(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1035) M. A. Dubus fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Troye lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. A. Dubus présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs habitants de Louvain demandent le rétablissement des dispositions de la loi de 1836 relatives à la durée des fonctions des membres du corps communal, et la suppression du cens exigé pour être élu au conseil communal. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la durée des fonctions des membres du conseil communal.
« Plusieurs habitants de Bruxelles demandent une loi qui fixe à 30 le nombre des notaires de cette ville »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Dussuy prie la chambre de rétablir l'ancien droit d'affranchissement sur les journaux. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Maurice Oppenheim, négociant à Bruxelles, demande la grande naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Plusieurs habitants de Roulers demandent la libre sortie des étoupes. »
M. Rodenbach. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission permanente de l'industrie, avec invitation de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs fabricants, à Bruxelles, proposent des mesures pour assurer du travail aux ouvriers passementiers. »
M. Verhaegen. - J'appuie fortement cette pétition qui a pour objet de venir en aide au travail libre et de le mettre à même de soutenir la concurrence avec le travail dans les prisons où les entrepreneurs payent à peine la moitié du salaire normal.
J'ai l'honneur de demander le renvoi à la section centrale avec prière d'un très prompt rapport.
- Adopté.
« Le sieur Roussel, professeur de droit à l'université de Bruxelles, présente des considérations sur la formation du jury d'examen universitaire. »
M. Verhaegen. - Les considérations présentées par M. Roussel et suivies de conclusions qui se résument en un projet de loi qui prendrait la place du projet du gouvernement, méritent de fixer l'attention de la chambre. La liberté d'enseignement est une des libertés les plus précieuses que nous assure la Constitution de 1851 et on ne saurait l'entourer de trop de garanties. La question qui s'agite au sujet du projet de loi est une question de principes sur laquelle il me serait impossible de faire aucune concession, quel que soit mon désir d'appuyer le cabinet.
J'ai l'honneur, en conséquence, de proposer à la chambre, d'ordonner le renvoi de la pétition à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi et en outre, l'impression dans le Moniteur.
- Adopté.
M. de T'Serclaes demande un congé de 8 jours.
- Accordé.
M. le président. - La discussion a été close sur l'article 3 et les amendements qui s'y rattachent. Voici quelle était la rédaction primitive :
« Art. 3. Aucun mont-de-piété ne pourra être supprimé sans l'autorisation du gouvernement ; en cas de suppression ainsi autorisée, l'excédant des biens, après liquidation, sera dévolu aux établissements de bienfaisance de la localité, dans la mesure de leurs besoins respectifs. Cette répartition sera faite par le gouvernement, sur l'avis de l'administration communale, la députation du conseil provincial entendue. »
M. Tielemans propose les deux amendements suivants :
Remplacer les mois : « Aucun mont-de-piété ne pourra être supprimé sans l'autorisation du gouvernement », par les mots : « Il en sera de même des délibérations relatives à la suppression des monts-de-piété existants ».
Supprimer les mots : « ainsi autorisée », qui se trouvent à la suite des mots : « en cas de suppression ».
-Ces deux amendements sont mis successivement aux voix et adoptés.
M. le président. - Voici l'amendement qui a été présenté par M. de Bonne :
Remplacer la dernière partie de l'article 3 par la disposition suivante : « cette répartition sera faite par l'administration communale, la députation du conseil provincial entendue, et soumise à l'approbation du gouvernement. »
M. de La Coste. - Messieurs, je pense que la rédaction ne rend pas la pensée de l'auteur de l'amendement, et, sous ce rapport, il faudrait au moins faire des réserves quant à la rédaction ; car il est impossible que le conseil communal délibère, la députation du conseil provincial entendue.
M. Delfosse. - Je voulais faire la même observation. C'est le gouvernement qui doit entendre la députation ; ce n'est pas le conseil communal.
M. Rousselle. - Je pense qu'il conviendrait de se borner dans cet article, à dire tout simplement que la répartition sera faite par le conseil communal. L'article 79 de la loi communale s'exprime ainsi : « Les budgets et les comptes des administrations des hospices, des bureaux de bienfaisance et des monts-de-piété de la commune, sont soumis à l'approbation du conseil communal. » La répartition du boni des ressources me paraît tenir au budget des monts-de-piété et des établissements de bienfaisance. Le deuxième alinéa de l'article 79 porte : « En cas de réclamation, il est statué sur ces objets par la députation permanente du conseil communal. » Et d'après la loi provinciale les décisions des députations permanentes peuvent, en certains cas, être redressés par l'autorité royale.
Je ne vois donc pas la nécessité d'avoir l'approbation préventive du gouvernement pour cette répartition.
M. d’Anethan. - Messieurs, je pense qu'il est nécessaire de maintenir dans l'article 3 l'intervention du gouvernement pour la répartition des bénéfices. Il s'agit ici d'une mesure plus importante que l'approbation du budget annal ; il s'agit d'une mesure exceptionnelle ; il s'agit de partager entre plusieurs établissements de bienfaisance des sommes qui avaient été versées dans la caisse du mont-de-piété ; on ne peut s'en rapporter purement et simplement à la loi communale. L'innovation que propose le projet de loi est assez grave pour devoir être sanctionnée par arrêté royal, de même que les règlements et statuts qui seront pris relativement aux monts-de-piété eux-mêmes.
Au reste, l'article 8 autorise l'intervention du gouvernement pour les budgets et les comptes des monts-de-piété. En soumettant la répartition que le conseil communal fera des bénéfices à l'avis de la députation permanente et à l'approbation du Roi, on reste parfaitement dans l'esprit de la loi sur les monts-de-piété, qui a pour but de donnerait gouvernement plus d'action qu'il n'en avait sur les monts-de-piété et sur leurs opérations.
Je n'avais pas pensé que la discussion avait été close sur l'amendement présenté par l'honorable M. Tielemans. Je me réserve donc de faire quelques observations sur cet amendement au deuxième vote.
Mais je pense que dès à présent il convient d'améliorer la rédaction de l'amendement de l'honorable M. de Bonne et de le joindre à celui de l'honorable M. Tielemans de la manière suivante :
« Il en sera de même des délibérations relatives à la suppression des monts-de-piété existants et à la répartition à faire dans ce cas de l'excédant de leurs bénéfices entre les établissements de la même localité. »
Ainsi l'on éviterait une répétition.
Au second vote on pourra réunir en ces termes les articles 2 et 3 :
« Seront soumises à l'avis de la députation permanente du conseil provincial et à l'approbation du roi les délibérations du conseil communal relatives à l'érection et à la suppression des monts-de-piété, et à la répartition à faire en cas de suppression de l'excédant des biens entre les établissements de bienfaisance de la localité. »
- L'amendement proposé par M. d'Anethan est mis aux voix et adopté.
L'article ainsi amendé est également adopté.
« Art. 4. Les commissionnaires jurés des monts-de-piété seront supprimés au plus tard dans le délai d'une année.
« Toutefois, en cas de nécessité dûment constatée, ce délai pourra être prolongé par le gouvernement sur la proposition de l'administration communale, la députation permanente du conseil, provincial entendue.
« Les commissionnaires jurés seront remplacés, partout où l'on en reconnaîtra le besoin, par des bureaux auxiliaires dont les frais seront supportés par l'établissement principal. »
M. le président. - La section centrale propose au premier paragraphe de substituer le délai de deux années à celui d'une année.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Le gouvernement se rallie à cet amendement.
(page 1036) M. Tielemans. - Messieurs, je n'ai rien à dire sur la suppression des commissionnaires jurés, espèce d'intermédiaires dangereux entre les monts-de-piété et les emprunteurs ; mais il serait mauvais, ce me semble, de laisser subsister, au deuxième paragraphe de l'article, les mots : « en cas de nécessité dûment constatée. » Ces mots ne peuvent que donner lieu à des conflits entre le conseil communal, la députation provinciale et le gouvernement qui interviennent dans les règlements et arrêtés organiques des monts-de-piété.
En effet, qui sera juge de cette nécessité ? Comment sera-t-elle constatée ? Voilà des questions embarrassantes pour l’administration et qu'il faut prévenir autant que possible dans la rédaction des lois. Je supprimerais donc les mots : « en cas de nécessité dûment constatée ». Je propose, en outre, de rédiger le paragraphe 2 en ces termes :
« Toutefois ce délai pourra être prolongé par le conseil communal sur l'avis de la députation provinciale, et sous l'approbation du gouvernement. »
Ce changement de rédaction est nécessaire pour rester dans l'esprit et dans les termes des articles 1er et 2 déjà adoptés.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - J'adopte cette nouvelle rédaction qui me paraît être la conséquence des changements de rédaction déjà adoptés aux articles 2 et 3.
- L'amendement de M. Tielemans est adopté.
L'article ainsi modifié est adopté.
« Art. 5. Les administrations des monts-de-piété pourront être autorisées par le gouvernement, sur l'avis des députations permanentes des conseils provinciaux, à établir des succursales dans les villes et communes voisines, où il n'existerait pas d'institution de ce genre.
« Cet établissement sera toutefois subordonné à la demande ou au consentement des administrations des deux communes intéressées qui détermineront, en outre, de commun accord, les conditions relatives à la surveillance. »
- Adopté.
« Article. 6. L'administration du mont-de-piété sera réunie, dans chaque localité, à celle du bureau de bienfaisance. Le règlement organique, dont il est fait mention à l'article 7, déterminera, eu égard aux circonstances et aux besoins, le nombre des membres dont se composera cette administration et indiquera le mode de nomination et de renouvellement de ces membres. »
La section centrale propose la rédaction suivante :
« Art. 6. L'administration du mont-de-piété restera distincte de l'administration du bureau de bienfaisance et de l'administration des hospices.
« Elle se composera, non compris le bourgmestre et l'échevin délégué qui en sera de droit président, de quatre personnes notables nommées par le conseil communal. Un de ses membres sera choisi parmi les membres de l'administration du bureau de bienfaisance, un autre parmi les membres de l'administration des hospices.
« L'administration du mont-de-piété se renouvellera par moitié tous les deux ans. La première sortie sera réglée par la voie du sort. Les membres sortants sont rééligibles. »
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il à la rédaction de la section centrale ?
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je m'y suis rallié. Mais j'attendrai le résultat de la discussion pour savoir si je n'aurai pas quelque changement à y proposer.
M. d’Anethan. - Messieurs, le but de l'article 6 était un but d'économie. On avait pensé qu'il était bon de réunir, pour obtenir ce résultat, des administrations qui avaient entre elles des rapports aussi fréquents. L'idée émise dans une précédente séance par l'honorable M. Dedecker qui a parlé de prêts à domicile, prouve quels seraient les autres avantages de cette réunion, qui remettrait aux mêmes membres l'administration de deux établissements qui doivent mutuellement s'aider.
Toutefois je ne m'opposerai pas à ce qu'il y ait des administrations séparées, surtout si dans l'administration du mont-de-piété figurassent au moins quelques membres des autres administrations de bienfaisance ; mais je dois dire que je ne vois pas de motif sérieux pour changer sous ce rapport le projet primitif.
Si on adopte la proposition de la section centrale, il me semble qu'en premier lieu il faut rayer de l'article le premier paragraphe, car à quoi bon dire que l'administration des monts-de-piété restera distincte de l'administration des bureaux de bienfaisance et de l'administration des hospices, alors que ces administrations n'étaient pas antérieurement réunies ? Il n'y a pas eu réunion maintenant entre les deux administrations, et, dès lors, il est inutile de dite qu'elles seront distinctes. La séparation est de droit. Elle existe.
Dans ce cas, je propose de supprimer le premier paragraphe de cet article qui est ainsi conçu :
« L'administration du mont-de-piété restera distincte de l'administration du bureau de bienfaisance et de l'administration des hospices. »
L'article 6 dit ensuite : « Elle (l'administration) se composera, non compris le bourgmestre ou l'échevin délégué, qui en sera de droit président, de quatre personnes notables nommées par le conseil communal. Un de ses membres sera choisi parmi les membres de l'administration du bureau de bienfaisance, un autre parmi les membres de l'administration des hospices. »
Je me demande à quoi bon parler de personnes notables ? Je pense qu'il y a lieu de supprimer ce mot. Je désirerais savoir ensuite de quelle manière se feront les nominations. Observera-t-on ce qui est prescrit par l'article 84 de la loi communale relativement à la nomination des membres de l'administration des hospices et de l'administration des bureaux de bienfaisance ?
Il me semble que si on établit dans la loi quel sera le personnel dont se composera l'administration des monts-de-piété et par qui ce personnel sera nommé, il serait convenable d'ajouter que la nomination se fera de telle ou telle manière et de s'en rapporter par exemple, à l'article 84 de la loi communale. Suivant le projet primitif les nominations auraient eu lieu d'après un règlement à faire ultérieurement par le gouvernement. Si l'on adopte la distinction proposée par la section centrale, il y a lieu de compléter l'article sous ce rapport.
En conséquence, messieurs, je proposerai l'amendement suivant :
« Les nominations se feront conformément à l'article 84, n°5, de la loi communale. »
M. Tielemans. - Messieurs, dans notre séance de vendredi et de samedi nous avons fait des monts-de-piété une institution communale en ce sens que les conseils communaux ont l'initiative de leur établissement, de leur maintien et de leur suppression, sur l'avis de la députation provinciale et sous l'approbation du roi. Ce système est, sans contredit, le plus sage et le plus conforme à notre organisation constitutionnelle qui place dans les attributions des conseils communaux tout ce qui est d'intérêt communal.
Il s'agit maintenant de régler l'administration des monts-de-piété. C'est l'objet de l'article 6 et c'est ici que se présente la question que j'ai déjà soulevée, à savoir si les monts-de-piété seront de simples agences, fonctionnant pour le compte et sous la responsabilité d'autrui, ou bien s'ils formeront des établissements distincts, ayant la qualité de personne civile, en fonctionnant sous leur propre responsabilité. Leur organisation, selon moi, dépend de là.
Dans la séance de vendredi, j'ai déclaré que mon opinion n'était pas définitivement arrêtée à cet égard. Depuis, j'ai examiné la question, et je demande à la chambre la permission de lui communiquer le résultat de mon examen. J'ai cherché la solution de cette difficulté, non pas dans les lois antérieures qui sont contradictoires ou douteuses sur ce point, mais j'ai cherché dans la nature même des choses qui est la véritable source où le législateur doit toujours puiser, surtout lorsqu'il s'agit de faire des lois organiques.
Je commence par déclarer que le résultat de mes recherches est que les monts-de-piété ne peuvent constituer des établissements distincts, ayant une existence propre et le caractère de personne civile. Je fais cette déclaration d'avance, afin que la chambre puisse plus facilement me suivre dans les développements où je dois entrer.
Qu'est-ce qu'un moni-de-piété ? Une banque, prêtant à intérêt sur des effets que les pauvres ou les personnes peu aisées lui donnent en gage. Que faut-il pour constituer une pareille banque ? Un local, des capitaux et une administration. Le local est fourni par la commune, les capitaux sont fournis par les bureaux de bienfaisance et par les hospices.
Quelquefois, il est vrai, les administrations de bienfaisance interviennent dans le fournissement du local, et la commune, dans le fournissement des capitaux. Mais cela n'arrive que par exception et volontairement.
Quoi qu'il en soit, ni le local ni les capitaux ne deviennent la propriété du mont-de-piété auquel ils sont fournis ; ils continuent d'appartenir à la commune, aux hospices et au bureau de bienfaisance, qui les affectent au service du mont, c'est-à-dire au service des pauvres et des autres personnes besogneuses de la commune. Jusqu'ici donc pas de personnification possible pour les monts-de-piété : ce sont de simples banques représentées par des bailleurs de fonds.
Voyons maintenant la suite.
La banque, ou ce qui est la même chose, le mont-de-piété, opère ; et il résulte de ses opérations des bénéfices ou des pertes qui se constatent à la fin de chaque année par une reddition de comptes.
S'il y a des bénéfices, que deviennent-ils ? Dans le système qui nous est proposé et que, du reste, j'approuve sous ce rapport, ces bénéfices servent à rembourser les capitaux fournis par les hospices et le bureau de bienfaisance ; et lorsque, par suite de ces remboursements, l'état financier du mont-de-piété le permet, on réduit l'intérêt des prêts sur gages, de manière à rendre moins onéreuse la condition des emprunteurs. Telle est la substance des dispositions des articles 11, 12 et 13 du projet.
L'intérêt peut ainsi descendre jusqu'à 6 p. c. par année, taux de l'intérêt commercial ; et, lorsqu'arrivé à cette limite, le mont-de-piété fait encore des bénéfices, ces bénéfices sont versés dans la caisse du bureau de bienfaisance et des hospices, d'après l'article 15.
Ainsi, dans le premier cas, ce sont les bureaux de bienfaisance et les hospices qui profitent des capitaux du mont, c'est à leur profil que le mont a fonctionné.
Voyons maintenant les cas de perte.
S'il y a perte, elle est toute au détriment du bureau de bienfaisance et des hospices qui ont fourni les fonds. A la vérité, le mont paye encore à ces établissements les intérêts échus de leurs fonds, parce que c'est là un revenu, porté à leur budget, qui ne peut jamais faire défaut ; mais alors ces intérêts sont pris sur le capital même des sommes fournies par les bureaux de bienfaisance et par les hospices ; et si le capital (page 1037) ainsi réduit, ne suffit plus aux opérations de la banque, il faut ou que les hospices et le bureau de bienfaisance fournissent de nouveaux fonds, ou que le mont-de-piété restreigne ses opérations, ou qu'il les cesse entièrement. Si le mont continue, l'intérêt est augmenté de telle sorte que les bénéfices de l'année suivante couvrent peu à peu les pertes antérieures, et en préviennent de nouvelles à l'avenir. Dans cette hypothèse, ce sont les pauvres emprunteurs qui supportent la perte ; le mont-de-piété n'en pâtit aucunement ; il n'a été qu'une simple machine.
Si, au contraire, le mont cesse, la liquidation s'opère et le déficit est supporté par les hospices et le bureau de bienfaisance qui avaient fourni les fonds.
Ainsi, dans le cas de perte, comme dans le cas de bénéfice, ce sont toujours le bureau de bienfaisance et les hospices qui sont les véritables intéressés ; intéressés par les fonds qu'ils fournissent ; intéressés par les bénéfices qu'ils peuvent faire ; intéressés enfin par les pertes qu'ils subissent le cas échéant.
Eh bien ! dès lors l'administration des monts-de-piété ne peut être, selon moi, qu'une agence intermédiaire entre les établissements de bienfaisance et les emprunteurs.
Une objection peut être faite à cette conclusion ; et je la préviens, parce qu'on ne manquera pas de la faire. On dira : lorsqu'un mont-de-piété, par ses bénéfices successifs, aura restitué aux hospices et au bureau de bienfaisance les fonds qu'ils lui avaient avancés, il sera nécessairement autre chose qu'une agence ; car il fonctionnera alors avec ses propres capitaux, et par conséquent il sera propriétaire, il sera personne civile. Eh bien ! cette objection qui paraît considérable au premier abord, n'est qu'un jeu de mot.
Il est vrai que, dans ce cas, le mont-de-piété fonctionnera avec des capitaux qui seront le fruit de ses propres opérations. Mais il n'est pas exact de dire qu'il sera le propriétaire de ces capitaux. Ces capitaux appartiendront aux hospices et aux bureaux de bienfaisance, car c'est avec leurs fonds, c'est à leurs risques et périls qu'ils auront été gagnés, et si, par une cause quelconque, le mont venait à être supprimé, c'est à eux qu'ils retourneraient ; nous l'avons ainsi décidé dans l'article 3 que nous avons adopté tantôt. Et il n'en pourrait être autrement sans bouleverser toutes les idées de droit, toutes les notions de justice.
Comment ! la loi déciderait que les hospices et les bureaux de bienfaisance sont tenus de fournir leurs capitaux aux monts-de-piété ; elle exposerait ces établissements à toutes les chances de perte que leurs capitaux peuvent courir ; et s'il y avait par hasard des bénéfices, la loi les attribuerait à d'autres ! Cela serait souverainement injuste. Aussi le projet de loi n'admet-il pas ce système. Je vous ai cité l'article 3 qui, en cas de suppression de mont-de-piété, attribue l'excédant des biens, après liquidation, aux hospices et aux bureaux de bienfaisance. De même, l'article 15 ordonne de verser, dans la caisse de ces mêmes établissements, les bénéfices annuels du mont, quand l'intérêt des prêts est descendu au minimum de 6 p. c. Comment, je vous le demande, comment admettre que le mont-de-piété soit propriétaire des fonds qu'il acquiert par ses opérations, alors que les bénéfices des capitaux qu'il emploie ne lui appartiennent pas. Reconnaissons-le donc : les monts-de-piété sont des agences fonctionnant pour autrui, avec les fonds d'autrui, au bénéfice ou au préjudice d'autrui, et dès lors ils ne doivent, ils ne peuvent pas être des personnes civiles.
Cette question résolue, il s'en présente une autre qui me ramène à l'article 6 en discussion. Cette question est celle de savoir quelle sera la personne civile pour laquelle le mont-de-piété fonctionnera ? Car encore faut-il qu'il y ait derrière cette agence, un être capable et responsable qui ait les droits et les obligations d'une personne civile. En principe, la réponse est facile : Le mont-de-piété fonctionnera pour la personne qui pourvoit à ses besoins. Mais dans la pratique il se présente des difficultés.
En effet, ainsi que je le disais tantôt, la commune fournit le local, quelquefois même les frais de régie ; les hospices et les bureaux de bienfaisance fournissent les capitaux, et au besoin la commune peut y suppléer ; trois personnes différentes se trouvent donc intéressées, et il faut choisir entre elles parce, qu'elles ont chacune son administration distincte et que ces trois administrations ne peuvent délibérer en commun.
Par son projet primitif, le gouvernement avait choisi le bureau de bienfaisance ; la section centrale a choisi les hospices et le bureau de bienfaisance réunis ; et dans la séance de vendredi passé, M. le ministre de la justice a choisi la commune. Selon moi, c'est le bureau de bienfaisance et le bureau de bienfaisance seul qu'il faudrait choisir ; c'est lui qu'il me semble tout à la fois utile, nécessaire et juste de rattacher l'agence des monts-de-piété.
Voici les raisons qui me déterminent à donner la préférence aux bureaux de bienfaisance. D'abord ces bureaux représentent les pauvres secourus à domicile ; cette espèce de secours est l'objet de leur institution légale. Or, le prêt sur gage n'est qu'un moyen de soulager les pauvres et les personnes besogneuses, que des pertes inattendues ou d'autres circonstances de gêne momentanée, forcent de recourir au mont-de-piété. Les fonds disponibles que possèdent les bureaux de bienfaisance peuvent donc être affectés au service des monts-de-piété sans rien perdre de leur vraie destination.
Il n'en est pas de même des fonds appartenant aux hospices ; ceux-ci ont une autre destination, plus spéciale, qui est de soulager les malades, les vieillards, les infirmes, les orphelins ; sans doute, il doit être permis aux hospices d'employer leurs fonds disponibles au service des monts-de-piété, mais ce ne peut être qu'à titre de placement volontaire et régulier, avec des garanties solides de payement pour les intérêts et du remboursement pour le capital ; ils ne peuvent, en un mot, courir les chances d'un fournissement aléatoire, parce que leurs ressources proviennent en général de fondations particulières qui doivent être respectées.
Quant à la commune, elle n'a pas de fonds pour l'objet dont il s'agit. Si elle fournit un local et parfois des subsides, c'est que les ressources du bureau de bienfaisance sont insuffisantes pour soulager les pauvres de la commune, et alors elle agit à la décharge du bureau de bienfaisance ; au point de vue financier, elle n'est intéressée ni dans les gains ni dans les pertes du mont-de-piété.
Je le répète donc, la seule personne à laquelle l'agence des monts-de-piété puisse être justement et convenablement rattachée, est celle des bureaux de bienfaisance.
Je propose, par conséquent, de revenir à l'idée primitive du projet, à l'article 6 que le gouvernement avait proposé d'abord et qui est ainsi conçu :
« L'administration du mont-de-piété sera réunie, dans chaque localité, à celle du bureau de bienfaisance. Le règlement organique, dont il est fait mention à l'article 7, déterminera, eu égard aux circonstances et aux besoins, le nombre des membres dont se composera cette administration et indiquera le mode de nomination et de renouvellement de ces membres. »
Si la chambre adopte cet article, toutes les difficultés disparaîtront. D'abord, en cas de donation ou de legs fait pour le service d'un mont-de-piété, c'est le bureau de bienfaisance qui acceptera ; en cas de procès, c'est le bureau de bienfaisance qui plaidera ; en cas d'emprunt, d'acquisition ou d'aliénation à titre onéreux, c'est le bureau de bienfaisance qui contractera ; en un mot, c'est le bureau de bienfaisance qui représentera civilement le mont-de-piété. Il restera ensuite quelques modifications à faire aux articles suivants du projet pour le mettre en harmonie avec l'article 6.
Permettez-moi, messieurs, d'ajouter quelques mots pour compléter ce système. Lorsque des bénéfices auront été faits par les bureaux de bienfaisance, après la réduction de l'intérêt, au minimum de 6 p. c, ces bénéfices pourront s'accumuler, et former un capital qui servirait de dotation à une caisse d'escompte en faveur du petit commerce ; et à cette caisse d'escompte viendrait naturellement se rattacher un mont-de-piété, caisse d'escompte et caisse d'épargne. Ces trois institutions réunies placées sous la direction du bureau de bienfaisance, formeraient un système complet de secours pour toutes les personnes pauvres ou peu aisées de la commune, un système qui ne soulagerait pas seulement la misère, mais qui la préviendrait, ce qui vaut encore mieux.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, l'honorable M. Tielemans a fort bien démontré que les administrations des monts-de-piété, telles qu'elles seront organisées dans le système du projet de loi en discussion ne pourront être considérées comme des personnes civiles distinctes fonctionnant séparément sous leur propre responsabilité. C'est l'opinion que j'avais émise au début de cette discussion. Je me félicite d'être d'accord sur ce point avec l'honorable membre.
Reste la deuxième question : celle de savoir à laquelle des administrations publiques de la commune sera confiée l'administration des monts-de-piété.
L'honorable M. Tielemans a prouvé d'abord qu'il ne peut y avoir de doute entre l'administration des hospices et le bureau de bienfaisance, puisqu'il y a une parfaite analogie entre l'administration des monts-de-piété et celle des bureaux de bienfaisance, quant à la nature des services qui leur sont confiés.
La seule question à décider est donc celle de savoir si ce sera l'administration communale ou le bureau de bienfaisance qui aura l'administration du mont-de-piété. J'avais d'abord pensé que ce devait être l'administration communale, parce que les dispositions de la loi communale conduisent à ce système, en donnant aux conseils communaux le droit de faire tous les arrêtés organiques et règlements relatifs aux monts-de-piété, ainsi que d’approuver les budgets et les comptes de ces administrations.
Mais si toutes les dispositions de la loi communale restent intactes, et je n'ai pas entendu qu'il fût dans la pensée de l'honorable M. Tielemans d'y déroger, si les administrations communales doivent conserver à tous égards les attributions qui leur sont conférées par les articles 77 et 79 du Code civil, je ne vois aucune difficulté à adopter la proposition de l'honorable préopinant et à revenir à la rédaction du projet primitif du gouvernement. Le seul motif qui m'avait porté à pencher en faveur de l'autorité communale, c'était la crainte de porter atteinte à la loi communale et aux attributions qu'elle confère aux conseils communaux en ce qui concerne l'administration des monts-de-piété. Toutes ces dispositions restant intactes, je puis me rallier à l'amendement proposé. Je demanderai donc qu'on revienne à l'article 6 du projet primitif.
M. Delfosse. — La chambre avait consacré une séance entière à l'examen de la question de savoir si l'administration du mont-de-piété constituerait une personne civile. Je croyais cette question résolue. L'honorable M. Tielemans s'était borné à émettre un doute ; tous les autres orateurs avaient été d'avis que le mont-de-piété constituerait une personne civile. M. le ministre de la justice avait paru se rallier à cette opinion. L'honorable M. Tielemans a fait depuis des recherches qui l'ont conduit à l'opinion contraire. Je persiste néanmoins à croire que le système qui avait d'abord prévalu est le meilleur.
(page 1038) Nous sommes tous d'accord que le mont-de-piété pourra, aux termes du projet de loi, acquérir des biens, avoir des droits et des obligations. Qu'est-ce qu'un être qui peut posséder, avoir des droits, contracter des obligations ? Qu'est-ce qu'un être qui peut se trouver dans le cas d'intenter des actions en justice si ce n'est une personne civile ? Peu importe que les biens acquis par le mont-de-piété aient un emploi déterminé.
Je prie l'honorable M. Tielemans de remarquer que les capitaux à l'usage des monts-de-piété ne proviendront pas seulement des hospices et des bureaux de bienfaisance, mais aussi des dons qui pourront être faits par des personnes charitables pour l'emploi indiqué par la nature de l'établissement.
L'honorable M. Tielemans dit que ce ne sera là qu'une propriété fictive ; et il en donne pour raison que l'excédant de bénéfices, s'il y en a, devra être versé dans la caisse des hospices ou dans celle du bureau de bienfaisance. Je ne vois pas comment cette disposition de la loi empêcherait les monts-de-piété d'être propriétaires réels des biens qui leur auront été donnés, et d'avoir la qualité de personnes civiles.
L'honorable M. Tielemans tire encore argument de ce qu'en cas de suppression des monts-de-piété, les biens constituant leur dotation doivent être donnés aux hospices et aux bureaux de bienfaisance. Mais qu'importe ? De ce que les biens d'un mont-de-piété, dont la suppression est décrétée, sont donnés aux hospices et aux bureaux de bienfaisance, s'ensuit-il que ce mont-de-piété n'ait pas été avant sa suppression possesseur de biens, s'ensuit-il qu'il n'ait pas été un établissement séparé, ayant des droits et des obligations ? A moins qu'on ne veuille empêcher les personnes charitables de faire des dons aux monts-de-piété, il faut bien consentir à les exiger des personnes civiles.
Quel inconvénient peut-il y avoir à mettre, à ce point de vue, les monts-de-piété sur la même ligne que les hospices et les bureaux de bienfaisance qui constituent aussi des personnes civiles. Si vous trouvez qu'il y a trop de personnes civiles, réunissez les hospices et les bureaux de bienfaisance en une seule administration. Dites qu'il n'y aura qu'une administration pour la distribution des secours de tout genre, pour les secours à domicile, pour les prêts sur gages, par les actes de bienfaisance de quelque nature qu'ils soient. Pour être conséquent, vous devez agir ainsi, si vous trouvez que le nombre des personnes civiles doit être restreint.
Mais veuillez remarquer qu'il s'agit ici de personnes civiles qui ne sont pas dangereuses, qui ont au contraire une grande utilité. Leurs actes sont livrés à la publicité ; elles agissent sous le contrôle de l'administration communale, de la députation permanente et du gouvernement.
Elles n'ont rien qui doive effrayer. Il serait au contraire désirable qu'on en augmentât le nombre.
Il y a quelque chose de vicieux dans le système de M. Tielemans. Cet honorable membre reconnaît que ce n'est pas seulement au bureau de bienfaisance mais encore aux hospices qu'il incombe d'avancer les fonds destinés aux monts-de-piété, et cependant il veut exclure les hospices de la surveillance de ces établissements, pour la conférer exclusivement aux bureaux de bienfaisance, parce qu'il y a selon lui plus d'analogie entre les bureaux de bienfaisance et les monts-de-piété qu'entre les monts-de-piété et les hospices. Mais pourquoi se régler seulement d'après l'analogie des attributions, sans tenir aucun compte des intérêts qu'il s'agit de garantir.
La commission des hospices devant verser des fonds, tout comme le bureau de bienfaisance, il est juste qu'elle ait sa part d'influence dans la direction de l'établissement ; la section centrale a donc très bien fait de décider qu'un membre de la commission du mont-de-piété serait pris dans la commission des hospices et un autre parmi les membres du bureau de bienfaisance. Le projet de la section centrale concilie tous les intérêts ; et il est plus conforme à la nature des choses que le système de l'honorable M. Tielemans.
J'appuie aussi les amendements proposés par l'honorable M. d'Anethan. Il est bien clair que le paragraphe premier est inutile, et que le mot « notable » doit disparaître. Il ne peut y avoir d'autre notabilité que celle qui résulte de la confiance du conseil communal, de quelle notabilité a-t-on entendu parler ? S’agit-il de la fortune, de la capacité, c'est ce que l'on ne dit pas ; la confiance du conseil communal doit suffire.
Le troisième amendement de l'honorable M. d'Anethan me paraît également devoir être adopté, et j'en proposerai un quatrième. La commission des monts-de-piété devrait être composée non pas de quatre, mais de cinq membres.
La commission des hospices se compose de cinq membres ; il en est de même du bureau de bienfaisance. Le bourgmestre ou, à son défaut, un des échevins est président de droit des commissions des hospices et des établissements de bienfaisance comme des monts-de-piété, mais ce n'est guère qu'une présidence nominale.
Il arrive rarement, ce n'est que dans des cas exceptionnels que le bourgmestre préside ces commissions. Il est utile que les commissions soient composées de cinq membres et, qu'à côté du président de droit, il y ait un président de fait. Si elles n'étaient composées que de quatre membres, il pourrait y avoir partage de voix, il pourrait y avoir deux voix pour une proposition et deux voix contre ; il faudrait alors remettre l'affaire à une autre séance et appeler le bourgmestre pour vider le partage.
Je propose de substituer les mots cinq personnes aux mots quatre personnes.
M. d’Anethan. - Messieurs, l'article 6 du projet primitif ne devait nullement avoir pour conséquence, comme je l'ai dit dans une précédente séance, l'absorption des monts-de-piété par les bureaux de bienfaisance. D'après cet article, il ne devait y avoir qu'une même administration, cela est vrai, mais pour deux personnes civiles distinctes. J'ai cité pour exemple, ce qui se fait à Bruxelles où il y a une seule administration pour les hospices et pour les bureaux de bienfaisance. C'était le même système qui était proposé pour les monts-de-piété. De manière que, tout en maintenant l'article 6 primitif, quoique je ne verrais aucun inconvénient à adopter la disposition de la section centrale, je dois combattre le raisonnement sur lequel l'honorable M. Tielemans s'est appuyé aujourd'hui pour soutenir que les monts-de-piété ne peuvent pas avoir le caractère de personne civile.
La loi est toute puissante. La loi peut évidemment dire, comme le faisait remarquer avec raison l'honorable M. Delfosse, que les bureaux de bienfaisance et les monts-de-piété ne formeront qu'une seule et unique personne civile ; que ces deux établissements, quant à la personnification civile et quant à l'administration, seraient réunis. Mais le projet tel qu'il vous était présenté, le dit-il ? Et d'après les droits mêmes que le projet reconnaît aux monts-de-piété, cela est-il possible ?
L'honorable M. Delfosse me paraît avoir démontré d'une manière complète, que les monts-de-piété peuvent et doivent avoir une personnification civile distincte. J'ajouterai seulement deux ou trois observations à celles qu'il vous a présentées.
L'honorable M. Tielemans vous a dit : « Le mont-de-piété n'est qu'une agence. » Et pourquoi ? Parce que le mont-de-piété n'a qu'un local qui lui est fourni par la commune ; parce que le mont-de-piété se borne à agir avec des fonds qui ne sont pas les siens, avec des fonds qui lui sont fournis par des administrations de bienfaisance.
Messieurs, ces deux assertions de l'honorable M. Tielemans ne sont exactes ni l'une ni l'autre, au moins d'une manière générale. Il peut arriver, en effet, et ce sera le cas le plus fréquent, que le local sera fourni par la commune. Il peut arriver, et ce sera le cas le plus fréquent, que les fonds soient fournis par les administrations de bienfaisance. Mais le contraire peut arriver, et je me demande quel sera dans ce cas le caractère de l'établissement. Si les fonds ne sont pas fournis par les administrations de bienfaisance, si le local n'est pas fourni par le conseil communal, s'il est donné par une personne charitable, ou s'il est acheté par le mont-de-piété lui-même à l'aide de ses bénéfices, que devient le raisonnement de l'honorable M. Tielemans ?
Messieurs, les fonds fournis sont et restent la propriété des hospices et des bureaux de bienfaisance ? Cela est évident ; aussi ces fonds doivent-ils leur être restitués quand le mont-de-piété est en position de le faire. Mais si des bénéfices ont été faits, à quel titre appartiendront-ils aux hospices et aux bureaux de bienfaisance ? Ces bénéfices ont, direz-vous, été gagnés à l'aide des fonds fournis par ces établissements, mais qu'est-ce à dire ? Si quelqu'un a fourni des fonds à une tierce personne, et quand ce tiers a remboursé la somme avec les intérêts, est-ce que les bénéfices que fera ou qu'aura faits l'emprunteur à l’aide de la somme prêtée, appartiendront au prêteur ? Evidemment non. Les bénéfices que le mont-de-piété a pu faire à l'aide de la somme prêtée par les hospices, ne peuvent donc appartenir aux hospices, uniquement parce qu'ils ont été faits à l'aide des fonds prêtés par eux.
Il y a plus, l'article 3 que nous avons voté, prouve évidemment le vice du raisonnement de l'honorable M. Tielemans. L'article 3 dit, qu'en cas de suppression, la répartition des fonds restant sera faite par le gouvernement sur l'avis de l'administration communale. Ainsi, il ne s'agit donc pas pour les hospices et pour les bureaux de bienfaisance de rentrer chacun dans les fonds ; mais il s'agit d'une répartition qui sera faite suivent les besoins de ces établissements. Il est donc évident qu'il ne s'agit pas d'une propriété que l'on vend, mais d'un bénéfice que la loi vous donne.
Messieurs, les monts-de-piété peuvent agir, peuvent faire des opérations, non seulement à l'aide des fonds qui leur seraient donnés par les hospices et par les bureaux de bienfaisance, mais ils peuvent encore faire ces opérations à l'aide de fonds donnés par des personnes charitables, comme vous l'a dit l'honorable M. Delfosse, ou à l'aide de fonds qui auraient été avancés par la commune.
Mais, si à l'aide des fonds avancés par la commune des bénéfices sont faits, d'après le raisonnement de l'honorable M. Tielemans, ces bénéfices appartiendraient à la commune. Or, il n'en est rien, et, d'après la loi, ces bénéfices seront donnés aux hospices et au bureau de bienfaisance, et la commune elle-même sera forcée d'en faire la répartition.
Messieurs, s'il y a une réunion complète entre le bureau de bienfaisance et le mont-de-piété, quant à la personne civile et quant à l'administration, je conçois très bien le système de M. Tielemans pour les fonds qui proviennent du bureau de bienfaisance ; il continuera à posséder et à administrer ses propres fonds.
Mais pour les fonds qui proviennent des hospices, il n'en est pas de même ; ces fonds deviendront-ils la propriété des bureaux de bienfaisance ou resteront-ils la propriété des hospices ? Dans le premier cas pourquoi dépouillez-vous les hospices ? Dans le second, pourquoi montrer moins de sollicitude pour le bien des hospices que pour ceux du bureau de bienfaisance ?
L'honorable M. Tielemans dit : le mont-de-piété n'est qu'une agence ; le mont-de-piété n'agit que pour l'administration des hospices ou pour l'administration du bureau de bienfaisance ; il se borne à administrer les fonds pour ces deux administrations qui restent propriétaires. Je conçois le système, si vous ne réunissez le mont-de-piété à aucune des deux (page 1039) administrations ; mais si l'on réunit d'une manière complète les bureaux de bienfaisance et l'administration du mont-de-piété, cette dernière administration ne peut plus être considérée uniquement comme une agence, puisqu'elle fait corps avec une personne qui a des droits, qui peut acquérir. Comment, dans ce cas, pourrait-on considérer les hospices comme devenant propriétaire des bénéfices faits par une administration qui ne serait pas une simple agence, mais qui jouirait de la personnification.
Je pense donc, messieurs, qu'il serait infiniment préférable de laisser les choses comme elles ont été jusqu'à présent et de reconnaître aux monts-de-piété la personnification civile. Comme l'a dit l'honorable M. Delfosse, il n'y a à cela aucune espèce d'inconvénient : la surveillance sera absolument la même que les fonds des monts-de-piété leur appartiennent ou qu'ils soient la propriété des bureaux de bienfaisance, l'administration des fonds n'en sera pas moins convenablement surveillée et contrôlée par l'autorité locale.
M. Dedecker. - Messieurs, je regrette d'avoir à demander encore la parole pour ajouter quelques observations à celles qui viennent d'être présentées sur une question qui paraissait résolue par l'adhésion de M. le ministre de la justice aux conclusions qui semblaient être celles de la chambre elle-même, à la fin de la séance de vendredi dernier.
Ainsi que vient de le dire l'honorable M. d'Anethan, y a-t-il un motif sérieux de changer l'état actuel de choses ? Je n'en vois aucun. Je ne vois aucun motif pour ne pas reconnaître les monts-de-piété comme personnes civiles, alors que sous l'empire de l'arrêté du 31 octobre 1836, ils peuvent acquérir et que l'honorable M. Tielemans lui-même leur reconnaît le caractère de personne civile. (Interruption.)
Cette question de personnification civile, messieurs, doit, en définitive, se résumer en une faculté de posséder. Les monts-de-piété sont-ils propriétaires ou ne le sont-ils pas ? Toute la question porte donc, comme je l'ai déjà démontré dans une séance précédente, sur la dotation.
Quelle est l'origine des capitaux dont disposent les monts-de-piété, et à quelle fin seront-ils destinés en cas de bénéfice, et en cas de perte ? Voilà les trois questions, messieurs, que nous avons à examiner.
D'abord, il n'est pas exact que les capitaux sur lesquels opèrent les monts-de-piété sont nécessairement, toujours et partout fournis par les établissements de bienfaisance.
Il n'est pas exact non plus que les locaux sont fournis par les communes. On ne tient pas assez compte du sort des anciens monts-de-piété. A la suite des événements du siècle dernier et du commencement de ce siècle, les monts-de-piété belges ont été ruinés. Cependant ce qui existait encore des monts-de-piété anciens a été liquidé en 1817 et en 1819. La plupart des locaux des anciens monts-de-piété ont été laissés aux administrations de bienfaisance ; il en a été de même de quelques capitaux, de manière que les administrations de bienfaisance et les communes ont aujourd'hui l'air de prêter aux monts-de-piété soit des locaux soit des capitaux, alors qu'ils tiennent eux-mêmes ces locaux et ces capitaux de la liquidation des anciens monts-de-piété. Ainsi, messieurs, il existe en quelque sorte un capital primitif qui n'a fait que changer de main et qu'il s'agit de restituer indirectement ou plutôt de conserver aux monts-de-piété.
Maintenant, en cas de pertes et de suppression par suite de ces pertes (ainsi que nous venons de le décider à l'article 3), les biens ne retournent pas nécessairement au bureau de bienfaisance, la répartition en sera faite ; on restera parfaitement libre de faire cette répartition, pourvu qu'elle soit faite d'après les principes d'équité.
Reste le cas de bénéfices ; mais de ce que des bénéfices ont été faits au moyen de fonds fournis pair le bureau de bienfaisance, ainsi que l'a fait observer, avec raison, l'honorable M. d'Anethan, il ne s'ensuit pas que les bénéfices soient la propriété du bureau de bienfaisance.
Mais, dit l'honorable M. Tielemans, ces bénéfices sont tellement la propriété nu bureau de bienfaisance qu'on stipule à l'article 15 qu'après constitution de la dotation, les bénéfices annuels seront versés dans la caisse du bureau de bienfaisance.
Quant à moi, je n'ai pas admis cette dernière clause. J'ai proposé à la section centrale, et j'ai l'intention de proposer à la chambre, de consacrer ces bénéfices ultérieurs à l'établissement d'une caisse de prêt gratuit. Ainsi pour moi, cette objection n'en est pas une. Elle n'en est pas une non plus pour l'honorable M. Tielemans, puisqu'il ne veut pas qu'après la Constitution de la dotation, ces bénéfices ultérieurs soient versés dans la caisse du bureau de bienfaisance, ii propose d'en faire le fonds d'une caisse d'escompte ; ainsi, pour lui-même, cet argument ne peut exister.
Dans une autre séance, j'ai fait valoir encore une autre considération qui doit nous engager à laisser l'administration du mont-de-piété complètement distincte, et à la reconnaître comme personne civile, c'est qu'il faut espérer que, désormais, les monts-de-piété étant réformés, attireront les regards des personnes charitables qui leur feront des dotations et des legs. Il ne faut pas les décourager. Il faut, au contraire, laisser à chaque personne la libre direction de son esprit charitable.
J'arrive maintenant à l'article en lui-même.
La rédaction primitive proposait de remettre dans chaque localité, l'administration du mont-de-piété à l'administration du bureau de bienfaisance.
La section centrale propose la conservation du statu quo, c'est-à-dire la séparation de ces deux administrations. En effet, je ne conçois que deux systèmes : réunir les trois administrations en une seule, ou bien, à moins d'admettre le système de l’honorable M. Tielemans, conserver l'administration du mont-de-piété comme personne civile, en faire une administration distincte. Ce système est celui qui me paraît devoir être préférer. En effet, non seulement il importe de ne pas surcharger de travail les personnes qui se dévouent gratuitement à l'administration des bureaux de bienfaisance, des hospices et des monts-de-piété ; mais tous ceux qui ont quelques notions sur le mécanisme des monts-de-piété savent que ces institutions exigent des connaissances toutes spéciales qu'on ne peut attendre de celui qui ne s'est jamais occupé que de l'administration des hospices ou des bureaux de bienfaisance.
L'honorable M. d'Anethan propose la suppression du paragraphe premier. Je partage sa manière de voir. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de conserver ce paragraphe.
L'honorable membre propose de supprimer le mot « notable ». Ce mot n'étant pas suffisamment défini, je ne crois pas non plus qu'il soit nécessaire de le conserver. En général, en prend pour ces fonctions soit des avocats, soit des négociants retirés qui ont une certaine triture des affaires et de l'administration.
L'honorable M. Delfosse propose de porter à 5 le nombre des personnes qui seront choisies par le conseil communal pour faire partie de l'administration. Je ne vois aucun obstacle, pour ma part, à substituer le chiffre 5 au chiffre 4 ; mais je crois qu'alors il faut changer aussi le troisième paragraphe ; l'on y dit : « Le mont-de-piété .se renouvellera par moitié......»
M. Delfosse. - L'honorable M. d'Anethan a proposé un changement sous ce rapport.
Eh bien, moyennant ces changements auxquels je me rallie, je prie la chambre de vouloir bien admettre la rédaction de l'article tel qu'il est proposé par la section centrale.
- M. Verhaegen remplace M. Liedts au fauteuil.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau, des amendements au projet de loi sur les irrigations.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Je dépose également un amendement à ce même projet de loi.
- Ces amendements seront imprimés et distribués.
Sur la proposition de M. le ministre de l'intérieur, la chambre les renvoie à l'examen de la section centrale qui a fait le rapport sur le projet de loi concernant les irrigations.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai l'honneur de présenter deux projets de loi, tendant, l'un à proroger la loi concernant les péages du chemin de fer ; l'autre, à autoriser le gouvernement à accorder un délai pour la construction du chemin de fer de Marchiennes à Erquelinnes.
- Ces projets de loi seront imprimés et distribués. La chambre les renvoie à l'examen des sections.
M. de Bonne. - Messieurs, j'ai peu d'observations à faire. Je commence par dire que je viens appuyer la proposition que l'honorable M. Tielemans nous a soumise. Je pense comme lui que ce sont les administrations de bienfaisance qui doivent représenter les monts-de-piété. Je répondrai d'abord à ce qu'a dit l'honorable M. Delfosse qui a une opinion opposée. Les monts-de-piété, a-t-il dit, pourront recevoir des biens immeubles affectés spécialement à leur destination, il faut donc qu'ils soient faits personnes civiles, pour pouvoir recevoir ; car des donateurs pourront vouloir donner à des monts-de-piété qui ne donneraient pas au bureau de bienfaisance.
Cette considération ne doit pas, me paraît-il, avoir aucun poids sur notre détermination. Des dons pourront être faits aux monts-de-piété et rester affectés à cette institution, à la destination des donateurs, sans qu'il soit nécessaire d'en faire des personnes civiles distinctes. Pour prouver ce que j'avance, je rappellerai ce qui existe actuellement. Il y a divers établissements séparés, qui sont personnes civiles séparées qui peuvent recevoir, et qui sont sous la dépendance de l'administration générale de la bienfaisance et des hospices.
Il y a, par exemple, des personnes civiles, pour les orphelins, pour les incurables ; ces personnes civiles sont sous la direction d'une seule et même administration qui les représente. On fait des donations séparées, soit à l'hôpital Saint-Pierre, soit à l'hôpital Saint-Jean, soit à l'hospice des orphelines. soit à celui des incurables, soit à tout autre établissement ; les fonds de ces donations ne sont affectés et appliqués qu'aux établissements qu'elles concernent respectivement ; et ces établissements sont représentés, par qui ? par l'administration générale de la bienfaisance et des hospices.
Rien n'empêche, me paraît-il, que, dans cette circonstance, le mont-de-piété soit mis sur le même pied que ces établissements. On donnera au mont-de-piété ; eh bien, le mont-de-piété recevra, fonctionnera seul, mais il sera représenté par l'administration générale de la bienfaisance, comme tous les autres établissements.
L'honorable M. d'Anethan a dit : « La ville fournira un local ; l'administration de la bienfaisance fournira des fonds ; il en est de même de l'administration des hospices. »
Il y a ici une petite rectification à faire. La commune est tutrice légale (page 1040) de la bienfaisance ; le local qu'elle fournirait le serait en cette qualité, et le bénéfice qui résulterait des opérations du mont-de-piété devant profiter à l'administration de la bienfaisance, sont pour elle (commune) un avantage qui vient en déduction des secours qu'elle doit à cette administration en cas d'insuffisance. Et comme la commune est tutrice de la bienfaisance, la dépendance du mont-de-piété envers la bienfaisance établit la tutelle de la commune sur l'un et l'autre de ces établissements ou personnes civiles.
Je dois faire remarquer ici que ce n'est que l'administration de la bienfaisance qui doit fournir des fonds pour faire fonctionner le mont-de-piété, parce qu'elle est responsable et qu'il n'est pas de même pour l'administration des hospices ; si elle en fournissait, elle ne pourrait pas être responsable de la perte, parce qu'elle n'a droit qu'aux intérêts et que les bénéfices ne lui reviennent pas.
La fondation à laquelle les fonds appartiendraient a déterminé l'emploi du revenu, il ne peut être changé et on ne pourrait exposer la fondation à une destruction complète sans violer la volonté du donateur. La bienfaisance qui est subventionnée par l'administration communale, administration sous le ressort de laquelle, en dernière analyse, se trouvent placés et la bienfaisance et les monts-de-piété, n'a pas les mêmes conditions à observer.
Messieurs, j'ai une dernière observation à présenter pour montrer qu'il n'est pas possible de faire une personne civile des monts-de-piété. La chambre, comme législature, peut faire ce qu'elle veut, elle peut faire une personne civile du mont-de-piété, comme de toute autre société qu'il lui plairait de constituer ainsi. Mais quand on fait une personne civile, il faut créer un être moral qui possède quelque chose. Ici il n'y a qu'un nom, un être qui ne possède rien, un pauvre dont on veut faire quelque chose avec le bien d'autrui, et on l'appelle mont-de-piété ; il ne s'agit pas d'un être auquel le gouvernement veut donner un capital quelconque, auquel des citoyens affectent des fonds, on veut simplement ériger une personne civile à laquelle il faudra que la commune donne un local, à laquelle l'administration de la bienfaisance fournisse de l'argent et à laquelle d'autres citoyens, des administrations d'hospices viennent en prêter pour qu'elle puisse travailler, fonctionner ; moi, je ne comprends pas qu'on puisse former une personne civile avec de pareils éléments.
S'il existe des monts-de-piété qui possèdent des biens, des capitaux, on ne les détruit pas en les plaçant sons la dépendance des administrations de bienfaisance ou sous celle de la commune ; car les bénéfices doivent être appliqués à quelque chose, et pas de meilleur application qu'à secourir des malheureux, ce que font les administrations de bienfaisance.
Il me semble, dans cet état de choses, qu'il est beaucoup plus rationnel de faire des monts-de-piété une personne civile, n'ayant pas une existence séparée, mais représentée par la bienfaisance, qui aura tout fait, tout donné pour en faire un être réel qui ne travaillera véritablement qu'à son profit, puisqu'en cas de perte, elle est obligée à la supporter.
M. de Garcia. - Dans ma pensée, les monts-de-piété doivent constituer une personne civile et une personne civile distincte de celle des bureaux de bienfaisance. Il semble qu'on est d'accord sur un point ; c'est que les monts-de-piété auraient le caractère de personnification civile. L'on n'est divisé que sur la question de savoir si cette personnification se confondra avec celle attribuée aux bureaux de bienfaisance, dont les monts-de-piété ne seraient qu'une dépendance. Je repousse cette confusion et je pense qu'il est utile que les établissements dont nous nous occupons forment des personnes civiles distinctes.
J'en dirai les motifs en peu de mots : Soit qu'on confonde les monts-de-piété et les bureaux de bienfaisance en une seule personne civile ou qu'on les sépare, le jeu de ces institutions différentes sera à peu près le même, aussi longtemps qu'elles fonctionneront régulièrement. Mais il peut arriver tel événement, telles circonstances, où ces mesures auraient des effets et des résultats différents. En effet, la personne civile créée par la loi peut aussi être supprimée par la loi.
Dans cette dernière alternative, les biens appartenant à la personne civile, sont biens en déshérence qui, d'après les principes du droit commun, reviennent directement à l'Etat. Or, que dans l’avenir on trouve des inconvénients à l'existence des monts-de-piété, qu'ils soient supprimés, si vous adoptez la distinction de la personne civile, les biens acquis par ces établissements, reviendront à l'Etat ; dans l'hypothèse contraire, ils resteront la propriété des bureaux de bienfaisance.
Il est donc intéressant que ces deux personnifications civiles restent séparées, afin de conserver au gouvernement, dans l'avenir, toute la latitude désirable, pour appliquera la création d'établissements plus utiles, les biens qui pourraient être acquis par les monts-de-piété.
Ces courtes considérations me détermineront à voter pour que ces institutions forment une personne civile distincte de celle de bureaux de bienfaisance.
M. le président. - M. d'Anethan vient de déposer un amendement par lequel il propose d'ajouter au titre du chapitre III : « Les monts-de-piété sont des établissements d'utilité publique. »
M. d’Anethan. - Les développements de mon amendement se trouvent dans un discours que j'ai prononcé au commencement de cette séance. Il me semble que mon amendement trancherait toutes les difficultés ; s'il est adopté, il sera reconnu que les monts-de-piété ont une personnification civile distincte ; je me suis servi des termes de l'article 937 du Code civil relatif à ces sortes d'établissements. Ce n'est pas que je considère comme nécessaire la disposition que je propose, je la propose pour éviter un doute sur le caractère des monts-de-piété. Le gouvernement semble croire que les monts-de-piété ne doivent pas être personnes civiles, quoique le contraire résulte évidemment, paraît-il, de la loi ; je propose, pour lever tout doute, de dire que ce sont des établissements d'utilité publique, ce qui indique qu'ils existent par eux-mêmes ; après viendrait cette disposition relative à leur administration : Ces établissements sont administrés, etc.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je n'attache pas une importance exagérée à la question qui a été soulevée ; je suis persuadé que dans l'une et l'autre hypothèse les monts-de-piété peuvent fort bien fonctionner et que les réformes que nous voulons introduire, seront utiles et salutaires. Cependant il serait inexact de dire qu'il n'y a là qu'un jeu de mots et qu'il est indifférent que les monts-de-piété aient ou non la personnification civile. Sans doute, si les dons ou legs faits à ces établissements ne pouvaient leur arriver que comme personnes civiles, il est évident qu'il faudrait se hâter de leur donner cette personnification ; mais, comme l'a démontré l'honorable M. Tielemans, les libéralités en faveur des monts-de-piété seraient acceptées par les bureaux de bienfaisance, qui seraient tenus de les appliquer en faveur de ces institutions, suivant la destination spéciale indiquée par le donateur ou le testateur.
L'inconvénient que je vois dans la personnification des monts-de-piété c'est, qu'en formant de ces établissements des administrations distinctes, on crée de petits collèges indépendants, on décentralise l'unité communale.
Nous voyons souvent les administrations des hospices, les bureaux de .bienfaisance, les fabriques d'église d'une même commune plaider entre eux et quelquefois contre la commune elle-même. Vous aurez maintenant une administration de plus qui, dans certaines circonstances, viendra se poser vis-à-vis des établissements de bienfaisance ou de la commune, ce qui multipliera les conflits et les procès.
D'autres inconvénients peuvent résulter encore de cette personnification civile. Par exemple, la loi communale, article 92, impose aux communes, dans les villes manufacturières, l'obligation de créer des caisses d'épargne sous la direction ou le contrôle de l'administration communale. Or, tout le monde est d'accord que ce serait une chose très utile que l'adjonction de ces caisses d'épargne aux monts-de-piété. Il en est de même des caisses d'escompte ; chacun reconnaît que le régime des monts-de-piété serait considérablement amélioré si l'on pouvait y adjoindre non seulement les caisses d'épargne, mais encore les caisses d'escompte, lesquelles seraient établies dans l'intérêt du petit commerce, utiliseraient les fonds des caisses d'épargne.
Voilà sans doute des institutions essentiellement communales et qui doivent rester sous l'administration de la commune ; or, si vous faites des monts-de-piété des administrations distinctes et séparées, vous rendez en quelque sorte impossible l'adjonction des caisses d'épargne et des caisses d'escompte à ces établissements, par cela même que les uns et les autres seront placés sous des administrations différentes, et vous éloignez l'époque où cette amélioration pourra se réaliser.
Je pourrais citer d'autres circonstances encore où cette séparation pourra être un obstacle à des améliorations très utiles ou susciter des conflits fâcheux.
M. Delfosse. - Il est un point sur lequel nous sommes d'accord, c'est que les monts-de-piété pourront posséder des biens. L'honorable M. de Bonne a été dans une erreur complète lorsqu'il a dit que les monts-de-piété n'auront qu'une existence nominale sans possession de biens. Ils auront, incontestablement, outre leur nom, les biens qu'on leur donnera, des legs qui leur seront faits.
M. le ministre de la justice voudrait que l'on plaçât les monts-de-piété sous la direction des bureaux de bienfaisance. On pourrait sans doute dire dans la loi que les bureaux de bienfaisance auront la direction des monts-de-piété. Mais cela serait-il utile ? Remarquez qu'aujourd'hui les monts-de-piété ont une administration distincte, comme les hospices et les bureaux de bienfaisance.
Faut-il changer cet état de choses qui existe depuis longtemps ? Les citoyens appelés à ces fonctions gratuites n'ont-ils pas assez d'occupation ? Doit-on les surcharger de travail ? Ces divers établissements de bienfaisance ne sont-ils pas mieux administrés lorsqu'ils ont chacun une administration distincte ? Si les fonctions gratuites prennent trop de temps, trouvera-t-on beaucoup de personnes disposées à les accepter ? M. le ministre de la justice est d'avis qu'il faut centraliser. Ce système conduirait à n'admettre dans la commune qu'une seule personne civile ; l'administration communale aurait la direction des hospices, du bureau de bienfaisance et du mont-de-piété. Je soutiens qu'il est préférable que ces trois établissements aient chacun une administration distincte ; ils peuvent avoir des intérêts opposés, et il ne faut pas imposer à un petit nombre de personnes une tâche trop rude. Au lieu de centraliser, il convient de décentraliser. Il ne faut pas que quelques citoyens aient tout à faire, alors que les autres resteraient dans l'inaction. Il faut appeler le plus grand nombre de citoyens possible à l'exercice des fonctions gratuites. Si vous voulez qu'on les accepte, faites en sorte qu'elles ne prennent pas trop de temps.
M. le ministre de la justice pense que l'adoption du projet de la section centrale serait un obstacle à la création de caisses d'escompte ou d'épargne. Je ne sais pas comment cela pourrait être un obstacle. Si le conseil communal trouve utile de fonder de telles institutions, il (page 1041) pourra les créer, soit avec ses propres ressources, soit avec l’aide des établissements de bienfaisance. Ce n'est certes pas parce qu'il y aurait dans la commune une personne civile de plus, ce n'est pas parce que le mont-de-piété constituerait une personne civile que l'établissement de ces caisses deviendrait impossible, ni même plus difficile ; si le besoin s'en fait sentir, l'administration communale y pourvoira.
Pour ceux qui trouvent qu'il y a trop de personnes civiles, la décentralisation est un mal, et je comprends l'idée de centralisation. Mais alors réunissez l'administration des hospices et celle du bureau de bienfaisance en une seule administration. Faites mieux : n'ayez dans la commune qu'une seule personne civile, et que ce soit l'administration communale ; je persiste à croire qu'en cette matière la décentralisation est préférable et je crois que la chambre ne doit pas admettre l'opinion de l'honorable M. Tielemans.
Je ne pense pas non plus que la chambre doive admettre l'amendement de l'honorable M. d'Anethan. Cet amendement est inutile. Si, comme on le propose, les monts-de-piété peuvent acquérir, s'ils ont des droits et des obligations, il est bien clair qu'ils constitueront une personne civile. Cela résultera des dispositions de la loi sans que la qualité d'établissement d'utilité publique leur soit donnée en termes exprès.
Si l'on adoptait l'amendement de l'honorable membre, il devrait se trouver non pas en tête de l'article en discussion, mais en tête de l'article premier.
Mais je le répète, il est inutile et l'honorable M. d'Anethan ferait bien de le retirer.
M. Tielemans. - Je crois que nous sommes d'accord sur deux points. Il pourra être fait des dons et des legs en faveur des monts-de-piété, et les monts-de-piété auront une administration spéciale. C'est parce qu'on n'a pas lu attentivement l'article 6 du projet primitif, que l'on vient de parler sur ces deux points comme si je les contestais. L'article 6 porte d'abord que « l'administration du mont-de-piété sera réunie, dans chaque localité, à celle du bureau de bienfaisance. » Il est évident que ces mots impliquent la possibilité de faire des libéralités en faveur des monts-de-piété ; seulement c'est le bureau de bienfaisance, auquel le mont-de-piété se rattachera dans chaque commune qui aura la capacité civile nécessaire pour accepter. Ainsi, voilà le premier point nettement et formellement consacré. Quant au second point, c'est-à-dire l'administration spéciale que réclament MM. Delfosse et d'Anethan, pour les opérations du mont-de-piété, il se trouve consacré par la suite de l'article 6. En effet, cet article continue en ces termes :
« Le règlement organique dont il est fait mention à l'article 7, déterminera, eu égard aux circonstances et aux besoins, le nombre des membres dont se composera cette administration et indiquera le mode de nomination et de renouvellement de ses membres. »
Ainsi, en résumé et d'après l'article 6, le bureau de bienfaisance serait la personne civile à laquelle se rattacheraient les monts-de-piété, en tant que des dotations ou des legs seraient faits aux pauvres avec cette destination, en tant qu'il y aurait des actes à poser d'une nature civile.
Quand il s'agira au contraire de l'administration des monts-de-piété considérée comme banque, ce seront ces membres dont parle la seconde partie de l'article 6, qui opéreraient.
Maintenant, faut-il que les monts-de-piété ait eu une personnification distincte, comme le demande l'honorable M. Delfosse ?
M. Delfosse n'a raisonné que dans une hypothèse, et cette hypothèse est contraire à la réalité des faits. Il a supposé un mont-de-piété qui posséderait des biens par suite de legs ou de donations qui lui auraient été faits. Cela existe, j'en conviens, dans quelques localités très rares, et, comme débris de l'ancien régime, où chaque mont-de-piété avait son existence distincte, indépendante de la commune, de la province et même de l'Etat. Mais cela forme exception, et la loi que nous faisons ne s'applique point à ces établissements-là.
Si aujourd'hui quelqu'un voulait fonder un mont-de-piété en y affectant un local et des capitaux, ou en donnant les biens nécessaires pour le former, je comprendrais que la loi le constituât en personne civile, et lui donnât une existence distincte. Mais telle n'est pas la situation des monts-de-piété qu'il s'agit d'organiser ici. Les monts-de-piété qui nous occupent n'ont rien qui leur soit propre. D'où tirent-ils les capitaux dont ils ont besoin pour prêter sur gages, pour faire la banque ? Ils les reçoivent des bureaux de bienfaisance et des hospices. L'article 10 du projet de loi le dit textuellement. Or, si les monts-de-piété sont des personnes distinctes, de quel droit le conseil communal, la députation permanente de la province, le Roi et la législature elle-même disposeraient-ils des fonds qui appartiennent aux hospices cl aux bureaux de bienfaisance ? En vertu de quel principe serait-il permis de prendre les fonds d'un établissement pour en doter un autre. Que devient en un mot, le droit de propriété et l'inviolabilité de ce droit garantie par la Constitution, si d'une part vous érigez les monts-de-piété eu personne distincte des bureaux de bienfaisance, et que de l'autre vous forciez les bureaux de bienfaisance à leur abandonner leurs capitaux.
M. Malou et M. d’Anethan. - Vous le faites pour les hospices.
M. Tielemans. - Non : j'ai dit, au contraire, que les hospices seraient libres de prêter leurs fonds à titre de placement volontaire et régulier, pour le service des monts-de-piété, et j'ai restreint aux bureaux de bienfaisance seuls l'obligation de fournir des fonds pour ce service.
- La séance est levée à quatre heures et un quart.