(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à deux heures et quart.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la précédente séance, dont la rédaction est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom fait connaître l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs habitants du hameau Daelgrimby présentent des observations contre la demande tendante à séparer ce hameau de la commune de Mechelen pour le réunir à celle d'Opgrimby. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Pol prie la chambre de faire procéder à la liquidation définitive de la succession du sieur Frambout, à laquelle il croit avoir encore des droits. »
- Même renvoi.
« Par dépêche du 4 février, M. le ministre des finances adresse à la chambre les explications demandées sur la pétition de la députation permanente du conseil provincial du Hainaut, tendante à obtenir le payement de la quote-part de la province dans la répartition des intérêts de l'encaisse restitué par la Société Générale. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
MM. Ad. Rousselle et d'Hont demandent un congé.
- Ce congé est accordé.
M. Bruneau présente le rapport de la section centrale sur le projet de loi portant remise en vigueur du n°2 de l'article 3 de la loi du 21 juillet 1844.
M. le rapporteur demande que la discussion de ce projet de loi ait lieu aussitôt après celle du projet de loi qui est actuellement en discussion.
M. Lelièvre donne lecture du rapport de la commission spéciale sur l'article 36 du projet de loi relatif au régime hypothécaire.
- Ces rapports seront imprimés et distribués.
M. Rodenbach (pour une motion d’ordre). - J'ai demandé la parole pour prier M. le ministre des finances de vouloir bien me donner une explication sur deux arrêtés en date du 25 janvier dernier et signés l'un par le Roi, l'autre par M. le ministre des finances ; ces arrêtés sont relatifs à l'entreposage du fil de lin et du fil de coton que l'on entrepose à charge de réexportation lorsqu'ils sont tissés.
Je demanderai à M. le ministre si les chambres de commerce ont été consultées préalablement sur cette mesure et, dans l'affirmative, quelle a été leur opinion. Je désirerais savoir aussi si cette mesure, qui n'est que temporaire, est de nature à offrir des avantages réels pour les tissus de toile et de coton.
Je pense que si les chambres de commerce avaient été consultées elles auraient proposé des modifications qui eussent favorisé les intérêts de l'industrie linière, notamment dans les districts de Roulers, de Thielt et de Courlray.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les mesures dont parle l'honorable préopinant concernent plus particulièrement le département de l'intérieur, qui a l'industrie dans ses attributions.
Le département des finances s'en est occupé principalement au point de vue de la douane, au point de vue des formalités à remplir. Le gouvernement s'est entouré de tous les renseignements nécessaires, il a pris tous les avis qu'on réclame d'ordinaire en pareille circonstance avant de se prononcer. Je pense que la mesure qui a été adoptée pour l'enlèvement des fils étrangers déposés en entrepôt a été très favorable à l'industrie. Je ne sache pas que des plaintes aient été faites à cet égard ; du moins il n'en est venu aucune à ma connaissance.
M. Rodenbach. - M. le ministre des finances venant de déclarer que la mesure dont j'ai parlé concerne surtout son collègue du département de l'intérieur, je me réserve de renouveler mon interpellation lorsque celui-ci sera présent.
M. de Muelenaere. - Permettez-moi d'ajouter quelques mots à ce que vient de dire l'honorable M. Rodenbach. Il me semble que M. le ministre des finances n'a pas bien saisi la portée ni le sens de l'interpellation.
L'honorable membre ne critique pas, en elle-même, la disposition de 25 janvier, dont le Moniteur nous a révélé l'existence. Il ne se plaint point qu'on ait rendu définitif l'arrêté royal du 13 avril 1830 et l'arrêt6 ministériel du 23 mars de la même année.
Ce que nous voudrions, c'est qu'on nous fît connaître quel a été jusqu'à présent l'effet, le résultat de la mesure prise il y a un an ; c'est qu'on eût, au préalable, consulté les chambres de commerce qui ont un intérêt direct à la question. Avant de rendre ces arrêtés définitifs, ne convenait-il pas d'y apporter quelques modifications ? N'y avait-il pas lieu à donner plus de latitude aux industriels qui veulent en profiter ? Et notamment le délai de six mois durant lequel peut s'effectuer l'apurement du passavant-à-caution par décharges partielles, est-il suffisant dans l'intérêt des industriels ?
Voilà des questions qu'on aurait bien fait d'examiner et sur lesquelles il était important d'avoir l'avis des chambres de commerce.
J'invite le gouvernement à recueillir les renseignements nécessaires, s'il ne l'a pas encore fait, et à modifier les dispositions déjà prises, conformément à l'opinion des chambres de commerce, si toutefois cette opinion lui paraît fondée.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je suis heureux d'avoir entendu l'honorable M. de Muelenaere ; car on aurait incontestablement pu se méprendre sur le sens de l'interpellation faite par l'honorable M. Rodenbach ; on pouvait croire qu'il critiquait la mesure, qu'il blâmait le caractère définitif qui lui a été donné. J'apprends donc avec satisfaction qu'on approuve la mesure prise par le gouvernement, et que tout se borne à savoir si on ne pourrait pas donner plus de facilités encore dans l'exécution de l'article 40 de la loi des entrepôts. Je m'empresse de répondre que les intentions du gouvernement sont de donner toutes les facilités possibles, que successivement il a fait droit à diverses réclamations qui lui ont été adressées et qu'il n'a nulle raison dès que les intérêts des tiers et ceux du trésor sont garantis, de ne pas accorder toutes les facilités que les négociants pourraient désirer.
M. Rodenbach. - Messieurs, je suis charmé d'apprendre...
- Plusieurs membres. - On est d'accord.
M. le président. - La parole est à M. de Haerne.
M. de Haerne. - Si la discussion n'est pas close, je maintiendrai mon tour de parole ; mais si tout le monde renonce à la parole, j'y renoncerai aussi.
M. Osy. - Messieurs, ce sont sans doute les occupations de M. le ministre de l'intérieur qui font que depuis quelque temps nous le voyons rarement assister à nos séances ? Je prierai le bureau de l'informer que je désire lui adresser une interpellation sur les crédits ouverts par les lois de 1848 et 1849 et dont il devait nous rendre compte aux termes de ces lois.
M. Mercier. - Messieurs, nous devons nous occuper prochainement du projet de loi relatif au tarif des voyageurs du chemin de fer.
Je demanderai à M. le ministre de ne plus tarder à faire distribuer aux membres de la chambre le compte rendu de l'exploitation du chemin de fer pendant l'exercice 1849 ; la raison qui en a fait ajourner la publication ne peut plus exister aujourd'hui.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est à l'impression.
M. Mercier. - Je demanderai que ce compte rendu soit à l'avenir moins compliqué qu'il ne l'a été jusqu'à présent, ou du moins que la communication qui en est faite soit précédée d'un compte rendu sommaire ; un compte réduit à ces proportions pourrait être publiée dès le mois de janvier ou de février au plus tard pour les opérations de l'année précédente.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - A la première motion, à celle faite par l'honorable M. Osy, j'ai à répondre que M. le ministre de l'intérieur est venu chaque jour à la chambre et y viendra probablement aujourd'hui ; on aurait pu, par conséquent, lui adresser chaque jour l'interpellation qu'on vient d'annoncer.
Quant à l'interpellation de l'honorable M. Mercier, j'ai répondu à la première partie par une interruption : « Le compte rendu est à l'impression. » Pour la seconde, celle qui a pour objet de réduire le compte-rendu de l'exploitation du chemin de fer, à un compte rendu sommaire, elle ne peut concerner que l'exercice 1850. Je ne sais si M. le ministre des travaux publics pourra déférera ce vœu, et surtout avant la discussion du projet de loi sur le tarif du chemin de fer ; s'il le peut, je pense qu'il s'empressera d'autant plus de le faire que les résultats de compte confirmeront les appréciations du département des travaux publics.
M. Cools. - Les journaux ont annoncé que le gouvernement avait réalisé les valeurs mises à sa disposition en 4 et 2 1/2 pour cent au taux fixé par la loi ; c'est une chose très heureuse, j'en adresse mes félicitations au gouvernement. Mais maintenant il importe de savoir quel emploi sera fait des fonds provenant de cette réalisation, quelle interprétation le gouvernement se propose de donner à la latitude que la loi lui laisse à ce sujet.
La loi porte que le produit de ces valeurs sera appliquée l'amortissement de la dette flottante.
Mais cette dette flottante se composée de deux parties distinctes. La première est celle qui sert de fonds de roulement, qui a pour but de couvrir le déficit de l'exercice courant, celle qui est nécessaire pour attendre la rentrée des impôts, c'est la véritable dette flottante ; l'autre partie n'est flottante que de nom, c'est celle qui a été créée pour la construction de travaux publics.
(page 606) Cette dette, quoique qualifiée de flottante, est, en réalité, permanente ; qu'elle soit couverte momentanément au moyen de bons du trésor, de réserves de l’amortissement, des billets de banque ou de toute autre manière, ce n'est là qu'un mode de payement qui n'a rien de commun avec la nature de la dette.
Or, cette partie de la dette, de sa nature, est immuable et non flottante, et c'est la partie la plus importante ; elle dépasse de beaucoup les fonds que le gouvernement va se procurer par la réalisation des 4 et 2 1 /2 p. c. Or, c'est à celle-là que je désire que ces valeurs soient appliquées.
Je pense que c'est une question que le gouvernement ne s'est pas posée encore ; aussi je ne demande pas une réponse immédiate, mais je désire savoir à quelle partie de la dette flottante sera employée la somme qui va être réalisé ; si elle ne devait pas être employée à éteindre jusqu'à due concurrence la dette créée pour construction de travaux d'utilité publique, je me réserve d'user de mon droit d'initiative pour saisir, en temps et lieu, la chambre d'une proposition formelle.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le gouvernement a réalisé les valeurs qui ont été mises à sa disposition : les 2 1/2 ont été vendues au taux de 50, les 4 au taux de 80, sauf que la partie pour laquelle, au moment où je parle, une souscription publique est ouverte, sera payée au gouvernement au taux de 81 p. c.
L'honorable M. Cools demande à quoi sont destinés les fonds provenant de cette vente. Mais tout le monde sait qu'ils sont destinés à diminuer l'émission de bons du trésor. D'après cet honorable membre, il y aurait dans la dette flottanle deux catégories : il y aurait une partie de cette dette (celle-là, il la qualifie de dette flottante) résultant de l'anticipation sur les revenus publics ; il y en aurait une autre qui résulterait des travaux publics qu'on a exécutés, qui représenterait une partie de ce que ces travaux ont coûté à l'Etat.
Je ne comprends pas cette distinction-là, et moins encore la conséquence que l'on veut en tirer.
En fait, il y a une dette flottante qui doit être couverte par une émission de bons du trésor ; elle s'élève à 31 millions environ. Je comprends d autant moins cette distinction que, dans ces 31 millions, il n'y a rien du chef de travaux publics. La dette résulte, en totalité, de l'insuffisance de nos ressources ordinaires, relativement à nos dépenses.Les ressources extraordinaires mises à la disposition du gouvernement, ont toujours couvert les dépenses extraordinaires. Il y a même une somme de plusieurs millions, provenant des ressources extraordinaires, qui a été appliquée à couvrir l'insuffisance des ressources ordinaires.
Du reste, l'emploi des fonds provenant de la vente est déterminé par la loi ; l'honorable membre n'aura pas besoin d'user à ce sujet de son droit d'initiative.
La loi a autorisé l'émission de 12 millions de billets de banque, ayant cours forcé, pour faciliter le service du trésor.
Par la loi du 21 mai 1850, le gouvernement a été autorisé à rembourser ces 12 millions de billets de banque, à mesure du retrait qui doit être opéré par la Banque nationale. Le premier emploi de ces fonds, c'est de payer cette dette dès qu'elle devient exigible.
La banque nationale a crédité le comple de l'Etat des 14 millions, produit de la vente des titres de rente ; elle aura à débiter le trésor au fur et à mesure du retrait des billets.
M. Cools. - J'aime à entendre dire par M. le ministre des finances que le premier emploi de ces fonds servira à faire disparaître les 12 millions de billets de banque.
Celle explication ne résolvant pas la question que j'ai posée à M. le ministre, je me réserve tous mes droits quant à la proposition dont je parlais tantôt.
M. le président. - La discussion continue sur les questions de principes relatives à l'hypothèque de la femme mariée et à l'hypothèque des mineurs.
M. Thibaut à la parole.
M. Thibaut. - Messieurs, le mariage établit une société entre l'homme et la femme. La position de dépendance qui est faite à la femme dans cette société, par nos mœurs et nos lois, est telle, qu'il existe une solidarité étroite, entre les intérêts les plus sacrés de la famille, et le sort de la fortune que la femme apporte en mariage. Un législateur sage doit favoriser tout ce qui tend à affermir la paix, l'union, la concorde dans les familles, et, par conséquent, il doit entourer la dot des épouses, des plus fortes garanties contre les entreprises avides auxquelles elle pourrait être exposée, ou les négligences coupables qui la compromettraient.
C'est d'ailleurs un principe d'éternelle justice, sur lequel il n'est pas besoin d'insister devant une chambre belge, que la loi doit protection aux faibles, aux personnes qui n'ont pas la liberté légale de soigner elles-mêmes leurs affaires.
Mais nous sommes loin de nous entendre sur l’étendue qu'il faut donner à cette protection.
Les uns, et je suis du nombre, veulent le maintien du principe du Code civil, tout en admettant sur quelques points des modifications favorables au crédit ; les autres veulent conserver l'inscription facultative, mais faire dépendre, en tout cas, l'hypothèque légale de la femme, de la spécialité et de l'inscription ; c'est le système du projet. Enfin, l'honorable M. Orts va plus loin, il propose la suppression complète de l'hypothèque légale en faveur de la femme.
Messieurs, je comprends les vives attaques dont la loi qui nous régit depuis près d'un demi-siècle est l'objet. La raison en est simple, et les auteurs du projet l’ont parfaitement indiquée en disant que « quel que soit le parti auquel on s’arrête, jamais on n’échappera à tous les inconvénients, jamais on n’arrivera à une œuvre parfaite. » Les inconvénients d’une législation qui date de longtemps se sont tous révélés ; mais on ne peut prévoir tous ceux qui sont attachés aux systèmes nouveaux. Pour moi, messieurs, je crois que la prudence nous conseille de profiter de l'expérience que nous avons acquise, non pas pour renverser l'édifice construit par des architectes auxquels nous n'oserions nous comparer, sous le rapport de la science et du talent, mais pour corriger autant que possible les défauts qui nous apparaissent dans leur œuvre.
Permettez-moi, messieurs, de vous exposer brièvement le système du Code, quant à l'hypothèque légale en faveur de la femme.
D'abord, en vertu de l'article 2140, l'hypothèque peut être spécialisée par le contrat de mariage, quand les parties sont majeures.
Suivant l'article 2144, le mari peut obtenir pendant le mariage, par jugement rendu du consentement de sa femme et sur l'avis de ses parents les plus proches, que l'hypothèque soit restreinte aux immeubles suffisants.
Enfin, aux termes de l'article 2135, à défaut de stipulation, ou si la femme est mineure, tous les immeubles du mari présents et à venir sont assujettis à l'hypothèque légale.
Ici je dois faire observer que, dans mon opinion, les biens de la communauté ne sont pas soumis à l'hypothèque légale. Le mari peut les vendre et les hypothéquer, aussi longtemps qu'il reste chef de la communauté. Ce n'est qu'après la dissolution de cette communauté que les immeubles faisant partie du lot du mari, ensuite de partage, sont soumis à l'hypothèque de la femme.
En tous cas, la loi nouvelle peut, comme je l'ai proposé, se prononcer formellement à cet égard.
Voilà donc, messieurs, les garanties offertes à la femme qui contracte mariage par notre législation.
Sont-elles suffisantes ?
Messieurs, je reconnais avec l'honorable M. Orts, que si le mari se ruine, la femme pourra toujours se ruiner avec lui. Mais ce qu'il faut se demander, c'est non pas si les garanties offertes par le Code sont suffisantes, mais si elles sont les plus efficaces de toutes celles que l'on propose.
Analysez d'abord le projet du gouvernement ; il se réduit à ceci : La femme aura le droit de stipuler dans son contrat de mariage que l'hypothèque légale affectera tels immeubles spécialement désignés ; à défaut de stipulation, ou en cas d'insuffisance, la femme pourra s'adresser au président du tribunal pour être autorisée à prendre de nouvelles inscriptions pendant le mariage. Enfin, le projet met en mouvement les parents de la femme jusqu'au troisième degré, le juge de paix et le procureur du roi, pour discuter, quand bon leur semblera, la position financière du mari et de la femme et requérir, au besoin, des inscriptions sur les immeubles du mari.
Que propose l'honorable M. Orts ? C'est de laisser la femme dans le droit commun ; c'est-à-dire que, comme tout créancier, elle pourra stipuler une hypothèque conventionnelle dans son contrat, et selon les circonstances, demander à son mari une promesse d'hypothèque ; mais, comme les conventions matrimoniales ne peuvent recevoir aucun changement après la célébration du mariage, la femme ne pourra obtenir aucune hypothèque nouvelle pendant le mariage.
Voilà, messieurs, les trois systèmes qui sont produits.
Dans le premier, celui du Code, la femme a une garantie complète, la plus vaste qu'elle puisse obtenir, et elle conserve cette garantie aussi longtemps qu'elle n'y renonce pas.
Dans les deux projets nouveaux, la femme n'a de garanties que celles qu'elle stipule elle-même, ou que, soit des parents, soit des fonctionnaires officieux exigent pour elle.
La différence qu'il y a entre le projet du gouvernement et celui de M. Orts, c'est que, dans le premier, la femme peut obtenir successivement plusieurs hypothèques spéciales, tandis que, dans le projet de M. Orts, toute hypothèque doit dériver du contrat de mariage.
Croyez-vous, messieurs, que beaucoup de femmes, au moment de se marier, diront à leur futur époux : Je me défie de vous, il faut que vous me donniez hypothèque. Les parents mêmes se chargeront-ils de faire une semblable proposition ? Et supposez que la jeune fille ou ses parents soient disposés à faire cet effort presque surhumain, ne se fait-il pas une multitude de mariages où le futur mari n'apporte aucun immeuble, mais seulement des espérances ? Dans tous ces cas, la garantie la plus forte proposée par le gouvernement n'existe pas. Il n'y a pas d'inscriptions à prendre sur des immeubles désignés par le contrat de mariage. Dans le système de M. Orts, et s'il n'y a pas de stipulation par contrat de mariage, si, ce qui arrive souvent, il n'y a pas de contrat de mariage, la femme n'a plus de sûretés à réclamer postérieurement. S'il y a stipulation d'hypothèques, mais défaut d'immeubles du mari, les sûretés de la femme se bornent à une promesse d hypothèque.
Ici une double difficulté se présente. D'abord, la loi permettra-t-elle les promesses d'hypothèques ? Ensuite, la loi autorisât-elle les promesses d'hypothèque, quel moyen donnerez-vous à la femme pour en exiger l'accomplissement ?
Messieurs, veuillez suivre avec moi l'application du système du gouvernement. Je suppose, avec l'article 62 du projet, qu'il n'y ait pas (page 607) stipulation d'hypothèque dans le contrat de mariage ou qu'il y ait insuffisance, qui reste-t-il à la femme ? Le droit de s'adresser au président du tribunal de première instance pour obtenir l'autorisation de prendre de nouvelles inscriptions.
Pensez-vous sérieusement, messieurs, que la femme usera de cette faculté, ou que si elle en use, il ne sera pas presque toujours trop tard, pour le faire utilement ?
Messieurs, le plus grand nombre des femmes mariées éprouveront une répugnance invincible et en tous cas respectable, à faire des démarches qui pourraient leur attirer l'animadversion de leur mari ; obéissant à un sentiment plus élevé que celui de leur intérêt propre, elles craindront en même temps de troubler la paix du ménage, et de donner peut-être le signal de la ruine de leur mari, en avertissant ses créanciers qu'il est temps de prendre de leur côté toutes les sûretés possibles.
Si elles se décident à recourir à l'intervention du président du tribunal, ce ne sera que lorsque déjà tous les immeubles du mari seront grevés pour d'autres dettes, lorsque le désordre de ses affaires aura rendu son humeur insupportable, et chassé la concorde du foyer domestique.
En vain, dira-t-on que si la femme éprouve quelque répugnance à recourir aux précautions de nature à sauvegarder ses intérêts, les parents, le ministère public la remplaceront d'office pour requérir des inscriptions.
Vous ne pouvez, messieurs, subordonner la conservation des droits de la femme au zèle imposé d'office. Et d'ailleurs un juge de paix, un procureur du roi ont bien d'autres occupations que celle que vous voulez leur confier, en les appelant à surveiller toutes les familles de leur ressort. Rappelez-vous ce que l'honorable M. Orts vous a dit hier, à ce sujet ; souvenez-vous de l'inexécution où sont restés les articles 2138 et 2139 du Code civil.
En vérité, messieurs, le projet du gouvernement ne présente de garanties sérieuses pour la femme que dans un seul cas. C'est lorsque le mari, ne pouvant faire honneur à ses affaires, avertira à sa femme qu'il est temps de mettre la main sur quelques-uns de ses immeubles, pour se réserver à tous deux les restes de sa fortune, et frustrer les autres créanciers.
Ce que je viens d'avoir l'honneur de vous dire, messieurs, démontre, ce me semble, que le système du Code seul offre des garanties solides à la femme mariée, pour toutes les positions où elle peut se trouver.
Mais, dit-on, elle peut y renoncer. Eh ! messieurs, quel est le système dans lequel la femme ne peut renoncer aux garanties plus ou moins sérieuses qu'il lui offre ?
Je comprends peu, du reste, comment il est possible de supposer la femme assez énergique pour se procurer des garanties, en agissant directement contre son mari, au risque de lui déplaire et de lui nuire, et en même temps assez faible pour renoncer aux garanties qu'elle croit utile de conserver.
En réalité, si la femme s'oblige avec son mari, c'est lorsqu'elle ne peut avoir aucune crainte pour elle-même, ou bien c'est lorsqu'elle veut faire acte de dévouement, pour sauver peut-être l'honneur de son conjoint et l'avenir de ses enfants. Mais voyez la différence immense qui existe entre les rôles de la femme dans les divers systèmes : sous la législation actuelle, c'est la loi elle-même qui donne des sûretés à la femme. Pour les perdre elle doit poser un acte, et en posant cet acte, elle est certaine d'être agréable à son mari. Mais, pour les conserver, elle n'a rien à faire ; elle peut se renfermer dans le silence et aux sollicitations opposer la force d'inertie.
Placez la femme sous l'empire du projet du gouvernement ou du projet de M. Orts, elle ne pourra le plus souvent conserver ses droits qu'en posant des actes désagréables à son mari, désastreux peut-être pour lui, qu'en plaidant même avec son mari, en l'attrayant en justice, pour obtenir soit de nouvelles inscriptions, soit l'exécution de promesses du contrat, selon que l'on applique l'un ou l'autre système.
Messieurs, l'honorable M. Orts a considéré le projet du gouvernement au point de vue de la famille. Il vous a démontré que la dignité du mari, l'éducation des enfants, le bonheur de la femme avaient tout à perdre par la mise en pratique du projet du gouvernement. Et, certes, il ne faut pas en douter, la confiance, la bonne harmonie si nécessaires entre époux, seront profondément troublées, alors que vous aurez constitué la femme elle-même gardienne de ses droits et de ses intérêts contre son mari. Une source de haine et de querelles jaillira au milieu de la famille, lorsque la femme, que vous abandonnez au moment de son union, se souviendra, plus tard, des droits dont yous voulez lui remettre l'exercice. Des enfants habitués à ne plus respecter leur père ou leur mère, ayant perdu toute affection pour les auteurs de leurs jours, promettront de bien dangereux, ou tout au moins de tristes citoyens à l'Etat.
Mais, messieurs, ces effets désastreux, et que le système du gouvernement ne rend que trop probables, seront-ils impossibles, si le système de M. Orts prévaut ? Non, messieurs, la promesse d'hypothèque entre conjoints peut aussi les produire. Elle peut engendrer les querelles et les procès entre époux, rompre des unions heureuses, et diviser les familles. Ainsi, sous le rapport moral, ces deux systèmes ne sont pas acceptables.
Il me reste à les comparer à celui du Code, sous le rapport du crédit.
La loi actuelle ne fait pas dépendre l'hypothèque légale de la femme, de l'inscription.
Messieurs, on vous l'a dit, les auteurs du Code ont reculé devant les conséquences de l'inscription de toutes les créances des femmes mariées sur les immeubles de leurs maris, et cependant le projet du gouvernement et celui de l'honorable M. Orts tendent à faire paraître au grand jour de la publicité, la charge hypothécaire accompagnant tout immeuble dépendant du patrimoine d'un homme marié ; ou ces projets ne renferment pas pour la femme les garanties que l'on veut y voir.
Si le projet du gouvernement triomphe, et si les femmes, leurs parents jusqu'au troisième degré, les procureurs du roi et les juges de paix se prêtent à son exécution, il n'y aura pas un pouce de terre appartenant à un homme marié qui ne portera la trace de l'inscription hypothécaire.
Si le projet de M. Orts est adopté, et si nos moeurs se plient aux promesses d'hypothèques par contrat de mariage, le même résultat se produira.
Et vous voulez que ces projets soient utiles au crédit ? Mais ils seront bien plutôt le tombeau du crédit foncier de tout homme marié.
L'inscription éloignera et les acheteurs et les prêteurs de fonds ; le danger ne sera pas toujours réel, mais l'annonce du danger sera partout, et elle suffit pour chasser le crédit.
L'hypothèque occulte du Code n'a pas cet inconvénient, d'abord parce qu'elle laisse les dangers imaginaires dans l'abstraction, ensuite parce qu'elle permet la purge. Le mari veut-il vendre l'un de ses immeubles, il peut choisir celui qu'il lui convient le moins de conserver, et il trouve facilement un acquéreur, parce que cet acquéreur puise dans les articles 2193 et suivants les moyens de se mettre à l'abri de tout recours. Le danger n'existe pour les tiers que dans le cas où, après une dissolution de mariage, les biens du mari sont vendus à un acquéreur qui, n'étant plus averti par l'état civil du vendeur de l'utilité de la purge, néglige de prendre des précautions. Ce danger, vous pouvez, messieurs, le faire disparaître en exigeant qu'après la dissolution du mariage, l'hypothèque de la femme soit inscrite.
Le danger peut encore exister aujourd'hui pour le prêteur de fonds sur hypothèque, mais en lui accordant, par une disposition nouvelle, le droit de faire, en certaines circonstances la purge permise à l'acquéreur par l'article 2195, ce second danger disparaît.
Au moyen de deux dispositions nouvelles, le crédit du mari reste sauf et les droits des tiers sont assurés.
L'honorable M. Orts nous disait hier, que la purge sur contrat de prêt offre des difficultés inextricables.
Je reconnais qu'un ne peut autoriser cette purge, indistinctement dans tous les cas, sans rendre illusoire l'hypothèque non inscrite de la femme. Mais chaque fois que les deniers empruntés doivent servir à fournir un nouveau gage à la femme, on peut, sans compromettre ses droits, faire cesser son hypothèque sur l'immeuble offert en garantie au prêteur. Ainsi on peut établir la purge sur contrat de prêt, quand les deniers doivent servir à acquitter une dette hypothécaire du mari antérieure à son mariage ; quand ils doivent servir à acquérir un immeuble qui lui reste propre ; quand ils doivent servir enfin à améliorer un immeuble, et à en augmenter la valeur.
Un autre danger a été signalé hier par l'honorable M. Orts dans le système du Code.
Les créanciers du mari, nous a-t-il dit, peuvent être victimes de l'hypothèque légale de la femme pour des causes qui dépendent uniquement de sa volonté ; par exemple, quand l'hypothèque a pour but d'obtenir le remboursement du prix d'un propre de la femme qui n'a pu être aliéné sans son consentement.
Messieurs, les créanciers du mari, dans ce cas, ne sont pas les victimes de l'hypothèque légale, mais les victimes dé l'imprudence ou de l'inconduite du mari, qui a dissipé ou perdu le prix de l'immeuble qui appartenait à sa femme. S'ils sont créanciers simplement chirographaires, ils ont suivi le crédit personnel du débiteur et ils ont à s'imputer à eux-mêmes l'erreur dans laquelle ils sont tombés. S'ils sont créanciers hypothécaires, ils doivent aussi s'imputer leur négligence et le défaut de purge autorisée par la loi.
Il est échappé à l'honorable M. Orts une autre inexactitude que je tiens à signaler à la chambre, parce que l'honorable membre déclare lui-même qu'elle est d'une très grande influence à l'appui de son système.
Si la femme, a-t-il dit, refusait à son mari le concours nécessaire pour s'obliger avec lui, si elle lui refusait le concours indispensable pour aliéner ses biens, jamais, au grand jamais, elle n'aurait sujet de réclamer l'hypothèque légale contre les créanciers de son mari ou de la communauté.
Mais, messieurs, la femme pouvait avoir des capitaux au moment de son mariage ; elle a pu les exclure de la communauté : dès lors elle a le droit de les reprendre, de les prélever. Cependant, ces capitaux ont pu être dépensés par le mari ou perdus dans d'aventureuses spéculations, sans le consentement de la femme, qui n'est pas requis, et celle-ci peut être obligée à recourir au remède souverain de l'hypothèque légale pour exercer utilement ses reprises. Ce cas, messieurs, n'est pas rare. Je dirai même que c'est le cas le plus fréquent, où la femme peut être obligée de réclamer le bénéfice de l'hypothèque légale. On peut encore citer d'autres cas où ne s'applique pas l'hypothèse de l'honorable M. Orls.
Messieurs, j'ai examiné brièvement les trois systèmes entre lesquels vous devez vous prononcer. J'ai cherché à prouver que celui du Code, au moyen de deux dispositions nouvelles, l'une relative à l'inscription de l'hypothèque de la femme après la dissolution du mariage, l'autre relative à la purge sur contrat de prêt hypothécaire, est celui qui sauvegarde le mieux les droits de la femme, et qui nuit le moins au crédit du (page 608) mari et aux droits des tiers. Quant à ce qui concerne l'intérêt moral des familles, le système du Code est le seul qui ne le froisse pas. Enfin cette loi est passée dans nos mœurs, elle est devenue en quelque sorte coutume pour nous. Ce sont autant de titres qui, j'espère, la feront sortir victorieuse de ces débats. J'ai dit.
M. le président. - Les observations de M. Thibaut se sont traduites en un amendement qu'il a présenté à l'article 60. Cet amendement est ainsi conçu :
« Art. 60 L'hypothèque au profit de la femme mariée pour raison de sa dot et des conventions matrimoniales, existe indépendamment de toute inscription pendant le mariage, sur les immeubles propres de son mari, et à compter du jour de la célébration du mariage.
(Reproduction des paragraphes 2 et 3 du 2° de l'article 2135 du Code civil.)
« Après la dissolution du mariage, l'hypothèque sur les biens du mari se conserve par l'inscription prise dans le délai de six mois, sinon elle ne date que du jour de l'inscription. »
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je ne vous signalerai pas l'importance de la question qui est en ce moment soumise à vos délibérations ; je me bornerai, comme l'honorable M. Thibaut vient de le faire, à examiner les trois systèmes qui sont discutés en ce moment devant vous, et à vous dire les raisons qui me semblent militer en faveur de l'adoption de celui du gouvernement.
Le premier système, messieurs, c'est celui du Code civil, reproduit par l'honorable M. Thibaut, légèrement modifié en ce qui concerne le délai endéans lequel l'inscription doit être prise après la dissolution de mariage ou la cessation de la tutelle. Mais c'est toujours le système du l'hypothèque légale, générale et occulte ; générale non seulemanl quant aux biens sur lesquels elle frappe, mais encore indéterminée quant aux sommes en faveur desquelles elle existe.
Le second système est celui de l'honorable M. Orts, système d'hypothèques conventionnelles avec les conséquences que le mot indique, c'est-à-dire spécialité et publicité, et quant aux immeubles sur lesquels l'hypothèque frappe et quant aux sommes pour lesquelles l'inscription est prise.
Le troisième système est celui du gouvernement : l'hypothèque à la fois légale et conventionnelle mais hypothèque spéciale et publique : spéciale sous le double rapport que je viens d'indiquer tantôt, c'est-à-dire quant aux immeubles sur lesquels l'hypothèque tombe, spéciale et publique quant aux sommes pour lesquelles l'inscription est prise.
Voilà les trois systèmes qui se trouvent en présence.
Le premier système, celui du code, j'en dirai très peu de chose. Depuis 40 ans, ce système est battu en brèche. Les mille raisons qui nécessitent des modifications à introduire dans cette partie de notre législation, ont été exposées dans de nombreuses publications, se trouvent déduites dans l'exposé des motifs de la loi qui vous est présentée, et dans l'excellent travail de l'honorable M. Lelièvre, rapporteur ; et plus récemment elles ont été exposées, déduites dans la discussion qui a eu lieu devant l'Assemblée législative française, discussion que la plupart des membres qui s'occupent de cette question ont probablement suivie.
Je me bornerai donc, messieurs, à dire en quelques mots quels sont les inconvénients de ce système, au point de vue du crédit ; quels en sont les dangers au point de vue des intérêts de la femme.
An point de vue du crédit, cette hypothèque frappera tous les biens du mari, pour des créances qu'on ne connaît pas, pour des créances éventuelles, frappant ces immeubles d'une manière occulte sans que personne puisse s'assurer que cette hypothèque a une base réelle. Cette hypothèque met évidemment tous les biens du mari hors de la circulation, paralyse tous ces biens quant à leur valeur représentative, empêche que les biens du mari soient un instrument de crédit pour lui. Cela est tout à fait incontestable. Les biens appartenant aujourd'hui à un mari ne peuvent plus, s'il s'agit d'emprunter, lui être d'aucune utilité.
Cet inconvénient, messieurs, est capital, et à notre époque où le crédit joue si un grand rôle, avec tous les nouveaux intérêts qui se sont introduits dans la société depuis cinquante ans, il est évident qu'une modification et une modification très grande doit être introduite dans notre législation. Au point de vue des intérêts de la femme, la législation actuelle ne garantit en aucune façon ses droits, et lorsque l'honorable Thibaut vient déclarer d'un côté que son système est très bon pour les tiers, pour les acquéreurs, pour ceux qui prêtent leur argent, et de l'autre côté qu'il est très bon pour la femme, l'honorable M. Thibaut ne peut arriver à ce résultat, à cette conséquence, qu'en raisonnant toujours de l'un ou l'autre intérêt à un point de vue isolé.
Lorsque vous voulez prouver que les tiers peuvent être parfaitement garantis sous le système du Code, vous donnez des raisons qui prouvent que les intérêts de la femme ne sont pas garantis, et quand vous parlez des intérêts de la femme vous ne pouvez jamais dire qu'ils sont garantis qu'à la condition d'employer des arguments qui établissent que les intérêts des tiers ne sont pas sauvegardés. C'est-à-dire qu'en raisonnant à un point de vue isolé vous avez raison, mais qu'en prenant l'ensemble du système vous devez toujours admettre que l'un ou l'autre intérêt est compromis. Je vais le démontrer.
En ce qui concerne la femme, quand a-t-elle le plus besoin de l'hypothèque légale ? C'est au moment où les biens du mari passent de son patrimoine dans le patrimoine d'un acquéreur. Vous dites : On fait la purge ; mais c'est précisément parce que la purge peut être faite que les droits de la femme sont grandement compromis.
En effet, messieurs, comment se fait cette purge ? Par annonces dans les journaux que la femme ne lit pas ; par le dépôt du titre dans un greffe où jamais la femme ne met le pied ; puis enfin par une notification que la femme ne reçoit pas, que le mari peut fort bien intercepter. Ainsi la purge se fait au moyen de trois actes dont aucun n'arrive à la connaissance de la femme. Voilà comment vous garantissez les intérêts de la femme !
M. Thibaut. - Le procureur du roi.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous avez dit tantôt que le procureur du roi n'agissait pas.
Enfin il y a quelque chose de plus fort que votre argument, ce sont les faits. Je demande si jamais le procureur du roi a sauvegardé les intérêts de la femme, lorsque la purge était faite ?
L'honorable M. Orts signalait hier un autre défaut du système actuel, et qui est capital. Je démontrerai tout à l'heure que l'honorable membre a eu tort d'attribuer cet inconvénient au système du gouvernement ; il n'existe réellement que dans le système du Code. C'est que, aujourd'hui, pour éviter que la femme ne vienne exercer ses droits contre le tiers qui achète un bien du mari ou qui lui prête des capitaux, on exige que la femme s'engage solidairement avec le mari. Ainsi cette garantie, qui est introduite en faveur de la femme, se retourne contre elle : on exige que la femme intervienne, non pas seulement pour renoncer à son hypothèque légale, mais pour s'engager personnellement, pour se constituer débitrice en nom personnel vis-à-vis de celui avec lequel son mari a traité. Quand vous achetez un bien du mari, qui est seul propriétaire de ce bien, vous faites encore intervenir la femme pour que plus tard elle ne vienne pas faire usage d'une hypothèque légale dont vous n'avez pas connaissance.
Ainsi, comme je viens de le dire, les garanties établies par le code se retournent immédiatement contre la femme. Vous ne l'obligez pas seulement à renoncer à son hypothèque légale, mais elle est exposée à devoir s'engager personnellement à devenir débitrice de toutes les sommes empruntées par le mari.
M. Thibaut. - Elle n'a qu'à dire : Non !
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ce n'est pas là un argument.
Je disais que c'était à tort que l'honorable M. Orts avait combattu à ce point de vue le système proposé par le gouvernement ; à mon sens, c'est à tort, et cela est très facile à démontrer.
Pourquoi aujourd'hui exige-t-on l'intervention de la femme lorsque le mari vend ou hypothèque ? Mais précisément parce qu'on ne sait pas quelles sont les hypothèques que la femme peut avoir sur les biens de son mari. On ne sait pas quels sont les droits ouverts en faveur de la femme, on ne sait pas si des sommes lui sont dues, ni quel est le montant de ces sommes. Mais dans le système du gouvernement, tout ce qui ne sera pas frappé d'une inscription pour une somme déterminée, sera complètement libre, et celui qui achètera des biens sur lesquels n'existera aucune inscription, sera parfaitement certain qu'il sera à l'abri de toute recherche, que la femme n'a pas de droits à exercer, et que ses droits ne seront primés par aucun des droits de la femme.
Voilà, messieurs, la différence entre le système actuel et celui que nous proposons, différence qui dégage complètement la femme de ce danger de devoir intervenir pour s'engager solidairement avec son mari.
J'aborde maintenant le système de l'honorable M. Orts. Son point de départ (qu'il me permette de le dire) n'est pas exact. Les raisons en vertu desquelles il veut légitimer son sytème, manquent complètement de base. L'honorable M. Orts nous dit : Si la femme ne donnait jamais son consentement, jamais elle n'aurait besoin d'hypothèque légale. Voilà son point de départ. Je comprends que, s'il en était ainsi, il y aurait là un fondement légitime au système de l'honorable M. Orts, mais cela n'est pas ainsi.
La femme ne doit pas toujours consentir pour avoir besoin d'une hypothèque légale, et c'est parce qu'il y a des droits qui s'ouvrent pendant le mariage que vous devez accepter le système du gouvernement qui permet à la femme de prendre une hypothèque légale pendant qu'elle est sous la puissance de mari. Ainsi, une femme est propriétaire d'immeubles par indivis ; ces immeubles ne sont pas partageables ; une licitation est provoquée. Le mari touchera le prix de la part revenant à la femme. La femme ne peut pas empêcher que l'immeuble ne soit licite et que le mari n'en touche le prix. Le consentement de celle-ci ne doit donc pas intervenir dans ce cas pour qu'un droit à une hypothèque légale s'ouvre, droit qui doit être assuré, le cas échéant, par une hypothèque sur les biens de son mari.
Une femme reçoit, pendant le mariage, une donation comprenant des objets mobiliers, mais à condition qu'ils seront exclus de la communauté. Dans ce cas encore, la femme n'a pas besoin de donner son consentement à son mari pour avoir une créance qui donne ouverture à l'hypothèque légale. Une femme se marie sous le régime de la communauté réduite aux acquêts ; elle hérite de ses parents ; le mari a l'administration de cet héritage qui ne reste pas moins un propre de la femme, et doit être également garanti. Ainsi, voilà des cas où s'ouvrent pour la femme des droits qui doivent être garantis par l'hypothèque légale et où la femme n'a pas besoin de s'engager, d'aliéner, qui sont indépendants d'actes que l'influence du mari peut arracher à la femme.
Vous voyez donc qu'il ne suffit pas, comme le pense l'honorable M. Orts, de donner à la femme le droit de stipuler une hypothèque au moment (page 609) où elle se marie ; il faut encore lui conserver le droit de prendre inscription pendant le mariage.
La femme ne peut pas, au moment où elle se marie, prévoir toutes les vicissitudes, toutes les chances que l'avenir lui réserve sous le double rapport de la conduite de son mari, de la direction que celui-ci donnera aux affaires, et de la quantité de biens qui pourront lui échoir pendant le mariage ; et c'est précisément parce que, au moment du mariage, la femme ne peut pas prévoir tout cela, que vous ne pouvez pas limiter ses droits d'une manière aussi rigoureuse que le fait l'honorable M. Orts.
L'honorable M. Orts a examiné le système du gouvernement au triple point de vue du crédit, des intérêts de la femme et des intérêts de la famille.
Sous le rapport du crédit de la femme, l'honorable membre a dit : Ou les inscriptions seront prises, ou elles ne le seront pas ; si elles sont prises une partie de la fortune immobilière du pays sera grevée d'inscriptions au profit d'une autre partie, et vous tuez immédiatement le crédit ; si des inscriptions ne sont pas prises, votre système est complètement inutile.
Je crois que les différentes parties de ce dilemme sont beaucoup trop absolues. D'abord pour qu'une inscription puisse être prise, dans le système actuel, il faut qu'il y ait une créance à garantir ; or, cela n'existe pas partout : Les époux mariés sous le régime de la communauté légale, s'il n'y a ni vente des biens de l'épouse, ni dette contractée par celle-ci ; il n'y a, en thèse générale, rien à garantir, et dans le système nouveau il n'y aura pas d'inscription à prendre.
Je ne pense pas après cela que même pour toutes les créances existantes, on prenne dorénavant une hypothèque légale ; je crois qu'on ne prendra une inscription qu'alors seulement que la conduite du mari rendra cette garantie nécessaire, indispensable. Alors seulement la femme et ses parents useront des moyens que la loi leur donne ; mais jamais là où le mari gérera les affaires dans le plus grand intérêt de sa famille, l'inscription ne sera prise sur ses biens.
Mais le système de M. Orts pourra précisément avoir le résultat qu'il craint de voir produire par le système proposé.
Dans le système de M. Orts, il faut être prévoyant et stipuler l'hypothèque au moment du mariage ; si la femme ou ses parents ne sont pas prévoyants dans ce moment, il sera impossible de prendre ultérieurement aucune garantie. Une fois que le mariage sera célébré, il n'y aura plus moyen d'obtenir ultérieurement une hypothèque. Eh bien, à quoi cela mènera-t-il ? Cela mènera à faire stipuler dès le principe une hypothèque conventionnelle, tandis qu'avec le système que nous vous proposons, permettez-moi l'expression, les parents feront l'épreuve de leurs gendres, ils ne prendront une inscription que lorsqu'ils verront la manière dont ils géreront les affaires. Le système que nous vous proposons n'aura donc pas le résultat que prévoit M. Orts ; il est à craindre que celui qu'il a proposé y mène plutôt que le nôtre.
Quant à la seconde partie du dilemme qui consiste à dire : Si l'on ne prend pas d'inscription, le système est inutile ; je ferai remarquer à l'honorable M. Orts, que si l'on ne prend pas d'inscription, son système et le nôtre seront, dans la pratique, tout à fait les mêmes. Car nous ne proscrivons pas l'hypothèque conventionnelle, nous l'admettons, au contraire ; nous admettons formellement que l'épouse peut stipuler une hypothèque au moment du mariage, et quand elle ne stipule pas une hypothèque en ce moment, la loi ne lui permet d'en prendre une qu'avec l'intervention du président du tribunal.
Mais je suppose que, dans la pratique, il n'y ait entre le système de l'honorable M. Orts et le nôtre aucune espèce de différence, encore préférerai-je le système que nous vous proposons, parce que notre système est juste et équitable en soi, tandis que le système de M. Orts est véritablement vis-à-vis de la femme d'une rigueur impitoyable. Les femmes ont le droit de dire à M. Orts : La loi nous met dans un état de subordination complète envers nos maris ; nous ne pouvons intervenir dans l'administration des biens, et d'un autre côté vous ne nous donnez aucune garantie contre la mauvaise gestion de nos maris. Vous nous mettez dans la position d'assister à notre ruine, vous ne nous laissez aucun moyen de l'éviter.
La différence capitale à ce point de vue entre le système du gouvernement et celui de M. Orts, et j'appelle sur ce point l'attention des chambres, c'est que, d'après notre projet, si la femme est ruinée, c'est à son imprudence, à son imprévoyance qu'elle le devra ; d'après le système de M. Orts, si la femme est ruinée, c'est à la rigueur de la loi qu'elle pourra l'attribuer.
Messieurs, quant aux intérêts de la femme, évidemment, ils sont mieux garantis par les dispositions que nous proposons que parcelles que vous soumet M. Orts. Nous donnons le droit de stipuler une hypothèque au moment du mariage, et nous ajoutons la possibilité de prendre inscription ultérieurement. Sous ce rapport, nous faisons plus pour la femme que M. Orts.
Quant aux intérêts de la famille, je crois que le système de M. Orts tendrait singulièrement à les compromettre.
L'honorable membre craint que si la femme a droit de prendre une inscription, à chaque instant vont naître dans le ménage des discussions d'intérêt, des conflits qui peuvent altérer l'affection entre les époux, et affecter le respect que les enfants doivent à leurs parents.
Quand les inscriptions deviendront nécessaires, indispensables, déjà l'harmonie ne sera plus très grande, la gestion aura singulièrement altéré ces rapports. Le système de M. Orts a quelque chose de bien plus dangereux, c'est que ce remède suprême dont il parlait hier, qui est la séparation de biens, doit devenir un remède ordinaire, journalier, pour sauvegarder les droits de la femme. Aujourd'hui, lorsque le mari touche des capitaux appartenant à la femme, la femme si elle prend inscription n'a pas besoin de s'inquiéter de la manière dont elle sera ultérieurement remboursée ; ils sont garantis par les immeubles que possède le mari, et qui sont grevés par l'inscription. Mais quand il n'y aura plus aucune espèce de garantie, quand le contrat de mariage ne contiendra pas de stipulation d'hypothèque, la femme sera infailliblement amenée à voir sa dot compromise par le moindre acte du mari, et à recourir à une séparation de biens qui jette une bien autre perturbation dans les familles qu'une simple inscription hypothécaire.
Messieurs, les dissensions de famille naissent, non pas des précautions prises par l'un des époux, elles naissent de la situation, de l'état même des affaires. Aujourd'hui les dissensions naissent de ce que la femme ne veut pas renoncer à l'inscription qu'elle a, parce qu'elle ne veut pas s'engager avec son mari, et j'admets que ces querelles d'intérieur qui naissent aujourd'hui de ce que la femme ne veut pas hypothéquer, ou vendre ses biens, ou s'engager avec son mari, vous les aurez ultérieurement parce que la femme demandera une inscription.
Messieurs, ainsi que le disait hier l'honorable M. Orts, un très grand avantage pour notre système, c'est qu'il n'est pas neuf ; c'est le système de la loi de brumaire, le système de brumaire modifié, corrigé, augmenté de la spécialité des hypothèques.
Eh bien, c'est son avantage, car quoi qu'on ait dit de la loi de brumaire, cette loi après avoir existé pendant plusieurs années, jusqu'au Code civil, aucun des grands corps judiciaires qui l'avaient vue fonctionner n'en a demandé l'abolition.
L'honorable M. Orts a probablement lu, il y a quelques jours, les paroles que M. Wolowski prononçait à propos de cette loi de brumaire.
(M. le ministre en donne lecture.)
Ainsi, la loi de brumaire, après avoir été exécutée depuis l'an VII jusqu'au Code civil, n'a pas rencontré dans les cours de la France et de la Belgique qui, alors, appartenait à la France, la moindre critique, presque toutes l'appuyaient de la manière la plus vigoureuse.
M. Orts. - Pour la publicité, car elle était inefficace en ce qui concerne l'inscription.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mais vous comprenez que quand une cour apprécie une loi, elle ne l'apprécie pas seulement à un point de vue isolé ; les cours étaient composées d'hommes assez judicieux et se plaçant à un point de vue assez large pour tenir compte de tous les intérêts.
Je ne crois pas que ce soit à raison de ses imperfections que la loi de brumaire n'a pas été maintenue.
Le Code civil a été fait à une époque où l'on revenait un peu à toutes les anciennes idées, où il y avait un peu de réaction contre ce que l'on regardait comme des nouveautés.
Et ce qui m'autorise à le dire, c'est qu'il y a une grande différence enlre l'esprit qui domine dans le titre des hypolhèqueset celui qui se révèle dans d'autres litresdu Code ; enlre le Code civil, et d'autres parties de la législation.
Pour le Code de procédure, qu'a-t-on fait ? On a, comme on l'a dit, copié les ordonnances du Chàtelet ; on a réédifié tout le passé.
Le Code pénal est devenu une œuvre draconienne.
Messieurs, il y a de nouveaux intérêts dans la société. Tenons-en compte ; c'eit ainsi que nous éviterons, comme déjà nous l'avons fait, des événements tels que ceux de 1848. Nous en avons évité l'action.
En repoussant tout ce qui semble nouveau, n'ayons pas l'air d'en subir la réaction.
M. le président. - A la demande de M. le minisire de l'intérieur, je donnerai, si la chambre y consent, la parole à M. Osy pour faire l'interpellation qu'il a annoncée à l'ouverture de la séance. (Adhésion.)
M. Osy. - Nous avons voté au département de l'intérieur un crédit de 2 millions en 1848 et un crédit d'un million en 1849. L'article 3 de la loi de 1849 oblige le gouvernement à rendre compte des dépenses effectuées sur ces crédits, il y a bientôt deux ans que la loi est votée. Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur de déposer le compte rendu le plus tôt possib'e.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La loi qui a alloué un crédit de 2 millions pour dépenses extraordinaires exigeait un compte rendu qui a été déposé et imprimé. Sous ce rapport, le gouvernement n'a donc plus rien à faire.
Par la loi qui a été votée il y a un an et demi, un crédit d'un million a été mis à la disposition du gouvernement qui a en outre été autorisé à faire un nouvel emploi des sommes qui rentreraient sur les imputations du crédit de 2 millions. Le gouvernement, qui doit rendre compte de ces fonds, est prêt à le faire. Dès demain, je déposerai le compte rendu sur le bureau de la chambre.
M. Vanden Branden de Reeth. - Messieurs, si l'examen auquel se livre la chambre devait se borner à des questions de jurisprudence, je comprendrais qu'il y aurait, pour moi, témérité à vouloir (p. 610) prendre une part active à cette discussion, en faisant des excursions sur un domaine qui n’est pas le mien, et en cherchant à résoudre des difficultés qui embarrassent les plus savants jurisconsultes. Mais au milieu du grave débat qui nous occupe, il se rencontre aussi des questions de principe, et les lois ont un côté moral qu'il est donné à chacun de nous d'apprécier au moyen du simple bon sens, qui permet de discerner quelles sont les règles d'équité applicables aux besoins de l'époque, dont les lois doivent être l'expression vraie.
C'est, messieurs, en me plaçant à ce point de vue que je me permettrai de présenter à la chambre quelques considérations qui se rattachent particulièrement aux articles 60 à 66 inclus du projet de loi que nous discutons.
Mon honorable ami, M. Thibaut, a présenté un amendement à un de ces articles, à l'article 60 ; c'est aussi cet amendement que je viens appuyer.
Messieurs, au début d'une discussion qui vient d'avoir lieu dans une assemblée d'une grande nation voisine sur la grave question de principe que nous examinons, un membre prononçait les paroles suivantes : « Lorsque vous allez avoir à pondérer, d'un côté, la protection que vous devez aux mineurs, aux interdits, aux femmes mariées, et de l'autre, les intérêts du crédit foncier, veuillez vous rappeler quels sont les principes de cette protection, et si nous parvenons à vous démontrer qu'elle est pour les législateurs un devoir, quand le crédit foncier n'est qu'un intérêt, vous en conclurez que la question de la protection due par la loi doit dominer la question de crédit de toute la hauteur dont le devoir domine l'intérêt, de toute la hauteur morale. »
Messieurs, j'ai cité ces paroles parce qu'elles me semblent préciser d'une manière claire la nature du débat et la portée de la résolution que nous allons prendre.
Ainsi, messieurs, d'une part une question de crédit foncier, d'autre part une question de devoir ; des intérêts matériels d'un côté, des intérêts moraux de l'autre.
En présence d'une situation si nettement tranchée, le projet qui nous est soumis ne semble-t-il pas donner la préférence aux intérêts matériels en abandonnant le système actuellement en vigueur qui était la consécration du principe que nous défendons ?
Je sais, messieurs, que les complications du régime hypothécaire, tel qu'il est établi par le Code civil, appelaient une révision du système actuel ; j'applaudis à plusieurs sages réformes introduites par le projet du gouvernement, mais dans ce que j'appelle les complications, je distingue entre les formalisés inutiles, que l'on peut simplifier ou supprimer, et les dispositions, quelquefois un peu compliquées, je le reconnais, mais qui sont destinées à sauvegarder des droits qui, pour nous, doivent être sacrés ; parmi celles je place au premier rang les garanties écrites aujourd’hui dans la loi, en ce qui concerne l’hypothèque légale de la femme mariée ; en les faisant disparaître ou en les faisant dépendre de formalités souvent ineffiacces et qui, la plupart du temps, ne pourront être mise à exécution sans porter atteinte à la dignité du mariage et au respect que l’on se doit entre époux, vous inaugurez un système qui n’est pas exempt de dangers.
Messieurs, lorsqu'il s'agit d'abandonner un principe depuis longtemps admis par tous, une législation qui déjà par son ancienneté avait pénétré dans nos mœurs et était devenue coutume, pour les remplacer par un principe nouveau, je cherche à me rendre compte de deux choses que je considère comme essentielles.
D'abord quels ont été les motifs puissants qui ont pu déterminer le législateur ancien à faire prévaloir le principe que l'on veut abandonner ; ensuite quelles sont les raisons qu'on allègue en faveur de celui que l'on met en avant, et si, de cet examen, il résulte pour moi la conviction qu'en voulant éviter un mal l'on ne fait que s'exposer à d'autres dangers, l'on ne fait que remplacer un mal par un autre, je ne puis admettre un pareil progrès. Changer sans améliorer, ce n'est pas du progrès, c'est de la perturbation.
Ce n'était certes pas sans motifs que le législateur avait accordé à la femme mariée une faveur qui vous paraît peut-être exorbitante, mais que, pour moi, je trouve toute naturelle, si l'on envisage la question au point de vue moral. Y a-t-il des raisons suffisantes pour enlever à la femme mariée des garanties qui lui avaient été données précisément à cause de la position d'infériorité et de dépendance dans laquelle la loi l'a placée vis-à-vis de son mari ? Je ne le pense pas.
Les auteurs du Code civil ont compris que si le mariage enlevait à la femme sa liberté, si la loi lui ôtait l'administration de ses biens, sous le régime de la communauté, leur disponibilité, sous le régime dotal, cette même loi lui devait aussi compensation puisqu'elle la mettait dans l'impossibilité de veiller à ses intérêts. Car, messieurs, si la femme n'est pas incapable comme le mineur, le mariage, en la plaçant sous la protection et la dépendance de son mari, ne lui permet pas, en fait, d'agir pour la conservation de ses droits par des actes qui auraient un caraclère blessant pour le mari.
La crainte de rompre l'harmonie qui doit régner entre époux, de porter le trouble dans le sein des familles, de provoquer des débats où l'intérêt matériel et les sentiments affectueux de l'épouse et de la mère seraient sans cesse aux prises, avait déterminé le législateur à recourir à une grande mesure que j'appellerai d'un intérêt social. Il avait dit à la femme mariée : Arrière tout sentiment de défiance à l'égard de votre mari, la loi veille sur vous !
J'ai dit, messieurs, que je me bornerai, à examiner la question de principe. Il faut bien cependant que je motive mon opinion et que j'expose en peu de mots pourquoi je considère comme inefficaces, insuffisantes et souvent illusoires les dispositions du projet, en ce qui concerne les garanties offertes à la femme mariée.
L'article 60 dispose que la femme aura une hypothèque spéciale sur les biens qui sont affectés par le contrat de mariage pour sûreté de sa dot et de ses conventions matrimoniales.
L'article et dit que le contrat contiendra l'indication cadastrale des immeubles grevés de l'hypothèque, etc.
Mais ces dispositions supposent, à priori, l'existence d'immeubles du chef du mari, et comme, dans la plupart des cas, ce sont des jeunes gens qui se marient et qui ne possèdent pas encore d’immeubles, voilà l'une des dispositions principales de la loi complètement inefficace.
Mais, dira-t-on, l'article 62 prévoit ce cas, puisquej la femme pourra, pendant le mariage, requérir des inscriptions hypothécaires sur les immeubles de son mari, et cela en vertu de l'autorisation du président du tribunal du domicile marital. C'est ici, messieurs, qu'apparaissent dans leur entier les vices de votre système, c'est ici que vous provoquez de la part de la femme ces mesures qui doivent constituer à l'égard du mari un véritable acte de méfiance ; c'est une lutte organisée entre le mari et la femme dès le début du mariage, et qui doit se perpétuer pendant toute sa durée ; le mari n'est plus ici qu'un créancier à l'égard duquel il faut prendre ses précautions, et vous croyez que beaucoup de femmes consentiront à abdiquer en quelque sorte leur qualité d'épouse pour jouer le rôle de créancier impitoyable ? Je n'hésite pas à répondre négativement.
Ces inscriptions ne seront prises que dans des cas exceptionnels ; votre prétendue garantie n'est encore une fois qu'une illusion !
Ahl si la femme n'était qu'une associée commerciale, comme on a été jusqu'à le dire ailleurs, si le mariage n'était qu'une association basée sur de misérables combinaisons d'argent et d'intérêt matériel, je comprendrais votre système ; mais j'aime à m'élever plus haut pour trouver le principe constitutif de la famille, et je croirais y porter atteinte si je consacrais par la loi des dispositions propres à troubler l'union et l'harmonie qui doivent constamment régner dans son sein.
Que reste-t-il encore pour sauvegarder les droits de la femme mariée ? D'abord, le procureur du roi, le juge de paix. Mais est-ce à peine de responsabilité et de dommages-intérêts que la loi leur impose cette obligation ? Non ; cette intervention est toute facultative, ils pourront requérir. C'est donc une disposition qui n'a pas de sanction ; il serait d'ailleurs trop dur et souvent injuste de prononcer aucune peine, car le ministère public ne peut guère étendre son examen à tous les mariages qui existent dans son ressort ; donc encore une fois garantie inefficace, insuffisante !
Restent les parents et alliés des époux jusqu'au troisième degré. Mais, messieurs, qui de vous ignore qu'il n'est pas de moyen plus certain de faire naître la discorde au sein des familles que de mêler des tiers dans les affaires entre le mari et la femme, et c'est par une disposition légale que vous iriez provoquer de pareils résultats !
Ce système que nous combattons et que nous appelons nouveau n'est rien moins que très ancien ; vous le savez, messieurs, mieux que moi, c'est celui de la loi du 11 brumaire an VII ; et c'est ce qui faisait dire, dans une autre enceinte, à ceux qui essayaient encore de défendre ce principe suranné, qu'ils n'étaient que des novateurs rétrogrades.
Messieurs, lorsque l'on vient aujourd'hui invoquer l'autorité des immortels auteurs du Code civil en faveur du maintien de la législation actuelle, on nous dit que les besoins de l'époque ne sont plus les mêmes, qu'il arrive un temps où les lois doivent être modifiées.
Je répondrai d'abord qn'il est certains principes fondamentaux qui ne varient pas ; tel était le principe sur lequel se sont basés les législateurs du consulat et de l'empire lorsqu'ils ont voulu garantir par de sages et prudentes dispositions les intérêts de la femme mariée sans s'exposer à troubler la famille.
Mais, messieurs, si vous voulez des autorités plus modernes, je vais vous les citer. L'opinion du conseil d'Etat actuel de France, celle des cours d'appel de France à une immense majorité (plus des cinq sixièmes), celle de la cour de cassation de France, toutes ces opinions sont favorables au maintien du système actuel. Sauf quelques modifications, mais qui ne détruisent pas le principe, l'Assemblée nationale de France vient de le consacrer de nouveau en repoussant des propositions qui avaient certaine analogie avec les vôtres.
J'ai entendu avec étonnement M. le ministre de la justice rappeler les discussions qui ont eu lieu en France, car elles sont la condamnation la plus formelle de son système.
Messieurs, puisque je vous ai parlé de ce qui s'est passé en France, il m'est impossible de ne pas appeler votre attention sur un fait remarquable qui s'est produit dans l'assemblée nationale. M. Rouher, ministre de la justice, est venu déclarer que lui aussi avait été d'abord favorable au principe de la publicité ; « mais lorsque séduit par la théorie, j'ai voulu, dit-il, appliquer l'organisation même de ce principe, lorsque j'ai voulu arriver à créer la publicité en protégeant l'intérêt des femmes et des mineurs, je suis arrivé à cette conséquence, que l'organisation en était à peu près impossible sous peine d'exposer le droit du mineur et surtout celui de la femme, à un dépérissement nécessaire, sous peine d'empêcher de naître le droit. »
Le même ministre nous apprend que les jurisconsultes éminents qui composaient le conseil d'Etat, après avoir admis le principe de la publicité et après l'avoir organisé, ont reculé devant les conséquences de leur œuvre, l'ont brisé de leurs mains et ont repoussé l'organisation qu'ils (page 611) avaient produite. Ils se sont dit : « Nous avons édifié sur le sable, nous avons créé des garanties éphémères, la protection que nous révions pour les incapables et pour les femmes s'évanouit à nos yeux. » et alors, dit M. Rouher, les membres de ce conseil sont rentrés dans le principe de l'hypothèque légale occulte.
Vous voyez donc, messieurs, que si mon opinion ne parvenait pas à triompher, je pourrai me consoler de cet échec, me trouvant en très bonne et très nombreuse société !
Je conçois que l'on désire une bonne organisation du crédit foncier ; c'est assurément une chose utile à la société que de rendre la transmission de la propriété plus facile en augmentant la sécurité dans les transactions et en simplifiant les contrats ; mais il est une chose plus utile encore, c'est de ne pas jeter la perturbation dans les rapports sociaux, de ne pas établir entre le mari et la femme un état d'antagonisme en exposant le foyer domestique à voir se débattre des questions d'intérêt matériel qu'un législateur prudent avait mis à l'écart par de sages dispositions.
Si vous pressentez une si tendre sollicitude pour les prêteurs sur hypothèques, pour les acquéreurs, les capitalistes embarrassés de leurs écus et qui éprouvent des craintes si vives à la seule idée qu'ils pourraient être exposés à perdre la plus petite partie de ce métal qui leur est si cher, n'éprouvez-vous donc rien en songeant à la femme mariée que vous exposez à la ruine faute de garanties suffisantes ? à ces enfants dont vous compromettez ainsi l'avenir ? car les garanties que la loi accordait à la femme mariée réagissaient sur les enfants, et la fortune de la mère était pour eux une assurance contre les prodigalités possibles ou les entreprises imprudentes et hasardées d'un père.
Eh ! messieurs, cette amélioration du crédit foncier qui semble vous préoccuper presque exclusivement, sera-t-elle si grande en réalité ? C'est là une question que je ne veux pas résoudre en cet instant ! seulement je veux examiner une seule chose, c'est la manière dont s'opérera le dégrèvement de la propriété qui doit être le résultat de votre système.
Au début de celle discussi on, M. le ministre de la justice nous disait :
« Aujourd'hui on peut dire avec vérité que la moitié du sol de la Belgique est grevée d'hypothèques en faveur de l'autre moitié. »
C'était là un mal que M. le minisire signalait et auquel il veut porter remède ; c'est évidemment là le but des propositions qui nous sont soumises. Mais comment ce but sera-t-il atteint ? (Ceci rentre dans l'objection qu'a déjà présentée dans la séance d'hier l'honorable M. Orts, et à laquelle je trouve que M. le ministre de la justice n'a qu'imparfaitement répondu.)
Un économiste français, M. Wolowski, dit que la moitié de la fortune à peu près se trouve entre les mains des femmes et l'autre moitié dans celles des maris ; si cela est vrai pour la France, cela doit l'être aussi pour la Belgique.
Maintenant, que doit-il arriver ? Evidemment des deux choses l'une : Ou, pour donner à la femme mariée les garanties qu'elle possède aujourd'hui, il faudra prendre inscription en vertu de la loi sur les biens du mari, et la position reste la même qu'aujourd'hui ; ou ces inscriptions ne seront prises qu'exceptionnellement, et alors les intérêts de la femme seront gravement compromis, ne seront plus sauvegardés.
Dans ce dernier cas, j'en conviens, le crédit foncier pourra s'étendre, se développer davantage, mais ce sera au détriment de la fortune de la femme, et ce résultat, en définitive, vous ne le devrez qu'à l'inexécution de la loi.
Des dispositions légales qui entraînent après elles de pareilles conséquences, sont jugées et condamnées d'avance.
L'honorable M. Orts faisait valoir cette objection pour vous engager à adopter son système ; moi je la présente pour vous faire voir la nécessité de maintenir le système actuellement existant, puisqu'il n'en peut résulter aucun avantage pour le crédit foncier. Mais je suis d'accord avec l'honorable député de Bruxelles sur un point, c'est qu'une réforme radicale, dans le sens qu'il vous l'indiquait hier, est préférable à un système bâtard.
Plus d'hypothèque légale, d'aucune nature, inscrite ou occulte pour la femme mariée, ou protection réelle, efficace et qui puisse s'exercer sans blesser la dignité du mariage.
Voilà les deux principes mis en présence.
Je termine par une dernière citation empruntée à un des orateurs de la tribune française et qui résume complètement ma pensée :
« Ce crédit foncier que vous poursuivez, que vous n'obtiendrez pas par les moyens proposés, quand même vous l'obtiendriez immense, à bon marché, gratuit, l'acheter au prix des intérêts des êtres auxquels la loi doit protection, au prix de la dignité des pères et mères, au prix de l'affection entre eux et les enfants, au prix de l'affection entre les époux, au prix de l'union entre les proches, au prix de tous ces grands principes conservateurs de la fami.le et de la société, ah ! croyez-nous, ce serait le payer bien cher ! »
M. Lelièvre. - La commission qui marche d'accord avec le gouvernement se trouve en présence d'adversaires bien différents. Les uns, au nombre desquels figure l'honorable M. Thibaut, prétendent maintenir l'hypothèque légale du mineur et de la femme mariée sans inscription.
Les autres, parmi lesquels se trouve l'honorable M. Orts, suppriment entièrement l'hypothèque légale de la femme mariée, tout en maintenant celle en faveur des mineurs.
D'autres, enfin, admettent la suppression de l'hypothèque légale des mineurs sans inscription ; mais prétendent que la femme doit être plus privilégiée et avoir une hypothèque légale pour laquelle une inscription n'est pas requise. C'est le système de l'honorable préopinant.
La commission maintient l'hypothèque légale eu faveur des mineurs et des femmes mariées, mais elle la soumet à la loi de l'inscription parce qu'elle adopte le principe sans lequel le crédit n'existe pas : « nul privilège, nulle hypothèque sans inscription ».
Il nous sera facile de démontrer que la commission est dans le vrai.
Les hypothèques occultes entravent toutes les transactions sociales et ne permettent pas aux capitalistes de prêter avec sécurité. Cala ne peut être raisonnablement révoqué en doute.
Vous achetez un immeuble, vous prenez la précaution de faire intervenir dans le contrat l'épouse de votre vendeur qui possède le bien depuis nombre d'années. Vous pensez avoir acquis une propriété certaine et irréfragable.
Eh bien, vous vous trompez, il suffit que, dans les titres antérieurs a celui de votre vendeur, une femme mariée, ayant des reprises à exercer, ne soit pas intervenue pour que la solidité de l'acquisition soit compromise.
Il suffit aussi que l'un des précédents propriétaires ait géré une tutelle pour que naisse le même péril.
Et remarquez bien que pareille législation peut nous conduire très loin.
La prescription ne court jamais, pas même au profit du tiers détenteur, vis-à-vis d'une femme mariée, du moment où l'action de la femme réfléchit contre le mari. Ne perdons pas de vue sur ce point l'article 2256, paragraphe 3, du Code civil, qui porte :
« La prescription est pareillement suspendue pendant le mariage dans le cas où le mari ayant vendu le bien propre de la femme sans son consentement est garant de la vente, et dans tous les autres cas où l'action de la femme réfléchirait contre le mari. »
Cette disposition est rationnelle et conforme à toute l'économie de nos lois. La femme doit obéissance à son mari (article 215). Placée sous la tutelle de celui-ci, elle n'a plus son action libre. Il n'est donc pas possible qu'on lui fasse le reproche de ne pas avoir introduit une action dont les conséquences doivent réfléchir contre son époux. Sa conduite a peut-être eu pour mobile la paix au sein du foyer domestique, et il serait trop rigoureux de faire périr un droit, alors que l'inaction a eu pour cause les motifs les plus généreux.
Mais ce principe a pour conséquence de laisser subsister l'action des femmes mariées pendant nombre d'années, et par conséquent de rendre les propriétés incertaines pour un temps indéfini.
La position des prêteurs n'est pas meilleure ; tout prêt quelconque devient chanceux et se trouve dénué de toute sécurité du moment que la femme de l'un des anciens propriétaires n'a pas figuré dans l'acte de prêt.
Et que l'on ne dise pas qu'il s'agit ici d'une législation dont l'expérience n'a pas démontré les inconvénients, car il ne nous serait pas difficile de citer de nombreux exemples dans lesquels l'acquéreur ou des prêteurs ont été victimes de ces hypothèques occultes dont rien ne faisait présumer l'existence.
Est-il possible de concilier pareil état de choses avec le crédit ? Evidemment non.
Celui qui veut la fin doit nécessairement vouloir les moyens. Or, si l'on veut fonder le crédit public et particulier, il est indispensable que la loi fasse disparaître les obstacles sans lesquels il est impossible de réaliser ses vues.
Ce n'est pas tout ; peut-on songer sérieusement à favoriser la circulation des propriétés si l'on maintient les hypothèques générales sans inscription affectant les biens du tuteur non seulement pendant la durée de la tutelle, terme déjà bien long, mais encore pendant dix années après l'époque à laquelle elle a pris fin, puisque ce n'est que par dix ans, à partir de la majorité, que s'éteint l'action du mineur contre son tuteur pour faits de tutelle (article 475 du Code civil) ; et ces hypothèques existent du jour de l'acceptation des fonctions de tuteur, non seulement pour des obligations nées et certaines, mais même pour toute la gestion du tuteur dont les immeubles sont ainsi soustraits au commerce pour un temps indéterminé.
L'époux ne se trouve pas dans de meilleures conditions ; lui aussi voit toutes ses propriétés frappées d'une hypothèque générale dont la conséquence est d'altérer son crédit, puisque personne ne consentira à faire un prêt sans garantie hypothécaire à un individu engagé dans les liens du mariage, du moment que la femme possède des immeubles qui peuvent être aliénés d'un instant à l'autre.
Ce qui aggrave cet état de choses, c'est qu'il n'est pas seulement attaché à la position des possesseurs de l'immeuble, mais qu'il dépend de celle des propriétaires précédents, de manière qu'aujourd'hui il est peu d'acquisitions, peu de prêts qui présentent en réalité, une sécurité complète. Maintenir cette situation, c'est comprimer l'essor du crédit, c'est arrêter l'activité des transactions sociales.
D'autres motifs sérieux s'élèvent encore contre les hypothèques occultes. En effet, elles inspirent aux capitalistes une défiance qui a les conséquences les plus fâcheuses pour les emprunteurs. Ceux-ci ne peuvent se procurer des fonds qu'avec une extrême difficulté et à des conditions très désavantageuses, soit quant au taux de l'intérêt, soit en ce qui concerne les conditions du prêt. Je ne crains pas même d'affirmer qu'un mari ne pourrait en général se procurer des fonds, sans l'obligation solidaire de la femme. Il est donc indispensable de faire cesser un état de choses qui maintient l'intérêt à un taux élevé, favorise l'usure et détruit (page 612) la sécurité qui seule produit la circulation des richesses et des capitaux que l'agriculture et en général la propriété réclament si vivement.
Ce n'est pas tout, les propriétés des tuteurs et même celles du mari (si la femme n’adhère pas à la vente) sont frappées d’interdit et soustraits au commerce pendant un temps indéterminé. Est-ce à notre époque qu’il convient de frapper d’interdiction et d’une sorte d’inaliénabilité une portion considérable du sol national ?
Mais cette législation, si vicieuse sous le rapport social et économique, ne protège pas même convenablement les intérêts qu'elle se propose de sauvegarder.
En effet, relativement aux mineurs, la loi ne prend aucune précaution même vis-à-vis des tuteurs légaux qui ne possèdent pas d'immeubles. Ils ont la libre administration des biens des mineurs, ils peuvent toucher les capitaux mobiliers de leurs pupilles, et le conseil de famille n'a pas même le droit de s'associer aux actes de cette administration. Du moment qu'il n'existe pas de faits qui peuvent donner lieu à la destitution des tuteurs, la loi n'admet pas l'intervention des conseils de famille.
L'hypothèque légale est donc illusoire, si le tuteur ne possède pas d'immeubles ou ne possède que des propriétés insuffisantes pour garantir sa gestion.
D'un autre côté, ne perdons pas de vue qu'en réalité l'hypothèque légale n'a d'autre résultat que de sauvegarder l'avoir mobilier du mineur, car quant aux immeubles de celui-ci, le tuteur ne peut les aliéner, et en cas d'aliénation, les tribunaux ont toujours soin de prendre les précautions nécessaires dans l'intérêt des mineurs. Le prix est conservé dans les mains de l'acquéreur jusqu'à la majorité des mineurs qui, en conséquence, n'ont rien à redouter sous ce rapport.
Mais relativement aux valeurs mobilières, nous ne craignons pas de dire que les dispositions du projet de loi protègent bien plus efficacement les intérêts des mineurs que ne le faisait l'hypothèque légale.
Si le tuteur ne possède pas d'immeubles ou n'en possède que d'insuffisants pour répondre de sa gestion, le conseil de famille peut ordonner que les fonds soient versés à la caisse des consignations. Ces fonds ne peuvent être retirés par le tuteur que pour en faire l'emploi qui aura été fixé par le conseil de famille.
Le tuteur est soumis à des obligations plus rigoureuses que sous le Code civil ; il doit rendre compte, à certaines époques, au conseil de famille lui-même des capitaux mobiliers, ainsi que de l'excédant des revenus sur les dépenses.
En un mot, le tuteur a, dans toutes les phases de sa gestion, un surveillant vigilant, non seulement dans le subrogé tuteur, mais dans chacun des parents ou alliés appelés à faire partie des conseils de famille, et portant aux mineurs un véritable intérêt. Certes, cette surveillance incessante, ces mesures qui rendent tout abus impossible de la part du tuteur présentent des garanties plus sérieuses qu'une hypothèque légale qui n'avait pas pour résultat de prévenir la fraude ou la négligence. Cette hypothèque est impuissante pour faire cesser les conséquences d'une mauvaise gestion.
Elle n'empêche pas le mineur de devoir, à sa majorité, soutenir contre son tuteur infidèle ou incapable un procès long et dispendieux, et quelle position intolérable ne fait-on pas au mineur, lorsqu'on le contraint à poursuivre les immeubles du tuteur morcelés et divisés dans les mains des tiers détenteurs, qui ne manquent pas de disculer avec lui l'import de sa créance et du reliquat du compte de tutelle. La législation qui naîtra du projet assurera la régularité de la gestion et rendra ainsi sans objet toute mesure répressive.
Du reste, nous devons le dire à l'honneur du pays, il est bien peu d'exemples de tuteurs infidèles. En général, on n'a à craindre que l'imprévoyance ou la négligence de ceux à qui la loi ou le conseil de famille confie les intérêts des mineurs. Or, à ce point de vue il est difficile de prendre des précautions plus minutieuses que celles qui découlent des dispositions de la loi en discussion.
Les raisons que nous avons exposées relativement à l'hypothèque des mineurs exigent également que l'hypothèque des femmes mariées soit soumise à l'inscription. C'est le seul moyen de fonder le crédit territorial.
La législation actuelle paralyse la fortune immobilière du mari ; et ne croyez pas que cet ordre de choses dont les honorables MM. Thibaut et Vanden Branden de Reeth proposent le maintien conserve efficacement les droits de la femme.
Celle-ci, en contractant solidairement avec son époux envers les tiers, abdique son hypothèque, ce qui d'ordinaire rend celle-ci complètement illusoire.
D'un autre côté, le Code civil n'a pas cru pouvoir enlever à l'acquéreur d'un immeuble grevé d'une hypothèque légale non inscrite la faculté de purger cette hypothèque, et cette mesure, qu'il était impossible de ne pas décréter, livre les droits de la femme à la merci du mari qui, par un concert frauduleux avec l'acquéreur peut ravir à son épouse le bénéfice de son hypothèque.
L'acquéreur, en procédant aux formalités de la purge légale, force du reste la femme à inscrire son droit hypothécaire sous peine de déchéance, de sorte qu'en définitive il dépend du mari, en aliénant ses immeubles, d'obliger la femme à inscription. Or, pense-t-on que pareille législation présente assez de garanties et d'avantages pour qu'on doive lui sacrifier l'existence du crédit, sur lequel repose la prospérité publique ?
Il y a plus, la dispense de l'inscription fait naître précisément pour la femme un danger sérieux. Le mari se trouvant dans l'impossibilité de disposer de ses biens et de ce ceux de la communauté, sans le concours de l'épouse, à raison de l'hypothèque occulte, dont les tiers ne peuvent apprécier la portée, il arrive que l'intervention de la femme aux contrats qu'arrête le mari devient une nécessité à laquelle l'épouse ne peut se refuser.
C'est donc avec raison que le projet a cru devoir entrer dans une autre voie. En ce qui concerne les moyens de protection qu'il introduit en faveur des femmes mariées, je pense qu'ils sont de nature à satisfaire à toutes les exigences.
Le principe de l'hypothèque légale est maintenue. La femme aura une hypothèque légale sur les biens qui sont affectés par le contrat de mariage pour sûreté de sa dot et de ses conventions matrimoniales. Elle pourra même stipuler, dans cet acte solennel, une hypothèque spéciale pour garantie des reprises même éventuelles qu'elle pourra avoir à exercer contre son mari.
Que veut-on de plus ? Si elle n'arrête pas des garanties dans son contrat de mariage, dans un temps où elle est en mesure de stipuler ses intérêts, c'est qu'elle suit la foi de son mari, et certes la loi ne peut substituer sa volonté à celle des intéressés.
Ce n'est pas tout, à défaut de stipulation d'hypothèque dans le pacte anténuptiel ou en cas d'insuffisance des garanties déterminées par le contrat, la femme qui s'aperçoit qu'elle a été imprévoyante peut encore pendant le mariage, en vertu de l'autorisation du président du tribunal, requérir des inscriptions hypothécaires sur les immeubles de son mari.
Elle a le même droit pour toutes causes de recours qu'elle peut avoir contre celui-ci, telles que celles qui résultent d'aliénation de ses propres et de donations ou successions auxquelles elle aurait été appelée.
Enfin, ce qui est décisif, la faculté de requérir ces inscriptions appartient, non seulement à la femme, mais aux parents et alliés des époux jusqu'au troisième degré, au juge de paix du canton du domicile marital et au procureur du roi.
Si donc l'inscription n'est pas requise, c'est parce que la femme ne la voudra pas, c'est parce que les ascendants des époux et leurs parents au troisième degré ne jugeront pas cette mesure convenable, c'est enfin parce que les magistrats protecteurs des intérêts des femmes mariées croiront que les droits de celles-ci ne sont pas menacés.
Or à mon avis, il est impossible de porter plus loin les précautions, surtout qu'il s'agit de personnes qui ne sont pas dans l'impossibilité de veiller elles-mêmes à leurs intérêts et auxquelles, par conséquent, la loi ne doit pas une protection exagérée.
L'honorable M. Orts veut même aller plus loin, il prétend supprimer toute garantie légale en faveur de la femme mariée et la placer entièrement sous l'empire du droit commun. La commission n'a pas pensé pouvoir adopter ce système trop absolu ; elle a cru que les dispositions du projet introduisent un ordre de choses qui est plus en rapport avec la position de l'épouse.
La loi fournit à la femme et à ceux qui lui portent intérêt un moyen efficace de sauvegarder sa fortune. Une inscription peut être prise sans que le consentement du mari soit nécessaire.
Dans le système de notre honorable et savant collègue, au contraire, nulle inscription ne peut être requise du chef de l'aliénation des immeubles de la femme et des successions auxquelles elle pourrait être appelée sans que le mari consnte hypothèque spéciale, comme il le ferait vis-à-vis d'un étranger.
Or, la dépendance où se trouve l'épouse ne saurait lui faire cette position dans laquelle elle ne peut évidemment défendre convenablement ses droits vis-à-vis d'un débiteur à qui elle doit obéissance, et qui la lient sous sa tutelle.
L'honorable M. Orts pense qu'elle est libre de se refuser à l'aliénation de ses propres. Mais qui ne sait que d'ordinaire la licitation de ces immeubles est forcée, parce qu'elle est la conséquence de l'indivision dans laquelle la femme se trouve avec ses cohéritiers ?
D'un autre côté, les propres de l'épouse sont souvent aliénés contre sa volonté par suite d'expropriation pour cause d'utilité publique. Eh bien, dans toutes ces hypothèses, le système de M. Orts enlèverait à la femme toute garantie quelconque.
Mais, messieurs, il peut se présenter d'autres cas où la femme, même sans sa volonté, acquiert une action pour remploi de ses propres. Si par le contrat de mariage certaines valeurs ont été immobilisées au profit de la femme, le remboursement que fait le débiteur pendant le mariage de sommes, qui ne font pas partie de la communauté, donne lieu à une action en reprise.
Il en est de même de tous objets mobiliers que la femme s'est retenus propres par les conventions matrimoniales ou même de ceux qui lui auraient été donnés à ce titre pendant le mariage (article 1401 n°1 du Code civil). Dans toutes ces hypothèses, si la communauté a profité de ces objets, il naît au profit de la femme une action en reprise, sans qu'elle ait consenti aucune aliénation, et cependant d'après le système de notre honorable collègue, la femme ne rencontrerait dans la loi aucune disposition protectrice de ses droits légitimes.
Il y a plus, la contraindre à ne jamais aliéner ses propres, ce serait, non seulement les frapper d'une véritable interdiction sous ce rapport, ce qui aboutirait, en fait, au régime dotal, mais même ne pas permettre à la femme de faire une spéculation avantageuse et d'obtenir de ses immeubles un prix de circonstance qu'il convient de saisir au vol. Le (page 613) système qui forcerait l'épouse à conserver ses propres est contraire à la circulation des propriétés, que le projet en discussion tend à favoriser.
D autre part, les tiers n'ont rien à redouter des dispositions que je défends. L'inscription les avertira suffisamment des créances de l'épouse, elle leur fera connaître la position de celui avec lequel ils se proposent de contracter, et sous ce rapport ils ne peuvent être induits en erreur. C'est précisément là le mérite incontestable du projet relativement au système des hypothèques occultes.
Notre honorable contradicteur pense que la femme peut stipuler ses intérêts dans le contrat de mariage, mais souvent cela n'est pas possible lorsque, comme cela arrive fréquemment, le mari ne possède aucun immeuble au moment du mariage. On ne pourrait s'écarter de ce système, sans maintenir les hypothèques sur les biens à venir, état de choses dont l'expérience a constaté les nombreux inconvénients. En second lieu, ne sait-on pas que les femmes qui contractent mariage sont souvent en état de minorité ? Eh bien, la loi peut-elle, avec justice, faire dépendre le sort des mineurs, et toute leur fortune à venir, de la précaution que les tuteurs ou les personnes dont le consentement est nécessaire pour contracter l'union, auraient prise de stipuler ou non une hypothèque sur les immeubles du mari ?
Les femmes mineures seraient ainsi exposées à perdre les actions en reprise les plus légitimes, alors qu'elles se trouvaient incapablcs de pourvoir par elles-mêmes à la conservation de leurs droits.
La femme, dit-on, doit être associée à la mauvaise comme à la bonne fortune de son mari, aux fautes de celui-ci et à ses misères.
Mais pour arriver à ériger cette doctrine en principe, il faudrait débuter par abroger le système entier du Code civil établissant le droit souverain du mari sur les biens de la communauté, et tandis qu'on exclut la femme de toute participation à l'administration des biens communs, alors qu'on accorde au mari des droits presque illimités en sa qualité de maître et seigneur de la communauté, il serait injuste de rendre la femme responsable d'une administration dans laquelle elle n'a pas le droit de s'immiscer.
Mais, messieurs, les prescriptions du projet n'établissent rien d'exorbitant en faveur de l'épouse.
La disposition qui lui accorde l'hypothèque légale sur les immeubles du mari pour obligations par elle souscrites, aliénation de propres, etc., n'est que la conséquence du régime de la communauté légale tel qu'il est établi par le Code civil, qui ne permet pas à l'épouse de veiller au remploi du prix de ses propres, du moment que les deniers provenant de l'aliénation ont été versts dans la communauté, pris égard d'ailleurs au droit exclusif d'administration conféré au mari.
Cette disposition ne présentera plus d'inconvénient sérieux, puisque l'hypothèque n'existera que par l'inscription rendue publique. Ce qu'on perd de vue dans le système que je combats, c'est l'incapacité dont la législation actuelle frappe la femme par rapport à ses biens ; il est indispensable, comme l'a dit un jurisconsulte, qu'on lui accorde, par voie de compensation, l'équivalent des droits qu'on la reconnaît inhabile à régler ou à conserver. Voilà le seul principe en harmonie avec la position que le Code civil fait à la femme mariée, tandis que l'amendement suppose celle-ci jouissant de toute sa liberté d'action.
Veuillez, du reste, remarquer que les inscriptions ne seront prises que jusqu'à concurrence des créances réelles de l'épouse, l'intervention du président du tribunal de première instance exigée pour qu'inscription puisse se requérir présente à cet égard une garantie suffisante. D'un autre côté, le mari lui-même pourra demander que les inscriptions soient restreintes aux immeubles suffisants pour la conservation des droits de la femme. A mon avis, ces dispositions sauvegardent les intérêts des deux époux, tandis que, d'après la proposition de suppression complète de l'hypothèque légale, les droits de l'épouse restent sans protection, quoique les événements démontrent que le mari ne mérite pas la confiance de celle qui l'a constitué arbitre de ses destinées et presque de sa fortune.
La séparation de biens est, comme l'on sait, un remède extrême auquel on ne recourt qu'avec répugnance. N'est-il pas plus raisonnable, d'ailleurs, d'autoriser des mesures préventives et conservatoires qui rendent inutile l'emploi de ce moyen funeste au crédit du mari et quelquefois à la considération de la famille ?
Je termine par une considération ; dans le système de l'amendement, alors même qu'il serait notoire que l'épouse s'endort dans une fausse sécurité et qu'elle se précipite vers l'abîme, on ne permettrait ni à sa famille ni aux magistrats de suppléer à sa faiblesse ou à son inexpérience et on serait forcé de lui laisser consommer sa ruine et celle de ses enfants. Pour moi je recule devant de pareilles conséquences. Le système du projet crée un juste milieu qui tout en faisant cesser une organisation funeste au crédit, établit des dispositions protectrices et des garanties réelles en faveur de la femme mariée. Il concilie l'intérêt général avec des droits privés dignes de la sollicitude de la loi. A mon avis, le projet soumis à vos délibérations a résolu avec bonheur un problème qui est depuis longtemps l'objet des méditations des jurisconsultes. La chambre n'hésitera pas à lui donner la sanction de son vote.
- La discussion est continuée à demain.
M. Jacques, au nom de la commission qui a examiné le projet de loi de délimitation entre les communes d'Autelbas et de Bonnert, dépose le rapport sur ce projet de loi.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.
La séance est levée à 5 heures.