(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 848) M. Dubus procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
- La séance est ouverte.
M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi, dont la rédaction est approuvée.
M. Dubus fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Plusieurs ingénieurs des mines présentent des observations sur le projet de loi qui supprime le conseil des mines. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le sieur Spinnael, ancien officier d'infanterie, prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à obtenir le remboursement des retenues opérées sur sa solde en 1839. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Royer, membre du conseil provincial de Namur, adresse à la chambre 109 exemplaires de sa brochure, intitulée : Recherches sur l'utilité des expositions agricoles.
- Distribution aux membres.
M. le président. - Le gouvernement propose de proroger l'article premier de la loi du 12 avril 1835 jusqu'au 1er mars 1850. La section centrale propose de proroger cette disposition jusqu'au 1er juin 1849. Le gouvernement se rallie-t-il à la proposition de la section centrale ?
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, comme le gouvernement désire autant que la chambre que la discussion du budget de la guerre ne soit pas trop longtemps interrompue, je crois devoir faire précéder les débats qui vont s'ouvrir sur le projet de loi en discussion, d'une déclaration très nette et très franche qui me paraît de nature à abréger la discussion.
Je ne puis accepter, en aucune manière, l'amendement proposé par la section centrale. Le gouvernement a demandé à la chambre la prorogation, pour un an, de la loi concernant les péages du chemin de fer. La section centrale propose de limiter ce terme au 1er juin, c'est-à-dire qu'elle donne au gouvernement un délai de trois mois pour vous soumettre un tarif définitif concernant le transport, tant des voyageurs que des marchandises.
Je déclare formellement qu'il m'est de toute impossibilité de satisfaire à cette exigence.
J'ai promis, dans une discussion précédente, que, pendant le cours de cette session, la chambre serait saisie d'un projet de loi ayant pour objet de régler le tarif des voyageurs.
Quant au tarif des marchandises, je déclare que c'est chose absolument impossible. En voici les raisons.
La première, c'est que l'expérience du nouveau tarif ne peut être considérée comme achevée. Ce n'est pas dans un délai de 3 ou 6 mois qu'on peut former la conviction sur les conséquences, bonnes ou mauvaises, d'un système de tarification entièrement nouveau.
La deuxième raison, c'est que le tarif du chemin de fer, quoi qu'on en ait dit, a eu jusqu'à présent des résultats très favorables. Le produit du chemin de fer s'améliore constamment et dans une proportion très considérable. J'ajouterai qu'il s'améliore, sans qu'aucune autre voie de transport en ait eu à souffrir jusqu'à ce jour. Il n'y a donc nulle urgence à sortir de la voie dans laquelle nous sommes à peine entrés.
Nous avons eu, en 1848, des mois qui nous ont donné des recettes de près de quatre cent mille francs inférieures à celles des mois correspondants de l'année 1847.
Depuis le mois de septembre, cette diminution a été constamment en s'affaiblissant, et, en janvier dernier, le moindre produit n'a été que de 36,000 fr. environ, c'est-à-dire que la diminution de recette est descendue à la proportion insignifiante de 3 p. c, par rapport au mois de janvier de l'année précédente.
J'ai l'espoir que les produits continueront de se relever et qu'ils atteindront les prévisions que le gouvernement a déposées dans le budget du présent exercice.
Une troisième raison qui ne me permettra pas de soumettre à votre sanction, pendant le cours de la présente session, le tarif du transport des marchandises, est celle-ci.
Nous avons posé dans le tarif du 1er septembre des principes généraux dont l'application nécessite à tout instant des dispositions nouvelles. Chaque jour, pour ainsi dire, le gouvernement est appelé à interpréter son œuvre. Que voulez-vous qu'il fasse, si vous convertissez le tarif en loi, si vous le rendez immuable? Enchaîné par le texte, il ne pourra pas même l'interpréter selon son esprit. Pour ma part, je le répète, je ne puis accepter cette position.
M. de Mérode. - Cela pourra durer ainsi éternellement.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Cela ne durera pas éternellement, M. de Mérode. Je vous ai dit quelle sera la limite de cette expérience : dans une année, je pense, elle sera consommée. En résumé, la troisième raison qui s'oppose à la présentation prochaine d'un projet de loi sur le transport des marchandises, c'est que le gouvernement ne peut se priver du pouvoir de résoudre les nombreuses questions qui se présentent encore journellement sur l'application du nouveau tarif, et que celui-là seul a le droit d'interpréter la loi qui a le droit de faire la loi elle-même.
En quatrième lieu, et cette raison est suffisante à elle seule, c'est que nous avons encore à faire des conventions qu'une prorogation limitée au 1er juin rendrait impossibles. J'en ai fait de nombreuses; je les ai faites, non pas sans réflexion ni sans succès; et j'ai obtenu ce résultat, que je proclame excellent, à savoir que le commerce et l'industrie jouissent maintenant d'un tarif unique pour le transport de leurs marchandises sur toutes les voies ferrées de la Belgique, celle d'Anvers à Gand exceptée; en sorte que, dès aujourd'hui, un commerçant belge, à quelque point du pays qu'il se trouve placé, jouit de l'avantage d'expédier des marchandises, par chemin de fer, à un prix égal, à raison d'une égale distance, sans s'inquiéter si elle passe par deux ou trois lignes diverses.
En ce moment, messieurs, je négocie des conventions semblables avec le chemin de fer rhénan et avec le chemin de fer du Nord. Je veux faire en sorte qu'il n'y ait qu'un tarif unique depuis Cologne jusqu'à Paris, et je n'hésite pas à dire que ce résultat, si je parviens à le réaliser, sera accueilli avec faveur par le commerce et l'industrie.
On a déprécié nos tarifs. On a dit qu'ils devaient produire les conséquences les plus désastreuses pour nos finances.
Si cela était, je vous demande comment des compagnies privées, qui ne peuvent être mues que par leur intérêt, consentent à l'adopter, sans qu'aucune autorité puisse les y contraindre. Je vous demande comment nous pourrions espérer de conclure très prochainement une convention établie sur les mêmes bases, avec le chemin de fer du Nord dont on a fait un si brillant éloge? Serait-ce par hasard que cette compagnie obéirait aux caprices du gouvernement belge, et renoncerait volontairement à des bénéfices brillants pour suivre nos erreurs?
Je déclare que, pour toutes les raisons que je viens de déduire, je ne puis me rallier à l'amendement de la section centrale, et que je persiste à demander la prorogation de la loi pour un terme d'une année.
M. Delfosse. - Je tiens à déclarer que j'ai voté, au sein de la section centrale, pour le projet de loi du gouvernement et contre la proposition qui a été accueillie par la majorité. Le terme pour lequel la majorité de la section centrale veut accorder la prorogation est évidemment trop court. Il est impossible que des projets aussi importants que ceux qui règlent les tarifs du chemin de fer soient présentés, examinés et discutés dans les deux chambres avant le 1er juin prochain. Si la proposition de la section centrale était accueillie, nous devrions voter, avant le 1er juin, une seconde loi de prorogation, et nous n'avons déjà que trop de lois à faire.
M. Mercier, rapporteur. -Messieurs, je suivrai l’ordre des arguments qu'a présentés M. le ministre des travaux publics pour repousser le projet de la section centrale.
L'honorable ministre a d'abord allégué qu'on ne lui laissait qu'un délai de 3 mois pour préparer un projet de loi sur la tarification des péages du chemin de fer. Mais, messieurs, ce n'est pas d'aujourd'hui seulement que des observations sérieuses sont présentées à M. le ministre des travaux publics sur cet objet. La section centrale qui a examiné le budget des voies et moyens a également émis le vœu que le gouvernement présentât enfin un projet de loi sur cette matière. Plusieurs membres, dans cette chambre, ont émis le même vœu dans différentes circonstances; ainsi, M. le ministre ne peut pas prétendre qu'on ne lui donne que trois mois pour se préparer. Déjà l'année dernière, lorsque la loi de prorogation fut présentée, la section centrale avait devancé l'époque proposée par le gouvernement et alors le gouvernement lui-même avait rédigé la loi de prorogation en des termes tels que personne ne pouvait supposer qu'avant l'expiration de l'année, le gouvernement n'aurait pas présenté une loi de tarification. Si on se rappelle les termes de cette loi, on verra que personne ne pouvait avoir le moindre doute à cet égard. C'est pour cela que la section centrale n'a pas insisté pour la date plus rapprochée qu'elle avait d'abord proposée. Personne n'a douté alors que le gouvernement ne présentât un projet de loi avant le 1er mars de cette année, époque à laquelle expire la prorogation.
Messieurs, le gouvernement a fait un tarif. Il a eu des motifs pour établir les péages tels qu'ils sont fixés. Pourquoi ne pas exposer ces motifs d'une manière méthodique à la chambre? Il s'agit simplement, puisque ce tarif est jugé bon par le gouvernement, de le soumettre à la sanction des chambres, qui auront à l'apprécier. Vous avez vu, messieurs, avec quel (page 849) soin la section centrale a évité de se prononcer sur les tarifs eux-mêmes. La section centrale a laissé intacte la question de tarification. M. le ministre, au contraire semble vouloir entraîner la chambre dans une discussion de tarifs, tandis que la discussion est beaucoup plus simple sur le terrain où l'a placée la section centrale, qui demande seulement que l'on soumette à la chambre, soit le tarif actuel, tel que le gouvernement l'a établi, soit un tarif modifié.
L'expérience, dit M. le ministre, n'est pas faite. C'est l'objection qui est reproduite chaque année. Mais il ne faut pas que l'épreuve s'éternise ; le tarif ne doit d'ailleurs pas être immuable, les chambres siègent pendant près de 8 mois de l’année; elles sont là pour apporter, s'il y a lieu des modifications aux tarifs.
Le tarif, dit M. le ministre, a eu des conséquences favorables, et il en trouve la preuve dans l'accroissement des produits pendant les mois de septembre à janvier dernier.
Mais, messieurs, à mesure que nous nous éloignons des événements qui ont éclaté au commencement de l'année dernière, il est évident que les produits doivent augmenter. Voici, messieurs, l'argumentation qui a été faite jusqu'ici par les ministres des travaux publics, je ne parle pas seulement de celui qui siège aujourd'hui sur le banc des ministres, mais aussi de quelques-uns de ses prédécesseurs. Chaque fois que certains faits ont coïncidé avec une réduction des tarifs, ils ont eu soin d'attribuer à ces faits l'augmentation des recettes, ce qui, bien certainement, n'a pas toujours été vrai. Je pourrais même citer de graves erreurs dans lesquelles on est tombé à ce sujet. Les produits du chemin de fer ont augmenté naturellement à mesure que l'exploitation a eu un plus long cours, excepté lorsque de graves événements sont survenus; maintenant que nous nous éloignons de l'époque à laquelle ils ont surgi et que le calme se rétablit peu à peu, il n'est pas étonnant qu'il y ait augmentation de produits. Mais n'y a-t-il pas aussi une diminution notable des produits du canal de Charleroy? Eh bien, si cette diminution existe, vous ne pouvez pas vous prévaloir de l'accroissement des produits du chemin de fer, puisque l'Etat n'obtient cet accroissement que par le sacrifice d'autres revenus.
Messieurs, on a aussi allégué que le tarif est fondé sur des principes généraux et que ces principes ne peuvent pas recevoir une application uniforme, qu'ils sont susceptibles de modifications dans certaines circonstances.
Ce n'est certes pas là une difficulté insurmontable. Qu'une certaine latitude soit donnée au gouvernement, par exemple au moyen d'un maximum et d'un minimum ou par d'autres dispositions ; qu'on détermine certains cas où il lui sera permis de modifier le tarif; je le veux bien; mais que la chambre puisse se prononcer sur ces principes généraux , que le tarif soit enfin l'œuvre de la législature.
Quant à l'objection qu'on puise dans les conventions que l'on pourrait avoir à faire avec les directions des chemins de fer étrangers, elle est aussi de nature à être présentée à toute époque; ou il y aura de nouvelles conventions à conclure, ou l'on aura à modifier les conventions existantes. Dès lors la législature ne rentrerait jamais dans cette partie, je ne dirai pas de ses droits, mais de ses devoirs.
D'ailleurs le gouvernement pourrait avoir la faculté de passer de pareilles conventions qui seraient exécutées provisoirement, jusqu'à l'époque de la session législative, si les chambres n'étaient pas alors réunies.
Messieurs, la question des tarifs du chemin de fer est une des plus importantes dont les chambres puissent s'occuper, non seulement par l'importance qu'elle a en elle-même, mais parce que ces tarifs réagissent encore sur d'autres produits de l'Etat. Vous ne pouvez pas modifier le tarif du chemin de fer, sans que cette modification s'exerce de l'influence sur les péages des canaux; si vous abaissez le taux du chemin de fer, vous attirez sur cette voie les transports qui se font sur les canaux de l'Etat; vous créez la nécessité de réduire également ces péages, c'est ce que probablement vous seriez obligés de faire dans les circonstances actuelles.
Compromettre les ressources de l'Etat, alors que nous devons avoir recours à l'emprunt forcé, au papier-monnaie, c'est une grave imprudence, pour ne pas dire une grande faute. Dans des circonstances telles que celles où nous nous trouvons, on ne peut rien hasarder; les mesures prises par le gouvernement par rapport aux marchandises pondéreuses sont tout au moins inopportunes.
Messieurs, je ne crois pas que nous accomplissions fidèlement notre mandat, en nous abstenant plus longtemps de régler nous-mêmes le tarif du chemin de fer; si nous abandonnons ce soin au gouvernement jusqu'au 1er avril 1850, nous nous mettrons dans la nécessité de voter une réduction de péage sur le canal de Charleroy et peut-être sur d'autres encore. C'est affaiblir les ressources de l'Etat, et, par voie de conséquence, créer l'obligation de voter de nouveaux impôts.
Tels sont les motifs pour lesquels j'engage la chambre à adopter le délai du 1er juin proposé par la section centrale.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, j'ai dit tout à l'heure que l'expérience du tarif du 1er septembre ne peut pas être considérée comme complète. On m'a objecté que c'est une excuse banale qui pourra se reproduire tous les ans. (Interruption.) Je ne suis pas étonné que cette objection rencontre l'approbation de l'honorable M. de Mérode qui vient de m'interrompre. Mais elle n'en est pas meilleure : car si jamais cette excuse (s'il faut me servir de cette expression) a été présentée à bon droit, c'est bien cette année.
L'introduction du nouveau tarif est toute récente, et je défie un membre quelconque de cette chambre, je ne dis pas de prouver, mais de dire dès a présent avec quelque certitude, et en se basant sur une expérience de cinq mois à peine, que ce système produira des conséquences bonnes ou mauvaises.
L'expérience n'est pas complète, ai-je dit. Mais s'il fallait juger de l'avenir par le passé, nous aurions toute raison de nourrir de bonnes espérances. On nous a opposé, que nous aurions tort de nous prévaloir de l'amélioration qui s'est produite sur les recettes, comme si cette amélioration était la conséquence des nouvelles conditions du transport.
Je réponds que si je m'étais cru fondé à considérer l'amélioration déjà obtenue comme la conséquence du système qui est en vigueur depuis le 1er septembre, je n'aurais pas dit que l'expérience est incomplète, mais j'aurais affirmé qu'elle est acquise à ce système. Mais je sais qu'on n'est pas en droit de présenter un fait comme la conséquence d'un autre, par cela seul qu'il s'est produit à la suite du premier.
Toutefois, il n'en est pas moins vrai que j'ai le droit de ne pas m'alarmer jusqu'ici. Il n'en est pas moins vrai que, tout en faisant la part de l'influence que doit exercer le retour du calme et de la confiance sur le mouvement des voyageurs et des marchandises, à mesure que les événements de février s'éloignent de nous, l'amélioration brusque et considérable que nous avons obtenue sur les recettes, depuis le 1er septembre dernier, doit frapper vos esprits.
Je suis bien aise, messieurs, de saisir cette occasion d'en mettre les chiffres exacts sous vos yeux.
Le mois de juillet dernier, comparé au mois de juillet de l'année précédente, a donné une recette en moins de 394,300 fr.; au mois d'août la différence en moins a été de 394.402 fr.; au mois de septembre elle est descendue à 326,145 fr.; au mois d'octobre à 242,803 fr.; au mois de novembre à 204,416 fr.; au mois de décembre elle n'a plus été que de 185,639 fr.; et enfin pendant le mois de janvier de cette année, elle est descendue à 36,183 fr.
Je dis qu'il n'y pas là de quoi s'inquiéter pour l'avenir. Mais, nous dit-on, vous vous êtes enrichi au détriment d'une autre voie de transport; ce que vous avez gagné par le transport du chemin de fer, vous l'avez perdu par les péages du canal de Charleroy. Ma réponse, la voici :
Vous savez tous, messieurs, que le mouvement du canal de Charleroy, depuis le 1er septembre jusqu'au 31 décembre dernier, a été supérieur à celui de l'époque correspondante de l'année 1847. Qu'est-ce que le chemin de fer a gagné depuis cette époque, comparativement à la même époque à l'année dernière? Depuis le 20 jusqu'au 31 décembre 1848, il est arrivé de toutes les stations de la ligne de Charleroy à la station du Midi, 54 waggons de houille en plus que du 20 au 31 décembre 1847. Pendant le mois de janvier, l'accroissement a été de 218 Waggons; du 1er au 20 février courant, il y a eu au contraire une diminution de 57 waggons ; en sorte que l'accroissement, pendant ces deux mois entiers, n'a été que de 215 waggons ou 1,075 tonneaux, soit environ 15 bateaux du port moyen de 70 tonneaux, ou un quart de bateau environ par jour.
Or, le transport moyen par le canal est d'environ 25 bateaux par jour.
Je dis que ce n'est pas une différence aussi minime qui doit influer sur la décision du gouvernement, quant à la question de la réduction des péages. Si le gouvernement opère cette réduction, il le fera, déterminé par d'autres motifs, et je la proposerai avec une parfaite tranquillité sur les effets financiers de la mesure ; car j'ai la conviction que les faibles tarifs produisent les fortes recettes.
J'ai dit qu'il nous reste des conventions à faire et que l'amendement de la section centrale les rendrait impossibles. On m'a opposé que c'est là une objection que nous pourrions reproduire chaque année. C'est une erreur.
Nous avons aujourd'hui avec le chemin de fer rhénan et avec la compagnie rhénane des conventions que je considère comme désastreuses. Le gouvernement n'en veut plus. Les principes qui ont servi de base à ces conventions, je ne les adopterai jamais. Je veux, le gouvernement est en droit de vouloir, que les transports internationaux avec la France et l'Allemagne soient réglés par le principe d'une parfaite réciprocité.
Je ne vois pas pourquoi la Belgique consentirait à ce que ses nationaux soient moins bien traités par les compagnies étrangères avec lesquelles elle stipule, qu'elle ne traite elle-même les compagnies.
M. de Mérode. - Vous voulez qu'elle soit traitée selon votre bon plaisir.
M. Dumortier. - Et le tarif des voyageurs ?
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Soyez tranquille,
M. Dumortier. - Nous ne perdons pas du vue le tarif des voyageurs, et nous parlerons du bon plaisir de M. de Mérode.
M. de Mérode. - Il ne s'agit pas de mon bon plaisir. Il s'agit du vôtre.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Soit. Nous parlerons du bon plaisir auquel vous prétendez que nous voulons soumettre la Belgique.
J'ai dit que le gouvernement veut conclure avec la compagnie rhénane et le chemin de fer du Nord des conventions basées sur le principe d'une juste réciprocité ; et j'ajouterai que j'espère y parvenir dans un avenir très prochain. Déjà une convention basée sur ce principe a été adoptée, sauf ratification, par un délégué de la compagnie du chemin de fer du Nord.
L'administration de cette compagnie vient de m'annoncer qu'une commission se rendra, dans le courant même de cette semaine, à Bruxelles (page 850) pour me soumettre quelques observations qui, je l'espère, ne seront pas de nature à empêcher une convention définitive. Si l'amendement de la section centrale était adopté, qu'aurais-je à dire à cette commission? Que je ne puis traiter que jusqu'au 1er juin. Il est évident que dès lors les négociations ne pourront aboutir. La moindre durée qu'on puisse assurer aune convention de cette nature est de 6 mois; le projet de convention stipule en effet que chacune des parties aura la faculté d'en faire cesser les effets en la dénonçant un mois d'avance.
M. Mercier, rapporteur. - Pourriez-vous indiquer les produits comparatifs du canal de Charleroy pendant les cinq derniers mois de 1847 et 1848?
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - La chambre m'excusera sans doute de ne pouvoir indiquer ces chiffres de mémoire. Mais ce que je puis dire avec certitude, c'est que le mouvement du canal pendant les quatre derniers mois de 1848 a été supérieur à celui des quatre mois correspondants de l'année 1847.
M. Dumortier. - Cela se conçoit aisément. Le canal a chômé en 1847; il était gelé.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je fais abstraction de l'espace de temps pendant lequel le canal a chômé. Le canal a aussi chômé en 1849, et on ne reprochera sans doute pas au chemin de fer d'avoir enlevé au canal ce que le canal ne pouvait transporter.
On a dit qu'on ne saurait consentir à vivre sous le régime de notre bon plaisir, que le gouvernement tâchait de s'assurer un pouvoir arbitraire, pour en abuser aux dépens du trésor. Messieurs, nous ne prétendons nullement soumettre la Belgique au régime du bon plaisir. Mais là où nous avons besoin d'une certaine latitude de pouvoir sous peine d'être impuissant à réaliser aucune mesure utile, nous la réclamons avec toute l'énergie de nos convictions.
Je demande pour moi à la chambre le même degré de confiance qu'elle a eu dans mes honorables prédécesseurs.
Pour finir, pour que la chambre mesure sa confiance sur mes principes et mes convictions, je déclare franchement qu'elle trouvera en moi un partisan déclaré des bas péages, des bas tarifs ; que je considère le chemin de fer comme un puissant instrument de commerce et d'industrie, et que mon intention bien arrêtée est de l'utiliser, autant que possible, dans le double intérêt du développement du travail et du développement des recettes.
M. Dumortier. - Je suis fort surpris de voir le ministre qui vient de parler, poser, en finissant, la loi qui nous occupe, comme une espèce de question de confiance. J'en suis d'autant plus surpris qu'il s'agit d'une ressource pour le trésor public que nous voulons offrir au gouvernement, et que le gouvernement veut refuser. Voilà la véritable question.
Le gouvernement fait donc une question de confiance de ce que nous lui indiquons une ressource dont il ne veut pas profiter dans l'intérêt du trésor public.
Il fera une question de confiance si l'on prétend obtenir un revenu plus grand sur les sucres.
D'un autre côté, demain nous verrons le gouvernement faire une question de confiance de la loi sur le droit de succession en ligne directe.
Telle est la position que prend le ministère : « Ou bien (nous dit-il), vous serez de serviles exécuteurs de mes volontés. Ou bien, je poserai la question de confiance. » (Interruption.)
Messieurs, je ne comprends plus rien au discours de M. le ministre des travaux publics, si ses paroles n'ont pas la valeur que j'y attribue en ce moment.
Nous a-t-il dit, oui ou non, qu'il regardait ce vote comme une question de confiance ? Vous ne pouvez le contester. Il m'est donc bien permis à moi qui ai grande confiance en l'honorable M. Rolin, mais qui ne veux pas de son système, au point de vue du trésor public, de mettre en relief ces contradictions, et la position que le ministère prend vis-à-vis de nous. Car il est bon que nous sachions quelle position le ministère prend aujourd'hui vis-à-vis de la chambre.
Vous le voyez donc, messieurs, la question a une portée beaucoup plus grande que celle qu'on vous indique. Il faut voir si vous voulez ou non que nous soyons dans une position telle que, pour faire balancer les recettes et les dépenses, nous soyons forcés de voter la loi sur le droit de succession en ligne directe que le pays repousse avec la plus grande énergie.
Quant à moi, opposé aux impôts nouveaux, je dis qu'avant d'établir de nouvelles bases de contributions sur le peuple, il faut faire produire les impôts établis sur les bases actuelles. Or, parmi toutes les ressources du trésor public, qui sont en déficit, il n'en est aucune où le déficit soit aussi évident que pour le chemin de fer.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Il n'y a pas de déficit.
M. Dumortier. - J'ai prouvé dans une précédente occasion que le chemin de fer devait produire en 1847 un déficit de 7 à 8 millions et les résultats sont venus réaliser ces prévisions.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je prouverai le contraire, chiffres eu main.
M. Dumortier. - M. le ministre des travaux publics va toujours prouver le contraire de ce que j'affirme, c'est son habitude. Mais jusqu'ici, il s'est bien gardé de fournir la preuve dont il fascine h chambre. Vous prouverez, dites-vous, chiffres en main, le contraire.
Eh bien, chiffres en main, pour me servir de votre expression, je prouve qu'il y a déficit.
Qu'est-ce que le chemin de fer a produit dans les années précédentes? El ici, messieurs, je tiens en main les chiffres qui m'ont été communiqués par l’honorable M. Rolin lui-même.
En 1847, le chemin de fer belge avait rapporté 14,787,753 fr., c'est-à-dire près de 15,000,000 de fr. Je prie la chambre de prêter une grande attention à ces chiffres. Dans le cours de l'année 1848, il n'a rapporté que 12,104,077 fr. 90 c. C'est près de trois millions de déficit.
M. Allard. - Il y a eu un 24 février.
M. Dumortier. - Nous savons bien qu'il y a eu un 24 février, M. Allard. Mais voyons ce qui s'est passé en France. Car, s'il y a eu un 24 février, ce n'est pas en Belgique qu'il a éclaté, c'est en France, et c'est là que le 24 février a amené la plus grande perturbation.
Je prie encore la chambre de bien faire attention aux chiffres de la recette du chemin de fer français; ils sont officiels.
En France, sur le chemin de fer du Nord, la recette en 1847, avant le 24 février, s'était élevée à 15,642,000 fr. Eh bien, comme le 24 février a eu lieu en France, vous allez vous imaginer que, sur le chemin de fer du Nord, il y a eu réduction de produits de 2 millions et demi. Nullement, messieurs; détrompez-vous. En 1848, l'année dernière, dans cette même année où notre chemin de fer n'a rapporté que 12 millions, le chemin de fer du Nord a rapporté 15,480,392 fr.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - M. Dumortier a encore été mal renseigné.
M. Dumortier. - Je ne sais si M. le ministre des travaux publics est mieux renseigné que moi. Mais si les renseignements que possède M. le ministre ne sont pas de meilleur acabit que ceux au moyen desquels il m'a répondu dans la discussion du chemin de fer, où il a eu le talent de nous répondre alors que personne ne pouvait rétorquer ce qu'il avançait, je déclare que ces renseignements sont de très peu de valeur.
Je déclare que j'ai pris les miens dans les journaux français du commencement de janvier, où il était rendu compte officiel des recettes du chemin de fer du Nord. Si M. le ministre le désire, je puis aller chercher ces chiffres à la bibliothèque, je les lui mettrai sous les yeux. (Interruption.)
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Si M. Dumortier le désire, je vais lui faire connaître son erreur en deux mots.
M. Dumortier. - Mes renseignements sont puisés dans les journaux français, auxquels ils ont été communiqués par la compagnie du chemin de fer du Nord.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Ils sont parfaitement exacts. Mais ce que vous ignorez, c'est que la compagnie du Nord a exploité une étendue de chemin de fer beaucoup plus grande en. 1848 qu'en 1847.
M. Dumortier. - Je ne dis pas le contraire. Mais ce n'a été que pendant les derniers mois de l'année que la route de Dunkerque a été ouverte, et vous avez exploité aussi une étendue plus grande de chemin de fer. N'avez-vous pas exploité le chemin de fer de Jurbise ? N'avez-vous pas exploité le chemin de fer de Hasselt? (Interruption.)
Messieurs, il est vraiment pénible pour un homme qui arrive ici avec des convictions consciencieuses, qui a étudié la question beaucoup plus que ne l'a fait M. le ministre lui-même, de voir présenter de pareils arguments pour rétorquer des chiffres comme ceux que j'indique.
On dit que la compagnie du Nord a exploité des lignes de plus. Quelle est la nouvelle ligne qu'elle a exploitée ? C'est celle de Dunkerque à Calais. Eh bien, cette ligne n'a été exploitée que pendant quelques mois. Elle n'a pas été exploitée pendant tout le cours de l'année, comme on a eu l'air de le dire à la chambre. Ainsi encore ici vous trompez la chambre. (Interruption.)
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - J'espère que M. Dumortier retirera cette expression.
M. Dumortier. - M. le président, il est possible que je sois parfois un peu vif, mais on comprend combien il doit m'être pénible de recevoir un démenti sur des faits aussi avérés.
Du reste j'en viens toujours à mes chiffres, et M. le ministre les reconnaît exacts. Qu'a rapporté le chemin de fer du Nord pendant l'année dernière? Il a rapporté 15,480.000 fr., c'est-à-dire, à cent mille francs près, la même somme que l'année précédente ; et cela sans compter des voyages gratuits nombreux, comme ceux de Risquons-Tout et autres.
Le chemin de fer de France a donc rapporté 15 millions et demi sur une étendue qui est environ la moitié de celle du nôtre ; tandis que le railway belge n'a rapporté que 12 millions. Notre chemin de fer a donc rapporté 2 millions et demi de moins que l'année précédente et 3 millions et demi de moins que le chemin de fer français, tandis que l'an dernier les produits étaient presque les mêmes.
Et c'est dans ce système, messieurs, qu'on veut persister. On s'étonne des observations que nous faisons, nous qui ne sommes mus par aucune espèce d'esprit d'opposition ni contre M. Rolin ni contre le cabinet, nous qui n'avons en vue que les intérêts du trésor. Car, je l'atteste, ce sont là les seuls intérêts qui nous guident. Et l'on parle de question de confiance, ou menace de se retirer si nous ne sanctionnons pas par notre vote un aussi grand préjudice au trésor public !
(page 851) Messieurs, il faut l'avouer, les rôles sont vraiment intervertis d'une manière déplorable. Le gouvernement devrait être défenseur-né des intérêts du trésor; c'est à lui à faire valoir ces intérêts, à les protéger contre ceux qui seraient portés à faire des dépenses exagérées, à faire prévaloir contre le trésor des intérêts personnels. Et ici, c'est nous qui, pour empêcher de nouveaux impôts sur le peuple, devons demander qu'on réprime les abus, qu'on fasse produire au chemin de fer les ressources qu'il doit rapporter au trésor ; et c'est le gouvernement qui s'y oppose, qui vient vous dire : Vous voterez un droit sur les successions en ligne directe; vous voterez le serment sur les successions en ligne collatérale, ou bien je ferai encore une question de cabinet.
Il importe, messieurs, que la chambre sache bien ce qu'elle veut faire. Il importe qu'elle sache si elle veut laisser les produits du chemin de fer dans un pareil état. Je vous ai démontré dernièrement (mes chiffres n'ont pas été contestés le moins du monde et M. le ministre ne pourrait les contester) que le chemin de fer a coûté au trésor, dans le cours de l'an dernier, près de 20 millions de francs. Nous avons eu 12 millions de recettes. Il y a donc eu perte de près de 8 millions, sauf les économies que M. le ministre a faites sur son budget et que lui seul peut connaître. N'est-ce pas chose effrayante que de voir la moitié de l'impôt foncier du royaume absorbée pour couvrir le déficit du chemin de fer ?
Messieurs, en présence d'une opération qui amène des pertes aussi considérables, je vous le demande, mettez-vous la main sur la conscience et dites-moi ce que vous penseriez d'un père de famille qui gérerait ses intérêts privés de manière à arriver à un semblable résultat? Ce que vous diriez de lui, c'est qu'il marche à sa ruine.
M. le ministre des travaux publics vient nous vanter l'amélioration des ressources du chemin de fer. Messieurs, veuillez en faire la remarque, si le transport des marchandises pondéreuses, si le transport de la houille a amené dans les derniers mois un résultat plus considérable, mais évidemment c'est parce qu'on n'avait rien transporté pendant l'été, c'est parce que la crise qui est résultée des événements du 24 février, ayant suspendu toutes les relations, les affaires, il a bien fallu, aux approches de l'hiver, créer des magasins pour la consommation de l'hiver. C'est à cette circonstance seule que sont dus les transports si considérables de houille par le chemin de fer dans les derniers mois.
Mais quand vous avez transporté la houille en aussi grande quantité par le chemin de fer, au détriment de qui l'avez-vous fait? Au détriment de vous-mêmes. Vous avez établi la concurrence contre vous-mêmes; vous avez établi l'Etat en concurrence avec l'Etat, le trésor public en concurrence avec le trésor public.
Vous avez un magnifique canal qui produit annuellement 1,600,000 fr. de revenus, et cela au moyen d'une dépense de 100,000 fr. Vous recevez un million et demi de revenu net. Et c'est à cet établissement que vous venez faire la concurrence; que vous venez faire concurrence, comment? Au moyen d’autre établissement d'une exploitation beaucoup plus dispendieuse et qui, s'il vous amène des bénéfices, vous produit aussi des dépenses très considérables qui réduisent ces bénéfices et ne vous en laissent que peu de chose comparativement à ce que vous produisaient les canaux. Vous faites concurrence à un établissement productif d'une de vos plus belles sources de revenus et presque sans dépenses, au moyen d'un autre établissement qui, plus il transporte, plus il se détériore, par l'user de voitures, par l'user des rails, par tout ce qui se consomme et se détruit chaque jour. Voilà, messieurs, ce qu'un père de famille ne ferait jamais, de se faire concurrence à soi-même, de diminuer les ressources d'un établissement éminemment lucratif pour faire produire un établissent ruineux ou qui n'est pas aussi lucratif.
Les affaires de l’Etat doivent être gérées comme les affaires d'un père de famille, et lorsque le gouvernement vient mettre le chemin de fer en concurrence avec le canal de Charleroy, il fait acte de mauvaise gestion financière, il n'agit pas en père de famille, il ruine le trésor public.
On vient vous dire : M. Rothschild ne demande pas mieux que d'adopter nos tarifs. Mais, M. Rothschild n'est pas propriétaire du canal de Saint-Quentin avec lequel le chemin de fer du Nord est en concurrence. Ah! si M. Rothschild était propriétaire du canal de Saint-Quentin, il se garderait bien d'abaisser les tarifs du chemin de fer de manière à nuire au canal de Saint-Quentin; il trouverait que le péage de ce canal est beaucoup plus lucratif que celui du chemin de fer, et il se garderait bien d'augmenter des transports beaucoup plus dispendieux en diminuant les transports les plus économiques ! Que M. Rothschild fasse des réductions de péages, mais il a raison : s'il ne gagne que 10 p. c. sur le transport du chemin de fer, ce sont 2 p. c. qu'il ne gagnerait pas si ce transport se faisait par le canal de Saint-Quentin; mais le gouvernement belge n'est pas dans la même position; car alors même qu'il gagnerait 50 p. c. sur les transports que le chemin de fer enlève au canal de Charleroy, il serait encore en perte, puisque le canal de Charleroy rapporte 100 p. c; car, encore une fois, dès que les frais d'administration sont payés, tout le reste est bénéfice, et les frais d'administration doivent toujours se payer, quelque faibles que soient ces transports. Qu'on ne vienne donc pas comparer le chemin de fer du Nord au chemin de fer belge; en France, M. Rothschild fait concurrence à l'Etat; en Belgique, l'Etat se fait concurrence à lui-même.
Mais, nous dit-on, nous faisons des contrats ; nous allons faire des traités et avec l'Allemagne et avec la France, pour rendre uniformes les tarifs des chemins de fer.
Messieurs, cette prétendue uniformité ne serait avantageuse que s'il s'agissait de transporter nos voyageurs et nos marchandises dans les pays étrangers, au prix auquel nous les transportons chez nous, de manière à amener des bénéfices pour les Belges ; au point de vue du trésor public, elle n'offre aucune espèce d'avantage. Mais voyez quel est le système de M. le ministre des travaux publics : il ne veut pas que les tarifs du chemin de fer soient réglés par la loi, parce que, dit-il, il va faire des traités, et puis quand les traités seront faits, il viendra nous imposer ses tarifs, il viendra nous dire : Si vous ne consentez pas à accepter le projet tel que je vous le présente, les traités tombent et nous en faisons une question de cabinet.
Il viendra ainsi nous mettre le couteau sur la gorge, et je ne veux pas que le ministère se mette sur le pied de venir nous mettre le couteau sur la gorge, chaque fois qu'il s'agit d'une question de finances. Si des traités se font, ils doivent être ratifiés par les chambres avant d'être mis à exécution. C'est ainsi que le veut la Constitution.
Or on ne fait pas seulement des traités avec des puissances étrangères, on peut faire des traités avec des personnes ou des établissements qui se trouvent dans une position parallèle à celle où se trouve l'Etat; eh bien, ces traités ne peuvent avoir d'effet qu'après avoir obtenu l'assentiment des chambres.
Du reste, si la chambre n'envisageait pas la question constitutionnelle au même point de vue que moi, il n'en serait pas moins vrai que lorsque les traités dont il s'agit auront été conclus, sanctionnés, ratifiés, la chambre ne sera plus entièrement libre pour examiner la question de la tarification des chemins de fer.
C'est donc une chose bien monstrueuse, messieurs, que de voir la chambre régler par une loi les bases de la tarification du chemin de fer! Mais les lois ont exigé qu'il en fût ainsi. La loi du 1er mai dit positivement que les tarifs seront réglés par la loi. La loi du 12 avril 1835 a dérogé à cette disposition, et j'ai eu l'honneur d'expliquer à la chambre les motifs de cette dérogation, qui ne devait être autre chose qu'une mesure provisoire et temporaire.
Ce n'était donc, encore une fois, que provisoirement qu'on abandonnait au gouvernement le droit de faire les tarifs du chemin de fer. Eh bien, messieurs, voilà 14 ans que nous sommes dans ce provisoire et l'expérience de ces 14 années ne suffit pas encore au gouvernement.
La demande que fait maintenant la section centrale n'est pas nouvelle; chaque année les sections et la chambre ont demandé qu'une loi fût faite sur les tarifs du chemin de fer, et voilà cinq ou six ans que M. Dechamps, alors ministre des travaux publics, a présenté à la chambre une loi réglant le tarif des voyageurs. Est-ce qu'il y avait là pne question de confiance? Nullement; le gouvernement prenait lui-même l'initiative d'un projet de loi pour mettre les chambres à même de fixer les bases du tarif des voyageurs, il demandait seulement la continuation de l'épreuve pour les marchandises. Les travaux de la chimbre ne lui ont pas permis d'examiner ce projet, de loi, mais le gouvernement s'était exécuté, il était venu lui-même présenter à la chambre les bases du tarif des voyageurs.
Vous le voyez donc, messieurs, il ne s'agit nullement ici ni de confiance ni de défiance; nous ne demandons qu'une chose, c'est l'exécution de la loi qui a autorisé la création des chemins de fer, et nous la demandons pour éviter que le chemin de fer ne présente, comme l'année dernière, un déficit de près de 8 millions de francs, qu'il ne devienne le chancre des finances de l'Etat.
Maintenant, messieurs, je suis loin d'être rassuré par la déclaration de M. le ministre. (Interruption.) M. le ministre me dit : « Vous avez bien raison.» Donc l'Etat sera encore en perte cette année comme il l'a été l'année dernière. En effet, que nous dit M. le ministre? Il nous dit qu'il est partisan des bas tarifs, des bas péages, et vous vous imaginez peut-être qu'en abaissant toujours, vous finirez par avoir de plus grands résultats financiers! Ce qu'une expérience constante établit, c'est qu'en matière de tarification, il y a une limite qu'on doit chercher à atteindre, limite au-dessus de laquelle il y a perte et au-dessous de laquelle il y a également perte. Cette limite, nous n'y sommes pas encore parvenus, nous l'avons cherchée dans les abaissements du tarif des chemins de fer, et cet abaissement nous a amené des pertes effrayantes.
Je parlais dernièrement de notre tarif avec un ingénieur anglais de la plus haute distinction; il me disait que notre tarif des voyageurs était un véritable scandale ; qu'en Angleterre il n'y avait rien de pareil ; que dès lors il n'était pas étonnant que le trésor belge fût en perte, puisque les tarifs étaient si bas.
Maintenant, s'il plaît à la chambre de consentir à ce que le gouvernement marche ainsi d'expérience en expérience, toujours aux dépens du trésor public, oh mon Dieu ! qu'elle le fasse ; mais pour mon compte, je désirerais fort que de pareilles expériences ne pussent se faire qu'aux dépens des ministres eux-mêmes; vous verriez qu'ils ne les feraient pas. Si leur traitement était mis en jeu pour les déficits du chemin de fer, vous n'auriez pas beaucoup de réductions.
Messieurs, prenez tons les tarifs de France; il n'en est aucun qui soit aussi bas que le nôtre. Savez-vous quelle est la moyenne de nos tarifs ? En Belgique, le prix de la diligence est fixé presque partout à 35 centimes par lieue de 5 kilomètres; eh bien, sur le chemin de fer du Nord, sur le chemin de fer d'Orléans, on paye 50 centimes par lieue, et sur celui de Rouen 60 c, au lieu de 35 centimes qu'on paye chez nous; et l'on veut en Belgique aller encore plus bas, et l'on dit qu'on réalisera plus de produits? Permettez-moi de le dire, cela n'aurait que le mérite d'être ridicule, s'il n'en résultait pas de nous forcer à voter des impôts odieux et que le pays entier repousse.
Quel est le système du gouvernement en matière de tarification des chemins de fer? Le voici :
(page 852) Dans chaque pays, il y a, pour chaque chemin de fer, des nécessités locales spéciales. L'un est mieux placé pour le transport des matières pondéreuses; celui-là, pour les produits maritimes; un troisième, pour les voyageurs. Il en résulte que chaque compagnie est obligée de faire une réduction sur telle ou telle partie, pour profiter d'une concurrence ou pour améliorer ses produits. Mais en Belgique, on opère des réductions sur toutes les sources des revenus du chemin de fer. On vous dira : « Dans telle direction de l'Angleterre on transporte la houille à tel prix; » on prend à un second tarif les bases des prix des marchandises, et puis on vous dira aussi que les voyageurs en Allemagne (transportés, comme des bestiaux et debout, dans des waggons) ne payent que tant par lieue.
Mais qu'on prenne l'ensemble d'un tarif étranger et qu'on le compare au nôtre, et vous aurez le pourquoi du vide produit dans le trésor public par notre chemin de fer. En matière de tarification et pour appuyer son système, le gouvernement va prendre dans chaque tarif étranger le taux le plus bas, et de la réunion des bases les plus modiques des divers tarifs étrangers, il fait pour notre chemin de fer un ensemble qui nous ruine, qui nous occasionne un déficit de 8 millions.
Messieurs, le chemin de fer est une entreprise commerciale exécutée par le gouvernement et qui doit, la loi l'a exigé, couvrir ses dépenses. Toutes les fois qu'il ne couvre pas ses dépenses, la prescription de la loi est violée. Il faut donc que le chemin de fer couvre ses dépenses, et quand il les couvrira, vous n'aurez plus les embarras financiers que vous éprouvez maintenant.
Messieurs, vous avez vu, à l'occasion du budget de la guerre, surgir une vive opposition, pour demander des économies; vous avez vu la même chose pour le budget diplomatique, pour la marine et pour tous les autres budgets. Et pourquoi? Etait-ce par hasard pour le simple plaisir de rogner les traitements de tels ou tels employés? Nullement; mais c'était par le profond sentiment de la nécessité d'équilibrer les recettes et les dépenses. Mais le meilleur moyen d'empêcher les réductions, c'est de faire en sorte que le chemin de fer ne soit pas en perte ; et jamais ce résultat ne sera obtenu que quand la chambre elle-même aura réglé le tarif du chemin de fer.
Messieurs, ce tarif met en jeu de très grands intérêts qui ne sont pas représentés dans le ministère, mais qui le sont dans cette chambre. On transporte à bas prix des marchandises pondéreuses d'un bassin au détriment d'un autre bassin; on sacrifie des industries à d'autres. Il faut que ces industries soient entendues, et elles ne peuvent l'être que dans le parlement.
Voyez, d'un autre côté, les vives réclamations des bateliers et des industriels qui avaient formé des établissements le long du canal de Charleroy.
On a présenté dernièrement une pétition dans laquelle on demandait une réduction de 75 p. c. sur les péages de ce canal ; et j'entends dire que M. le ministre des travaux publics a l'intention de faire une réduction de ce genre. Mais en ce moment il ne peut prendre la mesure par simple arrêté, il doit recourir au pouvoir législatif. Je crois savoir que déjà l'on a promis d'amener une réduction du péage sur le canal de Charleroy. Ainsi, l'on réduirait le revenu du canal de Charleroy, comme on a réduit le revenu du chemin de fer, et le gouvernement arriverait à ce honteux résultat, qu'après avoir fait une mauvaise opération sur le chemin de fer, il prétendrait guérir cette mauvaise opération par une seconde opération non moins mauvaise sur le canal de Charleroy.
Tout le monde viendra réclamer des réductions; les canaux du couchant exigeront la même faveur ; le canal que vous avez accordé à la province de Liège demandera aussi un abaissement de péages, et de réduction en réduction, vous amènerez une diminution générale des revenus de l'Etat, diminution qu'il faudra couvrir par des impôts nouveaux; et tout cela parce que M. le ministre des travaux publics a cette fausse idée, que plus les tarifs sont bas, plus les recettes sont productives. Mais qu'on ne s'y trompe pas, il y a à cela des limites, et si en finances deux et deux ne font pas toujours quatre, il est certain que la moitié de deux ne fait jamais dix.
La chambre doit donc comprendre qu'il est temps enfin que le chemin de fer couvre ses dépenses, et elle n'arrivera à ce résultat qu'en posant elle-même les bases de la tarification, ainsi que l'exige la loi du 1er mai 1834.
(page 855) M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, contre mon désir, on a donné de nouveau à cette discussion des proportions très étendues. (Interruption.) On dit que la question en est digne ; je le reconnais volontiers. Mais je ferai remarquer que c'est la troisième fois que cette question se présente devant la chambre dans le cours de cette session ; qu'elle se présentera une quatrième fois lors de la discussion du budget des travaux publics, et qu'alors elle pourra recevoir des développements plus complets qu'aujourd'hui.
On m'a entraîné dans cette discussion bien malgré moi. J'aurais désiré ne pas m'occuper aujourd'hui de la question de savoir si les changements de tarif introduits depuis le 1er septembre de l'année dernière avaient produit des conséquences bonnes ou mauvaises.
L'inconvénient d'une discussion incomplète est celui-ci : qu'alors que le ministre ajourne ses réponses à une partie des objections qu'il rencontre, on triomphe de son silence ; l'on dit à la chambre : Mes chiffres sont restés debout; le ministère ne peut les réfuter; il veut, à l'aide d'une fantasmagorie, mettre le couteau sur la gorge de la chambre, et échapper à un débat sérieux par une question de confiance.
J'ai l'avantage d'annoncer à l'honorable député de Roulers que si je n'ai pas attaqué jusqu'ici les chiffres qu'il a échafaudés contre le chemin de fer pour l'en écraser, la partie n'est que différée, et que, lors de la discussion de mon budget, je lui promets de renverser ses calculs. J'espère que je parviendrai alors à lui démontrer que le parallèle qu'il a cherché à établir entre le chemin de fer du Nord et les chemins de fer belges, au détriment de ces derniers, manque complètement d'exactitude ; que l'assertion qu'il a avancée, que nous sommes annuellement en déficit de 12 à 20 millions.....
M. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez dit qu'il y avait un déficit de 20 millions.
M. Dumortier. - J'ai dit huit millions.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Vous avez dit 20 millions ; mais je suis heureux que vous les réduisiez à huit, et que, par un coup de baguette, vous consentiez à améliorer nos finances de 12 millions. Au surplus, je n'admets pas plus le déficit de huit millions que celui de 20. Je ne fais qu'ajourner ma réponse à vos raisonnements, et je la ferai la plus complète possible; je montrerai qu'au rebours de ce que l'honorable député de Roulers vient de dire, le chemin du Nord a bien plus participé que nous aux conséquences de la révolution de février; je ferai ressortir la position avantageuse que la Belgique a gardée sous ce rapport comme sous les autres comparativement aux autres pays.
Je démontrerai que les recettes des chemins de fer belges n'ont diminué que dans la proportion d'un cinquième environ, pendant que celle du chemin de fer rhénan, par exemple, a diminué dans la proportion de trois huitièmes, et que le chemin de fer du Nord a également perdu, pendant le même temps, plus que nous.
Si l'honorable député de Roulers a , comme il s'en vante, étudié la question qui nous occupe avec plus de soin que moi, je l'en félicite.
Mais j'ai sur lui un avantage dont je n'ai pas le droit de me vanter ; ce n'est point n'être mieux éclairé d'en haut, mais d'être mieux placé pour recueillir cette foule de faits et de renseignements qui viennent se grouper, comme d'eux-mêmes, autour d'un ministre, et lui permettent d'examiner une question sous toutes ses faces.
Chaque fois que l'honorable M. Dumortier a raisonné, il l'a fait sur des données incomplets et partant fausses.
Il n'a vu qu'un chiffre, ignorant qu'il en existât un autre. C'est ainsi qu'il n'a vu que le chiffre des recettes opérées par la compagnie du Nord en 1848, sans tenir compte de la plus grande étendue de son exploitation.
Ai-je voulu mettre le couteau sur la gorge de quelqu'un, en disant que la question qui s'agite est pour moi une question de confiance? Non, messieurs, mais j'ai voulu être conséquent avec mes principes, comme l'honorable M. Dumortier est conséquent avec les siens. Le but auquel il veut arriver, c'est de relever le tarif; or, je suis convaincu que relever le tarif serait une chose déplorable non seulement pour le commerce et l'industrie, mais encore pour le trésor.
Dès lors, je pense que la chambre me refuserait son estime, si je me prêtais à être l'instrument d'une conviction contraire à la mienne. Je ne le ferai pas.
On a reproduit cette assertion, que si le chemin de fer s'est enrichi depuis l'introduction du tarif du 1er septembre, c'est au préjudice d'une autre voie de transport. Que ne répond-on aux faits que j'ai cités? Si pendant les quatre derniers mois de 1848, les transports par le canal de Charleroy ont été plus actifs que pendant les quatre derniers mois de 1847 ; si du 20 décembre au 20 février, les transports de houille par chemin de fer, sur la ligne de Charleroy à la station du Midi, n'ont augmenté que de mille tonneaux environ comparativement à l'année précédente, que l'on renonce à un argument dénué de tout fondement, ou qu'on dise que les faits et les chiffres que j'ai cités ne sont pas exacts.
M. Dumortier. - Alors vous auriez tout transporté !
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Il est inutile, je pense, de détruire pour la dixième fois le même argument.
Votre tarif est trop bas, dit l'honorable membre, et constamment il confond le tarif des voyageurs avec le tarif des marchandises. Le tarif des voyageurs, je n'ai pas eu à y toucher; ce tarif est resté, depuis le 1er septembre, tel qu'il était auparavant; je ne puis évidemment être accusé des crimes de mes prédécesseurs. Si mes prédécesseurs se sont tous trompés, ce que je nie, ce serait un grand malheur pour le pays, mais ce serait aussi un malheur pour moi d'être rendu responsable d'une erreur qui aurait été commise, alors que je n'étais pas né.
Le tarif des voyageurs doit-il être soumis à la sanction de la législature? Je ne fais aucune concession nouvelle, messieurs, en disant qu'il le sera dans la présente session. Ce que je dis aujourd'hui, je l'ai déclaré précédemment, le Moniteur en fait foi. Pourquoi cette différence ? Parce qu'à l'égard du transport des voyageurs, l'expérience peut se dire complète, tandis qu'elle ne l'est assurément pas pour les marchandises, parce qu'on a changé de fond en comble le tarif des marchandises depuis quelques mois à peine, tandis que le tarif des voyageurs existe depuis un certain nombre d'années. Voilà la raison de la différence.
On a dit que pour établir des points de comparaison à l'avantage de notre chemin de fer, nous avons composé des séries de chiffres empruntés pour diverses catégories de marchandises à divers chemins de fer, et que nous avons rassemblé ainsi à plaisir une collection de renseignements propres à induire la chambre en erreur sur la comparaison de l'ensemble de nos tarifs avec l'ensemble des tarifs de tout autre chemin de fer.
On s'est trompé, messieurs. Ce n'est pas ainsi que nous avons procédé et en citant des exemples nombreux des bas prix de transports des marchandises les plus pondéreuses sur divers chemins de fer tant d'Angleterre que de France, nous n'avons nullement eu en vue de prouver que notre tarif, dans son ensemble, était plus bas que celui d'aucune de ces compagnies ; mais bien de combattre cet étrange système suivant lequel le chemin de fer devrait être traité comme un bijou qu'il serait indigne d'employer au transport des pierres brutes, des houilles et de toutes ces matières pondéreuses qui ne font qu'user les rails et les waggons. Sous une forme différente, ce système a été préconisé d'une manière très sérieuse.
Je soutiens au contraire que le chemin de fer doit servir sur une large échelle au transport des matières pondéreuses.
Je pense que c'est à ce point de vue qu'en Angleterre comme en France, on transporte des houilles à des prix beaucoup plus bas que les nôtres. Nous les transportons à raison de 30 centimes par tonneau, plus un franc de frais fixes ; tandis qu'en Angleterre, à la grande stupéfaction du député de Roulers, on la transporte sur certaines lignes à raison de 17 centimes par tonneau sans plus.
Sur le chemin de fer du Nord, les houilles se transportent à raison de 25 centimes par tonne et par lieue; les fontes, les minerais, les rails, les marbres, le plomb, le zinc en saumon à raison de 28 centimes; les plâtres et les pierres à bâtir à 17 centimes.
On me dit : que le chemin de fer du Nord en agit ainsi, parce qu'il se place à un point de vue commercial; que M. de Rothschild ne s'inquiète pas s'il dépouille le canal de Saint-Quentin de ses transports et de ses ressources, pourvu qu'il enrichisse d'autant sa propre compagnie. Mais que devient alors le soutènement de l'honorable membre, que nous devons, nous aussi, nous placer à un point de vue commercial pour notre tarif du chemin de fer? Que devient cette autre assertion qu'au prix de 30 c. par tonneau et par lieue, plus 1 fr. de frais fixes, le transport se fait à perte ?
M. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Le Moniteur fait foi que cette assertion a été produite dans la dernière discussion.
Reste cet argument tant de fois détruit, que nous avons ruiné le canal de Charleroy. A cet égard, indépendamment des faits que j'ai donné à connaître, que la chambre veuille bien réfléchir que le tarif du chemin de fer n'a pas été fait seulement pour la ligue de Charleroy à Bruxelles, mais pour tout le pays. Or, dans quelle autre partie de la Belgique peut-on soutenir qu'une voie navigable ne peut, sous le rapport du péage, soutenir la concurrence avec le prix du transport par chemin de fer?
Fallait-il établir un tarif différentiel, pour des lignes différentes ? Ce système, messieurs, je le considérerais comme contraire à toute raison et à toute justice. Et si l'on voulait me condamner à l'introduire dans nos tarifs, ma conscience s'y refuserait.
(page 852) - Plusieurs membres. - La clôture!
M. Dechamps. - Messieurs, je ne demande pas mieux que de renoncer à la parole ; car je regrette qu'on soit entré dans le fond de la question, tandis que M. le ministre avait déclaré d'abord vouloir ajourner sa réponse à la discussion de son budget.
Je dirai très peu de mots.
Je ne veux pas suivre mon honorable ami M. Dumortier, dans la discussion qu'il a renouvelée sur le tarif du chemin de fer et sur les péages des canaux. L'honorable ministre vient de le rappeler, nous avons discuté ces questions déjà deux fois d'une manière approfondie: nous allons les discuter une troisième fois à propos du budget des travaux publics ; et si, comme j'en ai la confiance, M. le ministre, fidèle à la déclaration qu'il vient de faire : qu'il est partisan des bas péages comme des bas tarifs, nous propose une loi pour réduire les péages sur le canal de Charleroy, afin de les harmoniser avec le tarif du 1er septembre sur le chemin de fer, nous aurons une quatrième occasion de discuter cette importante question à laquelle tant d'intérêts sont attachés.
Mon intention est seulement d'appuyer une observation présentée par M. le ministre des travaux publics. M. le ministre a dit que c'était une question de confiance pour lui. Cette déclaration a été accueillie par un mouvement de surprise sur plusieurs bancs de la chambre.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Non pas que je sache.
M. Dechamps. - Je suis d'accord avec M. le ministre que c'est une question de confiance, non pas politique, mais administrative, à laquelle il a raison d'attacher quelque intérêt.
En effet, quel est l'acte administratif le plus important posé par l'honorable M. Rolin? Evidemment c'est le tarif du 1er septembre. M. le ministre demande que ce tarif subisse une expérience suffisante; qu'on ne le juge pas d'une manière prématurée.
Or, je le demande à tous les membres de la chambre, de bonne foi est-il possible que d'ici au 1er juin cette expérience suffisante puisse se faire ? Evidemment non. Aux raisons données par M. le ministre des travaux publics j'en ajouterai une nouvelle. c'est que le tarif du 1er septembre a été mis à exécution dans les circonstances les plus défavorables. Vous le savez, les transactions industrielles et commerciales se sont considérablement ralenties depuis un an; tous les transports sur les chemins de fer comme sur les routes et sur les canaux ont sensiblement diminué.
Les produits de la douane ont baissé, les débouchés extérieurs se sont fermés, la consommation intérieure s'est restreinte, l'activité dans les affaires s'est affaiblie, et dès lors les transports par le chemin de fer ne seront pas aussi considérables qu'ils auraient dû l'être. Le ministre a dû avoir une grande confiance dans son système pour oser soumettre son tarif à l'expérience, au milieu des circonstances où nous nous trouvons.
Si la chambre décide que cette expérience ne se fera que jusqu'au 1er juin, il est impossible qu'on en puisse tirer des conclusions sérieuses; ce serait condamner d'avance l'acte posé par M. le ministre; car la chambre doit le reconnaître, le 1er juin vous n'aurez pas de faits nouveaux pour servir d'appui à un examen décisif; vous discuterez sur des données vagues, sur des théories, comme nous le faisons aujourd'hui.
M. le ministre, en décrétant le tarif du 1er septembre, a engagé sa responsabilité ; il a bien fait, selon moi; il fait un pas en avant dans le système des tarifs modérés pour les marchandises de première classe, système dans lequel ses prédécesseurs étaient entrés depuis plusieurs années. Je l'en félicite et j'aime à lui dire que, s'il a des adversaires, il a aussi des partisans qui sont l'industrie et le commerce du pays.
Je crois que l'expérience prouvera qu'en servant l'intérêt industriel et commercial, il aura en même temps servi celui du trésor, en augmentant les transports et, par conséquent, les recettes.
J'éviterai d'entrer dans le fond du débat, dans l'examen des chiffres, mais permettez-moi une seule observation : je suis convaincu (je puis invoquer aussi mon expérience) que le déficit dont parle l'honorable M. Dumortier, et qu'il exagère du reste... (Interruption.)
Je me réserve de démontrer à mon honorable ami M. Dumortier, dans la discussion du budget des travaux publics, que ses renseignements ne sont pas tous exacts, qu'il a exagéré la portée de certains faits et de certains chiffres...
M. Dumortier. - Il faudrait le démontrer.
M. Dechamps. - Il nous faudrait pour cela discuter pendant trois jours : c'est un ajournement; ce n'est pas une fin de non-recevoir, croyez-le bien !
L'honorable M. Dumortier se plaint de ce que le bilan du chemin de fer aboutit à un déficit assez considérable. Je n'examine pas le chiffre présumé de ce déficit.
Quel est donc le moyen de combler ce déficit? Il en existe deux : réduire les dépenses et augmenter les recettes. Il faut tendre sans cesse à réduire les dépenses d'exploitation. Nous sommes tous d'accord sur ce point. Mais enfin vous ne pouvez pas espérer de diminuer ces frais d'exploitation au-dessous de 40 p. c. des recettes ; l'expérience des autres chemins de fer le prouve. Ces réductions dans les dépenses ne pourront donc pas combler le déficit dont parle M. Dumortier. Il faut un autre remède encore, il faut élever les recettes, et pour élever les recettes, je ne connais pas de meilleur moyen que d'accroître l'activité des transports.
Or. messieurs, quels sont les transports que l'on peut accroître encore de beaucoup? Ce sont les transports de marchandises. Depuis 1835 les recettes sur le transport des voyageurs sont à peu près toujours restées proportionnellement les mêmes. Nous sommes, depuis un assez grand nombre d'années, arrivés, pour le transport des voyageurs, à un point maximum, à un point d'arrêt. Nous examinerons s'il faut élever le tarif des voyageurs. Car l'honorable M. Dumortier confond toujours deux questions distinctes; quand nous lui parlons tarif des marchandises, c'est-à-dire tarif du 1er septembre, il nous répond toujours tarif des voyageurs.
M. Dumortier. - Je parle de l'ensemble.
M. Dechamps. - Eh bien, M. le ministre des travaux publics vient de nous promettre qu'il soumettra prochainement à la chambre un projet de loi réglant définitivement le tarif des voyageurs sur le chemin de fer. Nous examinerons donc bientôt cette question qui est complètement distincte de l'autre. On peut être partisan d'un tarif très modéré pour les marchandises et d'un tarif moins modéré pour les voyageurs des deux premières classes.
(page 853) Veuillez remarquer, messieurs, que le transport des voyageurs n'entre que pour moitié dans la recette totale du chemin de fer. L'autre moitié est produite par le transport des marchandises. Et de quelles marchandises? Des grosses marchandises, des marchandises pondéreuses qu'on semble aujourd'hui vouloir exclure. Or, ce transport des marchandises pondéreuses a suivi, depuis 1843, une marche continuellement ascendante; sans ces transports, la situation de vos chemins de fer serait dans l'état le plus déplorable. Les faits prouvent que là est l'avenir de vos chemins de fer.
Je ne comprends pas le raisonnement de ceux qui se plaignent des revenus insuffisants de nos chemins de fer et qui veulent les déposséder des transports pondéreux au profit des canaux, sous prétexte que l'Etat ne doit pas se faire concurrence à lui-même. Ce serait faire le contraire de ce que ferait une compagnie, et dès lors n'exigez pas que notre railway produise les intérêts des capitaux engagés. Le tarif du 1er septembre qui n'est du reste, en général, que la régularisation des anciens tarifs, sera favorable, selon moi, à l'industrie et au commerce, sans compromettre le trésor.
M. de Mérode. - Messieurs, dans le système qu'on prolonge depuis tant d'années, tout est livré à l'arbitraire d'un seul homme sur la voie de communication la plus importante du pays, de manière que l'existence d'une foule d'industriels est livrée à la discrétion de ce même homme.
Deux cent trente millions ont été absorbés par le chemin de fer, et, de plus, toute l'administration dépend d'une seule conception privée.
Il n'est pas permis au conseil des ministres tout entier de mettre un centime additionnel sur les contributions, et on ne craint pas de livrer, je le répète, à un seul ministre la fortune d'une foule de particuliers.
Et remarquez que la perte énorme qui résulte de cette administration exerce la plus déplorable influence sur la position de tous les fonctionnaires: car toutes les réductions qu'on leur impose, pour ne gagner que quelques centaines de mille francs, résultent des millions de déficit qui pèsent sur nos finances par suite de cette dangereuse manière de disposer de la fortune publique.
Et le gouvernement, auquel on doit avoir tant de confiance, promettait en 1834 et plus tard, non seulement que le chemin de fer ne chargerait pas le trésor ; mais qu'il viendrait à son aide par un excédant considérable de recettes sur les dépenses. On nous promettait des diminutions d'impôts, et au lieu de diminutions ce sont des taxes nouvelles qu'on nous annonce.
Et remarquez encore que quand il s'agit de cette question si grave, à peine accorde-t-on au débat quelques instants, à peine lui livre-t-on une séance, et s'il s'agit de rogner misérablement de mille francs le traitement des quelques membres d'une cour des comptes, on viole les convenances légales vis-à-vis des autres pouvoirs, on enjambe la loi même, et le temps ne coûte rien pour atteindre ces fameuses économies. L'honorable M. Delfosse, si coulant pour les millions de perte que cause au trésor l'administration des chemins de fer, n'y trouve d'autre remède que de frapper les employés de retenues complètement insignifiantes vis-à-vis des profusions que nous devons combattre en conscience.
Messieurs, je suis envoyé ici par un district spécialement agricole qui ne retire aucune part du gâteau qu'on jette en pâture à un certain nombre de privilégiés, qui ont bien soin de rendre le vote électoral des habitants des campagnes plus difficile par les distances considérables qu'on les force à parcourir pour exercer leur droit.
Mais je puis dire, en outre, que j'habite à Bruxelles une paroisse qui compte plus de douze mille pauvres, et certes, parmi cette foule de malheureux que le gouvernement ne se charge ni de nourrir ni d'habiller à perte, presque aucun ne se permet les promenades en chemin de fer. Eh bien, messieurs, ma philanthropie s'indignera toujours de voir gaspiller les ressources de l'Etat en locomotion ruineuse pour lui, quand il ne peut procurer aux indigents, si nombreux dans les Flandres et partout, le plus strict nécessaire.
L'honorable M. Dechamps a parlé en ancien ministre des travaux publics, c'est-à-dire en homme accoutumé à puiser dans les caisses publiques à pleines mains.
Cependant, messieurs, quand il s'est agi du budget des affaires étrangères, l'honorable M. Dechamps a soutenu que nous devions avoir nos représentants à l'étranger suffisamment rétribués. Je voudrais savoir avec quoi l'honorable M. Dechamps entend payer ces divers employés qui représentent le pays à l'étranger.
Aujourd'hui nous discutons le budget de la guerre. M. le ministre de la guerre nous donne les meilleures raisons du monde pour maintenir l'armée sur un pied respectable. Mais je voudrais savoir avec quoi le gouvernement entend suffire aux dépenses que réclame le maintien de l'armée.
En vérité, messieurs, c'est l'idée la plus simple du monde que celle de balancer des recettes avec des dépenses, et cependant le gouvernement paraît considérer ces deux choses comme complètement étrangères l'une à l’autre. Je ne puis concevoir un pareil système; je le combattrai toujours de toutes mes forces.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs le gouvernement est aussi soigneux que l'honorable préopinant, que deux des honorables préopinants, des intérêts du trésor.
Voici, messieurs, en quel point nous différons avec l'honorable M. de Mérode, qui n'a jamais voulu de chemins de fer...
M. de Mérode. - Je n'ai pas dit cela.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et avec l'honorable M. Dumortier qui n'en a guère voulu davantage.
M. Dumortier. - Cela est inexact. Je demande la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voici en quoi nous différons.
Nous croyons qu'au moyen de tarifs modérés on peut procurer au trésor des ressources abondantes. Ces messieurs pensent au contraire que, pour obtenir des tarifs abondants, il faut des tarifs élevés. Mais quant à démontrer comment, au moyen de tarifs élevés, on arriverait à des recettes plus considérables, cette démonstration leur reste toujours à faire.
J'aurais désiré, pour ma part, que les honorables membres eussent eu occasion de passer, ne fût-ce que six mois, par le département des travaux publics; ils auraient pu mettre à exécution leur système, faire une expérimentation, et je suis persuadé qu'ils se seraient empressés au plus tôt de revenir aux tarifs modérés. Du reste nous ne sommes pas tout à fait sans expérience à cet égard.
L'honorable M. Dumortier n'a pas eu l'avantage de passer par un ministère; mais il a passé par une commission des tarifs. Cette commission a beaucoup travaillé, beaucoup médité, beaucoup écrit et elle a fini par accoucher d'un tarif magnifique, d'un tarif très élevé. A peine ce tarif fut-il mis à exécution qu'il s'opéra, messieurs, ce qui s'opérera toujours sur toutes les voies de transport, lorsque vous les frapperez d'un tarif élevé : il s'opérera immédiatement une retraite de voyageurs et de marchandises, à tel point que le ministre, qui avait eu une grande confiance dans cette commission, se hâta de retirer ce malheureux tarif, et depuis lors, heureusement pour le pays, il n'en a plus été question.
Voilà l'expérience qui a été faite des tarifs élevés. Nous continuons à soutenir, et cela dans l'intérêt du trésor, qu'il y a avantage à n'avoir que des tarifs modérés. Et cette opinion n'est pas particulière à la Belgique. On a reconnu partout, si ce n'est pour des lignes exceptionnelles, que des tarifs modérés amènent une plus grande abondance de marchandises et un plus grand nombre de voyageurs sur les chemins de fer et par suite des recettes plus abondantes. Cela est élémentaire.
Messieurs, l'honorable M. de Mérode a tort, suivant moi, de faire intervenir le peuple, de faire intervenir les pauvres dans cette question. Il y a, me semble-t-il, une sorte d'imprudence à répandre parmi les populations pauvres cette idée que, si elles souffrent, si elles manquent de pain, c'est la faute du chemin de fer.
M. de Mérode. - Je n'ai pas dit un mot de cela.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pourquoi faites-vous intervenir des pauvres de Bruxelles dans cette question? Ils n'ont rien à y voir.
Mais au point de vue populaire, à vous qui parlez de ceux qui veulent recueillir la popularité à pleines mains, je vous dirai que les bas tarifs sont essentiellement établis en faveur du peuple ; que c'est au moyen des tarifs peu élevés qu'il est permis au peuple de voyager, de ne pas rester attaché à la glèbe comme autrefois. C'est le chemin de fer qui a émancipé en grande partie nos populations travailleuses. Il leur permet de voyager d'un lieu à l'autre, de chercher le travail là où il est, le salaire là où il s'offre avec le plus d'avantage.
Que l'honorable comte de Mérode nous dise son dernier mot avec sa franchise ordinaire : il n'aime pas le déplacement des populations ; il n'aime pas que les populations voyagent. (Interruption)
Si vous voulez que le peuple puisse voyager comme vous, permettez-lui, au moyen de tarifs modérés, d'user comme vous du chemin de fer.
Vous parlez constamment des contributions énormes qui pèsent sur le peuple. Vous faites allusion aux droits de succession qui, certes, ne le toucheront pas grandement, avouez-le. Eh bien, l'homme du peuple qui gagne 2 fr. par jour et qui a payé 1 fr. pour son voyage, a donné la moitié du prix de sa journée; et que cet homme paye 80 cent, de plus au receveur des contributions ou au chemin de fer, n'est-ce pas toujours une contribution que vous lui faites payer à l'Etat?
Sous ce rapport, pouvez-vous nier que la Belgique a été largement dégrevée de la contribution qu'elle payait pour le transport des personnes et des choses? Calculez le nombre de millions économisés en Belgique depuis l'établissement du chemin de fer, tant pour le transport des marchandises que pour le transport des personnes; que chacun de vous, que chaque personne qui voyage fasse le compte des économies dont elle a profité au moyen des tarifs modérés du chemin de fer; et ces quelques francs, qui ne sont rien pour vous, sont beaucoup pour le petit industriel, pour l'ouvrier, pour le paysan qui vient au marché, qui vient à la ville pour ses affaires. 50 centimes, c'est la moitié de sa journée, et vous le dégrevez d'autant.
Messieurs, c'est un point de vue auquel il serait bon de s'élever lorsqu'il s'agit du chemin de fer. Je ne sais par quelle fatalité, par quel esprit de dénigrement on cherche à rendre odieux au peuple l'instrument principal de sa civilisation, l'instrument principal de son émancipation. (Interruption.) Vous dégrevez les populations ouvrières, les populations agricoles de plusieurs francs par an. Voilà le véritable bienfait du chemin de fer. Du reste, interrogez-les, le chemin de fer est populaire, et j'ai confiance que tous vos anathèmes ne parviendront pas à détruire dans le sentiment du peuple le bien qu'il lui fait.
(page 854) On est venu nous rappeler, messieurs, qu'en 1834 le gouvernement avait promis que non seulement le chemin de fer couvrirait ses dépenses, mais qu'il fournirait des ressources qui permettraient de dégrever toutes les contributions. Le gouvernement d'alors n'a pas promis cela. Le gouvernement d'alors a fait ressortir les avantages qui devaient résulter de l'établissement du chemin de fer pour le commerce, l'industrie, les communications, la civilisation, la nationalisation de nos diverses provinces. Voilà les considérations principales qui ont fait décréter le chemin de fer malgré l'opposition de l'honorable comte de Mérode, alors mon collègue dans le cabinet.
On a soutenu aussi que le chemin de fer devait introduire de fortes réductions dans les dépenses du peuple, en facilitant les relations, en rendant le transport des personnes plus rapide, le transport des marchandises moins coûteux. Ces promesses ont été accomplies au-delà de toutes les espérances qui se manifestaient alors. Si, messieurs, à cette époque, on avait prédit les résultats produits sous ce rapport, par le chemin de fer, n'aurait-on pas accusé ceux qui auraient fait de pareilles promesses, d'exagération, de folie peut-être.
Messieurs, il est faux, cela vous sera démontré, il est faux que le chemin de fer présente le déficit qu'on signale ceux qui dénoncent ce déficit n'ont pas étudié les chiffres. (Interruption.) L'honorable M. Dumortier, je le sais, déclare, le cas échéant, qu'il n'a pas la mémoire des chiffres...
M. Dumortier. - J'ai les chiffres sous les yeux.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai, messieurs, pleine confiance dans les assurances de mon honorable collègue, le ministre des travaux publics, et je suis convaincu que la démonstration qu'il nous a promise finira par convaincre M. Dumortier lui-même.
Maintenant la chambre comprendra que le cabinet n'est nullement intervenu dans cette affaire ; M. le ministre des travaux publics a dit une chose fort simple, c'est que vouloir lui donner un vote limité à 2 ou 3 mois ce ne serait pas faire preuve d'une grande confiance dans son expérience administrative. Voilà ce qu'il a dit. Je ne pense pas que par là il ait voulu, comme on dit, mettre le couteau sur la gorge d'aucun membre de la chambre.
J'espère, messieurs, qu'après les explications qui ont été données vous ne prolongerez pas davantage cette discussion.
- La clôture est demandée.
M. Mercier, rapporteur (contre la clôture). - J'aurais désiré présenter encore à la chambre quelques observations, d'abord parce que l'objet est très important, mais, en outre, parce que j'ai une déclaration à faire de la part de la section centrale, qui n'a pas eu la pensée de soulever une question de confiance, et qui eût fait la même proposition si tout autre ministre que l'honorable M. Rolin se fût trouvé à la tête du département des travaux publics ; c'est même une pensée qui a été exprimée unanimement au sein de la section centrale, mais que je n'ai pas cru devoir mentionner dans le rapport parce que je ne m'attendais nullement à ce qu'on pût voir dans cette affaire une question de confiance.
M. Dumortier. - Je pense que la chambre n'entend pas aborder aujourd'hui une autre discussion, il n'est que 4 heures, et il me semble qu'il faudrait au moins continuer la discussion jusqu'à la fin de la séance. MM. les ministres m'ont répondu avec beaucoup de vivacité, mais ils n'ont rien prouvé de ce qu'ils ont dit. Nier mes arguments est plus facile que de prouver le contraire. Je désirerais que la chambre me permît d'établir combien sont inexacts tous les faits qu'ils ont allégués. (Interruption.) On dit qu'il ne s'agit pas de cela aujourd'hui ; je soutiens, au contraire, que c'est maintenant le seul moment de l'année où nous puissions examiner utilement la question de la tarification des chemins de fer. Quand il s'agira de la dépense nous pourrons bien discuter, mais il nous sera impossible d'émettre un vote en ce qui concerne les tarifs; ici, au contraire, nous sommes appelés à les voter.
Remarquez, d'ailleurs, messieurs, que quelque précipitation que vous y mettiez, dans aucun cas la loi ne pourra être publiée avant le 1er mars, puisque le sénat n'est pas réuni.
Je demande donc, messieurs, que la discussion continue afin que je puisse répondre à MM. les ministres. J'ai d'ailleurs besoin de répondre à M. Rogier en ce qui concerne la commission des tarifs dont j'ai fait partie.
M. Delfosse. - Messieurs, j'aurais désiré répondre à l'honorable comte de Mérode qui paraît en vouloir beaucoup à ceux qui ne sont pas de son avis et qui ne laisse échapper aucune occasion de les attaquer. Mais l'impatience de la chambre m'engage à renoncer à la parole.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - Voici l'article premier du projet du gouvernement :
« L'article premier de la loi du 12 avril 1835 (Bulletin officiel, n° 196) concernant les péages du chemin de fer est prorogé jusqu'au 1er mars 1850. »
La section centrale propose de substituer la date du 1er juin 1849 à celle du 1er mars 1850.
Je vais mettre cet amendement aux voix.
- Plusieurs membres. - L'appel nominal.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'amendement de la section centrale.
En voici le résultat :
81 membres ont répondu à l'appel nominal.
70 ont répondu non.
6 ont répondu oui.
8 membres se sont abstenus.
En conséquence, l'amendement de la section centrale n'est pas adopté.
Ont répondu non : MM. Sinave, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Tremouroux, Van Cleemputte, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Allard, Anspach, Bruneau, Cans, Christiaens, Clep, Cumont, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Brouckere (Henri), de Brouwer de Hogendorp, Debroux, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de Denterghem, Delehaye, Delescluse, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, Deliége, de Meester, de Perceval, de Pitteurs, de Pouhon, de Renesse, de Royer, Desoer, Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt, Dolez, Dubus, Faignart, Jouret, Jullien, Lange, Lesoinne, Loos, Manilius, Mascart, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orts, Osy, Pierre, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Rolin et Verhaegen.
On répondu oui : MM. Ansiau, Cools, de Man d'Attenrode, de Mérode, Dumortier, et Mercier.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités, aux termes du règlement, à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Coomans. - Je crois, avec la section centrale, qu'il est urgent de saisir le plus tôt possible la chambre d'une loi sur les tarifs du chemin de fer ; je suis grand partisan des voies ferrées, à la condition qu'elles soient exploitées par des entreprises particulières et sans frais pour l'Etat ; mais je regrette d'avoir eu à me convaincre que le chemin de fer est pour le trésor belge une cause de dépenses ruineuses. Je ne me suis pourtant pas prononcé en faveur de l'amendement de la section centrale, parce que je n'ai pas voulu émettre un vote que M. le ministre des travaux publics considérait comme lui étant personnellement hostile.
M. de Bocarmé. - Je me suis abstenu par la raison que je pense qu'il sera peut-être avantageux de reculer l'époque demandée par la section centrale pour la présentation du projet de loi; mais d'autre part, messieurs, il m'est survenu des scrupules en ce sens que je n'ai point voulu paraître, à mes propres yeux, avoir cédé à l'espèce de menace faite par M. le ministre des travaux publics de faire de cette question une question de personne dans le cabinet.
Et cela malgré la haute appréciation que je fais de ses talents.
M. de Theux. - M. le ministre des travaux publics nous a promis un projet de loi pour régler le tarif du transport des voyageurs dans le cours de cette session; à cet égard, je pense que nous n'avons rien de plus à réclamer. Mais en ce qui concerne le tarif du transport des marchandises, M. le ministre ne nous a pas même fait entrevoir que la chambre serait saisie d'un projet de loi avant le 1er mars 1850; de manière qu'il est infiniment probable que le régime provisoire sera encore continué pour un terme ultérieur. Cependant j'ai déclaré plusieurs fois et je continue à penser que, si le tarif des voyageurs est d'une grande importance, en ce qui concerne les intérêts du trésor, il est d'une importance infiniment moindre que le tarif du transport des marchandises qui touche à tous les intérêts les plus vitaux du pays.
En répétant cette déclaration, je n'entends en ce moment préjuger en rien les bases du tarif du transport des marchandises qu'il conviendra d’adopter, mais je pense qu'on ne peut pas différer indéfiniment la présentation d'un projet de loi ayant pour objet de régler ce tarif.
M. Jacques. - Messieurs, je me suis abstenu par les mêmes motifs que l'honorable M. Coomans.
M. Julliot. - Messieurs, dans mon opinion, le chemin de fer devrait être exploité par l'intérêt privé ; dès lors, ni l'une ni l'autre des deux propositions ne pouvait me convenir.
M. le président. - Je mets aux voix l'article premier, proposé par le gouvernement, et ainsi conçu :
« L'article premier de la loi du 12 avril 1835 (Bulletin officiel, n° 196), concernant les péages du chemin de fer, est prorogé jusqu'au 1er mars 1850.»
- Adopté.
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
- Adopté.
On passe à l'appel nominal pour le vote sur l'ensemble du projet de loi.
En voici le résultat :
77 membres répondent à l'appel.
74 répondent oui.
2 répondent non.
1 s'abstient.
En conséquence, le projet de loi est adopté.
Il sera transmis au sénat.
Ont voté pour : MM. Sinave, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Tremouroux, Van Cleemputte, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Renynghe, Veydt, Allard, Ansiau, Anspach, Bruneau, Cans, Christiaens, Clep, Cools, Coomans, Cumont, Dautrebande, David, de Baillet (H.), de Baillet-Latour, de Bocarmé, de Brouckere (Henri), Debroux, Dechamps, de Chimay, Dedecker, Delehaye, Delescluse, Delfosse, d'Elhoungne, (page 855) de Liedekerke, Deliége, de Meester, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, de Royer, Desoer, Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt, Dolez, Dubus, Faignart, Jacques, Jouret, Jullien, Lange, Loos, Manilius, Mascart, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orts, Osy, Pierre, Rodenbach, Rogier, Rolin et Verhaegen.
Ont voté contre : MM. de Mérode et Dumortier.
M. Mercier. - Je n'ai pas voulu donner mon vote à la loi, parce qu'elle ajourne indéfiniment la présentation du projet de loi réglant le tarif du transport des marchandises ; d'un autre côté, je n'ai pas voulu voter contre, parce qu'une loi sur cette matière était indispensable.
- La séance est levée à 4 1/2 heures.