(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 476) M. Dubus procède à l'appel nominal à 1 heure.
- La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente; la rédaction en est approuvée.
M. Dubus présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Roelandts, ancien militaire, à Houffalize, prie la chambre de statuer sur sa demande, tendant à obtenir un congé honorable, ou sa réintégration dans l'armée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
Par messages du 10 janvier, le sénat fait connaître que les sieurs Jean-Jacob Vioget, ex-caporal au troisième régiment de ligne, et Jean-Georges-Guillaume Flock, agent d'affaires à Bruxelles, renoncent à leurs demandes de naturalisation ordinaire. »
- Pris pour information.
M. Veydt. (pour une motion d’ordre). - Messieurs, vous avez accueilli, il y a quelque temps, la proposition d'un honorable député de Bruxelles, de renvoyer à une commission l'examen du projet de loi ayant pour objet de réviser la législation sur les faillites; j'ai l'honneur de faire une proposition semblable pour un autre projet qui, par son caractère d'urgence et son objet, est aussi de nature à être renvoyé à une commission; je veux parler du code disciplinaire et pénal pour la marine marchande et de la pêche maritime. L'examen de ce projet sera avec avantage confié à quelques membres connaissent plus spécialement la matière qu'il traite ; en même temps on en avancera la discussion, ce qui est chose bien désirable.
M. Jacques. - Je ne m'oppose pas à la proposition de l'honorable M. Veydt, mais je ferai remarquer que déjà des sections ont terminé l'examen du projet; il conviendrait que les rapporteurs désignés par ces sections fissent partie de la commission qu'on nommerait.
M. Delfosse. - Je crois qu'on pourrait suivre la même marche quant au projet de loi sur le régime hypothécaire.
- La proposition de M. Veydt, amendée par M. Jacques , est adoptée.
La proposition de M. Delfosse est également adoptée. La chambre décide que ces deux commissions seront nommées par le bureau.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je me permettrai d'engager la commission qui sera nommée pour examiner le projet de loi relatif au régime hypothécaire de s'en occuper le plus tôt possible; il est très important et doit avoir les résultats les plus utiles. Je pense que la chambre aura à cœur de discuter ce projet dans la session actuelle.
M. le président. - Nous avons voté hier l'article 3; après cet article viennent se placer deux dispositions présentées l'une par M. Delescluse, l'autre par M. le ministre des finances.
L'amendement proposé par M. Delescluse est ainsi conçu : « A l'avenir, lorsqu'un fonctionnaire public aura été, sans son consentement, admis à faire valoir ses droits à la retraite, il ne sera point tenu de prouver qu'il est atteint d'infirmités, s'il est âgé de soixante et dix ans.
« La pension, dans ce cas, sera liquidée conformément à l'article 3 de la loi de 1844. »
(page 510) Le but de ma proposition est de combler une lacune qui existe dans la loi du 21 juillet 1844 et en même temps de remplir les intentions de la section centrale, dont le rapport a été, me paraît-il, quant à ce point, au moins approuvé par l'immense majorité de la chambre.
Le second paragraphe de ce rapport est ainsi conçu: « Le principe d'une rémunération, etc. »
Il résulte de ces expressions, que dans l'opinion de la section centrale, il convient d'accorder des pensions, qui les mettent à l'abri du besoin, aux fonctionnaires vieux ou infirmes.
Or, la loi du 21 juillet 1844 s'occupe uniquement des fonctionnaires qui ont trente années de services et 65 ans d'âge et de ceux que des infirmités mettent hors d'état de continuer leurs fonctions; en un mot, cette loi ne parle que de ceux qui sont dans les conditions requises pour pouvoir réclamer une pension.
Il est bien évident que, sous l’empire de la loi actuelle, l'admission à la pension est une faveur, une récompense accordée aux fonctionnaires que l'âge ou les infirmités ont rendus incapables de remplir plus longtemps les emplois qui leur avaient été confiés.
Cette faveur doit être sollicitée et étayée de preuves suffisantes pour constater l'existence réelle des infirmités alléguées. Toute la loi de 1844 ne prévoit que les seuls cas où le fonctionnaire peut de sa propre volonté réclamer sa pension, il n'y est nullement question des fonctionnaires âgés que le gouvernement admet, malgré eux, ou tout au moins sans les consulter, à faire valoir leurs droits à la pension. C'est en faveur de ceux-là que ma proposition est faite; et pour en faire reconnaître l'importance, il suffira d'examiner quelle sera la position du fonctionnaire âgé, mais bien portant, que le gouvernement aura jugé être devenu incapable de remplir des fonctions, et par conséquent aura admis à faire valoir ses droits à la pension. Il est évident que sous l'empire de la loi actuelle, si ce fonctionnaire ne compte point 30 années de services salariés par l'Etat, il se trouvera sans aucun droit à la pension, eût-il été remplacé la veille du jour où il aurait atteint sa trentième année de service. Ce n'est point-là, sans doute, ce qu'a voulu le législateur; mais c'est ainsi que la loi est comprise et interprétée. Aussi qu'arrive-t-il ? Le fonctionnaire révoqué est obligé de feindre des infirmités, de rechercher des médecins complaisants pour les constater, et qui souvent, par pitié, délivrent des certificats destinés à empêcher un vieux serviteur de l'Etat de mendier son pain et de mourir à l'hôpital.
C'est là, messieurs, un grand abus, je dirai même un grand scandale que ma proposition ferait cesser.
Son adoption aurait aussi l'avantage de mieux dessiner certaines positions et on ne risquerait plus de voir des destitutions déguisées sous prétexte d'admission à faire valoir des droits à la pension.
M. Delfosse. - Je ne comprends pas bien la portée de l'amendement de l'honorable M. Delescluse. Cet amendement dispense celui qui serait admis à faire valoir ses droits à la retraite de la preuve qu'il est atteint d'infirmités, il me semble que celui qui est mis à la retraite ne doit plus faire cette preuve; c'est avant d'être mis à la retraite, c'est pour être mis à la retraite qu'elle doit être faite.
M. Delescluse.- Il arrive très souvent, dans la pratique, que le gouvernement, sans consulter un fonctionnaire entré bien tard quelquefois dans une administration publique, et reculant peut-être devant une destitution, dit : Un tel est admis à faire valoir ses droits à la retraite . Or, c'est là une discussion de mots. On dit au fonctionnaire: Vous n'êtes pas malade, vous n'avez pas de droits à la pension, quoique vous soyez admis à faire valoir vos droits à la pension.
Ma proposition a pour but de remédier à cet inconvénient, pour qu'il n'y ait plus de destitution de fonctionnaires, sous prétexte d'admission à faire valoir des droits à la pension de retraite. Si elle était adoptée, le fonctionnaire qui aurait atteint l'âge de 70 ans ne serait plus tenu d'apporter la preuve de ses infirmités. Il y aurait dans son âge présomption légale d'infirmités.
(page 476) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mon honorable collègue des finances, se trouvant obligé d'assister à la séance du sénat, nous a chargé de vouloir bien le remplacer dans cette discussion.
J'avoue que je ne comprends pas très bien la portée de l'amendement.
L'honorable député d'Ath ne voudrait pas que le fonctionnaire admis à faire valoir ses droits à la retraite, parvenu à l'âge de 70 ans, fût forcé de prouver ses infirmités. Mais un tel fonctionnaire, s'il a atteint l'âge de 70 ans, n'est pas tenu de prouver ses infirmités, il trouvera son droit à la pension dans son âge même.
Je ne me rends pas bien compte de la conduite du gouvernement, qui ayant l'intention de mettre un fonctionnaire à la retraite et en trouvant le moyen dans la condition de l'âge, lui imposerait en outre la condition de prouver ses infirmités.
S'agit-il d'un fonctionnaire qui, âgé de 70 ans, n'aurait pas atteint la nombre d'années nécessaire pour obtenir la pension?
Dans ce cas-là il faut nécessairement qu'il prouve son droit à la retraite dans la circonstance qu'il est infirme, sinon le gouvernement ne pourrait pas le mettre à la retraite.
J'ignore si des faits quelconques se sont passés qui ont donné lieu à cette proposition, mais je pense qu'elle prévoit dans l'avenir des cas qui ne se réaliseront pas. Le gouvernement n'admettra à la pension qu'à bon escient, lorsque le fonctionnaire aura atteint l'âge et le nombre d'années de service exigés pour obtenir la retraite, ou lorsque, n'ayant pas atteint le nombre d'années de service, il complétera ce défaut d'années de service par des infirmités, et dans ce cas il faudra bien constater ces infirmités.
M. Delescluse. - S'il n'en a pas?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - S'il n'a pas d'infirmités et s'il n'a pas atteint le nombre d'années voulu par la loi, il n'a pas de droit à la pension. Le gouvernement voudrait vainement le lui donner, il ne pourrait le faire.
Si le gouvernement fait constater les infirmités, c'est dans un but favorable aux fonctionnaires. Si le fonctionnaire est infirme, le gouvernement l'admettra à la retraite. S'il n'est pas infirme, si la commission qui est chargée d'examiner son état d'infirmité, déclare qu'il n'est pas infirme, le gouvernement ne pourra l'admettre à la retraite.
M. Delescluse. - Mon amendement ne prévoit qu'un seul cas: celui où le gouvernement met à la retraite un fonctionnaire sans constater auparavant ses infirmités.
M. Troye, rapporteur. - Messieurs, dans le système de la loi du 29 avril 1844, il faut remplir deux conditions pour être admis à la pension : il faut avoir atteint l'âge déterminé par la loi et avoir un certain nombre d'années de service.
Mais il me paraît que l'on perd de vue que les pensions ne sont pas seulement accordées dans l'intérêt des fonctionnaires, qu'elles sont aussi accordées dans l'intérêt du gouvernement. C'est aussi pour garantir l'Etat contre l'insuffisance de certains fonctionnaires qui, par suite de leur âge, des fatigues d'un travail assidu, ne seraient plus capables de remplir leurs fonctions convenablement et comme l'intérêt du pays l'exige, que l'on a admis le système des pensions.
Il s'ensuit que les infirmités qui résultent de l'âge sont aussi des infirmités qui rentrent dans les cas prévus par l'article 3. Le cas prévu par l'honorable M. Delescluse tombe réellement sous l'application de cet article; et l'amendement de l'honorable M. Delescluse me paraît si pas dangereux dans les conséquences qu'il pourrait amener à sa suite, au moins inutile. En conséquence, je ne crois pas qu'il soit convenable de l'adopter.
M. Mercier. - Je ne me prononce pas sur l'amendement de l'honorable M. Delescluse, mais je crois utile de démontrer qu'il a un but réel.
Il déroge à la fois à l'article premier et à l'article 3.
Il déroge à l'article 1er, en ce que le gouvernement peut donner la démission à un fonctionnaire qui aurait 65 ans d'âge et 30 années de service, mais qu'il peut exiger et doit même exiger, avant de lui accorder sa pension, qu'il prouve qu'il n'est plus en état de remplir ses fonctions.
Tel est l'esprit de l'article premier, et tel est le sens du mot « pourront » qui s'y trouve; le gouvernement ne peut, sans violer l'esprit de la loi, mettre à la retraite un fonctionnaire qui a 65 ans d'âge et ayant 30 années de service, s'il n'est pas reconnu que ce fonctionnaire est hors d'état de continuer son service. Or, l'honorable M. Delescluse voudrait que le fonctionnaire put être admis à la retraite sans devoir justifier d'une incapacité quelconque.
Voilà le but de l'amendement. Je rappellerai qu'en 1841 plusieurs honorables membres ont soutenu ce système. Selon eux, il devait arriver un âge où le fonctionnaire pouvait avoir droit à réclamer sa pension pour cette seule cause. Ce système, combattu par le gouvernement, n'a pas prévalu au premier vote; cette disposition ayant été repoussée, plusieurs membres qui l'avaient appuyée et qui acceptaient les autres dispositions du projet de loi se réunirent aux opposants, et il en résulta que la loi, dont toutes les dispositions avaient été adoptées au premier vote, fut rejetée au second vote.
L'amendement se rapporte aussi à l'article 3, en ce que le fonctionnaire qui a 70 ans d'âge pourrait obtenir la pension sans avoir 30 années de service.
Voilà, messieurs, le sens de l'amendement de M. Delescluse. C'est parce qu'il me semble ne pas avoir été bien compris, que j'ai cru devoir présenter ces observations.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - J'admets avec l'honorable préopinant que l'amendement de l'honorable M. Delescluse a une portée très sérieuse. Comme il vous l'a dit, le système de la loi de 1844, système auquel il n'a point été dérogé par le projet en discussion, est celui-ci : Le fonctionnaire peut être admis à la pension, s'il remplit tout à la fois une condition d'âge et une condition de durée de services. L'honorable M. Delescluse vous a fait remarquer qu'il suit de là que lorsque le gouvernement admet un fonctionnaire à faire valoir ses droits à la retraite, cette déclaration n'a rien d'obligatoire pour l'Etat; car, de la vérification des droits du fonctionnaire à la pension, il pourra résulter que ces droits sont nuls, que le fonctionnaire ne remplit pas les conditions voulues par la loi; et c'est pour remédier à cet état de choses, que l'honorable M. Delescluse propose de dire : « A l'avenir, lorsqu'un fonctionnaire public aura été, sans son consentement, admis à faire valoir ses droits à la retraite, il ne sera point tenu de prouver qu'il est atteint d'infirmités, ou qu'il a servi pendant un nombre d'années déterminé, pourvu qu'il soit âgé de soixante et dix ans. » C'est-à-dire, en d'autres termes; à l'avenir lorsqu'un fonctionnaire, sans son consentement, sera admis à faire valoir ses droits à la retraite, il lui suffira de prouver qu'il a 70 ans pour avoir droit à la pension. Si cet amendement était admis, le gouvernement ne pourrait démissionner un fonctionnaire âgé de plus de 70 ans, à moins que ce fonctionnaire n'y consente, ou à moins de s'obliger implicitement à lui donner une pension.
C'est là, messieurs, une conséquence que vous ne pouvez pas admettre. Ce serait renverser le principe fondamental de la loi de 1844. D’après la portée de l'amendement, le fonctionnaire âgé de 70 ans. pourrait dicter, en quelque sorte, la loi au gouvernement; il pourrait lui dire : « De deux choses l'une, ou bien vous me maintiendrez en fonctions, quelle que soit mon insuffisance, ou bien, malgré les conditions posées par la loi de 1844, vous me reconnaîtrez des droits à la pension. » Il est évident qu'un système qui conduit à de telles conséquences ne peut se soutenir.
- L'amendement de M. Delescluse est mis aux voix; il n'est pas adopté.
M. le président. - Voici un article nouveau proposé par M. le ministre des finances :
« Les crédits nécessaires au service des pensions seront portés au budget de la dette publique.
« Le budget du département auquel les intéressés ressortissent ne comprendra que les crédits destinés au payement du premier terme de leur pension.
« Chaque année le ministre, lors de la présentation du budget de son département, produira la liste nominative et détaillée des personnes admises à la pension dans le courant de l'année. »
M. Rousselle a proposé l'amendement suivant au dernier paragraphe de la proposition de M. le ministre des finances :
« II indiquera aussi le nombre et la somme des pensions éteintes dans le même terme, ainsi que le nombre et le montant des pensions qui resteront à servir à l'époque du 1er janvier. »
M. Rousselle. - Messieurs, dans une précédente séance, j'avais dit que peut être je présenterais un amendement, à l'effet de déterminer que le ministère ne pourrait allouer des pensions que jusqu'à concurrence des extinctions. Plusieurs de mes honorables amis m'ont fait observer qu'il était plus conforme à la loi de comptabilité que la chambre exerçât son contrôle, à l'époque de la discussion des budgets et sur le chiffre des budgets ; mais pour exercer ce contrôle, il faut des documents que la chambre n'a pas possédés jusqu'ici. La liste des pensions délivrées pendant l'exercice antérieur à celui auquel le budget s'applique, ne suffit pas pour apprécier la somme qui doit être allouée au budget pour la collation des pensions. Pour remédier à cet état de choses, je propose d’ajouter à l'article nouveau proposé par M. le ministre des finances la proposition dont M. le président vient de donner lecture.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous nous rallions à cet amendement. il a pour but de faire connaître d'une manière exacte le chiffre des pensions; en mentionnant les pensions nouvelles, on mentionnera aussi les extinctions.
- L'amendement de M. Rousselle est mis aux voix et adopté.
L'article nouveau proposé par M. le ministre des finances est mis aux voix et adopté.
« Art. 4. Tout traitement à charge de l'Etat, donnant lieu à une pension de retraite, est soumis à une retenue d'un pour cent au profit du trésor public. »
La section centrale propose une retenue de 2 p. c.
L'amendement suivant a été présenté par M. Delfosse :
« Je propose de fixer la retenue à 1 p. c. pour les traitements au-dessous de 2,000 francs et à 2 p. c. pour les traitements plus élevés. «
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le gouvernement ne se rallie pas à cet amendement.
M. le président. - La parole est à M. Delfosse pour développer son amendement.
M. Delfosse. - Messieurs, on s'est fort récrié contre la proposition que j'avais faite d'une retenue temporaire de 2 p. c. qui n'aurait porté que sur les traitements d'au moins 2,000 fr. On a dit contre cette proposition que les traitements ne sont pas, en général, trop élevés ; que les fonctionnaires supportent déjà des retenues qui vont, dans certains cas exceptionnels, à 11 et quelquefois même à 15 p. c; qu'ils ont eu à traverser deux années calamiteuses ; que beaucoup d'entre eux se trouvent dans une position gênée. On a dit encore que je frappais par ma proposition, indistinctement, aveuglément en quelque sorte, les bons comme les mauvais fonctionnaires.
Il n'est pas un de ces motifs qu'on ne puisse invoquer contre la retenue permanente d'un p. c. proposée par le gouvernement, et à plus forte raison contre la résolution de la section centrale qui élève cette retenue permanente à 2 p. c. Aussi n'a-t-on pas manqué de qualifier les propositions du gouvernement et de la section centrale, absolument comme la mienne, d'iniques et même de révolutionnaires. Cela me console un peu. Je me trouve ainsi en fort bonne compagnie.
Il est certain, messieurs, que la retenue permanente de 2 p. c. proposée par la section centrale serait bien plus pénible aux fonctionnaires que la retenue de 5 p. c. que je proposais, retenue temporaire fondée sur les circonstances, devant cesser avec elles. La section centrale aggrave en outre le sort des employés qui n'ont pas 2,000 francs de traitement, que j'avais cru devoir ménager par des motifs d'humanité.
Si la chambre avait admis ma proposition, celle de la section centrale aurait moins de chances. Elle n'était donc pas en réalité aussi hostile aux fonctionnaires qu'on l'a cru et surtout qu'on l'a dit.
Je ne reproduirai pas les raisons que j'ai fait valoir à l'appui de ma proposition, ce serait abuser de l'attention bienveillante de la chambre ; je me borne à dire que ma conviction n'ayant pas été ébranlée par le discours que M. le ministre des finances a prononcé dans la séance du 19 décembre, encore moins par le discours prononcé hier par l'honorable M. De Pouhon, dont l'esprit, habitué à de vastes opérations financières, contemple avec dédain les projets d'économies, vivement réclamés par le pays; ma conviction, dis-je, n'ayant pas été ébranlée, je dois, pour rester conséquent, adhérer au projet de loi en ce qu'il frappe les traitements d'une retenue qui n'est que trop légitimée par nos embarras financiers. Cette retenue sera-t-elle de 1 p. c, comme le demande le gouvernement, ou de 2 p. c, comme la section centrale le désire? Ce n'est pas là une question de principe, c'est une de ces questions d'appréciation que chacun résout dans un sens ou dans l'autre, selon qu'il est plus ou moins impressionné des difficultés de la situation. Comme je les trouve graves, je suis naturellement porté à préférer la propositions de la section centrale à celle du gouvernement. On serait peut-être dans le vrai en se plaçant entre les deux; en disant que la retenue de 1 p. c. est trop faible pour les gros traitements, et celle de 2 p. c. trop forte pour les petits. Une retenue de 2 p. c, insignifiante pour certains fonctionnaires, peut imposer à d'autres de rudes privations.
C'est par ces motifs que j'ai soumis mon amendement à la chambre ; je propose une retenue de 1 p. c. pour les traitements inférieurs à 2,000 fr., et de 2 p. c. pour les traitements qui atteignent ou dépassent ce chiffre. J'adopte à la fois la proposition du gouvernement et celle de la section centrale, la proposition du gouvernement limitée aux traitements de moins de 2,000 fr. et celle de la section centrale pour les traitements plus élevés.
Je n'ignore pas que la section centrale a déjà repoussé une proposition analogue à la mienne.
La section centrale n'a pas voulu de retenue différentielle, elle s'est montrée radicalement hostile au système des retenues différentielles, par la raison consignée dans le rapport, que les traitements étant proportionnés à l'importance des services rendus, les retenues doivent être proportionnées aux traitements. Cette considération peut être rigoureusement vraie, mais elle doit céder aux motifs d'humanité qui plaident en faveur des petits employés.
La distinction que la section centrale repousse existe d'ailleurs dans les règlements sur les caisses des veuves et orphelins. D'après les dispositions de ces règlements, la retenue est, pour le département des finances, de 2 1/2 p. c. sur les traitements de moins de 1,200 fr., et de 3 p.c. sur les traitements plus élevés; pour les autres départements, elle est de 2 1/2 p. c. sur les traitements inférieurs à 3 mille francs, et de 3 p. c. sur les autres traitements.
J'appelle l'attention de la chambre sur ce précédent qui a échappé à la sagacité de la section centrale et de son honorable rapporteur. Vous voyez, messieurs, que le système que je propose a déjà reçu une solution pratique.
M. le ministre des finances défendait hier en termes chaleureux les intérêts du trésor et ceux des contribuables, défendons-les non moins chaleureusement par nos votes.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le gouvernement doit persister danS la proposition qu'il vous a faite et qui consiste à prélever un pour cent sur le traitement, quel qu'il soit de tout fonctionnaire ayant droit à la pension. Nous croyons, messieurs, que cette aggravation apportée à la situation des fonctionnaires publics ne doit pas subir une aggravation nouvelle. Lorsque la loi de 1844 fut discutée, il fut reconnu en principe que la pension n'étant que la rémunération de services rendus, (page 477) il y avait en quelque sorte inconséquence à faire subir une retenue destinée à former cette rémunération.
Nous ne nous sommes pas arrêtés devant cette considération, nous avons pensé que, dans les circonstances actuelles, il ne fallait pas se retrancher derrière ce principe qui pouvait être vrai au fond, qu'il fallait passer outre pour soulager le trésor dans une certaine limite. C'est ce qui nous a engagés, je n'hésite pas à le dire, non sans efforts, à proposer une retenue qui au fond est une réduction de 1 p. c. sur tous les traitements des fonctionnaires publics.
Il faut, messieurs, se rendre compte de toutes les retenues que déjà subissent ces traitements; nous ne voulons pas parler de la retenue extraordinaire dont ils ont été frappés l'année dernière à l'occasion des emprunts; nous voulons seulement parler des retenues ordinaires et permanentes.
Comme vient de le dire l'honorable préopinant, les fonctionnaires sont assujettis à une retenue de 2 1/ 2 à 3 p. c. destinée à former le fonds de la caisse des veuves et orphelins. Ce n'est pas la seule retenue à laquelle ils soient soumis. Le fonctionnaire qui se marie subit, du moins au département de l'intérieur, une nouvelle retenue de 1 1/2 p. c; s'il entre en fonctions étant marié il est assujetti à la même retenue.
Si le fonctionnaire (c'est une circonstance qui doit se présenter dans sa carrière) obtient une augmentation de grade, il ne jouit pas d'une augmentation immédiate de traitement. Les .deux premiers mois d'augmentation lui sont retenus.
Je sais très bien que, le troisième mois, c'est un avantage dont ils jouissent. Mais souvent l'augmentation de grade coïncide avec un déplacement. Le fonctionnaire, passant d'une province dans une autre, a des frais considérables à supporter du chef de ce déplacement. Cependant il ne touche pas les deux premiers mois d'augmentation de son traitement.
Ici je pose une question à l'honorable député de Liège : il reproche au gouvernement et à la section centrale d'avoir poussé l'inhumanité beaucoup plus loin que lui. Car, que proposait-il naguère? Une retenue de 5 p. c, mais une retenue temporaire, disait-il, qui aurait cessé avec les circonstances qui y donnaient lieu, tandis que nous proposons une retenue de 1 p. c, mais définitive.
Si le principe de la retenue temporaire avait été admis, aurait-il repoussé le principe de la retenue définitive? Je ne le pense pas.
M. Delfosse. - J'aurais voté pour la retenue de 1 p. c. Les observations auxquelles vous répondez ne s'appliquent qu'à la proposition de la section centrale.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez compris le gouvernement dans vos reproches.
M. Delfosse. - Il n'y a pas eu de reproches.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Toujours est-il qu'indépendamment de la retenue extraordinaire et temporaire de b p. c, vous admettiez une retenue définitive de 1 p. c. Nous vous en laissons tout l'honneur, ou toute la responsabilité, comme vous voudrez.
M. Delfosse. - Il ne s'agit ni d'honneur, ni de responsabilité. Il s'agit d'un devoir à remplir.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Chacun remplit ses devoirs comme il l'entend. Il y a d'ailleurs des responsabilités très honorables.
On vient invoquer des motifs d'humanité; on voudrait épargner le petit fonctionnaire, et l'on trouve que 2 p. c. sur un traitement de 2,000 fr. serait en quelque sorte une retenue frisant l'inhumanité. Mais à partir de 2,001 francs, on peut frapper le fonctionnaire, sans scrupule aucun, d'une retenue double. Une retenue de 2 p. c. sur un traitement dé 1,999 fr. serait une calamité, serait de l'inhumanité. 2 p. c. sur un traitement de 2,001 fr., ce n'est plus de l'inhumanité! C'est là, je l'avoue, ce que je ne puis comprendre.
Ce qu'il faut autant que possible, c'est l'égalité proportionnelle. Les fonctionnaires sont, en principe, rémunérés suivant leur capacité, suivant les services qu'ils rendent. Il peut y avoir des abus exceptionnels ; mais tel est, en définitive, le principe : rémunération du mérite, des services rendus. Il n'est pas plus juste de frapper de 2 p. c. les fonctionnaires qui gagnent légitimement 2,000 fr., que les fonctionnaire s qui ne seraient parvenus qu'à en gagner 1,000.
Le fonctionnaire qui touche un traitement de 3,000 fr. subissant une retenue de 30 fr. sera frappé tout autant que le fonctionnaire qui, touchant un traitement de 2,000 fr., aura à payer 20 fr., que celui qui, touchant un traitement de 500 fr., aura à subir une retenue de 5 p. c.
Je crois que, sous ce rapport, on peut admettre une parfaite égalité entre les fonctionnaires.
La loi actuelle accorde les pensions sans retenue quelconque. Les retenues ne sont destinées qu'à former la caisse des veuves et orphelins. Mais le fonctionnaire jouit d'un droit à la pension à raison de ses années de service. A l'avenir ce droit ne lui serait concédé qu'au moyen d'une contribution qui alimentera la caisse des pensions.
C'est un changement apporté à la législation actuelle. C'est en réalité une réduction d'un pour cent sur les traitements. Nous voulons que cette réduction frappe également tous les traitements. Nous n'admettons ni la progression proposée par l'honorable M. Delfosse, ni la proposition delà section centrale, parce que non» croyons la réduction de 2 p. c. beaucoup trop forte, lorsqu'on la rapproche de la retenue que subissent déjà les fonctionnaires.
Les traitements sont-ils trop élevés? Veut-on établir la discussion sur ce point ? Je suis prêt à la soutenir.
Il y avait certains traitements élevés ; on les a réduits; à la suite de l'adoption des budgets, beaucoup de traitements vont être encore réduits.
Cette réduction générale n'exemptera pas ceux qui en ont été l'objet de la retenue de 1 p. c. que nous allons encore y ajouter.
Il est temps, semble-t-il, de s'arrêter dans cette voie. Depuis un certain temps, depuis que la situation financière du pays a présenté quelques embarras passagers, nous devons le croire, passagers, nous pouvons l'affirmer, on dirait que les fonctionnaires publics doivent en quelque sorte supporter, tout le poids de cette situation.
Nous pensons que la chambre aurait dû tenir compte au gouvernement des efforts courageux qu'il a faits en mettant un assez grand nombre de fonctionnaires hors de service, en réduisant les traitements de ceux qui étaient conservés et en frappant ces traitements réduits d'une retenue d'un p. c.
Quand, messieurs , je réfléchis mûrement à ce qu'a fait le gouvernement, je me demande s'il n'a pas été trop loin. Je me demande si, dans son désir légitime d'introduire des réductions dans les dépenses de l'Etat, il n'a pas peut-être porté une certaine atteinte à la force du ressort administratif.
En ce qui concerne les pensionnaires eux-mêmes, la loi actuelle introduit une série de restrictions à la loi de 1844 : Les fonctionnaires ne sont pas seulement frappés dans leurs traitements, mais ils sont aussi frappés comme pouvant aspirer à une pension.
De ce qu'un fonctionnaire public reçoit une rétribution payée par le public, il ne s'ensuit pas que cette rétribution ne soit pas méritée. Les services rendus au public doivent être rétribués au même titre que les services rendus aux particuliers.
Je ne remarque pas que les particuliers qui ont affaire dans la société à ceux qui vivent de leur industrie particulière, aux avocats, aux médecins, aux notaires, accusent constamment ces fonctionnaires auxquels ils ont recours, de causer leur ruine. Je ne vois pas qu'ils les menacent à chaque instant de réduire leurs honoraires. Pourquoi, messieurs, traiter les fonctionnaires publics plus durement qu'on ne traite les fonctionnaires qui n'agissent pas pour la chose publique? Prenons-y garde, messieurs, s'il ne faut pas encourager légèrement les instincts, les désirs qui poussent une partie de la société vers les fonctions publiques, si nous devons éviter l'encombrement dans la carrière administrative, il faut aussi éviter un résultat contraire qui consisterait à faire considérer les fonctions publiques comme ne devant plus offrir qu'une ressource tout à fait insuffisante à ceux qui veulent vivre honorablement de leur travail. Je sais bien qu'on nous dira que toujours les fonctions publiques seront recherchées. Cela est vrai. Les fonctions publiques seront toujours recherchées, alors même que vous les rétribueriez moitié moins. Mais par qui seront-elles recherchées ? Elles seront successivement recherchées par ceux qui n'auront pas pu trouver dans leur carrière particulière des moyens d'existence, par ceux qui, ayant échoué dans toutes leurs entreprises, viendront, en désespoir de cause, se réfugier dans la carrière administrative.
Ce n'est pas là, messieurs, un bon système d'économie. De bons employés, bien rétribues, peuvent faire beaucoup plus pour la gestion économique de la chose publique que des employés découragés, mal rétribués, dont le présent ou l'avenir ne serait pas suffisamment garanti.
Déjà, on peut le reconnaître, les hommes de talent, les hommes d'avenir, les jeunes gens qui ont fait de bonnes études, qui ont obtenu de grands succès, toute cette catégorie de citoyens qu'il serait si utile pour l'administration de pouvoir s'attacher, toute cette catégorie de citoyens ne se porte pas vers les fonctions publiques, et c'est un grand dommage.
Il faut, messieurs, songer à l'avenir de l'administration. Il serait très important que l'administration pût recruter dès aujourd'hui des hommes jeunes, capables de remplacer successivement ceux qui occupent des fonctions depuis 1830, depuis 1815 et au-delà. A mesure, messieurs, que les bons fonctionnaires, les hommes d'expérience disparaissent, des hommes de la même valeur ne se présentent pas toujours pour les remplacer.
J'engage donc la chambre à ne pas pousser le système des économies au-delà de la limite à laquelle le gouvernement a cru devoir s'arrêter. J'engage surtout la chambre à ne pas revenir sans cesse sur la situation prétendument privilégiée des fonctionnaires publics. Je crois, messieurs, que les services rendus par les fonctionnaires publics sont respectables au même titre et plus respectables peut-être, parce qu'ils s'étendent à la généralité, que peuvent l'être ceux rendus par des avocats, des médecins, des notaires. Vous trouveriez peu convenable que les avocats, les médecins, les notaires fussent l'objet, dans cette enceinte, de récriminations incessantes. Eh bien ! messieurs, je crois qu'il ne convient pas non plus que les fonctionnaires publics, qui sont en définitive les agents de la loi, vos agents, reçoivent constamment des brevets ou d'incapacité ou d'avidité ou de sangsues du peuple.
(page 478) Il faut laisser, messieurs, il faut laisser ces déclamations à ceux qui ont intérêt à ébranler le gouvernement, à énerver toutes les forces administratives. Il n'est pas vrai que les fonctionnaires publics sont trop rétribués en Belgique. Il n'est pas vrai qu'ils absorbent, comme on le dit si souvent, les forces les plus vives du pays.
Alors même que le nombre des fonctionnaires devrait être plus limité, il ne devrait pas en résulter, à mon avis, une forte réduction dans les dépenses. J'admets que dans certaines branches des services publics il peut y avoir trop de fonctionnaires mais, en diminuant les quantités, il faudrait, messieurs, récompenser convenablement la qualité des fonctionnaires.
Peu de fonctionnaires, je le reconnais, mais peu de fonctionnaires bien et très bien rétribués, voilà les conditions de la bonne administration.
Eh bien, si la chambre croit, avec le gouvernement, qu'il faut de bons fonctionnaires et par conséquent des fonctionnaires bien rétribués, elle ne doit pas toucher légèrement à la dotation des fonctionnaires publics.
Ces observations générales, messieurs, je le reconnais, ne se rattachent que d'une manière assez éloignée à la proposition qui vous est faite. On me dira qu'en définitive il ne s'agit que d'une bien faible différence entre les propositions du gouvernement et celles de la section centrale et de l'honorable M. Delfosse. Le gouvernement propose 1 p. c, la section centrale propose 2 p. c, l'honorable M. Delfosse propose quelque chose entre 1 et 2 p. c. ; mais si les différences sont faibles entre les chiffres, les différences sont grandes entre les points de départ; l'honorable M. Delfosse professe, à l'égard des fonctionnaires publics, des opinions en quelque sorte diamétralement opposées aux nôtres.
M. Delfosse. - C'est une erreur.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je serais enchanté que nous fussions d'accord.
M. Delfosse. - Nous sommes d'accord au fond.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si nous sommes d'accord au fond, veuillez alors traduire cet accord en faits, et alors vous vous rattacherez à notre proposition. .
Je demande pardon à la chambre si je n’ai pas exposé avec toute la précision nécessaire les opinions du gouvernement sur cette question. Lorsque mon collègue M. le ministre des finances, qui est appelé au sénat, m'a prié de me charger de la défense de cette partie de ses propositions, j'ai été pris un peu à l'improviste ; mais c'est l'opinion formelle et unanime du cabinet que j'exprime lorsque j'engage la chambre à voter le chiffre de 1 p. c.
M. le président. - Avant de donner la parole au rapporteur, je dois faire connaître des amendements qui viennent d'être déposés.
Voici d'abord un amendement de M. Toussaint :
« Les remises et les émoluments déterminés d'après le mode prescrit par la loi générale sont assimilés aux traitements; mais pour les fonctionnaires et employés de l'administration des finances, indiqués au deuxième alinéa de l'article 10 de la loi générale, la retenue ne sera subie que sur les trois quarts de leur montant. »
Voici un amendement de M. Sinave qui formerait un article additionnel :
« Profiteront seuls du bénéfice de la loi les titulaires, soit civils, soit militaires, dont le traitement à charge du trésor est leur unique ressource. Un arrêté royal déterminera les formalités à observer pour établir la preuve exigée. Une révision générale sers immédiatement faite de toutes les pensions actuelles à charge du trésor, tant civiles que militaires. Les titulaires ne conserveront la jouissance de leur pension que pour autant qu'ils se trouvent dans la catégorie précitée. A dater du 1er janvier 1850, sont abolies toutes les autres pensions à charge du trésor. »
Je propose à la chambre, sans rien préjuger relativement à ces amendements, de terminer d'abord ce qui est relatif au chiffre de la retenue.
- Cette proposition est adoptée.
M. de Luesemans. - Messieurs, j'ai demandé la parole uniquement pour motiver mon vote. Lorsque l'honorable M. Delfosse a fait, dans cette enceinte, une proposition tendant à prélever sur les appointements, d'une manière temporaire, une retenue de 5 p. c, pendant les huit derniers mois de l'exercice courant, on n'a pas manqué de dire que les appointements des employés ne sont pas trop élevés et que, par conséquent, il y aurait une certaine cruauté à vouloir les frapper dans leurs moyens d'existence. La question de savoir si, en général, les traitements des fonctionnaires sont trop élevés, se présentait donc naturellement dans la discussion et un tableau qui a été fourni par M. le ministre des finances, a établi que, sur 17,562 fonctionnaires, 15,328 ont des appointements au-dessous de 2,000 francs.
Devant ce tableau, il était impossible de ne pas reconnaître qu'en Belgique les appointements ne sont pas trop élevés. Lorsque les trois quarts et plus des fonctionnaires rétribués en Belgique, ne s'élèvent pas au-delà de 2,000 fr., on ne peut soutenir qu'une pareille rémunération place l'immense majorité des fonctionnaires dans un trop grand état d'aisance. Si la question que soulevait la proposition de l'honorable M. Delfosse avait pu se résoudre par la réponse qui aurait été faite à cette simple demande : « Les traitements sont-ils trop élevés en Belgique? » il est évident qu'elle devait être rejetée par cela même.
Mais en présence des besoins temporaires, j'aime à le croire, qu'éprouve la Belgique, c'était sur un autre terrain que le débat avait été placé, et on s'est demandé si, alors que l'industrie était souffrante, que le commerce n'était pas dans un état prospère, que les propriétaires eux-mêmes ont vu leurs moyens d'existence réduits, il n'était pas nécessaire d'imposer un sacrifice temporaire aux fonctionnaires. La question, ainsi posée, devait, d'après nous qui lui avons donné un vote affirmatif, être résolue dans le sens de la proposition de l'honorable M. Delfosse.
La chambre en a jugé autrement, par le motif qu'elle n'a pas reconnu qu'il y eût lieu à diminuer encore, même temporairement, les traitements des fonctionnaires qui, d'après elle, n'étaient pas trop élevés.
Aujourd'hui je dois le dire, il n'est aucune des raisons applicables à la proposition de l'honorable M. Delfosse, qui ne le soit à plus forte raison à la proposition du gouvernement, et à plus forte raison encore à l'extension donnée à cette proposition par la section centrale.
En effet, il est évident que, si l'on va au fond des choses, le résultat de la proposition n'est rien autre qu'une diminution permanente d'appointements, que cependant on déclarait n'être pas suffisants. Le principe de la diminution étant posé et adopté, quelle doit en être la limite? C'est là, comme l'a dit avec raison l'honorable M. Delfosse, une question d'appréciation.
Chacun aura à examiner si la proposition du gouvernement est suffisante, s'il faut aller jusqu'à la proposition de la section centrale, ou s'il faut tempérer la proposition de la section centrale par l'adoption de la proposition de l'honorable M. Delfosse.
Quant à moi, je voterai pour la proposition du gouvernement, et voici dans quel sens.
J'appliquerai à sa proposition les mêmes arguments que j'ai cru devoir appliquer, il y a quelque temps, à la proposition de l'honorable M. Delfosse.
Je voterai pour la proposition du gouvernement, parce que, ayant foi dans l'avenir financier du pays et ne désirant que des réductions temporaires, je préfère la proposition qui est relativement la moins considérable. Je voterai pour cette proposition, parce que j'espère, comme l'a dit M. le ministre des finances, que lorsque les finances de l'Etat se relèveront, lorsque la Belgique ne se trouvera plus sous la pression des événements qui se passent dans les pays voisins et qui influent défavorablement sur le crédit public et sur les ressources de l'Etat; j'espère qu'alors on pourra rétablir à leur taux normal les traitements des fonctionnaires auxquels nous sommes obligés de toucher aujourd'hui. J'espère que la réduction pourra n'être que temporaire, parce que je n'admets pas que dans un pays où, sur 17,000 fonctionnaires, 15,000 et plus n'ont qu'un traitement inférieur à 2,000 fr., on puisse leur faire subir une réduction aussi notable, à moins qu'on ne soit dans des circonstances exceptionnelles, comme celles où nous nous trouvons.
Messieurs, j'avais demandé la parole au moment où M. le ministre de l'inférieur posait à l'honorable M. Delfosse la question de savoir si, dans le cas de l'adoption de sa proposition, l'honorable M. Delfosse aurait voté pour la proposition de la section centrale, ou même pour celle du gouvernement.
Comme j'ai été, dans cette enceinte, un des membres qui les premiers ont appuyé la proposition de l'honorable M. Delfosse, je crois que la question posée par M. le ministre de l'intérieur s'adresse tout autant à moi qui ai appuyé la proposition qu'à l'honorable M. Delfosse qui l'a faite. Je n'hésite pas, pour ma part, à déclarer que si la proposition avait été adoptée, à savoir si l'on avait fait subir aux employés, dans le cours de cet exercice, une retenue de 5 p. c. sur les huit derniers mois, je n'aurais adopté ni la proposition du gouvernement, ni celle de la section centrale. Il m'eût été impossible de faire subir aux employés immédiatement et cumulativement une réduction de traitement supérieure à celle que l'honorable M. Delfosse proposait.
J'aurais cependant réservé pour l'avenir ma règle de conduite ; et pour le cas où les circonstances fâcheuses qui pèsent sur l'état financier du pays ne se seraient pas améliorées, j'aurais vraisemblablement, si le gouvernement s’était abstenu, usé de mon droit d'initiative, pour faire une nouvelle proposition, dont les termes eussent été mesurés sur les besoins du trésor et les moyens que j'aurais crus propres à les satisfaire.
Voilà ce que j'eusse fait; la franchise que j'entends apporter constamment dans nos discussions me faisait un devoir de déclarer mes intentions d'une manière positive.
M. Troye, rapporteur. - La section centrale, unanime pour adopter le principe d'une retenue à opérer sur le traitement des fonctionnaires publics, s'étant divisée lorsqu'il s'est agi d'en fixer le chiffre, je crois devoir reproduire succinctement les motifs qui ont amené les résolutions qu'elle a prises à ce sujet.
Certes, si le trésor public n'était obéré, si nous n'avions à pourvoir dans un temps plus ou moins éloigné au remboursement des emprunts forcés, auxquels les graves événements qui ont eu lieu dans les pays voisins nous ont obligés d'avoir recours, si nous n'avions pas le (page 479) papier-monnaie, si nous n'étions menacés de nouveaux impôts, il ne fût venu à la pensée d'aucun des membres de la section centrale, et encore moins de M. le ministre des finances sans doute, d'imposer aux fonctionnaires de l'Etat une véritable contribution ; car, on ne conteste pas que leurs traitements en général ne soient modérés.
Mais puisque de pressantes nécessités financières nous dominent, nous font un devoir de ne négliger aucune des mesures praticables qui sont de nature à exonérer le trésor, sans trop froisser les intérêts des fonctionnaires et employés ;
Puisque la chambre vient de décider, et avec raison, qu'elle n'a baisserait pas les pensions des comptables en dessous des 2/3 de leur traitement ou du maximum de 3,500 et les autres pensions en dessous du maximum de 5,000 francs;
Puisque personne n'a proposé à la chambre de prendre pour base de la liquidation des pensions une période de temps plus longue que celle de cinq années admise par la loi générale ;
Il ne reste plus, pour diminuer les charges que nous impose le service des pensions, si nous voulons aller plus avant dans la voie des économies en cette matière, qu'à atteindre les traitements des fonctionnaires et à réduire les chiffres, ce qui, je le reconnais, permettrait de conserver intact le système de la loi générale du 21 juillet 1844.
Ou bien il faut adopter dans son ensemble le système mixte proposé par le gouvernement, et arriver au but indiqué, au résultat financier, par une voie plus facile même, en opérant une retenue sur tous les traitements.
Le premier moyen que je viens d'indiquer, quoique très rationnel et s'accordant mieux avec le principe de la loi générale du 21 juillet 1844, a peu de partisans, par cela seul, sans doute, qu'il paraît présenter quelque chose de plus dur dans l'application.
Le second moyen, qui consiste à opérer une retenue sur tous les traitements des fonctionnaires, a été adopté par la section centrale.
A la vérité il est en opposition avec le principe fondamental de la loi générale qui permet au fonctionnaire d'acquérir des droits à la pension sans l'astreindre à aucune retenue ; tandis que par le projet de la loi présentée, l'Etat diminue une partie de ses charges en forçant le fonctionnaire à venir en aide au trésor.
Néanmoins, il a semblé préférable de ne pas diminuer nominalement les traitements accordes aux fonctionnaires et employés de l'Etat, et de les soumettre à une retenue ainsi que cela se pratique en Angleterre, en Allemagne et sans inconvénients sérieux, puisque ce système continue à y être en vigueur. En outre, ce mode de procéder permet au fonctionnaire de conserver l'espoir, plus ou moins fondé, de rentrer dans la jouissance de l'intégralité de son traitement lorsque la situation financière du pays se sera suffisamment améliorée.
En ce qui concerne la quotité, le gouvernement ne se rallie pas à la proposition de la majorité de la section centrale, mais il veut comme cette section que la quotité reste proportionnelle. Pour établir que le chiffre de la section centrale est trop élevé, M. le ministre de l'intérieur vient de faire des calculs à l'aide desquels il prouve que l'alimentation de la caisse des veuves enlève aux fonctionnaires une certaine partie de leurs traitements. Déjà M. le ministre des finances, dans la discussion des voies et moyens nous a dit à l'occasion de la proposition de notre honorable collègue, M. Delfosse, que les retenues opérées actuellement au profit de cette caisse s'élèvent parfois jusqu'à 10 p. c. Je ne contesterai pas ces calculs quoiqu'ils s'appliquent à des cas exceptionnels; je me bornerai à faire observer que si la retenue de 1 p. c. au profil du trésor, jointe aux retenues de 10 p. c. au profit de la caisse des veuves et orphelins, constitue un chiffre tolérable, on ne peut pas considérer comme empreinte d'une grande exagération la proposition qui consiste à porter le chiffre de ces retenues de 11 à 12 p. c.
Telles sont, messieurs, les considérations qui ont déterminé la majorité de la section centrale à frapper d'une retenue de 2 p. c. les traitements de tous les fonctionnaires de l'Etat. Je crois pouvoir me borner à les reproduire sommairement sans entrer dans le débat, car, ainsi que deux honorables collègues de la section centrale, je ne partage pas sur cette quotité l'avis de la majorité. C'est assez vous dire, messieurs, que je n'adopterai pas la seconde partie de l'amendement présenté par l'honorable M. Delfosse, d'abord à cause de l'élévation du chiffre et ensuite parce que cet amendement renferme un principe de progression déjà repoussé par la section centrale, et qu'au dehors il pourrait être interprété dans ce sens, que les traitements alloués aux fonctionnaires supérieurs sont trop élevés, peu en rapport avec les services rendus, et par conséquent moins légitimement acquis, que ceux accordés aux autres fonctionnaires.
M. Delfosse. - Messieurs, je n'ai pas compris la vivacité que M. le ministre de l'intérieur a mise dans sa réponse ; j'avais, je pense, parlé avec modération.
M. le ministre de l'intérieur croit que j'ai attaqué le gouvernement. J'ai été si loin d'attaquer le gouvernement, que j'ai fait en quelque sorte cause commune avec lui. J'ai dit que les reproches qu'on adressait à ma proposition ont été aussi adressés à la proposition du gouvernement; ceux qui ont attaqué la proposition du gouvernement se sont emparés des arguments que le gouvernement lui-même avait fait valoir contre la mienne.
M. le ministre de l'intérieur s'imagine qu'il y a un grand désaccord entre le gouvernement et moi sur la question des fonctionnaires; au fond, il n'y a pas désaccord; je m'en suis expliqué plus d'une fois assez clairement ; j'ai toujours dit qu'il faut avoir peu de fonctionnaires travaillant bien et les rétribuer convenablement. J'ai seulement ajouté qu'a raison des embarras financiers, il y avait nécessité d'imposer quelques sacrifices aux fonctionnaires. C’est aussi, je pense, l'opinion du gouvernement, puisqu'il propose une retenue sur les traitements.
Nous sommes, je le répète, d'accord sur le principe; nous ne différons que sur une question d'appréciation, et M. le ministre de l'intérieur disait tantôt que cette question avait peu d'importance.
M. le ministre de l'intérieur s'est livré à de longues considérations qui étaient complètement inutiles, il a énuméré les services rendus par les fonctionnaires et les charges auxquelles ils sont soumis. Rien de cela n'est contesté. Mais en énumérant les services rendus à la société par les fonctionnaires et les charges qu'ils supportent, M. le ministre a plaidé contre la proposition du gouvernement en même temps que contre la mienne. Si tout ce qu'il a dit fort éloquemment, comme l'avait dit fort éloquemment aussi son collègue des finances, est vrai, il ne faut pas imposer aux fonctionnaires des charges nouvelles, il ne faut pas diminuer les avantages que la loi leur accorde. Vous reconnaissez cependant que les embarras du trésor public obligent à leur imposer des sacrifices.
La question est de savoir où nous nous arrêterons; sera-ce à un pour cent, comme le propose le gouvernement? Je crois qu'on peut aller plus loin. J'adopte votre proposition pour les petits traitements, et celle de la section centrale pour les traitements élevés. La différence de 1 à 2 p. c, a dit M. le ministre de l'intérieur, est trop insignifiante pour invoquer des raisons d'humanité.
Mais si la différence est si insignifiante, pourquoi vous opposez-vous avec tant de force, je dirai même avec tant de véhémence, à ma proposition? Reconnaisses donc que c'est une question d'appréciation qui ne comporte pas les grands mouvements oratoires auxquels vous vous êtes livré.
On n'a pas répondu, ni M. de Luesemans, ni M. le rapporteur, ni M. le ministre de l'intérieur, à l'exemple que j'ai cité. J'ai dit que la retenue différentielle contre laquelle on se récrie, existe dans le règlement de la caisse des veuves et orphelins.
Si vous lui trouvez tant d'inconvénients parce qu'elle est contraire à l'égalité proportionnelle, parce qu'elle peut produire un fâcheux effet au dehors, en faisant croire que les traitements élevés ne sont pas en rapport avec les services rendus, modifiez les règlements sur la caisse des veuves.
Soyez conséquent ; ne me reprochez pas des choses que vous faites tous les jours, qui sont dans les règlements dont vous faites l'application.
M. le ministre a dit qu'il me laissait l'honneur et la responsabilité de ma proposition. Quand je fais une proposition, ce n'est pas pour en tirer de l'honneur, et je n'en redoute jamais la responsabilité; avant de la faire, j'examine si elle est conformée l'intérêt du pays, et, quand j'ai cette conviction, je la fais.
M. de Theux. - La disposition qui, dans l'avenir, aura une grande influence sur le chiffre des pensions, c'est celle qui concerne l'âge auquel on pourra obtenir la pension. La loi de 1844 a porté cet âge de 60 ans à 65. I! en est une autre qui n'est que la sanction de la loi antérieure, celle par laquelle on a institué une commission spéciale devant laquelle les infirmités des fonctionnaires devront être constatées. La plupart éprouveront une répugnance insurmontable à comparaître devant cette commission.
On peut tenir pour certain que bien peu demanderont leur retraite avant l'âge de 65 ans. A cet âge on n'a plus une bien longue carrière à fournir sur cette terre quand on a passé sa vie dans les fonctions publiques. Je pense donc que si la commission produit les résultats que j'en attends, le chiffre des pensions civiles doit considérablement diminuer.
La retenue proposée par l'honorable M. Delfosse peut n'être pas exorbitante pour certains fonctionnaires, mais elle le sera certainement pour d'autres. Il est évident que, depuis 1830, les traitements des fonctionnaires supérieurs ont été considérablement diminués; plusieurs l'ont été de plus d'un tiers.
D'autre part, il est encore constant que bien des fonctionnaires supérieurs sont exposés à perdre leur emploi quand ils sont dans la force de l'âge et qu'ils désireraient le conserver. C'est ce que l'expérience a justifié. Dès lors la retenue est très onéreuse pour cette catégorie de fonctionnaires, à moins de stipuler que les retenues opérées seront restituées quand la démission ne repose pas sur une faute grave qui aurait été commise.
Ce qui a considérablement augmente la charge du budget non seulement de l'Etat, mais des communes, c'est l'extension de l'administration.
Aujourd'hui le nombre des employés inférieurs est considérablement augmenté, l'on a également augmenté considérablement leurs traitements. Voilà une des sources des dépenses publiques, cela tient à l'extension toujours croissante des actes administratifs, à l'intervention des autorités à tous les degrés dans les actes de l'administration. Sous l'empire le chiffre des traitements et des pensions était loin d'être aussi considérable; l'administration entrait dans moins de détails, elle se faisait d'une manière plus simple. Le gouvernement s'attachait à avoir un petit nombre d'employés supérieurs capables et bien rétribués.
Il faut se garder de dégoûter des fonctions publiques; les hommes de haute intelligence qui doivent remplir les fonctions publiques les plus élevées ne sont pas tellement communs qu'il faille les écarter de la carrière politique ou administrative. On doit reconnaître que dans bien des (page 180) circonstances le gouvernement ne trouve pas pour les fonctions publiques les sujets qu'il désirerait trouver.
On doit être sobre d'attaques contre les fonctions supérieures ; c'est une tendance que le pays aura à regretter si elle prend des développements.
Je ne sais si la brèche ouverte par le gouvernement ne s'étendra pas, si on ne voudra pas dire plus tard que le fonds des pensions doit être formé exclusivement par les retenues. Si on agissait toujours ainsi, ce serait contraire au texte et à l'esprit de la Constitution.
La Constitution garantit l'existence des pensions comme émolument, non comme caisse de tontine; elle garantit formellement la pension des ministres du culte, car elle ait que les traitements et pensions des ministres du culte sont à la charge de l'Etat, non qu'il y est pourvu par voie de tontine. Elle dit en outre que les militaires ne peuvent être privés de leurs traitements et pensions que d'une manière déterminée par la loi, c'est-à-dire pour des fautes graves caractérisées par la loi et constatées conformément à la loi.
En ce qui concerne les pensions, il est évident que, dans l'esprit du congrès, il ne peut exister de privilège pour ces deux catégories, les fonctionnaires ecclésiastiques et les fonctionnaires militaires. Ce qui le prouve clairement, c'est que le congrès s'est borné à décréter la révision de la liste des pensions. Il n'a pas même demandé la révision de la législation sur les pensions. Il n'a demandé que la révision de la liste des pensions, pour autant que des abus en dehors de la législation existante auraient été commis.
Voilà le texte de la constitution ; voilà l'esprit du congrès qui a siégé à une époque extrêmement critique pour les finances du pays. Il y a dans l'appréciation du congrès une règle de conduite pour la chambre.
Je termine en invoquant une considération présentée par l'honorable M. de Luesemans : c'est que, si la chambre a repoussé une retenue extraordinaire temporaire, il y aurait une sorte d'inconséquence à admettre une retenue extraordinaire définitive en dehors des propositions du gouvernement.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, il est à regretter que l'honorable ministre des finances, qui s'était chargé de la défense d'un projet de loi dû à son initiative, ne soit pas présent pour défendre son œuvre. Je dois donc, comme mon honorable collègue de l'intérieur, prier la chambre de m'excuser si je veux, sans préparation aucune, défendre le projet de loi en discussion.
La chambre se trouve en présence d'un amendement de la section centrale, qui propose de porter la retenue à opérer sur les traitements des fonctionnaires de 1 à 2 p. c.
Elle se trouve en outre en présence d'un amendement de l'honorable M. Delfosse, qui admet également la retenue de 2 p. c, mais qui propose de la limiter à 1 p. c. pour les traitements au-dessous de 2,000 francs.
Il est étonnant que la section centrale ait été conduite, par les raisonnements qu'elle a établis, à proposer l'augmentation que je viens de dire.
Lorsqu'on lit avec attention le rapport qu'elle a présenté à la chambre, on remarque d'abord que toutes les sections, une seule exceptée, ont été unanimes pour admettre le principe de la retenue, mais pour la maintenir au chiffre proposé par le gouvernement. La section centrale, avant de prendre elle-même une résolution, a été arrêtée par un scrupule; elle s'est demandé si c'était une chose bien légitime que d'opérer sur les traitements des fonctionnaires une retenue quelconque. Sa conviction même paraît ne s'être pas nettement établie sur ce point. J'en trouve la preuve dans le passage suivant du rapport :
« La section centrale admet le principe de la retenue, sans se dissimuler qu'il est peu compatible avec le principe fondamental de la loi générale du 21 juillet 1844. Les considérations produites à l'appui du projet, et qui sont basées sur la nécessité d'exonérer le trésor public, la déterminent à émettre ce vote approbatif.
« Mais la majorité pense dès lors que, si le principe de la retenue est admis, il faut que ce soit pour aboutir à des résultats plus efficaces. »
Vous le voyez, c'est à regret que la section centrale admet le principe. Mais une fois le principe admis, elle a pensé qu'il fallait porter la retenue à 2 p. c.
La minorité ne s'est pas rendue à ces raisons ; elle a pensé « que, par cela même que le principe de la retenue pouvait paraître contestable, il convenait, en l'acceptant, de ne pas l'exagérer ; que les retenues opérées sur les traitements, au profit des caisses des veuves et orphelins, sont déjà fort lourdes, et peuvent s'élever, dans certains cas, de 10 à 14 et 16 p. c. sur des traitements de 700 et de 1,400 fr., et que, par cela même, il ne faut pas les aggraver outre mesure. »
Le gouvernement, messieurs, avant de vous soumettre la loi en discussion, a bien sérieusement examiné si la retenue qu'il propose d'opérer sur les traitements des fonctionnaires ne blesse en rien les droits de la justice, et il s'est rassuré sur ce point. Il s'est convaincu que vous êtes en droit d'opérer cette retenue au même titre que vous seriez en droit de réduire les traitements.
La pension que l'Etat paye à des fonctionnaires d'un âge avancé, qui l'ont servi pendant de longues années, est une dette, il est vrai, mais une dette dont le principe n'est pas de la même nature que celui d'une dette civile. C'est une dette d'équité, de reconnaissance, dont la nature a été nettement définie dans l'exposé des motifs de la loi de 1844, et dans le rapport de la section centrale sur la même loi. Or, par cela même que c'est une dette de pure équité et de reconnaissance, il est naturel que la société se trouvant dans des circonstances exceptionnelles telles que celles que l'honorable M. Delfosse vous a fait connaître, bien que, selon nous, avec un certain degré d'exagération, le paye moins libéralement que dans des circonstances ordinaires.
Nous admettons donc le principe de la retenue, mais ce n’est qu'à la condition qu'on n'en exagère point la mesure.
La considération principale qui doit vous guider, dans son application est celle qu'a fait valoir l'honorable M. de Luesemans. Est-il vrai, oui ou non, qu'en Belgique les traitements sont fixés à un taux généralement modéré? La comparaison avec ce qui s'est fait antérieurement, avec ce qui se fait dans tous les pays voisins, les tableaux statistiques fournis par le ministre des finances ne permettent pas d'élever, à cet égard, le moindre doute, que si l'on doit admettre qu'en Belgique, les traitements ne constituent généralement qu'une juste rémunération des services rendus, et qu'un équitable salaire du travail le plus noble et le plus digne, celui qui est consacré à la patrie.
Il en résulte aussi que lorsque nous opérons une retenue sur ces traitements, cette retenue ne peut être considérée que comme un sacrifice que le fonctionnaire fait momentanément aux besoins de la société. C'est en d'autres termes, ce me semble, une contribution. Il est impossible de se dissimuler que cette réduction de traitement, commandée par les besoins de l'Etat, ne peut être appelée d'un autre nom.
Dès lors aussi, messieurs, ne nous dissimulons pas que nous faisons aux fonctionnaires une position tout à fait exceptionnelle. Outre les charges qu'ils supportent comme tous les autres citoyens, nous leur imposons une charge extraordinaire qui grève leur travail.
Dès lors n'est-il pas juste de borner cette charge aux plus strictes limites? Et alors qu'il résulte de l'exposé qui a été fait par l'honorable ministre des finances et dont la section centrale a été mise à même de vérifier les données, que la retenue imposée dès à présent aux fonctionnaires s'élève à un chiffre aussi considérable que celui que vous avez vu, devons-nous tout d'un coup l'aggraver encore de 2 p. c. ?
L'honorable M. Delfosse nous dit à la vérité : Si vous imposez une retenue d'un p. c. pourquoi pas 2 ? Mais un raisonnement de cette nature conduirait loin. Car si l'on admettait 2, on pourrait demander avec tout autant de raison : Pourquoi pas 3?
S'il est vrai, messieurs, je le répète, que les fonctionnaires ne reçoivent que ce qu'ils méritent, alors soyons justes aussi envers eux ; montrons que nous ne méconnaissons pas leurs services et ne portons pas le découragement dans cette classe de la société. Acquérons des droits à leur dévouement, pour que leur dévouement nous soit acquis.
L'honorable M. Delfosse a fait une distinction entre les petits fonctionnaires et les grands. Il voudrait que ceux qui reçoivent un traitement de moins de 2,000 francs ne fussent frappés que d'une retenue de 1 p. c tandis que tous les autres seraient frappés d'une retenue double.
Une première observation qui me frappe est celle qui découle des faits statistiques que vous connaissez déjà. S'il est vrai que sur un nombre de 17,000 fonctionnaires environ, il en est plus de 15,000 qui ne reçoivent qu'un traitement de moins de 2,000 francs, vous voyez que votre retenue exceptionnelle de 2 p. c, qui est une véritable contribution progressive, frappera sur un très petit nombre, et qu'elle sera par cela même d'un très faible rapport.
C'est une première raison, ce me semble, pour ne pas l'accueillir avec trop de facilité.
I Mais en principe, je ferai remarquer que la section centrale elle-même l'a repoussée. Voici comment s'exprime le rapport :
« La majorité, tout en reconnaissant l'intérêt qui s'attache aux fonctionnaires et employés qui reçoivent un traitement minime, et combien il serait désirable de faire peser eux sur des charges le moins lourdes possible, ne croit pouvoir admettre aucune de ces propositions. Les traitements étant proportionnés aux services rendus, atteindre seulement les traitements les plus élevés, ce serait ne vouloir frapper que ceux qui rémunèrent les services les plus importants. Cinq voix contre deux refusent d'admettre ce principe. »
Proportionner les charges aux traitements, comme les traitements sont proportionnés aux services, là, messieurs, est le véritable principe de justice.
N'admettons pas facilement dans nos lois, et pour ainsi dire incidemment, un principe contraire qui pourrait nous conduire très loin. Les traitements n'étant que la juste rémunération des services, il est juste aussi que la retenue, dont nous les grevons pour venir au secours de l'Etat, soit proportionnée à cette rémunération. Je ne pourrais reconnaître, quant à moi, comme conforme à l'équité, un principe qui condamnerait celui qui reçoit un traitement proportionne à son travail, à contribuer aux charges de l'Etat dans une proportion plus forte que celui qui recevrait un salaire plus faible pour des services moins considérables.
Vainement l'honorable M. Delfosse nous dit-il que déjà, dans les statuts organiques de la caisse des veuves et orphelins, le principe que je combats a trouvé sa place : que l'on y remarque une différence d'un demi pour cent sur trois, suivant l'importance des traitements des fonctionnaires ; je n'examine pas quelle est la raison qui a pu déterminer cette disposition.
Toutefois je ferai remarquer que ce principe n'a rien de commun avec la disposition qui nous occupe. Ce n'est pas là, à proprement dire, un impôt sur le travail, c'est une contribution versée par les membres d'une (page 481) société dans le fonds social, et dont l'inégalité se justifie par l'inégalité de la participation au bénéfice de la caisse commune. Au surplus, y eût-il similitude parfaite, ce ne serait pas une raison d'étendre ce principe, dans une proportion bien plus forte, à la loi que nous discutons en ce moment.
Je le répète, messieurs, le principe que le gouvernement combat a des conséquences très graves. Ce n'est pas aujourd'hui, et à l'occasion d'une loi sur les pensions, qu'il convient de le faire entrer dans notre législation.
M. Delfosse. - M. le ministre des travaux publics trouve étrange que j'aie demandé : Puisque le gouvernement propose une retenue de 1 p. c, pourquoi pas 2 p. c? M. le ministre répond : Pourquoi pas 3, pourquoi pas 4? Je pourrais rétorquer l'argument; M. le ministre des travaux publics n'admet pas la retenue de 2 p. c, et il dit : Pourquoi pas 1 ? Je pourrais lui répondre : Pourquoi 1 p. c. ? Pourquoi une retenue ?
M. le ministre des travaux publics a reproduit, après l'honorable M. de Luesemans, la raison tirée de ce que le nombre des fonctionnaires qui ont un traitement de plus de 2,000 fr. est peu considérable, en raison de ceux qui ont un traitement inférieur. Cela est tout simple; partout et toujours, il y a moins de hauts fonctionnaires que de petits employés. Mais il ne faut pas seulement comparer le nombre des deux catégories; il faut aussi comparer le chiffre total des traitements. Or, le chiffre des traitements de deux mille francs et au-dessus s'élève à une somme assez considérable, pour que le produit de la retenue ne soit pas à dédaigner.
M. le ministre des travaux publics n'a pas été heureux lorsqu'il a cherché à établir une distinction entre la retenue opérée pour la caisse des veuves et celle qui se fera en vertu de la loi en discussion. Il est certain qu'il y a une différence dans le but. Mais il n'en est pas moins vrai que si le principe d'une retenue différentielle est mauvais lorsqu'on l'applique aux pensions des fonctionnaires, il est mauvais pour les caisses des veuves ; il faut être conséquent.
On a cherché, messieurs, à vous effrayer en vous parlant de l'impôt progressif. Il ne s'agit pas ici le moins du monde d'impôt progressif ; il s'agit d'exempter les petits employés d'une partie de la retenue. C'est là un système admis, non seulement dans les règlements pour la caisse des veuves, mais dans plusieurs lois. Ainsi dans la loi sur la contribution personnelle, les petits loyers sont exempts de l'impôt, l'on n'a jamais dit qu'il y avait dans cette loi le germe de l'impôt progressif.
Récemment M. le ministre des finances nous a proposé d'exempter de l'impôt des patentes (c'est la loi que l'on discute en ce moment au sénat) les petits artisans, ceux qui ne sont guère en état de payer l'impôt direct ; personne n'a cru qu'on entrait par là dans la voie de l'impôt progressif.
Il est encore une considération que je crois devoir présenter à la chambre. C'est que l'on continue à prendre, pour liquider les pensions, le traitement moyen des cinq dernières années ; c'est pour les fonctionnaires un avantage qui, selon moi, compense amplement la retenue un peu plus forte qui résulterait de ma proposition.
En résumé, messieurs, la différence qu'il y a entre l'opinion du gouvernement et la mienne provient de ce que je suis plus préoccupé que lui de la situation financière. J'ai la conviction qu'elle exige des mesures plus décisives que celles auxquelles le gouvernement a recours, des sacrifices plus grands que ceux qu'il veut imposer aux fonctionnaires.
Le pays, je le crains, supportera avec répugnance les charges nouvelles qu'il faudra créer, si l'on n'entre pas plus efficacement dans la voie des économies.
- L'amendement de la section centrale est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
Il en est de même de l'amendement de M. Delfosse. La proposition du gouvernement est adoptée.
M. le président. - La parole est à M. Toussaint pour développer son amendement, dont j'ai donné lecture tout à l'heure.
M. Toussaint. - Messieurs, on pourrait dire que l'article 4 du projet ne s'applique qu'aux traitements proprement dits , et non aux remises et émoluments.
Mon amendement a pour objet de lever un doute possible. Les émoluments variables servant de base à la liquidation des pensions, il est juste qu'ils soient soumis à la même retenue que les traitements fixes.
Mais d'après l'article 10 de la loi générale, ces émoluments et ces remises, dont la moyenne se détermine selon le mode fixé par l'article 37 n°3 de la même loi, ces émoluments ne comptent que pour trois quarts de leur montant dans la liquidation de la pension.
Le motif de cette disposition légale a été que le quart restant des émoluments est supposé devoir servir au payement des frais de bureau des fonctionnaires à remises, et ne pas constituer, quant à ce quart, un vrai salaire.
Or, le même motif existe pour ne pas soumettre à la retenue ce quart des émoluments qui n'est qu'un remboursement de dépenses.
Il y a, messieurs, un autre motif de ne soumettre les remises à la retenue que sur la partie de ces remises qui représente le vrai traitement, c'est que la loi générale a fixé un maximum de pension moindre pour les fonctionnaires à remises que pour les fonctionnaires à traitements fixes.
Or, messieurs, la plus grande partie des fonctionnaires à remises appartiennent à nos administrations financières. Abeilles zélées, qui apportent chaque jour leur miel à la ruche du trésor, le trésor a un intérêt particulier à les encourager; tout au moins ne doit-on pas leur faire, d'une manière injuste, une position plus défavorable qu'aux fonctionnaires supérieurs des mêmes administrations qui jouissent de traitements fixes.
C'est là, messieurs, le véritable but de l'amendement.
M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, je voudrais que le gouvernement s'expliquât sur la proposition que vient de faire l'honorable M. Toussaint. Quant à la rédaction de l'amendement, je ne puis pas l'admettre parce que je ne puis pas admettre que dans une loi on parle d'une autre loi en la distinguant sous la simple dénomination de « la loi générale ». Veuillez mettre : « la loi générale du 26 août 1822. »
M. Toussaint. - C'est la loi de 1844.
M. Ch. de Brouckere. - Vous voyez bien que cette rédaction fait faire confusion. Pour moi, la loi générale c'est la loi de 1822. Il faut dire de quelle loi vous voulez parler.
En deuxième lieu, il est reçu que les remises et émoluments comptent comme traitement, et dès lors il est inutile de le dire dans la loi ; mais le principe de la deuxième partie de l'amendement est un principe fort juste.
Messieurs, si vous voulez que la loi que nous discutons en ce moment ait une signification, cette signification doit être celle-ci : c'est que jusqu'à présent, comme on vous l'a dit et comme M. le ministre vous l'a démontré, les fonctionnaires n'ont pas un droit acquis à la pension ; ce n'est pas un strict droit, c'est de l'équité, c'est de la reconnaissance. Eh bien ! vous venez les imposer ; ils contribueront avec vous à former leur pension, et par la loi même vous leur donnez ainsi un droit acquis. Si vous imposez une retenue au fonctionnaire pour qu'il contribue à sa pension, vous auriez mauvaise grâce à venir dire plus tard : « C'est de l'équité, c'est de la reconnaissance. » Non, j'ai contribué moi-même à faire ma pension ; vous me la devez. Si c'est ainsi qu'il faut interpréter la loi, et je ne puis pas l'interpréter autrement, bien que j'aie entendu dire par plusieurs honorables collègues que c'est une loi temporaire, je ne comprends pas ainsi une loi des pensions. Je dis donc que si c'est dans ce sens qu'il faut entendre la loi, il faut frapper tout le monde également, proportionnellement.
Or, dans les remises d'une certaine catégorie de fonctionnaires du ministère des finances, sont compris des frais de bureau ; ces frais de bureau ne leur comptent pas pour la pension ; on ne leur compte que les 3/4 des émoluments, le 4ème quart étant censé affecté par eux à leurs frais de bureau. Sous ce rapport, il faut qu'on ait égard à la différence qui est stipulée dans la loi des pensions. J'appuie donc la seconde partie de l'amendement de l'honorable M. Toussaint.
M. De Pouhon. - Messieurs, l'honorable préopinant dit que, moyennant la retenue, le droit à la pension serait acquis, assuré ; je crois qu'une disposition dans la loi serait nécessaire à cet égard, car beaucoup de fonctionnaires ont déjà subi une retenue en vertu des lois antérieures, et cependant les pensions de ces fonctionnaires n'ont pas été exceptées de la déclaration qu'a faite M. le ministre des finances, à savoir qu'il n'y avait pour les fonctionnaires que des promesses, des espérances. S'il n'y a pas une stipulation dans la loi, qui assurera aux fonctionnaires que la garantie que l'honorable préopinant entend donner aux fonctionnaires sera maintenue plus tard?
Je pense donc que l'amendement devrait être sous-amendé dans ce sens-là.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'amendement me paraît inutile dans ses deux parties. La première partie a pour objet de faire déclarer que les remises et les émoluments, déterminés d'après le mode prescrit par la loi générale, sont assimilés au traitement. Si la loi parle, l'amendement est inutile. Dans le silence de la loi, il y a d'ailleurs certaines règles administratives généralement suivies et qui déterminent ce qu'il faut entendre par traitement. Ce motif répond également à la seconde partie de l'amendement. Ce qui est considéré comme traitement pour la liquidation de la pension, subira la retenue que la chambre vient de décréter....
- Un membre. - Il faut l'écrire dans la loi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est inutile. La loi ne peut pas être interprétée autrement. Et pourquoi? C'est que la loi du 21 juillet 1844 elle-même contient une disposition qui fixe les bases sur lesquelles on doit calculer la pension des fonctionnaires dont nous nous occupons. L'amendement de l'honorable M. Toussaint ne tend, en réalité, qu’à reproduire cette disposition pour marquer le point de départ de la retenue. Il ne faut pas insérer dans la loi des prescriptions inutiles.
- La clôture de la discussion est prononcée.
M. le président. - Je mets aux voix l'amendement de M. Toussaint.
M. Toussaint. - Messieurs, mon amendement, que je considérais comme nécessaire, peut être regardé maintenant comme inutile, depuis la déclaration de M. le ministre des finances. Par cette déclaration, mon but étant atteint, je retire ma proposition.
Article additionnel
M. le président. - Reste la proposition de M. Sinave.
(page 482) M. Sinave a la parole pour développer sa proposition.
M. Sinave. - Messieurs, vous connaissez tous la portée de mon amendement, de manière qu'il suffira de quelques mots pour le développer.
La première partie a pour but de porter un frein aux abus que l'on a faits constamment de toutes les lois sur les pensions, et en même temps de récompenser tout fonctionnaire civil et militaire qui, par l'âge, infirmités ou blessures, se trouve dans l'impossibilité de continuer de servir son pays, et qui, sans fortune, sans ressources, se trouverait dans le besoin. Par contre, sera exclus de toute pension le fonctionnaire et le militaire qui possède une position ou une certaine aisance.
La seconde partie ordonne une révision générale de toutes les pensions actuelles, à charge du trésor, également dans le but d'abolir la pension en faveur de tout titulaire en possession d'autres ressources que sa pension.
Je vous citerai l'Amérique du Nord. Le principe des pensions n'y est pas admis. Là, le fonctionnaire sait qu'il doit faire des économies; au bout de 20 ou de 30 ans il se retire, et les postulants ne manquent pas.
Je vous citerai encore l'Angleterre. En Angleterre, pour la plupart des pensions on admet le principe que je propose; en règle générale, on n'y donne de pension que lorsque le titulaire a prouvé qu'il n'a pas de fortune. C'est le principe de mon amendement.
Nous recommandons aux ouvriers qui gagnent de faibles salaires, de faire des économies. On devrait faire une recommandation de ce genre aux fonctionnaires, pour qu'ils ne tombent pas à la charge de l'Etat.
Il y a dans tout le pays une aversion très grande contre toutes les pensions, et notamment contre les pensions des ministres. Cette aversion pour les pensions des ministres, d'où provient-elle? Je dois conclure que cette aversion provient de ce que, depuis 1830, les intérêts matériels du pays ont été indignement méconnus ; on a leurré le pays de théories qui nous ont menés où nous nous trouvons. On a sacrifié les intérêts du trésor à une industrie qui n'a aucun avenir, à l'industrie des sucres; et depuis 1830 qu'a-t-on fait pour l'industrie linière des Flandres? Rien, absolument rien. Nous attendons à l'œuvre les sauveurs des Flandres.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Laissez là ces expressions.
M. Sinave. - Le ministère a promis de sauver les Flandres... (Interruption.) Je n'étais pas dans la chambre, mais j'ai lu que le ministère en arrivant au pouvoir avait promis de sauver les Flandres. Je ne sais pas si je me trompe, mais je déclare que jusqu'à présent rien n'a été fait. M. le ministre a dit que la mortalité avait diminué ; il était impossible que cela continuât. Je me réserve de parler de l'industrie, quand nous nous occuperons du budget de l'intérieur, ou de la question des sucres. Je me borne donc quant à présent à vous recommander mon amendement. Si par malheur il n'obtient pas votre assentiment, d'ici à peu de temps vous serez obligé, d'en venir là.
- La proposition n'est pas appuyée.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole pour répondre deux mots à l'honorable député de Bruges. En adressant ses attaques au ministère, il s'est servi d'une expression que j'ai pu lui reprocher d'avoir été chercher dans des sources peu loyales ou peu pures.
Jamais le cabinet n'a eu la ridicule prétention, n'a affiché la ridicule ambition de se poser en sauveur des Flandres. Le cabinet vous l'a déjà dit, il a apporté l'intention ferme droite de chercher avec la chambre et les Flandres elles-mêmes, les moyens de les tirer de l'état de décadence où elles étaient tombées, non par la faute du gouvernement, car il y aurait de l'injustice à reprocher au gouvernement la situation malheureuse d'une partie de ces provinces. Quand nous en viendrons au budget de l'intérieur, c'est là que j'ajourne l'honorable député de Bruges, nous lui demanderons quelles sont les mesures qui auraient dû être prises, et qui ne l'ont pas été, nous lui demanderons quelles sont celles qui doivent être prises, et nous verrons si ceux qui viennent agiter ici cette espèce de brandon de discorde, nous feront connaître jusqu'où va la fécondité de leur imagination.
Il ne faut pas que la question des Flandres serve de piédestal à une opposition. Nous les mettrons en demeure d'indiquer les mesures que nous aurions dû appliquer et que nous avons négligées.
Quant à nous, nous ne nous faisons pas un titre de gloire des efforts que nous avons pu faire ; mais enfin, il y aurait injustice à nous laisser accuser de ne rien faire pour les Flandres. Nous avons fait beaucoup, et nous le démontrerons, je le dis, avec une certaine satisfaction, la satisfaction que donne le sentiment d'un devoir loyalement accompli. Si le député de Bruges nous adresse des reproches, il n'est pas l'organe de ceux qui l'ont envoyé dans cette enceinte.
Des diverses localités des Flandres, chaque jour des témoignages de sympathie et de reconnaissance nous arrivent, dont nous n'aurions pas parlé, si nous n'avions pas dû répondre à d'injustes attaques. Au reste, j'ajourne l'honorable membre à une prochaine discussion ; nous verrons qui était le plus ami des Flandres, de ceux qui ont fait retentir sans cesse, dans ces contrées, des paroles décourageantes et irritantes ou de ceux qui ont consacré chaque jour, chaque heure de leur administration à chercher à décréter des mesures bienfaisantes pour les Flandres. (Vive approbation.)
M. Sinave. - Je demande la parole.
M. le président. - Rien n'est plus en discussion, la proposition n'est pas appuyée. Je ne pense pas qu'il soit dans l'intention de la chambre d'entamer une discussion sur cet incident. (Non! non !)
M. Sinave. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le ministre de l'intérieur vient de m'accuser de jeter le trouble dans le pays. Je rétorque l'argument contre lui. Je suis de ceux qui font tous leurs efforts pour maintenir la tranquillité dans les Flandres. Nous avons maintenu la population malgré la mortalité énorme qui les décimait.
M. le président. - Nous passons à l'article 5 de la section centrale
« La loi du 21 juillet 1844 sur les pensions des ministres est abrogée.»
Deux amendements à cet article sont présentés, l'un de MM. Moxhon et Lelièvre, l'autre de M. Jouret.
L'amendement de MM. Lelièvre et Moxhon est ainsi conçu :
« Les pensions liquidées en vertu de la loi du 21 juillet 1844 au profit des chefs de département, qui n'auraient pas atteint le terme des fonctions ministérielles exigé par l'article 18 de cette loi, au moment où le cabinet dont ils faisaient partie s'est trouvé notoirement en dissolution, ou qui, avant le terme, auraient présenté leur démission, quoique celle-ci n'eût été acceptée que postérieurement, viennent à cesser. »
M. Moxhon. - Messieurs, personne ne peut nier sérieusement que la loi sur la pension des ministres n'ait rencontré dans le pays une vive réprobation. Je me suis d'abord demandé si, relativement aux ministres, il était juste ou injuste de leur accorder une pension; et j'ai été amené à reconnaître qu'on ne pouvait pas adopter une règle uniforme, les fonctions de ministre étant des fonctions éminentes où l'on peut rendre d'immenses services au pays et où d'autres peuvent mériter rien moins qu'une récompense.
J'aurais donc voulu que la pension d'un ministre fût toujours accordée en vertu d'une loi spéciale, et que la législature pût seule prendre l'initiative de la proposition ; à mes yeux, la pension des ministres doit avoir le caractère d'une récompense nationale.
En proposant un amendement qui aurait pour résultat le retrait de la loi de 1844, je craignais de commettre une injustice envers certains hommes qui ont rendu au pays des services signalés; cette seule considération m'a arrêté.
Par l'amendement que mon honorable ami M. Lelièvre et moi vous proposons, j'ai voulu non pas l'abrogation d'un fait sanctionné par une loi dont l'équité avait été admise, au moment où cette loi fut votée, mais j'ai cherché ensuite à me rendre compte de la véritable cause de cette réprobation unanime qu'avait excitée la loi de 1844, et je crois être resté dans le vrai en vous disant que c'est moins la loi en elle-même qui a produit ce fâcheux résultat, que l'abus qu'on en a fait dans la suite.
J'ai donc pensé, messieurs, qu'il fallait remonter à la source du mal, frapper l'abus. Telle est la pensée qui a mu M. Lelièvre et moi dans la proposition que nous avons l'honneur de vous faire.
M. Lelièvre. - Messieurs, la question qui nous a tous le plus vivement occupés dans l'examen du projet qui vous est soumis, est celle de savoir si en abrogeant la loi du 21 juillet 1844, concernant la pension des ministres, nous étendrons les effets de l'abrogation aux pensions liquidées jusqu'à ce jour.
Je ne me dissimule pas les motifs qui pourraient justifier, en droit, cette disposition. Mais, messieurs, je me demande si, en faisant cesser une loi contre laquelle le pays s'est élevé si énergiquement, nous devons outrer les conséquences de la mesure.
Je ne pense pas qu'il doive en être ainsi, et voici les raisons qui fondent mon opinion.
Il est notoire que la loi du 21 juillet 1844 a reçu même l'assentiment de l'opinion libérale, parce qu'elle avait pour but de maintenir la position indépendante de ceux qui en défendaient les principes contre l'oppression du pouvoir. C'était une loi de protection en faveur des champions du libéralisme. Je ne crains pas de rappeler cette circonstance si honorable pour ceux qui ont été l'objet de la mesure.
Ce fut pour ce motif que la loi fut appuyée par l'honorable M. Dumortier, toujours grand et généreux dans quelques rangs qu'on le rencontre.
Ce que nous avons fait alors dans l'intérêt de notre opinion identifié avec celui du pays, il serait injuste de le détruire aujourd'hui. Or si nous maintenons cet état de choses à l'égard de nos amis, nous devons suivre la même ligne de conduite vis-à-vis de nos adversaires politiques, nous devons nous montrer justes envers eux. Nous devons laisser debout une situation que nous avons nous-mêmes créée. Une disposition contraire serait une mesure réactionnaire, et je repousse les moyens extrêmes de toute l'énergie de mon âme. Les opinions politiques ne maintiennent leur triomphe que par la justice et la raison. C'est lorsqu'on a le pouvoir, lorsqu'on a pour soi une majorité imposante, qu'il faut se montrer noble et grand.
Il me paraît donc peu digne de nous de recourir à des mesures qui ne sont pas à la hauteur de la cause que nous défendons, celle de la liberté inséparable de la justice. C'est pour cette raison que je ne saurais revenir vis-à-vis de qui que ce fût sur des faits légalement accomplis.
Toutefois, il en est autrement des hypothèses auxquelles s'applique mon amendement. Celui-ci atteint des faits d'abus commis sous la loi antérieure, des faits qui étaient contraires à l'esprit de cette disposition législative, qui étaient une infraction réelle à ses prescriptions.
Lorsqu'on a accordé une pension à tout chef de département qui (page 483) compterait deux années de fonctions ministérielles, les pouvoirs de l'Etat n'ont pas eu en vue un règne ministériel prolongé pour s'attribuer le bénéfice légal, ce serait faire injure à leur sagesse que d'admettre pareille supposition. On commet une fraude, une contravention à la loi, lorsqu'on s'empare de sa lettre pour fausser son esprit, lorsqu'on recourt à des expédients quelconques pour produire un résultat contraire à la volonté du législateur.
Evidemment ce n'est pas la présence nominale au pouvoir qui peut donner lieu au droit consacré par la loi de 1844.
Peut-on penser que le législateur de 1844 ait voulu légitimer les actes qui tendraient à méconnaître complètement ses intentions et à rendre son œuvre odieuse, les faits qui auraient pour résultat de tuer la loi même dans l'opinion publique- ? On ne le prétendra pas sérieusement.
Il me semble évident que le ministre qui se trouve dans le cas prévu par ma proposition, ne peut avec justice invoquer la volonté du législateur qui repousse nécessairement l'emploi de tout moyen éludant le but qu'il s'est proposé.
Un cabinet en dissolution, alors que tous ses membres ont donné collectivement leur démission, n'existe plus dans le sens de l'article premier de la loi de 1844; sans cela il dépendrait des ministres dont l'heure de retraite est venue à sonner, de s'attribuer par un fait personnel des avantages que la loi n'a voulu concéder que dans l'hypothèse d'une situation normale et régulière.
Mais, messieurs, prolonger l'existence d'un cabinet en dissolution par des motifs et dans un but de cette nature, est un acte illégal et inconstitutionnel.
Or, on ne peut rencontrer le principe d'une acquisition légitime dans un fait qui constitue un véritable délit au point de vue des obligations ministérielles.
Un pareil acte engage la responsabilité d'un ministre. Or, je ne conçois pas qu'un fait constituant un cas de responsabilité puisse établir un droit.
En posant un fait contraire aux obligations dont il était tenu constitutionnellement, le ministre a fait un acte dont il doit réparation; or cette réparation ne peut consister que dans la cessation de l'avantage qu'il a recueilli au préjudice du trésor.
Ma proposition me semble également incontestable dans l'hypothèse où la démission a été donnée avant le terme de deux années, nonobstant son acceptation subséquente.
Pense-t-on que le législateur ait encore considéré comme remplissant des fonctions ministérielles dans le sens de la rémunération qu'il établit, un ministre démissionnaire qui, comme l'on sait, se borne en ce cas à agir comme administrateur et ne pose plus des actes politiques de quelque valeur. Pour moi, je ne puis le croire. Le ministre qui, à raison de la dissolution certaine du cabinet, a donné sa démission qu'il sait être irrévocable, n'est réellement plus dans la position que suppose la loi de 1844. L'acceptation postérieure n'est que déclarative du fait préexistant. Il ne peut dépendre d'ailleurs du démissionnaire, en faisant différer l'acceptation royale de s'attribuer un bénéfice qui est accordé non pas au titre nominal de ministre mais à la qualité effective, réelle, sincère et sans fraude de chef de département.
Or je le demande à tout homme impartial, le ministre qui a donné sa démission dans les circonstances signalées, est-il encore ministre à ses yeux? Est-il encore considéré comme tel dans le sens constitutionnel et même dans l'opinion commune? La négative est tellement certaine, que le cabinet actuel a rapporté les actes de quelque importance posés par le ministère précédent dans la période dont je parle.
Le principe qui justifie mon système est d'autant plus incontestable qu'il est question d'un avantage tout exceptionnel, dont on ne peut étendre les limites au-delà de la pensée qui a présidé aux vues du législateur.
Mon amendement a donc pour conséquence de faire cesser un état de choses doublement opposé à la loi même de 1844; il tend à restituer à la législation antérieure son esprit véritable, sa sincérité, sa moralité. Il n'a pas pour résultat d'enlever un droit acquis, parce que, selon moi, la pension n'est pas due dans l'hypothèse dont nous nous occupons.
Si je pensais qu'il pût en être autrement, je serais le premier à vous engager à repousser notre proposition.
Mais si vous estimez avec nous qu'elle renferme la saine interprétation de la loi de 1844, si vous êtes d'avis qu'en abrogeant cette disposition législative il faut atteindre l'abus qui l'a tuée, vous adopterez l'amendement qui, dans mon opinion, a pour conséquence d'attribuer au trésor ce qui lui appartient.
M. le président. - Voici maintenant l'amendement de M. Jouret :
« La loi du 21 juillet 1844 sur les pensions des ministres est abrogée. Les ministres passés, présents et futurs n'auront plus droit à la pension du chef de cette loi. »
M. Jouret. - Messieurs, le moment est enfin venu de donner satisfaction aux justes réclamations de l'opinion publique en rapportant la malheureuse loi du 21 juillet 1844, sur les pensions des ministres.
Nous savons tous que parmi les réformes financières que le pays attend avec impatience, il n'en sollicite aucune plus vivement que l'abrogation de cette mesure désastreuse.
Quant à moi, je ne tromperai pas ses légitimes espérances. Je voterai le retrait de la loi avec la ferme conviction de faire un acte de bonne administration et de justice, et de remplir ainsi mon devoir envers mes commettants comme envers ma conscience.
La loi sur la pension des ministres est une mauvaise loi, parce qu'elle surcharge, sans la moindre nécessité, le trésor public, c'est-à-dire les contribuables.
Je dis qu'elle les grève sans une ombre de nécessité : en effet, on ne peut supposer à cette loi exceptionnelle qu'un seul motif raisonnable; on a voulu sans doute, en assurant l'avenir des hommes qui sortiront du ministère, avoir la certitude qu'il y aura toujours des hommes disposés à y entrer.
Cette considération politique ne me touche nullement ; elle ne justifie pas, à mes yeux, la disposition exorbitante qui place les ministres hors du droit commun des fonctionnaires publics. J'ai meilleure opinion de nos hommes d'Etat passés, présents et futurs. Je suis persuadé que cette spéculation n'est jamais entrée et n'entrera jamais dans leur dévouement; et, si le contraire était possible, ceux qui auraient pu obéir à ce calcul d'intérêt seraient assurément peu dignes de la sollicitude de la loi.
Mais laissons de côté tout ce qui pourrait nous rapprocher des questions de personnes, et ne traitons que la question de principe.
Cette loi est-elle nécessaire pour avoir des ministres ?
Les faits sont là pour répondre. Les ministres n'ont jamais manqué nulle part, même sans l'attrait d'une pension quelconque. Il y en a eu toujours et partout, chez tous les peuples, même chez les Turcs, dans ces temps où l'on avait, au lieu de pension la perspective du lacet ou du poison au sortir des affaires. Il y a eu des ministres en Belgique quand la loi n'existait pas, et, comme les hommes seront toujours les mêmes, il y aura des ministres quand la loi n'existera plus.
Il s'en présentera, gardez-vous d'en douter !
Laissant même à part le relief de cette haute position, les avantages matériels et les honneurs qui y sont attachés, le patriotisme est assez commun chez les Belges pour que le désir seul d'être utile à la patrie amène au gouvernement des hommes de cœur et de talent.
D'ailleurs, je suis d'avis qu'il faut être reconnaissant envers les ministres comme envers tous les fonctionnaires qui ont bien mérité du pays. Je pense qu'il faut même être pour les ministres moins exigeant sur les conditions de la pension. Aussi je suis tout disposé à appuyer une proposition analogue à celle que la section centrale avait formulée en 1844, lorsqu'elle repoussa deux fois le fatal projet qui a passé en loi.
Mais gratifier d'une pension de 6,000 francs tout ministre quelconque, l'en gratifier de plein droit et sans autre condition que d'avoir occupé bien ou mal le fauteuil ministériel pendant deux années, c'est une prodigalité sans excuse. Récompenser un ministre alors même qu'il aura mal servi le pays, alors même qu'il se retire parce que les organes légaux du pays le repoussent, c'est, pour ne pas dire autre chose, une inconséquence à laquelle il m'est impossible de m'associer.
Je voterai donc, de toutes mes facultés, contre le maintien de cette disposition.
Ici, messieurs, se présente une seconde question : En abrogeant la loi pour l'avenir, faut-il aussi l'abroger à l'égard des ministres qui jouissent déjà de la pension qu'elle a inventée ? Et pourquoi pas ?
On me répond que ce serait donner à la loi un effet rétroactif.
Je ne veux pas examiner jusqu'à quel point le pouvoir législatif a le droit de disposer pour le passé, s'il n'est pas certaines circonstances où la loi peut et doit même rétroagir.
Mais je dis que, dans le cas sur lequel nous délibérons la loi n'opère pas rétroactivement quand elle supprime, pour l'avenir seulement, la pension des anciens ministres.
L'objection roule sur la confusion de deux choses bien distinctes.
Il y aurait effet rétroactif si on obligeait les ministres pensionnés à restituer les arrérages qu'ils ont reçus, parce qu'à cet égard tout est consommé ; la loi a produit ses effets et elle ne peut plus y toucher sans agir sur le passé, sans détruire des faits accomplis.
Mais quant aux effets futurs, c'est tout autre chose. Ces effets ne constituent que de simples espérances qui sont toujours dans le domaine du législateur. Cela est incontestable surtout quand il s'agit d'une loi politique.
Au surplus il est inutile, messieurs, d'insister davantage, car vous avez vous-mêmes tranché la question en rejetant l'amendement de l'honorable M. Toussaint.
Vous avez refusé aux fonctionnaires qui ont rempli les conditions de la pension sous la loi ancienne, la faculté de faire liquider leur pension conformément à cette même loi.
Par là, vous avez nécessairement décidé de deux choses l'une , ou bien que la loi nouvelle n'avait pas d'effet rétroactif, n'enlevait pas de droit acquis, ou bien que vous vouliez et que vous pouviez donner à la loi nouvelle un effet rétroactif.
Quel que soit le sens de notre décision, il est impossible de ne pas l'appliquer aux ministres comme aux autres fonctionnaires; nous ne pouvons pas, après avoir été économes, rigoureux même à l'égard des petits et des faibles, nous montrer généreux et accommodants à l'égard des autres.
Il n'y a, pour les honnêtes gens, ni deux logiques, ni deux justices.
M. Troye, rapporteur. - Je ne demande pas mieux que de parler. Mais je dois prévenir la chambre que je la tiendrai pendant près de trois quarts d'heure.
- Plusieurs membres. - Entendons un autre orateur.
(page 484) M. le président. - La parole est à M. de Theux.
M. de Theux. - Messieurs, j'aborderai directement la proposition qui vous est faite par les honorables MM. Lelièvre et Moxhon, et je ne fais aucune difficulté de reconnaître que cette proposition s'adresse à un honorable ministre qui ne fait plus partie de cette chambre, qui faisait partie du cabinet qu'a remplacé, le 12 août 1847, le cabinet actuel.
La question ainsi posée, je vous demande la permission de vous exposer en peu de mots les faits tels qu'ils se sont passés.
C'est le 8 juin qu'ont eu lieu les élections, en 1847. Dès le 12 juin, le cabinet, à l'unanimité, a résolu d'offrir à Sa Majesté sa démission, et l'a fait le jour même, sans aucune espèce de réserve. Cette démission a été pure et simple ; et je déclare de la manière la plus formelle qu'aucune entrave n'a été apportée de la part du cabinet démissionnaire à la formation du cabinet nouveau.
Je dirai même que le ministre, que la proposition de MM. Lelièvre et Moxhon a pour objet de frapper, a insisté d'une manière spéciale pour obtenir sa démission avant la formation d'un nouveau cabinet, par conséquent avant que la démission de ses collègues ne fût acceptée.
Voilà les faits bien établis.
S'il y avait eu, de la part de cet honorable ministre, le désir de s'assurer un droit à la pension, et que ses collègues y eussent prêté les mains, rien n'était plus facile que d'atteindre le but : il n'y avait qu'à ne pas donner sa démission immédiate.
Lorsque des élections ont lieu dans un sens qui doit amener un changement de cabinet, on prend ordinairement une de ces deux déterminations : ou l'on se retire immédiatement après les élections pour laisser se former la nouvelle administration, ou l'on porte la question devant les chambres nouvellement élues. Après un vote parlementaire, on prend une détermination constitutionnelle.
C'est ainsi que cela se passe dans le gouvernement représentatif. Il me serait facile d'en citer de nombreux exemples. Ce n'est pas ce dernier parti que nous avons pris. Nous avons cru, dans l'intérêt du pays, devoir offrir immédiatement notre démission au Roi.
Les faits ainsi posés, l'amendement des honorables membres n'a plus de portée quant au blâme. Reste donc la question de droit. La loi du 21 juillet 1844 a-t-elle entendu que la démission offerte fît cesser immédiatement les conditions, et conséquemment le droit à la pension ? Je n'hésite pas à dire que non. Le fait de la démission donnée ne constitue pas une démission. La démission n'existe que par l'arrêté royal qui l'accepte. Il est impossible qu'il en soit autrement; car, dans l'intervalle de la démission et de la formation d'un nouveau cabinet, une administration est encore nécessaire.
La responsabilité ministérielle existe dans son entier, de telle manière que si, par négligence ou par cessation totale d'administration, le cabinet démissionnaire causait un préjudice au pays, il serait évidemment responsable de sa négligence et de l'abandon de la direction des affaires, alors qu'il n'avait pas été pourvu à son remplacement.
Le ministre démissionnaire peut être amené à poser des actes engageant sa responsabilité pécuniaire d'une manière très directe. Pour le cas dont il s'agit, j'en appelle seulement aux souvenirs de l'honorable M. Rolin, à cette époque membre de la régence de Gand, et chargé par elle de conclure un arrangement avec le cabinet.
La négociation était commencée avant les élections. Il s'agissait d'une convention relative à l'industrie cotonnière, et qui avait pour objet de continuer le travail dans plusieurs fabriques en état de souffrance; le travail ne pouvait continuer que par l'intervention pécuniaire du gouvernement et de la régence de Gand.
L'arrangement s'est conclu après la démission du cabinet, il engageait la responsabilité des ministres signataires (les ministres des finances et de l'intérieur) attendu qu'il était en dehors des fonds disponibles au budget.
El si la chambre n'avait pas reconnu la nécessité des arrangements, la responsabilité pécuniaire des ministres signataires était engagée. Cela fait voir que le fait de la démission donnée ne constitue pas une cessation de fonctions et que les fonctions durent jusqu'à la constitution d'un nouveau cabinet.
Maintenant je conclus et je rappelle à la chambre que la pension du ministre dont il s'agit a été accordée par arrêté royal, contresigné par son successeur, liquidée par la cour des comptes qui en a reconnu la légalité, de même que les chambres nouvelles devant l'élection desquelles le cabinet s'était retiré, puisque sur la liste des pensions inscrites au budget figure nominativement celle dont il s'agit, et que la chambre n’a pas hésité à allouer les fonds nécessaires pour la payer.
En présence de ces précédents, lorsque la chambre nouvellement élue n'a pas élevé un doute sur la légalité de la pension, je pense qu'il ne peut être question de soumettre des doutes à la législature élue à la suite d'une dissolution.
Il me suffit de ce peu de mots pour répondre à MM. Lelièvre et Moxhon.
S'il m'était permis, j'ajouterais quelques mots relativement à l'article principal en discussion, au retrait de la loi de 1844 pour l'avenir. (Parlez ! parlez !)
Je n'hésite pas à déclarer à la chambre que j'ai toujours pensé qu'il était convenable à l'intérêt du pays que des dispositions exceptionnelles existassent pour les pensions des ministres, et je n'hésite pas à déclarer que si la chambre adopte le retrait pur et simple de cette loi, il ne se passera pas de longues années avant qu'une législation nouvelle ne soit établie sur la matière. L'expérience en fera de nouveau sentir la nécessité.
Je conviens, messieurs, que lorsque des dissentiments politiques profonds existent dans un pays, la loi actuelle peut avoir des conséquences onéreuses pour le trésor, parce que la plupart des anciens ministres n'occupent plus des positions politiques en présence d'un nouveau cabinet. Mais cette situation de dissentiments politiques profonds n'est pas la situation normale d'un pays.
Ordinairement il arrive, et il est de l'intérêt réel du pays qu'il en soit ainsi, il arrive que les anciens ministres qui ont fait preuve de talent dans leur carrière, qui n'ont d'abord été appelés au poste ministériel que parce qu'antérieurement ils avaient fait preuve de talents, soit dans le parlement, soit dans l'administration, occupent encore des fonctions élevées, soit dans la carrière diplomatique, soit dans l'administration intérieure du pays, et quand ces hommes peuvent de nouveau occuper des fonctions publiques, les charges résultant de la loi sur la pension des ministres se réduisent à peu de chose. Si les charges sont considérables, ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles.
N'importe-t-il pas au pays, par exemple, qu'un homme qui a acquis une grande expérience parlementaire, qui a acquis une grande expérience gouvernementale, puisse continuer à siéger dans le parlement, soit pour éclairer les discussions, soit au besoin pour occuper de nouveau les fonctions ministérielles? Evidemment, messieurs, il en est ainsi dans tous les pays constitutionnels. Eh bien, ne convient-il pas de donner, en quelque sorte, un traitement d'attente à des hommes politiques qui veulent se consacrer à cette carrière ?
D'autre part, est-il juste qu'un ministre nommé dans les rangs des fonctionnaires, qui est déjà parvenu à une position assez élevée pour pouvoir être appelé convenablement aux fonctions ministérielles, soit, à cause de son dévouement à accepter la plus haute position, malgré les services qu'il peut avoir rendus dans cette position, privé de toute existence? Je ne le pense pas, messieurs. Je crois que, dans cette circonstance, un traitement d'attente n'est encore qu'un acte de justice.
S'il s'agit d'un homme tiré de la carrière des finances, de la carrière de l'industrie ou du commerce, de la carrière du barreau, les mêmes motifs n'existent-ils pas encore ?
On a dit : Mais rien n'est plus facile que de trouver des ministres; un traitement de 21,000 francs est attaché à ces fonctions. Oh ! assurément messieurs, s'il ne s'agissait que de signer l'émargement du traitement, rien ne serait plus facile que de trouver des ministres. Mais on ne s'expose pas à venir s'asseoir au banc des ministres pour essuyer un échec éclatant, on ne s'expose pas à encourir une grave responsabilité par l'insuffisance de son administration ; ainsi les hommes véritablement incapables, les hommes simplement avides sont, par la force des choses, écartés de ces fonctions.
On dit que dans les autres pays on a toujours trouvé des ministres. Mais dans d'autres pays, les hauts fonctionnaires de l'Etat, non seulement les ministres, mais les officiers de l'armée, tous ceux qui ont été à même de servir l'Etat d'une manière distinguée dans les plus hautes fonctions, ont toujours reçu des récompenses bien autrement importantes que celles qui sont consacrées par la loi sur la pension des ministres, et je ne pense pas que, excepté dans un pays encore à moitié barbare, où l'on était quelquefois puni à raison même des services qu'on avait rendus, il en ait été autrement.
Ma conclusion est donc que si la loi sur la, pension des ministres a besoin d'une révision, ce que je crois, il conviendrait que la chambre s'y livrât. Pour moi, je ne suis pas partisan de l'abrogation pure et simple. Je n'ai pas hésité à déclarer cette opinion dans une circonstance très solennelle. Je l'ai professée alors ouvertement, je la professe encore de même aujourd'hui avec la plus entière indépendance, en faisant complètement abstraction de tout le passé.
Celui qui a l'honneur de vous parler peut le faire ainsi, parce que, de même qu'un membre du cabinet actuel, il a occupé des fonctions ministérielles dans des circonstances où aucune espèce de récompense n'était attachée à ces fonctions. Malgré cette raison, il ne croit pas avoir montré moins de dévouement que ceux qui les ont occupées depuis.
M. le président. - La commission chargée d'examiner le projet de code disciplinaire et pénal de la marine marchande est composée de MM. Dechamps, Lebeau, Lange, Thibaut, Van Iseghem, Veydt et de M. le premier vice-président Delfosse.
La commission chargée d'examiner le projet de loi apportant des modifications au régime hypothécaire est composée de MM. d'Elhoungne, Deliége, Dolez, de Theux, Lelièvre, Osy et du président de la chambre.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.