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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 7 février 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 686) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

La séance est ouverte.

M. T’Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Le sieur Nicolas-François Van Oorschot, vicaire à Saint-Léonard, né à Woolwyck (Pays-Bas), demande la naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur de Blende, soldat disciplinaire, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir l'annulation de son engagement et de la condamnation qui a été prononcée contre lui. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Dufaut soumet à la chambre un nouveau système de recettes et de dépenses de l'Etat. »

- Même renvoi.


M. le président donne lecture de la lettre suivante :

« M. le président,

« L'état de ma santé, déjà visiblement altérée hier, réclame des soins qui m'obligeront à me tenir éloigné de la chambre pendant deux ou trois jours. Je vous prie de vouloir bien me faire accorder ce congé. Un de nos honorables collègues de la section centrale voudra bien, sans doute, continuer de soutenir ses conclusions sur les deux points qui restent à résoudre de la loi sur les denrées alimentaires.

« Veuillez, M. le président, agréer, etc.

« (Signé) Ch. Rousselle. »

- Le congé est accordé.

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Discussion des articles du tarif

Bétail

La discussion continue sur les articles du tarif qui concernent le bétail.

M. Rodenbach. - Messieurs, j'ai voulu faire connaître mon opinion sur la question du bétail. Je suis partisan de la perception du droit au poids. Je trouve, comme les honorables députés de Malines, d'Ypres et de Bruges, qu'il n'est pas juste, qu'il est illogique d'établir le droit par tête. Percevoir le même droit quand le bétail est petit que quand il est très grand, ce n'est pas de l'égalité, ce n'est pas de la justice.

Quelques instants avant l'ouverture des débats sur cette question, le gouvernement nous a fait distribuer une note qui a sans doute été envoyée des bureaux à M. le ministre. Cette note est remplie d'erreurs. Ainsi, on y dit qu'en moyenne la différence entre une bête maigre et une bête grasse n’est que de 25 à 30 kilog.

Il me semble que, sans être agriculteur, tout le monde doit comprendre qu'entre un bœuf gras et un bœuf maigre, il y a une différence plus grande que de 25 à 30 kilog. Dans un bœuf gras, il y a déjà très souvent 25 kil. de suif, tandis qu'il n'y en a presque pas dans un bœuf maigre. La différence doit être de 80 à 100 kil., et je ne conçois réellement pas qu'on envoie des notes aussi inexactes aux ministres, ni que l'on base des calculs sur de semblables documents, car ces calculs doivent être complètement faux.

Il y a, messieurs, une autre injustice dans le droit par tête, c'est que la viande d'une bête maigre et chétive se vend très souvent aux marchands aux bouchers, moitié moins que la viande d'une bête grasse, et que, cependant, on perçoit le même droit sur l'une et sur l’autre.

Je crois, messieurs, que j'en ai dit assez pour démontrer qu'il est injuste d'établir le droit par tête, et pour réfuter la note ministérielle dont j'ai parlé.

Messieurs, toutes nos industries, en général, sont plus protégées que l'élève du bétail, car il y en a qui jouissent d'une protection de 60 à 80 p. c. Si vous voulez sérieusement protéger l'agriculture, vous devez lui donner une protection suffisante pour l'engager à augmenter la quantité de son bétail dans ses étables et pour l'exciter à augmenter le nombre de ses prairies, car nous en manquons en Belgique. Eh bien, si vous augmentez la protection sur le bétail, l'agronome augmentera la quantité de ses pâturages, il donnera plus d'extension à l'élève du bétail.

D'ailleurs, en renforçant un peu la protection, vous aurez plus de bétail indigène sur nos marchés; nous voyons hebdomadairement sur les marchés de Malines, Bruxelles et Courtray, que notre bétail a à soutenir une rude concurrence avec le bétail hollandais, parce que le nôtre n'est pas suffisamment protégé.

Vous ne pouvez espérer de voir augmenter l'élève du bétail, si vous n'accordez pas une protection suffisante à l'agriculteur belge; vous ne pouvez pas non pour obtenir la viande à bon compte, parce que, par votre tarif, défavorable aux bêtes maigres, vous mettez l’agriculteur belge dans l'impossibilité de lutter contre l'agriculteur hollandais.

Il est étonnant qu'avec le tarif actuel, la viande soit si chère en Belgique. C'est un fait que le gouvernement doit s'attacher à étudier. Lorsque le bétail est à bon compte, pourquoi la viande est- elle si chère ? Moi aussi je veux que le pain et la viande soient à bon marché ; je me demande dès lors comment le prix de la viande reste toujours le même, quoique le bétail soit à un prix médiocre.

Je sais que les octrois des villes sont une des causes de ce fait. Eh bien, le gouvernement est en droit de ne pas sanctionner les octrois communaux où se trouvent des taxes sur le bétail ; il y a même des villes où il y a un impôt sur la mouture ; et le gouvernement sanctionne de pareils tarifs!

Si l'on veut que les subsistances soient à bon compte, il faut changer le système des octrois.

Messieurs, ce sont surtout les petits cultivateurs qui seront protégés si l'on consacre pour le bétail le droit au poids au lieu du droit par tête. Les petits cultivateurs ont besoin d'engrais; eh bien, si vous ne les protégez pas, ils pourront élever moins de bétail et auront moins d'engrais; par conséquent, ils ne pourront ni augmenter ni perfectionner leur culture.

Je pense qu'il faut absolument percevoir le droit au poids et non par tête.

Je le répète, le système contraire ne serait ni rationnel, ni juste. D'ailleurs, nous avons un plus grand besoin de bétail maigre que de bétail gras, parce qu'il n'y a pas assez de bétail maigre en Belgique.

Je crois donc que, dans l'intérêt du bon marché de la viande, le gouvernement doit préférer le système au poids au système par tête. Du reste, ce système a été en vigueur pendant plusieurs années, sans qu'il en résultât d'inconvénients; et s'il s'en révélait, nous verrions ce qu'il y a à faire.

J'appuie les propositions de la section centrale.

M. de Bocarmé. - Messieurs, d'honorables collègues, m'ont confirmé hier dans la croyance où j'étais, que l'appréciation des droits sur le bétail par le poids est préférable à celle par tête, et l'honorable M. Rodenbach vient de se prononcer dans le même sens.

Malgré ce qui m'avait été dit dans les bureaux du ministère, je ne saurais trouver, dans le travail qui nous a été remis, les motifs d'une opinion contraire. J'y vois, page 6, qu'il n'aurait été constaté par la douane entre les bœufs maigres et les bœufs gras qu'une différence de 25 kilogrammes; c'est là une erreur matérielle qui doit conduire à des inductions inexactes. Dans la statistique de ce mouvement commercial, on aura confondu les classes, tandis qu'elles devaient être divisées en trois, celle des animaux maigres, des mitoyens (dit en bonne chaire,) et, comme troisième catégorie les animaux gras.

Alors on eût reconnu, avec tous les herbagers et les distillateurs, que la différence des bœufs, je ne dirai pas maigres, mais en état mitoyen, avec ces mêmes animaux gras est, en général, de cent kilogrammes, et même davantage, alors que l'on prodigue les nourritures ou le temps moyen de porture.

Les intérêts généraux du pays et de l'agriculture réclament donc que l'entrée des bêtes bovines, jeunes ou maigres, soit moins taxée que celle des bêtes adultes ou grasses, et, pour cela, le contrôle au poids, bien qu'il laisse encore à désirer, est de beaucoup préférable à celui qui se fait, du reste plus facilement, par tête; car les animaux gras font une fatale concurrence aux éleveurs, aux distillateurs, etc., en leur enlevant des bénéfices pécuniaires et ceux qui prennent leur source dans la qualité et l'abondance des engrais.

Quelles sont, messieurs, les matières étrangères que nous avons le plus d'intérêt à voir introduire en Belgique? Ce sont celles qui, par le travail et l'industrie, augmentent considérablement en valeur, et que le sol ou le climat nous refusent, ou ne nous donnent pas en quantités suffisantes, comme les cotons, les laines, etc., mais les valeurs qui ne sont pas susceptibles de s'augmenter par la main-d'œuvre, ou par les forces productives du pays, nous devons exiger que, par compensation des rivalités qu'elles exercent envers nos similaires, elles nous indemnisent par un apport au trésor public.

Notez, messieurs, que je dis ceci en prenant la situation à l'état de pratique où je le trouve, et pour tout le temps où les maximes nouvelles sur les relations commerciales des peuples ne seront pas passées du domaine des idées dans le domaine des faits.

Si j'en reviens maintenant à nos bœufs, l'application des mêmes maximes indique la préférence que nous devons donner au contrôle par le poids, puisque cela favorise, par l'allégement de la taxe, l'entrée des bêtes jeunes ou non chargées de chair, que j'appellerai bêtes de progression. En effet en ne prenant que la catégorie la moins avantageuse des animaux importés, celle qui est destinée aux fermes avancées, aux brasseries, aux distilleries, cette fraction, en 120 à 130 jours, atteint une valeur presque double de celle de l'achat : ascension fort importante, qui est perdue pour le pays quand l'animal, payé à l'étranger au maximum du prix, est conduit immédiatement à l'abattoir.

(page 693) M. Mercier. - Tous les orateurs que nous avons entendus jusqu'à présent, et les premiers inscrits au nombre de 5 ou 6, ont parlé ou doivent parler dans le même sens; n'y a-t-il personne d'inscrit pour parler en faveur du projet du gouvernement? Il me semble que, s'il y en a, il conviendrait de donner alternativement la parole à un orateur pour et à un orateur contre le projet.

M. le président. - Cette marche n'a jamais été suivie dans la discussion des articles. Au reste, il me semble que la discussion marchera plus vite en suivant l'ordre d'inscription.

M. de Denterghem. - J'avais demandé la parole pour faire la même observation que l'honorable M. Mercier, les considérations que j'ai à présenter sont analogues à celles que vous avez déjà entendues. M. le ministre nous a envoyé des documents. Avant de prendre la parole et de m'expliquer sur ces documents, je désirerais entendre comment M. le ministre répondra aux objections présentées par les honorables membres qui ont pris la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le gouvernement ne peut pas se rallier aux propositions faites par la section centrale qui consistent à revenir au système existant avant la suspension temporaire des droits d'entrée sur les denrées alimentaires, sauf une très légère modification que je n'ai pas bien comprise.

Le gouvernement s'oppose aux propositions de la section centrale par diverses raisons également péremptoires, selon lui. Il s'y oppose dans l'intérêt des contribuables de la frontière, il s'y oppose dans l'intérêt des cultivateurs de cinq ou six de nos provinces, il s'y oppose dans l'intérêt du trésor, il s'y oppose dans l'intérêt de l'agriculture.

Messieurs, le rétablissement des droits élevés aura pour conséquence inévitable d'obliger le gouvernement à établir des formalités douanières pour assurer la perception du droit. En 1835, quand la chambre a été appelée à s'occuper de cet objet, elle a dû elle-même rechercher quels étaient les moyens efficaces d'assurer la prétendue protection que l'on voulait donner à l'agriculture; et qu'a dû faire la législature? Prescrire les mesures les plus vexatoires, les plus odieuses, les plus inquisitoriales, placer une partie de nos provinces en dehors du droit commun. C'est ce qu'on a prescrit et c'est ce qu'on a exécuté, non sans peine et non sans frais; il a fallu aller jusqu'à requérir le secours de l'armée, requérir le secours des soldats peur venir faire l'office des douaniers. Il a fallu augmenter notablement le personnel de la douane. Des formalités nécessaires, mais déplorables, ont été prescrites.

Ces formalités, quelles sont-elles? Il faut que l'on tienne note de la déclaration du bétail qui existe dans le rayon de la douane, il faut que l'on tienne des inventaires du bétail, ce sont des espèces de comptes courants où chaque animal est spécifié; il faut des certificats d'origine, des déclarations de mutation, des acquits-à-caution pour la circulation; il faut enfin une espèce d'état civil du bétail existant sur la frontière; le bétail ne peut se mouvoir, sortir de l'étable, sans être couvert par un document.

Veut-on revenir à ces formalités? Veut-on obliger le gouvernement a mettre une grande partie de nos provinces, cinq ou six sur neuf, dans une espèce d'interdit? La chambre sait que ces mesures ont soulevé les plus vives réclamations. De nombreuses pétitions lui ont été adressées, lorsque le gouvernement a établi par le tarif du 31 décembre 1848, des droits très modérés, des droits qu'on trouve beaucoup trop modérés aujourd'hui. Des fonctionnaires de l'administration ont déjà énoncé que, pour assurer la perception de ces faibles droits, il fallait prendre des mesures extraordinaires, revenir en quelque sorte à la législation de 1835. Et sur le simple bruit qu'il pouvait en être ainsi, des réclamations très nombreuses ont afflué au département des finances.

J'ai cru, quant à moi, qu'en présence des droits, tels qu'ils ont été déterminés par cet arrêté du 31 décembre 1848, il n'y avait pas lieu à rétablir les mesures vexatoires qui avaient soulevé tant de plaintes.

Dès avant 1847, des réclamations nombreuses ayant été adressées, elles furent soumises, à cette époque, aux autorités dans les diverses provinces.

La commission d'agriculture de la Flandre orientale disait dans son avis du 24 octobre 1847 :

« Il est certain que la formalité du recensement offre des inconvénients de plus d'une espèce : embarras et vexations pour les cultivateurs, perte de temps pour ceux-ci aussi bien que pour les employés de la douane, voilà ce qu'elle produit incontestablement. Une expérience de plusieurs années ne laisse aucun doute à cet égard, et la mesure n'a pas cessé d'exciter des plaintes unanimes. Il est donc dans l'intérêt comme dans les vœux de tout le monde que le recensement soit supprimé. »

La députation permanente de la province d'Anvers disait le 21 décembre 1847 :

« La députation pense qu'il serait à désirer que le droit sur le bétail étranger fût tellement réduit que la fraude n'offrît plus d'appât et qu'on pût de cette manière supprimer entièrement le recensement.

« Le recensement me semble, ajoute le gouverneur, ainsi qu'à la députation, une disposition anormale qui ne devrait plus exister dans le temps actuel, étant plutôt digne des mesures vexatoires prises sous l'empire. »

M. Pauwelaert-Vermaelen, membre de la commission d'agriculture, écrivait de son côté :

« La réclamation de la députation permanente du conseil provincial de Liège vient corroborer ce que j'ai déjà signalé, il y a longtemps, à votre commission, au sujet du régime exceptionnel sous lequel se trouvent les malheureux habitants du rayon de la douane ; je dis malheureux : en effet ce régime sous lequel il leur est seulement permis d'exploiter leur industrie, les place réellement en dehors des garanties constitutionnelles accordées aux autres habitants de l'intérieur. »

Les réclamations de la députation permanente de Liège n'étaient pas moins vives que celles des autres députations. Il est incontestable que si nous revenons au système ancien. Quant à la tarification et quant au droit, les mesures de surveillance et de protection devront nécessairement être rétablies. C'est indubitable.

Maintenant quelles seront les conséquences pour le trésor ? Croyez-vous que, dans l'état actuel des choses, avec le personnel tel qu'il a été réduit par suite d'économies, il soit encore possible au gouvernement d'assurer le service prescrit par la loi de 1835? Ce serait une erreur. Le gouvernement ne le pourrait pas : il serait obligé d'augmenter immédiatement le personnel et d'ure manière assez notable.

Le personnel qui existait en 1846 était de 400 personnes supérieur au personnel actuel. Dans la province d'Anvers, dans la Flandre occidentale, dans la Flandre orientale, dans la province de Liège, dans la province de Limbourg et dans celle de Luxembourg, où il y aurait nécessité d'établir ce régime, le personnel était, en 1846, de 3,243 hommes. Il n'est plus, par suite des réformes, que de 2,998; diminution du (page 694) personnel, 245. Il faudrait donc augmenter de nouveau le personnel, le ramener à la proportion dans laquelle il se trouvait à l'époque où l'on a exécuté cette mesure. Et j'en ai averti la chambre ; lorsque j'ai opéré des réductions, lorsque j'ai procédé à la nouvelle organisation du département des finances, j'ai fait connaître à la chambre que « la nouvelle organisation répond aux besoins actuels ; qu'il y aurait lieu d'augmenter les cadres, s'il fallait faire face à des besoins qu'on n'a pu prévoir. » Cela se trouve consigné aux développements du budget de 1849.

Eh bien, en supposant que nous ne revenions pas à l'ancien personnel de 1846, que nous n'augmentions pas le personnel de 245 personnes, mais de 100 seulement, c'est une dépense annuelle et permanente de 100,000 fr. que je serais obligé de demander à la chambre le lendemain du jour où le régime qui vous est proposé serait rétabli.

A cette dépense annuelle et permanente, il faudrait ajouter une autre dépense : c'est celle des jauges ou des bascules, du matériel qui serait nécessaire pour assurer de nouveau ce service.

Y a-t-il, messieurs, un intérêt pour l'agriculture à opérer de la sorte ? Est-ce qu'on a établi d'une manière péremptoire, incontestable, que l'on sauvegardera les intérêts que l'on veut protéger en rétablissant le système ancien? Rien ne me paraît moins démontré que cette proposition.

L'honorable M. de Bocarmé vient de vous dire tout à l'heure que les calculs qui ont été produits par le gouvernement et qui seraient concluants, s'ils étaient vrais, ne sont pas exacts. Que dit-il pour le démontrer? Il affirme que la différence entre le poids d'un bétail gras et le poids d'un bétail maigre est beaucoup plus considérable que celle qui est signalée par le gouvernement.

M. Faignart. - C'est la vérité.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voilà tout. Je trouve l'affirmation de l'honorable M. de Bocarmé et l'attestation de l'honorable M. Faignart; d'autres diront comme eux. Mais nous demandons la démonstration du fait allégué.

Nous faisons beaucoup plus qu'affirmer. Nous prouvons, et nous prouvons d'une manière incontestable, d'une manière qui ne me paraît pas susceptible d'une critique fondée.

Sans doute, messieurs, c'est une affaire d'appréciation que de déterminer ce qui constitue le bétail gras ou ce qui constitue le bétail maigre.

C'est l'employé qui est chargé de recueillir ce renseignement. Si l'on s'adressait à un seul bureau, par conséquent à une seule appréciation, on pourrait avoir raison de dire : Cela n'est pas concluant ; cet employé s'est trompé; il a mal apprécié ce qui constitue un bétail gras, ce qui constitue un bétail maigre.

Mais, lorsque sur toutes vos frontières, les mêmes appréciations sont faites par un grand nombre de personnes isolées, ne pouvant s'entendre, ne pouvant avoir le même mode d'appréciation et que tous ces renseignements concordent...

M. de Bocarmé. - Ils pèchent par la base.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ils ne pèchent pas par la base. Lorsque tous ces renseignements concordent, ils acquièrent alors le caractère de la certitude.

L'honorable M. Vandenpeereboom nous a dit, qu'à l'aide du système de la jauge, qui, selon lui, est un moyen très simple et très facile, on arrivait à des résultats très concluants. Eh bien, alors ce serait la jauge qui nous aurait induits en erreur.

M. de Bocarmé. - J'ai toujours trouvé des différences moyennes de 100 kilog.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, voici ce qui se passe à la frontière; et nous raisonnerons sous l'empire de la législation qui permettait la perception au poids, et sous l'empire de la législation qui permettait la perception par tête.

On présente du bétail à la frontière. Celui qui le présente n'a aucune espèce d'intérêt, ni dans l'une ni dans l'autre hypothèse, à dissimuler si son bétail est un bétail gras ou si c'est un bétail maigre. Cela lui est parfaitement indifférent. L'employé qui est chargé de recueillir les renseignements pour les fournir à l'administration, n'a de son côté aucun intérêt à déclarer que le bétail que l'on présente est plutôt un bétail gras qu'un bétail maigre.

Il apprécie donc, et sur la déclaration de l'individu qui présente l'animal et d'après ses propres connaissances, si le bétail est gras ou s'il est maigre. On opère la pesée du bétail. On constate soit à l'aide de la jauge, soit à l'aide de la bascule, que l'animal déclaré et reconnu gras, a un poids de, que l'animal déclaré et reconnu maigre a un poids de. Voilà le renseignement qui est donné. (Interruption.)

Sans doute si un seul individu, je le répète, était chargé de toute cette appréciation, on admettrait que l'erreur est possible; mais, lorsque sur toutes vos frontières un grand nombre d'individus font absolument les mêmes appréciations et arrivent exactement au même résultat, alors, je le demande, comment est-il possible de douter?

L'honorable M. de Bocarmé est frappé de ce que la différence ainsi constatée entre une bête grasse et une bête maigre n'est que de 25 à 30 kil. Mais d'abord l'honorable membre ne remarque pas qu’il ne s'agit ici que de moyennes.

M. de Bocarmé. - La moyenne est de 90 à 120 kilog.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Naturellement je ne puis pas m'arrêter à une simple affirmation. Si l'honorable M. de Bocarmé apportait à l'appui de son affirmation quelques documents propres à être discuté, je pourrais les examiner; mais il répond toujours parce qu'il sait, par ce qu’il dit être… (Interruption.)

M. le président. - N'interrompez pus. J'inscrirai M. de Bocarmé; mais la discussion n'est pas possible avec des interruptions continuelles.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je prie l'honorable M. de Bocarmé de vouloir bien discuter les fails produits par le gouvernement, et démontrer en quoi l'erreur existe. Je lui demanderai toujours d'expliquer comment il n'est pas, non seulement vraisemblable, mais certain que les choses sont telles qu'elles sont accusées par le gouvernement, alors qu'un grand nombre d'individus ayant fait absolument la même appréciation, sont arrivés exactement au même résultat. Voilà ce que j'oppose à l'honorable membre. Ce sont des faits constatés.

En 1844, messieurs, on opérait différemment sur les différentes frontières : le tarif était appliqué au poids sur certaines frontières, par tête sur d'autres frontières.

Eh bien, que constate-t-on pendant cette année? Dans la catégorie tarifée par tête, voici la proportion entre le bétail gras et le bétail maigre:

Taureaux et bœufs : maigres 75 p. c. ; gras 25 p. c.

Vaches : maigres 84 p. c. ; grasses 14 p. c.

Génisses : maigres 86 p. c. ; grasses 13 p. c.

Voici maintenant les chiffres de la catégorie tarifée au poids :

Taureaux et bœufs ; maigres 63 p. c. ; gras 36 p. c.

Vaches : maigres 88 p. c. ; grasses 10 p. c.

Bouvillons, taurillons : maigres 95 p. c. ; gras : 4 p. c.

Génisses : maigres 87 p. c. ; grasses 12 p. c.

Ainsi, messieurs, à l'époque où la tarification au poids avait lieu en même temps que la tarification par tête, la proportion du bétail gras au bétail maigre est plus considérable dans la catégorie tarifée au poids que dans la catégorie tarifée par tête.

Messieurs, ces fails ont été constatés à des frontières différentes par des individus ne pouvant se concerter et n'ayant aucune espèce d'intérêt à tromper qui que ce fût et alors que personne n'était intéressé à l'erreur, ni l'importateur, ni l'employé. Comment donc ne pas admettre comme exacts les résultats qui ont été constatés?

Nous prenons maintenant les faits de 1848 avec un droit par tête modéré, uniforme sur toutes les frontières, et que trouvons-nous?

Bétail jeune :

Bouvillons et taurillons : maigres 208, gras 27.

Génisses : maigres 5,732, grasses 928.

A quoi bon dès lors le système que l'on veut établir? Il est sans but s'il n'a pas pour but de favoriser l'importation du bétail maigre qui nous manque, comme le déclare l'honorable M. Rodenbach; et s'il a pour but de favoriser l'importation du bétail maigre, nous prouvons, par les faits,que vous allez contre le but que vous voulez atteindre, nous prouvons par les faits que lorsque le droit était perçu au poids l'importation du bétail gras a été plus considérable qu'à l'époque de la tarification par tête.

Ainsi, messieurs, dans l'intérêt de l'agriculture, dans l'intérêt du trésor; dans l'intérêt de cette masse de cultivateurs dont le sort ne doit pas être dédaigné, tout se réunit pour faire écarter le système de la section centrale.

Messieurs, le tarif qu'on vous propose d'établir est véritablement illogique au plus haut point. Vous déclarez que vous n'aurez qu'un droit modéré, un droit qui n'ait qu'un caractère fiscal sur les céréales, et vous voulez un droit exorbitant sur le bétail! vous voulez provoquer à la fraude, qui était très considérable sous l'empire des hauts droits et qui se renouvellerait immédiatement si le système de la section centrale était adopté.

Le tarif est donc, sous ce rapport, illogique; mais il le serait encore sous d'autres rapports non moins importants. En effet, d'après le tarif proposé par la section centrale, 100 kilog. de jambons, valant à peu près 200 fr., ne payeront que 15 fr., tandis que 100 kilog. de mouton, valant au plus 110 fr., payeront 17 fr., tandis que 100 kilog. de viande nette de bœuf, valant 100 fr., payeront 11 fr. 50, et 100 kilog. de viande nette de vache, valant 80 fr., payeront 12 fr. 50, tandis, enfin, que 100 kilog. de viande nette de veau, valant 115 fr., ne payeront que la chétive somme de 8 fr. Messieurs, cela est-il concevable? Les viandes de luxe payeraient beaucoup moins que les viandes de moindre valeur, que l'on devrait, au contraire, frapper d'un impôt moins élevé. Ainsi, le jambon supportera un droit de 7 1/2 p. c, la viande de mouton 15 1/2 p. c. ; de bœuf 11 1/2 p. c; de veau 7 p. c. ; de vache 15 1/2 p. c; ce qui fait que les jambons et le veau, viande de luxe, sont moins imposés de moitié que la viande ordinaire.

Il n'y a rien de plus facile à frauder que le bétail. On veut faire passer de certaines pièces de bétail de la frontière hollandaise, par exemple, sur le territoire belge; il y a un troupeau qui est revêtu du document (page 695) déterminé et qui est dans le rayon de la douane. Mais il y a, a peu de distance, un troupeau sur le territoire libre qui n'est pas couvert du document; quand on a fait avancer le bétail étranger dans le rayon de la douane, on le fait avancer sur le territoire libre, et un seul document a couvert toute cette marchandise.

Ainsi, la raison que donne l'honorable M. Coomans ne vaut rien ; ce qu'il y a de plus facile à frauder, c'est le bétail, et c'est parce que la fraude est extrêmement facile que les mesures de répression doivent être très nombreuses et très rigoureuses.

Au demeurant, il n'est pas moins vrai que vous aurez cette anomalie dans le tarif, si vous approuvez le système qui a été proposé par la section centrale. Dès lors, si vous adoptez ce système, il en résultera inévitablement, sans qu'il y ait intérêt pour l'agriculture, une dépense très considérable pour le trésor; vous aurez une demande d'augmentation de personnel pour 100,000 fr. au moins, immédiatement après le vote de la loi, et vous allez soumettre à des mesures extrêmement vexatoires une grande partie de vos populations.

M. de Bocarmé. - Je prie M. le ministre des finances de ne pas croire que c'est par un esprit de persistance qui pourrait être taxé d'opiniâtreté que je persiste dans les observations que j'ai faites ; je crois que, dans l'intérêt de la question dont il s'agit en ce moment, il serait convenable de ne pas laisser debout des erreurs. Or, je persiste à penser qu'il y a ici erreur matérielle. Si M. le ministre des finances voulait, dans un intérêt d'avenir pour la question, réunir une commission composée de quelques herbagers, de distillateurs et autres personnes qui ont de l'expérience, et qu'il soumît la question à cette commission, je ne craindrais pas d'être démenti par ce jury spécial, je ne craindrais nullement que cette assemblée ne déclarât pas en résumé que la différence qu'il y a entre deux bêtes du même âge et de même qualité, l'une maigre et l'autre grasse, ne soit telle que je l'ai indiquée.

Quant au mode d'appréciation, M. le ministre des finances s'effraye des dépenses qui pourraient en résulter pour le trésor public. Il me paraît cependant que la question est de savoir si l'on contrôlera au poids ou par tête. Il y aura donc contrôle dans un système comme dans l'autre. Mais peut-être la loi ne réglemente pas avec assez d'intelligence et d'énergie les droits et les devoirs de la douane; peut-être agrée-t-on trop facilement les prétentions des marchands. Que sais-je?

(page 686) M. Moreau. - Messieurs, lorsqu'il s'est agi d'établir le droit d'entrée sur les céréales, on a assez généralement reconnu que le taux auquel il fallait le fixer devait le faire considérer plutôt comme un droit (page 687) fiscal que comme un droit protecteur, du moins je dois croire que beaucoup de mes honorables collègues l'ont voté avec cette conviction, puisque leur intention n'a jamais été et ne sera jamais de faire hausser le prix du pain.

Mais il paraît, messieurs, que pour l'entrée du bétail dans le pays ce n'est plus un droit fiscal que l'on demande, car à entendre les propositions de la section centrale et les honorables orateurs qui appuient ses conclusions, c'est bien un véritable droit protecteur qu'ils réclament instamment en faveur du bétail indigène.

Je suis cependant persuadé que, s'ils n'ont pas voulu faire augmenter le prix du pain, ils ne veulent pas davantage empêcher la classe la moins aisée de manger de la viande à bon marché. L'honorable M. Rodenbach l'a déclaré tantôt.

Messieurs, pour démontrer que les honorables préopinants se trompent, je devrais vous répéter tout ce qui a été dit sur l'influence que les droits protecteurs exercent sur les prix des choses qui jouissent de ce privilège ; mais je ne veux pas entamer un nouveau débat sur cette matière. Permettez-moi seulement de dire, sans trop de présomption, que j'ai la plus grande confiance dans l'avenir, car la vérité est une et finit toujours par triompher; car nous défendons la liberté, et, quoi qu'on en dise, tôt ou tard le sens commun est avec la liberté.

Je me bornerai donc à vous présenter quelques considérations sur la question de savoir s'il est avantageux pour le pays d'augmenter les droits d'entrée sur le bétail. Le bétail, si je puis le dire, a une double mission, celle de procurer des engrais et celle de servir de nourriture.

Mais soit que l'on considère le bétail comme machine à engrais, soit qu'on l'envisage comme donnant un aliment substantiel, il est une matière première tantôt pour l'agriculture, tantôt pour l'homme en général, d'où je tire une première conclusion, c'est que si vous l'imposez à l'entrée de droits trop élevés, vous entravez, en la surtaxant, l'introduction en Belgique d'une matière utile et avantageuse au pays.

On sera, je crois, généralement d'accord sur ce point. Mais continuons à considérer le bétail, comme destiné à procurer des engrais. Eh bien, de deux choses l'une: ou, comme paraît le dire la note communiquée à la section centrale par M. le ministre des finances, il y a en Belgique assez de gros bétail pour fournir le fumier indispensable à la culture, ou il est nécessaire, ce que je pense, que nous en recevions de l'étranger.

Dans le premier cas, s'il est vrai que l'on élève dans le royaume autant d'animaux que les besoins l'exigent, à quoi bon pousser par des droits protecteurs à la production d'une chose qui encombrera de plus en plus le marché intérieur, à quoi bon donner à ceux qui élèvent du bétail la perspective décevante de pouvoir le vendre à bon prix dans le pays ou de s'en défaire avantageusement à l'étranger, alors que vous prétendez vous-mêmes qu'ils ne peuvent faire concurrence aux producteurs de l'extérieur?

D'un autre côté, messieurs, si la Belgique a besoin de bétail pour garnir ses étables et améliorer les races, il importe qu'elle puisse s'en procurer au plus bas prix possible à l'étranger; et, selon moi, il n'y a pas assez de gros bétail en Belgique, car si le document statistique produit par le gouvernement paraît prouver le contraire, c'est qu'il est basé sur des moyennes, ou plutôt sur des données s'appliquant à la généralité du sol belge et qu'il est établi au moyen d'une réduction de tous les animaux domestiques du pays à un type commun, qui est le bœuf. Or il faut remarquer que le bétail n'est pas réparti d'une manière uniforme dans le pays, et que très souvent le fermier peut s'en procurer à moins de frais à l'étranger que dans l'intérieur.

C'est ainsi, par exemple, que dans l'arrondissement de Verviers et dans la plus grande partie de celui de Liège, il y a plus de 46,000 vaches, taureaux et génisses, tandis qu'il n'y existe que 5,489 veaux.

Dans cette partie du pays, messieurs, on va généralement chercher le bétail manquant dans le Limbourg cédé et en Prusse, et l'on ne pourrait s'en procurer ailleurs qu'à grands frais, car le coût du transport et de l'achat serait trop considérable ; en effet, vous savez, comme moi, qu'un cultivateur n'achète jamais une vache sans la voir et la bien examiner.

Pour ces contrées il y a donc manque de bétail, et je crois qu'il doit en être ainsi pour d'autres arrondissements.

Mais, dit-on, s'il faut se procurer ces animaux à l'étranger, cela tient à ce que la production indigène n'est pas assez favorisée, si l'on exporte les veaux, c'est que ceux qui pourraient les élever ne jouissent pas du bénéfice des droits protecteurs assez élevés.

Mais, messieurs, que signifie ce langage, si ce n'est que nos cultivateurs ne peuvent élever le bétail à si bon compte que l'étranger, si ce n'est qu'il faut que l'on en fasse hausser le prix afin qu'ils puissent recouvrer les dépenses qu'ils ont faites en se livrant à ce genre d'industrie ? S'il en est ainsi, je vous le demande, quel bénéfice retirera l'agriculture en élevant dans le pays des animaux qui reviendront à un prix plus élevé que ceux qu'on peut se procurer à l'étranger ?

Si le bétail, comme on en convient, est une machine à engrais, y a-t-il plus de bénéfice pour un fabricant d'acheter chèrement les ustensiles dont il a besoin que de les obtenir à bon marché? La vache venant de l'étranger donnera-t-elle moins de fumier que celle qui aura été élevée dans le pays? En en mot le fermier qui pourra avoir en Hollande une vache pour 200 fr. fera-t-il donc une bonne affaire s'il lui en coûte 230 ou 250 fr. pour élever un animal de même espèce et de même valeur?

Quand donc on reconnaît que le marché intérieur n'est pas assez approvisionné, ce serait raisonner singulièrement que de tirer de ce fait la conséquence qu'il faut en éloigner la production étrangère. Il est donc évident que si celui qui se livre à l'éducation du bétail en Belgique demande des droits protecteurs, c'est qu'il ne peut tenir concurrence aux cultivateurs étrangers, parce qu'il produit plus chèrement qu'eux; il est évident qu'augmenter les droits d'entrée sur le bétail, c'est encore frapper les fermiers et principalement ceux qui exploitent des prairies d'une taxe onéreuse.

Comme je l'ai dit, messieurs, le bétail sert encore à la nourriture de l'homme, et, dit-on, si du moins on peut favoriser l'entrée du bétail maigre, il convient de protéger l'engraissement des bœufs et des vaches.

Je ne veux pas, messieurs, examiner ici jusqu'à quel point il importe que toutes les classes de la société puissent se procurer de la viande à bon compte; je constate cependant un fait, c'est qu'il est constant que l'on engraisse dans le pays trop peu de bétail, eu égard à la population, c'est que les besoins de la consommation exigent qu'on laisse entrer les animaux venant de l'extérieur, et je ne sache pas que jamais, pour faire baisser le prix de la viande, on ait pris des mesures pour faire hausser le prix des animaux qui doivent fournir cette nourriture.

Je n'ignore pas cependant que, dans certaines villes, le prix de la viande n'est pas toujours en rapport avec la valeur vénale des bestiaux. Cela tient à ce qu'il existe des abus dans le commerce de la boucherie, et ici comme en France, on a recherche et l'on recherche encore les moyens de les faire disparaître, et soyez bien persuadés, messieurs, que si ce commerce était dans son état normal, la viande diminuerait de prix lorsque le bétail se vendra moins cher.

Enfin, messieurs, je ne vois pas d'avantages dans des droits protecteurs pour ceux qui engraissent le bétail, car je vous prie de remarquer que si vous voulez accorder à ceux-ci une protection, je crains bien que vous ne leur enleviez d'un côté ce que vous leur donnez de l'autre. En effet, si les droits protecteurs ont pour but de faire hausser le bétail d'une manière générale, les engraisseurs devront se procurer les animaux maigres à un prix plus élevé ; or si la matière première leur coûte davantage, ils feront certainement moins de bénéfice; et veuillez faire attention à une chose, c'est que si la perception au poids de la taxe est adoptée, les engraisseurs payeront pour les vaches maigres un droit proportionnellement plus élevé que celui qui doit favoriser la vente des vaches grasses.

Et je dirai, messieurs, un mot de la tarification au poids, que l'on propose au lieu de celle par tête, malgré le tableau produit par M. le ministre des finances. On prétend qu'elle est plus juste, plus équitable, et je conviens qu'au premier abord il semble qu'il en doive être ainsi. On ne conçoit pas, par exemple, comment une vache maigre pèse 433 kil., et une vache grasse seulement 463 kil.

Je ferai observer, en premier lieu, que ce tableau ne donne que des moyennes, et puis que nos adversaires divisent seulement les vaches en deux catégories, en vaches maigres et en vaches grasses, et qu'ils oublient une troisième catégorie de vaches, celle des vaches laitières; or, celles-ci, messieurs, sont considérées comme maigres pour la perception des droits, et souvent elles ont cependant plus de poids que certaines vaches grasses ; cela explique donc très bien, je pense, comment en prenant une moyenne on ne trouve pas une différence plus grande entre le poids des vaches maigres ou grasses; mais il résulte aussi de là que la tarification au poids va frapper de droits très élevés l'importation dans le pays des bonnes vaches laitières dont le besoin se fait si vivement sentir partout, que nos cultivateurs devront faire plus de sacrifices pour améliorer les races, et qu'enfin une matière première utile, qu'on devrait pouvoir se procurer à bon compte, sera grevée de droits proportionnellement plus forts que les animaux engraissés que l'on a voulu principalement atteindre.

Si je savais, messieurs, que le tarif de 1835 serait adopté et que les préposés des douanes pussent facilement distinguer les vaches laitières des autres, je proposerais un amendement pour établir des droits (erratum, page 718) moins élevés sur ces animaux, et je prierais M. le ministre des finances de bien vouloir me donner quelques renseignements sur ce point.

Messieurs, dans la discussion du droit sur les céréales, on a invoqué le grand principe consacré par l'article 112 de notre pacte fondamental, qui proscrit tout privilège en matière d'impôts; je puis, ce me semble, opposer ici cet argument à nos adversaires avec bien plus de raisons que dans le cas où ils en ont fait usage.

La loi de 1835, que l'on veut faire revivre, établit un droit uniforme de 10 c. par kilogramme, du poids brut du gros bétail sur pied; mais ce droit a été réduit à 7 1/2 centimes pour les vaches, et à 5 pour les génisses, par le traité de commerce fait avec la Hollande en 1840. Ainsi si l'on fait revivre la loi de 1835, sera-t-il vrai de dire qu'il y a égalité d'impôts pour tous les Belges? Sera-t-il juste que le fermier qui habile la frontière de France, et qui ne peut se procurer du bétail que dans ce dernier pays, paye 10 centimes par kilog., alors que le cultivateur de la frontière hollandaise ne donnera que 5 ou 7 1/2 centimes? Je laisse, messieurs, à mes honorables collègues qui ont présenté cet argument dans la question des céréales le soin de se mettre d'accord avec eux-mêmes.

Permettez-moi, messieurs, avant de terminer, de vous présenter une dernière considération qui n'est pas sans importance et que M. le ministre des finances vient de vous présenter également.

Si la loi de 1835 est de nouveau remise en vigueur, il faudra que le gouvernement fasse exécuter les articles 2 et 3 qui prescrivent des formalités nombreuses pour prévenir la fraude dans le rayon des douanes.

Et savez-vous, messieurs, en quoi consistent ces formalités? Savez-vous combien elles sont tracassières et quelle gêne elles causent aux nombreux cultivateurs qui habitent le territoire réservé, territoire qui, comme vous le savez, a chez nous une très grande étendue?

(page 688) D'abord chaque cultivateur doit déclarer au receveur de douanes le nombre de vaches, de taureaux, de génisses, de veaux etc., qu'il nourrit et dans quel endroit il s'engage à les représenter à chaque réquisition des employés; inventaire, avec signalement en due forme, doit en être dressé en triple expédition; l'âge, la robe, jusqu'aux marques distinctives de chaque animal doivent être scrupuleusement indiqués dans cet acte, et malheur au fermier si l'administration conteste l'identité d'un seul animal, soit parce que son poil sera plus ou moins rouge, plus ou moins noir, soit parce qu'on l'aura rajeuni ou vieilli !

Mais ce n'est pas tout: un compte courant est ouvert à l'administration pour chaque cultivateur, et toutes les fois qu'il y a mutation dans son bétail, celui-ci est tenu de faire souvent une course de plusieurs lieues pour faire opérer le changement requis sur le compte courant. Naît-il un veau, vite il doit le déclarer à l'état civil douanier. Meurt-il une vache, il faut que le décès en soit dûment constaté. Chaque fois la mutation doit être inscrite sur les trois expéditions de l'inventaire.

Vous concevez facilement, messieurs, que pour faire ce recensement, établir tous ces comptes courants, il faudra augmenter le personnel de la douane et même multiplier les bureaux de recette. Vous concevez combien ces formalités causent d'embarras aux milliers de cultivateurs qui habitent nos frontières, combien ils ont été heureux d'être débarrassés de ces tracasseries qui les exposent à chaque moment à être mis en contravention?

Aussi, messieurs, les habitants de la frontière n'ont-ils cessé d'adresser de vives réclamations au gouvernement et aux chambres contre les articles 2 et 3 de la loi de 1835.

L'exécution de ces mesures, disaient-ils, est un arrêt de mort pour notre industrie; nous élevons des bestiaux, eh bien, nous demandons la libre entrée du bétail étranger plutôt que d'être astreints à toutes ces formalités onéreuses, accablantes et désastreuses.

Je ne veux pas abuser de vos moments, en vous donnant lecture des extraits d'autres réclamations de plusieurs conseils communaux. Je me permettrai cependant de vous lire un paragraphe d'une requête d'un habitant de la frontière prussienne, qui élève du bétail.

« Politiquement parlant, disait-il, les formalités sont fatales; elles donnent lieu à des regrets; c'est un véritable esclavage. Aussi, j'ai souvent entendu des habitants désirer le sort de ceux qui cultivent, à la frontière, sous un gouvernement absolu. J'ai une petite ferme ; j'aimais le fils du fermier, parce que je le voyais laborieux et bon cultivateur. Un jour, je lui promets une ferme pour l'époque de son mariage ; il m'a nettement refusé, en me disant que notre gouvernement était trop dur pour les cultivateurs; et il est né Belge! Il s'est marié, il cultive en pays étranger. »

Voilà, messieurs, dans quelle position vous allez placer plusieurs milliers de vos concitoyens si, sous le prétexte de leur accorder une protection et des faveurs, vous persistez à vouloir remettre en vigueur la loi de 1835 sur le bétail. Ne leur faites pas, messieurs, un cadeau qu'ils ne veulent pas accepter; sinon, ils pourraient dire avec raison, comme le poète latin :

Timeo Danaos et dona ferentes.

M. Faignart. - Messieurs, je crois utile de dire quelques mots pour tâcher de démontrer à la chambre que les renseignements qui ont été fournis à la section centrale concernant le bétail ne peuvent être pris au sérieux. De deux choses l'une, ou les calculs n'ont pas été établis sur des bêtes maigres, ou ils sont faux.

Je vous citerai un exemple.

Je suppose qu'on abatte une bête réputée maigre, comme on les achète pour les distilleries, on trouvera en la dépouillant 12 à 15 kilog. de suif, tandis que lorsqu'elle sera grasse après avoir séjourné 120 à 140 jours dans cet établissement elle aura en moyenne de 40 à 50 kilog. de suif suivant l'état de graisse et la grosseur de l'animal,

Ce qui fait déjà plus que la différence citée par la note de M. le ministre.

Maintenant, je vous demanderai si une partie de l'animal peut s'engraisser, sans que le reste du corps participe à peu près également à cette transformation?

Evidemment non.

Et ce qui le prouve surabondamment, c'est que c'est à l'extérieur de l'animal que l'on peut apprécier son état de graisse. Il est donc impossible qu'elle ne se trouve pas à peu près également répartie.

Cela démontré, messieurs, je crois qu'il ne reste de doute pour personne, et que l'on ne peut continuer à soutenir qu'un bœuf maigre du poids de 475 kil. ne pèse que 500 kil. lorsqu'il est gras.

Je n'hésite pas à déclarer que l'expérience m'a prouvé qu'un bœuf maigre du poids de 475 kil. doit peser de 575 à 600 kil. selon le plus ou moins d'aptitude à l'engraissement.

Il serait donc injuste d'admettre dans le pays les bêtes grasses au même prix que les bêtes maigres.

Je suppose que l'on introduise un bœuf gras du poids de 600 kil. et que le droit soit fixé par tête, soit 20 fr.; il en résultera que les 100 kil. coûteront 3 fr. 33 c.; et que d'autre part, on fasse entrer un bœuf maigre du poids de 400 kil. au moyen du droit fixe, les 100 kil. de celui-ci payeront 5 fr. au lieu de 3 fr. 33 c; est-ce là la protection que vous voulez accorder à l'agriculture qui n'a pas besoin de bétail gras et qui demande que le droit soit réduit sur le bétail maigre?

Je vais vous citer encore un fait qui vous fera ressortir la différence au point de vue de la valeur.

Un bœuf gras du poids do 500 kil. valant en moyenne 100 fr. les cent kilog. donnerait 500 fr., et le même bœuf gras, s'il était maigre et par conséquent tout au plus du poids de 400 kil., qui vaut en moyenne 50 fr. les 100 kil. donnerait 200 fr.

Il en résulte que l'on payerait pour le bœuf gras 4 p. c. de la valeur, et pour le bœuf maigre 10 p. c. de la valeur.

Je n'entrerai pas, pour le moment, dans d'autres détails. Je crois avoir suffisamment prouvé à la chambre que la note remise par M. le ministre n'est pas exacte.

M. Bruneau. - Messieurs, le tarif sur le bétail présente deux questions à examiner : d'abord la quotité du droit, ensuite le mode de perception.

La section centrale propose un droit qui monte, ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire dans mon premier discours, à 20 p. c. environ. L'honorable M. A. Vandenpeereboom a cru que j'avais fait une erreur, et il a invoqué contre moi le tableau qui a été remis par M. le ministre des finances sur la question du bétail; il a dit que là le ministre ne porte le droit qu'à 18 p. c. Mais il est à remarquer que ce droit ne comprend que le droit principal, et qu'il faut y ajouter les centimes additionnels, et les frais de pesage et de document. Par le traité de commerce qui a été conclu avec la Hollande, ce droit est réduit à 15 p. c.

D'après les considérations que j'ai déjà fait valoir devant la chambre, je crois qu'il est indispensable de diminuer de beaucoup le taux de ce droit, afin de favoriser, dans l'intérêt de l'agriculture, l'introduction du bétail en Belgique. J'ai fait voir, par la proportion du nombre de têtes de bétail existant dans notre pays et dans d'autres contrées, quel était notre état d'infériorité à cet égard.

L'honorable M. Vandenpeereboom a cité l'Angleterre dont j'avais énuméré le bétail, et il a dit que le progrès en Angleterre, à ce point de vue, était dû au régime protecteur.

Je crois que c'est une erreur complète. Si le bétail a pris un grand développement en Angleterre, ce n'est pas parce qu'il y a un régime protecteur, mais quoiqu'il y ait un régime protecteur.

Ce qui a fait la fortune de l'Angleterre sous ce rapport, c'est le grand nombre de ses pâturages, et surtout l'énorme consommation de viande qui se fait dans ce pays, tandis que la consommation moyenne chez nous n'est que de huit kilogrammes par individu.

Cela prouve évidemment que, dans notre pays, on doit considérer la question du bétail, non pas au point de vue du bétail gras, destiné à la nourriture du peuple , mais surtout sous le point de vue agricole, c'est-à-dire la nécessité pour le cultivateur de se procurer du bétail. Je ne crois pas nécessaire d'insister davantage sur ce point; beaucoup d'orateurs ont parlé de l'utilité de favoriser l'élève et l'introduction de bonnes races que nous n'avons pas encore en assez grande quantité en Belgique.

Maintenant l'amendement que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre établit un droit fixe qui correspond à un droit de 4 à 5 p. c. de la valeur. Mon but principal est de favoriser l'introduction du bétail destiné à l'agriculture.

J'étais disposé à faire une distinction entre le bétail maigre et le bétail gras; mon opinion n'était pas faite sur le mode de perception, il m'était indifférent que le droit fût perçu au poids ou par tête, pourvu qu'il fût modéré; mais les documents fournis par M. le ministre des finances, et les explications qu'il vient de donner me font penser que la perception par tête est plus favorable au but que je veux atteindre, c'est-à-dire l'introduction d'un bon bétail dans l'intérêt de l'agriculture.

Quelques orateurs ont critiqué les tableaux remis à la chambre; MM. Faignart et de Bocarmé prétendent qu'on ne peut pas admettre qu'il n'y ait qu'une différence de 25 kilogrammes entre un bœuf gras et un bœuf maigre.

En effet, tous ceux qui ont la pratique des affaires de l'agriculture ne peuvent pas admettre ce chiffre d'une manière absolue; mais M. le ministre des finances a expliqué que ce chiffre était une moyenne. M. de Bocarmé a dit que le bétail se divisait en trois espèces, le bétail gras, le bétail demi-gras et le bétail maigre ; on peut admettre d'après cela qu'un chiffre moyen ne représente pas la réalité pratique, mais il peut être vrai pour la perception du droit.

M. de Bocarmé a dit encore et M. Faignart a confirmé qu'un bœuf maigre pesant 475 kilog., quand il était engraissé pesait 100 kilog. de plus, c'est-à-dire 575 kilog. Dans cet état, dit M. de Bocarmé, le bœuf a doublé de valeur, c'est-à-dire que le bœuf maigre pesant 475 kilog. qui a une valeur de 269 fr., quand il sera engraissé pèsera 575 kilog. et sera d'une valeur de 538 fr. Voyons maintenant quels sont les deux droits imposés.

Le bœuf maigre payera, je suppose, le droit de 10 c, soit 47 fr. 50 centimes pour une valeur de 269 fr., c'est-à-dire 18 p. c. Le bœuf gras qui pèse 575 kilog. payera d'après, le même taux, 57 fr. 50 c. pour une valeur de 538 fr., c'est-à-dire 9 p. c. de la valeur. Vous voyez donc que le bœuf gras au poids paye la moitié du bœuf maigre. Vous allez ainsi contre le but que vous voulez atteindre, c'est-à-dire que vous voulez favoriser l'entrée du bétail maigre au moyen de la tarification au poids, et qu'en définitive vous encouragez l'introduction du bétail gras qui, relativement au poids, a une valeur beaucoup plus considérable que le bétail maigre.

L'honorable M. de Bocarmé me dit : Vous ne payez pas le droit à la valeur, mais au poids. Je lui répondrai que celui qui fait l'importation calcule toujours le rapport du droit qu'il devra payer avec la valeur de (page 689) l'objet pour lequel il le payera; peu lui importe qu'on lui demande tout par tête ou tant par kil., si en définitive c'est la même somme d'argent qu'il doit donner, le marchand calcule toujours à combien pour cent lui reviendront les droits d'entrée, les frais de transports et autres jusqu'en Belgique; si c'est 10, 20 ou 30 p. c. de la valeur; et c'est sur ce calcul qu'il basera ses opérations sans examiner s'il paye le droit au poids ou par tête. Pour lui, le système n'est rien, la somme payée en réalité est tout.

La tarification par tête, me dit-on, présente le même inconvénient; vous payez le même droit pour un bœuf maigre que pour un bœuf gras.

Il est impossible de ne pas le reconnaître, mais dans ce système il y a au moins égalité, je ne paye pas plus pour le bœuf maigre que pour le bœuf gras: tandis que dans votre système, on paye proportionnellement plus pour le bœuf maigre que pour le bœuf gras.

Je reconnais qu'il y a des inconvénients à la perception par tête, mais l'autre système en a davantage; trouvez-en un qui en ait moins et je suis prêt à l'adopter. Vous avez intérêt à introduire du bétail en bon état, la tarification au poids sur le bétail maigre a pour conséquence que vous favorisez l'entrée du bétail chétif plutôt que l'entrée du bétail de bonne dimension et de belle race.

Le bétail grandit, me dit-on à mes côtés. Oui, les petites génisses peuvent devenir de grandes vaches, mais les petites vaches restent toujours de petites vaches. Dans l'intérêt de l'agriculture, il faut donc maintenir la tarification par tête.

Mais je voudrais qu'il fût possible de frapper d'un droit plus élevé le bétail destiné à la boucherie, les bœufs et les bousillons qui nous sont importés de Hollande et qui ont cette destination ; c'est ce que je fais par mon amendement, en fixant à 20 fr. le droit d'entrée sur les bœufs, à 15 fr. le droit sur les taureaux et vaches, et à 10 fr. le droit sur les bouvillons. De cette manière, on atteint le bétail destiné à la boucherie davantage que celui destiné à l'agriculture.

Je ne reviendrai pas sur les difficultés que présente la tarification au poids que nous a fait connaître M. le ministre des finances, et qui sont autant de raisons de plus pour faire préférer la tarification par tête.

M. Dechamps. - Mon intention n'est pas de m'occuper de la tarification du bétail au point de vue agricole et au point de vue de l'intérêt des consommateurs; je veux entretenir la chambre de la question du bétail envisagée sous le côté commercial, en ce qui concerne nos relations avec la Hollande.

Je considère ce point de vue comme plus important peut-être que tous les autres. Je dois le dire, sous le rapport de l'agriculture et de la consommation, la question ne me paraît pas avoir toute l'importance qu'on y attache des deux côtés de cette chambre. D'après l'enquête qui a été faite, en 1844, la loi de 1835 n'a pas eu des résultats aussi efficaces qu'on en avait espéré relativement à l'élève du bétail.

D'un autre côté, elle n'a pas eu les mauvais effets qu'on craignait d'en voir sortir relativement au renchérissement de la viande.

Il a été prouvé, par l'enquête de 1844, que l’enchérissement de la viande avait eu d'autres causes que la loi de 1835, comme par exemple, l'augmentation de la population et l'accroissement de l'aisance générale du pays.

De part et d'autre on attend trop, me semble-t-il, du tarif sur le bétail que nous allons établir.

Mais il y a un autre côté de la question dont on a peu parlé, c'est l'intérêt de négociations avec les Pays-Bas.

La Belgique a intérêt à nouer des relations avec toutes les nations qui l'environnent, et au milieu des circonstances où se trouve l'Europe, la Belgique a surtout intérêt à resserrer ses relations avec la Hollande.

Le traité du 29 juillet 1846 a été un pas important, décisif même, fait dans cette voie; mais en 1846 le gouvernement belge a rencontré deux obstacles qui se sont opposés à l'acceptation des propositions qu'il avait faites d'élargir le cadre du traité de manière à y comprendre notre accession aux colonies : Le premier était un obstacle politique, il a disparu; le deuxième était le maintien du monopole colonial sur lequel deux hommes éminents de la Hollande voulaient se relâcher, mais d'autres influences prévalaient et cette idée ne fut qu'indiquée comme principe dans le traité.

Mais, aujourd'hui, les circonstances sont changées : vous avez tous lu dans le Moniteur le remarquable exposé des motifs du ministère hollandais à l'appui du message qui accompagne le projet de réforme de navigation présenté le 1er décembre dernier, dans les Pays-Bas. Vous y aurez vu que le gouvernement hollandais se propose de renoncer en tout ou en partie au système du privilège du tarif colonial, à l'égard des nations qui voudront adopter un système de réciprocité vis-à-vis de la Hollande. De manière que cet obstacle à l'extension du traité que nous avions rencontré en 1846 a aussi disparu, ou est près de disparaître. J'indique ce fût pour prouver que les circonstances sont très propices aux négociations avec la Hollande, que nous avons un élément de succès, auquel hier nous n'aurions pu songer.

Eh bien, quelles sont les bases de négociation avec les Pays-Bas? il y en a trois, sous le rapport des concessions que nous avons à offrir :

Les droits différentiels pour la question maritime ;

La pêche ;

Le bétail.

Voilà les trois concessions que nous pouvons faire à la Hollande. Il n'y en a pas d'autres essentielles.

La Hollande a toujours attaché une grande importance à la question du bétail. Les négociations ont été fort longues à cet sujet; c'a été l'objet de grandes difficultés, de notes multipliées échangées avant la conclusion du dernier traité.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'était avant la réforme anglaise.

M. Dechamps. - Soit! La réforme anglaise n'a pas diminué l'intérêt que la Hollande conserve de trouver en Belgique un marché sûr pour son bétail.

Or, que propose le gouvernement? De vous désarmer complètement à l'égard d'une des bases des négociations. Vous allez le comprendre facilement. En 1846, les droits établis par la loi de 1835 étaient de 10 c. par kil. pour le bétail. Par le traité avec les Pays-Bas, on a réduit ce droit d'un quart pour le gros bétail et de moitié pour le bétail jeune.

En quoi consistait cette concession ? Evidemment dans le privilège que vous accordiez à la Hollande. Si, par une mesure générale, vous accordez à tous les pays une faveur égale, où, comme on le propose, une faveur plus grande que celle qui est faite aujourd'hui par le traité à la Hollande, évidemment cette concession disparaît; dans les négociations futures, vous devrez y renoncer. On vous dira : Faites des concessions plus grandes sur la pêche et sur les droits différentiels. C'est de toute évidence ; vous vous désarmez.

Je dis que le droit de 10 centimes et de 5 centimes indiqué dans le traité étant établi au poids, c'est une raison pour laquelle je crois que nous devons maintenir le tarif nominal de 1835. Ce tarif est nominal; en effet, comme les trois quarts des importations se font de la Hollande, il est clair qu'on doit prendre pour base du tarif réel les droits du traité et non par le droit nominal de 10 centimes. Ces droits de 7 1/2 et de 5 centimes sont modérés.

On a beaucoup parlé de libre-échange. Mais il y a deux manières de faire du libre-échange. Tout homme éclairé est partisan, en principe, de la liberté commerciale.

L'Europe y tend, et je désire vivement qu'on arrive à la consacrer. Mais il y a deux genres de libre-échange : le libre-échange des théoriciens et le libre-échange pratique des gouvernements.

Le libre-échange théorique consiste à abaisser ou à supprimer les tarifs à priori, sans tenir compte des faits, de l'état particulier de chaque industrie, de la situation respective des divers pays, et sans tenir compte surtout de la réciprocité. Le libre-échange pratique consiste à abaisser les frontières douanières, par des mesures de réciprocité, par des traités.

Voilà les deux systèmes :

Les gouvernements ont adopté le second et même l'Angleterre et la Hollande qui ont arboré le drapeau du free-trade, le suivent encore. Dans les deux actes de réforme commerciale posés par ces deux pays, le principe de la réciprocité est soigneusement conservé.

Ainsi, par les articles 10 et 11 de son acte de réforme, l'Angleterre dit aux nations : J'accorde la liberté commerciale; mais je me réserve de frapper par des droits différentiels les nations qui ne me suivraient pas dans cette voie; je me réserve de rétablir à leur égard le tarif protecteur.

Au fond, c'est le régime protecteur conservé sous une autre forme. Qu'a fait la Hollande par l'article 2 de son nouvel acte de navigation?

Elle a dit : Je supprimerai les privilèges de mes tarifs coloniaux pour les nations qui adopteront des mesures de compensation et de réciprocité.

Qu'a fait la Belgique? Elle a suivi un système moins large, il est vrai, mais analogue au fond ; elle a fait de la liberté commerciale par réciprocité, en concluant des traités avec la France, le Zollverein, la Hollande, les Etats-Unis et d'autres nations encore.

L'autre système de libre-échange qu'on veut établir en Belgique, c'est le libre-échange théorique; il est un obstacle à la réalisation de la liberté commerciale réelle et pratique, puisqu'il consiste à réduire les tarifs gratuitement, à faire d'avance et à priori les concessions que l'on devrait se réserver pour en provoquer d'autres de la part des autres pays.

Si l'on écoutait les partisans de la liberté commerciale, on abolirait demain la loi des droits différentiels, on supprimerait, dans l'intérêt de l'alimentation du peuple, tous les droits établis en faveur de la pêche nationale, comme on a supprimé à peu près les droits sur les céréales et sur le bétail.

Le jour où vous aurez supprimé la loi du 21 juillet, où vous n'aurez plus de droits en faveur de la pêche nationale , comme sur le bétail, je demande sur quelles bases vous négocierez avec la Hollande, quelles concessions vous aurez à lui offrir.

Le système que le gouvernement veut faire prévaloir, c'est la renonciation aux traités de commerce. Voilà le résultat que vous obtiendrez.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable préopinant ne se préoccupe guère de l'intérêt agricole; il ne se préoccupe pas davantage de l'intérêt du trésor. Il n'a nul souci de la situation dans laquelle on va placer les habitants de six de nos provinces qui se trouvent à la frontière. Tout doit céder pour lui devant une seule considération : celle-là est toute-puissante; elle est décisive. Il faut que nous réservions nos moyens de traiter avec la Hollande. Si nous établissons un droit modéré sur le bétail, quelles concessions pourrons nous faire désormais à la Hollande? Nous allons nous désarmer. Il ne serait plus possible de traiter.

(page 690) Messieurs, nous ne serons pus plus désarmés avant qu'après; nous serons exactement dans la même position. (Interruption,) Je me place à votre point de vue : celui où il faut faire des traités de commerce pour en retirer les avantages que nous savons.

Vous offrez à la Hollande comme concession, de réduire les droits sur le bétail; en retour vous demandez une autre concession. Voilà votre système. Moi, je vais traiter autrement. Je demanderai une concession à la Hollande, et je lui dirai que, pour le cas où elle ne nous l'accorderait pas, j'établirai un droit plus élevé sur le bétail. Quelle sera notre position? , Elle sera exactement la même. (Interruption.) Vous allez demander à la Hollande une chose que vous croyez raisonnable, que vous croyez qu'elle peut vous concéder en retour de celles que vous lui accordez. Eh bien, si la Hollande s'y refuse, vous déclarerez que vous augmenterez les droits. (Interruption.)

Qu'on ne vienne donc pas dire que nous sommes désarmés pour traiter.

Mais, dit l'honorable M. Dechamps, il faut faire du libre-échange pratique; ce n'est pas du libre-échange théorique que nous devons faire; c'est du libre-échange gouvernemental que l'honorable membre veut, et celui-là c'est le libre-échange à titre de réciprocité. Il affirme même que c'est ainsi que procède l'Angleterre, que procède la Hollande.

Messieurs, l'Angleterre n'a nullement procédé ainsi. Le reproche des protectionnistes contre sir Robert Peel, quel était-il? Ils lui disaient : Vous faites du don-quichottisme en fait de libre-échange; vous cédez des avantages et vous n'en obtenez pas. Vous allez permettre, lui disait-on, la libre entrée du suif russe, par exemple, et vous n'obtiendrez rien de la Russie; au contraire, elle augmente son tarif en même temps que vous réduisez le vôtre.

Et que répondait sir Robert Peel, qui ne faisait pas du libre-échange à la manière de l'honorable M. Dechamps? Il répondait : Si je tenais en main les tarifs de la France, des Etats-Unis, de la Russie, certes je les réformerais, à ma manière, au plus grand intérêt de l'Angleterre, et aussi, disait-il, au plus grand profit des nations dont je réduirais les tarifs. Mais de ce que ces puissances refusent d'accepter les avantages que nous leur offrons, que nous acceptons pour nous, il n'en résulte pas que nous ne devions pas profiter de ces avantages.

Voilà comment l'entendait sir Robert Peel. (Interruption.) Je ne fais, messieurs, que raconter : cela se trouve tout au long dans les discours de sir Robert Peel.

Ce n'est donc pas ce libre-échange dont parlait l'honorable M. Dechamps, qui est le libre-échange de l'Angleterre, qui est le libre-échange gouvernemental. C'est tout autre chose; et nous pouvons parfaitement imiter ce qui a été fait par l'Angleterre, même en nous plaçant au point de vue de l'honorable M. Dechamps vis-à-vis de la Hollande.

Je ne pense donc pas que les observations qu'on fait valoir puissent exercer la moindre influence sur vos esprits. Il ne faut pas que nous nous écartions, pour un motif que je peux considérer comme puéril, du véritable objet du débat. Il s'agit de savoir si pour un intérêt, je dirai contestable, pour faire une concession à mes honorables contradicteurs, vous devez exposer le pays aux inconvénients réels, sérieux, positifs qui vous ont été signalés. Voilà la question.

Il est certain que les esprits sont divisés sur le point de savoir si, pour l'agriculture, il y a plus d'avantages à admettre la tarification au poids qu'à admettre la tarification par tête.

L'honorable M. Bruneau défend aussi l'agriculture; il se place au même point de vue que les honorables membres que je combats, lorsqu'il prétend que la tarification par tête vaut mieux, qu'elle présente moins d'inconvénients; qu'elle sera plus favorable à l'agriculture ; et il l'établit par des chiffres, que d'ailleurs j'ai également produits dans la note qui est sous vos yeux.

Eh bien ! à côté de cette incertitude sur le plus ou le moins d'avantage pour l'agriculture, vous avez des inconvénients sérieux, réels; vous avez pour le trésor une dépense considérable, à laquelle vous n'échapperez pas, qui sera de plus de 100,000 fr. Vous serez en outre obligés de placer une population considérable dans une situation exceptionnelle, en dehors du droit commun; vous lui enlèverez toute espèce de garanties. Véritablement, messieurs, je ne conçois pas que l'on puisse hésiter.

On parle de l'importation du bétail gras. C'est là surtout ce qui préoccupe. Eh bien, cette importation n'est pas possible et c'est ce qui explique les chiffres que nous avons communiqués à la chambre. Cette importation n'est pas possible parce que la Hollande exporte surtout son bétail en Angleterre. Il y a là un marché immense et c'est vers ce marché que se dirige le bétail hollandais plutôt que vers le marché belge. Une autre raison, c'est qu'il est certain qu'on ne peut pas importer du bétail gras sans essuyer une perte considérable.

Jetais un appel aux hommes les plus compétents de cette assemblée , car j'avoue, quant à moi, mon inexpérience et mon ignorance en ces matières, je n'en sais que ce que j'ai lu, que ce que j'ai appris; mais je fais appel aux hommes pratiques, à l'honorable M. Faignart, à l'honorable M. de Bocarmé, et je leur demande s'il n'est pas vrai qu'un trajet un peu considérable fait perdre considérablement de valeur au bétail gras.

M. Rodenbach. - Pas par chemin de fer.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La perte qui doit en résulter est telle qu'on évitera d'importer du bétail gras. Un fait m'a été signalé.

M. Claes, de Lembecq, avait envoyé à Bruxelles une bête grasse et, pour être venue de Hal à Bruxelles, elle avait perdu environ 5 p. c. de son poids en 24 heures. La fatigue et le changement de nourriture suffisent pour altérer considérablement le bétail dans un espace de temps très court.

M. de Haerne. - Pas par mer.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Par mer, par terre, par chemin de fer, il est clair qu'il y aura une certaine perte. Il faut tenir compte de cette perte et ne pas craindre l'importation du bétail gras. C'est, messieurs, ce que confirment les faits qui vous ont été communiqués, et quoi qu'en ait dit l'honorable M. Faignart, ces faits sont exacts. (Interruption.) Pour combattre les faits constatés par l'administration, vous avez créé une hypothèse; soit, avez-vous dit, un bétail gras et un bétail maigre, placés dans telles conditions données ; la différence entre eux sera d'une somme que vous avez trouvé bon d'indiquer.

Mais, messieurs, cela ne prouve rien quant aux faits généraux, quant aux faits actuels, quant aux faits constatés, quant, aux faits reconnus par un grand nombre de personnes aux différentes frontières.

Encore une fois, s'il s'agissait de quelques renseignements isolés, je concevrais parfaitement qu'il y eût contestation, mais (pour prendre un chiffre) lorsque 2,000 personnes affirment des faits analogues du même genre, sans avoir pu se concerter, lorsque le relevé de tous ces faits donne le même résultat partout, il faut vraiment vouloir nier l'évidence pour contester l'exactitude de ce résultat. Eh bien, messieurs, si les faits recueillis par le gouvernement sont exacts, n'en résulte-t-il pas que c'est la tarification par tête et modérée qui doit être nécessairement préférée ?

M. Christiaens. - Messieurs, je dois d'abord répondre à un des derniers arguments de M. le ministre des finances. Il vient de dire qu'une bête grasse qui vient en Belgique perd beaucoup de son poids par la marche. Il faut ici, messieurs, faire une distinction : Le bétail qui vient de la Hollande est engraissé dans les pâturages. Or, le bétail engraissé dans les pâturages ne perd rien par la marche qu'il a à faire pour venir dans le pays.

Beaucoup d'honorables membres de cette chambre repoussent le droit sur le bétail comme droit protecteur ; eh bien, messieurs, c'est à ce titre que je le réclame le plus ardemment, pour ma part. L'engraissage du bétail est d'une importance immense pour le pays, non pas seulement sous le rapport de l'agriculture, mais aussi sous le rapport de l'alimentation des classes ouvrières. L'élève du bétail a donc, à l'égal des principales industries du pays, besoin d'une protection sérieuse, et cela pendant quelques années.

Il est, messieurs, un proverbe qui dit : « Si tu veux du blé, fais des prés. » j'ajouterai : « Si vous voulez des prés, encouragez l'élevage du bétail, aussi bien dans les pâturages artificiels que dans les pâturages naturels. » Il est certain qu'on peut créer en Belgique considérablement de pâturages artificiels qui sont très propres à l'élève du bétail.

Ainsi, messieurs, je demande un droit sur le bétail et un droit assez efficace pour encourager l'engraissage dans le pays. Il me reste à vous entretenir de quelques faits.

L'honorable ministre des finances soutient que la proportion entre le bétail gras et le bétail maigre est telle qu'elle résulte des renseignements fournis par ses bureaux. M. le ministre vient de dire, lui-même, qu'il n'a pas personnellement observé les faits et qu'il doit s'en rapporter à ce que ses bureaux ont recueilli. Je crois, messieurs, que les bureaux sont de très bonne foi, mais il est évident qu'ils font une confusion. Ainsi le bétail qui vient de Hollande a été probablement déclaré en grande partie comme bétail maigre; il n'en a peut-être pas été déclaré comme bétail gras le quart de ce qui est entré dans le pays.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est pas sur les déclarations qu'on a opéré.

M. Christiaens. - Alors c'est sur les vérifications à la simple vue, ce qui ne donne pas un résultat plus certain; au contraire.

Il y a, messieurs, une distinction à faire : le bétail qui vient de Hollande consiste, pour les trois quarts, en bétail gras ; mais il y a des degrés dans le bétail gras: ainsi allez au marché de Bruxelles et vous verrez que parmi le bétail venu de Hollande et qui est vendu comme gras, pour être livré à la boucherie, il y en a qui est demi-gras, d'autre qui est à deux tiers gras et, enfin, une troisième catégorie qu'on appelle fin gras. Eh bien, d'après les données que le gouvernement nous a fournies, je dois supposer que l'on a considéré comme bétail maigre celui qui est à deux tiers gras. Or, ces deux catégories sont livrées à la consommation même par les boucheries de la capitale.

Messieurs, l'honorable ministre, dans la note qu'il nous a fournie, a voulu nous faire comprendre qu'il faut établir le droit par tête et non pas au poids, pour attirer dans le pays le bétail de grande dimension. L'honorable M. Bruneau a parlé dans le même sens. Eh bien, messieurs, c'est là une erreur : ce qui convient à l'agriculture, ce n'est pas le bétail de grande dimension, c'est le bétail de moyenne grandeur; il convient d'autant mieux, que c'est dans cette catégorie qu'on trouve les véritables bonnes vaches laitières.

M. le ministre de l'intérieur doit bien le savoir puisqu'il s'occupe des questions agricoles. Qu'est-il arrivé dans certaines provinces, notamment dans le Brabant ? C'est que, dans certaines contrées, on a repoussé les taureaux de Durham, précisément parce que les fourrages, la nourriture que produisent ces contrées, ne sont pas convenables pour le bétail de grande dimension.

Dans notre pays, en général, il faut du bétail de petite dimension.

Dans le Brabant, où j'ai eu l'honneur d'être membre de la commission (page 691) d’agriculture, l’on a décidé qu'il ne serait désormais envoyé des taureaux Durham que dans les districts les plus riches en pâturages, parce que cette race a besoin d'une alimentation beaucoup plus substantielle. Ainsi l'intérêt de l'agriculture n'est pas d'attirer dans le pays du bétail de grande dimension, mais bien du bétail de petite dimension et de dimension moyenne.

Un honorable membre a rejeté la protection à accorder au bétail par un droit d'entrée, parce que, dit-il, l'agriculture n'en a pas besoin.

Je comprends que, dans certaines contrées du pays, au point de vue de la protection à donner à l'agriculture, il n'est pas nécessaire d'établir des droits. Si dans tout le pays on ne faisait que du fromage et du beurre, comme dans le district de Herve, je conçois parfaitement qu'on ne devrait pas alors accorder un encouragement à l'engraissage du bétail. Mais je soutiens, moi, que cette industrie offre beaucoup de développements dans l'intérêt général du pays, à cause des produits d'alimentation qui doivent en résulter, si on continue à l'encourager, au moins pendant quelque temps encore.

Maintenant, quant à la taxe, il est hors de doute que certaines formalités qui, au dire de M. le ministre des finances, existeraient dans le système du droit au poids, existeraient aussi dans le système du droit par tête. Quels que soient le mode de perception et le taux du droit, vous aurez besoin d'une certaine surveillance. Maintenant, je comprends qu'il en faudra un peu plus, si vous établissez le droit au poids; il faudra quelques bureaux de plus; il faudra des bascules. M. le ministre des finances a évalué le coût de ces bascules et autres frais à 100 ,000 fr. par an, y compris l'augmentation du personnel....

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non compris.

M. Christiaens. - Eh bien ! prenez deux cent mille francs. Que cela empêche-t-il, s'il s'agit d'atteindre un grand résultat pour l'alimentation du pays, en encourageant l'engraissage du bétail? Je crois que cette dépense n'est pas exagérée.

La protection que vous accordez aux autres industries ne coûte-t-elle rien? Les primes que vous accordez à certaines industries ne coûtent-elles rien? Or, il s'agit ici d'une protection qui est, à mes yeux, nécessaire à l'engraissage du bétail, dans l'intérêt général, dans l'intérêt de l'alimentation du peuple.

M. Dedecker. - Messieurs, les partisans du système proposé par le gouvernement soutiennent deux thèses qui sont contradictoires et que je ne puis pas admettre.

Ils soutiennent, d'abord, que nous devons être conséquents avec ce que nous avons voulu jusqu'à présent, c'est-à-dire ne pas accorder une protection à l'agriculture et n'établir qu'un droit purement fiscal ; d'autre part, ils soutiennent que le système qu'ils proposent, le système du droit par tête, est plus protecteur de l'agriculture que le système du droit au poids.

Ce sont deux thèses que je veux combattre.

Messieurs, je regrette que la loi que nous discutons porte le titre général de loi des denrées alimentaires, parce que ce titre est de nature à opérer une confusion dans les esprits. D'après moi, les principes qui doivent nous guide dans la législation concernant les céréales sont tout autres que les principes qui doivent nous guider dans une législation sur l’élève du bétail.

En effet, examinons rapidement les deux législations dans leurs rapports avec les deux grands intérêts qui sont en jeu de part et d'autre, c'est-à-dire l'intérêt de la production et l'intérêt de la consommation.

An point de vue de la consommation, constatons un fait, c'est que malheureusement, et je suis le premier à le regretter, le tiers de notre population ouvrière ne consomme pas de viande...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Plus du tiers.

M. Dedecker. - Mais je parle de ceux qui ne mangent jamais de viande. Eh bien, quel est le résultat de ce fait? C'est qu'au point de vue de la consommation, la question du bétail n'a plus ce caractère profondément social qu'a nécessairement la question des céréales, dont la consommation est un des éléments absolument indispensables de l'alimentation populaire.

Constatons d'ailleurs, en passant, que le bétail ne touche pas aux grands intérêts commerciaux et industriels comme les céréales. Mais je me hâte de me replacer, pour le moment, au point de vue de la consommation.

Une autre différence, sous ce rapport, c'est que le prix des céréales influe bien plus directement sur le prix du pain, que le prix du bétail sur pied n'influe sur le prix de la viande de boucherie. Les fluctuations des prix des céréales influent nécessairement sur les mercuriales qui fixent périodiquement le prix du pain ; tandis que le prix de la viande n'étant pas officiellement coté, il devient, par suite du monopole exercé par les bouchers, invariable et permanent. En effet, quel qu'ait été le prix du bétail sur pied, le prix de la viande de boucherie n'a pas varié : c'est là un fait constant. Malgré l'avilissement du prix du bétail sur pied, partout le prix de la viande de boucherie reste le même, c'est-à-dire très élevé.

Une autre considération encore, au point de vue de la consommation, c'est que, si nous voulons être conséquents, nous devons, après avoir cherché à amener le bas prix des céréales, en provoquer aussi la plus forte consommation possible. L'élève et l'engraissement du bétail est un excellent moyen d'utiliser l'abondance de nos céréales, tout en développant, en même temps, le principal élément de l'agriculture, comme nous allons le voir tout à l'heure.

Voilà, au point de vue de la consommation, les différences profondes, radicales outre la question des céréales et la question du bétail.

Maintenant, un point de vue de la production, les différences ne sont pas moins grandes.

Pour moi, je ne crains pas d'affirmer que l'élève du bétail est cent fois plus importante pour l'agriculture que la culture des céréales.

Il faut l'une et l'autre production, sans doute, qui le conteste? Partout où vous remarquez un grand perfectionnement agricole, soyez persuadés qu'il y a là un développement proportionnel delà productif n du bétail.

Plus un pays est avancé sous le rapport de l'agriculture, moins il attachera relativement d'importance à la culture des céréales pour porter sa principale sollicitude vers le développement de la production du bétail,

Quelle est la position de la Belgique sous le rapport de l'élève du bétail? Supérieure à presque toutes les nations sous le rapport de l'agriculture, pour l'élève du bétail elle est, dans quelques-unes de nos provinces, presque au dernier rang. Il n'est pas de pays qui, eu égard à la densité de sa population et à l'aptitude de son sol, élève si peu de bétail que la Belgique.

Ainsi donc je ne puis pas admettre l'opinion exprimée dans la note de M. le ministre des finances, que la production du bétail soit un mal nécessaire. Pour ma part, je ne sais où l'on a trouvé ce prétendu proverbe national; à coup sûr, il est inconnu parmi nos populations flamandes; du moins, je ne l'ai jamais entendu citer.

J'ai toujours vu, au contraire, qu'un cultivateur intelligent se préoccupait avant tout de l'élève et de l'engraissement du bétail. Je crois inutile d'insister là-dessus; cela me paraît élémentaire. Tout progrès agricole est subordonné à la question des engrais ; c'est à les produire en abondance qu'il faut tendre par une législation protectrice de l'élève du bétail. C'est même par ce moyen que le cultivateur pourra ne plus redouter le bas prix des céréales. En effet, dans l'intérêt même de la production des céréales, il ne faut pas pousser à consacrer à cette culture une plus grande étendue de terres, ni à défricher immédiatement des terres incultes; non, le progrès véritable et actuel à réaliser en Belgique, ou du moins dans plusieurs de nos provinces, c'est de faire produire davantage à la même quantité de terre, au moyen d'engrais plus abondants. Ces résultats sont déjà obtenus chez nous et autour de nous. Il est même curieux de comparer, sous ce rapport, la production des céréales dans les diverses provinces de la Belgique comme dans les pays voisins.

En France, on a calculé que la moyenne du produit en céréales était de 12 à 14 hectolitres par hectare; dans l'ensemble des provinces de la Belgique, elle est de 18 à 20 hectolitres; dans la Flandre et dans le district de Termonde en particulier, elle est de 25 à 30 hectolitres par hectare. En Angleterre, on est arrivé jusqu'au chiffre de 30 à 36 hectolitres. D'où vient cette remarquable différence de résultats? De la multiplication des engrais. Nous avons donc infiniment à gagner en encourageant l'élève du bétail.

Je ne puis donc pas admettre l'opinion exprimée par M. le ministre des finances et par M. Moreau, que, pour être conséquente, la chambre ne peut pas plus adopter un droit protecteur pour le bétail qu'elle ne l'a fait pour les céréales. Les intérêts, tant de la production que de la consommation, sont, comme nous venons de le voir, tout autres dans chacune de ces deux questions. Ceux-là sont donc parfaitement conséquents qui, même après n'avoir admis qu'un droit fiscal en matière de céréales, demandent, pour l'élève du bétail, un droit protecteur. C'est là l'opinion que je professe et que je crois avoir justifiée.

Reste maintenant à examiner la question de savoir quel est le meilleur système de protection pour l'agriculture, quant à l'élève du bétail.

Ici se remarque une notable divergence dans les opinions.

M. le ministre des finances et M. Bruneau trouvent que le système de droit par tête est plus favorable à l'agriculture que le droit au poids.

Pour moi, il me paraît que, au milieu de ce conflit d'opinions, il se présente un fait de nature à exercer une grande influence sur vos esprits, c'est que tous les hommes qui ont l'expérience de ces sortes d'affaires sont unanimes pour proclamer que la perception au poids est préférable au point de vue de l'agriculture. Remarquons qu'ils ne peuvent avoir aucun intérêt particulier à soutenir cette opinion ; c'est l'intérêt de l'agriculture, qu'ils connaissent par une longue pratique, qui seule les guide. Quelque déférence qu'on doive avoir pour les documents communiques au gouvernement, dans une question toute pratique comme celle-ci, j'aime mieux m'en rapporter aux personnes vraiment compétentes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous ne vous en êtes pas rapporté à elle quand il s'est agi de l'entrée des céréales.

M. Dedecker - C'est que là il y avait au-dessus de la question agricole bien d'autres intérêts à sauvegarder. D'ailleurs, il ne s'agit que d'un fait.

Pour justifier le système proposé par le gouvernement, on a recours à plus d'un moyen.

On nous a présenté des chiffres desquels il résulte que le droit d'entrée au poids frappera davantage le bétail maigre, et que ce sera aller à rencontre des intérêts de l'agriculture, j'avoue que tous les systèmes ont leurs inconvénients.

Je ne puis vérifier les chiffres; mais je ne puis croire qu'on arrive à cette espèce d'anomalie; en tout cas, cela ne détruit pas l'intérêt que nous avons à introduire de préférence le bétail maigre et à l'engraisser ensuite chez nous.

Mais, dit M. Bruneau, si vous imposez le droit au poids, on ne vous importera que du bétail chétif, malingre ; or nous avons intérêt à introduire les meilleures races.

(page 692) Je ne vois pas qu'avec le système du droit au poids on ait intérêt à introduire des bêtes chétives; le peu de poids n'est pas du tout un indice de maladie ou de dégénérescence. On introduira des bêtes maigres, mais des bêtes qui peuvent être de bonne race. Cela est tellement vrai, que M. Christiaens vient de dire que ce ne sont pas du tout les bêtes présentant le plus gros volume et le plus grand poids qui sont les meilleures pour nous; que les meilleures vaches laitières sont, au contraire, celles dont le système osseux n'a pas un si grand développement.

Pour nous rassurer, on nous dit que l'introduction de bêtes grasses de la Hollande est matériellement impossible. Les difficultés ne sont pas aussi grandes que l'a prétendu M. le ministre. Il est connu que le bétail engraissé en pâturage, comme il l'est en Hollande, ne souffre pas de la marche comme celui qui est engraissé à l'étable. Du reste, il ne faut pas s'imaginer que le bétail introduit de Hollande en Belgique soit introduit à l'état tellement gras qu'il ne puisse se mouvoir comme les bœufs de mardi gras ou comme les bœufs qui sortent de nos étables pour être conduits aux concours ouverts par la plupart de nos villes.

On dit encore que l'ouverture du marché anglais est un dérivatif , que le bétail gras de Hollande est dirigé de préférence vers l'Angleterre. Je répondrai d'abord, que les importations de Hollande en Belgique ne paraissent pas s'être ressenties notablement, jusqu'à présent, de l'ouverture du marché anglais. Et cela s'explique : le bétail hollandais qu'on importe en Angleterre vient des provinces du nord de la Hollande, et les provinces frontières de la Belgique exportent peu vers le marché anglais. L'ouverture du marché anglais n'a donc pas influé sur les importations vers la Belgique.

D'ailleurs, je pourrai me contenter de constater le fait qui prouve que l'importation du bétail gras hollandais continue d'avoir lieu.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il en est entré 4,000 têtes de moins.

M. Dedecker. - Il y a eu évidemment confusion dans les statistiques; c'est ce qui fait, selon moi, qu'on ne s'entend pas dans toute cette discussion relative à la différence entre le bétail maigre et le bétail gras.

On nous a effrayés aussi par l'exposé des difficultés qu'entraînerait l'exécution de la loi stipulant le droit au poids.

J'avoue que le spectacle de toutes ces formalités tracassières et vexatoires serait de nature à faire reculer devant l'application du droit au poids, si ce droit n'avait pas déjà été appliqué de la sorte et si nous n'étions pas ici en présence du plus important et du plus incontestable intérêt agricole.

Au reste, M. Mercier est inscrit; en sa qualité d'ancien ministre, parfaitement au courant des détails de l'administration, il pourra rencontrer la plupart des objections présentées par M. le ministre des finances.

En résumé, je crois avoir prouvé ces deux choses que je tenais à prouver : 1° qu'après n'avoir voté qu'un droit fiscal dans la question des céréales, on peut, sans inconséquence, voter un droit protecteur de l'agriculture dans la question du bétail; 2° que le droit au poids est plus favorable à l'agriculture que le droit par tête.

M. Mercier. - Il y a deux éléments qui devraient servir de base à une bonne tarification des droits de douane sur le bétail, savoir : le poids et la qualité.

Le droit au poids remplit l'une des deux conditions, puisqu'il frappe le bétail dans une proportion exacte avec son poids, et que, par conséquent, le bétail maigre et le bétail gras sont sous ce rapport placés sur la même ligne.

Le droit par tête, au contraire, a nécessairement pour effet de ménager le bétail gras et de surtaxer le bétail maigre, puisqu'il reste invariable, quel que soit le poids du bétail importé. Il tend à favoriser l'importation du bétail gras en établissant un droit plus élevé sur un kilog. de viande maigre que sur un kilog. de viande grasse.

Il serait à désirer qu'on pût atteindre également le second élément, c'est-à-dire la qualité du bétail importé, attendu que le bétail gras à poids égal a une plus grande valeur que le bétail maigre ; mais c'est chose impossible dans l'application.

On ne trouvera pas des agents assez experts pour déterminer à chaque bureau de douane les sujets qui doivent être admis comme bétail gras ou comme bétail maigre. C'est une distinction dont les bases ne peuvent être définies avec quelque précision. C'est à cause de cette difficulté que les renseignements communiqués à la section centrale par M. le ministre des finances présentent les inexactitudes qui ont été signalées et qui conduisent aux conséquences les plus singulières.

Du reste, ce n'est pas le mode de tarification qui exige une plus forte surveillance sur la ligne de douane, c'est plutôt la quotité du droit; sous ce rapport, il importe assez peu que le droit soit établi par tête ou au poids.

On s'est particulièrement appuyé, pour repousser les propositions de la section centrale, sur les formalités auxquelles on est assujetti dans le rayon des douanes lorsque les droits sont élevés.

Il est vrai que la loi du 31 décembre 1835 impose des obligations gênantes pour les habitants du rayon des douanes; mais il est à observer que la loi du 24 février 1845 autorise le gouvernement à modifier les dispositions réglementaires de la première, soit uniformément pour toutes les provinces, soit partiellement pour certains points des frontières.

Les arrêtés du 1er mars et du 25 avril 1845 apportèrent en effet des simplifications au régime établi sur toutes les frontières par rapport à l'importation du bétail, et dispensèrent des formalités proscrites par la loi du 31 décembre 1835 les habitants du rayon des douanes sur toute la frontière de France, dans tout le Luxembourg, cl dans la province de Liège vers la frontière de l'Allemagne.

Au surplus, ce n'est pas seulement pour réprimer la fraude du bétail que le personnel de la douane a été successivement augmenté et que des militaires lui ont été adjoints. Une fraude très considérable de tissus de coton et autres objets manufacturés s'était organisée sur les frontières de Hollande. On s'est vu dans la nécessité de leur opposer une force considérable, et ce n'est qu'après bien des efforts qu'on est parvenu à l'anéantir. Quant aux militaires, ils ont été retirés de la ligne des douanes longtemps avant la suppression des droits sur l'importation du bétail. En supposant d'ailleurs qu'un certain accroissement de personnel ait été nécessaire lorsque les droits étaient très élevés, s'en suit-il qu'il doive en être de même lorsque ces droits sont réduits de 25 p. c. sur une catégorie de bétail et de 50 p. c. sur une autre catégorie, en vertu du traité du 29 juillet avec les Pays-Bas?

L'appât à la fraude ayant perdu considérablement, il est permis de croire que les mêmes moyens préventifs ne sont pas indispensables, et que l'on pourrait faire sans danger une application pins large de la faculté donnée au gouvernement par la loi du 24 février 1845. Cette loi autorise du moins à faire des essais pour un état de choses qui, en fait, n'est pas celui de la loi du 31 décembre 1835.

Je ferai remarquer en outre qu'il y a une foule d'objets que l'on a bien plus d'intérêt à faire passer en fraude que le bétail ; les tissus de lin, de colon et de soie, par exemple, fournissent de bien plus grands bénéfices au fraudeur, et si une augmentation de personnel était nécessaire, ce serait plutôt pour empêcher l'importation frauduleuse de ces objets et de bien d'autres fortement imposés, à l'égard desquels le tarif n'a pas été modifié, qu'il faudrait avoir recours à cette mesure.

J'ai lieu de croire d'ailleurs, qu'après le traité avec les Pays-Bas, les tentatives de fraude du bétail se sont ralenties, et que si, dès le commencement de 1847, la perception des droits n'avait été suspendue, on eût avisé à simplifier les formalités de douane.

Quoi qu'il en soit, les avantages que l'agriculture a retirés de la loi du 31 décembre 1835 sont de nature à compenser largement la gêne imposée par certaines formalités : sous le régime de cette loi, l'élève du bétail a fait d'immenses progrès, nos importations ont été considérables et d'importantes recolles seront rentrées au trésor.

Je signalerai particulièrement ses effets par rapport à l'élève du bétail :

En 1816, d'après les indications fournies par un rapport annexé au projet de loi sur l'exercice de la médecine vétérinaire, le nombre de têtes de bétail était de 981,282; de 1816 à 1826, pendant notre réunion aux Pays-Bas, ce nombre est descendu à 886,740 têtes ; on voit qu'il a diminué d'environ cent mille têtes par suite de la concurrence, sur nos marchés, du bétail des provinces septentrionales.

De 1836 à 1846, sous le régime de la loi du 31 décembre 1835, le nombre de têtes de bétail en Belgique s'est accru de 169,000; il atteignait à cette époque le nombre de 1,099,280 têtes.

Ne serait-il pas imprudent d'abandonner une législation qui a produit d'aussi heureux résultats quant au bétail et par suite à la production d'engrais destinés à fertiliser nos champs?

J'ajouterai que les produits des droits de douane en 1846, avec une importation de 11,400 têtes de bétail seulement, ont été de beaucoup supérieurs à ceux de 1849 avec une importation de 18,000 têtes, et qu'ils les eussent encore dépassés de plus de 100,000 fr., quand même les droits eussent été perçus pendant toute l'année d'après les bases du traité avec les Pays-Bas.

Enfin, nos exportations, sous le régime de la loi de 1835, étaient tout au moins aussi fortes que sous celui de l'arrêté du 31 décembre 1848 ; en effet, elles ont été en 1846 de 9,300 têtes, et en 1840 seulement de 8,175 têtes.

On me rappelle que je n'ai point parlé du pesage : à cet égard, je ferai observer que le matériel nécessaire pour le pesage existait en 1847; qu'on doit l'avoir conservé; qu'il ne peut être détérioré en aussi peu de temps; que, par conséquent, le matériel nécessaire ne peut donner lieu à une bien forte dépense. Quant à la formalité du pesage, elle n'exige pas en elle-même un nombreux personnel.

C'est à tort aussi que l'on prétendrait que les Pays-Bas n'attacheraient plus d'importance à l'importation de leur bétail en Belgique depuis la réforme douanière en Angleterre; leur intérêt pour être moindre qu'avant cette époque, mais le gouvernement a pu se convaincre en 1846 que nos voisins mettaient encore un très grand prix à obtenir la réduction des droits de notre tarif sur cet objet.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai dit que les Pays-Bas n'avaient plus le même intérêt dans la question qu'avant la réforme anglaise.

M. Mercier. - Il est possible que l'intérêt soit moindre, mais il est encore très considérable.

Je bornerai là mes observations.

- Plusieurs membres. - A demain !

M. de Theux. - Messieurs, je serai très court.

On aura beau proclamer dans cette enceinte la nécessité d'augmenter le nombre de têtes de bétail, si le paysan vous répond qu'il ne trouve (page 693) pas son compte à en élever davantage, soit à cause du bas prix du bétail, soit à cause du bas prix des produits du sol, on n'aura obtenu aucune espèce de résultat. Or, messieurs, c'est la réponse qu'il nous a faite en 1849.

Ainsi nous avons vu que l'exportation des veaux a dépassé de 6,000 têtes le chiffre de l'exportation. C'est la meilleure preuve que l'agriculture n'a pas trouvé de profit à augmenter l'élève du bétail. Cependant il est constant que le prix des foins, des fourrages ont baissé d'une manière énormissime à la suite de la dernière récolte.

Depuis longtemps, les prix n'avaient pas été aussi bas. Ainsi tout semblait se réunir pour engager les agriculteurs à conserver ce jeune bétail, et à l'élever, le bas prix des fourrages, le bas prix des céréales, l'abondance des pommes de terre et rien n'y a fait; le paysan a trouvé qu'il n'aurait pas de profit à augmenter le nombre de ses têtes de bétail et l'exportation des veaux a dépassé de 6,000 têtes l'importation. C'est là un fait des plus graves et qui mérite toute l'attention de la chambre.

On nous a parlé, messieurs, de la grande utilité qu'il y aurait à importer du bétail de Hollande. Cela peut être vrai, mais seulement au point de vue de l'amélioration des races; il est plus profitable d'importer du bétail jeune; d'un autre côté, la plupart des cultivateurs n'ont pas le moyen d'acheter de gros bétail et ils préfèrent pour ce motif d'en acheter du jeune.

On nous a parlé, messieurs, de l'importance du bétail au point de vue de l'amélioration de l'agriculture, mais il est encore une autre considération, c'est que l'élève du bétail donne lieu à une main-d'œuvre considérable et que ce qu'il importe d'encourager, c'est la main-d'œuvre domestique, la main-d'œuvre des ménagères, là où souvent il n'y a pas d'industrie particulière pour les femmes.

On ne doit pas, messieurs, craindre la hauteur du droit d'entrée sur le bétail, alors que nous voyons nos villes maintenir tous les droits d'octroi sur le bétail. Certes, il y a une contradiction flagrante à autoriser les villes à percevoir des droits d'octroi considérables sur le bétail quel qu'il soit, indigène ou étranger, et à vouloir dans l'intérêt du consommateur favoriser l'importation du bétail étranger.

Messieurs, deux choses sont en discussion : le mode de perception et le chiffre du droit. Si la perception se fait par tête, vous vous trouvez entre ces deux chiffres : celui du gouvernement, qui existe aujourd'hui, c'est-à-dire 15 fr., et celui qui est proposé par M. Bruneau, c'est-à-dire 20 fr. Eh bien, messieurs, remarquez que l'importation par la frontière de Hollande (et c'est par là qu'elle a lieu) se fait avec réduction du quart des droits, de sorte qu'avec le chiffre le plus élevé, celui de M. Bruneau, on ne percevra encore que 15 fr. Or, d'après la loi de 1845, le droit serait d'environ 33 fr. en moyenne. Il s'agit donc de réduire le droit de plus de moitié.

Messieurs, une seule considération encore. Le gouvernement a fait étudier le système de drainage; il a mis à la disposition du public un ingénieur pour guider les propriétaires dans l'application de ce système. D'un autre côté, il a fait des canaux dans la Campine, en grande partie dans le but de faire convertir les landes de la Campine en près; eh bien, messieurs, pour encourager le drainage et la conversion en prés des landes de la Campine, il faut nécessairement faire en sorte que l'élève du bétail présente un avantage sérieux.

De ces deux chefs on peut augmenter la quantité de bétail dans une proportion énorme, comparativement à ce qui existe; car, en général, les prés en Belgique sont susceptibles de grands perfectionnements, et, d'autre part, les landes de la Campine, au moyen des travaux d'irrigation que l'on fait et que l'on peut étendre sur une échelle beaucoup plus considérable, peuvent procurer des foins pour alimenter beaucoup plus de bétail qu'il n'en manque à la consommation et qu'il n'en peut manquer d'ici à longtemps.

- La séance est levée à 4 heures et demie.