(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 73) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
La séance est ouverte.
M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau fait connaître l'analyse des pièces suivantes.
« Le sieur Honnoré, ancien vérificateur des douanes à Bruxelles, réclame l'intervention de la chambre, pour obtenir la liquidation des arrérages de la pension viagère qui lui a été constituée par décret impérial du 13 décembre 1813. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Clep, admis comme membre de la chambre dans une séance précédente, prête serment.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt) présente quatre projets de lois relatifs à des traités de commerce et de navigation conclus, le premier avec le Pérou, le 16 mai dernier, le deuxième avec la Bolivie, le 31 octobre 1850, le troisième avec les républiques de l'Amérique centrale, le quatrième avec le Mexique.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces projets et les renvoie à l'examen des sections.
M. le président. - Le premier objet à l'ordre du jour est la discussion des articles du budget des affaires étrangères.
M. Coomans. - La discussion générale n'a pas été close.
- Plusieurs membres. - Si ! si !
M. le président. - Je viens de voir le procès-verbal, et il porte que la discussion générale a été close.
M. Coomans. - Je dois faire observer qu’il a été convenu et reconnu par l'honorable ministre des finances lui-même que la discussion générale d'aucun des deux budgets ne serait close, le même jour. Je suis persuade que ses paroles se trouvent au Moniteur.
Du reste, ce n'est pas pour moi que je parle ; je n'ai pas un mot à ajouter au discours que j'ai eu l'honneur de prononcer ; mais je parle en faveur des membres qui désireraient encore prendre la parole.
M. Delfosse. - M. le ministre des finances avait, en effet, déclaré que la discussion générale ne serait pas close le jour où elle a été ouverte ; mais elle n'a pas été close ce jour-là, elle a été close le lendemain.
Je ne vois pas du reste quel avantage il y aurait à rouvrir la discussion générale ; si quelqu'un a des observations à présenter, ces observations se rapportent probablement à l'un ou à l'autre article et elles pourront dès lors être présentées, sans que la discussion générale soit ouverte.
M. Jullien. - N'ayant pu assister à la discussion générale dn budget des affaires étrangères, je demanderai à la chambre d'adresser une interpellation à M. le ministre.
Messieurs, l'industrie agricole dans le Luxembourg, se trouve dans une situation des plus défavorables.
Si mes renseignements sont exacts, la crise qui affecte cette industrie existerait également dans les autres provinces.
Nos cultivateurs qui, vous le savez, messieurs, tirent leur principale ressource de l'élève et de la vente du bétail, ne peuvent plus aujourd'hui s'en défaire qu'à des conditions ruineuses. Forcés de vendre pour satisfaire aux charges publiques et particulières, ils réalisent à peine la moitié de la valeur de leurs produits.
Et chose affligeante, messieurs, cette dépréciation a atteint toutes les branches du commerce agricole : bestiaux, chevaux, porcs et moutons, tous ces produits en sont frappés.
Il y a là, pour le gouvernement, un grave sujet de méditation. Je demanderai à M. le ministre du commerce et des affaires étrangères s'il a recherché les causes de cet état de choses. Au gouvernement le devoir de sonder la plaie ; au gouvernement le devoir d'y apporter remède.
Si, comme aucuns le soutiennent, le vice est dans l'assiette de nos tarifs douaniers, il est instant que le gouvernement avise à la révision de ces tarifs.
Pour ma part, je suis frappé d'un fait, c'est que la Belgique reçoit beaucoup plus de bétail qu'elle n'en exporte.
Si je consulte la statistique générale du commerce de h Belgique avec l'extérieur, je trouve qu'en 1849 il aurait été importé 11,108 têtes de bœufs, taureaux, vaches el bouvillons, 7,247 génisses, 26,071 moutons et 1,180 agneaux ; tandis que ce même tableau ne renseigne qu'une exportation pendant la même année, de 7,720 têtes de bétail de la première catégorie, 604 de la seconde, 16,442 de la troisième, et 361 de la quatrième.
Vous le voyez, messieurs, il y a une différence sensible entre les importations et les exportations, différence tout entière au désavantage de la Belgique, et qui révèle une anomalie dans nos relations douanières avec la Hollande et la France.
Mais, messieurs, indépendamment de cette cause générale de dépréciation du commerce que je me borne à indiquer, en la livrant à l'appréciation du gouvernement, il existe pour la province à laquelle j'appartiens, une cause spéciale, je dirai une cause permanente du non-développement du commerce : c'est que le Luxembourg, privé d'une voie ferrée, ne peut arriver avec ses produits sur les marchés de la Belgique ; pour lui il y a exclusion réelle de ces marchés.
Je ne cesserai de dénoncer au gouvernement et à la chambre une situation aussi anomale et aussi exceptionnelle ; je me plais à croire qu'une bonne fois le gouvernement, aidé du concours de la chambre, considérera comme un devoir de rigoureuse justice d'y mettre un terme.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, je pense que l'honorable M. Jullien ne peut pas mettre en doute que chaque fois que le chef actuel du département des affaires étrangères pourra venir en aide à la situation du Luxembourg, il s'empressera de le faire. Je crois que depuis onze ans que je siège dans cette enceinte, j'ai donné assez de preuves de mon dévouement aux intérêts du Luxembourg, pour que je n'aie pas besoin de faire de nouvelles déclarations sur ce point.
Messieurs, je n'ignore point et le gouvernement n'ignore pas qu'un état de souffrance existe actuellement dans la province de Luxembourg, que les producteurs agricoles ne peuvent pas écouler leurs produits aussi bien qu'ils le faisaient encore il y a peu d'années. Mais à quelle cause attribuer cette situation ? Est-ce à ce tarif, qu'il y a six mois à peine, la chambre a discuté et adopté ? Je ne le pense pas. Avant ce tarif, la liberté était en vigueur pour l'entrée du bétail, et à cette époque la souffrance qu'a signalée l'honorable préopinant n'existait point en ce qui concerne la vente du bétail. Il ne faut donc point l'attribuer à la législation nouvelle plus prolectrice que celle qui la précédait. Mais, je ne pense pas, messieurs, que ce soit bien à l'occasion du budget des affaires étrangères que nous pouvons venir remettre en discussion le tarif sur les céréales et sur le bétail, tarif qui a été voté il y a à peine six mois et adopté à une puissante majorité.
Maintenant j'en viens à ce qui est plutôt du ressort des affaires étrangères, aux tarifs de douane de l'étranger, et je reconnais, par exemple, qu'une des causes du malaise qui existe dans le Luxembourg, en ce qui concerne la vente du bétail, c'est évidemment le tarif élevé de la France.
C'est là une des raisons dominantes de la situation fâcheuse dans laquelle le commerce du bétail se trouve maintenant dans le Luxembourg.
Eh bien, messieurs, depuis longues années on a demandé l'abaissement de ces tarifs, et certes, je pourrais donner la preuve à l'honorable M. Jullien, que je n'ai jamais laissé passer une seule occasion de le réclamer, mais depuis 15 ans qu'on le réclame, on n'a jamais pu réussir. On sait qu'en France les intérêts qui s'opposent à cet abaissement sont très puissants, très nombreux et qu'il est fort difficile de les vaincre. Cependant, nous n'avons pas été complètement sans obtenir des résultats à cet égard. Ainsi, dans le courant de l'année dernière, un projet de loi a été formulé en France, et ce projet de loi tendait à ce que les droits sur le bétail entrant par les frontières de l'Est de la France, fussent perçus au poids et considérablement réduits. Il y avait évidemment là quelque chose de fâcheux pour la Belgique, parce qu'elle devait être exclue du bénéfice de ces dispositions.
Eh bien ! nous n'avons négligé aucun effort, et malgré une forte résistance, nous avons obtenu l'assurance près le gouvernement français que si ce projet est présenté à l'Assemblée nationale, il comprendra non seulement les frontières de l'Est, ce qui était défavorable pour nous, mais toutes ou partie des autres frontières de nos provinces, notammeut celles du Luxembourg.
Messieurs, il est facile de désirer des abaissements de tarifs, de dire : Tel résultat nous serait très favorable. Le gouvernement|lc désire autant que qui que ce soit ; mais il ne faut pas s'y tromper, s'il n'y a rien de si facile que de demander des réductions de tarifs à l'étranger, il n'y a rien de si difficile que de les obtenir. Du moment où le gouvernement fait une semblable demande, il est certain qu'on lui demandera ce qu'il veut donner en retour. C'est donc tout un traité qu'il faut faire dans semblable circonstance.
Lorsqu'on a négocié en 1842, lorsqu'une négociation était ouverte en 1845 pour la conclusion de conventions, l'occasion favorable se produisait pour que chacun formulât ses prétentions. Je n'entends pas critiquer le moins du monde ce qui s'est passé alors. Ce que je veux, c'est de faire voir que, dans l'intervalle des négociations, il est extraordinairement difficile, s'il n'est pas impossible, d'obtenir des concessions isolées.
Messieurs, l'honorable M. Jullien a cité le véritable moyen de venir en aide au Luxembourg : c'est un chemin de fer.
Qu’est-ce qui qui est la cause principîle de l'état d'infériorité où se trouve cette province ?
Personne ne l'ignore ; c’est la position géographique d'une contrée enserrée entre deux ligues de douane et reléguée au bout du royaume, c'est (page 74) son éloignement du marché intérieur qui la met dans l’impossibilité de lutte avec les produits des provinces plus favorisées.
Eh bien, le véritable moyen de venir en aide à cette province, nous l’avons déclaré plusieurs fois, et, quant à moi, j’ai toujours poussé à son exécution, c’est, je le répète, une voie ferrée.
Je suis parfaitement d'accord à cet égard avec l'honorable M. Jullien.
L'exécution d'une voie ferrée qui mettrait les produits du Luxembourg à la portée du marché de l'intérieur serait le grand, le vrai moyen de venir en aide à cette province.
Le gouvernement, messieurs, est loin d'être contraire à une pareille voie de communication. Cette voie de communication est actuellement concédée, il s'agit de savoir si la société concessionnaire pourra l’achever ; nous sommes dans cette situation, et l'honorable préopinant peut être bien convaincu que rien ne sera négligé pour arriver à la construction du chemin de fer du Luxembourg par la société concessionnaire.
Dans le cas où cette société encourrait la déchéance, une autre résolution serait à prendre par le gouvernement et les chambres ; et, quant à moi, j'espère qu'elle serait favorable au Luxembourg.
Je crois, messieurs, avoir complètement répondu à l'interpellation qui m'a été adressée ; si j'en avais oublié quelques parties, je prierais l'honorable M. Jullien de me les rappeler.
M. Coomans. - Je ne m'attendais pas, messieurs, à ce que l'honorable M. Jullien soulevât aujourd'hui le débat qui vient d'occuper la chambre. Je ne m'y suis pas préparé ; je ne veux pas y entrer non plus. Seulement je dois protester contre la manière trop étroite, ce me semble, dont l'honorable ministre envisage la cause du malaise désastreux dont se plaignent non seulement le Luxembourg, mais la Belgique entière. Je sais bien que, pour faire un traité de commerce, il faut être deux, et que vis-à-vis de la France nous sommes seuls jusqu'à présent. Je sais encore que l'abolition ou une grande diminution des droits que la France prélève sur le bétail belge favoriserait un peu notre agriculture. Mais ce n'est pas dans la douane française que git la véritable cause du mal dont nos campagnes souffrent, au grand détriment du progrès agricole.
L'honorable ministre n'en a signalé qu'une cause très accessoire, pour ne pas dire insignifiante ; car si la France nous ouvrait ses frontières, le transit libre du bétail hollandais annulerait à peu près l'importation du nôtre, J'indiquerai, en un mot, les deux véritables causes de la ruine de nos étables : c'est l'introduction presque libre du bétail hollandais et les octrois de nos grandes villes.
Voilà où est le mal, et pour y remédier, il n'est pas nécessaire de traiter avec les puissances étrangères. Nous sommes parfaitement libres à cet égard.
Je m'en expliquerai plus longuement dans un prochaine occasion.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je ne crois pas devoir entrer dans ce débat et répondre à l'honorable préopinant. C'est une discussion qui a eu lieu, il n'y a pas longtemps et dans laquelle nous ne pourrions sans les plus grands inconvénients rentrer en ce moment.
M. le président. - Nous passons aux articles du budget.
« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Traitement du personnel des bureaux : fr. 105,050. »
- Adopté.
« Art. 3. Premier terme des pensions à accorder éventuellement : fr. 2,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Secours à des fonctionnaires et employés, à leurs veuves ou enfants, qui, sans avoir droit à la pension, ont des titres à l'obtention d'un secours, à raison de leur position malheureuse : fr. 1,000. »
- Adopté.
« Art. 5. Matériel : fr. 37,600. »
- Adopté.
« Art. 6. Achat de décorations de l'Ordre de Léopold, sans que l'on puisse augmenter ce chiffre par des imputations sur d'autres articles : fr. 8,000. »
- Adopté.
« Art. 7. Missions en Allemagne : fr. 87,000. »
- Adopté.
« Art. 8. France : fr. 35,000. »
- Adopté.
« Art. 9. Grande-Bretagne : fr. 52,000. »
- Adopté.
« Art. 10. Pays-Bas : fr. 32,000. »
- Adopté.
« Art. 11. Italie : fr. 32,000. »
- Adopté.
« Art. 12. Danemark, Suède et Hambourg : fr. 15,000. »
- Adopté.
Article 13
« Art. 13. Espagne : fr. 15,000. »
M. Osy. - Messieurs, le gouvernement vient de déposer sur le bureau plusieurs traités de commerce faits avec l'Amérique du Sud. A cette occasion, je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères s'il n'y a pas d'espoir de faire aussi un traité avec l'Espagne. Vous vous souvenez, messieurs, que nous avons approuvé, il y a quelques années, un traité qui n'a pas été ratifié par les cortes espagnoles. Cependant, depuis quelques années, nos exportations de toiles vers l'Espagne ont augmenté ; mais comme il n'y a pas de traité de commerce, il n'y a pas moyen de faire nos exportations directement, et nous sommes obligés d'envoyer nos produits au Havre où il se trouve des navires espagnols, pour l'exportation vers le nord de l'Espagne, et même de les envoyer par terre à Marseille pour la Catalogne. Non seulement les droits sur les toiles sont très élevés, mais les droits différentiels sont tels que nous ne pouvons importer que par navires espagnols. Je demanderai à M. le ministre s'il a l'espoir que nous pourrons avoir finalement un traité avec l'Espagne où les affaires marchent régulièrement et où la tranquillité, depus 1848, s'est maintenue comme chez nous. J'espère que le gouvernement fera tout ce qui est en son pouvoir pour arriver au résultat désiré.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Vous savez, messieurs, qu'en 1842 un traité de commerce avait été conclu avec l'Espagne et que ce traité fut approuvé par les chambres belges, mais il n'a jamais été soumis à l'approbation des cortès. Depuis lors, messieurs, nous avons demandé à différentes reprises, mais en vain, que cet acte international fût définitivement adopté par l'Espagne ; nous avons été plus loin, nous avons demandé qu'on étendît les bases du traité, qu'on fît un traité plus large, dans lequel seraient comprises les colonies espagnoles. Souvent des instructions dans ce sens ont été données à nos agents diplomatiques ; rien n'a été négligé pour arriver au but. Mais ette question a d'abord été entravée en Espagne par la révision du tarif des douanes, révision qui a eu lieu à la fin de l'année dernière.
L'Espagne, qui avait des tarifs extraordinairement prohibitifs, a fait un très grand pas vers la liberté commerciale ou au moins vers un système moins restrictif.
Je suis persuadé que l'honorable préopinant a connaissance des modifications apportées au tarif espagnol. Eh bien, pendant qu'on s'occupait de cette révision, d'abord il ne pouvait plus être question de négocier un traité de commerce puisqu'une base nouvelle allait être adoptée ; mais rien n'a été négligé pour donner au gouvernement espagnol toutes les explications et indications nécessaires afin que cette modification du tarif fût aussi favorable que possible à la Belgique. Eh bien, messieurs, je puis dire que nous avons obtenu à cet égard des résultats satisfaisants. Je n'ai pas ici le tarif sous la main ; mais il suffit de le parcourir pour voir que nous avons oblenu des réductions sur un grand nombre de produits qui intéressent la Belgique.
Maintenant, messieurs, que ce tarif est définitivement adopté, on pourra reprendre les négociations pour arrivera un traité de commerce ; mais je dois le dire, le tarif espagnol, tout protecteur qu'il est encore, a soulevé en Espagne de vives réclamations de la part des intéressés, surtout de la part des industriels de la Catalogne. L'opposition que cette grande mesure a déjà rencontrée en Espagne doit être nécessairement un obstacle à la conclusion d'un traité de commerce tel que nous le désirerions. Quoi qu'il en soit, messieurs, le gouvernement ne négligera rien pour arriver, si l'occasion se présente, à un traité de commerce qui permettrait à nos toiles de reconquérir l'antique marché qui leur était si favorable autrefois.
- L'article 13 est adopté.
« Art. 14. Portugal : fr. 15,000. »
- Adopté.
« Art. 15. Turquie : fr. 27,000. »
- Adopté.
« Art. 16. Etats-Unis : fr. 18,000. »
- Adopté.
« Art. 17. Brésil : fr. 18,000. »
- Adopté.
« Art. 18. Mexique : fr. 18,000. »
- Adopté.
« Art. 19. Traitements des agents consulaires et indemnités à quelques agents non rétribués : fr. 49,000. »
- Adopté.
« Art. 20. Frais de voyage des agents du service extérieur et de l'administration centrale, frais de courriers, estafettes, courses diverses : fr. 70,500. »
- Adopté.
« Art. 21. Indemnités pour un drogman, sept cavasses, (page 75) employés dans diverses résidences en Orient et pour un capou-oglan : fr. 5,700. »
- Adopté.
« Art. 22. Frais divers : fr. 74,300. »
- Adopté.
« Art. 23. Missions extraordinaires, traitements d'agents politiques et consulaires en inactivité : fr. 40,000. »
- Adopté.
« Art. 24. Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 4,000. »
- Adopté.
M. T’Kint de Naeyer. - Le commerce et l'industrie sont entrés dans une phase nouvelle. Un revirement s'opère dans les esprits en faveur des exportations dans des parages lointains.
Nos industriels ont répondu victorieusement à l'appel que l'on a fait à leur habileté et à leur énergie. Si la plus grande part leur revient dans les résultats qui ont été obtenus, tout esprit impartial doit reconnaître que les efforts et les mesures du gouvernement leur sont venus efficacement en aide.
Les primes ne pourront pas être brusquement supprimées, mais il sera impossible de les maintenir définitivement ; l'œuvre commencée doit cependant être poursuivie avec vigueur, et le moment serait mal choisi pour abandonner ou différer l'exécution d'un projet qui a reçu, il y a un an, la sanction de la majorité de cette chambre. Je veux parler de la création de comptoirs sur quelques points importants du globe où des maisons belges ne se sont pas encore établies.
Vous savez, messieurs, que nos industriels n'ont pas eu, en général, à se louer des intermédiaires étrangers auxquels ils ont été obligés de recourir.
La première affaire rend toujours bien, mais une deuxième expédition suffit souvent pour décourager ceux qui l'avaient tentées.
Nous avons besoin de commissionnaires actifs et intelligents qui puissent traiter les affaires uniquement au point de vue belge. Les ressources de l'activité publique grandissent chaque jour, né l'oublions pas ; il faut redoubler d'efforts pour en placer au dehors la production surabondante.
Tous les chemins ne sont pas encore frayés. Il y a des marchés importants où nous sommes loin d'occuper le rang que nous pourrions y tenir. Je me bornerai à citer l'archipel indien, Singapore dont il a été si souvent question dans des discussions antérieures. Vous ne l'ignorez pas, messieurs, il y a là un mouvement commercial d'un demi-milliard, un vaste marché pour les armes, la chaux, les verres à vitre et notamment pour l'industrie cotonnière et drapière. Dans un document anglais que j'ai eu récemment sous les yeux, j'ai remarqué que la concurrence de la Belgique dans les parages que je viens de citer est prévue et redoutée. Il y aurait de la timidité à ne pas répondre à de semblables avertissements.
Je serai heureux d'apprendre que M. le ministre des affaires étrangères songe sérieusement à encourager la formation de quelques comptoirs, notamment aux Indes orientales, où je pense qu'aucune maison belge ne s'est établie jusqu'à présent. Nous n'y avons pas même un consul rétribué.
La création de ces comptoirs n'est pas seulement nécessaire, elle devient urgente, surtout à défaut de la société d'exportation dont le principe avait été déposé dans la loi du 23 février 1848.
M. Cumont. - Messieurs, je crois que la proposition que l'honorable M. T'Kint vient de formuler est susceptible de plus de développement et doit nécessairement en obtenir davantage.
Les comptoirs seront, selon moi, insuffisants pour établir les relations qui sont possibles, eu égard aux ressources que nous avons, pour exploiter les marchés étrangers.
En effet, quelle est la somme de nos exportations dans les pays d'outre-mer ? Elle s'élève à 8 p. c. de la totalité de nos exportations. Le reste, c'est-à-dire 92 p.c, s'exporte dans les pays d'Europe. Dans ces pays, nous avons à lutter contre la concurrence étrangère ; pourquoi ne pourrions-nous concourir avec les étrangers sur les marchés transatlantiques ?
Des comptoirs ne seraient pas suffisants pour procurer à notre industrie une augmentation d'exportation, susceptible de sauver le pays du mabtise qui vient souvent l'affliger. (Interruption.)
M. le ministre de l'intérieur me dit qu'il n'y a pas de malaise ; je suis au regret de ne pas pouvoir partager son opinion ; dans plusieurs districts des Flandres, dans celui de Roulers et notamment dans celui d'Alost, le malaise commence à se produire.
Je n'en fais pas un reproche au gouvernement ; je rends justice à M. le ministre de l'intérieur pour tous les efforts qu'il a tentés pour améliorer notre situation ; je pose seulement un fait : c'est que nous n'exportons presque rien dans les pays transatlantiques ; et, selon moi, le seul moyen efficace de remédier à ce mal, c'est de créer, sur une échelle bien établie, une société d'exportation, qui nous donne les relations que nous n'avons pas.
Savez-vous, messieurs, qui a été le chiffre de l’exportation des produits de notre industrie linière en 1849 ? Nous avons exporté en tout pour un million de francs. Combien la France a-t-elle exporté de ces produits ? Pour 40 millions. Et cependant la France est dans une condition bien inférieure à celle de la Belgique, puisque nous avons un avantage de 20 p. c. sur le fabricant français. Nous n'exportons, je le répète, que pour un million. N'est-il pas évident que ce sont seulement des relations qu'il nous faut, pour obtenir le placement de nos produits ?
Maintenant, pour en venir au traité avec la France qui nous impose un droit de 30 p. c., nous avons sacrifié chaque année 1,500,000 francs pour nos soieries, vins et cotons ; sur six ans, cela fait 9 millions. Si le quart de cette somme avait été employé à l'établissement d'une société d'exportation, nous aurions obtenu des résultats bien différents de ceux que nous avons à constater aujourd'hui.
Où en sommes-nous arrivés avec le traité fait par la Belgique avec la France ? Pour les 9 premiers mois de cette année, nous avons exportés en France 313,765 kilog. de toiles, et nous avons fait à la France un sacrifice de 1,500,000 francs.
C'est à peu près le montant de la valeur des 131,765 kil. que nous avons exportés vers la France, Les prévisions que j'ai faites, lorsqu'on a voté ce malheureux traité avec la France, se sont réalisées. Aujourd'hui que le mal est fait, j'espère que le gouvernement ne marchera plus dans cette voie, lorsque ce traité sera arrivé à son terme.
J'indique ces faits, pour en revenir au remède qui doit, selon moi, tirer nos industries du malaise qui les menace, et nous faire obtenir des résultats très satisfaisants. Et ici, je rappelle encore une fois le chiffre des exportations françaises qui est de 40 millions de francs, tandis que notre industrie linière, dont la supériorité n'est pas contestée, n'exporte que pour un million de francs, L'Angleterre exporte pour 100 millions de francs. Il est évident que le jour où vous créerez des relations pour le placement de nos produits, le chiffre de nos exportations augmentera considérablement. J'appelle toute l'attention du gouvernement sur le moyen d'arriver à la création d'une société d'exportation, comme seul moyen d'obtenir des résultats satisfaisants et palpables.
M. Rodenbach. - Lors de la discussion générale du budget, j'ai également dit qu'une société d'exportation était nécessaire. Je partage entièrement l'opinion de l'honorable député d'Alost à cet égard. Je pense que si l'on veut que l'industrie des toiles continue à prospérer, notamment dans les Flandres, le gouvernement doit proposer une société d’exportation ; déjà il en a été question il y a quelques années, et je ne pense pas qu'un pareil établissement puisse entraîner des sacrifices très considérables.
Un malaise existe dans les Flandres ; mais certes il n'est pas aussi fort que celui des années calamiteuses ; mais il existe, et les débouchés diminuent. La main-d'œuvre de l'ouvrier tisserand s'élève à une moyenne de 75 centimes par jour. Lorsque les pommes de terre se vendent à 4 et à 5 fr. les 100 kilog., la misère diminue dans les Flandres, c'est là, le point essentiel ; mais quand les pommes de terre se vendent comme maintenant, jusqu'à 8 et 10 fr. les 100 kilogrammes, l'ouvrier des Flandres n'est pas heureux.
Lorsque l'Angleterre exporte pour 100 millions de toiles, et la France pour 40 millions, je crois que la Belgique peut en exporter pour une somme plus considérable qu'un million.
Je crois donc que le concours du gouvernement est indispensable pour que cette industrie des toiles ne tombe pas en ruine.
Je dois répéter, en terminant, que dans les Flandres, et notamment dans les districts de Roulers et de Thielt, une société d'exportation est de la dernière nécessité.
M. de Haerne. - Messieurs, dans une circonstance récente j'ai eu l'honneur aussi d'appeler l'attention de la chambre sur le point qui vient d'être traité par l'honorable préopinant.
Je n'entrerai pas dans la discussion générale sur l'état actuel du pays ; cependant je dois dire, pour être sincère, qu'il y a une amélioration incontestable dans l'étal actuel de nos provinces. S'il fallait rechercher, la cause de cette amélioration, on pourrait la trouver d'abord dans le bon marché des vivres, en second lieu, dans un revirement de fonds qui a eu lieu de la part des pays transatlantiques.
Ceux-ci ont obtenu nos capitaux en échange de leurs produits agricoles et maintenant ils viennent les reverser en Europe, en échange de nos produits industriels. C'est là à mes yeux une des causes principales de l'amélioration que nous éprouvons.
Car cette amélioration s'étend à toutes les industries, elle tient au mouvement général de l'Europe ; au bien-être qui vient de se manifester en France depuis une année et dans d'autres pays également. Il est tout naturel que nous nous en ressentions. Mais il ne faut pas croire que cette amélioration qu'on constate avec plaisir soit définitive et qu'on ne puisse pas retomber dans de nouvelles crises ; dans l'état actuel de l'industrie, vous savez que les crises se renouvellent de temps en temps.
En législateurs sages et prudents, nous devons les prévoir ; nous ne pouvons faire trop d'efforts, prendre trop de mesures pour conjurer les fléaux qui peuvent encore s'appesantir sur nos populations, dans une proportion plus ou moins forte. C'est pour cela que j'ajouterai quelques mots à ce qu'ont dit MM. Cumont, d’Hont et Rodenbach. Je pense que le gouvernement doit redoubler d'efforts pour assurer, dans nos provinces, le maintien et le développement de l'amélioration dont nous nous réjouissons ; il doit embrasser dans son plan non seulement l'industrie (page 76) linière, qui est toujours la principale industrie des Flandres, mais toutes les industries qui existent ou qui peuvent s'introduire avantageusement dans le pays.
Comme je l'ai dit dans une séance précédente, le gouvernement doit se livrer à une étude approfondie des divers projets de société d'exportation qui ont été mis en avant ; mais en attendant qu'une décision puisse être prise sur cette question assez vaste qui sera débattue en sens divers, je pense qu'il faut commencer par établir des comptoirs, car l'établissement de comptoirs n'empêcherait pas la création d'une société d'exportation plus tard ; au contraire, cette seconde institution serait, en quelque sorte, le corollaire de la première, surtout au point de vue de la consignation qui, sans doute, sera une des bases de la société.
Je désirerais que le gouvernement, sans abandonner le projet de créer une société d'exportation, commençât par créer des comptoirs là où la nécessité s'en fait sentir. Je combinerais l'établissement de comptoirs avec le système des primes.
L'honorable M. T'Kint de Naeyer a dit un mot des primes.
Je viens appuyer l'honorable membre. Je sais qu'il a été question de l'abolition immédiate des primes. Ce système, je l'avoue, doit être transitoire, il ne peut pas se maintenir indéfiniment. Mais je demanderai si on peut le supprimer brusquement, entièrement.
Non ; il y aurait imprudence à le faire, surtout en présence de la décroissance de l'exportation de nos toiles et des entraves que nous suscite de temps en temps la douane française. Quoique l'état du pays soit assez prospère, que l'exportation en général ait augmenté, il faut reconnaître que l'exportation des toiles a été en diminuant. Si on ne veut pas que cette décroissance continue, si on veut couper le mal dans sa racine, il faut établir des comptoirs et maintenir un système de primes qui serait tel que le taux en serait abaissé graduellement à commencer à une époque à fixer, conformément â la demande qui en a été faite par les industriels des Flandres.
Ce système ne serait pas définitif ; mais, je le répète, il serait dangereux de supprimer brusquement cette protection qui est encore nécessaire, surtout avec les obstacles que nous rencontrons de la part de la France qui, comme vous le savez, est un des principaux débouchés pour nos produits liniers.
M. le ministre des affaires étrangères a parlé de l'Espagne ; la discussion générale a épuisé cette question ; mais elle se rattache à la thèse que je défends.
L'Espagne a adopté un tarif plus favorable à nos exportations que le précédent. Avant l'adoption de ce tarif, on n'a pas pu ouvrir de négociations parce qu'on eut dû négocier sur le tarif existant ; et un nouveau tarif devant être établi, il eût été dangereux de conclure un traité avant la promulgation. Mais maintenant que ce nouveau tarif est établi, c'est le moment de négocier. Il ne faut pas perdre de vue que si les droits ont été diminués dans ce nouveau tarif, ils sont encore très élevés, et ce sont encore les droits les plus élevés que nous ayons eu à subir dans aucun pays étranger.
L'Espagne a diminué les droits, mais c'est dans un but de protection bien entendue ; c'est-à-dire que l'Espagne a compris que les droits exagérés qui pesaient précédemment sur les produits étrangers étaient tels qu'il fallait nécessairement frauder ces produits pour pouvoir les introduire.
Mais par suite des lumières et de l'expérience qu'elle a acquises en fait d'économie politique, elle a compris que c'était là une protection illusoire qu'il fallait nécessairement abandonner.
Elle s'est ralliée à un système, non pas plus libéral, mais à un système de protection plus sagement conçu.
C'est ce système que, par un traité de commerce, il faut tâcher de combattre dans notre intérêt ; et je crois que, pour le combattre avec avantage, il faut nécessairement faire entrer, comme l'a très bien dit M. le ministre des affaires étrangères, dans le traité que nous conclurons avec elle, ses colonies et notamment la Havane, pour les sucres. Car, il faut le savoir, l'Espagne tient beaucoup au développement de sa navigation ; et si l'on peut favoriser ce développement, en facilitant l'introduction de ses produits coloniaux en Belgique, ce sera le véritable moyen d'arriver à un arrangement avec l'Espagne, arrangement qui peut très bien se faire dans l'intérêt réciproque des deux nations.
M. Osy. - Messieurs, dans la discussion générale, je vous ai dit mon opinion sur le traité de commerce conclu avec la France ; j'entends avec plaisir un honorable collègue des Flandres, qui partage mon opinion, nous dire que ce traité est fort onéreux à la Belgique.
Comme ce traité doit être renouvelé d'ici à un an, il est nécessaire que le gouvernement connaisse l'opinion de la chambre. Or, messieurs, vous venez de l'entendre, nous avons sacrifié annuellement plus de quinze cent mille francs pour ce traité, et, comme l'honorable M. Cumont vient de le dire, nous n'avons pas exporté en France, en 1819, des toiles pour une valeur de quinze cent mille francs. Vous voyez bien, messieurs, que ce traité a été très onéreux pour la Belgique.
Pour moi, en 1841 et en 1845, j'ai partagé cette opinion ; j'étais alors membre de la section centrale qui a examiné le traite, et j'ai fait tout ce qui a dépendu de moi pour qu'il ne fût pas accepté.
Messieurs, non seulement le trésor fait une perte considérable ; mais, comme je vous l'ai dit, sans ce traité nos communes trouveraient de grandes ressources dans les droits sur les eaux-de-vie et sur les vins de France, droits qui aujourd'hui ne peuvent être augmentés.
Voila des considérations que le gouvernement doit bien peser lorsqu'il s'agira du renouvellement du trailé.
En ce qui concerne la création d'une société de commerce, idée que je croyais enterrée depuis longtemps, mais qu'on reproduit aujourd'hui, je suis obligé de dire mon opinion.
Messieurs, depuis 25 ans j'ai vu créer bien des sociétés de commerce, tant dans le rovaume des Pays-Bas qu'en Belgique ; le gouvernement a même puissamment aidé quelques-unes de ces sociétés ; et voici ce qui est arrivé.
La société de commerce des Pays-Bas, si j'en excepte ses opérations avec les Indes néerlandaises, n'a fait que de mauvaises affaires.
Moi-même j'étais commissaire de cette société ; j'ai connu pendant cinq ans toutes ses opérations, et le résultat de ces opérations a été que celui qui avait garanti cette société a dû payer cinq millions de florins dont la société se trouvait en déficit par suite des opérations auxquelles elle avait été engagée par des fabricants.
Ce n'est que depuis 1830 que la société des Pays-Bas est entrée dans la véritable voie de sa création ; elle ne s'occupe plus que du commerce avec les colonies dont elle apporte les produits dans la mère patrie pour y porter ensuite les objets d'Europe qui y sont nécessaires à la consommation.
A Auvers on a créé également deux sociétés de commerce, et toutes deux sont aujourd'hui en liquidation ; l'une ne donnera pas 50 p. c. à ses actionnaires ; l'autre, après deux ou trois années d'existence, donnera au moins 25 p. c. de perte.
Eh bien, messieurs, si malheureusement le gouvernement donnait les mains à la malheureuse conception que l'on a mise en avant il y a quelques années et qu'on reproduit aujourd'hui, s'il faisait les fonds pour créer une société de commerce, tous les fabricants s'adresseraient à cette société pour lui demander l'exportation de leurs produits ; et après cinq ou six ans la perte serait tellement forte que le gouvernement serait obligé de liquider.
Et, soyez-en persuadés, ces cinq ou six années n'auraient profité en rien à l'industrie ; ce n'est que lorsque l'industrie est libre et que vous l'aidez par de bonnes lois, qu'elle progresse.
Messieurs, je n'ai jamais approuvé en principe les primes que le gouvernement a trouvé bon de donner depuis 1848 ; mais j'ai dit dans la session précédente que le gouvernement avait parfaitement bien fait, dans les circonstances où nous nous trouvions en 1848, de les donner. Cependant, pour que l'industrie sache à quoi s'en tenir, le gouvernement devrait prévenir que ces primes seront graduellement diminuées, et que l'on arrivera ainsi à leur suppression. L'année dernière, je crois, le gouvernement a diminué ces primes ; il les a réduites de 10 à 7 1/2. Je crois que l'intention du gouvernement est, pour 1851, de les réduire à 5 et ainsi de suite, de manière à revenir à l'état normal et à laisser dans les années subséquentes, en 1852 ou 1853, l'industrie marcher seule.
Messieurs, le gouvernement a aussi posé un acte très avantageux pour le commerce ; il a permis l'importation des fils anglais en entrepôt, c'est-à-dire à condition que l'on exporte en dehors de l'Europe les toiles fabriquées avec ces fils. C'était là une mesure très utile. Je sais qu'on n'en a pas beaucoup profité ; mais je vous ferai connaître les avantages qu'elle a produits.
Je suis commissaire d'une des plus grandes filatures de lin. Lorsque le gouvernement a pris cette mesure, des personnes m'ont dit qu'ils la trouvaient très nuisible. Je leur ai répondu : Non, elle ne sera pas nuisible ; mais vous serez obligés de fabriquer mieux et à meilleur compte. C'est ce qui est arrivé ; nos industriels, depuis l'importation des fils anglais en entrepôt, ont compris qu'ils devaient faire mieux et à meilleur compte, et pour beaucoup de numéros nous pouvons lutter déjà avec l'Angleterre.
Messieurs, je ne veux pas l'abolition immédiate des droits d’entrée, mais je veux leur réduction graduelle et je crois que c'est aussi le système du gouvernement. L'industrie, sachant que telle est l'intention du gouvernement, sera obligée de perfectionner encore ses produits et nous arriverons à ce point que, non pas pour quelques numéros, mais pour tous les numéros, nous pourrons lutter avec l'étranger. Voilà, messieurs, mon système commercial.
Messieurs, on parle aussi de créer des comptoirs. Créer des comptoirs ou une société de commerce, c'est toujours la même chose. Je ne puis donc approuver cette idée.
Le gouvernement fait très bien de donner des bourses à des jeunes gens de mérite qui ont fait de bonnes études et qui vont à l'étranger acquérir des connaissances commerciales. Souvent ces jeunes gens ne reviennent pas ; mais après avoir acquis des connaissances à l'étranger, après s'y être formé des relations, ils s'y établissent, et ensuite ils forment des établissements à l'étranger. Que le gouvernement les aide autant que possible ; mais qu'il ne donne pas des subsides à droite et à gauche. Qu'il se mêle le moins possible des affaires commerciales.
C'est ainsi qu'il prouvera qu'il comprend ses devoirs en fait d'industrie et de commerce.
Depuis deux ans, il a été fait dans les pays voisins des innovations commerciales que nous devons imiter. L'Angleterre a affranchi du droit de nationalisation les navires étrangers ; tout Anglais peut acheter un navire étranger et le mettre sous pavillon national sans payer aucun droit.
Le gouvernement hollandais a voulu suivre le même système ; cependant (page 77) il n'est pas allé aussi loin. Les constructeurs de navires avaient obtenu du gouvernement hollandais une certaine protection. Mais cette protection a considérablement diminué. Depuis le 1er septembre dernier, les navires étrangers, nationalisés hollandais, ne pavent plus que 4 p. c. de la valeur.
Permettez-moi de vous faire un petit historique de ce qui s'est passé depuis 1844. Depuis lors, nous avons fait tous nos efforts pour augmenter notre marine marchande.
Par la loi de 1844, nous avons autorisé le gouvernement à admettre les navires étrangers en payant un droit de 30 francs par tonneau pour avoir le pavillon belge. La même loi autorise le gouvernement à affranchir de ce droit, en imposant aux constructeurs de navires l'obligation de construire des navires de même dimension.
Sous ce régime, je crois qu'il est entré dans le pays 8 navires étrangers, dont 4 avaient déjà navigué sous notre pavillon, c'est-à-dire qu'avant 1830 ils appartenaient au port d'Anvers ; ils sont rentrés par la faveur que nous leur avons faite par la loi de 1844.
Le commerce a continué de dire que le droit de 30 fr. était beaucoup trop considérable, qu'il importait de le diminuer. Le gouvernement a voulu faire quelque chose, il y avait dans le tarif un article intitulé : « Ouvrages en bois ». On a considéré les navires comme ouvrages en bois, et on leur a fait payer 20 p. c. Sous ce régime, on n'a pu rien faire.
Depuis 1847, le gouvernement a fait un pas, un pas en avant, et nous avons décidé que tous les navires étrangers pourraient entrer avec un droit de 15 fr par tonneau.
J'ai vu les calculs d'un navire qui avait payé 15 fr. par tonneau. Ce navire avait une valeur de 82 mille fr. Outre les 13 fr. par tonneau, il a dû payer 2 p. c. de droit d'enregistrement et 30 p. c. d'additionnels. Les droits ont dépassé 12 mille fr. Ce qui, sur 82 mille fr., fait plus de 14 p. c.
Tout navire étranger peut être nationalisé en Angleterre sans aucun droit, en Hollande moyennant un droit de 4 p. c. Je vous demande si, en continuant de payer un droit de 14 p. c., nous pouvons lutter contre la marine de ces pays. Je crois que nous devrions avoir un droit très minime sur la nationalisation des navires étrangers.
Il est certain que la situation de notre pays est telle que, si jamais il y avait un conflit européen, avec notre marine, avec la neutralité de la Belgique, nous pourrions faire un commerce considérable.
Quand le coût du navire est très considérable, l'armateur est obligé de demander un fret considérable, tandis que le voisin peut se contenter d'un fret modéré ; de manière que nous ne pouvons soutenir la concurrence.
Permettez-moi de vous faire connaître le nombre des navires que nous avons eus sous les différents régimes ;
Au 31 décembre 1844, nous avions 132 navires, jaugeant 23,257 tonneaux, et au 31 décembre 1849, nous avions 134 navires, jaugeant 31,965 tonneaux.
Ainsi dans cinq ans nous avons va notre marine augmenter de 22 navires, jaugeant 8,708 tonneaux.
Peut-être dira-t-on : Au lieu de nationaliser des navires étrangers, mieux vaut en construire dans le pays. C'est une erreur. Le gouvernement peut prendre des renseignements : plutôt que de construire un navire neuf, un constructeur préfère en réparer deux. A chaque voyage il y a des réparations, des radoubs à faire. Pour la main-d'œuvre c'est préférable. Je crois que, sous ce rapport, les constructeurs de navires seront rassurés.
Je ne dis pas qu'il faille abandonner les primes de constructions de navires. Il y aura lutte entre les deux systèmes : le négociant qui préférera construire un navire neuf pourra le faire ; celui qui préférera acheter un navire étranger le pourra également.
D'après ces observations, j'engage M. le ministre des affaires étrangères à s'occuper très prochainement de voir ce qu'il sera convenable de faire au 31 décembre 1851.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - D'honorables députés des Flandres nous ont dit tout à l'heure qu'il existe, en ce moment, un certain malaise dans quelques parties des Flandres
J'ignore si ce malaise existe, et je doute surtout qu'il ait quelques proportions. Mais ce qu'il y a d'incontestable, c'est l'immense amélioration qui s'est manifestée dans les Flandres depuis quelques années. Quand on se reporte à ce qu'étaient les Flandres en 1846 et en 1847, quand on voit ce qu'elles sont aujourd'hui, on doit reconnaitae (personne ne le contestera dans cette enceinte) qu'il s'est réalisé une immense amélioration.
M. Rodenbach. - C'est parfaitement vrai.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - L'honorable M. Rodenbach le reconnaît ; l'honorable M. de Haerne l'a également reconnu tout à l'heure. Ainsi, ce point est hors de toute discussion, hors de toute contestation.
Après cela, que quelques parties ne soient pas tout à fait dans une aussi bonne situation que d'autres, c'est possible ; c'est ce qui existe dans tous les pays, même dans les situations les plus prospères.
Ce qui constitue une grande amélioration, c'est le progrès extrêmement remarquable qui s'est réalisé dans toutes les branches d'industrie ; et je crois pouvoir dire que le gouvernement, et le département de l'intérieur surtout, n'y a pas été étranger.
S'il est une chose qu'on ne peut pas contester non plus, ce sont les progrès de notre commerce extérieur depuis quelques années. Les chiffres sont là, et l’on ne peut les révoquer en doute. Ces progrès sont des plus remarquables, je l'ai déjà dît dans la discussion générale. Cependant, puisqu'on a émis des doutes à cet égard, je me permettrai de citer quelques chiffres.
Ainsi, pour notre commerce spécial, si nous comparons les neuf premiers mois de 1850 (d'après les relevés que le département des finances publie chaque mois) avec les neuf premiers mois de 1848, nous trouvons une augmentation de 30 p. c ; sur l'année 1849, une augmentation de 13 p. c.
Maintenant si nous nous occupons du commerce général, nous voyons que l'année 1814 présente une augmentation de 45 p. c. sur l'année 1848 et de 41 p. c.sur la moyenne des années 1841 à 1818, et dépasse de 23 p. c. le chiffre de 1847, l'année la plus prospère depuis 1830.
Eh bien, cette année qui a toujours été citée comme la plus heureuse pour notre commerce extérieur, l'année 1849 la dépasse de 45 p. c. ; l'année 1850 la dépassera dans des proportions plus fortes encore.
Ainsi vous voyez que le commerce général et le commerce spécial ont suivi un mouvement de progression des plus remarquables.
Le transit a augmenté dans des proportions plus satisfaisantes encore. De 115 millions de francs, valeur à laquelle il s'élevait en 1848, il s'est élevé, en 1849, à 227 million' ; c'est un progrès de 96 p. c. Il y a accroissement de 87 p. c. comparativement à la moyenne de 1844 à 1848 et de 58 p. c. comparativement à 1847.
L'honorable M. Cumont nous a dit que nos exportations dans les pays transatlantiques n'ont pas subi d'augmentation, qu'elles sont restées stationnants.
M. Cumont. - Je n'ai pas dit qu'elles fussent stationnaires.
Je vous prierai du reste de citer les chiffres.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Les voici : Commerce spécial
1842 : importations : 61,289,000 fr. ; exportations : 5,802,000 fr.
1843 : importations : 49,782,000 fr. ; exportations : 6,658,000 fr.
1844 : importations : 49,353,000 fr. ; exportations : 7,103,000 fr.
1845 : importations : 50,563,000 fr. ; exportations : 8,007,000 fr.
1846 : importations : 53,344,000 fr. ; exportations : 9,662,000 fr.
1847 : importations : 66,376,000 fr. ; exportations : 15,808,000 fr.
1848 : importations : 73,921,000 fr. ; exportations : 14,392,000 fr.
1849 : importations : 80,503,000 fr. ; exportations : 21,778,000 fr.
Ainsi, en 1842, cinq millions ; en 1843, huit millions ; en 1849, 21 millions ; et 1850 dépassera ce chiffre.
Je reconnais que les produits de l'industrie linière n'ont point participé à ce mouvement ascensionnel, cependant nous avons aussi dans nos relations avec les pays transatlantiques une certaine amélioration. A la Havane, on a exporté des toiles plus qu'on ne l'avait fait précédemment ; il y a eu cette année un moment de ralentissement à cause des circonstances ; mais on peut considérer le marché de la Havane comme ouvert de nouveau à l’industrie linière. Nous pouvons signaler aussi un accroissement dans l'exportation des produits liniers vers certains pays voisins, surtout pour les fils. L'exportation des fils retors, M. Cumont ne le niera pas, présente une assez forte augmentation.
J'espère donc avoir démontré que deux faits sont hors de contestation : une grande amélioration dans la situation des Flandres, une grande amélioration dans toutes les branches de commerce extérieur.
L'honorable M. T'Kint de Naeyer nous a parlé, messieurs, d'un des moyens qu'il considère comme devant favoriser nos exportations, de l'établissement de comptoirs ou de maisons belges à l'étranger.
Quant à moi, je n'ai jamais varié sur ce point. Je pense que ce qui peut exercer le plus d'influence sur le développement de notre commerce à l'extérieur, c'est l'établissement de comptoirs ou maisons belges dans des pays lointains. Il est incontestable que partout où des maisons belges ont été fondées, notre exportation se développe d'une manière remarquable. Au Chili, où nos exportations ont pris un développement considérable, c'est grâce principalement à une maison d'Anvers qui y a fondé un comptoir, il y a peu d'années. En Californie, notre commerce prend aussi de larges proportions, parce que des maisons belges s'y sont établies. Il serait à désirer que des maisons belges s'établissent sur tous les points importants du globe.
Mais précisément parce qu'un élan remarquable se manifeste dans l'esprit commercial du pays, que notre commerce, qui ne s'occupait pas assez des relations à créer avec les pays lointains, porte maintenant ses efforts et ses regards de ce côté, il en résulte que l'action du gouvernement doit être moindre. L'action du gouvernement ne doit que suppléer l'action individuelle ; quand l'action individuelle est assez puissante, elle ne doit lui venir en aide qu'en cas d'impuissance ou pour lui montrer la voie.
En Angleterre on ne songe pas à demander l'intervention du gouvernement pour créer des relations commerciales dans les pays lointains ; la puissance et l'énergie de l'industrie privée sont suffisantes pour réaliser tous les progrès.
Mais, comme l'a très bien fait observer l'honorable M. T'Kint, il existe une lacune fâcheuse dans nos relations commerciales, l'absence de maisons belges dans les Indes orientales, et c'est pour ce motif que nous vous avions parlé d'un projet ayant pour objet la fondation d'un comptoir à Singapore.
Une société d'Anvers nous avait soumis des propositions que nous (page 78) trouvions susceptibles d’adoptio, mais plus tard cette société n’a plus maintenu intactes ses propositions ; dès lors aucune suite n’a été donnée à ce projet.
Cependant déjà avec les Indes et avec l'Australie nous commençons à nouer des affaires assez importantes. Nos exportations se sont accrues également de ce côté ; le gouvernement ne demande pas mieux que de voir se continuer cet élan qui s'est manifesté si heureusement depuis quelque temps. Chaque fois que le gouvernement trouvera moyen de lui imprimer une force nouvelle par des mesures sages, il ne manquera pas de le faire.
Je passe maintenant à la question de la création d'une société de commerce et d'exportation que d'honorables préopinants ont soulevée. Messieurs, le gouvernement ne s'est jamais montré hostile à la formation d'une société d'exportation ; mais personne, que je sache, n'a jamais prétendu que cette société devait être constituée par le gouvernement. Ses plus grands partisans ont toujours compris que ce soin incombait à une société particulière à laquelle viendrait seulement en aide le gouvernement.
Il y a deux années, nous fîmes un appel aux capitalistes du pays. J'ai rendu compte à la chambre du résultat de cet appel. On n'y a pas répondu. Maintenant que l'exportation grandit, que l'essor est donné, cette société, dont l'utilité a toujours été très controversée, ne me paraît plus fort vivement réclamée.
On n'a jamais été d'accord quant à la formation de cette société ; par exemple, sur le capital à lui assigner. Un projet a été présenté qui portait ce capital à quatre millions, les uns ont prétendu qu'il devait être de 10 millions, d'autres de 15, de 20, de 30 millions.
On n'a rien résolu, quant au chiffre de ce capital.
Quoi qu'il en soit le gouvernement n'a été saisi jusqu'ici d'aucune proposition sérieuse. Si des industriels, des commerçants se réunissaient pour la constitution d'une société semblable et fournissaient les capitaux nécessaires, c'est alors seulement que nous aurions à examiner jusqu'à quel point le gouvernement doit intervenir, quelles sont les propositions qu'il doit soumettre à la chambre.
J'ai entendu avec plaisir un honorable député d'Anvers rendre justice à quelques-unes des mesures prises par le gouvernement ; il a applaudi entre autres à la mesure prise pour faciliter l'importation des fils étrangers, destinés à être réexportés.
M. Osy trouve qu'elle a donné l'élan à l'industrie indigène en ce qu'elle a été un stimulant. Nous sommes de cet avis.
L'honorable membre a reconnu aussi que les bourses données à des jeunes gens, pour aller à l'étranger étudier les marchés lointains et les besoins des consommateurs, étaient aussi une bonne mesure. Trente bourses environ ont été ainsi données. Or l'essentiel pour l'industrie qui veut exporter, c'est de conformer ses produits aux besoins de l'étranger. Les jeunes gens qui vont visiter et étudier des contrées transatlantiques centribueront à y créer des relations utiles qui favoriseront le développement de notre commerce extérieur.
M. Osy a terminé en vous parlant des dispositions qui régissent la nationalisation des navires. L'honorable préopinant a reconnu qu'on avait déjà amélioré l'ancien état de choses.
En effet, la loi de 1844 imposait un droit fort élevé, ou bien l'obligation de faire construire un navire à l'intérieur du pays. Puis le droit, par suite d'une interprétation du tarif, fut de 20 p. c. à la valeur, parce qu'on a assimilé les navires aux ouvrages en bois. Le gouvernement s'est empressé de revenir sur ces dispositions assez fâcheuses ; et une loi a été adaptée, en 1847, conformément à une proposition qui avait été soumise au gouvernement, par la chambre de commerce d'Anvers, pour réduire le droit à 15 francs par tonneau. Ce droit, je ne sais pas si l'honorable préopinant ne l'évalue pas un peu haut en le portant à 14 p.c, additionnels compris. Je pense que ce chiffre est un peu élevé.
Mais, messieurs, je pense qu'il ne faut pas séparer le système qui régit la nationalisation de celui qui protège la construction des navires. En quoi consiste ce système ? Il y a d'abord des primes pour favoriser la construction des navires, puis il y a un droit assez élevé sur les matières premières qui servent à cette construction ; bois, cordages, chanvic, etc. ; enfin il y a un droit sur la nationalisation des navires étrangers. Eh bien, messieurs, je crois que tous les éléments de ce système complet doivent être examinés dans leur ensemble, et même en y comprenant peut-être la loi sur les droits différentiels. C'est un ensemble dont on ne pourrait pas détacher une partie sans nuire à la totalité. Vous savez, messieurs, que la loi qui accorde des primes pour la construction des navires expire dans le courant de la session prochaine ; eh bien, je pense que ce sera le moment de réviser tout ce qui concerne ce système, c'est-à-dire la nationalisation, les droits sur les matières premières employées à la construction des navires et le système des primes.
Quant à moi, je dois dire que je suis favorable à l'abaissement des droits qui pèsent sur la nationalisation des navires. Je crois, en effet, que d'après les mesures prises dans les pays voisins, il faut faciliter l'accroissement de la marine nationale ; mais tout en facilitant les nationalisations, il faut aussi ne pas porter un coup funeste à la construction des navires, car je ne pense pas que tous les constructeurs partagent la manière de voir de M. Osy, qu'il y a plus d'avantage à réparer des navires qu'à en construire.
A Ostende et à Bruges, par exemple, on n'est pas de cet avis-là. Il ne faut pas oublier non plus que le système actuel n'a pas empêché qu'il y ait déjà une augmentation assez notable cl dans le chiffre des navires nationalisés et dans le chiffre des navires construits en Belgique. Je pense dans, tous les cas, que l'attention sérieuse du gouvernement doit s’attacher à la question de savoir si, à l'expiration de la loi sur les primes, il y aura lieu de réviser entièrement ce système.
M. de Brouwer de Hogendorp. - Messieurs, je dois protester contre les paroles de l'honorable M. de Haerne. Je ne puis garder le silence lorsqu'on vient donner des illusions à nos fabricants, surtout à nos industriels des Flandres ; on ne l'a fait que trop longtemps, et l'honorable M. de Haerne est un de ceux qui ont le plus contribué à maintenir l'erreur.
On a fait croire aux industriels que par des moyens artificiels il était possible de relever l'industrie linière et, aujourd'hui encore, l'honorable membre prétend que l'on pourra augmenter nos exportations, leur faire atteindre un chiffre beaucoup plus élevé, en établissant des comptoirs aux frais de la masse et même en donnant une protection au sucre de l'île de Cuba.
En vérité, messieurs, ce n'est point par des moyens de cette espèce, par des moyens artificiels comme ceux-là, que l'on parviendra à relever notre industrie, à augmenter le chiffre de nos exportations. Fabriquez bien, fabriquez à bon marché, et vous n'aurez pas de peine à exporter.
Messieurs, l'on parlait tout à l'heure des exportations de l'Angleterre. Les exportations de l'Angleterre, comment se font-elles ? Est-ce parce que le gouvernement y intervient, est-ce parce que le gouvernement établit des comptoirs, des sociétés d'exportation ? On exporte en Angleterre, parce que l'on y fabrique à meilleur marché que vous ne fabriquez, et parce que pour quelques articles, on fabrique mieux. Et, messieurs, dans la plupart des centres industriels de l'Angleterre, quels sont les exportateurs ? Sont-ce les Anglais ? Mais non, messieurs, des négociants allemands viennent s'établir en Angleterre, viennent s'établir à Manchester, à Glascow, à Leeds et exportent pour leur compte. Ils viennent s'y établir parce qu'ils y trouvent de l'avantage.
Eh bien, messieurs, que l'on fabrique en Belgique comme on fabrique là, et les exploitations se feront comme elles se font en Angleterre, exactement de la même manière. Nous en avons un exemple frappant, messieurs, dans l'industrie linière : elle n'exportait point ses produits, elle perdait tous ses débouchés ; eh bien, messieurs, les russias n'ont-elles point trouvé un marché, les russias ne se vendent-elles pas de préférence aux produits similaires de l'Ecosse et de la Russie sur le marché de la Havane, parce qu'on les a fabriquées d'après le goût et les convenances des consommateurs. (Interruption.)
Il ne s'agit aucunement de privilège dans l'exportation ; nous n'avons pas de privilèges sur le marehé de Cuba ; s'il y a un privilège, c'est ici, dans la fabrication, chose que je veux admettre ; mais sur le marché nous ne jouissons d'aucune espèce de privilège.
M. de Haerne. - Messieurs, sans prétendre connaître l'industrie anglaise et l'Angleterre aussi bien que l'honorable préopinant, je crois cependant en connaître quelque chose, et je dois d'abord dire que la question ne me paraît pas aussi simple qu'elle le paraît à l'honorable M. de Brouvver de Hogendorp. M. de Brouwer, se plaçant à un horizon extrêmement étendu, se croyant dans la métropole commerciale du monde entier, se proclame libre échangiste et dit : Fabriquez à meilleur marché et vous exporterez aussi bien que l'Angleterre.
Messieurs, ce n'était pas du tout la question que je voulais traiter ; la question était celle-ci : Comme vous avez affaire avec une nation qui frappe nos produits de droits exorbitants, ne faut-il pas faire tout ce qui est possible pour amener une diminution de ces droits dans l'intérêt de votre commerce ? Voilà la question que j'avais posée vis-à-vis de la France et de l'Espagne. C'est pour cela que j'avais demandé qu'on cherchât à conclure un traité de commerce avec l'Espagne. Si l'Espagne se faisait libre échangiste avec l'honorable M. de Brouwer, je me ferais aussi libre échangiste à son égard. Mais tel n'est pas le cas, et l'honorable M. de Brouwer le sait bien. Il ne s'agit donc pas de dire : Fabriquez bien ; cela est bon pour les marchés neutres.
Nous sommes en concurrence avec l'Angleterre, cette concurrence n'est possible que lorsque nous avons les mêmes moyens d'exportation, lorsque nos relations sont organisées, car, remarquez-le bien, la question industrielle est complexe ; la question industrielle ne tient pas seulement à la fabrication, elle tient au commerce, elle tient à l'exportation, elle tient à tous ces fils, dirai-je, qui lient entre elles toutes les parties du système industriel. Voilà à quoi tiennent les opérations industrielles. Lorsqu'il arrive par hasard qu'un débouché nouveau se fait jour ; qujnd vous parvenez à mettre le pied sur ce marché, comme sur celui de la Havane pour les russias que vient de citer l'honorable préopinant, vous pouvez réussir d'abord, je l'avoue ; mais pendant combien de temps ? jusqu'à ce que votre rival s'en soit aperçu. C'est ce qui nous est précisément arrivé à la Havane pour nos russiaas, dont l'exportation est diminuée ; et pourquoi ? parce que vous n'avez pas tous les moyens dont dispose l'Angleterre ; parce que vous n'avez pas tous les moyens d'exportation, les retours, les relations, tels qu'ils sont organisés en Angleterre. La question est très complexe, comme vous le voyez.
C'est l'ensemble de toutes ces opérations qui fait la force de l'Angleterre. Maintenant nous ne pouvons pas prétendre arriver à cet état de choses : mais nous devons tâcher d'imiter cette grande puissance commerciale, en entrant dans les voies qu'elle a suivies précédemment.
Maintenant que l'Angleterre est au-dessus de sa position, qu'elle domine, sous ce rapport, toutes les autres puissances, je conçois qu'elle (page 79) abandonne les moyens dont elle a fait usage autrefois ; elle n’en a plus besoin, car elle maîtrise l'univers entier en fait de commerce. Mais est-ce là la voie qu'elle a suivie précédemment ? Non, messieurs, c'est par la protection qu'elle est arrivée à la position qu'elle occupe maintenant. Voila la grande question.
Et d'ailleurs, il ne faut pas parler seulement de l'Angleterre, mais vous ne devez pas oublier la France, l'Allemagne ; voyez le système qui prédomine dans ces pays. L'Allemagne s'engage plus que jamais dans le système de la protection ; nous pouvons le constater par les relations récentes que nous avons eues avec ce pays. Il ne faut pas constamment venir nous citer l'Angleterre ; il ne faut pas être anglomane quand même ; il ne faut pas venir nous dire que l'Angleterre est notre modèle à suivre en tout ; certes, elle peut nous servir d'exemple en bien des choses, mais pas en tout ; et pourquoi ? parce que nous ne sommes pas à même de l'imiter en tout.
Eh bien, je dis que nous devons rechercher sans relâche les moyens pour améliorer notre position, car, aussi longtemps qu'il y a quelque chose à faire, il faut aller en avant ; je sais que notre situation est améliorée, et je dois applaudir aux efforts que le gouvernement a faits à cet égard. Mais ce n'est pas à dire qu'il faut s'arrêter, qu'il n'y a plus rien à faire.
Je m'estime heureux d'être d'accord avec M. le ministre des affaires étrangères sur bien des points qu'il a signalés tout à l'heure ; je m'estime heureux d'avoir appris de lui qu'il entre dans notre manière de voir en ce qui concerne les comptoirs et la société d'exportation, objets qui méritent sans doute un examen approfondi de la part du gouvernement et de la chambre.
Pour ce qui regarde ces objets, que la chambre me permette d'ajouter un mot, en réponse à ce qui a été dit tout à l'heure par un honorable préopinant.
L'honorable M. Osy a combattu sous ce rapport mon opinion qui est celle de la plupart des députés flamands, de MM. Cumont, T'Kint de Naeyer, etc. ; il ne fait aucun cas des comptoirs et des sociétés de commerce, parce que, dit-il, il y a eu des abus. Mais, messieurs, les abus ne sont pas inévitables. J'ai commencé par dire que c'était une question à étudier, qu'il ne fallait pas jeter les subsides au premier venu ; qu'il ne fallait pas adopter un système irrationnel.
Pour ce qui regarde la prime, l'honorable M. Osy en est partisan ; il la veut pour les constructeurs de navire ; il accorde même des primes aux jeunes gens qui vont voyager à l'étranger dans l'intérêt de notre commerce ; il veut des primes pour les sucres ; enfin le système des primes est le sien.
Eh bien, le cas dont je m'occupe est une question d'application du même système ; il s'agit de savoir, pour ce qui regarde les comptoirs et la société de commerce, si la prime ou l'encouragement, comme on voudra l'appeler, sera bien appliqué ou non. J'ai la conviction qu'en s'y prenant prudemment, on peut y réussir.
Les bourses accordées à des jeunes gens qui voyagent à l'étranger dans l'intérêt de notre commerce, sont dans la même catégorie de moyens d'encouragement.
Cette mesure conduit précisément à l'établissement de comptoirs. Plus d'une fois, j'ai été dans le cas d'adresser des recommandations semblables à M. le ministre des affaires étrangères ; il n'y a pas longtemps que je lui ai recommandé un de mes anciens élèves qui était allé s'établir en Californie ; il voulait y ériger un comptoir ; il avait besoin, pour cela, d'une prime ? Non ; mais d'un simple encouragement moral de la part du gouvernement, d'un lttre ; j'ai demandé ce titre, et j'ai eu la satisfaction de l'obtenir de M. le ministre, et je l'en remercie publiquement aujourd'hui...
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je suis charmé d'avoir pu faire une chose qui vous fût agréable, en même temps qu'elle pouvait être utile au pays.
M. de Haerne. - M. le ministre, je ne manquerai pas de vous louer chaque fois que vous entrerez dans notre manière de voir et que vous nous seconderez dans l'intérêt du pays.
Dernièrement encore une maison assez importante dans les Flandres, qui fabrique des étoffes mêlées, avait l'intention d'établir un comptoir aux Etats-Unis ; on est venu me demander s'il n'y avait pas moyen d'obtenir un encouragement de la part du gouvernement. Je n'ai pu m'empêcher d'entrer dans les vues de cette maison, et d'engager le gouvernement à y prêter les mains. Voilà comment on peut encourager le commerce, et donner de l'élan à l'industrie pour l'exportation.
Mais puisqu'il y a des endroits pour lesquels les particuliers ne se présentent pas, je ne dis pas que le gouvernement ne ferait pas bien de créer quelquefois lui-même un pareil établissement. C'est une question à examiner d'après les circonstances. Dans toutes ces questions, je ne suis pas absolu, mais je me méfie beaucoup de ceux qui disent : « Il ne faut pas de comptoirs, il ne faut pas de société d'exportation. »
Cette opinion est trop absolue, dans un sens contraire à ma manière de voir. Je le répète, je ne suis pas absolu ; j'étudie les questions d'après les faits et les circonstances particulières. C'est d'après ces principes, je crois, que l'on doit accorder des encouragements à l'industrie qui améliorera d'autant plus facilement ses produits qu'elle sera mieux et plus sagement protégée.
M. Sinave. - Messieurs, l'opinion de M. Osy est d'une très grande influence sur cette discussion ; mais il veut admettre, relativement aux sociétés de commerce, une opinion absolue que je ne partage pas.
Depuis que j’ai l'honneur de faire partie de la chambre, j’ai soutenu la nécessité d’établir une société d’exportation et sans société de commerce, vous ne ferez rien.
Quand M. Osy nous dit que toute société de commerce doit succomber, il est dans l'erreur. M. Osy nous parle des sociétés de commerce qui font des affaires pour leur compte. Ce n'est pas là ce que nous demandons. Nous demandons une société qui serait l'intermédiaire entre le fabricant et le consommateur. C'est là ce qu'il nous faut : nous devons avoir des comptoirs dans les pays transatlantiques avec la garantie de la société des capitaux confiés à ces comptoirs. Cette société est indispensable afin que nos fabriques aient la faculté de demander des avances. Voilà notre manière de voir. Mais, établir une société de commerce pour lui faire faire des spéculations pour son compte, je crois, de même que M. Osy, que c'est là perdre complètement ses capitaux.
M. Coomans. - Messieurs, je suis un peu embarrassé, moi protectionniste, de me voir forcé de venir au secours de l'honorable M. de Brouwer contre M. de Haerne, M. T'Kint et plusieurs autres honorables membres de cette assemblée qui demandent le maintien, voire même l'extension du système des primes.
Je désirerais savoir quelles sont les intentions du gouvernement à cet égard, et combien de temps il compte faire durer encore ce système. Je sais très bien qu'on ne sollicite que des primes provisoires, on ne veut pas des primes en principe. Aucun de nous ne les réclame, c'est entendu ... (Interruption.) D'accord.
Messieurs, nous ne voulons pas des primes en principe, mais en fait nous les empochons volontiers. En général, ceux qui en profitent le plus les blâment le plus aussi, à merveille ! Cependant ce mauvais principe des primes, cet absurde, cet odieux, ce ruineux, cet illibéral principe des primes (j'ai entendu retentir toutes ces épithètes dans cette enceinte), cet intolérable, ce rétrograde principe nous paraît d'une application si douce que nul ne veut y renoncer ! De qui se moque-t-on, je vous prie ? Du principe, des contribuables ou de soi-même ?
Je demande formellement, messieurs, que le ministère s'explique sur le point de savoir combien de temps il compte faire durer les primes accordées aujourd'hui à plusieurs de nos industries manufacturières et à une foule d'autres produits nationaux ?
L'honorable minisire des affaires étrangères a déclaré tout à l'heure que la véritable, la grande cause du malaise de nos éleveurs gisait dans le défaut d'exportation ; telle n'est pas mon opinion ; je l'ai dit tantôt, et je traiterai plus tard la question avec les développements qu'elle mérite. Mais la manière de voir du gouvernement lui impose l'obligation de faire décréter des primes de sortie en faveur du bétail, puisqu'il n'y a salut pour nos cultivateurs que dans l'exportation. Je me réserve de prendre l'initiative d'une proposition semblable, si l'on persiste à prendre dans la poche des contribuables ruraux un fonds commun de primes où il ne leur est pas permis de puiser comme les autres Belges.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable préopinant vient d'interpeller le gouvernement quant au système des primes. Ceux qui l'ont préconisé ne sont pas au banc ministériel.
- Un membre. - Ils l'ont étendu largement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ils l'ont restreint.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Dans des circonstances extraordinaires, exceptionnelles, le gouvernement avec l'assentiment des chambres, où pas une seule voix n'a réclamé, le gouvernement, dis-je, a établi certaines primes temporaires à l'exportation de nos tissus. Ces primes ont amené un heureux résultat. Le moment est mal choisi pour les attaquer, car elles sont sur le point d'expirer. Les industriels ont été avertis que successivement de six mois en six mois, elles diminueraient jusqu'au moment où elles disparaîtraient entièrement. Nous sommes à la veille de ce jour. Ces primes concernent les tissus de lin et de coton ; quant aux autres, j'ignore auxquelles M. Coomans a fait allusion ; je n'en connais pas qui aient été établies par le gouvernement.. Je prie l'honorable membre de les signaler ; et si des abus, se révèlent, nous nous empresserons de les faire disparaître.
M. le président. - Je dois communiquer à la chambre une lettre de M. le ministre de la guerre faisant connaître différents amendements qu'il propose au budget de son département. Je propose de les faire imprimer et distribuer ; de cette manière l'examen du budget en sections pourra commencer et suivre son cours.
- Cette proposition est adoptée.
M. de T'Serclaes, rapporteur. - Messieurs, votre section centrale s'est occupée des deux questions que la chambre agite en ce moment.
La première, c'est la motion faite par l'honorable M. T'Kint de Naeyer à propos du comptoir à établir à Singapore ; elle se rattache au service des agents commerciaux à l'étranger, elle a été examinée par nous à sa place naturelle, qui est le chapitre III : « Consulats », déjà voté, par la chambre.
La section centrale n'a pas dissimulé ses sympathies pour l'augmentation de nos agents consulaires salariés ; elle a appelé l'attention du gouvernement sur la fondation d'un comptoir à Singapore et sur d'autres côtes des Indes orientales. Il est une vérité admise par tous les hommes d'Etat qui se sont occupés des moyens de créer des relations de commerce avec les pays lointains, et confirmée par l'expérience, c'est que, pour atteindre complètement le but, deux choses sont à peu près également nécessaires : d'abord, des relations d'affiires directes et sûres entre les négociants indigènes et étrangers, des comptoirs, des maisons de (page 80) négoce dirigées et soutenues par des Belges à l'étranger, ensuite une protection éclairée et efficace du gouvernement.
Pour pouvoir exercer en sécurité leur commerce, les maisons de commission, les Belges faisant des affaires doivent pouvoir compter sur la protection diplomatique du gouvernement du Roi. L'un ne peut pas aller sans l'autre, dans des pays où l'autorité est souvent incertaine, où les usages et les lois ne présentent fréquemment aucune analogie avec les nôtres.
Pénétrée de cette pensée, la section centrale a engagé le gouvernement à ne pas négliger cette immense partie du globe où se trouvent l’Indo-Chîne, Singapore, Manille, Java, pays d'une grande richesse où les besoins de l'exportation sont presque indéfinis. Il n'y a pas aujourd'hui un seul consul belge salarié dans aucune de ces contrées si importantes pour le commerce. Il y a quelques années nous y avions deux agents rétribués, résidant l'un à Singapore, l'autre à Manille ; aujourd'hui npus n'en avons pas du tout.
Maintenant je dirai quelques mots en mon nom personnel.
Beaucoup de pays qui présentent des ressources pour notre industrie, sont dépourvus d'agents du gouvernement du Roi, qui assurent protection aux intérêts belges. Nous n'avons sur le littoral du continent américain vers l'océan Pacifique aucun consul général ou agent consulaire payé : au Pérou, au Chili, en Californie, nous n'avons aucune mission ni diplomatique ni consulaire : toute la côte est abandonnée aux efforts individuels. L'agent accrédité au Chili et à Valparaiso a reçu une autre destination.
Cependant nos relations d'affaires avec le Chili, le Pérou, s'étendent considérablement ; nous n'y faisions point ou guère de négoce autrefois. Aujourd'hui, ces pays deviennent chaque jour plus intéressants pour nos débouchés.
Quant à la Californie, je n'en parlerai pas, elle attire en ce moment l'attention générale. Un grand nombre de nos compatriotes s'établissent dans ces parties de l'Amérique, ils sont exposés à être molestés, inquiétés, il importe que le gouvernement du Roi leur vienne en aide par une action consulaire organisée avec dignité.
Un deuxième point important pour nos relations extérieures, c'est l'Australie ; il se fait là un commerce extrêmement étendu ; c'est à ce point que presque toutes les laines que l'Angleterre met en fabrication proviennent de cette colonie ; en Belgique, beaucoup de négociants tirent de l'Australie leurs matières premières et il n'y a pas un seul agent consulaire, belge de nation, en Australie.
Je pourrais citer des localités sur la côte d'Afrique où le même besoin se fait sentir.
Remarquez, messieurs, que mes observations n'ont point pour but de créer des charges nouvelles pour les contribuables. Je signale les points où des agents sont nécessaires. Mais ensuite, c'est au ministère à faire des crédits que nous lui accordons l'emploi le plus judicieux et le plus utile dans l'intérêt général.
Je ne demande donc pas que, pour subvenir à ces besoins et à d'autres encore, on augmente le poids déjà si lourd des impôts, mais que l'on fasse emploi des charges actuelles avec discernement dans l'intérêt bien entendu du pays ; la protection du commerce et de l'industrie à l'étranger ayant comme corollaire la présence sur les lieux d'agents diplomatiques et consulaires, doit certes être l'objet des préoccupations constantes du gouvernement ; il doit équilibrer nos ressources financières avec les besoins, et faire usage des premières là où elles peuvent produire les résultats les plus féconds pour la prospérité générale : notre expérience propre et celle de nos voisins nous prouvent que jamais l'on ne doit regretter les fonds employés à faire protéger, et apprécier nos produits nationaux, et nos concitoyens à l'étranger.
La seconde question abordée par les orateurs qui m'ont précédé est la question si controversée des primes, et spécialement celle des primes pour la construction des navires. Celle-ci est l'objet particulier en discussion, puisque nous nous occupons du chapitre VII du budget des affaires étrangères, si la chambre me permet de la ramener au point de départ. La section centrale a traité cet objet avec sollicitude ; elle a émis le vœu qu'on examinât la matière dans son ensemble et le plus tôt possiple.
Si je prends la parole, c'est pour engager le gouvernement à s'occuper de l'affaire sans retard. C'est le 31 décembre 1851 qu'expire la loi de 1837 ; si des modifications doivent être introduites, il faul que les constructeurs en soient informés très prochainement, qu'ils soient avertis en temps des conditions nouvelles auxquelles ils devront soumettre leurs opérations.
La construction d'un navire ne se fait pas en peu de temps, elle demande plusieurs mois, il est nécessaire que l'on sache, le plus tôt possible, à quoi s'en tenir. C'est dans cette vue que la section centrale a exprimé le vœu que le projet de loi fût présenté au début de la présente session.
L'honorable baron Osy vient aussi de vous expliquer combien il importe que la nationalisation des navires étrangers soit réglée sur des bases nouvelles. Les circonstances politiques du moment ajoutent un degré nouveau et très pressant d'intérêt à ces questions.
M. Rodenbach. - M. le ministre de l'intérieur a paru vouloir amener une discussion sur le système des primes. Je crois qu'en temps de crise, comme nous en avons eu, le système des primes a été utile ; mais je dois l'avouer, quand on a accordé des primes pour les toiles, c'était tout à fait nécessaire, car cette industrie ou plutôt les ouvriers qu'elle emploie ne pouvaient s'en passer : ils étaient sans ouvrage et il était urgent de leur en procurer si on ne voulait pas les voir mourir de faim.
C'était donc dans l'intérêt des ouvriers et non dans l'intérêt des fabricants qu'on avait établi ces primes. Mais je crois qu'on ne doit en accorder qu'aux industries qui en ont absolument besoin, et à celles qui emploient beaucoup d'ouvriers.
Aussi je ne comprends pas qu'on maintienne celles qui ont été établies en faveur des raffineurs de sucre qui occupent très peu d'ouvriers, à la différence de l'industrie linière qui en emploie un nombre considérable ; car ce n'est qu'en faveur de la classe malheureuse et non de millionnaires ou quasi-millionnaires qu'on doit accorder des primes. Quand il y en a d'établies, je ne suis pas d'avis qu'on les supprime brusquement, je pense qu'on doit apporter à leur suppression certain tempérament, les réduire successivement pour arriver, au bout de deux ou trois ans, à leur suppression totale. Si on agissait autrement, on ferait du tort au commerce.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est ce que j'ai fait : les industriels ont été prévenus longtemps à l'avance.
M. Rodenbach. - Quant aux bourses qu'on accorde à des jeunes gens pour aller dans les Indes et ailleurs, je crois qu'on peut considérer cela comme une espèce de prime ; je suis loin de les désapprouver ; mais quand il s'agit de les accorder, je pense qu'on doit s'assurer que les jeunes gens qui s'adonnent au commerce, qui ont du talent, veulent aller étudier le commerce à l'étranger pour fonder des maisons, et donner la préférence à ceux qui sont dans le cas de recevoir des bourses dans l'intérêt du commerce. Cependant, si je dois croire ce que j'ai vu dans la presse, on en a accordé à des jeunes gens dont les parents sont presque millionnaires. Si cela est vrai, c'est un scandale qu'on ne devrait pas permettre. Je me bornerai à ce peu de mots.
Dans la discussion générale, je crois avoir dit que nos navires, dans les ports anglais, payaient un droit double de celui que les bâtiments anglais payent dans nos ports ; M. le ministre n'a rien répondu à cet égard ; j'ai demandé si on ne pourrait pas ouvrir des négociations pour faire cesser cet état de choses.
Je prierai M. le ministre de vouloir bien donner quelques explications sur ce point quand il répondra à d'autres orateurs.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - L'honorable M. Rodenbach a demandé si les navires belges payent un double droit dans les ports anglais. Nos navires payent les mêmes droits qu'autrefois. Ils sont sur le même pied que ceux des nations qui ne jouissent pas de l'avantage de la réforme dans les lois de navigation qui a été adoptée en Angleterre. Ces droits appartiennent à des corporations, ils n'ont pas été abolis par la réforme des lois de navigation ; il n'y a que les nations qui accordent à l'Angleterre des avantages équivalents qui obtiennent la remise des droits par suite de l'arrangement que le gouvernement prend avec ces corporations.
Notre situation n'est pas changée depuis le nouveau régime, elle est la même ; nous avons même gagné quelques avantages. Ainsi nos navires, ne pouvaient pas introduire des produits indirectement en Angleterre. Maintenant ils peuvent le faire. Il est vrai que vis-à-vis de la concurrence anglaise c'est un faible avantage. Cependant, c'est un droit qu'ils n'avaient pas auparavant.
Nous avons fait des ouvertures au gouvernement anglais pour obtenir un arrangement qui nous fasse jouir de tous les avantages accordés par la législation nouvelle. Mais il y a un obstacle assez grave à cet arrangement, c'est notre loi des droits différentiels.
En effet, nous ne pouvons accorder à l'Angleterre l'assimilation pour la navigation indirecte, que nous avons refusée à toutes les autres nations. Ce serait renverser tout notre système de droits différentiels. C'est ce qui fait qu'un traité avec l'Angleterre présente des difficultés. Cependant elle ne s'y refuse pas entièrement. Les négociations sur ce point ne sont pas terminées.
M. Dumortier. - Nous voilà bien loin, messieurs, de l'honorable M. de Brouwer de Hogendorp, à qui je voulais répondre tout à l'heure. Mais les doctrines qu'il a émises sont telles que je ne puis les laisser passer sous silence.
L'honorable M. de Brouwer de Hogendorp vient de prétendre qu'il ne faut pas bercer les Flandres d'espérances, et que le seul espoir qu'on puisse leur donner consiste à leur dire : « Fabriquez à aussi bon marché que l'Angleterre, vous vendrez comme l'Angleterre. » Ce sont ces paroles que je viens combattre. Je démontrerai que ce système repose sur des théories et n'est nullement en harmonie avec la pratique commerciale.
L'honorable député de Malines a adopté la manière de raisonner de tous les statisticiens qui n'ont fait que lire des livres et qui n'ont jamais connu la pratique du commerce. Or, en commerce et en industrie, la théorie et la pratique sont deux choses toutes différentes. Vous avez beau lire des traités spéculatifs ; vous avez beau raisonner très bien, d'après des livres purement spéculatifs, la pratique renverse tous vos raisonnements.
C'est ainsi que l'honorable député de Malines dit aux Flandres : Fabriquez à aussi bon marché que l'Angleterre, vous vendrez comme l'Angleterre. C'est la théorie qui dit cela, c'est ce principe qui sert de base au système des économistes.
Mais à côté de ce principe, il y en a un autre que voici, c'est que sans (page 81) relations, vous ne ferez jamais d'affaires. Vous aurez beau fabriquer à aussi bon marché que possible, à meilleur marché que vos voisins, si l'étranger ne le sait pas, il n'achètera pas.
M. Lesoinne. - C'est à vous à le leur faire savoir.
M. Dumortier. - Sans doute ; et c'est pour cela qu'il faut des relations. Pensez-vous que l'industriel qui établira une manufacture où il fabriquera à meilleur marché que ses concurrents, vendra quoi que ce soit si on ne le sait pas ? Il ne vendra rien s'il n'a pas de commis-voyageurs pour lui créer des débouchés. C'est là ce qu'il faut à la Belgique aussi bien qu'au fabricant, c'est de faire connaître ses produits à l'étranger, de leur faire apprécier leur qualité et leur bon marché dans les pays de consommation.
Que la Belgique soit sous ce rapport dans les mêmes conditions que l'Angleterre et elle vendra comme elle ; mais sans relations commerciales, elle aura beau produire à meilleur marché, elle ne vendra pas, parce qu'elle ne sera pas connue. Voilà ce que la théorie n'a pas compris, et c'est ce qui la rend creuse, vide et nullement pratique. Tous ces systèmes reposent sur des principes arrêtés d'avance qu'exclut la pratique commerciale.
La Belgique a-t-elle ces relations, ces commis voyageurs ? Elle n'en a pas, et c'est là ce qui empêche ses exportations. Ajoutons que, dans notre pays, les capitaux n'ont pas pris la direction des exportations transatlantiques.
L'Angleterre, que cite toujours avec une grande satisfaction l'honorable député de Malines, a des commis voyageurs industriels de toute espèce qui sans être salariés parle commerce, font valoir ses produits. La marine militaire est pour le commerce anglais un puissant commis voyageur qui, répandu dans toutes les parties du monde, fait valoir les produits de l'Angleterre. Ce pays possède une masse infinie de citoyens qui, émigrant partout et s'y établissant, font connaître partout ses produits.
Ce sont autant de commis voyageurs que l'Angleterre expédie pour faire connaître ses produits, pour en propager la vente. L'Angleterre va plus loin ; elle a des missionnaires, des missionnaires religieux, des Pritchard, qui vont prêcher sa foi et surtout son commerce à l'étranger, dans les pays lointains.
Voilà, messieurs, les ressources infinies que possède l'Angleterre, et voilà ce qui manque à la Belgique. La théorie commerciale vient donc complètement se briser ici contre la pratique commerciale ; la pratique est ici la condamnation formelle de la théorie. « Fabriquez à meilleur marché et l'on viendra acheter chez vous, » c'est absolument comme si un capitaliste, ayant des millions en caisse, était disposé à les prêter à bas intérêt, mais sans rien en dire à personne. Il faut des courtiers, il faut des commis voyageurs, il faut des gens qui fassent connaître vos produits, et je ne puis que féliciter les chambres d'avoir agi dans ce sens, d'avoir établi des comptoirs à l'étranger et d'être disposées à persévérer dans ce système.
Sur le continent européen, nos produits sont recherchés ; partout ils luttent contre les produits de nos rivaux ; partout on craint notre concurrence. Vous êtes connus en Europe et les Européens viennent acheter chez vous ; qu'est-ce qui vous manque pour vendre dans les pays transatlantiques ? C'est d'y être connus ; et vous n'y serez pas connus, parce qu'on aura débité, dans cette enceinte, des discours sur la liberté du commerce. Il faut des agents qui aillent dans les pays transatlantiques y faire valoir vos fabricats.
Pourquoi vos produits étaient-ils autrefois recherchés à Java ? Parce qu'ils y étaient connus et, si on le pouvait, on viendrait encore les chercher. Ce qu'il faut donc faire, c'est d'établir des relations, c'est de favoriser l'esprit d'entreprise. Voilà vingt ans que je m'évertue à le dire dans cette chambre : il nous faut des missionnaires commerciaux. Voilà ce que nous enseigne la pratique, et quelque estime que je puisse avoir pour ces théories absolues et prises dans des livres, je fais encore plus de cas de la pratique.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La théorie n'est pas contraire aux commis voyageurs.
M. Dumortier. - M. de Brouwer y est contraire quand il dit qu il suffit de fabriquer à bon marché pour qu'on vienne acheter vos produits.
J'arrive au second point de la question : les primes. Je suis ennemi des primes commerciales et ami des primes. Je suis ennemi des primes lorsqu'elles ne procurent point un avantage au travail national ; je suis ami des primes lorsqu'elles procurent un avantage au travail national et j'en suis ami dans, la proportion de l'avantage qu'elles procurent au travail national.
Les primes sont un moyen d'amener nos négociants à faire connaître nos produits à l'étranger, et si nous n'exportons pas dans les pays transatlantiques, c'est parce que nos produits n'y sont pas connus. J'appuie donc de tout mon pouvoir les primes accordées pour l'exportation des produits manufacturés qui ne sont pas encore connus à l'étranger. Je les appuie surtout dans la position où se trouve maintenant le pays. Quelle est, en effet, cette position ? Nous avons des traités avec le continent ; nous avons des traités avec la France, avec l'Allemagne, avec la Hollande ; ces traités vont arriver à leur fin, et il ne faut point se bercer d'illusions, il sera très difficile de les renouveler.
J'en appelle à M. le ministre des affaires étrangères lui-même, il nous dira les difficultés qu'il éprouve partout dans les négociations commerciales avec les pays qui nous entourent, j'en suis convaincu. Il ne faut point ici, messieurs, que nous exigions du gouvernement ce que, peut-être, il n'est pas en son pouvoir de faire.
J'ai l'espoir que nous obtiendrons certaines prolongations des traités, peut-être quelques-uns seront-ils renouvelés, mais il est possible aussi qu'ils ne le soient point.
Eh bien, messieurs, supposez que demain les traités dont je viens de parler n'aient plus d'effet, que deviendra la Belgique ? Sans exagérer l'importance de ces traités, il est certain qu'ils ont créé des débouchés et que le jour où la Belgique en sera privée, elle étouffera de pléthore. (Interruption.) J'entends l'honorable M. de T'Serclaes dire qu'il faut taire ces choses-là ; je pense, moi, qu'il faut les dire ; il faut que le gouvernement ait l'œil ouvert sur la situation dans laquelle le pays peut se trouver.
Remarquez bien cependant que quand je dis que la Belgique étoufferait de pléthore, ce n'est pas une phrase qu'il faut prendre à la lettre ; je parle comparativement. Je crois parler ici à des hommes d'intelligence, à des hommes qui comprennent ce que je veux dire. Je dis que la Belgique ne pouvant plus exporter ce qu'elle exporte aujourd'hui sur le continent, le montant de ces exportations qui lui échapperont formera un trop-plein dont elle sera extrêmement embarrassée, si elle ne trouve pas une compensation dans les exportations sur les marchés lointains.
Eh bien, messieurs, rien n'est préparé pour nous procurer cette compensation. Les efforts que l'on a faits dans ce sens sont louables, mais nous sommes loin d'avoir réussi à nous ménager dans les pays transatlantiques un débouché comparable à celui que nous perdrions sur les marchés du continent où tout tend à resserrer les barrières qui nous entourent.
Voilà, messieurs, ce qui doit préoccuper tous les hommes qui s'occupent des grands intérêts du pays, c'est de savoir ce qui arrivera le jour où les traités, que nous avons aujourd'hui avec nos voisins, seront dénoncés.
J'ai entendu l'honorable ministre de l'intérieur dire que les primes vont cesser, que les industriels en ont été informés ; eh bien, messieurs, pour mon compte je dois dire que je désapprouve fortement la cessation des primes accordées aux exportations outre-mer de nos produits manufacturés.
Je pense que si on n'avait pas donné de primes jusqu'à présent, ce serait aujourd'hui le cas, plus que jamais, d'en donner, afin de nous préparer des débouchés lointains pour être en mesure le moment où une catastrophe viendrait tomber sur nous par la dénonciation des tratlés. Cette catastrophe, nous devons la prévoir, nous devons en prévenir les effets, et si vous arrêtez maintenant les primes, vous arrêtez en même temps le commencement d'exportation qui s'est créé ; vous l'arrêterez parce que votre industrie, qui fabrique à meilleur marché que ses rivales, n'est point encore assez connue dans les contrées transatlantiques, parce que nos relations n'y sont point encore assez consolidées pour que, le jour où nos voisins nous fermeraient leur porte, nous puissions exporter notre trop-plein dans ces contrées lointaines.
Il importe donc, messieurs, de maintenir les primes jusqu'au jour où nos relations seront parfaitement établies partout, jusqu'au jour où nos produits seront connus partout.
Mais, messieurs, sur quoi ces primes ont-elles été accordées ? Elles ont été accordées sur tous objets manufacturés dont la valeur quadruple par le travail national.
Je sais bien qu'il y a d'autres primes, des primes déguisées que l'on veut maintenir, mais celles-là précisément je n'en veux pas parce qu'elles ne s'accordent point au profit du travail national.
Ainsi, par exemple, peut-on dire que la prime des sucres exotiques profite au travail national ? Mais le travail national n'y est pour rien, ou presque rien. Cependant on y sacrifie plusieurs millions par an.
Eh bien, messieurs, cette prime de plusieurs millions par an n'est encore que la moindre, il en est une bien plus considérable, c'est la prime des chemins de fer.
Comment ! quand vous transportez à perte les denrées dans tout le pays et à l'étranger, quand vous transportez, si ma mémoire est fidèle, 100 livres de café d'Anvers à Cologne pour 80 centimes, n'est-ce point là une prime au profit du café étranger, prime qui coûte au trésor public plusieurs millions tous les ans ?
Eh bien, messieurs, ces primes déguisées, on n'en parle pas ; mais parce qu'on accorde quelques primes aux toiles, aux tissus dles Flandres, aux calicots de Gand, on crie à l'abus on dit qu'il faut supprimer ces primes ! Je dis, moi, qu'il faut les maintenir parce qu'elles ont pour objet de faire connaître nos produits à l'élranger et de procurer un avenir immense à l'industrie. Quant aux autres, elles ne profitent point au travail national, elles ne profitent qu'à l'étranger et, par conséquent, on devrait les supprimer.
Je suis donc d'avis, messieurs, que ce qu'il faut faire en industrie c'est avant tout de faire connaître les produits à l'étranger. Ce qu'il nous faut ce sont des relations, relations qui nous manquent. Aussi longtemps que la Belgique n'aura point de relations, elle aura beau fabriquer à bon marché, elle aura beau fabriquer par exemple des toiles qui s'exportent en France avec de gros droits et qui s'exportent de France dans d'autres pays ; elle aura beau fabriquer des produits dont la concurrence est redoutée de tous ses rivaux, si elle n'a pas de bonnes relations dans les pays transatlantiques, elle ne pourra pas y faire des exportations quelque peu importantes. Or, messieurs, pour établir des relations il faut deux choses, il faut des comptoirs, il faut des primes.
(page 82) Veuillez, messieurs, faire une remarque. Le traité avec la France impose au trésor public un sacrifice d'un million et demi de francs ; eh bien, une somme moindre que celle-là, consacrée à des primes d'exportation pour nos toiles, mettrait les Flandres à l'abri de toute espèce de danger pour le jour où le traité serait dénoncé. Mais il ne faut pas attendre, il faut prendre de sages mesures longtemps d'avance, il daut faire comme la fourmi et non pas comme la cigale, si vous ne voulez pas exposer le pays à des catastrophes le jour où les traités seront dénoncés.
Je demande donc le maintien des primes tout au moins jusqu'au jour où l'on saura que les traités sont renouvelés ; jusque-là, il faut les maintenir et au besoin les augmenter afin de procurer au pays des débouchés pour remplacer ceux qui lui seraient tout à coup enlevés dans un jour néfaste.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, je ne puis en aucune manière admettre l'importance exagérée que l'honorable préopinant attache aux traités conclus entre la Belgique et les pays voisins. D'après l'honorable préopinant, si ces traités venaient à être dénoncés, le pays se trouverait dans une situation déplorable ; il y aurait une catastrophe, c'est l'expression dont il s'est servi. Eh bien, messieurs, c'est là une extrême exagération. Notre pays n'est point assez malheureux pour que l'éventualité prévue par l'honorable membre doive inspirer de semblables inquiétudes. Je vous le demande, notre position ne serait-elle pas extrêmement fâcheuse, si l'on pouvait croire à l'intérieur que le sort de l'industrie et du commerce dépend exclusivement des traités dont il s'agit ? Vis-à-vis des puissances étrangères quelle serait notre attitude si nous nous trouvions dans une véritable dépendance, si ces puissances pouvaient croire que nous n'existons que par leur volonté, qu'en vertu des traités conclus avec elles !
Examinez, je vous en prie, messieurs, attentivement ces traités l'un après l'autre, traités que nous chercherons à maintenir honorablement, bien entendu, et dans l'intérêt du pays,sans faire des sacrifices trop onéreux ; mais enfin examinez-les l'un après l'autre, et voyez quelle en est la véritable importance. Nous avons un traité avec l'Allemagne où nous négocions en ce moment, ce traité favorise nos fontes d'une valeur réelle pour nous. Eh bien, messieurs, avant le traité nous exportions à peu près autant de fontes en Allemagne que nous en exportons depuis la conclusion du traité. Du moment que la construction des chemins de fer, par exemple, reprendra, on aura besoin de nos fontes et je ne pense pas que ce serait le moins du monde une calamité si le traité n'était pas renouvelé. Nous exporterions probablement encore en Allemagne autant de fontes que maintenant. Cela dépendrait des besoins de l'Allemagne et aussi du prix de revient en Belgique.
Nous avons un traité avec les Pays-Bas, je reconnais qu'il présente des avantages, mais il en présente tout au moins autant pour les Pays-Bas que pour nous. Je désire vivement voir nos relations avec ce pays continuer et s'étendre, mais enfin, si le traité devait être dénoncé contre notre gré et l'intérêt bien entendu des deux pays, je dis que l'industrie ne subirait pas même une crise. Avant le traité nos exportations étaient déjà très notables et elles continueraient à l'être si le traité cessait d'avoir ses effets.
Le troisième traité est celui que nous avons avec Ja France. Qu'avez-vous entendu, messieurs, dans la discussion générale ? Vous avez entendu d'honorables députés des Flandres nous convier en quelque sorte à ne plus renouveler ce traité... (interruption), à ne plus le renouveler tel qu'il est. La dénonciation de ce traité ne serait donc pas un si grand malheur.
M. Rodenbach. - Non, car nous ne vendons plus que pour 1,500,000 francs en France.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Vous voyez donc, messieurs, que le sort du commerce et de l'industrie ne repose pas, fort heureusement, sur ces traités ; car il reposerait sur une base bien fragile.
Quelle serait notre position si ces traités venaient à cesser ? Notre position serait la même que celle de toutes les puissances étrangères : nous arriverions, par exemple, sur les marchés d'Allemagne aux mêmes conditions que l'Angleterre, aux mêmes conditions que la France.
Toutes les puissances n'ont pas des traités à droits différentiels, traités que l’on paye très cher, qui imposent des sacrifices quelquefois très durs à telle ou telle industrie. Notre position serait la même que celle des puissances qui sont nos rivales ; eh bien, notre industrie est assez forte, assez avancée pour pouvoir lutter avec les industries similaires de l'étranger. Cela est évident.
Il ne faut donc pas porter une certaine appréhension dans l'esprit de nos industriels. Les articles que nous exportons le plus, ne profitent pas de ces traités.
Est-ce que les armes, les verres à vitre, le zinc, les glaces, les clous, les draps et bien d'autres articles qui ne me reviennent pas à la mémoire, profitent de ces traités ? Non ; et cependant nous exportons ces objets dans les pays voisins, nous en exportons même quelques-uns en Angleterre, et cela parce que, pour ces articles-là, nous produisons mieux ou du moins aussi bien que nos rivaux, parce que le prix de revient est aussi favorable que chez les autres nations.
Comme le disait l'honorable député de Malines, le perfectionnement et le bas prix des produits est toujours la base fondamentale de l'exportation ; il ne faut sans doute pas négliger les autres moyens ; mais quand nous n'aurions plus de traité ni avec l'Allemagne, ni avec la France, qui nous empêcherait d'avoir les commis voyageurs dont parlait l'honorable M. Dumortier ?
Messieurs, je pourrais prolonger cette discussion ; je pourrais prouver à l'honorable M. Dumortier que nous cherchons sans relâche à étendre nos relations avec les pays étrangers. Je suis de l'avis de l'honorable membre : il ne faut pas seulement porter nos regards sur les pays d'Europe, il faut aussi les porter sur les pays d'outre-mer. Eh bien, d'après le mouvement qui se manifeste depuis quelque temps, nous pouvons dire en toute assurance que d'ici à peu d'années, nos relations avec ces pays se seront considérablement accrues.
- La suite de la discussion est remise à demain.
La séance est levée à cinq heures un et quart.