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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 24 décembre 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Delfosse, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 393) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom fait connaître l'analyse de la pièce suivante adressée à la chambre.

« L'administration communale de Saint-Ghislain demande que le chef-lieu du canton soit transféré de Boussu à Saint-Ghislain. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi rapportant l’article premier de la loi du 31 mars 1847 sur la monnaie d’or

Discussion générale

M. Anspach. - Messieurs, j'avais demandé hier la parole pour répondre à l'honorable M. Malou. M. Malou s'est porté comme défenseur du rapport de la commission spéciale ; il a pour cela un double titre : d'abord comme membre de la majorité de cette commission et ensuite comme auteur de la loi du 31 mars 1847, loi que j'ai combattue de toutes mes forces ; et comme mes convictions sont restées les mêmes, il est tout naturel que je sois partisan du projet de loi qui vous est présenté parce qu'effectivement il est le retrait de la loi de 1847.

Je ne parlerai pas de l'article premier, puisque tout le monde, y compris la commission spéciale, est d'accord pour rapporter l'article premier de la loi de 1847, décrétant la fabrication des pièces d'or de 10 et de 25 francs.

La commission ne veut pas de l'article 2 qui autorise le gouvernement à faire cesser le cours légal de ces mêmes pièces. Pour combattre les motifs qu'elle allègue, je suis obligé de suivre le rapport fait en son nom par l'honorable M. Cools. Dans les considérations préliminaires qu'elle fait valoir, la commission étend singulièrement les proportions et la portée de ce projet de loi ; elle y voit des choses d'une importance extrême, elle en tire des conséquences à perte de vue et qui peuvent se faire ressentir sur la fortune publique et sur la société tout entière. Eh ! mon Dieu, messieurs, le projet n'est pas si ambitieux ; il s'agit tout simplement d'éviter au trésor et aux particuliers une perte plus ou moins grande sur la monnaie d'or. Voilà tout.

Plus loin, la commission dit : « On ne saurait s'y tromper, frapper l'or de démonétisation, c'est le chasser en réalité, même sous la forme de marchandises, etc. »

Je crois, messieurs, qu'il y a là une double erreur. La démonétisation de l'or ne fera disparaître que l'or excédant l'emploi de la circulation, c'est-à-dire l'or amené par la spéculation, et pour cela, il faudra encore certaines circonstances qui motivent un autre emploi.

Comme monnaie de luxe, l'or est presque une nécessité ; il est si commode d'avoir, sous un petit volume, une grande valeur, que quoi que vous fassiez, quelque mesure que vous preniez, vous aurez toujours une monnaie d'or en circulation ; dans la position actuelle, je pense que ce sera la pièce de 20 fr., parce que, au moment où je vous parle, on en fabrique à outrance, fait dont je vous entretiendrai tout à l'heure.

Quant à l'or marchandise, c'est-à-dire l'or considéré comme lingot, vous n'avez pas à vous en occuper ; ce sera la demande ou l'offre qui régleront la plus ou moins grande quantité qui sera introduite ou qui sera exportée de Belgique ; c'est le sort commun à toute espèce de marchandises.

En voyant la décision de la commission touchant l'article 2, je n'en ai été que médiocrement étonné. Je savais que parmi ses membres cet article aurait un redoutable adversaire, mais je n’aurais jamais pensé qu'on pût faire accepter cette proposition : qu'un système monétaire étant établi, il faut accepter ce système comme un fait et se borner à en étudier les conséquences.

Mais, messieurs, lorsque le système est mauvais (et il est reconnu mauvais par la commission elle-même, puisqu'elle accepte à l'unanimité l'article premier qui le condamne), il faut le répudier à l'instant même ; c'est la seule chose à faire, la seule chose au moins qui soit logique. Nous avons fait une monnaie de mauvais aloi, une pièce valant 40 centimes de moins que sa valeur intrinsèque ; nous nous sommes exposés à des reproches mérités de la part de l'étranger, nous avons compromis notre antique réputation de loyauté, nous devons donc faire disparaître au plus tôt cette source de reproches, qui n'a été que le résultat d'une erreur.

Que l'honorable auteur de la loi de 1847 défende son œuvre de toutes ses forces, cela est tout naturel ; son cœur paternel doit être sensiblement affecté en voyant les dangers qui menacent son enfant d'une destruction prochaine, radicale et dont il ne restera plus que le souvenir ; mais je me trompe, il restera encore quelque chose, c'est cette bienheureuse pièce de 2 fr. et demi, nombre rond, dont le moindre défaut est d’être complètement inutile, de faire tache dans ce beau système décimal, ou tout se coordonne, aussi bien la taille que la valeur, à moins pourtant que la chambre n'adopte l'amendement que je me propose de lui présenter sur l'article 6 relatif à cette pièce.

Je ne suivrai pas l'honorable rapporteur dans ce qu'il nous dit pour nous prouver que la baisse de l'or ne tient qu'à des causes accidentelles et passagères ; il ne faut pas attacher une trop grande importance à la quantité d'or que fournit la Californie, ainsi qu'à l'augmentation des produits des mines de la Russie. Cependant il est impossible de n'en pas tenir compte du tout, lorsqu'on voit la baisse successive de la valeur de l'or, baisse que personne ne peut contester et qui est évidente.

Dans ces causes accidentelles et passagères dont parle M. le rapporteur, qu'il me permette de lui en rappeler une dont il n'a pas fait mention et qui en valait certes bien la peine, c'est l'immense mouvement de l'or qui se fait tous les jours de Londres à Paris, et cela est facile à comprendre, le change sur Londres est de fr, 24-82. Le souverain anglais vaut, valeur intrinsèque, 25-20 79/100.

Toute la banque, grands et petits banquiers de tous les pays achètent du Londres, le font encaisser et font revenir à Paris des souverains qu'ils font convertir à la Monnaie en pièces de 20 fr. ; il y a donc une différence à leur profit de 38 centimes par souverain. Tous les frais déduits comme port, intérêt, monnayage, la pièce de 20 fr. leur revient à fr. 19-80. C'est plus d'un pour cent de bénéfice net ; il n'y a aucune opération de change qui donne un tel bénéfice, aussi la fait-on dans des proportions énormes, et voilà bientôt deux mois que cela dure sans que le change sur Londres s'en soit ressenti ; cela est si vrai que la Monnaie de Paris, qui fabrique pour un million d'or par jour, est tellement encombrée que ses bons, qui se font ordinairement à huit jours, ne se font plus maintenant qu'à trente jours.

Vous sentez bien, messieurs, que la France ne peut tolérer plus longtemps un pareil état de choses qui lui est si désavantageux, puisqu'elle garantit 20 fr. pour une pièce qui n'en coûte que 19-80, au premier venu qui en fait fabriquer. Aussi a-t-elle nommé une commission pour délibérer sur le parti à prendre, et, si mes renseignements sont exacts, ce sera sous très peu de jours qu'elle fera son rapport. Elle conclut, dit-on, à arrêter immédiatement la fabrication de l'or pour compte des particuliers. Si cela arrive, et cela est plus que probable, vous verrez l'or tomber de 2 à 3 p. c. Il est donc essentiel de voter l'article 3 du projet de loi, à moins que vous ne vouliez supporter une part de la perte qui existe déjà sur la pièce de 20 fr., perte que l'adoption de cet article vous fera éviter.

Je dois ajouter que la présentation seule de ce projet a déjà produit un bon effet ; cela a arrêté les envois de pièces de 20 fr., qui se faisaient déjà en très grande quantité.

Projet de loi ouvrant un crédit provisoire au budget du ministère de la guerre

Dépôt, vote des articles et sur l'ensemble du projet

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la chambre un projet de loi ayant pour objet d'ouvrir au département de la guerre un crédit provisoire de cinq millions de francs.

M. le président. - Ce projet sera renvoyé à la section centrale qui a examiné le budget de la guerre.

- Plusieurs membres. - Ce n'est pas nécessaire, donnez-en la lecture.

M. Rodenbach. - Messieurs, il me semble qu'il suffît de donner lecture à la chambre de ce projet de loi, et qu'il ne faut pas le renvoyée à la section centrale.

- La chambre adopte cette proposition.

MpD donne lecture du projet de loi, qui est ainsi conçu :

« Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre un crédit provisoire de cinq millions de francs à valoir sur le budget des dépenses de l'exercice 1831 dudit département. »

« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »


- La discussion générale est ouverte ; personne ne demandant la parole, la chambre passe à l'examen des articles.

« Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre un crédit provisoire de cinq millions de francs à valoir sur le budget des dépenses de l'exercice 1831 dudit département. »

- Adopté.


« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.


Il est procédé, par appel nominal, au vote sur l'ensemble du projet de loi, qui est adopté à l'unanimité des 61 membres présents.

Ont voté l'adoption : MM. Jouret, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lesoinne, Loos, Malou, Manilius, Mascart, Mercier, Moxhon, Pirmez, Rodenbach, Roussel (A.), Rousselle (Ch.), Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (A.),Vandenpeereboom (E.), Van Grootven, Van Iseghem, Van Renynghe, Vilain XIIII, Ansiau, Anspach, boulez, Bruneau, Cans, Clep, Cools, Coomans, Cumont, Dautrebande, de Baillet (H.), de Bocarmé, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, de Chimay, de Denterghem, de La Coste, Delehaye, Delescluse, Deliége, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Perceval, Dequesne, de Renesse, de Steenhault, Destriveaux, Devaux, de Wouters, Dumon (Auguste), Dumortier, Faignart, Frère-Orban, Jacques et Delfosse.

(page 394) - Plusieurs voix. - Passons au contingent de l'armée.

Projet de loi fixant le contingent de l’armée pour l'année 1851

Discussion générale

M. Jacques. - Le projet de loi qui est en discussion renferme deux dispositions distinctes.

La première autorise le gouvernement à maintenir pour 1835 la force numérique de l'armée à 70,000 hommes : j'ai déjà dit, dans une autre occasion, que cette force de 70,000 hommes ne me paraît pas trop considérable pour la Belgique ; je voudrais plutôt l'augmenter que la diminuer. Je donnerai donc volontiers, mon assentiment à l'article premier du projet.

La seconde disposition du projet autorise le gouvernement à faire une levée de 10,000 hommes sur la classe de milice de 1851. J'ai annoncé dans la dernière session que je ne voterais plus la loi du contingent tant que le gouvernement n'aurait pas pris l'initiative d'un projet de loi pour asseoir l'impôt du recrutement sur des bases plus équitables que ne le sont ces levées de milice.

Je n'admets pas qu'il soit nécessaire ni même utile d'appeler chaque année 10,000 jeunes gens sous les drapeaux pour entretenir une armée de 70,000 hommes : cependant j'aurais pu consentir encore pour 1851 à une pareille levée, si les familles n'étaient appelés à y concourir que dans la proportion de l'intérêt qu'elles ont au maintien d'une bonne armée.

L'armée, vous le savez, a pour mission de préserver le pays de l'invasion étrangère et de l'anarchie intérieure : les familles riches ont donc beaucoup plus d'intérêt que les familles pauvres à ce que l'armée soit maintenue sur un bon pied.

Il est dès lors injuste de faire subir pour la milice, aux jeunes gens de toutes les classes, les mêmes chances de tirage : l'équité exige que l'on procède par voie d'enrôlement volontaire, sauf à faire supporter la dépense qui en résultera par tous les jeunes gens inscrits pour la milice dans la proportion de leurs facultés.

Il y a plus, messieurs, c'est que s'il est déjà injuste d'assujettir les jeunes gens pauvres aux mêmes chances de tirage que les jeunes gens riches, l'injustice devient bien plus criante, plus révoltante, quand on fait attention aux résultats que produit un mauvais numéro pour le jeune homme de l'une ou de l'autre catégorie.

Le jeune homme pauvre doit sacrifier ses huit plus belles années au service militaire, il doit quitter sa famille, ses affections, son état, et compromettre souvent l'avenir de toute son existence, tandis que le jeune homme riche en est quitte pour débourser un millier de francs pour fournir un remplaçant.

Ainsi, pour le recrutement d'une armée, qui est nécessaire pour protéger les intérêts des familles riches, des familles aisées, mais qui n'a qu'une utilité très contestable pour les familles de petits cultivateurs, pour les familles d'ouvriers, pour les familles pauvres ; les lois de milice enlèvent au jeune ouvrier huit années de liberté, tandis qu'elles ne prennent au jeune élégant que l'un de ses chevaux de luxe ou même qu'une nuit de folie.

Ma conscience ne me permet pas de voter le maintien d'une pareille législation pour 1851. Je voterai donc contre l'ensemble de la loi.

M. Thiéfry. - Messieurs, le dernier acte signé par le prédécesseur de M. le ministre a pour but la mise en vigueur, dans l'infanterie, d'un nouveau règlement sur le service intérieur. Ce règlement renferme des dispositions contraires à la loi et qui pourraient un jour devenir bien dangereuses, si elles n'étaient pas modifiées.

Le premier paragraphe de ce règlement en est ainsi conçu :

« Principes généraux delà subordination.

« La discipline faisant la force principale des armées, il importe que tout supérieur obtienne de ses subordonnés une obéissance entière et une soumission de tous les instants ; que les ordres soient exécutés hésitation ni murmure ; l'autorité qui les donne en est responsable, et la réclamation n'est permise à l'inférieur que lorsqu'il a obéi. »

Voici l'article du règlement du service intérieur aujourd'hui en usage dans l'armée :

« Caractère de l'obéissance et de l'autorité.

« Le gouvernement veut que le supérieur trouve toujours dans l'inférieur une obéissance passive, et que tous les ordres donnés soient exécutés littéralement et sans retard ; mais en prescrivant ce genre d'obéissance, il entend que les ordres soient conformes à la loi, ou fondés en raison. »

La différence entre ces deux articles est facile à saisir, et chacun peut en apprécier la portée. Aujourd'hui l'inférieur doit une obéissance passive aux ordres de son supérieur, mais pour autant que ces ordres soient conformes à la loi.

D'après le nouveau règlement, l'inférieur devra obéissance à son supérieur quand même les ordres seraient contraires à la loi. Ainsi, si un général donne l'ordre à son inférieur de faire évacuer cette salle, il faudra que celui-ci nous mette à la porte, sinon il sera puni pour insubordination.

Ne croyez pas qu'il faille remonter bien haut pour rencontrer un fait semblable arrivé dans notre pays. Rappelez-vous la conspiration de Vandersmissen et l'ordre donné à Anvers pour faire marcher la troupe sur la capitale. Sans le refus d'un brave et loyal officier, refus motivé sur le règlement même, la Belgique eût été exposée, si pas à une contre-révolution, au moins à un bouleversement momentané.

J'ai dit que la partie précitée de ce règlement est contraire à la loi. .En effet, la Constitution est la loi fondamentale qui doit être respectée par tout le monde, par les ministres comme par les particuliers :

L'article 118 est ainsi conçu :

« Le mode de recrutement de l'armée est déterminé par la loi. Elle règle également l'avancement, les droits et les obligations des militaires. »

Or, le principe de la subordination fait évidemment partie des obligations reprises à cet article, et il n'est pas permis à un ministre de régler par arrêté, ce que la Constitution a voulu qui le fût par une loi.

Je ne comprends pas ce qui a motivé le changement apporté à la subordination, puisqu'une expérience de 33 ans n'a donné lieu à aucun abus, malgré les révolutions et les commotions politiques les plus violentes, et qu'il s'est présenté, au contraire, des circonstances très graves dans lesquelles on a recueilli des avantages réels des principes posés dans le règlement actuellement en vigueur. Je ne me l'explique que par une prédisposition à imiter ce qui vient de l'étranger, que par une sympathie trop forte pour tout ce qui est français : car, ce paragraphe a été littéralement copié dans le règlement français.

Qu'on prenne à l'étranger ce qui est bon à imiter, rien de mieux : mais quand nos institutions sont parfaites, ne les changeons pas.

J'espère que ces observations engageront M. le ministre à apporter des modifications à la partie de ce règlement que la chambre considérera sans doute comme illégale.

M. le ministre de la guerre (M. Brialmont). - J'ai l'honneur de faire remarquer à la chambre, que le règlement dont il s'agit est le fait de mon prédécesseur. Il sera mis à exécution à partir du 1er janvier prochain ; on en fera l'essai pendant un temps suffisant pour l'apprécier convenablement ; chaque chef de corps adressera ensuite au departement de la guerre ses observations, et, s'il y a lieu, je proposerai au Roi d'apporter à ce règlement les modifications que l'expérience indiquera.

Vous savez, sans doute, que ce règlement est une émanation de tous les corps de l'armée ; chaque régiment a fait un projet demandé ; une commission spéciale, réunie au département de la guerre, a été chargée d'examiner ces divers projets et de formuler le règlement qui doit être mis en vigueur au 1er janvier prochain.

Voilà tout ce que je puis dire de ce travail pour le moment.

M. Manilius. - Je ne crois pas que le moment soit opportun pour mettre en discussion les questions que soulève le recrutement de l'armée. Depuis plusieurs années, le vote du contingent de l'armée prescrit par la Constitution ne se fait qu'au dernier moment, mais toujours sous réserves, si le budget n'est pas discuté. Nous sommes aujourd'hui dans cette position : le budget n'est pas voté, nous sommes à la fin de l'année ; il ne nous reste pas assez de temps pour discuter convenablement toutes ces questions ; reportons-les à la discussion du budget de la guerre, et profilons des derniers moments qui nous restent pour terminer le projet de loi sur la monnaie d'or en discussion.

- La discussion est close.

Discussion des articles

« Art. 1er. Par mesure transitoire résultant de la loi du 8 mai 1847, le contingent de l'armée, pour 1851, est fixé au maximum de soixante et dix mille hommes. »

- Adopté.


« Art. 2. Le contingent de la levée de 1851 est fixé au maximum de dix mille hommes, qui sont mis à la disposition du gouvernement. »

- Adopté.


« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1851. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

En voici le résultat :

69 membres sont présents,

1 membre (M. Coomans) s'abstient.

68 prennent part au vote.

67 votent pour l'adoption.

1 (M. Jacques) vote contre.

La chambre adopte.

Ont voté pour l'adoption : MM. Jouret, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Malou, Manilius, Mascart, Mercier, Moxhon, Pirmez, Rodenbach, Roussel (Adolphe), Rousselle (Charles), Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Ansiau, Anspach, Boulez, Bruneau, Cans, Cools, Cumont, Dautrebande, de Bocarmé, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, de Chimay, Dedecker, de Denterghem, de La Coste, Delehaye, Delescluse, d'Elhoungne, de Liedekerke, Deliége, de Man d'Attenrode, de Mérode (Félix), de Mérode-Westerloo, de Perceval, Dequesne, de Renesse, de Steenhault, Destriveaux, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dumon (Auguste), Dumortier, Faignart, Frère-Orban et Delfosse.

M. le président. - La parole est à M. Coomans pour motiver son abstention.

M. Coomans. - Je n'ai pu voter le projet de loi à cause des réserves que j'ai faites plusieurs fois dans cette chambre relativement à l'injuste et immorale loterie de la milice.

Projet de loi rapportant l’article premier de la loi du 31 mars 1847 sur la monnaie d’or

Discussion générale

(page 395) M. de Brouwer de Hogendorp. - Messieurs, je passerai rapidement sur ce qu'a dit hier l'honorable M. Malou relativement au système du simple étalon. Je considère ce qu'il a dit sur ce sujet comme un plaidoyer en faveur de la loi de 1847.

Cette loi a été une grande erreur financière ; elle a eu pour but d'établir le rapport de la valeur de l'or à celle de l'argent, de manière à maintenir toujours les deux métaux en circulation.

Or quelle est précisément l'époque choisie par l'honorable membre ? C'était une époque où l'or ne se vendait qu'avec une prime considérable ; c'était dans un moment où la demande de l'or était très grande dans tous les pays, et où l'exportation de l'or en une seule semaine s'élevait en Angleterre à plus de dix millions de francs.

L'honorable membre a traité le système de l'étalon unique de théorie, je pense que l'honorable membre a voulu user de représailles ; car on avait traité son système à lui de théorie dans la chambre hollandaise dans cette même année 1847.

A l'appui de la pratique que défend l'honorable membre, il nous a dit que dans tous les pays on a apporté un tempérament très important à l'usage exclusif d'un seul métal, et il nous a cité l'Angleterre.

Il est vrai, messieurs, qu'en Angleterre on emploie l'argent à côté de l'or, mais seulement comme billon jusqu'à concurrence de 2 livres sterling.

Il est vrai encore que la banque d'Angleterre est autorisée à avoir dans sa réserve une certaine quantité d'argent ; mais ce n'est pas comme argent monnayé, c'est simplement comme marchandise. La banque tient dans ses caves de l'argent comme une marchandise dont elle dispose dans le cas où elle peut faire un bénéfice.

C'est ainsi que, dans ce moment, la banque d'Angleterre a trouvé qu'elle pouvait faire un bénéfice considérable en échangeant son argent contre de l'or, et au lieu d'avoir deux millions de livres sterling d'argent dans ses caves, comme elle l'avait au commencement de 1847, elle n'a que 45,000 livres sterling.

J'en viens, messieurs, à l'objet en discussion.

La perturbation n'est que momentanée, dit l'honorable M. Malou.

Il faut, messieurs, se bien rendre compte des faits.

Quelle est la cause de la perturbation ?

L'honorable M. Malou l'attribuait hier à la démonétisation de l'or en Hollande. Mais il l'attribuait aussi à une autre cause, et celle-là, je ne puis pas la comprendre. Il l'attribuait à la baisse du change sur Londres.

Messieurs, d'où résulte la baisse du change sur Londres ? L'étalon, en Angleterre, est l'or. Une once d'or y représente une somme de 3 livres sterl., 17 sch. 10 1/2 p. Le pair avec l'Angleterre, c'est-à-dire le rapport entre l'argent et l'or, est, pour la France, de 25 fr. 20 cent. Ainsi le change sur Londres est actuellement très bas. D'où cela résulte-t-il ? C'est que l'or a proportionnellement moins de valeur que l'argent. C'est donc un effet, ce n'est pas une cause. On ne peut attribuer la baisse de l'or à la baisse du change, mais j'attribue la baisse du change à la baisse de l'or.

Il faut, dis-je, se rendre compte des faits. J'ai placé hier en première ligne, comme une des causes de la baisse de l'or, la grande production de la Californie. J'ai dit cependant qu'à côté de cette cause il y en avait d'autres, mais que je ne considérais ces dernières que comme temporaires.

J'ai admis, jusqu'à un certain point, l'influence de la démonétisation hollandaise ; j'ai admis, jusqu'à un certain point encore, la grande demande d'argent qui s'est faite et pour l'Allemagne, et pour la Russie, et pour la Hollande ; mais, messieurs, je ne puis pas comprendre que l'on puisse nier la grande influence que doit avoir la production considérable de la Californie sur le prix de l'or.

Au commencement de ce siècle, messieurs, la production de l'or et de l'argent en Amérique, en Europe et dans le nord de l'Asie, était de 5.350,000 fr. pour l'or et de 137,125,000 fr. pour l'argent. De 1830 à 1840, la production des métaux précieux s'est élevée annuellement en moyenne à 31,250,000 fr. d'or ; c'est pendant cette période, messieurs, que la Russie a commencé à exploiter avec grand succès les mines de l'Oural ; pendant cette période la production de l'argent s'est élevée, en moyenne, à 171,300,000 fr. En 1848, les choses commençaient à changer d'une manière beaucoup plus considérable, et l'honorable M. Malou ne devait pas ignorer que déjà en 1847 et antérieurement la production de l'or dans l'Oural était devenue très considérable cl inspirait déjà des inquiétudes aux financiers.

En 1848, la production de l'or s'est élevée à 108,000,000 ; celle de l'argent est restée la même que pendant la période décennale de 1830 à 1840. Maintenant, messieurs, nous arrivons à 1850 ; quelle est la production, quel est le rapport de la production entre l'or et l'argent, en 1850 ? La production de l'or, en 1850, a été de 354,750,000 fr. et celle de l'argent est restée à peu près ce qu'elle était antérieurement, 190,250,000 fr.

Ainsi, messieurs, en 1800, le rapport entre la production de l'or et de l'argent était comme 1 à 26 : de 1830 à 1810, ce rapport était comme 1 à 5 ; en 1848 le rapport n'était plus que comme 2 à 3 ; mais en 1850 l'équilibre est complètement rompu ; en 1850 on produit non pas plus d'argent que d'or, mais la production de l'or excède du double la production de l'argent.

Il n'est donné à personne, messieurs, de prévoir ce qui arrivera dans l'avenir ; on peut se demander cependant et on se le demande avec inquiétude ce qui adviendra si la production continue à augmenter dans la même proportion.

On peut se demander : Si en 1850 la production de l'or est double de celle de l'argent, si un pareil fait se produit alors qu'il n'y a que 200,000 mineurs en Californie, quelle sera la production dans quelques années lorsque les mineurs ne se compteront plus au nombre de 200,000, mais lorsque le nombre s'en élèvera peut-être à un million ou à un million 500 mille ? Quelle sera l'influence de cette production sur le prix de l'or ?

On a dit, messieurs, que la quantité d'or qui a été introduite en Europe est si peu importante qu'elle n'a pu avoir la moindre influence sur le prix : l'or importé de la Californie ne s'élevant pas à 100 millions de francs, et la quantité totale en circulation étant de plusieurs milliards, comment une importation si minime aurait-elle pu contribuer le moins du monde à amener la baisse ?

Messieurs, il y a quelque chose de spécieux dans cette objection : la quantité importée n'a pu exercer de l'influence ; la quantité même, produite en 1850, n'a pu exercer une grande influence. Mais ce qui exerce de l'influence, c'est la prévision que cette quantité deviendra plus considérable, ou du moins, si elle ne devient pas plus considérable, qu'elle continuera à rester dans les mêmes proportions. Eh bien, 250 millions de plus, jetés annuellement sur le marché du monde au-delà des besoins, car jusqu'à présent la production de l'or avait suffi à tous les besoins mais 250 millions de plus, jetés annuellement sur le marché du monde, doivent nécessairement exercer une influence immense sur le prix des métaux.

Mais je suppose que cette prévision ne doive pas forcément se réaliser ; n'est-ce pas du moins le devoir du gouvernement de tenir compte d'une pareille éventualité ? Personne ne peut prétendre que cette éventualité ne se présentera pas ; et, si elle se réalise, le trésor public ne sera-t-il pas constitué en une perte considérable ? N'cst-il donc pas de notre devoir de prévoir cettte éventualité, et de prendre des mesures pour que, si une pareille baisse arrive, elle n'agisse pas d'une manière trop nuisible sur le trésor public ?

L'honorable M. Malou disait encore que nous avons vu probablement le maximum de la dépréciation de la valeur de l'or ; aussi longtemps, ajoutait-il, que la France maintiendra sa monnaie d'or, le cours de l'or ne peut pas tomber plus bas.

Je suis beaucoup moins rassuré à cet égard que l'honorable membre, et ce qui m'inspire des inquiétudes, c'est justement la baisse qu'éprouve dans ce moment-ci le change de Paris sur Londres ; aujourd'hui l'or est au pair à Paris, mais, comme l'a dit l'honorable M. Anspach, le change de Paris sur Londres est de fr. 24 85. Or, le pair étant de fr. 25 20, il en résulte que dans le moment actuel l'or est plus cher à Paris qu'à Londres dans la proportion d'un p. c.

Eh bien ! qu'en résultera-t-il ? C'est qu'il y a un bénéfice à faire en ce moment-ci pour les spéculateurs qui envoient leur or à Paris. La quantité qui viendra peser sur le marché de France deviendra d'autant plus grande, et il en résultera évidemment une baisse qui réagira infailliblement sur les résolutions que le gouvernement français se propose de prendre.

Mais, messieurs, je suppose que le gouvernement français ne prenne point de mesures pour la démonétisation de l'or ; qu'arrivera-t-il infailliblement dans ce cas ? Je l'ai dit hier, si nous ne démonétisons pas l'or français, il viendra évidemment prendre la place de l'argent belge.

L'honorable M. Malou disait hier : « Vous prenez une mesure hostile à la France en démonétisant l'or français, et la France par représailles pourra bien refuser notre argent. »

Je n'ai aucune inquiétude à cet égard ; mais ce que je craindrais très fort, c'est que si nous ne démonétisons pas l'or français, la France ne vienne prendre notre argent pour nous donner son or.

Mais, dit l'honorable membre, « les détenteurs belges n'ont rien à craindre, car on les remboursera en France. » Je demanderai à l'honorable M. Malou comment les détenteurs seront remboursés. Sera-ce en argent par exemple ?

On disait hier que la mesure proposée par le gouvernement tournerait à l'avantage des banques ; on prétendait que le gouvernement belge aurait beaucoup de peine à rembourser les 14,600,000 fr. en circulation, que ce remboursement ne pourrait se faire qu'au moyen de papier. Mais comment la France remboursera-t-elle le détenteur belge ? Ce sera avec du papier.

Il est impossible que la France rembourse en argent toute la monnaie d'or qu'elle a versée dans la circulation depuis l'an XI, quantité que la commission, je ne sus d'après quelle base, évalue à 879 millions.

Il est évident qu'elle sera forcée de rembourser ces sommes en papier, et alors, messieurs, papier pour papier, j'aimerais autant, et je pense que tous les détenteurs sont de mon avis, j'aimerais autant, dis-je, avoir du papier belge que d'avoir du papier français.

Messieurs, il y a encore une objection que j'ai à rencontrer.

On a écrit. : L'on s'émeut en Belgique ; mais l'on ne s'émeut pas en Angleterre ; aussi longtemps que l'on ne s'émouvra pas en Angleterre, on pourra rester parfaitement tranquille en Belgique.

Mais, messieurs, c'est là une objection qui, je pense, n'a aucune valeur.

En Angleterre, l'étalon est l'étalon d'or. Comment voulez-vous que l'Angleterre s'émeuve ? les particuliers peuvent s'émouvoir, et ils (page 396) s'émeuvent fortement ; mais quant à l'Etat, il ne peut s'émouvoir. Et pourquoi le ferait-il, du reste ? Si l'or continue à baisser dans la même progression qu'il le fait actuellement, il en résultera, pour l'Etat, un avantage considérable, c'est-à-dire que sa dette sera réduite précisément dans la même proportion dans laquelle l'or aura baissé.

L'échiquier n'a que du bénéfice à attendre de la baisse de l'or ; ceux qui ont à y perdre, ce sont les créanciers de l'Etat, et ceux-là s'en émeuvent fortement.

Vous voyez donc que nous ne devons pas attacher la moindre importance à ce raisonnement.

Je crois qu'il est de toute nécessité, qu'il est tout à fait urgent que la chambre adopte le projet tel qu'il a été proposé par M. le ministre des finances. Je pense que M. le ministre ne doit pas tarder à donner force d'exécution à la loi quand elle aura été votée.

M. Cools, rapporteur. - Messieurs, la majorité de la commission n'est ni indécise ni flottante. Ce qu'elle pensait hier, elle le pense aujourd'hui ; c'est toujours en son nom que je viens demander à la chambre de repousser le projet du gouvernement.

Vous comprenez, messieurs, ce qui m'engage à faire cette déclaration. Hier, M. le ministre des finances s'est empare d'un fait sans importance pour se demander si la majorité existait encore, si la majorité n'était pas devenue minorité ?

Pourquoi cela ? Parce qu'un honorable représentant d'Anvers est venu vous faire la confidence qu'il est aujourd'hui un peu plus effrayé qu'il ne l’était il y a huit jours.

L'honorable ministre devait le savoir M. Osy avait toujours eu soin de dire, qu'il n'avait jamais fait partie de la majorité. La déclaration qu'il est venu faire n'a aucune influence sur les décisions de la majorité avec laquelle il n'a jamais eu rien de commun ; l'honorable membre ne peut plus se rallier, dit-il, à la proposition qu'il avait faite et qu'il avait fait adopter par la commission, d'accorder au gouvernement la faculté de retirer le cours légal des monnaies françaises dans certaines conditions ; il veut maintenant qu'on agisse à l'instant même.

Cette proposition émanée de l'honorable membre, comment a-t-elle été faite ? En désespoir de cause, quand son opinion avait été condamnée A l'article 2. La commission s'est ralliée à cette proposition, à la majorité de 6 contre 1, quand on est arrivé à l'article 3.

Ainsi, il y a eu hier un déplacement, je le veux bien ; au lieu de 6, l'amendement ne rallie plus que 5 voix contre 2. Cela n'empêche pas que le ministre ne prétende que la majorité est déplacée, que deux voix valent plus que 5. M. le ministre ne nous avait pas habitués à cette logique.

D'ailleurs les frayeurs de l'honorable M. Osy ne doivent pas nous surprendre. Il faut le dire cependant, ou est étonné de trouver ces dispositions d'esprit chez un homme aussi judicieux, aussi sensé dans d'autres questions ; dès qu'il s'agit de questions monétaires, il s'effraye ; à la moindre baisse sur l'argent ou sur l'or, vite ! il faut aviser, il faut prendre les mesures les plus extrêmes. Un jour il craint que l'argent disparaisse, un autre jour il redoute qu'il n'y ait plus d'or.

Il y a deux ans, une légère hausse se manifeste sur le prix de l'or, la prime sur l'or augmente. L'honorable membre s'écrie aussitôt : Il y a un danger immense, il faut attirer dans le pays les monnaies étrangères et donner cours forcé aux souverains anglais. C'était également l'opinion du gouvernement ; j'ajouterai que si j'avais été alors membre de la chambre, je ne l'aurais probablement pas combattue. Mais ce n'est pas là où M. Osy s'arrête. D'après lui, il ne suffisait pas de donner cours forcé aux souverains anglais, il fallait le faire au cours le plus élevé.

Le gouvernement proposait le taux de 25-40. Non, a dit M. Osy, il faut aller jusqu'à 25-50. Malheureusement il est parvenu à entraîner la majorité de la chambre.

Je dis « malheureusement » parce que le vote émis sous l'impression de cette frayeur a pu avoir les conséquences les plus fâcheuses pour le pays. Le ministre a pu démonétiser les souverains dans un moment très favorable, le taux de 25-50 n'ayant presque jamais été atteint, mais c'est là presque un effet du hasard. Mais le danger n'en a pas moins été réel, et si nous y sommes restés exposés pendant si longtemps, c'est parce que l'opinion de M. Osy avait prévalu, parce qu'on avait tarifé les souverains trop haut.

Du reste, messieurs, je comprends jusqu'à certain point que l'honorable ministre cherche à faire supposer qu'il partage ces frayeurs. Prenez garde, dit-il, et si vous tardez un jour, vous allez exposer le pays à une perte énorme et pour ainsi dire certaine. Je connais cette manière de raisonner ; ce n'est pas autre chose qu'une ruse de guerre. Quand le gouvernement veut faire passer un projet auquel il tient et qui rencontre une certaine opposition, il tâche d'effrayer. C'est un moyen qui manque rarement son effet.

M. le ministre rappelle le danger couru à l'occasion des souverains et des guillaumes. Mais il n'y a aucune similitude entre la monnaie que nous voulons garder momentanément et celle contre laquelle on a pris des mesures précédemment ; il n'y a aucune analogie entre les pièces françaises et les souverains et les guillaumes. Une perte était imminente alors parce que le tarif avait été fixé à un taux trop élevé. Dès que la baisse arrivait un peu, il y avait une perte.

Cela se présente-t-il pour les pièces de 20 fr. ? Elles ont toujours été en circulation avec prime ; dès lors le danger n'existe pas, comme j'espère encore le démontrer plus amplement tantôt,

Il y a une situation plus ou moins critique ; personne ne l'a contesté ; la commission est d'accord sur ce point avec le ministre, elle pense que le gouvernement doit prendre des mesures ; ces mesures, elle les indique. Le gouvernement doit faire cesser à l'instant même toute fabrication de monnaie d'or ; pour cela le gouvernement n'avait pas besoin de présenter de projet de loi ; il suffit qu'il interdise la fabrication pour que le fait se produise. La présentation du projet de loi n'était pas nécessaire pour cela.

La commission pense qu'il se peut que plus tard il faudra démonétiser les pièces françaises ; mais comme le moment de le faire n'est pas venu, sous ce rapport encore il n'était pas nécessaire de présenter un projet de loi.

Il n'y a donc pas de contradiction, ni dans le rapport, ni dans les propositions de la commission, et la commission, tout en restant conséquente avec elle-même, a pu exprimer le regret que lui avait fait éprouver la présentation du projet ; elle croit cette présentation inopportune ; malgré cela elle se rallie à quelques-unes des dispositions du projet ; son regret n'en subsiste pas moins.

Si nous sommes d'accord avec le gouvernement sur un point, nous sommes en désaccord sur d'autres.

M. le ministre croit qu'il y a d'autres mesures à prendre ; selon lui, il y a un danger comme jamais il n'en a existé, sous le rapport de la baisse de l'or ; nous nous trouvons dans une situation unique dans l'histoire.

Je crois que dans cette partie encore de l'argumentation du ministre il règne une certaine exagération. Je pense qu'il ne serait pas impossible de trouver des situations qui ont du rapport avec celle où nous nous trouvons, qui s'en rapprochent même beaucoup.

Il y a eu des époques où la baisse était bien près d'atteindre le taux qu'elle atteint maintenant. De 1840 à 1841 il y avait eu une mauvaise récolte en Angleterre ; en outre, ce pays avait dû envoyer beaucoup d'or en Amérique par suite de la crise américaine provenant de la situation embarrassée des banques. A cette époque, la prime sur l'or, à Paris, était de 3 ou 4 pour mille. Elle avait donc à peu près disparu. Ainsi la situation était bien rapprochée de celle où nous nous trouvons.

Une autre époque a été rappelée par l'honorable M. Malou, qui a fait remarquer qu'en l'an XI, il y a eu, pendant quelque temps, une baisse de plus de 8 p. c, baisse beaucoup plus forte que celle que nous avons maintenant ; car nous n'avons maintenant qu'une baisse de 2 p. c. Aussi, nous pouvons envisager la situation d'un œil un peu plus calme que ne le fait le gouvernement.

Mais, dit-on, il y a des doutes ; la situation peut changer ; elle peut empirer ; il faut nous hâter. Oui, elle peut changer. Mais dans quel sens ? Personne ne le sait. En fait de hausse et de baisse de la valeur des métaux, il peut survenir des événements qui déroutent toutes les prévisions. La Californie nous l'a prouvé. Qui aurait pu dire, en 1847 ce qui est survenu l'année suivante. Savons-nous ce qui peut arriver l'an prochain ?

Si j'allais vous prédire la découverte prochaine de mines nouvelles très riches de charbon ou d'argent, aux Andes ou dans les Cordillères, certes, on me dirait : Ce sont des hypothèses chimériques : il ne faut pas s'y arrêter. Cependant je ne ferais pas autre chose que ce qui s'est vérifié à l'égard de l'or.

Il y a eu une autre époque, et elle n'est pas très éloignée de nous, où on s'attendait à un grand bouleversement dans les rapports de valeur de l'or et de l'argent. A cette époque, on prévoyait, non pas des découvertes de nouveaux gisements de l'un ou de l'autre de ces métaux, mais un bouleversement complet dans les frais d'extraction.

J'ai trouvé à cet égard un document curieux ; c'est le rapport fait en 1844 par notre ancien collègue, l'honorable M. Cogels qui s'est toujours occupé spécialement de ces matières, sur le projet de loi relatif à la monnaie d'or que nous voulons maintenant faire disparaître.

Ce rapport fait connaître quelles étaient alors les prévisions. Voici ce que j'y lis : « Mais nous avons à redouter un jour des fluctuations bien plus fortes (l'honorable membre venait de parler des fluctuations ordinaires dans le prix des deux espèces de métaux). On sait que dans les républiques américaines, les gouvernements perçoivent, sur le produit des mines, un droit qui équivaut à 10 p. c. Mais d'un autre côté, par le fait du monopole du mercure, la dépense du producteur, s'est élevée de 10 fr. environ par kilogramme.

« Le droit de sortie payé en Amérique peut être un jour supprimé. Un procédé plus économique que celui de l'amalgamation, l'application de l'électricité galvanique au traitement des minerais d'or et d'argent, peut porter dans les frais d'extraction une économie de plus de 10 p. c. Voilà donc une réduction possible de 25 p. c. au moins dans la valeur de l'argent. »

Voilà ce que l'on craignait ou l'on espérait alors. Peut-on dire aujourd'hui avec plus de confiance ce que l'avenir nous réserve ? Bien certainement non.

Et cependant, si vous ne le dites pas ouvertement, toutes vos paroles font comprendre la pensée qui vous agite, que la baisse sur l'or va nécessairement continuer, et qu'il faut se hâter de prendre des mesures. En fait d'avenir, en cette matière comme en toute autre, nous ne savons pas ce qui sera demain.

Attachons-nous à la situation du moment, bornons-nous à ce qui est, et demandons-nous, en conséquence, ce qu'il y a à faire. N'allons pas au-delà.

(page 397) La continuation de baisse est possible, nous l'admettons ; mais pour cela nous croyons que toutes les mesures auront été prises, si la chambre adopte la proposition que nous lui faisons a cet égard. Je me réserve de revenir sur ce point lorsque nous en serons à la discussion des articles.

Tout ce que nous vous demandons, c'est que vous ne changiez pas à l'instant même tout votre système monétaire, et quoi qu'en ait dit l'honorable ministre des finances, c'est bien là le résultat auquel vous aboutirez. Cela a d'ailleurs encore été ouvertement reconnu dans la séance d'aujourd'hui par l'honorable M. Anspach. Vous défaites votre loi monétaire ; vous entrez dans un système monétaire nouveau, et nous prétendons que ce n'est pas un moment de crise qu'il faut choisir pour adopter une mesure aussi extrême.

M. le ministre cherche à faire son projet aussi petit que possible. De quoi s'agit-il, d'après lui ? De quelques pièces d'or de 20 et des pièces de 25 fr. En vérité, cela ne vaut pas la peine de s'émouvoir. Les pièces de 20 fr., où existent-elles ? Je n'en vois nulle part, ce sont des mythes. Les pièces nationales ? Oh ! messieurs, vous auriez tort d'y tenir ! Remarquez que c'est toujours l'honorable ministre qui parle. Il faut tâcher de vous en défaire le plus tôt possible. C'est, il est vrai, notre monnaie nationale, mais c'est une monnaie de mauvais aloi, et vous pouvez m'en croire, c'est moi, ministre des finances, qui vous le dis.

Ainsi donc, c'est convenu, les pièces de 20 fr. n'existent pas. Les pièces belges ne devraient pas exister. Hâtez-vous donc d'adopter le petit projet de loi qu'on vous présente, qui n'a pas d'autre portée que de mettre le droit d'accord avec le fait.

Mais, messieurs, le projet n'a pas des proportions aussi modestes, et c'est à la commission que vous avez chargée de regarder les choses d'un peu plus près, à vous le faire connaître.

Je concevrais jusqu'à un certain point que M. le ministre regardât son projet comme d'une importance extrêmement faible, si, comme l'honorable membre qui a parlé le premier dans cette discussion l'a fait entendre, l'honorable ministre a pris des renseignements, a consulté certaines personnes avant de nous saisir de ce projet. Il est évident que M. le ministre n'a pu s'adresser qu'à des sociétés financières, aux hommes qui s'occupent spécialement des affaires de banque. Or, il y a chez ces personnes une disposition d'esprit bien connue ; elles sont ennemies de l'or, elles n'aiment pas l'or. Si l'on pouvait les en croire, la monnaie métallique ne consisterait qu'en argent. Et c'est tout simple ; l'or est le concurrent du papier ; il fait concurrence aux effets, au papier de circulation ; donc il faut le faire disparaître.

Voilà, messieurs, de quel côté on cherche à faire envisager la chose. Mais, ne vous y trompez pas, les conséquences de la loi seraient beaucoup plus grandes qu'on ne le dit.

Si vous n'admettez pas le projet du gouvernement, tout ce que vous risquez, c'est la possibilité d'une perte. Si vous l'adoptez, au contraire, vous subissez cette perte à l'instant même. Il y aura perte et pour les pièces de 20 fr. et pour les pièces de 25 fr.

Si vous repoussez le projet, quelle sera la probabilité pour les pièces de 20 fr. ? C'est que l'or remontera non pas à un taux très élevé ; qu'on s'effraye jusqu'à un certain point, je le veux bien ; mais enfin la prime reviendra, c'est presque immanquable. Peut-être ne sera-t-elle plus de 12 ou 13 p. c., pas même de 10 ; elle sera de 4 ou 5, n'allons pas au-delà. Mais à ce taux encore vous vous déferez de l'or avec bénéfice, tandis qu'aujourd'hui vous ne vous en déferez qu'avec perte.

Car enfin aujourd'hui l'honorable M. Malou vous l'a fait observer, à quoi aboutirait l'opération que l'on veut faire ? A écouler à un prix très bas l'or que vous auriez acheté à un prix très élevé ; tandis que si vous attendez quelque temps, et pour l'or français et pour l'or belge, il y a toute probabilité de ne rien perdre.

Si vous démonétisez l'or immédiatement, la commission vous l'a dit, croyez que l'or même sous forme de marchandise disparaîtra des opérations usuelles et journalières de la population ? Je fais abstraction, et le rapport a eu soin de le faire remarquer, de ces opérations importantes, si l'on veut, mais en petit nombre, qui ont exclusivement la spéculation pour objet. Si je fais cette remarque, c'est qu'il m'a paru hier que M. le ministre avait peine à comprendre la distinction. Cependant, je crois qu'il n'est pas nécessaire que je m'arrête plus longtemps pour tâcher de la faire saisir.

Messieurs, si vous démonétisez l'or, vous contrariez les habitudes, vous imposez une gêne à la population. Le pays est habitué à l'or ; cette habitude est invétérée dans la population, et, pour s'y conformer, on ne craint pas d'affronter le danger d'une perte ; on s'y soumettrait même au besoin.

Sous ce rapport, le passé nous a instruits. Car enfin, quel est l'or que nous n'avons eu dans la circulation depuis notre régénération politique ? C'est l'or hollandais.

Eh bien, cet or était tarifé à un taux trop élevé comparativement à l'argent, il y avait donc toujours danger réel à avoir de l'or. Cet or, non seulement on l'acceptait parce qu'on y était forcé en vertu du cours légal, mais quand on l'avait reçu, on se gardait bien de l'échanger, de s'en défaire ainsi avec bénéfice, ce que la prime sur l'or rendait très faisable. On préférait courir la chance de perte et garder cet or pour les payements journaliers au pair, parce que c'était une habitude, parce que le pays veut avoir de l'or.

On vous dit, messieurs, qu'il n'y a pas de pièces de 20 francs en Belgique. Je crois que ce fait est affirmé d'une manière trop positive. Je crois qu'il y a dans ce moment dans le pays beaucoup de pièces de 20 fr.

Nous n'en avions pas auparavant ; mais, pourquoi ? Parce que nous avions l’or hollandais qui n'est démonétisé que depuis trois mois. Aujourd'hui il n'y a plus d'or hollandais ; eh bien, on aime à se munir d’or français, dût-on s'exposer à l'échanger plus tard à perte contre de l’argent.

Messieurs, si vous démonétisez l'or, vous devez commencer par l'or français, et comme on vous l'a fait observer, vous posez un acte que la France peut envisager comme un mauvais procédé. M. le ministre a rappelé ce qui s'était passé en 1847 ; il vous a dit : « Ce n'est pas aujourd'hui, mais c'est à l'époque où nous avons émis des pièces de 25 fr. par la loi de 1847, que nous avons posé un acte de mauvais procédé. »

Je ne sais, messieurs, si je dois m'arrêter à ce point de l'argumentation de l'honorable ministre. C'était une réplique à l'honorable M. Malou, et il y a, qu'on me permette de le dire, dans les discours de ces deux honorables orateurs, une partie que je puis laisser complètement der côté.

L'honorable M. Malou est l'auteur de la loi de 1847, et tout en parlant de la situation actuelle, il a voulu cependant dire quelques mots pour défendre le système qu'il avait fait prévaloir. L'honorable M. Frère est l'adversaire de ce système ; à son tour et tout en déclarant qu'il ne s'en occupera pas, il n'a pas laissé échapper l'occasion de lancer à droite et à gauche quelques critiques contre le système de son prédécesseur.

Je comprends cela. J'y trouve même une certaine habileté de la part du ministre, Mais nous devons nous placer sur un autre terrain.

La chambre n'a pas à s'occuper du système de 1847 en lui-même ; elle doit se borner à apprécier les effets de ce système et faire disparaître ceux qui sont reconnus mauvais dans la pratique. Je pourrais donc laisser de côté cette partie du discours de l'honorable M. Frère, où il objecte à M. Malou que c'est l'émission des pièces de 25 fr., et non pas le retrait ou la démonétisation des pièces de 20 fr. qui constitue le mauvais procédé pour la France. Mais je m'en empare précisément parce que j'y trouve un argument pour ma cause.

Dans ce qui s'est passé alors, vous avez une preuve de plus que la France est extrêmement susceptible en ce qui concerne les monnaies : un jour, elle trouve mauvais qu'on frappe de la monnaie qui n'est pas exactement comme la sienne. Une autre fois, elle nous reproche de nous y conformer trop scrupuleusement.

Vous vous rappelez les difficultés qu'a eues la Belgique à l'égard de ses pièces de 5 francs. Pendant un certain temps, ces pièces étaient refusées à la Banque de France.

La raison de ces difficultés qui se renouvellent sans cesse est facile à saisir. La France est une grande fabrique de monnaie : nulle part on n'en bat une si grande quantité. Il est naturel qu'elle trouve mauvais qu'on fasse de la monnaie à ses frontières en concurrence avec celle qu'elle émet. Mais ce qu'elle trouvera toujours encore beaucoup plus mauvais que cela, c'est que l'on se refuse à recevoir celle qu'elle a fabriquée elle-même. Tenez-vous donc pour assurés qu'elle se montrera mécontente de ce que vous ôterez le cours légal à la monnaie qu'elle a battue, à ses pièces de 20 francs.

On nous dit : La mesure est générale ; elle ne s'applique pas spécialement à la Francs.

Mais c'est un jeu de mots : La mesure est générale dans les termes, et spéciale en réalité.

On veut démonétiser l'or étranger que nous avons dans la circulation ? or nous n'avons en circulation que de l'or français, il est évident que le principe est décrété uniquement pour pouvoir chasser l'or français, et personne ne saurait s'y tromper.

On a dit encore : Si vous tardez à prendre une mesure, il y aura peut-être des pertes successives pour les particuliers à mesure que l'or continuera à baisser. Mais on serait bien plus en droit de faire remarquer que si vous adoptez le système du gouvernement, c'est alors que vous aurez une succession de petites pertes pour les particuliers.

Si vous chassez l'or du pays, la circulation en argent sera, en réalité, la seule circulation métallique courante du pays. Qu'en résultera-t-il pour ceux qui auront des envois d'espèces à faire à distance ? Comme l'argent est beaucoup plus difficile à transporter, on devra bien plus souvent avoir recours aux traites sur des banques. Mais pour ces traites, il faut payer une commission, et c'est une dépense de plus. Et puis, remarquez-le bien, si la circulation métallique du pays se compose exclusivement d'argent, le cours du change sur l'étranger s'en ressentira défavorablement. Qu'est-ce qui détermine le taux du change, la limite à laquelle il doit nécessairement s'arrêter ? C'est sa relation avec les frais de transport des espèces. Cette limite n'est pas atteinte aussi vite lorsqu'il faut transporter de l'argent que lorsqu'on peut avoir recours à des envois d'or.

Si vous faites disparaître la monnaie d'or, on devra faire usage bien plus souvent qu'aujourd'hui de traites, payer des commissions. Vous imposerez ainsi aux particuliers une succession de petites dépenses dont ils peuvent, jusqu'à un certain point, s'affranchir aujourd'hui.

Un autre inconvénient de la mesure proposée, c'est qu'elle continuera à répandre l'inquiétude dans les esprits. On continuera à se demander par quoi l'on se propose de remplacer cet or.

En réalité ce ne sera que par du papier, et on s'en apercevra bientôt, car pour les sommes un peu fortes il n'y aura plus que du papier. Eh bien, je comprends que ce soit là un appui très fort, un stimulant très efficace en faveur de la circulation du papier ; mais, ne nous y trompons, pas, on trouvera qu'il a un rapport fâcheux entre cette mesure et l'institution d'une nouvelle banque.

(page 398) Le pays se demandera s'il n'y a pas un certain rapport entre la démonétisation de l'or et l'émission d'un nouveau papier, et cette supposition, à laquelle il faut s'attendre, exercera un effet très fâcheux sur le public.

Ce qui peut faire supposer jusqu'à un certain point qu'on a intérêt à déconsidérer l'or, c'est que déjà, dans l'un des grands établissements de la capitale, on se met à refuser les pièces de 20 francs. Je ne sais pas si on en a le droit, mais le fait existe et ce n'est pas seulement cet établissement qui refuse l'or français, mais si je puis m'en rapporter aux renseignements publiés par les journaux et à ceux que j'ai reçus personnellement, il y a déjà des fonctionnaires de l'Etat qui refusent également les pièces de 20 et de 40 fr. M. le ministre pourrait s'en expliquer. (Interruption.) Il y a notamment un receveur de l'enregistrement qui, à ma connaissance, a refusé de recevoir l'or français.

- Un membre. - On n'a pas ce droit.

M. Cools. - Non, on n'a pas ce droit, mais il paraît qu'on le fait. Peut-être s'est-on trompé sur les instructions qu'on a reçues. Ce qui est certain, c'est que le gouvernement ne peut pas devancer la publication de la loi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban) - Personne n'a le pouvoir d'empêcher qui que ce soit de recevoir les pièces d'or ; personne ne peut donner d'ordre à cet égard.

M. Cools. - Je me plais donc à supposer qu'on s'est trompé sur les instructions qu'on a reçues, mais le fait est qu'on a refusé les pièces de 20 fr., notamment encore au chemin de fer.

M. Cans. - Quand elles n'ont pas le poids.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Quand elles n'ont pas le poids, on doit les refuser.

M. Cools. - M. le ministre a argumenté d'une disposition de la loi de 1847. La loi de 1847 contient une disposition qui permettait au gouvernement de démonétiser l'or étranger, et M. le ministre demande pourquoi l'on craint de donner aujourd'hui le même pouvoir au gouvernement. Mais, messieurs, il y avait alors une raison spéciale pour agir ainsi. Lorsqu'on a fait la loi de 1847 nous voulions rentrer plus complètement dans le système décimal français ; dès lors il y avait lieu de faire disparaître des pièces qui n'avaient plus aucun rapport avec le système décimal dans lequel nous voulions définitivement entrer, notamment les guillaumes de la Hollande. Les pouvoirs concédés au gouvernement formaient le corollaire du principe de la loi.

Je vous avoue, messieurs, que si j'éprouve un regret dans cette discussion, c'est de ne pas retrouver chez M. le ministre des finances une qualité que nous aimons à rencontrer chez lui, c'est la franchise : M. le ministre nous dit : Accordez-moi une simple faculté ; il n'est pas certain du tout que j'en fasse usage ; permettez-moi seulement, lorsque le moment sera venu et s'il y a de l'utilité à le faire, de retirer cette petite quantité d'or que nous avons fabriquée jusqu'à présent. Eh bien, je crois que sur ce point l'opinion est déjà formée dans la chambre, je crois qu'il y a une majorité qui veut bien qu'un jour on démonétise l'or national, mais qui veut aussi que ce soit seulement dans le cas d'une nécessité plus grande que celle qui se présente en ce moment.

Eh bien, je demande à M. le ministre des finances si c'est là la seule hypothèse dans laquelle il se propose d'appliquer la mesure ? Je ne le crois pas, et cependant il veut bien le laisser supposer. Ce n'est pas ainsi que M. le ministre devrait agir. Il ne devrait pas laisser subsister le moindre doute à cet égard. Pour moi, la question est résolue par la réponse que M. le ministre a faite à une demande de la commission et dont je veux vous donner lecture. Elle se trouve imprimée à la suite du rapport. « Il lui a paru prudent de se faire donner le pouvoir de prendre la mesure seulement dans le cas où les circonstances la rendraient indispensable et urgente. »

Si je comprends le sens de ces paroles, le gouvernement n'userait de la loi que dans le cas où l'or continuerait encore à baisser ; mais aussitôt M. le ministre ajoute :

« Oui, s'il se présentait des conditions telles qu'elle put être réalisée en diminuant autant que possible la perte que le trésor doit essuyer. »

C'est-à-dire, probablement, dans le cas où l'or remonte. Ainsi dans toutes les hypothèses possibles, M. le ministre se propose de démonétiser, non pas demain, non pas peut-être après-demain, mais à une époque assez rapprochée, et soyez persuadés, messieurs, que son parti est pris dès à présent et qu'il ne tardera pas à faire usage de la loi. Il n'est pas dans les habitudes de l'honorable M. Frère d'éprouver des hésitations.

Je termine, messieurs, en demandant positivement à M. le ministre s'il se propose uniquement, au moyen de la faculté qu'il demande, de démonétiser l'or belge, lorsque la baisse aura encore fait des progrès notables, si tant est qu'elle doive encore en faire.

J'attendrai la réponse de M. le ministre des finances, et, s'il est nécessaire, je m'expliquerai sur cette réponse dans la discussion des articles.

M. T'Kint de Naeyer. - Je me bornerai, messieurs, à vous soumettre très brièvement les réflexions que la discussion m'a suggérées.

Aucune objection sérieuse n'a été produite contre l'article 2, qui autorise le gouvernement à faire cesser le cours légal des pièces de 10 et de 20 fr. en fixant un délai pour en faire l'échange dans les caisses de l'Etat, au taux nominal.

Quant à l'article 3, il ne me semble pas démontré d'une manière aussi péremptoire que la démonétisation des monnaies d'or étrangères doive être immédiate, instantanée. Je m'expliquerai plus tard sur le sens que j'attache à ces mots. Ce qui me préoccupe surtout, ce sont les circonstances dans lesquelles le retrait de l'or peut avoir lieu.

Le cours forcé des billets cessera bientôt ; c'est encore un agent de circulation qui disparaît ; on ne pourra plus faire des offres réelles en billets de banque.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est une erreur.

M. T’Kint de Naeyer. - Le billet de banque, cessant d'avoir cours forcé, n'a plus de cours légal, je ne pense pas que cela soit contestable.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est très contestable, car cela n'est pas. Seulement la Banque Nationale est chargée d'opérer le retrait des billets à cours forcé.

M. T’Kint de Naeyer. - C'est la même chose au fond ; le délai peut être plus ou moins long, mais il n'en est pas moins vrai que lorsque tous les billets à cours forcé auront été retirés, et qu'ils auront été remplacés par les billets de la nouvelle banque, ces derniers ne devront plus être reçus comme monnaie légale. (Interruption.)

Permettez-moi, messieurs, d'achever mes observations, vous verrez qu'elles ont une portée assez grande.

Je dis que l'argent restera le seul moyen d'échange.

La circulation n'a jamais été plus tourmentée que dans ces derniers temps, il faut en convenir. Les souverains, les pièces de 10 florins ont été successivement démonétisés. Ces mesures étaient bonnes, elles ont bien réussi ; mais il ne faut pas perdre de vue, messieurs, que les billets de banque à cours forcé pouvaient toujours venir remplir le vide qui s'opérait dans la circulation.

Aujourd'hui le cours forcé des billets est sur le point de cesser, et un autre fait se produit : l'argent est à prime ; une très grande gêne dans les transactions commerciales ne semble-t-elle pas inévitable ?

Les pièces de 5 fr. seront recherchées dans un grand nombre de cas, exigées dans d'autres, puisqu'il y aura un bénéfice à les avoir, enfin on, pourra refuser les billets de la Banque Nationale.

Je sais bien que cet état de choses conviendra aux banquiers : ils ne pourront qu'y gagner : il y aura des bénéfices sur les changes de place à place, à réaliser ; on vendra des pièces de 5 fr. à ceux qui en auront besoin.

Mais le commerce et l'industrie, et les particuliers, n'auront-ils pas lieu de se plaindre des difficultés qu'ils rencontreront à chaque instant ?

Les inconvénients que je prévois sont bien réels ; ils méritent, messieurs, de fixer toute votre attention, et j'engage le gouvernement à examiner avec sollicitude toutes les questions qui se rattachent à la circulation.

Il est regrettable que le cours légal des billets n'ait pas été consacré par la loi sur la Banque Nationale, comme cela existe en Angleterre. Vous savez qu'en Angleterre, pour toutes les sommes qui excèdent 5 liv., la banknote doit être reçue en payement. Le billet est d'ailleurs toujours échangeable à la banque. (Interruption.)

On se récriera et l'on me dira : Mais c'est un nouveau bénéfice que vous voulez accorder à la banque !

Messieurs, il n'entre pas dans mes habitudes de faire des cadeaux aux banques. Je me suis élevé naguère contre l'indemnité trop élevée qu'on accordait à la Société Générale, à raison de ses fonctions de caissier de l'Etat ; eh bien, si l'on accorde une nouvelle faveur à la Banque Nationale, on verra quelles seront les compensations que vous pourrez exiger. Il est possible que l'indemnité de 200,000 francs que vous accordez aujourd'hui disparaîtra entièrement.

J'engage de nouveau M. le ministre des finances à examiner la question sous toutes ses faces, à voir s'il n'y a pas lieu de saisir la chambre d'une proposition qui aurait pour but de donner le cours légal aux billets de banque, à des conditions analogues à celles qui ont été admises en Angleterre.

D'après les considérations que j'ai eu l'honneur de présenter, je pense, en résumé, messieurs, que le gouvernement ferait bien de se contenter des pouvoirs que l'article 2 lui donne, et de se réserver la même faculté pour les monnaies étrangères, c'est-à-dire que le gouvernement pourra démonétiser les monnaies d'or étrangères, lorsqu'il le jugera nécessaire et opportun.

Toute la différence entre M. le ministre des finances et moi, c'est que M. le ministre des finances pense que la mesure doit être immédiate, instantanée ; moi, au contraire, je crois qu'il n'y a pas péril en la demeure ; que le gouvernement, avant de prendre une mesure radicale, doit chercher à prévenir le trouble qu'elle peut faire naître dans la circulation.

J'ai indiqué un moyen, je demande qu'on l'examine.

L'expérience a démontré que dans toutes les questions qui se rapportent à la circulation, il importe d'agir sans trop de précipitation et avec une extrême prudence.

M. Malou. - Je n'occuperai pas longtemps la chambre ; je répondrai en quelques mots à l'honorable M. Anspach et à l'honorable ministre des finances.

Sans doute, il est difficile, dans les circonstances où nous nous trouvons, de faire admettre le projet de la commission. Cette difficulté ne provient pas, selon moi, de la faiblesse des arguments que l'on peut faire valoir, mais de l'empire, en quelque sorte irrésistible, que la panique générale exerce involontairement sur les esprits. On l'a dit bien des fois : Contre la peur on ne raisonne pas. Telle est la cause de l'infériorité de notre position dans les débats.

(page 399) Messieurs je ne m'attendais pas, je l'avoue, à voir contester le principe de la loi de 1847 ; je ne pouvais pas, en présence des faits posés par M. le ministre des finances lui-même, m'attendre à le voir dire, lui ministre des finances de Belgique, que le gouvernement avait émis une monnaie de mauvais aloi.

En effet, lorsqu'une loi monétaire intervient, lorsqu'on définit le poids et le titre de la monnaie, que l'on prend même la précaution inusitée d'imprimer sur chaque pièce de monnaie quel est le titre et le poids, personne ne peut soutenir qu'on a émis de la monnaie de mauvais aloi.

Pourquoi, par la loi de 1847, a-t-on fixé à 3,509 francs la valeur du kilogramme d'or ? Parce que, d'après les faits alors constatés, c'était la valeur commerciale, réelle, de l'or. Et depuis cette époque, loin que le discrédit annoncé par les adversaires de la loi, se soit produit, il est arrivé mainte fois, d'une manière presque normale, que la pièce de 25 fr. qu'on qualifiait encore aujourd'hui de monnaie de mauvais aloi, a joui d'une prime.

A Paris, très souvent on a payé une prime pour nos pièces de 25 fr. (Interruption.) Oui, à l'étranger, je maintiens l'exactitude de ce fait, notre monnaie d'or a presque toujours joui d'une petite prime.

Et c'est en présence de pareils faits que l'on vient dire encore aujourd'hui que la monnaie belge, émise en exécution de la loi de 1847, a été en quelque sorte un acte de déloyauté internationale !

Dans ce débat, je ne suis nullement déterminé par des considérations d'amour-propre ; c'est l'honneur du gouvernement, ce sont les actes posés par M. le ministre des finances lui-même, que je défends.

En effet, la loi est du 31 mars 1847, elle avait à peine pu recevoir un commencement d'exécution, lorsque je suis sorti du ministère des finances ; toutes les pièces de 25 et de 10 fr. qui ont été frappées, l'ont été depuis l'avénement du ministère du 12 août....

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous ne dites pas que vous aviez fait un contrat pour 10 millions.

M. Malou. - J'allais le dire.

Messieurs, j'avais soumis au Roi un arrêté qui autorisait la fabrication de 10 millions de monnaie d'or. Cet arrêté n'a pas reçu d'exécution sous mon administration ; non seulement le ministère actuel a mis l'arrêté à exécution, mais il a lui-même décrété une fabrication supplémentaire de 4 millions et demi. (Interruption.)

Au reste, que la quantité soit plus ou moins grande, peu importe ; je défends le principe.

Il est évident que si quelqu'un a émis de la monnaie de mauvais aloi en Belgique, vous en auriez émis pour 4 millions et demi, si 10 millions devaient être mis à ma charge. Mais, je crois avoir démontré que ce n'était pas de la monnaie de mauvais aloi, c'était l'application des faits à la loi, on avait établi entre l'or et l'argent le rapport légal, qui, en réalité, était le rapport commercial.

Les motifs qu'on a eus pour le vote de cette loi ont été longuement exposés dans le cours de la discussion de 1847.

Le premier motif déterminant était le besoin du pays, la nécessité d'avoir dans notre circulation intérieure une certaine quantité de monnaie d'or, et je ne crains pas de dire que si le système dans lequel on s'engage aujourd'hui par la démonétisation de toute monnaie d'or, vient à prévaloir, ces habitudes ne changeront pas du jour au lendemain ; seulement la perturbation sera telle que beaucoup d'intérêts en souffriront.

On nous dit, messieurs, qu'il y a inconséquence à arrêter la fabrication de l'or belge, à admettre l'article premier, et à ne pas admettre la démonétisation des monnaies émises.

La loi de 1847 avait pour principe la création d'une certaine quantité de monnaie d'or ; les faits survenus depuis lors et qui sont contraires aux prévisions des partisans comme des adversaires de la loi, nous déterminent tous à dire qu'il faut arrêter la fabrication. Ainsi, au lieu du maximum de 20 millions, on admet un maximum de 14 millions et demi ; ne s'ensuit-il pas que nous devions être partisans de la démonétisation immédiate ? Nullement, messieurs.

Or que dit le projet du gouvernement ? D'après la note remise à la commission, d'après les explications données à la séance d'hier par M. le ministre des finances, le projet du gouvernement implique la démonétisation immédiate ou presque immédiate de notre monnaie d'or. On nous dit qu'on démonétisera s'il y a une grande perte, et qu'on le fera en tout cas à un moment opportun s'il n'y a pas perte. De sorte que dans l’une comme dans l'autre hypothèse notre monnaie nationale va disparaître.

Les observations que nous a soumises l'honorable M. T'Kint de Naeyer sont pleines de justesse.

Aujourd'hui vous allez, soit dans un mois soit dans quinze jours, faire disparaître notre monnaie d'or ; mais par quoi la remplacerez-vous ? Sera-ce par de la monnaie d'argent ? Vous chercherez à la remplacer par des billets de banque qui sont convertibles, c'est-à-dire qu'au moment où vous aurez intérêt pour l'établissement nouveau, vous allez jeter un trouble, une sorte de discrédit peut-être. Les personnes qui d'après leurs habitudes veulent conserver la monnaie d'or ne se résigneront pas toutes à accepter et à conserver, dans la plupart des cas, les billets qui leur seront offerts en échange. Ainsi, loin de favoriser les habitudes de la circulation du papier que je désire voir développer, non seulement en vue de la prospérité de la Banque Nationale, mais encore de notre économie politique intérieure, ces habitudes vous allez les compromettre en voulant trop faire à la fois, en ne les laissant pas se développer naturellement.

Je reviens un instant sur la nécessité d'avoir un système monétaire commun avec le système français, sauf un léger tempérament admis quant à une quantité déterminée de monnaie d'or. En 1848, on a admis à une valeur un peu exagérée les souverains anglais parce que la situation de l'occident de l'Europe était telle que l'argent disparaissait en partie ou émigrait vers la France. Les mêmes causes produiraient les mêmes effets à l'avenir.

Il y a plus, une simple altération dans l'état des changes peut gêner beaucoup notre circulation intérieure si cette mesure est prise. Le change de Paris par exemple est dans un état anormal qui provient en partie de la démonétisation de l'or hollandais, de la grande quantité d'or des Pays-Bas qui est demeurée dans le pays lorsque le délai est expiré. Mais l'état normal du change de Paris en Belgique, ce n'est pas d'être à 1/4 perte ; c'est le contraire. Que l'état normal s'établisse et vous verrez à l'instant s'exercer de nouveau, d'une manière irrésistible en quelque sorte, la puissante attraction que la France exerce quant à l'argent.

Vous verrez immédiatement une gêne se produire dans notre circulation. Les pièces de 5 francs peuvent émigrer quand il y a quelque avance, elles se portent alors vers le plus grand réservoir d'argent qui existe sur le continent.

Ce résultat s'est produit plusieurs fois depuis 1830. Si le système dans lequel on nous convie d'entrer est adopté par la chambre, une pareille crise pourra-t-elle être efficacement combattue ? C'est une considération sur laquelle j'appelle la plus sérieuse attention du gouvernement et de la chambre.

Si, au contraire, vous laissiez subsister momentanément, jusqu'à ce que le gouvernement français change lui-même son système, l'admission de l'or français, vous pourriez voir entrer dans notre circulation une certaine quantité de pièces de 20 et de 40 francs ; c'est un moindre mal, selon moi, si tant est qu'il y ait un mal quelconque, que de voir se produire, sans autre remède qu'une augmentation excessive de la circulation du papier, les résultats que je viens d'indiquer.

Mais, dit-on encore, il y a contradiction à vouloir que le gouvernement subordonne pour les pièces de 20 et de 40 fr. les mesures à prendre à la volonté du gouvernement français, et à exprimer le regret que le gouvernement n'ait pas, pour la démonétisation de l'or hollandais, devancé le gouvernement hollandais. Si les faits étaient les mêmes, la contradiction existerait ; mais les faits sont différents. En Hollande, par la loi de 1849, l'or était démonétisé légalement. Il n'était plus question que de savoir en quel mois de 1850 le principe recevrait son exécution.

En France, au contraire, le principe, c'est le maintien du système ; il y a là une raison pour ne pas devancer le gouvernement français, tandis qu'il y avait, dans l'état de la législation hollandaise, une raison pour ne pas attendre.

J'ai constaté, par exemple, que pendant la première quinzaine d'avril, le change sur Amsterdam était au pair, et à Londres à 25-55 : on pouvait dans ces conditions démonétiser l'or hollandais sans perte pour personne.

Je tiens, en terminant, à rectifier une erreur de fait, qui est échappée à l'honorable M. T'Kint de Naeyer. L'indemnité allouée pour le service du caissier de l'Etat a été réduite par convention, de 250 à 200 mille fr. Les traitements des agents en dehors des opérations faites pour le compte de la Société Générale, dépassent cette somme. Si la Banque Nationale se contente d'une somme moindre, elle doit sans doute, comme la Société Générale, chercher une indemnité indirecte dans les services que l'établissement des agences doit lui rendre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si je dois ajouter foi à ce que je viens d'entendre, mon projet, que je croyais assez simple, recèlerait dans ses flancs un danger immense et des mystères que personne ne peut comprendre. D'après l'honorable M. Cools, le projet est très gros, quoiqu'il soit présenté sous une petite apparence.

Il s'agit de bouleverser entièrement notre législation monétaire, et le but secret que l'on veut atteindre, c'est de favoriser l'émission des billets de banque,

L'honorable M. Cools le croit, et l'honorable M. Malou voudrait bien nous persuader qu'il y croit un peu aussi. Il y a une certaine malice à faire cette supposition en guise de grief contre moi, j'en conviens.

Je suis naturellement présumé avoir une affection peu commune pour la Banque Nationale, et pas n'est besoin de trop de charité pour que l'on insinue que j'ai combiné le projet que je soumets à la chambre, dans le plus grand intérêt de cet établissement. (Interruption.) Ou ce qu'on insinue n'a pas de sens, ou cela a cette signification.

Eh bien, il suffit d'une simple réflexion pour démontrer, permettez-moi cette expression, combien l'hypothèse est absurde. Si, comme vous l'aviez erronément supposé et comme d'autres l'ont supposé avec vous, les pièces de 10 florins avaient conservé le caractère de monnaie légale en Belgique au cours de 20 fr. 72 c. et que je fusse venu proposer de les démonétiser à ce cours, je comprendrais qu'on eût alors soutenu que, soustrayant de la circulation un agent indispensable, il faudrait le remplacer, et qu'on ne pourrait le faire qu'avec des billets de banque.

Mais ne voyez-vous pas qu'il est dérisoire de prétendre qu'un supplément de billets est nécessaire pour tenir lieu des pièces de 20 fr. qui n'existent pas dans la circulation ? N'avez-vous pas compris qu'il n'y a rien à substituer à une monnaie dont le pays n'use pas ? Si j'adoptais le système auquel on me convie d'adhérer, de faire entrer dans la circulation les pièces de 20 fr. ; si j'acceptais le pouvoir que vous voulez me donner et que je répudie, de démonétiser ensuite ces pièces quand elles (page 400) auront pénétré dans la circulation ; comme j'enlèverais, en ce cas, un élément de circulation, un agent indispensable pour les échanges, c'est alors que la mesure deviendrait profitable à l'établissement auquel vous faites allusion.

Voilà ce que vous n'avez pas compris ! Dans l'étal actuel des faits, il n'y a rien dans le projet qui puisse agir sur la circulation, dans le sens que vous vous plaisez à signaler. Le caractère de ce projet, c'est sa parfaite innocuité. Vous avez, dites-vous, l'espérance de procurer quelque bien au pays ; c'est derrière cette vague espérance que vous vous retranchez. Mais si, dans l'espoir d'un bien minime, très problématique, vous rejetez ma proposition, vous courez la chance, presque certaine, d'exposer le pays à de grandes pertes. Si vous l'adoptez, vous ne pouvez lui faire aucun mal.

Cette proposition, à mon sens, ne peut pas rencontrer une opposition sérieuse, fondée en raison. Aujourd'hui, tous les faits qui nous arrivent prouvent de plus en plus la nécessité d'opérer comme le propose le gouvernement. Le cours du change nous arrive encore en baisse ; tout ce qui peut contredire les espérances que quelques membres ont fait entendre dans cette enceinte, se révèle de jour en jour. Le cours du change sur Londres nous arrive d'Anvers à 24-75 et 24-70 : à Paris aussi il est encore tombé. Dès lors, voici l'opération fort simple qui se fait : on achète sur ces places du Londres aux cours que je viens d'indiquer, on fait encaisser sa lettre de change à Londres, on se fait expédier des souverains qu'on porte à la monnaie de Paris, qui les transforme en pièces de 20 fr., sur lesquelles on obtient ainsi un bénéfice très notable. Cette opération se fait sur une grande échelle.

On s'inscrit à la monnaie de Paris. On ne peut plus obtenir de bons de monnaie. Les contrôleurs au change vont aussi lentement que possible. Telle personne arrivée au bureau de contrôle à neuf heures du matin (le fait est positif) et qui a reçu le n° 6, a vainement attendu jusqu'à la fermeture des bureaux ; et le n°8 seulement a obtenu le bon de monnaie dont il avait besoin. L'or présenté jusqu'à ce jour ne pourra pas être battu avant la mi-janvier, tant la quantité de lingots présentée à la monnaie, de Paris est considérable, et pourtant on en frappe pour un million par jour.

Quelles sont les causes de cette situation si grave ? Avons-nous besoin de les rechercher d'une manière positive ? Bien des causes exercent ici leur influence.

Ainsi, d'après un document officiel qui a été mis hier sous nos yeux, des quantités considérables de coton sont arrivées la semaine dernière à Liverpool ; on y a reçu 50 mille balles valant 19 millions de fr. Il faut en acquitter la valeur. C'est, selon quelques-uns, une des causes de la baisse du change ; elle vient coïncider avec la dépréciation du prix de l'or ; elle l'aggrave, je le veux bien. Mais il est évident que, isolée, elle serait insignifiante. Il y a d'autres causes et, selon toutes les probabilités, bien autrement durables, qui engendrent la perturbation dont les populations se préoccupent avec tant de raison. Une telle situation peut-elle vous laisser indifférents ? Y a-t-il quelques mesures à prendre ? Faut-il les prendre aujourd'hui ? Faut-il attendre que le mal se réalise ? Parce que d'autres pays, placés dans des conditions entièrement différentes, paraissent encore s'abstenir, est-ce une raison pour nous de ne pas agir ?

On vous dit : L'Angleterre ne se préoccupe pas de cette situation. On disait hier : La France ne s'en préoccupe pas ; il faut aujourd'hui renoncer à ce thème ; elle s'en préoccupe. Mais pour ces puissances, c'est une chose très grave, immense, que de prendre une résolution.

Je ne reproduirai pas la réponse qui a été faite par l'honorable M. de Brouwer de Hogendorp à l'honorable M. Malou sur ce point. Mais à part cette considération tirée de l'intérêt que peut avoir l'Etat en cette circonstance, que voulez-vous que fassent ces gouvernements, au point de vue de l'intérêt général de leur pays ?

Que voulez-vous que fasse l'Angleterre ?

C'est un problème qui occupera probablement pendant longtemps les hommes les plus compétents.

En France, que voulez-vous qu'on fasse ? Suspendre le battage de l'or ? Je le conçois. Mais le démonétiser, le retirer de la circulation ! Ah ! c'est, à mes yeux, une question qui mérite sérieusement d'être examinée pour elle.

Mais, pour vous, comment pouvez-vous hésiter ? Comment ! Depuis 20 ans, vous avez la circulation autorisée, légale des pièces de 20 et dé 40 fr. Vous ne les avez jamais vues dans votre circulation ; elles ne peuvent y entrer que lorsque cette circulation est de nature à nuire au pays. Et vous voulez absolument attendre ! Il faut attendre que le mal se produise ! Pour appliquer le remède, il faut attendre qu'il y ait au moins un peu de mal ! Mais j'aime mieux prévenir ce mal ; car voilà toute la différence qu'il y a entre mon avis et le vôtre.

Je pose ce dilemme, dont on ne sortira pas : ou l'or haussera, ou il baissera. Si l'or hausse, vous n'aurez pas les pièces de 20 fr. Si l'or baisse, comme elles vous seront alors préjudiciables, vous les aurez. Est-ce là ce que vous voulez ?

Je vais plus loin. On trouve, paraît-il, un très grand bien à voir éventuellement arriver, dans les circonstances où nous sommes, des quantités notables d'or de France. On trouve apparemment qu'il serait utile que notre circulation se transformât. On ne se demande pas s'il sera facile de faire les affaires avec des coupures de 20 fr. C'est indifférent ! On ne s'y arrête pas. Alors permettez-moi de vous dire que vous ne faites pas la proposition que vous devez faire ; je vais vous l'indiquer, et si vous reculez devant cette proposition, vous avouez que votre opposition ne doit pas être écoutée.

Il y a, si votre opinion est admissible, une bonne opération à faire : c'est de remettre en vigueur la loi du 5 juin 1832 et de battre des pièces de 20 fr. Vous pouvez acheter à bas prix de l'or à Londres, le transformer en pièces de 20 fr., et faire ainsi un bénéfice notable. Dites donc que vous ne laisserez pas entrer la monnaie d'or étrangère, et fabriquez des pièces de 20 fr. Vous aurez les pièces de 20 fr. que vous voulez et vous aurez un bénéfice.

Eh bien, vous ne ferez pas cette proposition ; personne ici ne voudrait la signer. Or, que nous proposez-vous ? De recevoir la pièce de 20 fr. et de laisser à d'autres le bénéfice ; de permettre qu'on fasse à Paris, au lieu de faire à Bruxelles, des pièces de 20 fr. que la France vous enverra et dont elle fera le bénéfice. Voilà ce que vous nous proposez.

On nous dit : Quels sont, au surplus, les grands inconvénients qu'il y aurait à cela pour le pays ? Nous sommes aux portes de la France ; si elle touche à son système monétaire, il sera temps d'aviser ; nos nationaux pourront aller changer les 20 fr. en France. Mais d'abord, la France admettra-t-elle l'échange ? L'honorable M. Malou fait un signe de doute.

M. Malou. - Je ne doute pas.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous ne doutez pas. Eh bien, nous raisonnerons dans toutes les hypothèses. Que vous doutiez, que vous affirmiez, nous examinerons.

La France, dites-vous, puisque vous ne doutez pas, ne pourrait pas ne pas opérer l'échange. En êtes-vous bien sûr ? La question est-elle si simple que l'on ne puisse hésiter ? Est-ce que je ne vous propose pas, sans contradiction de votre part, de la résoudre ici en sens contraire ? Est-ce-que vous faites à l'Etat une obligation d'opérer l'échange des pièces de vingt francs ? Or, ne pourrait-on pas prétendre que notre situation est la même que celle de la France ?

Que fait la France ? Chez elle, la fabrication de l'or est illimitée ; elle n'est pas faite, comme ici, par l'Etat, pour son compte, comme l'était en Hollande la fabrication des 10 florins.

Le gouvernement français inscrit sur des lingots d'or d'une forme déterminée, le titre et la valeur ; elle ne se réserve aucun bénéfice ; elle retient exclusivement les frais de fabrication ; rien de plus. Elle imprime, en outre, le caractère de monnaie légale, à ces pièces de 20 francs.

Que faites-vous ? Vous laissez fabriquer dans un autre pays ; puis vous imprimez également à ces pièces le caractère de monnaie légale. Il y a cette différence que ce n'est pas chez vous que les pièces sont fabriquées.

Mais à part cela, ne pourrait-on pas soutenir que vous avez assumé la même responsabilité, si un tel acte engendre la responsabilité pour l'Etat ? Ne vous semble-t-il pas que la difficulté est assez sérieuse pour que l'on y réfléchisse ; que le doute est permis, excepté pour l'honorable M. Malou ; et qu'il est loin d'être démontré que dans le cas où l'or serait démonétisé en France, des bureaux d'échange y seraient ouverts ?

Mais, tenons que la France est obligée d'opérer l'échange, qu'elle ne puisse se borner à dire que les pièces de 20 francs cessent d'avoir cours légal. Mais elle est placée en face d'une impossibilité. Comment voulez-vous qu'elle opère ? Comment voulez-vous qu'elle retire de la circulation 5 à 6 cents millions 1À Que voulez-vous qu'elle mette à la place ? Elle fera l'échange, si elle y est tenue, soit, mais comme la nécessité sera plus forte que son plus ardent désir de loyauté, elle fera ce qu'a fait la Hollande dont vous n'avez pas suspecté la loyauté.

Elle attendra le moment qui lui paraîtra le plus favorable ; puis inopinément, elle démonétisera, et accordera un très bref délai pour opérer l'échange. C'est ce qu'a fait la Hollande. Croyez-vous que nous étions restés indifférents à ce qui allait se passer en Hollande ? Pensez-vous que nous n'avions pris aucune précaution pour être éclairés sur la détermination du gouvernement hollandais ? Mais le gouvernement hollandais gardait parfaitement son secret. La Banque d'Amsterdam elle-même n'a connu la mesure que le jour même où elle a été prise. Personne, si ce n'est le ministre des finances, ne la connaissait la veille du jour où elle a été publiée.

Messieurs, le gouvernement hollandais a agi ainsi notamment en vue de la Belgique. Il avait à craindre que les quantités d'or que nous détenions ne vinssent lui causer les plus graves embarras. Le montant des bons de monnaie mis à sa disposition par la loi n'a pas suffi ; il a dû faire un emprunt par dépôt de titres de rente à la banque d'Amsterdam. _

Croyez-vous, avec l'honorable M. Cools, que ceci soit ce qu'il appelle encore une ruse de guerre pour vous faire redouter les inconvénients d'une mesure analogue qui serait prise en France ? Messieurs, ce que j'ai l'honneur de vous dire résulte de documents officiels.

Le ministre des finances de Hollande a rendu récemment un compte sommaire de l'échange des pièces de 5 et de 10 fl., et voici comment il s'exprime relativement à la Belgique :

« La quantité des pièces échangées et données en payement durant le mois de juillet, a dépassé, en quelque façon, l'attente qu'où s'en était faite. La mesure prise en Belgique à l'égard de cette sorte de monnaie, où on l'a subitement démonétisée quoiqu'elle y fut aussi monnaie légale, (page 401) sans donner auparavant aucune occasion de l'échanger, a sans doute contribué à augmenter beaucoup, dans ce pays-ci, les demandes de l'échange.

« La somme qui a afflué dans le trésor pendant le temps accordé pour l'échange et dans le mois de juillet, durant lequel la monnaie d'or a encore été admise pour les payements faits à l'Etat, a comporté environ cinquante millions de florins. »

Ainsi on s'était préoccupé de la Belgique. On n'avait garde d'avertir les voisins ; on tenait la mesure parfaitement secrète. C'est ainsi que la France serait obligée d'opérer.

Messieurs, qu'est-il arrivé pour les guillaumes, quant à la Belgique ? N'y a-t-il pas eu une perte considérable pour vos nationaux ? Le pays n'a-t-il pas subi un préjudice notable ? Ne continue-t-il pas à le subir ? Et sur qui pèse-t-il principalement ? Sur les moins riches, sur les petits détenteurs de cette monnaie ; il pèse principalement sur les gens de la campagne qui, par suite de leur manie de thésauriser et de conserver les pièces d'or, sont précisément ceux qui subissent les conditions les plus défavorables, lorsque des perturbations monétaires arrivent.

Eh bien, vous aurez absolument, identiquement la même chose si, comme vous le supposez, la France démonétise son or et que vous attendiez jusque-là pour agir. Est-ce que vous ignorez que les guinées anglaises, qui d'abord étaient suspectes aux paysans, s'étaient cependant introduites très avant parmi les populations ? N'y en avait-il pas en grandes quantités à la campagne ?

Eh bien, les pièces de 20 fr., si vous continuez le système actuel, deviendront aussi très abondantes chez vous, elles pénétreront partout, elles iront là où elles étaient inconnues, et le jour de la démonétisation, vous ferez subir sans nécessité aucune, une perte à cette classe nombreuse de citoyens.

Messieurs, l'honorable M. Malou a cru devoir s'occuper de la loi de 1847 dont j'avais seulement dit quelques mots en passant et parce que lui-même en avait parlé.

Je persiste à soutenir que la loi de 1847 a autorisé l'émission d'une monnaie dans de mauvaises conditions, contrairement à tous les sains principes en matière de fabrication, et je dis que la loi le prouve elle-même puisqu'elle a limité la fabrication à 20 millions.

M. Malou. - C'est le système ; on a expliqué cela dix fois.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, on a expliqué cela dix fois, mais jamais on ne l'a expliqué d'une manière satisfaisante et jamais on ne l'expliquera.

Qui dit monnaie dit un instrument d'échange, et un instrument d'échange qu'on limite par la loi même à une certaine somme, sans prendre en considération les véritables besoins de la circulation, est réellement une chose qui est incompréhensible. Que l'on dise que l'on voulait se donner le plaisir de fabriquer des pièces d'or à l'effigie de la nation belge, soit ; je le concède ; c'est un amusement tout comme un autre.

Mais on a reconnu qu'on ne pourrait permettre à tout le monde, quels que fussent les besoins de la circulation, de transformer son or en pièces de ce genre ; on a même cru qu'il n'était pas possible de donner au gouvernement le pouvoir d'en laisser fabriquer hors de certaines limites ; on a borné l'émission à 20,000,000, on a par cela même condamné le principe de la loi.

L'honorable M. Malou nous dit : La politique nouvelle est bien un peu coupable des millions qui ont été émis de cette monnaie. Erreur. La politique nouvelle n'en est point coupable.

La loi existait, elle devait être exécutée ou rapportée. Il n'est pas ordinaire, à moins de circonstances spéciales, que l'on propose le rappel de lois qui viennent d'être votées. Mais, à part cette circonstance, j'ai fait observer à l'honorable M.. Malou, en l'interrompant, et les pièces le constatent, qu'une convention avait été faite par l'honorable M. Malou lui-même, pour la fabrication de dix millions de pièces d'or.

Mou honorable prédécesseur, M. Veydt, n'a fait que ratifier cette convention ; c'est donc inutilement que l'honorable M. Malou fait remarquer que les pièces ont été émises après sa sortie du ministère.

Il est vrai que, depuis lors, on a autorisé l'émission de 4,600,000 fr. Mais dans quelles conditions a-l-on autorisé cette fabrication ?

On a autorisé la fabrication de 5 millions, en 1848, parce que la circulation était gênée, qu'on avait été obligé de donner cours légal aux monnaies étrangères, et qu'il était important de l'empêcher d'affluer dans le pays.

J'ai ensuite autorisé la fabrication de 1,600,000 fr. Dans quelles circonstances ?

Lorsque la Société Générale, au moment de l'échange des souverains anglais est venue déclarer qu'il lui était impossible de faire le service du trésor ; lorsqu'elle est venue me proposer d'envoyer des souverains anglais à Paris, à un taux onéreux, pour avoir des pièces de 5 francs. Alors j'ai pris des mesures. Et parmi ces mesures était celle de fabriquer de l'or, afin de n'interrompre aucun service. Mais si, en pareil cas, j'avais dû faire fabriquer d'autre monnaie encore plus mauvaise que celle-là, pour ne pas laisser la situation en péril, j'en aurais fait fabriquer sans hésiter. Mais n'ai-je pas assumé les embarras et la responsabilité de l'exportation des souverains, plutôt que de les faire transformer, avec bénéfice pour le trésor, en pièces de 25 francs ? Ce fait n'exprime-4-il pas suffisamment mon opinion sur la loi de 1847 ?

Messieurs, les considérations qui ont été présentées par l'honorable M. T'Kint de Naeyer ne sont pas hostiles au projet du gouvernement.

L'honorable membre adopte l'article premier et l'article 2 du projet ; il voudrait seulement faire modifier l'article 3 ; il voudrait que cet article contînt seulement pour le gouvernement l'autorisation de démonétiser les pièces de 20 fr.

Je déclare que j'userais de cette autorisation sans trop de retard. Les raisons que j'ai fait valoir, la conviction dont je suis pénétré, doivent le démontrer clairement à la chambre.

Je n'insisterai donc pas sur une formule plutôt que sur une autre, mais je crois que celle qui est proposée par le gouvernement vaut infiniment mieux, parce qu'elle fait disparaître immédiatement tous les doutes.

L'honorable membre émet l'opinion qu'il faudrait peut-être, ultérieurement, introduire quelques modifications aux statuts de la Banque Nationale, en ce sens, que ses billets devraient avoir un cours légal. Cette proposition a été énoncée lorsque nous avons discuté le projet de loi relatif à l'institution de la Banque. On n'a pas pensé que, dans les circonstances où la constitution de la Banque avait lieu, lorsqu'il s'agissait de rétablir la convertibilité du papier, il convînt de donner ce caractère aux billets de la Banque, le pays n'étant pas familiarisé avec un pareil système.

La mesure que je convie la chambre à prendre ne rend plus nécessaire une disposition de ce genre. Au surplus, on peut attendre ; rien n'est urgent à cet égard.

L'honorable rapporteur m'a posé, en terminant, une question relativement à l'article 2. Il veut savoir si j'entends, oui ou non, démonétiser.

M. Cools, rapporteur. - Si vous entendez démonétiser uniquement dans le cas où la baisse de l'or deviendrait encore beaucoup plus forte qu'elle n'est.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je ne comprends guère la question qui m'est posée.

Vous me demandez si je veux démonétiser immédiatement les pièces de 25 fr. C'est la question qui m'a été faite par la commission.

J'ai répondu à la commission, et je suis étonné que l'honorable membre ait pu trouver là un manque de franchise, J'ai répondu à la commission : S'il se présente des circonstances qui rendent nécessaire le retrait de cette monnaie, même avec une plus grande perte que celle qui existerait aujourd'hui ; si ces circonstances sont telles que mon devoir me commande d'opérer le retrait, je le ferai ; si, au contraire, ainsi que vous l'espérez, ainsi que vous l'avez soutenu, il y a hausse à un moment donné, comme je ne crois pas que cette hausse puisse être continue ; que si je puis faire la concession d'une hausse accidentelle, je ne puis pas admettre comme probable une hausse permanente, je dis que ce moment serait très heureux et que le gouvernement devrait le saisir pour atténuer la perte de la démonétisation.

M. Cools, rapporteur. - Ainsi, vous démonétiserez, dans tous les cas.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne comprends pas qu'on rapporte la loi de 1847, et qu'on maintienne sans nécessité dans la circulation les pièces fabriquées en vertu de cette loi.

Je le répète, il peut y avoir peu d'inconvénient à les laisser dans la circulation pendant un temps plus ou moins long ; je ne vois pas la nécessité actuelle de les retirer ; mais je raisonne dans toutes les hypothèses, et je dis : Ou bien il y aura nécessité d'opérer le retrait parce que la baisse de l'or continuera ou qu'il se présentera quelque autre danger, tel que ceux qui ont été signalés par M. Osy ; ou bien, comme vous le présumez, l'or remontera, il y aura moins de perte à démonétiser et j'userai de la disposition, j'opérerai le retrait.

M. T'Kint de Naeyer. - Je conviens, messieurs, que la différence qui existe entre l'opinion de M. le ministre des finances et la mienne, n'est pas fort grande. M. le ministre des finances croit qu'il faut démonétiser les monnaies d'or étrangères sans trop de retard ; moi, je veux, au contraire, lui laisser le temps de prendre quelques mesures que je crois utiles, que je crois même indispensables, pour ne pas compliquer les embarras de la circulation. M. le ministre des finances dit : Mais il n'y a rien de changé dans la circulation. Il n'y a rien de changé tout d'abord, mais le retrait de la monnaie d'or n'exercera-t-il aucune influence sur la circulation ? Vous avez 14 millions d'or belge, il doit y avoir au moins un million de napoléons. Direz-vous aussi que la cessation du cours forcé n'est rien, qu'il ne faut pas s'en préoccuper ? Sous ce rapport il m'est impossible d'admettre le raisonnement de M. le ministre des finances.

La Belgique n'est pas familiarisée avec le cours légal des billets, et depuis deux ans nous avons le cours forcé !

Jamais la transition ne sera aussi facile, jamais les circonstances ne s'y prêteront mieux.

En présence de ce qui existe, il s'agit d'une amélioration. Le billet reste monnaie légale, mais il devient échangeable contre écus. La différence est énorme.

Je n'ai pas l'intention de discuter la question pour le moment, mais je suis convaincu que l'on sera obligé d'y revenir.

Je termine, messieurs, en répondant un mot à l'honorable M. Malou, qui m'a reproché d'avoir commis une erreur de fait. L'honorable membre prétend qu'aucune économie n'a été réalisée sur le service du caissier de l'Etat.

(page 402) Autrefois, l'on payait 200,000 francs à la Société Générale ; il y avait, en outre, les frais résultant de l'administration du trésor dans les provinces. Aujourd'hui nous ne pavons plus à la Banque Nationale que 200,000 fr., l'économie de 50,000 fr. a servi à améliorer le service du trésor dans les provinces. La somme globale qui figure au budget est la même, cela est vrai ; mais nous avons aujourd'hui des agents dans les arrondissements et non plus seulement aux chefs-lieux des provinces. Le service a été complètement réorganisé, et notablement améliore sans accroissement de dépenses.

C'est ainsi que les pensions de l'Etat, celles de la caisse générale de retraite, les coupons de la dette inscrite pourront être payes aux chefs-lieux d'arrondissements. Avec l'ancienne organisation, des augmentations de dépenses de ce chef étaient inévitables. J'ai donc eu raison de dire qu'une économie avait été réalisée.

- La clôture est demandée et prononcée.

La chambre passe à l'examen des articles.

Discussion des articles

Article premier

« Art.1er. L'article premier de la loi du 31 mars 1847, décrétant la fabrication de pièces d'or de 10 et de 25 francs, est rapporté. »

- Adopté.


Article 2

« Art. 2. Le gouvernement est autorisé à faire cesser le cours légal de ces pièces fabriquées jusqu'à concurrence de 14,646,025 francs.

« Avant de faire usage de ce pouvoir, il fixera un délai pour les échanger dans les caisses de l'Etat au taux de leur valeur nominale. »

- La commission propose la suppression de cet article.

M. Mercier. - Messieurs, dans la discussion de la loi de 1847 j'ai critiqué quelques-unes de ses dispositions, notamment la création des pièces de 25 fr. et de 2 fr. 50. J'ai cherché à faire donner aux pièces d'or la valeur intrinsèque la plus élevée qui fût compatible avec la possibilité de fabriquer, et je n'ai accepté une disposition intermédiaire entre l'amendement que j'avais admis au premier vote, et la proposition du gouvernement que parce que M. le ministre avait fait la déclaration formelle que la fabrication était impossible aux conditions qui résultaient de mon amendement. J'ai reconnu d'ailleurs et il faudrait être étranger aux plus simples notions des règles qui déterminent la valeur des choses pour ne pas reconnaître qu'un système monétaire basé sur deux étalons ne peut avoir qu'une durée éphémère et doit être modifié après un temps plus ou moins long. Mais, messieurs, est-ce une raison pour moi de voter la suppression de tous les effets de la loi de 1847 ? Je ne le crois pas.

Messieurs, deux hypothèses peuvent se présenter : ou la dépréciation de l'or sera permanente, ou elle sera temporaire, et le prix de l'or se relèvera.

Plusieurs honorables membres ont indiqué les causes qui ont amené la baisse de l'or ; mais, si ce n'est il y a quelques instants, vous n'avez pas entendu un seul orateur s'exprimer d'une manière absolue sur la question de savoir si cet effet doit continuer à se produire. M. le ministre des finances lui-même, dans la première partie de la discussion générale, n'avait fait qu'émettre des doutes à cet égard. M. le ministre des finanças semble avoir changé d'opinion tout à l'heure ; car il paraît maintenant croire qu'il est impassible que la baisse ne soit que temporaire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas dit cela. J'ai raisonné dans les deux hypothèses.

M. Mercier. - Ainsi M. le ministre des finances conserve des doutes et admet encore qu'il soit possible que la baisse de l'or ne se maintienne pas. Eh bien, messieurs, si la baisse continuait, je conçois que, pour préserver le pays d'une perte considérable, on se détermine à supprimer les pièces d'or que nous avons fabriquées, sans égard à certaines conséquences fâcheuses de ce retrait.

Mais je ne comprends pas que si un mouvement de hausse se manifeste, M. le ministre choisisse ce moment pour faire disparaître cette monnaie ainsi qu'il l'a déclaré dans la séance d'hier. Si les faits accomplis jusqu'à ce jour laissent des doutes dans son esprit sur le caractère de permanence de la baisse, comment un mouvement de hausse ne viendrait-il pas augmenter son hésitation et le faire pencher un peu plus vers l'opinion de ceux qui pensent que la baisse ne sera que temporaire ? Ce mouvement ne serait-il pas tout au moins un indice que l'écart qui existe aujourd'hui dans la proportion de la valeur de l'or et de l'argent n'aura pas plus de durée qu'il n'en a eu à tant d'autres époques qui ont été citées dans la discussion et que je ne rappellerai pas pour ne pas occuper trop longtemps la chambre ? Il serait, à mon avis, tout à fait illogique d'opérer le retrait de l'or dans de telles circonstances ; c'est une faculté que je ne puis accorder au gouvernement, surtout après les déclarations qui ont été faites.

Je ne vois aucune nécessité d'investir M. le ministre des finances de ce pouvoir pendant que les chambres sont réunies, et j'y trouve au contraire de graves inconvénients. Il est bien entendu que je ne veux parler que de la monnaie d'or fabriquée dans le pays ; car je ne partage pas la même opinion à l'égard des monnaies étrangères dont il est fait mention à l'article 3.

Maintenant que notre monnaie d'or est entrée dans la circulation ; qu'il est dans les habitudes du pays d'en faire usage ; son retrait produirait nécessairement de fâcheux effets ; il créerait une situation jusqu'ici inconnue en Belgique, où jamais on n'a été entièrement privé de monnaie d'or, ce qui arriverait infailliblement, puisqu'on même temps nous proscrivons toute monnaie d'or étrangère. Cet état de choses amènerait évidemment quelque perturbation qu'il faut éviter à moins d'une nécessité impérieuse.

Nous sommes en permanence pendant cinq ou six mois encore ; en cas d'urgence, une loi serait bientôt votée. Des pouvoirs extraordinaires sont donc inutiles.

Il me semble que l'honorable M. T'Kint de Naeyer, qui a conseillé tout à l'heure d'attribuer un cours légal aux billets de banque, aurait dû rattacher cette observation, non à l'article 3, mais à l'article 2 ; car, ainsi qu'on l'a fait observer, la monnaie d'or étrangère, ayant cours dans le pays, n'entre que pour une part presque imperceptible dans la circulation. Ce ne serait donc pas l'adoption de l'article 3 qui pourrait donner lieu au cours légal de billets de banque : je dirai, en passant, que c'est d'ailleurs une mesure contre laquelle je me prononce de la manière la plus formelle. De graves événements nous ont obligés de donner un cours forcé aux billets de banque ; cette mesure doit cesser aussitôt que les circonstances le permettront ; gardons-nous de substituer le cours légal au cours forcé, et d'entrer ainsi dans la voie du papier-monnaie.

Dans tous les cas, ce cours légal ne peut avoir ni pour prétexte, ni pour cause, l'adoption de l'article 3, parce que, je le répète, la monnaie française n'existe que très peu ou n'existe point dans notre circulation.

Je me prononcerai contre l'article 2. Je ne veux pas que notre système monétaire soit en fait modifié par un vote jeté presque au hasard dans une loi de circonstance.

M. le ministre des finances est, d'ailleurs, libre de présenter un projet de loi pour modifier le système monétaire actuel, projet qui sera mûrement examiné et discuté, comme doit l'être tout projet de ce genre, c'est-à-dire lorsque nous aurons eu tout le temps nécessaire pour le bien apprécier. Agir autrement sans nécessité impérieuse, c'est démolir avant d'avoir réédifié.

M. Osy. - Messieurs, par l'article premier du projet dont la commission, à l'unanimité, a proposé l'adoption, et que la chambre votera aussi très probablement à l'unanimité, on décide qu'il ne sera plus frappé de monnaie d'or belge ; je trouve dès lors qu'il y aurait une véritable inconséquence à ne pas donner au gouvernement la faculté qu'il demande, de retirer de la circulation les 14 millions de monnaie d'or belge qui s'y trouvent actuellement.

Depuis la présentation du projet de loi, les circonstances sont bien changées ; en France, du jour au lendemain, l'assemblée nationale législative peut décréter qu'on ne frappera plus de monnaie d'or ; dans cette hypothèse, où s'arrêtera, je le demande, la perte que nous éprouvons aujourd'hui ?

Aujourd'hui, nous avons un marché ouvert, c'est celui de France. Eh bien, si la France décrétait subitement qu'on ne frappera plus des pièces de 10 et de 20 fr., on sera obligé d'envoyer à Londres l'or qu'on retirera de la circulation ; notre perte sera bien plus considérable que celle que nous éprouvons actuellement à Paris, elle pourra être d'au-delà d'un million.

Il serait très imprudent de ne pas armer le gouvernement du pouvoir qu'il demande, de retirer de la circulation les 14 millions de monnaie d'or qui ont été fabriqués dans le pays ; le gouvernement usera de ce pouvoir sous sa responsabilité, et je suis persuadé que même avant notre retour, les circonstances qui surgiront chez nos voisins obligeront le gouvernement d'user de l'autorisation qui lui sera accordée.

Je pense donc que la chambre ne peut se refusera voter l'article 2.

Je me réserve de parler sur l'article 3, lorsqu'il sera mis en discussion.

Je dirai maintenant quelques mots au sujet des billets de banque. Tous, nous devons désirer que le cours forcé des billets de banque vienne à cesser. Par conséquent, je ne conçois pas qu'aujourd'hui que le pays jouit d'une tranquillité profonde, on vienne encore demander le cours forcé des billets de banque, quand c'est avec le plus grand regret qu'en 1 848 nous avons accordé ce cours forcé...

M. T’Kint de Naeyer. - J'ai parlé du cours légal, et non pas du cours forcé des billets de la Banque Nationale.

M. Osy. - Quant aux particuliers, la banque fera les payements en billets de banque ; mais il y aura à côté une caisse où l'on pourra échanger des billets contre des pièces de 5 francs. Les billets de banque auront donc cours légal.

M. Cools, rapporteur. - Messieurs, je serai extrêmement bref ; la chambre paraît fatiguée de la discussion, je ne dirai que deux mots pour lui faire connaître la portée du vote qu'elle est appelée à émettre.

Il ne peut plus y avoir de doute sur le sens de la faculté dont le gouvernement demande à être armé : le gouvernement veut en tout état de cause retirer l'or belge de la circulation. Eh bien, qu'on ne perde pas de vue cette circonstance : c'est qu'ici les particuliers sont complètement désintéressés ; la question pour l'or belge est toute autre que pour l'or français des particuliers ne peuvent pas être lésés ; il s'agit donc ici de s'occuper uniquement des intérêts du trésor public.

Demandons-nous dès lors s'il est de l'intérêt du trésor public de réaliser l'opération pour laquelle M. le ministre des finances demande des pouvoirs à la chambre ?

La situation est en ce moment extrêmement défavorable. Si l'opération se faisait demain, la caisse de l'Etat supporterait une perte de 300,000 francs. Et c'est dans de telles conditions qu'on parle de démonétisation ?

Quelles sont les chances à courir si, pour le moment, on renonce à la mesure, quitte à j revenir plus tard, s'il le faut ? Je crois que ces conditions seront améliorées et j'ai déjà dit mes raisons.

M. le ministre est d'un avis contraire. Aujourd'hui il voit tout en noir. L'avenir lui paraît très effrayant. Ce n'était pas le langage qu'il tenait hier. Il nous a dit alors qu'il admettait aussi bien la possibilité du bien que la possibilité du mal.

(page 403) D'où vient ce revirement subit ? Aucun fait nouveau ne s'est cependant produit ou plutôt, oui, une communication nous a été faite ; mais elle est bien plutôt de nature à nous rassurer qu'à augmenter nos inquiétudes. L'honorable M. Anspach nous a parlé de nouvelles qu'il avait reçues de Paris ; que portent-elles ?

La commission nommée par le gouvernement à l'effet d'examiner le parti qu'il y a à prendre à l'égard de la crise monétaire, se serait arrêtée à une seule mesure : elle proposerait pour la France ce que nous sommes tous d'accord à demander pour la Belgique, à savoir de cesser à l'instant toute nouvelle fabrication de monnaie d'or.

Je ne sais pas jusqu'à quel point ces renseignements qui ne sont pas officiels peuvent être tenus pour entièrement exacts, mais si le travail de la commission française ne doit pas aboutir à d'autres propositions qu'à celle-là, ce serait le cas de se rappeler la fable de la Montagne en travail, et quoi qu'en pense l'honorable membre qui nous a fait cette confidence, bien loin de croire qu'un tel résultat soit de nature à donner une nouvelle impulsion à la baisse, il faudrait plutôt en attendre un effet tout contraire.

Que craint-on en ce moment ? C'est que la France ne suive l'exemple qu'on veut nous faire donner, c'est qu'elle ne démonétise son or. Mais lorsqu'on s'apercevra que rien ne doit être changé dans les conditions de la circulation, que seulement on n'augmentera plus la quantité lancée sur le marché, on ne tardera pas à se rassurer.

Je crois que nous ne devons pas nous presser, que nous ne devons pas accorder au gouvernement les pouvoirs qu'il demande. Il sera cependant bien entendu, comme l'honorable M. Mercier l'a expliqué, que si nous prenons ce parti, c'est parce que nous sommes au commencement d'une session, et que si les circonstances venaient plus tard à changer, le gouvernement pourra nous soumettre telle proposition qu'il jugera convenable.

M. Malou. - J'avais l'intention d'ajouter quelques mots, mais en voyant ce qui se passe, je me sens plutôt disposé à demander la clôture. Le danger s'accroît de moment en moment. Hier nous ne paraissions être menacés que d'une perte de 1 1/2 p. c ; aujourd'hui au début de la séance, selon l'honorable M. Anspach, la perte pouvait s'élever à 3 p c. environ. S'il faut en croire l'honorable M. Osy, la perte pourrait bien être d'un million, c'est à-dire à peu près de 7 1/4 p. c.

Il est urgent de voter la loi, car, pour peu que le débat se prolonge, les pièces de 10 et de 25 francs seront repoussées par tout le monde et ne vaudront absolument plus rien.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est pas à M. Malou que je désire répondre, car ce qu'il vient de dire n'est pas sérieux et il ne l'a pas dit sérieusement, mais je veux répondre un seul mot à l'honorable M. Mercier et à l'honorable rapporteur do la commission.

D'après l'honorable rapporteur, il est indubitable que le gouvernement va retirer les pièces de 25 francs de la circulation ; il le fera immédiatement, sur-le-champ. J'ai beau me défendre, j'ai beau affirmer à l'honorable membre que je ne retirerai ces pièces de la circulation que pour autant qu'il devienne nécessaire de le faire ; je lui assure en vain que je ne veux pas charger inutilement le trésor d'une perte de deux ou trois cent mille francs ; l'honorable membre ne consent pas à renoncer à l'opinion qu'il m'attribue ; je renonce donc à essayer de le convaincre.

Il peut arriver des circonstances où l'on soit obligé de les retirer, l'honorable M. Mercier le reconnaît ; mais que dit-il ? Les chambres sont assemblées et elles pourront, si les circonstances se présentent, remettre encore cet objet en délibération. Toute la conclusion de cet honorable membre consiste donc à soutenir qu'il faut attendre jusqu'au dernier jour, de la session avant de prendre un parti. Eh bien, il est évident que, dans les circonstances où nous nous trouvons, il est impossible de ne pas statuer dans un sens ou dans l'autre.

Il faut statuer aujourd'hui ; que la chambre prenne la responsabilité, si elle le croit utile, du refus d'accorder au gouvernement l'autorisation qu'il demande. Si l'on adoptait l'opinion de M. Mercier, et que les circonstances dont il parle ne vinssent pas à se révéler pendant la session, il en résulterait que le gouvernement serait sans pouvoirs, et cependant l'honorable membre avoue, qu'il se peut qu'il y ait, à un moment donné, nécessité de retirer les 25 fr. de la circulation.

Le ministre des finances, a dit un honorable membre, a bien peur de l'or ! Vous vous trompez, nous n'avons aucune frayeur de ce genre, pour nous, gouvernement, nous n'avons rien à craindre, absolument rien ; c'est la préoccupation de l'intérêt du pays qui seule nous fait agir.

- L'article 2 est mis aux voix et adopté.


Article 3

« Art. 3. (Projet du gouvernement.) Les monnaies d'or étrangères cessent d'avoir cours légal en Belgique. »

Amendement de la commission :

« Le gouvernement est autorisé à mettre hors de cours, par arrêté royal, les monnaies décimales d'or françaises, si le système français venait à être modifié. »

M. T'Kint de Naeyer propose l'amendement suivant :

« Le gouvernement est autorisé à faire cesser, par arrêté royal, le cours des monnaies d'or étrangères. »

M. De Pouhon. - Vous votez ce projet de loi, messieurs, sous l'impression des exagérations des orateurs qui le défendent. M. le ministre des finances a dit qu'il choisirait un moment opportun pour retirer noire monnaie d'or de la circulation, que si des circonstances favorables se présentaient, il en profiterait.

Eh bien ! messieurs, la raison qui vous détermine à voter la loi n'admet pas qu'il puisse se présenter des circonstances favorables. On fait craindre une baisse progressive, énorme sur l'or ; l'opportunité serait donc immédiate. Si le gouvernement attend des circonstances favorables et qu'elles surviennent, c'est que vos prévisions seront trompées et que vous aurez eu tort d'adopter les mesures proposées.

Le projet de loi ne peut faire du mal, dit-on ; nous en raisonnons fort à notre aise ici, mais il est de fait que la seule présentation du projet de loi a produit un mal énorme dans le pays, et dans les campagnes plus que dans les villes. J'ai à chaque heure du jour l'occasion de m'en pénétrer.

M. le ministre des finances demandait tantôt ce que ferait la France de sa monnaie d'or et ce qu'elle peut mettre à la place ?

Dans la solution de cette question est une garantie contre la démonétisation des pièces de 20 francs. Si la France en démonétisait pour 500 ou 600 millions de francs, elle produirait une baisse considérable sur l'or et réaliserait une perte proportionnée.

Si elle voulait remplacer ces 500 à 600 millions par une monnaie d'argent, elle élèverait le prix de ce métal de telle sorte qu'il serait impossible de frapper des pièces de 5 fr. et partie des pièces de 5 francs existantes seraient fondues pour les besoins des industries qui emploient l'argent.

La circulation de la France ne pourrait cependant se priver de 500 à 600 millions de son numéraire actuel. Vous voyez bien, messieurs, qu'il y a là un obstacle qui éloigne singulièrement le danger de la démonétisation dont on vous fait si grand-peur.

- L'amendement de la commission est mis aux voix. Il n'est pas adopté.

L'amendement de M. T'Kint de Naeyer est également rejeté.

L'article 3 du gouvernement est mis aux voix et adopté.


Article 4

« Art. 4. La présente loi sera obligatoire le jour de sa publication. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

74 membres sont présents.

52 adoptent.

16 rejettent.

6 membres s'abstiennent.

En conséquence, le projet de loi est adopté.

Ont voté l'adoption : MM. Jouret, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Manilius, Mascart, Moxhon, Osy, Pirmez, Prévinaire, Rousselle (Charles), Tesch, Thibaut, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Verhaegen, Vermeire, Vilain XIIII, Ansiau, Anspach, Bruneau, Cans, Cumont, Dautrebande, de Baillet (Hyacinthe), de Bocarmé, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, Debroux, de Chimay, Delehaye, Delescluse, Delfosse, Deliége, de Perceval, Dequesne, de Steenhault, Destriveaux, Devaux, de Wauters, d'Hoffschmidt, Dumon (Auguste),Dumont (Guillaume), Faignart, Frère-Orban.

Ont voté le rejet : MM. Malou, Rodenbach, Van Renynghe, Clep, Cools, Coomans, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode (Félix), de Mérode-Westerloo, De Pouhon, de Renesse, de Theux, de T'Serclaes, Jacques.

Se sont abstenus : MM. Mercier, Orts, Roussel (Adolphe), Vanden Branden de Reeth, Dedecker et de Denterghem.

M. le président. - Je prie les membres qui se sont abstenus de faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Mercier - J'ai présenté, dans la discussion de l'article 2, les motifs qui ne me permettent pas de donner mon adhésion au projet ; d'un autre côté, je n'ai pas voté contre la loi, parce que je n'ai pas les mêmes raisons d'opposition à ses autres articles.

M. Orts. - Je me suis abstenu parce que j'approuve tout le projet, sauf l'article 2, que je considère comme inutile et dangereux.

M. Roussel. - Je me suis abstenu pour le même motifs que M. Orts.

M. Vanden Branden de Reeth, rapporteur. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que MM. Orts et Roussel.

M. Dedecker. - Nous sommes en présence de circonstances si étranges et il y a tant d'éventualités possibles quant au cours des monnaies, que j'ai cru, en conscience, ne pas pouvoir émettre un vote.

M. de Denterghem. - La loi ayant été proposée, il était devenu nécessaire de faire quelque chose, et le gouvernement nous a présenté ses vues à cet égard ; j'approuve en partie ces vues ainsi que plusieurs dispositions du projet, mais il renferme un article que je considère comme dangereux. C'est ce qui m'a forcé de m'abstenir.

M. le président. - L'ordre du jour est épuisé, la chambre ayant décidé hier qu'elle ne discuterait le budget de la guerre qu'à sa rentrée.

- La séance est levée à 4 heures.