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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 18 mai 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Verhaegen, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1707) M. A. Dubus. procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Dubus présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Blande, ancien gendarme à cheval, réclame l'intervention de la chambre, pour obtenir un emploi dans l'administration des chemins de fer de l'Etat. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sieurs Puissant frères, propriétaires et exploitants de carrières de marbres, demandent une réduction de péage sur les canaux de Charleroy à Bruxelles et de la Sambre canalisée. »

-Renvoi à la commission d'industrie.


Messages du sénat, faisant connaître 1° qu'il a adopté neuf projets de loi tendant à proroger le délai dans lequel des officiers de la marine marchande pourront accepter la naturalisation ordinaire qui leur a été conférée ; 2° qu'il a pris en considération diverses demandes en naturalisation ordinaire ; 3° qu'il a rejeté trois demandes de naturalisation ordinaire.

- Pris pour information.

Projet de loi qui proroge le terme fixé pour la réduction du personnel de la cour d'appel de Bruxelles et des tribunaux de première instance de Tournay et de Charleroy

Rapport de la commission

M. Delfosse, au nom de la commission spéciale qui a examiné le projet de loi tendant à proroger le délai fixé par la loi qui a augmenté temporairement le personnel de la cour d'appel de Bruxelles et des tribunaux de Tournay et de Charleroy, dépose le rapport sur ce projet de loi.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.

Projets de loi prorogeant le délai d'exécution des lignes concédées de Liège à Namur et de Mons à Manage, de Louvain à la Sambre et de l'Entre-Sambre et Meuse

Rapports de la section centrale

M. de Brouckere. - J’ai l'honneur de présenter le rapport de la section centrale qui a examiné les projets de loi relatifs à une prorogation de délai à accorder aux compagnies concessionnaires des chemins de fer de Liège à Namur, de Mons à Manage, de Louvain à la Sambre et d'Entre-Sambre-et-Meuse.

Les trois projets ont été adoptés par toutes les sections.

Dans la troisième on a émis un doute sur le point de savoir si l'article 5 du projet de convention concernant le chemin de fer de Louvain à la Sambre explique assez clairement que, nonobstant la prorogation qui serait accordée à la société concessionnaire, elle n'en serait pas moins tenue de remplir avant le délai fixé par la convention du 21 mai 1845, c'est-à-dire avant le 21 mai 1848, tous les engagements contractés par elle envers des tiers. La section centrale estime que l'article 5 est très explicite à cet égard. Il suffira du reste, s'il n'en est pas ainsi, d'avoir appelé l'attention de M. le ministre des travaux publics sur cette disposition puisqu'elle n'est pas arrêtée et ne doit être considérée que comme énonçant ses intentions.

La cinquième section, à l'occasion de la prorogation de délai demandée par la compagnie concessionnaire du chemin de fer de Louvain à la Sambre, demande des explications détaillées sur les causes qui mettent (page 1708) obstacle à ce que les travaux soient poursuivis dans les environs de Louvain et sur les motifs qui nécessitent la prorogation.

La section centrale pense que ce projet est suffisamment justifié par l’exposé des motifs et insiste particulièrement sur la nécessité où se trouve la compagnie concessionnaire, par suite des circonstances, d'ajourner les appels de fonds.

Les explications plus détaillées que réclame la section centrale pourront être fournies dans la discussion.

En conséquence, la section centrale propose à l'unanimité l'adoption des trois projets de loi.

- La chambre met la discussion de ces trois projets de loi à l'ordre du jour de la présente séance.

Projet de loi approuvant la convention internationale portant abolition de la traité des nègres

Dépôt

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Le Roi m'a chargé de présenter à la chambre un projet de loi ayant pour objet de soumettre à son assentiment la convention conclue avec l'Autriche, la Grande-Bretagne, la Prusse et la Russie pour l'accession de la Belgique au traité relatif à l'abolition de la traite des nègres.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi, qui sera imprimé et distribué.

La chambre le renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi prorogeant le délai d'exécution du chemin de fer de Flandre occidentale

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Messieurs, j'ai l’honneur de déposer un projet de loi, ayant pour objet d'accorder une prorogation de délai à la compagnie du chemin de fer de la Flandre occidentale.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi, qui est renvoyé à la section centrale qui a examiné les autres projets de même nature.

M. de Brouckere. - La section centrale pourra se réunir un moment, et faire un rapport dans la séance.

Rapports sur des pétitions

M. David. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de votre commission d'industrie sur plusieurs pétitions d'administrations communales et d'habitants du Hainaut qui demandent que le gouvernement soit autorisé à étendre au minerai de fer, à la castine et aux perches des houillères, la réduction des péages sur la Sambre.


M. Cans. -J'ai l'honneur de déposer sur le bureau un rapport de la commission d'industrie sur quatre pétitions de brasseurs et marchands.de levure.

Projet de loi qui réduit à 1 centime, la ruche, les droits à l'entrée et à la sortie sur les abeilles en ruches

Dépôt et rapport de la commission

M. Bruneau. - J'ai l'honneur de déposer les rapports de votre commission d'industrie sur des pétitions demandant un changement de droits de douanes sur les ruches d'abeilles, la cire et le miel.

La commission propose une modification au tarif actuel en ce qui concerne la sortie des ruches d'abeilles.

- Ces rapports seront imprimés et distribués.

Projet de loi qui supprime l'impôt du timbre sur les journaux et écrits périodiques

Rapport de la section centrale

Projet de loi qui rend l'emploi du timbre obligatoire pour les effets de commerce

Rapport de la section centrale

M. d'Huart. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner les projets de loi relatifs aux modifications à apporter à la législation sur le timbre.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. Les deux projets figureront à la suite des objets à l'ordre du jour.

Motion d'ordre

Siège de l'élection au chef-lieu de canton

M. Jonet (pour une motion d’ordre). - Messieurs, il y a quatre semaines que des pétitions nous sont arrivées des cantons de Jodoigne, Perwez et Wavre ; ces pétitionnaires demandaient à pouvoir voter à l'avenir soit au chef-lieu de leur canton, soit, au moins, dans la ville de Wavre. Ces pétitions ont été renvoyées à M. le ministre de l'intérieur avec demande de renseignements. Depuis lors je n'ai plus entendu parler de cette affaire. Je prierai M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien donner les renseignements demandés et s'expliquer sur la question de savoir s'il n'y aurait pas moyen de faire un bout de loi pour rendre justice aux pétitionnaires.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - J'ai adressé un rapport à' M. le président de la chambre ; je pense qu'il lui sera parvenu. La question donne lieu à une divergence d'opinions, dans les localités-même, et je dois ajouter que la députation permanente, qui a été consultée, n'a pas donné un avis favorable. Dans l'état actuel des choses, l'intention du gouvernement n'est pas de déposer un projet de loi.

M. de Mérode. - Je suis étonné, messieurs, que la députation permanente n'ait pas donné un avis favorable à la réclamation .dont l'honorable M. Jonet vient de parler. Il suffit de prendre une carte du pays pour voir combien il sera difficile aux électeurs, rendus beaucoup plus nombreux qu'ils ne l'étaient précédemment, de se transporter, de tous les villages les plus éloignés de l’arrondissement, au, chef-lieu, qui se trouve entièrement à l'extrémité. Je dirai, messieurs, que maintenir cet état de choses, c'est nuire à la ville de Nivelles, car, c'est faire, ressortir la difficulté que les électeurs éprouveront à exercer leurs droits.

Dans l'intérêt même de la ville de Nivelles, j'insiste pour que le gouvernement présente, avant la clôture de la session actuelle, une mesure qui mette les électeurs des cantons dont il s'agit dans la possibilité d'exercer leurs droits. Sans cela la moitié, au moins, de ces électeurs ne pourront pas prendre part aux élections, attendu qu'ils devraient faire une absence de trois jours. Il n'y a pas même de route directe. Je le demande, messieurs, y a-t-il égalité entre des électeurs dont les uns peuvent exercer leurs droits en sortant de chez eux pendant une heure ou deux et dont les autres ne peuvent les exercer qu'en s'absentant pendant trois jours ?

Evidemment, messieurs ; il est indispensable de faire droit à la pétition dont il s’agit. Quant à la députation permanente, je suis persuadé que si elle avait sérieusement examiné la question, elle n'aurait pas donné un avis défavorable. Je demande, moi, que M. le ministre agisse conformément à ce que son propre bon sens lui indiquera sans s'inquiéter de la décision de la députation permanente.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je reconnais que la circonscription électorale de l'arrondissement de Nivelles offre des inconvénients pour un grand nombre d'électeurs, mais ils ne sont point particuliers à l'arrondissement de Nivelles. Dans des proportions moindres, ils existent dans un assez grand nombre d'arrondissements. Il faut donc que le gouvernement et la législature procèdent avec une extrême réserve, dans la révision de ces circonscriptions électorales. J'avoue que, s'il y a des motifs d'établir de nouvelles divisions, l'arrondissement de Nivelles est un de ceux qui doivent figurer en tête des arrondissements où des modifications devraient être introduites ; mais une fois qu'on sera entré dans cette voie, sous peine de faire des injustices à d'autres arrondissements qui ne sont pas lésés de la même manière, mais qui ont aussi à se plaindre de l’éloignement, nous devrons généraliser la mesure. Il convient donc de s’abstenir aussi longtemps qu'il sera possible.

Voilà, les motifs qui ont déterminé l'avis de la députation permanente du conseil provincial. Je répète que les électeurs de l'arrondissement ne sont pas même d'accord sur la nouvelle division à introduire ; que les uns veulent une division électorale cantonale, et que d'autres veulent deux divisions électorales, dont l'une aurait pour chef-lieu Wavre, et l'autre Nivelles. Il conviendrait donc que les électeurs lésés par la circonscription actuelle se missent d’accord sur la nouvelle circonscription à établir.

Il faudra que, pour cette fois, les électeurs de l'arrondissement de Nivelles prennent, comme ils l'ont toujours fait, conseil de leur patriotisme, et passent sur certains inconvénients matériels pour venir exercer leurs droits politiques. Je crois que les électeurs de l'arrondissement de Nivelles sont de trop bons citoyens, pour exiger, dans leur intérêt particulier, des mesures qui pourraient donner lieu à des conséquences fâcheuses au point de vue général.

Des membres. - L’ordre du jour !

M. de Mérode. - M. le ministre de l'intérieur vient de dire que les électeurs n'étaient pas d'accord dans toutes les communes, relativement à la localité qu'on pourrait fixer pour faciliter l'exercice de leurs droits électoraux.

Mais s'ils ne sont parfaitement d'accord sur le meilleur moyen de faciliter l'exercice de ces droits, au moins ils sont tous d'accord sur ce point, qu'une réunion subsidiaire à Wavre serait beaucoup moins gênante pour eux, que l'obligation de se transporter à Nivelles. Il y a plus ou moins dans la facilité à exercer les droits, mais faute de plus, on accepterait le moins.

Quelque soit le patriotisme des électeurs de l'arrondissement de Nivelles, ils ne pourront pas, dans l'état actuel, se déplacer tous ; la majorité même ne pourra pas se déplacer pour aller à Nivelles, eu égard aux difficultés qui se rattachent à ce voyage et à la multiplication du nombre des électeurs ; car précédemment, il était déjà assez difficile de réunir les électeurs à Nivelles ; et maintenait que le nombre des électeurs est considérablement augmenté, il y aura véritablement impossibilité. (L'ordre du jour !)

M. le président. - Il n'y a pas de proposition ; nous passons à l'ordre du jour.

M. de Mérode. - Ma proposition est que M. le ministre de l'intérieur veuille se livrer immédiatement à un nouvel examen de la question, et que si, comme je viens de l'établir, il reconnaît la nécessité de faire droit aux pétitions, il nous propose un projet de loi, que nous voterons avant notre séparation.

- L'ordre du jour est prononcé.

Projets de loi instituant un conseil de prud'hommes à Patûrages et à Boussu

Rapport de la section centrale

M. Rousselle. - Une commission spéciale, qui m'a fait l'honneur de me nommer son président, a été chargée de l'examen de projets de loi ayant pour objet d'établir un conseil de prud'hommes à Pâturages et à Boussu. Cette commission a été arrêtée par une observation grave qu'elle a eu l'honneur de soumettre à M. le ministre des affaires étrangères avec prière de demander l'opinion de M. le ministre de la justice. La réponse n'est pas parvenue à la commission. La session est au moment de finir, la commission sera dans l'impossibilité de présenter un rapport à la chambre. La commission pense qu'il n'y a pas péril en la demeure, que cette affaire peut être ajournée à la session prochaine. C'est ce que j'ai l'honneur de proposer à la chambre.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - J'ai transmis à M. le ministre de la justice la demande de la commission, je présume qu'incessamment il aurait pu envoyer les renseignements demandés. J'aurais désiré qu'il fût présent avant que la chambre prît une résolution sur la proposition de la commission. Je demande que la chambrene prenne pas maintenant de décision sur la proposition dont il s'agit.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - La chambre avait décidé la discussion immédiate de divers projets de loi ayant pour objet d'accorder des délais pour l'exécution de plusieurs chemins de fer. M. le ministre des travaux publics ayant un amendement à présenter et devant se rendre au sénat demande que la discussion de ces projets soit renvoyée à demain.

(page 1709) M. Manilius. - Je demande alors l'impression du rapport.

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Ce n’est pas pour réfléchir que je demande la remise de la discussion des projets, dont il s'agit, c'est parce que relativement à un de ces projets, celui qui concerne le chemin de fer de Mons à Manage, la compagnie propose d'affecter son cautionnement pour l'achèvement de cette ligne aux mêmes conditions que celles qui ont été arrêtées pour le cautionnement de la Dendre. Je désire à cet effet saisir la chambre d'un amendement, je le présenterai demain.

M. Manilius. - Je persiste à demander l'impression. Nous pourrons ainsi examiner le rapport et l'amendement de M. le ministre.

- L'impression et la distribution du rapport sur les divers projeta, ainsi que l'amendement annoncé par M. le ministre sont ordonnées.

Projet de loi prorogeant le délai d'exécution du chemin de fer de la Flandre occidentale

Rapport de la section centrale

M. de Brouckere. - Messieurs, la section centrale qui a été chargée de l'examen du projet de loi concernant la prorogation de délai demandée par la compagnie du chemin de fer de la Flandre occidentale vous propose par mon organe l'adoption de ce projet de loi.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.

Projets de loi de naturalisation

M. Maertens, au nom de la commission des naturalisations, présente 22 projets de loi relatifs à des demandes de naturalisation prises en considération par les deux chambres.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces projets de loi. Une proposition de M. Gilson., ayant pour objet la mise à l'ordre du jour de ces projets de loi, n'est pas adoptée.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère de l'intérieur

Rapport de la section centrale

M. Maertens, rapporteur. - Messieurs, dans la séance d'hier, la chambre a renvoyée à l'examen de la section centrale deux nouvelles demandes de crédits supplémentaires, présentées par M. le ministre de l'intérieur, l'une de 8,480 fr., pour payer les dépenses provenant des mesures prises pour prévenir la falsification de la graine de lin à semer ; l'autre de 40,000 fr., pour faire face aux besoins du service de santé.

Voici les motifs sur lesquels ces deux demandes de crédits sont basées.

Introduction de la graine de lin de Riga.

Il résulte des recherches faites par l'administration que la culture du lin dans les Flandres tend tous les ans à diminuer et que, par suite de cette circonstance, un grand nombre d'ouvriers employés à la manipulation de cette plante se trouvent sans travail.

Le gouvernement a été amené à s'enquérir des causes qui peuvent avoir produit cette diminution dans la culture, malgré le prix assez élevé que le producteur retire des lins de première qualité. Il a acquis la conviction que l'une des causes de cette décadence consiste dans la falsification de la graine débitée au cultivateur.

La meilleure graine de lin, celle qui donne les produits les plus estimés, et par conséquent d'une plus haute valeur, vient de Riga. Dans ce port d'exportation la graine est soumise à un contrôle, les barils qui la contiennent reçoivent une marque officielle avant d'être expédiés à l'étranger. On est donc obligé d'admettre qu'elle arrive pure de tout mélange dans nos ports, et que c'est en Belgique même que s'opère la fraude, qui consiste à racheter les vieux barils portant la marque de Riga, à les remplir de graines d'autres provenances et à les revendre sont le nom de graine de Riga.

De là surviennent des mécomptes et des pertes qui découragent le cultivateur et l'engagent à restreindre la culture de cette plante.

Le gouvernement a cru de son devoir de prendre, dans l'intérêt de la population des Flandres, des mesures pour remédier à un tel état de choses, et, à cet effet, un arrêté royal en date du 17 novembre 1847, a restreint, à certains bureaux, l'importation des graines de lin de Riga et a ordonné la marque et le plombage des barils de graines dont l'origine était suffisamment justifiée. Les dispositions prises par l'administration, en vertu de cet arrêté, ont été combinées de telle façon que la falsification devînt en quelque sorte impossible. Les frais d'apposition des plombs et de la marque ne doivent pas, aux termes de l'arrêté royal précité, tomber à la charge du commerce. Le gouvernement a pensé qu'il convenait, pour cette année, de mettre cette dépense à la charge de l'Etat.

Les frais du plombage et de la marque, calculés au taux le plus réduit, s'élèvent à 50 centimes par baril. Le nombre des barils importés depuis la date du 18 novembre 1847 jusqu'au 1er avril suivant, s'élève à 24,130, dont les frais montent à 7,249 fr.

Les importations du deuxième trimestre de 1848 entraîneront une dépense que l'on peut, au maximum, évaluer à 1,000 fr.

Les frais de confection des fers et de la marque s’élèvent à 231 fr.

Le total de la dépense est donc de 8,480 fr.

Il est à remarquer que les mesures qui ont occasionné cette demande de crédit ont été prises à titre d'essai et que, s'il résulte de l'enquête que le gouvernement a établie, qu'elles atteignent le but proposé, les frais du plombage et de la marque des barils seront mis à la charge du commerce. La dépense dont il s'agit ne devra donc plus se renouveler.

Service de santé

L'épidémie qui, l'hiver dernier, régnait dans les Flandres, et qui n'a pas entièrement cessé ses ravages, a déjà complétement absorbé la somme de 23,300 fr. portée à l'article 2 du chap. XXI du budget de 1848.

Cette allocation était destinée à faire face à différentes dépenses ; elle servait ordinairement :

1° A donner des encouragements pour la propagation de la vaccine ;

2° Pour le service sanitaire des ports et côtes ;

3° Pour accorder des subsides aux élèves sages-femmes ;

4°Pour allouer des subsides aux communes en cas d'épidémies, pour impressions et dépenses imprévues.

Comme il ne reste plus de ressources pour satisfaire aux besoins du service de santé pendant les huit mois restants, le gouvernement demande qu'à cette fin, une somme de 40,000 fr. soit ajoutée à celle portée au budget pour l'exercice courant.

Cette somme se subdivise de la manière suivante :

1° Pour le service de la vaccine, les ports de mer, les subsides aux élèves sages-femmes ; impressions et dépenses imprévues : 14,000 fr.

2° Secours aux communes à l'occasion des épidémies, surtout aux communes où règnent les fièvres typhoïdes : 20,000 fr.

3° Récompenses pécuniaires, médailles et subventions à accorder pour services rendus à l'occasion des épidémies : 6,000 fr.

Total : 40,000 fr.

La section centrale apprécie l'importance des mesures auxquelles les deux crédits demandés sont destinés à faire face et, s'en rapportant quant au dernier, aux évaluations présentées par le gouvernement, elle a l'honneur de proposer à la chambre d'ajouter aux crédits supplémentaires admis dans la séance d'hier, les deux articles suivants :

« Art. 4. Il est alloué au budget du département de l'intérieur pour l'exercice 1848, une somme de 8,480 fr. pour payer les dépenses provenant des mesures prises par l'arrêté royal du 15 novembre 1847, à l'effet de prévenir la falsification de la graine de lin à semer. »

« Art. 5. Une somme de 40,000 fr. est ajoutée au crédit voté à l'article 2 du chapitre XXI du budget de 1848. »

Vote des articles et sur l’ensemble du projet

- Les articles 4 et 5, proposés par la section centrale, sont successivement mis aux voix et adoptés.


Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'ensemble du projet de loi ; en voici le résultat :

89 membres sont présents.

3 (MM. Faignart, Dautrebande et Delfosse) s'abstiennent.

86 prennent part au vote.

70 votent pour l'adoption.

16 votent contre.

La chambre adopte.

Ont voté pour l'adoption : MM. Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Loos, Maertens, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Orban, Orts, Pirson, Raikem, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vanden Eynde, Van Huffel, Van Renynghe, Veydt, Vilain XIIII, Anspach, Brabant, Broquet-Goblet, Bruneau, Cans, Clep, Cogels, d'Anethan, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, de Clippele, de Corswarem, Dedecker, de Denterghem, de Foere, de Haerne, de la Coste, Delehaye, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Meester, de Mérode, de Sécus, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de T’Serclaes, de Villegas, d'Hane, d'Hoffschmidt, Donny, Dubus (aîné), Dumont, Duroy de Blicquy, Fallon, Gilson, Henot, Herry-Vispoel, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau et Verhaegen.

Ont voté contre : MM. Lys, Moreau, Osy, Pirmez, Tielemans, Tremouroux, Vandensteen, Bricourt, David, de Bonne, de Man d'Attenrode, Desaive, Destriveaux, Dubus (A.), Eenens et Eloy de Burdinne.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Dautrebande. - Je n'ai pas été présent à la discussion.

M. Delfosse. - Je me suis abstenu parce que le projet de loi comprend avec des dépenses qui sont justifiées, d'autres dépenses auxquelles il m'est impossible de donner mon assentiment et qu'on devrait laisser pour compte de ceux qui ont eu le tort de les faire sans autorisation.

M. Faignart. - Je me suis abstenu parce que je n'ai pas assisté à la discussion.

Projet de loi portant institution du système des warrants

Discussion des articles

Article 5

« Art. 5. Le gouvernement désignera les marchandises indigènes et étrangères auxquelles sont applicables les dispositions des articles précédents. »

M. le président. - M. T'Kint de Naeyer propose la rédaction suivante :

« Le gouvernement désignera les marchandises indigènes, et les denrées et matières premières étrangères auxquelles sont applicables les dispositions des articles précédents. »

M. T’Kint de Naeyer. - Messieurs, l'amendement que j'ai déposé sur le bureau n'est, en réalité, qu'un changement de rédaction. En vous proposant de substituer aux mots « marchandises étrangères », les mots (page 1710) « denrées et matières premières étrangères », mon but a été de mettre l'article 5 en harmonie avec l'article premier, qui, sur ma proposition, avait été modifié dans ce sens par la section centrale. Je suis persuadé que c'est par suite de la rapidité avec laquelle M. le rapporteur a dû terminer son travail, que cette rectification n'a pas été faite à l'article 5.

Messieurs, puisque j'ai la parole, je demanderai à ajouter quelques observations très succinctes relativement à l'application des warrants aux produits indigènes.

Je ne puis partager, à cet égard, l'opinion qui a été émise dans la séance d'hier, par mon honorable ami, M. Gilson. Je crois que dans la crise exceptionnelle que nous traversons, la mesure sera utile, et que nous devons en attendre de bons résultats. En effet, à moins qu'il ne soit possible d'anticiper en quelque sorte par la circulation sur la consommation qui est momentanément diminuée, un grand nombre d'industriels ne pourront pas continuer à donner du travail à leurs ouvriers.

J'engagerai le gouvernement à soumettre les mesures réglementaires et d'exécution à l'avis des chambres de commerce. Car il me semble que ces mesures devront nécessairement varier selon les localités et selon les besoins des industries auxquelles il s'agit de venir en aide. Il faut surtout éviter qu'une institution qui est bonne en principe ne dégénère en abus et que les entrepôts que le gouvernement compte ouvrir ne deviennent une nouvelle espèce de monts-de-piété.

Plusieurs membres du cabinet ont déclaré dans la séance d'hier, qu'une partie très considérable des fonds qui avaient été affectés, par la loi du 20 mars, au comptoir d'escompte, restait encore disponible. Si ces fonds n'ont pas trouvé d'emploi, on pourrait en conclure, comme vous l'a dit hier, je crois, un honorable membre, que les valeurs commerciales créées par les transactions antérieures commencent à s'épuiser et que les ventes courantes ne les renouvellent que dans une très faible proportion. Je suis loin de vouloir contester ce fait qui se reproduira nécessairement dans tous les temps de crise.

Mais ce qui est vrai en thèse générale peut ne pas être applicable dès à présent à toutes les localités. A Gand, messieurs, les industriels ont lutté courageusement, mais très péniblement, pour pouvoir maintenir le travail ; car il n'a pas été possible jusqu'à présent d'y donner au crédit toute l'extension que des besoins légitimes et réels réclamaient impérieusement. Je ne crains pas de dire que si le comptoir d'escompte pouvait mettre dans ce moment à la disposition de la banque des Flandres un million et davantage peut-être, elle serait à même d'en faire un emploi très utile. J'espère donc, messieurs, que cet établissement sera admis dorénavant au réescompte dans une proportion beaucoup plus large.

Je pourrais, à l'appui de ces observations, faire valoir de hautes considérations d'ordre public, comme M. le ministre de l'intérieur l'a fait dans la séance d'hier ; mais comme je suis convaincu qu'il en est très pénétré lui-même, je me bornerai à insister pour qu'à l'avenir le gouvernement imprime plus d'activité aux rapports du comptoir d'escompte avec les provinces.

M. Mercier, rapporteur. - Messieurs, l'article premier stipule qu'en ce qui concerne les marchandises étrangères, le titre de possession ne peut être délivré que pour les denrées et matières premières. Il ne peut donc y avoir de doute sur la portée de l'article 5, et je ne vois pas pourquoi il faudrait faire à cet article la distinction que l'on propose. S'il est de toute évidence qu'en ce qui concerne les marchandises étrangères, le gouvernement ne pourra accorder des titres que pour les denrées et les matières premières, je ne puis comprendre l'utilité de l'amendement de l'honorable député de Gand.

M. Delehaye. - La rédaction de l'article 5 me paraît laisser un doute, que l'on ferait disparaître en disant : « Le gouvernement désignera les marchandises indigènes et étrangères indiquées à l'article premier auxquelles sont applicables les dispositions des articles précédents ».

M. T’Kint de Naeyer. - Je me rallie à cette rédaction.

M. Tielemans. - Messieurs, l'amendement me paraît inutile, mais je crois cependant qu'il y aurait une amélioration à introduire dans l'article 5, L'article 5 parle des marchandises auxquelles sont applicables, dit-il, les dispositions des articles précédents ; conséquemment il s'agit et des matières premières et des denrées mentionnées au premier paragraphe de l'article premier et des marchandises indigènes mentionnées au paragraphe 2. Dès lors l'article 5 est très clair, si l'on retranche seulement les mots « indigènes et étrangères ».

Je proposerai cette suppression.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Je me rallie à cet amendement.

- L'article, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.

Articles 6 et 7

« Art. 6. Les règles relatives à l'entretien des marchandises et à la responsabilité des dépositaires, établies par la loi du 4 mars 1846, seront observées à l'égard des marchandises indigènes.

« Ces marchandises seront soumises aux mêmes droits d'entrepôt que les marchandises étrangères. »

- Adopté.


« Art. 7. Le gouvernement réglera l'application de la présente loi. Les dispositions qu'il aura prises à cet effet formeront l'objet d'un projet de loi qui sera présenté aux chambres législatives dans la session de 1848-1849. »

- Adopté.

Second vote des articles et vote sur l’ensemble du projet

- La chambre décide qu'elle procédera immédiatement au vote définitif.

Les amendements introduits dans le projet sont successivement mis aux voix et définitivement adoptés.

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

83 membres sont présents.

74 adoptent.

3 rejettent.

6 s'abstiennent.

En conséquence, le projet est adopté.

Ont voté l'adoption : MM. Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Loos, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Moreau, Orts, Pirson, Raikem, Rodenbach, Rogier, Sigart, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vandensteen, Van Huffel, Van Renynghe, Veydt, Vilain XIIII, Zoude, Anspach, Brabant, Broquet-Goblet, Bruneau, Cans, Clep, Cogels, d'Anethan, David, de Bonne, de Breyne, Brouckere, Dechamps, de Clippele, de Corswarem, Dedecker, de Denterghem, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Meester, Desaive, de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de T'Serclaes, de Villegas, d'Hane, d'Hoffschmidt, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dumont, Duroy de Blicquy, Eenens, Eloy de Burdinne, Fallon, Gilson, Henot, Herry-Vispoel, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau et Verhaegen.

Ont voté le rejet : MM. Lys, Orban et Vanden Eynde.

Se sont abstenus : MM. Osy, Rousselle, Tielemans, Bricourt, Dautrebande et de Foere.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus, sont invités, aux termes du règlement, à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Osy. - Messieurs, j'aurais donné un vote approbatif à la loi sur les warrants si on n'y avait pas introduit la disposition qui a été présentée hier par l'honorable ministre des affaires étrangères. A aucune condition, je ne puis consentir à ce qu'on immobilise une partie des fonds des billets de banque qui ont été mis à la disposition du gouvernement ; je ferai tout ce qui dépendra de moi pour les retirer de la circulation le plus tôt possible.

M. Rousselle, M. Tielemans, M. Bricourt et M. de Foere déclarent s'être abstenus pour les mêmes motifs.

M. Dautrebande. - Je me suis abstenu parce que je n'ai pas assisté à la discussion.

Rapports sur des pétitions

Rapport fait, au nom de la commission permanente de l'agriculture, du commerce et de l'industrie , sur la pétition dc sieur Coupiny, concernant l'entrée des fèces ou lies d'huiles.

M. David, rapporteur. - La commission conclut à ce que le système douanier en vigueur jusqu'au 31 décembre 1847, en ce qui touche l'entrée des fèces de foie de morue soit rétabli et que, si la chose paraît nécessaire, des bureaux de douanes soient expressément désignés pour les déclarations à l'entrée de cette matière première, et vous propose, vu l'urgence, de renvoyer à cet effet la présente pétition à MM. les ministres des finances et des affaires étrangères.

- Personne ne demandant la parole, le renvoi de la pétition à MM. les ministres des finances et des affaires étrangères est mis aux voix et adopté.


Discussion du rapport fait, au nom de la commission permanente de l'industrie, par sur la pétition d'ingénieurs, fabricants et inventeurs, concernant la loi sur les brevets d'invention.

M. Gilson, rapporteur. - La conclusion de la commission est le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur.

- La discussion est ouverte. La parole est à M. Lejeune.

M. Lejeune. - Messieurs, si ce que le rapport contient est exact, il n'y a rien à dire pour le moment sur la question. La commission d'industrie nous annonce que M. le ministre de l'intérieur a nommé une commission chargée de l'examen de la question concernant la révision de la législation des brevets ; ce qui constituera un commencement d'organisation de la propriété intellectuelle ; c'est tout ce que nous avons demandé jusqu'à présent.

Je déplore que, par un motif très regrettable, nous n'ayons pas un rapport plus étendu sur cette question. Si ce motif n'avait pas existé, je suis persuadé que l'honorable rapporteur aurait produit à la chambre un travail tout à fait digne de l'importance du sujet. Je ne puis, pour le moment, qu'appuyer les conclusions de la commission et engager le gouvernement à persister dans son intention de faire examiner la question. Là se bornent, pour le moment, les vœux des pétitionnaires.

On veut aujourd'hui des innovations, des réformes ; eh bien, qu'on tente cette réforme-là ; cette innovation, on pourra l'essayer sans aucun danger pour nos finances, qui s'en trouveront peut-être bien, sans aucun danger pour les droits acquis. Tout ce qui est aujourd'hui dans le domaine public y resterait ; tout ce qui est dans le domaine de la libre concurrence y resterait. S'il y a changement de système dans la législation sur les brevets, ce changement n'atteindra que l'avenir.

Tandis que quelques hommes vont jusqu'à poser en principe la non-propriété, organisons chez nous la propriété intellectuelle ; donnons des garanties à un droit de propriété qui n'est pas suffisamment protégé par la loi.

Si, contre toute prévision, le nouveau système à introduire ne produisait pas tous les effets qu'on en espère, on pourrait facilement en (page 1711) revenir, sans compromettre aucun intérêt, sans avoir causé le moindre préjudice à qui que ce soit.

J'engage donc le gouvernement à ne pas perdre de temps pour examiner cette question.

- Le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur est mis aux voix et adopté.

Projet de loi sur les incompatibilités parlementaires

Discussion générale

M. le président. - Le dernier objet à l'ordre du jour est le projet de loi sur les incompatibilités parlementaires.

Des membres. - A demain.

M. de Theux. - On peut ouvrir la discussion générale.

- La chambre consultée décide qu'on ouvrira immédiatement la discussion générale.

M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Non, M. le président.

M. le président. - La parole est à M. de Bonne.

M. de Bonne. - Messieurs, le rapport sur le projet de loi soumis à votre examen rappelle qu'une question de constitutionnalité a été soulevée dans deux sections. Dans une seule, la première, elle a été soumise à un vote ; un seul membre a cru à l'inconstitutionnalité du projet de loi. Ce membre, c'est moi, et je viens donner les motifs de mon opinion.

La question soumise à vos délibérations me semble une des plus graves qui vous aient jamais occupés. Au moment où toutes les opinions regardent l'observation stricte, rigoureuse, littérale de la Constitution, comme la seule ancre de salut au milieu des tempêtes qui grondent autour de nous, au moment où les grands corps de l'Etat, les assemblées politiques, les organes de la presse croient nécessaire, pour rassurer les esprits inquiets, de demander ou de répéter, comme formule sacramentelle, « la Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution » ; c'est alors que le ministère, mû sans doute par les intentions les plus libérales, mais se laissant entraîner, par un désir inconsidéré du bien, hors des limites constitutionnelles, vient vous proposer, selon moi, d'effacer un des articles les plus importants de la Constitution, l'article 50 qui fixe les conditions d'éligibilité, et qui non seulement les fixe, mais, comme si le législateur eût prévu vos intentions, vous défend d'avance d'y rien ajouter, vous déclare non seulement qu'il n'y a aucune autre condition d'éligibilité que celles qu'il énumère, mais encore qu'il ne peut y en avoir. « Aucune autre condition d'éligibilité, est-il dit, ne peut être requise ».

Ceci n'est-il pas manifeste, positif, frappant ? Ceci laisse-t-il la moindre ouverture à l'équivoque, aux ambages, à l'interprétation ? C'est là surtout ce qui m'a frappé dès que le projet de loi actuel a été proposé. J'ai vu cette assemblée se poser elle-même en pouvoir constituant, répondre au congrès : Vous avez dit qu'aucune autre condition d'éligibilité ne pouvait être requise ; et nous, nous prétendons en requérir d'autres ; à celui qui nous prouvera qu'il est Belge, qu'il jouit des droits civils, qu'il a 25 ans, qu'il est domicilié en Belgique, nous dirons : Tout cela ne nous suffit pas, prouvez encore que vous n'êtes pas fonctionnaire ; et ce que le congrès n'a pas exigé, n'a pas voulu que personne exigeât, nous qui n'avons pas cette mission, nous l'exigeons, en usurpant un mandat qu'on ne nous a pas confié, qui ne nous appartient pas, que les pères de la ' Constitution belge ont défendu qu'on nous confiât.

Ne vous semble-t il pas, messieurs, que cette considération doit dominer toute la question, que les arguments les plus puissants en faveur des incompatibilités doivent tomber devant ce mot légal : Nous ne pouvons pas.

Mais songez donc qu'il y a quelques jours à peine des journaux, des brochures, l'opinion de certains publicistes du pays, l'exemple d'une grande nation voisine vous demandaient le suffrage universel ; qu'avez-vous fait ? Vous avez abaissé le cens à 20 florins. Mais là vous vous êtes arrêtés. Pourquoi ? Parce que là était la limite fatale, le « non amplius ibis » que vous traçait la Constitution ; et les meilleures raisons du monde ne vous eussent point déterminés à retrancher un centime des 20 florins qui étaient la limite de vos pouvoirs.

Et pourtant, messieurs, l'autorité constituante n'avait pas ajouté : Ce cens ne peut être diminué d'un centime.

Vous ne vous croyez pas le pouvoir constituant quand il s'agit de donner des droits d'électeurs à des citoyens à qui la loi suprême ne les a pas donnés, et vous vous constitueriez souverains pour enlever le droit d'éligibilité à des citoyens à qui la loi suprême l'a donné.

Mais une fois que vous aurez enlevé la barrière posée par l'article 50, on peut, et à bien plus forte raison, vous demander la suppression de celle qu'impose l'article 47 ; l'éligible fonctionnaire, comme tout autre, peut ne pas être électeur ; cette condition n'étant pas exigée, cet éligible vous dira ; Quoi ! vous prétendez ne pouvoir me donner le droit d'élire parce que la Constitution ne me le donne pas, et vous voulez m'enlever le droit d'être élu que cette même Constitution me donne ? Expliquez, si vous le pouvez, de pareilles contradictions.

- On dira que depuis 33 ans, sous le précédent gouvernement comme sous celui-ci, on a signalé de graves inconvénients à l'admission des fonctionnaires dans cette assemblée.

1° Influence des fonctionnaires sur les électeurs ; ceux-ci sont portés à donner leur voix, souvent même en dépit de leur conscience, à des hommes dont ils ont beaucoup à espérer ou beaucoup à craindre ; et le ministère est censé user de tous les moyens de corruption électorale pour faire arriver à la chambre des hommes dont l'intérêt lui répond d'avance de leurs suffrages.

2° L'action du gouvernement sur les fonctionnaires élus.

Ceux-ci, à leur tour, sont portés à aliéner la liberté de leurs votes en faveur du ministère dont ils ont aussi beaucoup à espérer et beaucoup à craindre ; et le ministère est porté à les maintenir sous sa dépendance par les mêmes moyens de corruption qu'il a employés pour les faire parvenir.

3° Le retard dans l'expédition des affaires ou le surcroît de travail pour les collègues du fonctionnaire élu ; la présence des fonctionnaires dans la chambre doit nécessairement amener un de ces deux résultats ;

4° La position fausse du fonctionnaire représentant à l'égard de ses supérieurs qui ne seraient pas représentants, et à l'égard du ministre à qui il doit obéir, comme fonctionnaire, pour l'exécution d'une loi que, comme représentant, il aura peut-être rejetée, combattue même s'il appartient à l'opposition ;

5° L'exemple de plusieurs Etats constitutionnels, nos aînés dans le système représentatif et qui ont admis des incompatibilités ;

6° Enfin l'exemple de la Belgique elle-même, qui en a déjà admis en déclarant inéligibles les membres de la cour des comptes et de la cour de cassation.

Je ne cherche, vous le voyez, messieurs, à diminuer ni le nombre, ni la valeur des objections ; mais je vois que de tous ces griefs, on peut aisément réfuter les uns et remédier aux autres sans violer la Constitution, sans sortir de l'ordre légal.

Plusieurs pays constitutionnels, et la Belgique elle-même, en certains cas, reconnaissent des incompatibilités.

Cela est vrai : En Angleterre, une foule de fonctionnaires sont inhabiles à être élus au parlement ; et, non seulement il existe des incompatibilités parlementaires ; mais des incompatibilités électorales.

Mais en Angleterre, il n'y a pas de constitution proprement dite, souverainement établie, par un corps constituant. Le parlement est omnipotent ; une législature non seulement peut ajouter aux lois constitutives faites par une autre, mais même les modifier, en changer l'esprit, les annuler même.

Une législature créera une incompatibilité, une autre en supprimera et des plus importantes ; c'est ainsi que la suppression des « tests » a fait disparaître cette grande loi d'incompatibilité qui excluait tous les catholiques et les dissidents.

La législature belge n'est point omnipotente comme le parlement anglais.

L'acte de confédération américaine, par son article 5, défend « à tout délégué au congrès de posséder aucun office dépendant des Etats-Unis pour lequel lui ni aucune autre personne pour lui recevrait des appointements, profits ou émoluments quelconques. » Un pouvoir constituant a établi cette disposition.

Le congrès belge, qui la connaissait sans doute, aurait pu l'adopter, et il ne l'a pas voulu.

Parmi les six ou sept constitutions qui se sont succédé en France depuis 1791 jusqu'en 1830, aucune n'admet d'incompatibilités, si ce n'est celle du 5 fructidor an III (22 août 1793) ; seulement celle de 1791 obligeait les fonctionnaires élus à opter entre leur place et la députation.

Mais ce qui résulte de tous ces exemples, c'est que les seules assemblées constituantes proprement dites, c'est-à-dire, celles où les représentants du peuple ont été appelés à cette fin, ont pu établir des incompatibilités et que les assemblées simplement législatives ne l'ont jamais fait et ne pouvaient le faire, quand l'assemblée constituante ou bien avait tracé elle-même la ligne de démarcation, ou n'avait positivement voulu en tracer aucune.

Au reste, ce qui s'est fait ailleurs ne serait ni une règle, ni une justification, ni une excuse pour nous.

Mais, dit-on, il a été établi des incompatibilités en 1830 pour la cour des comptes, en 1832 pour la cour de cassation.

Remarquez, messieurs, que le décret du 30 décembre 1830 a été rendu par le congrès lui-même ; que ce corps était constituant, qu'ainsi il avait qualité pour établir des incompatibilités parlementaires ; le congrès ne faisait que continuer sous ce rapport la Constitution ; mais lui-même sentait si bien que cette qualité donnait à tous ses actes une force qui vous liait tout autrement que de simples dispositions législatives que, ne voulant pas, lui, si peu partisan des incompatibilités, vous enchaîner par cette sorte d'annexé à la Constitution, comme vous l’êtes par la Constitution elle-même, il spécifia positivement à l'article 19 du décret qu'il était soumis à la révision de la législature.

Ainsi le même congrès qui vous défendait péremptoirement de créer aucune incompatibilité ne vous a permis qu'une chose, d'effacer la seule que lui-même ait ajoutée postérieurement.

En dépit de ces intentions si positivement manifestées, la loi organique de l'ordre judiciaire du 4 août 1832, article 6, déclare les fonctions de membre de la cour de cassation incompatibles avec celles de représentant. Mais je regrette de le dire, messieurs, en consacrant cette disposition, la législature, selon moi, a dépassé ses pouvoirs ; elle a agi inconstitutionnellement, elle a donné aux législatures suivantes un exemple pernicieux, et si j’avais eu l'honneur d'appartenir alors à cette chambre, j'aurais protesté de toutes mes forces, comme je le fais aujourd'hui contre ce qui alors comme aujourd'hui m eût paru un abus de pouvoir.

Je regarde donc les exemples cités, soit dans les divers Etats (page 1712) constitutionnels, soit même en Belgique, comme tout à fait étrangers à la question et ne justifiant en aucune manière la proposition de loi qui nous est présentée. Quant aux autres griefs précédemment exposés, je ne les nie point, je les admets même ; mais je pense qu'il est possible d'y porter remède sans violer la Constitution.

Dans tout ce qui tient aux intérêts et de l'administration privée de l'utile collaboration des fonctionnaires élus et des collègues de ces fonctionnaires surchargés d'un surcroit de travail par l'absence forcée de leurs collègues devenus représentants, n'y a-t-il pas moyen de faire remplacer tout fonctionnaire élu par un suppléant ? Il est beaucoup de fonctions pour lesquelles il en existe déjà ; on peut en créer pour celles qui en manquent, en allouant à ces suppléants tout ou partie du traitement du fonctionnaire élu.

Les choses ne se passent-elles pas ainsi quand un fonctionnaire est retenu par une maladie plus ou moins longue et dont souvent on ne peut fixer la durée ? Ce fonctionnaire, dira-t-on, avait des talents, des qualités, des connaissances spéciales et l'administration souffre de cette privation.

Mais, messieurs, ce sont sans doute ces connaissances, ces qualités, ces talents qui ont appelé sur lui le choix de ses concitoyens ; ils ont pensé que tous ces avantages seraient d'une utilité plus puissante et plus générale s'ils étaient appliqués, dans la chambre, au pays tout entier. Vous ne voulez pas que l'administration pâtisse, et vous laisserez pâtir le corps électoral, la représentation nationale, la Belgique entière, en un mot, par l'absence d'un fonctionnaire qui pouvait contribuer au bien-être de tout le pays, comme il contribue au bien-être d'une administration spéciale.

D'ailleurs le ministre a aussi sa responsabilité ; s'il juge que la marche des affaires soit entravée par l'absence d'un fonctionnaire, il a toujours le droit de lui ordonner de rester à son poste, de lui refuser un congé et de cette manière de le forcer à opter.

Mais je veux que ce droit ne soit pas une nécessité légale, qu'il reste facultatif, que le ministre n'en use que sous sa responsabilité devant les chambres et devant le pays ; que le pays et les chambres restent toujours les juges de la conduite dans des occasions semblables.

Si ce qu'on a dit est vrai, le ministère aurait hésité entre la présentation du projet de loi actuel, et la publication d'un arrêté royal qui aurait déclaré qu'à l'avenir aucun congé ne serait accordé aux fonctionnaires pour assister aux séances de la chambre.

Le gouvernement était dans son droit, sa responsabilité le couvrait. Cette mesure était légale à mes yeux.

Pour ce qui tient aux influences des ministres et des fonctionnaires sur les électeurs et les élections, sur tout ce qui est ou ce qui semble corruption électorale, c'est ici que j'invoque toute la sévérité de la loi. Dès qu'une plainte serait portée, que d'office une enquête rigoureuse ait lieu sur la conduite du fonctionnaire ou du ministre accusé, et si sa culpabilité est prouvée, que la peine soit à la hauteur de la faute ; que corrupteur et corrompu soient déclarés à jamais incapables et indignes de toute fonction législative, administrative ou judiciaire.

En Angleterre, des peines sévères sont comminées contre la corruption électorale, « bribery ».

Je sais que, malgré la sévérité des lois, la corruption ne s'exerce en aucun pays d'une manière plus déplorable, plus scandaleuse. C'est que les lois ne suffisent pas, ni sous la monarchie constitutionnelle, ni sous la République. Avec les lois, il faut les mœurs. Mais j'ose le dire et je ne prétends pas ici flatter mes concitoyens, je n'ai jamais flatté personne, le peuple pas plus que les rois, il serait trop tard de commencer ; mais il me sera permis de dire que nos mœurs politiques sont plus pures que celles de l'Angleterre. Ce qui manque aux Belges, ce n'est ni la probité ni la loyauté ; c'est, me paraît-il, l'éducation constitutionnelle. Et cette éducation, à qui incombe le devoir de la donner, si ce n'est à nous ? Ce n'est pas à coups de lois et d'institutions, eu multipliant les incompatibilités que nous rendrons cette chambre digne de la nation et de l'Europe ; c'est par l'éducation constitutionnelle, intellectuelle et morale des électeurs. Le corps électoral, on ne peut se le dissimuler, n'est pas assez instruit de ses droits, ni surtout de ses devoirs. C'est à nous à les lui apprendre.

Pourquoi les fonctions d'électeur ne sont-elles pas légalement obligatoires, comme celles de juré ou de garde civique ? Si vous vous refusez à prononcer sur la culpabilité ou l'innocence de vos concitoyens, à défendre leur repos intérieur, à veiller à la sûreté publique, vous êtes passible de certaines peines ; et si par mauvais vouloir, par indifférence, par égoïsme, par indolence même, vous vous refusez à contribuer au bien-être du pays tout entier qui dépend de la moralité et de la capacité de ses mandataires, vous êtes libre de vous renfermer dans une abstention apathique.

Soyons du moins conséquents, et quand nous exigeons le plus, quand nous demandons une longue session, ou des veilles fréquentes et pénibles, ne craignons pas d'exiger deux ou trois jours par année consacrés aux devoirs électoraux.

Que l'on fortifie dans nos universités l'étude du droit public belge, de la Constitution, de l'économie politique, dans ces parties qui peuvent éclairer l'électeur sur le choix des candidats ; que ces connaissances soient déclarées obligatoires pour l'obtention des grades dans quelque faculté que ce soit.

J'avoue que j'aimerais mieux voir interroger le jeune homme qui se présente pour la candidature en philosophie et lettres sur ces matières que sur les détails infinis, fastidieux et souvent inutiles de l'histoire de la philosophie ancienne ou des antiquités de Rome et de la Grèce, sans nier cependant leur utilité spéciale et relative.

Que ces connaissances exposées d'une manière simple, claire, élémentaire, sans controverses ambitieuses, fassent partie même de l'enseignement moyen ; car plus nous avançons plus, elles deviendront indispensables à tous, sans distinction de rang ni de fortune ; que, comme l'a demandé l'honorable M. Lebeau au commencement de cette session, on cherche à rendre accessible au plus grand nombre la publication des Annales parlementaires, en en réduisant le prix, en les traduisant en flamand, etc.

Il y a beaucoup d'autres moyens, sans doute, de contribuer à l'éducation électorale, et la presse doit être sous ce rapport notre plus puissant auxiliaire.

Je n'ai voulu en parler ici que parce que je la regarde comme le seul moyen licite, réel, efficace avec le temps contre les maux et les abus dont on se plaint. Ces maux et ces abus je suis loin de le nier, je ne crois pas les avoir dissimulés, mais je pense que la loi d'incompatibilités que l'on vous propose n'y remédiera en rien.

Cette loi je la rejette donc :

Comme inutile, s'il existe des inconvénients pour l'administration dans l'admission des fonctionnaires à la chambre, la Constitution et les lois existantes nous donnent assez de moyens de les neutraliser ; si l'on se récrie contre la corruption et les fraudes électorales, une bonne loi pénale est un remède beaucoup plus puissant contre elles que toutes les incompatibilités ; car combien de gens qui ne sont pas fonctionnaires appartiennent pourtant au ministère et peuvent influencer les électeurs, parce qu'ils ont parmi les fonctionnaires des fils, des frères, des parents, des amis !

Comme illogique, en ce que vous ne vous croyez pas le pouvoir de donner le droit d'élection en dessous des limites de la Constitution et croyez avoir celui d'enlever le droit d'éligibilité à ceux qui en jouissent.

Comme injurieuse aux fonctionnaires, en ce qu'elle les déclare incapables de remplir avec indépendance et intégrité le mandat de représentant.

Injurieuse tout à la fois à la nation et aux fonctionnaires en ce qu'elle les place dans un état de présomption légale de corruptibilité.

Enfin inconstitutionnelle en ce qu'elle ajoute à l’article 50 une condition nouvelle d'éligibilité.

M. Lejeune. - Messieurs, ce n'est pas sans quelque répugnance que je prends la parole dans cette discussion. Si j'avais pu donner mon approbation an projet de loi sur la réforme parlementaire, j'aurais été heureux d'émettre un vote silencieux ; le projet de loi ne manquera pas de défenseurs. Mais telle n'est pas ma conviction ; mon vote sera négatif, et dès lors je tiens, non pas à m'engager dans la discussion approfondie des graves questions que soulève cette loi, non pas à défendre mon opinion avec un zèle indiscret ; mais à exprimer simplement et brièvement les motifs de mon vote.

En précisant moi-même les raisons qui me guident, mon but est de ne pas les abandonner au domaine des suppositions plus ou moins erronées.

On me dira peut-être que la loi m'étant applicable, il me restait la ressource de l'abstention ; mais ce moyen terme qui accuse le doute, l'irrésolution, ne serait pas l'expression de ma conviction bien arrêtée. Je croirais manquer à mon devoir de représentant si, mon opinion étant bien formée, j'exprimais, par quelque considération que ce fut, un vote qui n'y fût pas conforme.

D'ailleurs, si, pendant les treize années que j'ai eu l'honneur de siéger dans cette chambre, je n'ai pas été toujours, pas plus que tout autre, à l'abri de l'erreur, j'ai du moins toujours exprimé librement mon opinion, sans égard pour ma position personnelle. On voudra bien me permettre de persévérer dans cette conduite jusqu'à la fin.

Messieurs, la Constitution belge consacre dans le sens le plus large le principe de la liberté électorale. En développant ce principe de liberté, au lieu de le restreindre, on doit finir par s'en rapporter entièrement à la sagesse du collège électoral, en qui réside la souveraineté.

L'application de ce principe de liberté constitutionnelle dans toute son étendue peut, dit-on, donner lieu à des inconvénients, à des abus. Je ne veux pas le nier.

La Constitution laisse-t-elle au pouvoir législatif la faculté d'apporter des restrictions à ce grand principe de liberté ? Je ne soutiendrai pas la négative ; cette question me parait jugée. Je crois que la loi peut établir des exceptions à la règle, sans violer la Constitution.

Mais ce que je soutiens, c'est que, pour ne pas s'écarter de l'esprit de la Constitution, les exceptions doivent se restreindre au strict nécessaire pour prévenir des inconvénients réels, des abus constatés.

Il est contraire à l'esprit de la Constitution d'établir, non pas une exception, mais une règle générale d'exclusion ou d'incompatibilité. Or c'est ce que font et le projet du gouvernement et le projet de la section centrale. J'adresse donc à l'un et à l’autre projet le reproche de s'écarter du sens véritable de la Constitution.

En effet, messieurs, on est bien loin de s’en tenir au strict nécessaire.

On exclut l'armée en masse. Où est donc le grief que vous voulez redresser, l'abus à corriger ? L'armée a-t-elle pénétré trop avant dans les chambres ?

On interdit aux électeurs déporter leur choix sur de nombreuses catégories de fonctionnaires, dont aucun ne s’est jamais présenté devant un collège électoral. Qu'est-ce que cette exclusion inutile, si ce n’est un acte d'inutile défiance envers le corps électoral ?

(page 1713) On veut interdire l'entrée des chambres aux ministres des cultes rétribués par l'Etat. Est-ce pour sauver le pays d'un grand danger ?

Chose étrange, c'est au moment même où, par le libre jeu de nos institutions, les ministres des cultes se retirent de plus en plus de toute lutte politique, qu'on voudrait les frapper d'incapacité ?

Il semble vraiment qu'on a hâte de faire la loi d'exclusion, de peur qu'elle ne devienne inutile.

Remarquez encore qu'il n'est fait aucune distinction entre les deux chambres ; cependant pour le sénat le choix des électeurs est déjà très restreint, et d'ailleurs la session de cette assemblée se borne, en temps ordinaire, à 50 ou 60 séances.

La réforme parlementaire semble devoir être le corollaire indispensable de la réforme électorale ; mais la différence entre ces deux espèces de réforme est incommensurable.

Qu'est-ce que la réforme électorale ? C'est un large développement d'un droit constitutionnel ; c'est la fécondation d'un principe libéral, posé dans la Constitution ; c'est donner à un grand nombre de citoyens belges des droits politiques dont ils avaient été privés jusqu'ici ; c'est le progrès dans la liberté. Cette réforme, aussi radicale que possible, j'ai pu la voter à cause des circonstances ; marchant avec notre temps, qui a marché très vite, j'ai pu voter cette réforme par entraînement ; je l'ai votée sans regret, sans arrière-pensée, et de plus sans aucune inquiétude pour mon pays, que je crois en état de supporter cette somme de liberté.

Mais la reforme parlementaire, telle qu'elle est proposée, est loin d'avoir les mêmes caractères ; ce n'est pas un progrès, ce n'est pas le développement, mais la restriction d'un principe constitutionnel ; c'est restreindre la liberté électorale, la plus précieuse de toutes les libertés ; c'est restreindre la souveraineté du collège électoral, la base de notre organisation politique ; c'est un acte de défiance envers le corps électoral.

Le projet de loi s'écarte donc de l'esprit de la Constitution. Pénétré de ces sentiments, je ne puis ni l'approuver ni m'abstenir.

On pourrait me demander si, selon mon opinion, il faudrait maintenir le statu quo, s'il n'y aurait rien à faire pour prévenir des inconvénients que je n'ai pas niés, et pour donner satisfaction à l'opinion publique sur certains points.

Messieurs, j'aurais désiré qu'on eût remédié, autant que faire se peut, à des inconvénients réels ou possibles, non pas par des lois qui apportent des restrictions aux principes fondamentaux de nos institutions ; mais par des mesures d'ordre purement secondaires, qui eussent donné des garanties nouvelles et fortes de l'indépendance du député quel qu'il fût ; et de son dévouement aux intérêts de la patrie. Mais il ne m'appartient pas de faire des propositions nouvelles, qui seraient d'ailleurs inutiles et qui me feraient sortir de la réserve que je me suis imposée dans ce débat.

Quant à l'opinion publique, c'est dans le collège électoral qu'elle doit exercer et qu'elle exercera principalement son empire. Si vous déniez au corps électoral l'intelligence nécessaire à l'exercice de ses droits, s'il est incapable de faire un choix judicieux dans l'intérêt du pays, alors prenez toutes les mesures possibles pour faire progresser l'éducation politique des électeurs. Si enfin, après avoir pris toutes les précautions convenables et compatibles avec le développement des principes constitutionnels, il reste encore des inconvénients et même des abus, le meilleur parti à prendre c'est de s'y résigner et de s'en remettre au temps pour les corriger : car il serait impossible et dangereux de vouloir remédier à tout par une législation ombrageuse.

Il me reste à dire un mot sur les détails de la loi. .

Le principe d'exclusion posé dans la loi allant, selon moi, à l’encontre de la Constitution, je suis disposé à accueillir toutes les propositions qui tendent à atténuer la rigueur de ce principe ; j'adopterai donc toutes les exceptions qui seront proposées.

Je borne ici mes observations ; je ne veux pas entrer plus avant dans le débat, il me suffit d'avoir motivé mon vote.

J'ai dit, messieurs, que j'ai toujours exprimé mon opinion, sans égard à ma position personnelle ; je dois en finissant ajouter un seul mot :

A l'honneur des mœurs politiques de la Belgique et pour rendre hommage à la vérité, je dois déclarer que jamais, sous aucun ministère, aucun ministre n'a fait la moindre tentative ni directe ni indirecte, pour obtenir un vote contraire à ma conviction..

Plusieurs voix. - A demain ! à demain.

D’autres voix. - Continuons ! continuons !

- La chambre décide que la discussion continue.

M. Destriveaux. - je regrette de devoir, pour me conformer à la décision de la chambre, prendre la parole en ce moment ; en parlant demain je pourrais être plus court.

M. le président. - La parole est à M. Lebeau et ensuite à M. Tielemans.

Si personne ne la prend, je devrai fermer la discussion générale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je ne me suis pas opposé à l’ouverture de la discussion de la loi sur les incompatibilités parlementaires ; mais il avait été entendu que ce projet serait discuté en dernier lieu. Je ne m’oppose pas à ce que cette discussion continue, mais je demande qu’on n’aborde pas la discussion des articles avant d’avoir voté les divers projets de loi dont la chambre est saisie.

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Divers projets ont été mis à l’ordre du jour de demain ; je demande le maintien de cette décision ; après on pourra reprendre la discussion de la loi des incompatibilités.

M. de Theux. - Tous les objets mis à l’ordre du jour y restent, demain on décidera la priorité.

- La séance est levée à 4 heures un quart.