(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Verhaegen., vice-président.)
(page 113) M. de Villegas procède à l'appel nominal à 2 heures.
- La séance est ouverte.
M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier. La rédaction en est approuvée,
M. de Villegas présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Joseph Grangé, professeur à l'école normale privée de Liège, né à Neuf-Bribach (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le conseil communal de Bruxelles demande la révision de la loi sur l'impôt foncier, des modifications aux lois sur les patentes et sur la contribution personnelle, el, provisoirement, l'exécution impartiale des dispositions existantes. »
M. de Bonne. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des finances, avec prière de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs habitants de Welle demandent l'abrogation de la loi du 18 mars 1838, qui établit un impôt de consommation sur les boissons distillées. »
« Même demande de plusieurs cabaretiers et débitants de boissons distillées de Tournay et des environs. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des voies et moyens.
« Les instituteurs communaux des deux cantons d'Audenarde demandent une augmentation de traitement, et prient la chambre de prendre une disposition pour faire payer leurs traitements sur les fonds de l'Etat. »
M. de Villegas demande le renvoi à la commission les pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs meuniers se plaignent d'une mesure administrative, en vertu de laquelle on leur défend de se servir, dans leurs moulins, de balances romaines. »
M. Dedecker. - Je demanderai que la commission des pétitions veuille bien examiner cette pétition le plus tôt possible et faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
M. le ministre des finances (M. Veydt). - J'ai l'honneur de déposer un projet de loi tendant à allouer un crédit supplémentaire de 800,000 fr. au budget de l'intérieur de 1847, pour mesures relatives aux subsistances dans les Flandres et les cantons liniers du Brabant et du Hainaut.
M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; il sera imprimé est distribué.
La chambre veut-elle le renvoyer à l'examen des sections ou d'une commission ?
Plusieurs membres. - Aux sections !
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je me borne à faire observer que ce crédit proposé est de sa nature très urgent. Je ne m'oppose pas au renvoi en sections, bien que ce renvoi soit inaccoutumé pour les crédits supplémentaires en général.
Je serai toujours charmé de voir la chambre disposée à examiner de très près les projets qui lui sont soumis. Je ne m'oppose donc pas en principe au renvoi des projets en sections. Je dis seulement que dans, le cas actuel on sortira des règles jusqu’ici suivies.
Si le renvoi en sections est ordonné, je demanderai que le projet,, qui, je le répète, est urgent, soit examiné le plus tôt possible.
M. de La Coste. - Messieurs, dans ma section, nous pourrions nous occuper sur-le-champ de l'examen de ce projet. Mais dès l'instant où M. le ministre de l'intérieur désire un mode plus expéditif pour un projet de cette nature, sur lequel tout le monde peut se former promptement une opinion, je retire, quant à moi, l'avis que j'avais appuyé du renvoi en sections et je me rallie à la proposition du renvoi à une commission ou à une section centrale.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas de préférence pour l'un ou l'autre mode. Qu'on renvoie le projet aux sections ou à une commission, peu importe. Tout ce que je demande à la chambre et ce que je crois avoir le droit de demander, c'est que ce projet soit examiné le plus tôt possible.
Du reste, je le répète, je ne demande pas mieux que d'appeler les lumières de toute la chambre sur les questions que nous lui soumettons et particulièrement sur les questions relatives aux Flandres.
M. Manilius. - J'ai cru entendre sur ces bancs qu'on demandait le renvoi du projet à la section centrale qui a examiné le budget de l'intérieur. Quant à moi, je me rallie à cette proposition, et si elle n'était pas parvenue au bureau, je la ferais moi-même.
M. Orban. - Messieurs, je crois qu'il est tout à fait convenable de renvoyer ce projet en sections. Ce n'est pas qu'il puisse y avoir quelque doute sur la nécessité du crédit proposé par M. le ministre de l'intérieur ni sur l'urgence qu'il y a à l'adopter. Mais dans les sections on pourra produire des observations sur la manière la plus utile d'employer ce subside.
Or, messieurs, il y a ici beaucoup de nouveaux membres, qui n'ont pas encore eu l'occasion d'exprimer leur manière de voir sur cette question et, d'un autre côté, bien des personnes n'ont pas l'habitude de parler dans une discussion publique ; si donc le projet n'est pas renvoyé aux sections, beaucoup d'opinions qui pourraient être très utiles resteraient inconnues. J'insiste donc pour le renvoi en sections.
M. Delehaye. - Messieurs, je n'ajouterai que très peu d'observations à celles que vient de faire valoir l'honorable M. Orban. Presque toutes les sections n'ont en ce moment, rien à l’ordre du jour. Dans la nôtre, par exemple, nous avons terminé l'examen de tous les projets de lois qui nous avaient été renvoyés ; je pense que toutes les sections sont à peu près dans le même cas. Les sections pourraient donc très facilement s'occuper, dès demain, de ce projet, et il serait possible qu'après-demain déjà la section centrale fît son rapport. On pourrait ainsi discuter le projet dès le commencement de la semaine prochaine. De cette manière on obtiendrait un double résultat : on mettrait chaque membre à même de bien examiner le projet, qui est fort important, et,, en deuxième lieu, on se conformerait au règlement, aux termes duquel les projets de loi doivent être d'abord examinés en sections.
Je demande, messieurs, que le projet soit envoyé aux sections et que. les sections soient invitées à s'en occuper demain.
M. Manilius. - Je me rallie à la proposition de M. Delehaye.
M. Rodenbach. - Je suis aussi d'avis qu'il faut renvoyer le projet de loi aux sections. D'abord, messieurs, il n'est pas bien certain que la section centrale soit d'opinion de demander une augmentation du crédit de 500,000 fr., tandis qui, si le projet est renvoyé aux sections, tous les membres de la chambre auront l'occasion d'exprimer leur manière de voir à cet égard.
Quant à moi, je me propose de présenter, dans ma section, un amendement tendant à augmenter le crédit demandé ; car je suis convaincu que la somme de 500,000 fr. est infiniment trop faible. (Interruption.)
Comme l'honorable député de Gand, je demande que le projet soit renvoyé aux sections et que les sections s'en occupent demain. Je suis persuadé que les rapporteurs pourront être nommés séance tenante et que nous ne perdions pas deux jours.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je dois relever une erreur qui vient pour la deuxième fois d'échapper à l'honorable M. Rodenbach, L'honorable membre dit que la somme de 500,000 fr. est insuffisante, mais il perd de vue que c'est un crédit supplémentaire pour 1847 qui est demandé. J'ajoute, messieurs, qu'en appuyant le renvoi aux sections, je n'entends pas poser un antécédent pour tous les crédits supplémentaires que le gouvernement pourra demander. J'appuie le renvoi aux sections, uniquement à cause du caractère spécial du crédit dont il s'agit en ce moment.
M. le président. - Je vais mettre aux voix le renvoi aux sections. S'il est adopté, les sections seront convoquées demain.
- Le renvoi aux sections est adopté.
M. Manilius. - Messieurs, la section centrale pour le budget de la guerre m'a chargé de vous faire connaître que M. le ministre de la guerre a déposé un nouveau libellé de son budget, libellé qui est (page 114) conforme à la loi de comptabilité laquelle sera bientôt mise à exécution. Ce nouveau libellé ne change en rien le fond du budget ; il n'en change que la forme, en quelques points. La section centrale m'a chargé de vous proposer l'impression et la distribution de ce rapport et de quelques amendements opérant les uns des diminutions, les autres des augmentations moins importantes.
- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.
M. Osy. - Messieurs, j’ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le budget des affaires étrangères et de la marine, pour l'exercice 1848.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
La chambre le met à l'ordre du jour de lundi prochain.
M. de Corswarem, rapporteur. - Messieurs, la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi portant des modifications au régime postal, et à laquelle vous avez renvoyé, dans la séance d'hier, les amendements présentés par M. le ministre des travaux publics, s'est livrée, ce matin, à l'examen de ces amendements. Le temps ayant été trop court pour qu'on pût rédiger un rapport, la chambre me permettra de lui faire connaître en quelques mots le résultat de l'examen de la section centrale.
La section centrale, à l'unanimité des cinq membres présents, a adopté les articles 6 et 7 nouveaux. Dans la pièce qui nous a été distribuée hier au soir, on a fait figurer toutes les dispositions additionnelles proposées par M. le ministre des travaux publics ; c'est pour cette raison que l'article 8 se trouve également dans cette pièce, quoique cet article ait déjà été adopté dans la séance d'hier ; la section centrale ne s'est donc pas livrée à l'examen de cet article final.
M. le président. - Il est vrai que l'article 8 a été adopté dans la séance d'hier ; mais l'impression a eu lieu, parce que cet article n'avait pas encore été porté à la connaissance des membres de la chambre de la manière ordinaire.
- La chambre consultée décide qu'elle délibérera immédiatement sur le supplément de rapport fait par M. de Corswarem, à l'égard des articles 6 et 7 nouveaux, présentés par M. le ministre des travaux publics.
« Art. 6. Le port des journaux affranchis dans l'intérieur du royaume, fixé à 2 centimes par la loi du 31 mai 1839, est réduit à un centime par feuille quelle qu'en soit la dimension. »
M. Orban. - Messieurs, les demandes de réduction d'impôt, quelles qu'elles puissent être, sont toujours certaines d'être favorablement accueillies. L'on semble oublier, quand on les examine, qu'un impôt n'est généralement réduit qu'à la charge d'en augmenter un autre. Quand, au lieu de résister à l'entraînement qui pousse chacun vers les réductions de cette nature, c'est le gouvernement lui-même qui vient les proposer, il est inutile d'essayer de les combattre.
Aussi, messieurs, n'ai-je par l'espoir de faire rejetez la mesure qui vous est proposée ; j'ai voulu seulement vous présenter quelques considérations dont elle mesurait susceptible.
De toutes les impositions qui alimentent le trésor public il n'en est aucune qui soit plus légitime et moins onéreuse pour le contribuable que celle qui repose sur un service direct rendu par l’administration. Tel est le caractère des droits de barrière, des péages, du produit de la poste aux lettres, etc. Ces impositions sont donc les dernières que l'on devrait songer à réduire, surtout quand la situation du trésor public réclame des ressources nouvelles.
Aussi, messieurs, les partisans de la réforme postais ne se fondent-ils point, pour la réclamer, sur ce qu'il y aurait convenance ou utilité à réduire l'impôt de la poste aux lettres de préférence à d'autres impositions. Ils prétendent au contraire que le produit augmenterait en diminuant le droit, par suite de l'accroissement qui en résulterait dans le nombre des lettres transportées, et c'est, forts de cette conviction, qu'ils réclament une réduction qui, sans nuire au trésor, doit profiter aux contribuables et accroître entre eux les relations de toute nature.
Sous le rapport de la légitimité du droit, la question n'est pas autre pour les journaux que pour les lettres. Le droit payé pour leur transport est moins un impôt qu'un péage, que la rétribution d'un service rendu. Mais les considérations sur lesquelles se fonde la réforme postale, l'espoir d'obtenir un accroissement dans le transport par la réduction du droit, ne sont point applicables au droit de poste que payent les journaux. La réduction de ce droit constituera une perte sèche pour le trésor.
Il ne faut point perdre de vue, en effet, que, tandis que le port de lettre constitue à peu près toute la dépense qui résulte d'une correspondance, le droit de poste n'entre, au contraire, que pour une portion minime dans le prix de revient d'un journal. Ce droit s'élève à 6 fr. 50 c. environ pour une année d'abonnement, ce qui, à supposer que le prix d'abonnement soit de 50 fr., forme moins d'un huitième de celui-ci. Réduire de moitié le droit de poste sur les journaux, c'est donc réduire d'un seizième le prix de revient. Assurément une pareille réduction, même dans les idées des partisans de la réforme postale, n'est pas de nature à accroître la circulation. Ceux-ci prétendent, en effet, qu'une réduction notable, qui diminue de moitié au moins les frais de correspondance, est seule de nature à déterminer un accroissement correspondant dans la circulation des lettres.
Aussi, messieurs, M. le ministre des travaux publics n'a-t-il point osé se flatter qu'un accroissement dans le nombre d'abonnements aux journaux viendrait compenser la réduction du droit ; seulement il a déclaré que l'on obtiendrait une compensation par suite de la suppression du transport frauduleux qui s'opère maintenant par d'autres voies que celle de la poste.
Messieurs, ce transport frauduleux doit être bien minime, car il n'y a pas d'intérêt à l'opérer. Le droit payé par les journaux, à la différence de celui payé par les correspondances ordinaires, n'est pas même l'équivalent des frais qu'il occasionne au gouvernement. Lorsque le gouvernement transporte les lettres pour 40 centimes et les journaux pour deux, il est évident qu'il ne demande pas même à ceux-ci la rémunération du service rendu ; qu'en d'autres termes, il supplée au moyen du produit des lettres à l'insuffisance du droit payé par les journaux. Il n'est donc pas à craindre que les journaux s'expédient, au moins en grand nombre, par une autre voie que celle de la poste, car il n'en est aucune qui, sous le rapport de l'économie, puisse lutter avec elle. Je suppose qu'un journal de la capitale ait cent abonnés à Liège, et c'est là une hypothèse favorable à l'opinion de M. le ministre des travaux publics, car je ne crois pas qu'aucun journal se trouve dans une position aussi avantageuse. Eh bien, le transport de ces journaux de Bruxelles, leur distribution au domicile de cent abonnés coûtera par la poste 2 fr. Qui voudra entreprendre de faire un pareil service à moindres frais ?
Plusieurs membres. - On envoie les journaux par le chemin de fer. On n'a donc pas de place à payer.
M. Orban. - On ne les envoie pas pour rien. Dans tous les cas, mon raisonnement subsiste tout entier quant aux frais de distribution à domicile.
Il n'est point hors de propos d'observer que la mesure proposée par le gouvernement intéresse beaucoup moins la presse qu'elle ne préjudicie au trésor. Si la perte du trésor est certaine, il n'en est pas de même tant s'en faut du bénéfice que doit y trouver la presse. La réduction du droit de poste entraînera une diminution correspondante dans le prix de l'abonnement. C'est là un résultat inévitable et qui s'est déjà produit lorsque en 1830 une faveur beaucoup plus large a été accordée à la presse par la réduction des droits de timbre. C'est donc l'abonné qui profitera de ce dégrèvement, c'est-à-dire une classe de contribuables généralement aisée, qui pouvait sans inconvénient supporter cette part dans les charges communes.
Telles sont les observations que j'avais à vous soumettre. Je n'en attends aucun succès et surtout aucune popularité. C'est le contraire à quoi l'on doit s'attendre en agissant comme je le fais. Mais une pareille considération ne n'empêchera jamais de manifester ma pensée et d'exprimer mon opinion consciencieuse sur les mesures proposées par le gouvernement.
M. Dedecker. - Je ne viens pas combattre le principe de la réduction. Je l'appuie au contraire, quoique je sois d'accord avec l'honorable M. Orban pour proclamer que la faveur accordée aux journaux n'a pas l'importance qu'y attache M. le ministre des travaux publics.
Mais, messieurs, je crois qu'il serait important d'étendre la proposition de M. le ministre des travaux publics aux imprimés de toute nature.
Aujourd'hui qu'arrive-t-il lorsqu'on a à expédier soit des livraisons d'ouvrages, soit des revues, soit des brochures ? On en fait des paquets et on les expédie par le chemin de fer. Si l'on diminue les frais d'expédition par la poste, on engagera les personnes qui ont des distributions de ce genre à faire, à se servir de son intermédiaire, et vous pourrez espérer de ce chef un accroissement de recette.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Voici une rédaction qui, je crois, conviendra à l'honorable M. Dedecker :
« Le port des journaux, ouvrages périodiques, livres, papiers de musique, prospectus, annonces et avis imprimés de toute nature, affranchis dans l'intérieur du royaume, est fixée, quelle que soit la distance parcourue dans le royaume, à un centime par feuille, quelle qu'en soit la dimension. »
M. Rodenbach. - Messieurs, j'ai, dans la séance d'hier, appuyé l'amendement de M. le ministre des travaux publics. J'appuie encore la nouvelle proposition qu'il vient de nous faire.
J'ai demandé la parole pour répondre quelques mots à l'honorable M. Orban.
Il vous a dit que lorsque le gouvernement rend un service, il doit en recevoir un salaire. Sans doute, messieurs. Mais ce salaire est quelquefois exorbitant. Je citerai, par exemple, le port des lettres. Le port d'une lettre coûte, en moyenne, en Belgique, 34 c, et les frais de transport ne sont, pour le gouvernement, que de 4 c. L'Etat fait donc, sur le transport d'une lettre, un bénéfice de 30 c. Je vous demande si un pareil bénéfice n'est pas exorbitant, si l'on ne pourrait pas l'appeler usuraire ?
D'ailleurs, messieurs, on vous l'a dit hier, avec l'impôt de 2 c. par feuille, il y a aujourd'hui des quantités de journaux qui sont transportés par le chemin de fer. Presque toutes les grandes villes delà Belgique ne reçoivent plus leurs journaux par la poste. On forme de ceux-ci des paquets pour lesquels on ne paye au chemin de fer que 60 c. de port. On n'a recours à la poste que pour l'expédition des journaux dont l'envoi ne peut pas se faire par le chemin de fer.
Si vous réduisez le port à 1 c. par feuille, je dis que la perte ne sera (page 115) pas de 55,000 fr., parce qu'il est très probable qu'on n'enverra plus par le chemin de fer que les journaux qui arrivent plus tôt par cette voie.
Messieurs, je suis aussi d'avis que la disposition que nous allons voter est d'une minime importance pour la presse. Je me plais à croire que lorsque nous nous occuperons d'autres lois qui la concernent, et notamment de la loi sur le timbre, nous pourrons faire davantage pour elle. Il y a déjà plusieurs années que je vous ai dit que le droit de timbre sur les journaux était exorbitant. Il n'y a aucune industrie qui paye autant au fisc que l'industrie du journalisme. Je ne sais pourquoi il doit y avoir deux poids et deux mesures. Lorsque les autres industriels ne payent au trésor que 10 ou 15 p. c. sur leur industrie, pourquoi les publicistes doivent-ils payer 50 p. c ?
D'ailleurs, plus les journaux seront favorisés, plus ils auront de charges à supporter, plus ils seront indépendants. Car, je dois l'avouer, les journaux manquent peut-être en général d'indépendance, parce que leurs bénéfices ne sont pas assez considérables. Rendons la profession des publicistes plus lucrative et alors ils ne dépendront plus des partis.
M. Lebeau. - Messieurs, lorsque j'avais demandé la parole, je n'avais pas encore connaissance de la proposition faite par l'honorable M. Dedecker. Je voulais la soumettre moi-même à la chambre. Je remercie l'honorable M. Dedecker d'avoir étendu le principe libéral du projet de loi actuel, et sur ce point je serai toujours de son parti.
Je pense avec l'honorable M. Rodenbach que les considérations qui doivent dominer dans la question soumise à la chambre, ce ne sont pas des considérations d'administration, des considérations de fiscalité ; ce sont des considérations politiques avant tout.
Messieurs, ne soyons pas ingrats envers la presse, pour laquelle, après avoir fait ce que le gouvernement propose, il vous restera certainement encore beaucoup à faire. Il ne faut pas, messieurs, méconnaître l'immense influence que la presse a exercée sur les destinées du pays depuis une vingtaine d'années ; et pour faire allusion seulement à des événements récents, je me hâte, quant à moi, de saisir cette occasion pour payer publiquement à la presse, à raison de son puissant concours, mon tribut de reconnaissance.
Certes, il ne faut pas inconsidérément réduire les ressources de l'Etat ; et si je voyais un ministère qui, en quête de popularité, vînt imprudemment réduire le revenu public d'une manière notable, alors surtout qu'il n'apporterait pas de propositions d'impositions nouvelles, sur lesquelles je n'ai pas à m'expliquer quant à présent, je serais le premier à ne pas m'associer à de pareilles mesures.
Quant à moi, messieurs, je n'ai jamais rien voté par amour de la popularité ; et s'il m'était permis de parler de moi dans cette circonstance, je dirais qu'en général j'ai témoigné d'une indifférence qu'on a quelquefois appelée dédain pour la popularité. Je n'accepte donc en aucune façon l'interprétation qu'on semble vouloir donner à mon vote. Loin de moi de céder jamais à des considérations de popularité !
Nous verrons, lorsqu'il s'agira de rétablir un sage équilibre entre les dépenses et les recettes de l'Etat, de quel côté sera l'amour de la popularité, de quel côté on cherchera à ménager le plus les préjugés populaires.
Je ne veux pas donner à l'avance à de prochaines discussions un caractère politique. Mais je n'ai pu résister à un mouvement que la chambre comprendra, lorsque j'ai entendu insinuer que le vote à émettre dans une circonstance où il s'agit de la presse, nous serait arraché par un vain désir de popularité qui ne doit jamais entrer dans le cœur d'un député loyal.
M. de Corswarem. - Messieurs, il y a en effet quelque chose d'assez singulier à réduire le port d'un journal à 1 centime lorsque le transport en coûte 4 au gouvernement. L'honorable M. Rodenbach vient de dire que le transport d'une lettre coûte 4 centimes au gouvernement ; je ne sais jusqu'à quel point cela est exact ; je crois qu'il serait très difficile à déterminer ce que coûte le transport d'une lettre en Belgique. En France, selon l'honorable M. Chegaray qui s'est livré à une étude toute spéciale de cette question, le transport de la lettre coûtant le moins revient à environ 9 centimes ; selon un décompte, fait à la tribune, en 1845, il ne reviendrait qu'à environ 6 centimes, et selon la commission de 1844, une lettre transportée à moins de 8 lieues coûterait 9 3|4 centimes. S'il existe en France une aussi grande divergence à cet égard, je crois qu'il serait bien difficile aussi chez nous de se mettre d'accord sur ce que coûte réellement le transport d'une lettre.
Quoi qu’il en soit, messieurs, je ne demande nullement le maintien de l'ancien tarif pour le transport des journaux, mais je ne puis m'empêcher de faire observer que le droit de timbre, que le gouvernement semble percevoir sur les journaux et que les abonnés croient qu'il perçoit réellement, n'est pas une sincérité. En effet, messieurs, pour la plupart des journaux le droit de timbre est de 5 centimes ; pour d'autres, il est de 4 ; pour quelques-uns ils n'est que de 3 ; mais admettons 5 pour la moyenne. Ainsi, lorsque le gouvernement perçoit 5 centimes pour le timbre et qu'il en dépense 4 pour le transport du journal, il ne lui en reste qu'un, lequel joint à celui imposé pour le transport, donnent ce résultat, qu'il ne perçoit en définitive que 2 centimes pour le timbre et le transport.
Il me paraît qu'il serait beaucoup plus sincère de supprimer le timbre et de percevoir pour le transport ce qu'il coûte réellement. Je n'insisterai pas sur ce point, car le moment n'est pas venu de discuter cette question, et je pense qu'en attendant nous pouvons adopter l'article tel qu'il est proposé par le gouvernement.
M. Castiau. - Je m'empresse de me joindre aux observations pleines de libéralisme qui viennent de vous être présentées par l'honorable M. Lebeau en faveur de la presse. Je suis heureux, cette fois, de pouvoir offrir mes félicitations à M. le ministre des travaux publics pour la proposition qu'il vous a soumise ; c'est la première fois que le pouvoir prend l'initiative d'une mesure libérale en faveur de la presse. Jusqu'ici le pouvoir l'avait traitée en ennemie, placée dans une position exceptionnelle et surchargée d'entraves pécuniaires de toute espèce. Cette fois nous entrons dans un régime nouveau. On veut bien reconnaître les services que rend la presse et l'intérêt qu'elle mérite. On consent à faire quelque chose en sa faveur ; c'est peu sans doute, mais enfin c'est un commencement de justice. La presse a pris une large part à nos luttes politiques, et il faut reconnaître que la part qu'on lui fait aujourd'hui dans les bénéfices de la victoire est bien faible et ne paye guère les services qu'elle a rendus au pays.
La commission s'était empressée d'adhérer à la proposition du gouvernement. Elle l'avait adoptée à l'unanimité, et l'on était venu nous annoncer ce résultat, au commencement de la séance, avec un laconisme qui m'avait paru étrange. Pas un mot d'explication ; pas un mot de sympathie pour la presse. Ce laconisme, je l'avouerai, m'avait paru d'un assez mauvais augure. Mon pressentiment ne m'avait pas trompé, car voici que l'honorable rapporteur, qui nous avait parlé de l'avis unanime de la commission, vient se ranger parmi les adversaires de la mesure, en relevant le seul argument qu'on ait pu lui opposer.
Quel est cet argument qui a engagé M. le rapporteur à nous donner l'exemple d'un véritable revirement d'opinion ?
C'est qu'il s'agit d'une rémunération d'un service ; que le transport d'un journal coûte à l'Etat 4 centimes et qu'en réduisant le port à 1 centime on constitue le trésor public en perte.
Mais où donc a-t-on puise les éléments de ce calcul qu'un nous présente avec tant d'assurance ? Quels documents, quelles preuves l'appuient ? Jusque-là nous serons autorisés à rejeter en dehors du débat une assertion que rien ne justifie.
Mais fût-elle vraie, s'ensuivrait-il qu'on dût rejeter la proposition du gouvernement, parce qu'elle constituerait un privilège en faveur de la presse ?
Un privilège ! oui, si l'on n'examine qu'une partie des charges pécuniaires qui grèvent la presse. Mais cette question, il faut l'envisager dans son ensemble, en réunissant toutes les charges que le fisc fait peser sur les journaux.
Or, si le droit de port est un droit modéré, il n'en est pas de même du droit de timbre qui est exorbitant. Il s'élève de 3 à 5 c. A ce dernier taux, c'est une somme annuelle de 18 fr. Joignez-y 7 fr. pour le port, et vous arrivez à une somme de 25 fr. Vingt-cinq francs, c'est la moitié du produit brut du numéro du journal.
Eh bien, messieurs, je m'adresse à vos consciences, et je vous demande s'il est une industrie, une seule de vos industries qui soit atteinte d'une manière aussi radicale par la fiscalité ? Je vous le demande, si on venait vous proposer un impôt qui enlevât à une industrie quelconque la moitié de ses produits...
M. Lebeau. - De ses produits bruts.
M. Castiau. - Je vous le demande, messieurs, ne crierait-on pas à la confiscation et à l'immoralité ? Ne dirait-on pas que c'est un véritable attentat contre le droit de propriété ? Eh bien, voilà la position qu'on a faite au journalisme. En présence de telles dispositions, n'est-on pas autorisé à prétendre que la presse a été traitée en ennemie et jetée en dehors de la protection du droit commun ?
Et l'honorable M. Orban, oubliant les rigueurs dont le journalisme est l'objet, n'a pas craint de venir vous parler des faveurs accordées à la presse ! Toute la faveur qu'on lui accorde, vous le voyez, c'est de confisquer la moitié de son revenu brut. Au lieu de réclamer contre une telle iniquité, l'on vient au contraire faire le procès à une trop modeste proposition présentée par le gouvernement ; oui, elle est trop modeste, j'en conviens, et ici je suis d'accord avec l'honorable M. Orban ; la réduction proposée n'aura point pour effet d'étendre la lecture des journaux et d'amener un accroissement du nombre des abonnés. Il est évident que la réduction est insuffisante, mais je l'accepte, tout insuffisante qu'elle est, comme un acheminement à une réduction bien autrement importante et qui devra suivre nécessairement celle que nous examinons : la réduction du timbre des journaux.
Pour moi, la question du timbre se lie à la question du port ; du moment que le gouvernement a proposé une diminution sur le droit de port, il ne peut évidemment nous refuser la réduction du timbre. Ce n'est pas seulement la logique qui le veut, c'est encore l'intérêt du trésor, car plus les journaux seront à bon marché, et plus ils seront nombreux et répandus, et plus il leur sera facile de supporter leur part des charges publiques, si tant est qu'on ne doive pas les en affranchir complètement.
La question de a suppression ou de la réduction du timbre des journaux ne tardera donc pas à être posée dans cette enceinte, et je compte bien qu'alors l'honorable M. ; Lebeau se rappellera les paroles de sympathie qu'il a fait entendre en faveur de la presse ; c'est une sorte d'engagement qu'il a pris, et je ne doute pas qu'il le tienne. . .
M. Lebeau. - Oui ! oui !...
M. Castiau. - Il ne s'agit donc pas ici d'un acte de faveur, il s'agit d'une question d'équité ; il s'agit de replacer la presse sous la (page 116) production du droit commun, et de faire tomber une partie des entraves vraiment odieuses qui en arrêtent le développement.
Ce n’est qu'un commencement de justice que nous lui rendons en réduisant le port des journaux, et sous ce rapport, nous sommes bien loin encore des pays où l’on a établi le transport gratuit des journaux ; mais la justice ne sera complète que lorsque, développant la pensée du projet de loi que nous examinons, l'on aura réduit ou supprimé le droit exorbitant du timbre.
En admettant cette dernière réduction vous arriverez à rendre la presse accessible à toutes les positions et à toutes les classes, et vous aurez rendu au pays le plus grand de tous les services, car vous aurez favorisé le développement de l'intelligence politique et les progrès de l'éducation politique des citoyens.
M. Malou. - Messieurs, j'adopterai la réduction la plus large en faveur de la presse. Cependant, je liens à rectifier un fait que l'honorable M. Castiau a allégué. Ce n'est pas la première fois, depuis 1830, qu'il part du banc ministériel une proposition favorable à la presse. En 1837, le gouvernement a soumis à la chambre un projet de loi sur le timbre des journaux ; ce projet est devenu loi en 1839 ; il a décrété, non une réduction d'un centime sur le port, mais une réduction moyenne d'environ 45 p. c. sur le timbre de tous les journaux. Or, le véritable impôt que supporte la presse, c'est le timbre.
Je tenais à rectifier ce fait, parce que la chambre reconnaîtra que cette réforme est bien autrement large, bien autrement favorable à la presse que la simple réduction du port.
Pour moi, la réduction du port des journaux n'est pas une mesure favorable à la presse, et voici pourquoi : prenez tous les journaux, vous verrez que le prix d'abonnement est différent pour la localité et pour la province.
Que résultera-t-il de là ? Que du jour où vous diminuerez les frais de port, le journal ne pourra plus exiger de ses abonnés en province cette surtaxe qui, de sa part, n'est véritablement qu'un remboursement. Donc, si l'on peut faire réellement quelque chose pour la presse, c'est la loi relative au timbre, et cette loi seule, qu'il faut examiner.
Quant aux imprimés, je pense, comme mon honorable ami M. Dedecker, que là il y a un véritable développement à donner au mouvement par la poste. Aujourd'hui, on y a beaucoup moins recours ; pour les journaux, au contraire, on y a presque toujours recours, sauf dans des cas très exceptionnels, on est obligé de recourir à la poste, parce que c'est elle qui a les relations les plus régulières, les plus immédiates.
J'adopte donc la réduction de port, surtout en ce qui concerne les imprimés ; je crois que pour la presse ce n'est pas réellement un avantage qu'on lui fait ; qu'on n'augmentera pas le développement delà pi esse par une simple réduction de port ; mais je pense aussi que le gouvernement peut encore examiner utilement la question du timbre des journaux ; on a déjà opéré une réduction ; peut-être dans l'avenir pourra-t-on établir une nouvelle réduction, sans même nuire aux recettes du trésor.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, la chambre n'a été saisie que d'un projet de loi relatif à la poste. A l'occasion de ce projet, il n'était pas possible qu'on s'occupât d'une réduction sur le timbre des journaux. On n'a pu faire qu'une seule proposition, et la seule proposition qui fût possible a été faite, c'est la proposition de réduire le port. Ce port a été suffisamment diminué ;car, à moins de transporter gratis, il était impossible de fixer un prix moindre que celui proposé.
Je suis fort heureux d'apprendre, de la part des honorables membres qui viennent de parler, et notamment de la part de l'honorable M. Malou, qu'ils désirent instamment une modération de droit pour la presse. Je prends acte de ces paroles, et j'espère bien que, quand l'occasion se présentera, nous aurons l'appui de l'honorable M. Malou pour une mesure à proposer en ce sens.
Messieurs, il est désirable au plus haut point que la presse soit protégée, encouragée, que la presse puisse opérer tout le bien qu'on est en droit d'en attendre. Aujourd'hui la presse, à l'exception de celle qui existe dans les très grands centres de population, est évidemment fort au-dessous de sa mission. Pourquoi la presse ne remplit-elle pas convenablement, selon moi, le but qu'elle doit atteindre ? Parce que la presse est surchargée d'entraves, parce que, comme l'a dit l'honorable M. Castiau, à ne considérer la presse que comme une industrie, cette industrie est obligée de payer au trésor 50 p. c. de sa recette brute !...
Si l'on donnait plus de facilités à la presse, si elle pouvait s'étendre, se développer convenablement, elle rendrait beaucoup plus de services au pays. Au lieu de se tenir dans les banalités de la politique, elle pourrait s'occuper des questions sérieuses à l'ordre du jour, de manière à les éclairer d'une vive lumière. Mais aujourd'hui, comment voulez-vous que l'éditeur d'un journal puisse faire quelque chose pour améliorer la rédaction de sa feuille ? Les dépenses qu'il doit faire sont trop considérables ; il lui est impossible d'avoir des hommes spéciaux, pour s'occuper des questions d'économie politique, ou d'impôt, ou d'art, ou de littérature. Ce sont en général des amateurs qui rédigent les journaux.
Ainsi, dans ma pensée, et c'est celle de tout le cabinet, il est éminemment désirable qu'on puisse faire quelque chose en faveur de la presse. Tout ce qu'on a pu faire ici, nous l'avons fait ; nous ne pouvions aller au-delà, a moins de transporter gratis, comme je viens de le dire.
Cependant, la réduction que nous proposons a offert à l’honorable M. Orban l'occasion de s'écrier : « Votre réduction est insignifiante. » C'est ce qu'a répété l'honorable M. Malou. «Vous réduisez d »un centime !... La belle affaire ! A qui cela profitera-t-il ? Quel résultat pouvez-vous obtenir d'un pareil avantage ? »
Mais, messieurs, vous ne prenez pas garde que la remise d'un centime se répète pour autant de feuilles ; que si, par exemple, il y a mille abonnés, cela fait mille centimes par jour ; et en vérité, veuillez le croire, cela n'est pas du tout à dédaigner. L'éditeur pourra bien ne pas faire profiter l'abonné de la réduction ; mais la situation du journaliste sera meilleure et le journal pourra être amélioré. J'ai donc pu attacher quelque importance à la mesure proposée ; mais non pas une importance exagérée, comme l'a dit l'honorable M. Dedecker.
Je ne crois pas, à Dieu ne plaise ! être le sauveur de la presse, en proposant de réduire d'un centime le droit de poste ; mais en attachant à la mesure l'importance d'un centime, je crois avoir démontré que ce centime n'est pas sans valeur, qu'il profitera réellement à la presse.
L'honorable M. de Corswarem a raisonné sur la fin de quelques calculs indiqués par l'honorable M. Orban, relativement au port des journaux comparé au droit de timbre. Il a dit que le transport d'un journal coûte quatre centimes et qu'ainsi, en réduisant la taxe à un centime, on constitue l'administration en perte.
Ce sont là des calculs, qui n'ont aucune base sérieuse. Comment établit-on que le transport d'un journal coûte quatre centimes ? Parce qu'on a trouvé qu'une lettre doit coûter quatre centimes en divisant la somme de la dépense de l'administration des postes par le nombre des imprimés, lettres et objets de toute espèce transportés par cette administration. C'est une moyenne, par conséquent une appréciation qui certes n'est pas rigoureusement exacte. On ne peut rien en conclure, car la moyenne dépend du nombre des objets mis en circulation.
Le prix du transport varie, se modifie en raison du nombre de feuilles transportées.
Il faut tenir compte de ce qui produit le plus pour couvrir les frais de ce qui produit le moins ; s'il y a nécessité de transporter ce qui produit le moins avec une réduction notable et en faisant une dépense supérieure à la recette, cette dépense en plus se trouve couverte par les autres articles à un prix plus élevé que vous êtes amenés à transporter. De la sorte, on rend au public des services que sans cela il ne saurait obtenir.
Je pense avoir ainsi répondu aux observations présentées par les honorables membres qui directement ou indirectement attaquent les réductions proposées par le gouvernement. J'insiste fortement pour que la chambre les adopte, et je crois qu'elle n'hésitera pas à les accueillir.
M. Dedecker. - Je m'empresse de répondre à l'appel que vient de me faire M. le ministre des travaux publics. Si le gouvernement présentait un projet de loi dans l'intérêt de la presse nationale, je prends l'engagement de le soutenir. Tout autant que M. le ministre des travaux publics, je veux la libre circulation de la pensée nationale et le développement de l'esprit public. Je vais si loin que, pour ma part, je donnerais volontiers mon vote approbatif à un projet de loi qui permettrait la publication, le transport et la distribution gratuits des journaux. Mais alors il faudrait distinguer la partie politique de la partie mercantile des journaux ; car on ne remarque pas assez que les journaux contiennent deux parties bien distinctes, la partie politique, littéraire et scientifique, et la partie mercantile, c'est-à-dire les annonces.
Je voudrais que l'on pût permettre la libre impression sans timbre et la distribution gratuite et sans droit de port, de la première partie, et qu'on pût en séparer la seconde, qui serait publiée à part sous forme de feuilles d'annonces. Je suis convaincu (et je soumets cette idée à M. le ministre des travaux publics) que le trésor pourrait retrouver, par un droit sur les annonces, ce qu'il perdrait par la suppression complète du timbre actuel des journaux. De cette manière, la partie politique, littéraire et scientifique des journaux jouirait d'un affranchissement complet que, pour ma part, je saluerai avec bonheur.
M. de Mérode. - Messieurs, je n'aime pas à voir diminuer les recettes de l'Etat quand le gouvernement se croit obligé de demander de nouveaux impôts qu’il n'est pas sûr d'obtenir ; je in abstiendrai donc sur la réduction proposée. Mais puisque l'on est disposé à accorder aux journaux une diminution du prix de transport dans un intérêt qu'on suppose populaire, j'exprimerai à M. le ministre de la justice mon regret d'avoir appris qu'il refuse à une société, gratuitement occupée de l'intérêt le plus important pour le peuple et qui concerne surtout la classe pauvre, un moyen gratuit de transport des lettres que lui facilitait le précèdent ministre. Je parle de la société dont le but est de remédier au concubinage par l'union régulièrement accomplie devant l'officier civil et devant l'Eglise, et qui chaque année procure à une multitude d'enfants les avantages d'une naissance légitime.
A Paris, la société de Saini-François-Régis ramène au mariage plus de la moitié de ceux qui passent du désordre à l'état conjugal, conformément au vœu de la loi divine et humaine, conformément au besoin le plus indispensable de l'ordre social.
En Belgique, elle agissait avec succès pour le même but, et voici qu'elle sera paralysée dans son dévouement si désintéressé à cause des frais de port des lettres, lesquelles, sans l'existence de cette institution bienfaisante, ne seraient pas écrites et ne rapporteraient ainsi rien au gouvernement.
(page 117) Messieurs, il est certaines facilités que l'administration accorde pour des motifs bien moins sérieux que la raison d'un lien fixe et régulier, substitué à l'association sans règle de l'homme et de la femme ; ainsi l'administration des travaux publics transporte gratis, et même par convois spéciaux, des sociétés de joueurs, de musiciens qui vont chercher le plaisir ; elle fait aussi voyager gratuitement des princes et autres personnages, sans que l’on ait encore élevé la voix contre ces dispenses de frais de transport modérément appliquées. Pourquoi donc commencer la suppression de toute faveur, de toute tolérance quelconque, en l'appliquant d'abord à une œuvre qui nécessite déjà des frais, des démarches nombreuses, des recherches de pièces quelquefois difficiles à obtenir et qui aident puissamment une foule de personnes appartenant au pauvre peuple à sortir d'un état qui les démoralise et compromet le sort d'une foule déjà trop grande d'enfants lancés dans la vie sans origine certaine et reconnue. Si la politique nouvelle se révélait de la sorte, elle se montrerait peu libérale et peu humaine, à mon avis.
Saint François Régis se dévoua dans une peste meurtrière ; il pratiqua à un degré héroïque la vertu de charité, et son zèle pour les âmes l'a fait choisir comme patron de la société qui s'efforce d'arracher les familles au désordre, à la démoralisation. J'espère donc que M. le ministre de la justice :ne refusera point de reprendre les errements de son prédécesseur à regard d'une œuvre excellente et généreuse, en voyant surtout la bienveillance avec laquelle la chambre accorde aux journalistes, qui se font payer par leurs abonnés, le transport presque gratuit de leurs feuilles ; en considérant, en outre, que si les efforts de la société, qu'une extrême utilité recommande, sont paralysés par un surcroit de frais, elle cessera d'expédier des pièces et lettres qui ne produiront ainsi plus rien à la poste.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, je ne soupçonnais pus que la mesure qui vous est proposée pût pour résultat de favoriser certaines catégories de journaux. Je pensais qu'elle s'appliquait aux journaux de toutes les couleurs, aux blancs comme aux noirs ; que tous les journaux devaient être transportés par la poste indistinctement, sans exception, quelle que soit l'opinion politique qu'ils défendent. L'honorable M. de Mérode semble raisonner cependant comme s'il s'agissait d'une faveur spéciale à accorder à la presse libérale, qu'on ferait transporter à plus bas prix. (Interruption.) Si j'ai bien compris, c'est ce que vient de dire M. de Mérode. Je n'ai pas besoin de faire ressortir l'erreur dans laquelle tombe l'honorable membre.
L'honorable M. de Mérode a fait un grief au ministère d'avoir retiré à la société dé Saint-François-Regis l'autorisation qui lui aurait été accordée de faire transporter ses dépêches en franchise de port.
Messieurs, l'administration n'accorde que trop de franchises ; il faudrait les réduire très notablement ; mais je ne sache pas que la société de Saint-François-Régis eût obtenu directement l'autorisation de faire transporter gratis ses lettres. Seulement j'ai appris qu'indirectement elle jouissait de cette faveur en abusant de la franchise accordée à certains fonctionnaires publics.
Je pense que la société de Saint-François-Régis, grâce à la protection dont elle jouissait, obtenait de faire passer ainsi, sous le couvert des fonctionnaires publics, ses propres correspondances.
Le ministère précédent, il faut rendre à César ce qui appartient à César, a été frappé de ces abus, et mon honorable prédécesseur l'a dénoncé au ministre de la justice, prédécesseur de mon honorable collègue, parce que l'abus était reproché à un fonctionnaire de l'ordre judiciaire. C'est donc le ministère précédent qui a pris l'initiative des mesures contre lesquelles on se récrie. Nous avons trouvé la chose faite ; mais l'attaque a été réservée pour nous.
M. de Mérode. - C'est égal !
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - C'est égal ; je le veux bien ; je suis persuadé que l'honorable membre aurait élevé ces critiques contre les précédents ministres aussi bien que contre nous.
M. de Mérode. - Cela ne me gênerait pas le moins du monde.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Il nous permettra d'approuver ce qu'ils ont fait et que nous avons complété. Répétant une observation faite par M. Orban et qui m'avait paru fort insignifiante, l'honorable M. de Mérode a dit :« Il est étonnant que vous proposiez une réduction de recettes au moment où vous devez demander des accroissements d'impôts, et des accroissements d'impôts que vous ne tenez pas encore. »
Cette observation est bien tardive ; elle ne s'applique qu'au centime dont il s'agit de réduire le port des journaux.
Nul n'a eu la velléité de la produire quand il s'est agi du décime rural, ni quand on a pressé la réduction du décime cantonal ? Quelle est la recette que vous avez unanimement effacez de votre budget ? 230 mille francs ? Alors vous ne vous êtes pas récrié, vous n'avez pas pensé que le trésor fût en péril ; et maintenant qu'il s'agit d'une réduction de quelques mille francs, dans la supposition gratuite qu'il n'y aura nulle augmentation dans le nombre de journaux transportés, on réclame et l'on se plaint ! Ne me laissez pas penser, je vous prie, que vos objections s'adressent à la presse et qu'elles sont uniquement faites parce que la réduction doit lui profiter.
M. le ministre des finances (M. Veydt). - L'honorable comte de Mérode s'est préoccupé des intérêts du trésor. D'autres membres ont fait valoir le même motif. Il serait très puissant sans doute, s'il était fondé. Mais, messieurs, le trésor n'a qu'un bien minime intérêt dans toutes ces améliorations. La première, la plus importante, comme le disait à l'instant l'honorable ministre des travaux publics, est la suppression du décime rural. S'il doit en résulter une réduction sur le produit des postes, il ne faudrait pas moins s'applaudir qu'elle ait été adoptée, parce que c'est la réparation de ce qui m'a toujours paru être une injustice.
Le chiffre porté au budget des voies et moyens pour 1847 est le même que pour l'exercice courant, 3,625,000 fr. Malgré les causes de réduction il nous est permis de croire qu'il sera facilement atteint ; car il y a aussi des causes d'augmentation dans les modifications proposées à l'état actuel des choses.
Ainsi, il en coûtera dix centimes de plus pour les lettres recommandées et il est probable que l'on fera fréquemment usage de cette garantie. Ensuite, les envois des articles d'argent qui ne rapportent à l'Etat que de 20,000 à 25,000 fr., à cause du droit de 5 p. c., seront bien plus productifs quand ce droit sera réduit à 2 p. c. : c'est le résultat obtenu ailleurs, et il n'y a aucune raison de croire qu'il n'en sera pas de même en Belgique.
L'extension donnée par l'honorable M. Dedecker au transport de tous les imprimés quelconques au prix d'un centime, en augmentera certainement le nombre, et la recette peut encore là trouver une certaine compensation.
Je crois donc qu'en définitive, messieurs, il n'y aura pas ce qu'on peut appeler perte pour le trésor : ses intérêts sont saufs. Dans le cas contraire, il ne pourrait être question, dans la situation actuelle, d'introduire des réformes ; et mon devoir aurait été de les combattre. Rien ne s'oppose, par conséquent, à l'admission de ces mesures, si modérées d'ailleurs, qui ont obtenu l'approbation sur plusieurs bancs de la chambre.
M. d’Anethan. - La réponse qu'a faite à l'honorable comte de Mérode M. le ministre des travaux publics pourrait me dispenser de prendre la parole.
Jamais je n’ai accordé, jamais je n'ai eu le droit d'accorder la franchise de port à aucune société, non plus qu'à aucun individu. Aussi M. le ministre des travaux publics a-t-il reconnu lui-même que de telles autorisations n'ont pas été accordées par moi.
Voici ce qui s'est passé :
Quelques lettres en très petit nombre sont parvenues au ministère de la justice, sous le couvert de fonctionnaires publics, faisant partie de la société de Saint-François-Régis, qui ont suivi dans ces occasions ce qui avait toujours eu lieu sans observation ni réclamation. Je n'ai pas cru devoir m'opposer plus que mes prédécesseurs à ce que cette correspondance extrêmement rare passât par cet intermédiaire ; j'ai été déterminé à agir ainsi à cause des services signalés que rend la société de St-François Régis, et en considération desquels le gouvernement et les provinces lui accordent des subsides.
J'ai pensé qu'il n'y avait aucun inconvénient sérieux, aucune lésion quelque peu importante pour le trésor, à ce que ces lettres fussent ainsi remises à leur destination ; néanmoins des observations m'étant parvenues de la part du département des travaux publics, j'ai fait instruire l'affaire, et j'ai quitté le ministère avant que l'instruction fût terminée.
Mais des observations ayant été faites an département de la justice par le département des travaux publics, on a examiné jusqu'à quel point on pouvait maintenir ce qui rigoureusement n'était pas conforme à la loi.
Au reste, je ne me rappelle pas qu'il ait été pris aucune décision avant ma sortie du ministère. Tout ce que je sais, c'est qu'il avait été fait une réclamation.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'honorable comte de Mérode m'a fait l'honneur d'une mesure qui m'est totalement étrangère. Voici au surplus ce qui a eu lieu, d'après les informations que j'ai prises, lorsque j'ai appris qu'un journal s'était occupé de l'objet dont M. de Mérode a entretenu la chambre.
Un procureur du roi avait adressé, sous son couvert, une lettre à un juge de paix. Cette lettre avait été saisie à la poste comme contenante la fraude ; et, conformément aux règlements, elle avait été renvoyée au ministère de la justice, pour qu'il fût procédé à son ouverture.
Tous ces faits se sont passés sous le ministère des honorables MM. d’Anethan et de Bavay. Il a été constaté que cette lettre contenait un certain nombre de circulaires adressées à des ecclésiastiques faisant partie de la société de Saint-François-Régis.
Ces lettres ont été renvoyées au ministre des travaux publics qui a fortement insisté pour que les lois et règlements sur la poste fussent exécutés vis-à-vis de la société de Saint-François-Régis, comme vis-à-vis de toutes les congrégations du pays, qui ne jouissent pas, d'après la loi, de la franchise du port.
Les pièces de cette affaire m'ayant été remises, j'ai demandé l'avis du procureur général, qui après avoir entendu le procureur du roi de qui émanait la lettre contresignée, m'a fait un rapport duquel il résultat que ce magistrat avait été de bonne foi, et qu'il n'avait que suivre un usage qui s'était établi depuis quelque temps de faire circuler sous le couvert des autorités judiciaires les lettres de la société. En conséquence, aucune mesure n'a été prise à l'égard de ce procureur du roi, aucun reproche ne lui a été adressé ; mais par une lettre particulière M. le procureur général l'a invité à ne plus user à l'avenir de son droit de franchise pour le transport des lettres de celle société.
Ce n'est là, messieurs, que l'exécution des lois et règlements sur la poste. Si l'honorable M. de Mérode croit qu'il y a lieu d'y déroger en (page 118) faveur de la société de Saint-François-Régis ou d'autres congrégations, qu'il fasse une proposition, on l'examinera, et si les chambres accordent la franchise du port à ces congrégations, le gouvernement se conformera à cette décision. Mais, dans l'état actuel, je crois qu'il n'y a autre chose à faire qu'à maintenir l'exécution des lois existâmes.
M. de Mérode. - M. le ministre de la justice a reconnu que l'on accordait ces facilités à la société dont je viens de parler et que j’ai signalée à sa bienveillance. J'ai signalé d'autres faveurs accordées à des sociétés de musique et de jeux. J'ai fait ressortir la différence entre les avantages que les unes et les autres peuvent apporter à la société en général. Je ne demande par des conclusions conformes à mes désirs de la part de M. le ministre de la justice. Mais j’appelle son attention sur cet objet, qui me paraît d'une très haute importance pour l'Etat tout entier.
M. de Haerne. - Je professe pour l'admirable société de Saint-François-Régis tout le respect, toute la sympathie que lui témoigne l'honorable comte de Mérode. Mais je pense qu'il se présente ici d'après les lois existantes une question d'application d'une difficulté extrême ; c'est-à-dire que si l'on accordait la franchise de port à la société en faveur de laquelle réclame l'honorable comte de Mérode, on ne pourrait se dispenser d'accorder la même faveur à une foule de sociétés qui se diraient, elles aussi, sociales, bienfaisantes, humanitaires. On pourrait même s'associer tout exprès sous ces beaux titres pour jouir de la franchise de port. Il en résulterait que l'Etat serait frustré d'une partie notable des impositions. Je concevrais cette exemption comme mesure générale applicable à toute société qui aurait le même but que celle dont il s'agit ; alors disparaîtrait toute apparence de privilège que je redouterais dans l'état actuel de la législation pour l'influence de cette bienfaisante institution et pour la religion même dont elle est une des plus belles créations, et qui, je l'espère, lui communiquera assez de sa sève vivifiante pour lui faire supporter la perte qu'elle aura à subir du chef des ports de lettres, perte d'ailleurs peu importante, d'après ce qui vient d'être déclaré.
Je crois donc qu'il n'y a pas de similitude à établir entre cette belle œuvre, pour ce qui regarde la faveur qu'elle pourrait désirer, et la presse dont il s'agit en ce moment.
Messieurs, quant à l'objet qui est réellement en discussion, à savoir la diminution du port des journaux, je me rallie à la proposition qui vous a été faite par le gouvernement, et je tiens à répondre à quelques objections qui ont été faites à cet égard.
On a dit qu'on ne pouvait être certain qu'il ne résulterait pas, de cette réduction du port des journaux, une perte pour le trésor. Si l'on raisonnait toujours de cette manière, si l'on devait toujours être certain de n'éprouver aucune perte par suite des mesures que l'on propose, on n'arriverait jamais nulle part en fait d'améliorations dans le service public. Je citerai, par exemple, l'établissement du chemin de fer. Si l'on avait raisonné ainsi, on n'aurait jamais établi aux frais de l'Etat cet admirable réseau dont se glorifie la Belgique. Car lorsqu'on l'a établi, on ne pouvait pas être certain d'avance que le trésor n'essuierait aucune perte.
Il en est de même de la réforme postale radicale. Il n'est pas certain qu'avec une taxe uniforme, même assez élevée, le trésor n'éprouvera pas de perte.
Je puis en dire autant de la mesure qui nous est proposée.
Pour moi, je raisonne tout autrement. S'il m'était démontré qu'il résulterait de la proposition en discussion une perte considérable, je reculerais peut-être devant la mesure. Mais c'est ce qui ne nous est nullement démontré ; et dès l'instant qu'une mesure est bonne, qu'elle est réclamée par le progrès social, par la civilisation et qu'il n'est pas démontré qu'elle entraînera une perte considérable pour l'Etat, je dois m'y rallier, sauf à en revenir plus tard, si les avantages ne balançaient pas les inconvénients. Or, je crois que tel est le cas qui nous occupe. Car, quelle que soit l'opinion que l'on adopte, quel que soit le système que l’on appuie, on doit admettre comme certain que la presse sert à la diffusion des lumières ; et celui qui a confiance dans son opinion doit favoriser la presse pour répandre ses convictions et les faire triompher dans la société.
C'est, messieurs, à ce point de vue que j'appuie la proposition qui nous est faite.
Je n'admets pas que la perte qui résultera de cette mesure puisse être considérable, si tant est qu'il doive en résulter une perte quelconque. Je fais le même raisonnement, quant à la suppression du décime rural dont il ne m'est pas prouvé non plus que le trésor aura à souffrir considérablement.
Messieurs, un honorable membre a fait une distinction entre les journaux politiques et les journaux d'annonces. Il vous a dit qu'il appuyait la mesure proposée en ce qui concerne les journaux politiques, mais qu'il ne pouvait l'admettre pour les journaux d'annonces. Il voudrait que pour ces derniers la taxe continuât à être perçue, qu'elle fût même augmentée.
M. Malou. - On a parlé du timbre.
M. de Haerne. - Mon observation reste la même, qu'il s'agisse du timbre ou qu'il s'agisse du port. c'est toujours un impôt, une charge dont vous frappez la presse.
Nous sommes d'accord avec l'honorable membre qu'il faut dégrever les publications qui tendent au progrès. Mais je crois, contrairement à son opinion, qu'il faut ranger dans la même catégorie les journaux d'annonces. Car la ligne de démarcation est très difficile à établir. Un grand nombre de journaux sont mixtes en quelque sorte, ils mêlent la politique aux annonces.
J'ajouterai que les journaux d'annonces sont pour ainsi dire une entreprise industrielle. Il faut alors envisager la question sous le point de vue industriel. Frapper d'un timbre élevé les feuilles d'annonces, c'est faire peser une charge sur l'industrie, non seulement sur une industrie en particulier, mais sur toutes les industries en général, parce que toutes recourent à l'annonce et vivent de la publicité.
Ces motifs, messieurs, me font croire que la distinction qu'a voulu établir M. Dedecker ne pourrait être admise.
- La clôture est demandée.
M. de Corswarem, rapporteur. (contre la clôture). - Messieurs, j'ai été traité tout à l'heure d'une manière très sévère par l'honorable M. Castiau. J'espère qu'en ma qualité de rapporteur on voudra bien m'accorder la parole et me permettre de me justifier.
M. de Garcia. - Messieurs, il est dans nos usages de laisser la parole au rapporteur pour résumer la discussion. Ce mode de procéder tout rationnel doit surtout être respectée dans la discussion actuelle, où l'opinion personnelle de l'honorable rapporteur a été, en quelque sorte, mise en jeu. Je demande donc qu'on ne s'écarte pas ici de nos précédents.
M. Delfosse. Je demande qu'on entende le rapporteur.
M. Lejeune. - Je demande aussi qu'on entende le rapporteur.
M. le président. - La chambre paraît d'accord pour entendre M. le rapporteur. (Oui ! oui !) En ce cas, la parole est à M. de Corswarem.
M. de Corswarem, rapporteur. - Messieurs, je n'en abuserai pas. Ce n'est d'ailleurs pas mon habitude.
Je n'aurais même pas insisté pour avoir la parole, si, comme je viens de le dire, l'honorable M. Castiau ne m'avait traité avec une sévérité qu'à mon avis je ne méritais pas, d'autant plus que l'honorable membre a pu être témoin que j'ai dû ce matin travailler ailleurs encore qu'à la section centrale chargée d'examiner les modifications proposées au régime postal.
Il vous a dit que le laconisme de mon rapport était d'un mauvais augure. Mais j'ai été, à défaut de temps, dans l'impossibilité matérielle de rédiger un rapport, puisque la section centrale n'a été réunie qu'un moment avant l'ouverture de la séance ; comment alors, faire autrement que d'être laconique, et de rapporter en quelques mots le résultat des délibérations de la section centrale ? D’ailleurs on n'a fait dans la section aucune objection aux propositions du gouvernement.
L'honorable membre a aussi trouvé qu'il y avait contradiction entre le rapport de la section centrale et les observations que je vous ai présentées. Messieurs, il n'en est rien. A la section centrale, j'ai voté pour la proposition présentée par M. le ministre, et ici j'ai également déclaré que je voterais pour cette proposition. Mais à la section centrale j'avais fait quelques observations que j'ai reproduites ici, non comme rapporteur, mais en mon propre nom ; je l'ai fait parce que j'ai cru de mon devoir de communiquer à la chambre mon opinion toute entière, et je me félicite d'avoir fait ces observations, puisqu'elles ont soulevé une discussion dont nous retirerons une très grande utilité. J'ai fait remarquer le premier qu'il y avait une connexité entre le port des journaux et le droit de timbre, et j'ai signalé le premier qu'il y avait lieu d'apporter des modifications au droit de timbre perçu sur les journaux.
Loin d'être hostile à la mesure qui nous est proposée, j'ai prouvé dès hier à la fin de la séance que j'étais un de ses plus forts partisans, puisque la proposition produite aujourd'hui par l'honorable M. Dedecker avait été faite hier par moi ; et si je ne l'ai pas reproduite ce matin en section centrale, ni dans ce moment à la chambre, c'est que j'avais quelques raisons de croire que le gouvernement, lors de la discussion sur la réforme postale proprement dite, nous ferait également des propositions pour le transport des imprimés autres que les journaux.
Je suis, messieurs, complètement de l'avis de l'honorable ministre des finances, que la suppression du décime rural, loin de causer une perte au trésor, apportera une augmentation de recettes, et que la diminution du droit sur les transports d'argent augmentera les recettes d'une manière considérable.
Dans notre pays, messieurs, on transporte en moyenne 500,000 fr. par an, ce qui fait 11 à 12 centimes par habitant ; tandis qu'en France, où le droit est réduit à 2 p. c, on transporte en moyenne 1 franc par habitant, et qu'en Angleterre, où le droit est encore moindre, on transporte en moyenne 5 francs et demi par habitant. Il est donc permis d'espérer que dans notre pays les transports d'argent augmenteront d'une manière sensible, et que cette augmentation compensera largement toutes les réductions qui ont été votées jusqu'à présent.
- L'article 6, qui devient l'article 5, est mis aux voix et adopté, avec la réduction proposée en dernier lieu par M. le ministre des travaux publics.
« Art. 7 (qui devient l'art. 6). Par dérogation à l'article 12 de la loi du 29 décembre 1835, les journaux et imprimés de toute nature venant non-affranchis île l'étranger ne seront plus soumis qu'à une taxe de 8 centimes par feuille, quelle que soit sa dimension et quelle que soit la distance parcourue dans le royaume. »
(page 119) M. Malou. - Messieurs, la question que soulève cet article est toute différente de celle que la chambre vient de résoudre. Je désirerais que M. le ministre des travaux publics voulût bien nous indiquer d'abord à quel régime sont soumis, dans les pays qui nous entourent, les journaux belges et les imprimés belges. Je crois que, notamment sur notre frontière du Midi, le régime qui concerne les imprimés belges est infiniment peu libéral. Dès lors je me suis demandé, en lisant l'article en discussion, si cette concession gratuite faite aux journaux et imprimés étrangers n'enlève pas au gouvernement, dans les négociations futures, le moyen de rendre plus libéral, j'allais presque dire moins vexatoire, dans certains pays étrangers, le régime auquel sont soumis les journaux belges et les imprimés qui de Belgique vont dans ces pays.
De l'explication que donnera M. le ministre des travaux publics, en ce qui concerne la France, la Prusse et les Pays-Bas, doit, ce me semble, dépendre la résolution de la chambre : car, messieurs, nous ne pouvons pas dégrever, par exemple, les journaux français si les journaux belges sont frappés en France d'une surtaxe ; nous ne pouvons pas dégrever les imprimés français si des surtaxes et des formalités très gênantes existent en France pour les imprimés belges. Ici, comme toujours, la réciprocité est la première loi des nations, et je crains que le vote de cet article, sans qu'on stipule la réciprocité, ne soit un obstacle à ce qu'elle s'établisse plus tard.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Quelques mots suffiront pour satisfaire l'honorable membre. Le régime auquel les journaux belges sont soumis en France, est beaucoup plus favorable que celui auquel les journaux français sont soumis en Belgique, que celui même auquel ils seront soumis après la réduction que nous proposons. Les journaux français dirigés vers la Belgique payent, dans l'état actuel des choses, un timbre de 5 centimes et un droit de poste de 10 centimes. Les journaux belges expédiés en France ne payent pas de timbres et sont transportés dans toute la France pour 4 centimes. Vous voyez, messieurs, qu'il est parfaitement inutile d'attendre la réciprocité et que, pour cet objet, nous pouvons aller sur-le-champ au-devant de ce que la France a fait pour nous jusqu'à présent.
Mais, messieurs, ce n'est pas cette seule considération qui doit nous porter à voter la réduction proposée. Nous devons accueillir les lumières de l'étranger ; nous devons nous montrer favorables au moins au libre échange de la pensée ! On devrait faire plus que ce qui est proposé en ce moment : le timbre devrait également être réduit ; mais comme nous ne nous occupons que du droit de poste, la réduction de 50 p. c. est tout ce que nous pouvons faire par la loi qui nous occupe.
Il importe de favoriser l'introduction des journaux étrangers dans le pays, et jusqu'à ce jour nous avons mis obstacle à cette introduction par un droit que l'on peut considérer comme prohibitif, par un droit de 15 centimes par feuille, c'est-à-dire par une taxe qui double et au-delà le prix.
L'honorable M. Malou a demandé des renseignements sur le régime auquel les journaux belges sont soumis en Prusse et dans les Pays-Bas. Il me serait impossible de donner en ce moment ces renseignements ; mais sous ce rapport la question est peu importante, car l'échange des journaux entre ces pays et la Belgique est très restreint, à cause de la différence des langues et parce que la Prusse emploie des mesures d'un autre ordre pour empêcher l'introduction des journaux étrangers chez elle.
Quoi qu'il en soit du système suivi par la Prusse et par les Pays-Bas à notre égard, il n'y a pas lieu de s'en préoccuper. C'est là un point qui n'est pas de nature à déterminer le vote de la chambre.
Quant aux autres imprimés dont on a également parlé, je pense qu'ils sont transportés en France, au taux de 5 centimes. Toutefois, je ne puis pas certifier le fait ; je n'ai pas fait de recherches à cet égard, ne pensant pas que cette question me serait adressée. En ce qui concerne les journaux, les indications que je viens de donner sont positives et il me semble qu'elles doivent suffire.
Il y a, messieurs, un autre motif pour lequel nous devons abaisser le droit sur les imprimés étrangers, et ce motif est déterminant ; c'est qu'il faut tâcher d'éviter cette immense quantité de refus qui résulte de la trop grande élévation du prix de transport. On nous expédie de France des masses très considérables d'avis, de prospectus, de circulaires de diverse nature. La poste est obligée d'en opérer le transport ; cela exige un temps assez considérable, car chaque pièce doit être enregistrée, constatée dans la comptabilité ; eh bien, un grand nombre de ces pièces sont refusées à cause du droit énorme qui les frappe. Si, au contraire, le droit était réduit d'une manière notable, il est probable que la plupart seraient accueillies.
M. Dedecker. - M. le ministre des travaux publics vient de donner quelques explications relativement à l'introduction des journaux belges en France. Les explications ne sont pas aussi complètes, ni aussi satisfaisantes relativement aux imprimés. Je puis donner à la chambre l'assurance que, pour expédier de Belgique en France des imprimés, on éprouve les plus grandes difficultés ; il est vrai que les entraves dont je me plains résultent moins du taux des droits perçus que de la multiplicité des formalités à remplir. On demande, pour l'expédition du moindre imprimé belge, 3 ou 4 certificats qui, tous, doivent être légalisés. C'est donc sur ces formalités que j'appelle l'attention spéciale de M. le ministre des travaux publics. S'il pouvait les faire disparaître, il rendrait un véritable service à la littérature nationale.
M. Malou. - Messieurs, je regarde comme satisfaisantes les explications de M. le ministre des travaux publics, quant au transport des journaux de Belgique en France ; mais les renseignements nous manquent pour les deux autres pays ; ils nous manquent pour les imprimés. Je crois que le transport des imprimés a une très grande importance. Sans doute nous devons accueillir facilement tout ce qui nous arrive de l'étranger, mais c'est à condition qu'il y aura réciprocité.
Ainsi, si les relations, en fait de presse politique, sont presque nulles entre la Belgique et l'Allemagne, il est positif que les relations littéraires et scientifiques sont très larges, et qu'il est de notre intérêt de les voir se développer de ce côté comme de l'autre.
Je demanderai donc qu'on veuille bien disjoindre la question des imprimés de celle des journaux ; on pourrait décréter dès à présent la réduction quant aux journaux, et donner, en ce qui concerne les imprimés, une simple faculté au gouvernement, faculté dont il userait envers les pays étrangers qui accorderaient la réciprocité.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, le gouvernement usera nécessairement de la faculté qu'on veut lui donner. Je l'ai déjà dit : nous sommes aujourd'hui obligés d'accueillir les imprimés étrangers qui sont présentés à la poste et qui sont adressés à des individus du pays ; la poste ne peut savoir à la frontière si l'imprimé sera refusé ou non. (Interruption.)
Plusieurs membres. - On pourrait affranchir.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - On ne peut pas affranchir ; voici pourquoi : dans nos négociations avec la France, l'administration française s'est opposée à toutes les époques, d'une manière absolue, à accepter l'affranchissement réciproque.
Donc, pour éviter qu'il y ait autant d'imprimés refusés, il est désirable qu'on réduise le droit de port : on peut espérer dès lors que les destinataires recevront ces imprimés en plus grand nombre.
La raison alléguée par l'honorable M. Malou, qu'il faut se réserver des moyens de négocier pour tâcher d'obtenir des concessions des pays voisins, ne peut être écoutée. Nous avons de la marge ; nous avons encore les 5 centimes de port et les 5 centimes de timbre qui continuent à grever les imprimés étrangers. Nous avons sur ce prix des réductions à offrir. On peut donc accepter sans inconvénient la disposition que j'ai proposée.
- L'article 7 est mis aux voix et adopté. (L'article 8 et dernier de la loi a été voté dans la séance d'hier.)
Sur la proposition de M. Manilius, la chambre fixe à demain, à 2 heures, le second vote du projet de loi sur la réforme postale.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy) dépose :
1° Un projet de loi par lequel les deux cantons d'Audenarde et les deux cantons de Nivelles sont réunis en un seul ;
2° Un projet de loi par lequel le chef-lieu de la justice de paix est transféré de la commune de Dhuy dans la commune d'Eghezée ;
3° Un projet de loi par lequel le chef-lieu de la justice de paix est transféré de la commune d'Ellezelles dans la commune de Floberq ;
4° Un projet de loi par lequel le chef-lieu de la justice de paix est transféré de la commune de Lennick-Saint-Marlin dans la commune de Lennick-Saint-Quentin ;
5° Un projet de loi par lequel la justice de paix est transférée de la commune de Glons dans la commune de Fexhe-lez-Slins.
6° Un arrêté royal retirant le projet de loi tendant à autoriser l'acquisition des bâtiments, terrains et landes nécessaires à l'établissement de depuis de mendicité agricoles ;
7° Un arrêté royal retirant le projet de loi tendant à accorder une pension au sieur de Wargny.
- La chambre renvoie les cinq premiers projets de loi à l'examen de la commission des circonscriptions cantonales ; elle en ordonne également l’impression et la distribution.
La séance est levée à 4 1/2 heures.