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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 18 avril 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1354) M. de Villegas M. de Villegas procède à l'appel nominal à 1 heure et quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

M. de Villegas communique à la chambre l'analyse des pièces qui lui sont adressées.

Pièces adressées à la chambre

« Le sieur Wautier présente des observations sur le projet de loi d'emprunt, demande que l'emprunt soit réduit à la somme strictement nécessaire aux besoins de l'Etat, que les classes les plus aisées soient seules obligées d'y concourir, que la quatrième base de l'emprunt soit rejetée, et qu'on supprime les droits d'octroi. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi d'emprunt.


« Plusieurs habitants des communes de Grez-Doiceau et de Bonlez prient la chambre d'adopter le projet de loi d'emprunt. »

- Même dépôt.


« Le sieur Heuleman, commis des accises de deuxième classe, demande de pouvoir cumuler son traitement avec la pension civique qui lui a été accordée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi décrétant un emprunt sur les contributions foncière et personnelle, le produit annuel des rentes et des capitaux donnés en prêt, garantis par une hypothèque conventionnelle, et les pensions et traitements payés par l'Etat

Rapport de la section centrale

(page 1365) M. Mercier. - Messieurs, l’honorable M. Rousselle étant obligé de s'absenter pour affaires urgentes, la section centrale m'a chargé de vous présenter son rapport sur les nouveaux amendements relatifs.au projet d'emprunt, qui ont été proposés par le gouvernement.

La section centrale, se référant à son premier rapport, ne s'est plus occupée de la quotité à demander à chacune des bases de l'emprunt ; elle a donc borné sa tâche à l'examen des modifications que renferment les amendements.

Nous allons les passer successivement en revue :

Le paragraphe premier est adopté à l'unanimité, sauf la réserve dont nous venons de faire mention quant à la quotité de l'emprunt à asseoir sur cette base.

Le paragraphe 2 est ainsi conçu :

« Elle sera payée, dans la proportion de leurs cotes respectives, par les trois quarts des propriétaires, usufruitiers ou autres redevables les plus imposés dans chaque commune, nonobstant toute convention contraire. »

Plusieurs membres de la section centrale, dans le but de parvenir à exempter les petits contribuables de la participation à l'emprunt, ont compulsé les rôles de différentes communes du Brabant et du Hainaut ; il résulte des renseignements recueillis par eux que, dans un certain nombre de communes prises au hasard, les contribuables ne payant pas plus de dix francs de contribution foncière dans la commune qu'ils habitent forment plus des deux tiers de tous ceux qui sont portés au rôle, tandis que leurs cotes réunies ne s'élèvent qu'au huitième environ du montant de la contribution. La première pensée était donc d'exempter ces contribuables de l'emprunt. Mais on a objecte que, dans beaucoup de localités du Luxembourg et d'autres provinces, très peu de contribuables sont imposés à plus de dix francs de contribution foncière ; que, par conséquent, dans ces communes, il ne serait pour ainsi dire rien perçu pour l'emprunt.

La question de savoir si des exemptions quelconques seraient établies, ayant été posée, a été résolue affirmativement par 5 voix contre 2.

Pour faire droit à l'objection présentée, la section centrale, par 3 voix contre 2 abstentions, a admis la rédaction suivante :

« Elle sera payée dans la proportion de leurs cotes respectives par les propriétaires, usufruitiers ou autres redevables les plus imposés, payant ensemble les 7/8 de la contribution foncière dans chaque commune, nonobstant toute convention contraire. »

Par suite de cette disposition les deux tiers des contribuables au moins dans la plupart des communes ne participeront pas à l'emprunt.

Art. 3. Cet article a été adopté à l'unanimité sauf quelques changements de rédaction motivés par les changements apportés au deuxième paragraphe de l'article 2.

Il serait conçu dans les termes suivants :

« Seront ajoutés aux contribuables mentionnés à l'article précédent :

« a (Comme au projet, sauf à substituer la catégorie au quart.)

« b (Paragraphe 1er comme au projet ; au deuxième paragraphe, même substitution qu'au littera. a).

Art. 4. Cet article est adopté sans modification.

Art. 6. Quatre membres se prononcent contre la distinction des bases proposées par le gouvernement, relativement à la contribution personnelle ; trois membres s'abstiennent.

Des membres ont fait observer que c'est surtout en ce qui concerne la valeur locative que l'on a abusé de la faculté de se référer la déclaration de l'année précédente et que, par conséquent, cette base, dans l'application, est plus défectueuse encore que celle des portes et fenêtres que le gouvernement propose d'écarter.

Sauf les époques de payement, le premier paragraphe de l'article 6 n'est donc pas adopté.

En ce qui concerne le deuxième paragraphe de cet article, la section centrale, dans l'intérêt des petits contribuables, persiste dans sa première proposition qui consiste à faire supporter cette partie de l'emprunt par les contribuables les plus imposés payant ensemble dans chaque commune la moitié du montant du rôle de la contribution ; de cette manière, dans le plus grand nombre des communes, plus des trois quarts .des personnes imposées au rôle seront dispensées de participer à l'emprunt.

page 1354

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. Van Huffel.

M. Van Huffel. - Messieurs, lorsque de graves événements survenus dans un pays voisin vinrent jeter des complications imprévues au milieu des difficultés qui déjà pesaient sur la Belgique, chacun de nous comprit que, dans l'état de nos finances, les ressources ordinaires du trésor ne pouvaient suffire à la fois et aux charges si lourdes que nous avait léguées le passé et aux charges nouvelles que nous apportait le présent et que nous présageait l'avenir ; chacun comprit le devoir que lui imposait cette situation inattendue, et, disons-le, à l'honneur du pays, ce devoir, chacun se résigna loyalement à l'accomplir. On n'a pas oublié avec quelle haute intelligence de leur position, avec quel sentiment de vrai patriotisme les chambres et le pays accueillirent le premier appel que le ministère fit à leur confiance, à leur désintéressement.

La législature, dans cette occasion, sut remplir son devoir sans hésitation comme sans regret. Mais les ressources alors obtenues sont épuisées ou sur le point de l'être ; elles sont insuffisantes d'ailleurs pour répondre à toutes les exigences du présent et de l'avenir ; il faut faire face à des besoins nouveaux, impérieux ; il faut rétablir l'équilibre si violemment ébranlé entre nos recettes et nos dépenses ; et pour atteindre ce but, le ministère jusqu'ici n'a eu recours qu'à un seul moyen, c'est celui de demander des sacrifices nouveaux, après les sacrifices que le dévouement du pays s'était déjà imposés ; c'est celui de puiser une fois encore à des sources, sinon taries, du moins pour la plupart bien près de tarir.

Dans ces graves circonstances où l'on fera un appel sans doute à tout ce que notre cœur renferme de sentiments patriotiques et généreux, qu'il me soit permis de parler avec une entière franchise. Je me hâte de le dire, je suis prêt, pour ma part, et j’ajouterai, sans crainte de démenti, nous sommes tous prêts à souscrire à tous les sacrifices que pourront exiger de nous et l'honneur et la sécurité du pays et le maintien de cette Constitution que nous avons jurée.

Ce n'est pas là une précaution oratoire, ce n'est pas là une vaine protestation de tribune ; nous avons prouvé, je pense, et plus d'une fois encore nous aurons l'occasion de prouver par des faits, combien cette résolution est profonde, sérieuse, réfléchie. Mais si nous ne reculons devant aucun des sacrifices que peut nous imposer le salut de l'Etat, ce ne peut être que pour autant qu'il nous sera établi qu'il n'est pas d'autre moyen moins onéreux et tout aussi efficace de subvenir, au moins en partie aux nécessités du trésor ; ce n'est que pour autant qu'il nous sera établi qu'on a tout fait, tout essayé pour rendre les charges publiques aussi peu écrasantes que possible pour le pays.

Or, je le dis à regret, c’est une conviction que l'on ne m'a pas encore donnée. Pour parvenir à cet équilibre auquel nous tendons tous, deux choses étaient à faire : augmenter nos recettes, réduire nos dépenses. Eh bien, c'est vers les recettes seules que jusqu'ici s'est sérieusement portée toute l'activité, toute la force inventive ; ce sont certaines recettes qu'on entend doubler, tripler peut-être au moyen de l'impôt, ou, si l'on aime mieux, au moyen de l'emprunt non volontaire.

Quant aux dépenses, on ne s'en est guère occupé jusqu'à ce jour, que pour augmenter celles qu'on n'a pas laissées intactes.

Ce n'est pas ainsi que je m'étais figuré la mission du gouvernement en présence des embarras financiers du pays. Je ne m'attendais à un projet de loi créant des charges nouvelles que pour autant que ce projet serait précédé ou tout au moins accompagné de mesures apportant dans nos dépenses ces réductions que le pays, la raison, l'équité réclament, que les circonstances qui nous dominent exigent impérieusement.

Eh quoi ! on demande à nos populations déjà si rudement éprouvées, qu'une crise financière, industrielle, politique est venue surprendre au sortir d'une crise alimentaire, alors que la gêne est partout, alors qu'une misère hideuse remonte rapidement des basses régions aux régions moyennes de la société, on leur demande le double, le triple de l'impôt d'une année entière, et l'on laisserait subsister tant de dépenses d'un luxe improductif, inutiles toujours, injustifiables aujourd'hui et qui ne semblent rester là que pour jeter un démenti à l'existence de cette misère qu'il est impossible de ne pas voir !

Oh ! non, messieurs, il faut que le gouvernement comprenne avec nous que le temps des réductions dans les dépenses, le temps des économies sévères, inexorables, immédiates, est enfin arrivé ; que si, après avoir tant souffert, nous sommes résignés à souffrir encore, que si nous sommes prêts à partager avec lui, s'il le faut, nos dernières ressources, ce n'est pas pour entretenir à grands frais un essaim de frelons budgétaires, pour dorer les inutiles galons de notre diplomatie, mais pour subvenir aux besoins de l'Etat, à ses besoins réels, sérieux, inévitables, en dehors desquels tout devient profusion, prodigalité, désormais sans excuse.

Oui, nous avons donné, nous donnerons encore des preuves non équivoques de dévouement, d'abnégation, mais ces preuves, nous ne devons pas rester seuls à les donner. Il n'est personne d'entre nous sur qui ne pèsent, sur qui ne pèseront longtemps peut-être les dures nécessités que subit la Belgique. Il n'est personne d'entre nous que ces années calamiteuses n'aient astreint à des privations jusqu'alors inconnues.

Les lois de la plus stricte économie sont devenues pour tout ménage belge des lois de nécessité, les premières lois de salut.

Eh bien, si le gouvernement veut conserver nos sympathies, qu'il suive lui aussi cette voie dans laquelle la Providence nous a forcément engagés, et dans laquelle nous retiennent des calamités toujours nouvelles, des besoins toujours renaissants. Que le ministère entre largement, franchement, immédiatement dans ces idées d'économie, qui sont devenues pour le pays une idée dominante, fixe, son Delenda Carthago ! Qu'on réduise notre diplomatie à des proportions modestes, vraies, en rapport avec notre importance politique, eu rapport avec les besoins réels de notre neutralité, en rapport avec les services qu'elle nous a rendus, qu'elle peut nous rendre encore.

Qu'on fasse disparaître ce non-sens trop coûteux, qu'on appelle marine militaire de la Belgique, cette vaine aspiration à un genre de gloire, de puissance que la Belgique n'est pas appelée à connaître. Qu'on ramène à leurs limites rationnelles tant de largesses budgétaires qui ne sont ni de notre ni de notre position. Ces mesures de salut public qu'on a tant jusqu'ici (page 1355) appliquées à la seule classe des contribuables, qu'on se décide enfin à les appliquer à la classe des rétribués. Qu'on révise, et sans retard, pensions, places, traitements, à quelque catégorie qu'ils puissent appartenir. Qu'on retranche tout ce qui est inutile, qu'on réduise tout ce qui est exorbitant.

Ces réformes, dira-t-on, sont radicales ; je le sais. Mais elles sont justes ; elles sont nécessaires, moins radicales sans doute que les réformes qui de jour en jour s'opèrent dans notre fortune, dans notre aisance à tous. Le temps d'ailleurs n'est-il pas aux réformes plus ou moins radicales. Le ministère lui-même ne l'a-t-il pas compris ? Ne l'avons-nous pas vu, dans une occasion récente, poser spontanément la première assise d'une réforme politique bien autrement importante et laissant si loin derrière elle et nos espérances d'alors et jusqu'à nos vœux peut-être.

Eh bien ! que l'on fasse dans l'ordre économique ce qu'on n'a pas hésité de faire dans l'ordre politique. Si, sous la pression avouable et légitime des circonstances, on n'a pas craint de modifier profondément d'un seul coup, sans transition, aucune des bases de la représentation nationale, les bases du pouvoir en Belgique, si l'on n'a pas reculé devant une quasi-révolution, dans les lois essentielles de notre organisation politique à l'intérieur, que l'on ne recule pas davantage devant les réformes à faire dans la répartition des frais de notre ménage commun ; que l'on fasse disparaître de nos budgets, toutes ces dépenses dont le maintien choque le sens public et qui offre un si déplorable contraste avec la gêne, avec la misère du grand nombre, avec les sombres appréhensions de tous.

En formant ces réclamations que l'amour du pays, que le sentiment de ses vrais intérêts, que l'aspect de ses misères m'ont seuls inspirées, nous ne demandons qu'une chose équitable et juste ; nous demandons d'ailleurs une chose possible.

Je sais tout ce qu'on a opposé à ces demandes de réductions, lors des précédentes discussions des budgets ; mais depuis lors, les temps ont marché avec une féconde rapidité. Depuis les précédentes discussions des budgets, nous nous sommes de plus d'un siècle rapprochés du règne de la simplicité dans les ressorts du gouvernement représentatif. Ce qui paraissait impossible alors, est devenu on ne peut plus facile aujourd'hui. On parlait, si je ne me trompe, de susceptibilités à ménager, de prétendues convenances internationales. Ils sont passés les temps des graves minuties. De nos jours les peuples et les rois ont autre chose à faire, ont de plus pressants soucis que de s'enquérir si l'agent qu'on accrédite auprès de leurs gouvernements se nomme ambassadeur ou simple chargé d'affaires.

On parlait de positions acquises. Oh ! certes j'entends que l'on respecte les positions acquises, les droits acquis. Mais le contribuable n'a-t-il pas aussi des droits acquis, tout aussi dignes de respect ? Le contribuable n'a-t-il pas le droit de suffire à ses besoins et au moyen de son travail et par le produit régulier de ses capitaux ? N'a-t-il pas le droit de ne pas voir ses charges croître progressivement à mesure que ses ressources s'évanouissent ?

Et cependant, travailleurs, capitalistes, n'ont-ils pas vu se réduire successivement et le fruit de leur travail et le produit de leurs épargnes et les intérêts de leurs capitaux, et jusqu'à ces capitaux eux-mêmes ; jusqu'à la certitude, jusqu'à l'espérance de ce travail productif ? N'ont-ils pas vu dans la même proportion s'alourdir pour eux le poids des charges publiques ? Faut-il s'étonner alors si à chaque fois qu'on montera à cette tribune pour répéter ces mots omineux d'impôts, d'emprunts, d'avances forcées, la voix du public répondra économie, réduction dans les dépenses ; suppression de tout ce qui n'est pas d'une indispensable nécessité ? Et ces justes réclamations seront accueillies avec respect. Car ce n'est pas la mesquine et inintelligente résistance de l'avare qui se refuse à toute avance, même productive, même nécessaire à sa conservation.

Ce n'est pas le mauvais vouloir capricieux d'une opposition systématique ou tracassière qui combat le pouvoir pour l'entraver dans sa marche ou pour le vain et triste plaisir de le combattre.

Non, messieurs, c'est la sage prévoyance de l'homme d'ordre, du père de famille qui entend que l’on règle et la nature et l'étendue de ses dépenses sur le chiffre de ses ressources normales. C'est le saint et suprême effort de populations justement alarmées, qui défendent leur existence même, qui défendent leur dernière subsistance contre des profusions de toute nature qui devraient finir par les absorber.

En effet, messieurs, que demandons-nous ? Que l’on réduise en rien ce qui tient à la dignité de l'Etat, à sa sûreté, aux besoins réels de son administration ? A Dieu ne plaise ! Et je n'en suis pas à me repentir ni du vote que j'ai émis, ni des sentiments que j'ai exprimés lors de la discussion du budget de la guerre et des divers crédits supplétifs ; aujourd'hui comme alors, je veux une Belgique calme, forte et respectée ; aujourd'hui, comme alors, je veux une Belgique possible.

Mais si je ne conçois pas de Belgique sans armée pour la défendre, pour maintenir dans la mesure de ses besoins réels et sa neutralité au dehors et son repos à l'intérieur, si je ne conçois pas de Belgique sans l'organisation vigoureuse de tous ses services administratifs, si je ne la conçois pas sans moyens de travail pour ses classes ouvrières, sans l'exécution exacte et loyale de tous ses engagements, je la conçois fort bien et sans l'impuissante parade de sa marine militaire, et sans le faste aussi dispendieux qu'inutile de sa diplomatie, et sans cette nuée d'agents, de fonctionnaires, d'employés de toute nature qui encombrent encore tant de branches de nos services publics.

La Belgique serait aussi bien et mieux servie, aussi respectable et aussi respectée avec un peu moins de grosses pensions, de gros appointements, un peu moins d'attirail et d'encombrement bureaucratique.

Ce n'est pas que je m'exagère le résultat des réformes que je demande ; elles ne produiront d'abord qu'un chiffre peu considérable mis en rapport avec le chiffre global de nos budgets ; mais la question n'est pas là : dans la gêne qui nous presse, dès l'instant qu'une économie est possible, quelque restreinte qu'elle soit, elle devient un besoin pour le pays, un devoir immédiat pour le gouvernement. Nous ne demandons pas plus que ce qui est praticable, mais nous demandons, nous sommes en droit de demander tout ce qui est praticable. D'ailleurs, messieurs, disons-le, ce n'est pas seulement un résultat financier, c'est encore, c'est surtout un résultat moral que, dans l'intérêt de l'ordre, dans l'intérêt du pouvoir lui-même, nous désirons obtenir.

L'opinion publique, vivement, justement excitée, demande une satisfaction ; cette satisfaction, il faut la lui donner. Amis politiques, mais amis francs et loyaux, des hommes qui dirigent nos communes destinées, nous ne voulons pas suivre, sur une pente fatale, l'exemple donné dans un pays voisin par ces dévouements aveugles et obstinés, qui, en encourageant le pouvoir, en le suivant, en le poussant peut-être dans des voies dangereuses, ont fini par le perdre, par l'entraîner dans un abîme où l'ordre et la vraie liberté auraient pu s'engloutir avec lui. Non, messieurs, nous savons que, de nos jours, on n'est fort qu'avec l’opinion et par l'opinion ; que, point d'appui et levier social, tout est là ; que toute autre force est nécessairement factice, éphémère ; que lorsqu'une idée juste s'est emparée de l'esprit des populations, on voudrait vainement la comprimer ; que, quoi qu'on puisse faire, tôt ou tard il faut que. cette idée éclate, qu'elle fasse explosion.

C'est une vérité qu'en traits ineffaçables ont tracée les journées de février ; c'est une vérité que nous lisons avec stupeur au front de Berlin, au front de Vienne, hier encore réputée immuable ; c'est une vérité que, sur un théâtre moins vaste, dans des formes moins heurtées, a proclamé notre journée pacifique du 8 juin. Or, je voudrais éviter à nos populations, à nos amis, un 8 juin économique.

Voilà pourquoi, puisqu'il s'agit de voter des charges nouvelles, voilà pourquoi nous aurions voulu être en droit de dire au pays : « Ces charges, nous les avons votées, parce qu'il le fallait. Il le fallait pour conserver à la Belgique cette attitude si calme, si digne, qui fait aujourd'hui sa gloire, sa force et sa sécurité, et qui peut un jour, si elle persiste faire sa richesse et son bonheur. Il le fallait, et il n'y avait plus sur aucun de nos budgets une seule économie à réaliser pour le présent, ni à décréter pour l'avenir. On n'a pas recours vers vous qu'après avoir épuisé la dernière ressource que nous offrait la dernière réforme budgétaire à effectuer. » Alors, messieurs, soyez-en persuadés, le pays tout entier eût applaudi à nos votes ; alors la loi que nous aurions votée serait pour le gouvernement une force nouvelle, au lieu de devenir peut-être une cause de faiblesse, un élément possible de dissolution.

Qu'on ne se borne donc plus à de simples promesses, quelque loyales, quelque sincères que je me plaise à les reconnaître ; que le fait enfin vienne répondre aux justes réclamations du pays ; que les économies soient une réalité actuelle, comme l'emprunt en est une. Que les réductions qui ne sont pas immédiatement réalisables, qu'on les annonce, qu'on les prépare au moins par des mesures positives, empreintes d'un cachet de détermination bien arrêtée ; qu'on entre enfin franchement, largement, dans une ère toute nouvelle, dans une ère de réforme, de réorganisation administrative.

En effet, messieurs, on l'a dit avec raison, et je le répète, avec un légitime orgueil : sous le rapport des institutions libérales, sous le rapport surtout de la liberté pratique, nous n'avons rien à envier à aucun des peuples de la vieille Europe. La liberté chez nous n'est pas un vain mot ; la liberté est une réalité de tous les instants, de tous les lieux ; elle est dans nos mœurs, dans notre caractère, dans notre esprit ; elle est dans notre sang tout autant que dans nos lois écrites.

Sous ce rapport, notre place est belle ; notre gloire est incontestée, au fond de tous les cœurs intelligents et droits.

Eh bien, voyons : encore un noble effort, encore une gloire de plus à acquérir à la Belgique. On nous cite déjà comme une terre de vraie liberté ; faites donc qu'on nous cite encore comme une terre de sagesse, de modération, de modestie administrative ; faites qu'on nous cite comme une terre de véritable économie.

M. Rousselle. - Messieurs, après les chaleureuses paroles que vous venez d'entendre, il est bien difficile de prononcer quelques mots pratiques sur la loi de l'emprunt. Cependant, quoi qu'il m'en coûte, bien que j'eusse voulu laisser la chambre sous l'impression de cette parole qui l’a vivement émue, je vais entrer dans quelques observations sur celle loi importante. Messieurs, le rapport que j'ai eu l'honneur de présenter à la chambre, fait connaître le motif impérieux qui a déterminé la section centrale à s'abstenir de livrer à la discussion publique un projet qui, de prime abord, lui avait paru réunir de grands avantages dans l'intérêt du crédit et dans l'intérêt des contribuables, dont il était destiné à alléger les charges.

Cependant hors de cette enceinte on a critiqué la détermination prise par la section centrale ; mais était-il possible de formuler une conclusion. sinon en acceptant le question telle que le cabinet la posait ? Or, bien certainement la section centrale n'avait pas reçu un pareil mandat.

Force a donc été de nous abstenir ; mais en nous abstenant, nous nous (page 1356) sommes efforcés d'élucider les questions de principe et de détail, de manière à mettre la chambre en état de prononcer. Nous espérons qu'elle reconnaîtra que, dans la circonstance, nous n'avions pas d'autre parti à prendre.

La chambre n'est donc, en ce moment, saisie d'aucune proposition de section centrale, de sorte que je puis regarder comme accomplie ma tâche de rapporteur. Ce n'est donc point en cette qualité, mais en mon nom personnel, que je vais prendre part à la discussion.

Je ne reproduirai pas individuellement ce que la section centrale, dont j'ai fait partie, n'a pas cru pouvoir soumettre aux délibérations de la chambre ; mais je regarderais comme une chose des plus heureuses que le gouvernement voulût bien adopter et proposer lui-même, si pas dans son entier, au moins pour une grande partielle système de la section centrale, ou toute autre mesure analogue dont la conséquence serait de ne pas demander à l'emprunt forcé tout le capital nécessaire au remboursement de la dette flottante. L'allégement qui en résulterait pour les contribuables et qui, dans ma conviction, est sollicité par la situation du pays, serait accueilli partout avec la plus vive satisfaction.

Mais en supposant que. le gouvernement persiste à ne pas admettre une nouvelle émission de papier ayant cours légal, même réduite à la somme indispensable au remboursement des bons du trésor possédés par les deux grands établissements de crédit, je pense que l'on pourrait encore diminuer notablement la somme à demander aujourd'hui à l'emprunt. Je vais tâcher de le démontrer.

En attendant que la nouvelle législature ait pu porter une investigation profonde sur toute notre situation financière, et y appliquer les meilleurs remèdes, que faut-il ?

Certes, il n'est pas rigoureusement nécessaire que nous ayons créé des voies et moyens qui pussent répondre d'une manière absolue à la somme des dépenses allouées, soit par la loi du budget, soit par les lois spéciales ; ce qu'il faut, c'est que d'ici au 1er septembre, la trésorerie possède, eu réalité, les fonds nécessaires pour solder, n'importe à quels services votés elles s'appliqueront, toutes les ordonnances qui seront émises pour être payées avant cette époque. Quant aux ordonnances à délivrer après le 1er septembre, la nouvelle législature sera à même d'en assurer le payement.

Vous n'ignorez pas, messieurs, que lorsqu'un exercice s'ouvre, et c'est le cas où nous nous trouvons, les recettes rentrent plus vile que les dépenses ne doivent se faire. En recourant à la situation du trésor au 1er septembre dernier, qui nous a été distribuée au commencement de la session, l'on voit qu'à ce jour, sur les revenus ordinaires de l'exercice 1847, il avait été reçu en somme ronde 71,000,000 de francs, tandis qu'il n'avait été dépensé sur le même exercice que 52,000,000 de francs. Donc plus reçu que dépensé : 19,000,000 de francs.

Eh bien ! ce même état de choses qui se renouvelle chaque année se représentera sans doute à très peu près pour l'année 1848 : ce ne serait donc pas trop hasarder que de compter que d'ici au 1er septembre, l'on pût appliquer aux besoins les plus urgents, sur l'excédant des fonds encaissés de l'exercice courant, une somme alors provisoirement sans emploi d'une dizaine de millions. L'emprunt à décréter par la chambre actuelle pourrait donc être sans inconvénient diminué d'une pareille somme, et ce serait là un autre allégement bien désirable, je le répète, dans l'état où le pays se trouve aujourd'hui.

Cet allégement permettrait de retrancher de l'emprunt toute la part que l'on voudrait demander aux fermiers-locataires et à la contribution personnelle, deux bases de l'emprunt qui soulèvent des réclamations universelles ; il permettrait de demander beaucoup moins à la contribution foncière et d'établir certaines exceptions propres à en adoucir et à en égaliser la charge ; il permettrait d'affranchir de l'emprunt les rentes au-dessous d'un certain taux ; enfin il permettrait de ménager les contribuables des classes peu aisées, qui doivent à juste titre appeler une plus vive sollicitude de notre part.

Et en effet, messieurs, quelle serait, dans cette hypothèse, la somme à demander au pays, avant que la nouvelle législature eût à s'occuper de notre état financier, même en supposant que le gouvernement repoussât toute émission quelconque de billets de banque ou autre papier avec cours <de monnaie légale ? La voici :

Le rapport que j'ai déposé le 6 avril évaluait les charges, y compris une somme éventuelle de 4 millions pour le département des travaux publics, 21,400,000 fr.

Le vote du 14 avril et ce qui est présumé devoir être encore alloue pour ce département portent ensemble 7,000,000 fr.

D'où déduisant les 4 millions ci-dessus, à 3,000,000 fr.

Total, 24,400,000 fr.

Et retranchant la somme à prélever provisoirement sur les fonds ordinaires de 1848, 10,000,000 fr., il resterait à pourvoir à 14,400,000 fr.

Mais dans ce restant, indépendamment des dépenses nouvelles à ordonner, mais non à payer entièrement avant le 1er septembre, il y a pour environ 3 millions de dépenses arriérées qui se rattachent à des exercices encore ouverts ; et comme jusqu'ici l'on n'a pas démontré que ces exercices ne laissent point d'excédants suffisants pour couvrir ces dépenses, l'on pourrait provisoirement retrancher la somme de 3,000,000 de francs.

Il ne faudrait donc plus demander à l'emprunt que 11,400,000 francs.

Dira t-on que nous nous affranchirions ainsi de la charge d'assurer les services publics pour les reporter sur la chambre qui nous succédera, et que le pays ne gagnerait rien à ce retardement ?

Pour moi, je crois, au contraire, qu'il y a beaucoup à gagner. D'abord : il n'est pas probable que la situation, qui s'est déjà quelque peu éclaircie, ne devienne bientôt plus nette ; et, d'un autre côté, en gagnant du temps, non seulement on connaîtra les économies qu'il sera possible de réaliser sur les votes de dépense, mais on se ménage encore le moyen de réunir les documents nécessaires, pour fixer consciencieusement son opinion, quant à de meilleures bases d'imposition que celles sur lesquelles nous avons à délibérer aujourd'hui. La nouvelle législature aurait donc plus que la chambre actuelle, la possibilité d'assurer les services publies sans craindre de blesser l'égalité proportionnelle, qu'il est si essentiel de faire régler dans la répartition des charges de l'Etat. C'est là une très grave et très puissante considération qui se recommande à l'attention de la chambre et du gouvernement. Ramener dans les limites les plus étroites le chiffre des voies et moyens à créer eu ce moment, tel est mon désir, tel est, dans ma conviction, l'intérêt et le salut du pays.

J'attendrai les lumières de la discussion pour diriger mon vote que je réserve, et pour régler la part que je pourrai prendre à la délibération spéciale sur les articles du projet de loi.

- M. Delfosse remplace M. Liedts au fauteuil.

M. Anspach. - Messieurs, s'il est une mesure utile, nécessaire, indispensable, en même temps qu'elle est patriotique, qu'elle est nationale, qu'elle est belge, c'est bien la mesure que vous propose le gouvernement.

Avant d'aller plus loin, je veux témoigner à l'honorable député de Gaud, que j'adhère complétement aux propositions d'économie administrative qu'il a si éloquemment réclamées du gouvernement. Qu'il me permette cependant de lui dire que, dans ce moment, ces économies seraient tout à fait insuffisantes et n'empêcheraient pas la nécessité de l'emprunt.

Permettez-moi, messieurs, de m'étonner de l'espèce de répulsion, qu'une partie de mes honorables collègues semblent éprouver pour cet emprunt. Ils savent pourtant et ils doivent savoir quelle est la position du pays sous le rapport financier et industriel, quelles sont les nécessités que cette position entraîne ! Et ils refusent au gouvernement les moyens de sortir des embarras de cette position, ils se retranchent dans leurs devoirs de défendre les intérêts de leurs commettants ! Mais cette position qu'ils se font est fausse, complètement fausse ! Ils ne doivent pas séparer les intérêts de leurs commettants des intérêts de la nation tout entière ; si une mesure est bonne, ils doivent la prendre, qu'elle soit agréable ou non à leurs commettants ; voilà le devoir d'un représentant de la nation.

J'ai vu avec regret le ministère être forcé de réduire à moitié le chiffre de l'emprunt qu'il avait d'abord demandé et de ne pourvoir ainsi aux besoins de l'Etat que jusqu'à la fia du mois d'août ; cette demi-mesure, timide, imprudente, que je blâme hautement, est motivée sur l'opinion de beaucoup de membres de cette chambre, que la législature devant être bientôt renouvelée, c'est aux chambres nouvelles qu'il appartiendra de statuer sur les ressources qu'elles devront accorder au gouvernement.

Mais, messieurs, cette opinion est dangereuse, elle est peu digne ; c'est ne pas oser prendre sur soi une responsabilité attachée au mandat que nous avons accepté de la confiance de nos concitoyens ; c'est exposer le gouvernement à rester sans ressource dans une crise que, sans être pessimiste, on peut regarder comme probable ; et qui vous dira, messieurs, qu'il sera possible à la nouvelle chambre de faire, alors, dans un moment donné, ce qu'il vous est possible de faire maintenant ? Si malheureusement ce cas arrivait, si des circonstances, que nul ne peut prévoir, laissaient le gouvernement désarmé de tous moyens de parer aux événements, la responsabilité que vous auriez assumée serait terrible ; vous auriez compromis le pays !

Messieurs, nous devons faire tous nos efforts, supporter tous les sacrifices pour maintenir notre chère Belgique dans la position admirable où elle s'est placée. Nous pouvons le dire avec orgueil, nous sommes un. sujet d'étonnement et d'admiration pour toute l'Europe, notre Constitution sert de modèle aux peuples qui aspirent à s'en donner une, nous avons résolu ce grand problème qui agite et qui a agité la société toute entière, c'est la réunion de l'ordre et de la liberté.

Aussi, messieurs, malgré quelques tentatives insensées, qui n'ont servi qu'à provoquer des démonstrations éclatantes de notre attachement à toutes nos institutions, notre Belgique se présente aux yeux des nations étonnées, comme un oasis de paix et de tranquillité au milieu des tempêtes qui bouleversent les pays qui nous environnent.

Mais, messieurs, si notre position politique est très bonne, il n'en est pas de même de notre position financière. Dans un pays industriel, aussi commerçant que le nôtre, une grande commotion inattendue, que nul ne peut prévoir, arrivant à une époque de l'année où tous les moyens de production sont mis en jeu, devait nécessairement, causer une grande (page 1357) perturbation ; aussi le coup de tonnerre qui a ébranlé l'Europe, a-t-il eu des résultats déplorables pour le commerce et l'industrie de notre pays. La confiance et par suite le crédit ont disparu, les valeurs à terme, les effets de portefeuille, qui en temps ordinaire sont de l'argent, n'ont été d'aucune ressource ; plus aucun moyen de se procurer les fonds nécessaires aux diverses industries ; les premières maisons de commerce, les plus grands établissements industriels se sont cruellement ressentis de cet état de choses qui était d'autant plus fâcheux qu'il fallait continuer à donner de l'ouvrage aux innombrables ouvriers répandus dans tout le pays. C'était une question d’ordre public ; aussi tous les yeux se sont tournés vers le gouvernement ; de tous les côtés à la fois, établissements industriels, commerçants, sociétés, conseils communaux ont envoyé des députations ; le ministère a été littéralement assailli jour et nuit de demandes qui toutes se résumaient en demandes d'argent ; on aurait dit qu'il avait à sa disposition l'or de toutes les mines de l'Oural ; on avait l'air d'oublier qu'il avait reçu pour legs de l'ancien ministère 22 millions de bons du trésor, plus un arriéré de 6 à 7 millions pour travaux exécutés ; toutes ces députations venant des principales villes du royaume, de Charleroy, etc., étaient accompagnées, recommandées, appuyées par les honorables représentants de leur localité. Je ne comprends pas comment ceux de ces messieurs qui sont opposés à l'emprunt ont pu se joindre à leurs sollicitations, car pour être logiques, conséquents avec eux-mêmes bien loin de se joindre à ces députations ils auraient dû leur dire : Non seulement je ne puis pas aller avec vous chez les ministres, mais s'ils vous faisaient des promesses je les empêcherais de les exécuter, je leur en ôterais les moyens, car je voterai contre l'emprunt. Je ne sais pas jusqu'à quel point ces députations auraient été satisfaites d'un pareil langage et quel effet cela aurait produit sur leurs administrés.

Messieurs, qu'on veuille bien envisager avec attention et sang-froid la position actuelle de l'Europe, le rôle que nous pouvons être appelés à jouer. Vous verrez que si d'un côté les peuples se soulèvent pour acquérir des droits qui leurs sont dus, pour se débarrasser d'institutions surannées, pour faire cesser ces distinctions de castes qui sont puériles, ces faits ne présentent pour nous aucune gravité ; mais il n'en est pas de même du côté opposé ; ce n'est pas seulement une révolution politique qui s'est effectuée, c'est une révolution sociale tout entière qui cherche à s'opérer ; les doctrines les plus absurdes, les plus impraticables sont enseignées publiquement ; des principes destructeurs de toute société attaquent la propriété qui en est la base ; les rêveries les plus folles auxquelles on a soin de donner un vernis de philanthropie se font jour de toutes parts ; tous ces systèmes désorganisateurs cherchent à passer à l'état d'application ; s'ils pouvaient réussir, c'en serait fait pour longtemps de la société. Espérons, messieurs, que ces tentatives seront vaines et que cette grande et noble France sortira victorieuse de la tourmente au milieu de laquelle elle est ballottée.

Dans cette position, messieurs, qu'avons-nous à faire ? Notre attachement à nos institutions est un fait, je n'en parle pas. Nous devons accorder, offrir même au gouvernement tout ce qui lui est nécessaire pour maintenir l'ordre public. Là, messieurs, est la question, toute la question. Fournir du travail aux bras inoccupés par tous les moyens possibles, c'est là une impérieuse nécessité si vous ne voulez compromettre jusqu'à l'existence de notre pays. Cette nécessité, tout le monde la sent ; à cet égard je ne veux ni ne dois entrer dans des détails qui donnés dans cette enceinte seraient inopportuns et peut-être dangereux. Je termine en vous faisant cette observation : c'est que lorsqu'un vaisseau battu par la tempête court quelque danger, l'équipage n'hésite pas à jeter à la mer une partie de sa cargaison pour sauver le navire tout entier. Je vote pour l'emprunt en regrettant que le chiffre en ait été restreint à une somme que je regarde comme insuffisante vu l'incertitude où nous sommes des événements qui peuvent surgir dans un avenir très prochain.

M. Orban. - Messieurs, l'honorable membre qui vient de se rasseoir a commencé et terminé son discours en exprimant le regret que l'emprunt forcé demandé par le gouvernement ne fût pas plus considérable. C'est là, messieurs, un regret fort édifiant. Mais j'avoue que je l'admirerais davantage, si la grande cité dont il est le représentant et dont il exprime probablement l'opinion en cette circonstance...

M. Anspach. - Je suis l'organe de moi-même.

M. Orban. - Je l'admirerais davantage, dis-je...

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - L'honorable M. Anspach dit courageusement son opinion, et il a raison.

M. le président. - Pas d’interruption, on répondra.

M. Orban. - Je l'admirerais davantage si la cité dont il est le représentant n'avait adressé à la législature des réclamations contre la base de l'emprunt qui la touche plus particulièrement. Parler pour augmenter l'emprunt et chercher en même temps à diminuer la part que l’on y doit prendre est d'un désintéressement par trop facile.

Personne d'entre nous, messieurs, ne méconnaît les dures nécessités du moment, personne d'entre nous ne méconnaît les devoirs qu'elles nous imposent. Nous l'avons tous prouvé, en votant avec unanimité le premier emprunt qui nous a été demandé et dont la nécessité était démontrée pour tout le monde.

Mais à côté de ce devoir, il en est un autre non moins grave et non moins précis, selon moi, c'est celui de réduire dans de justes limites les sacrifices que l'on veut imposer au pays ; c'est celui de rechercher et surtout d'accueillir avec empressement les moyens qui sont proposés, indiqués pour atténuer les charges autant que possible ; c'est, enfin, de concilier., avec une juste appréciation des besoins du présent, une sage prévoyance des épreuves que l'avenir nous réserve sans aucun doute.

Eh bien, ce devoir, le gouvernement l'a-t-il bien compris ? Nous-mêmes, le comprendrions-nous, si nous acceptions le projet d'emprunt sans lui faire subir de graves modifications ? Je n'hésite point à répondre que non.

Je ne parlerai pas de l'altitude du gouvernement dans les conférences qui ont précédé la discussion publique ; je ne parlerai pas de la roideur (qu'on veuille bien me passer l'expression) qu'il a mise à accueillir toutes les propositions qui lui ont été faites, dans le but d'atténuer par de sages combinaisons financières l'obligation de verser en numéraire la totalité de l'emprunt. Je crois que le gouvernement est à la veille de se condamner lui-même ; car si je ne m'abuse, il pourrait bien être à la veille de proposer, dans l'intérêt d'un établissement particulier, les combinaisons financières qu'il a rejetées quand on les lui présentait dans l'intérêt du pays et dans le but de diminuer l'emprunt.

Au surplus, je ne me propose point de discuter ces combinaisons financières ; c'est un soin que j'abandonne à de plus habiles que moi, et je suis sûr qu'ils n'y feront pas défaut.

Mais ce que je veux, ce que je dois examiner, c'est la question de savoir si le gouvernement a réduit dans de justes limites les dépenses qu'il veut imposer au pays, c'est la question de savoir s'il a usé de la ressource de l'emprunt forcé avec la sage parcimonie qu'on était en droit d'attendre de lui.

Or, messieurs, je le déclare, on dirait tout au contraire que le gouvernement a vu dans les circonstances actuelles une mine féconde à exploiter et à laquelle il pouvait demander les moyens de couvrir les prodigalités du passé, de régulariser le présent et de pourvoir, par anticipation, aux besoins de l'avenir. Nous avons vu surgir de toutes parts des demandes de crédits supplémentaires, à l'abri desquelles se sont produites une foule de dépenses cachées, des dépenses faites irrégulièrement, et que, jusqu'ici, on n'avait pas osé produire. Nous avons vu, comme si nous étions à la veille d'une débâcle générale, un empressement indicible à satisfaire sans délai tous les créanciers de l'Etat, pour lesquels, qu'on me permette de le dire, on a déployé une sollicitude qui aurait pu se concilier davantage avec les égards que réclame la position malheureuse de tant de contribuables.

Quand je vois figurer parmi ces créanciers, si dignes d'intérêt, un avocat en faveur duquel on vous demande 40,000 francs d'honoraires, je me demande s'il y a grande urgence de payement ! Assurément si cet homme de loi a beaucoup de clients comme le gouvernement, il ne peut pas y avoir péril en la demeure. Quand on demande à la sueur des contribuables les moyens de faire face aux charges du moment, il me semble que le créancier dont il s'agit aurait bien pu faire au trésor public l'aumône d'un peu de crédit.

Mais, messieurs, ce sont surtout les travaux publics et les sommes qu'on veut leur consacrer qui pèsent de tout leur poids sur la situation actuelle. Tout le monde le sait, l'on a donné dans ces derniers temps à un système utile et fécond en lui-même, celui des grands travaux publics exécutés par l'Etat, une extension fâcheuse et exagérée. Trop souvent dans ces sortes d'entreprises l'intérêt de localité et quelquefois l'intérêt politique ont remplacé l'intérêt général, et pour comble de malheur, l'on a eu l'imprévoyance d'hypothéquer sur les incertitudes de l'avenir le payement des dépenses auxquelles elles donneraient lieu.

Au lieu de reconnaître aujourd'hui les erreurs du passé et de chercher à les réparer, on semble vouloir les exagérer encore ; au lieu de mettre un temps d'arrêt dans les travaux imprudemment entrepris, on semble vouloir hâter, précipiter leur achèvement.

Vraiment, messieurs, en voyant la manière dont on a procédé à l'égard de certains travaux, l'on est forcé de reconnaître qu'il existe en Belgique des intérêts privilégiés, qui s'imposent au pays sans lui laisser ni trêve ni merci, qui pendant que tout est bouleversé dans les fortunes privées et dans la fortune publique, prétendent poursuivre régulièrement, paisiblement leur destinée, qui n'entendent pas accorder au trésor public épuisé, la grâce du moindre délai dans les adjudications, du moindre retard dans leur achèvement.

Messieurs, on l'a dit depuis longtemps, les travaux publics sont les conquêtes de la paix. Mais, vouloir persister dans les dépenses qu'elles entraînent, alors que d'autres nécessités qui ne sont pas celles de la paix réclament toutes les ressources publiques, ce serait, je le déclare avec conviction, ce serait précipiter le pays vers une ruine financière inévitable.

Je n'ignore pas qu'on a abrité sous un motif honorable, celui de donner du travail à la classe ouvrière, les dépenses exagérées que je signale ;mais quelque honorable que soit ce motif, je dois dire qu'il est, selon moi, moins réel que spécieux.

L'Etat, en décrétant des travaux publics, déplace le travail bien plus qu'il ne le crée. Les sommes que vous devez demander à l'impôt pour les payer, en réduisant les ressources privées, diminuent les entreprises et les travaux particuliers dans une égale proportion. Il ne serait pas même difficile de prouver que le travail privé, que vous tuez par l'exagération de l'impôt, est le plus utile, le plus fécond, le plus profitable à la classe ouvrière.

Apparemment nulle part le besoin de travail, la pénurie des ressources ne sont plus grandes que parmi les populations industrielles de la Flandre.

Eh bien,, je le demande, l'emprunt que vous allez voter n'est-il pas de (page 1358) nature à aggraver la position plutôt qu'à l'améliorer ? Il y a quelque, temps, une vaste souscription était organisée dans le pays pour leur venir en aide : à peine la menace d'un emprunt forcé a-t-elle plané sur le pays que nous avons vu s'évanouir cette idée généreuse.

Nul doute qu'une réaction semblable ne se soit opérée et dans la bienfaisance et dans le travail privé, et je vous laisse à penser si vous pourrez guérir avec les ressources de l'emprunt le mal qu'il a déjà fait à ces populations malheureuses.

Il y avait pour moi un autre motif de ne pas accorder mon assentiment au projet qui vous est soumis ; c'est l'injustice des bases de répartition adoptées. Je me bornerai à faire un rapprochement entre les deux bases principales de l'emprunt, à savoir l'impôt foncier et l'impôt personnel et à faire ressortir la manière dont on les appelle à contribuer.

La contribution personnelle est payée exclusivement par les classes aisées et riches de la société ; la raison en est simple ; c'est que la loi sur la contribution personnelle renferme un principe qui contient une large exemption en faveur des classes pauvres ou peu aisées.

La contribution foncière, au contraire, est la contribution de tous, la contribution du pauvre comme celle du riche. La propriété la plus chétive est soumise à la contribution foncière ; tandis que les habitations ne sont soumises à la contribution personnelle, que lorsque leur valeur locative atteint une certaine somme.

Eh bien, l'on a réservé toutes les charges, toutes les rigueurs pour la contribution foncière, tandis que les exemptions, les atermoiements utiles ont été le partage de la personnelle.

Ainsi, le premier emprunt de 12 millions a été payé par la contribution foncière seule et aujourd'hui que l'on nous demande un nouvel emprunt plus considérable que le premier, que fait-on ? On impose encore à la contribution foncière une année entière, tandis qu'on ne demande à la contribution personnelle que la moitié d'une année ; ce n'est pas tout encore ; le gouvernement, modifiant son projet primitif en ce qui concerne la personnelle, propose, au lieu de réduire l'annuité, de n'atteindre que certaines bases de cet impôt.

Messieurs, quelles sont les bases qui ont été maintenues et celles qui ont été écartées ? On vous l'a dit sans détour dans l'exposé des motifs, on a écarté les bases qui doivent peser d'une manière plus particulière sur les grandes villes et maintenu celles qui grèvent surtout les petites villes et les campagnes déjà atteintes par l'impôt foncier.

Ainsi, messieurs, tandis qu'on veut exempter le mobilier, symbole, indice, révélation de la richesse, du luxe ; tandis qu'on veut ménager les somptueux hôtels avec leurs façades percées de nombreuses fenêtres, on maintient comme base de l'impôt le modeste foyer, la simple valeur locative. N'est-ce pas là, j'en appelle à votre conscience, une injustice criante et palpable ?

Pour justifier cette proposition nouvelle, l'on a dit que les principales réclamations avaient été dirigées contre la participation de la contribution personnelle à l'emprunt. C'est là une erreur évidente. Presque toutes les réclamations dont nous sommes saisis et qui ont été analysées dans le rapport de la section centrale, émanent des campagnes, c'est-à-dire des localités sur lesquelles pèse particulièrement la contribution foncière. Mais la vérité est qu'on n'accorde point une valeur, une attention égale à toutes les réclamations ; qu'une réclamation émanée de telle société, de telle grande ville a seule le privilège de fixer l'attention, tandis que les réclamations inoffensives des campagnes, quelque nombreuses qu’elles soient, passent inaperçues et sont considérées comme non avenues.

Il me reste le devoir de soumettre à la chambre quelques considérations particulières à la province à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir. Je dois le dire, pour la plus grande partie des contribuables, le payement du nouvel emprunt forcé y sera chose impossible et cela pour un motif excellent, c'est qu'ils ne possèdent ni l'argent nécessaire, ni les moyens de se le procurer. Je ne veux point entrer à cet égard dans des considérations qui ne seraient pas sans inconvénient ; mais M. le ministre des finances doit avoir par devers-lui des renseignements sur la manière dont s'est effectué le payement des douze millions, qui doivent être de nature à lui prouver qu'un nouveau sacrifice de leur part serait chose impossible.

C'est fort de cette conviction, messieurs, que dans une séance précédente j'avais conseillé au gouvernement l'adoption d'une mesure de nature à soustraire au payement de l'emprunt les petits contribuables dont la cote foncière ne se serait pas élevée au-dessus d'une somme à déterminer. La part contributive de la province du Luxembourg, où les petits contribuables sont nombreux, eût été de cette manière assez considérablement diminuée. Mais le gouvernement n'a pas cru pouvoir adopter cette proposition éminemment équitable et politique. Au lieu de cela, il est venu nous soumettre une proposition nouvelle tendant à faire supporter dans chaque commune aux deux tiers des contribuables les plus imposés la part afférente au tiers le moins imposé, proposition qui ne diminue en rien la part d'imposition foncière à payer par province et par commune, et qui aboutirait à des conséquences de la plus flagrante injustice.

Dans les parties riches du pays tel contribuable avec une cote de 40 fr. et plus pourra se trouver parmi le tiers le moins imposé de la commune et ne point payer, tandis que dans les communes pauvres du Luxembourg avec une contribution minime de 5 francs et moins, l'on pourra figurer parmi les deux tiers des plus hauts contribuables, et à ce titre l'on devra non seulement payer pour soi, mais supporter encore la part des petits contribuables non imposés. Assurément, messieurs, ce n'est point une pareille injustice que j'avais demandée, et personne d'autre ne la sanctionnera dans son vote.

Chose remarquable, messieurs, cette province sur laquelle pèsent d'une façon si particulière les charges de l'emprunt, est la seule à laquelle l'emprunt ne doit rien donner. Le gouvernement a reparti les travaux publics, les constructions. les commandes aux établissements industriels, les institutions en faveur du commerce à réaliser au moyen de l'emprunt, de manière à désintéresser jusqu'à certain point chaque province, et à lui rendre en partie d'une main ce qu'on lui prend de l'autre. Le gouvernement paraît même avoir apporté un soin particulier à cette répartition, et il y a mis la dernière main récemment en venant vous proposer de nouvelles constructions en faveur de la ville d'Anvers et en faveur des villes de Bruges et de Gand qui, probablement, avaient trouvé que leur part n'était point assez large, des travaux relatifs au raccordement de leurs stations. Dans cette répartition si savamment faite, une seule province a été oubliée, c'est celle de Luxembourg qui, seule, sera condamnée à donner sans rien recevoir.

Il est inutile de dire, messieurs, que si les propositions du gouvernement ne sont pas modifiées, je ne pourrai les sanctionner par mon vote.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Lorsque le ministère actuel a été appelé à diriger les affaires du pays, il n'a pas reçu seulement pour mission d'introduire des réformes dans l'ordre politique. Il a dû accepter le fardeau d'une situation financière très obérée.

Vous avez entendu tout à l'heure sortir de la bouche d'un honorable membre qui appartenait à l'ancienne majorité, et qui a constamment soutenu les derniers ministères d'une manière fervente, de véritables accusations contre l'état déplorable dans lequel on a placé les finances de l'Etat.

Le ministère, en arrivant au pouvoir, a dit dès le principe combien l'état du trésor lui paraissait inquiétant. Il a fait connaître combien était impérieuse, selon lui, la nécessité de recourir à des moyens extraordinaires pour faire face à tous les engagements contractés.

La situation qui lui a été léguée était le dernier terme d'un état de choses qui ne pouvait se prolonger sans péril. Trop longtemps on avait présenté des budgets en déficit ; trop longtemps, on avait abusé du facile expédient des bons du trésor, soit pour solder un découvert pour ainsi dire permanent, soit pour acquitter des dépenses extraordinaires.

Cependant les avertissements n'avaient pas manqué. Chaque année la chambre retentissait de plaintes sur le délabrement de nos finances. Chaque année, le gouvernement était-convié à y proposer des remèdes prompts et efficaces. Depuis 1843 surtout, on insistait sur la nécessité de réduire la dette flottante dans des limites qu'elle ne doit pas dépasser, et l'on voulait que, conformément aux règles d'une gestion sage et prudente, on avisât sérieusement aux moyens d'établir et de maintenir l'équilibre qui n'avait pas existé et qui n'existait pas entre les recettes et les dépenses de l'Etat. Tel était le langage que tenait notamment l'honorable M. Malou lui-même, rapporteur de la section centrale chargée de l'examen du budget des voies et moyens de l'exercice 1844.

(M. le ministre donne lecture de ce passage du rapport de la section centrale.)

Malheureusement, messieurs, ces avertissements n'ont pas été écoutés et ceux-là même qui donnaient des conseils ne les ont pas suivis. Le mal n'avait fait qu'empirer lorsqu'éclata le coup de foudre qui a ébranlé le continent.

Au milieu de cette perturbation générale, il y avait de nouveaux dangers, de nouveaux devoirs pour le gouvernement. Se plaçant sans hésiter à la tête du mouvement intérieur, n'écoutant ni les vues timides ni les conseils d'une prudence craintive, il devait aller au-devant de toutes les exigences légitimes de l'opinion publique.

Il croit, sous ce rapport, avoir répondu à l'attente du pays.

Mais étendre les droits politiques, améliorer nos institutions, c'était une tâche facile. Après les devoirs agréables venaient les devoirs pénibles.

Le gouvernement dut réclamer des emprunts extraordinaires. Le premier se motivait de lui-même ; il n'avait pas besoin d'être précédé d'explications.

Un deuxième était immédiatement nécessaire, et le gouvernement croyait avoir assez fait en le motivant en deux lignes : « Pourvoir aux besoins urgents de l'Etat et le mettre à même de remplir ponctuellement tous ses engagements. »

Notre étonnement fut grand, je l'avoue, lorsque l'annonce de cet emprunt fit naître tant de récriminations contre lui. A quoi bon ? se disait-on ; on veut faire de folles dépenses ; on veut créer des armements ruineux. Il faut entrer dans une autre voie : c'est par les économies qu'il faut procéder. Pas d'emprunt ; cela est inutile.

Quels étaient donc, messieurs, les besoins auxquels il fallait pourvoir ? Ils étaient de deux sortes : les engagements, contractés et ceux qui en étaient la conséquence forcée ; les besoins urgents nés des circonstances.

Parmi les premiers, messieurs, voici ce que nous trouvons au mois de février 1848 :

(page 1359) Bons du trésor jusqu'au 29 février 1849 : fr. 28,162,435 80

Dettes ou engagements contractés et particulièrement au département des travaux publics : fr. 8,768,775 75

En tout : fr. 36,931,211 55

En somme ronde, 37 millions.

Il fallait pourvoir d'un autre coté aux besoins de l'armée et du travail, afin de rendre efficace cette devise que nous voulons suivre : l'indépendance et la nationalité par l'armée, l'ordre et la liberté par le travail.

Les dépenses extraordinaires du département de la guerre étaient estimées pour l’année à 18 millions. Il n'était guère possible, pour toute l'année, d'assurer le service extraordinaire des départements de l'intérieur et des travaux publics avec une somme moindre de 10 millions, et vous le comprendrez d'un seul mot, si vous voulez bien réfléchir que dans les temps ordinaires depuis plus de 12 ans l'Etat a constamment dépensé des sommes au moins équivalentes. Or, si le travail avait absorbé de pareilles sommes en pleine paix, que ne devait-il pas exiger dans ces temps extraordinaires où nous vivons ?

Ainsi 28 millions de ces deux chefs ; 37 millions de dette ; en tout 65 millions ; et si, messieurs, comptant sur un retour favorable, on voulait se livrer à l'espoir que grâce à la tranquillité dont nous jouissons, grâce à l'accomplissement scrupuleux de nos engagements, des bons du trésor resteraient en circulation pour une somme de 12 millions, on accusait des besoins impérieux à concurrence de 53 millions de francs.

C'est à cette somme que le gouvernement s'arrêta. Aux yeux du gouvernement c'eût été se faire illusion que de croire que la Belgique aurait le bonheur d'échapper aux dures conditions dont ces chiffres la menaçaient. La dette de l'Etat était effrayante autant qu'impitoyable. Aux yeux du gouvernement il eût été honteux de songer seulement à s'en affranchir. Il eût été coupable de ne pas faire connaître tout ce qu'exigeaient et la défense du territoire et la sécurité intérieure du pays.

Cependant en ramenant toutes les prévisions au chiffre de 53 millions, le cabinet, qu'on veuille bien le remarquer, admettait des éventualités favorables. Il se disait : Ou bien les circonstances seront les mêmes durant toute l'année, ou elles se modifieront favorablement pour la Belgique. Dans le premier cas, tout ce qui aura été voté sera à peine suffisant pour faire face à tous les engagements ; car nous avons déjà compté que 12 millions resteraient dans la circulation. Dans le deuxième cas, les armements se trouvent réduits ; les fonds votés viennent en déduction de la dette dont l'échéance la plus éloignée, qu'on ne l'oublie pas, ne dépasse pas le mois de février 1849 !

Il est évident que le cabinet ne demandait rien qui ne fût parfaitement justifié, en établissant la dépense probable pour toute l'année sur le pied de 53 millions de francs. Loin de pouvoir critiquer l'élévation du chiffre, on pourrait se plaindre, au contraire, d'un excès de confiance. En ne tenant compte, en effet, des bons du trésor que jusqu'à l'échéance du 1er septembre, en espérant que 12 millions resteraient dans les mains des détenteurs, le gouvernement fermait les yeux sur une mesure dont l'effet peut devenir déplorable en temps de crise. Car elle a pour but d'autoriser l'admission des bons du trésor en payement de l'impôt. Il se pourrait donc, à la rigueur, que les impôts ordinaires, dont le produit est déjà notablement réduit, se trouvassent représentés dans les caisses de l'Etat par des chiffons de papier.

Ajoutez à cela, messieurs, que le déficit qu'il ne faut pas dire probable, qu'il faut dire certain, que le déficit dans les recettes présumées de l'exercice sera d'au moins de 6 millions de francs.

Voilà, messieurs, quelle était la situation.

Est-ce qu'en face de cet équilibre violemment ébranlé, comme le disait tout à l'heure l'honorable député de Gand, est-ce qu'en face d'une situation aussi pénible, on pouvait songer à pourvoir aux besoins de la situation seulement à l'aide de certaines économies que le gouvernement veut, économies que le gouvernement fera, économies qui seront aussi larges et aussi radicales que l’honorable député de Gand pourrait lui-même le désirer ? Mais que pouvaient, que pourraient ces économies ?

Ce n'est pas de quoi combler une minime partie du déficit dans les ressources ordinaires du pays. Deux choses ont été signalées ; le luxe de notre diplomatie, ce n'est point la suppression qu'on demande ; le luxe inutile d'une marine militaire. Or, messieurs, je concède, pour faire face aux besoins de la situation, la suppression de ces deux luxes. C'est un million ! Si l'on veut donc tenir compte des droits acquis et des nécessités, des besoins réels, d'une certaine somme concédée à la diplomatie, l'économie sera en vérité une chose insignifiante à jeter dans le gouffre qui est devant vous.

Je suis profondément convaincu, messieurs, qu'il eût été préférable que cette chambre examinât les besoins du pays pour toute l'année. L'honorable M. Anspach l'a dit avec raison, c'eût été un acte de prudence et de patriotisme tout à la fois que de ne point reculer devant les nécessités de la situation. A la veille d'une dissolution, on a généralement pensé dans la chambre que celle-ci devait se borner à faire face aux exigences jusqu'au 1er septembre ; mais je tiens à constater que le gouvernement avait été aussi modéré que possible dans ses demandes, établies pour toute l'année, et que c'est bien à tort que des rires ont accueilli tout à l'heure un de nos honorables collègues, disant que la réduction à 25 millions était peut-être un acte qu'il faudrait plutôt blâmer qu'approuver.

Au surplus, les dépenses proposées aux chambres n'ont pas été réduites ; mais, comme l'a dit, dans une séance précédente, mon honorable collègue et ami, M. le ministre de l'intérieur, il y a eu une limite dans le temps et non une réduction dans les évaluations soumises aux chambres par le gouvernement.

Les besoins étaient donc constatés à 85 millions ; déduction faite de l'emprunt du 26 février, il restait un découvert de 41 millions de francs. Il a été ramené à 25 millions, en ne calculant les dépenses que jusqu'au 1er septembre prochain.

La section centrale a eu tort de n'admettre que 21,000,000, et la rectification qui vient d'être faite par l'honorable rapporteur est encore incomplète ; la somme nécessaire est au moins de 25 millions. La différence résulte de ce que la section centrale n'a porté que 4 millions sous la rubrique : « approximativement, pour faire face à d'autres besoins du département des travaux publics, » tandis que la chambre a voté déjà 5 millions et qu'il reste à statuer sur deux autres crédits de plus de 2,800,000 fr.

Il fallait chercher les moyens de faire face à ces 25 millions, somme reconnue nécessaire pour marcher jusqu'au 1er septembre.

Diverses mesures étaient présentées, diverses mesures étaient conseillées. Parmi elles, il en était une à laquelle le gouvernement ne pouvait s'arrêter à aucun prix. Elle a vu le jour dans les sections. On a parlé de retarder, de suspendre le payement de la dette flottante, d'opérer le renouvellement des dettes échues et exigibles. Le ministère n'aurait consenti à aucun prix à se faire le promoteur d'une banqueroute plus ou moins déguisée. Par intérêt autant que par loyauté, il en devait être ainsi ; car le crédit est à ce prix. La section centrale a été d'accord avec le gouvernement sur ce premier point.

Quelques autres systèmes ont ensuite été formulés ; vous avez pu les lire, en résumé, dans le rapport de la section centrale, ils viennent d'être de nouveau vantés par l'honorable rapporteur, qui a exprimé ses regrets de ce que le gouvernement n'avait pas cru pouvoir s'y rallier.

Un de ces systèmes consistait à admettre les porteurs de bons du trésor à demander, soit la conversion de leurs titres en dette constituée, soit le placement en domaines, soit le renouvellement par anticipation. Il n'y a absolument aucun inconvénient à se rallier à ces idées et à les décréter, mais c'est se faire une illusion étrange que de croire qu'elles pourraient produire le moindre résultat.

Que l'on puisse se bercer de l'espoir que les porteurs de bons du trésor consentiraient à les échanger contre des inscriptions en dette constituée à 4 p. c. pour le fonds 2 1/2, à 50 pour le 3, à 67 pour le 4, à 78 pour le 4 1/2, et à 82 pour le 5, tandis qu'en se faisant rembourser ils pouvaient acquérir sur-le-champ du 5 p. c. à 50 ou 60, et ainsi pour les autres fonds. Vous avouerez, messieurs, que c'était par trop crédule.

Que l'on ait pu se persuader que l'admission des bons du trésor en payement des domaines nationaux à aliéner, engagerait les porteurs à garder ces bons, soit pour jouir d'un droit de priorité, qu'on voulait bien leur garantir en soumissionnant des immeubles, soit peut-être pour spéculer sur les besoins des adjudicataires éventuels ; je ne le conçois guère !

C'est encore une proposition qui n'offrirait aucun inconvénient, mais qui bien certainement, ne devrait produire aucune espèce de résultat. Que l'on ait proposé d'offrir aux porteurs des bons du trésor dont l'échéance est de moins de six mois, de les renouveler pour 4 ans, à la condition de jouir d'un intérêt de 6 p. c. par an, tandis que toutes les valeurs à la bourse offrent un intérêt beaucoup supérieur ; encore une fois, je ne vois aucun inconvénient à prendre au sérieux de pareilles illusions ; mais je suis aussi certain de leur innocence que de leur inefficacité.

Le projet se terminait par une mesure moins anodine, qui a eu l'honneur d'être approuvée par l'honorable député de Marche, qui venait après toutes les autres, quoique plus importante, et qui semblait être cachée avec une certaine crainte par son auteur, comme un serpent sous les fleurs. Anguis latet in herbâ. Il s'agissait dans le projet d'autoriser le gouvernement à remplacer dans la circulation les bons du trésor dont le remboursement serait demandé, par une émission supplémentaire de billets de banque, ayant cours légal et garantis par l'Etat. Le maximum de l'émission supplémentaire eût été fixé à 16 millions.

Ce maximum de 16 millions, représentant les bons à échoir jusqu'au 1er septembre, attestait suffisamment le peu de foi qu'on avait dans le renouvellement ou la consolidation des bons du trésor. Ce projet peut être considéré comme le seul réellement sérieux qui ait été soumis u gouvernement. Il avait pour résultat, selon la section centrale, de réduire l'emprunt forcé à 10 millions à peine et d'éliminer du projet du gouvernement la plupart des bases proposées ; c'est ce que vient encore de répéter l'honorable député de Marche, d'accord avec l'honorable député de Mons.

En vérité, messieurs, puisqu'on entrait dans cette voie, on ne sait trop pourquoi on laissait encore subsister 10 millions à prélever sur l'emprunt forcé, car il suffisait de décréter 26 millions de papier-monnaie, au lieu de 16, pour supprimer entièrement l'emprunt.

On objectera contre une telle extension que, s'il faut du papier-monnaie, pas trop n'en faut. Toujours est-il qu'à l'appui du chiffre de 16 millions, au lieu de 26, on ne peut donner que des appréciations assez vagues, des opinions individuelles, car en pratique comme en théorie, la limite pour l'émission du papier-monnaie n'est pas encore donnée.

Le gouvernement ne crut pas devoir se rallier à cette idée. Déjà, dans la discussion de la loi du 20 mars, il avait repoussé comme un don (page 1360) funeste, comme un acte d'imprudence la faculté du papier-monnaie dont on voulait l'armer.

Ce n'est pas, comme l'a dit l'honorable député de Marche, par roideur contre le projet qui lui était présenté, c'est par suite de convictions très fortes, c'est parce qu'il a opposé des raisons qu'il croyait puissantes et qu'il expose franchement devant la chambre, comme il les expose devant le pays.

Quelle confiance pourrait inspirer ce système qui ressemblait tant à un expédient, lorsque l'on songe qu'il émanait des auteurs de l'amendement que le gouvernement combattait au 20 mars, et que les auteurs de l'amendement méconnaissaient à ce point les réalités de la situation, qu'ils proposaient à la fois au 20 mars de lancer 80 millions de papier-monnaie dans la circulation, et qu'ils en promettaient le remboursement pour la fin de l'année 1848, promesse téméraire, qui ne pouvait pas être tenue ! Le temps écoulé depuis le 20 mars n'avait rien révélé qui dût changer les convictions du ministère : il refusa de substituer à l'emprunt une émission de papier-monnaie.et je soutiens qu'il devait refuser.

C'est dans l'entrevue qui eut lieu entre le cabinet et la section centrale que l'occasion s'offrit au ministère de développer ses raisons. Selon lui, non seulement l'épreuve n'avait pas eu lieu pour reconnaître si les nouvelles émissions n'étaient pas de nature à altérer la valeur du papier ; mais surtout il fallait ajourner ce moyen grave, extrême, car une question menaçante devait bientôt et inévitablement être posée à l'Etat, et si l'on trouvait juste et opportun de la résoudre en un certain temps, il eût été imprudent de se priver à l'avance des moyens de vaincre l'une des plus pénibles difficultés dont le ministère est menacé.

Je ne puis pas m'expliquer plus clairement ; on me comprendra de reste ; je me suis expliqué d'une manière explicite dans le sein de la section centrale ; tous les membres de la section centrale reconnaîtront, je pense, l'exactitude de cette assertion.

Ce sont là les motifs de la résistance du ministère aux projets qui lui furent soumis. On a omis, sans doute par pure réserve, de mentionner au rapport de la section centrale la difficulté que nous avions clairement annoncée et qui était une des causes, et non la moins essentielle, du dissentiment qui se manifestait entre la section centrale et nous.

La création d'un papier-monnaie était, par sa nature et ses conséquences, une mesure qui nous répugnait beaucoup ; c'est à la dernière extrémité qu'on en a proposé une au 20 mars ; elle était juste alors, parce qu'elle était nécessaire ; mais avoir recours à cette ressource comme moyen de gouvernement, et avant d'avoir épuisé toutes les autres ressources, ce serait nous placer sur une pente où il nous serait impossible peut-être de nous arrêter. D'ailleurs, je le répète, des circonstances graves pouvaient du jour au lendemain peser sur le gouvernement, et une prudence vulgaire conseillait de réserver les moyens extraordinaires qu'on voulait épuiser dans un seul jour.

C'est en ce sens et sous l'influence de ces idées que, dans la conférence avec la section centrale, un de mes collègues indiqua, tout au plus comme possible, comme mesure d'avenir et purement facultative, le pouvoir de faire une certaine émission de billets de banque. Le cabinet déclara au surplus que, chargé du fardeau de la responsabilité, il ne pouvait consentir à exécuter des résolutions contraires à ses convictions ; mais que, loin de faire violence à d'autres convictions non moins respectables que les siennes, il était prêt, sans demander un débat, sans poser une question de cabinet devant la chambre, à céder le pouvoir à ceux qui voudraient proposer les résolutions de la section centrale et qui consentiraient à accepter, à diriger, sous de telles conditions, le gouvernement du pays.

Aujourd'hui sont nées ces circonstances que le gouvernement prévoyait, et avant que les difficultés qu'elles créent ne puissent être résolues, je suis persuadé que personne ne songera plus à donner le conseil au ministère de réduire l'emprunt à 16 millions au moyen d'une émission de billets de banque.

Je ne préjuge pas ce qu'on pourra faire ultérieurement quant à une extension dans l'émission des billets de banque. Il y a des nécessités auxquelles rien ne peut résister ; on ne les crée pas, on les subit. C'est toujours une mesure à laquelle le gouvernement régulier ne doit pas facilement que céder, celle qui consiste à émettre du papier-monnaie, sans avoir pu s'assurer de la quantité qui peut être utile aux transactions. Car la valeur des choses résultant du rapport de ces choses entre elles, et la monnaie étant la mesure des valeurs, il importe que la valeur de la monnaie soit invariable ; toute altération dans la valeur de la monnaie est une causerie perturbation dans les affaires du pays.

Elle rompt l'équilibre des transactions ; elle tue la liberté d'entreprendre par l'incertitude qu'elle fait régner dans les calculs et les prévisions du commerçant.

C'est pour suppléer à la circulation métallique qui se ralentit durant les crises que l'on insiste surtout pour l'émission du papier-monnaie. Mais, comme on ne sait ni dans quelles proportions le retrait des monnaies métalliques, ni dans quelles proportion la crise elle-même ralentit les affaires ; comme le ralentissement des affaires entre peut-être pour autant dans la gêne que le ralentissement dans la circulation, on peut aisément se tromper sur la somme nécessaire pour satisfaire aux besoins réels. Sans doute, si dans un pays dont la monnaie métallique est de 200 millions, 50 millions étaient soustraits de la circulation, aucune variation n'aurait lieu si on y substituait 50 millions de papier-monnaie. Mais du moment où deux monnaies existent, l'une en papier, l'autre en métal, et qu'il y a excès de papier, la dépréciation du papier s'ensuit quelle que soit la garantie que les billets puissent présenter. L'excès en altère la valeur parce que, comme toute marchandise, le papier-monnaie est soumis aux lois de l'offre et de la demande. De là cette conséquence qu'étant introduit pour suppléer à la monnaie métallique, il a pour effet de la chasser dès qu'il cesse d'être en rapport avec les besoins réels du pays. Car la monnaie métallique cesse de valoir comme monnaie ce qu'elle vaut comme marchandise ; les détenteurs ont intérêt à l'exporter et ils l'exportent.

Aucune mesure, en aucun pays, pas plus à Paris qu'à Canton, pas plus à Londres qu’à Madrid, ne peut remplacer la juste proportion qui doit exister entre la monnaie, or ou papier, et les besoins réels d'un pays. Tout est là.

Je ne sais s'il est nécessaire de citer à l'appui de cette opinion des faits d'ailleurs très connus. En Angleterre en 1797, on autorise la banque à ne pas rembourser ses billets, ils devinrent par là monnaie du pays ; d'abord, la masse des billets est en rapport avec les transactions, les billets conservent leur valeur ; en augmentant l'émission, la baisse va jusqu'aux quatre cinquièmes de la valeur nominale.

En 1810, il y avait 48 millions de liv. st. en papiers dont moitié était de la banque de Londres ; en 1814, l'émission des billets est portée à 60 millions de liv. st., la valeur des billets descend en proportion de l'augmentation, on en diminue le nombre, la valeur s'élève au taux de la valeur de la pièce métallique.

En France, il en a été de même sous Law aussi bien que sous la Convention. En Russie, lors de l'émission du papier-monnaie le rouble de papier valait le rouble d'argent ; en 1810, il fallait 4 roubles de papier pour un rouble d'argent.

En Espagne, sons Charles III, lors de l'émission, le papier-monnaie avait la même valeur que la monnaie métallique ; on l'augmenta, et la dépréciation fut telle que 100 piastres en papier n'en valaient plus que 25 en monnaie. En Autriche on créa pour un milliard 27 millions de papier, le florin d'argent valut 4 fl. de papier ; on ramena la circulation à 100 millions et le florin de papier se releva à la valeur du florin d'argent.

On comprend que, pénétré de ces idées, le gouvernement suive attentivement le mouvement du papier et-ses effets, qu'il ne doit recourir au papier que quand il le trouve utile et sans danger, qu'il ne peut pas se lancer avec trop de précipitation dans la voie qui lui est indiquée, qu'il doit restreindre autant que possible l'émission du papier, et comme il peut être contraint d'employer ce moyen à divers usages, il ne doit pas trop se hâter de le faire servir à couvrir ses propres dépenses. Ainsi cette opinion qui nous faisait repousser le projet de la section centrale, était, ce me semble, réfléchie ; ce n'était pas sans motif, ce n'était pas par entêtement ou par roideur que le gouvernement l'écartait.

Ce n'était pas non plus par une hostilité préconçue contre toute émission de papier-monnaie. C'est en reconnaissant que dans certaine mesure, selon le temps, suivant le besoin à constater, une émission peut avoir lieu. Toujours restait-il au gouvernement cette conviction profonde que, pour l’Etat, le temps n'était pas venu de couvrir les obligations par la ressource extraordinaire qui lui était offerte ; dès lors la voie seule de l'emprunt forcé était ouverte. Inutile, je pense, d'entrer dans l'examen du projet ; la discussion générale ne doit pas porter sur les détails ; mais qu'il me soit permis cependant de répondre, en terminant, quelques mots au discours de l'honorable député de Marche. A l'en croire, on serait toujours disposé à faire bon marché des campagnes, on s'adresserait aux campagnes pour en réclamer tous les sacrifices ; et d'un autre côté elles auraient peu de chose à retirer des travaux que vous avez décrétés.

Messieurs, je l'ai déjà dit l'autre jour, c'est à tort, c'est à grand tort, que l'on prétend insurger les campagnes contre les villes. Les villes peu étendues et peu nombreuses, eu égard à l'étendue et à la population des campagnes, supportent assurément leur part dans les impôts directs. 86 communes qui ont le nom de villes et une population de 1,091,894 habitants supportent 10,859,684 fr. 03 c. et plus de 2,400 communes rurales ayant 3,243,425 habitants ne supportent que 19,789,634 fr. 80 c. Voilà ce qui est vrai. Voilà comment les impôts sont, en définitive, répartis. Et si nous voulons rechercher la répartition de ces impôts, par âme, nous trouvons, pour l'impôt foncier, que dans les villes, il est de 3 fr. 64 centimes, et dans les communes rurales d'une si considérable étendue relativement aux villes, de 4 fr. 44 c ; que l'on paye :

Pour la contribution personnelle : dans les villes 4 fr. 63 c ; dans les communes rurales 1 fr. 25.

Pour les patentes : dans les villes 1 fr. 67 ; dans les communes rurales 41 c.

Ainsi, tout compté, l'impôt revient dans les villes à 9 fr. 94 par habitant, et dans les campagnes à 6 fr. seulement.

Que l'honorable député de Marche cesse aussi de prétendre que, dans la répartition des travaux, on n'a eu aucun égard à la province qu'il représente. Je ne puis de mémoire rappeler ce qui a été décrété dans chaque province du pays. Mais je puis dire que, sur un fonds de 900,000 fr. pour routes en 1848, plus de 200,000 fr. sont dépensés exclusivement dans la province de Luxembourg.

Nous avons présenté un projet de loi concernant des travaux à exécuter dans le pays, mais principalement en vue des nécessités actuelles de la situation. Nous avons considéré les principaux centres industriels et (page 1361) commerciaux, les principaux foyers de population. C'est là que nous avons cru qu'était le danger, c'est là que nous avons cru qu'il était nécessaire de nous porter ; et la chambre a intégralement approuvé ce que nous avons eu l'honneur de lui proposer.

- M. Verhaegen. remplace M. Delfosse au fauteuil.

M. Lys. - La Belgique est arrivée à une époque critique ; l'Europe est bouleversée jusque dans ses fondements, et nul ne peut prévoir quelle sera la solution du problème politique et social, dont les indicateurs sont posés. Il n'est personne assez insensé pour contester que la Belgique gagnera immensément en considération et en bien-être, si elle réussit à échapper aux atteintes de la fièvre qui emporte les esprits et les Etats voisins. Elle donnera au monde la démonstration que l'ordre peut s'allier et s'allie avec la liberté, que les révolutions sont dues à la corruption du pouvoir et à la négation des droits imprescriptibles de l'humanité. Il n'est personne, dans cette assemblée, qui entende dénier au gouvernement les crédits nécessaires pour faire face aux exigences du moment ; mais si on est unanime sur le principe, on n'est pas d'accord sur les moyens qui doivent être les plus efficaces pour procurer les ressources dont le besoin se fait si impérieusement sentir.

Je reconnais pour ma part que des ressources doivent être données au gouvernement, mais je ne puis accorder mon assentiment aux moyens par lesquels celui-ci veut faire entrer ces ressources dans les caisses de l'Etat.

Les bases que le gouvernement propose et que la section centrale finit par accepter, puisqu'elle a cru devoir s'abstenir de présentera la chambre le projet qu'elle avait préparé, sont à mon sens souverainement iniques, car elles sont diamétralement en opposition avec ce qui est considéré, selon moi, comme un principe élémentaire en matière de contributions, de charges publiques, c'est que chacun doit contribuer aux dépenses de l'Etat dans la proportion de ses ressources.

J'aurais donc désiré ne voir peser l'emprunt que sur la classe des citoyens qui ont des ressources pour prêter ou qui ont les moyens de s'en procurer.

Ce n'est pas l'uniformité de la base qui devait servir de proportion pour asseoir la répartition.

Je ne veux pas voir imposer le petit propriétaire, le petit marchand, le petit fabricant, parce que ces classes de citoyens sont dans l'impossibilité de prêter après deux années calamiteuses qui leur laissent à peine de quoi satisfaire aux besoins de la famille. Vouloir emprunter à cette classe, ce n'est pas vouloir réaliser l'emprunt. On me dira peut-être : l'emprunt des 8/12 de la contribution foncière a complètement réussi. Je ne le nie pas, messieurs ; mais soyez convaincu que cet acte de patriotisme, de la part de la petite bourgeoisie, ne pourra pas se renouveler. Nous ne devons pas frapper celui qui a un revenu insuffisant aux besoins de sa famille ; vous le frapperiez plus fortement que le riche, si vous adoptiez les bases présentées, car on lui prendrait une portion de ce qui lui est nécessaire, et au riche on prendrait à peine une portion de son superflu.

Ne nous adressons, pas, messieurs, à une classe dont les ressources sont à peu près complètement épuisées ; ne faisons pas peser le fardeau de l'emprunt sur une classe qui est aujourd'hui pauvre ; faisons peser cet impôt sur les classes qui vivent dans les loisirs de l'opulence, qui ne sont forcées à se livrer à aucune espèce de travail pour assurer leur subsistance et celle de leur famille.

Que l'on frappe les classes élevées du pays ! que l'on appelle au secours de l'Etat ceux qui sont les plus fortement intéressés au maintien de l'ordre et de la prospérité, rien de mieux, rien de plus juste ; ainsi que l'on frappe l'emprunt nécessaire sur les quatre mille cotisés, les plus riches eu pays, sur les 4,000 plus imposés aux contributions foncière et personnelle ; cette mesure sera aussi juste qu'équitable ; et qu'on les frappe, non pas d'une manière uniforme, mais d'après une proportion basée sur le revenu de chacun, combiné avec les dépenses de famille.

Ainsi réparti, l'emprunt n'excitera plus aucune répulsion, il réunira les suffrages de tous les hommes sincèrement attachés à la patrie.

Il est en effet évident que le célibataire et le veuf sans enfant doivent contribuer pour une quotité plus forte que l'homme marié ; que l'homme marié, sans enfant, doit être frappé d'une quotité plus considérable que celui qui a des enfants. Il y a lieu d'être surpris de voir que la section centrale repousse à l'unanimité un pareil principe, en disant qu'une exception pareille ne pouvait être préjugée à l'occasion d'une loi toute temporaire et de circonstance. N'est-ce pas là vouloir perpétuer les abus ? Ne fallait-il pas, au contraire, les corriger, lorsqu'on présentait un projet de loi tel que celui en discussion, qui sortait de tout ce qui se pratique ordinairement.

Quelles objections peut-on faire, à notre système ? Aucune, messieurs ; il est marqué au coin de la justice et de l'équité ! A la première vue, on ne peut se défendre de l'admettre. Que sera-ce si vous en faites un examen impartial ? Sans doute l'application de ce système présente quelques difficultés d'exécution ; mais ces difficultés sont loin d'être aussi grandes qu'on pourrait l'imaginer ; elles sont loin surtout, d'être insurmontables.

Que l'on exige de chacun une déclaration des contributions qu'il paye dans les diverses communes du royaume ; que l'on dispose que toute fausse déclaration encourra une amende au profit de l'Etat égale à une double cotisation, et l'on aura bientôt, par ce moyen, une base pour répartir l'emprunt forcé sur les plus riches.

Un délai de huitaine est suffisant pour que chacun puisse faire sa déclaration à partir du jour où la demande lui est adressée, car nul n'ignore et ne peut prétendre ignorer sa fortune.

Ce mode de répartition n'exciterait aucune plainte fondée et ne donnerait pas au pays l'ébranlement que causera l'adoption du projet.

L'emprunt proposé par le gouvernement et par la section centrale sur les traitements est insuffisant.

D'abord je ne voudrais pas d'emprunt de ce genre, c'est une retenue que j'entends voir opérer.

La section centrale s'arrête pour la retenue progressive au chiffre de 10,000 fr. qu'elle fixe à 10 p. c.

Elle ne veut pas aussi de distinction pour les célibataires et les veufs sans enfant.

Elle veut une retenue à titre d'emprunt, parce que des lois organiques ont fixé les traitements et que ce serait défaire ce que la loi a fait que d'opérer une retenue définitive, car ce serait là une diminution réelle de l'émolument que la législature en pleine connaissance de causer a attaché à la fonction. Or pour ce fonctionnaire, dit-elle, son émolument, c'est son revenu ; il ne faut demander à ce revenu que ce que l'on demande au revenu de tous les autres citoyens.

Je demanderai d'abord : Imposez-vous le fonctionnaire de l'Etat ; à qui celui-ci paye 1,999 fr. comme les autres citoyens, puisque vous n'exigez rien de ce fonctionnaire, tandis que vous imposez le petit propriétaire d'un seul bonnier de fonds à 20/12 de la contribution foncière, outre l'année courante ? Celui-ci n'aura qu'un revenu de cent francs et il sera imposé au tiers de ce revenu. Le fonctionnaire aura un revenu de 1,999 fr. et il ne payera rien.

Vous voyez qu'il y a de l'injustice dans ce procédé.

La section centrale a écarté la pensée d'appliquer dans ces circonstances l'échelle graduée du décret du 5 avril 1831, qui est, dit-elle, trop compliquée, et qui exige pour en faire l'application d'assez longs calculs. Mais ce n'est pas sérieusement qu'on tient un pareil langage, car il ne me semble pas plus difficile de prendre 7 p. c. sur 7,000 fr., 8 p. c. sur 8,000 fr., 9 p. c. sur 9, que de calculer 11 p. c. sur 11,000 fr. et 12 p. c. sur 12,000 fr.

Le projet de la section centrale tend dès lors à atteindre en moins les gros traitements, et telle ne sera pas sans doute, l'intention de la chambre.

Le gouvernement, messieurs, nous a annoncé à plusieurs reprises qu'il ferait toutes les économies possibles ; mais il y en a, dès à présent, plusieurs à opérer et nous ne le voyons pas encore à l'œuvre. Rien n'empêche, selon moi, de remplacer nos ambassadeurs et ministres plénipotentiaires par de simples chargés d'affaires, souvent même par des consuls.

C'est, à mon avis, un scandale que de voir émarger au budget comme pensionnaires de l'Etat, par des hommes dotés d'une grande fortune et largement pourvus d'un superflu considérable. L'Etat ne doit pas abandonner ceux qui ont usé leur vie à son service, mais l'Etat ne doit rien à ceux qui ont une fortune particulière, qui les met au-dessus du besoin.

Si l'emprunt n'est pas accompagné de réformes immédiates, que nous signalons, l'emprunt est un hors-d'œuvre, car c'est vouloir combler le tonneau des Danaïdes. Nous espérons, messieurs, que le ministère, qui a dirigé avec tant de prudence les affaires de l'Etat pendant cette période difficile, n'hésitera pas à porter la hache dans les abus. Le temps des ménagements est passé ; il n'y a plus aujourd'hui ce que l'on est convenu d'appeler des positions acquises ; la nation n'a pas le temps d'attendre que des mutations de position aient lieu par décès, il faut quelque chose de plus prompt et de plus énergique.

Je n'ai pas parlé de notre organisation militaire, parce que le moment n'est pas opportun pour modifier cette branche du service public ; cependant, messieurs, l'organisation de l'armée doit être refaite ; il faut des économies notables dans cette branche du budget ; il nous faut une organisation militaire qui nous coûte peu ; le pays ne peut jamais être appelé qu'à se défendre ; or, un pays, dans une position pareille, a surtout besoin d'une garde civique fortement organisée, d'abord pour le maintien de l'ordre à l'intérieur, et ensuite pour assister l'armée active sur nos frontières. La défense du sol national et de ses institutions doit peser sur la nation, sur son corps électoral ; le pays qui sera le mieux défendu sera toujours celui qui, ayant pour appui l’attachement des citoyens à leurs institutions nationales, pourra les appeler tous à concourir sérieusement et efficacement à la défense de la patrie.

Je viens de développer les bases que je voudrais voir adopter pour l'assiette de l'emprunt. Vous voyez, messieurs, que j'accorde au (page 1362) gouvernement tout ce qu'il demande. Je ne suis dirigé en cela que par la conviction des besoins et la nécessité de faire face aux dépenses votées. Quoi qu'en aient dit quelques folliculaires de ma localité et le correspondant de Bruxelles du journal de Liège, je ne recevrai jamais de mandat impératif de personne, ceux qui m'ont envoyé dans cette chambre n'en ont pas exigé et n'en auraient pas obtenu ; ils connaissaient mes antécédents, ils m'ont accordé leur confiance, je tâcherai toujours de la justifier, en votant consciencieusement. Je présente en conséquence les amendements suivants :

Amendements présentés par M. Lys.

1° Le gouvernement est autorisé à faire l'émission de dix millions de nouveaux billets de banque, qui seront reçus comme monnaie légale les caisses publiques et par les particuliers et produiront un intérêt annuel de fr. 3-65 par cent francs ;

2° Indépendamment des garanties générales stipulées par l'Etat, par la loi du 20 mars dernier, la forêt de Soignes est spécialement affectée par hypothèque, pour garantir aux porteurs des billets de banque, ayant cours forcé, le remboursement en espèces, lors de la reprise des payements en numéraire ;

3° Un emprunt de quinze millions est décrété ; il sera fourni par les 4,000 plus haut cotisés en Belgique dans les contributions foncière et personnelle réunies, et par des retenues sur les traitements et pensions payées par l'Etat ;

4° Tout contribuable sera tenu, dans la huitaine de l'avertissement qui lui sera donné, de fournir au bureau d receveur des contributions, dans le ressort duquel il a son domicile, la déclaration :

A. Du montant de chaque cote de la contribution foncière qu'il paye dans le royaume, déduction faite des centimes additionnels perçus au profit des provinces et des communes.

B. Du montant de sa contribution personnelle, avec la même déduction.

Les formules de cette déclaration seront remises sans frais au domicile de chaque contribuable en Belgique.

Ceux qui ne payent pas la somme de 100 francs de contributions foncière et personnelle réunies sont dispensés de faire ladite déclaration.

5° Ceux qui auront fait une déclaration inexacte seront punis par le tribunal correctionnel, d'une amende, au profit de l'Etat, égale à leur cotisation.

Si la somme déclarée en moins n'égale pas cinq pour cent du montant de ladite déclaration, la peine se bornera à la réduction des intérêts à 2 1/2 p. c.

Si la déclaration n'a pas été faite dans le délai fixé, le montant de la cotisation ne produira pas d'intérêt.

Les jugements seront rendus publics par la voie des journaux, après l'expiration du délai qui aura rendu le jugement définitif et à l'abri de tout recours.

6° L'emprunt sera réparti entre les plus hauts imposés, au marc le franc du chiffre de leurs contributions foncière et personnelle.

Cependant ceux qui justifieront, par titres authentiques, que leurs biens sont grevés de plus de moitié de leur valeur, calculée à raison de trente fois le revenu cadastral, obtiendront une réduction proportionnelle sur leur cotisation.

Cette justification devra être faite lors de la remise de la déclaration prescrite par l'article 4.

7° Sur ce même chiffre de contributions, le célibataire et le veuf sans enfant supportera une cote double de celle dont sera frappé le contribuable marié avec enfant.

Le contribuable marié, sans enfant, sera frappé d'une cote plus forte de moitié que celui marié avec enfant.

8° Le recouvrement de l'emprunt sera fait de la même manière que celui des impositions publiques, et les poursuites pour les amendes auront lieu devant les tribunaux correctionnels conformément aux dispositions de la loi générale du 28 juin 1822.

9° Les établissements communaux de bienfaisance sont dispensés de prendre part à l'emprunt.

10° L'emprunt sera payé par tiers les 15 mai, 30 juin et 15 août.

11° Les coupons d'intérêt au porteur et les mandats de payement des rentes nominatives de la dette de 2 1/2 et de 4 p. c. échéant le 1er juillet et ceux de la dette de 3 p. c. échéant le 1er août 1848, seront admis en payement dudit emprunt.

12° Le payement de l'emprunt doit s'effectuer aux époques désignées quelles que soient les réclamations que les intéressés se croiraient en droit de former. En cas de décision favorable, ils obtiendront le remboursement de la somme payée indûment.

L'instruction des réclamations aura lieu d'après la marche présente pour les contributions directes.

13° Les receveurs adresseront aux prêteurs des avertissements du montant de leurs cotes et ce sans frais.

A chaque payement les receveurs délivreront des récépissés provisoires des sommes égales à celles qui auront été versées.

Ces récépissés seront considérés comme effets au porteur et ne pourront valoir que pour le montant réel des cotes ouvertes au nom des prêteurs.

14° L'emprunt portera intérêt à 8 p. c. à partir du 1er juillet 1848, jusqu'à l'époque qui sera ultérieurement fixée pour son remboursement.

15° Tout particulier pourra prendre part à l'emprunt par une souscription volontaire, dont le minimum est fixé à vingt francs portant intérêt à 5 p. c. l'an.

Le montant de ces souscriptions sera versé chez les receveurs des contributions directes, qui en donneront un récépissé spécial.

16° Les privilèges du trésor public pour le recouvrement de l'emprunt sont les mêmes qu'en matière de contributions directes.

Les poursuites s'exercent d'office, à la diligence des receveurs sans autorisation préalable.

Les retenues sur les traitements, remises et pensions auront lieu à partir du deuxième trimestre de l'année courante, comme suit :

4 p. c. sur un revenu de 2,000 à 3,000 fr.

5 p. c. de 3,000 à 4,000 fr.

6 p. c. de 4,000 à 5.000 fr.

7 p. c. de 5,000 à 6,000 fr.

8 p. c. de 6,000 à 7,000 fr.

9 p. c. de 7,000 à 8,000 fr.

10 p. c. de 8,000 à 9,000 fr.

11 p. c. de 9,000 à 10,000 fr.

12 p. c. de 10,000 à 11.000 fr.

13 p. c. de 11,000 à 12,000 fr.

14 p. c. de 12,000 à 13,000 fr.

15 p. c. de 13,000 à 14,000 fr.

16 p. c. de 14,000 à 15,000 fr.

17 p. c. de 15,000 à 16,000 fr.

18 p. c. de 16,000 à 17,000 fr.

19 p. c. de 17,000 à 18,000 fr.

20 p. c. de 18,000 à 19,000 fr.

21 p. c. de 19,000 à 20,000 fr.

22 p. c. de 20,000 à 21,000 fr.

23 p. c. de 21,000 à 22,000 fr.

24 p. c. de 22,000 à 23,000 fr.

25 p. c. de 23,000 à 24,000 fr.

26 p. c. de 24,000 à 23,000 fr.

27 p. c. de 25,000 à 26,000 fr.

28 p. c. de 26,000 à 27,000 fr.

29 p. c. de 27,000 à 28,000 fr.

30 p. c. de 28,000 à 29,000 fr.

31 p. c. de 29,000 à 30,000 fr.

32 p. c. de 30,000 à 31,000 fr.

33 p. c. de 31,000 à 32,000 fr.

34 p. c. de 52,000 à 33,000 fr.

35 p. c. de 33,000 à 34,000 fr.

36 p. c. de 34,000 à 35,000 fr.

37 p. c. de 35,000 à 36,000 fr.

38 p. c. de 36,000 à 37,000 fr.

39 p. c. de 37,000 à 38,000 fr.

40 p. c. de 38,000 et au-dessus. fr.

Relativement aux militaires, la retenue n'aura lieu que sur le traitement des capitaines en activité et autres grades supérieurs. Ces retenues seront opérées par mois ou par trimestre, selon le mode suivi pour le payement des traitements et des pensions.

M. Pirson. - Si je prends la parole, ce n'est pas pour faire un long discours. Mais une grande responsabilité se rattachant au vote que nous allons émettre, j'éprouve le besoin de motiver le mien. Vu l'heure avancée de la séance et l'état de fatigue de la chambre, je le ferai en très peu de mots. Je prie toutefois la chambre de m'écouter avec indulgence, de m’accorder un peu de cette bienveillance qu'elle m'a témoignée plusieurs fois, et je réclame le droit qu'a tout membre de cette assemblée d'exprimer, sans manifestation hostile, son opinion, lorsque cette opinion est exprimée avec conscience et dans les formes parlementaires.

Messieurs, depuis les événements du 24 février, la Belgique, ainsi que vous l'a fait remarquer le brillant orateur qui a pris la parole au début de la séance, la Belgique a présenté à l'Europe le beau spectacle d'une nation qui, au milieu d'embarras de toute espèce, de difficultés graves, de périls qui la menaçaient et qui peut-être la menacent encore, est restée calme, sage, prudente, laborieuse, sans hostilité pour aucune nation et pour aucune forme de gouvernement ; elle s'est montrée grande par son patriotisme, forte par son union. La conduite de ses ouvriers, tant des frontières que des campagnes et des villes, a été admirable. Nos bons campagnards, nos bons ouvriers de ville, qui, naguère encore, spectateurs nombreux de cette revue civique, véritable fête populaire, faisaient éclater en démonstrations non équivoques leurs sentiments de patriotisme, d'amour national et de dévouement à notre monarchie constitutionnelle, ces braves gens ont compris qu'il y a pour l'agriculture comme pour l'industrie de mauvaises saisons, de mauvais jours, de mauvaises époques.

Ils ont compris qu'il y a de ces événements aussi extraordinaires qu'imprévus qui compromettent toutes les fortunes, qui déconcertent les combinaisons les plus réfléchies, qui désorganisent les établissements les mieux coordonnés, par une diminution ou une suspension de commandes, entraînant une diminution ou une suspension de travail. Ils se sont résignés, et confiants dans l'avenir, espérant dans la Providence, ils ont pris des arrangements avec les maîtres, les fabricants, les entrepreneurs pour attendre des temps meilleurs. Mais les temps meilleurs tardent à arriver, et je sais de la manière la plus pertinente que dans beaucoup de localités, les maîtres, les fabricants, les entrepreneurs, malgré (page 1363) les réductions de journées et de salaires consenties par les ouvriers, sont au bout de leurs ressources, et qu'un grand nombre de ces bons ouvriers, sans qu'il y ait de leur faute, vont se trouver jetés sur la place publique, parce que l'ouvrage est sur le point de manquer dans les ateliers. Eh bien ! l'emprunt en partie est destiné à donner du pain à ces malheureux qui, jusqu'à présent, ont si bien mérité du pays ; à ce point de vue, contrairement à l'opinion manifestée par l'honorable député de Marche, je ne saurais me résoudre à le rejeter ou à le repousser par des fins de non-recevoir. Il me paraît indispensable et incontestable que le gouvernement, pour maintenir l'ordre et la tranquillité intérieure, pour conserver à la Belgique la bonne position qu'elle a prise, soit mis à même d'aider les classes ouvrières à traverser la crise qui pèse sur le pays comme sur le reste de l'Europe.

L'emprunt est destiné aussi au payement des bons du trésor. A ce point de vue encore il me paraît nécessaire et indispensable afin que le crédit de l'Etat et les intérêts bien entendus du pays ne soient pas compromis.

Nonobstant toutes les observations contraires, malgré tout ce que l'on a pu dire en faveur de la consolidation des bons du trésor ou de la prorogation de leurs échéances, je persiste à penser avec M. le ministre des travaux publics, qu'ils doivent être remboursés exactement, au moyen de l'emprunt proposé, et non par une émission nouvelle de billets de banque que d'autres circonstances malheureuses, auxquelles on a fait allusion, pourraient forcer d'étendre encore, et qui si elle devenait trop considérable, en dépréciant le papier ayant cours forcé, arrêterait la circulation du numéraire et nous précipiterait dans une crise financière aussi violente que celle qui existe dans un pays voisin. Il faut que l'Etat exécute fidèlement ses engagements, et que ses créanciers ne puissent lui reprocher d'avoir manqué à ses promesses. Il faut que nous donnions au gouvernement le moyen de remplir les engagements contractés au nom de l'Etat, si nous ne voulons amener dans le pays la ruine du crédit public et la banqueroute générale.

J'ai entendu dire qu'il y aurait d'autant moins d'inconvénients à ajourner l'échéance des bons au trésor que ces derniers, pour la plus grande partie, se trouvaient entre les mains des banquiers. D'abord, je pense que cette assertion est inexacte ; je crois, au contraire, qu'une grande quantité de bons du trésor sont la propriété de particuliers qui, si on ne les payait pas à l'échéance, se trouveraient dans l'impossibilité de faire face à leurs engagements. Ensuite, admettant pour un instant que les banquiers soient les détenteurs des bons du trésor, qu'arriverait-il si vous en prorogiez l'échéance ? C'est que vous jetteriez une véritable perturbation dans l'industrie et le commerce, car il est incontestable que ce sont les banquiers qui soutiennent nos établissements industriels en escomptant leurs valeurs, et vous ne sauriez frapper les banquiers sans ruiner les établissements industriels, sans jeter sur le pavé de nombreuses populations affamées.

La partie de l'emprunt affectée au remboursement des bons du trésor me paraît pleinement justifiée.

Enfin une autre destination de l'emprunt est de mettre l'armée sur un pied tel qu'elle puisse défendre notre neutralité et maintenir notre nationalité. Je ne m'étendrai pas sur cette question. J'ai motivé mon vote lors de la discussion du crédit extraordinaire de 9 millions de francs pour le service de l'armée. La chambre, en votant ce crédit à la presque unanimité, a reconnu la nécessité de la dépense ; il faut bien la couvrir aujourd'hui.

Ne voulant pas, messieurs, ainsi que je l'ai dit en commençant, enlever à la chambre un temps précieux qui sera beaucoup mieux employé à la discussion des articles, je n'en dirai pas davantage. Je me résume, et je dis pour terminer : que la situation rend indispensables des crédits extraordinaires, parce que les ressources ordinaires du budget ne peuvent suffire aux besoins qu'ont fait naître les circonstances, et qu'il y a impossibilité de satisfaire aux besoins pressants de l'Etat, autrement que par un emprunt forcé. Je crois en conséquence faire acte de bon citoyen et répondre au vœu de mes commettants, qui toujours se sont montrés si patriotes, en donnant au gouvernement le moyen de prendre, dans l'intérêt bien entendu du pays, toutes les mesures que la gravité des circonstances pourra nécessiter.

Je voterai donc l'emprunt qui nous est demandé, parce qu'il m'est démontré qu'il est indispensable pour la consolidation de notre nationalité, de nos institutions et de nos libertés si précieuses ; pour donner au gouvernement le moyen de remplir les engagements contractés au nom de l'Etat et de maintenir le crédit public dont la base la plus essentielle est la bonne foi ; et pour procurer du travail aux ouvriers de toutes les professions que la crise financière et industrielle pourrait priver des moyens de pourvoir à leur subsistance.

Je voterai aussi l'emprunt parce que j'ai confiance dans les capacités, l'activité et le dévouement des hommes de cœur qui siègent au banc ministériel, et que je suis convaincu qu'ils ne reculeront pas devant les difficultés qu'il leur est encore réservé de vaincre pour l'honneur du pays et le leur. Je voterai enfin l'emprunt parce qu'avec les modifications qui ont déjà été introduites dans le projet de loi, et qui pourront encore y être introduites dans le cours de la discussion, ses bases sont telles qu'il portera sur les plus favorisés de la fortune, en ménageant les petits contribuables.

M. de Mérode. - Je suis loin, messieurs, de vouloir m'opposer à l'emprunt forcé que demande le gouvernement sur la contribution foncière et la contribution personnelle pour des nécessités urgentes. L'imprévoyance des gouvernants et des gouvernés à notre époque avide de jouissances dont le payement était constamment, par des envahissements de toutes les formes, rejeté sur un avenir inconnu, vient aujourd'hui produire ses fruits. Oui, messieurs, l'arbre des déficits, arrosé par tous les ministères, par les majorités et les minorités et spécialement par la minorité antécédente au 8 juin, laquelle surexcitait aux dépenses la majorité qui lui résistait ; oui, messieurs, l'arbre a porté ses tristes fruits, et puisque maintenant cet avenir s'est montré bien plus tôt qu'on ne le pensait sous une autre apparence que la fausse couleur de rose dont se plaisaient imprudemment à le revêtir les imaginations pleines d'oubli : des enseignements de l'histoire, il faut bien accepter le fardeau qu'une dure réalité, remplaçant les rêves trompeurs, nous impose à nous-mêmes et non plus à nos descendants seulement.

Toutefois, messieurs, il est regrettable de voir l'administration appliquer presque toute la charge sur la contribution directe, et négliger d'autres ressources indispensables qui ne doivent pas être plus longtemps perdues pour l'Etat. La situation financière actuelle à l'égard du sucre, du tabac, du prix de transports sur les chemins de fer qui conduisent, aux dépens des contribuables, des personnes et des marchandises, à perte, non seulement dans l'intérieur, mais pour l'étranger, ne peut se maintenir plus longtemps sans iniquité flagrante. Ainsi qu'arrive-t-il de l'impôt du sucre ? Est-il diminué ? Non, il est payé par le consommateur belge, mais il n'entre pas au trésor, et se perçoit d'une manière détournée et clandestine au profil des raffineurs et surtout au profit des taxes, disait récemment un membre du conseil communal de Bruxelles,, ancien ministre des finances et de la guerre. Le résultat de la belle combinaison qui régit cette matière est 1° que le contribuable paye un impôt de plusieurs millions que le gouvernement ne reçoit pas, ce qui le force à payer deux fois ; 2° que le sucre raffiné en Belgique y coûte beaucoup plus cher qu'à Hambourg, et que le consommateur étranger achète ce sucre un peu moins cher que le sucre brut.

Un journal disait, il y a quelque temps, une grande vérité. Si la consommateur belge doit aider à l'exportation du sucre en payant trop cher celui qu'il consomme, pourquoi les fabricants de drap, de toile, de coton, les éditeurs de livres, les producteurs de fonte, de houille, n'élèveraient-ils pas la même prétention ? Donnez une prime à l'exportation de 5 fr. par 1,000 kilog. de houille, et vous verrez quels développements prendront les exploitations houillères. Offrez une prime de 25 centimes par volume exporté et vous verrez quelle immense quantité de livres s'imprimeront en Belgique.

Ce n'est pas, messieurs, que je veuille ôter aux raffineurs la protection modérée qu'on accorde à beaucoup d'autres industries, c'est-à-dire d'imposer le sucre raffiné qui viendrait du dehors. Je pense que les raffineurs belges doivent avoir la consommation intérieure, et je la leur accorde volontiers tout entière ; mais les payer pour qu'ils vendent à l'étranger,, c'est une chose tellement contraire au bon sens dans un pays qui n'a point de colonies, qu'on ne peut véritablement concevoir qu'une conception semblable puisse se soutenir depuis tant d'années, non pas à coups de quelques mille francs, mais à coups de millions, sous prétexte que c'est un moyen d'exporter d'autres produits.

Quant au tabac, beaucoup d'objections ont été faites à ce qu'il fût taxé davantage, à cause du commerce interlope. Mais n'est-il pas pire encore d'épuiser le propriétaire, petit et grand, par l'impôt direct sur le foncier, et à l'égard du propriétaire qu'on appelle riche et qui l'est souvent bien moins qu'on ne l'imagine ? Croit-on qu'en le frappant outre mesure on n'attaque pas aussitôt à la campagne et à la ville un grand nombre d'ouvriers et d'ouvrières pauvres, comme celles qui vivent de la dentelle, par exemple. Aussi je ne crains pas de le dire d'avance, l'impôt progressif que je vois souvent préconiser dans divers écrits, serait la mort pour les ouvriers, et la ville de Bruxelles en particulier y trouverait pour toujours la souffrance qu'elle subissait momentanément sous mes yeux en 1830, pendant le règne du gouvernement provisoire et du régent, malgré toute leur bonne volonté. Les impôts doivent atteindre les choses, c'est-à-dire les maisons, les terres, selon leur valeur propre et les revenus proportionnellement, mais non s'attaquer à des distinctions de personnes.

Ils doivent ensuite s'appliquer aux objets de consommation, sauf le pain et les légumes, nourriture de nécessité ; mais bien que le sel aussi soit nécessaire, le privilège particulier qu'il possède de ne coûter presque rien en lui-même et d'être modérément imposable sans aucune ferme vexatoire pour le consommateur, ne permet pas de le décharger entièrement dans les pays chargés de dettes publiques considérables et d'obligations onéreuses de défense militaire. Cependant il vient d'être absolument aboli en France au moment même où on y frappe de 45 p. c. la contribution foncière, qui perd une partie de ses ressources par la dépréciation des objets de production agricole ou forestière. Aussi dernièrement un cultivateur à moi connu, petit propriétaire en France et frappé d'une aggravation d'impôt de 200 fr., s'écriait-il naïvement : Perdre 500 fr. sur son bétail et payer 200 fr. de plus, c'est tout de même douloureux. Je ne sais s'il se consolera par la perspective de l'abolition complète de l'impôt du sel ; mais, en tout cas, il lui faudra bien des livres de sel acquis au prix coûtant pour l'indemniser, 50 c. le kilo en France, 32 en Belgique, 2 sous par jour.

Et les ouvriers de Paris qui gagnaient pour toutes sortes d'objets de luxe quatre et cinq francs par jour, et qui n'ont plus rien à faire, seront longtemps sans doute à se féliciter de voir leur dépense de ménage (page 1364) diminuée de quelques centimes par jour au prix de tant de chômage qu'ils sont appelés à supporter ! Quant à l'effet de cette mesure sur les recettes de l'Etat, M. Garnier-Pagès, ministre des finances, se borne à déclarer qu'il aime mieux dire quelques mots des avantages qui doivent en résulter pour le peuple que de s'étendre sur la grandeur du sacrifice qu'elle impose au trésor, et je conçois parfaitement cette préférence.

Mais n'oublions pas, messieurs, que l'acte non discuté du gouvernement provisoire de France va nécessairement réagir sur nos propres ressources, et que désormais le commerce interlope du sel, avec la France, aura lieu en sens inverse, si nous ne suivons pas complètement son exemple. Par conséquent, affaiblissement de recettes pour nous, indépendamment de la nécessité de suivre à très peu près, si ce n'est tout à fait, cet exemple qui nous est donné : et dès lors comment continuer à conduire et les personnes et les marchandises, à perte, sur les chemins de fer, à moins que l'Etat ne s'empare, non pas du fonds des propriétés, mais de la meilleure partie de leur revenu par des taxes plus que doubles, ce qui établira une sorte de confiscation partielle, indirecte, au bénéfice des usagers desdits chemins de fer ; et certes, alors l'agrément des voyages économiques paraîtra bien moindre à ceux qui supporteront de la sorte, à leurs dépens, la magnificence gouvernementale ; puis, aux classes ouvrières, qu'ils seront bien forcés de ne plus faire travailler, ne pouvant les payer en compliments, sur la possibilité de courir à bon compte en waggons, ou de voir passer les marchandises, traînées vers Cologne, au rabais.

Si je ne me sers pas d'un langage trop sérieux et trop grave, ce n'est pas que j'en apprécie moins, messieurs, la gravité de toutes les circonstances qui nous pressent et qui nous doivent porter à une réflexion bien sérieuse les hommes qui sont chargés de la direction des affaires publiques. Car il faut aujourd'hui que chaque faveur qu'on accorde aux dépens du trésor, c'est-à-dire des contribuables, soit pesée avec beaucoup d'exactitude, et les illusions sur le système magnifique envers l'industrie et le commerce doivent céder le terrain aux réalités de nos forces financières que la nouvelle révolution francise a mis à nu. Il est inutile d'ajouter que je ne prétends adresser aux membres du gouvernement aucune critique d'opposition ; je les remercie, au contraire, de la paix et de l'ordre qui règnent dans le pays par suite de leur sollicitude et du bon esprit public ; mais je leur communique mes observations comme l'exigent mes fonctions de député, c'est-à-dire de délégué du pays pour soigner ses vrais intérêts.

C'est pourquoi, messieurs, comme il ne s'agit pas seulement de satisfaire aux besoins immédiats, mais à ceux qui se feront sentir dans quelques mois et l'année prochaine, j'invite instamment le ministère à presser le vote du nouveau projet de loi, efficace et sincère, sur les sucres, dont le rapport est terminé ; je l'invite à présenter un nouveau projet de recette sur le tabac, et à mettre le prix des transports sur les chemins de fer au niveau de la rémunération généralement admise dans les autres pays ; car il devient impossible de mettre, comme de coutume, sur ce chapitre, les sacrifices précédents.

Je voterai donc pour l'emprunt avec l'espoir que je viens d'indiquer.

M. David. - Messieurs, un emprunt forcé n'aurait jamais pu vous être proposé dans un moment plus inopportun ; les circonstances actuelles sont telles que vous me permettrez de douter de la possibilité de sa réalisation pour la moitié au moins de son import.

On ne peut argumenter aujourd'hui de ce qui s'est passé en 1831. La Belgique sortait alors d'une série d'années prospères sous le rapport des intérêts matériels, et les emprunts forcés rentrèrent avec facilite-Vous en conviendrez avec moi, messieurs, la situation actuelle est bien différente. Dans ce moment toutes les classes de la société souffrent, les cultivateurs du pays entier ont perdu une partie de leurs récoltes en 1845 et 1846, et ceux de quelques contrées malheureuses pendant les trois dernières années.

Les propriétaires ont dû faire abandon pendant ces années calamiteuses d'une portion du fermage en faveur des locataires frappés par la stérilité des campagnes ; ils ont, d'un autre côté, mis le plus louable empressement à venir en aide à de nombreuses populations, décimées par la faim malgré les efforts admirables de leur bienfaisance exemplaire.

Les industriels et les habitants des villes n'ont pas échappé non plus aux funestes effets de la crise alimentaire ; leur prospérité est intimement liée au bien-être des populations rurales ; ils ont ainsi vu chômer leurs ateliers, diminuer leurs affaires, tandis que par de généreuses aumônes ils venaient au secours de milliers de leurs frères plongés dans le plus affreux dénuement.

Les désastres produits par la crise alimentaire dont je viens de vous entretenir devaient infailliblement amener d'autres maux à leur suite ; une crise financière et monétaire devait être la conséquence naturelle de l'exportation du numéraire employé à des achats de céréales en pays étrangers ; aussi, longtemps avant le 23 février déjà, des embarras de caisse sérieux existaient et menaçaient de perturbations le commerce et l'industrie du pays.

Des événements récents ont achevé l'œuvre commencée par la crise alimentaire ; confiance, crédit, transactions, espèces monnayées, tout a disparu, et les embarras financiers et le manque de travail sont tels, qu'ils finiront par amener des désordres, je n'ose pas dire l'émeute.

Je vous le demanderai, messieurs, le moment de frapper un emprunt forcé est-il bien choisi ? Peut-on, sans risquer de compromettre le peu de travail uniformément répandu, et les ouvriers en général, retirer 39 millions en espèces de la circulation, alors que l'argent manque déjà sur tous les points du pays ? Nous avons reconnu ce fait en votant, le 4 mars dernier, une loi qui donnait cours légal à différentes monnaies étrangères :

Une partie de l'emprunt forcé dont nous nous occupons en ce moment, 9,000,000 à peu près, est destinée à venir en aide à diverses industries et à certains travailleurs par des travaux d'utilité publique à exécuter, tels que chemins de fer, routes, canaux, etc. ; mais comment peut-on croire que le travail concentré sur quelques points du pays au moyen de cette somme, puisse remplacer l'activité, qu'eussent donnée à toute espèce d'industrie sur la surface entière. de la Belgique les 39,000,000 demandés, dont une part déjà payée et l'autre à verser d'ici au 31 août, s'ils étaient restés uniformément répartis entre toutes les mains ? Deux choses sont certaines, c'est d'abord, que chaque contribuable restant le dispensateur de son argent l'eût employé comme toujours à répandre l'activité autour de lui ; c'est ensuite, que le contribuable dépouillé forcément de fortes sommes, en se créant même souvent une dette, restreindra sa dépense habituelle et déterminera par là un marasme plus profond encore dans la plupart de nos industries.

Le campagnard ne renouvellera ni sa garde-robe, ni son meublé, ni son attirail de labour ; il supprimera même de son budget toutes les dépenses qui ne seront pas absolument indispensables.

Les propriétaires, les rentiers, introduiront dans leurs dépenses toutes les économies réalisables ; moins de domestiques, pas de livrées neuves, pas d'achat de bijoux, pas de dépenses de luxe ou de mode, plus de fête, pas de voiture d'après le dernier modèle, pas de meubles neufs, plus d'abonnement au théâtre ; ils passeront même l'hiver à la campagne, et que deviendront l'industrie, le commerce et les arts ?

Les industriels et les habitants des villes restreindront, eux aussi, toutes leurs dépenses personnelles ; les premiers, après avoir lutté courageusement pendant quelque temps contre la mévente, seront nécessairement arrêtés en face de leurs magasins regorgeant de marchandises fabriquées, en face d'un capital mort et devront, malgré leur sollicitude pour l'ouvrier, l'abandonner à la misère, au désespoir ; les seconds retrancheront de leurs dépenses toutes celles qui pourront être ajournées ; plus de constructions, plus d'embellissements, plus de théâtre, de concert ou de parties, plus d'habitations somptueuses ; on se contentera de maisons moins belles, moins grandes, mais payant moins de contributions, et le commerce sera frappé de torpeur. Vous voyez d'après ce qui précède, messieurs, que l'emprunt, bien loin d'avoir un effet favorable pour l'industrie et le commerce, leur portera une atteinte mortelle.

Le manque de confiance dans l'avenir est général chez les capitalistes, ils ont fait rentrer dans leurs caisses les fonds qu'ils avaient confiés aux industriels et aux banquiers ; les banquiers, réduits à leurs propres ressources, sont forcés de limiter leurs affaires, les restreignent autant que possible ; l'industrie, même la plus solide, manque de numéraire pour rétribuer le travail, et c'est dans un pareil moment qu'il serait question d'aller puiser un emprunt jusque dans des bourses bien mal garnies ! Je ne puis y croire, messieurs, je suis trop convaincu qu'au lieu de retirer encore des espèces de la circulation, il est indispensablement nécessaire d'en lancer de nouvelles dans les transactions.

Cette nécessité est évidente pour moi, et malgré ce que vous a dit M. le ministre des travaux publics, en ne citant que des émissions exagérées, je me rallierai donc à la première proposition de la section centrale, mais en forçant le chiffre de l'émission du papier-monnaie à la somme de 20 millions de francs, en coupures de 5 fr. et en demandant, afin qu'il ne soit même pas nécessaire de recourir à l'emprunt, pour, les 7 millions restant, que les économies suivantes immédiatement réalisables soient accomplies :

1° Renvoi immédiat dans leurs foyers de 10,000 hommes d'infanterie jusqu'à ce que la garde civique organisée dans les grandes villes surtout, permette de licencier 10 autres mille hommes de la même arme ; 25,000 hommes de cavalerie, artillerie et infanterie, suffisent pour garantir nos frontières des incursions des bandes de sauveurs ; cette mesure est d'autant plus naturelle, que le gouvernement provisoire français, qui veut et saura maintenir l'ordre par-delà la frontière vient de gagner une immense force par la démonstration de la population parisienne du 16 avril.

2° Suppression des réparations et. armements à nos places fortes, et temps d'arrêt dans les promotions.

3° Suppression immédiate des fonctions d'ambassadeurs et de notre marine militaire.

4° Suppression immédiate des sinécures.

5° Réduction de tous les traitements exagérés et abolition du cumul.

Je ne diffère nullement de manière de voir avec le gouvernement, sauf en ce qui concerne l'armée, sur l'urgence de certaines dépenses, mais seulement sur les voies et moyens à employer pour y faire face. Le projet du gouvernement tend à retirer de la circulation par l'emprunt forcé une forte partie du capital métallique encore en circulation aujourd'hui, tandis que moi, frappé de l'insuffisance du numéraire indispensable aux transactions, à la rémunération du travail, je voudrais voir augmenter la somme de monnaie par une émission sage et en rapport avec ce que les achats des céréales à l'étranger en ont enlevé au pays.

Mon seul but est donc de procurer au pays un nouvel agent de circulation capable de remplacer le numéraire dont nous manquons, de l'avis unanime de la section centrale elle-même et je me permettrai, messieurs, si mon premier système n'est pas pris en considération, de vous soumettre une proposition qui amènerait ce résultat : le voici :

(page 1365) 1° L'emprunt serait supporté par la propriété foncière bâtie et non bâtie.

2° Les contribuables fonciers payeraient leurs quotes-parts au moyen de bons fonciers de 5 fr. souscrits chez les receveurs des communes ; les bourgmestres ou échevins signeraient les bons en des estampillant du sceau communal ;

3° Ces bons-fonciers seraient hypothéqués sur les propriétés respectives seraient placés au premier rang des inscriptions ; les formalités d'enregistrement et d'hypothèque seraient gratuites ;

4° Le gouvernement, de son côté, garantirait la valeur de ces bons et leur donnerait cours légal comme monnaie.

5° Un intérêt annuel de 3 p. c. serait servi aux propriétaires souscripteurs et déduit chaque année de leurs contributions ;

6° Ces bons seraient remboursables aux derniers détenteurs, quand les circonstances le permettraient, soit au moyen' d'échange contre numéraire, soit au moyen d'une consolidation ;

7° Une radiation générale aurait alors lieu.

Je voterai contre tout système qui s'écartera de ceux que je viens d'avoir l'honneur de vous soumettre.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.