(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 757) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à 2 heures et donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi ; la rédaction en est approuvée.
M. A. Dubus présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Le sieur Pierre Smits, maître charpentier à Loenhout, né à Zundert (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Plusieurs habitants de Woubrechtegem prient la chambre de rejeter le projet de loi relatif au droit de succession. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Plusieurs habitants de Tongres présentent des observations contre le projet de loi sur la péréquation cadastrale. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Plusieurs habitants de Koeckelberg demandent qu'il soit fait des économies dans les dépenses de l'Etat. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. d’Anethan (pour une motion d’ordre). - Messieurs, M. le ministre de la justice a soumis, il y a quelques jours, à la chambre les amendements sur la loi du notariat. La chambre s'est réservé d'examiner ultérieurement, après en avoir pris connaissance, si ces amendements seraient ou ne seraient pas renvoyés à la section centrale.
Je ne demande pas ce renvoi. Toutefois, si on en faisait la proposition, je ne m'y opposerais pas. Mais sans préjuger l'opinion de la chambre, je crois devoir prier M. le ministre de la justice de fournir pour la discussion les renseignements suivants :
1° Donner la liste des notaires qui sont secrétaires ou receveurs communaux, receveurs des bureaux de bienfaisance et des hospices ;
2° Combien, année commune, depuis 1830, se présentent de candidats pour obtenir le certificat de capacité ;
3° Indiquer les dépôts de minutes d'actes notariés (mentionnés à l'article 36 des amendements), autres que les études de notaires actuels et les greffes des cours ou tribunaux.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Nous communiquerons à M. le ministre de la justice cette demande de renseignements, mais nous espérons qu'elle n'est pas de nature à retarder la discussion.
M. d’Anethan. - Mon intention n'est nullement d'arrêter la discussion, bien au contraire ; M. le ministre de l'intérieur voudra bien se rappeler que j'ai moi-même demandé plusieurs fois la mise à l'ordre du jour du projet sur le notariat.
Il m'était impossible de demander plus tôt ces renseignements, M. le ministre de la justice n’ayant déposé les amendements que dans la séance d'avant-hier.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). présente un projet de loi ayant pour but de modifier en faveur des élèves-médecins et des élèves-pharmaciens qui se trouvaient attachés aux hôpitaux de l'armée avant la promulgation de la loi du 10 mars 1847, relative à l'avancement dans le service de santé, la limite d'âge fixée par cette loi.
- Il est donné acte à M. le ministre delà présentation de ce projet de loi. Il sera imprimé et distribué.
M. Delfosse. - C'est un projet qui n'a pas une grande importance et qui est urgent. Je pense qu'on pourrait le renvoyer à la section centrale qui a été chargée de l'examen du budget de la guerre.
M. de Garcia. - Je crois qu'il vaudrait mieux le renvoyer à la commission qui a été chargée d'examiner le projet de loi sur le service de santé et dont l'honorable M. Sigart a été rapporteur.
Il s'agit de modifications à apporter au projet adopté par la chambre. Comme cette commission a examiné la loi au point de vue des principes, elle est plus à même que toute autre section d'apprécier jusqu'à quel point les modifications proposées peuvent être admises.
M. Delfosse. - Je me rallie à la proposition de l'honorable M. de Garcia. Mon seul but est de gagner du temps.
- Le renvoi à la commission qui a examiné le projet de loi sur le service de santé de l'armée, est adopté.
M. Eloy de Burdinne. - Lorsque nous avons modifié notre tarif de douanes dans l'intérêt de la France, en échange de quelques concessions que ce pays nous a faites, j'ai cru m'apercevoir que la Belgique serait dupe de cette convention.
Mes prévisions se sont réalisées : la Belgique est dupe ; je vais le démontrer.
Depuis cette convention, les exportations en France de nos fabricats diminuent tous les ans ; tandis que les importations de France en Belgique augmentent.
Je vais vous le démontrer en reproduisant le mouvement commercial officiel, inséré au Moniteur du 28 janvier 1848, n° 28, pièce officielle.
En 1845, la France nous a importé 36,955 kilog. en fils de laine ; en 1847, la quantité a été de 143,863 kilogrammes ; en plus en 1847, 106,908 kilog.
En 1845 il a été importé, 86,137 hectolitres de vin. En 1847, il a été importé 105,799 hectolitres ; en plus en 1847,19,662 hectolitres.
En tissus de coton : Importation en 1843, 99,622 kil. ; en 1847, il a été importé 104,237 kilogrammes, soit en plus, 4,615 kil.
En coatings et autres étoffes : Importation en 1845, 7,945 kil. ; en 1847, 10,668 kil. ; en plus, en 1847, 2,723 kil.
Voyons présentement si nos importations en France ont suivi la même progression.
Je vais vous démontrer que c'est l'inverse qui a eu lieu.
En 1845, nous avons exporté pour la France la quantité de 2,185,383 kilogrammes de fil de lin simple écru ; en 1847, l'exportation a été réduite à 1,056,200 kil., soit en moins 1,129,183 kil.
En toiles, nappes, serviettes de lin, chanvre et étoupes, nous avons exporté en France, 2,278,327 kilogrammes ; en 1847 seulement 1,489,537 kilogrammes, soit en moins en 1847, 788,790 kilogrammes.
On doit reconnaître que la balance n'existe plus.
J'appelle l'attention du gouvernement sur cet état de choses. L'intérêt de nos industries réclame des modifications au traité, auquel je fais allusion, aussitôt que la chose sera possible.
M. Castiau. - Messieurs, je ne sais trop quel est le but des observations que vous venez d'entendre. L'honorable orateur demande la parole pour une motion d'ordre, et que fait-il ? il nous présente l'analyse et le résumé de nos relations commerciales et industrielles avec la France.
Il résulterait des explications qu'il vient de nous donner et des calculs auxquels il s'est livré, que les importations de la France en Belgique augmenteraient, que celles de la Belgique en France diminueraient et qu'ainsi ce qu'il appelle la balance commerciale serait devenue beaucoup moins favorable pour noire pays.
Si ce fait est exact, je le regrette. Mais l'est-il ? J'en doute encore, du moins pour ce qui concerne l'ensemble du mouvement commercial. Je crois, en effet, que, dans ses calculs, l'honorable orateur n'a pas pris en considération les changements intervenus dans l'appréciation de la valeur des produits belges importés en France. Presque toutes les évaluations, toutes peut-être ont été réduites dans les nouveaux travaux statistiques. Il n'est donc pas étonnant que, par suite des réductions dans les bases de l'évaluation, le résultat du mouvement commercial nous paraisse moins favorable que les années précédentes.
Mais cette réduction, que je crois apparente, fût-elle réelle, que faudrait-il en conclure ? Que faudrait-il faire ? Qu'entend faire spécialement l'honorable orateur ? Veut-il rompre nos rapports commerciaux avec la France ?
Mais la France, c'est encore, malgré tous les calculs et les comparaisons de l'honorable membre, c'est encore le plus utile, le plus grand et le plus important de tous les marchés ouverts à la Belgique. C'est là que nos principales industries déversent leurs produits. Une rupture commerciale avec la France serait donc le coup le plus fatal porté à nos plus importantes industries et à la prospérité des seules provinces qur aient échappé jusqu'ici, par le travail, au malaise du paupérisme.
Mais cette rupture, l'honorable membre se garde bien de la proposer. Il ne propose rien. Il ne demande rien. Quel peut donc être, encore une fois, le but de sa motion d'ordre qui, en résultat, n'en est pas une, puisqu'elle n'arrive à aucune conclusion ! Pourquoi dès lors faire appel à des préventions aveugles et chercher, par des rapprochements sans objet, à troubler les rapports commerciaux que l'intérêt réciproque de la Belgique et de la France est de rendre aussi intimes que possible ?
La discussion ainsi débarrassée de la prétendue motion d'ordre de l'honorable M. de Burdinne, j'arrive à l'examen du projet de loi qui vient (page 758) nous proposer la rectification d'arrêtés royaux qui, pour certains produits, ont encore augmenté nos droits de douane déjà si exorbitants.
M. Eloy de Burdinne. - Je demande à répondre sur la motion d'ordre.
M. Castiau. - Il n'y a pas de motion d'ordre. Les observations présentées par l'honorable orateur rentrent dans la discussion générale et c'est ce qui m'a engagé à y répondre.
Nous sommes occupés en ce moment, messieurs, à faire la liquidation des fautes et des erreurs de la politique ancienne. D'abord, vous avez eu à vous préoccuper des résultats fâcheux de son administration financière.
Ainsi, depuis plusieurs séances, vous avez vu se déployer successivement toutes les dépenses qui avaient été faites en dehors des budgets et qui s'élevaient à la somme énorme de plus de 5 millions de francs.
Vous avez voté jusqu'ici tous les crédits supplémentaires qui vous ont été demandés pour couvrir ces dépenses irrégulières ; vous les avez votés, il faut le dire, avec facilité, avec une bienveillance qui fait beaucoup d'honneur à vos sentiments d'oubli et de générosité pour des adversaires vaincus ; mais qui en définitive n'aura pas pour effet de remplir les caisses du trésor et surtout de rendre nos ministres plus circonspects à l'ancien.
Il y avait plusieurs de ces dépenses irrégulières qui devaient engager la responsabilité ministérielle ; cette considération ne vous a pas arrêtés, et vous avez voté les bills d'indemnité avec autant de prodigalité que les ministres avaient voté les dépenses.
Après avoir vidé de cette manière les questions financières, vous vous trouvez maintenant en présence de l'application des principes de l'ancienne politique, en économie politique, principes de privilège, d'exclusion et de monopole qui ont toujours eu pour organe principal dans cette enceinte l'honorable orateur qui vient d'ouvrir la discussion.
Ces principes se résumaient en définitive dans les doctrines de prohibition. La prohibition ! c'était le beau idéal pour l'honorable M. Eloy de Burdinne, et la politique soutenue par la majorité dont il faisait partie.
Ainsi, pendant que ce vieux système de la prohibition était battu en brèche dans la plupart des autres pays, pendant que l'Angleterre, qui en avait tant abusé, en reconnaissait les inconvénients et y renonçait, en Belgique, on s'évertuait sans cesse à le relever et à le renforcer. Ainsi que j'ai déjà eu occasion de le dire, l'on augmentait d'année en année les tarifs ; après les avoir augmentés, on s'était aperçu qu'on n'avait fait que donner un nouvel attrait à la fraude et il a fallu augmenter, dans la même proportion, le personnel des employés, ainsi que les traitements. Comme toutes ces mesures ne suffisaient pas encore pour décourager la contrebande excitée par l'élévation des tarifs, il a fallu établir une législation qui frappe le délit de contrebande de peines plus rigoureuses que certains délits de vol. Voilà où en était arrivée l'ancienne politique, avec ses exagérations et ses tendances exclusives.
Cependant, messieurs, on s'était renfermé pendant longtemps dans les termes de la légalité. Ainsi, ces aggravations douanières étaient présentées d'abord à l'assentiment des chambres, et le gouvernement n'était lors que l'exécuteur des lois faites par la majorité. Mais depuis, il a paru sans doute que la majorité ne marchait pas assez vile dans la voie des réactions douanières. Alors on a laissé à l'écart, du moins pour la mise en vigueur des tarifs, l'intervention des chambres, et le pouvoir ministériel s'est arrogé le droit, de son autorité privé, de prononcer ces augmentations de droits de douane.
Ainsi, en 1843, l'on voit, pour la première fois, je pense, un arrêté royal qui vient, sans l'assentiment préalable de la chambre, modifier le tarif pour plusieurs produits et spécialement pour les tissus de laine. Un arrêté royal du 13 octobre 1844 vint ensuite modifier le tarif pour les fontes et les machines, etc. ; enfin arrive l'arrêté royal du 29 juillet 1845, dont on nous demande aujourd'hui la ratification. Voilà le développement qu'a pris l'arbitraire en moins de trois ans.
Messieurs, il est bien temps de se demander si la marche qu'on a suivie pour augmenter les tarifs par ordonnance, est une marche bien régulière, bien légale, bien constitutionnelle. On s'est prévalu, je le sais, d'une disposition de la loi de 1822, qui autorise le gouvernement à modifier les articles du tarif des douanes, à charge de soumettre ces changements à la ratification de la législature. Mais cette disposition est-elle encore en vigueur, et peut-elle se concilier avec les exigences de notre Constitution ?
Sous le gouvernement hollandais, on avait singulièrement abusé, vous le savez, de l'extension qu'on donnait au système des arrêtés royaux. Les limites entre la loi et l'ordonnance étaient mal définies, et les arrêtés royaux envahissaient presque toujours le domaine législatif. Ces envahissements avaient soulevé d'unanimes réclamations. C'est précisément par suite de l'abus qu'on avait fait de la loi de 1822 et de l'arbitraire des arrêtés royaux, qu'on a introduit dans notre Constitution des dispositions rigoureuses qui semblaient avoir rendu impossible le retour de ces abus et de cet arbitraire. Ainsi, d'après la Constitution, aucune modification aux lois, aucune aggravation d'impôt ne peut avoir lieu qu'en vertu du concours préalable de la législature.
Cette disposition générale évidemment a dû faire rentrer au néant la disposition de la loi de 1822 qui autorisait les aggravations de tarifs de douane par arrêté royal ; je ne pense pas qu'on veuille jouer sur les mots, en prétendant qu'il s'agit ici de droits de douane et non d'impôt ; car les droits de douane sont de véritables impôts, des impôts indirects. Pour rester dans les termes de la Constitution, il fallait donc préalablement une loi pour pouvoir décréter une augmentation de tarif. (Interruption.)
L'honorable membre qui m'interrompt me dit que la loi existe ; c'est précisément ce que je nie ; car je prétends que la loi de 1822 qu'on m'oppose est inconciliable arec les principes et les dispositions de la Constitution. Les dispositions, dont nous examinons en ce moment la légalité, ont été prises en vertu d'arrêté royal ; eh bien, il s'agit de savoir si des dispositions avaient pu être prises provisoirement par arrêté royal ; je maintiens que tous les arrêtés royaux qui depuis 1844 ont établi des aggravations de droit sont illégales, inconstitutionnelles, que la disposition de la loi de 1822 qui permettait de modifier les tarifs par arrêté royal a cessé ses effets depuis la mise en vigueur de la Constitution ; parce qu'elle est contraire aux nouvelles attributions des pouvoirs politiques, et surtout à cet article formel de la Constitution, qui interdit toute aggravation de droit ou d'impôt sans une loi.
Et qu'on ne vienne pas dire qu'on satisfait aux exigences constitutionnelles en demandant aujourd'hui à la chambre la ratification des mesures prises par arrêté royal. La ratification laisse-t-elle les choses entières comme si la mesure vous était soumise préalablement à l'exécution ? Non certainement, on arrive avec la doctrine des faits accomplis devant laquelle vous êtes obligés de vous incliner.
Ce n'est pas la ratification, c'est l'initiative que la Constitution nous accorde, quand il s'agit de l'accroissement des charges et des impôts, et c'est cette initiative qu'on a usurpée. On vient vous demander la ratification ; mais voici près de trois ans que l'arrêté royal est en vigueur et que le supplément de droit est payé. Le fait est consommé sans votre participation et alors même que, vous armant de rigueur, vous refuseriez votre sanction à l'arrêté royal, quelles seraient les conséquences de ce refus ? La disposition ministérielle en aura-t-elle été moins exécutée pendant trois ans ? Et que deviennent alors les droits des citoyens, vos prérogatives et les dispositions si formelles de la Constitution pour les taxes qui ne sont pas prélevées en vertu de la loi ?
Messieurs, si je viens m'élever avec autant d'insistance contre les augmentations de tarifs, dont on vous demande la sanction aujourd'hui, c'est qu'il n'y avait aucun motif d'urgence pour excuser l'arbitraire et justifier cette dérogation au droit commun. La résolution, dont je me plains, est donc doublement coupable. Mais je m'arrête, car je ne vois pas, au sein de cette assemblée, celui que j'accuse, le signataire de l'arrêté royal de 1845. Je regrette vivement que M. l'ancien ministre des affaires étrangères, celui qui a pris ces mesures que j'attaque, ne soit pas dans cette enceinte pour les défendre.
Une voix. - Il est malade.
M. Castiau. - J'en suis fâché ; mais j'aperçois l'un de ses collègues, M. Malou ; certes l'ancien ministre des finances a assez de talent et de facilité pour se porter, en cette circonstance, le défenseur d'office de son ami M. Dechamps.
C'est donc à l'honorable membre que je vais m'adresser, et j'espère qu'il se chargera de répondre aux critiques auxquelles je me livre en ce moment, et quant à légalité, et quant à l'opportunité de l'arrêté royal du 29 juillet 1845.
Je crois, du reste, que l'honorable M. Malou doit, dans tous les cas, partager avec M. Dechamps la responsabilité des mesures que j'attaque. Il était, je pense, au ministère des finances quand ces mesures ont été prises ; elles ont dû être arrêtées de commun accord avec son collègue ; de sorte que ce ne sera pas de sa part un acte de complaisance, mais une obligation véritable qu'il accomplira, en défendant son collègue et en acceptant la responsabilité de mesures qui me paraissent injustifiables au point de vue constitutionnel comme au point de vue de l'utilité.
Il n'y avait, je le répète, aucun motif d'urgence ou d'intérêt national qui réclamât ce remaniement de tarifs. On a agi en 1845 avec autant de précipitation que s'il se fût agi du salut du pays ou du sort de nos principales industries. Et, en réalité, de quoi s'agissait-il, et quelles étaient donc ces industries si importantes, qui réclamaient ces augmentations de droits ? Jetons les yeux sur les produits pour lesquels des aggravations de tarif ont été admises, et je ne sais si, en procédant à cet examen, vous pourrez, messieurs, conserver votre sérieux. Que voyons-nous d'abord ?
Le café torréfié. Quelle est la quantité de café torréfié qui entre en Belgique ? Quelle est l'industrie qui a demandé que l'on augmentât par arrêté royal, sans l'intervention de la chambre, le droit sur le café torréfié ? Quelles sont les réclamations si pressantes qui se sont élevées à ce sujet ? C'est ce que j'ignore ; c'est ce qui je prie M. Malou de nous apprendre. En attendant, on me permettra sans doute de dire que cette disposition sent quelque peu l'épicerie et qu'on la croirait d'un véritable épicier.
Que voit-on apparaître ensuite parmi ces industries privilégiées ? Le caoutchouc. On ne s'attendait guère à voir le caoutchouc dans cette affaire. Pourquoi ce tendre intérêt pour le caoutchouc ?
Un membre. - C'est parce que c'est élastique.
M. Castiau. - Oui, c'est élastique comme certaines consciences. Mais ce n'est pas là un motif suffisant pour violer la loi. Quel est donc encore ici le motif réel de l'illégalité ? Je connais la prédilection toute particulière de l'honorable M. Malou pour les chaussures en caoutchouc. Mais je ne puis croire cependant qu'il ait pu prendre, en cette circonstance, ses sympathies particulières et un intérêt aussi mince pour un intérêt national. Je suis donc autorisé à répéter qu'ici encore la violation de la loi est sans excuse et sans justification.
(page 759) Poursuivons. Nous voici maintenant en présence des fils de poil de chèvre et de vache.
Qui donc, en Belgique, a pensé à réclamer une aggravation de droits sur les fils de poil de chèvre et de vache ? Si nous étions encore au temps fabuleux où les bêtes parlaient, on aurait pu croire que les vaches et les chèvres indignées eussent adressé une requête à MM. les ex-ministres des finances et des affaires étrangères, pour solliciter l'exclusion des poils des chèvres et des vaches étrangères. Mais de telles merveilles ne se voient plus dans notre siècle, quoiqu'il s'y trouve encore des méchants qui soient d'une opinion contraire. En l'absence donc d'une telle requête, je ne sais en vérité qui a pu pousser dans ce pays le fanatisme de la prohibition, jusqu'à en réclamer l'application aux poils de vaches et de chèvres d'origine étrangère.
Avançons encore. C'est toujours de plus fort en plus fort. Voici maintenant le sulfate, le sulfate de magnésie qui figure dans la liste de ces produits dont on a cru devoir décourager l'introduction par une augmentation de droits.
Vous connaissez tous l'emploi de ce produit que le vulgaire appelle tout simplement sel d'Epsom et de Seidlitz ; vous savez quelle en est l'utilité, quels en sont les avantages en médecine.
Pourquoi cette rigueur pour une substance aussi bienfaisante ? Pourquoi la repousser ? Serait-ce, par hasard, que la vieille politique serait brouillée avec la vieille médecine ? Libre à elle sans doute ; mais que, du moins, elle respecte toutes les opinions et tous les goûts. Ce n'était pas au ministère, c'était à la faculté de médecine qu'il appartenait de se prononcer sur l'introduction et l'emploi d'une substance que les hommes de la vieille politique ont repoussée avec une véritable ingratitude.
Et c'est pour arriver à de tels résultats, messieurs, qu'on n'a pas craint de reculer les principes de notre Constitution en décrétant par ordonnances ce qui ne pouvait l'être que par la loi ! Avais-je tort de vous dire qu'on n'avait pas même ici l'ombre d'un prétexte pour justifier l'illégalité ?
On semble, en cette circonstance, n'avoir eu d'autre but que de faire gratuitement de l'arbitraire. On a voulu, sans motif comme sans nécessité, faire de l'omnipotence ministérielle, et le pouvoir fort, cette fois, s'est perdu dans le ridicule.
Il faut être juste cependant, et après les accusations doivent venir les circonstances atténuantes. Si l'ancien ministère s'est servi de l'arbitraire pour augmenter certains droits de douane, il s'en est également servi pour établir certains dégrèvements.
Oui, messieurs, ce ministère, si antipathique à toutes les réductions de droits, en a cependant prononcé quelques-unes. Je dois le dire à sa louange, il a fait un pas, un premier pas dans la voie du libre échange. Des réductions ont été prononcées. Savez-vous dans quels cas et en faveur de quels produits ? Lisez la page 7 de l'exposé des motifs.
Les doctrines du libre échange n'ont été appliquées par l'ancienne politique qu'en faveur des objets hors de commerce, en faveur des vieilles armures, des vieux vitraux, des vieilles monnaies, des momies, et autres antiquités, enfin en faveur des mannequins et des automates mécaniques. (Interruption.)
Voilà, messieurs, les objets pour lesquels l'ancien ministère a cru devoir supprimer les droits d'entrée.
Les mannequins et les automates mécaniques ont obtenu une entrée de faveur dans ce pays, comme s'il n'en existait pas déjà suffisamment en Belgique !
Quoique je n'aie pas les mêmes sympathies ni les mêmes prédilections que l'ancien ministère pour les momies, les mannequins et les automates mécaniques, cependant, messieurs, je ne pousserai pas le rigorisme jusqu'à repousser les dégrèvements de droits qu'on nous propose ; mais je repousserai toutes les aggravations qui se trouvent dans l'arrêté de 1845, comme contraires à la légalité et n'étant réclamées par aucun motif d'intérêt public.
Avant de terminer, messieurs, je me permettrai de renouveler le vœu que j'ai déjà si souvent exprimé dans cette enceinte de voir le gouvernement s'occuper enfin de la révision du tarif des douanes. Cette révision, il la faut prudente et modérée, mais il la faut aussi intelligente et libérale surtout.
C'est là, messieurs, une nécessité à laquelle on ne peut échapper plus longtemps ; l'intérêt du pays, l'intérêt des consommateurs comme des producteurs réclament cette révision, et la raison serait la première à y applaudir. Car vos tarifs de douane, à part quelques articles principaux, sont un tissu de dispositions puériles, oiseuses, ridicules et presque extravagantes. Je pourrais vous en convaincre à l'instant, si je vous en présentais l'analyse, mais le temps me manque aujourd'hui pour ce travail. Je me contenterai de vous rappeler que vos tarifs comprennent plus de mille articles. Croyez-vous qu'il y ait beaucoup de vos employés qui puissent se reconnaître dans un tel dédale ?
Et cependant ces tarifs de douane, qui déjà étaient tellement compliqués et embrouillés qu'on pouvait à peine en faire l'application, ont encore été revus et augmentés par l'honorable M. Dechamps. On a trouvé que ces mille articles de nos anciens tarifs ne suffisaient pas aux exigences de la fiscalité.
L'honorable M. Malou et l'honorable M. Dechamps ont mis en commun leurs méditations et leurs recherchas et, armés de la loupe de la fiscalité, ils sont arrivés à découvrir que 450 objets avaient encore échappé aux auteurs de ces tarifs. Et alors on a vu apparaître ce qu'on appelle un arrêté d'assimilation, c'est-à-dire qu'on est venu introduire dans vos tarifs, sous le prétexte de je ne sais quelle assimilation, 450 articles qui n'y étaient pas compris.
Savez-vous, messieurs, quels sont les objets si intéressants pour lesquels on a cru devoir adopter des mesures d'assimilation ? J'en prends, au hasard, quelques-uns pour ne pas prolonger davantage cette discussion. Voici la moutarde, qui, paraît-il, avait jusqu'à présent échappé à la surveillance de la douane. Puis viennent les allumettes chimiques, dont a craint sans doute la clarté. Enfin, pour en finir, je vous signalerai encore, parmi les objets frappés d'un droit nouveau, les œufs de poissons confits, les vessies natatoires des poissons et les scorpions séchés. (Interruption.)
Voilà les graves intérêts qui ont exigé le concours des deux plus fortes têtes de l'ancien ministère et pour lesquels on a déployé tout le luxe d'un arrêté royal qui va être également soumis à votre ratification.
En présence de telles aberrations, j'espère qu'il n'y aura pas dans cette assemblée un seul membre, pas même M.de Burdinne, qui ne se réunisse au vœu que je forme de voir la révision de nos tarifs faire justice des absurdités de la fiscalité.
Messieurs, il faut bien, quoi qu'on fasse, se résigner à l'inévitable révision de nos tarifs et se préparer à accepter le dégrèvement successif des droits de douane.
Qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, c'est l'une des nécessités du siècle ; les idées, les intérêts et les institutions y poussent. Il faut aller au-devant de cette nécessité, si l'on ne veut être entraîné par elle.
Ces unions douanières qui préoccupent et rapprochent déjà tant de peuples, que sont-elles ? Précisément la protestation des idées de liberté, des idées du droit et du progrès commercial et industriel, contre les tendances réactionnaires du principe prohibitif.
Ces idées d'union douanière gagnent chaque jour du terrain : les peuples et les gouvernements s'y rallient ; chaque jour ce nouveau traité d'alliance prend de nouveaux développements. Dans quelques années il finira par être accepté par l'Europe entière. L'ère de l'émancipation se prépare pour tous les peuples de l'Europe. Il faut que nos industries soient assez fortes pour soutenir alors toutes les luttes de la concurrence. Eh bien, laissez-leur respirer dès à présent l'air de la liberté ; et accoutumez-les à marcher dans leur force et leur indépendance.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, je crois que le système de l'honorable M. Castiau serait excellent, si toutes les nations l'adoptaient. Je fais toutefois une exception pour l'Angleterre. Car avec le système de l'honorable M. Castiau, l'Angleterre anéantirait à peu près toutes vos industries. L'Angleterre vous fournirait des fers, et vos industriels ne pourraient plus tenir leurs fabriques en activité. Elle vous fournirait de la houille, et anéantirait la production de cette matière en Belgique. Elle anéantirait aussi l'industrie cotonnière et l'industrie linière. Voilà où vous en arriveriez avec ce système.
Je ne conteste pas, messieurs, que si nos voisins adoptaient ce système, nous devrions, comme le dit l'honorable M. Castiau, réduire progressivement notre tarif des douanes ; mais ne soyons pas dupes ; n'adoptons pas un système que nos voisins repoussent. Car se serait porter un coup mortel au travail national.
Messieurs, dans la motion d'ordre que j'ai soumise à M. le ministre des affaires étrangères, ce sont des chiffres que j'ai donnés. Je n'ai pas fait la balance du système commercial entre la France et la Belgique. J'admets que notre système commercial avec la France, en ce qui concerne une grande partie de nos produits, nous est avantageux. Mais si la France nous prend des produits, ce n'est pas pour favoriser notre industrie, c'est pour se procurer des matières premières dont elle a besoin. Si la France n'avait pas besoin de nos matières premières, elle ne vous achèterait rien, et bien souvent elle vous renvoie des matières premières en vous faisant payer une main-d'œuvre considérable.
Messieurs, on m'attribue l'intention de provoquer l'établissement d'un système prohibitif. Jamais je n'ai eu cette intention. Mes principes à moi sont de suivre l'exemple de nos voisins, de protéger toutes nos industries, nulle exceptée. Je veux l'égalité de protection pour toutes ; je veux assurer du travail au pays.
On me dira peut-être qu'il faut des protections pour certaines industries, et qu'il n'en faut pas pour d'autres.
Mais, messieurs, remarquez que les droits de douane, qui sont un puissant moyen d'alimenter le trésor, ne sont pas payés par le consommateur, mais c'est le producteur étranger qui en paye les sept huitièmes. Vous en avez eu la preuve lorsque vous avez levé les droits sur le bétail : avez-vous vu à la suite de cette mesure, diminuer le prix de la viande ? Mais non, au contraire, il a augmenté. Lorsque vous réduisez des droits sur des produits étrangers, nos voisins se disent d'abord : « Ce pays manque d'approvisionnements, » et par conséquent ils élèvent leurs prétentions pour la vente des objets dont nous avons besoin. Voilà l'effet moral de semblables dispositions ; le consommateur n'en est nullement soulagé, mais elles favorisent le producteur étranger. Que disent nos cultivateurs lorsqu'ils voient l'Angleterre, par exemple, réduire les droits sur les céréales ? Mais ils disent : « L'Angleterre manque de grains ; donc suspendons nos ventes ; exigeons un prix plus élevé. »
Il est une industrie, messieurs, qui aurait beaucoup d'avantage à l'application du système de l'honorable M. Castiau, c'est le commerce. Ah ! le commerce vous dira : « Laissez arriver les houilles anglaises, laissez arriver tous les produits étrangers, vous favoriserez le commerce et la navigation ; vous donnerez à vivre aux ouvriers de nos ports. » Mais, messieurs, tout en favorisant momentanément le commerce et la navigation, (page 760) vous ruineriez le pays entier, vous enlèveriez le travail à toutes nos populations et quelque bas que fût le prix des objets venant de l'étranger, vous mettriez le peuple dans l'impossibilité de les acheter.
Voilà, messieurs, ma manière de voir. Je veux une protection pour toutes nos industries, une protection égale à celle que nos voisins accordent aux producteurs de leur pays. Si l'Allemagne, si la France adoptaient le système que préconise l'honorable M. Castiau, je consentirais volontiers à ce que nous l'adoptions également à leur égard ; mais, je le répète, je ne voudrais pas qu'un semblable arrangement fût fait avec l’Angleterre, car l'Angleterre anéantirait toutes nos industries.
Je bornerai là mes observations.
M. de Haerne. - Moi aussi, messieurs, je suis partisan des unions douanières qui vous ont été préconisées par un honorable préopinant. Je sympathise avec lui pour ce qui regarde l'application prise en général, du système de la liberté en matière de commerce, sauf à voir quelles exceptions seraient nécessaires dans les détails.
Mais, messieurs, si j'admets les tendances préconisées par l'honorable préopinant comme émanant des principes de progrès, comme émanant même d'idées chrétiennes, je ne suis nullement d'accord avec l'honorable membre sur les moyens d'arriver au résultat qu'il a en vue. En effet, messieurs, l'honorable membre vient en quelque sorte isoler la Belgique, il veut que la Belgique fasse disparaître toutes les barrières de douanes, quel que soit le système suivi par ses rivaux, c'est-à-dire qu'il place la Belgique dans la position où serait une nation qui, devant combattre toutes les autres, commencerait par se désarmer, ou dans la position où se placerait un individu qui, pour se défendre contre des assaillants armés de toutes pièces, armés de pied en cap, commencerait par déposer les armes. Je crois que tel n'est pas le moyen qu'il faut employer pour atteindre le but que l'honorable préopinant a en vue. Je crois que pour arriver à des unions douanières, à l'application plus ou moins large du principe de la liberté du commerce, il faut procéder, de commun accord, par des dégrèvements progressifs et réciproques établis, soit par des traités de commerce soit par des conventions tacites mais réciproques.
Eh, messieurs, que gagneriez-vous à faire disparaître toutes les garanties douanières dont vous êtes entourés maintenant et qui protègent notre industrie ? Pensez-vous que par là vous pourriez engager vos voisins à faire la même chose ? Oh ! messieurs, ce serait de la simplicité, ce serait presque de la folie de le croire. Ce serait une idée inadmissible d'aller supposer que les nations vont faire disparaître leurs barrières de douanes, parce que vous supprimez les vôtres. C'est un leurre, messieurs, un véritable leurre. Je crois, moi, je le répète, que le seul moyen d'arriver aux unions douanières, c'est de procéder successivement à des dégrèvements admis de part et d'autre. C'est ainsi que j'appuierai de toutes mes forces une union douanière avec la France, pour laquelle l'honorable M. Castiau a professé une sympathie toute particulière, sympathie que je partage aussi. Mais pour arriver là, il faut savoir y intéresser la France, il faut avoir des faveurs à lui offrir, et pour pouvoir lui offrir des avantages, il faut les créer dans votre tarif. Avec un tarif trop bas, trop peu protecteur, vous n'avez pas de concessions à faire, et vous ne pouvez espérer d'arriver à une union douanière.
Messieurs, quant au régime qui est établi entre la Belgique et la France, l'honorable préopinant vous a dit que ce régime est éminemment favorable à la Belgique. Cette assertion, messieurs, n'est pas exacte, et, pour le prouver, je vais prendre la liberté de citer un passage d'un discours prononcé à la chambre des pairs de France par le rapporteur du traité de 1842-1845. Voici ce que disait M. Périer à la chambre des pairs :
« Dans les 104 millions de valeur que nous avons reçus de Belgique en 1844 figurent 90 millions de matières premières, soit 77 p. c, tandis que dans les 46 millions, prix des achats que la Belgique a effectués chez nous, les matières premières sont comprises pour 14 millions seulement, soit 30 p. c.
« Dans cet exemple, pas plus que dans le précédent, le traité ne fait aux deux nations une position pareille ; mais, ici, ce n'est pas nous qui avons à nous plaindre. Si la Belgique a l'avantage d'une augmentation notable dans le chiffre de la valeur de ses exportations, la France, qui, sur 104 millions qu'elle a tirés de ce pays en 1844, en compte 80 en matières premières, ne saurait voir là de préjudice pour son industrie. C'est le contraire qui est vrai, et déjà, messieurs, vous avez compris pourquoi.
« Les matières premières que nous tirons de la Belgique sont pour nous l'occasion, l'élément de transformations sans nombre qui donnent du travail à nos ouvriers et des moyens d'exportation à notre commerce. C'est donc pour la France une circonstance heureuse que de trouver à quelques pas de sa frontière, dans un pays qui la touche sur une longueur de 70 lieues, le bois, la houille, le zinc, le cuivre, les matières à bâtir, les peaux brutes, les bestiaux, les chevaux, les céréales et tant d'autres produits analogues dont le besoin est souvent impérieux. »
Ainsi, messieurs, si la France prend plus à la Belgique que la Belgique à la France, les objets que la France prend sont en grande partie des matières premières, qui lui sont indispensables pour son industrie. Dès lors, en lui livrant cette marchandise, loin de lui causer le moindre préjudice, nous venons, au contraire, à son secours, nous lui accordons un avantage incontestable. Tels est le sens des paroles prononcées à la chambre des pairs par M. Périer, et j'espère que ces paroles ne paraîtront pas suspectes à la chambre.
Quant aux inexactitudes des valeurs dont vous a entretenus l'honorable M. Castiau, elles portent surtout sur les marchandises français importées en Belgique ; et ce n'est pas exagérer que porter le chiffre des valeurs importées chez nous à 25 p. c. au-dessus des déclarations officielles. Les fausses déclarations se font surtout pour les produits fabriqués. Ainsi au lieu de 46 millions on peut porter le chiffre de 1844 à 57 millions.
Messieurs, on vous a aussi beaucoup prôné le système libéral dans lequel on prétend que l'Angleterre est entrée. Je ne partage pas à cet égard l'opinion de l'honorable M. Castiau.
L'Angleterre n'est entrée dans le système libéral qu'autant que ses intérêts l'exigeaient. Les droits différentiels existent en Angleterre dans toute leur rigueur, sans aucune mitigation. Maintenant, pour ce qui regarde le tarif des douanes proprement dit, il a été modifié à la vérité, mais l'Angleterre avait intérêt à la modifier. En effet, il y avait des prohibitions absurdes, des droits tellement élevés qu'ils offraient une prime exorbitante à la fraude ; par conséquent, la fraude s'opérait au détriment de l'industrie anglaise.
J'ai sous les yeux le nouveau tarif anglais, imprimé pour 1848 ; je ne puis pas vous le citer ici ; mais tout à l'heure j'aurai l'honneur d'appeler l'attention de la chambre sur certains articles spéciaux de ce tarif qui se rapportent à l'objet dont nous avons à nous occuper aujourd'hui. Vous verrez par ces exemples qu'en général le tarif est échelonné de manière à établir des droits vraiment protecteurs pour une foule de marchandises manufacturées ; ces droits sont calculés de telle sorte qu'ils rendent difficile, si ce n'est impossible, la concurrence étrangère là où l'Angleterre a intérêt à éviter cette concurrence.
L'Angleterre proclame la liberté en matière d'industrie linière, d'industrie cotonnière ; mais qui ne sait qu'il n'existe au monde aucune nation qui puisse espérer de lutter avec elle sur ce terrain ? Mais quand il s'agit de l'industrie de la soie, par exemple, quand il s'agit de tout ce qui est travail à la main, alors l'Angleterre admis dans son tarif des droits gradués de 10 à 25 p. c. ; ce sont de véritables droits protecteurs, des droits d'autant plus efficaces qu'ils sont plus sagement combinés.
C'est tout ce que nous demandons ici ; nous ne demandons pas de droits prohibitifs ; nous ne demandons que des droits raisonnables qui puissent protéger l'industrie ; nous repoussons les droits excessifs, parce que nous les croyons contraires à l'intérêt de l'industrie, en ce qu'elles provoquent à la fraude.
Messieurs, ce n'est pas sans intention que je me suis étendu un peu sur ces considérations parce que dans l'objet qui est réellement en discussion, il s'agit surtout d'apporter des modifications au tarif des douanes dans le sens du régime protecteur, et ces modifications sont plus ou moins contraires aux introductions françaises. Ce n'est donc pas sans raison que j'ai cité quelques paroles prononcées à la chambre des pairs de France, relativement au régime de douane qui existe entre ce pays et la nôtre.
Dans une séance précédente, notre attention a été fixée sur le projet en discussion. Il s'agit de ratifier un arrêté qui a été porté sous la date du 29 juillet 1845. Il s'agit aussi d'apporter quelques nouvelles modifications aux tarifs des douanes, notamment en ce qui concerne les soies à coudre. J'ai dit, dans une séance précédente, que cet objet me paraissait d'une certaine importance, non pas seulement en lui-même, mais aussi et surtout à cause du principe auquel il se rattache, principe de la protection en matière de douane.
Si le projet de loi a soulevé une discussion générale, c'est qu'on a compris la portée du principe qui est engagé dans la question. C'est à ce point de vue que j'ai eu l'honneur de dire précédemment que l'objet était assez important. Je crois aussi que l'objet n'est pas insignifiant en lui-même, puisqu'il s'agit, entre autres, d'établir un droit très raisonnable pour une industrie qui occupe en ce moment 1,000 à 1,100 ménages à Anvers et dans la Flandre occidentale.
Déjà, messieurs, à plusieurs reprises, dans les sessions précédentes, les industries intéressées dans la question se sont adressées à la chambre par pétitions, à l'effet de demander une protection un peu plus forte en faveur de leur industrie ; trois ou quatre industriels d'Anvers et un industriel de la Flandre occidentale vous ont présenté des pétitions à ce sujet, pétitions qui ont été favorablement accueillies par la chambre ; qui ont été discutées par la commission d'industrie ; il en est résulté un projet de loi présenté par l'ancien cabinet, qui a été renvoyé à la même commission d'industrie et auquel cette commission s'est ralliée à l'unanimité.
Messieurs, je regrette infiniment que le ministère ne soit pas d'accord avec nous sur cette question ; je le regrette d'autant plus qu'il s'agit d'un principe qui, selon moi, est d'une haute importance dans l'état actuel de nos relations avec les pays étrangers ; état qui ne nous permet pas, selon moi, de procéder à des dégrèvements de tarif, quand les autres nations ne font qu'élever leurs tarifs respectifs. Il s'agit aussi de la question des Flandres dans cette affaire ; car cette industrie existe déjà dans la Flandre occidentale où elle ne demande qu'à se développer. Quelques modifications sages et raisonnables au tarif des douanes sur les soies contribueront à faire atteindre ce but. Dans les environs de Courtray un grand nombre de ménages vivent de cette industrie. Cette industrie introduite depuis quelques années pourrait se développer sur une échelle plus considérable, et donner du travail à ceux qui en manquent par suite de la décadence de l'industrie linière.
C’est sous ce rapport aussi que je trouve que la question est importante (page 761) et mérite toute notre attention. Il s'agit de conserver un travail existant qui intéresse quatre à cinq mille personnes tant dans la province d'Anvers que dans la Flandre occidentale et qui va depuis quelques années en diminuant, car il est reconnu que le nombre des ouvriers a diminué par suite de la concurrence qui nous a été faite par les pays étrangers, qui ont de grandes facilités naturelles pour l'exploitation de cette industrie ; ces facilités proviennent du climat pour l'éducation des vers à soie, de la priorité de la réputation acquise depuis des siècles et des nombreux capitaux placés dans cette industrie à l'étranger.
Contre toutes ces causes réunies, ces puissants moyens qui sont entre les mains de nos rivaux, il est impossible de soutenir la concurrence, à moins d'avoir une protection un peu plus large que celle qui existe ou plutôt qui n'existe pas ; car la protection actuelle est réduite à un droit de balance. Que demandent les industriels, en question ? Une légère protection, une protection suffisante pour pouvoir équilibrer les avantages que possèdent la France et quelques autres nations dans cette industrie.
Je regrette de devoir combattre les propositions qui vous ont été présentées par M. le ministre des affaires étrangères dans cette occasion, notamment celle d'effacer la protection que proposait le projet et qui avait été admise à l'unanimité par la commission d'industrie pour s'en tenir simplement à l'ancien tarif, qui, je dois le dire, en fait de protection est tout à fait nul. Je dois ajouter qu'il y a des dégrèvements favorables à l'industrie, qui sont proposés par la commission auxquels l'ancien cabinet avait adhéré et auxquels le cabinet adhère également. Je l'en remercie, car c'est un avantage pour l'industrie, il s'agit de droits absurdes dont la loi de 1822 frappait à la sortie même certaines matières fabriquées.
Messieurs, les motifs que l'honorable ministre des affaires étrangères a allégués en faveur du maintien du tarif actuel sont les suivants. Il dit que dans la catégorie des fils de soie décreusés ou teints se trouvaient les trames et organsins qui sont des matières premières. Ceci est vrai ; il y a une légère augmentation sur la catégorie des soies écrues décreusées, marbrées, pour trames et organsins ; cette augmentation est portée à 1 fr. 50 par kilogramme ; c'est-à-dire que de 42 c. le droit est porté à 1 fr. 50 c.
Je ferai remarquer qu'ici nous ne différons pas en principe avec le ministère ; mais, quant à la quotité du droit, car M. le ministre des affaires étrangères admet lui-même une aggravation de droit pour les trames et organsins décreusés ou teints, en comparaison des trames et organsins, seulement moulinés. Ainsi M. le ministre admet le principe de la protection, en raison de l'augmentation de main-d'œuvre que la marchandise a subie. Seulement je dis : Nous différons ici, quant à la quantité du droit pour cette catégorie de soie, trames et organsins. Je reconnais que c'est une matière première.
J'ajouterai que je ne suis pas assez compétent pour combattre l'opinion du gouvernement sur ce point spécial. Je veux être impartial ; je crois que l'honorable M. Osy, qui prendra la parole tout à l'heure, sera plus à même de dire si l'augmentation proposée jusqu'à concurrence de 1 fr. 50 peut nuire à l'industrie du lissage.
Je parle ainsi parce que chez nous on ne fait pas le lissage et qu'il s’agit de trames et d'organsins nécessaires au tissage. Je ne sais jusqu'à quel point l'industrie peut avoir besoin de trames et d'organsins teints et décreusés venant de l'étranger. Cependant j'ai entendu dire qu'on était à même dans le pays de préparer les trames et les organsins à tous degrés, à l'exception du moulinage pour lequel nous ne possédons pas les instruments dans la même perfection que les pays étrangers ; mais quant au décreusage et à la teinture, je crois que cela peut se faire dans le pays en toute perfection et que sous ce rapport on peut se passer de l’étranger.
Mais, je le répète, je n'insiste pas sur ce point, parce que je me déclare en quelque sorte incompétent dans cette partie.
Il y a une partie plus importante, c'est pour ce qui regarde les soies désignées sous la catégorie : écrues et non décroisées ; toutes autres, pour lesquelles on propose un droit de 5 fr. par kilog., et pour les soies décreusées ou teintes ; toutes autres pour lesquelles on propose un droit de 6 fr. Ce sont, en d'autres termes, les soies à coudre et à broder, pour lesquelles on demande un droit de 5 fr. lorsqu'elles sont écrues, et de 6 fr. lorsqu'elles sont décreusées ou teintes.
Voilà donc la protection que l'on demande ; elle se réduit à 6 fr. 87 c. pour cent de la valeur, en fixant la valeur de 70 à 90 fr. ; soit en moyenne 80fr. La valeur officielle est plus considérable ; elle est de 110 fr. d'après le tarif belge, et de 95 fr. d'après le tarif français. Mais je ne veux rien exagérer. Je fixe la valeur à 80 fr. en moyenne. A ce taux, le droit serait, je le répète, de 6 fr. 87 c. p. c. J'appelle cela un droit protecteur très modéré.
Quelle objection fait M. le ministre des affaires étrangères ? Il dit : Le droit de 5 à 6 fr. par kilog, donnerait un grand appât à la fraude, pour un article facile à transporter, et qui, sous un faible volume, représente une grande valeur. C'est l'objection que l'on fait presque toujours quand une protection est demandée en faveur d'une industrie. Voyons si elle est bien fondée. D'abord, il n'est pas tout à fait exact de dire que, sous un petit volume facile à transporter, la soie représente une grande valeur. En ce qui concerne la fraude, la soie exige beaucoup de soin. D'ailleurs, il y a des marchandises beaucoup moins volumineuses relativement à leur valeur, qui sont plus imposées en Belgique et dans d'autres pays. Les. dentelles et les tulles sont sans doute des objets qui relativement à leur volume et leur poids présentent une plus grande valeur que les soies à coudre. Eh bien, quel est le tarif belge pour cet article ?
Le droit s'élève, en moyenne, à 10 p. c. Vous me direz peut-être que te
droit est trop élevé dans notre pays. J'en citerai d'autres.
Le droit est dans les Pays-Bas de 10 p. c. à la valeur, aux Etats-Unis, de 15 p. c. ; en Angleterre (depuis l'adoption de ce tarif qu'on trouve éminemment libéral), de 10 p. c. ; en France (d'après les réclamations même du commerce français,, parce que cette dentelle ne se fait plus dans ce pays), de 5 à 6 p. c. (c'est-à-dire qu'en France les dentelles payent le même droit que nous demandons pour les soies à coudre qui sont plus difficiles à frauder). La moyenne pour ces pays est de 10 à 11 p. c.
Nous ne prétendrons sans doute pas avoir plus de sagesse et d'expérience que tous ces pays industriels.
Les droits sur les soies à coudre établis dans les divers pays sont aussi en moyenne, plus élevés que ceux que nous proposons. Ils sont fixés comme suit : En Angleterre (d'après le nouveau tarif), 18 p. c. de la valeur ; en France, par navire français, 3 06 et par navire étranger et par terre, 5 30 (d'après le système des droits différentiels établi dans ce pays. Mais nous ne devons pas nous dissimuler qu'en raison du climat, de la réputation universelle dont jouit la France pour cette industrie et des capitaux considérables qui y sont engagés, ce pays a de grands avantages sur les autres, quant à la fabrication de la soie. Cependant le droit y est quadruple du droit qui existe actuellement en Belgique. Nous demandons seulement que le droit établi en France soit augmenté de moitié à peu près à raison de la différence de situation.) Les droits sur ces soies aux Etats-Unis sont 20 p. c. En moyenne environ 13 p. c.
Nous demandons moins de la moitié de la moyenne des droits admis chez ces nations. Ce n'est pas de la prohibition. Ce ne sont pas des droits exagérés, ce sont des droits raisonnables, des droits sagement et modestement protecteurs.
Messieurs, les industriels avaient demandé quelque chose de plus. Ils disaient que dans l'état actuel des choses et vu surtout les faits qui se sont présentés depuis quelques années de la part de la Suisse et de la part de la France, il fallait, pour soutenir la concurrence étrangère, un droit de 6 à 8 francs, Mais l'ancien cabinet n'a pas cru pouvoir admettre cette prétention. Il l'a réduite, comme cela arrive d'ordinaire, et au lieu d'une protection de 6 à 8 fr., il en a proposé une de 5 à 6 fr.
Il existe, messieurs, dans le projet une exception que je ne puis admettre, et j'aurai l'honneur de vous proposer un amendement à cet égard. Je vous demanderai la suppression de l'exemption stipulée en faveur de la France, du Zollverein et des Pays-Bas, exception que je crois telle qu'elle rendrait la mesure illusoire, comme l'a très bien fait remarquer dans une séance précédente l'honorable ministre de l'intérieur, lorsqu'il vous a dit qu'il ne différait que d'un fil de soie avec l'ancien cabinet.
Je ne rentrerai pas, messieurs, dans les explications qui ont été données par l'honorable M. Dechamps sur les circonstances qui ont amené la stipulation de cette exception. Je crois que ce serait superflu, d'autant plus qu'au fond il s'agit du principe.
Dans une séance précédente, l'honorable M. Osy avait demandé à M. le ministre des affaires étrangères s'il pensait que les traités qui existent entre la Belgique et les pays dont il s'agit étaient obstatifs à l'augmentation des droits sur les soies à coudre. Je crois qu'aucun obstacle ne peut exister de ce chef parce que dans les traités il ne s'agit nullement des soies à coudre, il s'agit seulement de soieries, de tissus de soie.
En faisant disparaître l'exception stipulée en faveur de ces trois pays, on obtiendrait une protection raisonnable pour l'industrie dont il s'agit.
Messieurs, j'ajouterai une réflexion en ce qui concerne les puissances en faveur desquelles l'exception a été proposée.
D'abord les Pays-Bas qui ne nous envoient guère de soies à coudre, sont désintéressés dans la question.
Quant aux autres puissances, je crois qu'il est temps de ne plus tant nous gêner à leur égard, lorsqu'on voit de quelle manière elles procèdent à l'égard delà Belgique, dès que leur intérêt le demande.
Ainsi vous savez les augmentations de tarif dont nous avons été lésés à plusieurs reprises de la part de la France, notamment en ce qui concerne les graines oléagineuses et d'autres articles. Nous savons à quelle aggravation de droit nous avons été assujettis par l'amendement Delespaul, puis quelles tracasseries nous ont été suscitées pour ce qui regarde les nuances des toiles.
Je citerai un autre exemple quant au fil, puisqu'il est question de fil. Je veux parler du fil de baliste ou du fil de mulquinerie. C'est un fait qui est peu connu, mais qui cependant est important.
La France, malgré le traité, fait payer des droits spéciaux sur le fil de mulquinerie ou le fil de batiste. Précédemment, il y avait un droit (page 762) différentiel pour ce fil, d'après la manipulation qu'il avait subie pour servir soit comme trame, soit comme chaîne. Le fil ourdi en chaîne payait plus que le fil ourdi en traîne. Ceux de nos industriels qui introduisent du fil de mulquinerie en France, y exportent particulièrement le fil ourdi en trame. Mais depuis quelque temps la France n'a plus admis la différence, elle a assujetti toutes les introductions au droit que l'on payait sur le fil ourdi en chaîne.
Il y a même eu à cet égard un procès avec un de nos principaux exportateurs (avec une compagnie qui a son siège principal dans la Flandre occidentale, et qui, pour le dire en passant, donne l'existence à 15 ou 14 000 fileuses, rien que pour ce fil qu'elle envoie en France). La douane lui a suscité des difficultés, lui a fait un procès, parce qu'on prétendait que le fil, bien qu'ourdi en trame, devait payer comme le fil ourdi en chaîne. Elle a obtenu gain de cause, mais à la condition de supporter à l'avenir l'aggravation des droits de payer comme si le fil était ourdi en chaîne.
Vous voyez, messieurs, comme la France nous traite. Vous voyez qu'elle ne fait pas grande difficulté, quand il s'agit de servir ses intérêts.
Quant au Zollverein, vous savez aussi comme il procède à notre égard. Vous savez quelles aggravations de droits il a imposées, l'année dernière, sur nos fils retors, sur les fils de coton et sur les fils de lin, aggravations telles que des maisons ont dû suspendre leurs travaux, que notamment une maison belge d'Alost, je crois, a cru devoir se transporter en Allemagne pour y faire l'article qu'elle faisait auparavant en Belgique.
Dernièrement une mesure a encore été prise par la Prusse à l'égard des houilles, mesure qui n'est certainement pas favorable à la Belgique.
Vous voyez donc que ces puissances ne gardent pas à l'égard de la Belgique les ménagements qu'on voudrait que nous gardions à leur égard. Je pense que nous ne devons pas nous gêner, alors surtout qu'il s'agit d'un droit qui, je dois le répéter, est loin d'être exorbitant, qui est très raisonnable, très minime. Il s'agit de savoir si nous ferons acte d'indépendance.
J'ajouterai que la chambre, en acquiesçant à la demande qui lui est faite par les industriels dont je prends ici la défense, fera chose très utile aux populations ouvrières dans la crise où nous nous trouvons, qu'elle viendra au secours des Flandres. Car, messieurs, la question flamande doit se résoudre, comme l'a si bien dit, dans une séance précédente, l'honorable ministre de l'intérieur, par l'introduction, par la multiplication du travail. C'est par l'extension du travail dans toutes les industries, dans l'industrie agricole, dans l'industrie manufacturière, dans l'industrie de la pèche même, que l'on doit, avec le temps, avec des sacrifices, avec de la patience, arriver à résoudre ce grave problème du paupérisme qui désole les Flandres. C'est par l'introduction d'industries nouvelles ; c'est en encourageant, en propageant les industries déjà existantes. Et l'industrie que j'ai eu l'honneur de défendre devant vous est, sinon tout à fait nouvelle dans les Flandres, du moins d'une date assez récente. Il n'y a qu'un petit nombre d'années qu'elle est établie dans la Flandre occidentale.
Dans l'état actuel des choses, elle est menacée de voir diminuer progressivement le nombre de ses ouvriers, comme déjà on l'a vu diminuer depuis quelques années, tandis, au contraire, que si vous acceptez la protection légère qui vous est demandée, les industriels vous déclarent qu'ils ont l'espoir le plus fondé, non seulement de pouvoir maintenir cette industrie sur le pied actuel ; mais même de pouvoir l'étendre, de pouvoir donner le pain et la vie à un plus grand nombre d'ouvriers.
Je sais bien, messieurs, que cette industrie, prise à elle seule, ne peut pas résoudre la grande question des Flandres ; mais si nous raisonnions ainsi nous ne pourrions jamais rien faire ; car je crois qu'il serait impossible d'introduire une industrie qui, à elle seule puisse combler une si immense lacune ;c'est par un grand nombre d'industries nouvelles que nous devons atteindre le but. Lorsque M. le ministre de l'intérieur a parlé de l'introduction de nouvelles industries dans les Flandres, il en a énuméré aussi plusieurs qui, prises chacune à part, n'auraient pas beaucoup d'importance ; cependant je crois que ces industries sont bonnes, qu'il faut les introduire.
Il a parlé du jardinage, de la broderie, du travail des chapeaux de paille ; je crois que toutes ces industries sont bonnes et je ne suis pas au nombre de ceux qui les repoussent parce qu'elles paraissent minimes ; je dis que si chacune d'elles est peu importante, à elle seule, c'est par leur réunion, par leur accumulation qu'on peut atteindre le grand but que nous avons en vue. Eh bien, messieurs, l'industrie de la soie, dont j'ai l'honneur de vous parler, entre aussi dans cette catégorie ; c'est une de ces industries au moyen desquelles nous devons chercher à diversifier le travail, à le multiplier afin de venir au secours des Flandres, de faire disparaître de ces provinces cette plaie, cette gangrène qui ronge le corps social, d'extirper ces terribles maladies qui ne proviennent que de la misère, du défaut de travail.
Cette industrie était déjà établie, elle concourra plus efficacement à nous faire atteindre le but, que l'introduction d'industries nouvelles, car vous n'ignorez pas, messieurs, que lorsqu'il s'agit d'industries nouvelles, il faut beaucoup de temps, il faut que l'industrie, plante nouvelle, prenne racine, s'acclimate, qu'elle ait le temps de se développer, il faut longtemps avant qu'elle ne porte des fruits ; mais une industrie déjà acclimatée, déjà développée, qui porte déjà ses fruits, n'a besoin que d'un peu de protection, d'un peu de soin pour étendre ses avantages aux populations au milieu desquelles elle est implantée. Ainsi vous atteindrez plus facilement et plus rapidement le but que vous avez en vue, en protégeant par une légère majoration de droits une industrie déjà existante, que vous ne pourriez le faire par l'introduction d'industries nouvelles, auxquelles cependant je serai toujours favorable parce que je les crois utiles en général. A cet égard je raisonne a majori et je dis : S'il est utile et nécessaire d'introduire de nouvelles industries dans les Flandres, il est encore plus utile et plus nécessaire d'encourager, de développer les industries qui existent déjà dans ces provinces ; et l'industrie dont je viens de prendre la défense est de ce nombre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, je crois que plusieurs des orateurs qui ont pris la parole dans ce débat, ont attaché une trop grande importance au projet de loi actuellement en discussion. Ce projet, en définitive, ne consacre aucune augmentation du tarif des douanes. Les augmentations qu'il s'agit de ratifier, celles qui sont dues à l'arrêté de juillet 1845, sont déjà en vigueur depuis deux ans et demi et la seule question qui puisse être débattue un peu sérieusement, c'est celle qui vient d'être traitée par l'honorable préopinant.
M. Castiau. - Et la question de légalité ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Je dirai quelques mots de cette question.
Je ne pense pas que la chambre veuille que je suive d'honorables préopinants sur le terrain où ils sont se placés, c'est-à-dire, que j'entame une discussion sur le système commercial qui doit régir la Belgique ou sur la convention conclue, il y a deux ans, avec la France. Je me bornerai à répondre à l'honorable M. Castiau que je ne doute pas, quant à moi, qu'il appartienne, en l'absence des chambres, au gouvernement de prendre des arrêtés pour l'élévation des droits sur la production étrangère, et cela en vertu de la loi de 1822. Je pense qu'il n'y a rien là de contraire à la Constitution. C’est en vertu d'une loi que le gouvernement use de ce droit, et par conséquent il reste dans les termes de la Constitution. En second lieu, messieurs, des arrêtés de cette nature, pris par le gouvernement, doivent être soumis à la ratification de la législature. C'est précisément ce que nous faisons en ce moment.
L'arrêté qu'il s'agit de ratifier est moins important que les deux arrêtés antérieurs du 14 juillet 1843 et du 13 octobre 1844 qui ont été cités par l'honorable préopinant. Ces derniers ont déjà reçu la ratification des chambres.
Quant à l'arrêté du 29 juillet 1845, il ne concerne que des objets d'une importance médiocre. Il n'y a réellement que la question des soies qui puisse donner lieu à quelque discussion. Le projet contient même des dispositions qui sont tout à fait conformes aux principes de l'honorable M. Castiau, puisqu'elles consacrent des réductions de droits. Ces dispositions sont les plus nombreuses. Il y a ensuite quelques rectifications qui n'ont qu'une très faible importance.
Je ne crois donc pas, messieurs, pouvoir, à l'occasion de ce projet de loi, entrer dans la discussion du système commercial, d'autant plus que le cabinet a déjà fait connaître ses principes sur ce point dans son programme du 12 août.
Quant à la convention du 13 décembre 1845, elle a été approuvée après des débats qui ont duré pendant plusieurs séances dans cette enceinte ; elle ne doit expirer qu'en 1852. Je ne sais donc pas ce qu'on pourrait attendre d'une discussion sur les résultats de cette convention qui, du reste, je dois le reconnaître, n'ont pas répondu à toutes les espérances qu'elle avait fait naître. Il y a vraiment une décroissance très grande dans nos importations en France de fils et tissus de lin.
Quoi qu'il en soit, messieurs, cette convention n'expire que le 10 août 1852, et dès lors, il n'y aurait aucune espèce d'intérêt à soulever maintenant un débat sur les avantages ou les inconvénients qu'elle peut présenter. En second lieu, comme l'a fort bien dit M. Castiau, je ne sais pas quelle espèce de conclusion l'on pourrait tirer du discours de l'honorable M. Eloy de Burdinne. Ce n'est pas la rupture de nos relations avec la France qui pourrait avoir un résultat utile quelconque. Je crois, au contraire, que le maintien des meilleures relations avec la France est du plus haut intérêt pour notre industrie.
J'arrive maintenant à la question qui a été spécialement traitée par l'honorable M. de Haerne.
Messieurs, je pense que, quelle que soit l'opinion qu'on peut avoir sur la liberté commerciale, quand il s'agit d'élever des droits qui ont pour but de protéger une industrie, il faut d'abord sérieusement examiner si ces droits sont nécessaires, s'ils peuvent être utiles à cette industrie, s'ils ne présentent pas même des dangers pour nos relations commerciales.
Eh bien, je crois qu'il ne me sera pas difficile de démontrer qu'il n'y a ni nécessité, ni même utilité à élever les droits à l'entrée des soies à coudre.
L'industrie dont il s'agit est-elle en souffrance ? Examinons les faits, ils nous prouveront que cette industrie est en voie de progrès.
Il y a dix ans, l'exportation des soies à coudre ne s'élevait qu'à 1,124 kil., et maintenant l'exportation s'élève à 4,000 kil. ; ainsi en dix ans, l'exportation a quadruplé. Voilà certes un fait important qui n'annonce pas que cette industrie est en voie de décadence ; c'est, au contraire, une preuve manifeste du progrès qu'elle a accompli.
En second lieu, si nous examinons les réponses qui ont été faites à la commission d'enquête parlementaire, qui avait été instituée pour rechercher les causes du malaise de l'industrie, nous voyons encore qu'en (page 763) 1830, le seul industriel qui dans les Flandres s'occupe de cette industrie, a répondu que cette industrie n'avait aucune importance, et il n’a réclamé aucun droit protecteur.
Voici la réponse de cet industriel :
« D. La fabrication des fils de soie est-elle considérable ?
« R. Elle n'a pas d'importance. »
M. de Haerne. - Elle n'avait pas d'importance à cette époque.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Elle n'avait pas d'importance à cette époque, dit M. de Haerne, mais depuis elle n'a pas eu de droits plus protecteurs, et elle est devenue cependant importante ; c'est sous le régime douanier actuel qu'elle a grandi ; par conséquent, elle n'a pas besoin de droits plus élevés.
Dans le rapport que l'honorable M. Zoude a présenté en 1844, sur les résultats de l'enquête parlementaire, il s'exprime dans le même sens. Voici ce qu'il dit :
« Soieries. - Il s'est informé en Belgique, notamment près de Gand et de Bruxelles, des établissements producteurs de soie dont le gouvernement a stimulé la création au moyen de primes d'encouragement.
« La fabrication des fils retors et tissés est peu considérable ; c'est à Anvers qu'on s'en occupe principalement, et quelque peu à Courtray, mais pour les fils seulement.
« La matière première venant en grande partie de France, des Indes et de l'Archipel, nos industriels se sont plaints de ce que le tarif des droits de douane frappe cette matière première à l'importation tandis que, par une autre infraction au système protecteur, les tissus payent un droit à la sortie ; il en est de même des déchets qui constituent quelquefois une perte très onéreuse pour les fabricants belges ; et comment supporter cette perte, disent-ils, s'ils doivent payer à la sortie de ces déchets un droit de 3 p. c. à la valeur ?
« Ce droit leur est encore onéreux en ce qu'il les empêche de se défaire sur les marchés voisins de la matière première qui ne leur convient pas. »
Ainsi, en 1844, les industriels réclamaient une diminution ou l'abolition des droits à la sortie, réclamaient la diminution des droits d'entrée sur la matière première ; mais ils ne demandaient nullement une augmentation des droits d'entrée sur les fils de soie.
En 1847, à l'occasion de la présentation du projet de loi, dont nous nous occupons, on se contentait de la disposition qui figure dans le projet, et cependant, comme nous l'avons déjà démontré, cette protection était complètement insignifiante ; elle n'atteignait, en réalité, que quelques centaines de kilogrammes ; néanmoins, je le répète, à l'époque de la présentation du projet, c'est-à-dire il y a moins d'un an, les industriels dont il s'agit se contentaient de cette protection qui ne frappait réellement que les soies de la Suisse ; on consentait sans peine à l'exception établie en faveur de la France, du Zollverein et des Pays-Bas.
Si je ne me trompe, il y a quinze jours à peine qu'on ne réclamait pas encore davantage ; il y a quinze jours, dans un entretien qui a eu lieu avec le directeur du commerce intérieur, on ne manifestait pas encore l'intention de demander la suppression du paragraphe qui concerne le Zollverein et la France. Aujourd'hui, l'honorable M. de Haerne, jugeant naturellement que le projet de nos honorables prédécesseurs n'apporte aucune modification réelle à l'état actuel des choses, propose à la chambre de ne plus exempter la France ni le Zollverein.
Voilà donc une industrie qui, en 1840, ne réclame pas de droits protecteurs ; qui déclare elle-même à la commission d'enquête parlementaire qu'elle est peu importante ; qui, avec une faible protection, grandit ; qui augmente considérablement ses exportations, et qui jouit des trois quarts du marché intérieur ; et cependant c'est cette industrie qui demande aujourd'hui une augmentation de droits protecteurs.
D'ailleurs, il est à remarquer que le projet de loi en discussion améliorera déjà la situation de cette industrie, parce qu'il diminue les droits d'entrée sur la matière première.
Maintenant supposons que l'amendement de l'honorable M. Dechamps soit adopté, en résultera-t-il de grands avantages pour l'industrie dont il s'agit ? Il est permis d'en douter.
L'honorable M. de Haerne croit que la fraude ne viendra pas remplacer le déficit, en quelque sorte, de l'industrie étrangère dans les importations en Belgique ; mais quand on sait comment la fraude est organisée sur nos frontières, combien il est aisé d'introduire dans le pays le produit dont il s'agit, on ne peut se dissimuler que la fraude remplacerait ce qui n'entrerait pas en acquittant les droits.
D'après l'amendement, le droit serait porté à 6 fr. par kilogramme.
Eh bien, on conçoit parfaitement la facilité de faire un paquet de 10 kilog. et de lui faire passer la frontière. Cela ferait donc un bénéfice de 60 fr. En supposant que le fraudeur n'en ait que la moitié, il réaliserait ainsi facilement un bénéfice de 30 fr. Il est évident que les industriels du pays ne retireraient aucun avantage de l'augmentation que l'on propose. Aussi pourquoi sur cette matière a-t-on toujours eu des droits très faibles ? Précisément à cause de la facilité extrême qu'elle offre à la fraude. C'est qu'on savait parfaitement bien que ces droits protecteurs ne protégeraient rien.
En France, où l'on ne se fait pas faute de droits protecteurs, dans la France qu'on peut regarder comme la terre classique du régime prohibitif, le droit n'est que de 3 fr. 06, tandis qu'on nous demande un droit de 6 fr. ; et dans le Zollverein, le droit est encore moins élevé que celui qui existe dans notre tarif. Il n'est que de 82 centimes par kilog. Quant à l'Angleterre, les renseignements qui m'avaient été fournis sont tout à fait différents de ceux de l'honorable M. de Haerne ; mais comme il les a produits d'après le tarif, je ne puis rien décider à cet égard. Cependant je pense que les droits sont très faibles, nuls même sur une certaine catégorie de fils de soie.
M. de Haerne. - Sur les trames et organsins, c'est exact.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Une autre question est soulevée par l'amendement de M. de Haerne. Il supprime l'exception que l'ancien cabinet, d'accord avec les industriels du pays, avait insérée en faveur de la France et du Zollverein. Messieurs, on ne peut pas contester que l'industrie de la soie est un des plus grands intérêts commerciaux de la France.
Le traité conclu en décembre 1845 a eu pour objet de favoriser deux des plus grands produits de la France, le vin et la soie. Or voici ce que disait le cabinet précédent en ce qui concerne les soies dans la note à l'appui du projet de loi, page 31.
« Du reste l'ensemble des articles compris dans la tarification nouvelle, se liant étroitement aux tissus de soie, pour lesquels, en vertu de convention de commerce, la France et le Zollverein jouissent d'un régime différentiel de tarif en Belgique, il a paru convenable de ne pas étendre les augmentations de tarif du projet aux soies originaires de ce pays. »
Voilà ce que le cabinet précédent disait en mars 1847. Maintenant, quelque fait nouveau est-il venu changer la situation ? La France a-t-elle pris depuis lors quelque mesure qui nous soit hostile ? Non ; la situation est la même qu'au mois de mars 1847, et à cette époque l'honorable membre ne s'opposait pas à l'exception indiquée dans le projet de loi.
M. de Haerne. - J'ai dit en quoi les circonstances étaient changées.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Quant à moi, je suis persuadé que la mesure dont il s'agit fournirait des arguments à la France à l'égard de la Belgique, et serait considérée comme un grief ; or, quand cela n'aurait pour résultat que de fournir des arguments ou si vous voulez des prétextes au gouvernement et aux chambres françaises contre nous, nous devrions nous garder d'adopter la proposition de l'honorable M. de Haerne.
Si on ne voulait plus tenir compte de ces considérations, si on voulait entrer dans une voie de représailles vis-à-vis de la France, ou nous affranchir de tout ménagement douanier vis-à-vis d'elle et vis-à-vis du Zollverein, ce ne serait pas pour un objet aussi peu important qu'on devrait commencer ; ce ne serait pas pour les fils de soie à coudre que nous devrions prendre cette position ; il y a des intérêts plus importants que celui dont il s'agit qui réclament ; c'est de ceux-là qu'il faudrait s'occuper, si on voulait se lancer dans le système qu'on indique.
Enfin, messieurs, la soie à coudre est aussi une matière première. Vous avez une industrie importante, plus importante que celle des fils de soie, c'est le tissage de la soie, c'est la passementerie ; les fils de soie à coudre sont la matière première de ces industries. Voilà une considération qui milite encore en faveur du maintien des droits actuels. Toutes ces considérations nous ont donc porté à demander ce maintien. Je crois qu'on agira sagement en adoptant cette proposition et qu'on commettrait une imprudence en adoptant l'amendement de M. de Haerne.
M. Osy. - Je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères de vouloir bien nous donner une note des importations de soie à coudre en 1846 et 1847, car M. Dechamps a dit que la Suisse seule en avait importé jusqu'en 1845, mais il paraît que depuis lors c'est la France qui nous en a fourni le plus. Le tableau joint au projet ne nous indiquant que les importations jusqu'à 1845, je le prie de nous faire connaître celles qui ont été effectuées depuis.
Puisque j'ai la parole, je répondrai au discours spirituel et très peu pratique de M. Castiau, et en même temps à celui de M. Eloy de Burdinne. Si je n'avais que le commerce à défendre, je serais facilement d'accord avec l'honorable M. Castiau ; mais nous sommes dans un pays où la consommation n'est pas très considérable, entouré d'autres pays dont les tarifs protecteurs sont plus forts que les nôtres, et je crois que ce serait une grande duperie d'entrer les premiers dans la voie qu'on nous indique. Je n'y donnerai pas la main avant que nos voisins ne nous ouvrent leurs barrières ; quand ils le feront je ne serai pas le dernier à vous demander l'abolition de beaucoup de droits protecteurs.
Quant à moi, j'ai pour système que toutes les industries doivent être protégées, mais le moins possible avec un tarif élevé, parce qu'avec un tarif élevé l'industrie reste stationnaire, on ne sort pas de l'ancienne ornière, on ne prend pas les perfectionnements qui sont introduits à l'étranger.
Avant 1830, notre industrie cotonnière était protégée d'un droit de 25 p. c. dans les colonies. Quand nous avons perdu cette protection, nous avons vu combien notre industrie était restée en arrière des pays qui ne l'avaient pas. Depuis que nous n'avons plus un marché privilégié, cette industrie a fait de grands progrès ; ils seraient plus considérables encore, si notre marché était plus grand, si nous avions un débouché plus considérable.
L'honorable M. Castiau a critiqué l'ancien ministère qui a présenté un projet de loi qui n'en valait presque pas la peine. Je reconnais, avec cet honorable membre, que l'arrêté de 1845 ne valait pas la peine d'être publié ; car il ne contient aucun article important ; mais le projet de loi (page 764) dont nous nous occupons contient des articles très importants. Celui dont a parlé l'honorable M. de Haerne est importé en quantités représentant une valeur de 4 à 5 cent mille francs. Cela vaut bien la peine qu'on s'en occupe.
L'honorable M. Castiau a critiqué la modification relative au café torréfié. Je conviens que cela n'a pas une très grande importance. Cependant les députés des Flandres se sont plaints de ce que le café brûlé arrivait en masse de la Flandre zélandaise. Je crois qu'il vaut mieux recevoir du café brûlé que du café non-brûlé. Les honorables députés des Flandres demandent un tarif différentiel pour le café qui vient des colonies et le café brûlé qui vient de la Hollande. Je ne trouve pas cela ridicule. Je trouve tout naturel que le café brûlé paye 30 p. c. de plus. J'approuve donc cette augmentation.
Le caoutchouc qui a donné lieu à une modification, qu'a également critiquée l'honorable membre, est un article très important, un objet de grande consommation. J'approuve également ce changement. Je m'expliquerai sur les autres modifications dans la discussion sur les articles.
L'honorable M. Castiau a dit qu'il est inconstitutionnel de prendre des arrêtés en vertu de la loi de 1822. Je ne trouve pas cela inconstitutionnel. La loi de 1822 n'est pas abrogée ; si l'on veut en proposer la révision, nous nous en occuperons. En attendant, le gouvernement a le droit de faire des changements dans l'intervalle des sessions, sauf à proposer aux chambres, aussitôt leur rentrée, de convertir ces arrêtés en lois.
L'honorable M. Castiau a encore critiqué un arrêté d'assimilation. Mais c'est nous qui par une loi avons autorisé le gouvernement à porter de tels arrêtés, parce qu'il y avait beaucoup d'objets qui, n'étant pas prévus au tarif, donnaient lieu à de grandes difficultés. C'est sur les réclamations de l'industrie et du commerce qu'on a fait des arrêtés d'assimilation pour des articles qui autrefois n'étaient pas dans le commerce, et qui s'y trouvent aujourd'hui. Le gouvernement a présenté un projet de loi pour convertir en loi cet arrêté d'assimilation. J'en demande la mise à l'ordre du jour. C'est une affaire très importante. C'est un sujet continuel de difficultés avec la douane.
Si je n'avais qu'à plaider pour le commerce, je n'aurais rien à redire au projet de loi. Mais nous devons prendre souci de toutes les industries car nous sommes les députés de toute la nation. Je crois que beaucoup d'industries ont besoin d'être protégées.
Pour les soies à coudre et à broder dont a parlé l'honorable M. de Haerne, il n'y a qu'un simple droit de balance (84 c. par kil.), moins d'un pour cent puisque le kilog. de soie vaut de 90 à 100 fr. Ainsi que l'a dit l'honorable M. Dechamps, l'importation a augmenté et beaucoup de localités s'occupent de cette fabrication. Il fallait donc une protection ; celle de 5 à 6 p. c. qui est proposée est aussi modérée que possible.
Pour les fils de lin, vous avez, par suite de la convention avec la France, un droit de plus de 50 p. c. Vous avez été obligés d'adopter le tarif français. Voilà un droit qui est non pas protecteur, mais prohibitif. Je ne veux pas de prohibition. Je veux seulement de la protection.
Pour moi, je n'ai pas beaucoup approuvé la convention avec la France, parce que j'étais persuadé que ce serait, pour la Belgique, une véritable duperie ; Les chiffres cités par l'honorable M. Eloy de Burdinne sont exacts ; il y a une réduction dans nos exportations en France de 50 p. c. sur les fils de lin. et de 30 p. c. sur les toiles. Avant 1852, le marché français nous échappera entièrement. Non seulement notre convention avec la France nous coûte 1,500,000 francs par an ; mais par suite de la dernière convention qui est beaucoup plus défavorable que la précédente, l'industrie des laines est complètement perdue. Ce que j'avais prévu est arrivé. Ce marché nous échappe.
Aujourd'hui, il s'agit d'un droit léger sur un article dont on a besoin pour différentes industries. Le gouvernement veut exempter de cette petite augmentation la France et le Zollverein. Mais les fils à coudre et à broder ne sont pas des soieries. Nous pouvons donc n'exempter ni la France, ni le Zollverein.
Je ne veux pas d'un simple droit de balance sur un objet dont nous n'avons pas besoin. Un droit de 5 à 6 p. c. est très modéré. Quand je l'aurai examiné, je l'appuierai (sauf mes réserves pour les chiffres), mais à la condition qu'aucune nation ne sera exemptée. Cette exemption serait ridicule ; car il n'y a que la France d'où nous recevons ces fils.
De manière qu'il est inutile d'augmenter les droits, si vous faites une exception en faveur des nations qui nous importent le produit que vous frappez.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Je fournirai demain à la chambre les renseignements que m'a demandés l'honorable M. Osy.
M. Malou. - Messieurs, je connais peu de questions plus graves que les questions de tarif de douanes dans un pays industriel, où les populations sont agglomérées et où nous devons désirer de voir tous les moyens de travail se multiplier. Je traiterai donc cette question en peu de mots, mais d'une manière sérieuse, en répondant au discours de l'honorable M. Castiau, qui ne l'était pas dans la forme, vous avez pu en juger, ni au fond, vous en jugerez tantôt.
Les tarifs existant en Belgique, créés en grande partie depuis 1830, sont fondés sur le système d'une protection modérée pour l'industrie. Le gouvernement et les chambres ont réalisé cette œuvre pendant les dix-sept dernières années.
Je conçois que l'honorable M. Castiau ; partisan de la doctrine du libre-échange, n'admette pas ce système. Cependant pour le juger, il faut se reporter aux effets qu'il a produits dans le pays, et je dis qu'en étudiant les faits, ce système reçoit une justification complète.
Le projet de loi en discussion mérite d'autant moins les critiques que l'honorable M. Castiau lui a adressées, que ce projet n'est nullement un pas de plus fait vers le système prohibitif. En examinant en détail les motifs qu'a donnés le gouvernement à côté de chaque disposition, on peut se convaincre que les augmentations de droits sont l'exception, tandis que les diminutions, les atténuations de tarif sont en quelque sorte la règle et s'appliquent aux articles les plus importants.
Ce projet est en partie la conséquence d'un arrêté qui n'a pas été pris par le cabinet précédent, mais qui porte la date de la veille de la formation du cabinet dont j'ai eu l'honneur de faire partie, c'est-à-dire du 29 juillet 1845. Mais lorsqu'il s'est agi de soumettre cet arrêté aux chambres, nous avons pensé qu'à côté des mesures qui y étaient contenues, il était utile, au point de vue de plusieurs de nos industries, d'ajouter d'autres dispositions qui pour la plupart tendent à régulariser le tarif, à faire disparaître des anomalies qu'il contenait.
Le projet a une importance réelle. Les articles café, caoutchouc, cuirs et peaux, cuivre, fils, laine, livres, machines et mécaniques, objets d'art, produits chimiques, soies, sont les principaux objets de l'article premier. Vous reconnaîtrez sans doute que ces industries, prises dans leur ensemble, méritent toute la sollicitude du gouvernement et des chambres.
Je ne m'arrêterai pas, messieurs, à la question de légalité. Le gouvernement a fait plusieurs fois usage des pouvoirs que lui donne la loi de 1822, et ces pouvoirs lui ont été reconnus par les chambres, notamment lorsqu'elles ont sanctionné les deux premiers arrêtés, les deux premières applications de la loi de 1822. Ce fait est mentionné dans l'exposé des motifs.
Les dispositions de l'article premier du projet contiennent pour la plupart des réductions de droits dans l'intérêt de l'industrie et dans l'intérêt des beaux-arts. Il peut être facile d'égayer la chambre en parlant avec esprit de momies, de vieilles armures ou d'autres objets de cette nature. Mais lorsqu'on consulte la rubrique du tarif, on justifie aisément les dispositions du projet sur ce point. Notre tarif était conçu de telle manière que les exportations d'objets d'art, rares, précieux, pouvaient se faire à un très faible droit, tandis que les importations de ces objets étaient très onéreuses. Assurément, dans un pays comme le nôtre, il fallait faciliter, favoriser l'introduction des objets d'art, rares, curieux, qui peuvent être utiles aux arts. Tel est le but d'une disposition du projet.
La même observation s'applique à la tarification des livres.
Le tarif hollandais portait pour les livres un droit uniforme très élevé d'après le poids des livres sans distinction de date ni d'origine. On conçoit que pour les livres neufs et en langue moderne, qui s'introduisent comme objets de commerce, il est nécessaire de maintenir un droit élevé. Mais il y avait dans notre législation une contradiction ; car en accordant d'une part un encouragement aux belles-lettres, elle frappait d'autre part d'un droit exorbitant, et en quelque sorte prohibitif, les livres rares, anciens, curieux, qui sont les instruments du travail intellectuel.
Qu'avons-nous fait ? Nous avons réduit à un droit très faible la tarification pour les livres anciens, et nous avons laissé subsister le tarif antérieur pour les livres qui pouvaient former l'objet d'un commerce, qui peuvent venir faire concurrence à notre industrie et à notre commerce de librairie.
Une anomalie se présentait aussi dans la tarification du cuivre, qui est évidemment l'objet d'une industrie importante. Le cuivre brut, matière première d'une de nos industries, était frappé d'un droit assez élevé. Nous l'avons encore une fois réduit pour favoriser cette industrie.
Je ne m'arrêterai pas aux autres points de détails, je tiens seulement à faire ressortir, dans la discussion générale, quelle a été la pensée-mère, l'esprit du projet.
Ce projet contient encore deux dispositions.
L'article 2 établit des réductions de droits de sortie. Je pense que cet article ne méritait pas non plus les critiques de l’honorable M. Castiau.
Enfin l'article 3 contient une mesure commerciale qui était vivement réclamée depuis longtemps, une réduction de la tare. C'est encore une mesure libérale.
Je n'ajouterai qu'un mot quant à la délégation du pouvoir législatif accordé au gouvernement pour l'assimilation de certaines marchandises.
Ainsi que vous le disait tout à l'heure l'honorable M. Osy, cette délégation a été faite pour faciliter les rapports du commerce avec la douane et pour que l'application de notre tarif fût plus juste. Si j'ai bon souvenir, cette disposition a été prise dans les derniers temps où je me trouvais au ministère, et la loi qui concerne la publication d'un tarif officiel accorde au gouvernement un assez long délai pour présenter aux chambres le projet de loi destiné à la régulariser.
Contrairement à l'opinion de l'honorable M. Osy, je pense qu'il est utile au commerce et à l'industrie que le gouvernement ne se hâte pas trop de nous soumettre ce projet de loi. Il est évident en effet que l'expérience même qui sera faite de l'arrêté d'assimilation peut être utilement consultée pour rédiger le projet définitif.
- La séance est levée à 5 heures.