant sur cette espèce de traité, la pétitionnaire a engagé ses biens. Aujourd'hui il est question de les vendre.
Eh bien, messieurs, je crois que nous sommes ici précisément dans la position où s'est trouvée une de nos grandes villes, lorsque son bourgmestre a dû payer lui-même le canal qui devait faire un jour la richesse de cette cité et fut par cela ruiné. L'histoire a flétri la conduite de l'administration de cette époque, parce qu'elle n'avait pas indemnisé le magistrat qui faisait le bien-être de la ville dont il était le représentant.
Le cas ici est absolument le même.
M. le comte de Hompesch a doté la Belgique d'une colonie. La fortune de la comtesse de Hompesch a servi tout entière à donner à la Belgique une colonie qui peut devenir d'une importance extrême, qui a déjà aujourd'hui une très grande importance ; et cette famille se trouverait ruinée pour avoir fait un bien aussi considérable au pays ! Messieurs, il ne serait ni juste, ni digne pour le pays d'accepter une position pareille.
Je n'examine pas la question au point de vue du droit. Mais au point de vue de l'équité, je crois qu'il n'est pas juste de laisser une famille se (page 914) ruiner pour avoir doté le pays d'un établissement que nous désirions depuis si longtemps et qui peut amener pour notre industrie des avantages considérables. Vous savez tous, messieurs, quels étaient, dans les premières années qui ont suivi la révolution, les regrets qu'on entendait émettre chaque jour ? C'était la perte des colonies. On voulait avoir des débouchés et l'on croyait que ces débouchés ne se trouveraient que dans les colonies. C'est là ce qui a donné naissance à l'établissement de Santo-Tomas.
Eh bien, je pense que si nous avions eu à choisir sur la carte le point du globe le plus favorable pour le commerce de la Belgique, nous n'aurions pas mieux choisi que celui que nous possédons. Cette colonie est dans des conditions excessivement favorables pour nous ; en effet, c’est un des points du continent américain le plus rapproché de nous, et notre marine, peu considérable, peut y faire divers voyages, alors qu'elle n'en faisait qu'un pour aller aux colonies hollandaises.
Cette colonie est devenue prospère ; elle procure des débouchés considérables à nos manufactures. Je crois qu'il est juste de ne pas permetlre que la famille qui a doté le pays de ce bienfait soit ruinée pour avoir eu foi dans un acte du gouvernement.
Je pense donc, messieurs, que nous devons renvoyer la pétition au ministre, non pas parce qu'il y a ici un droit strict, mais pour lui témoigner le désir qu'il avise au moyen d'arranger amiablement cette affaire qui a préoccupé et qui continue à préoccuper le pays.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Quel moyen ?
M. Dumortier. - Je demeure convaincu qu'avec de la bonne volonté il y a possibilité d'arranger une affaire semblable.
- Plusieurs membres. - Avec de l'argent.
M. Dumortier. - J'entends plusieurs membres dire : Avec de l'argent. Messieurs, vous avez les bénéfices de la chose. Est-ce que vous entendez ne pas la payer ? Vous ne voudrez pas adopter la maxime des socialistes qui voudraient avoir les choses sans les payer !
Je pense qu'avec de la bonne volonté le gouvernement pourra arranger cette affaire et je m'en rapporte volontiers à lui pour arriver à une solution équitable qui fasse disparaître ce fâcheux incident.
M. Mercier. - Messieurs, je n'aurais pas pris la parole dans cette discussion si l'honorable M. Dumortier s'en était tenu aux termes de la proposition de l'honorable M. Orts et aux développements qui y ont été donnés par cet honorable membre ; mais l'honorable M. Dumortier vient de rappeler la convention du 21 juillet 1844, sans faire mention des sûretés et gages que la compagnie devait fournir, aux termes de l'article. 2 de la convention, sécurités et gages qui devaient faire l'objet d'une convention spéciale. Aux motifs d'abstention déjà exposés à la chambre, j'ajouterai que les circonstances qui se sont passées ou qui sont parvenues à la connaissance du gouvernement du 21 juillet au 31 décembre 1844, étaient telles qu'il n'aurait pu sérieusement présenter aux chambres un projet de loi dans le sens de cette convention.
Le gouvernement avait la conviction que par suite de ces circonstances non seulement il n'aurait pas obtenu la majorité, mais qu'il n'aurait pas même été appuyé par dix voix dans la chambre. Il n'eût été ni sérieux, ni loyal de sa part, pour faire disparaître tout prétexte d'attaque ou de récrimination, de déposer un projet qu'il avait la certitude de voir rejeter par l'immense majorité de la chambre ; le gouvernement ne doit poser que des actes sérieux.
Certes, lorsque la convention a été passée, le gouvernement avait bien l'intention de présenter un projet de loi à la chambre pour en remplir l'objet. Mais diverses circonstances fâcheuses sont parvenues successivement à sa connaissance. Je rappellerai entre autres cette épidémie qui a désolé la colonie et qui y a causé une mortalité effrayante !
Il est d'autres faits dont je ne parlerai pas en ce moment : l'affaire est pendante devant les tribunaux ; il y a appel du jugement intervenu en première instance. Le gouvernement saura faire valoir ses moyens à l'égard de la portée que l'on voudrait attribuer à la convention du 21 juillet 1844. Je n'ajouterai donc rien à ce que je viens de dire à cet égard.
S'il ne s'agissait que d'une question d'équité et que le gouvernement, en raison des avantages que le pays retire de la colonie, crût devoir prendre quelque mesure favorable aux pétitionnaires, je l'appuierais bien volontiers.
Dans ces termes, je serais charmé de voir que les pertes considérables qu'ont faites des particuliers en concourant à l'établissement de Santo-Tomas pussent être atténuées.
M. Lebeau. - Je crois que le renvoi demandé par quelques honorables membres de cette chambre et le dépôt au bureau des renseignements de la réclamation qui vous est adressée, auraient, en définitive, à peu près le même résultat.
Cependant, messieurs, je voterai plutôt pour la proposition de l'honorable M. Orts et de ses collègues, que pour la proposition d'un simple renvoi au bureau des renseignements.
Je voterai pour la proposition de ces honorables collègues, afin de frapper d'une nouvelle réprobation l'acte qu'on a eu l'imprudence et le triste courage de vouloir tout à l'heure justifier. Oui, triste courage, messieurs ! Le silence eût été plus digne et surtout plus prudent. Il nous souvient à tous de l'impression pénible qu'a produite sur la chambre la révélation des faits qui ont précédé et suivi l'acte inqualifiable du 21 juillet 1844.
Il nous souvient de l'unanimité de blâme qui l'a accueilli sur les bancs de l'opinion libérale où j'avais l'honneur de siéger ! Pas une voix du côté contraire, pas une voix de la droite ne s'est élevée pour défendre l'acte qui était si énergiquement condamné par la gauche de la chambre. Au contraire, des voix généreuses et indépendantes de la droite, au nombre desquelles je me plais à citer l'honorable M. Dumortier, ont uni au blâme que la gauche avait jeté sur l’acte du 21 juillet 1844, sur ce qui l'avait précédé et sur ce qui l'avait suivi, un blâme tout aussi énergique,
Qu'est-on venu dire encore aujourd'hui pour justifier la singulière et triste conduite du gouvernement d'alors ? Que les conditions sous lesquelles la convention du 21 juillet 1844 avait été signée avaient disparu ; que ces conditions avaient fait défaut par le fait de M. de Hompesch ; tandis, messieurs, que l'acte par lequel M. de Hompesch s'était dessaisi de quelques-uns des gages que semblait réclamer le gouvernement avait été posé avec l'approbation spéciale du gouvernement. Un arrêté royal a autorisé l'aliénation des lots de terrain, c'est-à dire des gages, de la disparition desquels, quelques mois après, on venait se prévaloir pour dégager la parole qu'on avait donnée non seulement en face de la Belgique, mais aussi en face de l'étranger. L'étranger était ainsi dupe de sa confiance dans le gouvernement belge.
Par la conduite qu'a tenue, à cette époque, notre gouvernement, l'étranger a acquis le droit, il l'a pensé du moins, d'accuser, et voilà ce qui pèse sur le gouvernement d'alors, d'accuser, en face de l'Europe, l'antique loyauté de la Belgique.
Voulez-vous savoir, messieurs, comment quelques membres de cette chambre jugeaient cette convention, que l'on veut aujourd'hui chercher de nouveau à justifier ? L'honorable M. d'Elhoungne, qui siège à mes côtés, s'en exprimait ainsi :
« Au mois de juiliet, la société de colonisation était là, avec ses embarras financiers, demandant des secours en argent au gouvernement, les demandant avec instance, les demandant comme une condition d'existence. C'est alors que le gouvernement a donné à la société cette convention, convention inutile si elle ne devait pas servir à faire immédiatement des fonds, convention décevante pour les tiers, si elle devait procurer des fonds, et si le gouvernement ne devait pas, de son côlé, donner l'appui actif promis par la convention. »
M. d’Elhoungne. - Je maintiens ce que j'ai dit.
M. Lebeau. - Honorable collègue, je ne vous fais pas l'injure d'en douter un seul instant.
« A quoi a servi, poursuit M. d'Elhoungne, la convention du 21 juillet ? Elle a servi au seul usage qu'elle pouvait avoir : elle a servi à compromettre les intérêts des tiers, elle a servi à attirer de nouveau vers la société la confiance des capitalistes qui s'éloignaient d'elle par instinct de conservation. C'est ainsi que des maisons respectables ont fait des avances importantes sur l'exhibition de la convention.
« Ce que j'ai à cœur dans cette affaire, c'est que tout ce qu'il y a d'oblique, d'obscur et d'inexpliqué dans ceci s'explique enfin. Je veux, messieurs, pour l'honneur du nom belge, je le veux pour cette vieille loyauté belge qui est le signe distinctif de notre caractère national qu'on compromet aux yeux de l'étranger. »
L'honorable M. Devaux fut plus énergique encore :
« Quel autre effet, demande-t-il, cette convention a-t-elle pu avoir que d'engager la compagnie dans des opérations ultérieures et d'y pousser des tiers ? Pourquoi a-t-on eu recours à la forme du contrat ? Quel en était le but ? Pourquoi s'engager plusieurs mois à l'avance ? Pourquoi ne pas laisser les choses entières jusqu'à ce qu'on se fût décidé à présenter un projet de loi ? Pourquoi engager l'initiative du gouvernement, lorsque, de l'aveu du ministre, on se réservait d'examiner s'il y avait lieu de remplir l'engagement ? A-t-on voulu se réserver la faculté de ne pas faire honneur à sa signature, de chercher des chicanes, de trouver des conditions là peut-être où il n'y en a pas ? Car c'est principalement pour cela que je veux voir la pièce officielle. A la lecture fugitive que j'en ai faite dans un journal, je ne me rappelle pas avoir vu qu'il y ait rien de provisoire ou de conditionnel dans le sens qu'on veut attacher à ce mot.
« Je pense que la convention est rédigée de telle façon que de bonne foi la compagnie et les tiers ont dù croire qu'il y avait engagement sérieux de la part du gouvernement de présenter un projet de loi. Cet engagement devait avoir un effet moral très grand, parce qu'on sait qu'un gouvernement ne s'engage pas légèrement à une démarche aussi extraordinaire, qu'il ne le fait que quand il a la certitude morale que la majorité est disposée à l'appuyer. »
M. Devaux fut beaucoup plus sévère plus tard dans le jugement qu'il porta sur la conduite du cabinet à cette occasion. Je m'abstiens de rapporter ses paroles.
Qu'est-on venu dire, messieurs ? Pour justifier l'inaction du gouvernement, l'inexécution des engagements les plus formels, engagements qui avaient entraîné des capitalistes honorables de l'étranger à faire des avances considérables, à acheter de vastes terrains à la compagnie de colonisation, on est venu dire que l'opinion de la chambre s'était manifestée de telle sorte, qu'on n'y aurait pas dix voix pour la convention. On est venu dire, quoique ce soit dénié, formellement dénié, que M. de Hompesch lui-même avait demandé que le projet de loi ne fût pas présenté.
Eh bien, messieurs, il n'y a pas un acte écrit, pas une note qui ne démente cette assertion. On voit, au contraire, M. de Hompesch insister jusqu'au dernier moment pour que le gouvernement présente le projet de loi.
Voilà, messsieurs, ce qui est constant ; et quand il y aurait eu des doutes sur les intentions de la chamhrc, il n'en fallait pas moins remplir (page 916) ses engagements. La chambre était libre, bien qu'elle pût se trouver plus au moins sous l'empire d'une contrainte morale ; mais le gouvernement, lui, était lié par une convention expresse ; il ne pouvait dégager sa responsabilité qu'en présentant le projet de loi, qu'en subissant loyalement les conséquences de cette présentation.
Je demande pardon à la chambre de l'avoir tenue si longtemps sur cet incident et d'y avoir apporté une certaine chaleur. Je dis qu'on eût mieux fait de ne pas chercher à justifier une pareille conduite. Quant à moi, si l'on s'était borné à demander et à appuyer le dépôt au bureau des renseignements, j'aurais pu voter en ce sens et je me serais abstenu de prendre la parole.
Mais maintenant je suis disposé, pour exprimer de nouveau ma réprobation de l'acte du 21 juillet 1844 et de tout ce qui l'a précédé et suivi, je suis disposé, dis-je, à voter pour la proposition de MM. Orts et de ses collègues.
M. Mercier. - L'honorable députe de Huy disait tout à l'heure que nous aurions dû garder le silence. Messieurs, garder le silence dans un pareil cas serait une lâcheté. Fort de la sincérité de mes intentions, je ne reculerai pas devant la défense de mes actes ; j'ai signé de bonne foi la convention du 21 juillet ; je l'ai signée dans l'espoir que le projet de loi pourrait être présenté dans les conditions voulues ; mais les faits survenus ou constatés ont été tels qu'il n'y avait plus ni sûretés, ni gages que l'on pût juger acceptables par la chambre ou par le gouvernement. (Interruption.)
J'avais la conviction profonde que présenter un projet de loi en s'appuyant sur la valeur des sûretés et gages qui auraient pu être offerts dans la situation où se trouvait l'établissement colonial eût été chose vaine et dérisoire. Cette conviction, je l'ai encore.
Que l'honorable membre cherche à jeter du blâme sur la convention ; qu'il trouve qu'il a été imprudent de la signer au mois de juillet, c'est une appréciation qu'il a le droit de faire ; mais qu'il n'attaque pas nos intentions. Si les affaires coloniales n'avaient pas changé, ou avaient conservé l'aspect sous lequel elles avaient été présentées en juillet 1844, le projet de loi aurait été présenté avec toute chance de succès ; malheureusement la situation est devenue déplorable, et les gages que pouvait offrir la compagnie n'auraient eu rien de sérieux pour la chambre. Dans cet état de choses, le gouvernement ne pouvait que s'abstenir.
M. d'Elhoungne. - Je prends la parole pour déclarer à la chambre que le jugement très sévère que j'ai porté en 1844 sur la convention du gouvernement avec la société de colonisation, que ce jugement je le maintiens tout entier, et que je n'ai qu'un regret, c'est de ne pas l'avoir formulé avec plus d'énergie.
A cette époque, messieurs, lorsque des tiers n'étaient pas encore compromis, j'ai sommé le gouvernement de s'expliquer catégoriquement, afin d'éviter que la convention fît de nouvelles victimes ; le ministre de l'intérieur d'alors, l'honorable M. Nolhomb, a épuisé toute la richesse de sa phraséologie pour éviter de donner à la chambre les explications claires et catégoriques qu'il avait promises. Jamais M. Nothomb n'a voulu faire connaître clairement les intentions du gouvernement quant à la convention, mais il est connu que cette convention avait uniquement pour but de donner à la société de colonisation le moyen de battre monnaie auprès des capitalistes.
Cela est tellement vrai qu'il existe une lettre postérieure à la convention, signée Nothomb, dans laquelle il dit : Nous n'avons signé la convention que pour relever le crédit de la société. Relever le crédit de la société, c'était lui donner les moyens de faire des dupes si le gouvernement ne voulait pas tenir sa parole. Si le gouvernement a voulu, en signant la convention, donner les moyens d'user d'un crédit non réel, le gouvernement s'est mis dans le cas du Code civil ; que dis-je ? il s'est jeté dans un cas prévu par le Code pénal, il s'est rendu complice d'escroquerie en aidant la compagnie à user d'un crédit imaginaire. C'est en présence de ces faits que je n'hésiterai pas à voter la proposition qui vous est faite. Je croirais manquer de logique dans ma conduite si je consacrais par mon vote en 1851 ce que j'ai flétri de ma parole en 1844.
M. Mercier. - La correspondance qui a eu lieu entre le gouvernement et la compagnie attestera qu'il n'a voulu favoriser aucune transaction entre elle et des tiers. Lorsque le gouvernement a eu l'occasion d'exprimer à la compagnie son opinion sur l'incertitude du succès de ses opérations, il l'a fait. Quand il a été engagé à donner une adhésion très indirecte même à un projet de convention, il a refusé son concours. Nous ne pouvons pas plaider l'affaire ici ; mais, je le répète, s'il y a des torts, la correspondance officielle apprendra de quel côté ils existent.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - S'il s'agissait par un vote de la chambre d'atteindre le but qui est spécialement désigné par l'honorable député de Huy, c'est-à-dire de jeter en quelque sorte un blâme rétrospectif sur les actes emi ont été posés en 1844, comme député, pour rester conséquent avec moi-même, je m'associerais à un pareil vote. J'ai été de ceux qui ont vivement blâmé, et je suis encore de ceux qui blâment vivement la conduite qui a été tenue en 1844.
Mais y a-t-il lieu de réparer administrativement les actes qui ont été posés alors et dont la justice se trouve aujourd'hui régulièrement saisie ? Les ministères qui se sont succédé ne l'ont pas pensé. Le ministère qui a suivi celui de 1844, le ministère de M. Van de Weyer, n'a pas pensé qu'il y eût lieu de faire des propositions à la chambre ; le ministère de M. de Theux qui a suivi n'a pas pensé non plus qu'il y eût lieu de faire des propositions à la chambre.
La majorité qui soutenait l'un et l'autre de ces ministères n'a pas pensé enfin qu'il y eût lieu de prendre l'initiative d'un arrangement quelconque ; la chambre, en renvoyant dans ses termes la proposition signée par quelques-uns de nos collègues, s'engage évidemment ; elle engage aussi le gouvernement, mais elle l'engage de telle sorte qu'il lui est impossible de connaître la pensée de la chambre,
« La chambre, dit la proposition, verrait avec plaisir le gouvernement terminer bientôt, par un arrangement amiable, le différend existant entre l'Etat et les pétitionnaires. »
Le différend existant entre l'Etat et les pétitionnaires est, je le répèle, soumis en ce moment aux tribunaux. S'agit-il de récompenser, par une mesure financière, les services qui auraient été rendus par des citoyens belges ? S'agit-il de réparer les malheurs d'individus qui auraient été entraînés dans une entreprise onéreuse pour eux, mais utile au pays ? Est-ce là l'intention de la chambre ?
Eh bien, messieurs, que la chambre veuille bien y prendre garde : si elle entend que le gouvernement prenne des arrangements avec ceux qui ont fait des pertes dans l’établissement de Santo-Tomas, ce n'est pas seulement avec le plaignant que le gouvernement doit prendre un arrangement ; il y a beaucoup de perdants à tous les degrés. Je connais des malheureux artisans qui ont englouti tout leur modeste avoir dans cette entreprise, qui ont vendu tout ce qu'ils possédaient pour se rendre à Santo-Tomas. Ceux-là auraient droit aussi à une réparation ; tous ceux qui ont concouru à l'établissement, auront droit à une réparation. Nul doute que la chambre ne voulût pas qu'on indemnisât exceptionnellement un seul de ceux qui auraient fait des pertes dans l'entreprise.
Ainsi, messieurs, si la chambre adopte la proposition du renvoi au gouvernement, dans le but d'arriver à un arrangement à l'amiable, le gouvernement se verra immédiatement assailli par tous ceux qui ont éprouvé des pertes à l'occasion de cette entreprise. La chambre entend-elle que le gouvernement s'engage dans cette voie de réparation ?
Messieurs, dans un temps où le gouvernement cherche à stimuler l'esprit d'entreprise, poser comme antécédent que le gouvernement devra indemniser ceux qui, après avoir été stimulés, encouragés par lui, éprouveraient des pertes dans leurs entreprises, ce serait, je le crains, déposer dans les obligations ainsi comprises de l'Etat, un germe de ruine pour notre trésor.
En l'absence d'indications plus précises, il n'est pas possible que le gouvernement accepte le renvoi de la proposition dans les termes où elle est faite.
Je dirai, messieurs, que moi aussi je porte un vif intérêt à ceux qui de bonne foi ont engagé leur fortune dans cette entreprise, à ceux qui, poussés par le désir de procurer des avantages au pays, auraient risqué une partie de leur patrimoine dans l'affaire. Sans doute, s'il y avait un moyen praticable de réparer de telles pertes, de récompenser de tels sacrifices, après que les pertes auraient été bien et dûment constatées, après que les sacrifices auraient été reconnus, je serais heureux de proposer au gouvernement et aux chambres cette réparation, soit honorifique, soit financière.
Mais, je le répète, nous n'avons pas affaire à un seul individu, nous avons affaire à un très grand nombre de personnes qui ont été engagées dans cette entreprise par l'espoir d'un bénéfice. Le gouvernement, au surplus, n'est pas resté entièrement inactif ; il a fait des sacrifices d'argent pour améliorer l'établissement, et par suite pour améliorer les propriétés particulières dont cet établissement se compose.
Car c'est à tort qu'on présente Santo-Tomas comme une colonie belge ; ce n'est qu'une réunion de territoires, acquis en partie par des Belges, en partie par des étrangers. Le gouvernement y a favorisé l'établissement d'un comptoir dans ces derniers temps ; il a encouragé certaines opérations commerciales vers ces parages ; il a favorisé l'émigration d'un certain nombre d'individus. Mais par ces actes, le gouvernement n'a pas constitué le territoire de Santo-Tomas en colonie belge ; ce territoire n'a nullement le caractère d'une colonie.
On fait appel à notre bonne volonté pour terminer cette affaire : nous, déclarons que nous n'en manquons pas. Il y a en effet dans le passé diverses circonstances fâcheuses qu'il importerait de voir disparaître.
Mais il est évident que ce n'est point par des paroles de bienveillance, par de la bonne volonté seulement que nous pourrons terminer ce différend.
Le but de la pétition est tout positif. Il y a au fond de cette affaire, a laquelle le cabinet actuel est entièrement étranger, une réparation d'argent, une somme très considérable qu'il s'agirait de faire sortir du trésor de l'Etat, pour la faire entrer dans la caisse d'un particulier.
Par ces considérations, et aussi longtemps que la proposition n'aura pas revêtu une forme plus précise et qui trace au gouvernement la marche que la chambre entend qu'il suive ; aussi longtemps, dis-je, que la proposition n'aura pas revêtu cette forme, nous devrons en combattre le renvoi.
- La discussion est close .
M. le président. - Je mets la proposition aux voix.
« La chambre verrait avec plaisir le gouvernement terminer bientôt par un arrangement amiable le différend existant entre l'Etat et les pétitionnaires ; elle renvoie en conséquence les pétitions à MM. les ministres de l'intérieur, des finances et des affaires étrangères. »
M. Lebeau. - J'ai cru qu'il ne s'agissait que de renvoyer la pétition aux ministres avec demande d'explications.
M. Orts. - Je demande la parole sur la position de la question. Comme je tiens plus au fond qu'a la forme, si ceux de mes honorables collègues qui ont signé avec moi la proposition n'y voient pas d'inconvénient, je retirerai le premier paragraphe et je réduirai la proposition à la (page 917) demande de renvoi aux ministres de l'intérieur, des finances et des affaires étrangères.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous avions demandé une proposition plus explicite, plus précise ; on l'a modifiée de telle manière qu'elle devient encore plus vague. Si c'est un simple renvoi qu'on demande, une simple formalité, une sorte de satisfaction donnée aux pétitionnaires, qui ne lie en aucune manière le ministère, déjà un renvoi plus expressif a eu lieu, en ce qu'il concluait à une demande de renseignements. Vous renvoyez de nouveau la pétition, mais dans quel but ? Quel sens donnez-vous à votre renvoi ? Est-ce celui du premier paragraphe qu'on retranche ? Dans ce cas nous demandons le maintien du premier paragraphe avec explications.
Si on se borne au paragraphe 2, votre renvoi ne signifie plus rien. Il est tellement vague que le gouvernement n'en peut plus saisir le sens et la portée sous aucun rapport. Il faut que la chambre fasse quelque chose de sérieux. Une première fois, elle a prononcé le renvoi avec demande de renseignements. Veut-elle autre chose ? Si elle veut que le gouvernement intervienne, elle doit s'expliquer d'une manière plus précise. Mais si elle ordonne un simple renvoi, ce n'est qu'une formalité ; or la chambre ne doit pas vouloir cela, elle doit vouloir atteindre un autre but.
M. Lebeau. - Je ne vois pas pourquoi M. le ministre ne demande pas l'ordre du jour. Le dépôt au bureau des renseignements n'est guère autre chose. Que voulons-nous ? Nous ne voulons pas engager la liberté d'action du gouvernement. Nous avons dit qu'il nous était impossible de voter la première partie de la proposition de M. Orts ; mais nous avons pensé que là où il y avait non seulement une question d'argent, mais peut-être une question d'honneur aux yeux de l'étranger, un examen plus approfondi, plus solennel, pouvait bien être recommandé.
A cet effet, nous demandons le renvoi, non à un ministre, mais au conseil, pour qu'il examine s'il n'y a pas quelque chose à faire ou de nouvelles explications à donner en dehors de la question de strict droit.
La question de forme a bien aussi son importance. Il me semble que le dépôt au bureau des renseignements serait peu digne dans une question où il y a, je le répète, quelque chose de plus que de l’argent, je dirai même où la question d'argent est la question secondaire.
J'engage le ministre à ne pas persister à repousser l'examen que nous lui demandons. Nous ne le pressons pas, nous attendrons avec patience et confiance le résultat de son examen. Nous apprécions toute l'importance d'une pareille décision. Mais je crois qu'il serait peu convenable de voter le dépôt au bureau des renseignements en présence de la proposition de M. Orts, circonscrite par la modification qu'il y apporte, et qui me paraît la rendre acceptable pour tout le monde, en ne préjugeant rien.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas demandé le dépôt au bureau des renseignements, ce sont là les conclusions de la commission. Je ferai observer que l'auteur de la proposition a dit qu'il ne tenait pas à la forme, mais au fond ; donc dans sa pensée ce serait la proposition entière qui serait renvoyée.
M. Orts. - Je demande que le gouvernement reste saisi.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Qu'on soit explicite ; quand il connaîtra la pensée de la chambre, le gouvernement saura ce qu'il a à faire. Ce serait manquer de franchise que d'ordonner le renvoi sans faire connaître la pensée de la chambre.
- La discussion est close.
La chambre décide, sur la proposition de M. de Theux, qu'elle donnera la priorité aux conclusions de la commission (dépôt au bureau des renseignements).
Ces conclusions sont ensuite mises aux voix et adoptées.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, on a souvent prétendu qu'un grand nombre de personnes étrangères, naturalisées ou non naturalisées, faisaient partie des administrations publiques. On a, dans ces derniers temps, essayé d'émouvoir le pays en annonçant, en répétant fréquemment que nos administrations fourmillaient de personnes de cette catégorie. On a dit qu'il y avait quatre mille étrangers occupant des fonctions publiques en Belgique. Le gouvernement a pensé qu'il était nécessaire de vérifier de pareilles allégations. Les divers départements ministériels ont fait constater l'état de tous leurs fonctionnaires.
Le nombre des fonctionnaires et employés de tous grades, à tous les degrés, est de 16,603, y compris les douaniers, y compris les officiers de l'armée. Sur ce nombre de 16,603, 501 seulement sont naturalisés ou non naturalisés ; 121 ne sont pas naturalisés ; 380 sont naturalisés ; de ces 380, 270 seulement ont obtenu la naturalisation depuis 1830 ; 56 ont réclamé le bénéfice de l'article 133 de la Constitution ; 7 ont été naturalisés par le gouvernement provisoire et 47 par le roi Guillaume.
Voilà exactement le nombre de fonctionnaires et employés naturalisés et non naturalisés qui reçoivent en Belgique un traitement à charge de l'Etat.
Messieurs, j'ai dit tout à l'heure qu'il existait 121 individns seulement non naturalisés. Beaucoup d'entre eux n'ont pas demandé la naturalisation, parce qu'ils ne sauraient en payer les frais. Je vais vous en citer un exemple.
Au département des finances, où l'on compte 7,640 fonctionnaires et employés, il y a vingt individus non naturalisés. Voici quels sont ces vingt personnes : onze préposés de douanes, deux sous-brigadiers de douanes, un brigadier forestier, deux brigadiers de douanes, un commis des accises, un géomètre du cadastre, un receveur et un troisième commis. Tous les autres sont Belges ou naturalisés, mais, comme vous avez pu le remarquer, il n'est que de 40. Le nombre de ces derniers est très restreint.
J'ai cru qu'il serait agréable à la chambre de connaître ces renseignements, et peut-être jugera-t-elle à propos d'ordonner l'impression de ce tableau qui restera comme document de la chambre.
M. Lebeau. - Je n'ai jamais cherché à restreindre en général le nombre des naturalisations ; je me suis toujours montré assez large sur ce point. On ne trouvera donc pas suspectes d'un patriotisme trop étroit les courtes observations que je vais faire à la chambre.
Je crois qu'il y a un abus qui se perpétue depuis quelques années : voici en quoi il consiste : des étrangers sont admis dans l'armée comme volontaires, comme simples soldats. Au bout de quelque temps, ils sont nommés sous-officiers ; ils passent ensuite officiers ; puis on vient demander leur naturalisation. Je crois que c'est une violation de la loi ; que nul ne peut être nommé officier s'il n'est Belge, ou s'il n'a obtenu la naturalisation.
J'ai voulu rendre le ministre de la guerre attentif sur ce point. Pour entrer dans l'armée comme volontaire, la qualité de Belge n'est pas nécessaire. Mais dès qu'on nomme sous-lieutenant un sous-officier d'origine étrangère, qui n'est pas naturalisé, il y a violation de la loi. Cela est clair comme le jour.
Le bulletin de naturalisations qui vient de nous être distribué et sur lequel nous allons statuer comprend deux officiers que je suis très disposé à concourir à naturaliser, car les renseignements recueillis sur leur compte sont très favorables. Mais l'un deux, au moins, n'a jamais pu, semble-t-il, profiter des dispositions exceptionnelles admises après la révolution et qui ont naturalisé de plein droit tous ceux qui étaient alors au service du pays.
La preuve qu'il en est ainsi, c'est que tous deux demandent la naturalisation. L'un d'eux, né en 1793, pouvait être au service de la Belgique en 1830 ; il n'en est pas de même de l'autre qui, né en 1815, n'avait que 16 ans en 1830.
Il est difficile de croire qu'il fût alors au service de notre pays. Si donc, comme je le crois, on pense au département de la guerre qu'un volontaire étranger peut devenir officier belge sans être naturalisé, c'est une erreur, et je crois que cette erreur été commise plus d'une fois.
Je crois qu'il convenait de signaler cette erreur au département de la guerre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - En 1830, beaucoup de volontaires français ont fait cause commune avec les patriotes belges ; ils ont concouru comme eux à l'affranchissement du territoire. Dès lors, ils ont acquis des droits à être Belges, puisqu'ils sont venus aider la Belgique à faire la conquête de son indépendance ; avant 1830, on n'était pas bien venu à revendiquer la qualité de Belge.
Postérieurement à 1830, d'après l'honorable préopinant, il y aurait beaucoup d'étrangers qui seraient entrés dans l'armée comme volontaires et qui seraient devenus sous-officiers, puis officiers. Je crois que ce cas très exceptionnel, et que le nombre d'officiers ainsi nommés en est extrêmement restreint.
Il est procédé au scrutin sur les 14 demandes en naturalisation contenues dans le feuilleton n°1. En voici le résultat :
Nombre des votants, 68. Majorité absolue, 35.
Jean Sorin, sergent-major au 9ème régiment de ligne, né à Ligneux (France), le 6 décembre 1804, obtient 57 suffrages.
Ambroise-Pierre-Hélène Vallantin, capitaine au 10ème régiment de ligne, né à Paris, le 10 mars 1793. 40.
François-Xavier Anselm, sous-lieutenant au 9ème régiment de ligne, né à Colmar (France), le 19 juillet 1815, 39.
Jean-Michel-Frédéric Staps, sous-directeur de la musique militaire du Roi et du régiment des guides, né à Ebersdorf (Allemagne), le 25 juillet 1810, 43.
Jean-Joseph Sandlus, inspecteur-surveillant à l'école centrale de commerce et d'industrie, né à Hofheim (Allemagne), le 16 septembre 1803, domicilié à Schaerbeek, 43.
Jean-Alexandre Henry, ingénieur civil, né à Douai (France), le 18 octobre 1794, domicilié à Bruxelles, 40.
Jeanne-Marie Eyrond, sous-maîtresse de pension, née à Amsterdam (Pays-Bas), le 28 janvier 1824, domiciliée à Bruxelles, 48.
Jean-Thomas Braun, professeur à l'école normale, né à Commern (Prusse), le 12 décembre 1814, domicilié à Nivelles, 42.
Pierre Odru, sergent-major au 2ème régiment de chasseurs à pied, né à Murianette (France), le 10 avril 1796, 37.
Jean-Baptiste Ledresseur, cultivateur, né à Soliers (France), le 8 juin 1814, domicilié à Havre (Hainaut), 42.
Pierre-Joseph-Hubert Knaden, curé, né à Aix-la-Chapelle, le 10 juin 1808, domicilié à Huy, 45.
Victor-Ernest Sudot, sténographe adjoint du sénat, né à Paris, le 27 novembre 1823, domicilié à Bruxelles, 40.
Louis-Jean-Chrétien Arkesteyn, professeur au collège, né à Bois le-Duc (Pays-Bas), le 1er mars 1823, demeurant à Diest, 43.
Frédéric-Moïse Chambaz, peintre en bâtiments, né à Breda (Pays-Bas), le 4 septembre 1822, demeurant à Namur, 43.
- En conséquence, toutes ces demandes sont prises en considération.
La séance est levée à 4 heures et demie.