(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Verhaegen.)
M. Dubus procède à l'appel nominal à 2 heures.
- La séance est ouverte.
M. Troye lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Dubus présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Allognier soumet à la chambre le projet d'établissement d'une imprimerie gouvernementale. »
-Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants de Woumen demandent que la ville de Dixmude soit le chef-lieu des arrondissements réunis de Dixmude et de Furnes. »
« Même demande de plusieurs habitants de Beerst. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
« Les membres du conseil communal de Philippeville présentent des observations contre le projet de supprimer l'inspection des contributions, douanes et accises, établie dans cette ville. »
M. de Baillet-Latour. - Je demande que cette pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion du budget des finances.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs bouchers et tanneurs à Gand, réclamant des mesures de protection en faveur de la tannerie, prient la chambre de modifier l'impôt sur le sel ou d'augmenter les droits d'entrée sur les cuirs. »
M. Delehaye. - Messieurs, la chambre a plusieurs fois déjà eu l'occasion de signaler à l'attention de la chambre le fait singulier que lorsque le bétail se vendait à vil prix, la viande était ordinairement à un prix très exagéré.
Aujourd'hui la plupart de ceux qui font le commerce de la viande et les bouchers de Gand, tiennent eux-mêmes confirmer le fait. Ils reconnaissent que le prix de la viande est hors de proportion avec celui du bétail, et ils signalent les motifs réels de cette disproportion. Ils font connaître à la chambre qu'il est impossible que cette anomalie cesse, aussi longtemps que des mesures ne seront pas prises dans l'intérêt de l'agriculture et des consommateurs.
Au moment d'aborder la discussion du budget de l'intérieur, il convient que la chambre ait ses apaisements sur une question aussi importante. C'est donc au nom de l'agriculture et des intérêts si importants des consommateurs en général, que je viens demander le renvoi de la pétition à la commission des pétitions ou à toute autre, avec prière de faire un prompt rapport. Cette demande doit être conçue en ces termes : que le rapport soit fait avant la discussion du budget de l'intérieur.
Je demanderai également que le rapport soit fait un jour où la chambre a l'habitude de s'occuper de pétitions, c'est-à-dire un vendredi. Je fais cette proposition afin que chacun, étant prévenu, puisse se trouver à la discussion.
M. Rodenbach. - Je crois devoir appuyer la demande de l'honorable député de Gand. Il n'est malheureusement que trop vrai que le bétail est excessivement bon marché et que la viande est chère. Il y a des mesures à prendre à cet égard par le gouvernement. Souvent on s'est plaint que la vie animale était chère. Eh bien ! je crois que le moment est venu, aussi bien pour l'agriculture que pour le consommateur, que des dispositions soient prises pour que la viande soit à bon marché et que le bétail ne se vende pas à vil prix. Je sais que déjà on a modifié l'état des choses, dans plusieurs villes où le monopole existait. Mais il y a encore beaucoup à faire.
J'appelle l'attention du gouvernement sur ce point. On ne peut souffrir plus longtemps qu'une industrie exploite le consommateur et l'agriculture.
M. T'Kint de Naeyer. - J'ai l'honneur de proposer à la chambre de renvoyer cette pétition à la commission d'industrie et d'agriculture avec demande d'un prompt rapport. Je crois que la question rentre tout à fait dans ses attributions.
M. Delehaye. - Je me rallie à cette proposition, mais toujours avec la prière que le rapport soit fait un jour désigné pour les rapports de pétitions.
C'est une des questions les plus importantes sur lesquelles la chambre: peut avoir à discuter; elle se rattache à une des industries les plus importantes du pays. Je désire donc que la discussion ait lieu un jour où la commission des pétitions nous fait ordinairement ses rapports, afin que le plus grand nombre de représentants puisse assister aux débats.
M. Rodenbach. - Je me rallie aussi à la proposition de l'honorable M. T'Kint de Naeyer.
M. de Theux. - Ce que l'honorable M. Delehaye désire, c'est que la discussion ait lieu un jour où l'on s'occupe ordinairement de pétitions. Mais, quant au dépôt du rapport, il importe qu'il précède la discussion, afin que chacun puisse en prendre connaissance.
Je demanderai donc qu'il y ait un temps moral entre le dépôt du rapport et la discussion, et si la commission le juge utile, que la pétition soit imprimée pour renseignement.
M. le président. - La proposition est conçue en ces termes:
« Renvoi à la commission permanente d'industrie, avec demande d'un prompt rapport. »
Lorsque le rapport sera déposé, la chambre statuera sur le jour de la discussion.
- La proposition de M. T'Kint de Naeyer est adoptée.
« Les ouvriers qui ont été occupés aux travaux du chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse demandent que le gouvernement prenne des mesures pour que la compagnie concessionnaire de ce chemin de fer remplisse ses obligations et qu'il l'assiste au besoin. »
M. de Baillet-Latour. - Cette pétition, adressée à la chambre par les ouvriers de l'arrondissement de Philippeville, contient la copie d'une pétition adressée à M. le ministre des travaux publics par les bourgmestres de 40 communes de cet arrondissement ; l'objet en est trop important pour que la chambre ne comprenne pas la nécessité d'y apporter une sérieuse attention. La position des ouvriers de cette partie du pays est devenue très précaire par suite de la cessation des travaux. Un grand nombre de hauts fourneaux sont éteints, les mines chôment, il serait déplorable que la compagnie du chemin de fer d’Entre-Sambre-et Meuse pût se dispenser de continuer les travaux. La chambre doit veiller à ce que l'on exécute les conditions qu'elle a imposées en accordant la concession du chemin de fer; elle doit y veiller surtout lorsqu'il s'agit des intérêts les plus chauds de cette classe ouvrière, pour laquelle elle montre une si vive sollicitude.
- Cette proposition est adoptée.
« Les huissiers près le tribunal de première instance à Louvain demandent l'abrogation de la loi du 28 floréal an X et des dispositions du Code de procédure civile qui établissent des exceptions relatives à l'instrumentation des huissiers, et présentent des observations sur le projet de loi concernant la compétence des juges de paix et la révision des tarifs. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
M. de Luesemans. - Messieurs, je viens de parcourir rapidement cette pétition, et il me semble qu'elle se rattache intimement aux projets de lois destinés à apporter des modifications à la compétence des juges de paix et aux tarifs en matière criminelle et en matière civile.
Je demanderai le renvoi aux sections centrales chargées d'examiner ces projets.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Lignian réclame l'intervention de la chambre pour obtenir l'autorisation de conserver son grade honoraire de sous-lieutenant de la garde civique et pour se trouver ainsi exempté du service auquel les gardes sont astreints. »
- Renvoi à commission des pétitions.
M. Troye, rapporteur. - Messieurs, je viens, au nom de la section centrale, vous rendre un compte sommaire de l'examen auquel elle s'est livrée des deux amendements présentés, à la fin de la séance d'hier, par l'honorable M. Toussaint et par M. le ministre des finances. Le premier de ces amendements est ainsi conçu : « Néanmoins le taux des 1/60 et des 1/50, dont il s'agit au paragraphe 3, est maintenu pour les années de service écoulées avant la promulgation de la présente loi.
« Le maximum de 6,000 francs, des 3/4 et de 4,000 fr., dont il s'agit au paragraphe 4, est maintenu pour les fonctionnaires qui, par les années de services antérieures à la présente loi, auront acquis droit à ce maximum. »
La première partie de cet amendement a pour objet de maintenir aux fonctionnaires actuellement en fonctions la faculté de faire admettre dans la liquidation éventuelle de leurs pensions leurs services antérieurs à la promulgation de la loi nouvelle, d'après les bases mentionnées aux articles 8, 9 et 17 de la loi générale.
La seconde partie de cet amendement tend également à permettre aux mêmes fonctionnaires d'atteindre le maximum fixé par les articles 13, 18 et 21 de la même loi; si toutefois, avant la promulgation de la loi que nous discutons, ils se trouvent, par la durée de leurs services, dans les conditions voulues pour obtenir ce maximum.
La chambre comprendra en premier lieu que la section centrale n'a pu se montrer favorable à une proposition dont le premier des (page 460) inconvénients serait de retarder les résultats financiers avantageux pour le trésor qui doivent résulter de l'application immédiate de la loi nouvelle à tous les fonctionnaires.
Dans les développements qu'il a fait valoir à l'appui de sa proposition, l'honorable député de Thielt m'a semblé être guidé par cette pensée que la chambre actuelle ne pouvait pas se montrer moins bienveillante envers les fonctionnaires qui sont aujourd'hui au service du pays que la législature de 1844 ne l'a été envers les anciens fonctionnaires de l'administration des finances auxquels elle a accordé la faculté de faire liquider éventuellement leur pension d'après les bases de l'arrêté royal du 29 mai 1822, sans toutefois étendre cette faveur aux services postérieurs à la loi nouvelle.
Mais il y a une raison de différence très marquée.
Si la législature de 1844 a établi une exception favorable aux fonctionnaires et employés ressortissant au ministère des finances ou à l'administration des postes, c'est que ces fonctionnaires et employés avaient contribué par des retenues élevées à alimenter la caisse de retraite instituée par l'arrêté du 29 mai 1822. La création de cette caisse avait eu pour but en grande partie d'améliorer leur position lorsqu'ils seraient admis à la pension. En outre, une pension était promise à leur veuve. On comprend dès lors qu'en supprimant cette caisse il y avait des motifs sérieux de ne pas priver les fonctionnaires des avantages particuliers qu'ils comptaient obtenir au moyen du prélèvement d’une retenue assez élevée. Je dis avantages particuliers, messieurs, parce que les dispositions de l'arrêté-loi du 14 septembre 1814 étaient certainement applicables à cette catégories de fonctionnaires comme à tous les autres fonctionnaires de l'Etat, et que c'était en partie pour accroître le chiffre de leurs pensions que cette caisse avait été fondée, et qu'elle était alimentée par des retenues ; de là, la disposition transitoire contenue dans l'article 59 de la loi générale à laquelle le projet nouveau ne déroge qu'en ce qui concerne le maximum ; car les bases de la liquidation des pensions des fonctionnaires et employés qui ont contribué à la caisse de retraite créée en 1822, c'est-à-dire 1/60, 1/50, restent, aux termes de la loi en discussion, applicables aux services qu'ils ont rendus sous l'empire de cet arrêté.
Quant au principe de la non-rétroactivité des lois, que la section centrale veut conserver intact, il est évident qu'il ne lui est pas porté la moindre atteinte par le paragraphe 3 du projet du gouvernement.
La loi générale sur les pensions civiles et ecclésiastiques ne crée pas un droit absolu en faveur du fonctionnaire; elle se borne à lui donner l'espoir fondé qu'après avoir servi l'État pendant un laps de temps déterminé, ses services seront rémunérés par la concession éventuelle d'une pension.
Le fonctionnaire n'a qu'une simple expectative, son droit s'ouvre seulement lorsque toutes les conditions exigées par la loi pour obtenir la pension sont remplies ; en un mot lorsque l'arrêté d'admission à la retraite a paru.
Il est à remarquer en outre que la proposition de l'honorable député de Thielt se combine jusqu'à un certain point avec un système de retenues, dont il veut porter le chiffre à 2 1/2 p. c; que s'il accorde pour les services antérieurs à la promulgation de la présente loi des bases plus favorables à la liquidation d'une partie de leur pension éventuelle des fonctionnaires actuellement en fonctions, d'un autre côté il les assujettit à une retenue plus élevée que ne l'a proposé le gouvernement et même la section centrale. Et comme cette retenue est générale il s'ensuit que si une partie des fonctionnaires ressortissant aux départements des finances sont favorisés, c'est au détriment de la généralité.
Déterminée par les considérations qui précèdent, la section centrale rejette à l'unanimité l'amendement de l'honorable M. Toussaint.,
L'amendement de M. le ministre des finances a reçu un accueil favorable.
La section a trouvé qu'il rentrait tout à fait dans le but qu'elle s'était proposée en modifiant l'article primitif du gouvernement, et qu'il avait en outre l'avantage d'offrir de plus grandes facilités d'applications.
Elle a pensé, toutefois, que le renouvellement triennal du tiers de la commission n'offrait pas assez de garanties contre les inconvénients qui l'avaient engagée à repousser la création d'une commission permanente.
Chacun des membres de la commission resterait, en effet, en exercice pendant neuf années; ce laps de temps lui a paru beaucoup trop long et de nature à ramener peut-être quelques-uns des abus que le projet de loi a pour but de détruire.
Elle est donc d'avis de substituer le renouvellement annuel au renouvellement triennal, proposé dans l'amendement de M. le ministre des finances. Elle pense, d'ailleurs, avec le gouvernement que le renouvellement doit avoir lieu par tiers. Elle pense, en outre, qu'il convient d'ajouter au second alinéa du deuxième paragraphe de l'article 3 que les fonctions des membres de la commission seront gratuites; elle demande enfin que la désignation des deux médecins par la députation permanente ait lieu dans la séance qui précédera immédiatement celle dans laquelle la commission devra statuer sur la demande de pension.
Avec ces légères modifications, la section centrale, à l'unanimité, a l'honneur de vous proposer l'adoption de l'amendement déposé hier par M. te ministre des finances.
La discussion continue sur l'article premier.
M. de Pouhon. - Messieurs, le courant de l'opinion amène des idées que le public saisit comme un remède à des souffrances dont il n'apprécie pas sainement les causes. Il semblerait que ces idées ne dussent se refléter sur la représentation nationale qu'affaiblies par un examen sérieux. C'est le contraire qui arrive. Elus parce qu'on nous supposait partager le sentiment dominant et parce que l'on nous a jugés propres à le défendre, nous ayons apporté dans cette enceinte une conviction qui nous fait dépasser les vœux du pays.
Les économies sont à l'ordre du jour; nous en avons promis, et l'ardeur que nous mettons à remplir nos engagements, nous porte, sans que nous nous en apercevions, à adopter et à proposer des économies qui, en affaiblissant des sources de revenus, se résumeront en déficit ; des économies qui désorganisent les services publics, qui froissent l'équité et sèment la désaffection dans des classes nombreuses de citoyens; en vue des économies, nous faisons des lois qui ne résisteront pas à l'application, qui rapetissent l'Etat et lui ôteront tout prestige. Si la session se poursuit comme elle a commencé, nous ferons apparaître l'Etat comme l'être le plus égoïste, le plus injuste et le plus ingrat.
Le projet de loi que nous discutons à présent est une loi révolutionnaire qu'un gouvernement ne concède que lorsqu'elle est exigée du haut des barricades victorieuses ; la force majeure seule autoriserait l'adoption de mesures qui dénotent le plus souverain mépris des droits acquis.
Quel jugement porteriez-vous, messieurs, de la moralité d'un fabricant qui, après avoir inscrit au frontispice de ses ateliers la promesse d'une pension à ses ouvriers et employés supérieurs, changerait de sa seule autorité, nombre d'années après, les bases et le maximum des pensions à leur préjudice. Vous y verriez, à coup sûr, un acte de déloyauté.
Dans l'arrondissement qui m'a fait l'honneur de me confier mon mandat, il est des maisons qui accordent des retraites à leurs employés et qui jamais n'y apporteront la moindre atténuation, quoique ces pensions ne doivent leur origine qu'à un sentiment de bienfaisance et qu'elle ne soient consacrées que par l'usage.
Les pensions de l'Etat sont, au contraire, le résultat d'un calcul, d'un bon calcul, tendant à avoir à meilleur marché, à s'attacher et à conserver des fonctionnaires dont les services deviennent d'autant plus utiles qu'ils acquièrent plus d'expérience et plus de maturité ; elles reposent sur la loi écrite qui sert de contrat entre parties.
Si, avec un titre égal en mains, l'employé d'une maison de commerce attrayait son chef devant les tribunaux, vous ne doutez pas que celui-ci serait condamné à remplir son engagement et à subir la honte de sa déloyauté.
Les principes d'équité et de justice ne se modifient pas suivant qu'ils sont à l'usage de l'Etat ou des particuliers ; ils sont immuables et d'autant plus rigoureusement imposés au pouvoir, envers ceux qui n'ont qu'à s'incliner devant ses décisions.
Le projet de loi ne fait aucune distinction entre les fonctionnaires ; il en est cependant qui ont acquis des droits à titre onéreux par des retenues annuelles sur leurs traitements. L'honorable M. Mercier vous les recommandait hier.
Il est dans l'administration tels fonctionnaires qui ont subi des retenues depuis un demi-siècle, en vertu des lois des divers gouvernements qui se sont succédé :
1 p. c, décret du 4 brumaire an IV.
2 p. c, décret du 12 ventôse an VIII.
2 1/2 p. c, décret du 12 floréal an XIII.
Un décret impérial du 13 septembre 1806, qui fixait le maximum des pensions à 6,000 fr., portait cet article :
« Ces dispositions ne sont pas applicables aux employés des ministères et d'administrations dont les pensions sont acquittées au moyen des retenues et conformément à des règlements particuliers arrêtés par Nous. »
Je ferai ressortir, en passant, l'exemple que Napoléon nous a laissé de son respect pour les droits acquis et pour le principe de non-rétroactivité.
Enfin, les mêmes fonctionnaires ont été astreints par l'arrêté-loi du 29 mai 1822 jusqu'en 1830, à une augmentation d'un pour cent de retenue pour tenir lieu de celle qui n'avait pas été exercée sur leurs traitements de 1814 à 1822.
Voilà donc une catégorie de fonctionnaires supérieurs, en très petit nombre, sans doute, qui, s'ils avaient versé le montant de leurs retenues à une tontine particulière, recevraient une pension beaucoup plus considérable que celle qui leur serait allouée en vertu de la loi actuelle, si même ils n'avaient subi aucune retenue. Il est impossible qu'il n'y ait pas une distinction à faire dans le règlement de leurs pensions.
Je voterai tous les changements qui sont proposés à la loi des pensions si vous admettez, messieurs, qu'ils n'auront pas d'effet rétroactif et qu'ils ne seront applicables qu'à ceux qui entreront à l'avenir dans les fonctions publiques.
Le rapport de la section centrale nous a fait connaître des propositions inouïes qui ont surgi dans les sections, à l'occasion de la loi des pensions des ministres. Je désirerais, pour l'honneur du pays et de la chambre, qu'elles ne se reproduisissent pas dans la discussion publique. Elles peuvent avoir des conséquences que la préoccupation des économies n'a pas permis à leurs auteurs d'apercevoir.
L'abrogation d'une pension liquidée inscrite au grand-livre serait la ruine du crédit public. Si, par impossible, vous l'adoptiez, messieurs, vous ôteriez toute sécurité aux détenteurs des titres de la dette nationale, car ces titres ne sont pas plus sacrés que ceux de pensions déjà inscrites. Y toucher, serait un sacrilège; les supprimer ce serait la banqueroute. Il est interdit au débiteur de remonter aux causes de la dette lorsqu'il s'est engagé sans réserve.
(page 461) Vous admettez tous, messieurs, que le crédit est une bonne chose; c'est même une grande chose pour un Etat, car le crédit de l'Etat réagit sur le crédit privé. Si l'intérêt diminue pour l'un, les capitaux se prêtent à meilleur marché et plus facilement à l'agriculture, à l'industrie, au commerce.
Mais le crédit a ses exigences qu'il faut satisfaire très soigneusement. La grande condition, après celle des garanties matérielles, c'est de ne rien faire qui puisse inspirer aucune arrière-pensée aux créanciers ; il est essentiel qu'il ne puisse douter un seul instant de la bonne foi de son débiteur, que ce doute ne pénètre jamais dans son esprit. Altérer non pas seulement des titres de dettes constituées, mais des droits acquis de fait quoique non constatés, c'est autoriser à croire que dans des circonstances difficiles, ou même sous l'empire d'un préjugé populaire, on pourrait atteindre les créanciers de l'Etat.
Deux exemples que je prendrai parmi beaucoup d'exemples récents que je pourrais citer, vous rendront ces vérités plus sensibles que par le raisonnement ;
Depuis dix mois, les capitaux ont été effrayés en Europe moins par les événements politiques en eux-mêmes que par les théories barbares des économistes sociaux. Il y avait une direction toute tracée, un refuge qui se présentait naturellement à ces capitaux. C'était un Etat transatlantique érigé sans conteste d'intérêts de mœurs, de besoins, en république puissante.
Cet Etat avait un emprunt à faire pour couvrir les dépenses d'une guerre ; il aurait dû pouvoir emprunter à l'Europe à un intérêt très modique. Secondé par l'effroi européen, il a pu emprunter à Londres, mais à l'intérêt de 6 p. c. et au-dessous du pair.
C'est que les capitalistes européens se sont rappelés que quelques Etats particuliers de cette république n'avaient pas, il y a un certain nombre d'années, été très scrupuleux dans l'observance de leurs engagement envers leurs créanciers, et que le gouvernement central n'avait pas exercé envers ces Etats les secours de la fraternité ou de la paternité.
Voici le contraste :
La Hollande ne présente pas autant de garanties matérielles que la Belgique; le budget de la dette publique de ce pays voisin est de 35 millions de florins, le nôtre ne s'élève qu'à 27 millions de francs et encore comprend-il 5 à 6 millions consacrés à l'extinction de la dette ; de plus, une grande partie de notre dette a été créée pour des dépenses reproductives.
La Hollande est riche, mais une grande partie de sa fortune n'est pas accessible à l'impôt, car elle consiste en valeurs de portefeuille. Le sol n'est pas aussi étendu que le nôtre. Nous possédons plus de capitaux engagés qui tous concourent à supporter les charges publiques.
Nous sommes donc dans une position meilleure, notre crédit repose sur des garanties matérielles plus grandes. Pourquoi est-il inférieur à celui de l'Etat voisin ?
Il y a plusieurs raisons pour cela, mais je vous en dirai une qui trouve sa place ici. C'est que la Hollande a une bonne réputation de moralité, et elle la mérite à tous égards.
Pendant les neuf années qui se sont écoulées, depuis la révolution jusqu'au traité définitif de 1839, la Hollande a été accablé de charges énormes ; sa dette s'est accrue de centaines de millions de florins, et malgré ces immenses sacrifices sous le poids desquels le pays se courbait, il n'est entré dans l'esprit ni du gouvernement, ni de la représentation nationale, ni des populations, la pensée de mesures telles que celles dont nous sommes saisis. Aussi les fonds hollandais sont-ils répandus dans toute l'Europe. Il n'y a que quelques jours, qu'un riche particulier, Belge de naissance comme de sentiment, m'alléguait la considération de la loyauté hollandaise pour motiver la préférence qu'il voulait accorder aux fonds de ce pays sur les nôtres dans un placement qu'il avait à faire. Le temps consolidera aussi pour nous cette bonne réputation, mais nous devons y vouer des soins.
Le grand-livre de la dette publique de l'Angleterre est le refuge de beaucoup de capitaux du monde entier qui s'y placent à bas intérêt, tandis qu'ils pourraient trouver chez eux un emploi plus productif. La position insulaire de ce pays est sans doute une grande cause de cette confiance, mais il en est une autre encore : c'est que l'Angleterre est aussi le pays du droit et de la légalité ; c'est que là on sent l'inappréciable avantage d'imprimer à toutes choses, à la législation surtout, le cachet de la stabilité, et la sécurité à tous les intérêts.
Nous autres qui vétillons, qui torturons tous les services publics pour en faire sortir quelques milliers de francs, nous devrions être tentés de prendre en pitié cette Grande-Bretagne où les hauts fonctionnaires ont droit à une pension de la moitié de leurs gros traitements après 20 ans, des deux tiers après 25 ans de service; où l'on sert encore des pensions considérables et séculaires aux descendants des hommes qui ont rendu de grands services à l'Etat ; cette politique peut nous paraître d'autant plus étrange si nous considérons que ces dépenses se font simultanément avec l'accroissement de la dette nationale qui a atteint le chiffre de 20 milliards.
Cependant, il faut bien le reconnaître, l'Angleterre ne s'est pas trop appauvrie en rémunérant généreusement ses hommes d'Etat et ses fonctionnaires de tous rangs, en entretenant et en attisant chez tous la flamme du génie et du patriotisme.
Il ne m'appartient pas d'adresser des conseils à personne; je sens au contraire le besoin d'en prendre de ceux d'entre vous qui peuvent, à bon droit, invoquer l'expérience acquise pendant plusieurs sessions législatives. Mais j'oserai conjurer ceux qui sont récemment arrivés comme moi dans cette enceinte, de se prémunir contre les préjugés conçus sous l'empire de circonstances extraordinaires, d'examiner avec beaucoup d'attention si le système d'économies que le gouvernement propose, si, surtout, les propositions qui surgissent de l'initiative des sections sont effectivement réclamées par les besoins et les véritables intérêts du pays, si même ils ne leur sont pas contraires.
Quant à moi, je reconnais mon inexpérience des affaires publiques, mais j'ai passé ma vie dans les affaires industrielles et commerciales, soumises aux mêmes principes et aux mêmes lois ; j'ai, dans ces carrières, contracté l'habitude de calculer à l'avance la portée des idées dont je m'occupe, de les exécuter par la pensée, d'étudier les obstacles qu'elles doivent rencontrer dans l'exécution.
Cet esprit pratique et le simple bon sens sont les seules choses que j'aie la prétention d'apporter dans l'élaboration des lois. Ce sont aussi ces facultés qui me font prévoir les conséquences les plus déplorables du système d'économie adopté par le gouvernement et que nous exagérons encore pour obéir à des sentiments inintelligents qui se sont répandus dans le pays.
Avec cette conviction, je voterai contre le projet de loi en discussion, en tant qu'il ne se bornera pas à redresser les abus qui se sont glissés dans la collation des pensions.
M. Rousselle. - Messieurs, je ne vois pas sans quelque crainte pour la bonne gestion de la chose publique le gouvernement engager la chambre dans la révision trop précipitée des lois organiques, et proposer d'y faire des modifications partielles, sans embrasser ces lois dans leur ensemble et dans leur relation les unes avec les autres. Je crains que ces sortes de modifications projetées sous la pression de circonstances, fâcheuses sans doute, mais temporaires, ne viennent troubler l'harmonie et compromettre la stabilité qu'il est si essentiel de maintenir dans toutes nos lois, dans toutes nos institutions.
Ainsi, messieurs, je pense que la législature précédente a voulu établir et qu'il convient de conserver un équilibre relatif entre la rémunération des services militaires réglée par la loi du 24 mai 1838, et celle des services civils et ecclésiastiques réglée par la loi du 21 juillet 1844. Pour ne citer qu'un exemple, il me paraît que lorsque, par cette dernière loi, le législateur a fixé à l/60ème ou à 1/50ème de la moyenne du traitement par année de service, le taux de la pension civile et ecclésiastique, il a pris en considération que, par la loi de 1838, il avait déterminé que le médium de chaque pension militaire acquise par 30 années de services, y compris les campagnes, serait accru de 1/30 pour chaque année au-delà des 30. De cette manière il avait, à mon avis, fait la part proportionnelle de la récompense d'après la nature des services.
Cependant le gouvernement ne propose pas de modifier la loi des pensions militaires. Je n'en fais pas un grief; mais partisan que je suis d'économies profondes mais intelligentes et équitables, il me semble que si d'un tel changement de base, il doit résulter des économies notables, on aurait dû, en touchant à l'une des lois sous ce rapport, toucher également à l'autre. J'avoue que je n'attends pas de là de fortes économies, et j'eusse préféré, pour mon compte, que l'on examinât si ce n'était pas dans l'exécution même de la loi, plutôt que dans la plupart des modifications proposées qu'il eût fallu chercher et les moyens de prévenir les abus dont le pays s'est ému, et le ménagement, toujours si désirable, des charges du trésor.
Un retour sur le passé servira peut-être à éclairer cette question. Je demande à la chambre la permission d'entrer dans quelques détails sur le service des pensions.
Dans l'examen qu'elle a fait des budgets, la chambre aura sans doute remarqué que, parmi les pensions qui sont à la charge de l'Etat, il en est qui décroissent chaque année, d'autres qui sont immuables, d'autres qui vont toujours croissant.
Parmi les premières je place les anciennes pensions ecclésiastiques tiercées; les pensions civiles et autres accordées avant 1830; les pensions civiques; celles des veuves et orphelins de l'ancienne caisse de retraite ; celles des militaires décorés sous l'ancien gouvernement; les secours sur le fonds de Waterloo; et, chose digne d'être remarquée, les pensions civiles et les pensions ecclésiastiques portées au budget du département de la justice aux termes de l'article 38 de la loi du 21 juillet 1844.
Toute cette catégorie de pensions figurait au budget de 1845, qui a suivi immédiatement la promulgation de la loi de 1844, pour la somme de fr. 1,435,352 91 c. Aux budgets de 1849, elle est comprise pour fr. 1,229,159 20 c, diminution en cinq ans de fr. 206,193 71 c. soit 14 p.c. ou en moyenne près de 5 p. c. par an. (2 80/000.)
Les pensions immuables sont celles de l'ordre de Léopold. Le budget de 1845 les portait à la somme de fr. 23,000. Le budget de 1849 présente le même chiffre.
Les pensions qui, chaque année, vont croissant sont celles que liquide le département de la guerre et qui figurent tant au budget de ce département qu'à celui de la dette publique; les pensions pour la cour des comptes portées au budget des dotations; les pensions civiles et les pensions de la marine inscrites au budget des affaires étrangères; enfin, les pensions comprises dans les budgets des travaux publics, de l'intérieur et des finances.
Cette troisième catégorie de pensions figurait aux budgets de 1845 pour la somme de fr. 3,290,369. Au budget de 1849, elle s'élève à fr. 4,043,069. Augmentation, en 5 ans, de fr. 753,530, soit près de 233 p. c, ou en moyenne un peu plus de 4 et demi p. c. par an (4 58/000).
Une pareille augmentation, indépendamment des extinctions successives qui se trouvent absorbées, doit déjà donner lieu à de sérieuses réflexions ; (page 462) mais l'attention doit être bien plus vivement excitée encore, lorsque récapitulant les états remis en exécution de l'article 38 de la loi du 21 juillet 1844, l'on reconnaît que les pensions accordées pendant l'année expirée en octobre dernier, se sont élevées au chiffre de fr. 572,025, soit 14 p. c. de la somme totale des pensions croissantes, ou 75 p. c. de l'accroissement des cinq dernières années.
Le département de la guerre y est compris pour 36 p. c, celui des finances pour 21, les autres départements ensemble pour 18. La somme totale des augmentations se distribue comme suit entre les départements ministériels (le tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée).
J'ai la plus profonde conviction, messieurs, qu'il est urgent de s'arrêter dans une pareille voie, et je le déclare en toute sincérité, ce n'est pas la simple modification proposée de la loi de 1844 qui réparera et préviendra le mal; c'est en n'usant qu'avec une extrême sobriété de la faculté que les lois sur les pensions militaires comme sur les pensions civiles et ecclésiastiques donnent au gouvernement de mettre à la retraite après un certain âge révolu ; c'est en évitant de faire trop facilement des vides pour procurer de l'avancement à ceux qui en désirent; ce qu'il faut, c'est que les chefs des départements ministériels prennent pour règle invariable de ménager les crédits ouverts aux budgets, et à cette fin, qu'ils n'accordent la pension qu'à ceux qui ne pourraient rester en place sans inconvénient pour le service public, ou qu'à cause de suppressions d'emplois prononcées en vue d'économie; on ne prétendra certainement pas qu'il en ait été ainsi dans le passé. Il faut enfin que le gouvernement prenne la ferme résolution de n'accorder annuellement des pensions que jusqu'à concurrence d'une quotité des extinctions, par exemple, de la moitié et, au plus, des trois quarts. Il y aurait encore ainsi à distribuer en pensions nouvelles une somme très considérable.
J'attendrai la fin de la discussion pour apprécier si je ne devrai pas proposer un amendement en ce sens. Il me suffirait cependant que le cabinet déclarât qu'il partage mes vues et qu'il a l'intention de se diriger en conséquence.
M. Troye, rapporteur. - Messieurs, les paroles que l'honorable M. de Pouhon a prononcées tout à l'heure ne sont pas arrivées jusqu'à moi d'une manière bien distincte; mais il m'a semblé entendre qu'il avait dit que, pour l'honneur du pays, il espérait que les observations contenues dans le rapport de la section centrale ne seraient pas reproduites.
M. de Pouhon. - Ce que j'ai dit ne s'appliquait pas au rapport de la section centrale ; cela concernait seulement des observations produites dans les sections.
M. Troye. - Du moment qu'il ne s'agit pas du rapport de la section centrale, je n'ai rien à ajouter ; mais sans cela, je devrais dire que la majorité de la section centrale est décidée à maintenir toutes les observations qui figurent dans son rapport; je dois le dire, quoique je n'aie point partagé l'avis de la majorité de la section centrale sur toutes les questions qui ont été agitées.
M. le président. - Voici un amendement à l’article premier, présenté par M. Thibaut :
« L'âge dont parlent les §§ A et B de l'article est fixé à 19 ans.
« Les services militaires ne seront admis que pour le temps de présence réelle au corps. »
MM. Lelièvre et Moxhon ont déposé l'amendement suivant :
« Nous proposons, par amendement, d'insérer dans la loi la disposition suivante :
« Les pensions liquidées en vertu de la loi du 21 juillet 1844 au profit des chefs de département, qui n'auraient pas atteint le terme des fonctions ministérielles exigé par l'article premier de cette loi, au moment où le cabinet dont ils faisaient partie s'est trouvé notoirement en dissolution, ou qui, avant le terme, auraient présenté leur démission, quoique celle-ci n'eût été acceptée que postérieurement, viennent à cesser. «
Cette disposition suivrait immédiatement celle qui est proposée par la section centrale et qui est ainsi conçue : « La loi du 21 juillet 1844 sur les pensions des ministres, est abrogée. »
Je propose à la chambre de ne s'occuper de ce dernier amendement que quand nous serons arrivés à l'article 5. (Adhésion.) Quant à l'amendement de M. Thibaut, il se rattache à l'article premier; la parole est à M. Thibaut, pour le développer.
M. Thibaut. - Je dirai peu de mots pour développer l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer sur le bureau. Le gouvernement a cru qu'il serait convenable de modifier le paragraphe B de l'article 6 de la loi de 1844, et il propose de porter à 19 ans l'âge à partir duquel les services militaires seront admis pour conférer des droits à la pension.
Il me semble qu'il eût été préférable d'établir, sous ce rapport, une égalité complète entre les services militaires et les services civils.
Le motif sur lequel on se fonde pour proposer l'âge de 19 ans, quant aux services militaires, c'est que c'est à partir de cet âge que les jeunes gens sont appelés à faire partie de l'armée, quand ils sont désignés par le sort.
Je ne vois dans ce motif rien de suffisant pour conserver, en faveur des militaires, un avantage qui ne serait pas accordé aux fonctionnaires civils et judiciaires. Je propose donc à la chambre d'établir une règle uniforme pour tous les services quelconques.
- L'amendement est appuyé.
M. Lelièvre. - Messieurs, je dois d'abord déclarer que je suis partisan du principe des droits acquis invoqué par l'honorable M. Toussaint, mais je ne saurais admettre l'application qu'il en fait à la cause dont nous nous occupons. Ce qui constitue à mon avis le droit acquis, c'est l'admission à la pension et la liquidation de celle-ci. Avant cela il n'existe que de simples espérances qui doivent nécessairement tomber sous le coup des dispositions futures.
Le fonctionnaire qui n'a pas obtenu ou au moins demandé sa pension court nécessairement la chance d'augmentation et par conséquent celle de diminution qui peut résulter d'un décret de la puissance publique. Cela est d'autant plus vrai que, dans l'espèce, la loi qui réduit les bases de la liquidation des pensions et leur maximum est fondée sur des considérations d'intérêt général et la situation du trésor. On a pensé que le chiffre actuel était trop élevé en présence des ressources de l'Etat, et qu'en conséquence il existait un abus que l'on devait faire cesser.
Or ces motifs d'ordre public doivent nécessairement s'appliquer à toutes les pensions à l'égard desquelles un droit irrévocable n'est pas acquis. On ne peut, à mon avis, sanctionner le contraire, sans fausser l'esprit de la loi nouvelle, lui faire manquer son but et perdre de vue les considérations d'ordre supérieur qui lui servent de base.
L'amendement de M. Toussaint me paraît d'autant plus inadmissible que la disposition qui en est l'objet serait même applicable aux traitements qui n'étaient pas soumis à une retenue légale avant la loi de 1844. Du reste cette retenue même n'a jamais conféré un droit acquis à une pension non liquidée qui ne cesse d'eue subordonnée aux dispositions qu'il appartient au législateur de porter dans l'intérêt de l'Etat.
Il ne faut pas d'ailleurs se méprendre sur le caractère des pensions. La loi ne doit rien au fonctionnaire à qui il solde un traitement. C'est bien plutôt le fonctionnaire qui doit lui savoir gré de la position que lui a faite le pouvoir gouvernemental. Les emplois publics sont recherchés avec un empressement qui atteste suffisamment cette vérité.
La pension n'est accordée qu'à titre gratuit pour maintenir l'ancien fonctionnaire dans un état honorable et le soustraire à l'indigence. C'est pour le motif que les pensions ne peuvent être ni cédées ni saisies. Or, peut-on maintenir qu'avant même la liquidation de la pension, et la demande qui en est formée, l'Etat veuille se lier irrévocablement?
N'est-il pas clair au contraire qu'il entend subordonner l'import de sa libéralité à ses ressources, aux circonstances qui peuvent modifier sa position financière et à d'autres considérations générales qu'il appartient à la puissance publique d'apprécier ? Sans cela il existerait une dette toujours croissante et qui, s'accumulant chaque jour, pourrait entraîner les conséquences les plus fâcheuses.
D'ailleurs les fonctionnaires qui, dans des vues de gain plus élevé, n'ont pas réclamé l'admission à la pension qu'ils auraient pu obtenir se sont nécessairement soumis aux dispositions d'une loi qui réduirait les bases de la liquidation.
Sous ce rapport, je ne puis donner mon assentiment à l'amendement de l'honorable M. Toussaint, surtout tel qu'il est conçu.
M. de T'Serclaes. - Messieurs, dans le discours prononcé par l'honorable M. de Pouhon, il a énoncé sur la pension due aux fonctionnaires, une opinion qui pourrait exercer une grande influence sur vos résolutions, mais que je crois trop absolue. .
M. de Pouhon a prétendu qu'entre le fonctionnaire et l'Etat, il y avait un contrat réel, en vertu duquel l'Etat garantissait à ses employés une rémunération civile après la cessation de leurs fonctions ; il a dit qu'en tout état de chose, le fonctionnaire avait un droit acquis absolu à la pension. L'honorable orateur a même prononcé le mot d'action civile.
La chambre me permettra de lui faire remarquer que dans la pensée du législateur et dans les termes mêmes de la loi du 21 juillet 1844, un droit semblable n'existe pas.
J'ai eu l’honneur de faire partie de la commission composée de membres des deux chambres, de savants, de jurisconsultes, qui en 1843 a préparé le projet qui est devenu la loi actuelle; la question a été examinée sous toutes ses faces; il a été admis qu'entre la nation et le fonctionnaire, il y avait obligation morale, mais pas de droit.
Avant la révolution de 1789 , les pensions étaient généralement considérées comme des faveurs spéciales : et parmi les Etats modernes, il n'y en a pas un qui ait admis le principe du droit strict à la pension.
J'ai sous les yeux le tableau de la législation comparée des différents pays de l'Europe. Il est inutile de vous citer ici les textes des lois, ils lassent tous une certaine latitude aux gouvernements.
La loi du 22 août 1790 forme en Belgique le point de départ de la législation sur la matière : le préambule de cette loi porte ce qui suit : « Considérant que, chez un peuple libre, servir l'Etat est un devoir que tout citoyen est tenu le remplir, et qu'il ne peut prétendre de récompense qu'autant que la durée, l'éminence et la nature de ses services lui donnent des droits à une reconnaissance particulière de la nation; que s'il est juste que, dans l’âge des infirmités, la patrie vienne au secours de celui qui lui a consacré ses talents et ses jours, lorsque la fortune lui (page 463) permet de se contenter des grâces honorifiques, elles doivent lui tenir lieu de toute récompense, décrète ce qui suit : » Vous le voyez, messieurs, cette loi est loin de créer un contrat entre la nation et le fonctionnaire.
Par suite de cet état des choses, la commission dont je faisais partie, a résolu de se servir d'expressions facultatives : l'article premier porte : « Les magistrats, fonctionnaires et employés frisant partie de l'administration générale et rétribués par le trésor public, pourront être admis à la pension..... »
Cette disposition facultative est non seulement formelle dans ses termes, mais l'application peut s'en rencontrer assez souvent. La législature a voulu entre autres prévoir le cas où un fonctionnaire, réunissant les conditions d'âge et de services, est encore capable de rendre des services : celui où, par des motifs de malversation, un fonctionnaire se serait rendu indigne d'une rémunération nationale; dans ces cas, le gouvernement est investi du droit de refuser la pension.
On a voulu donner au gouvernement une certaine liberté d'action, un certain pouvoir d'accorder ou de refuser dont il a le droit de faire un usage équitable sous sa responsabilité.
J'ai cru devoir faire part de ces observations à la chambre, non point pour que la position des fonctionnaires, déjà si frappée d'ailleurs, soit encore aggravée ; loin de moi une semblable pensée ! mais pour que l'on ne considère pas l'Etat lié envers eux. Cette manière de poser le principe a une importance réelle dans le débat actuel.
M. Toussaint. - Messieurs, la section centrale ayant persisté dans son système, je suis obligé de donner à la chambre quelques indications sur les motifs et la portée de mon amendement, afin qu'elle juge en parfaite connaissance de cause.
Mais je dois tout d'abord avertir qu'il y a eu un oubli dans la mise au net du deuxième alinéa de l'amendement. Le maximum dont il s'y agit est le maximum à triple formule tel qu'il est indiqué au paragraphe 3 de l'article premier du projet.
L'amendement a deux objets.
Le premier consiste à maintenir, pour les années de service antérieures à la promulgation de la loi, la base de 1/60 et de 1/50 fixée par la loi générale des pensions de 1844, par reproduction partielle de l'arrêté-loi de septembre 1814.
Le second objet consiste à maintenir les maxima respectifs de 6,000 fr., des 3/4 du traitement et de 4,000fr. pour les fonctionnaires qui, à raison de leurs années de service, auraient déjà acquis droit à ces maxima avant la promulgation de la loi que nous discutons. La suppression du paragraphe final de l'article premier en serait la conséquence.
A part le sentiment d'équité qui touche chacun de nous et que je n'ai pas besoin d'invoquer, j'alléguerai en faveur de la première partie de l'amendement que le droit à la pension s'acquiert en quelque sorte jour par jour, année par année. Chaque titulaire fait, à part lui, et à chaque moment de sa carrière, le calcul de ses droits croissants à la pension ; et dans son esprit ces droits à la pension pour l'époque où il sera vieux et infirme sont te complément naturel et logique de la rémunération actuelle de ses services présents.
En effet la liquidation de la pension n'est au fond qu'une déclaration du droit. Le droit lui-même a été acquis avant, et la liquidation, affaire de pure forme, ne peut le créer s'il n'existe pas.
Il n'est pas vrai de dire que la collation d'une pension est chose purement facultative de la part du pouvoir et qu'il puisse ne pas l'accorder quand toutes les conditions légales d'âge d'infirmités et de temps de service existent. Pour un esprit sain et juste, le mot « pourront » de l'article premier de la loi de 1844 est impératif et non facultatif. Ces motifs s'appliquent à tous les ordres de fonctionnaires.
A combien plus forte raison ne s'appliquent-ils pas aux fonctionnaires des administrations où des retenues ont été subies, où des caisses de pension ont été constituées avec les deniers des fonctionnaires eux-mêmes. Tel de ces fonctionnaires a subi des retenues depuis plus de quarante ans, en vertu des décrets du 4 brumaire an IV, de l'arrêté des consuls du 12 ventôse an VIII, des décrets des 12 floréal an XIII, 13 novembre 1806, et ces retenues accumulées formeraient aujourd'hui un énorme capital. Il y a mieux encore, pour ces fonctionnaires-là mêmes ces retenues vont recommencer par suite de la loi nouvelle. N'importe le taux auquel on s'arrêtera, le principe de la formation au moins partielle de la pension par le fonctionnaire lui-même sera rétabli, et cette fois d'une manière générale, dans notre législation.
Pour être juste, la base nouvelle des pensions ne doit s'appliquer qu'aux années de service postérieures à la loi nouvelle. La loi ancienne, c’est-à-dire la loi générale que nous laissons debout doit continuer de régir les services antérieurs à la loi en discussion.
On m'objectera que, d'après ce principe la pension de ministres devrait être regardée comme acquise à certains de nos collègues assis sur le banc le moins envié ; mais je repousse toute assimilation des pensions proprement dites, obtenues à la fin de la vie et pour cause d'infirmités et pour cause de grand âge, infirmité aussi, avec la pension des ministres, récompense nationale, indemnité ou prime d'encouragement conférée au nom d'une idée politique et qui n'a rien de commun avec la pension.
Si vous ne maintenez pas la base de la loi actuellement en vigueur pour les services rendus sous l'empire de cette loi, vous aggraverez par trop le sort des fonctionnaires de l'Etat qui sont en exercice. Vous savez, messieurs, que la pension se liquide sur le traitement ou revenu moyen des cinq dernières années. Or, comme un grand nombre de ces traitements seront successivement réduits, la somme base fondamentale de la liquidation s'en abaissera naturellement, et de là résultera même sur les pensions une économie très importante. Réduire encore le taux de la pension pour les années écoulées, ce serait directement atteindre les services antérieurs rendus par les titulaires actuels.
Examinons maintenant la deuxième partie de l'amendement.
Il y a évidemment droit acquis pour les fonctionnaires énumérés aux articles 59 et 62 de la loi générale de 1844. Voici ces articles : (L'orateur donne lecture du texte.)
Je n'aurais besoin pour établir le droit acquis, sinon dans le sens rigoureux, du moins dans le sens équitable du mot, que de citer l'opinion émise par l'honorable M. de Haussy au sénat dans le rapport de la commission chargée spécialement de l'examen de la loi de 1844. M. de Haussy et la commission allaient jusqu'à contester la légalité de l'article 59, et peu s'en fallut qu'ils ne proposassent un amendement réparateur. C'est le terme employé. Je n'ai pas la prétention de faire de la réparation. J'accepte le fait de la loi de 1844 ; mais je demande qu'on n'aille pas aujourd'hui plus avant dans une voie qui puisse plus tard évoquer des réparateurs.
L'honorable M. Mercier a été, en 1845, de mon avis quand il a contresigné le projet de loi que je vais lire et qui repose en paix dans nos cartons.
Revenons à la loi actuelle et aux paragraphes qui nous occupent.
Si l'on a voulu que les fonctionnaires qui avaient déjà droit au maximum en 1844 pussent encore faire liquider la pension au taux de ce maximum après 1844, pourquoi ne voulez-vous pas qu'ils le puissent après notre loi une nouvelle? Est-ce parce qu'ils ont plus de service ? Pourquoi y aurait-il différence faite entre ceux qui se sont retirés entre ces deux époques et ceux qui continuent de servir l'Etat? Pourquoi y aurait-il faveur pour ceux qui ont commencé plus tôt de grever le trésor, et défaveur pour ceux qui, continuant à remplir leurs fonctions, font éviter à la caisse publique la chance de devoir porter à la fois la charge de leur pension et la charge du traitement de leur successeur ?
On a beau distinguer la simple perspective et l'espoir fondé d'avec le droit acquis, malgré les subtilités les plus spécieuses une chose reste pour moi évidente.
Quand le fonctionnaire est par son temps de service parvenu à avoir droit au maximum de sa pension, changer ensuite ce maximum c'est évidemment toucher à un droit respectable au point de vue de l'équité. Or, quand ce maximum sera-t-il atteint, et quand le droit à la pension sera-t-il ouvert? C'est quand le fonctionnaire aura 70 années d'âge et le plus souvent 40 années de service.
Les fonctionnaires dans le cas de profiter des maxima de l’article 59 de la loi de 1844 sont excessivement peu nombreux, ils ont à peu près disparu depuis les démissions et admissions à la retraite qui ont été provoquées par l'apparition seule du projet de loi. Le trésor risque donc peu à ce que la législature reste dans les limites de la plus stricte justice.
En faveur de l'ensemble de ma proposition j'invoquerai les retenues nouvelles, que l'on va faire subir aux fonctionnaires et qui produiront chaque année de 240,000 à 600,000 francs, selon la proposition que l'on admettra.
Pourvu que l'on se renferme dans les maxima sagement fixés, par la loi de 1844 et dans les maxima de la loi nouvelle, selon les cas, pourvu que l'on n'admette plus à la pension indûment avant l'âge ou avant les infirmités réelles, pourvu que l'on ne pensionne plus des fonctionnaires à la fleur de l'âge et renvoyés pour malversation, pourvu que les abus soient prévenus dans la collation des pensions, les extinctions d'une part, et d'autre part l'effet des nouveaux taux de liquidation auront rapidement pour résultat de réduire considérablement la dépense aujourd'hui excessive des pensions.
M. Mercier. - L'opinion émise par M. de T'Serclaes sur le sens de l'article premier de la loi du 1er juillet 1844 m'oblige à prendre une seconde fois la parole dans la discussion de l'article premier. Il me semble que cet honorable membre a donné une fausse interprétation du mot « pourront » qui se trouve dans cet article. Cette interprétation est tout à fait contraire à l'intention de ceux qui ont présenté la loi à la chambre et aux explications données dans la discussion de cette loi.
Il résulte de ces explications qu'on a inséré dans la loi les mots : « pourront être admis », au lieu de ceux « seront admis », pour empêcher que le gouvernement ne mît à la retraite des employés encore valides, bien qu'ils eussent 65 ans d'âge et 30 ans de service. L'on a voulu qu'un employé n'eût pas droit à sa retraite, par la seule raison qu'il aurait 65 ans d'âge et 30 ans de service. Il faut, en outre, qu'il prouve et que le gouvernement reconnaisse qu'il est hors d'état de remplir ses fonctions.
Mais quant à l'employé jugé par le gouvernement hors d'état de remplir ses fonctions, et se trouvant dans les conditions d'âge et de durée de service déterminées par la loi pour l'obtention de la pension, il n'est pas entré dans l'intention du législateur de laisser au gouvernement la faculté tout à fait arbitraire de ne pas lui accorder de pension. Le gouvernement, en le mettant de côté dans de telles circonstances, n'a le droit de lui refuser sa pension que dans les cas formellement prévus par la loi.
J'ai cru ces explications nécessaires, parce que l'observation faite à cet égard par l'honorable M. de T'Serclaes m'a paru de nature à induire la chambre en erreur sur les droits des fonctionnaires publics à l'obtention d'une pension en vertu de la loi.
Du reste, la lecture de la discussion qui eut lieu en 1844, confirmerait ce que je viens d'avancer.
(page 464) Puisque j'ai la parole, je répondrai à cette observation de M. le ministre des finances, que j'aurais dû justifier du droit des employés du service actif à être traités plus favorablement que ceux du service sédentaire. Ce droit est de toute évidence en équité et jamais il n'a été contesté; chacun sait que ces employés sont exposés à des dangers, à des fatigues qui les rendent infirmes avant l'âge auquel les employés du service sédentaire songent à la retraite. Tels sont les motifs que l'on a fait valoir en leur faveur et qui n'ont pas rencontré de contradicteur.
Quant à la loi des sucres, je n'ai certes pas en vue d'établir un parallèle entre elle et la loi des pensions, comme semble l'avoir compris M. le ministre des finances. J'ai seulement fait ressortir que pour maintenir un régime très onéreux au trésor public, qu'il ruine en primes d'exportation, l'on a toujours invoqué le principe de stabilité dans les lois, principe qu'on abandonne si facilement quand il s'agit du sort des fonctionnaires publics. C'est sous ce point de vue que j'ai établi une comparaison.
M. de T'Serclaes. - Je ne veux pas faire une querelle de mots. Ma pensée a été de combattre l'opinion que, d'après nos lois, le droit du fonctionnaire à la pension était absolu, irréfragable, non sujet à contestation, à discussion et inflexible dans tous les cas. Voilà ce que j'ai appelé une véritable erreur, et, malgré les observations qui viennent d'être faites, le principe que j'ai émis ne me paraît pas pouvoir être contesté. J'en juge ainsi par les paroles du rapporteur de la section centrale, l'honorable M. Malou, dans la séance du 1er mars 1844, par celles du rapport de l'honorable M. de Haussy au sénat, dans la séance du 28 juin. Il me suffira de vous citer un court passage de ce dernier : « Ces termes de l'article, dit M. de Haussy, pourront être admis à la pension, sont précis à cet égard; ils indiquent clairement que la loi ne crée pas un droit absolu en faveur du fonctionnaire, et que le gouvernement reste toujours libre d'accorder ou de refuser la pension suivant les circonstances. »
Je ne veux pas arrêter la chambre sur ce point de doctrine, puisque, dans l'application, nous considérons tous l'Etat comme engagé vis-à-vis des fonctionnaires admis à la retraite.
Mais je ferai encore remarquer que la différence de principe est nettement établie par le législateur entre la loi générale des pensions civiles et la loi sur la pension des ministres; dans un cas, le gouvernement a la faculté d'accorder la pension; dans l'autre, il y a pour lui obligation. Ainsi, l'article premier de la loi sur la pension des ministres porte : « Tout chef de département.....aura droit à la pension. » L'article premier de la loi générale porte : « Les magistrats.....pourront être admis. »
On ne peut donc pas contester que l'intention du législateur n'ait été d'établir une distinction entre le droit absolu de l'un, et l'obligation morale, l'équité admise en faveur de l'autre; équité, obligation morale que, quant à moi, je reconnais et défendrai toujours.
M. Mercier. - Le passage que vient de lire l'honorable M. de T'Serclaes ne détruit nullement l'opinion que j'ai émise tout à l'heure. Il était question de l'article dans ce passage. Evidemment le rapporteur devait s'expliquer comme il l'a fait, il devait dire que les 30 années de service et les 65 ans d'âge ne donnaient pas un droit absolu à la pension. Mais du moment que le gouvernement reconnaît qu'un fonctionnaire qui se trouve dans de telles circonstances, est incapable de remplir plus longtemps son emploi, et lui donne sa démission pour ce motif, il est en même temps tenu de lui accorder sa pension, parce que ce fonctionnaire est dans les conditions voulues par la loi. Les fonctionnaires ont donc dans cette situation, qui est la règle générale, un droit positif, irréfragable à la pension, aux termes de la loi.
M. le président. - Voici un nouvel amendement présenté par M. Dedecker :
« La pension des professeurs qui, en vertu de l'article 18 de la loi du 21 juillet 1844, ont déjà un droit acquis à l'éméritat, continuera à être liquidée conformément aux articles 15 et 18 de ladite loi. »
La parole est à M. Dedecker pour développer son amendement.
M. Dedecker. - Messieurs, le paragraphe 4 de l'article premier stipule qu'aucune pension ne pourra désormais excéder 5,000 francs. C'est à ce propos que je voudrais présenter quelques observations.
Les pensions des professeurs d'université ont toujours été régies par une législation tout exceptionnelle, toute spéciale.
La première législation concernant la pension des professeurs des universités est le décret organique de l'enseignement supérieur du 25 septembre 1816. Dans la loi de juillet 1844, des dispositions toutes spéciales ont encore été consacrées pour la pension des professeurs d'université. En effet, messieurs, la position de ces pensionnés est tout autre que la position des pensionnés ordinaires.
D'abord, les conditions pour l'obtention de l'éméritat sont tout exceptionnelles.
En premier lieu, pour l'éméritat il n'y a pas de conditions d'âge. Un professeur, quel que soit son âge, pourvu qu'il ait enseigné pendant 30 ans, a droit à l'éméritat.
En second lieu, on ne tient pas compte au professeur des services qu'il peut avoir rendus dans une branche quelconque de l'administration, autre que l'enseignement supérieur. Tous les droits à l'éméritat doivent se puiser dans les services rendus dans le haut enseignement. Il n'en est pas de même, comme vous le savez, des autres pensionnés : on leur tient compte de toute espèce de services qu'ils peuvent avoir rendus à l'Etat.
La position des professeurs émérites n'est pas la même que celle des autres pensionnés. Les professeurs émérites ne doivent pas, par cela seul qu'ils sont émérites, cesser leurs fonctions.
Un pensionné ordinaire, par le seul fait de son admission à la pension cesse ses fonctions. Un juge, par exemple, une fois pensionné, n'a plus le droit de concourir à un jugement. Un professeur émérite, au contraire, peut continuer ses fonctions. Il assiste même de droit à toutes les séances du conseil académique ; il a le droit d'y prendre part à tous les votes.
Si d'un côté les conditions pour l'obtention de l'éméritat sont exceptionnelles, d'un autre côté, comme vous le voyez, des droits exceptionnels sont accordés au professeur émérite.
Voilà pour le principe.
En fait, il est reconnu que le nombre des professeurs émérites est extrêmement limité, parce qu'il faut, pour parvenir à l'éméritat, un concours de circonstances qui se rencontre rarement. Les professeurs d'université ne peuvent en général commencer leur carrière aussi jeunes que les autres fonctionnaires. Ils doivent souvent s'y préparer par de longues études. Ils ne sont ordinairement professeurs qu'après l'âge de 30 ans. Ensuite, la carrière de l'enseignement oral est une carrière pleine de fatigues ; les travaux de cabinet minent la santé ; de sorte que, à en juger d'après l'expérience, l'admission à l'éméritat est extrêmement rare.
J'arrive au fait spécial sur lequel je voudrais attirer l'attention de la chambre, et qui fait l'objet de mon amendement. Il y a deux professeurs de nos universités qui se trouvent avoir un droit acquis à l'éméritat. Ces professeurs ont été nommés en 1817.
Ils ont donc 31 années de fonctions dans l'enseignement supérieur. Ils ont depuis l'année dernière droit à l'éméritat, c'est-à-dire à une pension de 6,000 fr. Parce que ces professeurs n'ont pas fait valoir leur droit, voudra-t-on leur enlever le bénéfice de ce droit ? Ce serait réellement les punir du zèle qu'ils ont montré en continuant leurs fonctions.
En restant professeurs, ils ont rendu service à l'Etat d'une double façon. D'abord ils continuent à consacrer à l'enseignement supérieur les lumières d'une expérience acquise dans leur longue carrière. Ensuite ils ont épargné à l'administration le traitement des professeurs qu'il aurait fallu nommer pour leur succéder s'ils s'étaient fait accorder l'éméritat. Ainsi ils ont, tant sous le rapport professoral que sous le rapport économique, rendu un service réel à l'Etat.
Voudra-t-on les punir de ces services ? Quant à moi, il me semble que la justice et l'équité s'opposent à l'admission du principe de la réduction du maximum de la pension pour les professeurs émérites. C'est pour cela que, conformément à l'opinion émise par les deux conseils académiques de nos universités, opinion qui se trouve déposée sur le bureau, j'ai présenté à la chambre un amendement tendant à établir une exception pour ces deux professeurs, et à maintenir pour eux le maximum de 6,000 fr.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, la plupart des honorables préopinants ont exagéré, selon moi, le droit des fonctionnaires publics à une rémunération qualifiée de pension, et de ce droit exagéré ils ont tiré de fausses conséquences.
L'Etat est-il tenu, en droit rigoureux, à allouer une pension aux fonctionnaires publics? Il me semble que nul ne pourrait le soutenir avec raison. Il n'y a aucun contrat entre le fonctionnaire public et le gouvernement.... (Interruption.)
Permettez ; j'examine un principe abstrait, un principe théorique. Je cherche les raisons de l'allocation des pensions. Je ne me préoccupe pas ici de la loi. J'en parlerai dans un instant.
Il n'y a pas de contrat entre le fonctionnaire public et le gouvernement. En l'absence de toute loi positive, et par le seul fait qu'une personne a engagé ses services à l'Etat, il n'y a aucune espèce de stipulation, ni expresse ni tacite, en vertu de laquelle le fonctionnaire public pourrait se croire fondé à réclamer une pension à la charge de l'Etat. Le fonctionnaire public est, vis-à-vis de l'Etat, dans une position tout à fait semblable à celle des employés ordinaires dans l'industrie et le commerce. Evidemment aucun de ces employés ne croit avoir un droit quelconque à charge de celui qui l'emploie. Aucun de ces employés ne songerait à prétendre à aucune époque et comme un droit, bien entendu, à obtenir de celui qui l'a employé pendant un temps plus ou moins long une rémunération, alors que ses services ne seraient plus réclamés ou qu'il deviendrait incapable de continuer à les rendre.
Ce n'est donc pas en acquit d'une obligation que l'Etat promet une pension; c'est en vertu de considérations entièrement différentes , mais d'ailleurs très puissantes, considérations de justice et d'humanité. L'Etat, qui a utilisé pendant de longues années les services d'un citoyen, reconnaît qu'il est équitable de lui accorder une pension. L'Etat, d'ailleurs, ne rémunère pas les fonctionnaires publics, en général, de telle sorte qu'ils puissent économiser pour se trouver, dans leurs vieux jours, à l'abri du besoin. Ainsi ces sentiments d'équité et d'humanité commandent que les fonctionnaires publics aient leur sort assuré quand la vieillesse est venue. Ce sont là les raisons qui déterminent à prendre certaines mesures quant aux pensions ; c'est d'un sentiment de bienveillance et de libéralité, et non d'un droit préexistant du fonctionnaire à charge de l'Etat, que dérive la loi des pensions.
Cette loi faite, quel est son caractère? Devient-elle immuable et forme-t-elle ce que l'on peut nommer un contrat? Ne peut-on plus y toucher sans être exposé aux reproches d'avoir porté atteinte à des droits acquis?
(page 465) La pensée qui lui a donné l'être est-elle dénaturée? Non ; c'est toujours un acte de libéralité, d'abord; c'est ensuite une promesse qui n'engendre pas le lien de droit avant d'être réalisée.
S'il en est ainsi, jamais avant la collation d'une pension, jamais avant l'admission à la retraite sans les conditions préalablement déterminées, jamais un fonctionnaire ne peut prétendre avoir un droit acquis à charge de l'Etat. Il a une espérance, une expectative, espérance infiniment respectable, expectative qu'il ne faut point lui ravir sans motifs légitimes, mais enfin, ce n'est qu'une simple espérance, une simple expectative, et il ne peut se plaindre avec fondement lorsque, par des considérations supérieures, tirées de la position de l'Etat, l'Etat, tout en maintenant le principe de la libéralité dans sa base fondamentale, tout en renouvelant des promesses qu'il a spontanément faites, modifie les conditions auxquelles il consent, sans y être tenu par aucun engagement, à admettre désormais à la pension. C'est à ce point de vue qu'il importe de se placer, messieurs, pour bien apprécier les mesures proposées par le gouvernement et les divers amendements qui vous sont présentés.
Un honorable membre nous disait tout à l'heure que la proposition du gouvernement avait en quelque sorte un caractère révolutionnaire, qu'elle portait un trouble extrême dans les existences, qu'elle faisait une sorte de violence à des droits déjà consacrés. C'était, messieurs, comme je viens de le démontrer, une évidente erreur.
L'Etat a libéralement promis, par la loi de 1844, des rémunérations à des conditions déterminées; pourquoi l'Etat ne pourrait-il pas modifier aujourd'hui les conditions auxquelles il a promis cette rémunération ? Dès qu'il n'a point conféré Is droit, l'Etat est libre; il peut agir comme il le juge convenable. Mais dans quelles limites doit-il agir? Doit-il anéantir les promesses qu'il a faites, rétracter les lois qu'il a sanctionnées ? Il manquerait à l'équité ; il faillirait à des devoirs d'humanité. Il doit agir équitablement, en ayant égard aux circonstances, aux difficultés de la situation et aussi aux abus qu'une législation préexistante a pu faire naître. Nous sommes-nous renfermés dans ces limites? Avons-nous formulé des mesures contraires à l'équité? Ne continuons-nous pas à assurer une position convenable aux fonctionnaires publics? N'était-ce point une nécessité impérieuse de la situation où nous nous trouvons, que de proposer le projet de loi qui nous est actuellement soumis ?
D'une part, messieurs, la charge des pensions devenait de jour en jour plus lourde ; elle s'accroissait dans une proportion dont on s'inquiétait ; d'autre part, le trésor était obéré. Que fallait-il faire? Arrêter, dans de justes limites, cette action un peu trop onéreuse de la loi des pensions de 1844; réduire la dépense par une retenue sur les traitements. Tel est le but du projet de loi. Il ne contient pas autre chose. Il a paru au gouvernement que les bases qui avaient été admises en 1844, pour la liquidation des pensions, faisaient croître la charge dans une proportion trop considérable; il propose de restreindre les éléments qui servent à fixer le taux des pensions ; la charge en deviendra moins pesante ; elle deviendra moins lourde encore à l'aide de la retenue opérée sur les traitements, retenue calculée également, selon le gouvernement, dans des limites sages et modérées.
Nous n'avons fait d'ailleurs, messieurs , que ce qui s'est pratiqué fort souvent en d'autres pays. En vain, l'honorable orateur auquel je réponds, a-t-il fait appel à ce qui se pratique en pareille matière dans un pays voisin, en Angleterre.
Je pense que l'honorable membre s'est trompé. En Angleterre aussi, à diverses époques, on a introduit des restrictions dans les lois qui accordent des pensions, et la loi anglaise du 25 juillet 1834, invoquée par l'honorable M. Toussaint, en contient-elle même la preuve? Elle déclare dans plusieurs de ses dispositions qu'à compter du jour de la publication de cette loi, certaines pensions, qu'elle énumère, ne pourront plus excéder telle somme qu'elle détermine. Je n'ai point vu dans cet acte du parlement britannique, la réserve des droits acquis, ainsi que l'a indiqué l'honorable M. Toussaint.
Messieurs, s'il pouvait être question en pareille matière de droits acquis, n'est-ce pas bien plutôt des traitements qu'il faudrait parler que des pensions? Le fonctionnaire vous donne ses services , vous le rémunérez en échange de son travail; vous vous croyez certes bien libre de fixer son traitement, de le réduire, de l'augmenter, d'apprécier s'il est indemnisé dans une juste proportion. Et ce que vous pouvez à l'égard du traitement, rémunération de services actuels, vous ne le pourriez pas à l'égard de promesses, de simples espérances que vous faites concevoir au fonctionnaire pour un temps où il ne pourra plus consacrer ses services à l'Etat !
Tout à l'heure deux honorables préopinants ont discuté cette même question à un autre point de vue. Ils ont dit, l'un, que l'article premier de la loi du 21 juillet 1844, ayant énoncé que les fonctionnaires pourraient obtenir une pension, avait laissé le gouvernement libre d'accorder ou de ne point accorder la pension ; l'autre a contesté cette interprétation en soutenant que le droit était formel, irrévocable.
Ces deux honorables membres n'étaient, selon moi, ni l'un ni l'autre dans la vérité. Ils étaient beaucoup trop absolus. Le fonctionnaire n'a pas véritablement un droit à la pension, par cela seul que le gouvernement lui a accordé un traitement pendant un temps plus ou moins long. Si le gouvernement lui donne sa démission pour certaines causes graves, dont il est seul juge; s'il le révoque, le fonctionnaire ne peut rien réclamer. Le fonctionnaire ne serait pas admis à faire décider par les tribunaux qu'il a été indûment révoqué, que les causes attribuées à sa révocation ne sont point légitimes; or, s'il avait un droit, il serait parfaitement fondé à le réclamer en justice, il pourrait le faire valoir devant les tribunaux à charge de l'Etat. Qu'est-ce qu'un droit sans action pour l'exercer? Le droit naîtra seulement lorsque la pension aura été conférée. Jusque-là c'est une espérance et c'est un abus de mots de la qualifier de droit acquis. Encore une fois, aux termes de l'article 50 de la loi du 21 juillet 1844, le gouvernement peut priver un fonctionnaire de ses droits à la pension : « Tout magistrat, fonctionnaire ou employé révoqué de ses fonctions perd ses droits à la pension. » (Interruption.)
L'annulation du droit, dites-vous, est énoncée dans l'article 50; sans doute; mais le fait pour lequel on peut révoquer n'est pas énoncé dans la loi; il est laissé, pour la plupart des fonctionnaires, à la seule appréciation du gouvernement.
Certes et je ne saurais trop le répéter, ce n'est pas qu'il faille, sans les motifs les plus graves, jeter l'inquiétude parmi les fonctionnaire publics, remettre en question des principes aussi importants que ceux qui sont consignés dans la loi sur les pensions.
Mais autant il importe que les positions particulières ne soient ou ébranlées ou amoindries sans la plus impérieuse nécessité; autant il importe que l'autorité ne soit pas affaiblie dans son action, par des contestations élevées sur le droit qu'elle exerce, à regret, dans un intérêt public. C'est une pénible mission que nous devons accomplir; il ne faut point l'aggraver par des reproches immérités. Si nous touchons à la position des fonctionnaires, n'est-ce donc point par la pression des embarras qui nous assiègent de tous côtés? Depuis bientôt une année, ne sommes-nous pas dans des circonstances tout à fait exceptionnelles? Mais si l'on est obligé de prélever quelque chose sur les traitements des fonctionnaires publics, est-il certain que dans l'avenir, lorsque la situation financière sera améliorée, les fonctionnaires publics ne pourront pas être exonérés de la réduction qu'on leur ferait subir aujourd'hui? J'ai l'espérance, quant à moi, qu'un jour les fonctionnaires pourront être replacés, sous ce rapport, dans la position qu'ils vont perdre si vous adoptez la loi qui vous est actuellement proposée.
La loi du 21 juillet 1844 elle-même contient, au surplus, la preuve que jamais le législateur n'a considéré l'expectative d'une pension comme complétant un droit acquis dans le sens indiqué par d'honorables préopinants et particulièrement l'honorable M. Toussaint.
Lors de la discussion de la loi de 1844, on a proposé des dispositions exceptionnelles en faveur de certains fonctionnaires publics qui, pendant un grand nombre d'années, avaient contribué à alimenter la caisse de retraite du département des finances.
A cette époque, a-t-on cru que les fonctionnaires, à l'égard desquels l'Etat allait prendre certaines obligations, avaient vis-à-vis de l'Etat des droits absolus, irrévocables, auxquels on ne pût toucher, ou sans rétroactivité ou sans violer une sorte de contrat? En aucune façon : on a jugé cette question au point de vue de l'équité. On s'est demandé si ces fonctionnaires ne se trouvaient pas dans des conditions particulières, si ceux qui avaient contribué à alimenter une caisse de retraite que le gouvernement allait prendre ultérieurement, ne devaient pas faire l'objet d'une exception? Cette exception a été admise; elle a été consacrée dans la loi, non à titre de droit, mais à titre d'équité, et dans certaines limites. Ainsi, l'on a admis que ces fonctionnaires pourraient continuer à faire liquider leur pension d'après les bases du règlement de 1822 ; mais, tant il est vrai que l'on ne considérait pas qu'ils eussent un droit acquis, on a décidé en même temps que ces pensions ne pourraient plus excéder 6,000 fr. C'était, encore une fois, une libéralité ; elle était déterminée par des motifs de justice, d'équité, mais dans les limites déterminées par la loi.
Quelques fonctionnaires se sont trouvés dans une catégorie spéciale. C'est en leur faveur que l'honorable M. Mercier avait présenté, en 1845, je pense, le projet de loi dont a parlé l'honorable M. Toussaint.
Ces fonctionnaires avaient été admis à la pension avant la loi de 1844. La commission instituée, en vertu du règlement de 1822, avait liquidé leur pension à une somme de 8, 9 ou 10,000 francs.
Le ministre des finances de l'époque, sur les vives réclamations provoquées par les charges toujours croissantes du chef des pensions, avait pris l'engagement de ne plus liquider de pension de cette caisse au-delà d'un maximum de 6,000 fr. Dans les arrêtés accordant la pension, le ministre n'alloua a ces fonctionnaires qu'une pension de 6,000 francs. Plusieurs fois, la chambre a été saisie de réclamations à ce sujet; plusieurs fois ils ont demandé, en se fondant sur l'article 58 de la loi de 1844, qu'on revînt sur les arrêtés accordant la pension; il ont soutenu que l'article 38 leur donnait droit à la pension, telle qu'elle avait été liquidée en vertu du règlement de 1822, et non telle qu'elle avait été allouée. Eh bien, jamais la chambre n'a reconnu ce droit.
Récemment encore, une réclamation de ce genre a été renvoyée au département des finances ; et d'après les observations qui se produisent à mes côtés, je crois nécessaire de donner quelques explications à ce sujet pour bien déterminer le sens qui doit être attaché à l'article 58 invoqué, pour bien fixer les anciens fonctionnaires dont je m'occupe en ce moment sur les droits qu'ils peuvent faire valoir contre l'Etat.
A charge de qui ces fonctionnaires pouvaient-ils élever des prétentions? A charge de l'Etat? Nullement; ils étaient les participants à une (page 466) caisse particulière instituée en vertu du règlement de 1822; cette caisse était à eux, participants; le gouvernement, en vertu des dispositions du règlement, exerçait une certaine surveillance sur la gestion de cette caisse; il avait promis, comme l'honorable M. Osy le dit à mes côtés, un subside qui ne pouvait dépasser 30,000 florins et qui a été bien au-delà.
Et ceci prouve que le gouvernement y était étranger, qu'il n'avait contracté aucune obligation du chef de la caisse de retraite ainsi instituée, puisqu'il intervenait, en faisant la promesse d'un subside, promesse exclusive d'une obligation de sa part d'assumer la charge des pensions de cette caisse et qui prouve seulement sa volonté d'aider à payer les pensions, telles qu'elles étaient déterminées par le règlement de 1822. Mais la caisse était en déficit. Elle ne pouvait tenir ce qu'elle avait promis. Les participants pouvaient-ils exercer un recours contre l'Etat ? Assurément non.
Est-ce que la loi de 1844 aurait par hasard augmenté les droits de ces fonctionnaires publics? Est-ce que les droits qu'ils avaient à charge de la caisse de retraite ont été transportés à charge de l'Etat purement, simplement, sans conditions? Est-ce que l'Etat est devenu débiteur des sommes que la caisse ne pouvait pas acquitter ? Pas le moins du monde ; ceux qui avaient acquis leurs droits à la pension sous l'empire du règlement de 1822 ont continué à être payés par l'Etat, mais sur le pied où la pension leur a été accordée.
(erratum, page 476) C'est un malheur, sans doute, que la caisse se soit trouvée en déficit au moment de la liquidation de ces pensions, mais jamais l'Etat n'a assumé l'obligation de combler ce déficit. Les intéressés peuvent avoir des droits à charge de la caisse; je ne l'examine point ; mais à charge de l'Etat, je ne le pense pas. C'est ce qui a été jugé par la cour de cassation sur la réclamation d'un des intéressés, qui soutenait que sa pension devait lui être payée, non en exécution de l’arrêté royal qui avait fixé cette pension, mais conformément à la liquidation qui avait été opérée d'après les bases du règlement de 1822.
En appel, le fonctionnaire a gagné son procès ; mais la cour de cassation a cassé l'arrêt en faisant une distinction entre le ministre des finances ayant la gestion d'une caisse particulière et le ministre des finances représentant l'Etat; elle a dit: Vous avez eu tort d'assigner le ministre des finances comme représentant l'Etat, vous deviez l'assigner comme gérant de la caisse; pourvoyez-vous pour faire valoir vos droits à charge de cette caisse, mais vous ne pouvez élever aucune prétention contre l'Etat.
Nous pouvons maintenant apprécier l'amendement de l'honorable M. Toussaint. Cet honorable membre est selon moi dans une erreur complète sur la nature du droit des fonctionnaires publics. C'est en se basant sur cette erreur qu'il formule son amendement.
Il suppose aux fonctionnaires des droits acquis et, partant de là, il veut les respecter, il veut que la liquidation se fasse désormais pour tous fonctionnaires en exercice sur le pied de la loi de 1844.
Si, comme je l'ai démontré, il n'y a pas de droits acquis pour ceux à qui la pension n'a pas été conférée, la chambre peut, sans blesser ces sentiments si respectables qui découlent d'un droit, modifier les dispositions antérieures sur la collation des pensions; ce n'est plus qu'une affaire d'équité à apprécier.
Placé à ce point de vue, il n'y avait pas lieu de proposer la loi ; c'est parce que nous avons pensé que cette considération n'était pas assez puissante pour nous arrêter, que nous avons présenté le projet de loi. Si l'amendement était adopté, la loi n'aurait d'effet que dans 25 ou 30 ans, c'est-à-dire que l'amendement implique en quelque sorte en cette partie le rejet de la loi.
Or, c'est pour atteindre un résultat immédiat qu'elle a été présentée. C'est pour que le chiffre des pensions soit moins élevé, et pour que les pensions soient désormais plus difficilement obtenues, afin d'exonérer l'Etat dès à présent dans une certaine mesure, que le projet qui vous est soumis a été formulé. Il n'y a donc pas lieu d'adopter l'amendement de M. Toussaint.
Les mêmes raisons me portent à repousser le deuxième paragraphe qui maintient en certains cas les maxima de 6,000 fr., des trois quarts du traitement et de 4,000 fr. fixés par la loi de 1844.
L'honorable membre propose de conserver ce maximum pour ceux qui, par leurs années de service seulement, pourraient obtenir à l'un ou l'autre de ces taux la liquidation de leurs pensions, s'ils pouvaient être admis aujourd'hui à la retraite. C’est donc encore maintenir la loi de 1844, qu'il faut, au contraire, réformer si l'on veut alléger les charges du trésor.
Je suis dans l'impossibilité de me rallier à l'amendement, car il renverserait la loi que nous avons proposée.
Il est des droits qui seront parfaitement respectés; ce sont les droits des fonctionnaires qui, se trouvant dès à présent dans les conditions déterminées par la loi, auront été admis à faire valoir leurs droits à la pension; ils jouiront des dispositions existantes ; ces fonctionnaires obtiendront la pension conformément à la loi de 1844, s'ils ont 65 ans d'âge, 30 années de services ou s'ils sont atteints d'infirmités, quoique la liquidation de leurs pensions ne soit pas encore opérée ; et le fût-elle après la promulgation de la loi nouvelle, elle sera accordée conformément à la loi de 1844.
Je tiens à le déclarer; plusieurs fonctionnaires sont dans cette position. Ils ont cru devoir demander leur pension, plusieurs ont 40 ou 50 ans de service et de 65 à 70 ans d'âge, leur pension sera liquidée dans les termes de la loi de 1844. Quelle que soit l'époque de la liquidation, il y a un délai dans lequel la demande en liquidation doit être formée; mais le droit à la pension est ouvert du jour où la démission est admise du jour où le fonctionnaire cesse de toucher le traitement d'activité.
C'est au surplus ce qui résulte d'une des dispositions de la loi de 1844, article 40, je pense. Voilà le véritable droit acquis dans le sens exact et rigoureux du mot. Celui-là doit être et sera respecté. Plusieurs pensions de 6 mille fr. sont dues dès ce moment, le fonds des pensions sera momentanément aggravé, parce que des pensions de 6 mille fr. devront être liquidées.
Mais dans un temps rapproché, il sera allégé parce que d'une part les conditions d'admission à la pension deviendront plus difficiles, et que, d'autre part, le taux des pensions sera réduit à l'avenir.
On me fait observer que je n'ai rien dit de l'amendement de l'honorable M. Dedecker; il a pour objet des fonctionnaires qui très justement à toutes les époques ont été placés dans une condition exceptionnelle, plus favorable que celle des autres fonctionnaires publics.
Rien n'est plus légitime, assurément, que de récompenser généreusement ces hommes qui ont voué tout leur temps, toute leur intelligence à l'instruction publique.
C'est en leur faveur que l'amendement de l'honorable M. Dedecker est formulé. Il n'a qu'une importance insignifiante, au point de vue du trésor. Je crois qu'il ne s'appliquerait qu'à deux personnes dans le pays; il a pour objet de réserver les droits de ces professeurs , qui, en ce moment, se trouvent déjà dans les conditions voulues pour obtenir l'éméritat.
J'exprimerai franchement ma pensée. Certes, si je ne consultais que mes sympathies, c'est avec satisfaction que je verrais consacrer une pareille exception. Mais un sentiment de justice vis-à-vis de tous les fonctionnaires publics ne me permet pas de me rallier à l'amendement.
D'autres fonctionnaires sont aujourd'hui dans une position analogue. Plusieurs ont 50 ou 40 ans de service. Ils avaient l'espoir d'une pension de 6,000 fr. ou d'une pension plus élevée que celle qui pourra désormais leur être accordée. C'est pour eux que l'amendement de l'honorable M. Toussaint a été rédigé, je viens, de combattre cet amendement, la section l'a repoussé à l'unanimité.
Or, quelque favorable que soit la condition des professeurs dont a parlé l'honorable M. Dedecker, il me paraît qu'il serait peu équitable de ne pas traiter de la même manière les autres fonctionnaires dont je viens de parler. C'est le motif qui m'empêche de me rallier à l'amendement de l'honorable M. Dedecker.
M. De Pouhon. - Les fonctionnaires éprouveront une douloureuse surprise en apprenant que, suivant l'opinion de M. le ministre des finances, leurs droits à la pension n'étaient que de simples espérances. Cependant le droit était tellement acquis que chaque fonctionnaire pouvait le faire entrer dans ses plans de vie. Si ce droit n'était pas consacré explicitement dans la loi, il était consacré dans la conscience de tous, dans la conscience publique.
Qui de nous ne pensait qu'après un grand nombre d'années de services rendus à l'Etat, le fonctionnaire n'eût des droits réels à la pension?
La loi, il est vrai, a stipulé seulement que le fonctionnaire pouvait être admis à la pension. En effet la loi ne pouvait établir, en termes absolus, qu'il avait droit à la pension: car le droit n'est ouvert au fonctionnaire qu'à la condition qu'il aura rempli fidèlement ses devoirs.
M. le ministre des finances a relevé l'expression « révolutionnaire dont je me suis servi pour qualifier le projet de loi. J'aurais peut-être été autorisé à employer une expression plus énergique encore, en me prévalant de l'exemple d'un pays voisin. Là une révolution a éclaté : elle a, en onze mois de temps, accablé le pays d'un milliard de dettes nouvelles. Il y avait des pensions accordées sous des régimes divers. Dans ces moments d'effervescence, d'exaltation des partis, on aurait compris jusqu'à certain point, que la faction victorieuse proposât des réductions sur ces pensions. Nous n'avons cependant pas appris qu'il ait été présenté, ni que l'on ait réclamé des lois dans ce but.
L'honorable M. Toussaint vous a cité la clause d'une loi rendue, en 1834, en Angleterre. Il vous a démontré que là tout droit acquis était respecté, que les réductions ne seraient appliquées qu'à ceux qui entreraient à l'avenir en fonctions.
M. le ministre des finances se prévaut des circonstances extraordinaires où le pays se trouve pour motiver la réduction qu'il a proposée.
Mais il est à remarquer que, pour les circonstances extraordinaires, nous faisons une loi qui doit être maintenue, qui deviendra un régime ordinaire.
Je comprendrais qu'on s'en tînt à la proposition de l'honorable M. Delfosse, qui, en raison de circonstances extraordinaires, admet une réduction temporaire. Ce n'est pas là le cas; car nous faisons une loi organique.
Quant aux caisses de retraite, je ferai observer que les fonctionnaires qui les ont alimentées par des retenues sur leurs traitements n'ont pas été appelées à les régir, à en nommer les adinmistrateurs. L'Etat s'en est réservé la direction; il a eu la disposition des fonds, et a ainsi assumé la responsabilité des pensions légalement promises.
M. le président. - M. Delfosse vient de déposer un amendement qui a pour objet de fixer la retenue à 1 p. c. sur les traitements de 2,000 fr. et au-dessous, et à 2 p. c. sur les traitements plus élevés. Cet amendement sera imprimé.
- La discussion sur l'article est continuée à demain.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.