(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 549) M. de Villegas procède à l'appel nominal à midi et un quart.
M. T’Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. de Villegas présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Le sieur Legras demande une réduction de prix sur le transport des engrais par le chemin de fer. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.
« Plusieurs habitants de Wercken et de Zarren demandent la reconstruction du pont le Baersdam sur le canal de Handzaeme.»
- Même décision.
« Plusieurs habitants de Baugnies prient la chambre de rejeter le projet de loi relatif au droit de succession. »
« Même demande de plusieurs habitants de Zolder et de Zonhoven. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet.
« Les commissaires de police de Peruwelz et de Leuze, demandent un supplément de traitement pour les fonctions de ministère public qu'ils remplissent près le tribunal de simple police de leur canton. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.
« La chambre des avoués près le tribunal de première instance de Verviers prie la chambre de s'occuper du projet de loi qui apporte des modifications aux tarifs en matière civile. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet.
« Le sieur Friderichs, artiste à Anvers, demande que sa femme, détenue préventivement, soit mise en liberté. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Coppé, auditeur militaire de la province d'Anvers, demande que son traitement, qui a été réduit par la loi du 19 février 1834, soit rétabli à son chiffre primitif. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.
« Le sieur François-Bernard-Henri Oldenhoven, consul de Sa Majesté le roi de Hanovre à Bruxelles, né à Anrich (Hanovre), qui, en 1826, a obtenu du gouvernement des Pays-Bas des lettres patentes d'indigénat, demande la grande naturalisation avec exemption des droits d'enregistrement. »
- Renvoi au ministre de la justice.
Par dépêche en date du 17 janvier, M. le ministre des finances adresse à la chambre des explications sur la réclamation de la dame veuve Bartels, à Anvers, contre la perception de droits de douane et d'accise. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
M. le ministre de l’intérieur adresse à la chambre un exemplaire du cinquième volume des Annales des universités de Belgique.
- Dépôt à la bibliothèque.
Par dépêche en date du 17 janvier, M. le ministre des finances adresse à la chambre le compte spécial de toutes les opérations relatives à la négociation des bons du trésor pendant l'année 1846.
- Ce document sera imprimé et distribué.
M. Vanden Eynde, retenu chez lui par une indisposition, s'excuse de ne pouvoir assister aux séances de la chambre.
- Pris pour information.
Les sections de janvier se sont constitués ainsi qu'il suit :
Première section
Président : M. de Terbecq
Vice-président : M. de T’Serclaes
Secrétaire : M. Broquet-Goblet
Rapporteur de pétitions : M. A. Dubus
Deuxième section
Président : M. de Bonne
Vice-président : M. Bricourt
Secrétaire : M. Van Cleemputte
Rapporteur de pétitions : M. Biebuyck
Troisième section
Président : M. Le Hon
Vice-président : M. Dubus (aîné)
Secrétaire : M. Scheyven
Rapporteur de pétitions : M. Tielemans
Quatrième section
Président : M. Raikem
Vice-président : M. de Foere
Secrétaire : M. de Liedekerke
Rapporteur de pétitions : M. Huveners
Cinquième section
Président : M. Lys
Vice-président : M. Loos
Secrétaire : M. Lesoinne
Rapporteur de pétitions : M. Tremouroux
Sixième section
Président : M. Mercier
Vice-président : M. Osy
Secrétaire : M. David
Rapporteur de pétitions : M. Zoude
M. Lys. - Le budget des cultes est ce qu'il était l'année dernière, il ne peut présenter que peu ou point de variations. Cependant, messieurs, il est deux articles de ce budget que nous voudrions voir spécialiser, comme tout le reste.
On porte à l'archevêché 4,600 francs pour frais de tournées et de secrétariat, et à chacun des évêchés on porte 4,200 francs pour le même objet ; enfin on alloue une somme globale de 8,000 fr. pour le personnel des séminaires. Sans aucun doute ces sommes sont destinées à faire face à des besoins réels ; mais pourquoi ne détermine-t-on pas le traitement des secrétaires. Pourquoi faut-il que la rétribution des secrétaires soit confondue avec les frais de tournée, lorsque des secrétaires d'évêché peuvent cependant avoir éventuellement des droits à la pension ? Pourquoi ne fait-on pas connaître le traitement accordé à chacun des professeurs des séminaires ? On indique au budget le traitement individuel accordé à tous les autres fonctionnaires ecclésiastiques, et je ne comprends pas pourquoi cette même règle n'est pas appliquée aux secrétaires et aux professeurs des séminaires. Je livre ce point à l'appréciation de l'honorable ministre de la justice.
J'arrive maintenant, messieurs, à un point réellement essentiel. On conteste à l'Etat le droit d'exiger les comptes des séminaires ; on le lui conteste, sous le prétexte que ce serait porter atteinte à l'indépendance du clergé ; on le lui conteste, sous le prétexte que ce serait en quelque sorte entreprendre sur les matières religieuses. En vérité, messieurs, cette prétention serait incroyable, si nous n'avions par devers-nous un document qui atteste que sérieusement on entend former cette prétention exorbitante.
Que sont donc les séminaires constitués dans nos divers diocèses ? Ce sont des établissements qui, destinés à former des prêtres, ont reçu de l'autorité publique le caractère de personne civile. Les séminaires ont donc une existence, une vie, qu'ils tiennent du pouvoir politique : les séminaires ne doivent et ne peuvent, par suite, se mouvoir, que dans le cercle que la loi civile leur a tracé et conformément à ses prescriptions.
Or, à part tout texte de loi, ne serait-ce pas une absurdité que d'avoir, dans un Etat, des établissements qui jouiraient de tous les avantages de la vie civile, et qui cependant seraient en dehors de la surveillance et du contrôle du gouvernement ? Personne n'osera contester, sans doute, que tout établissement public doit être nécessairement et inévitablement soumis à la surveillance de l'Etat. S'il en était autrement, il y aurait dans l'Etat un pouvoir créé par la loi, protégé par elle, et qui cependant serait en dehors des atteintes du gouvernement ; en d'autres termes, il y aurait, ou tout au moins il pourrait y avoir, anarchie, lutte, déchirement. C'est ce qui ne peut pas être.
D'ailleurs, à qui les séminaires et les autres établissements ecclésiastiques doivent-ils la vie civile ? Ils doivent le bienfait de cette existence privilégiée aux lois de l'Etat. Ce que la toute-puissance de la loi a pu faire en faveur des séminaires, la toute-puissance de la loi peut également le défaire ; cela est incontestable.
Que l'on ne vienne donc pas crier à l'injustice, quand le législateur de nos jours se montre plein de respect pour tout ce qui repose sur la loi ; que l'on n'accuse donc pas le gouvernement de violer la loi, quand le gouvernement, quand la législature pourraient et devraient même décréter les dispositions contenues dans le décret du 6 novembre 1813 si ces dispositions n’avaient pas existé.
Il importe peu, messieurs, que l'Etat accorde ou n'accorde pas des subsides ; le gouvernement a le droit d'exiger les comptes de tous les établissements publics ; il a le droit de connaître leur situation ; il a le droit de vérifier quelle est la destination que l'on donne aux revenus des établissements publics ; c'est là un attribut essentiel de la puissance publique.
En quoi y aurait-il atteinte portée à l'indépendance du clergé et des (page 550) évêques, par la production des comptes des séminaires ? Quoi ! le spirituel se confond-il à tel point avec le temporel, qu'il ne soit pas possible de séparer l'un de l'autre ? Fixer le traitement d'un évêque, d'un curé, ce serait donc s'immiscer dans l'exercice de la puissance spirituelle ! L'Etat devrait apparemment se borner à demander ce que le clergé exige pour sa rétribution, et accorder sans autre examen la rétribution demandée ! C'est là, messieurs, la conséquence forcée de la théorie que nous combattons. Il faut, messieurs, le proclamer hautement : il n’y a pas entreprise sur le spirituel, parce que l'Etat surveille l'administration des biens des établissements religieux, parce que l'Etat demande compte de l'emploi des biens que ces établissements doivent à la munificence du pays.
Si les séminaires n'étaient pas des personnes civiles, s’ils ne constituaient pas des établissements publics, sans aucun doute, messieurs, le gouvernement ne pourrait pas demander compte de l'emploi des revenus de ces établissements. Mais il ne s'agit pas ici de séminaires existants en dehors de la loi ; il s'agit, au contraire, de séminaires dotés par l'Etat, et gratifiés par lui des avantages de la personnalité civile ; et l'on osera soutenir sérieusement, parce que MM. Delius et de Lottum, commissaires spéciaux des puissances alliées, ont déclaré que toutes les affaires ecclésiastiques resteront entre les mains des autorités spirituelles, qu'il s'ensuit que tout ce qui concerne l'administration et la gestion des biens affectés au culte échappe à la surveillance et à la direction de l'Etat ? En vérité, messieurs, cela est inouï et incroyable. A-t-on jamais confondu les questions spirituelles avec les affaires temporelles des cultes ? Consacrer la liberté de conscience, est-ce remettre aux chefs des ministres d'un culte la libre disposition des biens affectés à ce culte ? Pourquoi admettre encore l'intervention du pouvoir civil dans les affaires des fabriques des églises paroissiales et cathédrales, si l'indépendance religieuse est en jeu, quand il s'agit du mode d'administration des biens consacrés au culte ? Comment se fait-il que l'on ne proteste pas contre le décret du 30 décembre 1809, qui attribue au gouverneur la nomination d'une partie des membres des conseils de fabriques ? Qui sait si peut-être on n'en viendra pas bientôt jusque-là ? Arrière, messieurs, cette accusation, que le gouvernement entreprend sur l'indépendance du clergé, sur les affaires religieuses, parce que le gouvernement veut voir clair dans l'administration des biens des séminaires diocésains! Le gouvernement n'a fait que poser, à cet égard, un acte très légitime, et rentrant entièrement et complètement dans son droit et dans ses devoirs.
Il est donc démontré que, même en l'absence d'un texte de loi, le gouvernement a le droit d'exiger les comptes des établissements publics. Ainsi croule tout l'échafaudage de l'argumentation que nous repoussons.
Le gouvernement ne puise pas seulement son droit dans les principes généraux de la haute tutelle qui lui appartient sur tous les établissements publics ; il se trouve encore écrit dans le décret du 6 novembre 1813. Aussi soutient-on que ce décret a été abrogé de fait et de droit, par les événements de 1814 et de 1830. En quoi donc ce décret du 6 novembre 1813 est-il contraire à la liberté religieuse et à l'indépendance dont le clergé doit jouir en matière religieuse ? Le décret se borne à régler les formes de l'administration des biens appartenant aux cures, aux menses épiscopales, aux chapitres et aux séminaires : en quoi, et sous quels rapports, des dispositions sur l'administration du temporel peuvent-elles blesser la liberté de conscience, et l'action du clergé dans l'exercice du pouvoir religieux ? Personne, à coup sûr, ne pourra jamais comprendre qu'il y a violation de la liberté de conscience, qu'il y a immixtion dans l'exercice du culte, parce que le décret de 1813 donne au gouvernement le droit de surveiller l'administration des biens formant la dotation des séminaires.
La prétention soulevée maintenant en Belgique n'est qu'une nouvelle édition de la prétention formée en France par l'évêque de Moulins. Le gouvernement si religieux de la restauration a insisté à plusieurs reprises pour l'exécution du décret du 6 novembre 1813 ; mais, quand après 1830, le gouvernement français voulut sérieusement exiger l'obéissance à la loi, il se trouva quatre évêques qui résistèrent et parmi eux l'évêque de Moulins qui adressa au roi Louis-Philippe un mémoire qui a été déféré au conseil d'Etat par la voie d'appel comme d'abus ; et le conseil d'Etat, par ordonnance du 4 mars 1835, s'est exprimé comme suit :
« En ce qui concerne l'exécution du décret du 6 novembre 1813, auquel l'évêque de Moulins refuse de se conformer.
« Considérant que les séminaires, quoique placés comme établissements religieux sous l'administration immédiate des évêques, sont soumis, comme tous les établissements publics dont ils font partie, à la haute tutelle du gouvernement et à sa surveillance, de même qu'ils jouissent de sa protection ;
« Que le gouvernement a, non seulement le droit, mais le devoir de prescrire les mesures nécessaires pour la conservation des biens de ces établissements, pour la garantie de leur gestion, de fixer les règles de leur comptabilité et de tenir la main à l'exécution de ces mesures et de ces règles ;
« Considérant que le décret du 6 novembre 1813 est un règlement d'administration publique, rendu en vertu des lois de l'Etat ; qu'il a toute l'autorité de ces lois elles-mêmes ; qu'il n'a jamais cessé d'être en vigueur, et qu'il ne renferme que les dispositions nécessaires pour assurer une comptabilité régulière des biens des séminaires, analogue à celle qui a été établie pour les fabriques par le décret du 30 décembre 1809. »
Est-il besoin d'ajouter, après les raisons données par le conseil d'Etat de France, qu'une loi ne cesse d'être loi, que lorsqu'elle est rapportée soit par un texte formel, soit une loi postérieure qui, sans prononcer formellement l'abrogation contient une disposition contraire à la précédente ? Or, il n'y a pas de texte qui ail abrogé soit formellement, soit par contrariété de dispositions, le texte du décret du 6 novembre 1813. Ce décret est donc encore loi de l'Etat, et comme telle, il doit recevoir une complète et entière obéissance. Le gouvernement n'a donc fait qu'user de son droit, en demandant et en exigeant les comptes des séminaires.
Que l'on cesse donc de lui faire un reproche de ce qu'il a voulu l'exécution de la loi ; le gouvernement n'a pas voulu mettre les administrations des séminaires en état de suspicion, le gouvernement agit par des considérations d'un ordre plus élevé ; le gouvernement a voulu que la loi ne fût pas une lettre morte ; il a voulu que les précautions prescrites par la loi pour la conservation de la fortune des établissements religieux ne fussent pas illusoires ; il a voulu que la dotation de ces établissements fût assurée contre les éventualités d'une mauvaise administration, et dans tout cela, le gouvernement n'a fait que remplir un devoir, d'autant plus rigoureux, que si, par malheur, la dotation des séminaires était anéantie par une mauvaise gestion, on verrait de toute part surgir des réclamations pour que le gouvernement vînt au secours des établissements religieux hors d'état de faire face à leurs besoins.
Félicitons, messieurs, le gouvernement, de ce qu'il a commandé l'exécution des dispositions contenues dans le décret si sage du 6 novembre 1813 : il n'y a rien de si dangereux pour un pays constitutionnel, que de voir le règne des lois suspendu, quand il s'agit d'établissements dont les chefs ont par leur caractère une grande influence. Le gouvernement encourt dans ces cas le reproche fondé d'être faible, pusillanime, et mieux vaudrait prononcer l'abrogation de la loi, plutôt que de la laisser envisager comme une lettre morte, sans valeur aucune.
Soyons, messieurs, sans inquiétude ; la nation sait déjà que le gouvernement ne défend que les prérogatives légitimes du pouvoir public, qu'il ne veut pas entreprendre sur les matières qui sont du domaine de la conscience et de la religion. Qu'importent après cela quelques clameurs ? La raison publique fera justice de ces réclamations et s'étonnera à bon droit que l'on veuille cacher des comptes qui, s'ils sont justes, ne doivent pas redouter le grand jour.
Maintenant, messieurs, qu'il est démontré que le gouvernement n'a fait que poser, à l'égard des séminaires, un acte commandé impérieusement par la loi, espérons que l'on sera assez sage pour ne plus soutenir devant la nation, devant ses représentants, que la loi écrite n'est plus loi parce qu'elle gêne, et tout cela sous prétexte de liberté de conscience, comme si la religion était intéressée à ce qu'on ne vît pas clair dans les comptes des établissements religieux. Je m'arrête ici : j'ai peut-être abusé des moments de la chambre, pour prouver une chose qui ne peut pas former l'ombre d'un doute ; mais vous m'excuserez, messieurs, parce qu'il importe que chacun sache qu'il y a égalité devant la loi, et que nul, si haut placé qu'il soit, ne peut se mettre au-dessus de ses commandements.
M. Van Cutsem. - Messieurs, les dépenses de nos différents départements ministériels augmentent chaque année ; en 1847 l'administration de la justice a coûté environ huit cent mille francs de moins qu'elle ne coûtera en 1848, et cependant dans une grande partie du pays les contributions de toute nature, au lieu de pouvoir subir une augmentation, devraient être réduites à cause des souffrances de certaines branches du commerce et de la perte pour ainsi dire totale de quelques-unes de nos industries.
Que faire toutefois, quand les hommes qui sont à la tête de l'administration du pays nous démontrent que les augmentations qu'ils sollicitent sont impérieusement requises pour faire face aux besoins d'une bonne administration ? Que faire quand la justice distributive exige que tout travail reçoive un salaire proportionné à son utilité, si ce n'est de voter les crédits pétitionnes, sauf à rechercher, pour y faire face, des impôts équitables, des impôts qui pèsent sur la classe aisée et non sur le petit contribuable, l'ouvrier et le prolétaire ?
Le chiffre du budget de la justice de 1848, quoique supérieur à celui de l'année 1847, me paraît donc, à moi, susceptible de fort peu de réductions. Seulement, j'aurais voulu que l'honorable ministre de la justice, en tenant compte du surcroît de besogne qui incombe aux employés de l'administration centrale, pour leur donner des traitements en rapport avec leurs occupations, fût sorti de ses bureaux pour voir si, ailleurs que là, il n'y avait pas d'autres fonctionnaires dignes de sa sollicitude, dignes de voir augmenter leurs traitements.
L'honorable ministre de la justice réclame à son budget une augmentation de crédit de 14,550 fr. pour les employés et fonctionnaires de l'administration centrale, parce que le travail y est augmenté, parce que la correspondance d'entrée et de sortie s'y est considérablement accrue ; rien de mieux ; mais, pour que cette augmentation fût parfaitement juste et équitable, il conviendrait d'accorder aux autres fonctionnaires, qui font également partie du département de la justice, les avantages que M. le ministre demande pour les employés de l'administration centrale.
C'est ainsi qu'il y aurait lieu d'accorder à MM. les procureurs généraux, à MM. les procureurs du roi, qui chaque jour voient augmenter d'une manière considérable les travaux matériels de leur administration par des demandes de toute nature et surtout par celles qui concernent (page 551) la statistique, des sommes qui leur permissent de rétribuer mieux leurs commis et d'en augmenter le nombre.
Ce que je viens de dire n'a trait qu'à la bureaucratie de l'administration de la justice ; mais si je sors de là pour m'occuper de la magistrature proprement dite, je vois que ses travaux augmentent d'une manière considérable dans certains arrondissements judiciaires sans que le gouvernement songe à leur donner une position en rapport avec les services qu'elle rend.
Pour ne parler, en ce qui concerne la magistrature, que des faits qui me sont le mieux connus, je vous dirai que le tribunal de l'arrondissement qui m'a envoyé dans cette enceinte voit chaque année augmenter son travail sans que l'administration supérieure songe à augmenter son personnel, soit en lui donnant, comme on l'a déjà fait pour les autres tribunaux, un juge de plus, soit en l'élevant d'une classe.
Le tribunal de Courtray avait, en 1830, alors qu'on lui soumettait annuellement 350 affaires criminelles et correctionnelles, un personnel d'un président et de trois juges ; en 1847, lorsque 2,0S5 affaires ont été inscrites sur la notice des crimes et délits, son personnel est resté le même.
J'attire l'attention de M. le ministre de la justice sur cette donnée statistique, pour qu'il fasse, dans pareille occurrence, ce que la justice distributive réclame pour le tribunal de l'arrondissement de Courtray.
M'appuyant encore sur le principe admis par M. le ministre de la justice que toute peine a droit à un salaire en rapport avec le service rendu à l'Etat, je lui demanderai de faire rétribuer les commissaires de police comme officiers du ministère public pour les tribunaux de simple police qui, jusqu'aujourd'hui, ne reçoivent aucun salaire pour la besogne qu'ils font de ce chef.
Je prierai aussi M. le ministre de la justice de s'occuper le plus tôt possible de la révision de nos tarifs en matière criminelle et civile ; les tarifs de 1807 et de 1811 ne donnent plus aux avoués, aux huissiers, aux médecins légistes et autres personnes employées par la justice, une rétribution en rapport avec les services rendus et avec la valeur actuelle de l'argent ; en faisant un pareil travail, l'honorable ministre prouverait que sa sollicitude pour ceux à la tête desquels il est placé, va au-delà de l’horizon de ses travaux.
Lorsque M. le ministre de la justice s'occupera de la révision de nos tarifs, je me promets de lui recommander de ne pas perdre de vue les taxes payées aux témoins ; ces taxes peuvent subir une diminution notable dans certaines circonstances. En effet, le témoin qui vient aujourd'hui d'Anvers à Courtray reçoit encore une indemnité comme s'il avait besoin de faire, pour son transport, les frais qu'il avait à supporter avant la construction des chemins de fer, comme s'il devait perdre le même temps, tandis que les frais de voyage ont baissé de cent pour cent, et que la perte du temps a diminué de deux cents pour cent.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, l'honorable préopinant a prétendu que le budget du département de la justice présentait, cette année, une augmentation de 6 à 700,000 fr. C'est une erreur. Le budget de 1847 était de 11,980,395 francs ; mais la loi du 25 décembre dernier y a ajouté une somme de 1,171,600 francs de crédits supplémentaires à l'administration des prisons, au Moniteur et pour frais de justice : de sorte qu'en réunissant ces crédits supplémentaires au crédit du budget primitif, nous avons une somme de 13,151,995 francs. Or, le budget actuellement en discussion, avec les majorations admises par la section centrale, n'est que de 12,756,845 francs ; donc, 395,150 francs en moins sur le budget précédent. Ainsi, il est inexact de dire que le budget de cette année présente 6 à 700,000 francs d'augmentation ; car, je dois le déclarer, les crédits qui sont portés au projet de budget pour 1848, sont tels, qu'à moins d'événements extraordinaires et que nous ne pouvons prévoir, des crédits supplémentaires ne seront plus nécessaires.
L'honorable M. Van Cutsem a parlé de la majoration du créait pour les frais de l'administration centrale du département de la justice. Cette majoration est le résultat de la mise à exécution de l'arrêté organique du 21 novembre 1846, qui est intervenu sous mon honorable prédécesseur. La chambre elle-même, à diverses reprises, a insisté pour que les administrations centrales des départements ministériels fussent organisées par des arrêtés royaux. Il a été satisfait à ce désir de la chambre pour la plupart des ministères.
Mais, messieurs, pour faire cet arrêté, il a fallu nécessairement embrasser tous les besoins du service qui depuis longtemps au département de la justice surtout est en souffrance, à cause de l'insuffisance du personnel. Pour ne citer qu'un seul exemple, je dirai que les travaux si importants de la statistique sont extrêmement arriérés, parce que les employés actuels ne peuvent pas la tenir au courant, malgré le travail le plus assidu. Il a été calculé que l'augmentation considérable du chiffre des affaires nécessitait la nomination de six employés nouveaux. Le traitement minimum de ces six employés est de 7,600 fr. d'après les dispositions de l'arrêté, et le maximum est de 9,800 fr. L'arrêté organique a créé ces six employés nouveaux, sans autre augmentation que celle de 2,150 fr. ; mais il faut y ajouter la dépense résultant de l'impossibilité de porter atteinte à la position des fonctionnaires actuels qui ont des traitements surpassant le maximum fixé par l'arrêté. Car si cet arrêté pouvait être mis immédiatement à exécution dans toutes ses parties, en ce sens que l'administration serait immédiatement composée d'employés nouveaux, le personnel serait augmentée de six employés, et la majoration de dépense ne serait augmenté que de 2,150 fr. La somme demandée en plus aujourd'hui n'est donc qu'une charge extraordinaire et temporaire résultant de l'impossibilité où l'on serait de réduire les traitements des employés actuels qui dépassent le maximum fixé par l'arrêté.
Vous savez que c'est un principe d'humanité et de justice qui a toujours été suivi jusqu'ici de continuer aux fonctionnaires en exercice le traitement qui leur avait été alloué par la loi, quand le traitement affecté à leurs fonctions vient à être supprimé ou réduit.
Je le répète donc, cette aggravation est temporaire, et elle trouvera sa compensation dans la réduction des gros traitements au fur et à mesure des vacatures. Dans l'arrêté, les traitements ont été calculés de manière que ce sont les gros traitements qui sont réduits, et que les petits employés, au contraire, obtiennent une amélioration de position.
Si on compare les traitements des employés de l'administration du département de la justice avec ceux des autres ministères, on verra que c'est le département où les traitements sont établis avec le plus d'économie.
L'honorable M. Van Cutsem a appelé l'attention du gouvernement sur les commissaires de police qui remplissent auprès des tribunaux de simple police les fonctions de ministère public. Cette question a été soulevée à diverses reprises et la chambre a pensé, si je ne me trompe, qu'il ne leur était dû de ce chef aucune augmentation de traitement.
M. Van Cutsem. - Il n'y a pas eu de résolution.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Sans doute, il n'y a pas eu de résolution prise, mais des propositions ont été faites, et je ne pense pas qu'elles aient jamais trouvé d'accueil dans cette chambre.
Les commissaires de police sont payés par les communes ; ce ne sont pas des officiers du ministère public proprement dits, quoiqu'ils en remplissent les fonctions près des tribunaux de simple police ; ils n'ont jamais eu d'appointements sur le budget de la justice.
L'honorable M. Van Cutsem a parlé aussi des huissiers et des avoués ; il n'a pas donné de développements à son observation. Il a sans doute voulu appeler l'attention du gouvernement sur la convenance de préparer la révision des tarifs des frais en matière civile et en matière criminelle.
En matière civile, la chambre est saisie d'un projet de loi ; je désire qu'elle puisse s'en occuper sans retard. Je reconnais qu'il y a urgence de changer, d'améliorer ce qui existe.
On s'occupe aussi de la révision du tarif des frais en matière criminelle. Mais je dois le dire, et l'honorable M. Van Cutsem l'a fait pressentir, la révision de ce tarif occasionnera nécessairement une augmentation des frais de justice ; car il y aura augmentation de plusieurs taxes reconnues insuffisantes.
J'indiquerai entre autres la taxe des experts, des médecins, des officiers de santé, appelés près des tribunaux et des cours d'assises, qui à chaque instant refusent en quelque sorte le service, parce qu'ils ne sont pas suffisamment rétribués.
Quant à l'observation faite par l'honorable M. Van Cutsem, concernant la taxe des témoins, je reconnais avec lui que depuis l'établissement des chemins de fer, il y a lieu de modifier le tarif et que les témoins qui peuvent profiter du chemin de fer pour leur transport, ne doivent plus recevoir une taxe aussi élevée qu'autrefois.
Sous ce rapport, il y a peut-être des économies à faire. Cette observation fixera nécessairement l'attention du gouvernement.
(page 558) M. Verhaegen. - Je ne me proposais pas de prendre la parole dans la discussion générale. Je comptais réserver les observations que j'ai à présenter à la chambre pour le chapitre spécial qu'elles concernent. Mais puisque la question a été soulevée, il importe de terminer la discussion sur ce point ; ce sera même gagner du temps.
J'ai entendu hier, notamment dans le discours de l'honorable M. d'Anethan, des propositions que je ne puis admettre et contre lesquelles je dois protester. Il y a d'ailleurs, dans un document qui nous a été distribué récemment, des opinions que je crois subversives de nos institutions ; et que je suis également obligé de combattre.
Je m'étonne qu'on revienne toujours à cette idée dominante que déjà plus d'une fois j'ai combattue, à savoir qu'indépendamment du pouvoir civil, il y aurait encore dans l'Etat un autre pouvoir, un pouvoir spirituel. Je pense, messieurs,, .que nous n'avons à reconnaître qu’un seul pouvoir, et pour mon compte, je n'en reconnais qu'un seul ; je reconnais le pouvoir civil, l'autorité civile ; je ne reconnais ni un pouvoir spirituel, ni une autorité spirituelle.
Je reconnais un clergé, un clergé catholique comme un clergé protestant, comme un clergé israélite. La Constitution accorde à ce clergé et je lui accorde avec la Constitution des droits, des immunités même. Mais ces droits, ces immunités ont pour corollaires certaines obligations auxquelles le clergé, quoi qu'on fasse, ne peut pas échapper.
Messieurs, quelques orateurs sont allés jusqu'à prétendre que le pouvoir ecclésiastique est un pouvoir indépendant ; ce qui veut dire qu'il subsiste par lui-même, qu'il n'est soumis à aucune loi et qu'il est complètement indépendant du pouvoir civil. C'est là, qu'il me soit permis de le dire, la conséquence de ces aberrations, de cette confusion que l'on voudrait faire naitre au sujet d'un pouvoir imaginaire que la Constitution ne reconnaît pas. Car la Constitution ne reconnaît d'autres pouvoirs que ceux qui émanent de la nation.
Messieurs, quel que soit le respect que vous portiez tous au clergé catholique, vous ne pouvez cependant pas lui accorder ce que la Constitution lui refuse.
Je le dis donc de nouveau, je l'ai dit souvent et je le répéterai souvent, il n'y a qu'un pouvoir dans l'Etat, c'est le pouvoir civil, et tout relève du pouvoir civil.
D'après la Constitution, le clergé jouit aujourd'hui de beaucoup de libertés, et personne ne songe à les lui ravir ; mais à côté de ces libertés, à côté de ces droits, se trouvent des obligations auxquelles en vain il voudrait se soustraire.
Messieurs, ne confondons pas la situation actuelle du clergé avec sa situation d'autrefois. Autrefois, le clergé constituait un ordre dans l'Etat, un ordre à part ayant des biens, des droits, des immunités même.
La révolution française abolit toute, distinction d'ordres et proclama l'égalité de tous devant la loi. Dès lors le clergé cessa d'exister comme corps politique, ses biens forçât nationalisés et ses membres, quelles que fussent leurs fonctions et dignités, ne furent plus considérés que comme individus libres de continuer le ministère auquel ils s'étaient consacrés, mais soumis à la loi commune et placés au même rang que les autres citoyens.
Quoique le clergé comme ordre ait été aboli, la dénomination de clergé est restée en usage pour désigner le personnel des cultes. Il y a le clergé catholique, le clergé protestant, israélite, etc.
La position des ministres du culte, depuis la suppression de leur ordre, était entièrement neuve. Dès lors il fallut pourvoir à leur entretien, régler leur rapports avec l'Etat, organiser un régime qui mit le cierge en harmonie avec le système général de 1789. Ce fut l'objet de la loi du 12 juillet 1790 connue sous le nom de constitution du clergé.
Le clergé ne voulut pas accepter le rôle qu'on lui avait assigné, car il espérait recouvrer bientôt ses anciens droits, ses anciens privilèges. Nous ne parlerons pas des efforts qu'il fit pour ressaisir sa position ni des persécutions qui furent la suite de sa résistance. Il suffit de remarquer que d'excès en excès la Convention alla jusqu'à décréter, le 3 ventôse an III, que la république ne salarierait plus aucune religion et que la loi ne reconnaîtrait plus aucun ministre du culte.
Après bien des épreuves qui furent désastreuses pour le clergé, et lorsque le sort politique de la France parut entièrement consolidé entre les mains du premier consul, une convention fut passée, le 28 messidor an ix, entre le pape et le gouvernement français, convention qui rétablit l'exercice du culte catholique. C'est là le concordat dont on vous a parlé, et dont on voudrait bien admettre quelques dispositions, tout en rejetant les autres.
Cette convention a été suivie d'une loi organique du 18 germinal an X, qui fixa définitivement non seulement le régime de l'Eglise catholique, mais encore le régime de l'Eglise protestante.
Quelques années après, deux décrets du 18 mars 1808 ont pareillement réglé tout ce qui concerne les ministres du culte hébraïque.
Cet état de choses, sauf quelques modifications peu importantes, a subsisté pendant toute la durée du gouvernement des-Pays-Bas.
Mais lors de la révolution qui a séparé la Belgique de la Hollande, un arrêté du gouvernement provisoire, en date du 16 octobre 1830, abrogea toutes les lois générales et particulières qui entravaient le libre exercice des cultes, et assujettissaient leurs ministres à des formalités contraires à leur conscience ; et quelques mois après, le congrès national fixa constitutionnellement le sort du clergé par les articles 14, 15 16 et 117 du pacte fondamental.
Ainsi la nomination, l'installation et la révocation des ministres du culte n'appartiennent désormais qu'au clergé supérieur d'après les règles du droit canonique, et nous n'avons par conséquent pas à nous en occuper. Mais ce serait une erreur que de conclure des articles 16 et 117 de la Constitution que l'Etat doit salarier ou pensionner tous les individus auxquels le haut clergé trouverait bon de conférer la prêtrise ou des fonctions ecclésiastiques. (Le clergé n'est pas indépendant, il a certaines libertés, certains droits, rien de plus). Le congrès national n'a voulu salarier pour chaque culte que le nombre de ministres réclamés par les besoins religieux de la population, et c'est la législature qu'il a fait juge de ces besoins, puisque c'est elle qu'il a chargée de porter annuellement au budget les sommes nécessaires pour y faire face.
(page 559) Le pouvoir civil, le seul reconnu dans l'Etat, doit donc intervenir dans la circonscription des paroisses et des évêchés, en tant qu'il doit en résulter des traitements à payer sur le trésor public.
Lorsque les ministres des cultes jouissent d'une pleine liberté lorsqu'il s'agit de l'exercice de leurs fonctions spirituelles, ils ont comme individus vis-à-vis de l’Etat les mêmes obligations «t les mêmes droits que les autres citoyens, et entre autres ils restent soumis à toutes les mesures de police que l'autorité civile juge à propos de prendre relativement aux intérêts temporels du culte et même relativement aux formalités extrinsèques de son exercice.
Ce principe est général, mais la nature des fonctions religieuses, leur incompatibilité avec certains actes de la vie politique et civile, l’assiduité qu'elles exigent ont nécessité quelques exceptions qu'il suffira d'indiquer sans entrer dans des détails.
La loi du 8 janvier 1817 les exempte du service militaire.
La loi du 31 décembre 1830 les exempte du service de juré.
La loi du 30 avril 1836 déclare leurs fonctions incompatibles avec celles de membres de la députation permanente des conseils provinciaux.
La loi du 30 mars 1830 les déclare également incompatibles avec les fonctions de bourgmestre et d'échevins.
Sous tous les autres rapports, les ministres du culte sont soumis à la loi commune.
Quant à la nomination, à l'installation et à la révocation des ministres du culte, l'Etat n'y intervient point, je l'admets ; mais est-ce à dire que les nominations, les révocations ne doivent pas se faire d'après certaines règles, d'après les règles constitutives même du culte catholique, comme pour le cube protestant, d'après les règles constitutives du culte protestant, comme pour les autres cultes, d'après les règles constitutives de ces cultes ? Les lois que nous avons sont suffisantes et, d'après moi, il n'en faut pas d'autres pour que chacun reste à sa place, use de ses droits set soit soumis aux obligations corrélatives à ces droits.
Un ministre du culte est nommé ; il est nommé par le clergé supérieur, dans l'ordre de la hiérarchie, et nous n'avons pas à nous mêler de cette nomination ; mais cependant elle devra être faite, d'après certaines règles, d'après les règles du concile de Trente qui a été publié, dans notre pays, avec certaines réserves dans l'intérêt du gouvernement, des provinces et des communes, et qui forme la loi constitutive du clergé. Pour rendre mon idée plus saillante, je citerai un exemple : aux termes du concile de Trente, les évêques doivent être régnicoles, âgés de 30 ans ; ils doivent connaître la langue en usage dans le diocèse à la tête duquel ils sont placés, ils doivent être de bonnes mœurs, etc. Eh bien, messieurs, je suppose que, contrairement au concile de Trente, on nomme un évêque étranger, le gouvernement sera- t-il tenu de payer aveuglément le traitement attaché à ces fonctions ?
Un membre. - Il y en a un.
M. Verhaegen. - S'il y en a un c'est un abus, peu m'importe ; je traite la question en principe. Encore une fois, le gouvernement sera-t-il obligé de payer le traitement ? Le gouvernement n'a pas le droit d'intervenir dans la nomination, je le répète de nouveau, mais il faut cependant que la nomination se fasse conformément au prescrit des lois canoniques, et c'est là la question que mon honorable ami M. de Bonne a traitée dans les précédentes sessions et qu'il a encore traitée dans la séance d'hier. Je n'appelle pas cela traiter une question théologique ; j'appelle cela traiter une question de droit public, de droit constitutionnel.
Nous n'entrons pour rien dans les formes intrinsèques du culte ; si nous voulions le faire, nous dépasserions la limite, je suis le premier à le proclamer ; mais tout en assurant au clergé des droits et des prérogatives, nous devons cependant exiger qu'il reconnaisse de son côté qu'il y a dans ses propres constitutions des limites que lui aussi ne peut pas dépasser. Ainsi, par exemple, si un curé primaire, au lieu d'être nommé par l’évêque diocésain, était nommé par un autre membre du haut clergé, je suppose par un évêque in partibus, le gouvernement serait-il obligé de lui payer un traitement et n'y aurait-il pas lieu à examiner si la nomination a eu lieu conformément aux lois constitutives de l'Eglise catholique ?
Je reconnais le culte catholique et j'admets son libre exercice. Je suis obligé, je le reconnais encore, de payer les ministres de ce culte. Je n'interviens point dans les nominations, dans les révocations de ces ministres, je respecte à tous égards la disposition de l'article 16 de la Constitution, mais à son tour le clergé doit respecter sa propre constitution, et entre autres le concile de Trente, qui, publié dans nos provinces, détermine ses obligations.
Voilà tout le système de mon honorable ami M. de Bonne, et je ne trouve pas que cette thèse soit si exorbitante qu'on a bien voulu le soutenir.
Messieurs, on vous a parlé des desservants. L'honorable M. d'Anethan prétend, lui, qu'il n'y a qu'une espèce de desservants. Je crois que l'honorable M. de Bonne a prouvé suffisamment qu'il y en a de trois espèces ; je pourrais même dire qu'il y a encore une espèce de plus. En effet, messieurs, si je ne me trompe, il y a des anciens desservants, des desservants nommés depuis plusieurs années ; il y en a d'autres qui ont été nommés récemment ; eh bien, pour ces derniers, si je ne me trompe encore, lorsqu'ils ont reçu leur nomination, on a ajouté, comme condition de cette nomination, qu'ils renonçaient aux avantages qui leur étaient accordés par le concile de Trente, qu'ils se soumettaient à la révocation ad nutum de l'évêque.
Ce n'est là, messieurs, qu'une différence ostensible, car au fond il n'en existe aucune ; en effet, un curé se serait soumis à la révocation ad nutum de l'évêque, aurait renoncé aux avantages que lui accordaient les lois canoniques, ce serait là une condition contraire à la loi constitutionnelle, radicalement nulle.
Mais, messieurs, cela me prouve une chose, cela me prouve que ceux qui combattent comme exorbitante l'opinion de mon honorable ami M. de Bonne, ont eux-mêmes la conviction que les desservants sont inamovibles, car s'ils n'avaient pas de droits, on né leur aurait pas imposé de condition.
Je dis donc que si le clergé a des libertés que nous aimons à reconnaître, puisqu'elles sont proclamées par la Constitution, le clergé a aussi à remplir des obligations qui sont le corollaire de ces libertés ; que dans tous les cas le clergé n'est pas un pouvoir et qu'il n'est surtout pas un pouvoir indépendant.
Certes, l'Etat a droit de régler, par des mesures de police, tout ce qui peut tendre au bien général, personne n'oserait le contester ; personne n'oserait soutenir dès lors que le clergé pourrait se soustraire aux obligations qui incombent aux citoyens, et échapper aussi à certaines lois de police dont relèvent les citoyens en général.
Si, à raison de sa position, le clergé jouit encore, d'après nos lois, de certaines immunités ; si, par exemple, il n'est pas tenu au service de la milice ou de la garde civique ; s'il n'a pas à remplir les devoirs de juré ; si les fonctions des membres du clergé sont incompatibles avec certaines fonctions civiles, telles que celles de membre des députations des conseils provinciaux, de bourgmestre, d'échevin, etc., ce ne sont là que des exceptions qui confirment la règle générale, à savoir que dans tous les cas non exceptés, les membres du clergé sont mis sur la même ligne que tous les autres citoyens.
Messieurs, ceci me conduit directement à examiner la question qui a été soulevée par M. l'évêque de Liège dans le mémoire qu'il nous a fait distribuer.
Vous vous rappelez, messieurs, qu'avec le système qu'on a tâché quelquefois de faire prévaloir dans cette enceinte, on est allé jusqu'à vouloir mettre de côté toutes les garanties écrites dans nos lois, sous le faux prétexte que ces garanties gênaient le libre exercice du culte catholique. Les lois quelles qu'elles soient doivent recevoir leur exécution. Ainsi, par exemple, quelle que soit la liberté accordée au culte catholique, il ne sera cependant pas permis à un ministre de ce culte de procéder à un mariage religieux, avant que la preuve de l'accomplissement du mariage civil ne soit administrée ; celui qui oserait le faire, serait puni conformément aux articles 199 et 200 du Code pénal.
Ainsi, encore, si un membre du clergé, dans un discours prononcé au prône, s'avise, non pas même d'injurier un ou plusieurs citoyens, mais seulement de critiquer ou censurer un acte du gouvernement ou d'une autorité constituée, il sera punissable, conformément aux articles 201, 202 et 203 du même code. On a voulu soutenir que la liberté illimitée dont les membres du clergé jouissent, quant à l'exercice du culte, devait les soustraire à ces pénalités ; mais la jurisprudence est aujourd'hui fixée sur ce point, et je ne pense pas qu'on en revienne à l'opinion que je viens de rappeler et qui serait subversive de nos institutions.
Une instruction pastorale dans laquelle un acte du gouvernement serait censuré, serait encore punissable, aux termes des articles 204, 205 et 206, même du bannissement, et dans certains cas de la déportation ; je ne pense pas qu'on soutienne jamais que, nonobstant toutes les libertés qu'ont été accordées au clergé, ces dispositions pénales sont abrogées ; la jurisprudence viendrait encore donner un démenti à ceux qui soutiendraient une pareille opinion.
Une disposition du Code pénal défendait au clergé de correspondre avec la cour de Rome. La Constitution a abrogé cette disposition, et nous ne prétendrons jamais qu'elle puisse encore recevoir son application ; mais cette exception confirme la règle de la soumission du clergé à toutes nos lois.
Ce serait, du reste, un singulier système que de soutenir que le clergé catholique constitue dans l'Etat un pouvoir et un pouvoir indépendant ; car alors le clergé protestant serait aussi un pouvoir et un pouvoir indépendant, le clergé israélite serait aussi un pouvoir indépendant, et en effet, tous les cultes sont mis sur la même ligne par la Constitution (article 14).
Messieurs, s'il en est ainsi pour des objets aussi graves et aussi importants, pourquoi en serait-il autrement, lorsque les lois n'accordent que sous certaines conditions les avantages de la personnification civile à des établissements du clergé ?
Ainsi, par exemple, tels et tels établissements doivent rendre des comptes, ils doivent soumettre leurs comptes, les uns à la commune, d'autres directement au ministre. Cela tient-il à l'exercice du culte en lui-même ? Cela a-t-il quelque chose de commun avec les formes intrinsèques du culte ? Les intérêts temporels du culte ont-ils quelque chose de commun avec le culte en lui-même ?
Est-ce que toutes les libertés que la Constitution accorde et dont le clergé jouit largement ont quelque chose de commun avec les obligations qui lui incombent quand il s'agit d'objets autres que les objets intrinsèques du culte ? Evidemment non.
(page 560) L’Etat a intérêt à connaître la position de chaque établissement de mainmorte, la marche qu'il suit ; il a intérêt à savoir s’il remplit les obligations qui en sont la conséquence ; voilà pourquoi il faut des comptes.
Nous n'avons pas laissé passer une année sans demander au ministère précédent l'exécution des obligations que les lois imposent aux membres du clergé surtout à raison de ces établissements auxquels nous faisons allusion. Dans le principe, les prédécesseurs de l’honorable M. de Haussy contestaient l'existence de ces obligations, et ils ont fini cependant par les reconnaître. Mieux instruits, ils ont enfin adopte notre thèse, ce qui a valu à l'honorable M. d'Anethan une attaque tant soit peu personnelle dans le mémoire de monseigneur de Liège.
L'honorable M. d'Anethan répondra sans doute à cette attaque, je n'en fais mention qu'en passant.
Quoi qu'il en soit, le ministère précédent a reconnu que mes réclamations étaient justes et fondées ; et si j'ai vu avec plaisir que M. le ministre actuel de la justice, l'honorable M. de Haussy, a fait exécuter ce que la loi veut qu'on exécute, il faut cependant rendre à chacun ce qui lui est dû, je rends justice à l'honorable M. d'Anethan, c'est lui qui a jeté les fondements du système que l'on suit aujourd'hui, c'est-à-dire qui a proclamé la théorie que M. le ministre actuel a mise en pratique, qui a ordonné ce qui s'exécute. Les faits, il est vrai, n'ont pas suivi de près la théorie, l'exécution tout entière appartient à M. de Haussy ; lui ne s'est pas borné à des paroles, et je l'en félicite.
Maintenant, messieurs, y a-t-il rien ici de déraisonnable ? Les établissements de mainmorte acquièrent des biens. Le gouvernement a intérêt à connaître l'importance de ces acquisitions, la hauteur des dépenses, etc. Voilà pourquoi il faut des comptes.
Je reconnais volontiers qu'aux termes du décret du 30 décembre 1809, il suffit, pour les fabriques en général, de déposer leurs comptes à la commune : mais il est d'autres établissements qui doivent aller plus loin, qui doivent transmettre au ministre chargé des cultes leurs comptes annuels.
On a prétendu que les lois qui le veulent ainsi n'ont plus de force. Ainsi les séminaires ne devraient plus soumettre leurs comptes au gouvernement ; ainsi tout en envoyant le compte du séminaire monseigneur de Liége proteste ; il prétend aussi qu'il ne doit pas envoyer le compte de la cathédrale.
On avait prétendu aussi naguère que même les congrégations hospitalières ne devaient plus soumettre de comptes, quoique la loi leur en fasse l'obligation. Mais aujourd'hui l'honorable M. d'Anethan, d'accord avec M. de Haussy, est revenu à d'autres opinions.
M. d’Anethan. - J'ai toujours été de cet avis.
M. Verhaegen. - Pas toujours.
Messieurs, quoi qu'on en dise, la reddition des comptes ne tient pas aux formes intrinsèques, mais aux formes extrinsèques, je dirai même au temporel du culte, et sans vouloir tout refaire, car je crois que la législation actuelle nous suffit en général, je désirerais voir combler une petite lacune à l'égard des comptes de fabriques d'église : en général, ils sont soumis à l'administration communale, mais ils ne sont pas approuvés par elle ; c'est l'évêque seul qui approuve les budgets et les comptes dans toutes leurs parties. Cependant il arrive un moment où la commune ou la province peuvent être tenues, par suite de l'absence de tout contrôle, de payer des sommes considérables.
Ainsi une fabrique d'une église quelconque, d'une cathédrale, par exemple, fait des dépenses considérables ; pendant une année, deux années, elle fait des dépenses voluptuaires, elle achète des objets d'art de grand prix ; des deux ou trois cent mille francs sont employés ainsi à des dépenses au moins inutiles, personne ne les contrôle, l'évêque les approuve ; au bout de quelques années une partie de l'église menace ruine, une tour va tomber ; on envoie le budget à l'autorité communale pour établir qu'il y a déficit ; et ce déficit est la conséquence des dépenses voluptuaires pendant les années précédentes, sur lesquelles l'autorité civile n'a pas eu de contrôle. Cependant il faudra que la commune, que la province paye. C'est là évidemment une lacune qu'il faut combler.
Que faut-il faire ? Quelle partie des comptes doit être soumise à l'approbation de l'autorité civile ? C'est une question, messieurs, sur laquelle je ne veux pas entrer dans des développements, mais que je soumets au gouvernement.
(page 551) M. de Foere. - L'honorable M. de Bonne a lancé hier, dans la discussion, des accusations extrêmement graves contre l'épiscopat belge.
Selon lui, « l'épiscopat, malgré ses dénégations et ses protestations (je cite ses propres paroles), ne veut reconnaître en Belgique d'autre loi que sa propre volonté ; il semble regarder tous les pouvoirs dont la Constitution a délégué l'exercice au Roi, aux chambres et aux tribunaux, comme des instruments à son usage ; tous les moyens lui sont bons pour assurer la suprématie qu'il s'arroge. »
Vous avez entendu les moyens par lesquels l'honorable membre soutient ces accusations graves ; il vous a fait l'énumération de cinq griefs :
1" La théologie de Dens est enseignée dans les séminaires, et, dans cette théologie, on soutient la suprématie temporelle des papes.
2° Un candidat au grade de docteur en droit canonique a soutenu, à l'université de Louvain, une thèse dans laquelle la même doctrine a été préconisée.
5° L'autorité ecclésiastique aurait fait des efforts pour faire sanctionner la bulle In cœna Domini.
M. de Bonne. - Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que dans le bréviaire nouveau, imprimé à Malines, se trouve la légende de Grégoire VII. Mais je n'ai pas dit que l'épiscopat se serait efforcé de faire promulguer la bulle In cœna domini.
M. de Foere. - Je parle d'après le Moniteur, dont probablement l'honorable membre aura surveillé l'impression.
M. de Bonne. - C'est une erreur ; je n'en ai pas surveillé l'impression.
M. de Foere. - Je ne puis invoquer une autorité plus rationnelle que le Moniteur. Il est établi par le Moniteur que, d'après l'honorable membre, Marie-Thérèse et son lieutenant-général le prince Charles de Lorraine, appelé alors gouverneur général des Pays-Bas autrichiens, (page 552) auraient décrété, par trois fois, la non acceptation de la bulle Unigenilus.
M. de Bonne. - Je n'ai pas parlé de la bulle Unigenilus.
M. de Foere. - L'honorable membre a raison ; j'ai voulu dire : la bulle ln cœna Domini, je citerai d'après le Moniteur ses propres paroles. Il s'est exprimé ainsi : « A l'apparition de cet ouvrage (la théologie de Dens), dans lequel l'auteur prétendait même que la bulle ln cœna Do-mini était en vigueur dans les Pays-Bas, le prince Charles de Lorraine, auquel nous élevons une statue, rendit trois décrets pour le faire supprimer, pour en défendre l'impression, ainsi que celle des livres défendus. »
J'ai donc eu raison de soutenir que mon honorable contradicteur avait accusé l'épiscopat belge de faire admettre la bulle In cœna Domini, attendu qu'il fait enseigner dans la théologie de Dens que cette bulle est en vigueur dans les Pays-Bas et que c'est la seule cause, à laquelle l’honorable membre ail fait allusion, pour laquelle l'archiduc Charles de Lorraine aurait fait supprimer cette théologie et en aurait défendu l'impression.
Les deux autres griefs de l'honorable membre sont :
4° La canonisation et la légende de Grégoire VII.
5° La révocation ad nutum des desservants, sans en dire la cause.
Voilà les cinq griefs au moyen desquels l'honorable membre a prétendu justifier les graves accusations dont je viens de vous donner lecture d'après ses propres paroles !
La chambre n'attend pas de moi sans doute que j'entre, sur ces différents objets, dans une discussion canonique ou idéologique, comme il l'a fait dans la session précédente et dans la séance d'hier. Je ne le suivrai pas dans cette voie. Je ne m'appuierai pas sur des auteurs canoniques et théologiques, ni sur les lois de Constantin, de Théodose, de Justinien et d'autres qu'il a invoquées. Je me permettrai de prendre pour base notre simple droit constitutionnel ; car je soutiens que la chambre, d'après ce droit, est incompétente pour discuter des points purement théologiques ou canoniques.
Je comprendrai dans une même réponse les accusations relatives à la théologie de Dens et à la thèse soutenue à l'université de Louvain. Chose singulière ! c'est contre l'épiscopat qui est accusé de ne pas vouloir la liberté d'enseignement sous certains rapports, de ne pas vouloir de la liberté de la presse, c'est contre l'épiscopat qu'est portée par une partie du côté gauche l'accusation d'user de ces libertés.
Qu'est-ce en effet que l'enseignement de la théologie de Dens ? Qu'est-ce que le soutènement d'une thèse à l'université de Louvain ? C'est un droit que tout le monde, jusqu'au dernier manant de la cité, est constitutionnellement autorisé à exercer, soit dans la rue, soit dans les journaux, soit dans les autres académies. Ainsi, l'honorable membre trouve dans l'exercice de ce droit un juste motif pour diriger contre l'épiscopat belge des accusations graves.
Jamais d'ailleurs le principe de la suprématie temporelle des papes sur les Etats civils n'a été soutenu comme point de foi, ni comme point de morale décidé par l'Eglise. Ce qui le prouve c'est que l'Eglise de France a soutenu le contraire, sans avoir été pour cela accusée d'hétérodoxie. Il en est de même de l'Eglise catholique en Angleterre, en Hollande et en Allemagne, qui, comme l'Eglise de France, ont soutenu la même thèse. C'est une opinion libre comme tant d'autres, et certes aujourd'hui elle ne pourrait être soutenue, avec succès, en face de notre droit public.
Pour ce qui regarde la bulle In cœna Domini et les autres bulles des papes, tous les jurisconsultes savent quelle est la jurisprudence qui a été suivie à leur égard. Lorsque ces bulles contenaient des dispositions disciplinaires qui avaient trait à des matières civiles, qui devaient recevoir la sanction civile, comme lois de l'Etat, et qui par conséquent alors liaient les habitants même devant les tribunaux, ces bulles avaient besoin du placet royal. Si le gouvernement refusait son placet, alors les bulles ne recevaient pas leur exécution comme lois de l'Etat. Il était parfaitement libre de placeter ces bulles ou de ne pas les placeter.
Il en était tout autrement des bulles purement dogmatiques, qui ne traitaient que de points de foi ou de morale.
Le concile de Trente même, que l'honorable M. de Bonne et l'honorable préopinant M. Verhaegen ont cité comme loi obligeant le clergé, ne lie pas, sons le rapport de quelques dispositions disciplinaires, même d'une grande importance, l'Etat, ni les catholiques de cet Etat, dans les pays où ce concile n'a point été promulgue comme loi de l'Etat.
Voilà pour la bulle : In cœna Domini.
Quant à la canonisation et à la légende de Grégoire VII, je trouve encore étonnant que ce soit un membre appartenant à l'opinion que l'on appelle libérale qui ait fondé sur ce fait les accusations qu'il a lancées contre l'épiscopat belge.
Nous prétendons être aussi libéraux et même plus libéraux que ceux qui s'en donnent le titre.
Messieurs, s'il y a un saint, reconnu par l'Eglise, qui, par son énergie, par sa persévérance, ait cherché à détruire des abus extrêmement graves qui existaient de son temps, entre autres je ne dirai pas seulement le despotisme, mais la tyrannie de quelques souverains qui opprimaient les peuples de la manière la plus odieuse, c'est bien ce pontife que l'opinion libérale elle-même devrait canoniser d'après les principes qu'elle étale aujourd'hui.
Ce même Grégoire VII s'est élevé avec la même énergie, avec la même persistance, contre la simonie qui a même servi de prétexte à M. de Bonne pour dénier aux évêques leur droit de révocation ad nutum des desservants. Non seulement pendant qu'il était pape, mais pendant trois règnes de ses prédécesseurs, dont il a été l'âme et le conseil, il s'est élevé contre ces abus odieux d'oppression et de simonie qui avaient jeté des racines profondes dans le monde d'alors.
Je le répète, s'il y a un pape que l'opinion libérale devrait canoniser, si elle en avait le droit, ce serait surtout Grégoire VII. Ce n'est pas dans l'histoire écrite par des catholiques que j'ai puisé exclusivement cette opinion, c'est dans l'histoire écrite par les adversaires religieux de Grégoire VII, dans l'histoire que des protestants et des philosophes de l'autre siècle ont publiée sur son règne. Les plus loyaux d'entre eux ont professe l’opinion que je soutiens.
Il a rendu d'immenses services à la cause de l'humanité. Cependant 1 honorable M. de Bonne lance des accusations graves contre l'épiscopat belge, parce qu'il a admis la canonisation de Grégoire VII.
M. de Bonne. - Je demande la parole.
M. de Foere. - Mais je vais plus loin. Je suppose que l'honorable< M. de Bonne ait raison au fond ; que les préventions contre Grégoire VII soient réellement des faits. Je vous le demande, en face de notre droit public, avons-nous celui d'entrer dans les motifs pour lesquels l'autorité de l'Eglise admet ou n'admet pas certaines personnes dans le calendrier des saints ? Nous n'avons pas le droit de discuter de semblables questions, parce que nous n'avons pas le droit de les juger. Il est même malheureux, et je regrette que, dans le siècle où nous vivons et avec les principes que la Belgique a posés avec tant de générosité et de bonne raison, il soit nécessaire de répondre à de semblables accusations.
Le cinquième grief se réduit à ceci : Les évêques révoquent ad nutum des desservants. Selon l'honorable membre, les évêques exercent, sous ce rapport, un pouvoir capricieux, un pouvoir arbitraire. Ces caprices des évêques, leur pouvoir arbitraire, devraient être limités par une loi. On devrait pourvoir par une loi à l'arbitraire et aux caprices des évêques relativement à la révocation des desservants.
L'honorable M. de Bonne nous a rappelé, au commencement de son discours, que dans la session dernière, il avait soutenu qu'il fallait mettre une limite à ce pouvoir arbitraire des évêques. Je rappellerai à mon tour que l'année dernière j'ai soutenu, sous ce rapport, contre l'honorable M. de Bonne, l'incompétence de la chambre. Je suis allé plus loin.. J'ai soutenu que puisqu'il y avait contestation dans l'application d'une loi, la question étt exclusivement de la compétence des tribunaux, ; et : j'ai ajouté que les tribunaux, de leur côté, ne manqueraient pas de déclarer aussi leur incompétence. C'est ce qui a eu lieu.
L'honorable M. de Bonne revient aujourd'hui sur la question, il prétend la placer sur un autre terrain ; il voudrait amener le gouvernement à prendre, par un projet de loi, des mesures pour arrêter l'arbitraire des évêques sous le rapport de la révocation des desservants.
Messieurs, c'est exactement la même opinion que l'honorable M. de Bonne continue à soutenir. Il n'y a aucune différence entre l'opinion qu'il a soutenue l'année dernière et celle qu'il soutient aujourd'hui.
Si la législature est incompétente, comme de son côté, dans la séance d'hier, l'honorable ministre de la justice l'a aussi soutenu positivement en termes clairs et précis ; si, dis-je, la législature est incompétente, d'après l'article 16 de la Constitution, pour intervenir dans la nomination des ministres des cultes, je ne vois pas comment la législature serait en droit ou aurait des attributions pour porter une semblable loi. Il a toujours été admis par tous les jurisconsultes que celui qui a le droit de nomination a aussi le droit de révocation, et je défie mon honorable contradicteur de soutenir un autre principe.
L'honorable M. de Bonne, conformément à l'opinion que l'honorable M. Verhaegen vient de développer, soutient que le haut clergé, en exerçant son droit de nomination, doit être en même temps assujetti à ses propres lois. L'épiscopat ne peut, selon ces honorables membres,, révoquer les desservants, sans suivre les règles qu'aurait tracées à leur égard le concile de Trente. D'après M. Verhaegen, l'Etat aurait le droit d'examiner si les règles du concile de Trente sur la matière ont été observées. C'est là une hérésie constitutionnelle.
Qui aurait dans l'Etat l'autorité d'examiner l'application juste ou injuste des règles du concile de Trente ? Il faudrait, d'abord, se mettre d'accord sur des questions qui sont aujourd'hui controversées et à l'égard desquelles l'Etat est complètement incompétent. Il faudrait commencer par établir si un desservant a réellement le titre canonique de curé selon le concile de Trente, première question dans laquelle l'Etat ne peut intervenir, car celui qui a le droit d'interpréter une loi par voie d'autorité, celui qui a le droit de faire appliquer une loi aurait aussi le droit de la porter. C'est une conséquence qui, certes, ne sera contestée par personne.
Or, l’honorable M. Verhaegen convient lui-même que l'Etat n’a pas le droit d'intervenir dans les nominations, et s'il n'a pas le droit d'intervention il n'a pas non plus celui d'interprétation légale, car par le droit d'interprétation on annule toutes les lois, et si la Constitution et les sains principes de la jurisprudence n'y mettaient obstacle, les majorités parlementaires parviendraient à tout détruire au moyen d'interprétations.
La deuxième question qu'il faudrait examiner et dans laquelle l'Etat est aussi complètement incompétent, ce serait d'examiner si les causes pour lesquelles un curé (si tant est qu'un desservant soit un curé), pour lesquelles un curé peut être révoqué, d'après le concile de Trente, si ces causes existent bien réellement. Voilà encore l'Etat engagé dans (page 553) l'examen d'une loi canonique ou dans l'application d'une semblable loi à l'égard de laquelle les tribunaux du pays ont déjà plusieurs fois déclaré leur incompétence.
Messieurs, je m'étonne que l'honorable M. Verhaegen qui, avec, raison, dans cette chambre a professé beaucoup de vénération pour les décisions de l'autorité judiciaire, viennent aujourd'hui les contredire et invoquer des opinions et des principes... (Interruption). M. Verhaegen, en m'interrompant, me dit qu'il admet que les tribunaux ne sont pas compétents, mais il veut cependant un jugement pour ce qui regarde les causes de révocation voulues par le concile de Trente.
Je lui répondrai que c'est toujours tourner la question, sans la changer de nature. S'il faut un jugement, c'est l'autorité ecclésiastique qui est seule compétente pour juger de l'application d'une loi de l'Eglise. S'il veut un tribunal laïque ou civil, c'est encore une contradiction dans laquelle tombe l'honorable M. Verhaegen. (Interruption.) C'est l'Etat qui paye, dit encore M. Verhaegen en m'interrompant. Mais dans tous les cas, c'est une contestation, or c'est aux tribunaux à en connaître et à en décider, et déjà les tribunaux ont déclaré leur incompétence dans l'espèce.
Remarquez-le bien, messieurs, ce n'est pas la première fois que je proclame ici, dans cette chambre, le principe que, si nous ne pratiquons pas la distinction des pouvoirs que la Constitution a établie et qui est établie dans tous les Etats bien organisés, c'est-à-dire la distinction entre le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire, nous nous jetons ouvertement dans la confusion, le désordre et l'anarchie.
Eh bien, messieurs, il y a eu litige ; les tribunaux ont prononcé. On ne peut pas non plus établir des tribunaux spéciaux dans l'espèce. Supposez gratuitement que, sous d'autres rapports, on puisse en établir, la Constitution reste toujours là, qui prescrit qu'en matière de nomination des ministres du culte, l'Etat n'a aucune intervention à exercer, et suivant le principe général, admis par la jurisprudence de tous les pays, celui qui a le droit exclusif de nomination aux yeux de la loi civile, a aussi le droit de révocation, lorsqu'il n'est pas restreint par la loi civile. Ceci répond, messieurs, à l'assertion de l'honorable M. Verhaegen, que le clergé doit suivre les dispositions du concile de Trente. Mais c'est au clergé seul, je ne puis assez le répéter, qu'il appartient de décider comment, quand, dans quelles circonstances, dans quel sens, pour quels motifs les dispositions du concile de Trente doivent être exécutées.
Depuis près d'un demi-siècle les desservants n'ont pas été considérés comme des curés et d'après les règles de l'interprétation des lois, comme l'honorable M. Raikem l'a dit hier, quand une loi a été appliquée depuis longtemps dans tel sens, on n'est pas admis à venir, après un demi-siècle, lui donner une interprétation différente ou opposée.
Il est à peine nécessaire, messieurs, de rencontrer l'honorable M. Verhaegen dans l'autre opinion qu'il vient de soutenir, en prétendant qu'il n'y a pas deux autorités, une autorité spirituelle et une autorité temporelle.
M. Verhaegen. - Dans l'Etat.
M. de Foere. - Dans l'Etat, bien entendu ; c'est là, selon moi, une question purement nominale. L'honorable M. Verhaegen lui-même a reconnu au clergé une autorité, des droits et des droits constitutionnel
M. Verhaegen. - Aux membres du clergé.
M. de Foere. - Sans doute ; mais la conséquence en est que le clergé jouit de ces droits comme clergé et que dans ce cercle des droits qui lui sont reconnus par la Constitution, le clergé est, sous ce rapport, une autorité.
L'honorable ministre de la justice partage sur ce point notre opinion. Il nous a déclaré, dans la séance d'hier, qu'il voudrait trouver un moyen de faire cesser les conflits qui existent entre l'autorité ecclésiastique et les desservants qui ont été révoqués ; mais en même temps il a reconnu,, d'après tous les principes de la jurisprudence, qu'il y avait ici deux autorités en présence, et que, si la question pouvait être réglée ; il était nécessaire qu'elle le fût par le concours de ces deux autorités.
L'honorable M. Verhaegen soutient aussi que le clergé, dans l'exercice de ses fonctions, est soumis aux dispositions du Code pénal en matière de délits ou de crimes ; personne ne conteste civilement ce principe ; il est possible qui! l'honorable membre ait rencontré dans un fait isolé une opinion individuelle contraire ; mais c'est comme s'il disait : « Tel avocat soutient une telle opinion en jurisprudence, par conséquent c'est la jurisprudence du pays. »
Personne ne contestera que si le clergé, soit dans ses mandements, soit dans ses prônes, excitait à la révolte ou à la révolution ou commettait un des délits prévus par nos lois, le clergé ne doive subir les conséquences de ces actes ; mais l'honorable M. Verhaegen est allé plus loin : il a soutenu que le clergé dans un prône, ou l'épiscopat dans un mandement, ne pourrait pas critiquer un acte du gouvernement. L'honorable membre soutient que le clergé est soumis à tous les devoirs auxquels sont soumis les autres citoyens, sous le rapport du code pénal. Mais, si le clergé est astreint à ces devoirs, comme les autres citoyens, l'honorable membre voudra bien reconnaître que, par le même principe, le clergé est aussi en possession des mêmes droits dont jouissent tous les autres citoyens. Or, le premier magistrat comme le dernier manant de la cité ont le droit d'examiner et de critiquer les actes du gouvernement. Je soutiens que soit dans la chaire, soit dans un mandement, le clergé a aussi le droit d'examiner, de critiquer un acte du gouvernement... (Interruption.) L'honorable M. Verhaegen m'interrompt pour la quatrième fois. Je l'ai écouté avec attention sans l'interrompre. Qu'il me permette de lui faire observer qu'il a le droit de me répondre et non pas celui de m'interrompre... Je ne doute pas que mon honorable contradicteur ne trouve dans le Code pénal un texte pour condamner mon opinion ; mais, d'un autre côté, sont intervenus l'article constitutionnel sur la liberté de la presse et celui sur la liberté d'enseignement ; et je soutiens que, sans distinction de personne, d'état, de profession et de localités, tout le monde en Belgique a le droit d'examiner, par conséquent de critiquer un acte du gouvernement. Je fonde mon opinion sur les mêmes règles d'interprétation des lois que l'honorable membre vient d'invoquer lui-même, et qui sont les anciennes règles d'interprétation, enseignées par la jurisprudence canonique aussi bien que par la jurisprudence civile. Là où la loi ne fait pas d'exception, l'autorité qui applique la loi ne peut pas en faire non plus. Elle s'érigerait en pouvoir législatif. Or, la liberté de la presse et la liberté d'enseignement sont des droits constitutionnels, établis pour tout le monde en Belgique, sans distinction de personnes, d'états, de professions ou de localités. On ne peut donc pas établir des exceptions contre les membres du clergé, contrairement à la Constitution, et lui interdire d'examiner, soit en chaire soit dans des instructions pastorales, d'examiner les actes du gouvernement.
Dans ce cas, le clergé serait l'objet d'exceptions odieuses, l'objet d'un véritable ostracisme ; il ne jouirait pas des droits accordés aux autres citoyens, alors qu'il serait soumis aux mêmes devoirs.
L'honorable M. Verhaegen vient de dire aussi (sans doute par une petite complaisance d'amour-propre ) qu'enfin le clergé reconnaît qu'il doit rendre compte à l'Etat des biens ecclésiastiques et de leurs revenus. Je ne sache pas que jamais le clergé ait contesté ce droit à l'Etat.
L'honorable membre félicite M. le ministre de la justice de ce que le principe soit maintenant exécuté ; mais si le principe n'a pas toujours été régulièrement exécuté, s'ensuit-il que le principe même ait été contesté ? Mais l'honorable membre a soutenu dans le temps, et je ne sais si M. le ministre de la justice est du même avis, que les établissements privés de bienfaisance et les communautés religieuses qui ce sont pas reconnues par l'Etat, mais qui s'associent en vertu d'un droit constitutionnel, devaient également rendre compte à l'Etat des, biens dont elles jouissent, alors même qu'elles ne reçoivent pas de subsides de l'Etat.
Nous continuons, pour notre part, à soutenir que les établissements religieux qui reçoivent régulièrement des subsides de l'Etat ou qui ont des biens de mainmorte, doivent rendre compte à l'Etat si ce compte leur est demandé ; nous n'avons jamais nié le principe. Il peut y avoir eu contestation dans des cas particuliers d'application ; mais ce n'est pas là nier le principe lui-même. L'honorable M. Verhaegen, habitué aux discussions qui s'établissent devant les tribunaux, sait mieux que moi que les principes sont presque toujours reconnus ; que ce n'est que sur l'application des faits aux principes que s'établit presque toujours la contestation.
Je défie l'honorable membre de citer aucun fait officiel de nature à prouver que l'autorité ecclésiastique aurait contesté le principe qu'il ne devait pas être rendu compte à l'Etat des biens des établissements dont il s'agit, sauf dans quelques cas particuliers où la question était de savoir si les biens étaient oui ou non, de nature à recevoir l'application dans l'espèce.
L'honorable ministre de la justice, messieurs, a soutenu avec nous que la législature était incompétente pour décider la question de savoir si les desservants révoqués avaient, oui ou non, droit au traitement. Il a pensé que certainement la législature n'avait pas le droit de décider si un évêque avait révoqué justement ou injustement un desservant. Il a exprimé le désir de trouver les moyens de régler cette question avec le concours de l'autorité spirituelle.
Messieurs, ce moyen, ce concours de l'autorité ecclésiastique soulève une question fort délicate. Je désire aussi qu’il n'y ait plus de contestation à l’égard des révocations des desservants et de leur traitement. Toute la question est dans le moyen qu'on adoptera pour atteindre ce but, sans s'exposer à d'autres dangers ou à d'autres abus.
M. le ministre de la justice s'est plaint de ce que, sous quelques rapports, il n'y ait rien de réglé dans les relations de l'Etat avec l'autorité ecclésiastique, Il a cité, en premier lieu, l'absence de toute règle en ce qui concerne la révocation d'un desservant qui entraîne la cessation de son traitement.
Je pense, comme l'honorable M. ; Verhaegen qui a exprimé la même opinion, que c'est une pratique fort sage de ne pas vouloir tout régler par des dispositions législatives ou réglementaires. On ne peut citer non seulement une loi, mais même un article constitutionnel sur lequel des contestations ne se soient pas élevés, ou, du moins, qui n'en soit pas susceptible.
S'ensuit-il qu'il faudrait constamment porter des lois ou des règlements pour régler tout ce qui donne lieu à des contestations ? On se jetterait dans des embarras plus grands encore, car ces nouvelles mesures donneraient lieu à d 'nouvelles contestations.
Ce qui fixe le sens des lois dans tous les pays, c'est l'usage ; c'est la jurisprudence ; c'est la raison pour laquelle les avocats devant les tribunaux invoquent avec raison les arrêts portés, sur des questions analogues à celles qu'ils défendent, par les cours d'appel et par la cour de cassation.
(page 554) Maintenant, l'usage dont il s'agit est établi depuis cinquante ans. Un évêque a révoqué un desservant ; supposez que des contestations surgissent ; sommes-nous tout à fait privés de moyens de faire prononcer sur ces contestations ?
Nous avons là des tribunaux. C'est un principe dont il est impossible de se départir ; chaque fois qu'il y a contestation les tribunaux sont là pour décider.
Eh bien !
Un membre. - Ils se sont déclarés incompétents
M. de Foere. - Ils déclarent leur incompétence ; c'est une décision comme une autre. Il est des membres qui ont prétendu que la législature devait intervenir ; mais le ministre lui-même a déclaré que la législature civile n'en avait pas le droit. Puisqu'une contestation existait on s'est demandé : Y a-t-il des lois sur la matière ou n'y en a-t-il pas ? S'il y en a, à qui appartient-il d'en faire l'application ?
Les tribunaux ont déclaré qu'il n'en existait pas, que l'article 16 de la Constitution investissait l'autorité ecclésiastique du plein droit de nommer les curés comme les desservants et que par conséquent devant cet article positif rédigé sans restriction, sans exception, on devait s'arrêter, que par conséquent c'était à l'autorité ecclésiastique à pratiquer ce droit dans toute son intégrité.
L'honorable M. de Bonne appelle le pouvoir des évêques un pouvoir capricieux, arbitraire. Mais c'est la plus grande de nos lois, c'est la loi constitutionnelle qui investit l'autorité ecclésiastique de ce pouvoir arbitraire. C'est à lui, d'après sa conscience, à nommer ou à révoquer un desservant.
Je crois plus juste et même beaucoup plus prudent, dans l'intérêt de l'Etat, de ne chercher à intervenir, sous aucun rapport, dans ces matières.
La question a été parfaitement réglée par la Constitution. Deux ou trois cas de contestation au plus se sont présentés depuis 1830, c'est-à-dire en 17 ans. Je ne crois pas que cela suffise pour établir la nécessité, l'urgence ou même la convenance de prendre des mesures particulières et dangereuses.
M. d’Anethan. - J'avais demandé la parole pour répondre aux observations présentées par l'honorable M. Van Cutsem, sur l'augmentation du personnel du ministère de la justice. Je me proposais également de faire quelques observations sur d'autres considérations développées par cet honorable membre ; mais maintenant que la discussion a pris un autre tour, je me réserve d'entretenir la chambre de ces objets, quand nous en serons à la discussion des articles ; je crois plus convenable de me borner maintenant à traiter les questions soulevées par les derniers orateurs que vous venez d'entendre.
Messieurs, l'honorable M. Lys, qui le premier a pris la parole dans la discussion de ce jour, a insisté particulièrement sur deux points.
L'honorable membre a parlé en premier lieu de la nécessité qu'il y aurait pour le gouvernement de fixer les traitements des professeurs des séminaires, de même que les traitements des curés, des desservants, des vicaires sont fixés par les lois ou par des arrêtés.
En deuxième lieu, l'honorable membre s'est occupé de la question de savoir si l'on ne devrait pas obliger les séminaires et autres établissements à rendre annuellement des comptes, ainsi que l'exigent les dispositions des décrets de 1809 et de 1813. Cette question a été également traitée par l'honorable M. Verhaegen. Je répondrai à ces deux honorables membres lorsque j'arriverai à ce point de la discussion.
Je répondrai maintenant à l'honorable M. Lys relativement aux traitements des professeurs. Dans la bulle du 16 des calendes de septembre 1827, bulle qui a été publiée avec les ratifications du concordat entre le roi des Pays-Bas et le saint-siège, et qui l'a été, ainsi que cela se faisait alors, avec l'autorisation du gouvernement dans cette bulle que l'on peut considérer, en quelque sorte, comme interprétative du concordat, puisque le gouvernement d'alors ne l'a aucunement réfuté.
On lit :
« D'après cela il sera libre aux évêques d'admettre les élèves dans leurs séminaires ou de les renvoyer, comme ils seront libres dans le choix du recteur, et des professeurs, qu'ils pourront congédier, quand ils le jugeront nécessaire ou utile. »
Et dans un paragraphe précédent, il est dit que les évêques ont le droit de régler l’enseignement des séminaires comme ils l'entendent, par conséquent de désigner les branches d'enseignement qui leur paraissent devoir être introduites dans ces établissements, de déterminer le nombre des professeurs et de les nommer. Cela résulte évidemment de la latitude complète qui est laissée aux évêques. Il suit aussi de là que les évêques ont le droit de rétribuer les professeurs comme ils le jugent convenable, suivant leur mérite et suivant la difficulté des matières à enseigner.
Aussi le gouvernement belge, lorsqu'il a réglé ce point, n'a pas hésité un instant, par l'arrêté royal du 9 mars 1834, à agir quant aux traitements des professeurs des séminaires, d'après les principes de la bulle des calendes de septembre.
L'article 2 de l'arrêté royal du 29 mars 1834 porte :
« Il est alloué au séminaire archiépiscopal et à chacun des séminaires épiscopaux un subside annuel de huit mille francs (8,000 fr.), qui sera réparti par le chef respectif du diocèse, à dire de traitements, entre les directeurs, professeurs et autres personnes chargées de l'enseignement dans lesdits séminaires. »
Vous voyez donc que si les évêques ont conservé le choix et la fixation du nombre des professeurs des séminaires, ils l'ont fait en vertu de la bulle explicative du concordat et de l'arrêté royal du 29 mars 1834.
Je passe aux observations présentées par M. Verhaegen. Cet honorable membre a débuté en vous disant qu'il n'admettait pas qu'il y aurait dans l’Etat deux pouvoirs, en disant qu'il n'en pouvait exister qu'un seul, le pouvoir constitutionnellement établi, qu'il n'existait pas de pouvoir ecclésiastique, de pouvoir spirituel.
Je pense, comme l'a soutenu l'honorable M. de Foere, que ce qu'a dit l’honorable M. Verhaegen est, qu'il me permette de le lui dire, une véritable querelle de mots. L'honorable membre a reconnu lui-même que le clergé a des droits qui lui sont constitutionnellement garantis, et ces droits lui donnent évidemment un certain pouvoir, une certaine somme d'autorité.
M. Verhaegen. - Du tout !
M. d’Anethan. - Je demanderai alors à l'honorable membre quelle qualification il donne au droit en vertu duquel les évêques nomment les curés et les desservants, et je lui demanderai si ce droit ne constitue pas un pouvoir qu'ils exercent.
Les évêques ont également, aux termes du décret de 1809, le droit de composer en partie les conseils de fabrique. Ce droit qu'ils exercent confère une qualité publique aux membres qu'ils nomment, qu'importe qu'on appelle cette faculté droit ou pouvoir.
Jamais personne n'a prétendu que le clergé eût des pouvoirs civils proprement dits, qu'il fût une autorité qui pût balancer l'autorité du gouvernement ; mais le clergé doit se mouvoir librement dans le cercle de ses attributions. Lorsqu'on parle des immunités du clergé, des droits qui lui sont constitutionnellement garantis, des relations du clergé avec le pouvoir, avec les citoyens, ou peut indifféremment, me paraît-il, employer les mots de droits, de pouvoir, d'autorité spirituelle. Et je ne pense pas qu'il y ait lieu de s'offenser, encore moins de s'effrayer de ces dénominations.
Allons au fond des choses, examinons s'il y a eu usurpation de pouvoir ; mais ne nous arrêtons pas à la futile question du nom qu'on donne au clergé. Là n'est pas la véritable question. Je le répète, c'est une véritable querelle de mots.
Les membres du clergé, dit l'honorable membre, doivent se soumettre aux obligations qui incombent à tous les autres citoyens. Cela est vrai, dans certaines limites pourtant, puisqu'il y a des obligations dont, à raison même de leurs fonctions, les ecclésiastiques sont exempts. Mais il est évident que les lois leur sont applicables dans leur généralité et que, sauf quelques exceptions déterminées par la loi, les membres du clergé doivent être soumis aux mêmes obligations que les autres citoyens.
L'honorable membre a parlé des dispositions du Code pénal, qui sont spécialement applicables aux ecclésiastiques qui auraient commis certains faits dans l'exercice de leurs fonctions. Ce n'est donc pas tout à fait le droit général, le droit commun, c'est plutôt un droit exceptionnel que l'honorable membre réclame pour le clergé ; mais il est vrai qu'ici il s'agit du Code pénal !
Quoi qu'il en soit, je reconnais avec lui que diverses décisions judiciaires ont admis sa thèse, que des condamnations ont été prononcées contre des ecclésiastiques, qui dans des discours prononcés en chaire avaient fait la critique de certains actes d'administrations communales. Mais ce n'est pas le lieu d'examiner la question de savoir si le Code pénal est applicable au clergé dans ces cas spéciaux ; et je ne critique pas les décisions qui ont été rendues.
C'est une question du ressort exclusif des tribunaux correctionnels et qui ne doit pas occuper ultérieurement la chambre.
M. Verhaegen. - On peut argumenter de ces décisions judiciaires.
M. d’Anethan. - Assurément ! mais ce ne sera sans doute pas pour soutenir que le clergé est soumis au droit commun ; car ces décisions établissent que le clergé est dans certains cas soumis à un droit exceptionnel.
L'honorable M. Verhaegen vous a dit également, en parlant du concordat et de la loi organique, qu'on voulait prendre et accepter dans leurs dispositions ce qui est favorable et rejeter ce qui ne l'est pas.
Je pense, messieurs, d'après l'application que le concordat et les lois organiques ont reçue depuis 1830, on s'est borné à ne pas exécuter quelques-unes de ces dispositions qui se trouvaient contraires à nos principes constitutionnels. On n'a en aucune espèce de façon regardé si ces dispositions étaient gênantes ou peu agréables dans l'exécution ou si elles ne l'étaient pas. Mais on s'est borné uniquement à examiner si la loi organique pouvait encore dans son ensemble être exécutée en présence des principes constitutionnels, et on a élagué dans l'application celles de ses dispositions qui n'étaient pas en harmonie avec les principes de liberté qui sont écrits dans la Constitution. C'est la règle de conduite qui a été suivie, je pense, par tous les ministères ; c'est celle au moins dont je ne me suis pas départi.
Venant à l'application en quelque sorte pratique des principes que l'honorable membre suppose à quelques-uns de ses adversaires politiques, il nous a demandé : Mais viendra-t-on soutenir que le gouvernement soit dans l'obligation, en vertu des articles 16 et 117 de la Constitution, de salarier autant de prêtres que voudrait en nommer un évêque ?
Mais jamais nulle part, que je sache, cette thèse n'a été soutenue par personne, et elle ne pouvait l'être, attendu qu'aux termes du concordat (page 555) et des lois organiques la création de succursales (car pour les cures il ne peut en être question, le nombre en étant fixé), la création de succursales doit être ordonnée par arrêté royal, de même que la création de nouvelles chapelles. Le nombre des vicaires ne peut également être augmenté qu'avec l'autorisation du gouvernement et après avoir entendu les conseils communaux.
Il est donc impossible que les craintes qu'a exprimées l'honorable préopinant puissent se réaliser puisque le gouvernement exerce au préalable son action et se détermine d'après les nécessités reconnues par lui d'accord avec l'évêque. Dans ces cas, le pouvoir civil intervient toujours parce qu'il y a ultérieurement un acte à poser par lui, qui est le payement du traitement. Je le répète donc, les craintes exprimées par l'honorable membre sont purement chimériques.
Messieurs, l'honorable M. Verhaegen n'est pas d'accord avec M. le ministre de la justice sur l'état actuel de la législation. Il croit que les lois actuelles sont suffisantes ; l'honorable ministre de la justice est d'un avis opposé.
Je crois aussi, comme je l'ai dit hier, que les lois actuelles peuvent suffire, et qu'il y aurait imprudence à les changer, en présence du peu de difficultés que leur exécution a présentées. Je pense qu'il ne faut pas modifier à la légère une législation de cette importance, et qu'il serait excessivement difficile, dans l'état actuel des choses, de la remplacer d'une manière avantageuse et complète.
J'arrive, messieurs, aux trois questions qu'a traitées l'honorable M. Verhaegen, et dans lesquelles est comprise celle qu'a traitée également l'honorable M. Lys.
L'honorable M. Verhaegen est revenu sur la question des desservants. Il est venu appuyer de nouveaux arguments la thèse qui avait été soutenue par l'honorable M. de Bonne. Je me trompe, l'honorable M. Verhaegen a été plus loin, et il a découvert une quatrième espèce de desservants.
Messieurs, je ne rentrerai pas dans une discussion qui me semblait épuisée même déjà depuis l'an dernier, en présence des discours nombreux que nous avions entendus alors, des thèses diverses qui avaient été développées, et notamment en présence du discours si remarquable qu'avait prononcé l'honorable M. de Haerne et qui avait établi jusqu'à la dernière évidence la vérité de la thèse que j'avais soutenue.
Néanmoins puisqu'on est revenu sur ce point, je demande à la chambre la permission de dire encore quelques mois.
L'honorable membre auquel je réponds a invoqué le concile de Trente ; il vous a dit que, d'après ce concile, il fallait certaines qualités pour être nommé prêtre ou évêque, et il a demandé si, dans le cas où un étranger serait nommé évêque, le gouvernement croirait devoir le reconnaître.
Messieurs, l'honorable M. Verhaegen, en invoquant le concile de Trente, me semble avoir complètement oublié le concordat de 1801 et les articles organiques ; le concordat de 1801 qui a pu changer, notamment en matière disciplinaire, les décisions qui avaient été prises au concile de Trente.
Il est reconnu par tous les ecclésiastiques, il est reconnu par toutes les églises, à l'exception d'une partie de l'Eglise gallicane que le pape, en ce qui concerne les canons et la discipline, a le droit de changer même ce qui a été établi par les conciles. Or, ce que le pape avait le droit de faire, il l'a fait en 1801. Il l'a fait en concluant avec le premier consul le concordat de cette époque.
Si vous admettez dans son entier le concile de Trente sans reconnaître au pape le droit d'y porter, en matière disciplinaire ou de canons, la moindre innovation, il en résulte que le concordat de 1801 est une œuvre radicalement nulle. Car le pape, en 1801, a fait table rase de tous les diocèses et de toutes les cures, et quand il a fait un appel au clergé français pour lui demander de ratifier en quelque sorte ce qu'il avait fait, il a dit qu'il comptait assez sur le dévouement des évêques et des autres ecclésiastiques pour être persuadé qu'ils n'entraveraient pas sa volonté, et qu'ils renonceraient volontairement aux sièges qu'ils avaient occupés.
Si la thèse de l'honorable membre est vraie, il en résulte que le concordat de 1801 et que toutes ses conséquences sont nulles, qu'il ne faut y avoir aucun égard ; et avec une thèse semblable, je demande si nous ne nous trouverions pas dans le chaos dans lequel M. le ministre de la justice pense, même en présence du concordat de 1801, que nous nous trouvons.
Messieurs, le concordat de 1801, qu'a-t-il fait ? Il a rétabli une seule cure par canton. Il ne peut y avoir de curé inamovible que pour des cures proprement dites. Si, par suite des besoins que la religion a éprouvés, on a senti la nécessité d'avoir des succursales, de donner à une certaine circonscription ecclésiastique le nom de succursale, toujours est-il que ces succursales n'ont pas eu l'institution canonique des cures et que dès lors les titulaires de ces succursales ne peuvent jouir de l'inamovibilité qui n'est acquise qu'aux titulaires de cures canoniquement instituées.
Ainsi je réponds ici d'une manière générale à la thèse soutenue par l'honorable M. de Bonne, et je dis que quelles que soient les catégories de desservants que vous reconnaissiez, que vous en reconnaissiez une, deux, trois, quatre ou cinq espèces, que lors même que vous prétendriez que l'article 31, ou l'article 63 des articles organiques est relatif à des desservants d'espèces différentes, peu importe, parce que vous ne pourrez jamais établir qu'un desservant, quelle qu'en soit l'espèce, soit attaché à une cure canoniquement instituée. Or il faut que l'institution canonique de la cure existe pour que le titulaire de la cure puisse jouir de l'inamovibilité. Je ne pense pas, messieurs, qu'il soit possible de répondre à cette argumentation, tirée du concordat de 1801 et tirée des véritables principes du droit canonique.
Je pense donc, messieurs, que, comme je le disais hier, il est impossible de soutenir que les desservants jouissent de l’inamovibilité, et je ne crois plus devoir répondre aux observations qui ont été faites relativement aux différentes espèces de desservants puisque, d'après les observations que je viens de faire, il n'est pas nécessaire de s'occuper de cette question pour soutenir que les desservants ne jouissent pas de l'inamovibilité, attendu qu'ils ne sont pas titulaires de cures canoniquement instituées.
Maintenant, messieurs, l'honorable M. Raikem vous a dit hier que le concordat a toujours été interprété comme je l'interprète moi-même, et il vous a cité des avis du conseil d'Etat où cette vérité est reconnue. J'avais déjà cité un de ces avis, l'année dernière, dans la discussion du budget. Mais, messieurs, il y a un fait bien plus récent : l'archevêque de Paris, dans deux mandements successifs, avait condamné deux ouvrages : « la Voix de la Vérité », publié par l'abbé Clavel et « le Rappel », publié par l'abbé Migne. Il avait condamné ces ouvrages, notamment parce que leurs auteurs y soutenaient que les desservants étaient inamovibles et contestaient par conséquent aux évêques le droit de les révoquer.
L'archevêque de Paris, dans un mandement parfaitement motivé, parfaitement raisonné comme tout ce qui sort de la plume de Mgr. Affre, a prouvé que cette doctrine n'avait aucune espèce du fondement. Eh bien, messieurs, il y a peu de semaines, l'abbé Clavel et l'abbé Migne ont, l'un et l'autre, fait amende honorable, ont l'un et l'autre reconnu qu'ils s'étaient trompés, ont reconnu leur erreur et ont demandé à rentrer en grâce auprès de l'archevêque de Paris. Il me semble, messieurs, que lorsqu'il s'agit de l'interprétation du droit canon, de l'interprétation du concordat, on peut s'en rapporter avec quelque confiance à l'archevêque de Paris.
J'aborde, messieurs, la question des comptes que, d'après l'honorable membre, les séminaires devraient rendre.
Que l'honorable membre me permette d'abord de lui dire que je n'ai pas du tout changé d'opinion relativement à cette question, comme l'honorable membre le suppose, venant sur ce point se joindre à Mgr l'évêque de Liège. (Interruption.) Je regrette que l'honorable membre ne veuille pas être d'accord avec M. l'évêque de Liège, même sur un point, mais il me semble que l'honorable membre a dit, comme M. l'évêque de Liège, que j'avais d'abord soutenu une thèse et que j'avais ensuite soutenu la thèse contraire ; l'honorable membre a même parlé de ma conversion. Eh bien, je suis fiché de devoir le dire à l'honorable membre, mais je n'ai pas du tout été converti ; ce que j'ai soutenu, j'ai continué à le soutenir ; je n'ai en aucune manière modifié mon opinion.
Ainsi, messieurs, j'ai soutenu qu'en vertu de l'article 80 du décret de 1813, il n'y avait pas lieu d'obliger les séminaires à rendre annuellement des comptes, mais j'ai toujours reconnu et ce n'est pas deux ou trois jours après, comme le dit l'honorable M. Verhaegen et comme il semblerait résulter du mémoire de M. l'évêque de Liège, c'est dans la même séance que j'ai eu cette hallucination à laquelle l'évêque de Liége a fait allusion.
Il s'agissait de l'amendement de M. Delfosse, et je soutenais contre l'honorable membre que le séminaire de Liège n'avait pas de compte annuel à rendre, et en énonçant que j'allais défendre cette opinion, je disais que j'examinerais plus tard la question de savoir quels étaient les droits du gouvernement à l'égard des établissements qui demandent des subsides.
J'ai donc soutenu en principe la théorie d'après laquelle le décret de 1813 ne devrait plus recevoir une application générale, et ensuite j'ai admis que lorsque des séminaires ou d'autres établissements ecclésiastiques demandent des subsides, il y a lieu à leur faire rendre compte pour s'assurer si les subsides sont réellement dus. J'ai dit qu'alors le gouvernement pose un acte et que dès l'instant où il pose un acte, il doit justifier que cet acte est un acte utile. Eh bien, celle thèse que j'ai soutenue alors je crois devoir la soutenir encore.
Maintenant, messieurs, l'article 80 du décret de 1813 porte : « Les comptes seront visés par l'évêque, qui les transmettra au ministre des cultes, et si aucun motif ne s'oppose à l'approbation, le ministre les renverra à l'évêque, qui les arrêtera définitivement et en donnera décharge. »
Eh bien, je ne verrais aucun inconvénient à ce que des comptes soient envoyés annuellement au gouvernement par les séminaires, comme la chose a lieu pour les fabriques d'églises. Les fabriques d'églises envoient leurs comptes à la commune, la commune les conserve, mais la commune n'a pas le droit de les approuver. L'article 80 va plus loin, il veut que les comptes des séminaires ne puissent être approuvés par l'évêque que lorsqu’ils ont été vus par le ministre ; eh bien, cette disposition je ne pense pas qu'en présence de notre Constitution elle puisse être exécutée. La bulle dont j'ai tout à l'heure cité un passage, à l'occasion des professeurs des séminaires, cette bulle porte :
« Les évêques, d'après ces motifs, établiront dans leurs séminaires toutes les chaires qu'ils jugeront nécessaires à l'instruction complète de leurs clergé et finalement la doctrine, la discipline, l'instruction, l’éducation et l'administration des séminaires seront soumises, d'après les règles canoniques, à l'autorité des évêques. »
(page 556) Aussi, messieurs, c'est l'administration complète des séminaires qui, d'après les règles canoniques, est soumise à l'autorité de l'évêque. Eh bien, si les comptes doivent être approuvés par le gouvernement, si le gouvernement a le droit de s'ingérer dans les dépenses faites par les séminaires, en tant qu'elles regardent et le nombre des professeurs et les matières enseignées, qui, si elles sont plus nombreuses, exigent un plus grand nombre de professeurs, en ce cas je me suis demandé si l'on pouvait soutenir que l'évêque a la libre administration de son séminaire, si, sous prétexte de réviser un compte, on ne pourrait pas venir critiquer certaines mesures prises par le chef ecclésiastique dans les limites de sa compétence et empêcher ainsi que l'administration du séminaire lui soit complètement dévolue.
Je pense qu'en présence de nos principes constitutionnels, on ne pouvait pas aller maintenant faire exécuter un article qui n'a jamais été exécuté depuis 1815, c'est-à-dire depuis que le gouvernement français a cessé d'exister en Belgique. Voilà, messieurs, la thèse que j'ai soutenue, et cette thèse, je pense qu'on peut la soutenir ; je pense que ce n'est pas violer la loi que de prétendre que les séminaires n'ont pas de comptes à rendre dès l'instant où ils ne demandent pas de subsides.
Mais du moment où les séminaires demandent un subside (et sur ce point, je ne partage pas l'opinion de M. l'évêque de Liège), quelque nom que l'on donne à ce subside, il me paraît évident que le gouvernement aie droit de se faire rendre compte des biens du séminaire, pour s'assurer si l'établissement ne peut pas suffire par lui-même à tous ses besoins.
Ce droit me paraît incontestable, il est clairement établi par la circulaire qui a été adressée au clergé français en décembre 1813, à la suite du décret de novembre de la même année ; cette circulaire prouve qu'à l'aide de ces comptes, on voulait s'assurer si les bourses et les autres allocations dont on gratifiait les séminaires étaient encore nécessaires.
Ainsi la thèse que j'ai soutenue l'année dernière est réellement basée sur les principes consacrés par la législation qui nous régit maintenant.
Aujourd'hui l'honorable M. Verhaegen semble aller plus loin : il voudrait que les cathédrales même, qui ne demandent pas de subsides, rendissent également des comptes. Quant aux séminaires, on peut au moins invoquer un texte ; mais il n'existe absolument aucune disposition légale, quant aux cathédrales. Du reste, l'honorable membre a semblé reconnaître qu'on ne pourrait pas exiger un compte général des cathédrales ; qu'on devrait admettre des distinctions, et examiner quels sont les objets an sujet desquels des comptes devraient être demandés. Je ne me prononce pas d'une manière définitive sur ce qui a été dit à cet égard par l'honorable membre. C'est un point à mûrir ultérieurement, il s'agira d'examiner si des distinctions admissibles peuvent être introduites.
Messieurs,. encore un mot sur les corporations religieuses.
D'après l'honorable M. Verhaegen, j'aurais soutenu une thèse contraire à celle que j'aurais adoptée plus tard ; l'honorable membre m'a dit qu'en vertu du décret de 1809, les corporations d'hospitalières devaient rendre des comptes, et que je n'avais exigé l'accomplissement de cette formalité qu'après qu'il m'avait été démontré à la chambre que des comptes devaient encore être rendus, contrairement à l'opinion que j'aurais précédemment manifestée. L'honorable membre est dans l'erreur ; j'en appelle avec confiance au Moniteur ; jamais je n'ai soutenu que ces corporations n'avaient pas à rendre des comptes ; mais j'ai dit que ces comptes n'avaient pas été rendus depuis 1830, et qu'il fallut un peu de temps pour arriver à l'accomplissement de cette formalité ; j'ai ajouté que j'étais convaincu qu'on obtiendrait ce résultat, et que les comptes seraient rendus ; j'ajoute maintenant que, quand j'ai quitté le ministère, tous les comptes, sauf pour un diocèse, étaient rendus.
Puisque je parle des corporations religieuses, je dirai encore un mot relativement à un débat que l'honorable M. Verhaegen a soulevé à une autre occasion.
L'honorable membre avait dit qu'on avait singulièrement abusé du décret de 1809, qu'on avait reconnu des congrégations qui ne se trouvaient pas dans les termes de ce décret ; j'espérais que l’honorable membre, en parlant, tout à l'heure des congrégations religieuses, aurait cité celles de ces congrégations auxquelles on aurait indûment accordé l'avantage de la personnification civile ; le silence que l'honorable membre a gardé à cet égard me prouve qu'il a reconnu son erreur sur ce point ; d'ailleurs, si l'honorable M. Verhaegen revient sur ce sujet dans le cours de la discussion, je pense qu'il ne me sera pas difficile de démontrer que je ne me suis nullement écarté des dispositions du décret de 1809.
Mais l'honorable membre était allé plus loin ; il avait cité une corporation de trappistes à laquelle on aurait appliqué les dispositions du décret de 1809 ; en d’autres termes, il avait dit qu'on aurait transformé des trappistes en sœurs hospitalières ; l'honorable membre avait dit également que ces trappistes ne jouissaient pas de la personnification civile, que c'était indûment qu'on leur avait accordé le droit d'acquérir et qu'on avait, par arrêté royal, autorisé certaines acquittions.
Messieurs, je n'avais pas alors sous les yeux l'arrêté royal qui a accordé la personnification civile aux trappistes ; je me suis procuré depuis cet arrêté, qui est du 25 janvier 1822 ; il établit, de la manière la plus claire, que les trappistes sont reconnus comme personne civile et qu'ils ont la faculté d'acquérir. J'ai donc été parfaitement exact en avançant que les trappistes avaient été reconnus comme personne civile, avec la faculté d'acquérir des biens immeubles. (Interruption.)
A tort, me dit l'honorable M. Verhaegen. L'honorable membre avait commencé par dire que les trappistes n'avaient pas été reconnus comme personne civile et n'avaient pas le droit d'acquérir ; je lui ai répondu qu’il était dans l'erreur. Maintenant, l'honorable membre place la question sur un autre terrain ; il prétend que si le roi Guillaume a pris cette mesure, il n'avait pas le droit de la prendre ; eh bien, je pense que le roi Guillaume, dans les limites des pouvoirs qui lui étaient accordés, avait le droit de prendre cette mesure ; il puisait ce droit non seulement dans la foi fondamentale elle-même, mais surtout dans un décret de ventôse, an XII, lequel réservait formellement au chef du gouvernement la faculté de reconnaître des corporations des femmes et des corporations d'hommes. C'est le même décret qui supprimait les pères de la Foi, les adorateurs de Jésus, etc. Mais, je le répète, le décret attribue au chef du gouvernement le pouvoir de reconnaître des corporations tant d’hommes que de femmes ; et le gouvernement impérial a reconnu un grand nombre de ces dernières ; le gouvernement impérial a été plus loin que le décret sur les sœurs hospitalières ; car il a reconnu des congrégations de femmes enseignantes, par des décrets de 1806 et de 1807.
Je pense que l'honorable membre a eu tort de critiquer les dispositions du gouvernement belge qui avait accordé aux trappistes l'autorisation d'acquérir des bois, puisque cet établissement en avait déjà acquis et pouvait en acquérir encore en vertu de l'arrêté de son institution.
M. de Bonne. - Messieurs, je ne vous entretiendrai pas longtemps ; ma santé ne me le permettrait pas ; j’aurais désiré pouvoir me dispenser de reprendre la parole, mais je suis forcé de repousser l'accusation d'avoir voulu avilir l’épiscopat, car cela n'a été nullement dans mes intentions.
Je lui porte le respect le plus grand, comme fidèle, quand il demeure dans les limites de ses attributions.
Je dirai à l'honorable M. de Foere que si j'ai accusé l'épiscopat d'exercer envers ses inférieurs un despotisme arbitraire, ce qui est toujours le caractère du despotisme, de n'en faire que des instruments à sa volonté, de s'être imposé au gouvernement, j'ai cité des faits, et ces faits ne sont pas un mystère ; j'ai pris des pièces imprimées et ces pièces, je les ai développées pour démontrer que les maximes que ces ouvrages contiennent, sont contraires à institutions, à nos libertés, à notre Constitution. Des faits semblables et tout aussi graves vous ont déjà été signalés dans une discussion précédente. Vous pouvez vous rappeler que, dans une correspondance qu'on vous a fait connaître, l'épiscopat ne demandait pas, mais exigeait des prérogatives pour donner son concours.
Je suis historien, rien de plus ; je n'ai pas formulé contre le clergé d'accusation grave ; je n'ai en aucune façon cherché à déverser du mépris sur lui ; je respecte, au contraire, le clergé, pourvu toutefois qu'il ne sorte pas des bornes de la religion, qu'il remplisse, comme il le fait sans doute, ses devoirs de ministre de paix, de conciliation et de concorde.
Cependant il est un nouveau fait que je dois vous communiquer pour vous montrer jusqu'à quel point le haut clergé exigeait du gouvernement des actes de complaisance, de condescendance ; je dois le faire, parce qu'une administration de bienfaisance se trouve pour ainsi dire intéressée à et que cet acte soit réformé ou du moins soit examiné.
Il y a cent et quelques années, je pense en 1703, à Bruxelles, de Joseph-Gedulphe-FrançoIs Corselius, conseiller au conseil souverain du Brabant, fonda à Bruxelles une bourse annuelle de 3 ou 400 fl. pour l'étude de la philosophie et du droit ; en cas de défaut de boursiers capables, était-il dit, les revenus annuels de la fondation devaient être distribués moitié aux pauvres de la paroisse de Finistère de Bruxelles et moitié aux pauvres de la paroisse de Sainte-Gertrude à Louvain. Cette fondation fut confirmée par les parents du fondateur.
Je ne sais comment il s'est fait que les biens de cette fondation ont donné lieu à un procès ; ce procès a été intenté à Bruxelles. Dans le jugement qui a été rendu le 7 juin 1847, il est dit que le ministre de l'intérieur, par arrêté du 30 juin 1837, a rétabli cette bourse, et que, le 8 mai 1838, les héritiers du fondateur en ont fait abandon à l'archevêque de Malines, de manière que c'est lui qui, aujourd'hui, nomme les collateurs de cette bourse.
Dans l'acte d'abandon, il a été inséré la clause de « considérer l'université catholique établie à Louvain comme la continuation de celle qui existait anciennement dans cette ville », et la convention avec cette clause a été sanctionnée par arrêté du Roi du 23 décembre 1843. L'arrêté ministériel du 30 juin 1837, ainsi que l'arrêté royal, n'ont été publiés nulle part ; ils ont été produits en originaux.
Je trouve là une condescendance excessivement grave ; il a fallu que l’épiscopat l'exigeât pour que le ministre se soumît à des conditions aussi inconstitutionnelles ; il n'est pas permis de changer la nature d'une fondation, surtout quand il est de principe que lorsque les héritiers du fondateur n'exercent pas leur droit, ce droit appartient au gouvernement.
J'ajouterai que la bourse devait être donnée pour une des universités de l'Etat, seules légalement établies. Je n'ai donc pas eu tort de dire que. jusqu'à un certain point, l'épiscopat s'est imposé au gouvernement. (page 557) Tous les évêques ne sont pas dans ce cas, mais il en est quelques-uns, et cela est devenu de notoriété publique.
L’honorable M. de Foere vous a parlé des bulles Unigenitus et In cœna Domini. Je n’en avais pas parlé. Qu’il en soit fait mention dans la théologie de Dens, je n’en doute pas ; j’ai dit que cette théologie était enseignée dans nos séminaires et qu’elle contenait des doctrines contraires aux principes de nos institutions, à notre Constitution, à notre régime actuel.
La liberté de la presse, a dit l'honorable membre, implique qu'on peut critiquer tout ce qu'on veut.
Sans doute, je pense qu'il est permis d'imprimer tout ce qu'on voudra, mais aussi le gouvernement a le droit de faire rechercher les opinions qui sont contraires à nos droits constitutionnels. Mais que l'on pût les professer vis-à-vis d'une jeunesse qui, s'imprégnant de ces principes, prendrait en mépris nos libertés, nos droits constitutionnels ; je pense que cela n'est pas permis. La liberté d'enseignement irait-elle jusqu'à dire que les droits que le gouvernement veut exercer sont odieux, qu'on ne doit pas les observer ! Si on avait le droit de tout imprimer, de tout dire, il n'y aurait pas lieu de demander la répression de pareilles opinions. Je ne le puis penser. Je conçois les principes de notre Constitution, aussi larges que mon honorable collègue, mais à mon avis ils sont susceptibles de restriction quand on veut la faire servir à détruire les libertés sages qu'elle a établies.
J'ai parlé, il est vrai, de Grégoire VII, de sa légende. J'ai rappelé qu'on avait jugé convenable de l'insérer dans un bréviaire, et j'ai fait ressortir qu'après avoir étudié des principes contraires à notre Constitution, dans la théologie de Dens, les jeunes prêtres appelés à l'exercice du culte se trouvaient conduits à voir que le gouvernement papal était supérieur au gouvernement temporel.
Que Grégoire VII ait fait de grandes et belles choses, j'en conviens ; mais ce n'est pas vis-à-vis des Etats civils qu'il prétendait lui être soumis ; c'est vis-à-vis du clergé dont il a réprimé les désordres à cette époque.
Il l'a forcé à rentrer dans le devoir, il a corrigé les abus et les mœurs dissolues qui le déshonoraient. Si Grégoire VII est un si grand saint si digne de vénération, comment se fait-il que sa légende a été défendue dans tous les pays, dans tous les royaumes, qu'aucun souverain n'ait voulu la recevoir, que tous aient défendu la réimpression des bréviaires qui la contiennent ?
A cette occasion, je dois faire remarquer qu'il était assez singulier que le clergé en Belgique, si ami des libertés, se soit plu à faire réimprimer, à mettre entre les mains de la jeunesse des séminaires et des ecclésiastiques, deux ouvrages dont Charles VI, père de Marie-Thérèse, Marie-Thérèse elle-même, non seulement défendirent la publication mais encore la réimpression. Ce choix est malheureux et donne beaucoup à penser.
J'ai parlé, a-t-on dit, du caprice des évêques auquel étaient soumis les desservants. Cela est vrai. J'ai dit que les évêques pouvaient destituer selon leur caprice. Pourquoi ? Parce qu'ils destituent sans cause. Je n'entends pas contester aux évêques le droit de révoquer des desservants, même des curés, mais il faut en dire la cause. Rappelez-vous combien de réclamations il y a eu en France autrefois contre des jugements qui n'étaient pas motivés. Le même motif milite en cette circonstance. La loi organique ne dit pas qu'un évêque puisse destituer sans en dire la cause.
Dans la supposition, que je n'admets pas, que les desservants soient amovibles, il n'est dit nulle part que les évêques ne doivent pas observer les lois de l'Eglise. Ces lois sont le concile de Trente qui défend de destituer un pasteur ayant charge d'âmes sans en dire la cause.
Si la cause est déterminée, il n'y aura pas lieu de supposer que la destitution soit entachée de simonie, la plus grande plaie de l'Eglise. La destitution peut être fondée sur l'inexécution d'une promesse qu'aurait faite le desservant ce qui la rendrait nulle.
Si ces suppositions n'avaient pas un certain crédit, verrions-nous toutes ces démarches humiliantes qu'on oblige les desservants à faire quand il s'agit d'élection ?
En 1848 (je ne puis donner la preuve de ce que j'avance, parce qu'elle est impossible, et je l'aurais dans ma poche que je ne la donnerais pas) un mandement fut donné pour réunir les voix des électeurs sur certain candidat dans la Campine ; ce fut un curé qui, accompagné d'un fonctionnaire public, alla donner lecture du mandement sans en laisser copie.
En 1847, il y a six mois, un doyen du diocèse de Tournay adressa la circulaire suivante aux différents curés et desservants :
« Monsieur le curé, je m'empresse de vous faire connaître que nos candidats pour la chambre des représentants sont MM. le comte de Lannoy, Marbais du Graty et Feignart.
« Si nous voulons triompher de nos adversaires et nuire le moins possible à notre saint ministère, soyons unis et zélés, prudents et discrets. »
Ce parfum de sacristie n'est pas imitable. Je n'ai pas fabriqué cette pièce, j'en ai pris copie.
Si les desservants n'étaient pas soumis à un véritable despotisme, s'ils ne pouvaient être destitués que pour des causes canoniques et qui pourraient être mentionnées dans le jugement de destitution, se soumettraient-ils à être les messagers de pareilles circulaires ?
L'honorable M., de Foere m'a rappelé que la chambre est incompétente, je le sais bien, aussi n'ai-je jamais soumis à la chambre la décision de la question. Mais elle est compétente lorsqu'il s'agit de savoir s'il n'y a pas lieu de réformer, de corriger, d'améliorer la loi sur la police du culte. Cela, elle a le droit de le faire. Il ne s'agit là que des intérêts matériels ; or, dans tout ce qui est d'intérêt matériel, d'intérêt temporel, la chambre est compétente.
Vous pouvez vous occuper de l'organisation militaire, du commerce, des finances, en un mot de tout ce qui a trait à l'administration de notre petit royaume, sans qu'il soit jamais venu à l'idée de personne de contester à la chambre sa compétence en de telles matières. Il s'agit de même ici d'intérêts matériels.
Je ne demande pas qu'on règle les droits des évêques à l'égard des desservants, l'obéissance de ces derniers envers les premiers, ni les devoirs des uns et des autres dans l'exercice de leur ministère ; mais quand il s'agit de destitution, dans ce cas, avant d'exécuter la décision, le gouvernement a son mot à dire, il peut et doit s'assurer que les lois n'ont pas été violées.
Si la Constitution belge avait entendu proclamer l'indépendante absolue du clergé, on aurait alloué au budget une somme ronde dont l'épiscopat aurait fait la distribution de la manière qu'il aurait jugé convenable.
Enfin, la loi organique, qu'on observe encore en partie, déclare que quand un ecclésiastique est nommé, le gouvernement lui alloue son traitement. Il y a là deux choses distinctes. L'une est la nomination, l'autre est le bénéfice, la rémunération pécuniaire, temporelle.
A cette occasion, l'honorable M. de Foere, répétant la plaisanterie qu'il avait déjà faite, a prétendu que j'aurais voulu convenir la chambre en concile, coiffer les membres de la chambre du bonnet de docteur en Sorbonne. (Notez que je n'ai rien demandé qui ne fût de la compétence de la chambre.)
Je ne répondrai pas à ses petites aménités sarcastiques ; mais je ferai remarquer que la réfutation qu'il a faite n'est nullement fondée. Celui qui a le droit de nommer n'a pas le droit de révoquer. Non, messieurs, celui qui nomme n'a pas toujours le droit de révoquer. Le Roi nomme à des fonctions civiles, aux fonctions militaires. A-t-il le droit de révocation ? Non ; il faut qu'il y ait jugement. En matière canonique, c'est le même chose : le patron nomme, mais il n'a pas le droit de révocation. C'est de là que résulte cette maxime, cet axiome du droit canonique, que l'honorable abbé ne devrait pas avoir oublié, qui est : « suspensus ab officio non est suspensus a benefecio ». Celui qui est suspendu de ses fonctions, n'est pas pour cela suspendu du bénéfice. Il faut que la condamnation soit passée en force de chose jugée, et alors il perd son bénéfice.
Je dois faire une autre observation à l'honorable M. de Foere.
Il a prétendu que les tribunaux avaient décidé la question en sa faveur, parce que la cour de Liège, dans le procès du curé de la Xhavée, s'était déclarée incompétente.
Messieurs, je n'ai qu'un regret, c'est que cet arrêt n'ait pas été porté en cour de cassation ; alors je pourrais admettre le principe qui aurait été décidé en dernier ressort. Ne l'ayant pas été, un semblable arrêt n'est bon que pour celui qui l'a obtenu. Je pourrais le réfuter complètement. Je ne le ferai pas ; je me sens trop fatigué et ce serait trop long. Mais je ferai seulement remarquer que cet arrêt commence par dire que l'article 5 du décret du 23 mars et la loi de germinal an X ont leur source dans les libertés de l'Eglise gallicane et que ces libertés ne sont plus en harmonie avec notre Constitution. Messieurs, en deux mots, la cour de Liège a perdu de vue une chose, c'est qu'un décret du 25 février 1810 a ordonné la publication de l'édit de 1682, et cet édit, c'est la quintessence des libertés gallicanes ; nulle part il n'en est fait mention ; la cour de Liège n'en dit pas un mot ; et cependant les libertés gallicanes sont là bien condensées, bien exprimées.
Il en est ainsi de plusieurs autres considérants de cet arrêt, et qu'il serait facile de réfuter, car il ne contient que des pétitions de principes. Il ne peut, selon moi, faire chose jugée, parce qu'il n'a pas été rendu en dernier ressort.
Une dernière observation, messieurs. L'honorable M. d'Anethan vous a dit que le pape avait pu changer les canons de l'Eglise, même les canons des conciles.
Messieurs, j'en suis au regret pour lui, mais il n'est pas un pays catholique qui admette ce principe ; et si le pape, en 1801, a contrevenu aux conciles, ce n'est que par exception qu'il l'a fait et par la nécessité des graves circonstances dans lesquelles se trouvaient la religion et le clergé français. Qu'on lise la bulle publiée à cette occasion et l'on verra que la doctrine de l'honorable M. d'Anethan est tout à fait erronée.
Qu'on veuille bien remarquer, messieurs, sans vouloir soumettre la question de l'inamovibilité des desservants à la chambre, qu'une grande partie du clergé, une partie des tribunaux n'admettent pas différentes dispositions de la loi organique, que l'épiscopat ne veut pas même observer les lois de l'Eglise, lois qui doivent être sa règle, et je demande en vertu de quelle loi il faut régir l'Eglise. Qu'on lise Portalis, on sera convaincu que tout a été fait dans l'idée de conserver (erratum, p. 576) aux lois canoniques toute leur puissance, à l'exception de quelques dispositions.
Mais comme il est difficile de savoir quelles sont les dispositions qui ont été conservées, quelles sont celles qui ont été abrogées et qui sont contraires à la Constitution, je crois qu'il est du devoir du ministère de déterminer une fois pour toutes la compétence du gouvernement dans (page 558) cette matière., Je n'entends nullement qu'on empiète sur la juridiction des évêques, maïs je pense qu'on doit régler les droits temporels de tout le clergé, qui résultent des avantages qui leur sont donnés et du traitement qui leur est alloué par l'Etat.
(page 561) M. Verhaegen. - Je n'ai que quelques mots à dire en réponse au discours de l'honorable M. de Foere et à celui de l'honorable M. d'Anethan.
Messieurs, je n'ai pas traité une question théologique ; j’ai traité une question de droit public. Je me suis placé sur le véritable terrain ; et comme ce terrain ne convenait pas à mes adversaires, ils n'ont pas voulu m'y suivre.
Quelle est la thèse que j'ai soutenue ? La voici : C'est qu'il n'y a dans l'Etat qu'un pouvoir ; que lorsqu'on vient nous parler du pouvoir spirituel ou d'autorité ecclésiastique, c'est un contre-sens, une contradiction avec la Constitution belge.
Que me répond-on ? On me dit : Vous faites un jeu de mots, et rien de plus. Vous reconnaissez que le clergé a des droits ; nous prenons acte de votre reconnaissance et nous en concluons que le clergé est un pouvoir.
Donc quiconque a des droits constitue un pouvoir. Tous les citoyens ont des droits, des droits civils, des droits constitutionnels, donc ils constituent des pouvoirs.
Ce raisonnement ne mérite pas de réfutation. Ce sont ceux-là mêmes qui me reprochent un jeu de mots qui me répondent par un jeu de mots.
Messieurs, la question que j'ai traitée est délicate pour mes adversaires, j'en conviens. J'ai eu l'occasion d'en faire l'observation au sujet de la loi sur l'instruction primaire. Je n'ai pas admis cette loi parce que je n'ai pas voulu traiter avec le clergé comme pouvoir. Je n'ai pas admis l'intervention du clergé à titre d'autorité dans l'instruction primaire et j'espère qu'on ne l'admettra jamais dans l'instruction moyenne. En attendant, les mots ont une signification et du moment que vous admettez le clergé comme un pouvoir dans l'Etat, vous traitez avec lui comme avec votre égal, vous traitez de pouvoir à pouvoir, de puissance à puissance, et c'est cette idée-là que je veux déraciner ; c'est contre cette idée-là que je protesterai chaque fois que l'occasion s'en présentera.
Je n'admets donc pas de pouvoir pour l'Eglise ; l'Eglise est dans l'Etat, l'Eglise catholique comme l'Eglise protestante, comme l'Eglise israélite, car je ne fais aucune différence entre les différentes Eglises, comme l'article 14 de la Constitution n'en fait aucune.
Voilà, messieurs, mon système. Maintenant pour donner plus de force à ce système, j'ai cité des exemples, j'ai cité des textes de lois, afin de démontrer que le clergé, tout en jouissant de certains droits, de certaines prérogatives, que je me plais à lui reconnaître, doit subir l'influence de ses propres constitutions et en même temps l'influence des lois de l'Etat ; par cela même j'ai établi que le clergé n'est pas un pouvoir et surtout pas un pouvoir indépendant.
Pour la question spéciale qui vous a occupés, celle relative à la nomination, l'installation et la révocation des ministres du culte, qu'ai-je dît ?
J'ai dit que nous reconnaissons à l'Eglise catholique comme à toutes les autres Eglises le droit de s'occuper exclusivement de leurs affaires intérieures ou spirituelles ; j'ai ajouté que nous n'avons pas le droit d'intervenir dans la nomination ou la révocation de leurs ministres. Mais, j'ai dit aussi que les chambres qui annuellement votent les fonds pour payer les traitements de ces ministres, et qui par cela même ont le droit de les refuser, peuvent bien s'ingérer dans les affaires du culte, examiner si ceux qui réclament ces fonds ont obéi à leurs propres constitutions ; et si un jour je rencontre un vice radical, par exemple dans la nomination ou la révocation d'un desservant, qui m'empêcherait de proposer, par amendement au budget, une réduction du chiffre demandé pour le culte catholique ? Mais, messieurs, je ne ferais dans cette hypothèse pour le clergé que ce que naguère on a fait pour le général Vandersmissen. Je soumettrais la question à la chambre, et la majorité déciderait.
On aurait beau faire, ceux qui ont le droit de voter les subsides ont aussi le droit de les refuser ou d'en réduire le chiffre. Je crois que la question, placée sur ce terrain, mérite bien l'attention de la chambre tout entière.
L'honorable abbé de Foere a invoqué tantôt mon respect pour la chose jugée. Certes, messieurs, je m'honore de ce respect et j'admets avec l'honorable abbé de Foere d'aujourd'hui que là où il n'y a pas de respect pour la chose jugée, là où l'on ne reconnaîtrait pas l'indépendance du pouvoir judiciaire, tout serait confusion et désordre. Aussi nous en prenons le pays à témoin, ce n'est pas nous qui avons jamais contesté ces principes, et mon honorable contradicteur arrive un peu tard pour les faire siens. Il invoque aujourd'hui l'autorité de la chose jugée parce que les tribunaux se sont déclarés incompétents ; il s'accommode très bien de cette incompétence, car il soutient que les tribunaux sont incompétents ! et si la chambre aussi est incompétente, par cela même ceux qui doivent toucher sont seuls juges de la question de savoir s'ils ont des droits bien établis.
L'honorable M. d'Anethan n'a pas toujours été d'accord sur ce point avec l'honorable M. de Foere ; à une autre époque, lorsque la cour de Liège n'avait pas encore rendu son arrêt, on avait soulevé dans cette chambre la question de savoir ce qui arriverait si les tribunaux venaient à condamner l'Etat en dernier ressort à payer le traitement du desservant révoqué, et l'honorable M. d'Anethan, qui siégeait alors au banc ministériel, déclara formellement qu'on ne respecterait pas les arrêts de l'autorité judiciaire, que le gouvernement marcherait à rencontre de la chose jugée. C'est bien différent de ce que disait tantôt l'honorable M. de Foere.
On n'aurait pas respecté la chose jugée si elle avait été contraire à certaines prétentions, mais maintenant que la chose jugée ne décide rien, puisque les tribunaux se sont déclarés incompétents, ou proteste de son respect pour la chose jugée.
Je n'ai pas besoin d'en dire davantage sur ce point, mais je tire de là la conséquence que nous devons nous tenir sur nos gardes et que nous avons les moyens de faire respecter le pouvoir de l'Etat avec la législation existante.
Messieurs, on a prétendu que si un desservant révoqué venait demander son traitement en même temps que celui qui l'aurait remplacé, la chambre ne serait pas compétente et que les tribunaux ne seraient pas non plus compétents. Mais alors qui donc déciderait la question ? A moins de dire qu'il faille payer le traitement à tous les deux, vous n'arriveriez à aucun résultat.
Je borne là mes réflexions et je fais remarquer que mon argumentation ne se réduit pas à un jeu de mots, mais que l'opinion que j'ai émise très sérieusement doit entraîner de graves conséquences, conséquences que je ne cache pas, car je dis toujours ma pensée tout entière.
J'ai démontré, messieurs, que le clergé n'est pas, ne peut pas être un pouvoir, qu'il ne traite pas d'égal à égal avec l'Etat, mais qu'il doit respecter les droits de l'Etat, comme il doit respecter ses propres constitutions.
Eh bien, il en résulte que l'honorable M. de Bonne avait raison lorsqu'il soutenait que l'Etat a le droit de prendre des mesures de police pour régler les formes extrinsèques du culte, car avec le système que l'on préconise, on va jusque l'absurde. Vous avez des cloîtres, par exemple ; soutiendrez-vous que l'autorité civile ne puisse pas y pénétrer ? Il y a dans ces cloîtres des étrangers, croyez-vous que, dans des circonstances données, on ne puisse pas se servir, à leur égard, de la loi sur l'expulsion des étrangers ? Il y a des personnes civiles qui n'existent qu'à certaines conditions, entre autres de soumettre annuellement leurs comptes au gouvernement, et ces comptes vous ne pourriez plus les exiger. L'honorable M. d'Anethan vient de dire sérieusement encore, après tout ce qui s'est passé depuis la dernière discussion, que le décret de 1813 serait abrogé par la Constitution, qu'il ne peut plus aujourd'hui recevoir d'exécution. L'article 80 de ce décret dit que les comptes des séminaires sont approuvés par le gouvernement, et cette disposition serait abrogée, pourquoi ? Dans une première discussion l'honorable M. d'Anethan, et j'en appelle au Moniteur, avait soutenu que le décret de 1813 était abrogé par l'article 14 de la Constitution. « Les cultes sont libres, » dit l'article 14 ; et parce que les cultes sont libres, ce serait gêner la liberté du culte catholique, disait alois M. d'Anethan, que de demander à un évêque le compte de son séminaire.
L'assertion était hardie, pour ne rien dire de plus. Aussi, n'a-t-on plus répété depuis l'argument. L'article 14 n'a, en effet, rien de commun avec la reddition des comptes des séminaires.
M. d'Anethan s'est appuyé aujourd'hui sur une bulle de 1827,qui aurait abrogé le décret de 1813. Avant d'examiner cette bulle, posons nettement la question. Pourquoi le décret de 1813 a-t-il ordonné aux séminaires de rendre compte ? C'est parce qu'ils jouissent des avantages de la personnification civile, et que tous les établissements qui jouissent de cet avantage doivent rendre compte au gouvernement de leurs faits et gestes. Voilà le principe, il il n'y en a pas d'autre.
Ce principe doit-il encore recevoir aujourd'hui son application ? L'honorable M. d'Anethan a dit l'année dernière, en termes formels :
« Je pense que l'article. 20 de la constitution et l'arrêté du gouvernement provisoire du 16 octobre 1830 ne concernent que les associations qui n'ont point demandé et obtenu d'être reconnues par le gouvernement comme institutions publiques ; mais que, quant à celles qui existent comme personnes civiles en vertu de dispositions du gouvernement pris aux termes de l'article 2 du décret du 18 février 1809, elles restent soumises à l'obligation établie par l'article 15 du décret. »
Ce qui est vrai de ceux dont parle le décret de 1809, est aussi vrai de ceux dont parle le décret de 1813. Du moment que l'établissement jouit des avantages de la personnification civile, le gouvernement a le droit de savoir en quoi consistent les affaires de cet établissement, de cette mainmorte ; c'est pourquoi l'article 80 du décret de 1813 a ordonné l'approbation des comptes ; cet article existe donc aujourd'hui dans toute sa force.
Maintenant, messieurs, savez-vous ce que c'est que cette bulle de 1827 qui aurait abrogé ces dispositions ? Cette bulle est simplement un concordat que le roi de Guillaume a fait avec le saint-siège principalement pour rendre applicable aux provinces septentrionales le concordat de 1801, alors seulement obligatoire pour les provinces méridionales, ensuite pour ajouter quelques dispositions nouvelles applicables à toutes les parties du royaume.
Maintenant qu'on raisonne de ces dispositions nouvelles ou même du motu proprio qui suit la convention, tout cela est étranger aux dispositions du décret de 1813. Je ne comprends vraiment pas l'argumentation qui tend à établir que la bulle de 1827 aurait abrogé les dispositions du décret de 1813.
Ce n'est pas moi qui avait reproché à l'honorable M. d'Anethan d'avoir changé d'opinion. J'ai cité un fait. M. l'évêque de Liège s'est plaint de ce qu'il appelle les hallucinations de M. d'Anethan ; moi, je n'ai (page 562) rapporté que la phrase du prélat ; l'honorable M. d'Anethan se justifie ; l'évêque acceptera-t-il cette justification ? Je n'en sais rien ; toujours est-il que le passage tiré du Moniteur de l'année dernière, dont je viens de donner lecture il n'y a qu'un instant, est un peu en contradiction avec l'opinion que l'honorable M. d'Anethan a développée aujourd'hui.
L'honorable M. de Foere, tout en admettant qu'il n'est pas permis au clergé de prêcher la révolte ni au prône, ni dans une lettre pastorale, sans s'exposer aux rigueurs du Code pénal, pense que si un membre du clergé, dans un sermon ou dans une lettre pastorale, se borne à censurer un acte du gouvernement ou d'une autorité constituée, les dispositions du Code pénal ne lui seraient pas applicables, parce que sous ce rapport, dit-il, les membres du clergé doivent jouir absolument des mêmes droits que tous les autres citoyens.
Entendons-nous. Sans doute, si un membre du clergé, un évêque, ce qui n'est pas sans exemple, use, comme simple particulier, des colonnes d'un journal, pour exprimer un blâme sur tel ou tel acte du gouvernement ; si, en dehors de l'exercice de ses fonctions, dans des réunions publiques, il fait la même manifestation, il est certes dans la même position que tous les autres citoyens, et il n'y a qu'à lui appliquer les lois ordinaires. Mais le cas que j'ai cité est bien différent : il s'agit du blâme exprimé par les membres du clergé, lorsqu'ils sont dans l'exercice de leur ministère spirituel, lorsqu'ils s'adressent à leurs ouailles, soit au prône, soit dans un mandement ; alors, abusant de leur ascendant moral, ils seraient répréhensibles et ils pourraient être condamnés à la peine comminée par la loi.
L'honorable M. de Foere, qui respectait tout à l'heure la chose jugée, voudra bien la respecter aussi, quand il saura qu'il n'y a pas bien longtemps que dans une commune rurale, voisine de la capitale, deux curés ont été condamnés à trois mois d'emprisonnement, uniquement pour avoir blâmé dans un sermon la délibération du conseil communal, qui avait refusé des subsides aux vicaires. On a donné à cette affaire toute l'importance imaginable ; on a traité la question constitutionnelle ; il y a eu appel du jugement qui condamnait les deux curés, et le jugement a été confirmé ; on ne s'est pas même avisé d'aller en cassation. Je sais que le gouvernement, usant du droit de grâce, a mitigé un peu la peine ; mais cela ne fait rien à la question de principe qui est restée sauve.
Il me reste à dire deux mots quant aux sœurs hospitalières.
J'ai dit souvent qu'on avait abusé du décret de 1809, pour constituer un grand nombre de personnes civiles ; j'ai ajouté qu'on trouvait, pour atteindre ce but, un autre moyen ; moyen consistant à séparer les administrations de bourses des administrations communales, et à créer autant de personnes civiles qu'il y avait de bourses ; j'ai dit encore que bientôt la Belgique serait couverte d'un vaste réseau de personnes civiles.
J'ai cité certaines congrégations, je ne veux pas entrer dans de nouveaux détails à cet égard ; mes discours sont au Moniteur.
L'honorable M. d'Anethan voudrait que je lui donnasse la nomenclature de ces congrégations. Sous peu de jours, j'aurai l'honneur de répondre à son désir. Je me procurerai la note exacte de tous les établissements de mainmorte, et alors il pourra fixer son attention sur l'ensemble ; s'il peut se disculper, s'il peut jeter le fardeau sur d'autres, cela m'est égal ; je ne traite pas ici une question de personne, mais une question de principe.
Quant aux trappistes, l'argument de l'ancien ministre de la justice n'a aucune valeur. Je ne sais comment le qualifier. On n'a pu se défendre d'un accès d'hilarité quand on a vu qu'un voulait considérer les trappistes comme des sœurs de charité. Quant à moi, je laisse de côté la plaisanterie ; je traite la question sérieusement. Ne parlons donc plus de la qualification ; voyons si on pouvait dispenser les acquisitions considérables d'immeubles faites par les trappistes du droit d'enregistrement et de transcription proportionnel ? Ces acquisitions n'ont payé que le droit fixe de 1 fr. 80 c, au lieu de plusieurs mille francs qu'elles auraient dû payer.
Les trappistes, dit-on, sont des personnes civiles, et pourquoi ? Parce que le roi Guillaume, en 1822, leur aurait donné cette qualification dans un arrête. Si le roi Guillaume leur a donné cette qualification, c'est à tort, ses pouvoirs constitutionnels ne l'y autorisaient pas. Il serait fort curieux de voir soutenir, dans cette enceinte, que tout ce qui a été fait par le roi Guillaume dans l'intérêt du clergé, notamment à l'effet de constituer des personnes civiles, devrait recevoir son exécution, tandis qu'on crierait à l'arbitraire pour des mesures souvent très justifiables.
Messieurs, savez-vous comment M. d'Anethan s'y prend pour justifier la personnification civile qu'il a faite des trappistes. Il1 invoque un ancien décret de ventôse an XII permettant au pouvoir exécutif de reconnaître comme personnes civiles toutes les corporations qu'il juge à propos, sans exception.
Je me rappelle que devant la cour de Bruxelles, quand il s'est agi de savoir si les sœurs de Marie de Braine-L’Alleud tenant un pensionnat de demoiselles à mille francs par an, existaient légalement, on a aussi invoqué cet ancien décret de ventôse an XII.
Mais la cour a décidé, par un arrêt parfaitement motivé, que ce décret de ventôse an XII n'existe plus. Il serait trop long de développer ici cette thèse, je renvoie à l'arrêt.
Je n'ajoute plus qu'un mot : si le système de M. d'Anethan pouvait être admis, le pouvoir exécutif pourrait créer autant de mainmortes qu'il jugerait à propos. Je vous le demande à vous tous, messieurs, ce système est-il admissible ? Je n'en dirai pas davantage.
(page 558) M. de Mérode. - L'honorable M. de Bonne vous a rappelé, messieurs, que, peu de temps avant la grande révolution du dernier siècle, les princes se livraient à des anachronismes fort singuliers. Ils s’occupaient en effet de la crainte chimérique de la domination temporelle de Rome, ils défendaient la légende du pape Grégoire VII au moment où certes le danger pour eux n'était pas là.
En effet, peu d'années après la précaution prise par le prince Charles de Lorraine contre la mémoire d'un ancien pontife canonisé, la fille de notre impératrice Marie-Thérèse périssait sur l’échafaud, plusieurs rois perdaient leur couronne, et certainement ce n'était point à cause de l'excessive influence pontificale, puisque Pie VI venait aussi mourir captif en Dauphiné, par la violence d'un pouvoir qui ne tirait pas sa force de la tiare.
Eh bien, messieurs, je suis persuadé que bien des gens qui se croient fort éclairés des lumières du siècle actuel s'égarent de la même manière et cherchent les périls où ils ne sont pas. Ils s'en prennent aux prétentions effrayantes de l'Eglise, tandis que la religion inséparable de l'Eglise peut seule les préserver des périls véritables que court l'ordre social, je ne dis pas immédiatement, mais à une époque qui ne sera peut-être pas très éloignée.
Ainsi l'orateur, qui vient de me précéder, s'attaque avec persistance au principe qui a dirigé notre loi sur l'instruction primaire, c'est-à-dire l'intervention du pouvoir religieux combiné avec celui du pouvoir civil ; et il espère que dans la loi sur l'instruction moyenne on aura soin de ne pas tomber dans la même erreur.
Je crois cependant, messieurs, que s'il vit jusque dans un âge avancé, il reconnaîtra que l'erreur, au contraire, est dans son opinion d'aujourd'hui. Je ne puis ici maintenant développer les motifs de cette conviction, mais si l'on discute la loi sur l’enseignement moyen, je pourrai les faire connaître.
Quant à ce qui concerne les relations des évêques avec le gouvernement à l'égard de leurs établissements ecclésiastiques, il me semble, messieurs, que l'on devrait s'en tenir aux précédents, à l'aide desquels on a vécu réciproquement en paix.
Enfin, les condamnations que vient de vous rappeler le même préopinant prouvent que la domination politique du clergé n'est pas bien à craindre ; car on ne soumet pas ordinairement les dominateurs à des condamnations d'amendes et de prison.
M. d’Anethan. - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire, j'espère que la chambre voudra bien m'entendre.
L'honorable M. Verhaegen a répondu à l'argument que j'avais tiré de la bulle des calendes de septembre, en disant qu'il ne signifiait rien attendu, que cette bulle ne s'appliquait qu'aux provinces septentrionales. L’honorable membre est dans une erreur complète ; il suffit de lire cette bulle pour être convaincu qu'elle s'applique aux provinces méridionales comme aux provinces septentrionales. Le concordat de 1827 est également applicable aux deux parties du pays, car il modifie le concordat de 1801, dans plusieurs de ses dispositions.
Maintenant permettez-moi de dire encore quelques mots. Je désire répondre à l'observation faite par M. Verhaegen, relativement aux trappistes. Il a dit qu'il est extraordinaire que j'invoque l'arrêté du roi Guillaume, attendu que cet arrêté a été pris en dehors des pouvoirs qu'il avait à cette époque ; l'honorable membre a invoqué ce qui a été plaidé devant la cour de Bruxelles dans l'affaire des sœurs de Braine-Lalleud. Mais l’honorable membre ne fait pas attention à une chose, c'est que les sœurs de Braine-Lalleud ont été reconnues par le gouvernement belge, et que les trappistes ont été reconnus par le gouvernement des Pays-Bas. Or le gouvernement belge n'a pas des pouvoirs aussi étendus que cens du roi des Pays-Bas ; par conséquent l'arrêté pris relativement aux trappistes aurait reçu une autre interprétation que celle donnée, dans l'affaire, des sœurs de Braine-Lalleud, à l'arrêté du gouvernement belge.
J'aurais plusieurs autres observations à présenter, mais je ne veux pas prolonger davantage la discussion générale, que la chambre paraît vouloir clore. J'y reviendrai aux articles.
- La chambre, consultée, ferme la discussion générale.
La séance est levée à 4 heures et demie.