(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 1699) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal a midi et demi.
- La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Quelques habitants de Tournay demandent la réforme de la législation sur l'expropriation forcée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Decorte propose des modifications à la loi sur les chemins vicinaux. »
- Même renvoi.
M. E. Vandenpeereboom, au nom de la commission spéciale qui a examiné le projet de loi de crédit complémentaire au département des travaux publics pour construction du canal latéral à la Meuse, du canal de Zelzaete à la mer du Nord et du canal de Deynze à Schipdonck, dépose le rapport sur ce projet de loi.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.
La discussion continue sur l'article 40 et sur les amendements y relatifs.
M. de Luesemans renonce à la parole.
M. le président. - Messieurs, le deuxième alinéa de l'article 9 du règlement est ainsi conçu :
« Il (le président) ne peut prendre la parole dans un débat que pour présenter l'état de la question et y ramener; s'il veut discuter, il quitte le fauteuil, et ne peut le reprendre qu'après que la discussion sur la question est terminée. »
Aux termes de cet article, le fauteuil ne peut être occupé ni par MM. les vice-présidents ni par notre doyen d'âge. Désirant prendre la parole, je prierai celui de nos collègues qui, après l'honorable M. Destriveaux, est le plus âgé de vouloir bien me remplacer au fauteuil.
M. Loos. - Il s'agit d'une discussion extrêmement compliquée et qui traînera en longueur si le fauteuil est occupé par un de nos honorables collègues n'ayant pas l'habitude de présider nos débats. Je crois donc que la chambre ferait bien de déroger, en cette circonstance, à son règlement, d'autoriser un des vice-présidents à siéger et notre président à remonter au fauteuil quand il aura parlé.
M. le président. - Messieurs, le règlement est là.
M. Delfosse. - Le règlement est là sans doute, et si un seul membre en demandait l'exécution, il faudrait le respecter. Mais je ne pense pas qu'il y ait un seul membre qui s'oppose à l'adoption de la proposition de l'honorable M. Loos.
- Plusieurs membres. - Il n'y a pas d'opposition.
- D'autres membres . - On est unanime.
M. le président. - La proposition de M. Loos est adoptée. J’invite M. H. de Brouckere à venir me remplacer au fauteuil.
M. H. de Brouckere. - Je le ferai avec le plus grand plaisir mais à la condition que M. le président, quand il aura parlé, voudra bien me remplacer.
M. le président. - C'est entendu ainsi.
- M. H. de Brouckere remplace M. Verhaegen au fauteuil.
(page 1709) M. Verhaegen. - Messieurs, une conviction profonde me commande d'appuyer de mon vote, du moins en ce qui concerne le jury d'examen, la proposition du gouvernement, telle qu'elle a été amendée par M. le ministre de l'intérieur. Maïs en même temps la position que j'occupe dans l'enseignement libre ne me permet pas de garder le silence. Force m'est donc de vous faire connaître les motifs qui servent de base à mon opinion.
Certes, autant qu'aucun de vous, je suis sincèrement attaché à la liberté d'enseignement, dont naguère j'ai amplement usé ; plus qu'aucun de vous, je dois mes sympathies à l'un des établissements libres, auquel je serai toujours fier d'avoir attaché mon nom. Mais c'est précisément pour ces motifs que je m'empresse d'accepter les propositions du gouvernement.
Je trouve, je dois le dire, tout d'abord, une grande différence entre l'amendement de la section centrale, auquel je n'ai pas cru pouvoir me rallier, et l'amendement de M. le ministre de l'intérieur, que j'ai adopté immédiatement comme donnant, dans mon opinion, toutes les garanties désirables aux établissements libres.
Messieurs, d'accord avec mes antécédents, je veux des garanties pour l'enseignement libre, ou, ce qui revient au même, pour l'enseignement privé; car ces mots sont synonymes ; et je veux que ces garanties soient écrites dans la loi. Comme toujours, je pense que la liberté sans garanties n'est qu'une tolérance, et je ne puis pas soumettre l'existence de l'enseignement libre à une simple tolérance; mais je pense en même temps que ces garanties sont écrites, d'une manière suffisante, dans le projet de loi que nous discutons, tel qu'il a été amendé par M. le ministre de l'intérieur.
Les intérêts de l'enseignement privé, dont les établissements libres constituent un des principaux éléments, se trouvent à tous égards sauvegardés par le texte de cet amendement, et l'exposé des motifs, que je considère comme inséparable du projet, me rassure d'ailleurs sur l'exécution que le gouvernement y donnera s'il est converti en loi.
Il y a plus : toute susceptibilité de la part des établissements libres devient impossible par l'amendement de M. le ministre de l'intérieur ; leur dignité ne se trouve plus compromise comme elle l'était avec l'amendement de la section centrale. Ce qu'il fallait, messieurs, pour que la dignité fut sauve, c'est que les universités libres fussent mises sur la même ligne que les universités de l'Etat, et aujourd'hui, d'après les propositions que nous avons sous les yeux, elles le sont.
J'adjure les partisans de l'enseignement libre de bien y prendre garde; en montrant trop d'exigence, en apportant à la discussion un zèle inintelligent, ils pourraient bien perdre la cause qu'ils défendent. Obligé de dire toute ma pensée, je trouve, moi, que nous obtenons par le projet de loi tout ce que nous avons intérêt à obtenir.
Oserais-je dire que nous obtenons plus que nous ne pouvions espérer ! Je redoute presque qu'en voulant convaincre les partisans des établissements libres, je ne détache du projet quelques-uns des partisans quand même des universités de l'Etat. C'est là l'écueil que je voudrais éviter. Mais, enfin, j'ai une tâche à remplir, j'ai à justifier mon vote, et s'il y a une imprudence, elle ne sera pas venue de mon côté.
Le système du gouvernement, tel qu'il est exposé dans les motifs qui précèdent le projet, m'a paru recevoir l'approbation de l'honorable M. Dechamps et de plusieurs de ses amis ; mais ces honorables membres craignent que le projet ne renferme pas des garanties suffisantes pour l'exécution. Eh bien, messieurs, ces craintes sont chimériques : des garanties sont écrites dans la loi, dans le texte même de la loi; je me charge de le démontrer.
Il y a une grande différence entre l'amendement de la section centrale et l'amendement de M. le ministre de l'intérieur ; je vais, messieurs, vous mettre les textes sous les yeux.
L'amendement de la section centrale porte :
« Le gouvernement composera chaque jury d'examen de telle sorte, que les professeurs des universités de l'Etat n'y soient pas en majorité. »
Cet amendement, je l'ai repoussé au sein de la section centrale, et voici pourquoi : C'est que la disposition proposée consacrait formellement le droit des universités de l'Etat et ne disait pas un seul mot de l'enseignement libre.
Puis, je dois le dire, j'étais arrêté par une sorte de susceptibilité prenant naissance dans l'intérêt que je porte à l'université de Bruxelles. Parler dans le texte de la loi des universités de l'Etat, alors qu'on se taisait complètement sur les universités libres, c'était relever les unes et abaisser les autres, alors que toutes prennent naissance dans le même principe.
Voyons maintenant quel est l'amendement de M. le ministre de l'intérieur ; il porte :
« Le gouvernement compose chaque jury de telle sorte que les professeurs de l'enseignement dirigé ou subsidié par l'Etat et ceux de l'enseignement privé y soient appelés en nombre égal. »
Messieurs, les garanties que demandent les honorables MM. Dechamps et ses amis, et que je demande avec eux, ne sont-elles pas écrites dans ce texte? Ce texte ne porte-t-il pas en termes explicites que les professeurs de l’enseignement privé sont appelés en nombre égal avec le» professeurs de l'enseignement dirigé ou subsidié par l'Etat pour composer chaque jury d'examen?
Les professeurs de l'enseignement privé sont appelés, par l'amendement de M. le ministre de l'intérieur; si donc cet amendement fait partie de la loi, il ne sera pas permis désormais au gouvernement de ne pas appeler, pour composer le jury d’examen, MM. les professeurs de l’enseignement privé et il ne lui sera pas permis non plus d’appeler un nombre plus fort de professeurs de l’enseignement dirigé ou subsidié par l’État. Que veut-on de plus? Ces garanties ne sont-elles pas suffisantes ?
Dira-t-on que les professeurs des universités libres ne sont pas directement appelés? Mais il en est de même pour les professeurs des universités de l'Etat.
L'amendement ne parle pas plus des universités de l'Etat que des universités libres. Il appelle en général les professeurs de l'enseignement libre comme les professeurs de l'enseignement dirigé ou subsidié par l'Etat, il accorde aux uns et aux autres les mêmes garanties. En un mot il ne parle et il ne devait parler que des deux grandes branches de l'enseignement supérieur qu'il met sur la même ligne à tous égards.
Maintenant, quelles sont les deux grandes branches de l’enseignement? (Car il faut voir les choses en grand, au lieu de les rapetisser.) Les deux grandes branches de l'enseignement supérieur, comme de tout enseignement moyen ou primaire, sont d'une part l’enseignement libre, et d'autre part l'enseignement dirigé ou subsidié par l'État, et ces deux grandes branches auront leurs représentants dans les jurys d'examen en nombre égal; les éléments dont ces deux grandes branches d'enseignement se composent, sont d'ailleurs, si l'on voulait élever des doutes sur ce point, mentionnés dans l'exposé des motifs qui est inséparable du projet de loi.
Messieurs, je dois le dire, je voterai avec une conviction profonde pour les propositions du gouvernement en ce qui concerne le jury d'examen, non pas parce que les hommes qui sont au pouvoir ont mes sympathies et ma confiance, car je les eusse votées sous tout autre ministère; mais parce que les garanties que j'ai toujours demandées pour l'enseignement libre et sans lesquelles la liberté ne serait qu'une tolérance, sont formellement écrites et dans le texte de l'amendement de M. le ministre de l'intérieur et dans l'exposé des motifs.
D'après l'amendement de M. le ministre de l'intérieur (je désire, messieurs, qu'on contrôle mes paroles), il ne serait pas même nécessaire que le gouvernement nommât des professeurs des universités de l'Etat exclusivement pour représenter l'enseignement public. Il pourrait prendre les représentants pour cet enseignement, dans les corps enseignants de l'école militaire, de l'école des mines et de l'école du génie civil. J'irai même plus loin : il pourrait les prendre parmi les professeurs de ses collèges de l'enseignement moyen et même de certains collèges qui ne seraient pas les siens, mais auxquels il donnerait des subsides. C'est là la portée de l'amendement. Il ne s'agit plus, vous le voyez, d'un monopole pour les universités de l'Etat, comme semblait le créer la section centrale : ce monopole est complètement exclu.
M. d'Elhoungne. - Le gouvernement ne pourrait appeler à faire partie du jury des professeurs des athénées. Si vous voulez qu'il en soit ainsi, il faut le mettre dans l'amendement.
M. Orts. - M. Verhaegen a raison.
M. Verhaegen. - Voici l'amendement :
«c Le gouvernement compose chaque jury d'examen de telle sorte que les professeurs de l’enseignement dirigé ou subsidié par l'Etat et ceux de l'enseignement privé y soient appelés en nombre égal. »
Je ne dis pas que le gouvernement soit tenu à nommer des professeurs des athénées.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il ne le fera pas.
M. Verhaegen. - Je ne dis pas qu'il le fera, mais du moins d'après le texte de l'amendement que je viens de relire, il pourrait le faire. Du reste, la seule chose qui m'importât et mon but est atteint par l'amendement, c'est qu'il n'y eût pas de monopole pour les universités de l'Etat; c'est que les universités de l'Etat ne fussent pas spécialement mentionnées dans la loi, alors qu'on ne mentionnait pas spécialement les universités libres; c'est qu'en donnant des garanties aux deux grandes branches de l’enseignement supérieur, on respectât de justes susceptibilités.
Après cela, messieurs, l'enseignement libre se compose aussi de plus d'un élément. Certes, personne n'oserait soutenir que l'enseignement libre ne se compose que des universités libres; ce serait là une idée étroite, mesquine, égoïste que, pour l’honneur du libéralisme belge, je repousserais de toute la force de mon âme; il faut voir la question d'une manière beaucoup plus large, beaucoup plus libérale. Il est un enseignement que l'on semble oublier, et avec lequel il faut compter, c'est l'enseignement que donne le père de famille à ses enfants, l'enseignement que donne le professeur privé aux enfants de ceux qui n'ont confiance dans aucun établissement ni libre, ni de l'Etat.
Si nous voulons la liberté (et nous la voulons tous, j'en ai la conviction), prenons-la telle qu'elle est; ne la rapetissons pas. La liberté d'enseignement n'existe pas seulement pour les universités de l'Etat et pour les universités libres. Elle existe pour tous sans distinction. Il faut des garanties pour l'enseignement prive individuel comme pour l'enseignement des corporations libres ou dirigées par l'Etat.
Certainement, en m'expliquant ainsi, je ne suis pas suspect. Je tiens, autant que personne, plus que personne, qu'il me soit permis de le dire, à certain établissement libre; mais ce n'est pas une raison pour que je (page 1710) consente jamais à porter la moindre atteinte à la plus précieuse de nos libertés. Je place bien haut l'intérêt du l'établissement auquel je fais allusion, mais je place plus haut encore l'intérêt du libéralisme tout entier.
Il faut donc compter, je le répète, avec l'enseignement privé, individuel.
Un des organes de la presse qui attaquent le plus obstinément le projet du gouvernement, même tel qu'il est amendé par M. le ministre de l'intérieur, a établi naguère, beaucoup mieux que je ne pourrais le faire moi-même, l'importance de l'enseignement privé individuel et la légitimité de ses droits. Voici ce que je lis dans sa correspondance du 21 de ce mois :
« Or, que fait-on aujourd'hui à l'égard des études privées? Dans la section centrale comme dans toutes les autres sections, les études privées comptent à peine. C'est à peine si on les nomme, si l'on semble en soupçonner l'existence; c'est à peine si l'on daigne les admettre à ne pas mourir. C'est à peine si on daigne ne pas les proscrire. Evidemment, il y a ici un oubli total de ce qui est dû à la Constitution, oubli total de ce qui est dû à la liberté d'enseignement; oubli total de ce qui est dû aux familles; oubli total de ce qui est dû au meilleur élément démocratique, à celui qui désire s'instruire; et, il faut le dire, la presse qui se dit avancée, passe à côté de cette question avec un sans-façon qu'on ne saurait assez déplorer.
« Il y a des hommes, même distingués sous certains rapports, qui disent que les études privées ne sont pas dignes de l'attention des grands pouvoirs publics ; mais pourquoi donc la Constitution a-t-elle déclaré l'enseignement libre? pourquoi a-t-elle reconnu l'indépendance absolue des familles ? Ce n'étaient donc là que des pièges : ce n'étaient donc là que des mystifications !
« Mais, dit-on crûment, les études privées ne valent rien. Quoi! Elles ne valent rien, même quand ce sont des professeurs d'université qui les dirigent ? Est-ce oui ou non ? Si c'est oui, il y a donc des études privées qui sont bonnes. Si c'est non, il y a des professeurs d'université qui ne savent pas leur métier.
« Il n'est pas question de celles-ci, est-il répondu. Les études privées que nous repoussons, que nous dédaignons à bon droit, ce sont celles qui sont dirigées par des hommes étrangers aux corps universitaires.
« L'objection paraît invincible.
« A quoi se réduit-elle?
« A la plus grossière insulte qu'on puisse faire à un pays.
« Quoi ! il n'y a pas en Belgique et en dehors des universités, un seul jurisconsulte capable de former un candidat en droit ! pas un seul médecin qui puisse former un candidat en médecine! pas un seul lettré qui puisse former un candidat en philosophie ! Tout ceci n'est que ridicule et absurde.
« Qu'on le remarque. Aujourd'hui, en France comme en Belgique, ce sont des hommes presque tous étrangers au corps professoral qui représentent la gloire des lettres et des sciences, à l'étranger. Pour un professeur qui écrit, il y a cent écrivains qui ne sont pas professeurs ; et ce sont les hommes rattachés le plus souvent par faveur ou par camaraderie à des universités, qui auraient le monopole absolu de l'intelligence !
« Les accusations, les dédains contre les études privées ne sont donc en réalité que des accusations, des dédains contre la Constitution , contre les hommes éminent qui ont concouru à son établissement; et, dans la pratique, rien ne les justifie. »
Oui, messieurs, l'enseignement privé individuel a son importance et ses droits, et c'est parce qu'il faut compter avec cet enseignement qu'il était bien difficile, au point de vue de l'impartialité, de constituer un bon jury d'examen.
Toutes les propositions qui ont surgi dans cette enceinte, à la suite du projet du gouvernement, toutes celles qui ont été discutées dans la presse sont entachées de ce vice capital : qu'elles ne renferment pas des garanties suffisantes d'impartialité à l'égard de l'enseignement privé individuel. Le seul système qui paraisse de nature à résoudre la difficulté, est celui qui se trouve résumé dans l'exposé des motifs qui précède le projet de loi et qui consacre l'établissement de divers jurys universitaires combinés et en outre d'un jury spécial central pour l'enseignement privé individuel.
En effet, messieurs, que ferait-on si on venait en définitive à décréter un seul jury central et pour les établissements universitaires publics et libres et pour l'enseignement privé individuel? C'est ici que je réclame toute votre attention, car, d'après moi, c'est la question vitale ; que ferait-on, je vous le demande, obligé qu'on serait de compter avec cet enseignement et de lui donner des garanties suffisantes dans ce jury unique qu'on viendrait à décréter ?
Croirait-on avoir assez fait pour l'enseignement supérieur privé individuel, lorsque, comme le propose un de mes honorables amis de l'université de Bruxelles, et après lui, l'honorable comte de Mérode, on lui aurait donné un seul représentant sur neuf, et encore un représentant qui lui serait complètement étranger, puisque, pris parmi les membres de la cour de cassation, de l'Académie de médecine ou de l'Académie des sciences et belles-lettres, il n'aurait rien de commun avec l'enseignement privé individuel, qui, lui aussi, a ses professeurs, et par suite ses mandataires? Personne n'oserait le prétendre, et la chambre serait accusée d'impartialité à l'égard d'un élément important de l'enseignement libre.
Encore une fois, pour faire acte d'impartialité à l'égard de l'enseignement privé individuel, il n'y a pour le moment d'autre moyen que d'admettre le système du gouvernement, tel qu'il est développé dans l'exposé des motifs.
Voici, messieurs, ce système, et ici, de nouveau, je désire qu'on contrôle mes paroles :
Il y aura des jurys universitaires pour les élèves qui appartiennent aux établissements d'instruction, soit aux établissements dirigés ou subsidiés par l'Etat, soit aux établissements libres. Ensuite, comme il faut donner satisfaction pleine et entière à l'enseignement privé individuel, il y aura un jury spécial pour cet enseignement. Il ne sera pas confondu avec les jurys universitaires combinés, il sera entièrement distinct.
Et ces jurys universitaires, comment seront-ils composés ? Vous, messieurs, qui attachez tant de prix aux universités libres, avez-vous jamais pu croire qu'on leur fit la part aussi belle? Quoi? une faculté tout entière d'une université libre vient se placer en face d'une faculté d'une université de l'Etat (le nombre des professeurs doit être toujours égal), et nous pousserions plus loin nos exigences !
D'après le système qu'on dit être le plus favorable aux universités libres, celui de M. Roussel, chacune des universités libres n'aurait que deux représentants sur neuf, et dans le système du gouvernement elle obtiendrait la moitié du nombre total, sauf le président qui est pris en dehors du corps enseignant; ainsi, sur neuf elle aurait quatre représentants. Dès lors, peut-on hésiter un seul instant entre ces deux systèmes ?
Maintenant, comment sera composé dans le système du gouvernement le jury spécial pour l'enseignement privé individuel? Il sera composé en nombre au moins égal de professeurs appartenant à cet enseignement et en outre de professeurs appartenant aux établissements dirigés ou subsidiés par l'Etat et même aux établissements libres. Les professeurs de ces établissements contrôleraient ainsi les professeurs de l'enseignement, privé individuel.
Voilà une garantie bien large pour l'enseignement privé individuel et en outre une nouvelle garantie, non seulement pour les universités de l'Etat, mais encore pour les universités libres, toujours mises sur la même ligne.
Voilà en même temps des garanties tout aussi larges pour les élèves pris isolément, car ils pourront se présenter à leur choix, soit devant l'un des deux jurys combinés (s'ils choisissent celui où siègent leurs professeurs, ils seront interrogés par eux; ce qui est un très grand avantage), soit devant le jury spécial institué pour l'enseignement privé individuel.
N'est-ce pas là une combinaison qui est de nature à sauvegarder tous les intérêts des deux grandes branches de l'enseignement supérieur, c'est-à-dire de l'enseignement privé comme de l'enseignement public?
Que reste-t-il, messieurs, si l'on ne veut pas de cette combinaison? II ne reste, il faut en convenir, même pour ceux qui sont les plus exigeants, que de deux choses l'une: ou bien un seul jury central pour les deux grandes branches d'enseignement, composé de la même manière que le gouvernement se propose de composer les jurys combinés, c'est-à-dire en y faisant entrer pour une part égale les représentants de l’enseignement libre et les représentants de l'enseignement dirigé ou subsidié par l'Etat; ou bien un jury central, comme le propose l'honorable M. de Mérode, d'après le système de M. Roussel, dans lequel chacune des quatre universités existantes aurait une représentation égale de deux membres pris dans son sein, et l'enseignement privé individuel serait représenté par un membre étranger à l'instruction. Or, messieurs, je vous le demande, à vous partisans des universités libres, l'une ou l'autre de ces combinaisons est-elle comparable à la combinaison du gouvernement qui donne à chacune des universités libres la moitié des représentants dans chaque jury?
En effet, si la chambre adoptait l'établissement d'un jury composé d'après le principe que le gouvernement se propose de suivre pour la composition des jurys combinés, qu'arriverait-il ? C'est que les deux établissements libres, pour la moitié de la représentation dans ce jury, auraient à compter tout d'abord avec l'enseignement privé individuel, l'autre moitié de la représentation appartenant tout entière à l'enseignement dirigé ou subsidié par l'Etat.
Moi, qui ai annoncé que je voterais pour le système du gouvernement, en présence de l'amendement de M. le ministre de l'intérieur et surtout en présence de l'exposé des motifs qui suppose des jurys combinés, je ne pourrais pas voter pour ce système appliqué à un jury central unique, car évidemment dans cette hypothèse les établissements libres seraient sacrifiés : il n'y aurait plus cet équilibre qu'offre la combinaison du gouvernement dans son ensemble.
Messieurs, qu'on ne s'y trompe pas, les universités libres auraient dans un seul et même jury beaucoup à redouter de la présence des professeurs de l'enseignement privé individuel : l'impartialité ne serait pas toujours suffisamment garantie. Les professeurs de l'enseignement privé individuel sont, par leur position, les adversaires-nés des établissements libres, car la perte de ceux-ci fait leur fortune. Les universités libres l'ont si bien compris que naguère elles avaient rencontré des adversaires dans leur sein et que force leur a été d'interdire à leurs professeurs de donner des leçons particulières à des jeunes gens qui ne seraient pas inscrits sur les contrôles de l'établissement.
D'un autre côté, qu'arriverait-il si la chambre, ce qui toutefois n'est pas probable, venait à adopter un jury central composé d'après le système de M. Roussel?
D'abord ce jury présenterait le même inconvénient que celui qui a été signalé il n'y a qu'un instant; ensuite la représentation égale dans ce même jury des quatre universités pourrait donner lieu aux plus graves abus, chacune de ces universités n'ayant que deux représentants sur (page 1711) neuf. C'est ce qui a été démontré à l'évidence dans la séance d'hier, par mon honorable ami M. Devaux.
Et qu'on ne dise pas : L'union qui existe et qui a toujours existé entre les deux universités libres est une garantie suffisante contre les universités de l'Etat et contre l’enseignement privé individuel ; je ne sais ce qui en est de cette prétendue union, mais si elle existe pour le moment, elle n'est certes pas indissoluble; d'autres unions se sont dissoutes par la cessation des causes qui les avaient fait naître on par certains incidents qui avaient surgi à l'improviste. Serait-il impossible qu'un jour une controverse philosophique ou politique amenât de la part de l'une de nos universités libres une coalition avec les universités de l'Etat, dont l'autre université libre aurait à se repentir? Je n'en dirai pas davantage sur ce point; mais toujours est-il prudent, lorsqu'on veut des garanties pour assurer une liberté, qu'on les demande pour toutes les éventualités.
Voilà donc, messieurs, pourquoi j'ai annoncé vouloir voter pour la proposition du gouvernement, amendée par M. le ministre de l'intérieur, et avec l'organisation définie dans l'exposé des motifs.
Quelques mots encore, messieurs, sur cet exposé des motifs, et je termine.
J'ai déjà démontré que les garanties pour l'enseignement libre sont écrites dans l'amendement de M. le ministre de l'intérieur, et cela, à la rigueur, m'aurait suffi. Mais l'exposé des motifs m'annonce en outre que le gouvernement a un système pour la composition des jurys d'examen, et c'est là une garantie de plus.
Le gouvernement, après avoir rencontré les divers systèmes anciens et nouveaux, après les avoir combattus, expose clairement et nettement le sien; il fait même à cet égard une objection qu'il résout à l'instant même et il finit par dire que c'est ce système qu'il va mettre à exécution. Aucune autre vue n'est présentée. Il y a donc certitude sur la marche que se propose de suivre le gouvernement. L'exposé des motifs renferme des prémisses dont le projet de loi n'est que la conséquence. C'est un tout indivisible, et c'est dans ce sens que j'adopte les propositions du gouvernement.
Puis avec le tempérament qu'apporte à ces propositions l'amendement de la section centrale ne donnant force à la loi que pour trois ans, alors encore qu'à tout instant, lorsque des abus viendraient à être signalés, la législature aurait les moyens d'y parer, toute crainte devient impossible.
Un dernier mot sur la manière de voter :
Messieurs, on veut procéder par questions de principe. D'après l'honorable M. Luesemans, il faudrait d'abord poser la question suivante :
« Y aura-t-il ou n'y aura-t-il pas un jury central ? »
Il y a un grave danger à procéder ainsi, car si l'on venait à décider qu'il y aura un jury central, par cela même le système au fond du gouvernement viendrait à tomber; il ne resterait plus de ce système que le principe que le gouvernement entend appliquer aux jurys combinés, et consistant à assurer une représentation égale à l'enseignement libre et à l'enseignement public.
Pour mon compte, je dois le dire, si la question relative à l'établissement d'un jury central venait à être posée, je voterais contre ; et si la majorité l'adoptait, je ne pourrais plus consentir à suivre le gouvernement, s'il voulait alors appliquer son principe à ce jury central. Car, dans ce cas, je le répète, les intérêts des établissements libres seraient gravement compromis.
La seconde question indiquée par l'honorable M. de Luesemans est celle-ci :
« Abandonnera-t-on la nomination des membres du jury au gouvernement ? Lui abandonnera-t-on l'organisation du jury ?
Messieurs, je serais fort embarrassé de répondre à cette question. Je dirais oui en présence de l'amendement de M. le ministre de l'intérieur et en présence de l'exposé des motifs; mais abstractivement je serais obligé de m'abstenir, car je dirais comme je l'ai toujours dit que la liberté sans garanties n'est qu'une simple tolérance, et j'attendrais pour me prononcer que ces garanties fussent avant tout votées.
Messieurs, il y a un seul moyen d'arriver à un résultat auquel tout le monde puisse prendre part en âme et conscience.
Nous sommes en présence du projet du gouvernement, bien connu maintenant, précédé de l'exposé des motifs et amendé par M. le ministre de l'intérieur; nous avons ensuite huit ou dix propositions nouvelles, qu'on appelle à tort des amendements; car toutes ces propositions contiennent des systèmes nouveaux. Je crois que pour mettre tout le monde à l'aise on devrait poser d'abord cette question : Adoptera-t-on ou n'adoptera-t-on pas le système du gouvernement tel qu'il est présenté dans son ensemble. Si on résout la question négativement, alors seulement viendront les propositions nouvelles qui ont surgi dans cette enceinte.
Je n'en dirai pas davantage; mon but, en prenant la parole, a été d'expliquer d'avance mon vote et de faire bien comprendre à ceux qui ont le même intérêt que moi, qu'il s'agit dans l'occurrence de sauvegarder les intérêts des établissements libres, en donnant la main à un système qui maintient le droit de tous et ne laisse matière à aucune susceptibilité. Dieu veuille qu'on n'aille pas au-delà du but qu'on se propose !
(page 1699) M. d'Elhoungne (pour une motion d’ordre-. - Messieurs, je voudrais, par motion d'ordre, adresser au gouvernement une interpellation qui permît à l'un des ministres de redresser une erreur dans laquelle, à mon avis, vient de tomber notre honorable président.
D'après l'honorable M. Verhaegen, l'amendement du gouvernement doit être entendu en ce sens que les professeurs appartenant à l'enseignement public, qui feraient partie du jury des examens universitaires, pourraient être pris, non seulement dans l'enseignement supérieur, c'est-à-dire dans l'enseignement des universités, de l'école militaire, des écoles spéciales du génie civil et des mines, mais encore dans l'enseignement moyen.
Je crois que cela peut être vrai pour la collation du grade d'élève universitaire qui est la sanction de l'enseignement moyen; mais il me semble que cela n'est pas vrai pour la collation des grades académiques proprement dits. Là, lorsque l'amendement de M. le ministre de l'intérieur parle de l'enseignement public et de l'enseignement privé, il parle évidemment de l'enseignement supérieur; s'il n'en était pas ainsi, l'enseignement supérieur privé ou libre pourrait être également représenté par des professeurs appartenant à l'enseignement moyen libre. Cela ne peut sans doute entrer dans la pensée de personne.
Je voudrais donc que M. le ministre voulût bien s'expliquer à cet égard.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, dans le système du gouvernement, il y aura deux catégories de jurys chargés de conférer les grades universitaires proprement dits. Il y aura un jury que j'appelle le jury universitaire composé de deux facultés accouplées, l'une appartenant à l'une des universités de l'Etat, et l'autre, appartenant à une université libre. Il est clair que dans ce jury il n'entrera que des professeurs d'universités.
Vient ensuite le jury central spécialement destiné aux études privées. Dans ce jury, le gouvernement se propose de faire entrer un certain nombre de professeurs universitaires, mais il ne s'interdit pas le droit de choisir, au besoin, des professeurs de l'enseignement moyen, et même tous autres individus, n'appartenant pas à l'enseignement, qui auraient l'aptitude nécessaire pour faire de bons jurés.
M. le président. - La parole est à M. Lebeau.
M. Lebeau. - J'y renonce. L'attention de la chambre est véritablement épuisée. Si mon exemple était suivi, je serais heureux de demander la clôture.
M. Delfosse. - Je désire donner quelques explications comme rapporteur.
Messieurs, après ce qui a été dit dans la discussion générale et dans celle des articles, qui n'en a été que la continuation, il ne reste au rapporteur qu'à présenter quelques courtes observations sur les amendements qui ont été déposés. La plupart de ces amendements, celui de M. Delehaye, celui de M. de Mérode, celui de M. de Haerne et celui de M. Van Cleemputte, s'accordent en ce point qu'ils donnent aux universités le droit d'intervenir dans les jurys d'examen, en vertu d'une disposition légale. La loi, d'après ces amendements, donnerait un droit positif formel, non seulement aux universités de l'Etat, mais aussi aux universités libres qui seraient par là reconnues. Nous persistons à repousser énergiquement toute mesure de ce genre.
D'après la Constitution, l'enseignement est libre; le droit d'enseigner existe au même titre, au même degré pour tous les citoyens. Créer deux catégories d'enseignement, l'une composée d'associations universitaires, l'autre d'associations moins nombreuses et de professeurs isolés, donner à l'une de ces catégories des droits qui seraient refusés à l'autre, c'est méconnaître évidemment l'esprit de la Constitution, c'est placer le privilège là où elle a voulu l'égalité, c'est créer une sorte d'aristocratie dans l'enseignement libre.
Parce que nous ne voulons pas de privilège, parce que nous réclamons pour tous l'égalité devant la loi, on nous accuse de pousser le puritanisme jusqu'à l'exagération. Ce reproche nous touche peu; il est souvent adressé à ceux qui défendent un principe sans préoccupations personnelles, par ceux que les principes gênent quelquefois et qui se placent volontiers à côté. Si le reproche était fondé, il devrait s'adresser aussi à l'ancienne majorité des chambres, qui a constamment repoussé le système que nous combattons, car ce système n'est pas neuf ; on l'a produit en 1835, on l'a produit en 1844, sans le moindre succès; la plupart de ceux qui le prônent aujourd'hui ont été alors les premiers à en faire bonne justice.
Les membres de l'ancienne majorité ne se seraient certes jamais attendus à passer pour des puritains exagérés.
Laissons là, messieurs, ces qualifications pompeuses qui cachent souvent le vide des idées et qui ne peuvent tenir lieu de bonnes raisons.
La reconnaissance par la loi des universités libres serait une innovation dangereuse; on en ferait par là des personnes civiles, non pas des personnes civiles complètes, jouissant de la plénitude de leurs droits, mais des personnes civiles en germe, qui ne manqueraient pas de se développer plus tard.
Les faits ont leur logique, ils s'enchaînent; la reconnaissance par la loi des universités libres serait le premier pas dans une voie au bout de laquelle on trouve la proposition Brabant-Dubus.
(page 1700) Les prétentions des universités libres sont d'autant moins fondées que nous ne donnons pas non plus par la loi aux universités de l'Etat le droit d'être représentées dans le jury ; elles y seront représentées comme les universités libres par voie administrative et non en vertu de la loi.
Il y a, ce rapport, une parfaite égalité entre les deux catégories d'établissements. C'est un point que nos contradicteurs ont perdu de vue quand ils ont dit que l'adoption du projet de loi serait la ruine des universités libres. Si tel devait être le résultat de l'adoption du projet de loi, notre honorable président qui porte, autant que qui que ce soit, intérêt à l'université de Bruxelles, ne nous appuierait certes pas de son suffrage les raisons qu'il vient de donner ont dû, messieurs, produire une forte impression sur vos esprits.
Je suis, en général, d'accord avec notre honorable président. Il est cependant quelques points sur lesquels il m'est impossible de partager son opinion. Notre honorable président a dit que l'amendement de la section centrale donnait aux universités de l'Etat le droit légal d'être représentées dans le jury d'examen, c'est une erreur. L'amendement portait que les professeurs des universités de l'Etat ne pourraient pas être en majorité dans le jury; il ne leur donnait aucun droit; il limitait, au contraire, les droits qu'on aurait pu leur conférer par voie administrative. La disposition contre laquelle notre honorable président a voté en section centrale était, en réalité, plus favorable aux universités libres qu'aux universités de l'Etat.
Remarquez bien aussi, messieurs, que l'amendement de M. le ministre de l'intérieur ne donne le droit légal d'intervenir dans la composition du jury d'examen ni aux établissements libres, ni aux établissements de l'Etat. Si cet amendement est adopté, le gouvernement sera libre de choisir les jurés partout où il voudra; seulement s'il les choisit dans le corps professoral, il devra en prendre un nombre égal dans l'enseignement public et dans l'enseignement privé; ce n'est pas un droit qu'on inscrit dans la loi pour quelques-uns, c'est une garantie d'impartialité qu'on donne à tous, et cette garantie doit suffire.
J'en suis convaincu, le ministère tiendra les engagements qu'il a pris dans l'exposé des motifs; ces engagements ne font pas partie de la loi, la loi n'en est pas la conséquence, comme l'a cru notre honorable président; mais il est certain qu'on ne s'en écartera pas, sans de fortes raisons, si, par exemple, les professeurs des universités libres refusaient de concourir aux opérations du jury, s'ils cherchaient, supposition peu probable, je me hâte de le reconnaître, à y jeter le désordre, le ministre aurait, sans aucun doute, des mesures à prendre; il serait peut-être, dans ce cas* forcé d'abandonner le système indiqué dans l'exposé des motifs; mais, comme je viens de le dire, il ne le fera pas sans des raisons très fortes, dont il viendrait rendre compte aux chambres.
La plupart des amendements, celui de M. Delehaye, celui de M. de Mérode et celui de M. Van Cleemputte se rencontrent encore en ce point qu'ils font concourir la cour de cassation, l'Académie des sciences et l'Académie de médecine à la nomination du jury d'examen.
Je ne puis mieux faire, messieurs, pour combattre cette partie des amendements, que de vous lire quelques lignes d'un discours prononcé en 1835 par l'honorable M. Dechamps, qui sait, à l'occasion, dire d'excellentes choses.
« Je n'énumérerai pas tous les inconvénients de détails signalés; dans plusieurs écrits : par exemple, l'incompatibilité qui existe entre la vocation, toute de neutralité et d'impassibilité, d'un membre de la cour de cassation, et celle qu'il devrait revêtir pour entrer dans des considérations de préférence personnelle. Par exemple, la non-existence légale de l'Académie belge. - Par exemple, le peu de garanties de haute capacité qu'offrent les commissions médicales dont les membres ne sont censés avoir qu'un mérite relatif à la province ; et puis l’impossibilité où se trouveront les plus capables parmi eux de quitter leurs malades, pour siéger pendant un assez longtemps dans le sein du jury.
« Sans énumérer longuement tous ces inconvénients qui vous sont connus, je vais vous en signaler un qui n'a pas été présenté et que je regarde comme le vice radical de ce système. C'est de confier la nomination des membres du jury à des corps permanents.
« L'esprit de corps anime surtout les corps permanents : or cet esprit de corps est aussi défavorable sous le rapport de la capacité exigée pour être examinateur que relativement à l'impartialité, qui doit être sa qualité distinctive.
« Par rapport à la capacité, à la science, il est de l'essence des corps permanents d'être stationnaires ; ils ne s'avancent pas avec le progrès des connaissances, et après un certain temps ils se trouvent en arrière du point scientifique où le siècle est parvenu. Cet inconvénient qui existe pour tous les corps qui ne se renouvellent que rarement, cet inconvénient entache le projet primitif du gouvernement.
« Sans doute la cour de cassation et l'Académie belge renferment maintenant ce que notre pays possède de plus élevé en sciences et en droit ; mais l'inamovibilité, qui est une précieuse garantie d'indépendance sous un autre rapport, est un inconvénient réel relativement à la science, qui ne consent pas a séjourner avec un corps permanent et dès lors plus ou moins condamné au statu quo.
« L'esprit de corps que je viens de signaler est bien plus encore un inconvénient sous le rapport de l'impartialité,
« Malheureusement l'esprit de parti a de nos jours tout envahi, et là où deux hommes se trouvent en face l'un de l'autre, vous pouvez compter deux drapeaux qui les divisent.
« Si donc, comme on peut le présumer, les corps dont il est ici question prenaient une couleur, adoptaient une préférence, il n'y aurait aucun remède à apporter à leur partialité, et cette omnipotence sur laquelle le pays et le gouvernement n'auraient aucune action, pourrait détruire à la longue soit les universités de l'Etat, soit les universités libres, selon la direction qu'auraient prise la préférence et la partialité du jury.
« Les garanties de capacité et surtout d'impartialité ne se trouvent donc pas dans des corps permanents; il ne faut pas que le pays et l'Etat soient désarmés et sans contrôle vis-à-vis d'un jury central qui tient entre ses mains le sort de la libellé d'enseignement, puisqu'il dispose des grades dans toute l’étendue d'un pouvoir absolu.
« Or, le seul moyen d'obtenir ce contrôle, c'est de confier la nomination, partie à des corps qui se renouvellent par l'élection, partie au gouvernement. »
C'était le système de la nomination par le gouvernement et par les chambres que l'honorable M. Dechamps préférait alors.
Nous avons en outre signalé, dans le rapport, le danger de choix faits au scrutin secret par des corps irresponsables.
Savons-nous d'ailleurs si la cour de cassation accepterait la tâche que l'honorable M. Delehaye veut lui conférer ? Si elle renoncerait sans répugnance à la haute mission d'impartialité et de neutralité qui lui est assignée par la Constitution?
Le système de l'honorable M. Delehaye est inacceptable. Mon honorable ami tient beaucoup à sa proposition ; il l'a présentée en 1844; et il est vrai, comme il l'a rappelé hier, que quelques compliments de courtoisie lui ont été adressés à cette époque par notre honorable président et par d'autres collègues, mais c'est là tout ce qu'il a pu obtenir.
Mon honorable ami croit que si l'on n'a pas accepté sa proposition, en 1844, c'est qu'elle avait certains défauts qu'il a, dit-il, fait disparaître; je trouve au contraire à sa nouvelle proposition plus de défauts qu'à l’ancienne.
En 1844, l'honorable M. Delehaye conférait la nomination des membres du jury à la cour de cassation, à l'Académie des sciences et à l'Académie de médecine. Aujourd'hui que fait-il? Il ne confère plus à ces corps la nomination du jury d'examen. Il leur confère seulement le droit de présenter des candidats ; à qui? au gouvernement? non; au sort; c'est-à-dire à l'agent le moins intelligent et le plus aveugle que l'on puisse choisir. L'honorable M. Delehaye s'imagine-t-il que le sort apportera, dans le choix des candidats, plus de discernement que la cour de cassation?
M. Delehaye. - Il sera plus impartial.
M. Delfosse. - Si vous avez tant de confiance dans le sort, abandonnez-lui tout à fait la collation des grades académiques ; ce sera plus simple.
L'honorable M. Delehaye est surtout préoccupé d'un danger : il craint que le pouvoir ne passe bientôt à d'autres ; et qu'on ne tourne alors contre nous la loi que nous allons faire. Mon honorable ami a exprimé à ce sujet des opinions auxquelles je ne puis adhérer. Sans doute MM. les ministres ont commis des fautes; qui n'en commet pas? quel est celui d'entre nous, y compris l'honorable M. Delehaye, qui oserait dire qu'il eût mieux fait à leur place? Mais nonobstant ces fautes, qu'il ne faut pas dit reste exagérer, je suis convaincu que le pays n'est pas encore disposé à reprendre le joug qu'il a secoué avec tant de bonheur, le 8 juin 1847.
Quoi qu'il en soit, alors même que nous serions à la veille d'un changement de ministère, je n’en voterais pas moins pour la loi qui nous est soumise. N'étais-je pas prêt à la voter, sous M. Nothomb? Cette loi n'est pas une arme de parti. El bien qu'elle ne soit pas parfaite, pas plus que le ministère, c'est encore ce qu'il y a de mieux dans les circonstances actuelles, et je m'en contente.
L’honorable M. Delehaye est-il sûr que, s'il y avait demain un changement de ministère, que si nous nous trouvions en présence d'un ministère partial, les garanties qu'il propose seraient suffisantes? Est-ce qu'un ministère partial qui serait appuyé par les chambres n'aurait pas d'autres moyens de nuire aux universités de l'Etat que la composition des jurys d'examen ? Ne pourrait-il pas, comme cela s'est vu, leur nuire par le choix de professeurs incapables ? Ne pourrait-il pas aussi faire changer la loi ? Ou les craintes de l'honorable M. Delehaye sont chimériques, ou si elles sont fondées, sa proposition ne serait pas de nature à les calmer.
Je ne dirai rien, messieurs, de l'amendement de l'honorable M. de T'Serclaes, qui consiste à faire conférer les grades préparatoires par les universités, et seulement les grades de docteur par le jury. Ce système ne résout aucune des difficultés qui nous arrêtent, et il n'a, l'honorable M. de T'Serclaes le reconnaît lui-même, aucune chance d'être adopté en ce moment.
L'amendement de l'honorable M. Jacques diffère peu de la proposition du gouvernement, en ce qui concerne la nomination des jurys. M. Jacques admet que le gouvernement ait pour trois années le droit de nommer les jurys d'examen, à peu près aux conditions indiquées par M. le ministre de 1 intérieur. Mais l'honorable membre demande qu'il y ait un jury central.
Cette question du jury central est le point sur lequel il paraît y avoir le plus d'hésitation dans la chambre.
Il y a dans la chambre une forte majorité pour conférer au gouvernement la nomination des jurys sous les réserves contenues dans l’amendement de la section centrale et dans celui de M. le ministre de l'intérieur; mais la majorité est moins assurée sur la question de savoir si l'on maintiendra un jury central, ou si l'on donnera la préférence au système des jurys combinés.
Vous savez, messieurs, que la section centrale n'a pris ouvertement parti ni pour l'un ni pour l'autre système : le système du gouvernement présente des avantages qui ont été énumérés hier avec beaucoup de (page 1701) talent, par l'honorable M. Devaux. D'un autre côté, le système du jury central, si vanté par quelques-uns, a produit, selon d'autres, des résultats détestables.
L'honorable M. Henri de Brouckere nous disait hier que le système de jury central n'avait pas soulevé de plaintes. C'est une erreur. Il y a eu des plaintes sérieuses. J'ai même inséré dans le rapport le passage d'un mémoire de la faculté de droit de l'université de Liège, dans lequel on signale avec force, peut-être, avec trop de force, les vices du jury central.
La section centrale pense que la chambre ferait bien d'attendre une nouvelle expérience avant de se prononcer définitivement sur le mode d'organisation du jury d'examen.
Quelques membres, et entre autres l'honorable M. de Haerne, ont cru que la chambre abdiquerait, par là ses pouvoirs, et qu'elle ferait une loi pour dire qu'elle n'en fait pas. Ces honorables membres sont dans l'erreur. La loi réglerait encore plusieurs points relatifs au jury d'examen. Quels sont les grades à conférer? Quels sont ceux qui peuvent se présenter devant le jury, et à quelles conditions? Quelles sont les matières sur lesquelles on interrogera? Quels sont les effets des décisions du jury ? Voilà des points qui seront réglés par la loi.
Tout ce qui concerne les jurys ne serait donc pas abandonné au gouvernement. On ne laisserait que trots points à régler par le gouvernement : Combien y aura-t-il de jurys? De combien de membres chaque jury sera-t-il composé? et où siégeront-ils?
Je ne vois pas qu'il y ait le moindre inconvénient à donner au gouvernement l'autorisation de faire l'essai des jurys combinés. Il y en aurait peut-être à se prononcer aujourd'hui, alors qu'on n'est pas suffisamment éclairé par l'expérience, en faveur de l'un ou de l'autre système. Le système du jury central a été essayé. Il est bon que l'autre système, qui paraît présenter des avantages, le soit aussi.
On peut, du reste, dans tous les systèmes, et quel que soit celui qui sera préféré par la chambre, donner au gouvernement, pour trois années, la nomination du jury d'examen sous condition que s'il choisit des professeurs, il en prendra un nombre égal dans l'enseignement public et dans l'enseignement privé.
Notre honorable président a indiqué la marche qui, selon lui, devrait être suivie pour le vote. Il a pensé qu'on devrait d'abord mettre aux voix la proposition du gouvernement. Je me puis être de cet avis. Si on suivait cette marche, chacun aurait le droit de demander la division; et alors deux questions se présenteraient : la première serait celle de savoir si le gouvernement aura la nomination des jurys d'examen aux conditions indiquées; la seconde, s'il réglementera les jurys d'examen.
Dans le cas où cette seconde question serait résolue négativement, il y aurait alors à se prononcer en faveur du système du jury central ou en faveur du système des jurys combinés. Cette question de préférence entre deux systèmes ne devrait être mise aux voix qu'autant qu'on refusai au gouvernement le droit de réglementer le, jury pour trois années. Mais il me serait impossible de me prononcer sur la question de savoir si le gouvernement réglementera le jury d'examen, et dans le cas où il ne le réglementerait pas, si le système indiqué dans l'exposé des motifs sera inséré dans la loi, avant que la chambre ne se soit prononcée sur cette grande question qui nous divise surtout, qui a fait l'objet principal du débat et dont la solution doit avoir la plus grande influence sur les votes; la question de savoir si on donnera par la loi, aux universités (je ne fais pas ici de distinction entre les universités de l'Etat et les universités libres), le droit d'avoir des représentants dans le jury d'examen.
Cette question devrait être posée la première, parce que, comme je viens de le dire, c'est elle qui nous divise, et parce qu'elle doit exercer la plus grande influence sur les votes. Si la chambre la décidait négativement, la plupart des amendements, ceux de l'honorable M. Delehaye, de l'honorable M. de Mérode, de l'honorable M. de Haerne, de l'honorable M. Van Cleemputte et de l'honorable M. de T'Serclaes, viendraient tomber. Nous aurions fait un grand pas.
M. le président. - La parole est à M. Le Hon.
M. Le Hon. - J'y renonce.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Dechamps. - Je ne veux pas faire violence à l'impatience de la chambre; je ne dirai qu'un mot, en réponse à M. Delfosse. Je ne veux pas plus aujourd'hui qu'en 1835 un jury nommé, en majorité, par des corps indépendants, par la cour de cassation, par l'Académie des lettres et par celle de médecine, et dans lequel figureraient des professeurs des universités de l'Etat, sans que les professeurs des universités libres en fassent partie. C'est là le système de M. Rogier en 1835, que j'ai combattu par les considérations que M. Delfosse vient de rappeler et que je ne rétracte d'aucune manière.
- La clôture de la discussion est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - Nous avons à nous prononcer sur la manière dont on votera.
Deux modes se présentent : ou voter successivement sur chacun des amendements, sauf à décider dans quel ordre, ou voler par questions de principes.
Je crois que, dans cette circonstance, il vaut mieux voter par questions de principes, parce qu'en mettant successivement aux voix les divers amendements, il pourrait arriver ce qui s'est présenté l'année dernière, c'est-à-dire que toutes les propositions fussent rejetées.
Je consulte donc la chambre sur la question de savoir si elle entend voter par questions de principes.
- La chambre décide qu'elle votera par questions de principes.
M. de Luesemans. - Messieurs, dons la séance d'hier, j’avais posé quelques questions et indiqué l'ordre dans lequel il me paraissait que la chambre aurait logiquement voté.
En relisant ces questions, que j'avais rédigées à la hâte, j'ai remarqué que, sans en intervertir l'ordre, il en est une cependant qui peut disparaître, c'est la première; je crois que l'ordre définitif dans lequel il importera de voter peut être le suivant :
« Première question. - Le mode d'organisation du jury d'examen sera-t-il réglé par la loi? »
Je crois, messieurs, que cette première question est la question importante. Elle aura pour conséquence, si elle est décidée affirmativement, d'amener cette antre question :
« Y aura-t-il un jury central? »
Si, au contraire, la première question était résolue négativement, il ne resterait plus aucun amendement en discussion; il ne resterait plus que le projet du gouvernement.
Messieurs, la première des questions que je viens de poser est entièrement conforme à l'opinion émise tout à l'heure, par notre honorable président ; elle équivaut à ceci :
La chambre abandonne-t-elle au gouvernement la faculté de nommer les membres des jurys d'examen comme il l'entend et d'organiser ces jurys comme il le juge convenable, sans autre réserve que la limite de trois ans posée par la section centrale et l'amendement de M. le ministre de l'intérieur? C'est là, messieurs, la base de la question telle qu'elle doit être posée d'après moi.
Je crois, messieurs, qu'on pourrait se borner pour le moment à présenter les questions que je viens d'indiquer; cependant je me permettrai de faire connaître celles qui, d'après moi, devraient suivre:
« Troisième question. Le gouvernement nommera-t-il les membres du jury d'examen sans conditions?»
Il est évident qu'on ne peut arriver à cette question qu'autant que les deux premières aient été résolues affirmativement.
La quatrième question, messieurs, est celle que l'honorable M. Delfosse voudrait poser la première, ce qu'il m'est impossible d'admettre. Elle serait conçue en ces termes :
« Les universités libres seront-elles appelées par la loi à être représentées dans le jury ? »
Je dis, messieurs, que cette question ne peut pas venir la première, parce qu'elle n'est qu'un des modes d'organisation du jury. Si la première question était décidée dans ce sens que le gouvernement aura, comme il le demande, le droit d'organiser le jury et d'en nommer le personnel, il est évident que les trois autres questions deviennent sans objet, tandis que si vous commenciez par la quatrième, il faudrait encore examiner les trois premières. Il y aurait bien quelques amendements qui viendraient à tomber, mais les questions principales resteraient.
M. Le Hon. - L'honorable M. de Luesemans propose, messieurs, de placer en première ligne un principe qui est la contrepartie de l'article du gouvernement. Il propose de décider si l'on réglera par la loi l'organisation du jury d'examen, et le gouvernement vous demande de pouvoir composer chaque jury d'examen de telle sorte que les professeurs de l'enseignement public et ceux de l'enseignement privé s'y trouvent en nombre égal. Il me semble, messieurs, que si l'on veut voter sur un principe général qui fasse disparaître toute délibération secondaire sur les amendements, il faudrait non pas prendre le contrepied de l'article qui vous est proposé, mais prendre cet article lui-même comme principe général. Si vous rejetez cet article, vous admettez par cela même la proposition que vient de faire l'honorable M. de Luesemans; car alors le jury d'examen devrait être organisé par la loi. C'est là, selon moi, le principe qui domine toutes les autres questions.
Je demande que l'on vote d'abord sur l'article du gouvernement tel qu'il est amendé, que ce soit le principe à mettre le premier aux voix.
M. le président. - Je dois faire observer à M. Le Hon que a chambre a décidé qu’on ne mettrait aux voix que des questions de principes.
M. Le Hon. - Je présente l'article du gouvernement comme question de principe.
M. Dechamps. - Messieurs, il me paraît clair, comme M. le président vient de le faire remarquer, que l'honorable comte Le Hon demande à la chambre de se déjuger. La chambre vient de décider qu'elle procéderait par questions de principe, et l'honorable comte Le Hon propose de mettre aux voix l'article textuel du gouvernement, sous le nom de question de principe. Evidemment ce serait remettre en question ce qui vient d'être décidé. Que dit l'article du gouvernement? Il dit que le gouvernement composera les jurys d'examen en y faisant représenter d'une manière égale l'enseignement public et l'enseignement privé.
Cette question est complexe d'abord, et à côté de celle-là, il s'en présente d'autres : l'honorable M. de Luesemans demande si le mode d'organisation du jury sera réglé par la loi.
Toutes les autres questions rentrent dans celle-là : Y aura-t-il un jury central? Y aura-t-il un jury combiné? Combien y aura-t-il de jurys? De combien de membres chaque jury sera-t-il composé? Tous ces points importants ne sont pas du tout tranchés par le système que propose l'honorable comte Le Hon ; ils le sont par la motion de M. de Luesemans.
Messieurs, quand on pose des questions de principe (et cela est (page 1702) décidé), il faut les poser de manière à commencer par la plus générale, par celle qui comprend, autant que possible, les autres, qui résume le mieux la discussion tout entière et qui laisse aux membres de la chambre la plus grande liberté dans leur vote : voilà la jurisprudence de l'assemblée relativement aux questions de principe.
Eh bien, messieurs, voyons quelle est la question de principe qui est la plus générale, qui résume le mieux la discussion, dont les autres ne sont que les corollaires et qui nous laisse la plus grande liberté dans nos votes? Il est évident que c'est la question posée par l'honorable M. de Luesemans.
C'est la question la plus générale : Il n'est pas nécessaire que j'en fasse la démonstration ; si la chambre répond : Non, le mode d'organisation du jury ne sera pas réglé par la loi, eh bien, tous les amendements viennent à l'instant même à tomber, et nous nous trouvons en présence de la seule proposition du gouvernement.
C'est donc la question la plus générale; elle résume fidèlement la discussion. Sur quoi la discussion a-t-elle roulé? Sur cette question-ci : Faut-il laisser au gouvernement la faculté de régler d'une manière administrative la question du jury? Tous les discours aboutissaient là : Le gouvernement aura-t-il cette faculté, ou l'organisation du jury sera-t-elle écrite dans la loi. (Interruption.)
L'honorable ministre des finances a dit avec l'honorable M. Delfosse : II faut commencer par la question suivante : L'intervention des universités dans la composition des jurys sera-t-elle légale ; y aura-t-il des garanties légales en faveur de ces établissements ?
Cette question est évidemment subsidiaire; elle rentre dans la motion plus générale de M. de Luesemans. Cela est tellement vrai que, dans la discussion, elle n'a formé qu'une objection faite au principe que nous défendions. Lorsque nous combattions le principe de l'organisation du jury par mesure administrative, on nous répondait : « Vous allez reconnaître les établissements comme des personnes civiles. » C'est donc une question subsidiaire à la première ; cela est de toute évidence. Et l'on veut maintenant placer la question accessoire avant la question de principe.
Je dis que cette dernière question est la seule qui laisse à tous les membres de cette chambre pleine liberté pour leur vote. En effet, je suppose qu'on mette aux voix la question posée par l'honorable M. Delfosse et que la chambre réponde : Non, il n'y aura pas de représentation légale des établissements dans la formation du jury; non, il n'y aura pas de garanties; nous serons dans l'impossibilité de répondre quand on posera la question du jury central qui sera la seconde sur laquelle nous serons appelés à nous prononcer.
En effet, je puis donner la préférence à un jury central, mais à la condition qu'il y aura des garanties sérieuses dans la loi en faveur de l'enseignement libre.
Si vous commencez par décider que ces garanties ne seront pas écrites, si vous supprimez cette condition, je ne puis plus voter en faveur du principe du jury central; vous me forcez de me prononcer pour le système que peut-être sans ce vote préalable je n'aurais pas préféré.
Il est donc de la dernière évidence que la question posée par l'honorable M. de Luesemans est la plus générale de toutes; qu'elle résume le mieux la discussion tout entière ; que c'est la seule qui laisse à chaque membre de la chambre la liberté de son vote. C'est donc par celle-là qu'il faut commencer.
Du reste, il est de convenante parlementaire, je pense, que lorsqu'on pose des questions de principe, il faut respecter scrupuleusement ce que j'appellerai le droit de la minorité, et ce droit consiste à obtenir pleine liberté dans la manière d'émettre son vote.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, la proposition du gouvernement renferme une question de principe ; celle-ci résout toutes les autres, et elle a le mérite d'être très claire. Hors de là, je crains que nous ne nous lancions dans l'inconnu.
Le gouvernement sera-t-il autorisé à composer les jurys d'examen ? Voilà une première question. Veut-on fournir plus de facilité aux membres qui ne veulent répondre à cette question que sous certaines réserves; eh bien, complétons la question : «... de telle sorte que les professeurs de l'enseignement dirigé ou subsidié par l'Etat et ceux de l'enseignement privé y soient appelés en nombre égal. »
Ce principe décidé, je ne m'oppose pas à ce qu'on pose la question de savoir s'il y aura un jury central ou plusieurs jurys. La loi, sous ce rapport, ne décide rien.
Le principe qui domine les autres, c'est le mode de nomination, l'origine des jurys. C'est sur ce point que de grandes divisions se sont de tout temps établies. Le gouvernement réclame pour lui la composition du jury, mais sous certaines réserves compatibles avec les prescriptions de la Constitution.
Voilà le grand principe que vous avez à décider d'abord. Quant aux autres questions qui ont été soulevées, je ne m'oppose pas, pour ma part, à ce qu'elles soient également posées à la suite de celles-là.
La chambre est maintenant assez éclairée pour se prononcer pour ou contre le système du gouvernement. Une fois le système du gouvernement adopté, les autres amendements tombent; une fois le système du gouvernement rejeté, vous donnez ouverture à tous les autres systèmes qu'on pourra successivement voter, si tant est que le système du gouvernement, qui est très clair pour tout le monde, ne soit pas adopté, mais j'espère qu'il prévaudra.
M. Delfosse. - En règle générale, je suis opposé à ce qu'on vote par questions de principes. En votant ainsi, on s'écarte du règlement, qui porte qu'on doit d'abord voter sur les amendements, ensuite sur le projet en discussion. On commence par les amendements qui s'écartent le plus du projet.
Je n'ai pas demandé qu'on procédât autrement en cette circonstance, mais j'ai dit que si on procédait par question de principes, la première question à poser serait celle de savoir si on donnera par la loi, aux universités, le droit d'être représentées dans ces jurys d'examen. C'est là la grande question sur laquelle nous sommes en dissentiment. L'honorable M. Dechamps vient de dire que c'est une question subsidiaire; j’en appelle, messieurs, à vos souvenirs; n'est-ce pas au contraire la question principale, celle sur laquelle la discussion a surtout porté?
Nos contradicteurs n'ont-ils pas dit qu'ils seraient d'accord avec nous si on avait consenti à inscrire dans la loi le droit des universités d'être représentées dans le jury d'examen. Nos adversaires ne combattaient pas au fond la proposition du gouvernement, ils demandaient seulement que l'on inscrivît dans la loi la garantie que les universités libres seraient représentées dans le jury d'examen.
C'est là le point capital qui nous a divisés et qu'il faut résoudre avant tout; j'en trouve la preuve dans les paroles de M. Dechamps lui-même. L'honorable membre vient de nous dire qu'il ne pourra se prononcer pour le jury central qu'autant qu'on donnera des garanties aux universités libres; il doit donc demander qu'on pose d'abord la question de savoir si ces garanties seront inscrites dans la loi.
Si vous ne posez pas d'abord cette question, il n'y aura nulle liberté dans les votes. Je suppose qu'on désire que le jury soit organisé par la loi : je suppose encore que l'on préfère le système de l'exposé des motifs, comment pourrait-on voter pour l'organisation par la loi, afin d'arriver ensuite au système que l'on préfère, avant de savoir, par un vote préalable de la chambre, s'il sera possible d'inscrire ce système dans la loi? La question que je veux faire poser domine tout ; il est des membres qui ne voudront donner la nomination au gouvernement qu'autant qu'on inscrirait dans la loi des garanties pour les universités libres. Avant de se prononcer sur la nomination par le gouvernement, ces membres doivent savoir si la condition à laquelle ils subordonnent leur vote sera admise par la chambre.
C'est dans l'intérêt de tous que je parle ; je veux une entière liberté dans les votes.
M. Verhaegen. - Je regrette de ne pouvoir être d'accord en ce moment avec l'honorable M. Delfosse. Je désire comme lui que tout le monde puisse voter en pleine liberté, mon discours en fait foi, mais si la question était posée comme vient de le proposer l'honorable M. Delfosse, je ne pourrais dire ni oui ni non, Je devrais m'abstenir. En effet, messieurs, quel a été mon système ? j'ai dit que les garanties que je réclamais et que j'ai toujours réclamées du gouvernement étaient écrites dans l'amendement de M. le ministre de l'intérieur et dans l'exposé des motifs qui précède le projet de loi.
Il n'y a qu'un moyen de mettre les consciences à l'aise : la chambre a décidé qu'on voterait par question de principe. Eh bien ! votons d'abord sous forme de question de principe sur la proposition du gouvernement amendée par M. le ministre de l'intérieur. Cette question serait conçue dans les termes suivants :
« Abandonnera-t-on au gouvernement la composition des jurys sous certaines réserves, et entre autres de manière que les professeurs de l'enseignement dirigé ou subsidié par l'Etat et ceux de l’enseignement privé y soient rappelés en nombre égal. »
Demander si les universités seront ou ne seront mentionnées dans la loi comme ayant des droits de représentation dans le jury, c'est une question de principe abstraite à laquelle il m'est impossible de répondre et ; c'est pourquoi je m'abstiendrai.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mon collègue, M. le ministre de l'intérieur, vient d'indiquer la question de principe qui, selon lui, doit être posée ; je viens défendre son opinion, mais telle qu'il l'a formulée, sans division ni modification, telle qu'elle résulte enfin du projet de loi. Si vous la divisez, tout tombe; vous enlevez à chacun la liberté que vous voulez réserver ; si la question n'est pas posée ainsi, c'est la question indiquée par M. Delfosse qu'il faut mettre aux voix : Inscrira-t-on dans la loi en faveur des universités sans distinction, le droit d'être représentées dans le jury d'examen ? C'est là la question capitale.
Maintenant l'honorable M. Verhaegen adopte le système du gouvernement, qui ne comprend pas ce droit. La loi offrira des garanties à l'enseignement libre; mais le droit des universités ne sera pas inscrit dans la loi. Sous ce point de vue, l'opinion de l'honorable M. Verhaegen est d'accord avec celle que nous avons soutenue dans cette discussion et par conséquent, rien ne paraît s'opposer à ce qu'il puisse voter librement sur la question posée par l'honorable M. Delfosse.
M. le président. - La parole est à M. de Luesemans.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. de Luesemans. - J'ai renoncé deux fois à la parole dans la discussion générale. Je n'avais donc pas le moins du monde l'intention de prolonger la discussion. Maintenant qu'il s'agit de trancher la question en une fois, je demande à dire quelques mots sur une proposition dont je suis l'auteur.
M. de Theux. - La parole avait été donnée à l'honorable (page 1703) M. de Luesemans. On ne demande pas la clôture pour ôter la parole à un membre qui l'a obtenue.
M. Dechamps. - Je suis très surpris de cette insistance et demander la clôture. Je voulais ajouter deux mots pour déclarer que la motion de M. Delfosse se rapproche assez de celle de M. de Luesemans, s'il se borne à demander si des garanties en faveur des universités, en général, seront inscrites dans la lui. Mais la question posée par M. de Luesemans renferme celle-là et a l'avantage d'être plus générale.
M. Delfosse. - Mon amendement parle des universités en général.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
M. Le Hon et M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) déclarent se rallier à la question posée par M. Delfosse.
M. le président. - Il reste deux questions :
1° Question proposée par M. Delfosse.
Inscrira-t-on dans la loi un droit, pour les universités, à être représentées dans le jury d'examen?
2° Question proposée par M. de Luesemans.
Le mode d'organisation du jury sera-t-il réglé par la loi?
M. Dedecker. - Comme l'honorable M. Delfosse, je ne reconnais à aucun établissement nominativement le droit d'être représenté dans le jury. Mais je demande pour les établissements des garanties. Comment voulez-vous que je vote sur la question de principe telle qu'elle est posée par M. Delfosse?
M. le président. - Les questions avaient été proposées avant que la clôture ne fût prononcée. Les observations sur la rédaction auraient dû être faites avant la clôture.
- La chambre, consultée, donne la priorité à la question proposée par M. Delfosse.
La question suivante : « Inscrira-t-on dans la loi un droit, pour les universités, à être représentées dans le jury d'examen ? » est mise aux voix par appel nominal.
Voici le résultat du vote :
Nombre des votants, 101.
4 membres (MM. Verhaegen, Jacques, de Mérode et de Brouwer de Hogendorp) déclarent s'abstenir.
97 prennent part au vote.
32 votent pour l'affirmative.
65 votent pour la négative.
En conséquence, la question est résolue négativement.
Ont voté pour l'affirmative : MM. de Theux, de T'Serclaes, Dumortier, le Bailly de Tilleghem, Mercier, Moncheur, Orts, Osy, Rodenbach, Thibaut, Tremouroux, Van Cleemputte, Vanden Berghe de Binckum, Vanden Brande de Reeth, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Boulez, Cans, Clep, Coomans, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de Denterghem, de Haerne, Delehaye, de Liedekerke, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Mérode et Henri de Brouckere.
Ont voté pour la négative : MM. Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, G. Dumont, Faignart, Frère-Orban, A. Dumon, Jouret, Julliot, Lange, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Liefmans, Loos, Manilius, Mascart, Moreau, Moxhon, Peers, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Reyntjens, Rogier, Rolin, Sinave, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Dequesne, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Veydt, Allard, Ansiau, Anspach, Boedt, Bruneau, Christiaens, Cools, Cumont, Dautrebande, David, H. de Baillet, de Baillet-Latour, de Bocarmé , Debourdeaud'huy, de Breyne, Debroux, Delescluse, Delfosse, d'Elhoungne, Deliége, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, de Renesse, de Royer et Destriveaux.
- Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Jacques. - Mes motifs d'abstention seront très-courts.
Je ne vois pas grand inconvénient à inscrire les noms de nos quatre universités dans la loi; je n'y vois pas non plus grande nécessité. La question me semble indifférente du moment que le gouvernement se propose de faire représenter les quatre universités dans le jury.
M. Verhaegen. - Messieurs, j'ai annoncé d'avance que je m'abstiendrais sur la question telle qu'elle était posée par l'honorable M. Delfosse, et d'avance j'ai fait connaître mes motifs. Je n'ai pas pu voter sur un principe abstrait. J'ai déclaré et je déclare de nouveau que j'adopte le projet du gouvernement, mais avec l'amendement de M. le ministre de l'intérieur et en vue de l'exposé des motifs. C'est un ensemble que je n'entends pas diviser. Dans mon opinion, les garanties sont formellement écrites dans l'amendement de M. le ministre de l'intérieur. J'aurais craint, en répondant de telle ou telle manière sur le principe abstrait, de porter préjudice à mon système.
M. de Brouwer de Hogendorp. - Je me suis abstenu parce que je pense qu'avant tout la chambre eût du se prononcer sur la question de savoir s'il y aurait un jury central ou si l'on adopterait le système des jurys combinés proposé par le gouvernement.
Je crois que si l'on accepte le système des jurys combinés, la garantie pour les universités libres est complète. Si au contraire la chambre décidait qu'il n'y aurait qu'un jury central, unique, dans ce cas je voudrais que des garanties fussent écrites dans la loi en faveur des universités libres, puisque dans ce système la partialité est possible.
M. de Mérode. - Je me suis abstenu parce ce n'était pas là la question qu'on devait poser et que je me trouvais dans l'impossibilité de voter d'une manière bien claire et bien certaine, conformément à mon opinion.
M. le président. - Quelle est la question que la chambre veut maintenant que je mette aux voix ? Veut-elle se prononcer sur la question suivante : « Le gouvernement sera-t-il autorisé à composer les jurys d’examen de telle sorte que les professeurs de l'enseignement public et ceux de 1 enseignement privé y soient appelés en nombre égal ? »
M. Devaux. - Messieurs il ne reste plus en ce moment qu'à voter sur l’article du gouvernement. Par suite du vote que la chambre vient d'émettre tous les amendements tombent; car tous supposaient qu'on donnerait un droit aux universités. Il n'y a donc plus de question de principe à mettre aux voix.
M. Orts. - La chambre entend-elle, en donnant une solution à la question que l'on propose de poser, juger en même temps la question de savoir s'il y aura un jury central ou s'il y aura plusieurs jurys ? Si la question de savoir s'il y aura un jury central doit être ensuite mise aux voix, je veux bien admettre l'ordre qui est proposé. Mais l'honorable M. Devaux verse dans l'erreur, en croyant que la question du jury central est décidée par la résolution que la chambre vient de prendre. L'amendement de l'honorable M. Jacques est exactement la proposition du gouvernement, sauf qu'elle demande un jury central au lieu de jurys combinés.
M. Jacques. - L'honorable M. Orts vient de présenter en grande partie les observations que je voulais vous soumettre ; c'est que la décision prise par la chambre sur la première question qui a été posée, ne décide pas du tout que mon amendement est écarté. Car mon amendement n'a rien de contraire à la décision que la chambre vient de prendre.
Je crois aussi que la question posée par l'honorable M. de Luesemans n'est pas écartée davantage et que l'on pourrait résoudre cette question avant de décider si l'on insérera dans la loi le mode de composition du jury d'examen.
- La discussion est close.
M. le président. - Nous nous trouvons encore en présence de deux propositions. Quelques membres veulent qu'on mette aux voix la question de savoir s'il y aura un jury central ; d'autres membres veulent qu'on mette aux voix la proposition du gouvernement tout entière.
M. Delfosse, rapporteur. - On ne peut pas mettre aux voix la question de savoir s'il y aura un jury central. Je ne pourrais pas répondre à cette question.
La proposition du gouvernement n'exclut pas le jury central. Si l'on met aux voix cette question, je ne pourrai répondre ni oui ni non. Je suis pour le projet du gouvernement qui n'est exclus ni de l'un ni de l'autre système.
M. Devaux. - Quelques membres pourraient être induits en erreur par ce qui vient d'être dit.
On a prétendu que l'amendement de l'honorable M. Jacques ne suppose pas qu'on donne des droits aux universités. Or, cet amendement dit en termes formels qu'on prendra le jury en partie dans les universités de l'Etat, en partie parmi les professeurs de l'enseignement privé.
M. le président. - La discussion a été close. La chambre entend-elle qu'elle soit ouverte de nouveau ?
M. Devaux. - L'honorable M. Delfosse a pris la parole, je l'ai après lui.
M. le président. - La discussion a été close, mais M. Delfosse ayant de nouveau parlé sur la question de priorité, je rouvrirai la discussion.
La parole est à M. Devaux.
M. Devaux. - Messieurs, je dis qu'il n'y a à mettre aux voix que l'article du gouvernement ; que nous ne pouvons mettre aux voix la question de savoir s'il y aura un jury central ou un jury combiné. Il n'y a pas d'amendement qui propose un jury combiné ; il n'y a pas d'amendement qui propose un jury central, détaché de la question que vous venez de décider.
L'amendement de l'honorable M. Jacques porte à la fin du cinquième paragraphe : « Le Roi nomme dans chaque jury deux ou trois membres et leurs suppléants parmi les professeurs des établissements de l'Etat, et pareil nombre de membres et de suppléants parmi les professeurs de l'enseignement libre. »
Or, les universités de l'Etat sont certainement exclues par l'amendement de M. Delfosse. Il n'y a donc plus à voter que sur le système du gouvernement, toutes les autres propositions étant écartées par le vote qui vient d'être émis.
M. Jacques. - Messieurs, la chambre a décidé une seule chose, c'est qu'il ne sera pas fait mention dans la loi du droit qu'auraient les universités de prendre part à la formation du jury d'examen. Mais mon amendement reproduit en d'autres termes une idée tout à fait semblable à celle de l'amendement de M. le ministre de l’intérieur, et certes celui-là n'est pas écarté par la décision de la chambre. Il y a une seule différence entre mon amendement et l'amendement de M. le ministre de l'intérieur, c'est que j'indique qu'il y aura dans chaque jury deux ou trois membres de (page 1704) l'enseignement subventionné par l'Etat et deux ou trois membres pris parmi les professeurs de l'enseignement qui n'est pas subventionné.
M. de Theux. - Messieurs, j'étais partisan du système du jury central, mais j’avoue que depuis qu'on a résolu la question posée par l'honorable M. Delfosse, le jury central, d'après la rédaction du projet du gouvernement, n'est plus compatible avec la déclaration faite par M. le ministre de l'intérieur, de vouloir, en fait, donner une représentation égale aux quatre universités et en même temps une représentation aux études privées. La chose n'est réellement plus praticable. M. le ministre de l'intérieur a refusé d'inscrire dans la loi le droit des universités libres; mais il a dit que le gouvernement reconnaissait toujours l'existence des faits importants. D'autre part il a déclaré que son désir est aussi d'offrir des garanties aux études privées, qui ont droit à ces garanties d'après l'esprit de la Constitution, Dans cette situation, il est impossible d'adopter autre chose que la proposition du gouvernement.
M. le président. - Si personne ne demande plus la parole, je déclarerai la discussion définitivement close.
Je crois qu'on est d'accord pour voter sur l'article du gouvernement.
M. Delfosse, rapporteur. - Avec l'amendement de la section centrale qui limite la durée des pouvoirs du gouvernement à trois ans.
M. le président. - Je pense qu'il n'y a pas de divergence d'opinion à cet égard.
L'article est ainsi conçu :
« Le gouvernement compose chaque jury d'examen de telle sorte que les professeurs de l'enseignement dirigé ou subside par l'Etat et ceux de l’enseignement privé y soient appelés en nombre égal. »
M. Delfosse, rapporteur. - Ce n'est pas l'article complet.
M. le président. - Nous procédons par questions. Si la question est résolue affirmativement, je mettrai l'article entier aux voix.
M. Dumortier. - Je demande à faire une observation sur le texte de l'article.
M. le président. - La discussion est close.
M. Dumortier. - L'article n'est pas exécutable tel qu'il est rédigé.
M. le président. - Je consulterai la chambre.
- La chambre décide que M. Dumortier sera entendu.
M. Dumortier. - Messieurs, l'article porte que le jury sera composé en nombre égal de professeurs appartenant à l'enseignement subsidié par l'Etat et de professeurs appartenant à l'enseignement libre. Cela formerait un nombre pair, mais tout jury doit être impair.
M. Delfosse, rapporteur. - Le président est nommé en dehors du corps enseignant.
- La partie de l'article du gouvernement, dont M. le président vient 4e donner lecture, est mise aux voix par appel nominal :
101 membres sont présents.
93 adoptent.
2 rejettent.
6 s'abstiennent.
En conséquence, la proposition est adoptée.
Ont voté l'adoption : MM. de Theux, de T'Serclaes, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, Dumont (G.), Dumortier, Faignart, Frère-Orban, Dumon (Auguste), Jouret, Julliot, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Liefmans, Loos, Manilius, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Osy, Peers, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Reyntjens, Rodenbach, Rogier, Rolin, Sinave, Thibaut, Thiéfry, T’Kint de Naeyer, Toussaint, Tremouroux, Dequesne, Vanden Berghe de Binckum, Vanden Brande de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Allard, Ansiau , Anspach, Boedt. Boulez, Bruneau, Cans, Christiaens, Clep, Cools, Cumont, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Bocarmé, Debourdeaud'huy, de Breyne, de Brouckere (Henri), de Brouwer de Hogendorp, Debroux, de Chimay, Dedecker, de Denterghem, de Haerne, Delehaye, Delescluse, Delfosse, d'Elhoungne, Deliége, de Luesemans, de Man d’Attenrode, de Meester, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, de Renesse, de Royer, Destriveaux et Verhaegen.
Ont voté le rejet : MM. Vilain XIIII et de Liedekerke.
Se sont abstenus : MM. Jacques, Orts, Van Cleemputte, Coomans, Dechamps et de Mérode.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités, aux termes du règlement, à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Jacques. - Messieurs, je n'ai pas voulu voter pour l'article, parce que j'aurais désiré que la loi réglât elle-même la composition du jury. Je n'ai pas voulu voter contre, parce que le système que le gouvernement a annoncé vouloir appliquer ne s'écarte pas tellement du mien, que je me sois cru obligé de le rejeter.
M. Orts. - Messieurs, je n'ai pas voulu voter contre la disposition, parce qu'entre deux maux je sais choisir le moindre; je n'ai pas voulu voter pour la disposition, parce que le pouvoir qu'elle confère au gouvernement lui permet, à lui ou à ses successeurs, de me donner, dès l'année prochaine, une chose plus mauvaise que celle qu'il m'annonce.
M. Van Cleemputte. - Messieurs, je me suis abstenu par les mêmes motifs que l'honorable M. Orts.
M. Coomans. - Messieurs, je n'ai pas voté pour le système du gouvernement, parce qu'il consacre l'arbitraire; mais comme je reconnais que, l'arbitraire étant donné, ce système est le moins mauvais, je n'ai pas voulu le repousser.
M. Dechamps. - Messieurs, je me suis abstenu par les mêmes motifs que l'honorable M. Orts.
M. de Mérode. - Messieurs, je me suis abstenu, parce qu'en votant pour ou contre d'un côté, on écorne la science, de l'autre, la liberté.
- L'ensemble de l'article 40, avec ce paragraphe final : « Toute personne peut se présenter aux examens et obtenir des grades, sans distinction de lieu où elle a étudié ou de la manière dont elle a fait ses études » est mis aux voix et adopté.
« Art. 41 (projet du gouvernement). L'article 41 est remplacé par ce qui suit: Les grades sont conférés et les certificats d'élèves universitaires ainsi que les diplômes sont délivrés, au nom du Roi, par le président de chaque jury sur l'avis conforme du jury.
Les certificats et les diplômes contiennent la mention que la réception a eu lieu d'une manière satisfaisante, avec distinction, avec grande distinction ou avec la plus grande distinction. »
« Art. 41 (projet de la section centrale). L'article 41 est remplacé par ce qui suit : Les grades sont conférés et les certificats d'élèves universitaires ainsi que les diplômes sont délivrés, au nom du Roi, par le président et sur l'avis conforme du jury.
« Le président du jury est choisi en dehors du corps enseignant. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je me rallie à la rédaction de la section centrale.
M. Dumortier. - Messieurs, l'article que nous venons de voter règle la composition du jury ; l'article que nous allons voter règle la collation des grades. Dans ce dernier article se trouve placée la nomination du jury. Il est évident que c'est par une inadvertance que le dernier paragraphe du projet de la section centrale s'est trouvé placé à cet article. Il faut qu’il soit placé à l'article précédent, qui règle la composition du jury.
Je demanderai donc que le dernier paragraphe, après qu'il aura été voté, soit reporté à l'article précédent, afin de mettre dans le même article tout ce qui est relatif à la composition du jury.
M. Delfosse, rapporteur. - Je ne vois pas le moindre inconvénient à ce que la chambre fasse droit à l'observation de l'honorable M. Dumortier.
- Le dernier paragraphe de l'article 41 est mis aux voix et adopté. La chambre décide que ce paragraphe sera transféré à l'article 40, dont il formera le dernier paragraphe. La partie restante de l'article 41 est ensuite mise aux voix et adoptée.
« Art. 42. L'article 42 est remplacé par ce qui suit : Le président du jury peut, s'il le juge nécessaire, suspendre toute décision favorable ou défavorable jusqu'à ce que l'élève ait subi un nouvel examen devant le même jury : il peut faire procéder à un supplément d'examen par les membres du jury qu'il désignera ; il peut, dans le même cas, renvoyer le récipiendaire à une nouvelle session ou l'autoriser à se présenter devant un autre jury.
- La section centrale propose de supprimer cet article.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le gouvernement se rallie à la proposition de la section centrale. L'article du gouvernement n'avait pas la portée qu'on lui a attribuée; je conçois toutefois qu'il ait pu donner lieu à quelques objections; je consens à la suppression.
- L'article 42, proposé par la section centrale, est mis aux voix et adopté.
« Art. 43. L'article 43 est remplacé par ce qui suit : Le président du jury veille à l'exécution de la loi et à la régularité de l'examen. Il a la police de la séance. Il accorde la parole aux divers examinateurs. »
La section centrale l'adopte.
M. Veydt. - La disposition qui, dans le projet, forme à elle seule l'article 43 nouveau est bien peu importante. Elle est purement réglementaire, et quand même elle ne serait pas insérée dans la loi, les choses se passeraient ainsi.
Je ne m'oppose pas à ce qu'elle soit maintenue; mais je crois qu'il faudrait conserver avec elle une disposition plus essentielle de l'article 43 de la loi de 1835. Elle porte que le jury ne procède à l'examen que lorsque cinq membres au moins sont présents, et qu'en cas de partage la voix du président est décisive.
Cette prépondérance de la voix du président doit être accordée par la loi. Ensuite la nécessité de la présence d'un certain nombre de membres du jury offre une garantie que je voudrais que la loi nouvelle, à l'exemple de l'ancienne, assurât également aux élèves.
M. Delfosse, rapporteur. - Il est impossible d'admettre la proposition de l'honorable M. Veydt. Le paragraphe qu'il vient de citer avait son utilité lorsque le nombre des membres du jury était fixé par la loi; maintenant que le gouvernement est chargé de l'organisation du jury, (page 1705) c'est lui qui déterminera le nombre des membres qui devront être présents pour qu'une résolution puisse être prise.
- L'article 43 est mis aux voix et adopté.
« Art. 44. L'article 44 est remplacé par le suivant : Il y a annuellement deux sessions des jurys. La première commença le lundi avant le jour de Pâques; la seconde le premier lundi du mois d'août. La durée des sessions est déterminée par le nombre des récipiendaires qui se présentent pour les examens.
« Les jurys chargés de l'examen d'élève universitaire n'ont qu'une session par an, à moins que le gouvernement n'en décide autrement.
« Le gouvernement règle les époques auxquelles les jurys se rendent dans les villes où ils doivent siéger. »
- La section centrale retranche le dernier paragraphe. Le gouvernement consent à la suppression.
M. Deliége. - Je ferai remarquer que l'article en discussion avance de 15 jours la session des jurys; ce délai peut encore être utilisé cette année par ceux qui se proposent de se présenter aux examens; je proposerai une disposition transitoire pour que le jury de la prochaine session ne siège, comme auparavant, que le 20 du mois d'août.
M. le président. - Si vous attendiez que nous en soyons aux dispositions transitoires.
M. Deliége. - J'ajournerai ma proposition aux articles transitoires.
- L'article 44 est mis aux voix et adopté.
« Art. 45. L'article 45 est remplacé par ce qui suit : L'examen pour le grade d'élève universitaire comprend :
Des explications d'auteurs grecs et latins ; une traduction de l'allemand ou de l'anglais, au choix du récipiendaire ; la géographie ancienne et moderne; les principaux faits de l'histoire universelle; l'histoire de la Belgique; l'algèbre jusqu'aux équations du second degré inclusivement; la géométrie élémentaire et la trigonométrie rectiligne ; les notions élémentaires de physique.
Le récipiendaire fera de plus une composition latine et une composition française.
Chaque année, six mois avant la session, le gouvernement détermine, par la voie du sort, les époques de l'histoire universelle sur lesquelles portera l'examen.
- La section centrale propose de retrancher au dernier paragraphe les mots : chaque année.
Le gouvernement se rallie à ce changement de rédaction.
M. Van Hoorebeke. - La chambre a dû remarquer l'omission du flamand parmi les matières dont la connaissance est exigée pour l'obtention du grade d'élève universitaire. Je demande qu'il en soit fait mention. A cet effet, je propose l'amendement suivant :
« L'examen pour le grade d'élevé universitaire comprend :
« § 1er. Des explications d'auteurs grecs et latins; pour le récipiendaire sortant d'établissements appartenant aux localités flamandes, une traduction de l'allemand ou de l'anglais, et pour le récipiendaire appartenant aux provinces wallonnes, une traduction du flamand, de l'allemand ou de l'anglais, à son choix ; la géographie, etc. » Le reste comme au projet.
« § 2. Le récipiendaire fera de plus une composition latine et une composition française ; le récipiendaire flamand, sortant d'établissements appartenant aux localités flamandes, et où le flamand est enseigné, fera en outre une composition flamande. »
M. Delfosse, rapporteur. - Le tort de l'amendement est de faire une différence entre les récipiendaires qui viennent des provinces flamandes et ceux qui viennent des provinces wallonnes. Aux termes de l'article 40 que nous venons de voter, chacun pourra se présenter aux examens, quel que soit le lieu où il a étudié et la manière dont il a fait ses études. Peut-on imposer aux récipiendaires des provinces flamandes d'autres conditions qu'à ceux des provinces wallonnes? N'y aurait-il pas là une inégalité contraire à la Constitution et à la loi? C'est ce que je soumets à l'appréciation de la chambre.
M. Dumortier. - Vous discutez maintenant un article qui devra nécessairement avoir une très grande portée sur toute la loi de l'enseignement moyen, puisqu'il s'agit de décider maintenant quelles sont les matières sur lesquelles seront examinés les élèves sortant des écoles secondaires. Pour moi, je crois qu'il y a de grands changements à apporter au système des études dans les écoles secondaires. Je crois qu'on y donne infiniment trop de temps au grec et même à une partie du latin (je veux parler des vers latins) et que dans les provinces wallonnes, on a le tort de ne pas rendre obligatoire l'étude de la langue flamande.
Ce n'est pas ici comme député de Roulers que je viens parler, c'est comme ancien député de Tournay, comme Wallon, regrettant profondément de ne pas connaître le flamand. Je le déclare franchement, il n'y a pas dans l'existence d'un Wallon de plus grand vide que celui résultant de l'ignorance complète de la langue flamande. Pour peu qu'on veuille se livrer à l'étude, à des recherches relatives soit à l'histoire du pays, soit à un point quelconque de nos institutions, on est arrêté par l'ignorance d'une langue teutonique. Nous pouvons lire ce qu'on faisait dans la Grèce, nous ne pouvons pas lire ce que faisaient nos devanciers dans les provinces flamandes.
Parlerai-je de nos relations commerciales de province à province? Il est incontestable que ces relations sont constamment entravées parce que, dans les provinces wallonnes, on n'a pas senti la nécessité d'apprendre le flamand, d'apprendre la langue que parle la moitié de notre pays.
Je parle dans l'intérêt des provinces wallonnes. Il n'y a pas de jour où, un Wallon ne sollicite dans les provinces flamandes un emploi qu'il ne peut remplir parce qu'il n'en connaît pas la langue. Ainsi au point de vue des emplois, des études historiques et des relations commerciales, il serait désirable que chacun de nous parlât les deux langues. Sous ce rapport, des habitants des provinces flamandes ont sur nous un immense avantage, c'est qu'ayant appris dans leur jeunesse une langue, teutonique et une langue romane, ils peuvent avec une grande facilité connaître toutes les langues qui se parlent dans l'Europe occidentale, tandis que ceux qui ont été élevés dans l'ignorance complète d'une langue teutonique na peuvent jamais acquérir la connaissance d'une langue germanique.
C'est un vide que rien ne peut combler. Si un Wallon n'étudie pas le flamand dès l'enfance, jamais il ne parviendra; à le savoir de manière à pouvoir le parler. C'est là tout ce qu'il y a de plus progressif dans l'enseignement moyen, c'est de mettre la jeunesse à même de comprendre plus tard ce qui se parle, ce qui s'écrit dans le reste de l'Europe, surtout tie l'Europe teutonique.
Je crois que l'amendement de l'honorable M. Van Hoorebeke est excellent et qu'il doit être inséré dans la loi.
M. Delfosse. - Les observations de l'honorable membre portent sur les provinces wallonnes: l'amendement n'atteindra pas son but car, il ne concerne que les provinces flamandes.
M. Dumortier. - L'amendement est extrêmement clair. Il laisse le choix, il est vrai entre le flamand, l'allemand et l'anglais ; mais lorsqu'on aura le choix, on comprendra que l'on doit donner la préférence à la langue flamande.
M. Lesoinne. - Ce sera une lettre morte.
M. Dumortier. - Si l'on trouvait l'amendement de l'honorable M. Van Hoorebeke trop compliqué, on pourrait se borner à dire au lieu de : « Une traduction de l'allemand et de l'anglais » « une traduction du flamand, de l'allemand ou de l'anglais. » Ce ne serait que subsidiairement que je ferais cette proposition; je voterai avant tout l'amendement de mon honorable ami M. Van Hoorebeke.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La question que soulève l'amendement de l'honorable M. Van Hoorebeke est fort délicate. Je ne veux pas me prononcer sur ce qu'on entend exiger des récipiendaires quant à l'étude des langues vivantes. Je ne conteste pas l'utilité qu'il y aurait à étendre l'étude de la langue flamande'; mais je crois devoir faire remarquer à la chambre que l'amendement, tel qu'il est rédigé, n'atteindra pas le but qu'on se propose. Que veut-on? Que les Wallons apprennent la langue flamande. On les convie à cette étude. Or, on ne leur impose pas cette obligation par la loi. On dit qu'à leur choix, ils devront étudier le flamand, l'allemand ou l'anglais. Il est bien probable qu'ayant le choix, les jeunes gens préféreront au flamand une langue plus répandue, comme l'anglais et l'allemand.
L'amendement me paraît avoir un inconvénient assez grave, sur lequel j'appelle l'attention de la chambre : c'est qu'il divise les Flamands et les Wallons en deux catégories. On donne aux Flamands la faculté de se faire interroger sur l'allemand ou l'anglais, et aux Wallons la faculté de se faire interroger sur le flamand, l'allemand ou l'anglais. Ainsi, voilà une division entre les Flamands et les Wallons ; voilà des droits différents attribués aux uns et aux autres.
Cette différence me paraît contraire à l'article 6 de la. Constitution qui porte que tous les Belges sont égaux devant la loi. Vous devez faire une loi générale. Je le répète, je ne me prononce pas sur les matières sur lesquelles vous devez réclamer un examen. Mais j'appelle l'attention sérieuse de la chambre sur ce point. Je crois qu'elle ne peut pas adopter l'amendement tel qu'il est formulé, et qu'elle fera bien de le renvoyer à, la section centrale.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, l'honorable auteur de l'amendement a demandé dans la loi une place pour le flamand. Nous ne demandons pas mieux que de faire une place aux Flamands dans la loi. Nous comprenons les susceptibilités des partisans de la culture de la langue flamande. Nous n'avons absolument rien de contraire aux prétentions justes, aux prétentions modérées qui sont mises en avant de la part des partisans de la langue flamande.
Nous avons cherché à faire entrer la langue flamande dans la loi. La section centrale s'est aussi occupée de cette question, et l'on n'y est pas parvenu, parce qu'on a rencontré certains obstacles.
Le premier était un obstacle constitutionnel. La liberté des langues existe. On ne peut pas forcer les Wallons à étudier le flamand, pas plus, qu'on ne peut forcer les Flamands à étudier le wallon. Je demande que l'amendement de l'honorable M. Van Hoorebeke soit renvoyé à la section centrale.
Le flamand fait déjà partie du programme des études de l'enseignement moyen dans tous les collèges des provinces flamandes. Le flamand fait partie des études dans un certain nombre de collèges des provinces wallonnes, surtout dans les collèges limitrophes des provinces flamandes; et en effet je crois que là surtout il est utile de le connaître. Il n'y a donc aucun parti pris contre le flamand. Nous désirons qu'il ait place dans la loi, et si la section centrale, après avoir examiné l'amendement, nous fait une proposition acceptable, nous serons heureux de nous y rallier.
M. Orts. - Je demande la parole pour reprendre le sous-amendement de l'honorable M. Dumortier, qu'il a, je crois, abandonné un peu. (page 1706) légèrement. Car tout partisan que je sois d'une place pour le flamand dans la loi, je ne crois pas pouvoir lui faire la place que demande l'honorable M. Van Hoorebeke et les collègues qui ont signé son amendement. Je crois que la seule place possible pour le flamand est celle qui est demandée par l'honorable M. Dumortier, et qui consiste à dire, au paragraphe 2 : « Une traduction du flamand, de l'allemand ou de l'anglais, sans distinction de races, d'origines ni de lieux où l'on fait ses études. » Car la distinction que propose l'honorable M. Van Hoorebeke peut amener des injustices criantes. Il peut y avoir dans un collège, appartenant à une localité flamande, un élève appartenant par ses parents à la partie wallonne de la Belgique.
Le fils d'un militaire qui se trouve en garnison à Gand, si son père est né à Liège, aura beaucoup de peine à passer pour un Flamand, et il sera forcé à l'épreuve dont on parlait tout à l'heure, parce qu'il aura fait ses études dans une localité où l'on parle le flamand.
Je crois qu'en laissant le choix du flamand, mis en parallèle avec l'anglais et l'allemand, vous aurez suffisamment engagé les Belges, ceux surtout qui veulent embrasser la carrière des emplois publics, à donner la préférence au flamand, du reste beaucoup plus facile à apprendre que l'allemand et l'anglais.
Vous ne pouvez exiger que le flamand soit placé sur la même ligne que le français dans l'éducation en Belgique; comme langue littéraire et comme langue d'affaires, le français a une importance que vous ne lui enlèverez jamais. Si l'on veut une place pour le flamand dans la loi, qu'on la proportionne à l'utilité pratique de cette langue.
Je reprends donc l'amendement de l'honorable M. Dumortier, et je demande qu'il soit aussi renvoyé aux sections.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'appelle l'attention de l'honorable M. Orts sur une des conséquences de son amendement, que sans doute il n'a pas prévue. « Une traduction du flamand, de l'allemand ou de l'anglais au choix du récipiendaire. » Il s'ensuivrait que l'élève flamand pourrait se dispenser d'étudier l'allemand ou l'anglais et ce n'est pas là ce que veut l'honorable M. Orts. Nous devons stimuler l'élève flamand, comme l'élève wallon, à étudier l'allemand et l'anglais.
(page 1707) M. de T'Serclaes. - La question qui nous occupe a une très grande importance, elle touche aux intérêts les plus chers, les plus élevés de la nation ; elle doit être résolue sérieusement et avec maturité. Il est certain, il est reconnu par tout le monde, il est prouvé par l'histoire et par l'expérience de tous les temps, de tous les siècles, que l'élément le plus vivace, le plus persévérant, le plus durable des nationalités, c'est la langue qui leur est propre : les nations peuvent supporter tous les malheurs, toutes les oppressions, toutes les tyrannies; mais elles ne souffrent point d'être dépouillées de leur idiome, expression de leur caractère particulier, trésor des traditions, de la famille et du pays. Combien de révolutions ont eu pour unique cause la prétention insensée et irréalisable des peuples dominateurs d'imposer leur langue aux vaincus?
Quelle nation a poussé plus loin cette prétention oppressive que la nation française, maîtresse d'une des langues modernes les plus parfaites: néanmoins les cantons, les arrondissements flamands soumis à la France depuis 150 ans ont-ils abandonné leur langue? L'Alsace a-t-elle cessé de parler l'allemand, quoique parfaitement française et par les mœurs et par les intérêts? Non certes, ces deux branches détachées d'un tronc commun continuent à cultiver leur idiome. Malgré l'action incessante du gouvernement, celui-ci ne parviendra point à les en dépouiller : l'administration, l'enseignement, le culte, tous les actes de la vie civile et de la vie publique, se font en français, et cependant le peuple n'a point cessé de parler le flamand et l'allemand.
J'applique cet exemple à notre pays, et je dis que l'on ne parviendra point à extirper le flamand, quoi que l'on fasse : la prétention d'obliger les populations germaniques à changer leur langue contre le français ne peut venir à l'esprit d'aucun homme sensé, elle ne sera soutenue ici par personne.
Je n'accepte donc point la manière dont la question vient d'être posée, je ne veux pas que l'on donne au flamand la part la plus petite possible, qu'on lui fasse l'aumône d'un petit articulet dans un règlement, qu'on le traite comme une langue étrangère, inconnue, comme un patois qu'il faille abandonner aux pauvres, aux ignorants, aux misérables. Je n'admets point encore, comme l'honorable ministre de l'intérieur, que l'on fasse une place au flamand. Mais fort de notre Constitution, fort de nos libertés et de nos droits, je demande que la langue flamande occupe une position honorable, large, reconnue par tous, une position équivalente à celle de la langue française, dans nos lois et dans notre enseignement.
Messieurs, je pose en fait que presque les deux tiers de la population de la Belgique appartiennent à l'élément germanique, que près de la moitié des Belges ne parlent et ne comprennent pas d'autre langue que le flamand : nos provinces, à l'exception de Namur et de Luxembourg (dans cette dernière on parle aussi l'allemand), sont ou composées entièrement de localités flamandes, ou comprennent des communes et des cantons où cette langue est en usage. Le discrédit où elle paraît être tombée aux yeux de plusieurs personnes, n'est point partagé par les classes élevées de la société dans les provinces d'Anvers, de Brabant, des Flandres; bien au contraire, on y tient à honneur de cultiver le flamand, et les parents attachent un grand prix à ce que leurs enfants le parlent et l'écrivent avec pureté. Quanta moi, messieurs, j'ai reçu ma première éducation en flamand, je m'en glorifie, et jamais je n'abandonnerai la langue de mes pères, celle qui a conservé les titres les plus glorieux de notre histoire.
Dans toutes nos villes du Brabant et des Flandres, il y a plusieurs sociétés littéraires, où l'on ne s'occupe que de littérature flamande. Cette littérature est aujourd'hui cultivée avec un succès dont Wallons et Flamands nous devrions tous être fiers comme d'une gloire nationale, comme de l'un des plus beaux fleurons de la couronne de notre commune patrie.
Chose singulière! Je suis persuadé que plusieurs des honorables collègues qui m'écoutent, ignorent peut-être qu'à côté de la littérature française, qui brille d'un juste éclat en Belgique, il existe une littérature flamande extrêmement féconde, dont les ouvrages s'impriment et se vendent en nombre trois et quatre fois supérieur aux ouvrages français, dont les productions sont hautement appréciées, non seulement dans le pays, en Hollande et dans les autres Etats où l'on parle le bas allemand mais ont été traduites, commentées, illustrées en Angleterre, en Italie, (page 1708) en Allemagne; louées par les hommes de goût et les savants de ces pays, reconnues plus d'une fois comme des œuvres d'un mérite éminent.
Dans l'intérêt de nos classes pauvres, si déshéritées sous tant d'autres rapports, il est de notre devoir à nous, qui appartenons aux rangs élevés de la société, de cultiver, de propager, de soutenir cette langue qui est pour les pauvres le seul élément de civilisation,
Vous ne la détruirez point, vous feriez une faute énorme de le tenter ; eh bien, vous devez l’établir, vous êtes tenus de donner aux classes inférieures, dans leur langue, la nourriture intellectuelle qui est aussi nécessaire à l'homme que la nourriture matérielle, si vous voulez réellement que tous les éléments d'avenir soient soutenus et fécondés en Belgique.
Ce sujet comporterait des développements considérables dans plusieurs ordres d'idées différents ; je ne puis m'y livrer en ce moment. La chambre voudra bien me pardonner l'excursion que je viens de faire dans le domaine littéraire.
M. le ministre des finances a soulevé quelques objections contre l'amendement que j'ai signé avec l'honorable M. Van Hoorebeke. Il a dit : Adopter l'amendement, c'est classer le pays en deux catégories, avec des droits différents, c'est aller à l'encontre de l'article 6 de la Constitution.
L'article 6 porte que les Belges sont égaux devant la loi ; sans doute, mais cette égalité n'est pas l'identité. L'égalité absolue serait une chimère; le congrès national n'y a jamais songé; bien au contraire, l'article 22 porte que l'emploi des langues usitées en Belgique est facultatif ; la Constitution reconnait elle-même l'existence de plusieurs idiomes; par conséquent, l'inégalité dont parle l'honorable ministre des finances existe de par la loi fondamentale.
La loi sur la publication et la promulgation des lois prescrit que les lois seront publiées en flamand et en allemand dans les localités où l'on parle l'une ou l'autre de ces langues. Personne n'a vu dans cette disposition une atteinte à l'article 6 de la Constitution, la division du pays en diverses catégories avec des droits différents.
L'honorable M. Frère a prétendu que cet amendement était inopportun : c'est précisément l'inopportunité que j'ai soutenue lorsque l'on a voté sur le grade d'élève universitaire : J'ai dit et je maintiens que la création de ce grade appartenait à l'organisation de l'enseignement moyen et non de l'enseignement supérieur. Mais puisque la chambré l'a admise, que ce grade est devenu aujourd'hui pour ainsi dire le couronnement de l'enseignement moyen, qu'en votant l'article 45, nous votons dans la réalité le programme de l'enseignement moyen, nous sommes tenus nous qui défendons la langue flamande, de lui assurer la place qui lui appartient dans l'enseignement des athénées et collèges; si vous excluez cette langue du programme de l'examen d'élève universitaire, vous l'excluez de fait de l'enseignement moyen; et nous ne pouvons consentir à cette exclusion à aucun prix.
Quant à l’utilité de l'étude du flamand, sous le rapport politique, industriel, scientifique, l'honorable M. Dumortier l'a démontrée de la manière la plus évidente.
On pourrait craindre que cette étude ne rencontre de l'opposition dans les localités où l’on parle le français : d'abord l'amendement ne la rend point obligatoire, mais facultative : en second lieu, la langue flamande en fait est cultivée avec beaucoup de succès dans plusieurs établissements des provinces wallonnes. Le corps professoral n'y est pas le moins du monde hostile, et il est tout disposée lui donner une place dans l'enseignement des collèges. Je citerai la publication la plus récente qui me soit tombée entre les mains : celle de M. Coune, professeur au collège de Liège, qui vient de nous être distribuée, veuillez voir, messieurs, ce qu'il dit, à propos de l'objet qui nous occupe, page 9 et suivantes de sa brochure. Je ne puis pas manquer non plus de vous citer les pages remarquables qu'ont écrites sur ce sujet MM. Casterman et Olivier, de l'athénée de Tournay, dans leur ouvrage sur l'enseignement moyen qui a paru l'an dernier, page 55. Voilà certes trois autorités en faveur de notre amendement, qui ne seront pas récusées par nos collègues wallons.
Je ne m'oppose pas, messieurs, à ce que les amendements soient tous renvoyés à la section centrale, mais je prie nos honorables collègues qui en font partie, de maintenir pour les élèves flamands l'obligation de faire preuve de connaissances dans cette langue, et d'établir pour les élèves wallons une place facultative au flamand, entre l'anglais et l'allemand.
(page 1705) M. de Haerne. - J'appuie, messieurs, le renvoi à la section centrale; mais je désire présenter une observation.
Je ne m'étendrai pas sur les avantages que présente la connaissance de la langue flamande qui est parlée par 17 millions d'hommes, sauf quelques différences locales qui ne sont pas plus saillantes que celles que présentent les divers dialectes de l'allemand. Inutile de vous dire que j'ai beaucoup de sympathies pour le flamand qui est ma langue maternelle et que j'ai défendu dans cette enceinte à toutes les occasions.
L'amendement de l'honorable M. Van Hoorebeke établirait, dit-on, une inégalité entre les Belges. Je dois dire un mot en réponse à cette objection.
Moi-même, messieurs, dans la section dont je faisais partie, j'ai présenté un amendement dans le sens de celui de l’honorable M. Van Hoorebeke, mais il n'a pas été adopté par la majorité; cependant je crois que dans le rapport de ma section il a été mentionné comme méritant l'attention de la section centrale , c'est du moins ce qui avait été décidé.
J'ai réfléchi mûrement depuis lors aux inconvénients que pourrait offrir une rédaction semblable à celle que vient de vous soumettre l'honorable M. Van Hoorebeke.
Ces inconvénients ont été signalés par plusieurs honorables membres et entre autres par l'honorable M. Orts. L'honorable M. Orts vient de dire qu'elle pourrait donner lieu à des injustices, par exemple pour des jeunes gens appartenant aux provinces wallonnes et qui auraient étudié dans une province flamande. Je crois que l'amendement pourrait être rédigé de manière à éviter ces inconvénients. Il s'agit d'encourager l'étude du flamand, et d'un autre côté, d'obtenir une parfaite égalité entre tous les jeunes gens du pays qui se trouvent dans le cas de se présenter devant le jury, pour obtenir le grade d'élève universitaire. Voici, messieurs, comment je rédigerais le premier paragraphe :
« Des explications d'auteurs grecs et latins; une traduction du français, du flamand, de l'allemand ou de l'anglais , au choix du récipiendaire, à l'exclusion de sa langue maternelle. »
Il s'agit ici, messieurs, d'examiner l'élève sur les langues vivantes autres que sa langue maternelle, sur une des langues dénommées qu'on suppose étrangères pour lui.
Au paragraphe suivant il s'agit d'obtenir un résultat contraire, c'est-à-dire de constater si l'élève est versé dans la connaissance de sa langue maternelle. Je rédigerais donc ce paragraphe de la manière suivante :
« Le récipiendaire fera de plus une composition latine et une composition dans sa langue maternelle, savoir en français, en flamand ou en allemand. »
Remarquez, messieurs, que la langue allemande appartient aussi à la Belgique.
De cette manière, messieurs, on établirait une parfaite égalité entre tous les récipiendaires, tandis que dans le cas contraire et surtout d'après la rédaction du projet, il y aurait évidemment inégalité. En effet, .si vous exigez de l'élève flamand, comme on le fait dans le deuxième paragraphe de l'article 45, la connaissance du français au même degré où vous .l'exigez de l'élève wallon, vous donnez évidemment à celui-ci un immense avantage. La langue française est la langue maternelle du Wallon, tandis que pour le Flamand c'est une langue étrangère. Les langues nationales doivent être placées sur la même ligne, comme elles le sont dans mon amendement.
M. Van Hoorebeke. - Je me rallie à l'amendement do M. de Haerne.
M. Veydt. - Tous ceux d'entre nous, messieurs, qui prennent la parole en faveur de la langue flamande ne peuvent que s'applaudir de l'accueil que reçoivent les propositions qui ont été faites et des sympathies qu'ils rencontrent dans le gouvernement et dans la section centrale, qui déclare qu'elle aurait été charmée de trouver quelque chose pour entrer dans nos vues.
Des amendements et des sous-amendements seront renvoyés à la section centrale. Celui qu'a présenté l'honorable M. Van Hoorebeke et que j'ai appuyé, y rencontrera des objections que la lecture du rapport fait suffisamment prévoir et que M. le ministre des finances a déjà fait ressortir. Ne peut-on atteindre le but de répandre la connaissance de la langue flamande dans tout le royaume, par un moyen qui n'offre pas les inconvénients qu'on a signalés?
J'ai essayé de le faire, en rédigeant l'amendement dont il vient de vous être donné lecture. Pour obtenir la distinction dans l'examen, il faudrait aussi connaître la langue flamande. Aux termes du projet de loi, la langue française constitue une partie essentielle des matières sur lesquelles le récipiendaire doit être interrogé. Je n'en demande pas tant pour la langue flamande; mais pour stipuler, pour provoquer de plus en plus à son étude je réserve la distinction à ceux qui l'auront apprise.
Certes, on ne contestera pas que cette connaissance ne soit infiniment utile et désirable pour tous les Belges, et il me paraît hors de doute qu'elle deviendra une partie obligée de l'enseignement moyen, lorsqu'il sera organisé par la loi. Déjà on l'enseigne dans plusieurs collèges des provinces méridionales. L'enseignement supérieur comprend la littérature flamande parmi les branches de la faculté de philosophie et lettres; pour suivre ce cours il faut avoir puisé ailleurs les connaissances de la langue. La condition qu'il y aura à remplir ne sera donc pas un obstacle réel à l'obtention de la distinction accordée aux élèves universitaires. Tous ceux qui l'ambitionneront pourront l'acquérir avec un peu d'étude de plus. Ces mots suffisent, messieurs, pour faire apprécier mon amendement. S'il est appuyé, j'en demande aussi le renvoi à la section centrale. Elle trouvera, elle, à. faire un choix parmi les divers moyens qui viennent d'être proposés.
- L'amendement est appuyé.
M. Coomans. - Messieurs, puisque les amendements vont être renvoyés à la section centrale, je me bornerai pour le moment à insister sur deux observations. La première, c'est que les Flamands ont été blessés, à juste titre, de n'avoir pas vu inscrire leur langue maternelle dans la loi de l'enseignement supérieur, alors qu'on y inscrivait des langues étrangères ; et certes si nous avons le droit de forcer les élèves d'étudier l'allemand et l'anglais, nous avons aussi celui de les forcer d'étudier le flamand.
La seconde remarque est celle-ci, c'est que M. le ministre des finances, tout en reconnaissant que l'étude du flamand est une chose très désirable, s'est plaint pour ainsi dire de l'inefficacité de notre amendement.
Cela est vrai jusqu'à un certain point, mais nous n'avons pas voulu proposer quelque chose d'inconstitutionnel; nous n'avons voulu imposer à qui que ce fût l'étude du flamand.
Mais cependant notre amendement n'est pas inefficace. Car il peut se présenter des cas où l'un ou l'autre de nos jeunes compatriotes wallons n'ait pas envie d'étudier l'anglais et l'allemand, et n'ait pas cru non plus devoir étudier le flamand; mais il étudiera cette dernière langue, alors qu'il saura que le temps qu'il y aura consacré ne sera pas du temps perdu; sous ce rapport il est sûr que notre but sera atteint plusieurs fois.
M. Liefmans. - Les amendements ayant être renvoyés à la section centrale, et la section centrale devant faire un rapport, je me bornerai à présenter pour le moment cette observation-ci : c'est que dans la Flandre orientale, il y a des communes, telles que la ville de Renaix, par exemple, où une partie des habitants parle le wallon, et l'autre partie, le flamand; le même fait se présente dans le Hainaut. Nous avons encore dans la Flandre orientale quelques communes wallonnes, telles qu'Orroir, Hussiegnies, etc., tandis que dans les communes environnantes on parle exclusivement le français.
M. Dedecker. - Je remets mes observations à demain.
M. Van Hoorebeke. - Puisque la chambre paraît disposée à renvoyer les amendements à la section centrale, il est inutile de discuter maintenant.
M. de Bocarmé. - Messieurs, l'honorable M. Coomans ayant adressé ses observations à la section centrale, je demande à suivre la même marche. J'engage donc les honorables membres de cette section à considérer, ainsi que moi, l'amendement présenté par l'honorable M. Veydt comme pouvant offrir des dangers; cet amendement établit une véritable pénalité pour les élèves universitaires qui n'étudieraient pas, avec succès, le flamand : je pense que les habitants des parties du royaume où l'on parle le français ont intérêt à savoir le flamand, et je me rallierai volontiers à tout système qui les engagera à l'étude de cette langue ; mais, je le répète, je regarderais comme tyrannique toute loi qui tendrait à obliger les Wallons à savoir le flamand.
Il faut considérer que le flamand est beaucoup plus difficile à prononcer, à apprendre pour un Wallon, que n'est pour un Flamand l'étude de la langue française.
(page 1707) Reportons un instant nos regards, messieurs, sur ce qui s'est passé sous le gouvernement précédent, qui a voulu obliger à savoir la langue hollandaise; il en est résulté do sérieux embarras, de sérieuses répulsions ; cela a pris, en quelque sorte, un caractère politique ; évitons un semblable danger et ne faisons rien qui ne s'harmonise avec la liberté, cette base principale de nos institutions.
M. Delescluse. - Messieurs, il me semble que nous nous occupons ici de matières qui doivent trouver leur place dans la loi de l'enseignement secondaire; nous nous occupons incidemment de la question de savoir si l'on apprendra ou si l'on n'apprendra pas le flamand. Ce n'est pas ici le lieu. Qu'on établisse en principe dans la loi qu’il y aura un grade d'élève universitaire, c'est bien ; quand viendra le tour de l'instruction secondaire, on déterminera quelles sont les matières de l'examen.
Il me semble que ce serait procéder avec ordre. Nous ne savons pas encore ce qu'on réglera pour l'enseignement moyen, et aujourd'hui nous voulons décider que, pour avoir le grade d'élève universitaire, on passera un examen sur telle ou telle branche. Il vaudrait mieux ajourner cela jusqu'à la discussion de la loi de l'enseignement secondaire.
M. Bruneau. - Messieurs, ce que nous voulons tous, c'est l'égalité de tous les Belges, Flamands ou Wallons, devant la loi. Or, si vous vous bornez à inscrire dans la loi l'obligation d'apprendre la langue flamande, évidemment vous lésez les droits de la partie wallonne; car, vous ne voulez pas imposer à la partie flamande l'obligation de parler le français. C'est là une question qui sera résolue lors de la discussion de la loi de l'enseignement moyen.
Si vous voulez faire une place à la langue flamande, il me paraît que cette place vient naturellement à la suite de l'article que nous discutons à présent.
« Le récipiendaire, dit l'article, fera de plus une composition latine et une composition française. » Eh bien dites : une composition française ou flamande, au choix du récipiendaire.
Alors vous feriez une place dans la loi ; mais si dans la première partie de' l'article vous laissez la faculté au récipiendaire de faire à son choix une traduction flamande, anglaise ou allemande, vous avantagez ceux qui savent le flamand; vous devez les mettre sur la même ligue que ceux qui savent le français. Si une place doit être donnée au flamand c'est au troisième paragraphe, en imposant une composition flamande ou française au choix de l'élève. Dans la première partie il y a égalité parfaite; établissez la même égalité dans le troisième paragraphe.
M. Dumortier. - Je crois que l'honorable M. Bruneau confond, car si on adoptait la rédaction qu'il propose, il y aurait une très grande inégalité. Il exigerait au troisième paragraphe, indépendamment de la composition latine, une composition flamande ou française. Ce n'est pas là le but que nous nous proposons ; nous voulons donner aux élèves des provinces wallonnes, qui étudient le flamand, la certitude que cela leur servira pour les examens; voilà un moyen d'encourager l'étude de la langue flamande.
Parlons maintenant de ce qui se pratique. A l'athénée de Tournay il y a 120 élèves apprenant le flamand, tandis que 6 ou 8 seulement apprennent l'allemand.
Nous sommes aux confins de la Flandre; nos relations de commerce, de propriétaires, nous mettent constamment en rapport avec les Flamands; nous avons besoin de savoir le flamand, comme les habitants de Verviers éprouvent le besoin de connaître l'allemand. Vous voulez rendre le flamand facultatif et rendre l'allemand obligatoire, vous allez faire déserter le flamand dans une localité frontière de la Flandre et forcer les élèves à apprendre l'allemand. C'est là une chose très sérieuse, qui irait contre l'intention des pères de famille qui se manifeste par le nombre d'élèves qui apprennent la langue flamande. Je demande donc le renvoi à la section centrale.
Je ferai remarquer une chose en terminant. Dans les dernières années du gouvernement français, on a dû satisfaire à l'examen sur une langue vivante d'un pays voisin ; dans le Midi, c'était l'italien ou l'espagnol; dans les contrées voisines de l'Allemagne, c'était l'allemand, et dans les contrées maritimes, l'anglais. Cependant, tous les Français sont égaux devant la loi comme les Belges. L'argument qu'on a tiré de la Constitution est donc sans valeur. Il ne faut pas faire la loi de telle façon qu'on déserte les cours flamands pour les cours allemands.
- Le renvoi à la section centrale est ordonné.
M. Cans. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission permanente d'industrie sur le projet de loi ayant pour objet de lever les prohibitions et de réduire ou supprimer les droits à l'exportation.
- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à l'ordre du jour.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - J'ai l'honneur de déposer le projet de loi autorisant le département des travaux publics, par dérogation à la loi de comptabilité, à contracter de la main à la main pour la fourniture de fers et objets matériels de locomotion sur les fonds alloués par les articles 56 et 58 du budget de la présente année.
- Ce projet sera imprimé, distribué et renvoyé à l'examen d'une commission nommée par le bureau.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Par suite du rejet de la proposition du gouvernement relativement au conseil des mines, une allocation au budget des travaux publics est nécessaire pour payer le traitement des membres du conseil des mines. Je dépose un projet de loi à cet effet.
- Ce projet sera imprimé et distribué et renvoyé à l'examen d'une commission nommée par le bureau.
M. le président. - Après les articles que nous avons votés, viennent les matières sur lesquelles porteront les examens, ne conviendrait-il pas de reprendre les premiers articles de la loi ?
M. Devaux. - La chambre a décidé qu'on réglerait d'abord les matières qui feront l'objet de l'examen ; on mettra ensuite les cours en rapport avec les exigences des examens.
- La séance est levée à 4 heures et demie.