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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 10 mars 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Verhaegen, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1018) M. T'Kint de Naeyer fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. Troye donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. T'Kint de Naeyer fait connaître l'analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Coppin demande la suppression du cens exigé pour être élu au conseil communal et celle de l'impôt du timbre des journaux. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de Hody demandent la construction de la route de Lise à Hody. »

- Même renvoi.


« Le sieur Charles Leleu, garde en chef du canal de Bruxelles à Willebroek, né à Lille (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le sieur Stieldorff, major de cavalerie pensionné, né à Trêves, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.

Motion d'ordre

Droit sur les étoupes de lin

M. Dedecker. - L'année dernière au commencement de la session nous avons voté une loi portant à 25 fr. par 100 kilog. le droit de sortie sur les étoupes. La chambre a jugé convenable de donner à cette loi un caractère temporaire. Cette loi cessera d'être en vigueur le 31 du mois de mars courant. Je désirerais savoir quelles sont les intentions du gouvernement relativement au renouvellement de cette loi.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Mon honorable collègue des affaires étrangères s'est occupé de cette question ; mais il n'en a pas encore entretenu le conseil. Je désirerais qu'il fût présent pour répondre à cette interpellation.

M. Dedecker. - Je demande que dans un bref délai le gouvernement s'explique sur ce point, parce qu'il y a péril en la demeure.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Pas plus tard que demain.

- M. Delfosse remplace M. Liedts au fauteuil.

Rapports sur des pétitions

M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition datée de Saint-Josse-ten-Noode, le 25 février 1848, le sieur Beys, ancien capitaine, demande une solde d'attente ou sa mise à la pension. »

Le pétitionnaire est un de ces braves qui ont puissamment contribué aux victoires de la révolution qui a constitué l'indépendance dont nous sommes fiers à juste titre.

Jouissant du fruit de ces combats glorieux, notre reconnaissance doit toujours accueillir ceux qui ont sacrifié leur fortune, qui ont versé leur sang et détruit leur santé pour le salut de la patrie.

Nous avons pu négliger quelques instants, et à coup sûr bien involontairement, quelques-uns de ces braves ; le pétitionnaire en est un exemple, il a assisté à tous les combats de septembre, il a fourni des armes à ceux qui en manquaient, le premier il a organisé un bataillon pour aller à la rencontre des Hollandais qui marchaient sur Bruxelles, partout il s'est comporté avec une bravoure admirée par ses frères d'armes. Des certificats nombreux annexés à sa pétition prouvent à évidence les services signalés qu'il a rendus.

En ce qui concerne le sacrifice de sa petite fortune, il peut invoquer le témoignage qu'en a rendu à la chambre notre ancien et regrettable collègue, M. Dumortier.

Des officiers de tout grade ont signé les certificats qu'il présente, des lieutenants, des capitaines, des majors, colonels, commandants d'artillerie, et enfin le général Mellinet, ainsi que beaucoup d'autres, dont les noms et grades se trouvent au dossier.

Le ministre de la guerre, qui a pris une part si glorieuse aux événements de la révolution, aura sans doute aussi présents à la mémoire les services du capitaine Beys.

Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition au département de la guerre.

(page 1019) Si le pétitionnaire n'obtient pas promptement un secours quelconque, il devra solliciter d'entrer à la Cambre, qui sera son hôtel d'invalides.


M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition datée de Bouillon, le 14 janvier 1848, l'administration communale de Bouillon demande qu'à titre d'indemnité de ses créances à charge de l'Etat, dont elle n'a pas cru pouvoir réclamer la liquidation de la commission spéciale, il lui soit accordé une part dans l'excédant des sept militons sur le montant des sommes qui ont été liquidées. »

L'administration centrale de la ville de Bouillon expose qu'à l'époque du traité du 20 novembre 1815, il lui était dû par la France une somme de fr. 40,797 22 c, ce qui est entièrement justifié par les pièces annexées à sa pétition.

Cette administration est dans l'intime persuasion que, par suite des traités du 28 avril 1818 et du 5 novembre 1842, la Belgique a été chargée de cette dette.

Il est vrai qu'elle ne s'est pas adressée à la commission de liquidation instituée par l'arrêté royal du 12 mai 1843, parce qu'elle a craint, dit-elle, que cette commission, munie de pouvoirs restreints et rigoureux, lui opposerait la déchéance qu'elle paraîtrait avoir encourue pour ne pas avoir réclamé régulièrement ni à la France, ni à la Belgique.

Mais sa réclamation légitime étant fondée en équité et présentant une somme bien considérable pour une ville de province telle que celle du Luxembourg, elle demande à la chambre qu'il lui soit accordé une indemnité à prendre sur les fonds remis de la Hollande pour la liquidation d'anciennes dettes. Mais cette liquidation n'étant pas encore terminée, le chiffre d'un excédant, s'il y en a, ne peut encore être apprécié, et c'est lorsqu'il sera connu que la chambre aura à se prononcer sur l'emploi qui devra en être fait.

C'est par les considérations que votre commission a l'honneur de vous proposer le dépôt de cette pétition au bureau des renseignements.


M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 2 mars 1848, plusieurs Luxembourgeois demandent que la naturalisation soit accordée seulement pour services éminents rendus au pays ; que les fonctions publiques ne soient plus remplies par des étrangers et que la garde civique soit réorganisée dans le Luxembourg. »

Les pétitionnaires, dévoués à la nationalité belge qu'ils ont puissamment aidé à conquérir, ce qu'attestent tous les champs de bataille rougis du sang luxembourgeois, lors des combats livrés pour notre indépendance ; les pétitionnaires prêts à la défendre encore contre l'étranger de quelque côté qu'il se présente, demandent à la chambre l'entière et stricte exécution de l'article 6 de la Constitution qui porte que les Belges seuls sont admissibles aux emplois. Cependant, disent-ils, le pays voit avec douleur qu'en violation de cet article, grand nombre d'étrangers occupent des fonctions salariées par l'Etat, et c'est pour que la chambre puisse apprécier les motifs de la préférence qui leur est accordée, qu'ils demandent qu'on dépose sur le bureau de la chambre les noms des étrangers qui occupent des emplois publics et les motifs qui ont déterminé ces nominations. On y verra, disent-ils, que les Belges ne le cèdent pas à la plupart d'entre eux en capacité et encore moins en moralité.

Ils demandent que la naturalisation ne soit plus accordée que pour des services éminents rendus au pays.

Ils demandent en outre qu'on démissionne tous les étrangers non naturalisés qui occupent des emplois.

Enfin ils prient le gouvernement de réorganiser la garde civique dans le Luxembourg ; elle sera à la disposition du gouvernement pour être employée où les besoins de la patrie l'exigeront.

Votre commission vous propose le renvoi de cette pétition au département de la justice pour ce qui concerne les naturalisations et au département de l'intérieur pour la réorganisation de la garde civique.


M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition datée de Mariembourg, le 28 février 1848, plusieurs habitants de Mariembourg demandent des réformes dans l'ordre politique et dans l'ordre matériel. »

Les pétitionnaires réclament la réforme électorale, le retour à la loi de 1836, un nouveau système d'impôt et l'abolition du droit sur le sel.

Votre commission fait remarquer que la chambre a été au-devant du désir des pétitionnaires par des dispositions législatives sur les deux premiers objets de leur demande.

Quant au nouveau système d'impôt et à l'abolition du droit sur le sel, le gouvernement, par l'organe du ministre de l'intérieur, a répondu avec raison qu'il ne fallait pas appauvrir le budget par des réductions irréfléchies, à moins de renoncer entièrement aux moyens d'apporter des améliorations efficaces au sort des classes malheureuses. Que si on veut faire du bien à ceux qui n'ont rien, il ne faut pas se dessaisir des ressources qui peuvent amener les perfectionnements, qui doivent toujours se résoudre en dépenses.

Le gouvernement français, qui s'occupe avec tant de sollicitude des moyens de soulager la classe ouvrière, a cependant ordonné la perception de tous les impôts sans distinction.

Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition au département de l'intérieur et des finances, et pour les mêmes motifs elle vous présente les mêmes conclusions sur la pétition n°3629 du sieur Coppin, de Louvain, ainsi que sur celle n°3631 du sieur Monti, de Bruges.


M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 5 mars 1844, le sieur Monti soumet à la chambre des mesures tendant à soulager la classe nécessiteuse.

« Par pétition datée de Louvain, le 1er mars 1848, le sieur Coppin demande que le gouvernement propose des réformes dans l'ordre politique et dans l'ordre matériel. »

La commission propose le renvoi à MM. les ministres de l'intérieur et des finances.


M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition datée de Courtray, le 1er mars 1848, plusieurs habitants de Courtray demandent la réforme parlementaire. »

La commission propose le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.


M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition datée de Mariembourg, le 1er mars 1848, plusieurs habitants de Mariembourg et des environs demandent que les classes nécessiteuses soient employées à l'exécution de travaux publics. »

Les pétitionnaires demandent qu'à l'exemple de ce qui se fait en France, le gouvernement veuille imprimer une nouvelle activité aux travaux publics.

Mais le gouvernement n'a pas attendu les événements de France pour demander à la chambre des crédits spéciaux pour donner du travail à la classe ouvrière.

Tel était son but, en effet, lorsqu'il a demandé d'être autorisé à faire un emprunt pour être employé aux chemins de fer, aux constructions des voies navigables, aux chemins de grande communication et autres, travaux d'utilité générale.

Pour les intérêts politiques, comme pour les intérêts matériels, le gouvernement va au-devant du désir des pétitionnaires.

Votre commission vous propose le renvoi au département des travaux publics.


M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition datée de Namur, le 28 février 1848, plusieurs habitants de Namur demandent qu'on prenne toutes les mesures nécessaires pour assurer l'indépendance de la Belgique. »

Plusieurs notables de la ville de Namur adressent à la chambre une déclaration empreinte d'un patriotique dévouement, dont votre commission craindrait d'affaiblir les expressions si elle voulait vous en présenter l'analyse ; c'est pourquoi elle m'a chargé de vous en faire la lecture. La voici :

« A MM. les membres de la chambre des représentants,

« En présence des graves événements qui se passent dans un pays voisin, il est une pensée qui doit toucher tout cœur vraiment belge, c'est l'indépendance de notre patrie. La Belgique a scellé sa nationalité du sang de ses enfants, elle a prouvé qu'elle en était digne par sa modération, son esprit d'ordre allié aux progrès, et la sagesse de ses institutions.

« Les principes et la loyauté de la nation française et de son gouvernement nous sont un sûr garant que nos droits, à cet égard, ne seront-jamais méconnus.

« Les libéraux de Namur ont la confiance que les grands pouvoirs de l'Etat ne négligeront rien pour assurer au pays une indépendance fondée sur des droits imprescriptibles, pour laquelle il est prêt à tous les sacrifices, et qui pour ses voisins même est un gage de l'alliance la plus étroite et la mieux consolidée. »

Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition aux départements de l'intérieur et dis relations étrangères.

- Les conclusions de ces divers rapports sont successivement mise» aux voix et adoptées sans discussion.

Projet de loi sur la réorganisation des monts-de-piété

Discussion des articles

Chapitre I. Maintien, érection et suppression des monts-de-piété

Article premier

« Art. 1er. Les monts-de-piété actuellement existants sont maintenus, sauf l'approbation par le gouvernement de leurs règlements organiques, conformément à l'article 7 ci-après. »

M. Tielemans. - Avant d'aborder les articles qui composent le chapitre premier, il me paraît nécessaire, pour en faciliter la discussion, d'adresser une question à M. le ministre de la justice.

Je voudrais que M. le ministre de la justice nous déclarât positivement, si les monts-de-piété sont considérés dans le nouveau projet de loi comme des personnes civiles, distinctes et séparées non seulement des communes, mais encore des hospices et des bureaux de bienfaisance, ou bien si elles ne sont que de simples agences fonctionnant, soit pour le compte de la commune et sous sa responsabilité, soit pour le compte et sous la responsabilité des hospices ou des bureaux de bienfaisance.

Je pense qu'avant d'examiner les articles, ce point doit être formellement résolu, parce que l'organisation du mont-de-piété doit jusqu'à un certain point dépendre de sa solution. La question, dans l'état actuel de nos lois, me paraît assez douteuse. Sous le régime français, les monts-de-piété n'étaient envisagés que comme des agences fonctionnant pour les hospices : ils étaient organisés par décret impérial délibéré en conseil d'Etat sans le concours des communes ; c'étaient les hospices qui fournissaient les fonds ; s'il y avait des emprunts à faire, c'était sur les biens des hospices qu'ils devaient être hypothéqués.

Voilà le premier système de législation qui a régi les monts-de-piété. Il a continué jusqu'en 1826 ; et alors le règlement des villes, puis l’arrêté du 31 octobre 1826 oui posé quelques principes nouveaux, et c'est au sujet de ces principes que s'élèvent des doutes sérieux.

L'arrêté du 1826 commence par déclarer que les monts-de-piété sont (page 1020) des établissements de bienfaisance. Il dit ensuite que ces établissements auront une administration particulière, dont les membres seront nommés par l'autorité communale ; puis passant à ce qu'on appelle aujourd'hui leur dotation, l'article 15 porte que cette dotation se composera, entre autres choses, des fonds propres aux monts-de-piété. D'où il semble résulter que les monts-de-piété ont une existence civile, qui leur permet de posséder des fonds à titre de propriété. Enfin l'article 32 déclare les monts-de-piété responsables de la conservation des gages et passibles des dommages qui pourraient y être occasionnés.

Les dépositions que je viens d'analyser n'impliquent- elles pas une personnification civile ? Etablissement de bienfaisance, administration particulière, faculté de posséder et d'acquérir des fonds, responsabilité des prêts et des gages. Ces quatre conditions réunies me semblent essentiellement constitutives d'une véritable personnification ; et cependant, il me reste quelques doutes, parce que l'on ne crée pas des personnes civiles par induction.

Quoi qu'il en soit, l'arrêté du 31 octobre 1826 a été considéré par la plupart des administrations communales et provinciales comme n'existant plus depuis la loi communale de 1836. Celle loi communale abroge-t-elle réellement l'arrêté du 31 octobre 1836 ? C'est une question que je ne me permettrai pas de résoudre.

Mais en supposant qu'il fût abrogé, nous nous trouverions en présence de la loi communale, qui ne contient à son tour aucune disposition explicite sur la question. Elle les place en certains cas sur la même ligne que les hospices ou les bureaux de bienfaisance, et dans d'autres cas, elle garde le silence à leur sujet ou les traite comme des établissements à part.

Je demande donc, avant de commencer la discussion des articles, que M. le ministre veuille nous dire si, dans l'opinion du gouvernement, le projet de loi actuel reconnaît les monts de-piété comme des personnes civiles, ayant une existence propre et distincte, ou comme de simples agences, et s'ils fonctionneront pour le compte et sous la responsabilité des communes, ou pour le compte et sous la responsabilité des hospices et des bureaux de bienfaisance.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, l'honorable M. Tielemans demande si les monts-de-piété sont, dans le système du projet de loi actuel, des établissements jouissant de la personnification civile, ou, en d'autres termes, si le projet de loi tend à leur imprimer le caractère de' personne civile.

Je dois faire observer que cette question, qui a certainement son importance au point de vue théorique, en a beaucoup moins au point de vue pratique. En effet, le projet dont nous nous occupons n'en produisait pas moins, je pense, des résultats très utiles, quelle que soit la solution de cette question, c'est-à-dire, soit que les monts-de-piété soient réputés personnes civiles, soit qu'assoient considérés comme des annexes des bureaux de bienfaisance ou comme de simples établissements communaux.

Cependant, messieurs, puisque la question a été soulevée par l'honorable M. Tielemans, je crois qu'il convient de la traiter et de la résoudre.

Dans mon opinion, messieurs, l'on doit répondre négativement. Je crois que les monts-de-piété n'ont pas et n'auront pas, d'après le projet dont nous nous occupons, la personnification civile. Les monts-de-piété, messieurs, sont des établissements communaux qui participent de la nature des institutions de bienfaisance, mais qui ne peuvent avoir d'autre personnification civile que celle de la commune elle-même, à laquelle leur existence est subordonnée. Les monts-de-piété sont une émanation de la commune, une branche de l'administration communale, dont l'importance a paru assez grande pour en faire l'objet d'une législation spéciale et pour la soumettre à la haute surveillance du gouvernement ; mais je ne pense pas, messieurs, que cela soit suffisant pour faire de ces établissements des personnes civiles distinctes et séparées de la commune. C'est à la loi seule qu'appartient le droit de conférer la personnification civile, et pour conférer ce privilège il faut que, en décrétant l'existence de l'établissement public qu'elle veut personnifier, la loi déclare sa volonté à cet égard en autorisant cet établissement à posséder et à acquérir.

Or les monts-de-piété ne peuvent, selon moi, ni posséder ni acquérir ne peuvent avoir de patrimoine qui leur soit propre. Le projet de loi dont nous nous occupons parle bien, à la vérité, de la dotation des monts-de-piété, mais cette dotation n'est autre chose qu'un capital fourni par le bureau de bienfaisance ou subsidiairement par la commune, ou bien un capital accumulé par les économies, par les bénéfices de l'établissement. C'est un fonds qui a sa destination spéciale, qui doit aider au service de d'institution, mais ce n'est pas là une dotation proprement dite, un patrimoine distinct appartenant à l'établissement, comme personne civile, distincte et séparée de la commune, du bureau de bienfaisance qui est lui-même une émanation de l'administration communale.

Ainsi, messieurs, je pense que si un legs était fait à un mont-de-piété, ce serait l'administration communale qui devrait accepter le legs, qui aurait l'administration des revenus de ce legs, sauf à employer ce revenu suivant la destination qui y aurait été donnée par le testateur.

A la vérité, messieurs, le projet de loi dont nous nous occupons établit pour les monts-de-piété une administration distincte et séparée de l'administration communale et de l'administration du bureau de bienfaisance, une espèce d'administration mixte ; mais je ne pense pas que cette administration spéciale implique en aucune manière la personnification civile en l'absence d'une disposition expresse de la loi qui la confère à ces établissements.

Le privilège de la personnification civile n'appartient pas aux établissements publics, à raison de l'importance des services d'utilité publique dont ils sont chargés ; il n'appartient qu'aux seuls établissements auxquels le testateur a cru devoir le conférer, parce qu'il a pensé qu’il était d'intérêt général que ces établissements eussent un patrimoine séparé et distinct de celui de la commune ou de celui des établissements de bienfaisance.

L'on pourrait citer un grand nombre d'établissements qui n'ont pas la personnification civile, quoiqu'ils soient dirigés par des administrations spéciales. Ainsi, je citerai les dépôts de mendicité qui ont des conseils de surveillance, d'administration ou d'inspection, dont les députations permanentes ne font pas partie, ou dont un ou deux membres seulement de ces collèges font partie ; cependant on ne prétend pas que les dépôts de mendicité aient la personnification civile ; ce sont des établissements provinciaux, et si un legs était fait à un dépôt de mendicité, ce serait l'administration provinciale qui devrait accepter le legs, en en employant le revenu suivant la destination qui lui aurait été donnée par le testateur.

Je pourrais citer d'autres établissements encore qui appartiennent à l'Etat ou à la province, ou qui dépendent de la commune. Ainsi, un legs serait fait à un athénée, à une académie, à une université ; ces établissements, qui ne sont pas des personnes civiles, n'auraient certainement aucune qualité pour accepter ce legs par leurs administrateurs spéciaux ; l'acceptation devrait avoir lieu par l'Etat, par la province ou par la commune, suivant la nature de l'établissement qui serait l'objet de la libéralité.

Je pense donc que la loi actuelle ne confère pas la personnification civile aux monts-de-piété : je crois même qu'il n'y a aucun motif d'intérêt général qui puisse porter la législature à la leur accorder. Je ne crois pas que ces établissements fonctionnassent, d'une manière plus utile, dans l'intérêt des services qu'ils sont appelés à rendre au public, s'ils avaient la personnification civile, que s'ils continuaient à être de simples établissements communaux et ressortissant à l'administration communale.

Il me semble que la solution que je donne ici à la question posée par l'honorable M. Tielemans est tout à fait conforme aux principes de la loi communale de 1836 qui a voulu que les monts-de-piété fussent des établissements essentiellement communaux.

Je crois au surplus que nous ne devons pas multiplier les personnes civiles. Nous n'en avons déjà que trop dans notre pays. Je pense qu'il faudrait, autant que possible, rattacher tous les établissements publics, toutes les institutions aux trois grandes unités qui jouissent de la personnification civile au premier degré, c'est-à-dire, la commune, la province et l'Etat ; créer un grand nombre d'institutions séparées, en leur donnant la personnification civile, c'est les isoler des administrations principales, c'est risquer de porter le désordre au sein de l'administration ; c'est susciter des conflits entre ces administrations secondaires et celles auxquelles elles doivent ressortir.

C'est ainsi que si les lois sur les bureaux de bienfaisance et les hospices étaient encore à faire, il est possible qu'on y refléterait avant d'accorder aux conseils des hospices et aux bureaux de bienfaisance la personnification civile dont ils jouissent, parce que l'expérience a prouvé que cette indépendance où ils se trouvent des administrations communales occasionne une foule de conflits qui sont souvent très préjudiciables au point de vue de la bonne administration. Je crois, messieurs, pouvoir borner là mes observations en réponse aux interpellations de l'honorable préopinant.

M. Dedecker. - Messieurs, la question que vient de soulever l'honorable M. Tielemans n'a pas, ainsi que l’a démontré M. le ministre, en pratique, une extrême importance ; cependant je crois qu'il est utile de l'examiner.

L'honorable M. Tielemans a commencé par reconnaître que du temps de l'administration hollandaise, sous l'empire de l'arrêté du 31 octobre 1826, les monts-de-piété étaient des personnes civiles. A quels caractères a-t-il reconnu ces personnes civiles ? Les voici : D'abord, dit M. Tielemans, ces établissements étaient des établissements d'utilité publique, de bienfaisance.

Aujourd'hui encore, les monts-de-piété sont bien réellement des établissements de bienfaisance. Ils ont aussi une destination accessoire, celle de banque sur dépôt de marchandises en faveur du petit commerce ; cependant, personne ne pourrait s'opposer au dépôt de marchandises neuves dans les monts-de-piété, car c'est au moyen de ces dépôts qu'on peut prêter aux pauvres, sur de petits gages, à un intérêt peu élevé. Mais le caractère fondamental des monts-de-piété est encore un caractère de bienfaisance.

Le deuxième caractère auquel M. Tielemans a reconnu la personnification civile des monts-de-piété dans l'arrêté de 1826, c'est qu'ils avaient une administration distincte. Mais aujourd'hui encore, on propose de leur donner une administration complètement distincte de celle des hospices et de la bienfaisance publique. Un autre caractère auquel l'honorable membre reconnaît la personnification civile des monts-de-piété sous le régime de l'arrêté de 1826, c'est la responsabilité de ces établissements vis-à-vis des déposants des gages ; je crois qu'aujourd'hui encore, en supposant qu'on vote la loi actuellement en discussion, les monts-de-piété (page 1021) seront responsables de la perte on détérioration des gages par la faute de l'administration.

Enfin, un quatrième caractère auquel M. Tielemans reconnaît la personnification civile des anciens monts-de-piété, c'est qu'ils avaient une dotation distincte. Eh bien, cette dotation distincte, qui n'a été jusqu'ici qu'à l'état d'article de loi, mais qui n'avait jamais reçu d'exécution, je crois qu'à l'avenir elle sera réalisée ; c'est-à-dire, que les bénéfices faits par les monts-de-piété seront capitalisés pour faire une dotation distincte, un capital spécial, au moyen duquel il sera permis d'abaisser le taux des intérêts.

Tous les caractères de personnification civile que l'honorable M. Tielemans a reconnus dans l'arrêté de 1826 existeront encore dans le régime qu'on propose pour nos monts-de-piété. De plus, l'établissement d'une dotation distincte doit leur assurer, plus encore qu'auparavant, le caractère de la personnification civile. Je ne comprends pas un mont-de-piété créant un capital à l'aide de ses bénéfices, sans qu'il soit une personne civile. Ainsi tous les motifs qui ont fait croire à l'honorable M. Tielemans que les monts-de-piété étaient des personnes civiles sous l'empire de l'arrêté de 1826, ces motifs existent encore.

Nous avons en plus l'organisation de la dotation des monts-de-piété qui devrait seule nous déterminer, quant à la décision que nous pourrions prendre relativement au caractère de ces institutions. Je demanderai, après cela, quel inconvénient on voit à reconnaître les monts-de-piété comme personnes civiles ?

Je ne puis admettre comme sérieuse, l'objection faite tout à l'heure, par l'honorable ministre de la justice, qu'il y a trop de personnes civiles en Belgique, qu'il ne faut pas les multiplier outre mesure. Messieurs, prenons garde de ne pas nous laisser emporter par des préoccupations étrangères à cette discussion. Des personnes civiles comme celles dont il s'agit, il ne peut y en avoir trop. Il faut aux monts-de-piété, une existence stable et séparée.

Un autre inconvénient qu'y voit M. le ministre de la justice, c'est que ces administrations seraient isolées de l'administration communale. Mais au lieu de voir là un inconvénient, j'y vois au contraire un avantage. Je concevrais, jusqu'à un certain point, qu'on pût réunir dans les mêmes mains les trois administrations : celles des hospices, du bureau de bienfaisance et du mont-de-piété. Mais lorsque les hospices et le bureau de bienfaisance constituent déjà deux personnes civiles isolées, je ne vois pas qu'il soit si dangereux d'en créer une troisième. Aussi, la section centrale a-t-elle cru nécessaire de maintenir la séparation de l'administration des monts-de-piété, parce que, dans ce cas comme dans d'autres, la division du travail est un bien.

Les fonctions des membres des conseils d'administration des hospices, des bureaux de bienfaisance et des monts-de-piété, sont gratuites. On a déjà de la peine à remplacer les membres sortants de chacune de ces administrations. Il est impossible de trouver des personnes qui consacrent tout leur temps à l'accomplissement de devoirs administratifs aussi étendus, ou qui aient pour cela la variété de connaissances nécessaire. Il est donc avantageux de diviser le travail. Je ne vois là qu'un élément d'ordre et d'activité déplus, et nullement, comme le redoute M. le ministre, une cause de trouble et de désordre.

Je ne vois donc, pour ma part, aucun inconvénient sérieux à admettre, comme par le passé, la personnification civile en faveur des monts-de-piété. J'y vois, au contraire, un grand avantage. En effet, il ne faut pas décourager les personnes charitables qui voudraient faire des donations ou des legs en faveur de ces établissements.

Depuis quelques années l'on s'est plaint de ce qu'il n'y a pas de donations en faveur des monts-de-piété. A quoi cela tient-il ? A ce que les charges qui pèsent sur ces établissements les forçant à élever l'intérêt jusqu'à 15 p. c, ces établissements n'inspirent pas une grande sympathie aux personnes qui seraient disposées à leur faire des donations.

Mais quand les réformes, les améliorations que contient le projet de loi auront été accomplies, quand le taux de l'intérêt aura notablement baissé, je suis persuadé qu'il se trouvera des personnes charitables qui feront en faveur de ces établissements des donations ou des legs.

Je crois donc qu'il serait dangereux d'ôter aux monts-de-piété la personnification civile.

M. d’Anethan. - La question qu'a posée au gouvernement l'honorable M. Tielemans n'est pas celle de savoir s'il convient que les monts-de-piété sont des personnes civiles ; mais de savoir (c'est du moins ainsi que je l'ai compris) si, d'après le projet présenté par le gouvernement, auquel M. le ministre de la justice semble se rallier, les monts-de-piété doivent être considérés comme personnes civiles. La solution que M. le ministre de la justice a donnée à cette question me fait penser qu'il renonce à soutenir le projet de loi soumis à la chambre ; d'après les différents articles de ce projet, dont je demanderai à faire connaître quelques dispositions, il est, en effet, de la dernière évidence que les monts-de-piété doivent être considérés comme personnes civiles. Il est impossible de donner un sens à plusieurs articles du projet de loi, si l'on ne reconnaît au mont-de-piété ce caractère, et par suite une existence complètement séparée de la commune, de l'administration des hospices et du bureau de bienfaisance.

Le mont-de-piété doit être rangé dans la catégorie des établissements dont s'occupe l'article 937 du Code civil, ainsi conçu :

« Art. 937. Les donations faites au profit d'hospices, des pauvres d'une commune ou d'établissements d'utilité publique, seront acceptées par les administrateurs de ces communes ou établissements, après avoir été dûment autorisés. »

On ne peut méconnaître au mont-de-piété la qualité d'établissement d'utilité publique, on ne peut donc pas lui enlever le bénéfice de l'article 937 du Code civil.

Aussi fallût-il même examiner la question en elle-même, abstraction faite du projet de loi, elle devrait recevoir une solution différente de celle que lui a donnée M. le ministre de la justice. Mais, en présence des dispositions du projet de loi auquel je croyais qu'avait adhéré M. le ministre, je ne conçois pas comment on peut soutenir que les monts-de-piété ne jouissent pas de la personnification civile. D'après M. le ministre de la justice, le mont-de-piété serait un établissement communal, et cela parce que le mont-de-piété serait une émanation de la commune. Que M. le ministre me permette de le lui dire, cette assertion, en adoptant le projet, n'est exacte à aucun point de vue. Comment, et à quel titre, le mont-de-piété serait-il une émanation de la commune ? Il n'est pas autorisé par la commune, il doit être autorisé par le gouvernement, il ne puise donc pas sa raison d'être dans un acte de la commune, mais dans un acte émané du gouvernement, sous certaines conditions déterminées par le projet de loi.

Les hospices et les bureaux de bienfaisance, qui ont pourtant une existence distincte, auront bien plutôt ce caractère exclusivement communal qui les identifierait en quelque sorte avec la commune. En effet, ils existent par la volonté de la loi dans chaque commune, et pour les habitants de la commune, celle-ci a, relativement aux hospices et aux bureaux de bienfaisance, des obligations légales et formelles qu'elle ne peut se dispenser d'accomplir, tandis que, relativement aux monts-de-piété dont la création et l'organisation ne doivent pas lui appartenir, les sacrifices que font les communes sont purement volontaires ; la loi ne les oblige à subvenir aux besoins du mont-de-piété que si elles le trouvent convenable et utile.

Ces établissements n'ont donc aucun caractère communal. Ils ne sont pas créés par la commune, ils ne sont pas établis au profit exclusif de la commune, comme les hospices et les bureaux de bienfaisance. Ils n'imposent pas à la commune des sacrifices obligatoires.

Ainsi la principale raison donnée par M. le ministre de la justice pour établir que le mont-de-piété n'est pas une personne civile, consistant à dire que les monts-de-piété est une émanation de la commune, raison qui devrait s'appliquer à fortiori aux hospices et aux bureaux de bienfaisance, cette raison n'est nullement admissible.

Passons maintenant en revue quelques articles du projet de loi.

Aux termes de l'article 2, les monts-de-piété peuvent être fondés à l'aide de fonds fournis par des associations charitables.

Ainsi cet article prévoit la possibilité d'existence des monts-de-piété sans aucune intervention pécuniaire de la commune.

L'article 3 établit la thèse que je soutiens d'une manière plus évidente encore. Il est ainsi conçu :

« Art. 5. Aucun mont-de-piété ne pourra être supprimé sans l'autorisation du gouvernement ; en cas de suppression ainsi autorisée, l'excédant des biens, après liquidation, sera dévolu aux établissements de bienfaisance de la localité, dans la mesure de leurs besoins respectifs. Cette répartition sera faite par le gouvernement, sur l'avis de l'administration communale, la députation du conseil provincial entendue. »

L'article 3 suppose le cas d'un excédant de biens ; or, si le mont-de-piété est un établissement se confondait avec la commune, il ne faudrait pas chercher une destination pour cet excédant, il devrait nécessairement, enrichir la caisse communale. Le mont-de-piété, dans le système de M. le ministre, ne peut posséder de bien par lui-même, comment donc lui supposer la propriété d'un excédant de biens, alors qu'on lui dénie toute propriété quelconque ?

Maintenant d'après l'article 3 cet excédant de biens doit être versé dans, la caisse des bureaux de bienfaisance ; preuve évidente que les biens n'appartiennent ni à la commune, car pourquoi les lui enlever ? ni au bureau de bienfaisance, car dans ce cas il aurait été inutile de les lui donner.

Si les monts-de-piété, les bureaux de bienfaisance, les hospices et les communes étaient une seule et même chose, il est évident que cette disposition n'aurait aucun sens, et qu'elle devrait être rayée de l'article 3.

L'article 6, d'après le projet primitif, établissait une même administration pour les monts-de-piété et les bureaux de bienfaisance ; c'est-à-dire que les mêmes personnes étaient chargées d'administrer ces deux établissements ; mais néanmoins ces administrations devaient rester séparées.

D'après le projet de la section centrale, les deux administrations seront même complètement séparées, quant au personnel. L'article de la section centrale porte : « L'administration du mont-de-piété restera distincte de l'administration du bureau de bienfaisance et de l'administration des hospices. Elle se composera, etc. »

Ce changement introduit par la section centrale ne peut laisser aucun doute sur son intention de donner aux monts-de-piété une existence distincte et séparée.

D'autres articles viennent encore appuyer cette thèse. L'article 15 dit notamment : « Lorsque la dotation sera constituée et que le mont-de-piété aura acquis un capital suffisant pour couvrir toutes ses charges, les bénéfices annuels seront versés dans la caisse du bureau de bienfaisance. »

Messieurs, cet article 15 seul décide la question ; il établit pour le mont-de-piété la faculté d'acquérir, et de posséder ce qu'il a acquis, et indique la destination des bénéfices qu'il peut faire.

(page 1022) Je ne sais vraiment quelles pourraient être les conséquences de la déclaration faite aujourd'hui par le gouvernement ! Si les monts-de-piété ne sont pas des établissements spéciaux, des établissements ayant une personnification civile qui leur soit propre, si ces établissements ne sont en quelque sorte qu'une fraction de la commune elle-même, mais alors il faut reconnaître que la commune pourra dans certaines circonstances disposer des biens du mont-de-piété et employer ces biens à d'autres usages que ceux auxquels les auraient destinés les personnes qui avaient eu la générosité de les donner aux monts-de-piété.

Il faut, messieurs, et j'ai eu récemment l'occasion de soutenir ce principe, il faut avant tout respecter la volonté des donateurs ou des testateurs ; or si une personne a fait une donation ou un legs à un mont-de-piété, elle n'a fait cette disposition qu'avec l'intention bien évidente de la faire servir à l'intérêt des malheureux qui doivent recourir aux monts-de-piété ; si vous ne respectez pas cette volonté, n’est-il pas à craindre que d'autres personnes ne voudront plus faire de donations semblables, de pour qu'elles ne soient détournées du but qu'elles se seront proposé en les faisant ?

Les monts-de-piété, dans certaines circonstances, peuvent, aux termes de la loi, être supprimés. En cas de suppression d'un mont-de-piété que fera-t-on de la somme qui se trouve dans sa caisse ? La loi le dit. La loi qui a considéré, jusqu'au moment de sa suppression, le mont-de-piété comme étant une personne civile et séparée, comme un être moral pouvant posséder, la loi dit ce qu'il faudra faire de la somme restant en caisse au moment de la suppression de l'établissement. Eh bien, s'il n'existait pas par lui-même, je demande encore quel sens aurait l'article de la loi auquel je fais ici allusion.

A quoi bon dire dans la loi ce qu'il adviendrait de la somme restant en caisse, lorsque l'établissement serait supprimé, puisque, d'après M. le ministre de la justice, avant la suppression la somme avait déjà un autre propriétaire ?

M. le ministre de la justice vous a dit qu'il existait d'autres établissements qui, quoique d'utilité publique, n'avaient pas la personnification civile. Il vous a cité notamment les dépôts de mendicité. L'honorable ministre de la justice aurait également pu citer les prisons. Mais la position des dépôts de mendicité et des prisons est toute différente de celle des monts-de-piété.

Le gouvernement crée et supprime les dépôts de mendicité et les prisons suivant les besoins constatés ; il les dirige et les administre ; ils constituent une branche d'administration publique confiée au gouvernement ; mais le gouvernement n'a pas le même pouvoir pour les monts-de-piété. Ceux-ci, une fois créés, ont une existence indépendante ; le gouvernement ne serait pas le maître de les supprimer à son gré.

Il n'y a donc aucune espèce de rapport entre la position des monts-de-piété et celle des dépôts de mendicité et des prisons.

En terminant, M. le ministre de la justice a avancé une doctrine que je dois combattre.

M. le ministre de la justice nous a dit que si les bureaux de bienfaisance et les hospices ne jouissaient pas de la personnification civile, on devrait bien se garder de la leur accorder. Il a ajouté que ces personnifications civiles distinctes jettent partout la confusion, qu'elles donnent lieu à une foule de conflits et qu'il serait préférable d'avoir une seule et unique administration, s'occupant à la fois et de la commune, et de la bienfaisance, et des hospices. Je ne puis donner mon adhésion à ce système qui a déjà contre lui l'expérience. On en a déjà fait l'essai sur une grande échelle : en 1793, on a alors réuni au domaine national tous les biens des établissements de bienfaisance. Eh bien, messieurs, dès l'an V, on a été forcé d'abandonner cette malheureuse conception et de rétablir et les administrations des hospices et les administrations des bureaux de bienfaisance. On a compris que c'était le seul moyen de rétablir la confiance et de réveiller la charité en donnant aux individus qui voudraient faire des donations, l'assurance que ces donations recevraient la destination voulue.

Etablissez une administration unique et vous découragerez à l'instant les donateurs ; ils ne sauront plus si leurs donations, au lieu d'aider les malheureux, ne seront pas affectées soit à des constructions dans les villes, soit à d'autres objets utiles peut-être, mais auxquels ils ne les destinaient pas.

Je pense donc que si les hospices et les bureaux de bienfaisance n'existaient pas comme personnes civiles, on devrait s'empresser de les créer comme telles. On n'a pas à se plaindre de l'état de choses existant maintenant : les communes exercent une surveillance active sur l'administration des établissements de bienfaisance ; de plus, elles nomment les membres de ces administrations. Je crois que cela suffit pour sauvegarder l'intérêt des pauvres et pour empêcher que les fonds de la bienfaisance ne soient détournés de leur destination.

M. de Bonne. - Messieurs, je n'ai pas demandé la parole pour traiter la question de savoir s'il est convenable de faire des monts-de-piété des personnes civiles ; je l'ai demandée pour prier M. le ministre de la justice de nous dire comment il entend l'article premier du projet. Cet article porte que les monts-de-piété actuellement existants sont maintenus, sauf l'approbation du gouvernement.

D'après ce qui a été du jusqu'à présent dans cette discussion, je vois qu'on veut faire des monts-de-piété des établissements tout à fait séparés des administrations de bienfaisance. Je le conçois pour les monts-de-piété qui ont des capitaux particuliers ; mais je ne le conçois pas pour les monts-de-piété qui n'ont d'autre capital que les fonds des hospices et des établissements de bienfaisance. Je demanderai si, par cet article, on dépouille de ces fonds les administrations de bienfaisance qui les ont fournis. Si ces administrations ont pris part à la gestion des monts-de-piété c'est que leurs fonds s'y trouvaient, et si maintenant on les en écarte, il faudra qu'on leur rende leurs capitaux, car certainement on ne pourra pas vouloir que les capitaux des établissements de bienfaisance soient administrés par des administrations tout à fait séparées. C'est cependant ce qui me semble résulter du texte de l'article premier.

On a dit qu'on formerait un capital des bénéfices réalisés par les monts-de-piété. Je ferai observer que les fonds des administrations de bienfaisance qui sont placés dans les monts-de-piété sont des fonds provenant, par exemple, de rentes vendues, de rentes dont les capitaux ont été remboursés, de terrains expropriés pour cause d'utilité publique. Comme ces capitaux ne pouvaient recevoir d'application immédiate, les administrations de bienfaisance ont été autorisées à les placer dans les monts-de-piété à l'intérêt de 5 p. c ; c'est ainsi au moins que la chose s'est faite à Bruxelles. Si maintenant l'on garde ces capitaux et que l'on réserve les bénéfices des monts-de-piété à former un fonds pour ces établissements, alors on détournera de leur destination les fonds des administrations de bienfaisance.

En effet, ils doivent être distribués en secours, d'après la volonté des donateurs. Ainsi, à Bruxelles, par exemple, les uns sont destinés à la bienfaisance, d'autres aux hospices réunis, d'autres au grand hospice, d'autres aux orphelins, aux enfants trouvés, enfin à différents objets déterminés par les donateurs. Ou ne peut donc pas admettre que les bénéfices des monts-de-piété soient consacrés à la formation d'un fonds pour ces établissements, car ce serait priver des fondations de toute nature de leurs revenus, qui leur sont indispensables.

On a dit ensuite que les monts-de-piété sont responsables. Eh bien, messieurs, cela prouve précisément que les monts-de-piété, qui opèrent avec les fonds des administrations de bienfaisance, doivent être dirigés par les membres de ces administrations.

Je suppose, en effet, qu'il y ait des pertes au mont-de-piété de Bruxelles : le mont-de-piété de Bruxelles n'a d'autres fonds que ceux de l'administration de bienfaisance, et c'est, par conséquent, sur elle que retombera la perte.

Il est donc indispensable, messieurs, que la loi établisse une distinction entre les monts-de-piété qui ont des fonds particuliers et ceux qui opèrent avec les fonds des administrations de bienfaisance.

Je n'ajouterai plus, messieurs, qu'un mot, c'est que je partage assez l'idée de M. le ministre de la justice, combattue par l'honorable préopinant, qu'il faut le moins possible multiplier les personnes civiles. Cependant, je ne considère pas comme d'une grande importance l'argument qu'il a tiré de la nécessite d'éviter des conflits entre les différentes administrations. Je ne sais pas s'il a voulu faire allusion au conseil des hospices de Bruxelles qui a eu des contestations avec l'administration communale ; mais je ferai remarquer à M. le ministre de la justice que l'administration des hospices comme l'administration du mont-de-piété, sont évidemment des émanations de l'administration communale et que la commune a tout pouvoir sur elles. C'est elle qui examine et arrête les budgets, qui détermine les dépenses ; même, il y a une disposition qui aurait peut-être évité beaucoup de conflits : c'est que le bourgmestre de la commune est le président-né du conseil des hospices. Je crois que si, à des époques plus ou moins rapprochées, le bourgmestre venait présider le conseil, il y a bien des difficultés qui s'aplaniraient.

Je pense donc qu'examen fait de l'article premier, il serait convenable que M. le ministre de la justice voulût faire une distinction entre les monts-de-piété qui ont des fonds particuliers et ceux qui n'ont que des fonds appartenant aux administrations de bienfaisance, et cela pour éviter cette espèce d'expropriation qui me semble résulter de la contexture de l'article premier, si nous allons transformer les monts-de-piété en administrations tout à fait distinctes, et sans qu'aucun membre des administrations de bienfaisance en puisse faire partie.

M. Tielemans. - Messieurs, l'interpellation que j'ai eu l'honneur d'adresser à M. le ministre de la justice, et la réponse qu'il m'a faite nous placent dans une situation bien étrange. Le projet que nous discutons a été élaboré sous l'administration de l’honorable M. d'Anethan, et M. d'Anethan nous déclare sans hésiter qu'il a voulu reconnaître la qualité de personne civile aux monts-de-piété ; ce même projet a été examiné en section centrale et le rapporteur de la section centrale, l'honorable M. Dedecker, nous affirme à son tour que le sens de la loi en discussion est de reconnaître l'existence civile des monts-de-piété.

Maintenant l'honorable M. de Haussy, ministre actuel de la justice, nous dit positivement le contraire. J'avais donc raison de soulever la question, et j'ajoute qu'elle doit être résolue avant tout : il est impossible de faire un pas de plus, si nous ne la résolvons pas.

Pour moi, messieurs, je ne l'ai pas résolue, comme le disait tantôt l'honorable M. Dedecker ; je n'ai exprimé que des doutes. La difficulté me paraît très grave ; elle me paraît grave, si j'examine l'arrêté du 31 octobre 1826 ; elle me paraît encore plus grave, si cet arrêté est aboli, et que nous nous trouvions en présence de la loi communale de 1836 et du projet actuel. Je m'abstiens même d'exprimer une opinion pour le moment.

Mais la nécessité de prendre un parti quelconque dans cette question, avant d'aller plus loin, est, pour moi, d'une évidence telle que la plupart des dispositions qui nous sont soumise doivent être modifiées, si (page 1023) l'on adopte l'opinion de l'honorable M. Dedecker. Elles doivent également être modifiées, si l'on adopte l'opinion de l'honorable ministre de la justice. Dans cette alternative, je ne comprends pas, comme je l'ai dit tout à l'heure, qu'on puisse faire un pas de plus dans la discussion.

L'honorable M. de Haussy nous disait tantôt que, dans la pratique, la question était fort peu importante ; mais, au contraire, elle est toute de pratique, et pour ne citer qu'un exemple, j'ouvre la loi communale, et j’y vois « que les donations et legs faits à des établissements existants dans la commune et ayant une administration spéciale, doivent être acceptés par ces administrations sur l'avis des conseils communaux et sous l'approbation de la députation provinciale ou du Roi.... »

Eh bien, évidemment l'application de cet article va dépendre de la décision que nous prendrons sur le caractère et la nature des monts-de-piété. Voilà un cas de pratique ; je pourrais en citer plusieurs.

Mais, à un autre point de vue, la question est bien plus importante encore. Si vous considérez les monts-de-piété comme des établissements publics, à l'instar des hospices et des bureaux de bienfaisance, les principes constitutionnels sont tout autres que si vous les considérez comme de simples agences communales.

Si ce ne sont que des agences communales, la plupart des dispositions du projet sont inconstitutionnelles ; en les adoptant, vous détruiriez en partie le pouvoir communal pour le remplacer par le pouvoir royal, contrairement aux articles 31 et 108 de la Constitution : vous mettriez les monts-de-piété en dehors de l'organisation communale que vous avez décrétée par la loi de 1836.

Au contraire, le projet peut être admis à beaucoup d'égards, si les monts-de-piété sont des établissements publics, car en fait d'établissements publics la loi est absolue, la Constitution ne renferme aucune limite, tandis qu'en fait d'agences communales, la Constitution pose des limites que nous ne pouvons franchir.

Dans cet état de choses, ce qu'il y aurait de plus sage à faire, ce serait de retirer le projet de loi et de soumettre la question que j'ai soulevée à un examen approfondi ; on présenterait ensuite à la chambre un nouveau projet dans l'un ou dans l'autre sens ; si l'on n'adopte pas cette marche, je ne vois pas la possibilité d'arriver à de bons résultats.

M. de La Coste. - Messieurs, il me paraît qu'ici la question principale est de savoir quel est réellement l'intérêt des classes laborieuses, des classes qui, par leur position, sont obligées d'avoir recours à ces établissements. Quand nous aurons résolu la question de savoir si les principales dispositions du projet sont favorables à ces classes, ce sera alors le moment de voir quelle est la manière légale et constitutionnelle d'atteindre le but, et je concilierai de ce qu'a dit l'honorable M. Tielemans qu'il faudrait admettre le système de l'honorable M. d'Anethan, et non celui de M. le ministre de la justice, qu'il ne faudrait pas non plus différer d'examiner le projet.

L'honorable M. Tielemans convient qu'en partant de l'idée qu'il s'agit d'un établissement public séparé, on pourrait admettre les principales dispositions du projet.

Eh bien, alors que ne prenons-nous ce point de départ et que ne nous donnons-nous pour tâche d'atteindre un but d'utilité, dans la voie qui nous est proposée et contre laquelle l'honorable M. Tielemans n'a pas fait d'objection ? Il n'a émis qu'un doute.

En un mot, la chose est-elle ou n'est-elle pas utile ? Quant à moi, je la crois utile ; si elle est utile, pourquoi différer notre délibération ? Ne pouvons-nous pas résoudre la question nous-mêmes ? II me semble que nous pouvons la résoudre dans le sens indiqué par l'honorable M. d'Anethan et que l'honorable M. Tielemans n'a pas combattu.

M. Dedecker. - Messieurs, quoi qu'en pense l'honorable M. Tielemans, je persiste à croire, qu'au point de vue pratique, la question soulevée par l'honorable membre n'a pas d'importance pour les classes ouvrières en faveur desquelles nous discutons le présent projet de loi. En effet, de quoi s'agit-il ? De détruire certains abus qui se sont glissés dans l'administration des monts-de-piété, et d'un autre côté de provoquer certaines réformes reconnues nécessaires.

La question qui seule devrait nous préoccuper, c'est l'intérêt des classes qui ont besoin de recourir aux monts-de-piété.

La question soulevée par l'honorable membre revient, en définitive, à savoir si les monts-de-piété sont des établissements d'intérêt communal ou des établissements d'intérêt général, d'intérêt social. La question ainsi posée est résolue de fait. Je ne pense pas qu'on puisse soutenir que les monts-de-piété sont des établissements d'un intérêt purement communal. A côté de l'intérêt de la commune, il y a un intérêt social qui doit être sauvegardé par l'Etat. C'est cette considération qui a dirigé l'auteur du projet de loi, l'honorable M. d'Anethan, ainsi que la section centrale chargée de l'examen de ce projet.

M. Tielemans parle de modifications radicales à apporter à la loi par suite de la décision qui sera prise relativement à la question qu'il a soulevée. Dans le système que j'ai défendu, je ne vois pas quelles seraient les grandes modifications à apporter au projet de loi. Je conçois que dans le système de M. le ministre de la justice, il y aurait de grandes modifications à faire au projet. J'avoue même que je ne comprends pas que M. le ministre. qui hier a fait sien le projet de loi, vienne aujourd'hui proclamer un principe qui est en opposition avec les principaux articles de ce projet.

La chambre reste donc juge de l'utilité de l'ajournement proposé par l'honorable M. Tielemans.

Si elle partage l'opinion de M. le ministre, il faudra refondre tout le projet ; si au contraire elle s'en tient aux observations que M. d'Anethan et moi avons présentées, on peut continuer à discuter le projet.

Pour ma part, je le souhaite, car les améliorations apportées par le projet de loi au régime des monts-de-piété sont tout à fait indépendantes de la question de droit administratif soulevée par l'honorable M. Tielemans.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je persiste à croire que la question qui a été soulevée n'a, au point de vue pratique, que fort peu d'importance, que les monts-de-piété peuvent fonctionner, soit comme personnes civiles, soit comme établissements communaux, et produire tous les avantages qu'on est en droit d'en attendre quand nous en aurons opéré la réforme d'après les principes de la loi actuelle.

La question qui se présente n'aurait pas été agitée si le projet primitif s'était expliqué clairement sur l'intention de ses auteurs, quant à la personnification civile des monts-de-piété.

Je dois dire que, d'après l'article 6 tel qu'il est rédigé, je ne concevrais pas qu'il fût possible de soutenir le système de la personnification civile. L'article 6 disait : L'administration du mont-de piété sera réunie à celle du bureau de bienfaisance. Ainsi d'après le projet primitif, quoi qu'en dise l'honorable M. d'Anethan, il est impossible que les monts-de-piété constituent une personne civile distincte du bureau de bienfaisance qui n'est lui-même qu'une émanation de la commune.

A la vérité, la section centrale a modifié le projet primitif en établissant une administration séparée ; mais si je recours aux motifs de la section centrale qui viennent d'être reproduits d'ailleurs par l'honorable M. Dedecker, ce sont des considérations purement administratives qui l'ont déterminée à proposer cette modification ; c'est parce que les bureaux de bienfaisance sont surchargés de besogne et qu'il est difficile de trouver des personnes qui veuillent accepter ces fonctions gratuites ; c'est pour cela qu'on a jugé à propos de ne pas multiplier leurs travaux en leur remettant l'administration des monts-de-piété. Ce sont là les seules considérations consignées dans le rapport de la section centrale.

D'ailleurs, je ne puis reconnaître que l'administration distincte des monts-de-piété entraîne comme conséquence nécessaire la personnification civile ; car, comme je l'ai fait observer, il y a des établissements publics qui ont des administrations distinctes et qui cependant ne constituent pas des personnes civiles. J'ai indiqué les dépôts de mendicité ; l'honorable M. d'Anethan a parlé des prisons ; on pourrait citer beaucoup d'autres établissements dépendant de la commune, ou de la province, ou de l'Etat, qui ne sont pas personnes civiles, quoique gérés par des administrations spéciales. Le principal motif sur lequel on s'appuie pour soutenir le système de la personnification civile, c'est la dotation attribuée aux monts-de-piété.

Messieurs, si celle dotation était formée d'un patrimoine spécial appartenant aux monts-de-piété, à un titre qui leur fût propre, je concevrais que la personnification civile parût en être la conséquence. Mais qu'est-ce que cette dotation ? C'est l'obligation pour les bureaux de bienfaisance de fournir les fonds nécessaires aux opérations des monts-de-piété ; et, en cas d'insuffisance, c'est la caisse communale qui doit y pourvoir ; sans cela ils sont supprimés. Je n'ai donc pu voir dans cette dotation, telle qu'elle est créée par les dispositions du projet, qu'une prescription de la loi, qu'une obligation imposée aux administrations de bienfaisance et aux administrations communales de pourvoir à un service public, et d'assurer les opérations des monts-de-piété au moyen des fonds qu'elles sont tenues de fournir.

L'honorable M. de Bonne voudrait qu'on fît une distinction entre les monts-de-piété qui ont des fonds particuliers et ceux qui opèrent avec des fonds provenant des bureaux de bienfaisance. Cette distinction est impossible, elle bouleverserait toute l'économie du projet. Ce sont les établissements de bienfaisance qui doivent fournir les fonds nécessaires pour le service du mont-de-piété. La commune ne vient que subsidiairement en aide aux bureaux de bienfaisance ; quand les monts-de-piété auront des capitaux qui leur seront propres, quand, au moyen de leurs économies et de leurs bénéfices, ils se seront constitué une dotation suffisante, les allocations des bureaux de bienfaisance diminueront dans une proportion égale. Jusque-là leur dotation ne consiste que dans l'obligation légale dont je viens de parler.

M. d’Anethan. - M. le ministre de la justice vient de dire que la difficulté soulevée par M. Tielemans avait sa source dans le silence gardé par le projet primitif au sujet de la personnification civile des monts-de-piété. Mais, messieurs, cette personnification résulte de l'ensemble du projet, et il suffit de le lire pour en être convaincu.

J'ai lu tout à l'heure l'article qui permet au mont-de-piété d'acquérir et qui, en cas de suppression d'un mont-de-piété, donne une destination aux fonds qu'il avait acquis.

Il était donc inutile de dire en termes exprès que les monts-de-piété étaient personnes civiles ; ce caractère résultait de la loi même, qui laissait ces établissements dans la position où les plaçait l'arrêté de 1826.

M. le ministre de la justice ne comprend pas qu'en présence de l'article 6 du projet primitif, on puisse soutenir que les monts-de-piété ont la personnification civile.

M. le ministre croit renverser d'une manière complète les arguments sur lesquels j'e me suis appuyé, en disant que d'après le projet primitif l'administration des monts-de-piété devait être réunie à celle du bureau de bienfaisance, et il demande comment, les administrations étant réunies, (page 1024) les établissements pouvaient rester séparés quant à leurs intérêts. Mais en même temps, M- le ministre ajoute que le mont-de-piété doit être considéré comme faisant partie soit du bureau de bienfaisance, soit de la commune, M. le ministre n'est donc pas bien fixé sur le point de savoir si le mont-de-piété est une émanation de la commune ou du bureau de bienfaisance. Cependant il serait nécessaire de connaître la pensée précise et définitive du gouvernement à ce sujet.

La circonstance que les administrations seraient réunies, ou du moins auraient eu le même personnel, n'empêcherait pas les établissements administrés par les mêmes personnes d'avoir une personnification civile distincte, Bruxelles en offre un exemple : A Bruxelles, les hospices et les secours à domicile sont confiés à la même administration. Cependant il y a pour ces deux services une personnification civile spéciale et distincte, celle des hospices et celle du bureau de bienfaisance. Ainsi la réunion de deux administrations n'empêche pas l'existence séparée de deux personnes civiles.

Toute la question me paraît être de savoir si les monts-de-piété doivent être considérés comme des établissements d'utilité publique. Personne ne résoudra négativement cette question. Ces établissements étant reconnus d'utilité publique, doivent-ils se rattacher, soit à la commune, soit à la province, soit à l'Etat, ou subsister par eux-mêmes ? Il n'y a pas d'autre alternative.

Pourquoi les rattacherait-on à la commune ? On n'en donne aucun motif.

Ce n'est pas un établissement essentiellement communal, puisqu'il peut servir non seulement aux habitants de la commune, mais encore aux habitants d'autres localités ; ce qui n'existe ni pour les hospices ni pour les bureaux de bienfaisance. Il y aurait tout autant de raisons pour réunir le mont-de-piété à la province ou à l'Etat que pour le réunir à la commune. Les rapports qui peuvent exister entre ces corps et les monts-de-piété, soit isolément, soit concurremment, prouvent qu'il ne faut les réunir ni à la commune, ni à la province, ni à l'Etat, mais qu'ils doivent subsister par eux-mêmes. Ils peuvent exister et s'alimenter par leurs propres ressources, et par les secours des associations charitables.

M. le ministre de la justice a pourtant reconnu que le mont-de-piété pourrait être personne civile s'il avait une dotation spéciale, s'il ne vivait pas à l’aide des secours des hospices et des établissements de bienfaisance,

Mais dès que M. le ministre de la justice reconnaît dans ce cas ce caractère au mont-de-piété, il doit le lui reconnaître dans tous les cas d'après le système de la loi ; car non seulement le cas auquel fait allusion M. le .ministre de la justice est positivement prévu par l'article 2 du projet de loi qui porte que les frais de ces établissements pourront être couverts par des associations charitables ; mais la loi tend à assurer aux monts-de-piété une dotation résultant des bénéfices qu'ils sont appelés à faire et qui les dispenseront de recourir aux secours des hospices.

Il ne peut exister deux catégories de monts-de-piété. Si le mont-de-piété n'est pas un établissement communal, lorsque la commune ne pourvoit pas à ses besoins, il n'acquerra pas ce caractère uniquement parce que la commune lui accorde un subside. Je le répète donc. Dès qu'on reconnaît que dans un cas le mont-de-piété peut devenir une personne civile, on doit lui reconnaître ce caractère dans tous les cas.

Et remarquez que les avances de fonds que peuvent faire les hospices et, dans certaines circonstances, les communes aux monts-de-piété, ne sont pas obligatoires ; ni les hospices ni les communes ne doivent se créer des ressources extraordinaires pour venir en aide aux monts-de-piété, la suppression de ces établissements est même la conséquence du refus d'allocations de subsides. Si pourtant le mont-de-piété faisait corps avec la commune ou avec les hospices, pourrait-on permettre à l'administration des hospices, ou à l'administration communale, de le laisser tomber ? Ne leur imposerait-on pas l'obligation de fournir les fonds nécessaires pour que rétablissement pût remplir sa mission ?

L’honorable M. de Bonne a adressé une interpellation à M. le ministre de la justice, à propos de l'article premier. Il a demandé s'il ne conviendrait pas de conférer la qualité de personne civile seulement aux monts-de-piété qui ont des fonds qui leur appartiennent en propre. Il ne lui paraît pas possible qu'on érige en personnes civiles les monts-de-piété qui n'ont que des fonds appartenant aux hospices et que la surveillance d'une gestion de cette nature soit enlevée à l'administration des hospices. Mais il en est ainsi d'après la législation actuelle. Les hospices doivent aujourd'hui confier aux monts-de-piété des sommes assez considérables que l'administration du mont-de-piété administre sans être surveillée par le conseil général des hospices.

M. de Bonne. - Deux membres de ce conseil font partie de l'administration du mont-de-piété.

M. d’Anethan. - Cela est vrai. D'après le projet, il en était de même. Bien plus, l’administration entière était celle du bureau de bienfaisance. Mais si deux membres seulement faisaient partie de l'administration du mont-de-piété, ce n'est pas à dire que les hospices administreraient ; car ces deux membres ne formaient pas la majorité dans l'administration du mont-de-piété ; il n'y a aucune distinction à faire entre les deux cas.

L'honorable membre craint que l'article premier n'immobilise les fonds des hospices entre les mains de l'administration du mont-de-piété ; je répondrai à cette objection par l'article 12, qui stipule le cas de remboursement, et maintient ainsi la propriété tout entière dans le chef des hospices.

M. Dedecker, rapporteur. - Messieurs, l'honorable ministre de la justice disait tout à l'heure, que ce qui pourrait surtout donner le caractère de personne civile aux monts-de-piété, c'est l'existence d'une dotation distincte, d'un patrimoine distinct. Mais, que M. le ministre, me permette de le lui dire, je ne crois pas qu'il ait parfaitement compris ce que le projet entend par dotation.

Je ne vois, en fait de dotation, dit M. le ministre de la justice, que la stipulation de l'article 10 par laquelle il est dit que les administrations publiques de bienfaisance continueront à fournir les fonds nécessaires aux opérations des monts-de-piété. Mais c'est là un état provisoire qu'il s'agit de faire cesser par le projet actuel. C'est parce, que ces placements, des fonds des bureaux de bienfaisance sont une grande charge pour les monts-de-piété, que, pour améliorer la situation de ces derniers établissements, il faut les affranchir de cette charge et leur constituer une dotation distincte, dotation que les articles 11, 12, 13 et 14 sont destinés à régler.

Ainsi, si le projet actuellement en discussion est mis à exécution, dès l'année prochaine, les monts-de-piété seront propriétaires des bénéfices qui auront été faits pendant l'année. Ces monts-de-piété auront donc, dès l'apnée prochaine, un commencement de dotation qui ira s'agrandissant chaque année, par suite de la capitalisation des bénéfices. Ainsi encore viendra à cesser la distinction que signale l'honorable M. de Bonne.

L'honorable M. de Bonne dit : Je conçois qu'on reconnaisse comme personnes civiles les monts-de-piété qui ont des fonds à eux, qu'ils ne sont pas obligés d'emprunter aux hospices ou aux bureaux de bienfaisance. Mais une fois que la dotation aura commencé, tous les monts-de-piété se trouveront dans ce cas. Alors aussi la responsabilité, qui paraît aujourd'hui un vain mot à l'honorable M. de Bonne, existera de fait, parce qu'il y aura une dotation propre et spéciale à chaque mont-de-piété.

Que M. le ministre de la justice entende donc bien ce que le gouvernement et ce que la section centrale ont compris par le mot dotation. L'article 10 du projet n'est pour ainsi dire qu'une disposition transitoire, c'est-à-dire que les administrations de bienfaisance continueront comme par le passé à fournir les fonds ; mais c'est précisément pour affranchir les monts-de-piété de cette sujétion qu'on propose de créer, au moyen de bénéfices annuels, une dotation propre. Or, pour que cette dotation puisse-être une propriété, il faut bien que les monts-de-piété aient la faculté de posséder, qu'ils soient, en définitive, des personnes civiles.

M. Verhaegen. - Messieurs, il me paraît que la discussion actuelle roule sur un jeu de mots. Je ne sais si M. le ministre de la justice n'est pas un peu trop effrayé, dans les circonstances actuelles, du mot personnification civile ; mais il me semble qu'il est impossible d'y échapper. Ainsi, laissant de côté la question de dotation, je voudrais savoir ce qui arriverait si un mont-de-piété avait des difficultés avec un tiers, et qu'il y eût un procès. Qui plaiderait ? Au nom de qui plaiderait-on ? Il faut que les droits soient débattus au nom de quelqu'un. Si le mont-de-piété se présente comme mont de piété, se ne pourra jamais être qu'en qualité de personne civile. Si le mont-de-piété est indépendant de toute autre administration, ce sera comme être moral, comme personne civile qu'il se présentera.

S'il était décidé que le mont-de-piété est dépendant de l'administration communale, ce serait encore une administration particulière qui aurait aussi le caractère de personne civile, comme, par exemple, une fabriqua d'église.

Il est vrai que des fabriques d'église sont constituées par des lois spéciales. Mais les monts-de-piété seront aussi constitués par la loi que nous faisons.

Sans doute, messieurs, le projet soulève de graves questions ; mais elles se présenteront et nous les examinerons dans la discussion des articles. Mais, pour le moment, la discussion actuelle me paraît devoir s'arrêter.

Faut-il, par suite de l'observation qu'a faite M. le ministre de la justice, qu'il retire le projet ? Je ne le pense pas, parce qu'au fond je crois que tout le monde est d'accord et que la difficulté ne gît que dans les mots.

On a demandé à M. le ministre de la justice s'il entendait faire des monts-de-piété une personne civile. Il a répondu que non. Cependant, dans les développements, on arrive en réalité à dire oui ; et, quoi qu'on fasse, il faudra bien que les monts-de-piété soient représentés par quelqu'un, c'est-à-dire par une administration qui, quel que soit le nom qu'on lui donne, traitera comme administration et qui, comme telle, sera représentée devant la justice en cas de difficultés avec un tiers.

Je crois, messieurs, que nous pouvons, en prenant le temps de la réflexion jusqu'à demain, nous entendre parfaitement sur ce point.

M. Malou. - Je n'ajouterai qu'une ou deux observations à celles qui ont été faites.

On s'effraye de mots ; mais la chose est dans la loi, et il ne peut en être autrement.

Toute propriété, de quelque nature qu'elle soit, repose ou sur la tête d'un particulier ou sur la tête d'un être moral. Evidemment les monts-de-piété, d'après toutes les dispositions qui ont existé jusqu'à présent, comme d'après celles qui nous sont proposées, sont capables d'être propriétaires, de posséder. Or, je me demande, je demande à toute la chambre : Y a-t-il une autre définition de la personne civile, sinon un être moral ayant dans la société des droits comme une personne naturelle, pouvant être propriétaire, recevoir et acquérir ?

(page 1025) Je dis donc que la qualité de personne civile est inhérente à l'existence même des monts-de-piété, et que le projet la leur reconnaît par toutes ses dispositions.

Je me permets, si le doute pouvait encore subsister, de poser à M. le ministre de la justice, cette simple question ; je suppose qu'un particulier donne ou lègue à un mont-de-piété un capital ; par qui ce capital sera-t-il accepté, dans l'opinion de M. ministre de la justice ? On ne peut me dire que ce sera par la commune, puisqu'une disposition du projet attribue aux monts-de-piété une dotation ; puisque d'autres dispositions du projet règlent d’avance le partage éventuel des biens des monts-de-piété, s'ils viennent à être supprimés.

On ne peut pas dire non plus que ce sera par les hospices ou par le bureau de bienfaisance, parce que ni l'un ni l'autre de ces établissements n'est le mont-de-piété tout entier.

Vous êtes donc appelés par la force des choses, par toutes les dispositions du projet, à reconnaître que le mont-de-piété doit être une administration distincte, une personne civile, capable d'acquérir et capable de posséder.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, si l'on juge qu'il est d'intérêt général que le mont-de-piété constitue une personne civile, distincte et séparée soit des établissements de bienfaisance, soit de la commune, il me semble qu'il aurait fallu le déclarer d'une manière précise, afin de ne laisser aucun doute à cet égard.

Les questions de personnification civile sont des questions extrêmement délicates, extrêmement ardues et qui donnent lieu, comme vous le voyez, à de graves difficultés.

A la vérité, la personnification résulte de certaines conditions, de certains caractères qui la constituent. Mais ces conditions ne sont pas tellement claires, tellement bien définies que la personnification civile doive en être nécessairement la conséquence.

Il me semble donc, messieurs, que si, dans l'opinion de la chambre, les monts-de-piété doivent être constitués en personnes civiles, il faudrait tâcher de l'exprimer par une disposition spéciale, de manière à ce qu'il ne puisse subsister le moindre doute à cet égard.

Du reste, je le répète encore, je ne vois, pour mon compte, aucun inconvénient bien grave à ce que les monts-de-piété soient constitués en personnes civiles et soient assimilés aux établissements de bienfaisance, aux conseils généraux des hospices et à d'autres établissements publics qui jouissent de la personnification civile ; mais je dois répéter également que, d'après l'ensemble des dispositions du projet de loi, je ne vois pas que cette conséquence résulte suffisamment et nécessairement de ces dispositions.

- La séance est levée à 4 heures 1/4.