(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Verhaegen, vice-président.)
(page 1683) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à deux heures.
M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. A. Dubus présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« L'administration communale d’Ixelles demande que le chef-lieu de la justice de paix du canton soit transféré dans cette commune. »
M. le président (M. Verhaegen). - Je proposerai «le renvoyer cette pétition à la commission de circonscription cantonale, avec prière d'un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Robert prie la chambre de statuer sur sa demande de naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Le sieur Dauw prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à faire annuler un procès-verbal de contravention dressé à sa charge par les employés des accises. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Killel demande que le port des lettres entre les différentes communes ressortissant à la même justice de paix soit réduit à un décime. »
M. Lys.- Je proposerai le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la réforme postale.
- Cette proposition est adoptée.
« Les sieurs Jonckheere, Branchaut, etc., demandent que le mandat de conseiller provincial ou de membre de la députation permanente de la province soit déclaré incompatible avec les fonctions d'agent de la banque. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la réforme parlementaire.
Il est fait hommage à la chambre, par M. Heuschling, de 110 exemplaires d'une nouvelle brochure qu'il vient de publier sur les impôts.
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
Par divers messages, en date du 15 mai, le sénat informe la chambre que les sieurs Célestin Drion, ex-instituteur, à Bièvre, et Henri Schreus, ancien militaire, à Ryckevorsel, ont retiré leurs demandes en naturalisation.
- Pris pour information.
M. le président. - La section centrale, chargée d'examiner le projet de loi sur les warrants a terminé son travail. Il ne reste plus qu'à lire le rapport, ce qui aura lieu ce soir. Si la chambre autorisait le bureau à faire imprimer le rapport, ce projet pourrait figurer à l'ordre du jour de demain.
M. Lys. - Il me paraît qu'il faut examiner un pareil projet avant de le mettre à l'ordre du jour.
M. de Brouckere. - Je crois que rien n'empêche démettre le projet à l'ordre du jour. Si, après avoir lu le rapport, on trouve qu'il y a difficulté à le discuter dans la séance de demain, il sera encore temps d'ajourner la discussion.
M. le président. - La proposition consiste à autoriser le bureau à faire imprimer le rapport de la section centrale et, s'il est distribué demain malin, à faire figurer le projet à l'ordre du jour, sauf réclamation, s'il y a lieu.
- Cette proposition est adoptée.
M. Maertens. - Si la chambre voulait me prêter deux minutes d'attention, elle pourrait voter, je pense, immédiatement le projet de loi sur lequel je vais avoir l'honneur de présenter le rapport.
Messieurs, le gouvernement, dans sa séance du 1er de ce mois, a présenté un projet de loi tendant à accorder au sieur François Perroux l'exemption du droit d'enregistrement de la naturalisation ordinaire qui loi a été accordée par les deux chambres. Cette proposition est basée sur l'article 2, n°1, de la loi du 15 février 1844 qui exempte de tout payement les personnes qui ont pris part aux combats de la révolution.
Afin de s'assurer si le sieur Perroux avait des titres à l'obtention de cette faveur, la commission a réclamé les pièces justificatives sur lesquelles étail basé le projet de loi. Quatre certificats nous ont été communiqués. Ils émanent des chefs militaires, sous les ordres desquels Perroux a servi et constatent les faits suivants :
François Perroux a fait depuis le 29 septembre 1830 partie de la légion belge parisienne sous les ordres de M. de Pontécoulant : il a été présent au blocus de la citadelle de Gand et s'y est particulièrement distingué, dans l'affaire du 15 octobre 1830. Après la capitulation de la citadelle il a passé avec sa compagnie dans le corps des éclaireurs volontaires commandé par le général Mellinet et a pris part à tous les faits d'armes de cette époque, notamment à Anvers, Westwesel, Hoojstraeten, Merssen et sous les murs de Maestricht, pendant le blocus de cette place. Le général Mellinet déclare non seulement que Perroux s'est fait remarquer par sa bonne conduite, mais encore que ses actions notables lui ont mérité le grade de sergent-major, qu'il obtint au champ d'honneur.
Les titres du sieur Perroux étant suffisamment établis, la commission a l'honneur de proposer l'adoption du projet de loi dont la teneur suit :
« Article unique. Le sieur François Perroux, demeurant à Bouillon, est exempt du droit d'enregistrement établi pour la naturalisation ordinaire. »
- La chambre décide qu'elle statuera immédiatement sur ce projet.
Il est procédé au vote par appel nominal sur le projet de loi.
69 membres répondent à l'appel nominal.
49 ont répondu oui.
19 ont répondu non.
1 membre (M. de Foere) s'est abstenu.
En conséquence le projet est adopté. Il sera transmis au sénat.
M. de Foere. - Je me suis abstenu, parce que je n'ai pu apprécier les motifs sur lesquels la demande en exemption est fondée.
Ont répondu oui : MM. de Chimay, de Clippele, Dedecker, de Haerne, Delehaye, Delfosse, de Liedekerke, Destriveaux, de Tornaco, de T'Serclaes, d'Huart, Dumont, Eenens, Frère-Orban, Gilson, Herry-Vispoel, Jonet, Lange, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Malou, Mast de Vries, Moreau, Pirmez, Pirson, Rogier, Rousselle, Scheyven, Sigart, Tielemans, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Troye, Van Cleemputte, Van Renynghe, Anspach, Broquet-Goblet, Bruneau, Cans, Clep, David, de Baillet-Lalour, de Bonne, de Brouckere, Dechamps et Verhaegen.
Ont répondu non : MM. de Corswarem, de Garcia de la Vega, de Meester, de Sécus, de Villegas, d'Hane, Dubus (aîné), Dubus (A.), Duroy de Blicquy, Eloy de Burdinne, Huveners, Orban, Osy, Vanden Eynde, Vandensteen, Vilain XIIII, Brabant, Cogels et d'Anethan.
M. le président. - Ce projet de loi, qui se compose d'un article unique, a subi deux changements de la part de la section centrale ; une modification, quant au libellé, et une addition au dernier paragraphe. Le gouvernement se rallie-t-il à ces changements ?
M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Non, M. le président.
M. Broquet-Goblet, rapporteur. - J'ai demandé la parole parce que M. le président a annoncé que deux changements avaient été introduits dans le projet par la section centrale ; il y en a trois. Mais dans l'impression il y a une phrase qui n'est pas en caractère italique ce qui pourrait faire croire qu'elle n'a pas subi de modification. C'est la première phrase. Le projet du gouvernement portait :
« Le gouvernement est autorisé sous les garanties qui lui paraîtront nécessaires.... »
La section centrale propose de dire :
« Sous les garanties reprises à la convention ci-annexée. »
M. Delfosse. - Au dernier paragraphe, au lieu de « ne pourra être exécutée qu'après rectification », c'est « ratification » qu'il faut lire.
M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - La section centrale qui a examiné le projet de loi ayant pour objet d'accorder un délai pour l'exécution complète du chemin de Tournay à Jurbise et de St-Trond à Hasselt, a introduit quelques modifications au projet du gouvernement ; l'une consiste à remplacer les mots : « Sous les garanties qui lui paraîtront (page 1684) nécessaires, par ceux-ci : « Sous les garanties reprises à la convention ci-annexée ». Ainsi la section centrale renvoie par la loi au projet de convention qui avait été indiqué par le gouvernement à titre de renseignement. Je ne pense pas pouvoir me rallier à cette modification. Que signifient ces expressions : « Sous les garanties reprises à la convention ci-annexée » ?
Est-ce que dans le traité définitif à faire avec la compagnie, je ne puis introduire aucune espèce de modification, ou bien puis-je faire une nouvelle convention ? Il semble résulter des termes dont se sert la section centrale, que je puis faire une nouvelle convention ; mais que je dois, dans la convention à intervenir, conserver les garanties exprimées dans le projet ; De quelles garanties entend-on parler ? C'est ce que j'ignore ; est-ce des garanties principales, des garanties accessoires, des garanties de détail, des garanties d'exécution ? Si je reconnais nécessaire d'introduire quelques modifications dans le traité passé entre la compagnie et moi, ne puisse le faire ? Une foule de circonstances peuvent rendre ces modifications nécessaires.
Pourquoi lier le gouvernement, à cet égard ? Pourquoi le lier par une convention qui n'est qu'à l’état de simple projet, qui n'entre pas dans la discussion, que la chambre n'examine pas, que la chambre ne vote pas, que la chambre n'approuve pas ? Il me semble que le gouvernement avait suivi une marche convenable et conforme' aux précédents en demandant des choses précises, déterminées, énoncées dans la loi, en annonçant une convention et donnant à titre de renseignements les bases sur lesquelles il entendait traiter avec la compagnie concessionnaire.
Cela n'a pas, comme vous pouvez-le remarquer, une grande importance ; Mais cela peut présenter des inconvénients. Je ne sais jusqu'à quel point je serais lié par les termes de ce projet, quelles modifications je pourrais y introduire. Je pourrais éviter de faire chose bonne et utile dans la crainte de poser un acte qui aurait été préalablement interdit.
Il faut donc de deux choses l'une : ou bien discuter la convention même comme partie intégrante de la loi, ou bien supprimer cette restriction trop vague des garanties reprises à la convention.
Une deuxième modification consiste dans l'addition du dernier membre de phrase à la dernière disposition du projet, qui serait ainsi conçue :
« La convention nouvelle à intervenir avec la compagnie concessionnaire sera publiée avec la présente loi, et ne pourra être exécutée qu'après ratification par les actionnaires de ladite compagnie réunis en assemblée générale. »
La section centrale a, non pas examiné, mais effleuré une difficulté qu'elle a cru remarquer en ce que la compagnie de Tournay à Jurbise n'aurait pas, dans l'état actuel des choses, sans l'approbation de l'assemblée générale, des pouvoirs suffisants pour recevoir, à titre de prêt, les deux millions destinés à l'exécution des travaux. Je pense que la section centrale s'est trompée. La compagnie, représentée par ses directeurs, a, aux termes des statuts, des pouvoirs suffisants pour faire la convention qui est proposée ?
Aux termes de l'article 24 des statuts « le conseil d'administration représente la compagnie. Il gère tous les intérêts de la société, conformément aux statuts. »
Aux termes de l'article 26, les transactions, marchés et actes engageant la société sont valablement faits par les trois administrateurs.
Il résulte évidemment de ces deux dispositions que le conseil d'administration a des pouvoirs suffisants pour prendre un engagement de la nature de celui qui fait l'objet de la convention..
On objecte qu'aux termes de l'article 6 des statuts, le conseil d'administration n'a pas le pouvoir d'augmenter le capital social, soit par des emprunts, soit par l’émission de nouveaux titres d'actions ou obligations ; Il ne s'agit pas d'augmenter le capital social. Les actionnaires n'ont pas fait tous les versements qu'ils devaient faire sur leurs actions. Le capital n'est donc pas complété par les versements. Pour en tenir lieu, la direction fait un emprunt ; en d'autres termes, elle paye et fait les versements à défaut des actionnaires. Elle complète le capital social, au lieu de l'excéder. Par conséquent, elle fait un simple acte d'administration qui ne pourra être contesté ultérieurement par la compagnie.
Mais la section centrale n'a pas fait attention à un autre point également important. L'Etat n'a traité qu’avec les concessionnaires ; il n'a pas traité ou plutôt il ne traite que secondairement avec la compagnie ; Ce sont les concessionnaires qui interviennent au contrat. Or, les concessionnaires peuvent traiter avec le gouvernement et prendre l’engagement de faire ratifier. Intervenant à la convention, ils ont pris l'engagement de faire au besoin ratifier, par l’assemblée générale des actionnaires, les stipulations du projet de convention.
Ainsi, il est impossible d'avoir le moindre doute sur le pouvoir de ceux qui traitent avec le gouvernement.
D'un autre côté, messieurs, en aucune hypothèse il ne peut résulter de préjudice pour l’Etat même d'un traité de cette nature fait par des gens qui seraient sans aucune espèce de qualité. Je vais très loin, mais, je ne pense pas que cela soit douteux. Quel est l'acte ici posé ? La compagnie, par le fait de ses agents, de ses actionnaires, de toutes les personnes intéressées, se trouve dans l'impossibilité de continuer les travaux, ils sont suspendus. L'exploitation ne peut avoir lieu. Il y a préjudice pour la compagnie, pour les actionnaires. Un tiers intervient ; c'est l'Etat, c'est un particulier, il importe peu. Ce tiers fait exécuter les travaux, donne des fonds pour y pourvoir ; il fait un acte utile pour la compagnie, une chose dont nul ne pourrait se plaindre. Manifestement la compagnie serait tenue de rembourser cette somme, n'y eût-il aucune espèce de mandat dans le chef de ceux qui auraient achevé les travaux ou prêté des fonds pour les exécuter. C’est ce qui est parfaitement connu en droit sous le nom de l’action « negotiorum gestor ».
Une dernière considération, c'est que c'est un simple acte d'administration pour lequel le gouvernement, sous sa responsabilité, prendrait toutes les précautions qui lui paraîtront convenables. Si le gouvernement croit que les pouvoirs de ceux avec lesquels il traite sont insuffisants, pas n'est besoin que la chambre ordonne tels ou tels actes spéciaux qui seraient peut-être surabondants, qui pourraient même rendre inefficace le projet adopté.
Voici en effet pourquoi le projet pourrait être rendu inefficace. L'intérêt, c'est de pouvoir s'occuper immédiatement des travaux, c'est de pouvoir, mettre immédiatement la main à l'œuvre. Si l'on était obligé de subir les délais de convocation de l'assemblée générale, il se pourrait qu'avant deux ou trois mois, on n'eût pas réuni régulièrement l'assemblée générale et obtenu sa ratification ; non pas que l'assemblée générale montrerait du mauvais vouloir à ratifier cet acte, mais parce qu'il serait impossible de réunir prestement le nombre d'actionnaires suffisants pour constituer l'assemblée générale aux termes des statuts et que les statuts déterminent un délai assez long pour la convocation d'une seconde assemblée générale. Beaucoup d'actionnaires sont étrangers.
Tels sont les motifs pour lesquels je crois devoir m'opposer à ce qu'on maintienne cette restriction qui me paraît inutile.
La section centrale, a pris une troisième résolution ; elle a supprimé, dans le projet de convention un article que le gouvernement avait cru utile d'y insérer. Elle a délibéré sur le projet de convention ; elle a renvoyé d'une manière vague et générale aux garanties qui y sont énoncées, paraissant ainsi adopter implicitement et vouloir faire adopter implicitement par la chambre chacune des dispositions préparées par le gouvernement, mais elle en retranche l’article 4.
L'article 4 est ainsi conçu :
« Art. 4. La compagnie soussignée de deuxième part s'engage à s'entendre aussitôt que possible, et en tous cas dans les deux ans, avec la compagnie de la vallée de la Dendre et le gouvernement, pour la reprise, à des conditions à convenir, de la concession du chemin de fer de la vallée de la Dendre, et dans le cas où les parties seraient d'accord sur les conditions de la reprise, les travaux dudit chemin de fer seront commencés dans le même délai. Néanmoins si, pendant ce laps de deux ans, la compagnie de la Dendre, ou une autre compagnie, présentant des garanties suffisantes, offrait de reprendre la concession du chemin de fer de la Dendre et d'exécuter de suite ses travaux, la société soussignée de deuxième part devra déclarer, dans les trois mois, sont option de reprendre définitivement ladite concession, sous peine d'être tenue à restituer immédiatement les deux millions ci-dessus. »
Pour l'intelligence de la discussion, je dois lire l’article 7 du projet. Il porte :
« Il est expressément entendu que la présente convention ne préjudiciera en rien aux droits des parties intéressées, notamment quant à la question de la déchéance des concessions du chemin de fer et du canal de la vallée de la Dendre ; ces droits restent intacts, et il sera libre aux parties d'en poursuivie l'exercice, quand et où elles le jugeront convenable à leurs intérêts. »
La section centrale a pensé, messieurs, qu'il était utile de supprimer l’article 4, parce que, dit-elle, « en accordant un délai de trois années à la société de Jurbise, pour se mettre au lieu et place de la société de la Dendre, c'était en quelque sorte, de la part du gouvernement, qui intervient au contrat, reconnaître qu'il n'y avait pas déchéance quant à cette dernière société. Or, une pareille reconnaissance qui implique contradiction avec la réserve exprimée à l'article 7 de ? la convention, pourrait avoir p
Je tous avoue, messieurs, que, je n'ai pas bien compris l'objection faite par la section centrale. D'une part, vous avez entendu que l’article 7 déclare de la manière la plus expresse, la plus formelle, la plus complète, la plus absolue, que tous les droits de l'Etat restent intacts vis-à-vis de la compagnie de la Dendre,, que, sans, aucun délai, sans aucune espèce de suspension, le gouvernement pourra faire valoir ses droits quand il l'entendra, comme il le voudra.
Maintenant, dans l'article 4 de la convention, on prévoit ces cas, tout à fait différents, le cas où la compagnie de Tournay à Jurbise, voudrait reprendre une partie de la concession de la Dendre, le cas où la compagnie de la Dendre elle-même voudrait exécuter, le cas où des tiers se présenteraient pour exécuter ; et vous avez remarqué que pour ces différentes hypothèses, on fait des stipulations, afin d’obtenir la restitution du cautionnement et de le rendre à sa destination primitive. On voit une espèce d’antinomie entre l’article 4 comme effaçant l’article 7 ; cela est impossible.
Il est indispensable que l’article 4 soit maintenu. Si on le fait disparaître, ce sera tout au profit de la compagnie du chemin de fer de Tournay à Jurbise. En effet, messieurs, si vous retranchiez cet article, vous ne pourriez pendant deux années accueillir les propositions qui vous seraient faites par des tiers, pour l’exécution soit du chemin de fer soit du (page 1685) canal, tandis qu'en vertu de l'article 4, si dans l'intervalle des deux années il se présente un tiers offrant d'exécuter les travaux, la compagnie du chemin de fer de Tournay à Jurbise sera obligée de déclarer son option, de déclarer si elle entend exécuter, et dans le cas où elle s'y refuserait, elle est tenue de restituer à l’Etat la somme de deux millions. Il en serait de même si, dans l'espace de deux années, une compagnie se présentait pour exécuter l'un ou l'autre des travaux qui font l'objet de la concession de la Dendre.
A quoi bon, messieurs, je le répète, renoncer au bénéfice de l'article 4 ? Il a été imposé, comme une chose onéreuse à la compagnie du chemin de fer de Tournay à Jurbise, et quel avantage peut-il y avoir pour l'Etat à le retrancher ?
Je persiste à penser, quant à moi, messieurs, qu’il est utile pour l’Etat que l'article 4 du projet de convention soit maintenu. Au surplus la discussion a fait disparaître toute espèce de doute, toute espèce d'équivoque : Tout ce qui faisait l'objet des craintes, des scrupules de la section centrale se trouve écarté. La section centrale craignait que l'article 4-ne contînt une renonciation vis-à-vis de la compagnie. Or, l'idée de cette renonciation est formellement exclue par l'article 7. C’est ce que je crois avoir démontré dans les explications que je viens de donner. L'article 4 et l’article 7 ne sont nullement en opposition ; ils peuvent très bien marcher d’accord, et ils sont également utiles l'un et l'autre.
Puisque j'ai la parole, je m'expliquerai également sur le dernier paragraphe du rapport de la section centrale.
Les sieurs Vander Elst, auteurs de projets de chemins de fer et de canaux, et notamment d'un chemin de fer qui avait beaucoup d'analogie avec le chemin de fer ultérieurement concédé de Tournay à Jurbise, ont adressé plusieurs réclamations au département des travaux publics et à la chambre ; ils ont réclamé des indemnités du chef de leur projet qu'ils n'ont pas pu exécuter parce que la concession a été donnée à un tiers. La section centrale a été de nouveau saisie d'une demande des sieurs Vander Elst, en date du 9 de ce mois,
« Si les faits avancés par les pétitionnaires sont exacts, dit le rapport de votre section centrale, il paraîtrait assez que cette indemnité leur est due ; mais en l'absence de toute stipulation qui la mette à la charge de la compagnie de Jurbise, il est douteux que la disposition précitée puisse être introduite dans le projet de loi. Cependant comme, dans ce cas, il importe toujours que les pétitionnaires obtiennent justice, la section centrale a l'honneur de proposer le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion, puis son renvoi à M. le ministre des travaux publics, avec demande d'explications. »
Pour ne pas perdre de temps, messieurs, je donnerai immédiatement ces explications.
Dans la discussion des lois des 16 et 21 mai 1845, M. le ministre des travaux publics d'alors a plusieurs fois déclaré à la chambre et au sénat que les auteurs de divers projets qui pourraient avoir à élever des prétentions seraient fondés à les faire valoir contre les compagnies ; qu'en vertu des clauses générales des statuts les compagnies étaient tenues à payer toutes les indemnités. Je pourrais remettre sous les yeux de la chambre les explications qui ont été données à cette époque par l'un de mes honorables prédécesseurs ; mais ces explications se résument dans ce que je viens d'avoir l'honneur de dire à la chambre, qu'aux termes d'une disposition générale des statuts, les compagnies sont tenues de payer toutes les indemnités et que cette disposition absolue comprend les indemnités qui pourraient, éventuellement, être dues aux auteurs des projets. C'est dans ce sens que j'ai aussi fait connaître récemment aux sieurs Vander Elst qu'ils auraient à s'adresser à la compagnie de Tournay à Jurbise, pour faire régler l'indemnité à laquelle ils croiraient avoir droit. Ce règlement, s'il ne peut avoir lieu de commun accord, sera fait par les tribunaux ; mais l’administration n'a pas, je pense, à y intervenir maintenant.
M. Delfosse. – Le sens des premières observations de M. le ministre des travaux publics est que la chambre doit avoir confiance en lui pour la convention à intervenir. M. le ministre des travaux publics ne veut pas être lié par le projet de convention qu'il a annexé au projet de loi ; il veut être libre de le modifier.
Je suis tout prêt à donner à M. le ministre des travaux publics la marque de confiance qu'il demande, et je suis convaincu qu'il ne laissera insérer dans la convention à intervenir aucune clause qui puisse être préjudiciable à l'Etat. Mais alors quelle était l'utilité de la communication qu'on nous a faite ? Pourquoi nous communiquer un projet de convention que M. le ministre des travaux publics se réserve de modifier en tout ou en partie ?
Quoiqu'il en soit, je reconnais qu'il pourrait y avoir des inconvénients à lier M. le ministre des travaux publics à ce point qu'il ne pourrait, alors même que cela serait jugé utile, proposer ni admettre le moindre changement au projet de convention.
Si cette opinion prévaut, la chambre n'aura pas à statuer sur la suppression de l'article 4 du projet de convention. La proposition de la section centrale de supprimer cet article était basée sur la supposition que le projet de convention ferait en quelque sorte partie de la loi et que le gouvernement ne pourrait plus y toucher.
Le troisième amendement de la section centrale porte sur le dernier paragraphe du projet de loi ; la section centrale propose d'ajouter à ce paragraphe la réserve que la convention ne pourra être exécutée qu'après ratification des actionnaires. Je m'étais abstenu, en section centrale, de voter sur cet amendement ; je voulais, avant de me prononcer, attendre les explications de M. le ministre des travaux publics ; ces explications viennent d'être données et elles me portent à donner au projet de loi une adhésion pure et simple.
M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Messieurs, le sens des paroles que j'ai prononcées n'est nullement, comme l'a pensé l’honorable préopinant, de chercher à imposer à la chambre une confiance presque aveugle et en quelque sorte illimitée en moi ; le sens de mes paroles a été uniquement de démontrer que. la réserve faite par la section centrale était tout à fait inutile ; et que la section centrale avait fait une chose selon moi assez étrange en se référant d'une manière vague, sans précision à un projet de convention.
Je disais : De deux choses l'une, ou c'est une loi et alors discutez cette convention, je le veux bien ; adoptez-en les articles. Mais proposer de voter la loi en se référant, sans autre explication, aux garanties énoncées dans un projet de contrat, cela m'a paru singulier. J'ai dit mes doutes, mes scrupules à la chambre. L'honorable M. Delfosse me répond : A quoi bon alors faire une convention ?
Je veux le dire simplement : C'est qu'il y a peu de temps, la chambre a été saisie d'un projet de loi analogue, ayant pour objet d'accorder une prorogation de délai à la compagnie du Luxembourg.
Le texte de la loi était le même ; il autorisait le gouvernement à traiter sous les conditions qui lui paraîtraient nécessaires ; je n'avais pas à cette époque communiqué le projet de convention à conclure ; quelques membres se sont récriés dans la chambre, et pour éviter ces récriminations, j'ai, cette fois, communiqué le projet de convention que je me propose de faire avec la compagnie, Voilà le seul motif pour lequel j'ai soumis à la section centrale et à la chambre tous les documents de cette affaire.
Au surplus, il m'est fort agréable d'entendre les explications que chaque membre de la chambre veut bien me donner ; il m'est fort agréable que la section centrale ait appelé mon attention sur quelques points qui lui paraissaient présenter des difficultés ; je suis excité par là à voir si telle ou telle disposition du projet de convention n'offre pas des inconvénients. Il m’a. paru que les opinions de la section centrale n'étaient pas fondées ; je l'ai dit à la chambre, c'est maintenant à elle à décider.
M. Rousselle. - M. le ministre des travaux publics s'oppose-t-il aux conclusions.de la section centrale, relativement au renvoi à son département, de la pétition de MM. Vander Elst ?
M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Je ne m'oppose pas au renvoi ; cependant je viens de donner à la, chambre des explications qui me semblent complètes, satisfaisantes. Si l'on en veut encore d’autres, je tâcherai d'en donner, s'il y en a encore à donner. Voici ce, que je disais et ce que je répète :
Dans la discussion des lois du mois de mai 1845, quelques membres de la chambre et du sénat ont interpellé le ministre des travaux publics sur des droits analogues à ceux qui sont réclamés par MM. Vander Elst.
C'est ainsi que, dans la séance du 9 mai 1845, l'honorable M. de Garcia parlait des droits du sieur Fallot, auteur de projets pour lesquels il réclamait aussi des indemnités. M. le ministre des travaux publics a répondu que, dans tous les cahiers des charges, il est stipulé que les concessionnaires prennent à leur charge toutes les indemnités qui peuvent être dues aux termes des lois et des règlements. Or, disait-il, d'après la loi de 1832 et l'arrêté royal de 1836, les droits des auteurs des projets sont toujours sauvegardés.
Au sénat, l'honorable M. Desmanet de Biesme fit les mêmes observations, en ce qui touche M. Fallot ; M. le Royer présenta des observations analogues en ce qui regarde MM. Vander Elst, auteurs du projet de canal de Mons à la Sambre. Et de nouveau, M. le ministre des travaux publics reproduisit les mêmes observations.
Voilà dans quel sens le gouvernement constamment expliqué devant les chambres.
D'une part, en repoussant toute espèce d'engagement pour l'Etat et en reconnaissant que c'est aux compagnies à indemniser les auteurs du projet quand les auteurs de projets ont des droits, c'est après avoir constaté ces précédents que le 6 mai j'ai répondu à MM. Vander Elst, qui s'étaient adressés à moi, que leurs réclamations devaient être portées à la compagnie, qu'aux termes de son contrat elle est tenue de payer toutes les indemnités sans restriction ni réserve, que le gouvernement n'avait pas à intervenir avant qu'il ne fût constaté que la compagnie refusait d'acquitter cette partie de ses engagements. C'est dans ce sens que j'ai écrit à MM. Vander Elst : je ne pense pas que le renvoi pourrait avoir un autre résultat ; je ne pourrais que venir dans quelques jours apporter les mêmes explications.
M. Rousselle. - M. le ministre des travaux publics a cité des cas qui ne sont pas identiques à ceux pour lesquels la chambre est saisie d'une pétition. La section centrale n'a pas eu connaissance de la lettre dont a parlé M. le ministre, mais de la pétition sur laquelle la chambre doit statuer et d'une autre pétition de 1845, qui a été alors renvoyée au ministre des travaux publics. Dans les cas dont vient de parler M. le ministre il y a eu une stipulation expresse en faveur des personnes qu'il vient de dénommer ; dans le cahier des charges de Jurbise, il n'y a pas de pareille stipulation. Voici la position de MM. Vander Elst ; en vertu de l'arrêté royal de 1832, qui provoquait l'émission de projets d'utilité publique, ils ont déposé deux projets de chemin de fer, l'un de Mons à Ath et l'autre d'Ath à Tournay. Ces projets ont été soumis à une commission d'enquête, et déclarés d'utilité publique.
Le gouvernement n'a pas exécuté l'arrêté de 1832 relativement à ces (page 1686) projets ; le cahier des charges n'a pas fixé, comme l'exigeait cet arrêté, l'indemnité qui devait revenir à MM. Vander EIst, pour le cas où ils auraient été évincés de leur entreprise par adjudication publique. Leur éviction n'a pas été prononcée par adjudication, mais par une loi qui a cédé de la main à la main à une compagnie un projet unique qui représente tous les éléments principaux des plans des sieurs Vander Elst. Je ne demande pas que la chambre adopte immédiatement la réclamation qui lui est soumise, mais que M. le ministre des travaux publics en fasse un nouvel et sérieux examen, car je crois que les faits ne lui ont pas été présentés d'une manière exacte. J'appuie donc le renvoi au ministre, avec demande d'explication, en l'invitant tout particulièrement à faire de cette affaire une étude personnelle.
(page 1691) M. de Garcia. - Je présenterai quelques observations en faveur de la modification introduite par la section centrale au paragraphe premier de la loi.
Suivant la rédaction ministérielle, le projet de convention joint à la loi actuelle ne doit, en quelque sorte, avoir aucune portée et sa production même doit être considérée comme superflue. Suivant l'amendement de la section centrale, au contraire, la convention à conclure avec la société concessionnaire doit former le complément de la loi qui nous est soumise.
La question ainsi nettement posée me paraît devoir recevoir une solution conforme à la proposition de la section centrale. A défaut de son adoption, tout reste à la discrétion du gouvernement et, dès lors, il devenait complètement inutile de mettre en regard de la présente loi la convention qui s'y trouve annexée.
Pour soutenir le système peu rationnel et peu conforme aux principes défendus par le gouvernement, M. le ministre dit que les précédents de la chambre consacrent ce mode de procéder. A cet égard, je dois faire observer à M. le ministre des travaux publics qu'il est dans une erreur complète.
Quand la chambre a eu à s'occuper des lois de concessions des diverses lignes de chemins de fer, toujours une convention, qui réglait, les conditions de la concession, se trouvait jointe à la loi. Cette convention était examinée à toutes fins par les sections et par la chambre, et elle faisait formellement le complément de la loi. Or, de quoi s'agit-il dans le cas actuel, si ce n'est de changer ou de modifier la loi et la convention primitives ? Dès lors, pourquoi ne pas suivre les mêmes formes, pourquoi ne pas conserver les mêmes garanties ? A mes yeux, nulle considération de quelque valeur ne justifie ce mode d'agir.
Messieurs, il ne peut s'agir ici d'une question de confiance ou de défiance, mais uniquement d'une question de principe.
La loi et la convention primitives, qui forment le contrat entre le gouvernement et la société concessionnaire, ont été votées, dans leur ensemble, par la chambre ; partant, il est incontestable, selon moi, que la loi et la convention qui modifient ce premier contrat doivent être aussi décrétées par le parlement. Vainement M. le ministre observe-t-il quels convention qui nous est soumise n'existe qu'en projet. Cet argument n'a nulle portée, puisque la loi, pas plus que la convention, n'est soumise à la chambre qu'à l’état de projet et qu'elles ne peuvent perdre ce caractère que par la ratification de la législature. En conséquence, je voterai dans le sens de la proposition de la section centrale. Si M. le ministre croit que cette convention n'est ni complète, ni parfaite, ce ne serait pas un motif pour s'écarter des vrais principes, et alors il pourrait échoir tout au plus de demander la suspension du vote jusqu'au moment où ladite convention aurait reçu le caractère qu'elle doit avoir.
L'honorable M. Rousselle a parlé, à propos de la question actuelle, d'une question incidente. Je fais allusion à une réclamation d'indemnité faite par quelques pétitionnaires qui se prétendent inventeurs de la ligne dont s'agit. Il y a quelques années, j'ai fait une réclamation de même nature en faveur de M. Fallot, de Namur, qui avait réclamé comme inventeur du chemin de fer de Namur à Liège. Le gouvernement s'est prêté à cette réclamation et je me félicite qu'il ait été fait justice.
A ce point de vue, je n'ai qu'un regret à exprimer, c'est que le gouvernement, averti par l'exemple du passé, n'ait pas soigné davantage les intérêts des inventeurs. Il est évident que si le gouvernement avait eu bonne volonté, il aurait pu sauvegarder des droits aussi sacrés. Il aurait pu formellement imposer aux compagnies concessionnaires l'obligation de verser incontinent les indemnités auxquelles pouvaient avoir droit le-inventeurs. En récompensant de semblables travaux, on encourage tous les citoyens à produire des choses utiles. Malheureusement une mesure aussi juste a été négligée. Je n'en fais nul reproche au ministre actuel qui n'était pas alors aux affaires ; mais je ne puis m'empêcher de manifester le désir que le gouvernement apporte dorénavant plus de sollicitude à garantir les intérêts de ceux qui rendent des services au pays sans qu'il lui en coûte un sou et sans que cette sollicitude puisse créer aucun embarras pour l'Etat.
(page 1686) M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). L'honorable M. de Garcia a appuyé l'amendement de la commission par la supposition qu'il s'agit de modifications à des conventions préexistantes. La convention dont il est question n'a pour objet que l'exécution des modifications contenues dans la loi même.
La loi porte trois choses :
1° Autorisation de prendre les deux millions de cautionnement du chemin de fer et du canal de la Dendre et de les appliquer à l'achèvement du chemin de fer de Tournay à Jurbise ;
2° Autorisation de proroger de 18 mois le délai fixé pour l'achèvement des travaux.
3° La restitution du dernier cinquième du cautionnement.
Ce sont là des modifications aux conventions primitives arrêtées par une loi. Elles ne pouvaient être et elles ne seront en effet changées que par une loi.
Mais le projet de contrat que j'ai donné à titre de renseignement contient des stipulations administratives et d'exécution.
Il ne déroge pas à des dispositions contenues dans une loi.
Quand j'ai dit qu'il n'était pas conforme aux précédents de discuter les conventions comme faisant partie de la loi, je n'ai pas voulu faire allusion aux lois de 1845, dont les conventions font partie intégrante. Mais j’ai fait allusion au vote de la loi concernant.la compagnie du Luxembourg pour laquelle on a agi comme je propose de le faire aujourd'hui. On a seulement demandé alors la production du projet de convention. C'est pour faire droit à cette réclamation que j'ai publié les bases du contrat à intervenir comme annexe au projet de loi.
M. Delfosse. - Il est certain que la chambre a examiné plus d'une fois les conventions annexées aux projets de loi ; elle les a même modifiées ; mais je reconnais avec M. le ministre des travaux publics que ces conventions avaient plus d'importance que celles dont nous nous occupons en ce moment. Cependant, il y a dans la convention annexée au projet de loi en discussion certaines clauses qui ont de l'importance.
Je crois inutile d'entrer dans des détails sur ce point ; je suis d'accord avec M. le ministre des travaux publics qu'on peut faire disparaître la réserve proposée par la section centrale à la fin du premier paragraphe.
Cependant, je ne puis admettre ce que M. le ministre des travaux publics vient de dire, que la marche suivie par la section centrale serait étrange. La section centrale était saisie d'un projet de loi et d'un projet de convention ; car si la convention n'est qu'un projet, la loi n'est aussi qu'un projet.
Il était tout naturel que la section centrale examinât ces deux projets, et les modifiât l'un et l'autre, ou l'un par l'aulre. La section centrale n'a fait que remplir son devoir.
Je répète, du reste, que les explications de M. le ministre des travaux publics me portent à adopter le projet de loi purement et simplement.
M. Dedecker. - Messieurs, jusqu'à présent, la discussion a roulé sur les modifications proposées au projet de loi par la section centrale. Je dois avouer que, pour ma part, j'y attache peu d'importance, parce que la plupart de ces modifications, d'après les explications données par M. le ministre des travaux publics et par M. le président de la section centrale, portent sur une espèce de malentendu. Celaient des garanties que la section centrale voulait stipuler et qui, par suite des débats qui viennent d'avoir lieu, sont devenues inutiles.
En quoi consistent ces modifications introduites par la section centrale ?
D’abord, au paragraphe premier, le gouvernement demandait à être autorisé de faire la convention dont il s'agit sous les garanties qui lui paraîtront nécessaires. La section centrale propose de substituer à ces mots ceux-ci : « sous les garanties reprises dans la convention ci-annexée ». Que cette convention ne soit qu'un projet, ou qu'elle soit définitive dans sa forme actuelle, peu, importe ; pourvu, toutefois, que le gouvernement, pour le cas où il voudrait faire une convention nouvelle dans la forme, soit tenu de respecter les stipulations du projet que nous avons sous les yeux.
Nous n'avons pas à décider ici une question de rédaction ou de forme : le fond de la convention doit être conservé ; c'est là-dessus que portent nos débats.
La deuxième modification proposée par la section centrale a pour objet de stipuler que la convention à intervenir ne serait exécutoire qu'après ratification par les actionnaires de la société du chemin de fer de Tournay à Jurbise. D'après les explications données par M. le ministre des travaux publics, l'administration de cette société n'a pas excédé ses pouvoirs, par conséquent cette ratification par les actionnaires ne me paraît pas nécessaire.
La troisième modification proposée par la section centrale, c'est la suppression de l'article 4 de la convention. Ici encore, je partage l'avis de M. le ministre des travaux publics. L'article 4 offre des garanties au gouvernement, je ne vois pas pourquoi l'on y renoncerait.
Mais, messieurs, si j'approuve la rédaction du projet de convention, telle qu’elle nous est présentée par le gouvernement, je me hâte de dire que, quant au projet en lui-même, je le considère comme extrêmement dangereux.
Quels sont les motifs qui ont déterminé le gouvernement dans la présentation du projet de loi ? Les motifs dans l’ordre indiqué par le gouvernement sont de trois sortes : d'abord le gouvernement avoue qu'il a cru devoir acquiescer à la demande faite par la société du chemin de fer de Tournay à Jurbise, parce que cette demande est appuyée par les administrations communales de Tournay et d'Ath, ainsi que par la chambre de commerce de Mons. Mais cet argument est vraiment par trop naïf. Il va sans dire que les administrations de Tournay et d'Ath ne peuvent se dispenser d'appuyer le présent projet de loi. Ces deux villes ont tout à gagner à ce que le chemin de fer qui doit les réunir soit achevé le plus tôt possible.
Quant à la chambre de commerce de Mons, comme il s'agit des intérêts du Hainaut, elle ne pouvait émettre un avis contraire. Mais ce qu'il fallait faire pour instruire impartialement et complètement cette affaire, c'était de consulter également les villes intéressées à ce que l'on construise le chemin de fer de la vallée de la Dendre. Or, que disent Alost, Grammont, Termonde, intéressées à la construction du chemin de fer de la Dendre ? Ces villes protestent contre le changement de destination qu'on veut donner an cautionnement de la concession du chemin de fer de la Dendre. Pour rester dans le vrai, il fallait dire que, si le projet de loi est appuyé par les villes intéressées au prompt achèvement du chemin de fer de Tournay à Jurbise, les villes intéressées à ce que le cautionnement reste affecté aux travaux auxquels il est destiné, s'y opposent. Ce premier motif mis en avant par le gouvernement, vient donc à disparaître.
Le deuxième motif, c'est d'utiliser les capitaux qui restent improductifs dans les caisses de l'Etat. Ne dirait-on pas qu'on est embarrassé de l'emploi de ce capital ? Mais il serait plus juste de dire qu'on est embarrassé du choix des travaux à exécuter avec les deux millions.
Les administrations d'Alost et de Grammont vous demandent de consacrer un million à faire au cours de la Dendre des travaux très utiles, dont on recueillerait immédiatement les fruits.
Quant au million pour la construction du chemin de fer, dans une autre occasion j'ai eu l'honneur de vous dire qu'on pouvait en faire aussi un emploi fort utile. Ce serait la construction d'une section de chemin de fer d'Alost à Termonde. Qu'il y ait ou non un chemin de fer direct de Bruxelles à Gand, il faudra toujours une section d'Alost à Termonde ; le travail que je propose ne préjugerait donc rien.
Cette section ne coûterait pas au-delà d'un million ; pourquoi donc ne pas affecter ce million à la construction de cette section du chemin de fer de la vallée de la Dendre ? On resterait ainsi dans l'esprit de la concession primitive en faisant des travaux hydrauliques à la Dendre avec le cautionnement déposé pour le canal, et en faisant, avec le cautionnement pour la concession même du chemin de fer de la vallée de la Dendre, un travail très utile et constituant une section de ce chemin.
Le troisième motif, c'est l'éternel prétexte qu'on fait valoir depuis deux ans, pour nous arracher tomes lei concessions, c'est-à-dire de donner du travail à la classe ouvrière.
Messieurs, je viens d'avoir l'honneur de dire qu'on aurait pu consacrer ces deux millions soit à des travaux pour l'amélioration de la Dendre, soit à un chemin de fer entre Alost et Termonde. N'était-ce pas là du travail, et du travail surtout dans la contrée qui souffre particulièrement ? Car que résulte-t-il de ce changeaient de destination donné à ces 2 millions ? C'est que le travail que vous auriez fourni aux classes ouvrières de la vallée de la Dendre va être donné aux classes ouvrières du Hainaut, où les souffrances ne sont pas aussi grandes que dans la Flandre et notamment dans le pays connu sous le nom de pays d'Alost.
D'ailleurs pourquoi cet empressement ? Ne croirait-on pas que d'ici à quelque temps il ne faudra plus de travaux ? Au lieu de vous presser à faire des travaux dans cette saison, qui est en général la plus favorable aux travailleurs, pourquoi ne pas préparer dès à présent les travaux dont je viens de parler, et en réserver l'exécution pour la mauvaise saison ? Car je ne sais à quoi vous emploierez vos classes ouvrières l'hiver prochain.
Le gouvernement annonce que la compagnie du chemin de fer de Tournay à Jurbise a fait stater les travaux et renvoyé ses ouvriers. Je ne sais depuis quelle époque ce renvoi des ouvriers a eu lieu ; mais je ne vois pas qu'il ait occasionné beaucoup de bouleversements dans le pays ; je ne vois pas qu'il y ait, par conséquent, un mal si urgent à réparer.
Et puis, messieurs, je suis vraiment fatigué d'entendre articuler ce prétexte de donner du travail à la classe ouvrière. Car, autant il est beau de contribuer de tous nos moyens, de toutes nos forces, à soulager les souffrances de la classe ouvrière, autant aussi il me paraît odieux d'exploiter ces souffrances au profit de quelques intérêts locaux.
Messieurs, quel sera le résultat final du projet de loi que nous examinons ? C'est que ces deux millions qui sont aujourd'hui dans les caisses du trésor et dont on pourrait faire un emploi très judicieux, entrent dans la caisse d'une compagnie, et je ne sais quand ils en sortiront. Car permettez-moi d'exprimer des craintes très sérieuses à cet égard. Je reconnais que les stipulations de la convention sont généralement heureuses, mais je crains fort, et j'en appelle à l'avenir, que cette (page 1687) convention ne soit pas exécutée dans toute sa rigueur. Nous savons que toutes les sociétés concessionnaires ont un arsenal d'arguments pour endoctriner le gouvernement, pour venir, sous les prétextes les plus émouvants, lui arracher concession sur concession. Je crains qu'il n'y ait ici une répétition des scènes de comédie parlementaire auxquelles nous avons déjà plus d'une fois assisté dans cette enceinte.
Un autre résultat du présent projet de loi, le voici. Lorsque la société concessionnaire du chemin de fer de Tournay à Jurbise aura en sa possession les deux millions, il est évident qu'aucune autre société ne pourra plus venir concourir avec elle pour la reprise de la concession du chemin de fer de la vallée de la Dendre. Cela est évident. Je voudrais me tromper, mais le gouvernement n'aura pas le courage de mettre au besoin la main sur les recettes du chemin de fer de Jurbise, et alors il interviendra une nouvelle convention avec cette société qui, en l'absence de toute concurrence sérieuse, présentera probablement une offre pour faire le chemin de fer de la vallée de la Dendre, mais à des conditions infiniment moins avantageuses que celles qui étaient faites par la compagnie primitive.
Par ces motifs il m'est impossible de donner un vote approbatif au projet.
M. de Garcia. - En peu de mots je répondrai aux observations qui me sont opposées. Nul argument solide n'a été présenté contre les considérations développées à l'appui de la modification proposée par la section centrale au paragraphe premier de la loi. Loin de là, l'honorable M. Dedecker, qui a semblé combattre cette proposition, a soutenu en même temps que, dans sa manière de voir, le gouvernement était lié et tenu de faire observer toutes les conditions de garantie stipulées dans cette convention. Mais qu'est une position semblable, si ce n'est ce que propose la section centrale et ce que je défends ?
La seule différence entre ces deux opinions, c'est que la section centrale, comme moi, voulons qu'on écrive dans la loi une obligation que l'honorable M. Dedecker veut laisser en dehors.
Messieurs, j'ai une confiance entière dans M. le ministre des travaux publics ; mais j'aime que les lois portent le cachet de ce qu'on veut. D'un autre côté, M. le ministre, pour répondre à mes observations, dit que les modifications qu'il présente à la loi de concession, sont tout entières dans la loi même, et que parlant la chambre n'a pas à s'enquérir ni à examiner la convention qui s'y trouve jointe.
J'avoue qu'il m'est impossible de saisir le fondement de cette objection. Si la loi dit tout, si la loi garantit tous les intérêts, il est fort inutile de la faire ? Mais il n'en est nullement ainsi, et la présentation de cette convention par le gouvernement le prouve du reste. Les observations présentées par les divers orateurs qui ont pris la parole, aboutissent au fond au même résultat. En pesant donc mûrement les observations présentées contre la proposition de la section que je défends, chacun de vous reconnaîtra qu'elles militent en sa faveur plutôt que de la combattre.
D'après ces courtes considérations je voterai contre la loi si l'amendement n'est admis.
M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Un des honorables préopinants, l'honorable M. Dedecker, vous a dit tout à l'heure les raisons pour lesquelles il voterait contre le projet de loi. Selon lui, on a tort de donner les deux millions de cautionnement en prêt à la compagnie du chemin de fer de Tournay à Jurbise, pour achever un travail commencé. On aurait dû les employer à autre chose ; il y avait des travaux utiles, nécessaires, à faire dans d'autres localités. L'honorable membre se récrie contre ce motif, trop souvent donné, que l'on veut fournir du travail à la classe ouvrière ; il pense qu'en définitive, ce n'est qu'un moyen d'exploiter la commisération de la chambre. Dans le même moment, l'honorable membre me semblait exploiter la commisération de la chambre en faveur d'autres localités : on donnera du travail à quelques personnes des localités du Hainaut ; on pourrait en donner, dit-il, à des localités des Flandres qui en ont un besoin beaucoup plus urgent.
M. Dedecker. - Je demande l'application du cautionnement, tel qu'il a été fixé par la loi.
M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Permettez, ce n'est pas l'application du cautionnement tel qu'il avait été fixé par la loi, et en définitive, ce que j'ai dit reste vrai, c'est que l'honorable membre se borne à demander, en faveur d'autres classes ouvrières et d'autres localités qui lui sont chères, le travail qui doit être exécuté dans les localités qui sont désignées par la convention,
Mais l'honorable membre n'a pas pensé à une chose : c'est que le gouvernement ne pouvait pas disposer du cautionnement, soit pour faire une section de chemin de fer dans la vallée de la Dendre, soit pour canaliser la Dendre, sans avoir au préalable fait prononcer la déchéance contre la compagnie. Or, ce que demande l'honorable membre, c'est avant tout un procès, et je ne vois pas l'intérêt que l'Etat peut avoir à faire un procès dans ce moment. Je suppose, qu'en définitive, l'Etat gagne ce procès ; mais l'Etat, nanti de deux militons, pourra-t-il commencer des travaux qui doivent absorber beaucoup d'autres millions ?
Est-ce que la chambre sanctionnerait une pareille proposition, parce qu'il y aurait un million qui pourrait éventuellement être affecté à la canalisation de la Dendre et un million qui pourrait être appliqué au chemin de fer de la Dendre ? Est-ce que, par ce motif, la chambre se laisserait aller à une dépense de 12, 15 ou 20 millions ? Evidemment non. On ne peut donc pas obtenir le résultat que désire l'honorable membre. C'est pour cette raison que le gouvernement a cherché à employer tout le cautionnement sans nuire aux intérêts de personne. Puisqu'en définitive, on ne peut pas appliquer l'argent conformément aux conventions primitives, puisque le cautionnement est improductif, c'est faire une chose utile à tout le monde que de l'employer à l'exécution d'un travail commencé, du chemin de fer de Tournay à Jurbise.
Mais ces fonds ne rentreront jamais dans les caisses de l'Etat. Jamais le gouvernement ne consentira à mettre la main sur les recettes du chemin de fer de Tournay à Jurbise. Eh, messieurs, vous vous plaindrez, si ultérieurement la convention n'est pas exécutée. Vous vous plaindrez si, à l'expiration du terme, les deux millions ne sont pas restitués. Veuillez remarquer que la compagnie du chemin de fer de Tournay à Jurbise ne se trouve pas dans la position des autres compagnies ; ici le gouvernement est nanti ; les recettes, c'est lui-même qui les fait ; c'est l'Etat qui exploite et qui remet à la compagnie 50 p. c. des recettes ; eh bien, si la compagnie n'exécute pas ses engagements, il va de soi que le gouvernement conservera devers-lui les 50 p. c. jusqu'à extinction des deux millions. Il n'est pas à supposer qu'un ministre, quel qu'il soit, consente jamais à payer la compagnie alors qu'elle serait débitrice envers l'Etat ; ainsi, messieurs, cette raison donnée par l'honorable membre ne me paraît pas bien fondée.
L'honorable membre nous a dit que l'exposé du projet de loi est quelque peu naïf, en ce sens qu'il invoque l'appui donné à la proposition du gouvernement par les conseils communaux d'Ath et de Tournay. Le gouvernement aurait dû invoquer aussi l'appui d'autres localités. Le gouvernement a dit : Voici des localités intéressées à l'exécution du chemin de fer, qui ont des embarras à raison de leur situation, qui éprouvent aussi des difficultés quant aux populations ouvrières ; d'autres localités ont-elles des griefs fondés, elles peuvent les faire valoir ; l'ont-elles fait ? ont-elles réclamé ?
Il y a eu une réclamation, à la vérité, mais elle reposait sur une erreur La ville d'Alost supposait que le cautionnement de 2 millions affecté au chemin de fer et au canal de la Dendre, se trouvait définitivement abandonné à la compagnie du chemin de fer de Tournay à Jurbise ; elle n'a pas compris qu'il ne s'agissait que d'un simple prêt, devant être suivi d'une restitution dans un délai donné,, et que pendant ce délai les 2 millions ne pourraient, en aucun cas, profiter aux travaux pour lesquels ils ont été donnés. J'espère que la ville d'Alost et la ville de Termonde reconnaîtront qu'il n'y aurait eu aucune utilité à garder ces 2 millions inactifs pendant deux ans dans les caisses de l'Etat.
M. Gilson. - Je croyais, messieurs, que la discussion était arrivée à son terme. Personne n'avait pris la parole dans la discussion générale. On ne paraissait pas s'opposer à l'adoption du projet. On avait discuté jusqu'à présent quelques clauses de la convention jointe au projet de loi, lorsque l'honorable M. Dedecker est venu attaquer le projet en lui-même. Je n'essayerai pas de faire une réponse détaillée au discours de cet honorable collègue ; je ne pourrais qu'affaiblir ce qui vient d'être si bien dit par M. le ministre des travaux publics ; j'ai demandé la parole lorsqu'on nous a dit que nous voulions exploiter des dispositions qui existent à réclamer en faveur des ouvriers et des malheureux, Ce n'est pas de la Flandre qu'un pareil reproche devait nous venir. Nous avons tous montré nos vives sympathies pour les Flandres ; pour ne parler que des stations du chemin de fer, je rappellerai qu'alors que nous n'accordions rien au Hainaut, nous votions 300,000 francs pour des travaux à faire à Anvers, 200,000 francs, pour la station de Gand et 110,000 francs pour la station de Bruges. Toujours nous nous sommes associés de grand cœur aux mesures proposées pour celles des provinces où la misère était des plus poignantes.
Je n'insisterai pas, messieurs, sur le projet ; ce serait faire le procès à une ancienne décision de la chambre ; vous avez décidé qu’une communication existerait entre Tournay et Jurbise ; ce travail est en voie d'exécution ; une mesure vous est proposée pour amener son prompt achèvement ; cette mesure laisse saufs les intérêts de l'Etat et elle est avantageuse à des populations qui qui méritent le même intérêt que celle des Flandres. A ce double titre vous ne pouvez vous refuser à voter le projet de loi.
M. Le Hon. - L'honorable ministre des publics travaux a déjà rempli en grande partie la tâche que je m'imposais dans cette discussion ; cependant je crois pouvoir ajouter quelques mots.
L'honorable M. Dedecker a trouvé qu'il y avait une sorte de candeur, de la part du gouvernement, à invoquer l'adhésion des villes et communes auxquelles le chemin de fer en construction doit profiter particulièrement. J'ai cru que l'honorable membre, après cet exorde, allait agrandir le sujet de la discussion et nous reporter dans la sphère des intérêts généraux du pays. Eh bien, pas le moins du monde ; l'honorable membre s'est attaché, tout simplement à nous prouver qu'on aurait dû sacrifier certaines localités, à certaines autres qu'il affectionne : et son discours, qu'il me permette de l’avancer, ne m'a paru qu'une réclame très patriotique, mais de ce patriotisme qui s'appelle esprit de clocher.
M. Dedecker. - Comme vous en faites en ce moment.
M. Le Hon. - Ne vous hâtez pas ; veuillez m'entendre et me juger après. La politique de clocher n’est pas de mon goût, et je me crois fondé à dire que c'est la deuxième fois, depuis que je siège dans la chambre, qu'un intérêt d'arrondissement, qui se liait, dans ma pensée, à l'intérêt général, a été l'objet de mon appui ; et je confesse très franchement, messieurs, que j'ai vu très peu d'exemples de la réserve que j'ai gardée jusqu'ici. Mais il me semble qu'envoyé dans cette enceinte pour représenter le pays, je ne suis pas précisément obligé de me taire sur des questions qui rentrent dans, mes connaissances spéciales et sur (page 1688) lesquelles je crois être juge aussi compétent et même mieux informé que tout autre.
Puisque l'honorable membre a fait la maligne observation, qui a provoqué quelques sourires, avant qu'on m'ait entendu, je vais lui donner la preuve que je ne puise pas mes inspirations à la seule source de l’intérêt local. Je désire que le ministère laisse en dehors du débat les considérations de localité, soit qu'elles appuient, soit qu'elles combattent son projet de loi.
Voyons les choses d'un peu plus haut. Qu'avez-vous dit à l'ouverture de notre session ? Qu'à raison de la crise financière qui sévissait alors et de la dépréciation que subissaient les entreprises de chemins de fer, il y avait lieu d'adopter un système de ménagement à l'égard des concessionnaires qui auraient manifesté l'intention sérieuse d'exécuter leurs engagements. Cela est consigné dans le discours du trône, cela a été reproduit dans l'adresse de la chambre.
Ces dispositions équitables, solennellement exprimées, ont été invoquées par une compagnie qui, par des actes positifs et des dépenses considérables, a prouvé qu'elle avait pris des engagements sérieux. En effet, elle a exécuté le chemin de fer de Landen à Hasselt, et porté à certain degré d'avancement celui de Jurbise à Tournay. Une circonstance imprévue a paralysé sa bonne volonté et ses efforts : elle m'a été révélée il fa peu de jours ; il vous importe de la connaître. Cette compagnie, composée en grande partie d'étrangers, avait déposé chez un banquier belge une somme très importante, affectée au payement de ses travaux. Les embarras financiers et la suspension du dépositaire ont rendu ce capital indisponible.
Il en est résulté que ceux qui avaient apporté des fonds de l'Angleterre pour exécuter, sur notre territoire, de grandes voies de communication, se trouvaient subitement privés des ressources sur lesquelles leur prudence avait droit de compter.
Il existe dans le trésor de l'Etat un cautionnement de 2 millions déposé en garantie d'une entreprise qu'il est impossible de poursuivre en ce moment. La déchéance pouvait être encourue, et comme l'a très bien dit M. le ministre des travaux publics, la déchéance n'a pas lieu de plein droit ; on peut la faire prononcer, et vous admettrez, sans doute, que des concessionnaires menacés de perdre 2 millions ont quelque raison de penser qu'ils valent bien la peine qu'on les défende. Je doute fort si la partie de la Flandre dont a parlé tout à l'heure l'honorable M. Dedecker, eût retiré le moindre avantage de la déchéance qui aurait frappé la compagnie du chemin de fer de la vallée de la Dendre.
Eh bien, que propose M. le ministre des travaux publics ? Il propose d'affecter la somme infructueusement renfermée dans le trésor, à l'achèvement de travaux déjà fort avancés, qui peuvent devenir productifs en quelques mois.
Vous le voyez, la question est élevée, le principe est général. Qu'on le sache bien, ces travaux dussent-ils profiter à l'arrondissement de Termonde ou à la province de Luxembourg, trouveraient en moi, quant à l'utile application de capitaux disponibles, un défenseur également énergique.
Il s'agit donc, de commun accord avec la compagnie retardataire et avec les concessionnaires du chemin de Jurbise, n'employer les deux millions au prompt achèvement de cette voie ferrée, et en même temps d'imposer à ces derniers concessionnaires l'engagement éventuel de se substituer à la société de la vaille de la Dendre, de telle sorte que le cautionnement affecté à deux entreprises concourrait à en exécuter trois.
Mais, dites-vous, la promesse qu'on fait aujourd'hui est dictée par le désir fort naturel d'obtenir le capital dont on a besoin. Vous oubliez donc que, pendant la période convenue des deux années, tout autre concurrent peut se présenter, certain de trouver appui dans M. le ministre des travaux publics, et qu'à défaut de contracter alors un engagement définitif dans les trois mois, la compagnie de Jurbise est péremptoirement obligée de restituer te capital de deux millions.
Restituer le capital ! ... L'honorable préopinant trouve que la confiance ici est encore une illusion : et pourtant, M. le ministre des travaux publics vous l'a dit. Les chemins de fer de Landen à Hasselt, et de Jurbise à Tournay sont au nombre de ceux dont le gouvernement dirigera seul la gestion et percevra les produits.
Une autre considération non moins juste accuse l'impuissance des efforts de M. Dedecker, quant aux intérêts qu'il voudrait favoriser.
En supposant que la déchéance de la société de la Dendre fût prononcée, l'honorable membre croit-il qu'on irait avec deux millions s'engager dans une entreprise comme celle d'un canal ou d'un chemin de fer ! Mais ces deux millions n'étaient que le cautionnement qui devait garantir des mises de fonds bien plus considérables. En cas de déchéance, les deux millions ne resteraient pas destinés à la vallée de la Dendre ; ils iraient se fondre dans les recettes générales de l'Etat et seraient appliqués à toute espèce de travaux publics dans le pays.
J'en appelle maintenant à la bonne foi de l'honorable député de Termonde. Le succès de ses objections profiterait-il eu rien aux intérêts de son arrondissement ? Et le patriotisme de clocher n'argumenterait-il pas ici en pure perte ? Je soutiens, je le répète, la cause d'un principe, qui est toujours d'intérêt général : je dis que lorsque des capitaux étrangers viennent alimenter le travail national, quand ceux qui les apportent sont des entrepreneurs sérieux, que la certitude de l'exécution du contrat a pour garantie les intérêts engagés, alors il y a lieu d'appliquer avec loyauté le système équitable de bienveillance et de ménagements fondé sur les promesses du pouvoir exécutif et de la législature.
Je pourrais ajouter maintenant que ce n'est pas un intérêt si mesquinement local que celui d'une population de 200,000 âmes, qui, depuis 10 ans, est forcée, pour arrivera Bruxelles en chemin de fer, de passer sur le territoire de quatre provinces, tandis que cette partie du Hainaut touche au Brabant : non, ce n'est pas là une de ces étroites exigences de l'esprit de localité. Je connais les intérêts dont je parle, et c'est pour cela que je m'en constitue hautement le défenseur devant la chambre ; ils ont un caractère fort respectable de généralité, car ils concernent l'une des provinces les plus industrielles, les plus populeuses du royaume et un arrondissement plus important peut-être que certaines autres provinces du pays.
Je généralise donc ma pensée, mes motifs, mes conclusions ; je dis que le projet de loi se recommande à vos suffrages au double titre de l'équité et de l'utilité. Il me reste peu de chose à dire de ses articles et des modifications proposées par la section centrale ; je déclare que je me tiens pour éclairé sur ces dernières, après les explications qu'a données M. le ministre des travaux publics.
Quant à la première modification qui substitue aux mots : « les garanties qu'il croira nécessaires » ceux-ci : « les garanties reprises dans la convention ci-annexée, » il me suffit que la convention ait été produite, comme projet, pour que j'aie la conviction que les bases posées seront celles du contrat définitif ; loin d'y enchaîner servilement le ministre, je veux lui laisser la faculté de prendre d’autres garanties s'il le jugeait nécessaire.
Je n'admets pas non plus le paragraphe final. Non seulement je ne le trouve pas utile, mais je le repousse comme un inconvénient et une entrave, attendu que la compagnie est composée d'étrangers qui habitent hors du continent.
Si l'on exige que la convention ne soit exécutée qu'après sa ratification par les actionnaires réunis en assemblée générale, ce n'est pas dans trois mois que cette formalité, reconnue inutile, pourrait être accomplie, et quoi qu'on puisse dire, l'exécution des travaux a ici un caractère d'urgence incontestable. Il s'agit de la cause, de l'existence de travailleurs inoccupés, malheureux, renvoyés sans ressources des ateliers étrangers. Assurément, ce n'est pas le Hainaut qui a fait peser lourdement le sort de ses ouvriers sur les finances de l'Etat, et je ne puis assez m'étonner que le soupçon d'exploiter la détresse des classes laborieuses nous soit adressé, dans ce débat, par un député des Flandres. Je voterai pour le projet du gouvernement et contre les modifications présentées par la section centrale.
M. Dolez. - Je n'ai pas demandé la parole pour vous entretenir du projet ; je le voterai sans rien dire ni pour ni contre ; mais je veux signaler à M. le ministre une lacune que je remarque dans le projet de convention. Le cautionnement de 2 millions avait été affecté partie à l'exécution du chemin de fer, partie à l'exécution du canal de la Dendre. L'article 4 de la convention astreint les entrepreneurs du chemin de fer de Jurbise à Tournay à l'obligation de réintégrer les deux millions dans le cas où une compagnie viendrait s'offrir pour exécuter le chemin de fer de la Dendre dans le terme de deux années. Il n'est rien dit du canal.
Cependant si une compagnie se présentait dans ce délai pour exécuter le canal, les deux millions devraient également faire retour. Il est une autre lacune à cet article 4 que je me permets de signaler à M. le ministre des travaux publics. On ne prévoit que l'exécution soit par la compagnie actuellement concessionnaire, soit par toute autre qui voudrait se substituer à elle ; il faut aussi prévoir l'éventualité où le gouvernement voudrait exécuter lui-même l'un ou l'autre de ces travaux. Cette prévision est indispensable, parce qu'il y a des engagements positifs pour l'exécution du chemin de fer ou du canal de la Dendre, et il viendra un jour où on mettra le gouvernement en demeure de les exécuter, et la chambre ne recule jamais devant l'accomplissement de ses engagements. J'engage donc M. le ministre, dans les conventions qu'il arrêtera, à tenir compte des observations que je viens de soumettre à la chambre. Ce n'était que pour signaler ces lacunes que j'avais demandé à vous entretenir quelques instants.
M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Ce n'est pas par oubli que l'article 4 présente les lacunes qu'a remarquées l'honorable député de Mons. La compagnie n'a voulu prendre d'engagement que pour le chemin de fer, elle a déclaré qu'elle ne pouvait pas faire de proposition quant au canal ; c'est pourquoi le premier paragraphe de l'article 4 ne s'occupe que d'une seule chose, le chemin de la Dendre ; il est vrai que dans le deuxième paragraphe on ne prévoit plus le cas unique de l'option, on prévoit encore le cas où une autre compagnie voudrait se charger d'exécuter ; mais comme cette disposition se réfère au premier paragraphe, il n'y est en effet question que du chemin de fer.
J'apprécie cependant l'observation ; il peut se faire qu'une autre compagnie ou le gouvernement veuille exécuter le canal ; et pour cette hypothèse, il y aurait peut-être utilité à faire une stipulation analogue et d'imposer à la compagnie l'obligation de restituer également en ce cas, après avertissement, le cautionnement de 2 millions.
Je prendrai note de cette observation.
M. Broquet-Goblet, rapporteur. - On ne pourrait pas m'accuser de défendre un intérêt de clocher ; j'aurais pris la parole pour défendre le projet avec conviction, mais le talent avec lequel cette tâche vient d'être remplis me permet de me borner à dire quelques mois relativement aux modifications introduites par la section centrale. Je regrette, quant à la première, de ne pouvoir partager l'opinion émise par M. le ministre. Il me semble que quand on présente un projet de loi et que comme moyen d'exécution on joint une convention, le droit de la chambre et de la section centrale, quand ces deux pièces leur sont renvoyées, est de les examiner.
(page 1689) En effet les deux pièces sont connexes, l'une est l'exécution de l'autre. C'est ainsi qu'on voit si les garanties nécessaires sont prises. Aussi est-ce ainsi que la chambre l'a entendu, car toutes les sections ont fait des observations qui toutes portaient sur la convention ; pas une seule n'a parlé de la loi, toutes ont parlé des garanties qu'on devait avoir de l'exécution de la loi.
Quand la discussion est venue devant la section centrale, on a demandé quelles garanties on trouvait dans la convention et on l'a examinée. Par conséquent il n'y a là rien d'étranger, et en insérant les mots « d'après les stipulations reprises dans la convention», la section centrale faisait ce qu'elle devait faire, car de cette manière on a des garanties dans la loi elle-même. Voilà pour le premier point. Quant au second, je suis de ceux qui se sont abstenus.
Je dirai même que j'ai fait valoir à la section centrale une grande partie des arguments que M. le ministre des travaux publics a produits. Mais en présence de la convention où l'on disait que les administrateurs devaient faire ratifier la convention par la société, je ne voyais aucun inconvénient à le dire dans la loi dont la convention fait partie. Si la chambre croit que cette modification n'est pas utile, elle votera contre. Mais je la crois à sa place.
J'arrive à la modification proposée à l'article 4.
Ce qui a frappé la section centrale dans l'article 4, c'est qu'elle y a vu un moyen de proroger le délai d'exécution des travaux, en vertu d'une convention, tandis que pour les autres compagnies, il a fallu une loi pour proroger le délai.
Il y avait à examiner s'il n'y avait pas déchéance pour la compagnie de la Dendre. Aux termes de l'article 4 de la convention, si pendant deux ans une compagnie offrait de reprendre la concession du chemin de fer de la Dendre, la société du chemin de fer de Jurbise doit opter entre la reprise de la concession, ou la restitution immédiate du cautionnement. C'était reconnaître qu'il n'y aurait pas déchéance d'ici à deux ans. Malgré la réserve de l'article 4, cet article implique contradiction avec l'article 7. Il nous a paru que le gouvernement renonçait ainsi à la déchéance. C'est pourquoi nous avons présenté, un amendement.
Messieurs, dans ma courte carrière parlementaire, je n'ai pas eu souvent occasion de prendre la parole, je vous remercie des témoignages de sympathie que vous m'avez donnés. Je vous demanderai de me conserver une place dans vos souvenirs et dans votre estime.
- La clôture est prononcée.
L'amendement proposé par la section centrale tendant à substituer à la fin du paragraphe premier aux mots : « sous les garanties qui lui paraîtront nécessaires, « les mots : « sous les garanties reprises en la convention ci-annexée » est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
M. Van Cleemputte. - Puisque la chambre a décidé que la convention ne serait pas obligatoire, je demande qu'on détermine le délai, et qu'il n'excède pas deux années.
M. le président. - Aucun amendement n'est plus recevable. La discussion est close.
M. Vanden Eynde. - C'est la discussion sur l'ensemble qui est close. Puisqu'on vote par paragraphes, il y a lieu, aux termes du règlement, d'ouvrir une discussion sur chaque paragraphe.
M. Delfosse. - Le projet de loi se compose d'un seul article. La discussion sur l'article se confondait avec la discussion générale. Il y a donc eu clôture, non de la discussion générale, mais de toute la discussion.
Je ne sais même pourquoi il y a en division dans le vote : car elle n'a pas été demandée.
On aurait dû, après le vote sur les amendements, voter sur l'article entier et non sur les paragraphes.
M. le président. - La division était nécessaire pour que la chambre pût statuer sur les divers amendements proposés par la section centrale.
M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Il est certain que le délai n'excédera pas deux ans.
- Les amendements proposés par la section centrale sont successivement mis aux voix et rejeté.
L'article unique du projet du gouvernement est adopté paragraphe par paragraphe et dans son ensemble dans les termes suivants :
« Article unique. Le gouvernement est autorisé, sous les garanties qui lui paraîtront nécessaires :
« 1° A mettre à la disposition de la compagnie concessionnaire des chemins de fer de Tournay à Jurbise et de Saint-Trond à Hasselt, les titres d'emprunt belge s'élevant à deux millions de francs, déposes dans les caisses de l'Etat à titre de cautionnement du chemin de fer et du canal de la vallée de la Dendre ;
« 2° A proroger de 18 mois le délai fixé par l'article premier de l'annexe à la loi du 16 mai 1845 pour l'achèvement complet des travaux des deux lignes de Tournay à Jurbise et de Saint-Trond à Hasselt ;
« 3° A rembourser immédiatement, par dérogation à l'article 14 de l'annexe précitée à la loi du 16 mai 1845, à la compagnie concessionnaire, le dernier cinquième du cautionnement de cinq cent mille francs déposé par elle.
« La convention nouvelle à intervenir avec la compagnie concessionnaire sera publiée avec la présente loi. »
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
En voici le résultat.
65 membres prennent part au vote ;
48 votent pour le projet.
17 votent contre.
En conséquence, le projet est adopté ; il sera transmis au sénat.
Ont voté l'adoption : MM. de Chimay, de Corswarem, de Foere, de La Coste, Delfosse, de Sécus, Destriveaux, de Tornaco, Dolez, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dumont, Duroy de Blicquy, Eenens, Frère-Orban, Gilson, Herry-Vispoel, Lange, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Moreau, Osy, Pirmez, Pirson, Raikem, Rousselle, Sigart, Tremouroux, Troye, Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII, Anspach, Brabant, Broquet-Goblet, Cans, Cogels, d'Anethan, David, de Bonne et Dechamps.
Ont voté le rejet : MM. de Clippele, Dedecker, de Meester, de Mérode, Desaive, de T'Serclaes, d'Hane, d'Huart, Eloy de Burdinne, Orban, Van Cleemputte, Vanden Eynde, Vandensteen, Zoude, Bricourt et Clep.
M. le ministre des finances (M. Veydt). - J'ai l'honneur de déposer un projet de loi portant règlement définitif du budget de l'exercice 1843.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; il sera imprimé et distribué. Il est renvoyé à l'examen de la commission permanente des finances.
- La séance est levée à 4 heures et demie.