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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 13 décembre 1847

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 253) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à 2 heures.

Entre l'appel et le réappel, il est procédé au tirage au sort des sections de décembre.

La séance est ouverte.

M. Troye donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Dubus présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Le sieur Philippart, secrétaire communal à Grand-Leez, demande l'abolition de l'impôt sur le sel et présente des observations relatives à la répartition des impôts. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens.


« Le sieur Rodants réclame l'intervention de la chambre pour qu'il soit nommé d'office un huissier et un avoué, afin de citer devant le tribunal de Bruges l'éditeur d'un journal. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Habran se plaint des procédés d'un employé des douanes de résidence à Ste-Marie et demande qu'il lui soit alloué sur les appointements de cet employé une indemnité de 200 fr. »

- Même renvoi.


« Les conseillers communaux de Glons présentent des observations contre le projet de loi qui tend à changer le chef-lieu du canton. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.


« Le conseil communal de Leuze demande que le chef-lieu du canton soit transféré à Leuze, si la chambre décidait de ne point le maintenir à Dhuy.

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à cet objet.


« Le sieur Meganck, candidat notaire à Gand, présente des observations concernant le projet de loi sur le notariat. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.


« Plusieurs habitants de Champion prient la chambre de rejeter le projet de loi relatif au droit de succession et toute augmentation de dépenses ou d'impôts qui lui serait proposée. »

« Même demande de plusieurs habitants de Tenneville, de Rendeux, Beausaint, Marcourt, Hodister et des membres des administrations communales de Foy, Vaux-Chavanne, Eghezée. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet, et dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens.


« Les membres du conseil communal d'Oostham demandent des modifications au projet de route de Turnhout à Moll vers le Limbourg. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.


« Les sieurs Fievet, Verherstraeten et Lesenne, membres dirigeants de la société agricole des Bons ouvriers, établie à Saint-Sauveur, ayant pour but de venir au secours des indigents en les formant au travail, et d'extirper la mendicité, exposent à la chambre la manière d'agir de la société et ses intentions et demandent l'appui et le concours des chambres et du gouvernement.

M. Lejeune. - Messieurs, j'ai pris connaissance de cette pétition, qui présente un très grand intérêt. Il s'agit de moyens de venir au secours des indigents et d'extirper la mendicité. Les propositions qui sont faites dans la pétition se rapportent très particulièrement à la discussion de la loi sur les dépôts de mendicité. Je demanderai à la chambre de vouloir bien renvoyer cette requête à la section centrale qui a examiné le projet de loi dont je viens de parler. Cette section centrale est le mieux au courant de toutes les questions qui ont été agitées et elle pourrait nous faire un rapport avant la discussion du projet de loi. Je demanderai en même temps que le bureau soit chargé de compléter la section centrale.

M. le président. - Je dois faire observer que la commission dont il s'agit a terminé son travail.

M. Rodenbach. – Il est vrai qu'il n'est pas d'usage de renvoyer des requêtes à des commissions qui ont terminé leur travail, mais je pense que dans le cas actuel on pourrait consulter la section centrale, en la considérant comme commission spéciale. Il est question de travail à donner aux ouvriers des Flandres. divers moyens sont indiqués à cet effet ; notamment, si j'ai bien compris l'analyse, il s'agit de la formation de petites colonies agricoles. Comme cet objet est de la plus haute importance et que la requête pourra peut-être nous éclairer sur les moyens de porter remède a la misère des Flandres, j'appuie le renvoi à la section centrale dont il s'agit, et je pense qu'on pourrait même adjoindre de nouveaux membres à cette section centrale, qui examinerait la pétition, comme commission spéciale.

- La proposition de M. Lejeune est mise aux voix et adoptée.


M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) adresse à la chambre un tableau détaillé de l'emploi des fonds alloués pour l'instruction primaire en 1840, tant par l'Etat que par les provinces et les communes.

- Ce travail sera imprimé et distribué.


Il est fait hommage à la chambre, par M. Visschers, de six exemplaires de la brochure intitulée : « De l'état actuel et de l'avenir des caisses de prévoyance en faveur des ouvriers mineurs. »

- Dépôt à la bibliothèque.


M. Orts, retenu chez lui par indisposition, demande un congé.

- Accordé.

Rapport sur une pétition

M. David, au nom de la commission des pétitions, fait rapport sur une requête de l'administration communale d'Ardoye, qui prie la chambre d'allouer au budget de l'intérieur un crédit destiné à couvrir les déficits des communes dont les ressources sont épuisées par suite de circonstances extraordinaires, et sur des pétitions de même nature des administrations communales de Ruysselede et de Meulebeke. Ce rapport est ainsi conçu :

« Les administrations communales de Ruysselede et Meulebeke, dans l'arrondissement de Thielt, et d'Ardoye dans l'arrondissement de Roulers, ont en 1845, 1846 et 1847 épuisé toutes leurs ressources ainsi que celles des bureaux de bienfaisance afin de venir au secours des malheureux habitants de ces localités ; des dettes importantes ont même été contractées et la charité privée, après deux années de généreux et bien louables efforts, ne pourra plus dorénavant contribuer aussi largement que par le passé au soulagement de la misère.

« Par surcroit de malheur la fièvre typhoïde fait de terribles ravages parmi ces populations affaiblies par des privations de toute espèce, et les administrations susnommées demandent qu'un crédit soit voté au budget de l'intérieur ; la somme allouée serait destinée :

« 1° A des avances sans intérêts aux communes obérées par suite du paupérisme et qui prendraient l'engagement de les rembourser au moyen de centimes additionnels sur les contributions directes.

« 2° A des secours aux communes qui par suite du paupérisme et d'autres circonstances extraordinaires, telles qu'épidémies, etc., se trouvent, de l'avis du commissaire de l'arrondissement et de l'autorité provinciale, dans une position exceptionnelle et dans l'impossibilité, tout en épuisant leurs ressources tant ordinaires qu'extraordinaires, de combler le découvert de leur budget de 1848. »

Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur. »

- Ces conclusions sont adoptées.

Projet de loi portant le budget des dotations de l'exercice 1848

Rapport de la section centrale

M. Mercier dépose le rapport de la section centrale sur le budget des dotations.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. Le jour de la discussion sera fixé ultérieurement.

Pièces adressées à la chambre

M. le président. - M. le ministre de l'intérieur a déposé sur le bureau :

1° une notice sur la voirie vicinale pendant la période de 1841 à 1845 ;

2° un rapport sur la culture de la garance.

- La chambre décide que ces pièces resteront déposées sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.

Ordre des travaux de la chambre

M. Mercier (pour une motion d’ordre). -Messieurs, lorsqu'il s'est agi de mettre à l'ordre du jour le budget du département de l'intérieur, j'ai fait une réserve, pour qu’on ne vînt pas opposer une fin de non-recevoir si plus tard on jugeait qu'il y eût lieu de modifier cet ordre du jour. Nous voici arrivés au 13 décembre, il nous reste très peu de séances avant le 1er de l'an ; il me paraît peu probable qu'on puisse discuter le budget de l'intérieur et celui des voies et moyens avant cette époque.

Chaque année, le sénat s'est plaint de ce que le budget des voies et moyens lui soit transmis trop tard, à une époque telle qu'il lui était impossible de le modifier d'une manière quelconque ; car il ne pouvait pas le renvoyer à la chambre. L'année dernière, ces plaintes se sont renouvelées, non seulement de la part de la commission du sénat, mais aussi de la part de presque tous les honorables membres de cette assemblée qui ont pris la parole.

Je crois que d'abord, dans l'intérêt de la discussion elle-même, et ensuite par un sentiment de convenance, nous devrions mettre le budget des voies et moyens à l'ordre du jour de demain ou du moins d'après-demain, et suspendre la discussion du budget de l'intérieur...

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Non ! non !

(page 254) M. Mercier. - Je m'en rapporte à vous-mêmes ; vous ne pouvez pas espérer que le budget de l'intérieur soit discuté en deux ou trois jours ; les années précédentes, ce budget a provoqué une discussion d'une dizaine de jours ; le budget des voies et moyens peut aussi donner lieu à de longs débats ; car je répéterai ici l'objection qu'a faite l'honorable M. de Garcia dans une séance précédente : les budgets ne se discutent pas au point de vue des personnes, des ministres, mais bien au point de vue de l'intérêt public. S'il est possible que les deux budgets de l'intérieur et des voies et moyens soient votés dans cette chambre avant le 1er janvier, il est impossible au moins qu'ils le soient tous les deux dans le sénat ; or, comme le budget des voies et moyens doit être nécessairement voté avant cette époque par les deux chambres, et qu'il est convenable qu'on puisse le discuter en pleine liberté, je pense qu'il y a lieu de le mettre à l'ordre du jour de demain ou au moins d'après-demain.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, il y a longtemps que le rapport sur le budget de l'intérieur est déposé ; celui sur le budget des voies et moyens n'a été déposé que plusieurs jours après ; je crois donc devoir conserver l'ordre de priorité. Mais il y a d'autres raisons encore qui me font insister pour qu'on passe à la discussion du budget de l'intérieur.

En bonne règle, il faut, avant d'arrêter le budget des voies et moyens, que toutes les dépenses soient votées : lorsque toutes les dépenses reconnues nécessaires pour le service public ont été votées par la chambre, alors vient le moment de voter les moyens de faire face à ces dépenses. L'on objecte, messieurs, que peu de temps nous sépare encore du premier janvier. J'espère bien que cette année la chambre ne se donnera pas de vacances avant d'avoir mis l'ordre dans le vote des budgets. Sous ce rapport, j'insisterai chaque jour, s'il le faut, pour que la chambre ne se sépare pas avant d'avoir fourni au gouvernement les budgets qu'il lui demande.

Cette année est une année en quelque sorte transitoire ; s'il y a eu des inconvénients les années antérieures, si le sénat n'a pas été saisi en temps opportun des budgets et notamment du budget des voies et moyens, et si cet inconvénient doit se présenter encore cette année, c'est la dernière fois ; puisqu'à partir de l'année prochaine les budgets seront présentés en temps utile, c'est-à-dire dans les premiers mois de l'année précédant leur exécution, de manière que le sénat aura tout le temps nécessaire pour les approfondir.

Voici ce que je craindrais si on discutait le budget des voies et moyens avant les autres budgets ; je craindrais que la chambre, après avoir voté ce budget indispensable, ne s'ajournât et n'ajournât le vote des autres budgets. Or, il est indispensable aussi que les budgets des dépenses soient votés cette fois et toujours à l'avenir avant le premier janvier. Si vous remettiez la discussion des budgets de 1848 après le 1er janvier, vous empêcheriez le gouvernement de vous présenter les budgets de 1849 dès les premiers mois de l'année, et vous vous exposeriez à ne pas pouvoir les voter avant la fin de l'année 1848 à moins d'avoir l'une sur l'autre les discussions de budgets de deux exercices.

Je ne sais si cette année le budget de l'intérieur doit nous entraîner dans de longues discussion. Comme je l'ai déjà dit, je veux laisser à la chambre toute liberté ; mais il est possible que ce budget ne donne pas lieu à des discussions aussi longues que les années précédentes ; cela dépendra des dispositions de la chambre. Nous avons eu une discussion politique il y a quelques semaines ; si on veut la recommencer, je ne la décline pas, mais si on ne doit pas la recommencer, je ne vois pas pourquoi les débats occuperaient longuement de nos séances. Si on examine le budget au point de vue administratif, en deux ou trois jours ii peut être voté.

Les membres qui ont des comptes à demander au nouveau cabinet, peuvent attendre la discussion du budget qui sera présenté par ce cabinet, et dont ils auront à s'occuper dans les premiers mois de 1848. Commençons donc la discussion du budget de l'intérieur ; c'est d'ailleurs l'objet à l'ordre du jour. Si nous sommes entraînés trop loin par la discussion, reconnaissant la convenance de voter le budget des voies et moyens de manière que le sénat puisse avoir huit jours au moins pour l'examiner avant le premier janvier, nous suspendrons la discussion du budget de l'intérieur. Je demande donc qu'on suive l'ordre du jour.

M. le président. – Le budget des voies et moyens n'étant pas à l'ordre du jour, la conséquence de la proposition de M. Mercier serait la remise de la séance à demain.

M. Mercier. - J'ai demandé la mise du budget des voies et moyens à l'ordre du jour de demain ou après-demain. Mais d'après les dernières paroles de M. le ministre qui a dit que, si la discussion durait plus de deux ou trois jours, il trouverait lui-même convenable de l'interrompre, pour ne pas faire perdre un temps précieux à la chambre je n'insiste plus sur ma proposition.

M. Eloy de Burdinne. - Je suis satisfait par l'explication que vient de donner M. le ministre de l'intérieur ; mon opinion est qu'il faut aborder la discussion nu budget de l'intérieur. Le budget des voies et moyens n'est pas à l’ordre du jour, nous ne l'avons pas étudié. Pour utiliser notre temps, nous devons ouvrir la discussion du budget de l'intérieur, sauf à l'interrompre si nous prévoyions ne pas pouvoir aborder prochainement le budget des voies et moyens.

M. Mercier. - Je me bornerai donc à proposer que le budget des voies et moyens figure à la suite de l’ordre du jour.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1848

Discussion générale

M. le président. - La discussion est ouverte sur l'ensemble du budget de l'intérieur. La parole est à M. Eloy de Burdinne.

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, en prenant la parole dans la discussion générale du budget des dépenses du département de l'intérieur, je n'ai pas la moindre intention de faire de l’opposition au cabinet actuel.

J'appuierai les actes du gouvernement que je considérerai d'intérêt général.

Je combattrai les actes que je croirai y être opposés.

Telle fut toujours la ligne de conduite que j'ai suivie, je continuerai à la suivre quelle que soit l'opinion politique des hommes qui dirigent les intérêts du pays.

Tel est mon programme, je le suivrai littéralement.

J'arrive à la question.

Comme vous l'a fort bien dit notre honorable collègue, M. Castiau, les économies sont réclamées de toutes parts ; nul de nous ne fait défaut, tous nous en voulons, mais nos actes ne sont nullement en rapport avec nos paroles.

Comme notre honorable collègue, M. Castiau, je suis découragé ; c'est vous dire que je serai très sobre dans mes propositions de réduction. Mais, avec cet honorable collègue, j'appuierai de mon vote toute réduction que je croirai être de nature à pouvoir être faite sans nuire aux intérêts généraux, en fait d'économie, on ne doit pas les adopter toutes ; il en est qui, loin d'être avantageuses à l'intérêt du trésor, lui sont nuisibles.

Je signalerai ici une économie sur les subsides à accorder aux communes pour la restauration de la voirie vicinale. En admettant une réduction sur cette allocation, même en ne l'augmentant pas, vous augmentez les dépenses et vous constituez l'Etat dans une dépense plus forte.

Ce raisonnement vous paraîtra problématique.

Je vais résoudre ce problème. En allouant des subsides aux communes, vous obtiendrez des travaux d'une valeur de deux tiers en sus de la somme accordée, c'est-à-dire que si l'Etat faisait construire des routes pour un million, il obtiendrait dix lieues de chemins empierrés ou pavés d'une valeur d'un million au plus, tandis qu'en accordant un subside aux communes d'un million, on obtiendra des travaux d'une valeur de plus de trois millions, soit trente lieues de chemins empierrés. Ce résultat est la conséquence des sommes fournies par la province et par la commune a raison de deux tiers en sus de l'allocation de l'Etat.

Nous venons de voter un subside de 500 mille francs pour venir au secours des classes ouvrières des Flandres, et l'honorable ministre de l'intérieur veut que cette somme soit en grande partie employée à des travaux que réclame l'amélioration de la voirie vicinale. En cela, je suis heureux de me trouver d'accord avec lui ; mais la classe ouvrière des Flandres n'est pas la seule qui réclame, à juste titre du travail. Dans toutes les communes agricoles éloignées des grands établissements industriels, le même besoin se fait sentir ; et si ces besoins sont moins grands qu'en Flandre, on le doit à la charité des propriétaires et agriculteurs qui habitent ces localités.

La sollicitude du gouvernement doit s'étendre : il doit accorder des subsides là où le besoin les réclame à juste titre, tout en ayant égard à la position financière des communes, au nombre des malheureux ouvriers sans ouvrage, et aux sacrifices que les communes ou les classes aisées sont d'intention de faire pour la restauration des chemins vicinaux.

C'est ainsi que les subsides de 500 mille francs distribués aux communes annuellement, pour les aider à la restauration de la voirie vicinale, ont produit le plus beau résultat. Les communes ont fait des travaux qui ont coûté plus d'un million, pour 500 mille francs dépensés par l'Etat.

Je connais des communes qui ont fait des dépenses, en empierrement et pavage de chemins vicinaux, pour plus de 2 mille francs, parmi un subside de deux ou trois mille francs obtenu et provenant de l'allocation de 300 mille francs accordée par la législature au budget de l'intérieur.

En l'absence de ce subside on n'eût pas vu cet élan de la part des administrations communales ; leurs communications seraient encore impraticables, tandis qu'en partie elles sont dans un bon état de viabilité et peuvent très bien remplacer les routes empierrées ou pavées aux frais de l'Etat.

Au lieu de construire de nouvelles routes sur une grande échelle, augmentons l'allocation de 300 mille francs ; portons-la à 5 ou 600 mille francs au moins, et retranchons cette somme de la demande pétitionnée au budget des travaux publics, à l'article : Construction de toutes nouvelles. En donnant un subsides de 5 à 600 mille francs aux communes, on obtiendra des travaux en améliorations des chemins vicinaux pour une valeur de plus de deux millions. C'est ainsi que je soutiens qu'une augmentation de dépense serait une économie.

Les chemins vicinaux bien confectionnés valent les grandes routes et ne coûtent que le tiers à l'Etat.

Notre intention est de venir au secours des classes ouvrières. Le moyen le plus efficace est de faire en sorte qu'elle ait de l'ouvrage sans se déplacer ; car remarquez-le bien, un franc gagné dans sa commune, vaut (page 255) plus de deux francs à l'ouvrier s'il doit déloger pour obtenir de l'ouvrage.

Hâtons-nous, messieurs, de voter ce subside. Que les administrations des communes en soient informées immédiatement. Dans la certitude d'obtenir des subsides, elles feront des sacrifices, elles donneront du travail à la classe pauvre pendant l'hiver, soit en terrassements, soit en extrayant des matériaux destinés à l'amélioration de leurs chemins.

Pendant les deux derniers hivers on a pris la résolution de restaurer les chemins vicinaux ; on a suivi cette marche et les classes ouvrières ont obtenu leur subsistance, au moins en grande partie, et la misère fut supportée avec résignation dans les communes où l'on a suivi ce principe. Il n'en fut pas ainsi là où l'on a négligé de suivre le même système ; la plus cruelle misère s'y est fait sentir, les pauvres ont parcouru les communes environnantes pour réclamer la charité de la bienfaisance des habitants qui avaient fait des sacrifices pour venir au secours des pauvres de leur commune.

D'après le langage tenu dans cette enceinte, il paraîtrait que les chemins vicinaux sont exclusivement dans l'intérêt de l'agriculture. Sans doute, l'agriculture a un grand intérêt à avoir de bons chemins, mais on ne contestera pas que l'industrie et le commerce y sont pour le moins autant intéressés. Les consommateurs des produits de cette industrie habitant les villes y ont aussi un bien grand intérêt. Meilleurs sont les chemins, à meilleur marché y transporte-t-on les vivres. En outre les habitants des campagnes sont aussi des consommateurs, et les bonnes routes les amènent en ville, où ils achètent du commerçant et des industriels des objets dont ils se passeraient en grande partie s'ils ne les voyaient pas. En un mot, la voirie vicinale doit être considérée comme étant d'intérêt général. Pour ce motif, mettons-les dans un état de viabilité en toute saison et au meilleur marché possible. Le mode que j'ai l'honneur de proposer me paraît devoir atteindre ce résultat.

Avant de terminer, je dois un mot de réponse à un reproche adressé aux membres qui, en 1840, ont voté contre la proposition d'une allocation de 100 mille francs pour subsides à accorder aux communes pour la restauration de la voirie vicinale. Ayant voté contre cette proposition, je dois une explication et je la donne.

Cent mille francs répartis entre 2,600 communes, il revenait à chacune moins de 40 francs, tandis que, taux moyen, la dépense que réclame la restauration des chemins vicinaux nécessite plus de 20 mille francs par chaque commune. Cette proposition d'une somme de cent mille francs et non de trois cent mille francs, comme le croit M. le comte de Theux, c'est ainsi qu'il s'en est expliqué dans une séance précédente, me paraissait une mystification, vu qu'étant répartis entre 2,600 communes, il en revenait à chacune moins de 40 francs, pour l'aider à faire face à une dépense de 20 à 21 mille francs.

Tel est le motif de mon vote négatif.

Et on conviendra que si la législature proposait, à l'article premier d'un budget de dépense, une allocation de 40 francs à compte du traitement d'un ministre, ce haut fonctionnaire considérerait cette proposition comme une véritable mystification. Il refuserait de recevoir 40 fr. en acompte sur ses 21 mille francs de traitement, et c'est ainsi que j'ai agi.

Pour preuve que j'apprécie la nécessité d'établir partout de bonnes communications, c'est qu'en 1842 et 1843 j'ai demandé, par amendement, 500 mille francs pour les distribuer en subsides destinés à la restauration des chemins vicinaux. Un sous-amendement a réduit la somme à 300 mille francs, et la chambre l'a voté. Aujourd'hui, je demande que le subside proposé de 300 mille francs soit porté à 500 mille francs au moins.

En résumé, en votant 500 mille francs de subsides à accorder aux communes pour la restauration de la voirie vicinale, vous obtiendrez le même résultat que si vous accordiez au département des travaux publics un crédit de 15 cent mille francs pour construction de routes nouvelles.

En adoptant ma proposition, vous faites une économie d'un million, et vous obtenez le même résultat en amélioration des communications ; vous donnez de l'ouvrage aux malheureux, sans les obliger à s'éloigner de leurs habitations, et vous répartissez cette dépense bien mieux que si vous la portiez sur deux ou trois points du pays. Je termine en priant la chambre de méditer mes observations et d'accueillir avec bienveillance la proposition que j'ai l'honneur de lui soumettre.

Je viens prier la chambre de renvoyer mon amendement à la section centrale chargée de l'examen du budget de l'intérieur, avec prière de méditer les considérations qui militent en faveur de son adoption.

Et quoique dans son rapport la section centrale a cru devoir maintenir l'allocation de trois cent mille francs, je ne désespère pas de la voir revenir de sa décision en proposant l'adoption de ma proposition, qui est de porter le chiffre à 500,000 francs.

Elle y sera d'autant plus disposée, j'aime à le croire, qu'elle reconnaîtra que ma proposition donne en résultat une économie d'un million.

Et cette économie n'est pas à dédaigner dans notre position.

Je viens de vous dire que l'augmentation du subside à accorder aux communes pour l'amélioration de la voirie vicinale était de nature à obtenir des travaux d'utilité générale, à raison de quatre et cinq fois plus grand que s'il était laissé au département des travaux publics le soin de faire construire les voies de communication. En d'autres termes, au moyen des subsides de 500 mille francs, on obtiendra des travaux qui coûteraient au gouvernement de 15 cent mille à deux millions de francs.

Pour se convaincre de la justesse de mes calculs, il suffit de compulser les annexes jointes au rapport de la section centrale. On y trouve, page 27 des annexes : qu'il fut construit des travaux d'une valeur de 1,184,985 fr. parmi un subside de l'Etat de 272,789 fr.

Sur le crédit de 2 millions, le gouvernement a accordé 425,657 fr.

Les annexes ne donnent pas le montant des travaux obtenus au moyen de ce subside. Voyez les annexes, page 46.

A la page 48, toujours des annexes, on voit qu'il a été fait des travaux en constructions de route qui ont coûté 1,057,298 fr. au moyen d'un subside de 239,116 fr.

Il résulte donc que les sommes données en subside aux communes ont produit des travaux quadruples, comparées à la somme fournie en subside, c'est-à-dire que vous faites, au moyen des charges que s'imposent les communes et les provinces, quatre fois plus de routes que vous ne feriez si vous en abandonniez la construction au département des travaux publics.

M. de Garcia. - Messieurs, j'appuierai de toutes mes forces les considérations présentées par l'honorable M. Eloy de Burdinne en faveur d'une augmentation de subsides pour la voirie vicinale. Les considérations qu'il a présentées sont de la plus grande justesse. Il y aurait économie pour l'Etat, s'il fournissait des subsides plus considérables aux communes pour l'amélioration des chemins vicinaux. Ces chemins, au moins ceux de première classe, réunissent toutes les qualités de solidité et de viabilité des grandes routes. Cependant, comme on l'a fait observer, ces routes au moyen du concours des communes, des provinces et de l'Etat, coûtent à peine le tiers de ce que coûterait une longueur égale des routes régulières de l'Etat.

Une autre considération me reste à présenter au point de vue des subsides à accorder aux communes par l'Etat. cette considération est la suivante.

On ne doit pas toujours considérer la hauteur du sacrifice que fait une commune pour lui allouer un subside. Qu'il me soit permis de faire sentir par un exemple la pensée que je veux exprimer. Une commune d'une superficie peu étendue peut être très riche ; une commune d'une superficie double peut être très pauvre.

Quand le gouvernement distribue ses subsides, il doit moins faire attention aux sommes que fournissent les communes qu'à la quotité que supportent les contribuables pour la voirie publique ; car une commune qui ne pourrait sacrifier que 600 fr. à la voirie vicinale, en s'imposant des centimes additionnels de 10 et 15 pour cent, peut avoir le double des chemins qu'une autre commune qui, à raison de la richesse de ses habitants et de son industrie, peut offrir un subside double en ne s'imposant que des centimes additionnels moitié en-dessous de la commune pauvre.

J'appelle la sérieuse attention du gouvernement sur ce point.

Je quitterai cette thèse pour y revenir lorsque nous arriverons à l'article des chemins vicinaux.

Mais je ne puis laisser passer la discussion du budget de l'intérieur, sans adresser au chef de ce département quelques demandes.

Messieurs, depuis l'avènement du nouveau cabinet, des destitutions assez nombreuses ont été opérées. La plupart de ces destitutions ont frappé des fonctionnaires qui appartenaient au département de l'intérieur. Je crois donc que la place toute naturelle pour demander des explications, à ce sujet se trouve ici.

Tout d'abord je déclare que, selon moi, la question que je soulève constitue moins une question politique qu'une question administrative.

En conséquence, je viens prier M. le ministre de l'intérieur de vouloir faire connaître les raisons qui l'ont conduit à prendre ces mesures. Au point de vue de la moralité des fonctionnaires publics, au point de vue des intérêts matériels du pays, au point de vue de la dignité du pouvoir lui-même, ces explications sont nécessaires et indispensables.

Je dis au point de vue de la moralité des fonctionnaires, et je crois qu'il est facile de le démontrer. Tous les fonctionnaires ne doivent pas être menacés. Ils doivent savoir que quand ils feront bien, ils en auront la récompense ; que quand ils feront mal, ils seront renvoyés ; les fonctionnaires destitués ont-ils mal fait ? Que le gouvernement le déclare, et il sera approuvé.

Au point de vue des intérêts matériels, ces mesures sont funestes aussi au pays. Quel est le résultat de ces destitutions ? Ce n'est sans doute pas des économies. Car la plupart des fonctionnaires destitués sont mis à la pension et c'est le contribuable qui doit payer ces pensions. Ce n'est pas davantage un progrès vers une meilleure gestion des affaires, puisque d'anciens fonctionnaires sont remplacés par de moins expérimentés.

Au point de vue de la dignité du gouvernement, ne doit-il pas tenir à honneur de pouvoir, dans tous les cas, justifier de la justice de tous les actes qu'il a posés ?

Sans doute je ne veux pas dénier au gouvernement le droit de destituer ses agents. Ce droit lui appartient ; mais je crois que le gouvernement doit compte aux chambres et au pays de l'usage qu'il fait de ce droit.

Messieurs, parmi les fonctionnaires destitués, un très petit nombre m'est connu ; et les explications générales que je demande concernent surtout l'honorable gouverneur de la province de Namur.

Naguère, messieurs, un honorable membre qui siège à côté de moi, paya un juste tribut d'éloges au patriotisme et aux services que l'honorable ministre de l'intérieur a rendus au pays. Il ne craignit point de blesser sa modestie, je ne veux pas avoir plus de réserve que lui et (page 256) dussé-je blesser les sentiments de l'honorable fonctionnaire auquel je fais allusion, je veux lui rendre toute la justice qu'il mérite.

Est-il un homme dans le pays qui ait avec plus de courage et d'énergie concouru à défendre les droits de notre nationalité ? Est-il un homme qui ait droit à une page plus brillante que lui dans l'histoire de notre indépendance ? Y a-t-il quelqu'un qui ait laissé, soit dans le ministère, soit dans le gouvernement des provinces, des traces plus admirables de bonne administration et de probité ? Devant un caractère aussi beau, aussi élevé, quel est celui de nous qui n'a pas le droit de demander les motifs qui ont conduit à la retraite ce haut fonctionnaire et ce bon citoyen.

Je le répète, je ne veux pas soulever une question politique, c’est en vue de la moralité des fonctionnaires, en vue de nos intérêts matériels, en vue de la dignité du pouvoir lui-même, que je demande des explications, et j'espère que M. le ministre voudra bien donner ces explications avec la franchise qui le caractérise.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, dans la discussion de l'adresse j'ai eu l'occasion de m'expliquer relativement à certaines destitutions politiques qui ont eu lieu à l'avènement du ministère nouveau ; j'ignore si l'intention de la chambre est de ramener les débats sur ces discussions politiques. Comme je l'ai déjà dit, je suis prêt à accepter les débats politiques si on veut les renouveler.

Quoi qu'en dise l'honorable M. de Garcia, la question qu'il a posée est une question purement politique. Nous n'avons pas à débattre ici des questions personnelles. Les destitutions qui ont eu lieu ont été dictées non par des motifs personnels, mais par des nécessités politiques. Si nous n'avions vu dans les fonctionnaires publics que les circonstances nous ont obligés de frapper, si nous n'avions vu en eux que leurs relations privées avec nous, mais plusieurs de ces fonctionnaires, je dois le dire, étaient liés avec nous par d'anciens souvenirs, par des amitiés privées, par des services rendus en commun à la chose publique. La chambre n'attend pas de moi que je vienne m'expliquer sur chacune de ces destitutions ; je ne le ferai pas. Le gouvernement a usé de son droit, il en a usé dans de justes limites ; il pense n'avoir rien fait au)delà de ce qui était strictement nécessaire. En ces sortes de matières un gouvernement, à moins d'être aveugle d'esprit, absolument réactionnaire, un gouvernement n'a aucune espèce d'intérêt à aller au-delà de son but. Je crois que nous nous sommes renfermés dans de justes limites. J'ignore si la chambre entend établir une discussion en ce qui concerne un fonctionnaire spécial.

M. de Garcia. - J'ai parlé de tous.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je suis prêt à entrer dans cette discussion, mais il m'est impossible de débattre ici des questions personnelles ; cela pourrait nous mener extrêmement loin.

M. de Mérode. - Je demande la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - En ce qui concerne le fonctionnaire auquel l'honorable préopinant a fait allusion, je suis d'accord avec lui que ce fonctionnaire a rendu des services à la chose publique. Beaucoup de fonctionnaires, beaucoup d'hommes politiques ont rendu des services à la chose publique en 1830 et beaucoup d'entre eux ont été successivement fonctionnaires publics et sont rentrés dans.la vie privée.

Lorsqu'un dissentiment éclate entre des hommes politiques, mais il est tout naturel que ces hommes se séparent : il n'y a pas la de victimes, il n'y a pas là d'oppresseurs, il. n'y a pas là de gouvernement réactionnaire c'est un fait très naturel, qui se présente dans tous les gouvernements représentatifs du monde. Là où la confiance réciproque cesse, commence la nécessité de la séparation. On peut se placer dans des rangs opposés et conserver les uns pour les autres une estime réciproque. Quant à moi, je crois bien que tous les fonctionnaires qui se sont séparés de moi, ou volontairement ou par suite des circonstances, je crois bien qu'ils ne se sont pas considérés comme frappés dans leur considération privée. Je crois que la considération privée des fonctionnaires a quelquefois beaucoup plus à souffrir de la conservation de leurs fonctions sous une administration qui n'a pas leurs sympathies. Ce qui nuit à la considération des fonctionnaires, c'est de les voir continuer à servir un politique qui ne leur convient pas.

Ainsi, je crois que l’honneur est sauf, que la considération des fonctionnaires politiques est sauve. Nous n'avons fait que suivre la loi de tous les gouvernements représentatifs, et je crois que tout autre ministère, dans les circonstances où nous nous sommes trouvés, n'aurait pas fait autrement.

Je bornerai là mes observations., Je craindrais d'entrer dans des débats personnels, et je ne veux y entrer qu'autant que je m'y verrais forcé.

M. de Mérode. - Messieurs, depuis dix-sept ans on avait considéré les fonctionnaires comme les fonctionnaires de l'Etat et non pas comme les agents privés des ministres comme les séides de telle ou telle opinion. C'était là la politique du congrès, la politique constitutionnelle et libérale, à laquelle on n'a pas dérogé jusqu'ici. Mais la politique nouvelle, que j'ai qualifié de destitutionnelle, et que j'avais prédite, avant qu'elle fût mise en œuvre, s'est révélée par une série d'actes véritablement inquiétants pour l'avenir : 16 ou 17 fonctionnaires de l'ordre administratif ont été éliminés sans motif connu d'aucun de nous. C'est là un fait très important qui demande absolument des explications. Je désire, comme l'honorable M. de Garcia, qu'on nous les donnes et qu'on ne se retranche pas dans des fins de non-recevoir, qui ne sont variablement ps applicables aujourd'hui.

Il y a eu précédemment des destitutions faites d'un seul fonctionnaire et constamment on a demandé dans cette enceinte des explications sur ces destitutions ; toujours ces explications ont été données. Ainsi lorsque l’honorable M. de Stassart eut été révoqué de ses fonctions de gouverneur du Brabant, l'honorable M. de Theux fut interpellé sur les motifs de cette destitution et il les fit aussitôt connaître. (Interruption.) Ces motifs ont même figuré, je crois, dans un rapport inséré au Moniteur. C'est véritablement un système tout nouveau que ces destitutions, et ce système peut aller beaucoup plus loin ; car enfin les individus qui remplacent les fonctionnaires destitués, et dont un certain nombre sortent d'assemblées dont je n'ai pas besoin de donner les noms, ces remplaçants peuvent très bien gagner appétit en mangeant, et nous finirions ainsi par voir mettre de côté tous les meilleurs fonctionnaires et par voir donner leurs places à des individus n'ayant d'autres titres que d'avoir effrayé le pays sur de prétendues tendances infiniment moins dangereuses que les leurs.

Je désire, messieurs, que le gouvernement nous donne les explications qui lui sont demandées.

M. d'Huart. - Messieurs, puisque j'ai été désigné plus spécialement dans ce débat, à propos des destitutions de fonctionnaires, je crois ne pas pouvoir me dispenser, de prendre la parole. Ne croyez pas, messieurs, que mon intention soit de me poser ici comme victime, et de me plaindre de la mesure que le gouvernement a prise à mon égard ; nullement ; telle n'est pas mon intention. Ne croyez pas non plus que je veuille contester au gouvernement le droit dont il a usé. Je ne veux pas davantage demander à la chambre qu'elle s'occupe de moi. Je pense qu'elle doit son temps précieux à des objets beaucoup plus importants pour le pays.

Mais, messieurs, puisqu'on a parlé d'explications et que l'on m'a mis personnellement en cause dans ce débat, je dois demander que la vérité se fasse jour. En dehors de cette enceinte, j'ai été en butte aux insinuations les plus malveillantes, j'ai été l'objet d'allégations contradictoires ; je veux, messieurs, que mes adversaires, comme mes amis, puissent apprécier ma conduite en parfaite connaissance de cause.

J'aurais pu faire connaître les motifs de la mesure qui a amené la cessation de mes fonctions de gouverneur de la province de Namur ; mais j'ai pensé que l'occasion ne pouvait pas manquer de se présenter, dans cette enceinte, de chercher à obtenir ces explications du gouvernement lui-même, et qu'il était convenable, en ma qualité d'ancien fonctionnaire, d'attendre cette occasion, pour demander à M. le ministre de l’intérieur, qui a le Moniteur à sa disposition, de publier la correspondance qui a eu lieu entre lui et moi, correspondance à la suite de laquelle est. intervenu l'arrêté du 2 novembre dernier.

Je demande qu'on livre à la publicité les pièces de cette correspondance, y compris la lettre du 13 août par laquelle j'ai accusé la réception du programme ministériel de la veille.

Je n'en dirai pas davantage ; je pense que M. le ministre de l'intérieur ne verra aucune difficulté à publier cette correspondance.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, pour ma part, je ne vois pas d'inconvénient à livrer, à la, publicité les actes de mon administration. Cependant il y a une distinction à établir entre ces actes. Les actes administratifs, je puis leur donner la publicité qu'on, réclame. Quant aux actes qui touchent directement aux personnes, il y aurait des inconvénients à laisser s'établir le principe que, sur la demande de la chambre, de pareils documents doivent être livrés à la publicité. Il y a, souvent, dans les questions personnelles, des circonstances qui ne sont pas de nature à être livrées à la publicité. La correspondance qui a eu lieu entre l'honorable M. d'Huart et moi est assez volumineuse ; l'honorable membre en connaît les incidents divers. Pour que le public ait une connaissance parfaite de toute cette affaire, il faudrait que toute cette correspondance fût livrée à la publicité ; mais, avant d'avoir relu attentivement les pièces, je ne puis m'engager à les publier.

Il y a une marche plus simple et plus directe à suivre. Si l'honorable M. d'Huart pense qu'il lui est utile, pour répondre aux insinuations malveillantes, dont il a été l'objet, de publier cette correspondance, qui lui appartient comme à moi, je ne vois pas d'Inconvénient à ce qu'il la livre à la publicité ; seulement je le prierai.de publier exactement les réponses qui ont été faites à ses diverses lettres.

M. d'Huart. - Messieurs, je ne me refuse pas à la marche qui vient d'être indiquée par M. le ministre de l'intérieur ; mais je n'ai pas voulu la suivre tout d'abord, parce que j'ai cru que les convenances exigeaient de moi que je commençasse par demander à M. le ministre de l’intérieur la publicité pour ces pièces.

Je n'éprouve aucune répugnance ni aucune crainte à voir publier toutes les pièces relatives à cette correspondance. C'est cette publicité que je demande. Du reste, je le répète, je suivrai volontiers la marche que M. le ministre de l'intérieur a indiquée ; toutefois, il eût été plus naturel que lui-même, ayant le Moniteur à sa disposition, se fût chargé de cette publication.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - J'ai l'honneur de répéter à l'honorable M. d'Huart que s'il pense qu'il est de son intérêt de livrer à la publicité la correspondance qui a eu lieu entre lui et moi, je ne puis pas m'opposer à ce qu'il suive cette marche ; mais quant à moi je ne puis prendre l'engagement de publier la correspondance qui a eu lieu à l'occasion du remplacement de ce fonctionnaire. Sans doute l'honorable M. d’Huart est un homme politique d'une certaine importance ; mais je ne vois pas (page 257) pourquoi il serait suivi à son égard une marche tout à fait exceptionnelle. Comme antécédent, je crois qu'il y aurait danger à déférer au vœu de l'honorable M. d'Huart ; et comme d'ailleurs le but qu'il a en vue peut être atteint par lui-même, je crois que ce point de la discussion peut maintenant être considéré comme épuisé. Je me réserve cependant de publier, de mon côté, pour autant que de besoin, les pièces qui ne figureraient pas dans cette publication et qui seraient de nature à éclaircir certains faits.

M. de Garcia. - Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur croit qu'il ne peut pas donner des explications sur les destitutions qui ont eu lieu ; j'avais demandé ces explications d’une manière générale ; je n'avais cité particulièrement l'honorable gouverneur de la province qui m'a fait l'honneur de m'envoyer dans cette enceinte, que parce que je le connais et que je le considère comme un des plus grands citoyens et l'un des meilleurs fonctionnaires qui aient surgi dans notre indépendance nationale.

L'honorable ministre, pour se soustraire à toute demande d'explications, se retranche derrière une question de convenance, derrière une fin de non-recevoir. « Il ne convient pas, dit-il, de traiter ici des questions de personne. » Ce système est des plus commodes, et, il faut le reconnaître, devant lui doit disparaître tout contrôle des actes administratifs du gouvernement qui nécessairement doivent toujours toucher à des personnes. Que la chambre consacre un tel système, et dorénavant elle s'interdit le droit de pouvoir jamais contrôler aucun acte posé par le gouvernement, quelque injuste, quelque inique qu'il puisse être.

Ce système serait celui des gouvernements les plus absolus, ce système conduirait tout droit le gouvernement constitutionnel au despotisme flétri par l'histoire, ramènerait ces époques où l'influence des intrigues des courtisans, des femmes peut-être, consacrerait des abus révoltants, sans qu'on puisse se plaindre ou demander justice. Telle est la portée du refus d'explications de la part de M. le ministre de l'intérieur.

Sous un gouvernement semblable, on pourra, comme sous les gouvernements absolus, destituer, renvoyer les fonctionnaires les plus recommandables et qui ont rendu les services les plus signalés au pays, sans qu'on ait le droit de s'enquérir des motifs qui auront déterminé ces mesures. Toujours je combattrai ces doctrines contre lesquelles je proteste.

M. de Man d'Attenrode. - J'ai demandé la parole pour demander que cette correspondance soit insérée au Moniteur. Rien ne s'oppose à ce que l'honorable M. d'Huart s'adresse au directeur du Moniteur pour y faire insérer la correspondance qui a préludé à sa destitution. Je ne vois pas pourquoi cette correspondance ne ferait pas partie de nos documents officiels.

Je demande positivement l'insertion de cette correspondance au Moniteur.

M. Lebeau. - La question est assez importante pour que la chambre soit renseignée autrement qu'elle ne l'a été par la déclaration de M. le ministre de l'intérieur. Si M. le ministre de l'intérieur se refuse à donner des explications, il est dans son droit ; mais la chambre est dans le sien quand elle demande que tous les éclaircissements arrivent jusqu'à elle.

La publication de ces renseignements dans un journal ordinaire ne remplirait pas le but qu'on doit se proposer ; il n'y a qu'un seul journal où ces documents puissent être insérés, c'est le journal officiel, c'est le Moniteur. Je demande donc formellement que la correspondance dont il s'agit soit portée à la connaissance de la chambre par la voie du Moniteur.

Je prendrai la parole quand l'incident sera vidé.

M. d'Huart. - M. le ministre de l'intérieur, qui a le Moniteur à sa disposition et qui pourrait y faire aisément insérer la correspondance dont j'ai parlé, ne juge pas à propos d'en user. Dès lors il ne me reste, après le refus de M. le ministre qu'à m'adresser à des journaux autres que le Moniteur, pour qu'ils aient l'obligeance de publier ces pièces. Je regrette d'ailleurs la raison gouvernementale qui paraît diriger M. le ministre de l'intérieur.

J'engage en conséquence mes honorables collègues qui ont demandé l'insertion au Moniteur à ne pas insister parce que, moi-même, quel que soit l'intérêt de ma position personnelle, je ne voudrais pas être la cause d'un précédent dont la chambre ou le gouvernement, dans d'autres circonstances, pourraient avoir à se repentir.

M. de Mérode. - C'est une chose vraiment extraordinaire, qu'après 16 ou 17 destitutions préventives, sans aucun motif apparent qui puisse justifier la mesure prise à l'égard des fonctionnaires qu'on a privés de leur emploi, c'est une chose vraiment extraordinaire qu'on ne puisse obtenir aucune explication. Cela ne s'est jamais vu depuis 17 ans. Si c'est là la nouveauté qu'on nous a promise, de nouveauté en nouveauté nous arriverons au gouvernement du Grand Turc ! Les majorités peuvent opprimer les minorités d'une manière aussi vexatoire que les gouvernements dirigés par un seul homme ; les minorités écrasées par des majorités sont aussi malheureuses que la Pologne opprimée par Nicolas, que les petits cantons opprimés par les grands cantons ; cela revient au même, le despotisme est le même qu'il soit exercé par une force ou par une autre ; quand cette force agit brutalement dans l'ombre, elle est aussi oppressive dirigée par plusieurs que par un seul. C'est ce qui se passe aujourd'hui, rien de semblable ne s'était passé depuis 17 ans. Ce sera l'honneur de l'opinion qui siège sur ces bancs de n'avoir jamais donné l'exemple d'un pareil mutisme, quand elle avait la majorité.

M. Orban. - Il paraît que l'on est d'accord pour considérer comme épuisé le côté personnel de la question des destitutions ; je me conformerai à cette décision de la chambre. Mais il est bien permis, je pense, à l'occasion du budget de l'intérieur, d'examiner les conséquences administratives des destitutions faites par le nouveau cabinet, et qu'il a en quelque sorte érigées en système.

Il faut bien le reconnaître, messieurs, l'administration a été jusqu'à ce jour beaucoup trop négligée ; l'on pourrait dire qu'elle n'a été que la très humble vassale de la politique ; trop souvent l'on a fait de l'administration comme un arsenal où l'on venait chercher des armes pour étayer le système politique dominant. Pour moi, j'ai toujours pensé que l'administration devait avoir une organisation forte en dehors des luttes de parti, et n'ayant que le moins de contact possible avec la politique. A cette condition seulement l'administration peut être une force, une puissance capable de servir en quelque sorte de contrepoids aux instabilités politiques. Placée dans ces conditions, l'administration pourrait former un édifice à part capable de résister au milieu de l'ébranlement général de la politique.

J'avoue que quand j'ai vu venir au pouvoir l'opinion libérale, lorsque j'y ai vu arriver l'honorable M. Rogier qui a toujours professé en administration la doctrine du pouvoir fort, j'ai espéré voir renaître dans l'administration cette force hiérarchique qui lui est nécessaire.

J'ai pensé que nous verrions introduire dans l'administration cette énergie qui lui manque, cette confiance qu'elle n'a pas en elle-même.

Mais le système de destitution inauguré par le nouveau cabinet est-il de nature à procurer ces résultats ? Voilà ce qu'il importe d'examiner. Eh bien, quant à moi, je n'hésite pas à déclarer qu'il doit avoir un effet tout contraire. Pour que l'administration pût gagner de la force, que faudrait-il ? Il faudrait de la part des fonctionnaires redoublement de zèle et d'activité dans l'accomplissement de leurs devoirs administratifs ; de la part des administrés confiance, déférence administrative à l'égard des fonctionnaires. Il faudrait que cette confiance fût en quelque sorte générale de la part des administrés.

Voyons, messieurs, quant au premier de ces points. Pour qu'un fonctionnaire travaille avec zèle, pour qu'il consacre son talent, ses veilles à l'accomplissement de ses devoirs administratifs, il faut qu'il ait l'assurance que ses services ne seront pas méconnus, et à plus forte raison, qu'une destitution puisée dans des considérations politiques ne viendra point interrompre brusquement la carrière administrative la plus recommandable.

Eh bien, messieurs, est-ce là ce qui aura lieu sous le ministère actuel ?

D'après ce que nous avons vu, n'est-il pas démontré, au contraire, que, quelle que soit la manière loyale, intelligente et probe dont un employé, a rempli ses fonctions, il n'est pas à l'abri d'une destitution ? N'est-il pas démontré aussi que quelque négligence qu'on apporte dans ses fonctions, si on est en communion d'opinions politiques avec le parti qui gouverne, on est à l'abri d'accidents de cette espèce, si toutefois on n'est pas destiné à de plus hautes fonctions, destinées à être la récompense, non plus des services administratifs rendus, mais des services politiques rendus à un parti.

J'ai dit en second lieu, messieurs, que plus la confiance dont un fonctionnaire est entouré est générale et plus il est à même de remplir ses fonctions avec fruit. En effet, sans confiance pas de concours, et réduit à lui-même, destitué du concours et de la confiance de ses administrés, ce fonctionnaire est incapable de faire le bien.

Cette confiance universelle est-elle possible quand vous avez fait du fonctionnaire un homme politique, le représentant d'un parti dans l'administration ?

Evidemment, dans l'état actuel des choses, le commissaire d'arrondissement n'est plus qu'un agent politique au service d'un parti. Dans toute sa carrière administrative, il aura pour mission principale de favoriser le parti auquel il appartient ; et qui vous dit que la justice administrative ne sera point altérée ? Qui vous dît qu'il ne cherchera point à atteindre le but qui lui est assigné, le triomphe électoral de son parti, en disposant en sa faveur des places, des subsides, de tous les moyens administratifs, en un mot, qui sont à sa disposition ?

Dans un pareil état de choses, comment voulez-vous qu'il n'y ait pas défiance et désaffection au moins partielle ?

Evidemment, il y aura dans l'arrondissement deux partis politiques : l'un soutenu par le commissaire d'arrondissement ; l'autre en hostilité avec lui ; l'un luttant avec les seules armes de la conviction, l'autre avec les armes de la corruption administrative. Assurément, messieurs, ce n'est point avec la pratique d'un pareil système que vous verrez renaître les beaux jours de l'administration, que vous lui verrez reconquérir la confiance dont elle a besoin et cette force qui se puise dans la justice et l'assentiment général.

M. Le Hon. - Je demande la parole.

M. Orban. - Il y a une autre conséquence des destituions sur laquelle je me permettrai d'interpeller le chef du cabinet ;sauf à lui à user cette fois encore du droit de ne pas répondre si cela lui convient.

Si nous acceptons comme le résultat d'un système les destitutions faites par le cabinet, il sera démontré que du moment où un fonctionnaire ne partage pas les opinions politiques, il doit cesser de faire partie (page 258) de l'administration. Les choses étant ainsi, je me permettrai de demander à M. le ministre de l'intérieur quelle position il entend faire aux fonctionnaires publics qui siègent dans cette enceinte. Du moment qu'on ne peut continuer de faire partie de l'administration qu'à la condition de soutenir la publique du ministère, il est évident que la position des fonctionnaires publics dans cette enceinte n'est plus tenable ; leur opinion n'est pas libre ; car ils sont placés entre leur révocation et l'obligation de donner leur appui au ministère. N'est-il point évident que dès lors ils ne peuvent plus siéger honorablement dans celle enceinte ?

Plusieurs membres. - C'est la question de la réforme parlementaire.

M. Orban. - Oui, c'est la question de la réforme parlementaire, et cette question si grave, cette question à laquelle se rattachent les plus hautes considérations de l'ordre gouvernemental et politique, vous l'avez préjugée sans examen. Vous vous êtes en quelque sorte placés dans la nécessité de la résoudre affirmativement, et je dis : Cela n'est point le fait d'hommes politiques appelés à gouverner leur pays. A côté des inconvénients très graves sans doute qui s'attachent à la présence des fonctionnaires dans les chambres, se trouve une considération d'un ordre supérieur ; c'est celle de savoir si une majorité gouvernementale suffisante pour assurer la marche d'un cabinet quelconque est possible sans la présence des fonctionnaires dans les chambres. C'est celle de savoir s'ils ne forment pas un contrepoids nécessaire au mouvement trop accéléré des opinions. L'expérience que nous avons faite de nos institutions si libérales, si démocratiques n'est pas assez complète pour que cette question puisse être décidée à priori, et il appartenait aux hommes qui siègent sur les bancs du pouvoir de lui donner une solution obligée.

Si encore le ministère, en posant ces destitutions, avait agi d'après un des principes arrêtés, s'il avait subi en quelque sorte la conséquence d'un système essentiel à sa politique !

Mais il m'est impossible de voir dans la conduite qu'il a tenue, rien qui ressemble à un système arrêté d'avance. Tout ce qui été dit à cet égard n'est pas sérieux. Vous vous rappelez sans doute cette belle théorie présentée par M. le ministre de l'intérieur qui représentait les destitutions comme la ratification, en quelque sorte, de la décision du jury électoral. Comment les faits répondent-ils à cette théorie ? On arrache à son arrondissement un commissaire de district qui venait d'être réélu membre de cette chambre par ce même arrondissement ; et l'on a envoyé, ou l'on se dispose à envoyer, comme commissaire de district un candidat repoussé par les électeurs de ce district d'où il avait cherché à éliminer l'un des membres de cette chambre que, pour mon compte, je respecte et révère le plus, l'honorable M. Eloy de Burdinne. En présence de ces faits, je ne puis voir dans votre prétendu système qu'une vaine parade destinée à abriter derrière les principes des actes dus à des sentiments mauvais que l'on n'ose avouer.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.

M. Orban. - Non, il n'y a rien dans votre conduite qui soit le résultat d'un système, et je vais en faire la démonstration la plus complète. Si le système des destitutions avait été pour vous sérieux et nécessaire, pourriez-vous vous dispenser de l'appliquer aux fonctionnaires des administrations centrales ?

M. Lebeau. - Je demande aussi la parole.

M. Orban. - Si le gouvernement avait besoin de destituer un gouverneur, un commissaire d'arrondissement, dont le concours lui était nécessaire pour assurer la bonne administration, n'était-il pas plus nécessaire de traiter de la même manière les directeurs, les employés immédiatement sous ses ordres qui sont en quelque sorte l'âme de l'administration ?

Assurément, vous ne répondrez pas que vous avez rencontré dans tous les ministères, dans toutes les administrations centrales, des fonctionnaires qui partagent votre opinion. Si vous veniez annoncer un fait pareil, ce serait faire des ministères précédents un éloge qui n'est pas dans votre intention. Car ce serait dire que les ministères qui vous ont précédés ont eu plus de tolérance que vous, qu'ils ont cru pouvoir marcher, lorsqu'ils avaient dans leur administration des fonctionnaires d'une autre opinion politique que la leur.

Eh bien ! qu'avez-vous fait ? Vous n'avez pas changé un seul de ces fonctionnaires ; tous les fonctionnaires de l'administration centrale, depuis le dernier commis jusqu'aux directeurs généraux, ont été maintenus.

Vous avez prouvé par là une chose : c'est que votre système n'était qu'une fiction, n'était qu'un mensonge.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, il paraît que la discussion politique de l'ouverture de la session n'a pas suffi à d'honorables membres et que nous voilà lancés dans une seconde discussion politique. Je laisse la responsabilité des longueurs des débats éventuels à ceux de MM. les membres de cette chambre qui les auront provoqués.

M. de Mérode. - L'année passée c'était tous les jours.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - L'année passée, ce n'était pas tous les jours. Nous avons eu deux seules discussions politiques, l'une à l'ouverture de la session, et l'autre trois ou quatre mois plus tard, à l'occasion de la discussion du budget de l'intérieur.

Du reste, je le répète encore, je laisse la chambre libre d'entamer des discussions politiques aussi longtemps et aussi souvent qu'elle le voudra. Je n'invoquerai pas même le vote de confiance si éclatant que nous avons reçu tout récemment d'une grande partie de cette chambre. Je n'invoquerai pas l’abstention des membres actuels de l'opposition. Je ne rappellerai pas leur attitude, je ne rappellerai pas leurs déclarations. Ils attendront les actes du ministère pour les juger. Aujourd'hui on revient sur le passé. On veut que le ministère s'explique sur ses actes. Eh bien ! il s'expliquera sur ses actes, chaque fois cependant qu'il le jugera à propos et sans jamais entendre abdiquer ce qui sera dans son droit ou dans sa convenance.

L'honorable M. Orban appartient, je crois, à l'opinion qui se qualifie d'opinion modérée, d'opinion gouvernementale. Il nous a dit tout à l'heure qu'il était partisan du pouvoir fort.

M. de Mérode. - Du pouvoir juste !

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - J'avertis M. le comte de Mérode que s'il m'interrompt à chaque mot que je dis, il me sera impossible de continuer. (Interruption.)

M. le président. - M. de Mérode, on ne vous a pas interrompu.

M. de Mérode. - J'ai dit : du pouvoir juste, et voilà tout.

M. le président. - Mais il ne faut pas interrompre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Pour en finir avec M. le comte de Mérode, pour lui ôter ce désir d'interruptions continuelles, et lui retirer même l'honneur de l'invention du système destitutionnel qu'il semble attribuer de préférence au ministère actuel, je ne rappelle qu'un fait : c'est qu'il y a treize ans environ il était mon collègue et qu'il a concouru avec moi à frapper deux hauts fonctionnaires politiques dont l'un était membre de cette chambre et fut destitué à cause de ses votes et de ses discours politiques.

M. de Mérode. - Eh bien ! on a dit pourquoi.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Mais enfin vous avez adopté le principe, et à cette époque vous auriez été beaucoup plus loin que moi. Je vous assure que si vous étiez ministre votre intolérance vous pousserait, vous aurait poussé beaucoup plus loin que là où nous nous sommes arrêtés. Moins que tout autre vous avez le droit de vous poser ici en homme modéré.

M. de Mérode. - Je demande la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je suis étonné, messieurs, que l'honorable M. Orban, à qui j'attribue l'intelligence du gouvernement représentatif, et qui se pose ici comme un partisan du pouvoir fort, semble vouloir venir contester au gouvernement le premier de ses droits, sans lequel il ne lui serait pas possible de vivre et d'administrer.

L'honorable M. Orban ne veut pas reconnaître au gouvernement le droit de se séparer des fonctionnaires politiques en qui il n'aurait pas confiance. Il considère les commissaires de district, sans doute les gouverneurs aussi, comme des fonctionnaires inamovibles, purement administratifs, n'ayant aucun caractère politique, auxquels il est défendu au gouvernement de porter la moindre atteinte, dans quelque circonstance que ce soit.

Messieurs, à mes yeux, et je crois que la question n'est douteuse pour personne dans cette enceinte, sauf peut-être pour l'honorable M. Orban, à mes yeux, les gouverneurs, les commissaires de district sont avant tout des fonctionnaires politiques, les agents directs de la politique du gouvernement dans les provinces et dans les arrondissements. Du moment qu'il n'existe pas entre ces agents et le gouvernement dont ils émanent de solidarité d'opinion, du moment qu'il n'existe pas de confiance réciproque, du moment que le gouvernement responsable n'a pas en eux la confiance nécessaire, il a le droit de se séparer d'eux. Cela, messieurs, n'est contestable pour personne ; cela, je pense, n'a jamais été contesté.

Je ne veux pas revenir sur le passé, mais je pourrais citer un grand nombre de destitutions qui ont été opérées par nos honorables prédécesseurs sans qu'on en ait fait si grand bruit dans cette enceinte.

On dit, messieurs, que notre système conduit à la réforme parlementaire. On signale la fausse situation où se trouveraient dans cette enceinte certains fonctionnaires publics politiques, certains gouverneurs, certains commissaires d'arrondissement qui ne partageraient pas les opinions politiques du ministère. Eh bien, messieurs, je reconnais que la position de ces fonctionnaires serait fausse ; je reconnais qu'un fonctionnaire politique qui ne partage pas les opinions politiques du cabinet, n'est pas dans une position franche. J'ajoute que si ce fonctionnaire fait partie de la chambre, sa position devient encore beaucoup plus difficile, plus équivoque. Ce sont là des faits incontestables, je le reconnais ; et si ces faits devaient conduire à une réforme parlementaire, je ne récuserais pas pour cela ces vérités élémentaires.

Ce n'est pas, messieurs, une profession de foi vague ; c'est un principe que je me suis appliqué à moi-même, ainsi que l'ont fait plusieurs de mes honorables amis.

J'ai été fonctionnaire public dans cette chambre, suivant, au point de vue de la politique extérieure, les principes de l'honorable M. de Theux. Il m'est arrivé, dans un vote de confiance, de me prononcer contre l'honorable M. de Theux ; je lui ai envoyé ma démission.

Je crois que cette ligne de conduite était la bonne. Je crois que cette conduite que mon honorable ami M. Lebeau et moi nous nous sommes imposées à nous-mêmes, nous sommes endroit, le cas échéant, de l'exiger d'autres fonctionnaires.

Nous limitons autant que nous pouvons le cercle des fonctionnaires (page 259) politiques. Nous croyons que nous devons considérer comme fonctionnaires politiques les gouverneurs, les commissaires de district et jusqu'à un certain point les procureurs du roi. Nous reconnaissons qu'il est indispensable pour la bonne marche des affaires qu'il existe, entre ces catégories de fonctionnaires et le gouvernement, une solidarité d'opinion telle, que lorsqu'il y a un dissentiment politique, un désaccord politique, un manque de confiance entre ces agents et le gouvernement, il faut que ces agents se séparent du gouvernement, il faut qu'ils prennent l'initiative de cette séparation, ou qu'à leur défaut, le gouvernement prenne cette initiative.

Eh bien, voilà la position dans laquelle s'est trouvé le nouveau cabinet à son entrée au pouvoir. Parmi les fonctionnaires qui avaient servi depuis de si longues années une politique contraire à la sienne, le gouvernement ne pouvait pas placer une égale confiance dans tous ceux qui administraient. C'eût été faire injure à leur caractère que de les supposer capables de changer d'opinion du jour au lendemain.

Il y a, messieurs, deux manières d'exercer les fonctions administratives. Il y a des commissaires de district qui se bornent purement et simplement à leur rôle administratif, qui s'abstiennent, autant que possible, de prendre un rôle politique pour s'en tenir à leur rôle administratif. A cette classe de fonctionnaires le cabinet n'a pas touché. Mais ceux qui, par leurs actes, leurs discours, leurs antécédents, s'étaient particulièrement fait connaître comme attachés à la politique que nous venions remplacer, il a fallu nous en séparer. Nous eussions mieux aimé qu'ils prissent l'initiative, qu'ils se séparassent de nous, qu'ils suivissent le sort de leurs chefs ; voilà dans l'administration la bonne politique. Mais ces fonctionnaires n'ayant pas pris l'initiative, nous avons dû la prendre.

L'honorable M. Orban a paru épouvanté de l'idée d'une réforme parlementaire. Messieurs, cette frayeur de l'honorable M. Orban, je ne la partage pas et je pense que lui-même n'est pas aussi effrayé qu'il le dit. Je me rappelle que, lorsque nous sommes venus annoncer qu'il y avait nécessité d'augmenter le nombre des membres de la chambre à raison de l'accroissement de. la population, l'honorable M. Orban se leva tout à coup, et comme sous le coup d'une subite terreur, il s'écria que nous allions bouleverser le pays, que nous allions entrer en révolution. (Interruption.) Il se montra effrayé au point de dire que c'était là une révolution. Eh bien, messieurs, ce ne fut pas une révolution ; ce fut une bonne et sage réforme. Une loi tendant à limiter le nombre des fonctionnaires dans la chambre ne serait pas non plus une révolution ; ce serait aussi une bonne et sage réforme, et, pour le dire en passant, nous ne reculerons pas devant la présentation opportune d'une pareille loi.

Je ne puis pas laisser sans réponse un reproche qui, quoique présenté sous des formes très douces, n'en est pas moins très déplacé dans la bouche de l'honorable orateur auquel je réponds. L'honorable orateur n'a vu dans les actes politiques posés par le cabinet, vis-à-vis de certains fonctionnaires, qu'une vaine parade, soit ; mais il a parlé de sentiments mauvais. J'ignore à quels sentiments l'honorable M. Orban obéit lorsqu'il se livre à ses attaques contre le ministère ; j'aime à croire que ce sont de bons sentiments ; je suis persuadé qu'il n'est animé que de bons sentiments ; je suis même prêt à dire que, sous ce rapport, l'honorable préopinant est un modèle ; qu'en toute circonstance il se montrera animé des sentiments les plus élevés et les plus généreux ; mais ce que je lui interdis, c'est de sonder nos consciences, c'est d'attribuer à de mauvais sentiments des actes qui ne ressortissent qu'à la politique, qui doivent s'attaquer et se défendre par des raisons politiques. A mon tour je le prie de vouloir bien s'expliquer sur ce point et nous dire à quelle espèce de mauvais sentiments, dans son opinion, le cabinet aurait obéi en se séparant de certains fonctionnaires politiques.

Messieurs, je l'ai déjà dit, si nous avions suivi nos sentiments personnels, si nous avions écouté d'anciens souvenirs, d'anciennes amitiés, plusieurs des fonctionnaires, que nous avons été obligés de frapper, auraient été les premiers épargnés par nous. Loin d'avoir obéi à des sentiments mauvais, je le déclare, il nous a beaucoup coûté de frapper certains hommes avec lesquels nous étions liés depuis longtemps par des relations d'amitié privée et, sous ce rapport, messieurs, ils nous ont mieux jugés que l'honorable préopinant : cette amitié privée, ils nous l’ont encore conservée alors même que nous les avions frappés dans leur existence politique. Cette déclaration, messieurs, nous consolera facilement des attaques de l'honorable préopinant.

L'honorable préopinant, tout en blâmant les destitutions qui ont eu lieu, semble cependant trouver que nous n'avons pas été assez loin : suivant lui, il aurait fallu d'abord frapper les fonctionnaires des administrations centrales. Eh bien, messieurs, ici je trouve que l'honorable préopinant pousse beaucoup trop loin les doctrines de ce qu'il a appelé le pouvoir fort. Dans les administrations centrales, messieurs, le ministre ne doit voir, en général, que la capacité administrative ; il doit, autant que possible, continuer dans leurs fonctions ceux des employés qui ne se sont point séparés de la politique du cabinet, par des actes trop éclatants, par une hostilité trop ouverte, par une hostilité persévérante.

Messieurs, nous ne voulons point récriminer. Nous pourrions dire que d'autres que nous ont porté la main sur les fonctionnaires des administrations centrales, et ils l'ont fait par des vues purement politiques. Mais autant que nous le pouvons, nous voulons éviter les récriminations, les revues rétrospectives. Nous nous réservons cependant, si quelque ancien ministre venait joindre sa voix à celle de l'honorable M. Orban, nous nous réservons de lui répondre sur ce point spécial. Nous prouverons que nous avons été, sous ce rapport, beaucoup plus tolérants que plusieurs de nos prédécesseurs.

Il y a certains fonctionnaires politiques dans les administrations centrales, et certes si nous avions trouvé chez quelques-uns de ces fonctionnaires une hostilité ouverte, si nous avions eu des motifs de défiance absolue à leur égard, nous aurions certainement pris envers eux le même parti que vis-à-vis des gouverneurs et des commissaires d'arrondissement.

J'espère, messieurs, que ces explications suffiront à la chambre. J'espère qu'elles seront comprises de tous les fonctionnaires qui continuent aujourd'hui à servir la politique du cabinet. Si, messieurs, parmi ces fonctionnaires politiques, il en est qui ne croient pas pouvoir continuer à servir le gouvernement dans les limites du programme qu'il a exposé à son entrée au pouvoir, il y a, messieurs, deux issues qui se présentent : ou le fonctionnaire, obéissant à sa conscience, obéissant à ce que lui commandera le besoin de sa considération, déclarera au gouvernement qu'il ne pense pouvoir lui servir d'agent, et alors il aura rempli dignement son devoir ; ou bien ce fonctionnaire, par des actes qu'il posera, par des résistances que le gouvernement rencontrera en lui, ce fonctionnaire aura démontré au gouvernement que la vie commune n'est plus possible entre lui et le ministère, et dans ce cas, le ministère prendra à son égard les mesures qui sont dans son droit : il agira envers ce fonctionnaire, comme il a agi envers les fonctionnaires précédents. Voilà quelle sera sa ligne de conduite ; le gouvernement usera de son droit : il en usera avec justice ; il tâchera d'en user toujours dans les limites de la modération ; mais quant à son droit de se séparer des fonctionnaires politiques qui ne suivraient pas sa ligne politique, il le maintiendra intact et il l'appliquera au besoin.

M. Le Hon et M. Lebeau déclarent renoncer à la parole.

M. de Theux. - Messieurs, les explications de M. le ministre de l'intérieur nécessitent quelques observations de notre part.

Jusqu'à présent, deux faits avaient été acquis au pays ; l'un de ces faits, c'est que tout fonctionnaire, membre de cette chambre, vote de la manière la plus indépendante, sans que le gouvernement puisse jamais le rechercher, à raison de ses votes.

Ce fait est acquis au pays depuis longtemps, par les déclarations les divers cabinets qui se sont succédé. Ce principe a été proclamé à diverses reprises et mis en pratique par l'honorable M. Nothomb ; il a été proclamé par l'honorable M. Van de Weyer sur les interpellations de l'opposition de l'époque, et la déclaration si nette de ce ministre a été accueillie par les applaudissements unanimes de la chambre. Nous, à notre tour, nous avons fait une semblable déclaration et nous l'avons confirmée par la pratique.

L'honorable M. Rogier nous a rappelé une circonstance dans laquelle lui et son honorable ami, M. Lebeau, ont cru devoir offrir au Roi leur démission des fonctions de gouverneur des provinces d'Anvers et de Namur, à la suite d'un vote hostile au cabinet d'alors sur une question d'existence.

Nous ne contestons pas le fait, mais nous prions ces honorables membres de remarquer que leur démission a été adressée au Roi seulement après le vote qui avait renversé le cabinet. Quoi qu'il en soit, de ce qu'alors la démission a été acceptée par le Roi, il ne s'ensuit pas qu'il y ait une atteinte quelconque portée à l'indépendance de deux fonctionnaires de l'Etat, membres de la chambre. cette démission était un fait purement volontaire de leur part.

Cette condition d'indépendance du vote du député est une condition essentielle de son mandat. Je n'ignore pas qu'en Angleterre un principe contraire avait prévalu, et que des fonctionnaires étaient recherchés, à raison de leur vote, et démissionnes de ce chef. Mais c'était là une théorie hautement avouée et professée par le gouvernement. L'électeur qui donnait sa confiance à un fonctionnaire, lui donnait en quelque sorte pour mission de suivre partout la politique du gouvernement, sous peine de destitution. Mais en Belgique, la condition est tout à fait différente. Je dirai même qu'en Angleterre cette ancienne politique n'est plus exercée dans toute sa rigueur : il y a à cet égard un changement très considérable dans la politique anglaise.

Quoi qu'il en soit, jamais cette doctrine n'a été admise en Belgique par les cabinets qui s'y sont succédé ; depuis la destitution de l'honorable M. Desmet, destitution provoquée par les votes parlementaires de cet ancien député, ç'a été un fait acquis à la Belgique représentative.

Un autre fait était également acquis à la bonne administration du pays : c'était que les changements de cabinet n'entraînaient pas celui des fonctionnaires publics qui avaient même une position pins ou moins politique.

Jamais des mutations de ce genre n'ont eu lieu pour des motifs se rattachant uniquement à la politique du cabinet. Mais ce qui s'est toujours pratiqué, ce qui doit se pratiquer, sous peine d'anarchie, c'est que quand un fonctionnaire public fait au gouvernement une opposition ouverte ou sourde, mais réelle et grave, le gouvernement peut alors et doit se séparer du fonctionnaire. Voilà ce qui a été constamment pratiqué jusqu'ici, et je ne pense pas qu'on puisse citer un seul exemple qui vienne appuyer une doctrine contraire.

L'honorable ministre de l'intérieur a dit qu'il espérait qu'aucun membre du cabinet précédent n'associerait sa voix à celle de l'honorable 1M Orban pour blâmer ce qu'on a appelé les destitutions préventives. (Interruption de M. le ministre de l'intérieur.)

(page 260) Eh bien, j'accepte encore pour les fonctionnaires de l'administration centrale, en ce qui me concerne, l'espèce de défi qui m'a été adressé l’égard° des fonctionnaires de l'administration centrale avec la plus grande franchise ; j'ai fait venir les principaux fonctionnaires ; je leur ai dit : « Messieurs, je ne vous demande pas que vous partagiez mes opinions politiques ; je sais même que plusieurs d'entre vous ne les partagent pas ; tout ce que je vous demande, c'est que vous vous exprimiez toujours avec la plus grande liberté, avec la plus grande franchise ; que chaque fois que vous ne partagerez pas ma manière de voir sur un acte administratif, vous me fassiez connaître votre opinion avec tous ses motifs ; mais aussi ce que je demande, c'est que, quand j'aurai pris ma décision, vous l'exécutiez, comme si elle avait été prise sur votre proposition. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - C'est ce que nous avons fait.

M. de Theux. - Alors, je vous approuve en ce qui concerne les fonctionnaires de l'administration centrale ; mais je ne puis approuver le système que vous avez inauguré, en ce qui concerne les fonctionnaires, en dehors de l'administration centrale.

Je pense que les mesures, prises par vous, n'étaient pas nécessaires.

Je le déclare de nouveau : je considère comme absolu le droit du gouvernement de prononcer des révocations ; mais ce droit n'est sagement et utilement exercé, dans mon opinion, que quand le gouvernement a remarqué entre lui et un fonctionnaire, un dissentiment profond, de nature à entraver la marche de l'administration ; alors le gouvernement ne doit pas hésiter à avoir recours à ce que j'appelle son droit extrême.

M. de Mérode. - Depuis 17 ans, j'ai professé dans cette enceinte et dans le sein des cabinets dont j'ai fait partie pendant sept années, la plus grande antipathie pour les destitutions. Et la preuve de ce que j'avance, c'est qu'il a fallu recourir à quinze ans en arrière pour trouver deux cas de destitutions auxquelles j'aurais donné mon adhésion. Or, messieurs, l'un de ces fonctionnaires, membre de cette chambre, s'y déclarait constamment l'adversaire le plus acharné du ministère, non seulement il votait contre les projets de loi présentés par le gouvernement, ce qui était parfaitement son droit ; mais il déclarait le ministère indigne de la confiance du pays.

Or, je le demande, parmi les 16 ou 17 fonctionnaires destitués préventivement, qui donc a rendu de la sorte son existence administrative publiquement incompatible avec celle du ministère ? Evidemment aucun ! Car on ne manquerait pas de signaler le fait. Messieurs, la doctrine des destitutions pour simple opinion intérieure, divise un pays en vainqueurs et en vaincus.

Dans notre passé de 17 ans, une foule de fonctionnaires n'avaient pas la couleur politique du gouvernement, et lorsqu'ils remplissaient loyalement leurs fonctions et avec l'aptitude convenable, jamais on n'a cherché à les éliminer. C'était là une politique libérale, une politique constitutionnelle, la seule que j'adopte ; et si la politique nouvelle est différente, c'est une malheureuse politique.

M. Orban. - Je ne m'attacherai pas, vu l'heure avancée de la séance, à répondre au fond même du discours de M. le ministre de l'intérieur. Si je devais entreprendre cette tâche, elle me serait extrêmement facile. Je n'aurais qu'à vous montrer tous les avantages solides et durables que l'on peut attendre d'une administration impartiale, équitable pour tous, sacrifiés au besoin de mettre un fonctionnaire à la tête des luttes politiques, un homme qui ne voit dans les fonctions politiques qu'un moyen de faire triompher les candidats électoraux.

M. Verhaegen. - C'est ce qu'on a fait sous les cabinets précédents !

M. Lebeau. - C'est l'histoire du passé !

M. Orban. - Ce qui a été un abus dans le passé, vous voulez l'ériger en système.

Je me bornerai sur ce point à ajouter une seule chose, c'est qu'au moyen des destitutions politiques, vous avez introduit dans l'administration, en place d'hommes expérimentés, des hommes ignares en administration, des hommes qui lui ont toujours été étrangers ; vous avez pris des agents des contributions indirectes, ne sachant pas même ce que c'est qu'un budget communal, pour les mettre à la tête de l'administration des communes. Voilà les hommes que la politique a introduits dans les administrations, voilà les fruits de la politique de destitution.

En me répondant, M. le ministre de l'intérieur aurait dû s'imposer un devoir dont il n'est jamais permis de s'écarter, et à un ministre moins qu'à tout autre, celui de ne pas dénaturer ma pensée, comme il l'a fait pendant son discours.

Eh quoi ! j'ai pris la parole pour blâmer la destitution de fonctionnaires honorables, et M. le ministre m'a constamment présenté comme demandant plus de destitutions qu'il n'en a fait lui-même, comme lui ayant reproché de n'avoir pas étendu le système des destitutions aux administrations centrales !

Ai-je dit quelque chose de semblable et n'est-ce point-là au contraire le contre-pied de l'opinion que j'ai soutenue devant vous ? N'ai-je point dit qu'en posant ces destitutions vous n'aviez pas même le mérite d'avoir obéi à un principe, parce que vous n'aviez pas fait l'application de la mesure là où elle devait avoir lieu d'abord, si vous aviez agi d'après un système arrêté, si vous aviez subi une véritable nécessité politique. J'ai ajouté que si vous n'aviez pas agi en vertu d'un système, que si vous n'aviez pas obéi à une nécessité politique, vous aviez dû obéir à d'autres sentiments qui ne sont pas faits pour être avoués.

M. le ministre vient de me demander quels étaient ces sentiments. Eh bien, je ne reculerai pas devant votre interpellation et j'y répondrai sans détour.

Il y avait eu dans le pays, comme on sait, des luttes politiques très vives. Des fonctionnaires pour avoir fait leur devoir, pour avoir prêté à l'administration, dont il étaient les agents, un appui loyal avaient soulevé contre eux des passions mauvaises qui, lors de l'avènement du cabinet actuel, se sont formulées, dans certains journaux, en dénonciations, en demandes de destitutions. Costa ces influences que le ministère n'a pas su résister et je dis que c'est là, pour un ministère, subir des influences mauvaises.

Je le dis parce que c'est ma conviction, je ne pense pas qu'on puisse me refuser le droit d'apprécier selon ma conscience les actes politiques du gouvernement ; j'irai plus loin et je dirai qu'il y a certaines décès destitutions qui ne peuvent s'expliquer que par une sorte d'hostilité personnelle envers les fonctionnaires destitués.

Parmi les gouverneurs destitués, il en est un qui a toujours professé les opinions libérales, qui a figuré dans un cabinet appartenant à cette opinion, mais qui a pensé, avec quelques membres de cette chambre, que, quoique libéral, on pouvait prêter son appui à un ministère appartenant à une autre opinion, quand celui-ci ne posait que des actes que l'opinion libérale pouvait avouer. Eh bien, le fonctionnaire auquel je fais allusion, a été, à raison de cette conduite, en butte à une hostilité particulière de la part d'une partie de ses anciens amis.

Ayant toujours appartenu, comme je l'ai dit, à l'opinion libérale, ayant soutenu le ministère précédent, non pas à cause, mais malgré ses opinions, il est évident que ce fonctionnaire était en mesure de donner un appui sincère à un ministère libéral. Ce n'est donc point la politique qui a motivé sa destitution, et dès lors je demande au pays, à la chambre, à quel mobile, à quel sentiment elle doit être attribuée.

Je vous laisse à penser à quels sentiments on doit attribuer cette destitution.

Je bornerai là mes observations.

- La chambre consultée ferme la discussion générale.

La séance est levée à quatre heures trois quarts.