(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 321) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à midi un quart.
M. T’Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. A. Dubus présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Plusieurs aubergistes à Herseaux demandent l'abrogation de la loi du 18 mars 1838, qui établit un impôt de consommation sur les boissons distillées. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens.
« Les fabricants de tabac de la ville de Louvain prient la chambre de rejeter la proposition de la section centrale, qui a pour objet de porter à 20 fr. par 100 kil. le droit de douane sur les tabacs en feuilles de toute espèce. »
M. de La Coste. - Messieurs, cette réclamation des fabricants de tabacs d'une de nos villes importantes contre l'augmentation d'impôt proposée par la section centrale, renferme des observations que je crois fort importantes, notamment quant au désavantage qui en résulterait pour la fabrication indigène, comparativement aux fabriques de Hollande avec lesquelles jusqu'ici elle peut soutenir la concurrence. Les réclamants vous proposent, au lieu d'augmentations d'impôts, des diminutions de dépenses. Je n'entrerai pas dans cet examen ; je demanderais que la pétition fût insérée au Moniteur, si déjà, dans des occasions précédentes, il n'avait paru que certains précédents de la chambre s'y opposaient. Je me bornerai donc à recommander la pétition à l'attention de MM. les membres de la chambre, et à demander le dépôt sur le bureau pendant la. discussion du budget des voies et moyens.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Léonard demande qu'il soit pourvu aux places de conseiller communal vacantes à Liège. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La dame de Kenettenorf, veuve du sieur Laincé, ancien brigadier ouvrier tailleur, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir un secours. »
- Même renvoi.
M. d'Huart informe la chambre qu'une indisposition l'empêche de prendre part aux travaux de l'assemblée. Il demande un congé de quelques jours.
- Accordé.
M. Dedecker. - Messieurs, dans une séance précédente, vous avez renvoyé à la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi sur les dépôts de mendicité, une pétition qui a trait à cet objet. Cette pétition a été adressée à la chambre par les membres dirigeants de la société agricole des Bons ouvriers établie à Saint-Sauveur. Elle est très étendue ; elle contient l'organisation, d'abord d'un plan nouveau de centralisation et de distribution de secours publics aux pauvres infirmes et invalides, ainsi qu'aux pauvres valides dont le salaire ne suffirait pas à l'entretien de leurs familles ; en second lieu, un plan d'organisation de dépôts de mendicité cantonaux qui consisteraient en établissements de fermes de bienfaisance où l’on donnerait du travail à tous les ouvriers qui se trouveraient sans ouvrage dans leurs communes respectives.
La commission a examiné avec l'attention voulue ce double plan d'organisation ; elle conclut au renvoi de la pièce à M. le ministre de la justice, dans les attributions duquel se trouvent les dépôts de mendicité ; et en second. lieu, comme la question est très importante pour l'extinction du paupérisme, la commission propose également le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Le double renvoi est ordonné.
M. Destriveaux. - Messieurs, le bourgmestre de la commune de Tilff demande à obtenir le transfert dans cette commune du chef-lieu du canton de Beaufays.
La commission, considérant que le bourgmestre de Tilff ne produit aucune pièce à l'appui de sa demande, estime qu'il y a lieu de la renvoyer à M. le ministre de la justice pour ordonner à cet égard les mesures qu'il croira nécessaires ou convenables.
- Le renvoi est ordonné.
M. le président. - La chambre a chargé le bureau de nommer une commission pour examiner le projet de loi relatif à la prorogation de la loi du 18 juin 1842 relative au transit. Le bureau conserve la commission nommée l'année dernière. Elle était composée de MM. Dumont, Mercier, Loos, Lejeune, Lesoinne et Veydt. M. Veydt est remplacé par M. Delehaye.
M. le président. - La discussion continue sur les articles 7 et 8 du chapitre XVIII, Enseignement primaire.
M. de Theux. - Dans la séance d'hier la discussion a roulé sur la correspondance de l'honorable M. Nothomb, ancien ministre de l'intérieur, chargé de la première exécution de la loi relative à l'instruction primaire, avec les chefs diocésains ; elle a roulé aussi sur le principe même de la loi. En ce qui concerne la correspondance, bien que l'honorable ministre de l’intérieur ait dit qu'elle constatait la faiblesse du pouvoir pendant les six dernières années, je dois, abstraction faite de cette appréciation sur laquelle on pourra revenir plus tard, déclarer que dans toute la correspondance dont il a été question hier, il n'y a pas une ligne qui soit émanée de moi.
J'espère que M. le ministre de l'intérieur voudra bien le reconnaître. Du reste, messieurs, il n'entre pas dans mes intentions de vous entretenir de la correspondance de mon honorable prédécesseur ; je le puis d'autant moins que ce n'est que d'une manière très fugitive que j'ai entendu hier quelques passages de cette correspondance et que pour en parler avec connaissance de cause, j'aurais dû en faire un examen sérieux, approfondi.
Ici qu'il me soit permis d'insister sur la remarque que j'ai faite dans la discussion de l'adresse sur ce qu'il y avait d'insolite dans la manière dont il avait été fait mention de cette correspondance, et d'ajouter que mon étonnement a été également grand d'entendre commenter cette correspondance par un honorable député étranger au gouvernement, attendu que cette correspondance ne faisait pas partie des actes de la chambre.. Du reste, cet honorable membre pouvait demander communication de cette correspondance au gouvernement et en faire usage avec son autorisation. Je n'entends pas critiquer l'usage qu'il en a fait, mais il n'est pas moins vrai qu'il s'est établi à deux reprises une discussion sur une correspondance dont la chambre n'était pas saisie, et que cette discussion ne pouvait être ni fructueuse, ni équitable, ni impartiale, parce que le public n'était pas à même de juger le débat.
En ce qui concerne la loi elle-même, la discussion a porté sur la nomination des instituteurs, sur le concours et sur les cours normaux, et principalement sur l'abstention du clergé considérée en droit et en fait.
On a considéré comme une grande faveur accordée au clergé la part que lui fait la loi sur l'enseignement primaire. C'est là une erreur capitale. La loi sur l'enseignement primaire n'a pas entendu accorder une faveur au clergé. Elle a entendu donner des garanties à la société. Le législateur a voulu, en initiant toutes les conditions de la société à un degré assez avancé d'instruction primaire, offrir en même temps des garanties de moralité basées sur la religion.
Ici ce n'est pas un privilège pour la religion catholique, puisque ce qui est stipulé pour la religion catholique, est également stipulé à l'égard des cultes réformés, à l'égard du culte israélite.
Mettons donc de côté toute idée de faveur, de privilège. Disons que la loi sur l’instruction primaire est une loi sociale, faite dans l'intérêt de tous, et non dans l'intérêt d'une catégorie de citoyens.
Cette loi d'ailleurs est fondée sur l'article 17 de la Constitution, lequel a prévu que l'enseignement donné aux frais de l'Etat serait réglé par la loi.
Pourquoi le congrès a-t-il posé ce principe ? C'est que l'expérience faite sous le gouvernement des Pays-Bas et sous l'empire avait prouvé que le pouvoir, lorsqu'il agit suivant sa volonté, volonté qui varie avec les hommes qui tiennent le pouvoir, il pourrait y avoir préjudice pour la société. Le congrès, dans des vues élevées, a voulu que le pouvoir qui doit se régler d'après la loi dans des matières beaucoup moins importantes, dût se régler aussi d'après la loi dans des matières capitales, telles que l'enseignement public. C'est donc dans l’intérêt de la société que la loi sur l'instruction primaire a stipulé que l'enseignement public comprendrait nécessairement l'enseignement de la religion et de la morale ; que cet enseignement serait donné soit par les ministres du culte eux-mêmes, soit sous leur direction par des instituteurs.
Cette disposition de la loi est de nature à susciter quelquefois des difficultés. Mais, en présence d'un intérêt aussi grand, aussi universel, on ne doit pas s'effrayer de quelques difficultés de détail, de quelques difficultés d'exécution.
On a beaucoup parlé de l'abstention du clergé, du droit d'abstention, de la pratique de l'abstention. On a dit : Mais il dépend du clergé de faire qu'il n'y ait plus d'instruction primaire donnée aux frais de l'Etat, des provinces et des communes dans le royaume. Le clergé n’aura qu’à (page 322) déclarer arbitrairement, sans motifs plausibles, qu'il s'abstient. Tel n'est pas le sens de la loi.
Je dirai même que ce cas ne peut se présenter. En effet, par quel motif le clergé déclarerait-il d'une manière générale qu'il s'abstient ? Evidemment parce qu'il serait en opposition avec le gouvernement sur des points fondamentaux, en ce sens, par exemple, que le gouvernement réduirait à rien, dans la pratique, l'intervention que la loi assure au clergé, qu'il la rendrait illusoire par un mauvais choix des instituteurs, par le choix de livres contraires à la religion ou à la morale de la religion, qu'il permettrait d'introduire dans les écoles primaires où dont il prescrirait l'emploi. Je suppose qu'un cas semblable se présente, et vous conviendrez que l'abstention du clergé serait tout à fait dans son droit et qu'elle serait justifiée dans !a pratique.
Mais alors les écoles primaires seraient-elles fermées ? En aucune manière. Les écoles primaires ne peuvent être fermées que par décision du gouvernement, et le gouvernement qui, dans ce cas, aurait créé le conflit, aurait amené l'abstention, assurément ne fermerait pas les écoles. Mais alors qu'arriverait-il ? Il arriverait que la question rentrerait essentiellement dans le domaine de la législature. Ce sont les chambres qui, dans ce cas, auraient le droit de demander compte au ministère des motifs de l'abstention du clergé, qui auraient le droit de demander si cette abstention est due à des faits posés par le ministère, en contradiction au texte et à l'esprit de la loi, ou si cette abstention est le fait d'un caprice du clergé, d'une prétention exorbitante de sa part.
Dans le premier cas, messieurs, le ministère rendu responsable, ne pourrait pas tenir devant les chambres. Dans le second cas, le ministère justifié par ses actes, serait maintenu par les chambres, et le clergé aurait à s'attribuer le tort qui pourrait résulter, dans l'enseignement de la jeunesse, de l'abstention qu'il aurait décidée.
Voilà, messieurs, pour l'abstention en général. Supposons l'abstention dans des cas particuliers.
Eh bien, encore cette abstention peut être fondée ou ne pas l'être. Elle est fondée si, dans une commune, un instituteur a été nommé qui n'est pas en état de donner l'enseignement de la religion et de la morale, ou qui a une conduite scandaleuse. Dans ces deux cas, cette abstention est fondée, et c'est au gouvernement qu'il appartient de remédier à l'abus signalé par le clergé dans l'exercice de son droit.
Car l'article 8 de la loi sur l'enseignement primaire demande que les chefs des cultes fassent annuellement un rapport au gouvernement sur l'enseignement de la religion et de la morale. C'est dans ces rapports, dans ces inspections, qu'il doit être constaté si l'enseignement de la religion et de la morale est réellement donné conformément aux prescriptions de la loi. S'il ne l'est pas, le gouvernement doit faire exécuter la loi.
Mais si l'abstention du clergé est basée sur d'autres motifs, sur des motifs civils, sur des motifs politiques, alors cette abstention n'est pas fondée et le gouvernement ne doit pas y avoir égard. Il maintient l'école ; il maintient l'instituteur.
Voilà, messieurs, de quelle manière je comprends et j'ai toujours compris l'exécution de la loi. J'aime à croire que la loi, ainsi expliquée, ne soulèverait des objections de la part d'aucun membre de cette chambre.
Messieurs, on s'est beaucoup étonné que le clergé montrât quelque défiance quant à l'exécution de la loi, non pas d'une manière générale, mais pour des circonstances éventuelles. Mais, messieurs, en cela il ne va plus loin que le congrès lui-même qui, lui aussi, a manifesté des défiances à l'égard des autorités publiques et à l'égard de la première autorité, le gouvernement, puisqu'il a voulu que l'enseignement public fût réglé par la loi.
Messieurs, dans un gouvernement, dans des corps où tout change par l'élection, où les principes les plus contraires peuvent être professés par ceux qui détiennent le pouvoir, il est bien naturel que l'on prévoie l'éventualité d'un dissentiment.
Ces observations m'amènent à rencontrer ce qui a été dit hier de l'avis demandé officieusement aux inspecteurs ecclésiastiques par les inspecteurs civils, avant de prononcer l'agréation des instituteurs choisis par la commune.
Ici, messieurs, la mesure se justifie d'elle-même. Les élèves instituteurs, sortant des écoles normales, doivent justifier de leur aptitude à enseigner les différentes branches dont ils sont chargés par la loi. Ils doivent donc subir un examen sur leur capable d'enseigner la religion et la morale, le calcul, l'écriture, la lecture et toutes les autres branches dé science humaine, qui doivent faire l'objet de l'enseignement dans les écoles primaires.
Lorsqu'ils ont satisfait à cet examen, ils obtiennent un diplôme de capacité ; et lorsque, ensuite, ils sont choisis par les commîmes, le gouvernement n'a plus à s'enquérir de rien ; la présentation de leur diplôme répond à tout.
Mais lorsque les communes, comme elles l'ont fait pendant quatre années, en vertu d'une disposition transitoire de la loi, ou bien comme elles peuvent le faire encore aujourd'hui, choisissent leurs instituteurs en dehors des élèves sortis des écoles normales, elles ne peuvent le faire qu'avec l'agréation du gouvernaient. Alors, pour que l'agréation du gouvernement ait lieu eu pleine connaissance de cause, que faut-il ? Il faut que l'inspecteur civil s'assure de la manière qu'il jugera le plus convenable si l'instituteur est capable de donner, dans toutes ses branches, l'enseignement civil, pour m'expliquer d'une manière courte et précise. Quant à l'enseignement de la religion et de la morale, que convient-il de faire ? Consulter officieusement l'inspecteur diocésain pour savoir si l'instituteur remplit réellement les conditions voulues pour donner cette dernière instruction. Je dis officieusement, car aucune mesure du gouvernement ne prescrit d'informations officielles ; ce que le gouvernement a autorisé, ce sont des informations officieuses, et celles-là sont toutes de convenance, et je dirai même de droit, si l'on veut exécuter sainement la loi : car comment le ministre de l'intérieur pourrait-il s'assurer que l'instituteur est à même d'enseigner la religion et la morale s'il n'a pas même demandé l'avis de l'inspecteur diocésain ? Ce serait demander de la part du ministre une chose impossible, ou bien le mettre dans le cas d'agréer un instituteur, abstraction faite de son aptitude à donner cet enseignement, et ensuite de devoir le révoquer lorsqu'il serait constaté qu'il ne sait point satisfaire à cette partie de ses devoirs. Or, il est de principe élémentaire en toutes choses, mais surtout en matière de gouvernement, qu'il vaut mieux prévenir un mal que de le réparer.
M. le ministre de l'intérieur a avancé, dans la séance d'hier, que si les concours n'étaient pas encore organisés, c'est que le clergé s'y était opposé.
Je dirai d'abord que je ne connais aucune opposition du clergé au concours ; mais ce que je connais, c'est une opinion émise par un ou plusieurs membres du clergé, sur l'inutilité et même sur les mauvais effets des concours en général, en ce qui concerne l'instruction primaire. Mais j'ose affirmer à cette chambre que je n'ai reçu aucune espèce de remontrance à cet égard ; il ne m'a été fait aucune objection ni aucune demande de sursis. Mais voici ce que j'ai consigné dans le rapport triennal sur l'enseignement primaire :
« Il y a eu parmi les inspecteurs provinciaux ( et ici il s’agit des inspecteurs provinciaux civils) pour l'ajournement de l'organisation des concours entre les écoles primaires ; quatre de ces fonctionnaires, ceux des provinces de Liège, de Flandre occidentale, de Flandre orientale et de Namur, se sont même prononcés définitivement contre tous, y ont vu de grands inconvénients, aucun ne les a approuvés d'une manière absolue, etc.. etc. » (page 281 du rapport.)
Mais lorsque dans la discussion du budget de l'intérieur de 1847, l'on a fait mention des concours, j'ai fait observer que, dans l'état actuel, le concours n'était pas encore utilement praticable, mais qu'aussitôt que la loi aurait produit des effets suffisants, que les écoles primaires seraient arrivées à un degré de perfection satisfaisant, le gouvernement devrait, dans mon opinion, faire quelques essais de concours, pour en apprécier le résultat, avant de les décréter d'une manière générale, peut-être au grand préjudice de l'enseignement primaire.
L'opinion que j'ai exprimée alors, je la maintiens aujourd'hui ; soyez persuadés, messieurs, qu'elle n'est influencée par aucune autre considération que celle de l'intérêt de l'enseignement même, car, au fait, il n'y a rien d'antireligieux ni d'immoral dans un concours ; il ne s'agit, quant au concours, que des progrès de l'enseignement primaire, de rien autre.
M. le ministre de l'intérieur a aussi parlé des cours normaux ; il a encore cru que si ces cours n'étaient pas encore organisés d'une manière complète dans les neuf provinces, c'est encore par suite d'une condescendance envers des prétentions mal fondées de l'épiscopat.
Eh bien, messieurs, il n'en est rien. L'honorable M. Nothomb a décrété l'érection d'un cours normal dans chacune des provinces, comme il en avait le droit ; je dis : Comme il en avait le droit, pour ne pas confondre avec l'obligation, parce que la loi n'en fait pas d'obligation.
L'honorable M. Nothomb a dit, dans la séance d'hier, comment, d'après son système, les cours normaux devaient être organisés. Il fallait deux années d'études préparatoires auprès d'une école primaire supérieure. Cinq villes s'étaient mises en devoir de satisfaire aux premières prescriptions de M. le ministre de l'intérieur ; c'étaient les villes de Bruxelles, Tournay, Bruges, Gand et Virton ; à la fin de 1845, après examen, on avait admis à ces cours préparatoires, qui devaient précéder l'internat, 17 aspirants élèves-instituteurs, dont trois à Bruxelles, trois à Bruges, trois à Gand, trois à Tournay et cinq à Virton.
Vous voyez, messieurs, que l'importance de ces cours normaux était très faible ; je dirai que la dépense est très considérable, proportion gardée des résultats.
L'on a avancé, dans la séance d'hier, qu'une réclamation a été faite au conseil provincial du Luxembourg, sur l'absence d'organisation des cours normaux à Virton. Eh bien, pendant tout le temps que j'ai été au ministère, je n'ai reçu que deux réclamations pour l'exécution de cette partie de la loi. Une de ces réclamations, émanée de l'inspecteur provincial de l'enseignement primaire du Luxembourg, concernait l'école de Virton ; l'autre m'était arrivée de Gand. En ce qui regarde l'école primaire supérieure de Virton, dès le 6 janvier, peu de jours après la tenue des conférences centrales des inspecteurs, que j'avais présidées, dans laquelle on m'avait signalé l'utilité de pousser plus avant l'organisation de cette école de Virton, dès le 6 janvier, dis-je, j'écrivis à M. le gouverneur du Luxembourg, pour amener l'organisation complète de ces cours à Virton. Si M. le ministre de l'intérieur veut se faire reproduire le dossier, il verra toute la suite de l'instruction à laquelle ma dépêche a donné lieu.
D'ailleurs, messieurs, nous sommes encore à temps pour adopter les mesures qu'il reste à prendre ; les mesures prises à la fin de 1845 se (page 323) rapporteraient seulement aux cours préparatoires ; ces cours devaient être suivis pendant deux ans ; nous arrivons donc à la troisième année, celle de l'internat. Cette partie, j'en conviens, reste à régler ; mais M. le ministre de l'intérieur qui, hier, pensait que je ne m'étais nullement occupé de cette organisation, voudra bien encore consulter les archives de son département, et il acquerra la preuve qu'au mois de juillet dernier, j'ai prescrit à l'inspecteur général des écoles normales et des écoles primaires supérieures de me présenter un plan complet et définitif d'organisation pour les cours normaux dans toutes les provinces.
Voilà, messieurs, ce que j'ai fait. Cette demande je l'ai encore rappelée avant de quitter le ministère. C'est à mon honorable successeur à y donner suite, car j'aime à croire qu'il a reçu un rapport de l'inspecteur général des écoles primaires supérieures et des écoles normales. L'organisation des cours normaux doit se rapporter à la troisième année qui est celle de l'internat. Parmi les communes que j'ai citées, il en est une qui s'est toujours refusée de satisfaire aux prescriptions de M. Nothomb, confirmées par l'honorable M. Van de Weyer, c'est la ville de Bruxelles, laquelle a dit qu'elle n'était pas tenue de fournir de local pour interner les élèves. Le département de l'intérieur a prétendu que cette obligation existait et qu'à défaut par la commune d'y satisfaire, force lui était de s'abstenir, n'ayant ni la faculté, ni les moyens de procurer le local nécessaire. Voilà où l'affaire en est restée. Mais après tout ces cours normaux, dans la pensée du législateur ou dans la pratique, ont-ils une si haute utilité ? D'autre part, est-ce là une question de nature à soulever des questions de parti ? En aucune manière. On ne peut pas soulever de questions de parti à propos des cours normaux, car les élèves-instituteurs formés dans les cours normaux doivent être instruits, formés à l’enseignement de la jeunesse de la même manière que les élèves des écoles normales elles-mêmes, sans quoi ils ne pourraient remplir leur mission.
Dès lors, peu importe, quant aux principes, que l'élevé instituteur reçoive l'instruction dans des cours normaux institués près d'une école primaire supérieure ou dans une école normale ! Savez-vous où est la différence ? Elle gît dans l'aptitude que l'instituteur acquiert dans l'une ou l'autre de ces institutions. Or pour tout homme impartial qui voudra méditer la question de la formation des instituteurs, il n'est pas douteux que l'école normale proprement dite est de beaucoup préférable au cours normal.
L'école normale comporte un établissement beaucoup plus complet, car il serait impossible de donner aux cours normaux avec la même extension l'éducation que dans la pédagogie des écoles normales. Voyez ce qu'il en coûte pour avoir de bonnes écoles normales ; croyez-vous que des communes voulussent faire de pareilles dépenses, en supposant que la dépense serait de beaucoup réduite parce que déjà un personnel est attaché à l'école primaire supérieure ? Il n'est pas moins vrai que les élèves externes pendant deux années, internes pendant la troisième année, ne trouvent pas le même avantage au point de vue de l'éducation que ceux qui sont internes pendant trois années. La pédagogie est moins complète dans les écoles primaires supérieures que dans les écoles normales.
C'est encore là une question qui est toute d'intérêt et d'avenir pour l'enseignement primaire, bien plutôt qu'une question de parti. Toutefois je le reconnais, quelques évêques ont craint qu'on multipliât les cours normaux. En en voyant créer neuf, quand il existe déjà un si grand nombre d'écoles normales, ils ont craint qu'on ne vît déserter en partie les écoles normales, et les grandes dépenses faites pour ériger ces établissements, avoir moins d'utilité. C'est ce que j'appelle la concurrence-Mais ici c'est encore une observation qui ne présente rien de blessant. Lorsque, dans la discussion de la loi, dans le texte de la loi, on a reconnu que le gouvernement pouvait adopter les écoles normales fondées par les évêques, en les faisant inspecter, en surveillant l’enseignement et la collation des diplômes, il acquérait la même garantie que dans les écoles de l'Etat, il y avait non pas concurrence fâcheuse au point de vue du pays, mais utilité évidente pour le pays. Voilà de quelle manière la question a été comprise lors de la discussion de la loi. Cela est tellement vrai que la législature a toujours consenti la collation de quelques bourses au profit des écoles normales épiscopales. Ainsi cette cause de grief disparaît encore.
Messieurs, l'honorable député de Tournay a touché encore hier la question de l'athénée, il a dit que j'avais changé d'opinion sur la question que soulevait le projet de convention.
J’ai déjà eu l’occasion de dire à la chambre que je n’avais pas varié d’opinion, quant aux principes ; je n’ai changé d’opinion que quant à l’interprétation de la convention projetée ? En effet, qu’ai-je dit dans la première discussion ? J'ai dit que dans mon opinion ce projet de convention n'enlevait en aucune manière à la régence le libre choix des professeurs, que ce qui en résultait, c'était que si la régence passait outre à la nomination d'un professeur contre lequel l'évêque avait articulé des griefs graves, l'évêque rentrait dans son droit, retirait le principal.
Ainsi entendue, je ne vois aucune atteinte portée à la liberté de la régence ; mais je dois convenir qu'après les explications ultérieures qui eurent lieu entre la régence et le chef diocésain, il m'a paru qu'il y avait, de la part du chef-diocésain, intention de faire contracter une obligation réelle de la part de la régence qui moralement, au moins, aurait porté atteinte à son indépendance, quant au choix et à la révocation des professeurs. Ainsi entendue, j'ai dit dans la dernière discussion, qu’effectivement cette convention dépassait les limites du droit de la régence. Mais déjà j'avais été au-devant de l'objection en formulant des amendements au projet de loi d'enseignement moyen. Dans ce projet de loi la question est nettement tranchée, elle l'est formellement, conformément aux principes formulés par M. le ministre de l'intérieur dans son programme de 1846.
Dans cette autre discussion sur la convention de Tournay, j'ai dit que j'espérais que la chambre ne sanctionnerait jamais une loi qui interdirait d'une manière absolue tout arrangement entre les régences et les chefs du culte pour assurer l'enseignement de la religion et de la morale.
Ce que j'ai dit alors, je le dis encore. J'espère que toute convention qui ne sortira pas des limites du droit, qui laissera à l'autorité civile l'indépendance dans le cercle de ses attributions, ne trouvera pas d'obstacle dans la loi que nous aurons à faire sur l'enseignement moyen et que nous ne verrons pas ainsi tomber tous les arrangements conclus depuis 1830.
Remontant à l'origine de ces arrangements, je rappellerai au député de Tournay qu'ils datent non pas de six ans, comme il le suppose, mais des premières années de notre Constitution.
Un membre. - Il y en a eu même sous le gouvernement des Pays-Bas.
M. de Theux. - Ainsi il n'y a en cette matière rien de nouveau. Ce qui se pratique sous une administration avait été pratiqué sous une administration antérieure.
Je termine par une considération générale.
On a beaucoup parlé des grands privilèges accordés au clergé par notre Constitution qui proclame la liberté des cultes, la liberté d'enseignement, la non-intervention de l'Etat dans la nomination des ministres des cultes, la défense d'imposer à qui que ce soit un acte qui soit contraire à la liberté des cultes.
Dans toutes ces dispositions, je ne trouve aucun privilège, ni pour le clergé catholique, ni pour les ministres des autres cultes. J'y trouve simplement la consécration elle développement d'un principe.
La Constitution a proclamé la liberté des opinions, la liberté des cultes. Le congrès, après avoir proclamé ces libertés, non dans l'intérêt des ministres des cultes, mais dans l'intérêt de tous les habitants du royaume, est resté conséquent avec lui-même, lorsqu'il a voulu que, dans aucun cas, le pouvoir civil ne pût porter atteinte à l'indépendance des ministres des cultes ; car il serait absurde de proclamer la liberté des cultes pour les particuliers et de permettre au pouvoir d'influencer la direction des cultes ; ce serait une inconséquence que le congrès était trop judicieux pour commettre.
Ici, j'arrive à une observation capitale sur l'indépendance du pouvoir civil. Le congrès a admis de la manière la plus précise l'indépendance en matière religieuse ; et il n'a pas proclamé l'indépendance du pouvoir civil, parce qu'il eût été absurde, je dirai même ridicule de la proclamer. Le congrès était une institution laïque, qui réglait d'autorité le pouvoir politique, le pouvoir administratif ; il ne consultait pas le clergé ; il ne lui demandait pas l'autorisation de faire sa constitution ; il la faisait parce qu'il en avait le droit et le pouvoir.
Il mettait aux mains du pouvoir laïque, toutes les forces de l'Etat. En présence de telles dispositions, il était absurde de parler de l'indépendance du pouvoir civil. Aussi j'avoue que ces mots d'indépendance du pouvoir civil m'ont toujours profondément choqué ; car proclamer cette indépendance, c'est supposer qu'on puisse y porter atteinte. Comme citoyen belge, je n'admets pas cette possibilité. La Constitution ne la suppose pas ; nos institutions sont tellement organisées qu'il est impossible d'y porter atteinte. D'après cela, je dis que cette indépendance dont on fait grand bruit est positivement un non-sens.
Je termine ici mes observations ; car pour rencontrer des observations de détail qui ont été présentées, il aurait fallu que je pusse les lire dans le Moniteur. Or, il n'a pas été distribué avant l'ouverture de la séance. On n'a distribué que le discours de l'honorable M. Nothomb et une faible partie du discours de l'honorable député de Tournay.
Du reste, autant que ma mémoire est fidèle, il me semble que j'ai rencontré les points principaux du débat.
M. de Mérode. - Dans une affaire aussi grave que celle qui concerne l'éducation des enfants de tout un peuple, il importe essentiellement que l'on s'exprime d'une manière claire et sans équivoque, que l'on indique franchement et sincèrement le but que l'on veut atteindre, et qu'ensuite les moyens employés pour l'obtenir soient et simples dans leur exécution, et efficaces dans leur action.
Tel n'a pas été, selon moi, le système adopté par l'honorable M. Nothomb, ancien ministre de l'intérieur. Il a eu des intentions bienveillantes pour l'éducation religieuse, parce que son intelligence est assez élevée pour en comprendre le besoin ; mais il n'a pas voulu, dans ses rapports avec les principaux ministres de l'Eglise, reconnaître franchement la part d'influence qui devait leur revenir dans l'accomplissement de la loi sur l'instruction primaire, conformément aux bases posées par lui-même, du vrai concours libre et honorable des deux autorités ; et pourquoi ? parce que si M. Nothomb est un homme de talent, et porté, par sa nature, vers le bien, il manque de hardiesse et se laisse dominer par des craintes méticuleuses, dont la supériorité de son esprit devrait l'affranchir entièrement.
M. Nothomb ne veut pas d'une éducation primaire rationaliste ; c'est-à-dire à principes vagues, dont on peut dire : tot capita tot sensus, autant de cervelles, autant d'opinions diverses ; mais alors pourquoi vouloir que (page 324) cette éducation dépende particulièrement des ministres qui se succèdent au timon des affaires civiles, et qui certes sont bien loin d'être d'accord sur les idées philosophiques et dogmatiques devant servir de fondement à l'éducation populaire ? Il veut, d'une part, qu'elle soit religieuse ; de l'autre, que l'autorité ecclésiastique ne soit consultée, çà et là, qu'officieusement et sans conséquence certaine sur le choix des maîtres d'école. Or, je le demande, est-ce là le moyen d'éviter l'éducation rationaliste, l'éducation livrée à tout vent de doctrines que repousse l'honorable ministre de l'intérieur, aujourd'hui plénipotentiaire à Berlin ?
Lisez, au contraire, attentivement et sans prévention, la lettre écrite par Mgr. l'évêque de Liège, au nom de ses collègues dans l'épiscopat, à M. Van de Weyer ; vous y trouvez un ordre parfaitement logique d'idées exprimées avec toute la convenance et la modération désirable ; car elle se termine par les paroles que voici :
« Si, sur quelques points de l'exécution de la loi je me suis décidé à signaler ce que j'appelle ses imperfections, je l'ai fait la main sur la conscience pour le bien du pays et nullement dans un esprit de critique ou d'opposition. En vous soumettant ces observations, je pense faire acte de bon citoyen, en même temps que je remplis un devoir de ma charge. Si mes idées sur les divers points que j'ai touchés vous paraissaient peu exactes, veuillez me détromper. L'union du clergé avec le gouvernement pour la bonne exécution de la loi intéresse tellement le bien public, que pour la conserver je suis disposé à tous les sacrifices que ma conscience pourra avouer. ».
Je cite la fin de la lettre pour montrer l'esprit qui anime le prélat zélé pour le bien des âmes, ce qui, j'espère, n'est pas un crime chez un pasteur, et je prends le commencement de sa lettre pleine de bon sens pratique.
« L'auteur du projet de loi, dit-elle, n'a cessé pendant la discussion de représenter cette loi comme une grande et belle transaction entre le gouvernement, la commune et le clergé sur la question que tout le monde redoutait le plus. Le parti qui se dressait contre le gouvernement se croyait impitoyable, parce que, selon lui, le clergé ne pouvait être que déraisonnable, et le gouvernement que servile, M. Nothomb, au contraire, admit la loyauté et du clergé et du gouvernement, il crut à un concours sincère de la part du clergé. Son point de départ fut qu'il y aurait des deux côtés bonne foi, amour de la paix et intelligence des droits respectifs. »
Remarquez bien, messieurs, que quand l'évêque parle ici de droits, ce n'est pas qu'il ambitionne un empire par orgueil, par soif de domination, mais bien par le désir si légitime de remplir le devoir de sa charge vis-à-vis des populations confiées à sa garde spirituelle. Dans son Epitre aux Romains, l'apôtre des nations, saint Paul leur dit : Comment croiront-ils en lui (au Christ rédempteur), s'ils n'en ont point entendu parler, et comment en entendront-ils parler si personne ne leur prêche, er comment leur prêchera t-on si on n'est envoyé ?
Or, quel est le prédicateur de la jeunesse, si ce n'est le maître qui peut former le cœur par ses instructions et non moins encore par son exemple, en même temps qu'il communique ce qu'il sait à son auditoire adolescent ?
Et s'il est envoyé seulement par le choix d'un ministre changeant de l'ordre civil, remplira-t-il ces conditions de l'ordre spirituel ? Qui pourrait, croire sincèrement ?
C'est donc en vain qu'on vient vous dire : On ouvrira au prêtre à deux battants la porte de l'école, il verra, il inspectera. Hélas ! oui, souvent il pourra voir, la tristesse et le découragement dans le cœur, défaire sur les bancs de l'école civile ce qu'il aura péniblement édifié au catéchisme sur les bancs de son église ; car si le maître n'est pas sincèrement l'appui du prêtre, quel sera le fruit des leçons du dernier ? Ah ! si l'on appréciait l'extrême difficulté de soumettre la jeunesse à la pratique de la religion qui réprime tous les penchants vicieux dont l'homme est tourmenté, même dans l'âge mûr et la vieillesse jusqu'à la mort, on ne trouverait pas les prétentions de l'Eglise trop grandes en ce qui concerne l'éducation.
Sept écoles normales avaient été fondées par les évêques et soumises à l'inspection du gouvernement. Cette combinaison renfermait véritablement tout ce que l'on pouvait désirer de logique pour arriver au but de M. Nothomb, l'éducation religieuse et instructive à la fois. Elle était en outre peu coûteuse pour les contribuables. L'élève-maître se trouvait formé dans la foi et les bonnes mœurs par la direction épiscopale. L'Etat avait la garantie des connaissances qu'il acquérait par l'inspection, car si l'instruction était insuffisante, le ministre avait le droit d'exiger qu'elle fût élevée au degré convenable, et ceci est beaucoup plus facile à réformer en cas de défaut que la direction incomplète, l'insouciance sous le rapport moral et religieux.
Je ne crains pas de dire, messieurs, que les écoles normales, dirigées par des ministres qui se succèdent avec des vues différentes sont bien loin d'offrir les mêmes garanties. La loi néanmoins en établit deux à la tête desquelles M. Nothomb plaça deux membres du clergé, très capables sans doute. Malgré cela il y aura là toujours certain tiraillement, permettez-moi de me servir de cette expression, parce que là où il n'y a pas suite et unité de direction, il est impossible qu'il y ait fixité de principes et de volontés constamment convergentes au même but.
Ceci ne peut être que l'apanage des écoles normales de l'épiscopat dans lesquelles s'exerce le contrôle scientifique de l'administration civile, parce que chacun demeure alors dans sa sphère propre ; car l'Etat n'ayant pas de culte, ses délégués sont impropres à former le cœur et l'âme des citoyens, tandis que pour l'instruction ils peuvent être compétents et exercer une surveillance très utile.
L'évêque de Liège avait donc raison de demander qu'on ne se pressât point de fonder des cours normaux que la loi laissait facultatifs ; et en réalité, ne valait-il pas mieux, si les élèves maîtres, placés dans les diverses écoles normales, étaient insuffisants, en augmenter le nombre dans ces mêmes écoles que de les éparpiller encore dans neuf établissements nouveaux ? On nous parle si souvent, et à bon droit, d'économie, qu'on ne peut concevoir le goût singulier de multiplier sans nécessiter les frais.
« J'ai toujours été tenté, dit avec beaucoup de raison le même évêque, de supposer que M. Nothomb avait obéi à une inspiration étrangère, lorsqu'il a proposé à la législature de rendre ces cours normaux possibles (des cours normaux pourront être adjoints) (texte de la loi), car il n'avait aucunement la conscience de leur bonté réelle, il est venu en faire l'aveu en pleine séance, « je ne suis pas grand partisan de ces cours puisqu'il n'y a pas ici d'internat ; » comment aurait-il pu avoir une véritable estime pour ce genre d'institution, alors qu'il a distribué dans toute l'étendue de la Belgique l'Education morale de la jeunesse par M. Thomas Barrau, ouvrage qui venait en 1840 de remporter le prix décerné par l'Académie des sciences morales et politiques, et où, dès la 9ème page, on lit : « Une impérieuse nécessité exige que les élèves-instituteurs soient réunis ensemble ; les isoler, ce serait les perdre, et comme nous le verrons plus tard, tout externat normal doit être proscrit. » Le chef du diocèse de Liège ajoute qu'il aurait bien mieux valu rebâtir des salles d'écoles mauvaises en général que de former 17 ou 18 établissements normaux pour un pays de 4 millions d'habitants. A l'égard des concours, ses observations portent le même caractère de vérité, quand il dit : « Parmi les devoirs les plus sérieux et malheureusement les plus négligés de l'instituteur, il faut compter celui qui oblige à donner à tous les élèves des soins égaux. Dans une école primaire tous les enfants ont besoin d'être aidés, ceux qu'on néglige demeurent ignorants. Or, établissez le concours et vous verrez les maîtres s'attacher plus exclusivement à quelques élèves d'élite, mais une raison plus frappante se tire de l'inégalité des moyens de succès ; le concours, comme mesure pour apprécier le mérite, doit avoir lieu entre égaux, et voilà pourquoi celui que l'administration communale de la ville de Liège a établi entre les classes supérieures des écoles communales de la ville peut produire quelques bons résultats. Mais vous ne trouvez pas un canton où il y ait deux où trois écoles dans une position identique. Ici l'instituteur n'a pendant l’été que les petits enfants, il ne peut former de division supérieure ; la quelques familles aisées envoient leurs enfants à l'école en hiver comme en été pendant plusieurs années de suite. Or, il se pourra que l'instituteur de la première école soit un homme d'un mérite très supérieur à celui de l'instituteur de la seconde, et cependant les résultats du concours seront en raison inverse ; je dirai donc avec franchise qu'on se défie un peu des théories de cabinet, qu'on interroge plutôt les hommes pratiques, et ils s'accorderont à déclarer qu'il n'y a qu'un moyen de juger un instituteur, c'est de le voir à l'œuvre, d'examiner la physionomie de la classe, l'ordre, la discipline qui y règne, la tenue, le progrès des élèves, son autorité, son ascendant sur eux. Ils diront que si le gouvernement veut stimuler le zèle des maîtres, il accorde sur le rapport des inspecteurs une plus large part dans les subsides à ceux qui se seront signalés par le talent et le dévouement. »
Tout ce langage, messieurs, n'est-il pas digne de considérations et d'égards, et quand un évêque présente ces faits à un ministre, peut-il être accusé de prétentions en dehors de la sphère dans laquelle il doit agir ?
J'ai dit en commençant ce discours que dans une affaire aussi grave que celle qui concerne l'éducation des enfants de tout un peuple, il était essentiel d'écarter toute équivoque.
L'article 17 de la Constitution belge ne dit pas qu'il y aura un enseignement directement donné par l'État et dirigé par les ministres, mais simplement que l'instruction donnée aux frais de l'Etat, sera réglée par la loi comme la répression des délits.
Il y a trois ans, messieurs, j'eus occasion de soutenir avec Mgr. Parisis, évêque de Langres, l'un des écrivains les plus serrés dans sa dialectique, une discussion sur l'athéisme légal.
Je soutins, en défenseur du système constitutionnel, que les constitutions de France et de Belgique n'avaient aucun caractère d'athéisme, parce que la liberté des cultes n'avait pas pour but l’indifférence religieuse, mais bien plutôt le libre exercice de la religion vraie, assurée par le libre exercice des religions en général que les gouvernements avaient opprimées trop souvent tour à tour. « Selon les institutions fondamentales de France et de Belgique, disais-je, l'Etat n'adopte point de religion déterminée, ce qui a été reconnu, gardons-nous d'affirmer le contraire, pour le libre exercice du culte et non pas pour l'anéantir. En effet, ces constitutions ne prétendent nullement que les populations qu'elles régissent soient dépourvues de religion. La charte française déclare que la religion catholique est celle de la majorité des citoyens français ; la constitution belge ne s'exprime pas sur un fait palpable, mais elle oblige l'Etat à pourvoir aux besoins matériels du culte catholique et des autres cultes que professent les citoyens belges. La religion sérieuse chez un peuple, est-ce un ordre de cérémonies officielles ou bien la piété dans les cœurs ? Si le gouvernement travaille à détruire cette piété, il est athée, eût-il même un culte apparent. S'il veille au contraire à ce que rien n'empêche le développement des sentiments religieux les plus vrais, il accomplit son rôle moral et juste en ce monde.
« En ce qui concerne l'éducation, par exemple, que doit faire l'Etat selon l'esprit constitutionnel véritable ? Il doit ou renoncer à y prendre une part directe ou l'organiser conformément aux principes religieux des parents dont les enfants seront confiés à ses écoles ; car les enfants ne sont pas les enfants de l'administration qui ne possède aucune doctrine propre à elle.
« Ils appartiennent à la famille où ils sont nés ; aussi l'éducation publique (page 325) donnée aux frais de l'Etat devrait être mise sur le même pied que les cultes dotés par l'Etat qu'il ne confond pas ensemble. Les professeurs de collège et les pasteurs se tiennent de très près, livrer la jeunesse catholique à un maître qui n'est point catholique sincère, c'est presque aussi absurde que de faire prêcher les catholiques dans leur église par un ministre de la réforme ou les juifs dans leur synagogue par un évêque. Or, ce serait là démolir les cultes les uns par les autres, et qu'importe où s'opérerait une belle œuvre si elle s'opère plus ou moins quelque part, fût-ce dans un collège du gouvernement, elle est indigne de lui. Que si l'on se figure qu'une constitution l'autorise on aura raison de la dire fondée sur l'athéisme ; mais nulle part dans les chartes française ou belge on ne trouvera d'article d'où découle une si funeste conséquence. Outre la garantie qu'offre la liberté promise, l'enseignement donné aux frais de l'Etat doit être l'objet d'une loi ; celle-ci, fût-elle détestable, ne prouverait que le mauvais vouloir de l'autorité législative du moment ; mais justement formulée, elle ne peut produire qu'un enseignement public, fonde sur la religion des citoyens de manière à ne pas effacer dans les jeunes âmes à l'école ce qui leur a été appris soit au foyer domestique, soit à l'église. »
Messieurs, il faut le reconnaître et le publier hardiment. Si M. Nothomb trouve que le rationalisme, c'est-à-dire le vague en fait de doctrines, n'est pas admissible dans les écoles primaires particulièrement, il est un parti, puissant surtout par la déception qu'il exerce, à l'aide de certains mots, qui veut introduire ce rationalisme dans les écoles et précisément aux frais de l'Etat : en abusant de l'affirmation que l'Etat est laïque ; en sécularisant l'éducation ; en n'y faisant intervenir le ministre de la religion que comme accessoire et très humble serviteur.
Il importe que le peuple belge sache bien à quoi s'en tenir à ce sujet. S'il veut voir sa postérité de catholicisme, il parviendra facilement à ce terme, en suivant les inspirations du parti que je signale à son attention. Il y parviendra d'autant plus aisément que pour aller du christianisme au scepticisme, il ne faut pas monter, il n'y a qu'à descendre. Faire d'un jeune homme un chrétien ferme et résolu, malgré les fautes inhérentes à la fragilité humaine, est une entreprise laborieuse ; car se maintenir soi-même fût-ce dans l'âge mur, dans la pratique de la religion est une œuvre qui exige une sollicitude continuelle.
Aussi tous ceux qui l'entreprennent savent ce qu'il en coûte et combien on a besoin, pour y réussir imparfaitement, de la grâce divine.
Faire au contraire une éducation prétendue libérale est extrêmement aisé ; on souffle à l'adolescent la science dont il devient très fier pour peu qu'il ait de succès ; puis il est très libéral, envers lui-même bien entendu, c'est-à-dire qu'il se gêne fort peu ; tandis que le chrétien est constamment appelé à se faire violence.
C'est là un fait incontestable. Si donc la nation belge veut suivre cette pente descendante de la pratique du christianisme au système commode bien inférieur dans l'ordre de la vertu, qu'elle laisse largement séculariser l'éducation sous prétexte que l'Etat est laïque, et le résultat ne manquera pas de suivre la combinaison qui tend à le réaliser ; mais quelle que soit la marche adoptée, je voudrais qu'elle eût lieu en plein jour, que le but fût constamment visible et non pas caché derrière les plis du terrain.
Ces plis figurés dans mon langage sont les mots à double sens et parmi ceux-là « éducation laïque » joue le premier rôle. Cependant il peut y avoir deux éducations fort différentes données par des maîtres laïques, l'une par des laïque catholiques sincères élevés pour élever de jeunes catholiques, l'autre également laïque, mais donnée par des laïques insouciants qui ouvriront au prêtre l'école à deux battants, mais ne lui ouvriront nullement le cœur de ceux qu'ils forment.
Il en serait de même pour de jeunes Israélites, des réformés de diverses communions. On peut les amalgamer si bien qu'ils ne croiront à peu près rien ni les uns ni les autres, et je le répète, cette œuvre-là n'entraîne aucune difficulté. Si on la croit bonne, il faut la proclamer, il ne faut pas la cacher derrière des phrases ambiguës. La multitude ne voit jamais bien où la conduisent les meneurs subtils ; je le sais, c'est pourquoi ils usent d'adresse. Quant à moi je ne cache rien ; je veux le maintien de la religion par la liberté sincère et je ne conçois pas que des contribuables catholiques fussent obligés de payer un enseignement qui conduirait leur Eglise à sa ruine. Aussi ai-je toujours préfère la simple liberté des écoles à l'intervention du gouvernement.
A Gand, nous avons une université dirigée par lui. Si nous examinons l'intolérance des jeunes gens qui la fréquentent, qui s'est révélée par l'exclusion récente de camarades liés à la bienfaisante association de St-Vincent de Paul, on peut apprécier l'esprit qui résulte habituellement de la direction administrative civile dans l'éducation. Pourquoi donc accroître son pouvoir là où elle n'est pas en quelque sorte indispensable ? Pourquoi lui donner ce qui est contraire à sa nature ?
J'ai un mot à dire encore sur la convention de Tournay. On a présenté l'évêque de ce diocèse comme une sorte d'usurpateur des droits de la commune ; et cependant hier M. le comte Le Hon vous a dit qu'on lui avait demandé un principal pour le collège de la ville. L'évêque a formulé certaines conditions pour accéder à ce concours bien direct de sa part, ses conditions étaient-elles trop absolues ? C'est possible, chacun a le droit de les juger intimement à son point de vue, mais constitutionnellement parlant, le chef du diocèse de Tournay n'a rien usurpé ; car il ne s'est pas déclaré propriétaire et maître du collège. Aucune loi ne l'obligeait à fournir un principal, et l'usurpation consiste plutôt dans les accusations publiques qu'on accumule à sa charge dans cette enceinte et ailleurs, comme si l'évêque était forcé d'approuver toute l'organisation professorale d'un établissement dirigé par d'autres personnes, et de lui donner pour recommandation aux yeux des parents catholiques un principal de son choix ? Depuis cinquante ans, dit-on, c'était un usage. Mais dans ces derniers temps l'usage se trouvait-il toujours à propos ? C'est ce que nous ne sommes pas appelés à juger. Mais ce qu'il nous appartient de juger, c'est la méthode nouvelle qui consiste à ouvrir les cartons à tels ou tels membres des chambres pour leur faire éplucher la correspondance des précédents ministres. Je dirai que c'est encore une nouveauté fort peu progressive en bien, et si nous pouvions aussi fouiller les monita secreta du ministère actuel, nous y découvririons probablement aussi, comme nous connaissons la destitution d'un maître d'école que je regrette infiniment depuis qu'on en a fait l'objet d'une complaisance, nous y découvririons les motifs cachés de la destitution de tous ces fonctionnaires coupables, comme l'honorable M. d'Huart, de tenir aux anciens principes du congrès.
M. Destriveaux. - Messieurs, je dois commencer par un aveu, c'est que je n'ai pas pu me défendre d'être épouvanté des prétentions de quelques membres de l'épiscopat, prétentions révélées de la manière la plus formelle par les pièces dont nous avons entendu la lecture. Je tâcherai, dans le peu de mots que je me propose d'adresser à la chambre, d'éviter non pas l'adresse, mais l'abus des mots.
Je commencerai donc par dire que dans la question, pour moi, la religion est en dehors de toute espèce de discussion, de toute espèce de portée.
Quant au clergé, je le déclare aussi, par la connaissance personnelle que j'ai acquise des sentiments d'une grande partie du clergé, ou du moins de celui que j'ai été en position de connaître, j'ai acquis la conviction la plus profonde que le clergé moyen ne demande rien de mieux que de joindre ses efforts à ceux de l'autorité publique, pour répandre dans l'enseignement primaire les leçons de la religion, que d'aider les instituteurs civils dans les efforts qu'ils font, pour dispenser la science ou plutôt les sentiments de la morale.
Le clergé moyen que j'ai pu connaître m'a généralement paru rester étranger aux prétentions qui ont été élevées sous des points de vue différents.
Cela posé et la direction de mes pensées étant connue par avance, je dois me demander d'abord, puisqu'on a parlé du clergé, dans quelle situation se trouve le clergé de notre pays, sous le rapport de son indépendance à lui, sous le rapport de ses relations avec l'autorité publique.
On a dit hier, avec grande raison, messieurs, que le clergé en Belgique a une position tout à fait exceptionnelle, exceptionnelle à toutes les législations de l'Europe ; et cela est vrai. La Constitution qui nous gouverne aujourd'hui a émancipé le clergé de la manière la plus complète. L'Etat n'entre pour rien dans la nomination des membres du clergé à toute espèce de grades. L'épiscopat, le clergé moyen, le clergé inférieur, tout cela est constitué d'une manière complètement indépendante de l'intervention de l'autorité publique.
Il faut oublier la législation impérialiste, a-t-on dit hier ; il faut l'oublier ! Nous ne pouvons pas l'oublier, parce que d'autres que nous s'en souviennent, et leur souvenir est constamment en action.
La situation du clergé, sous le rapport politique, est exceptionnelle ; oui, mais elle est bien singulière. Le clergé, à commencer par les rangs supérieurs, exerce, on ne peut pas en douter, une influence morale immense, influence morale qui est fondée sur l'influence religieuse et défendue par elle. Plus le clergé peut exercer d'influence dans le pays, plus il est libre sous le rapport de la nomination, plus, ce me semble, devrait-il donner des garanties au moins dans son existence publique. Eh bien ! recherchons, messieurs.
Le concordat et toute la législation des différents gouvernements qui ont succédé à ce concordat, demandaient du clergé catholique romain des garanties. Tous les évêques devaient être des citoyens français. Les curés devaient être citoyens français. Ils pouvaient demander et obtenir les dispenses du gouvernement. Les évêques n'étaient nommés directement par aucun pouvoir étranger, il fallait l'intervention préalable du gouvernement.
D'autres actes ont succédé au concordat de 1800. L'an 1827, un concordat a eu lieu entre le royaume des Pays-Bas et le souverain pontife. Ces garanties étaient encore maintenues.
Aujourd’hui tout cela a disparu ; tout a été effacé de nos lois.
Ne reste-t-il donc rien en faveur du clergé ? Rien ! messieurs. Mais il reste tous les avantages qui avaient été établis en sa faveur par les législations entraînant des garanties qui sont aujourd'hui abolies.
Il en résulte aujourd'hui que l'épiscopat peut être nommé par une autorité étrangère, peut être constitué personnellement par des hommes étrangers au pays, par des hommes qui n'ont pas le degré de nationalité qu'on exigerait dans un simple garde champêtre. Il n'y a plus d'obligation, plus de serment, plus rien.
Oh ! je le reconnais, il y a le lien moral, il y a le lien politique, il y a le lien que respecte l'homme même étranger aux lois du pays. Mais y a-t-il cette foi intime qui fait qu'un fonctionnaire public est attaché à l'administration dans laquelle il a été nommé ? Y a-t-il cet élan de patriotisme qui fait que le pays dans lequel on vit est pour nous un famille avant les autres ?
Des étrangers nommés par une autorité étrangère, sans la connaissance de nos mœurs, sans la connaissance de nos besoins, viendront-ils nous donner les garanties que nous demandons au dernier des employés de nos bureaux ? Non ! il n'y a de garanties que dans la pureté de leurs (page 326) sentiments. Il n'y aurait de garantie que dans l'existence d'un pontife que nous voyons aujourd'hui avec charme, si je puis m'exprimer ainsi, occuper le siège pontifical et qui peut-être encore, malgré sa perspicacité, malgré la pureté de sa volonté et de ses intentions, n'est pas toujours à l'abri de l'erreur, n'est pas toujours peut-être à l'abri de ces manœuvres qui peuvent flétrir en apparence les caractères les plus honorables.
Voilà, messieurs, comment nous sommes en présence du clergé. Pas de liens politiques. Et j'ai entendu tout à l'heure avec surprise parler ici de deux autorités. Oh ! l'autorité constitutionnelle, l'autorité politique, je la reconnais. Mais aucune autre autorité ne s'abaisse devant elle. Il y a l'autorité religieuse ; mais elle s'agite dans une sphère différente de celle dans laquelle nous nous mouvons. Ce n'est pas une autorité que l'on puisse invoquer ni en politique ni dans l'existence constitutionnelle d'un peuple.
Si l'on avait dit aux hommes les plus attachés à la liberté complète en matière des cultes : Il y a aura une autorité absolue en cette matière qui pourra être exercée par des étrangers, ne se serait-on pas récrié ?
La Constitution a pris toutes les mesures possibles pour assurer cette liberté qu’on réclame et dont, par un singulier abus de la pensée, on voudrait faire une autorité, une souveraineté, pour l'opposer à la véritable souveraineté qui doit seule gouverner le pays.
La liberté de l'enseignement a été placée en face de la liberté indéfinie du clergé, de son émancipation complète. On a dit : « Le clergé doit partager les fruits de cette disposition, la liberté est faite pour lui comme pour tous les autres ; il doit en user. »
D'abord la liberté d'enseignement est écrite dans nos lois constitutionnelles ; il faut respecter cette liberté. Mais, messieurs, entendons-nous à cet égard : cette liberté existe-t-elle donc pour tous les établissements étrangers à l'Etat, qui voudront se former, et l'Etat lui-même serait-il privé, dans ses établissements particuliers, de la liberté dont la Constitution fait un droit pour tous ? Si je ne me trompe, c'est à peu près ce que l'on a prétendu non pas d'une manière trop directe, la prétention aurait épouvanté, mais on l'a prétendu d'une manière indirecte. Remontons à la source. Lorsqu'il s'est agi, au congrès, de la liberté d'enseignement (ce fait a été indiqué hier par un de nos honorables collègues et je le connaissais d'avance) ; lorsqu'il s'est agi de la liberté d'enseignement, une crainte a frappé les esprits ; c'était l'absence de toute mesure préventive, de surveillance ; c'était l'absence de cette garantie que l'Etat avait le droit, le devoir peut-être, de demander. Des réflexions avaient été faites ; un homme bien honorable, bien respectable et que la mort a enlevé au pays, un homme qui m'a laissé un regret profond, l'honorable M. de Sécus père était frappé lui de ces dangers ; il présenta, lui, une proposition relative à la possibilité d'une surveillance, lorsqu'elle serait rendue nécessaire.
Animé par des scrupules de religion que j'honore dans une âme comme la sienne, il a abandonné sa proposition. L'honorable M. Fleussu, qui a laissé parmi vous des souvenirs qui, certainement sont dans nos cœurs, fit la proposition sienne. Cette proposition fut rejetée à la majorité de 76 voix contre 71. La majorité n'est pas forte comme vous le voyez. On était déjà frappé des dangers dont j'ai parlé ; on sentait déjà que la liberté d'enseignement ne devait pas être la licence des établissements.
Aujourd'hui la liberté d'enseignement est proclamée et qu'arrive-t-il ? C’est que, d'un, côté, la liberté d'enseignement est pratiquée tout entière et que ceux au profit de qui elle est pratiquée tout entière veulent intervenir entre le gouvernement et sa liberté, à lui, d'enseignement, et cela pour empêcher cette liberté de s'exercer complètement. Le clergé est en possession de ses écoles ; des écoles sont établies et conduites par des étrangers, par des hommes souvent inconnus. Ces écoles sont ouvertes à l'enfance et fermées à la surveillance publique ; devant leur porte l'autorité publique doit s'arrêter parce que au-dessus est écrit le mot liberté.
L'autorité publique se retire et l'enseignement se donne.
Nous arrivons à l'enseignement primaire. Une loi est faite ; je puis ne point en approuver les dispositions : je n'en demande pas la réforme, mais j'en, juge la moralité politique.
Relativement à l'enseignement primaire, il y a une singulière réunion de mots. On a semblé établir le principe que la morale, que l'on a eu grand soin de joindre à la religion, ne pouvait être enseignée que par le sacerdoce. Ah ! sans doute, tous ceux qui sont honorés du sacerdoce, pratiquant leurs devoirs sacrés, connaissant ce qu'ils doivent à l'Etat, certainement lorsque, à l'autorité de la religion ils joignent celle de l'exemple, ceux-là sont très capables de donner un enseignement moral. Mais faut-il en conclure qu'il n'y ait que le sacerdoce qui puisse enseigner véritablement la morale ? faut-il en conclure qu'on soit obligé d'avoir reçu un caractère particulier à l'exercice de tel culte, pour pouvoir connaître la morale et l'enseigner dignement à la jeunesse ? Non, sans doute, car ce serait proscrire une partie immense de la nation.
Nous parlons ici de la morale ; nous sommes appelés à faire des lois, des actes législatifs, à examiner ce qui fait la base du gouvernement ; nous devons maintenir, ici, nous, la morale, nous devons maintenir tout ce qu'il y a de plus sacré pour l'homme ; et nous ne serions pas dignes d'enseigner la morale et nous n'aurions pas pu l'apprendre, en entrant dans notre cœur et en nous initiant à la révélation divine, et notre langue serait glacée à notre palais lorsqu'il s'agirait de faire comprendre la morale aux enfants !
La morale ne peut être enseignée que par le sacerdoce ! Mais que devient donc le père de famille, que devient l'enseignement de la famille, l'enseignement du coin du feu ? Vous excluez donc cet enseignement de l'exemple, de l'exemple du père, de l'exemple de l'intérieur de la famille par lequel l'enfant se sent poussé au bien dès qu'il commence à sentir les premières palpitations de son cœur ! Que le prêtre soit apte à enseigner la morale, je ne le nie point ; je n'ai pas d'opinion tranchée ni exclusive ; le prêtre le peut ; mais la morale se déploie dans une grande étendue, la morale s'applique à une foule de points ignorés du sacerdoce et qui doivent l'être. Le sacerdoce connaît-il la jouissance, les douceurs, les devoirs surtout de la vie intérieure ? Le sacerdoce connaît-il autrement que d'une manière spéculative ce qu'il faut faire dans la vie domestiqué : les sacrifices auxquels on est tenu, la réciprocité de ces sacrifices ? Mais il vit retiré dans un sanctuaire impénétrable à ces affections, parce qu'on a pensé que, pour être pur, il devait s'élever au-dessus de toutes les causes qui les font naître. Peut-il, lui qui ignore tous les devoirs de la famille, peut-il les faire connaître à la jeunesse ?
Les droits des citoyens et leurs devoirs envers le pays sont-ils- plus sentis de celui dont la destinée est de vivre dans l'isolement ? On veut des garanties d'un enseignement moral, et on a raison, mais prenons-y garde, les écoles qui sont établies et auxquelles je faisais tout à l'heure allusion, les écoles dans lesquelles des étrangers donnent l'enseignement, en conséquence et en application du principe de la liberté d'enseignement, ces écoles, le gouvernement, l'autorité locale, les citoyens, ont-ils le droit d'y pénétrer, d’y exercer une surveillance ? Ont-ils le droit de contrôler l'esprit, la tendance, le caractère des instituteurs ? Ont-ils le droit de demander à ces étrangers s'ils accoutument les enfants au sentiment de la patrie, s'ils les accoutument véritablement au sentiment de la vie domestique ? Ont-ils le droit de leur demander quels livres ils emploient, quelles méthodes ils suivent pour développer ou peut-être pour oblitérer l'esprit de leurs élèves ? Mais, je l'ai dit tout à l'heure, le mot liberté est écrit au-dessus de la porte de ces écoles, et devant cette liberté dont l'usage peut être (je ne dis pas qu'il l'est), dont l'usage peut être meurtrier, délétère pour la cité, devant cette liberté la cité doit s'arrêter !
Voilà dans quelle égalité nous nous trouvons. D'un côté pas de surveillance ; de l'autre, surveillance dont le devoir est imposé à l'Etat. S'il ne s'agissait que de la surveillance des doctrines qu'un mauvais maître enseignerait, cette surveillance appartient à tous les citoyens, elle pourrait même appartenir aux étrangers, à titre de renseignement.
Des prétentions qu'il est impossible de. contester aujourd'hui, qu'on ne peut masquer sous aucune espèce d'habillement extraordinaire ; des prétentions qu'il est impossible de déguiser, existent ; elles ont été formulées ; elles ont été l'objet de négociations ; elles ont été quelquefois accueillies, quelquefois repoussées ; mais elles existent, elles sont incontestables.
Où vont ces prétentions ? Est-ce à assurer la liberté complète de l'enseignement ? est-ce à seconder l'Etat dans ses efforts pour faire descendre l'enseignement dans les classes les plus infimes de la société ? est-ce un auxiliaire généreux qui vient, la tête haute, fier de ses bonnes intentions, vous dire : Voici une main amie que je vous tends ; cette main vous soutiendra. Si par un malheur que je ne puis pas prévoir, vous veniez à être trompé sur le choix de ceux que vous aurez employés, je viendrai encore vous montrer comment on a pu vous égarer. Intervention, non pas d'autorité, mais uniquement de conseil et de bienveillance. Voilà dans quelle position le sacerdoce doit se tenir, s'il ne veut pas descendre de la hauteur de son caractère.
Au lieu de cela, nous voyons tous les principes de la Constitution faussés. Nous avons, calculant la puissance de la pensée, calculant le droit de chaque homme d'écrire ce qu'il pense, à ses risques et périls, nous avons aboli la censure préventive.
Et maintenant qu'a-t-on encore voulu ? Rien de moins que la censure préalable et des personnes et des livres. Il faut que le clergé soit consulté. On a beau dire : « Ce n'est pas à titre d'autorité. » On sait ce que sont les interventions de ce genre ; il ne faut pas fermer devant soi les pages de l'histoire, et sans sortir de notre pays, les temps anciens auxquels on fait souvent un appel irréfléchi, nous font voir jusqu'où se sont étendues des prétentions qui n'étaient présentées d'abord que comme une intervention de pure courtoisie.
Ces prétentions ont été directement, très directement établies ; il y a eu lutte, à l'occasion de ces prétentions, entre le pouvoir communal et ce que je n'appellerai pas le pouvoir épiscopal, mais l'épiscopat. L'épiscopat.... Je m'arrête ici, je ne ferai pas un acte d'accusation. Mais ce qui est incontestable, c'est cette violation flagrante des droits les plus sacrés : la censure préventive sur les personnes, sur les écrits, sur toute chose ; tout avait été enveloppé dans cette censure préventive.
Et la Constitution à la main, nous dirions que cela est bien ! Faudrait-il plier le front, courber la tête devant de pareilles exigences ? Mille fois non, messieurs, il ne le faut pas pour l'honneur du pays ; il ne le faut pas pour l'honneur de l’épiscopat, du clergé ; il ne le faut pas pour l'honneur du pontificat suprême.
Voilà donc en quelle position se trouvait, d'un côté, le gouvernement réduit à une inaction complète, de l'autre, l'épiscopat avec ses prétentions exclusives, exorbitantes.
On veut, dit-on, prévenir des choix malheureux. Des choix malheureux !... Quoi ! Ceux qui ne sont pas dans la vie civile active, dans, la vie administrative, dans la vie politique, pourraient éclairer davantage le gouvernement que ceux qui sont les agents du gouvernement, chargés de l'éclairer sur toutes les parties de l'administration.
(page 327) Ceux pour qui la retraite est une chose recommandée, ceux dont la mission est de vivre en dehors des agitations politiques, ceux auxquels il est prescrit de rendre à César ce qui est à César, connaitraient mieux les hommes que les fonctionnaires publics qui ont vécu auprès d'eux ! Et d'ailleurs, connaît-on parfaitement bien aussi ces personnages venus en Belgique, on ne sait d'où, et qui y ont fait une espèce de nouvelle irruption ?
L'enseignement religieux doit être donné, dit-on ; et si le clergé se refuse à le donner ?
Messieurs, il y a une chose qui me rassure ici sur l'enseignement religieux, c'est le principe même de la liberté d'enseignement. Qui donc empêche, qui a jamais songé à empêcher le sacerdoce de donner l'enseignement religieux, d'en distribuer dans le sanctuaire les vérités à pleines mains ? Est-ce que les pères, les mères, se sont jamais opposés à ce que leurs enfants allassent chercher sur la bouche du sacerdoce les vérités dont les pères, les mères, ont été si pénétrés ? La liberté d'enseignement répond de tout ; elle est plus dignement exercée dans le sanctuaire de la religion que dans cette atmosphère de prétentions qui bien souvent ne sont pas fondées à cause de leur exagération.
Si le sacerdoce n'intervient pas dans les écoles primaires, je dirai aux pères, aux enfants : « Voilà l'église, allez y recevoir l'instruction religieuse. » Nous avons un exemple d'un établissement d'instruction qui a été abandonné par le clergé. Cet établissement n'a jamais été dans une plus grande prospérité qu'aujourd'hui.
Je ne dis pas qu'elle soit due à cette circonstance, mais cela prouve du moins que cette circonstance n'y a pas fait obstacle.
Je termine ici en parlant de la censure préventive des livres et des hommes ; la censure préventive des livres, on ne s'y est pas borné, on ne s'y bornerait pas, il a fallu une immolation, il a fallu un holocauste, vous l'avez entendu, un père de famille pour récompense de 30 années de travaux pendant lesquelles sa probité a toujours été reconnue et à qui on n'a pas osé reprocher de ne pas savoir enseigner la morale et la religion, ce père de famille a été repoussé... et Renaix le regrette encore.
- La clôture est prononcée.
« Art. 7. Frais d'administration. Inspection civile. Service annuel ordinaire de l'instruction primaire communale, et subsides aux communes. Matériel. Construction, réparation et ameublement d'écoles. Encouragements. Subsides à des établissements spéciaux. Enseignement normal. Ecoles primaires supérieures : fr. 1,146,638 40 c.
- Adopté.
« Art. 8. Subsides pour l'enseignement à donner aux sourds-muets et aux aveugles : fr. 20,000. »
- Adopté.
M. de Bonne. - Messieurs, j'ai une observation très simple à présenter à M. le ministre de l'intérieur ; comme elle ne peut se rattacher à aucun des articles séparés de ce chapitre, je demanderai la permission de la faire sous la forme de discussion générale ou préliminaire du chapitre.
Il s’agit de l’exécution de la loi sur la propriété littéraire. Cette loi ordonne le dépôt de trois exemplaires au chef-lieu de l'administration municipale. Si mes renseignements sont exacts, cette formalité n'est pas exécutée. Savez-vous ce que font les éditeurs ou imprimeurs ? Ils déposent une partie de l'ouvrage qu'ils éditent ou impriment. Vous savez que beaucoup d'ouvrages sont publiés par livraisons ou par volume, ou par demi-volume. On dépose la première livraison de la première partie de l'ouvrage, on en fait dresser acte et ensuite on ne voit plus rien, la suite de l'ouvrage n'est jamais remise.
Si les éditeurs croient avoir satisfait à la loi par ce dépôt incomplet, ils se trompent ; la loi de 1817 ordonne le dépôt de trois exemplaires pour établir la propriété ; or, le dépôt de la première partie d'un volume ou d'une livraison d'un ouvrage, quand on ne dépose pas la suite, ne peut tenir lieu du dépôt prescrit par la loi. Je prierai M. le ministre de l'intérieur de vouloir rappeler aux administrations communales qu'elles doivent exiger l'exécution de la loi.
Ensuite, comme dans les administrations communales tout s'égare ou se perd, je demanderai à M. le ministre si de ces trois exemplaires, il ne pourrait pas en faire remettre un au ministère de l'intérieur, ou à la bibliothèque royale et le troisième à la bibliothèque de la chambre. Tous les dépôts publics sont des dépôts nationaux.
Je désire que les éditeurs ou imprimeurs sachent bien qu'en ne déposant qu'une partie des ouvrages qu'ils éditent, ils ne se conforment pas à la loi, et qu'ils ne se mettent pas à l'abri d'une réimpression ou d'une contrefaçon.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - J'ai rappelé récemment les dispositions sur la matière.
« Art. 1er. Encouragements, souscriptions, achats. Publication des chroniques belges inédites et des documents rapportés d'Espagne. Exécution et publication de la carte géologique, charge ordinaire : fr. 56,000.
« Charge extraordinaire : fr. 12,000. »
- Adopté.
Art. 2. Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts : fr. 40,000. »
- Adopté.
« Art. 3. Observatoire royal : fr. 24,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Bibliothèque royale : fr. 65,000. »
- Adopté.
« Art. 5. Musée royal d'histoire naturelle. Seconde moitié des frais d'établissement d'armoires et d'appropriation des galeries de ce musée, charge ordinaire : fr. 14,000.
« Charge extraordinaire : fr. 2,500. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - J'ai reçu récemment une réclamation d'un fonctionnaire qui avait été nommé, par un de mes honorables prédécesseurs, directeur du musée d'histoire naturelle. Ce fonctionnaire étant alors membre de la chambre, des explications avaient été demandées, à ce sujet, par mon honorable ami, M. Osy. L'honorable M. Osy avait voulu savoir si un traitement était attaché à cette fonction conférée à un membre de la chambre, l'honorable M. de Theux répondit qu'aucun traitement n'étant attaché à cette fonction, il n'y avait pas lieu pour le titulaire de se soumettre à une réélection. Depuis, le titulaire a cessé de faire partie de la chambre ; il résulte des réclamations qu'il m'a adressées, qu'un traitement lui avait été promis. Je le conçois, je ne comprendrais pas pourquoi l'honorable M. Dubus, faisant à lui seul à peu près exception à la règle générale, consentirait à donner gratuitement ses soins à la chose publique.
J'ai fait connaître quels étaient, à mes yeux, les droits du gouvernement en fait de nomination dans les limites du budget. Je crois que mon honorable prédécesseur, M. Van de Weyer, a eu le droit de nommer un directeur du musée d'histoire naturelle. Il a fait cette nomination le 31 mars, jour de sa retraite et de l'entrée de l'honorable M. de Theux.
En présence des engagements qui ont été pris, en présence du principe qu'on ne peut contester, en bonne règle administrative et qui consiste à salarier ceux dont on attend des services, dont on a le droit de réclamer les services, il m'était impossible de me refuser à proposer une augmentation de crédit destinée au traitement du nouveau fonctionnaire.
Le traitement proposé en faveur du directeur avait été porté dans un rapport à la somme de 5 mille francs. Je dois dire qu'une note de M. Van de Weyer porte : « C'est trop ». J'ignore à quelle somme l'honorable M. de Theux se serait arrêté.
J'ai besoin d'une explication de sa part. Pour moi, je pense aussi que 5 mille fr. seraient trop. Mais je crois qu'en augmentant de 5 mille fr., la somme qui figure aujourd'hui au budget, je parviendrais à former, pour ce fonctionnaire, un traitement convenable. Ce traitement ne le placera pas sur la même ligne que les directeurs d'autres établissements publics, qui reçoivent, en traitements, émoluments, frais de logement et de bureau, des sommes beaucoup plus élevées.
Je demande donc que le chiffre de 14 mille fr. soit porté à 17 mille fr.
M. de Theux. - Je n'ai pas agité avec le conservateur du Musée la question du traitement. L'organisation avait été faite, comme l'a fort bien dit M. le ministre de l'intérieur, par mon prédécesseur M. Van de Weyer. Il m'a été dit que M. Van de Weyer avait, en effet, promis un traitement au directeur du Musée.
Pour moi, j'ai annoncé que je n'accorderais aucun traitement, à moins qu'il n'y ait un vote de la chambre. Je ne contredis pas ce qu'a dit M. le ministre de l'intérieur. Ce que j'en dis, c'est seulement, pour expliquer la réponse que j'ai faite à l'honorable M. Osy. J'ai dit que si un traitement devait être alloué, il serait proposé au budget.
Maintenant, je me réunis volontiers à la proposition de M. le ministre de l'intérieur. Lorsque dans le courant de l'été, une réclamation m'a été faite, j'ai rappelé à ce fonctionnaire la déclaration que j'ai faite à la chambre. Je lui ai aussi écrit que si M. le ministre de l'intérieur proposant une allocation, je l'appuierais très volontiers.
M. Osy. - Je suis de l'opinion de M. le ministre de l'intérieur que nous ne devons pas avoir d'employés non salariés. Par cette raison, j'appuierai la proposition de M. le ministre de l'intérieur. Mais à cette occasion je ne puis m'empêcher de dire que le jour où j'ai vu dans le Moniteur la nomination de notre honorable collègue à la place de directeur du musée, j'ai demandé s'il y avait un traitement ; on m'a répondu non. Je dis qu'il y a eu manque de franchise ; car si on ne proposait pas un traitement, il y avait une promesse qui vaut un traitement. Si l'on dit à des membres de la chambre : Quand votre réélection sera là, on vous donnera une place de 5 ou 6 mille francs ; je vous demande en conscience si une telle promesse n'équivaut pas à un traitement.
Nous avons vu, peu de temps après les élections, des arrêtés qui m'ont fait de la peine. On a donné un traitement de 6,000 fr. à un membre de la chambre et un traitement de 4,000' fr. à un de nos collègues non réélu. Si l'on fait de telles promesses deux ou trois mois avant les élections, n'est-ce pas une corruption ? C'est une corruption ; car une promesse vaut un traitement. L'honorable M. Dubus ne fait plus partie de la chambre, ce n'est donc pas de lui que je parle. Mais je dis qu'on a manqué de franchise. On a dit : Non ; il n'y a pas de traitement. Je dis : Oui, parce qu'une promesse de traitement équivaut au traitement même.
Je demanderai au gouvernement de ne plus renouveler ces inexactitudes, de ne pas continuer un système qui aurait pour résultat d'introduire dans la chambre des germes de corruption.
(page 328) M. de Theux. - En fait de traitements, je ne reconnais que ce qui résulte d'arrêtés royaux, ou de dispositions de la loi, telles que des allocations au budget.
Loin de moi l'idée de jamais vouloir corrompre un membre de cette chambre par une promesse de traitement. On me rendra cette justice que je suis au-dessus d'un pareil soupçon. La promesse dont il s'agit n'a pas été faite par moi. Je suis resté parfaitement libre de proposer ou de ne pas proposer un traitement.
D'autre part, le fonctionnaire était aussi libre de se retirer si on ne lui faisait pas un traitement. Voilà la vérité. Mais jamais il n'est entré dans ma pensée de capter, je ne dirai pas les suffrages, mais la bienveillance d'un membre de la chambre par une promesse de traitement. Je rougirais de faire une pareille avance à un membre de la législature.
Quant à un fonctionnaire qui a reçu un emploi après les élections, je ferai remarquer qu'il ne faisait plus partie de la chambre. A cet égard, le gouvernement était parfaitement libre.
M. Delfosse. - Avant de me prononcer sur l'augmentation proposée par M. le ministre de l'intérieur, je désire savoir quel était l'état des choses existant avant le nomination de M. Dubus. N'y avait-il pas à cette époque quelqu'un qui était chargé de la surveillance et de la direction du Musée d'histoire naturelle ?
Ce n'est pas sans une vive opposition que la chambre a adopté la convention qui est intervenue entre le gouvernement et la ville de Bruxelles. Les opposants, et j’étais du nombre, faisaient remarquer que le gouvernement ne recevrait, en échange des millions qu'il allait donner à la ville de Bruxelles, que des valeurs en partie fictives. La ville de Bruxelles cédant diverses collections, qui avaient toujours été à la disposition du public, le public ne devait donc retirer aucun avantage de la convention, et le gouvernement, bien loin d'en retirer un avantage quelconque, s'imposait l'obligation de supporter les frais de surveillance, qui seraient beaucoup plus considérables pour lui que pour la ville. Nos prédictions commencent à se réaliser ; voici qu'on nous demande un traitement de trois mille francs, on viendra peut-être plus tard en demander d'autres.
Je n'entends pas adresser de reproche à M. le ministre de l'intérieur. Il agit sous l'influence d'actes posés par ses prédécesseurs. Mais nous sommes libres de n'en tenir aucun compte.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, lorsque le musée d'histoire naturelle fut transféré de la ville de Bruxelles aux mains du gouvernement, celui-ci s'occupa d'un projet d'organisation intérieure. C'est à la suite de ce projet d'organisation que l'on jeta les yeux sur M. Dubus comme directeur du nouvel établissement. M. Dubus faisait partie de la commission de surveillance du musée. Dès cette époque, l'honorable M. Nothomb avait jeté les yeux sur lui. Il avait été entendu, je pense, dès ce moment, que le traitement de M. Dubus ne prendrait cours qu'à l'expiration de son mandat de député. Voilà du moins les renseignements qui m'ont été fournis.
La nomination de M. Dubus fut faite par M. Van de Weyer le 31 mars, jour de sa sortie du ministère. L'honorable M. Van de Weyer entendait bien qu'un traitement serait attaché à ces fonctions.
Il est probable que l'honorable M. de Theux connaissait ces intentions, qu'il connaissait même l'opinion de M. Dubus quant à la question du traitement ; qu'il était aussi d'avis qu'un traitement devait être attaché à ces fonctions.
Cependant le traitement n'a pas été compris dans la somme de 14,000 fr. proposée au budget. Je suis convaincu que l'honorable M. de Theux aurait été amené à faire ce que je fais, en exécution d'engagements antérieurs.
Voici comment je considère mes devoirs vis-à-vis de mes prédécesseurs. Je veux remplir les engagements qu'ils ont pris, alors même que le fonctionnaire auquel ces engagements ont rapport n'aurait pas mes sympathies politiques. Je pense qu'il est des traditions d'honneur administratif en quelque sorte qu'il faut maintenir intactes.
En nommant M. Dubus, on a pris l'engagement formel d'attribuer un traitement à la position. Je viens remplir cet engagement. Je crois agir ici d'après une bonne règle administrative et avec loyauté.
Quant à la fonction, si je l'avais reconnue inutile, j'aurais pu me montrer plus sévère. J'aurais pu réduire le traitement, j'aurais pu faire en sorte que l'honorable titulaire renonçât a ses fonctions. Mais je crois que ces fonctions sont utiles, qu'elles sont nécessaires.
Avant que le musée passât dans les mains de l'Etat, je pense que ces fonctions n'existaient pas, et que la surveillance du musée était livrée à un employé tout à fait subalterne, par conséquent sans responsabilité.
Un membre. - Il y avait une commission de surveillance.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Oui, mais une commission de surveillance exerçant des fonctions gratuites ; mais quant à celui qui exerçait une surveillance active, une surveillance de tous les jours, quant au fonctionnaire responsable, je pense que c'était un employé très subalterne.
Ce musée, messieurs, renferme des collections précieuses ; il peut encore s'enrichir d'année en année ; il peut devenir une propriété très importante. Il a donc besoin, comme tous les autres établissements publies, d'un directeur, d'un surveillant responsable ; c'est pourquoi la nomination en a été faite.
M. Verhaegen. - Messieurs, avant la question de chiffre, il y a une question de principe ; c'est celle qui a été soulevée par l'honorable M. Osy, et je désire qu'elle ne passe pas inaperçue.
Messieurs, vous appréciez tous l'importance de la disposition d'après laquelle un membre de la représentation nationale ne peut être nommé à un emploi salarié sans être soumis à réélection. Je n'entends pas faire ici une question de personne ; je n'entends pas reprocher à l'honorable M. de Theux d'avoir voulu corrompre un membre de la représentation nationale. Mais si le principe venait à être sanctionné, on pourrait trouver plus tard dans des mesures semblables à celles que nous critiquons, un moyen de corruption.
Si je comprends bien, voici ce qui s'est passé.
M. Dubus, membre de la représentation nationale, fut nommé directeur du Musée d'histoire naturelle. On lui promit des appointements ; mais on stipula que ces appointements ne seraient payés que lorsque M. Dubus cesserait de faire partie de la représentation nationale.
Messieurs, si de tels actes pouvaient être posés, le principe dont je viens de vous parler et qui est si rationnel, serait sapé dans sa base.
Un traitement à terme n'en est pas moins un traitement ; la suggestion est la même. Si un ministère nomme un membre de la représentation nationale à une place qui sera salariée lorsqu'il cessera de faire partie de la législature, il pourra se faire, que par reconnaissance, ce membre de la représentation nationale, qui a quelque chose à attendre du ministère, votera toujours pour lui ; sa condescendance sera le prix du service que lui aura rendu le ministère.
Voilà à quelles conséquences peuvent conduire des faits tels que celui qui a été posé et dont nous venons d'apprendre les détails.
Il y a eu nomination de M. Dubus à un emploi qui devait être salarié ; mais comme il devait être soumis à la réélection, on nous a annoncé qu'il ne recevrait pas de traitement. On se sera dit : Nous pouvons parler ainsi, parce qu'il n'a pas de traitement dans le moment actuel ; c'est une réserve mentale, si vous le voulez ; mais il n'en est pas moins vrai qu'un traitement avait été accordé à M. Dubus, sauf à ne le lui payer que plus tard.
Au reste, M. de Theux ne doit pas avoir recours à tant de subtilités pour expliquer cet acte. Il s'est passé, lors de sa retraite, un fait qui ne nous a pas moins étonnés que celui qui vient de nous être signalé. N'avons-nous pas vu, après la démission du ministère, des nominations à des emplois de commissaires près de certains chemins de fer, emplois qui doivent rapporter des 5,000, des 6,000 fr. et qui ne doivent être exercés que dans quelques années ? On aurait pu comprendre que s'il y avait eu nécessité de faire dans un bref délai les nominations, le ministère démissionnaire se fût dit : Il y a un emploi vacant, hâtons-nous d'y nommer. Mais, je le répète, il ne s'agissait pas de fonctions dans lesquelles on allait entrer immédiatement, il s'agissait de fonctions que l'on n'exercera que dans cinq ou six ans et que peut-être on n'exercera jamais.
Voilà, messieurs, comment on a agi, toujours dans la même sphère, à l'égard aussi de membres de la représentation nationale. Quant à moi, je le déclare, je trouve de tels actes fort peu édifiants.
M. Nothomb. - Je vois, d'après une note que M. le ministre de l'intérieur a bien voulu me passer, que le fonctionnaire dont il s'agit, nommé le 31 mars 1846, aurait déjà reçu de moi, longtemps auparavant, l'espérance de sa nomination à la condition indiquée, pour échapper à la réélection.
Je dois dire que je n'ai aucun souvenir d'un arrangement de ce genre. Si je l'avais pris, il aurait fallu chez moi une irréflexion bien grande ; je le déclare ouvertement.
Je dois supposer que le signataire de cette note n'a peut-être pas compris toute la gravité de l'assertion. Je chercherai à éclaircir le fait. Je me rappelle fort bien que, dès que le gouvernement fut entre en possession des collections de la ville, il s'est agi de la réorganisation ; il a dû aussi entrer dans ma pensée qu'un homme très capable de remplir les fonctions de directeur, si l'on créait un directeur, était l'honorable M. Dubus. (Interruption.) C'était chez moi une pensée naturelle ; je me suis dit que c'était l'homme qui convenait ; mais je n'ai pas été au-delà. C'est tout ce que j'ai pu dire à M. Dubus.
M. de Theux. - J'ai dit, messieurs, que c'était l'honorable M. Van de Weyer qui avait nommé et qui avait promis le traitement ; ce n'est pas à moi, par conséquent, que le titulaire de l'emploi pouvait savoir gré de sa nomination.
Je suis complètement désintéressé dans l'affaire, car la nomination a été faite par l'honorable M. Van de Weyer ; lorsqu'on m'a demandé si un traitement était accordé, j'ai dit non, et sur l'interpellation s'il y en aurait un, j'ai dit qu'il n'en serait accordé qu'autant que le gouvernement l'eût demandé au budget. Voilà ce que j'ai répondu et voilà ce que l'honorable ministre de l'intérieur réalise.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Vous l'auriez proposé.
M. de Theux. - Il est possible que je l'aurais proposé, mais je n'avais pris aucun engagement. Si un engagement avait été pris par M. Van de Weyer, quant à moi, je ne l'avais pas ratifié. Je ne me suis pas occupé, pendant que j'étais au ministère, de cette question.
Maintenant je dis que la promesse d'un emploi ou d'un traitement n'équivaut pas à un emploi ou à un traitement accordé. Jugez où vous iriez : on viendrait vous déclarer qu'on a l'espoir d'obtenir un traitement si le gouvernement en propose au budget ; pourriez-vous, sur cette déclaration, annuler le mandat de député ? En aucune manière, il n'y a, (page 329) messieurs, lieu à réélection qu'autant que la fonction soit actuellement donnée et rétribuée.
Je suppose un autre cas ; je suppose qu’un membre de la chambre sollicite un emploi et qu’un ministre, lui témoignant de la bienveillance, lui laisse entrevoir l'espoir de l’obtenir s’il devient vacant ; est-ce que pour cette simple espérance vous annulerez le mandat ? Mais nullement. Il faut, messieurs, rester dans les vrais principes.
En ce qui concerne la nomination de commissaires auprès de chemins de fer, je ferai observer, messieurs, que ces emplois n'étant pas salariés sur le budget de l'Etat, ils ne donnent pas lieu à la réélection. Je dirai que les travaux étaient assez avancés à l'époque où ces emplois ont été donnés, pour que le ministre, pour que le gouvernement pût les donner sans manquer en rien à ses devoirs.
M. Lebeau. - Messieurs, on a dit un jour qu'il y avait quelque chose de plus grave, de plus dangereux, que les mauvaises actions ; que c'étaient les mauvaises raisons. Je suis entièrement de cet avis, et je suis, quant à moi, plus scandalisé de la justification donnée au fait qui occupe maintenant la chambre, que du fait lui-même. On se prévaut d'un respect feint, simulé pour le texte, judaïquement interprété de la Constitution, alors qu’on en foule aux pieds l’esprit le plus évident. On fait l’équivalent de ceci : Un arrêté nommerait à une fonction salariée de sa nature, et dans cet arrêté on aurait inséré cette clause : « le traitement sera ultérieurement fixé. » Voilà, si l'on était sincère, comment il fallait procéder, car évidemment, dans la pensée de l'auteur de l'arrêté et du titulaire lui-même, ainsi que l'événement le prouve, il y avait un traitement comme conséquence de la nomination. Eh bien, messieurs, à partir de ce jour, à partir du jour où le gouvernement (ce n’est pas l’honorable M. Van de Weyer puisqu’il n’était plus ministre), à partir du jour où le gouvernement savait que dans sa pensée et dans la pensée de celui qu'il nommait, il y avait un traitement, son devoir était de convoquer le collège électoral, car il y avait une grave altération dans la position parlementaire du député. Il y avait cette altération que la Constitution a prévue, qu'il était engagé vis-à-vis du ministre, non seulement par le lien de la reconnaissance, mais (ce qui est plus grave que si le traitement avait été énoncé dans l'arrête) ; mais qu'il pouvait être engagé encore par l'influence de la crainte que s'il ne répondait pas à l'attente du ministre qui avait ainsi altéré sa position, il ne recueillerait pas complètement les bénéfices de l'acte posé en sa faveur.
Voilà, messieurs, par quelles raisons je crois qu'il est de notre devoir de flétrir, non pas le fait en première ligne, mais la justification que je craindrais, si je continuais, de flétrir trop sévèrement.
Cependant, messieurs, je dois le dire, je crois que la sanction que la chambre donnerait à la doctrine que je considère comme vraie, comme la seule morale, comme la seule constitutionnelle, je crois que cette sanction serait un peu cruelle, un peu exagérée si elle allait jusqu'au rejet du traitement.
Je dois le dire, messieurs, les dissentiments politiques ne m'empêcheront pas de reconnaître qu'il était difficile de faire un choix plus heureux, plus convenable que celui qui a été fait par le gouvernement. J'avoue qu'en présence de la convenance, du caractère irréprochable de ce choix, je suis quelque peu arrêté par la crainte que cette sanction n'aille trop loin. Cependant si l'on persistait à soutenir qu'on a sainement interprété l'article de la Constitution relatif à la réélection d'un député promu à un emploi salarié par l'Etat, je crois qu'alors je serais obligé de voter contre le chiffre destiné au traitement dont il s'agit.
M. de Theux. -.Messieurs, j'admire véritablement de quelle manière l'honorable M. Lebeau justifie M. Van de Weyer pour accuser son successeur ; à mon avis, il n'y a pas lieu à blâme, mais s'il y avait lieu à blâme, ce ne serait certes pas à moi que ce blâme devrait être adressé.
L'honorable M. Lebeau a dit que dans l'arrêté on aurait dû déclarer qu'un traitement sera ultérieurement attaché à l'emploi. Ce n'est pas moi qui ai proposé ni contresigné l'arrêté ; je le répète, je ne me suis nullement engagé à proposer un traitement ; ce que j'ai répondu dans le temps à l'honorable M. Osy est très vrai : que si un traitement était accordé, il serait proposé au budget. Voilà dans quels termes la question se présente ; eh bien, je dis que, de ce côté, j'étais parfaitement fondé à dire ce que j'ai dit ; ce n'était pas à moi à aller au-devant ; si l'honorable M. Dubus avait, à cette époque, l'intention d'exiger un traitement, c'était au député à déclarer à la chambre qu'il avait, à la vérité, un emploi auquel une promesse de traitement était attachée ; mais que pour le moment il n'avait pas de traitement. Quant à moi, messieurs, je me suis renfermé strictement dans ma position ; je n'avais promis, d'une manière quelconque, aucun traitement.
M. Delfosse. - On vient de nous signaler un fait extrêmement grave, un fait qui serait de nature à porter atteinte, sinon à la lettre, au moins à l'esprit de la Constitution. Prenons garde, messieurs, d'émettre un vote qui serait la reconnaissance, la sanction de ce fait.
L’honorable M. Lebeau vient de flétrir avec énergie les mauvaises actions et les mauvaises raisons ; mais nous serions coupables aussi si nous donnions, par le fait, gain de cause à ceux qui posent de mauvaises actions et qui cherchent à les justifier par de mauvaises raisons ; nous deviendrions les complices des hommes dont nous flétrissons la conduite.
Il m'est impossible, après la discussion qui vient d'être soulevée, d'adopter l'augmentation proposée par M. le ministre de l'intérieur ; je croirais manquer à mon devoir, si j'émettais un tel vote, avant que le fait signalé, et qui, je le répète, est très grave, ait été entièrement éclairci.
Le rejet de l'augmentation ne serait qu'une espèce d'ajournement, rien n'empêcherait M. le ministre de l'intérieur de la reproduire au budget de 1849 qui doit nous être présenté dans les premiers mois de 1848 ; nous pourrons alors nous prononcer en connaissance de cause. Le fait signalé sera probablement éclairci et la section centrale aura pu examiner mûrement si les 14,000 francs qui figurent au budget pour le musée d'histoire naturelle sont insuffisants.
M. Delehaye. - Messieurs, nous ne pouvons pas voter en ce moment la proposition de M. le ministre de l'intérieur ; la voter, serait respecter un acte des cabinets précédents contre lequel tous nous protestons. Il s’agit de flétrir cet acte ; nous l’annulerons, en repoussant la demande de M. le ministre de l’intérieur ; par cette annulation, nous ne portons aucune atteinte à la position actuelle du directeur du musée auquel nous nous plaisons tous à rendre hommage ; le gouvernement fera une nouvelle nomination ; et ce sera en vertu de cette nouvelle nomination que nous porterons au budget la somme qu'on nous demande aujourd'hui.
Je répète qu'il est de notre devoir de flétrir un acte contre lequel nous ne pouvons assez protester ; la dignité de la nation, la dignité de la chambre est blessée pur cet acte qui revêt un plus grand caractère de gravité encore, si on le rapproche de ce qui s'est passé à l'égard des commissaires des chemins de fer ; c'est là une série d'actes de complaisance qui déconsidèrent la représentation nationale ; il faut prévenir le retour de semblables actes, et pour cela je demande qu'on passe à l'appel nominal sur la proposition de M. le ministre de l'intérieur ; M. le ministre ne peut pas s'opposer à cela, puisqu'il s'agit de flétrir un acte qui n'appartient pas à son administration.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je ne demande pas que la conduite de mes prédécesseurs soit blâmée par la chambre ; sous ce rapport, ma proposition atteindrait un but que je ne poursuis ni ne désire.
Je n'approuve pas ce genre de création de fonctions gratuites, qu'on se réserve de salarier ensuite ; je n'approuve pas ce qui a été fait ; mais je considère qu'il y avait engagement pris, et que je devais l'exécuter, alors même que j'en aurais blâmé la forme.
Maintenant la chambre s'est expliquée ; je ne voudrais pas, je le répète, que ma proposition donnât occasion de jeter un blâme sur mes prédécesseurs. Je retire donc ma proposition, car j'aperçois peu de chances pour elle dans les dispositions actuelles de la chambre ; mais lorsque de nouveaux éclaircissements m'auront été donnés et par l'honorable M. Nothomb, et par l'honorable M. de Theux, et par l'honorable titulaire lui-même, je me réserve de faire une nouvelle proposition à la chambre.
M. Nothomb. - Messieurs, j'ai à faire une seule observation : vous voulez flétrir un fait ; mais je nie le fait. Dès lors, je remercie M. le ministre de l'intérieur, qui agit logiquement et justement, qui retire l'allocation qu'il avait demandée, et qui éclaircira le fait ; c'est ce que j'ai déjà proposé tout à l'heure.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, j'avais demandé uniquement la parole pour expliquer notre vote.
Un membre. - Il n'y a plus de vote.
M. Eloy de Burdinne. - S'il n'y a pas de vote, il est inutile que j'explique celui que je voulais émettre, mais j'aurais voté contre l'allocation.
M. Malou. - Il y a dans les actes d'un gouvernement certains faits qui engagent la responsabilité collective d'un cabinet ; une autre catégorie de faits moins importants ne concernant pas la politique générale, n'engagent que la responsabilité de celui qui a posé l'acte. Il est évident que la nomination faite par mon honorable collègue M. Van de Weyer appartenait à cette seconde catégorie de faits. S'il en est ainsi, je crois pouvoir, à mon tour, au nom de mon ancien et honorable collègue, M. Van de Weyer, remercier M. le ministre de l'intérieur d'avoir retiré sa proposition, car l'énumération qu'il vient de faire ne m'a pas paru complète ; ce n'est pas seulement de M. Nothomb et de M. de Theux qu'il faut attendre des éclaircissements, mais encore de mon honorable ancien collègue, et, j'ose dire, mon ami M. Van de Weyer.
Quels que soient les dissentiments sur la question de principe, tout le monde doit désirer pouvoir apprécier exactement les faits ; je remercie donc M. le ministre de l'intention manifestée par lui de rechercher les moyens de les éclaircir en prenant des renseignements complets près de tous ceux qui peuvent y avoir participé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas fait d'énumération incomplète, je n'ai pas perdu de vue la part que l'ancien ministre, M. Van de Weyer, avait dans cette affaire ; car j'ai dit qu'il s'était engagé à attribuer un traitement aux fonctions dont il s'agit ; il trouvait, à la vérité, qu'un traitement de 5,000 fr. était trop élevé, mais son intention positive était qu'un traitement fût affecté à la fonction.
M. Verhaegen. - Il n'y a plus lieu à discussion, puisque la proposition est retirée, mais ce qu'on vient de dire ne peut pas rester sans réponse ; d'après un honorable membre, il faudrait prendre des renseignements pour savoir s'il y a eu, oui ou non, engagement. Pour moi, il est indifférent qu'il y ait eu ou qu'il n'y ait pas eu engagement, car si un engagement avait été pris contrairement à la loi, à la Constitution ou à la morale, il serait radicalement nul. Ainsi la recherche de renseignements sur la question de savoir s'il y a eu engagement est inutile. Il y (page 330) aurait dix engagements que je ne consentirais jamais à voter une allocation dans les circonstances actuelles. Quant à M. Van de Weyer qui a fait la nomination à- sa sortie du ministère,, il pouvait l'avoir faite avec traitement, dans la pensée que le titulaire se soumettrait à la réélection ; et la faute, si faute il y a, c'est à tout autre que M. Van de Weyer qu'il faut l’attribuer.
- L'article est mis aux voix et adopté tel qu'il a été primitivement proposé.
« Art. 6. Subside à l'association des Bollandistes pour la publication des Acta Sanctorum : fr. 6,000 francs.
M. de Bonne. - Ainsi que l'année dernière, je viens faire remarquer que 6,000 francs par an et tous les ans me semblent une allocation trop élevée.
Le volume récemment publié a coûté 54,000 fr., c'est un peu cher, trop cher même, pour l'œuvre que vous avez obtenu. Je reconnais que certain honneur rejaillit sur la Belgique de l'encouragement et de l'aide qu’elle à l'exécution d'un ouvrage généralement connu. Mais entre la rémunération ou l'encouragement et la prodigalité, notre choix ne peut être douteux, car nous ne sommes pas dans un état de prospérité tel qu'il ne faille pas regarder à quelques milliers de francs. Si l'on considère la grosseur du volume, j'avoue qu'il est épais, que l'exécution matérielle est assez bonne ; je n'en dirai pas autant de la partie littéraire, elle a été l'objet de certaines critiques ; j'avoue mon incompétence pour l'apprécier seulement ! en donnant 6,000 fr. tous les ans aux RR. PP., c'est éloigner l'achèvement de l'ouvrage, pour ne pas dire éterniser le travail ; ils n'ont aucun intérêt à hâter le travail ; ils ont¥ au contraire, un intérêt opposé, et vous conviendrez que payer 50,000 ou 60,000 fr. pour un volume, c'est abuser de la générosité d'un gouvernement.
Je propose donc de fixer une somme de 10 à 12 mille fr. par volume de 900 à 1,000 pages, payable à sa publication.
M. Dedecker. - Messieurs, je ne m'attendais par, je l'avoue, à voir encore, cette année, le subside pour les Acta Sanctorum faire l’objet d'une discussion sérieuse. Déjà l'honorable préopinant a présenté les mêmes observations les années précédentes, et la chambre a prouvé par ses votes toute sa sympathie pour cette œuvre littéraire, qui constitue l'une de nos gloires nationales.
L'honorable M. de Bonne est trop préoccupé de la crainte de voir s'éterniser le subside accordé pour la publication des Acta Sanctorum ; et cependant il vous a dit que le travail des hagiographes est arrivé presque à la fin d'octobre.
Il est donc possible d'en prévoir le terme. Je ne crois pas que 4e subside dure beaucoup au-delà de 6 ou 8 ans.
Quant au chiffre de 12,000 fr. par volume, tous ceux qui ont vu les derniers volumes des Acta Sanctorum, sortis, comme les précédents, des presses belges, ont pu remarquer que chacun contient la matière de sept à huit volumes in-8° ordinaires. Ce subside serait donc nécessairement insuffisant. S'il s'agissait d'une dépense qui dût s'éterniser, je pourrais concevoir les inquiétudes de l'honorable préopinant ; mais il nous est facile de calculer l'achèvement de ce monument historique. Nous ne pouvons donc nous dispenser de continuer le subside nécessaire pour mener à bonne fin une entreprise, jugée en dehors de tout esprit de parti comme glorieuse pour la Belgique.
M. Nothomb. - Je ne crois pas le terme de la publication aussi prochain que le pense l'honorable préopinant. Mais il faut nous rappeler d'abord que le gouvernement français avait songé, il y a quelques années, à continuer cette publication. C'est nous qui, par un honneur national bien entendu, avons revendiqué cette publication. Il faudrait examiner quels sont les engagements qui ont été pris à cette époque ; il doit s'être passé quelque chose ; l'événement est trop éloigné pour que je puisse me le rappeler. Je crois que tout ce qu'il y a à faire, c'est de voter de nouveau les 6,000 fr. M. le ministre de l'intérieur, qui a entendu les observations de l'honorable préopinant, les examinera. Il verra s'il y a possibilité de faire un arrangement par volume, au lieu de faire un arrangement par année.
S'il reconnaît cette possibilité, si les engagements contractés le permettent, il fera une autre proposition.
12,000 francs par volume, serait une somme évidemment insuffisante. L'honorable préopinant, qui est si connaisseur en livres, devra certainement le reconnaître. Nous agirions donc en aveugles.
M. de Bonne. - En faisant ma proposition je me suis attendu à voir se lever contre elle, contre moi les amis des révérends pères. Non pas que je sois leur ennemi ; mais je suis plus ami des intérêts de mon pays, et je désire que les effets de sa générosité ne soient appliqués qu'à de bonnes choses et ne soient pas l'objet de dérision et de ridicule dans le monde savant.
Le mode de rémunération que j'ai indiqué aura l'avantage de hâter l'exécution, de la rendre digne de la réputation de l'ancienne collection et de faire retrancher tout le fatras dont on a rempli le volume publié l'année dernière.
J'ai commencé par dire que je me reconnaissais incapable d'apprécier ce travail, mais je crois pouvoir m'en rapporter à ce qu'en a dit un recueil estimé, ; et permettez-moi de vous lire quelques lignes de la Bibliothèque de l'école des Chartres-, recueil publié a Paris ; voici ce que contienne tome 3° de la 2ème série, p. 547. « Malgré son étendue, ce beau volume renferme seulement l'histoire des saints du 15 et du 16 octobre, ce qu'on s'explique facilement, mais non pas au plus grand avantage de l'érudition, lorsqu'on voit que six cent quatre-vingt-une pages sont consacrées au même personnage, et que ce personnage est une sainte du XVIème siècle, sainte Thérèse d'Avila, dont la vie très connue a été tant de fois écrite et imprimée. C'est une moitié du volume où la science n'a rien à faire, et où l'ouvrage est de pure édification. Nous comprenons que les Bollandistes n'oublient jamais dans leur œuvre le point de vue religieux, mais ne peuvent-ils respecter ce principe tout en apportant dans la composition de leur livre de plus justes proportions ? Au lieu d'utiliser sobrement, de résumer les matériaux sans nombre qu'on a sur la réformation des Carmélites, les RR. PP. ont imprimé in extenso la traduction latine de, l'histoire in-quarto de cette sainte par Ribera, laquelle histoire comprend cinq livres, divisés en quatre-vingt-cinq chapitres, et ils l'ont fait précéder d'un commentarius prœvius de quatre-vingt-seize paragraphes, dans lequel ils soulèvent et discutent toutes les questions imaginables au sujet de sainte Thérèse.
« Ainsi, ils font l'histoire héraldique et généalogique de la sainte, l'histoire de sa mère, de ses frères et de ses sœurs ; l'histoire de chacune de ses perfections chrétiennes, de chacun de ses écrits ; la description de ses visions et de ses extases, à l'occasion desquelles ils discutent la question, curieuse du reste, de savoir si elles doivent être attribuées au magnétisme animal, à l'hystérie ou à la catalepsie ; ils consacrent cent vingt-six colonnes à la reproduction complète des actes de la canonisation de la sainte. Enfin ils préviennent eux-mêmes, en tête de leur commentaire préliminaire, qu'ils feront tous leurs efforts pour y citer textuellement le plus qu'ils pourront des écrits de sainte Thérèse, comme Ribera lui- même avait déjà fait de son côté. Avec de tels procédés, on comprend qu'ils aient rempli quatorze cents colonnes avec une seule hagiographie. C'est là, selon nous, une méthode doublement mauvaise : mauvaise, en ce qu'elle entraîne la collection des Acta Sanctorum hors de ses vraies limites, qui doivent embrasser les documents qu'on a sur la vie des Saints, mais non leurs écrits ; et mauvaise en ce qu'elle est contraire aux précédents de la collection. »
Cette lecture doit vous convaincre que ma réclamation n'est pas si futile, et, que la saine raison vient à mon aide pour justifier ma proposition.
Maintenant suis-je si extravagant de venir demander que l'on fixe l'allocation par volume, au lieu de créer une rente annuelle de 6,000 fr. ? Des dépenses, il n'y en a plus à faire, toute la bibliothèque royale est à la disposition des RR. PP., les pièces et manuscrits étrangers peuvent s'obtenir par nos chargés d'affaires, ministres plénipotentiaires et consuls au besoin. Ce sera même leur donner un peu d'occupation, et à l'étranger on apprendra que la Belgique ne borne pas sa sollicitude aux intérêts matériels et qu'elle s'étend aussi aux intérêts scientifiques et littéraires.
Je crois donc devoir maintenir ma proposition.
M. Malou. - Messieurs, nous devons désirer avant tout, quelles que soient nos opinions sur d'autres points, que la collection des Bollandistes s'achève, que le subside donné jusqu'à présent ne soit pas perdu.
J'avoue que si l'on pouvait faire un arrangement par volume, je, le préférerais comme l'honorable M. de Bonne. Mais je crains qu'en décrétant aujourd'hui, un subside de 12,000 fr. par volume, nous n'en venions à interrompre l'œuvre des Bollandistes.
Cette œuvre ne consiste pas seulement en publications, elle consiste surtout, à l'époque où nous sommes, en recherches devenues extrêmement difficiles. Tous les grands dépôts littéraires de notre pays et des pays qui nous environnent, ont été plus ou moins mutilés, dispersés par la révolution. Il a non seulement fallu reconstituer les archives de l'ancienne société des Bollandistes, il a fallu suppléer à ces lacunes éminemment regrettables que les sciences historiques rencontrent partout aujourd'hui à cause des événements politiques.
On s'explique donc fort bien qu'il ait fallu neuf années pour la publication de deux volumes, parce qu'avant de faire paraître ces deux volumes il a fallu réunir des éléments complets pour continuer avec la certitude du succès la publication entière.
Comme je vous le disais tout à l'heure, je crains qu'en fixant dès aujourd'hui le subside de l'Etat à 12,000 fr. par volume, on n'interrompe la continuation d'un travail qui doit honorer le nom belge.
M. de Bonne. - S'il est bien fait.
M. Malou. - Sans doute s'il est bien fait. Cependant ce travail, comme tout autre, peut rencontrer des critiques à certains points de vue.
J'appelle l'attention de la chambre sur ce point qu'il ne faut pas interrompre le travail, indépendamment de toute question d'engagement que j'ignore. Je demande donc que l'honorable M. de Bonne se tienne pour satisfait de la déclaration énoncée par plusieurs membres qu'ils préféreraient un engagement par volume substitué à un engagement par année, et que comme la discussion du budget de 1849 est prochaine, il n'insiste pas aujourd'hui pour que la chambre prenne une résolution.
D'ici à la présentation de ce budget, M. le ministre de l'intérieur pourra voir s'il existe des engagements ; il pourra, s'il en existe, les modifier à l'amiable, pour limiter, autant que possible, les subsides de l'Etat. Mais aujourd'hui le vote que la chambre émettrait pourrait avoir des conséquences qui seraient contraires à l'intention de tous les membres qui y auraient pris part.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je m'engage bien volontiers (page 331) à revoir cette affaire avant la présentation du budget pour l'exercice 1849.
Je ne puis voir dans l'entreprise des révérends pères jésuites chargés de cet ouvrage qui fait honneur, en effet, à la Belgique historique, une entreprise de lucre ; je crois que c'est une entreprise consciencieuse et consciencieusement poursuivie. Mais cette entreprise n'en est pas moins extrêmement coûteuse, si l'on réunit en une seule somme tout ce qu'elle aura coûté lorsqu'elle aura reçu sa complète exécution.
L’honorable M. Dedecker se trompe grandement quand il pense que les volumes pour la dernière quinzaine d'octobre, et pour les deux derniers mois de novembre et de décembre, seront terminés en quatre ou cinq ans. C'est quarante ou cinquante années peut-être qu'il faudra pour achever ces volumes ; de manière que la dépense totale sera en définitive très considérable.
Ce motif, messieurs, doit nous engager à tâcher d'arriver aux moyens les plus économiques sans porter préjudice à l'entreprise elle-même. Il faut éviter, en payant par année, qu'on ne ralentisse trop les travaux. Mais il faut également éviter, en payant par volume, que peut-être on ne précipite trop l'exécution de l'ouvrage ; il y a donc une ligne à suivre entre ces deux inconvénients. Je pense que nous parviendrons parfaitement à nous entendre avec les honorables auteurs de cet ouvrage si important. Je ferai connaître au budget prochain le résultat de mes négociations.
M. Verhaegen. - Messieurs, j'ai toujours reconnu l'importance de l'œuvre des Bollandistes et je désire qu'elle s'achève.
Cependant il faut prendre des précautions pour que le subside ne se donne pas inutilement. On signale des inconvénients qui résultent du subside annuel et qui sont réels ; mais si l'on accordait un subside par volume, par exemple un subside de 12,000 francs, il pourrait en résulter des inconvénients en sens contraire et l'ouvrage pourrait en souffrir. Car on pourrait réunir dans un volume beaucoup plus de choses qu'il ne devrait s'en trouver, et ce n'est pas à la quantité, mais à la qualité que nous devons tenir.
M. le ministre nous a dit qu'il faudrait trouver un terme moyen. Il y en aurait peut-être un : ce serait d'évaluer approximativement, d'après ce, qui a été fait jusqu'ici, combien coûtera, l'achèvement de l'ouvrage et d'échelonner les subsides de manière à les payer au fur et à mesure de l'avancement des travaux.
C'est un moyen terme qui n'offrirait pas les inconvénients que présentent les deux extrêmes et que je me permets d'indiquer à M. le ministre.
M. de Bonne. - Je retire mon amendement.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 7. Archives du royaume. Frais d'administration (personnel et matériel : fr. 26,350. »
- Adopté.
« Art. 8. Frais de publication des inventaires des archives : fr. 4,000. »
- Adopté.
« Art. 9. Archives de l'Etat dans les provinces, frais de recouvrement de documents provenant des archives tombés dans des mains privées ; frais de copies de documents concernant l'histoire nationale : fr. 15,000. »
- Adopté.
« Art. 10. Location de la maison servant de succursale au dépôt des archives de l'Etat : fr. 3,500. »
- Adopté.
« Art. 1er. Encouragements, souscriptions, achats. Concours de composition musicale. Pensions des lauréats Académies et écoles des beaux-arts, autres que l'académie d'Anvers. Concours de peinture, de sculpture, d'architecture et de gravure. Pensions des lauréats. Ecole royale de gravure, charge ordinaire : fr. 112,000.
« Charge extraordinaire : fr. 12,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Académie royale d'Anvers. Subside ordinaire : fr. 25.000. »
« Subside extraordinaire : fr. 6,000. »
M. le président. - La section centrale propose une réduction de 3,000 fr. sur le crédit extraordinaire.
M. Loos. - Je viens m'opposer messieurs, à la réduction qui vous est proposée par la section centrale, parce qu'il y aurait d'après moi, injustice à retirer à l'académie royale d'Anvers le subside extraordinaire sur lequel elle avait droit de compter par suite des promesses du gouvernement, sanctionnées, d'ailleurs, par un vote de cette chambre.
Je crois du reste, messieurs, que la section centrale ne vous a proposé cette réduction que parce qu'elle n'a pas suffisamment apprécié les circonstances qui se rattachent à ce subside.
Elle a pensé que le premier subside extraordinaire de 6,000 fr. qui figure au budget de 1846 était déjà destiné à constituer la part pour laquelle le gouvernement avait consenti à intervenir dans la construction d'ateliers de peinture, construction dont la ville s'engageait de son côté à faire la moitié de la dépense. C’est là une erreur ; le subside a été exclusivement destiné à augmenter les collections de plâtres et autres modèles qui manquaient à l'académie dans la position plus élevée que sa réorganisation venait de lui donner. Cette somme de 6,000 fr. a reçu la destination que je viens d'indiquer et que lui assignait d’ailleurs en termes formels la lettre d'envoi du gouvernement dont je tiens une copie entre les mains.
Il n'a donc jusqu'ici été alloué à l'académie d'Anvers pour la construction d'ateliers que la somme de 6,000 fr. qui figure au budget de 1847.
Si donc vous retranchez une somme de 3,000 fr. du crédit qui vous est demandé pour 1848, l'académie d'Anvers ne recevrait en réalité que 9,000 fr. au lieu de 13,000 fr., somme pour laquelle le gouvernement s'était engagé à participer dans les frais de construction des ateliers de peinture.
Je crois, messieurs, que cette explication suffira pour faire revenir la section centrale de la proposition qu'elle nous a faite et qu'elle vous portera à voter le crédit tel qu'il nous est demandé.
M. Maertens, rapporteur. - Messieurs, la décision de la section centrale n'a pas été prise à l'unanimité ; le crédit de 6,000 fr. a été réduit à 3,000 par 3 voix contre 2 ; j'ai fait partie de la minorité, et j'ai cru qu'il fallait adopter le crédit de 6,000 fr. Si je prends donc la parole, c'est uniquement pour faire connaître à la chambre l'état de la question et indiquer les motifs qui ont déterminé le vote de la majorité de la section centrale.
Au budget de 1846, messieurs, il figurait un crédit unique de 6,000 fr. pour créer des collections à l'académie d'Anvers, Depuis lors on fit la demande d'allouer encore 15,000 fr. à l'effet de construire des ateliers. On fit connaître au gouvernement que l'arrêté qui prescrivait l'établissement, de ces ateliers ne pourrait être mis à exécution sans un subside de 15,000 fr., que la ville donnerait une pareille somme de 15,000 fr., la construction des ateliers devant coûter 30,000 fr. Il était donc demandé une somme de 21,000 fr. ; 6,000 fr. pour les collections et 15,000 fr. pour la construction des ateliers. M. Van de Weyer, qui était alors ministre de l'intérieur, a répondu à cette demande, que le crédit de 6,000fr. était d'abord demandé pour un seul exercice, que cette demande serait renouvelée pendant deux autres exercices, que de cette manière on aurait une somme de 18,00 'fr., que sur cette somme de 18,000 fr., 15,000 fr. formaient la part pour laquelle l'Etat contribuerait dans la construction des ateliers et que les trois autres mille francs servaient aux collections. Voilà, messieurs, l'arrangement qui a été arrêté entre la commission directrice et le gouvernement : 3,000 fr. pour les collections et 15,000 fr. formant la moitié du prix total de la construction des ateliers. Déjà, messieurs, dans les budgets de 1846 et de 1847, les deux premiers crédits, de 6,000 fr. chacun,, ont été accordés,. Il s'agit aujourd'hui du dernier crédit ; c'est pour la dernière fois que ce crédit figurera au budget ; il s'agit encore une fois de 6,000 fr., ce qui avec les deux crédits précédents formera la somme totale promise par le gouvernement. La majorité de la section centrale a réduit le crédit actuel à 3,000 fr. ; elle a pensé que c'était tout au plus si le gouvernement devait intervenir dans la construction, mais que la dépense des collections devait incomber à la ville seule. Voilà, messieurs, le motif qui a guidé la majorité de la section centrale. Quant à moi, j'ai considéré le premier crédit de 3,000 fr., alloué pour les collections, comme définitivement acquis et j’ai pensé qu’il fallait aujourd’hui voter les 6,000 fr. pour compléter ainsi les 15,000 fr. qui ont été promis. Voilà le motif de mon vote ; j'ai indiqué ceux du vote de la majorité, c'est à la chambre de voir le parti qu'elle doit prendre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je dois faire observer à la chambre, que le crédit de 6,000 fr. est le dernier qui sera demandé pour cet objet. C'est l'accomplissement d’un engagement pris par M. Van de Weyer. Si cette année on ne votait que 3,000 fr. je serais obligé, pour remplir cet engagement, de demander de nouveau 3,000 fr. pour l'année prochaine. Si une nouvelle demande doit être faite pour 1849, des demandes analogues pourraient se reproduire dans les budgets suivants. Il vaut mieux voter aujourd'hui la somme complète, ce sera une précaution contre de nouvelles dépenses.
- Le chiffre demandé par le gouvernement est mis aux voix et adopté.
« Art. 3. Conservatoire royal de musique de Bruxelles : fr. 45,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Conservatoire royal de musique de Liège : fr. 19,000. »
- Adopté.
« Art. 5. Musée royal de peinture et de sculpture : fr. 15,000. »
- Adopté.
« Art. 6. Musée royal d'armes, d'armures et d'antiquités : fr. 15,000. »
- Adopté.
« Art. 7. Entretien du monument de la place des Martyrs, des jardins et des arbustes ; salaire des gardiens : fr. 2,000. »
- Adopté.
« Art. 8. Dernier septième, pour exécution de la statue de Godefroid de Bouillon. Piédestal de cette statue, charge extraordinaire : fr. 25,000. »
- Adopté.
« Art. 9. Monuments à élever aux hommes illustres de la Belgique avec le concours des villes et des provinces. Médailles à consacrer aux événements mémorables. Subside pour le piédestal de la statue du duc Charles de Lorraine, charge ordinaire : fr. 10,000.
« Charge extraordinaire : fr. 12,500. »
M. le ministre a proposé à la section centrale de supprimer les mots : « Subside pour le piédestal de la statue du duc Charles de Lorraine », ainsi que la somme de 12,500 fr. qui est demandée de ce chef, ce crédit ayant été voté à la fin de la session dernière. La section centrale s'est ralliée à cet amendement.
- Le chiffre de 10,000 fr. est mis aux voix et adopté.
« Art. 10. Subsides aux provinces, aux villes et aux communes, dont les ressources sont insuffisantes pour la restauration des monuments. Commission royale des monuments, charge ordinaire : fr. 36,000 »
« Charge extraordinaire : fr. 6,000. »
- Adopté.
« Art. 11. Exposition nationale des beaux-arts, charge extraordinaire : fr. 20,000. »
M. Nothomb. - Messieurs, j'ai promis à quelques artistes d'appeler l'attention de la chambre et du gouvernement sur la question de savoir s'il n'y aurait pas moyen de garantir contre la contrefaçon des ouvrages d'art et notamment des tableaux.
Messieurs, croiriez-vous qu'un amateur en Allemagne qui est connaisseur, s'imaginait qu'il possédait un des plus beaux tableaux de Verboechoven ? L'original de ce tableau se trouve à Bruxelles.
Je pense que d'abord le gouvernement devrait sévèrement défendre de faire des copies entières des tableaux modernes exposés au Musée ; il devrait, s'il y a lieu, ne permettre de les copier que par parties.
Récemment un artiste belge, M. Bossuet, est venu me voir à Berlin : je l'ai présenté à un amateur qui l'a accueilli avec empressement, en lui disant : j'ai deux de vos tableaux. » L'un de ces tableaux était une copie. J'ai conduit ensuite l'artiste chez un marchand de tableaux, M. Sax, qui lui dit : « j'ai envoyé un de vos tableaux à Saint-Pétersbourg ; c'était une vue de Lisbonne où vous êtes allé. » Or, il se trouve que l'artiste n'était jamais allé à Lisbonne, et qu'il n'avait jamais peint une vue de Lisbonne.
C'est un trafic qui est maintenant organisé sur une large échelle. Le gouvernement, à l'occasion de la prochaine exposition, pourra examiner s'il n'y aurait pas un moyen de garantie, d'authenticité pour les travaux qui seront exposés.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, il ne suffit pas de signaler l'abus, il faudrait encore indiquer le moyen d'y porter remède ; jusqu'à présent je n'aperçois pas ce moyen.
Quant aux propriétaires de tableaux, ils sont en droit d'en faire faire des copies, en tel nombre qu'ils le désirent ; ils peuvent user et abuser de cette propriété comme de toute autre. Quant au gouvernement, je conçois qu'il peut prendre certaines précautions ; mais, en général, je crois que les peintres ne sont pas fâchés de voir leurs tableaux copiés, alors qu'ils les ont vendus ; c'est un moyen de faire connaître leurs œuvres et leur nom à l'étranger, et, tout en étendant leur réputation, de multiplier aussi leurs chances de fortune.
M. Verhaegen. - Un article du code pénal punit d'une peine correctionnelle celui qui vend comme original un tableau qui ne serait qu'une copie.
- Le chiffre est adopté.
« Art. 1er. Frais des commissions médicales provinciales, police sanitaire et service des épidémies : fr. 39,500. »
M. Dedecker. - J'appelle l'attention spéciale de M. le ministre de. l'intérieur sur les améliorations à introduire dans le service sanitaire des indigents de nos campagnes. Cette question a, pour nos Flandres surtout, un intérêt douloureusement actuel.
Sans doute, les médecins qui, seuls peut-être avec les prêtres, voient de près les effroyables misères qui déciment nos populations rurales, se sacrifient, avec une rare abnégation, à l'accomplissement de leurs pénibles devoirs ; plusieurs même ont été, cette année, martyrs de leur dévouement. Cependant, malgré toute leur bonne volonté, ils ne peuvent pas donner à l'organisation du service sanitaire des indigents tous les soins, toute l'importance que ce service réclame dans les circonstances présentes. C'est à l'administration générale à prendre des mesures efficaces ; c'est un devoir pour elle du seconder le dévouement personnel des médecins, pour le soulagement de ces classes malheureuses dont le sort nous préoccupe si vivement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je pense qu'en effet, il serait bien désirable de voir établir dans les campagnes des médecins cantonaux, chargés du service sanitaire. Il est assez bizarre que le gouvernement paye des artistes vétérinaires chargés de surveiller la santé du bétail, et qu'il n'y ait pas de médecins recevant aussi un traitement pour veiller à la santé des hommes.
L'institution des médecins cantonaux existe, je pense, dans plusieurs contrées de l'Allemagne. Sans doute cette amélioration donnera encore lieu à une dépense nouvelle, mais je pense que ce serait là aussi un grand bienfait à répandre.
Ce serait aussi un moyen d'attirer et de relever dans les campagnes des hommes de mérite, des hommes distingués qui, après avoir fait d'excellentes études dans nos universités, sont souvent condamnés à végéter dans un village.
On me signale, notamment dans les Flandres, certaines communes très populeuses qui sont sans médecin et qui sont plus on moins éloignées du chef-lieu de l'arrondissement où le médecin est établi ; communes où la mortalité, depuis deux ans, sévit d'une manière effrayante. Si on avait là un médecin qui fût à la disposition des classes pauvres, pour leur venir en aide, sans doute une amélioration notable pourrait s'introduire dans le service sanitaire.
Je ne perdrai pas de vue l'observation de l'honorable préopinant.
M. de Theux. - Messieurs, aujourd'hui ce sont les bureaux de bienfaisance qui doivent faire les frais du traitement des malades dénués de fortune. Ordinairement plusieurs communes s'entendent pour les frais du médecin, soit à forfait, soit à raison des différentes visites. Il y a aussi des dispositions quant aux fournitures. Mais dans quelques localités, il y a insuffisance de médecins ; et, sous ce rapport, l'attention du gouvernement avait déjà été excitée antérieurement : j'avais chargé l'inspecteur du service de santé d'étudier cette question à fond, et de me soumettre un travail complet.
- Le chiffre de l'article 1er est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Encouragements à la vaccine. Service sanitaire des ports de mer et des côtes. Subsides aux élèves sages-femmes. Subsides aux communes en cas d'épidémies ; impressions et dépenses imprévues : fr. 23,300. »
M. le président. - La section centrale propose de maintenir la même somme comme crédit normal, et d'allouer, comme charge extraordinaire, la majoration demandée de 5,000 fr.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je me rallie à cette proposition.
- Le chiffre, libellé ainsi que le propose la section centrale, est adopté.
« Art. 3. Académie royale de médecine : fr. 25,000. »
- Adopté.
« Art. unique. Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 9,900. »
- Adopté.
M. le président. - Il y a trois amendements. Veut-on cependant procéder immédiatement au vote définitif ?
Un grand nombre de voix. - Oui ! oui !
- La chambre consultée décide qu'elle passera immédiatement au vote définitif.
M. le président. - Le premier amendement a été apporté à l'article 1er du chapitre V qui a été augmenté de 4,200 fr.
M. de Breyne. - Je demande la parole.
Plusieurs membres. - Faites insérer votre discours au Moniteur.
M. de Breyne. - Si la chambre consent à ce que je fasse insérer mon discours au Moniteur, je renoncerai à la parole. (Oui ! oui !)
- L'amendement est confirmé ainsi que les deux autres amendements adoptés au premier vote.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - La rédaction apportée au chapitre XI ne doit pas être considérée comme un amendement. Le crédit pour la milice a été réduit de 64,600 fr. à 8,600 du consentement du gouvernement, mais pour cette année seulement ; j'appelle l'attention de la chambre sur ce point ; l'économie n'est faite que pour cette année seulement. Le crédit devra être reproduit en son entier pour l'année prochaine.
M. le président. - C'est une jurisprudence admise, que quand une réduction est proposée par la section centrale et que le gouvernement s'y est rallié sans qu'elle ait donné lieu à discussion, elle n'est pas considérée comme un amendement.
M. le président. - Nous allons passer au vote de l'article unique de la loi : « Le budget du département de l'intérieur pour l'exercice 1848 est fixé à la somme de 6,314,402 fr.40 c. conformément à l'état ci-annexé. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du budget.
Il est adopté à l'unanimité des 70 membres qui ont répondu à l'appel et sera transmis au sénat.
Ont répondu à l'appel : MM. Mast de Vries, Mercier, Nothomb, Orban, Osy, Pirmez, Pirson, Raikem, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Sigart, Tielemans, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Troye, Van Cleemputte, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Van Renynghe, Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII, Zoude, Anspach, Biebuyck, Broquet-Goblet, Clep, Cogels, d'Anethan, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, Dechamps, de Clippele, de Corswarem, Dedecker, de Haerne, de La Coste, Delfosse, de Liedekerke, de Meester, de Muelenaere, de Sécus, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, Donny, Dubus (Albéric), Duroy de Blicquy, Eenens, Eloy de Burdinne, Fallon, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Lejeune, Loos, Lys, Maertens, Malou et Liedts.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.