(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1537) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à une heure et un quart.
M. Van Cutsem lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. A. Dubus communique à la chambre l'analyse des pièces qui lui sont adressées.
« Le sieur Bock, employé au ministère des finances, prie la chambre de le comprendre dans le projet de loi qui autorise la restitution de droits perçus pour des naturalisations. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le sieur Delaveleye, ingénieur civil, présentant des considérations sur les concessions de chemins de fer, prie la chambre de ne plus en accorder avant qu'on ait décidé un système général de concessions de chemins de fer. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.
M. Osy. - Je demanderai que la pétition soit, en outre, insérée au Moniteur. Elle n'est pas longue.
M. d’Elhoungne. - Je m'oppose à cette insertion ; d'après une décision de la chambre, on n'insère plus au Moniteur les pétillons dont la chambre ne connaît pas le contenu.
M. Dedecker. - Messieurs, je ne sais s'il existe une décision du genre de celle dont parle l'honorable M. d'Elhoungne. Quoi qu'il en soit, il s'agit ici d'une simple pétition par laquelle M. l'ingénieur Delaveleye appelle l'attention du gouvernement à propos d'un fait récent qui s'est passé en France, sur le danger qu'il y a de donner inconsidérément des concessions, sans avoir une pensée d'ensemble ; il fait surtout ressortir ce danger, au point de vue de notre railway national.
M. de Naeyer. - Messieurs, j'appuie la motion de l'honorable M. d'Elhoungne. Il y a quelques jours, nous avons été saisis d'une pétition qui nous a été adressée par un grand nombre d'habitants de Bruxelles ; je crois qu'il y a plus de 300 signatures ; eh bien, cette pétition était également relative au chemin de fer de Bruxelles à Gand par Alost....
M. Dedecker. - Celle-ci ne l'est pas.
M. de Naeyer. - Si ! si !
Eh bien ! la chambre a refusé l'insertion au Moniteur de cette pétition-là, parce qu'elle n'était pas connue de la chambre ; je désire qu'on n'ait pas deux poids et deux mesures, et qu'on maintienne cette décision.
M. d’Elhoungne. - J'ai l'honneur de faire remarquer à la chambre que les antécédents auxquels j'ai fait allusion ne sont pas contestables. On les a plusieurs fois rappelés dans le cours de cette session. D'après ces précédents, on n'insère au Moniteur aucune pièce dont la chambre ne connaît pas le contenu. C'est une mesure essentielle, surtout dans des matières de vive controverse. La chambre ne peut pas ordonner l'insertion de pièces qui pourraient renfermer des allégations inexactes et quelquefois calomnieuses.
Je ferai remarquer ensuite que M. Delaveleye a d'autant moins à se plaindre de ce qu'on n'insère pas sa pétition, que déjà, il y a quelques jours, la chambre a ordonné l'impression d'une pétition spéciale de cet ingénieur sur cette question. C'est un mauvais antécédent que nous avons posé en sa faveur, cela suffît.
M. de Garcia. - Messieurs, l'objet de la pétition paraît d'une certaine importance. Quant à moi, je partage l'opinion qu'on ne peut insérer au Moniteur une pièce quelconque, avant qu'il n'en ait été pris connaissance. Mais comme la matière a une certaine gravité, je demanderai ce que l'honorable M. Delfosse demandait dans une autre occasion, je demanderai qu'outre le dépôt sur le bureau de la pétition actuelle, elle soit renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport. C'est la proposition que j'ai l'honneur de soumettre à la chambre. Cette proposition doit satisfaire à toutes les exigences, satisfaire à tous les intérêts, et partant convenir à tous les membres de l'assemblée.
De toutes parts. - Appuyé !
M. de Terbecq. - Je demanderai qu'on donne lecture de la pétition.
M. Osy. - Messieurs, cette pétition n'est pas contraire au chemin de fer de Gand à Bruxelles ; elle a seulement pour but d'attirer l'attention de la chambre sur une demande de concession d'un chemin de fer de St-Quentin à la frontière belge ; et la conclusion de la pétition est qu'il serait convenable, avant que le gouvernement accorde de nouvelles concessions, d'examiner un système général de concessions.
Si l'on ne veut pas l'insertion au Moniteur, je demanderai qu'au moins on donne lecture de la pétition.
M. de Terbecq. - C'est ce que j'ai demandé.
M. Osy. - La pétition serait ensuite déposée, chacun la connaîtrait.
Je demande donc la lecture.
M. Dedecker. - Je n'insisterai pas sur ma proposition ; je me rallie à celle de l'honorable M. Osy, telle qu'il vient de la modifier. Je demande donc la lecture de la pétition, c'est l'affaire de deux minutes ; la chambre verrait qu'il ne s'agit pas d'un objet spécial, du chemin de fer de Bruxelles à Gand par Alost, mais de l'intérêt général du pays ; que le pétitionnaire appelle l'attention de la chambre sur le danger de s'aventurer dans les concessions sans pensée d'ensemble.
M. Delehaye. - Messieurs, chacun sait que M. Delaveleye est l'avocat de Termonde, le défenseur salarié des intérêts de Termonde. (Interruption.)Termonde vous a fait comprendre qu'elle avait payé M. Delaveleye pour défendre sa cause. De son côté, M. Delaveleye a dit qu'il défendait la cause de Termonde qui lui avait été confiée. (Interruption.) Il n'y a rien de déshonorant à cela ; je suis avocat, quand on dirait que je suis l'avocat d'une localité, je n'y verrais rien d'olfensant. M. Delaveleye, depuis qu'il est l'avocat salarié de Termonde, a cherché à apporter entraves sur entraves au projet de chemin direct de Gand à Bruxelles par Alost. C'est évidemment ce qu'il fait encore aujourd'hui, car à quoi tend sa pétition ? A l'ajournement de l'examen de ce projet ; par ces motifs, je demande le renvoi à la commission des pétitions, avec invitation de faire un prompt rapport.
Un membre. - La lecture.
M. Delehaye. - La lecture ? Je m'y oppose, personne de nous ne sait ce que la pétition contient, si elle est longue ou non, si elle a rapport à l'objet de la discussion. Ce que nous savons, c'est qu'elle tombe sous les dispositions précises du règlement qui veut que toute pétition soit renvoyée à la commission instituée pour les examiner. Que ceux qui veulent s'éclairer se joignent à nous pour demander le renvoi avec invitation de faire un prompt rapport.
M. d’Huart. - La discussion qui vient de s'élever me semble démontrer qu'il faut décider une fois pour toutes en principe qu'on ne lira pas et qu'on n'insérera pas de pétition au Moniteur avant d'avoir entendu la commission des pétitions ; il est dans l'intérêt des travaux de la chambre qu'il en soit ainsi, pour qu'à l’avenir on ne demande plus de lecture ou d'insertion de pétition, car cela donne lieu souvent à de très longues discussions. Je fais donc cette proposition, et je demande, en outre, que la pétition dont il s'agit soit renvoyée à la commission, avec invitation de faire un prompt rapport.
M. Manilius. - Je crois qu'il y aurait un moyen beaucoup plus simple, ce serait de déposer la pétition sur le bureau ; vous procéderiez à l'égard de cette pétition comme vous l'avez fait à l'égard de plusieurs autres relatives aux travaux publics : Si vous preniez une autre décision que vous n’avez pas prise pour les autres, si vous ordonniez un renvoi, je demanderais qu'il fût étendu à toutes les pétitions dont le dépôt a été ordonné. Je conclus donc formellement au dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.
M. le président. - Le dépôt a été ordonné sans opposition, c'est après cette décision que sont venues les propositions.
- La discussion est close.
La chambre, adoptant la proposition de M. d'Huart, ministre d'Etat, décide qu'à l'avenir les pétitions qui n'auront pas été l'objet d'un rapport ne seront ni lues à la chambre ni insérées au Moniteur.
La pétition est renvoyée à la commission des pétitions, avec demande d’un prompt rapport.
M. Van Cutsem dépose, au nom de la section centrale du budget de la justice, le rapport sur un projet de loi de crédit supplémentaire de 26,000 fr. pour dépenses antérieures à 1831.
- La chambre ordonne l'impression de ce rapport et met ce projet de loi à la suite de l'ordre du jour.
M. Simons. - Le budget des voies et moyens pour l'exercice 1848 vient d'être distribué aux membres de la chambre ; il se trouve même déjà à l'ordre du jour dans les sections.
Vous y aurez sans doute remarqué, messieurs, que la contribution foncière y est maintenue au chiffre de 15,500,000 fr. et qu'il y est derechef réparti entre les diverses provinces, d'après les bases de la loi du 7 février 1845.
Bien que cette loi ne fût que temporaire ; bien qu'elle dût cesser ses effets après l'exercice auquel elle était spécialement applicable, elle devra de nouveau être prorogée, pour la quatrième fois, si tant est que la chambre ne puisse aborder à temps l'examen du projet de loi de péréquation générale, dont elle est saisie depuis 1844.
Je ne sais à quoi ce retard inexplicable doit être attribué ; mais ce que je sais, c'est que ce projet de loi, qui, par sa nature, aurait dû être examiné d'urgence, figure à l'ordre du jour d'une section centrale, depuis plusieurs mois, sans qu'aucun résultat nous en ait été communiqué. Ce que je sais encore, c'est qu'en attendant que cette section pourra s'en occuper sérieusement, les deux plus pauvres provinces se trouvent, par provision, frappées, savoir : celle de Limbourg, d'une surtaxe de 192,859 fr., et celle de Luxembourg de 140,720 fr.
Cet état de choses est d'autant plus déplorable, que plusieurs réclamations vous ont été adressées, et notamment une du conseil provincial du Limbourg, à la suite d'une discussion approfondie qui avait eu lieu dans son sein. Ces pétitions signalent plusieurs vices dont le travail du cadastre, dans ces provinces, se trouverait entaché ; elles indiquent une foule d'inexactitudes qui auraient été commises par les agents chargés des opérations cadastrales.
Ce retard, dont à bon droit on se plaint, constitue donc un véritable déni de justice, d'autant plus odieux, que, contrairement à ce qui avait eu lieu à l'égard des autres provinces, on a condamné le Limbourg et le Luxembourg à commencer par payer, sauf à faire leur procès après ; on leur a arbitrairement appliqué une base de péréquation avant tout examen et avant que cette base n'eût reçu la sanction préalable de la législature, qui seule pouvait lui donner une existence légale.
Un pareil état de choses ne peut plus continuer. De deux choses l'une : ou les réclamations de ces localités sont fondées, et, en ce cas, il y a injustice, iniquité de leur imposer la surtaxe ; ou elles ne sont pas fondées, et, en ce cas, il importe que, par un examen approfondi, par un rapport circonstancié, l'on donne à ces populations tout apaisement à ce sujet, et que l'on fasse cesser un mécontentement général, qui n'est que trop fondé.
J'espère que l'un ou l'autre membre de la section centrale voudra bien nous apprendre si bientôt elle pourra nous présenter le résultat de ses délibérations.
Je la prierai, en tout cas, de vouloir s'occuper de l'examen de ce projet, toute autre affaire cessante, afin que son rapport puisse être fait dans le courant de celle session et que la discussion du projet de loi puisse avoir lieu au début de la session prochaine.
S'il en était autrement, je combattrai de toutes mes forces la nouvelle prorogation de la loi de 1845 qui nous est annoncée pour 1848 et réclamerai le statu quo d'avant 1845, pour ces deux provinces, jusqu'à ce que la loi de péréquation générale aura reçu une sanction définitive.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il a été convenu, il y a quelque temps, entre M. le président de la section centrale et moi, que la réunion serait ajournée, jusqu'à ce que je puisse lui fournir quelques renseignements. Je prierai M. le président de convoquer la section centrale pour un jour de la semaine prochaine. Mais je crains qu'il ne soit pas possible que la discussion ait lieu et même que le rapport soit fait dans le courant de cette session.
M. Simons. - Je ne demande pas que la discussion ait lieu dans le courant de cette session, mais seulement que le rapport soit fait afin que la discussion ayant lieu à l'ouverture de la session prochaine, nous ayons les bases sur lesquelles nous puissions établir, dans le budget des voies et moyens, la répartition de la contribution foncière.
M. le président. - La section centrale sera convoquée dans le courant de la semaine prochaine.
M. le président. - La parole est à M. Sigart.
M. Sigart. - Dans plusieurs circonstances, j'ai eu l'occasion de faire connaître mon opinion sur les résultats de l'immixtion du gouvernement dans certaines affaires.
Je conçois cependant que, pour le chemin de fer, il y a quelques bonnes raisons pour que le gouvernement ait la direction de cette administration. H y a, par exemple, la raison de sûreté pour les voyageurs. Mais ce système présente des inconvénients extrêmement graves. Je ne veux pas les passer en revue. Mais il en est un que je veux signaler et à l'attention de la chambre et à celle de M. le ministre des travaux publics, qui pourra peut-être sinon le faire disparaître complètement, du moins l'atténuer.
Le vice que je veux vous signaler provient de ce que le pouvoir ne sait pas oublier qu'il est pouvoir. Il a peine à se départir de ses habitudes rudes, j'allais dire de ses habitudes brutales ; il devrait comprendre qu'après s'être fait entrepreneur de transports, il doit consulter les intérêts de ceux dont il voilure les marchandises, que s'il veut frapper on le fuira et que quand on pourra on s'adressera ailleurs.
Exemple : un négociant possède à une certaine distance d*une station une usine ; il a besoin, tous les jours, d'un waggon de houille. Eh bien, le gouvernement ne juge pas convenable de lui expédier un waggon de houille, il préfère lui envoyer, tous les huit ou quinze jours, huit ou quinze waggons.
En vain, le négociant se récrie. Il a bien le moyen de transporter, par charroi, un waggon ; mais il n'a pas celui d'en transporter 8 ou 15, on lui impose une amende, il est obligé de payer tant par jour de retard ; je crois que cette exigence du gouvernement est intolérable.
L'an dernier, j'ai présenté à la chambre quelques observations sur les passages à niveau de divers chemins de fer industriels.
(page 1539) Je lui ai représenté tous les dangers d'une rencontre de convois.
Si j'ai bonne mémoire, M. le ministre des travaux publics me dit que j'avais parfaitement raison, qu'il n'y avait nul doute que ce travail serait exécuté. Cependant on a laissé échapper la meilleure occasion pour faire le travail. Récemment on a doublé la voie, c'était le moment de faire les deux ouvrages à la fois. A présent on devra défaire ce qu'on vient de faire. On aura fait une dépense inutile.
Je demanderai à M. le ministre s'il se propose d'exécuter un travail qu'il avait reconnu indispensable.
Je crois que le gouvernement ne s'est occupé que du passage à niveau du chemin de fer du Bas-Flénu. Mais il y en a plusieurs autres. Je dois spécialement signaler le chemin de fer de Manage qui va être exécuté.
Je demande que le gouvernement prenne des mesures pour qu'il n'y ait pas là de passage à niveau. Je crois qu'il y aurait moyen de l'empêcher.
J'ai une dernière observation à faire : elle se rapporte au tunnel de Braine-le-Comte que j'espère bientôt voir disparaître et remplacer par un passage à ciel ouvert.
M. de Naeyer. - Il est incontestable, messieurs, que les voies de communication sont le moyen le plus puissant et le plus efficace de développer les ressources d'un pays, d'imprimer une impulsion énergique aux progrès de sa prospérité et de sa civilisation. Quant à moi, je considère les voies de communication comme les organes de la vie des peuples, de leur vie industrielle et commerciale, je dirai même de leur vie intellectuelle.
Cette thèse serait sans doute susceptible de grands développements ; mais je crois que c'est inutile, parce que je pense qu'elle est passée à l'état d'axiome pour tout homme qui observe les faits qui se passent sous nos yeux, avec les idées de sou siècle.
Mais, messieurs, si telle est l'importance des voies de communication, si telle est leur influence immense, il faut aussi reconnaître qu'en cette matière surtout l'action du gouvernement doit être dirigée par les principes d’équité et de justice distributive. Nous vivons à une époque de lutte, de concurrence très vive, non seulement entre les individus, mais aussi entre les localités qui exercent les mêmes industries, qui se livrent aux mêmes branches de commerce.
Or, il est évident, il est palpante pour tout le monde que les conditions de cette lutte, de cette concurrence peuvent être complètement changées, complètement bouleversées par la répartition des travaux publics.
Telles et telles localités qui soutenaient avantageusement la lutte lorsqu'elles combattaient avec les armes de la liberté et de la loyauté seules, seront nécessairement vaincues, écrasées par leurs rivales si le gouvernement, à l'aide des deniers des contribuables, vient favoriser ces dernières par des voies de communication qu'il refuse obstinément, impitoyablement aux autres. Or, ce serait là un résultat évidemment injuste, lorsqu'il est amené au moyen des deniers des contribuables.
Que le moulant des contributions soit employé en grande partie à accorder des faveurs à des privilégiés, cela est déjà injuste ; mais employer les produits de l'impôt à des travaux qui doivent entraîner la ruine d'une partie des contribuables, messieurs, c'est là un résultat repoussé tout à la fois par le bon sens, par la raison, par la logique, par la justice et par l'égalité de droits garantie aux citoyens belges.
Mais, dira-t-on, que faire pour établir un juste équilibre ? Il est impossible que le gouvernement accorde des chemins de fer à tout le monde ; il est impossible qu'il relie toutes les localités de la Belgique au réseau des chemins de fer ; il est impossible qu'il les fasse toutes participer également aux bienfaits de cette admirable invention.
Je le sais, messieurs, et je m'abstiendrai de soutenir cette thèse absurde qui tendrait à faire accorder des chemins de fer à tout le monde ; mais je crois que, pour établir l’équilibre, il est un moyeu facile et très logique, c'est d’admettre l'action de l’industrie privée à côté de l’action du gouvernement.
Voici comment je conçois les choses. Lorsqu'il s'agit de l’établissement d'une nouvelle voie de communication, le gouvernement trouve que des considérations politiques ou d'autres considérations d'intérêt général, militent d'une manière assez puissante pour que ce soit lui qui se charge de l'entreprise, il faut qu'on lui accorde la préférence ; mais quand des localités, à raison de leur situation topographique, à raison de leur commerce, à raison de leur industrie, à raison du génie et de l'activité de leurs habitants, peuvent donner du développement à leurs relations, qu'elles sont parvenues à faire affluer les capitaux de l'industrie privée vers elles, et que ces capitaux peuvent trouver un emploi utile en dotant ces localités de nouvelles voies de communication, je dis qu'alors le gouvernement ne peut pas s'y opposer ; il doit exécuter lui-même ces voies de communication ou laisser agir l'industrie privée, autrement il prendrait fait et cause pour l'un des combattants, dans cette grande lutte au commerce et de l'industrie ; il paralyserait les ressources naturelles des uns et cela avec un avantage marqué pour les autres. Ce rôle serait évidemment d'une criante injustice de la part du gouvernement qui est payé, après tout, pour accorder une égale protection à tous les intérêts, et qui dénature indignement sa haute mission lorsqu'il prend fait et cause pour les uns et qu'il contribue directement ou indirectement à écraser les autres.
Messieurs, ces considérations, je vais tâcher de les rendre sensibles par une application.
Depuis plusieurs années, conjointement avec mes honorables collègues, je n'ai cessé d'attirer l'attention du gouvernement et des chambres sur la position déplorable dans laquelle se trouve l'arrondissement d'Alost, depuis la construction de notre chemin de fer. Je suis heureux de pouvoir le dire, nos plaintes ont été trouvées fondées dans cette enceinte, nous avons rencontré les plus vives sympathies sur tous les bancs.
Vous me permettrez donc, messieurs, d'attirer de nouveau votre attention bienveillante sur l'importance de l'arrondissement d'Alost, sur le triste abandon où il est réduit, et sur le moyen facile de le tirer de cette position déplorable.
Messieurs, il me suffit de jeter les yeux sur la carte de la Belgique, pour vous convaincre que la vallée de la Dendre est réellement, par sa situation topographique, placée au cœur même du pays.
Et en effet, dans une direction, la vallée de la Dendre est située à mi-chemin entre nos deux plus grands centres de population, Gand et Bruxelles ; et en outre, entre environ un million et demi d'habitants des provinces flamandes, et plus d'un million et demi d'habitants de cinq autres provinces ; dans une autre direction, la vallée est encore à moitié chemin entre la riche province du Hainaut d'un côté, et entre le pays de Waes et la métropole commerciale de la Belgique, de l'autre. Cette position est admirable, c'est un bienfait que nous devons à la Providence, c'est une propriété pour nous, on n'a pas le droit de nous l'enlever, au moins avec les deniers des contribuables.
L'arrondissement d'Alost occupe la partie centrale de cette contrée si intéressante. Dans une discussion récente, j'ai fait ressortir son importance, en ce qui concerne la population. Son importance commerciale, agricole, industrielle est aussi très grande ; pour l'apprécier, je vous prierai, messieurs, d'examiner un rapport de la chambre de commerce d'Alost qui est joint au travail de l'ingénieur Desart (n°12 des annexes) ; c'est une pièce officielle émanant d'une assemblée légale. Vous verrez là que la production agricole s'élève à près de 30 millions par an ; que son importance industrielle s'élève de 35 à 40millions. Ce ne sont pas là des exagérations, ce sont des faits, et on ne détruit les faits ni par des rires ni par des murmures, comme on pourrait avoir envie de le faire quelquefois.
Le mouvement commercial de l'arrondissement n'est pas moins considérable. Je vous citerai le marché de Grammont, qui est renommé dans les contrées voisines et même dans la capitale pour la vente du tabac, des toiles, du bétail ; le marché d'Alost est plus considérable encore ; il puise même une partie de son importance dans des spécialités, dans la vente du houblon, des toiles, des céréales.
Plusieurs autres marchés, notamment celui de Ninove, seraient aussi susceptibles de larges développements au moyen des voies de communication qu'ils réclament à juste titre.
Nous sommes donc en droit de dire que l'arrondissement d'Alost renferme de nombreux éléments de prospérité commerciale, industrielle et agricole ; il peut soutenir la comparaison avec certaines provinces de la Belgique.
Maintenant, comment cet arrondissement a-t-il été traité ? Dans quelle position se trouve-t-il aujourd'hui ?
Messieurs, vous savez tous que les chemins de fer sont, au moins jusqu'à ce jour, le dernier mot de la civilisation, en fait de voies de communication.
Eh bien, depuis douze ans, depuis que le chemin de fer existe en Belgique, l'arrondissement d'Alost, dont la haute importance est incontestable, est complètement isolé du chemin de fer, est resté complètement étranger à ses bienfaits.
La nature nous a placés au cœur de la Belgique, et l'on a trouvé moyen de nous retrancher du grand mouvement de la civilisation belge dont les voies ferrées sont évidemment un des plus puissants agents. Autrefois, par notre situation topographique, nous étions le point de passage obligé, le point intermédiaire entre les autres provinces ; eh bien, par suite de la construction du chemin de fer, cet avantage nous a été enlevé ; on nous a dépouillés des nombreux moyens de transport qui nous reliaient à toutes les localités de la Belgique ; nos relations si faciles, si multipliées autrefois, ont été brisées, rompues, à peu près anéanties ; nous étions le centre du grand mouvement commercial entre les provinces flamandes et les autres parties du royaume ; eh bien, ce mouvement, on a trouvé moyen de le détourner complètement de nous.
Si ce déplacement avait eu lieu par suite d'une lutte loyale et à armes égales, si les avantages de notre position nous avaient été enlevés par des rivaux qui auraient déployé une plus grande intelligence des affaires, une activité commerciale plus assidue, plus croissante, plus industrieuse, eh ! mon Dieu, nous aurions à nous soumettre, nous aurions à rougir même de notre infériorité. Mais est-ce ainsi que les choses se sont passées ? Mais non, c'est par l'intervention du gouvernement que nous avons été dépouillés ; c'est parce que le gouvernement a accordé, avec l'argent des contribuables, des armes à nos adversaires, et qu'ainsi le combat a cessé d'être loyal.
Vous me direz : « La mesure a été dictée par des motifs d'intérêt général. » Je le veux bien, mais permettez-nous de réparer les conséquences désastreuses de cette mesure ; nous respectons la mesure ; nous ne demandons pas qu'elle soit rapportée, mais nous voulons réparer le mal qui en résulte pour nous, et cela avec nos propres ressource ?. Mais repousser une telle prétention, ce serait vouloir perpétuer la plus criante injustice.
Messieurs, j'ai remarqué que MM. les ministres aiment assez à faire des (quelques mots illisibles) » enrichir par les faveurs du (page 1540) budget ; je ne veux pas les en blâmer ; mais j'aurais voulu que dans ces dernières années ils se fussent donné la peine de visiter parfois l'arrondissement d'Alost ; ils auraient pu voir par leurs yeux le dépérissement successif de notre commerce, la ruine de nos industries ; ils auraient pu se convaincre de la position déplorable où nous nous trouvons ; ils auraient pu être témoins de ce silence, de l'inaction forcée qui règne aujourd'hui dans nos rues, jadis si animées, si pleines de mouvement ; et certainement, ayant le sentiment de leurs devoirs, ils auraient dit qu'il est impossible de maintenir cet état de choses.
Messieurs, comment voulez-vous que nous luttions aujourd'hui avec les autres localités qui exercent les mêmes industries et les mêmes branches de commerce auxquelles on se livre dans l'arrondissement d'Alost ? Comment voulez-vous que nos tanneries, nos dentelleries, nos filtreries, nos fabriques d'huile, nos fabriques d'indiennes, en un mot, toutes nos grandes industries travaillant pour l'exportation puissent soutenir la lutte, alors que les localités rivales ont des chemins de fer à leur disposition et que nous n'avons, nous, que nos vieilles chaussées qui sont désertes aujourd'hui, parce qu'elles ne sont plus appropriées aux besoins de la civilisation.
Cette position est devenue intolérable, il est temps de la faire cesser. Le gouvernement lui-même a reconnu qu'il y avait une justice à nous rendre. M. le ministre des travaux publics, dans le rapport qu'il a soumis à la chambre sur cette question en 1846, a reconnu formellement que la construction du chemin de fer nous avait dépouillés des avantages commerciaux que nous donnait notre position topographique, et que cela devait fixer la sollicitude du gouvernement. Il y a plus : l'honorable M. Dechamps a ordonné, il y a deux ans, des études relativement à cette question.
Ces études ont été confiées à un des ingénieurs les plus distingués de l'Etat, à un homme aussi haut placé dans l’opinion, par l'éclat de son talent que par la délicatesse et la loyauté de son caractère. Cet ingénieur était dans une position parfaite d'impartialité ; il n'était ni l'homme d'Alost ni l'homme de Termonde, il était fonctionnaire de l'Etat avec une mission d'intérêt public, ayant non pas une thèse imposée d'avance à défendre, mais un devoir de conviction et de conscience à remplir.
Ces études ont eu lieu, vous en connaissez le résultat ; c'est un travail très remarquable qui, vous le savez tous, a produit sensation et qui, à juste titre, a été accueilli par un concert d'éloges. Depuis deux ans, il est entre les mains de tout le monde ; le gouvernement a eu le temps de l'examiner, de se former une opinion.
Les membres de la chambre ont pu le faire également. Des objections contre ce travail si remarquable ont été produites au grand jour, chacun a pu les apprécier L'apparition des objections ne doit d'ailleurs étonner personne, moins peut-être dans cette circonstance que dans toute autre. Tous les jours nous voyons élever des objections contre les vérités les plus évidentes, les plus palpables ; ii arrive qu'on révoque encore en doute l'utilité même des chemins de fer. Que voulez-vous ! Les hommes sont faits comme cela.
Du reste, ces objections, je m'abstiendrai de les parcourir en détail pour le moment, ce serait fatiguer inutilement l'attention de la chambre. Je me bornerai donc à ceci. Je dirai que ces objections je les ai examinées avec soin, qu'elles m'ont paru futiles, et je prends l'engagement formel, l'engagement d'honneur de les réfuter complètement. Mais j'attendrai, pour le faire, qu'elles aient acquis un caractère sérieux, par cela qu'elles seraient produites dans cette chambre ; j'engage les honorables membres qui croient à leur importance, à les produire ; malgré mon insuffisance, malgré l'infériorité de talent que je me reconnais vis-à-vis de mes adversaires, je le répète, je prends l'engagement d'honneur d'en démontrer la futilité ; je ne crains pas les objections, je les provoque formellement.
Dans ce travail de l'ingénieur Desart trois points sont établis à la dernière évidence : l'utilité incontestable de la ligne nouvelle, la nécessité de la faire passer par la ville d'Alost, enfin son importance financière. Cette importance financière est telle que la nouvelle voie de communication, loin d'être une nouvelle charge, sera une source abondante de revenus.
J'attends, je le répète, les objections qu'on pourra me faire sur ces différents points essentiels comme sur les autres. Je veux une discussion franche, complète, loyale. Je désire que tous les doutes, que tous les scrupules même nous soient soumis.
Maintenant que demandons-nous pour l'exécution de ce projet ? Venons-nous demander des dépenses aux frais du trésor ? Non, nous ne demandons pas une obole à l'Etat.
Si l'Etat veut se charger de la construction de celle ligne, nous ne demandons pas mieux ; la préférence lui appartient ; elle est très légitime. Nous disons seulement que, pour le cas où l'Etat ne voudrait pas s'en charger, il doit nous permettre d'obtenir cette justice d'une autre manière.
Nous ne demandons absolument rien. Grâce à notre situation topographique au cœur du pays, grâce aux nombreux éléments de prospérité agricole, industrielle et commerciale dont la nature nous a dotés, grâce aux développements que le génie actif et industrieux de nos habitants a su donner à ces éléments, nous avons une importance telle, que nous pouvons obtenir la construction de cette route au moyen des capitaux de l'industrie privée, sans aucun subside, sans aucune intervention de l'Etat.
La seule grâce que nous vous prions de nous accorder, MM. les ministres, c'est que pour le cas où vous ne voulez pas agir vous-mêmes, vous vouliez avoir la complaisance de vous ôter de notre chemin ou de notre soleil, comme vous voudrez. Toujours est-il que vous nous gênez horriblement, cruellement, en vous posant comme un obstacle au développement légal des facultés que le ciel nous a départies. Il s'agit de savoir si dans la Belgique libre, dans la Belgique où les droits de l'homme sont sacrés, on peut s'opposer à ce qu'une population de 138 mille habitants développe librement son commerce et son industrie, son agriculture, tous les éléments de prospérité, de civilisation. La réponse à cette question n'est pas douteuse.
On nous dépouille des avantages mêmes de notre position sur la terre, on bouleverse en quelque sorte à notre détriment l'ordre établi par la nature, et quand nous trouvons encore en nous-mêmes des ressources suffisantes pour attirer vers nous les capitaux de l'industrie privée, pour nous relever de la position affreuse qu'on nous a faite, le gouvernement que nous contribuons à payer pour nous protéger et nous aider, viendrait se placer devant nous comme une barrière, comme une entrave à nos efforts, en nous disant : La calamité qui pèse sur vous est mon œuvre, et parce que c'est mon œuvre, je la maintiens !
Et cela se passerait dans un pays qui se proclame libre, qui proclame le respect des droits de l'homme, et par conséquent la liberté accordée à tout le monde de développer les ressources que le ciel lui a départies ! Je dis, moi, que ce serait un affreux despotisme. Mais, nous dit-on, il est vrai que vous ne demandez aucune dépense à charge de l'Etal ; mais si votre ligne est construite, il y aura diminution dans les recettes, par conséquent sacrifice pour le trésor.
Je répondrai à ceci par un argument bien simple. Est-ce la faute de notre ligne ? S'il y a diminution de recettes sur l'autre ligne, c'est parce qu'elle ne pourra pas lutter avec la nôtre. Donc, nous voulons faire une voie de communication plus utile, destinée à rendre des services plus réels pour le mouvement des personnes et des choses, mieux appropriée aux exigences de l'intérêt public ; et cette considération qui milite si fortement en notre faveur on ose l'invoquer contre nous !
Je ne comprends pas une pareille manière de raisonner. Si l'ancien chemin ne peut pas lutter contre notre ligne sous certains rapports, ce n'est pas la faute de notre ligne, mais cela provient de ce que l'ancienne ligne est établie dans des conditions de locomotion moins favorables, mais qui ne sont en rien notre fait.
Je défie de répondre à cette objection. Je provoque mes adversaires à l'aborder. On a posé un acte qui a produit pour nous les conséquences les plus désastreuses, et on ne veut pas que nous cherchions à réparer le mal qui en résulte pour nous, tout en respectant l'acte qui a été posé, tout en nous abstenant même de le critiquer ! Nous serions donc condamnés à nous laisser fouler aux pieds comme des esclaves, et cela dans la Belgique libre ! Non, il n'en sera pas ainsi, je le jure par les sentiments de justice et d'équité qui animent tous les membres de cette honorable assemblée. Cependant je veux bien aborder plus directement l'argument tiré des prétendues pertes ou diminutions de recettes que la nouvelle ligne pourrait causer à l'ancienne.
Messieurs, je sais qu'il a fait impression sur quelques esprits, et même sur les bons esprits ; mais je crois que la réfutation est très facile, et je prie les honorables membres dont les scrupules sont puisés surtout dans cette considération, de vouloir m'accorder quelques moments d'attention, parce qu'il s'agit ici d'une question de chiffre.
Messieurs, vous avez eu connaissance d'une brochure publiée sous les auspices de la ville de Termonde, et dans laquelle on a cherché à établir que la perte qui résulterait pour l'Etat de la création de la nouvelle ligne serait vraiment énorme. Il ne s'agirait de pas moins que d'une perte de 80 millions ou même davantage. Il est vrai que cette perte se répartirait sur 90 années, mais enfin elle serait toujours très considérable.
Messieurs, c'est là de l'exagération, et je vais le démontrer à l'évidence.
La perte annuelle serait, dit-on, de 942,000 fr. Voyons sur quoi on base ces calculs.
D'abord on les base sur cette considération que la nouvelle ligne enlèverait de la ligne actuelle tout le mouvement des voyageurs vers Bruxelles, à partir de la station de Wetteren et au-delà de cette station, de toutes les stations situées sur la ligne de l'Ouest. Cela est vrai, cela est incontestable.
Du moment que la nouvelle ligne sera faite, tous les voyageurs parlant de Wetteren et des stations plus éloignées vers Bruxelles, au lieu de venir par Termonde, viendront par Alost.
Mais on évalue ce mouvement à 178,000 voyageurs. Il y a là une exagération. Mais je ne l'explique parfaitement ; elle peut être le résultat d'une erreur, et voici comment cette erreur a pu être commise. On a fait entrer en ligne de compte, d'abord le mouvement des voyageurs ayant pour point de départ les stations de Capelle, de Londerzeele et de Malderen qui certainement ne viendront jamais à Bruxelles par la nouvelle ligne,
Ceci est peu important. Mais on fait aussi entrer en ligne de compte les voyageurs de Mouscron, les voyageurs de Templeuve et même les voyageurs de Tournay.
Or, messieurs, quel a été le but de la construction de la ligne de Jurbise ? Evidemment ce but a été de faire venir directement les voyageurs de Tournay à Bruxelles, sans passer par Gand, sans passer par Termonde.
De même, messieurs, si même le chemin de fer par Alost ne se faisait pas, les voyageurs venant de France et entrant en Belgique par (page 1541) Mouscron, ne viendraient pas à Bruxelles par Malines ; ils prendraient la voie la plus courte par Jurbise. Je ne pense pas que le désir de voir Malines soit tel chez les voyageurs qu'ils veuillent faire un très long détour et perdre un temps précieux. J'ai prouvé cela dans cette enceinte, il y a plus de deux ans.
La réduction à faire de ce chef, d'après mes calculs, serait d'environ 10 p. c., de sorte que ce mouvement de voyageurs que la nouvelle ligne enlèverait à celle qui existe aujourd'hui, doit être réduit dans cette proportion.
Voilà donc une première source d'erreur. Il y en a une seconde.
On suppose que du moment où la nouvelle ligne sera faite, le mouvement de toutes les marchandises de Gand vers Bruxelles se fera par cette voie. Il n'en est rien. La prétendue perte éprouvée par le trésor ne portera que sur le mouvement des voyageurs ; vous pouvez vous en convaincre par le travail de M. l'ingénieur Desart. Toutes ses évaluations sont basées sur cette hypothèse, que la nouvelle ligne servira uniquement au transport des voyageurs entre Gand et Bruxelles. Quant au mouvement des marchandises des stations intermédiaires, il aura nécessairement lieu par la nouvelle ligne ; mais pour les stations déjà existantes, le mouvement continuera à se faire par la ligne actuelle ; et par une raison fort simple, c'est que le gouvernement sera toujours maître de ce mouvement.
Il conserve la station de Gand ; il ne laissera pas, s'il le veut, arriver la nouvelle ligne à cette station pour y prendre les marchandises. Il y aura d'ailleurs un motif d'économie qui maintiendra le transport des marchandises à la ligne actuelle ; c'est que les convois de marchandises partant de Gand vers Malines desservent trois directions à la fois, la direction sur Bruxelles, la direction sur Anvers, la direction sur l'Allemagne, Liège, Louvain, toute la ligne de l'Est ; de sorte qu'un même convoi est approprié à trois services différents. Il y a donc, sous ce rapport encore, un tas de choses à retrancher des calculs et évaluations.
Messieurs, en tenant compte de ces deux erreurs, voici où l'on arrive. On avait trouvé que la perte sur la ligne actuelle de Gand à Malines serait de 75,000 fr. par lieue. En faisant toutes les réductions incontestables que je viens d'indiquer, il ne reste plus que 52,000 fr. de perte par lieue exploitée, disons même 55,000 fr. par lieue exploitée.
Mais voici une troisième erreur.
Le mouvement des voyageurs et des marchandises étant constaté, il s'agit de voir quel sera le produit de la recette que ce mouvement pourra donner.
On a calculé de la manière suivante : On a prétendu que de Bruxelles jusqu'à Wetteren on payait à raison d'un parcours de 12 1/2 lieues. C'est une erreur. Car vous savez qu'il existe là une réduction de prix à cause de l'allongement de parcours ; de manière qu'au lieu de payer 12 1/2 lieues, on ne paye guère que pour 10 lieues.
Il résulte de ces diverses erreurs que le chiffre de 942,000 francs se réduit à celui de 550,000 fr. Mais je veux être franc dans cette question ; je crois que ce chiffre s'élèvera au-delà de 550,000 fr. J'ai fait l'année dernière des calculs que je pourrais reproduire, et j'ai établi que la prétendue perte s'élèverait à 600,000 fr.
Mais, messieurs, je voudrais que cette prétendue perte fût encore plus forte, et cela même dans l'intérêt du trésor. Cette idée vous paraîtra d'abord étrange, mais vous allez voir qu'elle est très simple et très juste. Qu'entend-on par cette prétendue perte dont on fait un si grand étalage ? Cela consiste dans le mouvement de voyageurs et de marchandises entre Bruxelles et Gaud.
Les autres stations de l'Ouest, qui est desservi actuellement par la ligne passant à Termonde et qui serait alors desservi par la ligne passant à Alost ; mais sera-ce là une perte pour le trésor ? Les produits de ce mouvement échapperont-ils à l'Etat ? Mais il est évident que non. Qu'on les perçoive à raison de la circulation sur la ligne actuelle ou à raison de la circulation sur la ligne nouvelle, les espèces entrent toujours dans les caisses de l'Etat, et voilà l'essentiel.
Toute la différence sera que ce que nous mettons dans une poche maintenant, nous le mettrons dans une autre poche. En serons-nous moins riches ? Mais j'avais raison de dire qu'il serait à désirer que la prétendue perte fût encore plus considérable ; car, comme le mouvement qu'on désigne sous cette fausse dénomination restera toujours acquis à l'Etat, et que je démontrerai bientôt qu'il doit nécessairement augmenter d'une manière considérable par suite du raccourcissement de distance, plus ce mouvement serait aujourd'hui important, plus les accroissements proportionnels qu'il doit recevoir seraient aussi importants. Il me semble que cela est clair comme le jour.
Ainsi, messieurs, dire qu'il y aura perte, c'est réellement un abus de mots ; il y aura déplacement, et rien que cela. Il s'agit de savoir si vous voulez percevoir sur la ligne d'Alost ou sur la ligne de Termonde ; mais en définitive vos produits seront toujours les mêmes, sauf l'accroissement que vous obtiendrez sur la première de ces lignes et dont nous allons parler tout à l'heure.
On me dira, peut-être : Ce ne sera pas la même chose, si c'est une compagnie qui obtient la concession. Je tiens note de cette observation et je l'aborderai tout à l'heure. Il est du reste évident qu'il ne peut s'agir ici d'une concession pure et simple ; cela n'est entré dans la tête de personne, mais qu'il s'agit d'une concession qui sera basée sur un contrat de partage des revenus ; mats l'hypothèse d'une concession, je la raisonnerai plus tard.
Je me borne à faire mes réserves. Examinons d'abord l'hypothèse de la construction aux frais de l'Etat, sous toutes ses faces. On me dira : Vous aurez les mêmes revenus, vous percevrez ce que vous percevez aujourd'hui, mais vous aurez une augmentation de dépenses ; vous aurez de nouveaux frais d'exploitation, et vous aurez à dépenser un capital qu'on estime à 7 millions et que je porte à 8 millions, et dont vous devrez servir l'intérêt. Messieurs, à combien pourront s'élever les frais nouveaux d'exploitation ? Je pense qu'on ne mettra pas en doute les calculs de M. l'ingénieur Desart qui portent ces frais à 300,000 fr. ; cette évaluation est très large, elle dépasse la moyenne de nos lignes de chemins de fer, tant pour les dépenses subordonnées en quelque sorte à la longueur de la route que pour celles subordonnées à l'importance de la circulation.
Le capital à dépenser est de 8 millions. Prenons les choses d'une manière large ; calculons sur un intérêt de 5 1/2 p. c. ; vous aurez encore une dépense de 45,000 fr.
Il y aura donc un accroissement de dépense de 750,000 fr. Comment sortir de là ? Je crois que c'est là toute la question, toujours dans l'hypothèse de la construction par l'Etat.
Messieurs, cette dépense sera très facilement couverte. Elle sera d'abord couverte par l'accroissement du mouvement résultant du raccourcissement des distances, de la diminution de la durée du voyage. Cette première source de revenu, d'après les calculs de M. l'ingénieur Desart, doit donner un demi-million et même davantage.
Vous trouverez ensuite une plus grande source de revenu dans le produit des stations qui seront établies sur la nouvelle ligne. Vous aurez la station d'Alost et d'autres stations intermédiaires moins importantes. Vous aurez la station de Denderleeuw, où aboutira le chemin de fer de la vallée de la Dendre, et qui prend de l'importance en ce que, par la rencontre des deux voies, la vallée de la Dendre sera mise en communication avec Gand, avec Bruxelles, avec la Belgique entière.
Messieurs, est-il possible de contester que les revenus à provenir de ces deux sources seront plus que suffisants pour couvrir une augmentation de dépenses de 750,000 fr. ? Je ne le pense pas. Je dois, messieurs, présenter ici quelques considérations sur les produits des nouvelles stations. Nous avons des points de comparaison qui sont de nature à porter la conviction dans tous les esprits.
D'abord, la station d'Alost doit rapporter 600,000 fr. La preuve est facile à établir. Aujourd'hui la station de Termonde donne 300,000 fr. Or, dans une autre discussion j'ai encore eu l'honneur de prouver, je pense, que l'importance absolue d'Alost est double de celle de Termonde, et sous le rapport de la population, et sous le rapport du produit des patentes, et sous le rapport de l'activité commerciale et industrielle.
La population de Termonde est de 8,000 et des habitants ; celle d'Alost est de plus de 17,000 habitants. Le chiffre des patentes à Alost est à peu près double du chiffre des patentes à Termonde. Quant au nombre d'électeurs qui peut encore servir d'indice pour apprécier l'importance d'une localité, il est encore à peu près double à Alost, et il serait plus considérable sans la différence du cens. Mais le congrès national a tellement senti l'importance de la ville d'Alost qu'il a voulu que le cens à exiger des électeurs fût plus élevé qu'à Termonde.
Je crois donc pouvoir être admis à dire que les produits de la station d'Alost seront doubles de ceux de la station de Termonde. Ils seront même plus que doubles ; et voici pourquoi : c'est que le produit qu'une station donne ne dépend pas seulement de l'importance des populations qu'elle dessert, mais qu'il dépend aussi de la position de cette station vis-à-vis des grands centres de population du pays. Car une station ne donne des voyageurs et des marchandises que pour aller quelque part, et plus les grands centres de population où l'on peut aller et où l'on peut envoyer des marchandises sont rapprochés, plus la station donnera des produits proportionnellement à son importance.
Partant de ce point, voyons la position de la ville d'AIost comparée à celle de la ville de Termonde actuellement.
Quand la nouvelle ligne sera établie, Alost sera plus rapprochée de Bruxelles, qui est le grand centre d'attraction de tout le pays, que Termonde ne l'est aujourd'hui ; et vous allez comprendre par la statistique du chemin de fer quelle différence cette circonstance peut occasionner dans les produits ; elle est très considérable. C'est ainsi que Termonde envoie aujourd'hui plus de voyageurs à Gand qu'à Bruxelles. Si la distance de Termonde à Bruxelles était égale à la distance de Termonde à Gand, l'attraction qu'exerce la capitale étant beaucoup plus considérable que celle qu'exercent les autres villes, il est évident que Termonde enverrait beaucoup plus de voyageurs à Bruxelles qu'elle n'en envoie à Gand.
Je le disais donc, tout porte à croire que proportionnellement à son importance la station d'Alost donnerait des produits plus considérables que la station de Termonde, parce que la position d'Alost serait meilleure que celle de Termonde ne l'est aujourd'hui. C'est un avantage qu'Alost doit à la nature, c'est un bienfait de la Providence.
Eh bien, messieurs, en évaluant à 600,000 fr. les produits de la station d'Alost, je ne tiens pas même compte de ces circonstances favorables. Je suis donc extrêmement modère dans mes calculs. J'ai en outre les stations intermédiaires, telles que Assche, Ternath, Lede et d'autres haltes moins importantes qui pourront être établies.
J'évalue encore ces produits à environ 100,000 fr., pour départs et retours, évaluation excessivement modérée, quand on compare ces stations aux stations de même importance qui existent actuellement. Vous auriez de plus les produits de la station de Denderleeuuw, qui n'a pas une grande (page 1542) importance par elle-même, mais qui sera un affluent important pour tous les autres centres de population situés dans la vallée de la Dendre, qu'elle doit desservir.
Si le chemin de fer de la Dendre s'exécute, la station de Denderleeuw deviendra extrêmement importante, parce qu'elle servira d'affluent à toutes les relations du Hainaut avec la Flandre orientale. Mais je suppose que le chemin de fer de la Dendre ne se fasse pas, afin que toutes mes évaluations reposent sur des données incontestables ; alors encore on peut évaluer les produits de la station de Denderleeuw à 80,000 fr., départs et retours, toujours en prenant pour terme de comparaison des stations de la même importance, celle d'Audeghem, par exemple, qui donne aujourd'hui 80,000 fr. Ainsi, messieurs, vous arrivez à un produit de 780,000 fr., qui est plus que suffisant pour couvrir les frais d'exploitation, et même l'intérêt du capital à dépenser, s'élevant ensemble, comme nous l'avons vu plus haut, seulement à 750,000 fr.
Il vous reste de plus l'accroissement des transports, qui sera tout entier bénéfice. Or, messieurs, cet accroissement sera considérable, et pour s'en convaincre il suffit de songer à l'influence que les distances exerceront sur le mouvement des voyageurs. Il est impossible de contester qu'en abrégeant la distance, vous augmentez le mouvement et par conséquent la recette.
Tout, comme on l'a dit, est réglé par des lois ; il existe donc aussi une loi qui détermine le mouvement des personnes, la circulation sur nos chemins de fer. Et cette loi n'est autre chose que l'attraction qui s'exerce de population à population, et l'obstacle à l'action de cette attraction réside dans les distances. Si vous diminuez l'obstacle, l'attraction s'exerce avec d'autant plus de force. C'est là une vérité palpable que le raisonnement seul indique.
Quant au point de savoir dans quelle proportion la diminution de la distance augmente le mouvement, on ne peut le décider à priori ; mais la solution de cette question doit nous être fournie par l'observation des faits, par l'expérience. Il s'agit donc de consulter la statistique de nos chemins de fer, de voir comment ils ont fonctionné. Les faits que la statistique constate et qu'elle révèle, pourront paraître extraordinaires, mettre toutes les prévisions en déroute. Mais tous les raisonnements du monde, toutes les objections tombent devant les faits.
Ces faits sont relatés en grand nombre, dans le mémoire de M. Desart ; je ne les lirai pas, car les honorables membres qui veulent connaître à fond la question consulteront ce mémoire ; mais ces faits constatent, de la manière la plus incontestable, l'influence immense des distances sur le mouvement des personnes.
C'est ainsi que la ville de Gand n'a envoyé à Bruxelles que 39,000 voyageurs par an, et Malines y a envoyé 72,000 voyageurs. Cependant, tout le monde dira que Gand a une importance quadruple de Malines, sous le rapport de la population, de l'industrie, du commerce, de tous les éléments de locomotion. Or, la ville de Gand n'envoie à Bruxelles que la moitié des voyageurs envoyés par Malines, c'est-à-dire que, proportionnellement à sa population, Gand n'envoie que la 7ème ou 8ème partie.
Quelle est la cause principale de cette énorme disproportion ? Elle réside dans la différence des distances. Je défie qu'on m'indique une seule autre cause rationnelle.
Cette disproportion n’existe pas seulement à l'égard de ces deux localités. Prenez, par exemple, la ville de Louvain. Louvain envoie à Bruxelles le même nombre de voyageurs que Gand, c'est-à-dire seulement la moitié du nombre de voyageurs envoyés par Malines. Encore une fois, où est la raison de cette différence ? C'est que la durée du trajet, pour venir de Louvain à Bruxelles, est d'une demi-heure plus forte que la durée du trajet pour venir de Malines à Bruxelles.
La petite ville de Vilvorde envoie 57,000 voyageurs à Bruxelles, tandis que la capitale des Flandres n'en envoie que 39,000. Encore une fois, Quelle est la raison de ce fait, si ce n'est dans la différence des distances, ainsi que de la durée des trajets ?
Voilà des faits ; il ne s'agit pas même ici de raisonner, il suffit d’ouvrir les yeux et de voir.
Cette influence considérable sur le mouvement des voyageurs se fait sentir sur toutes les lignes. Ainsi, Malines envoie 32,000 voyageurs par an à Anvers, et Gand n'y en envoie que 13,000. Cependant, réfléchissez à l'importance des relations commerciales de Gand, et comparez-les avec l'importance de Malines ; cette comparaison, au point de vue de Malines, frise en quelque sorte le ridicule, et cependant la différence dans le chiffre des voyageurs est très considérable, au profit de Malines. Le nombre des voyageurs que Gand envoie à Anvers n'est pour ainsi dire que le tiers de celui des voyageurs envoyés dans cette dernière ville par Matines.
Encore une fois, la cause de cette disproportion ne réside-t-elle pas dans la différence des distances et dans celle de la durée des voyages ?
Permettez-moi d'attirer votre attention sur d'autres faits plus frappants et qui s'appliquent plus directement aux résultats que doit donner le raccourcissement projeté des distances entre Bruxelles et les Flandres.
Quelle est aujourd'hui la position respective d'Anvers et de Malines relativement à toutes nos lignes de chemin de fer ? La position, excepté cependant les stations situées sur la ligne même de Malines à Anvers, la position d'Anvers, dis-je, est celle-ci : c'est qu'Anvers se trouve en arrière de Malines de 4 lieues et demie ; c'est à dire que Malines est plus rapproché de 4 lieues et demie de toutes les autres stations du pays qu’Anvers ; ou que Malines en est plus rapproché d'une demi-heure ou 35 minutes dans la durée des trajets.
Quels sont les résultats de cette position d'Anvers ? Ces résultats sont extrêmement remarquables ; les voici : c'est qu'Anvers n'a envoyé que 156,000 voyageurs à toutes les stations que je viens d'indiquer, et Malines y a envoyé 147,00 0 voyageurs, c'est-à-dire à peu près le même nombre.
Or, voyons l'importance relative de ces deux villes ; certainement Anvers devrait avoir un mouvement triple de voyageurs, si Anvers avait la même facilité de communication que Malines avec les points que je viens d'indiquer, si le parcours était le même, si la durée du voyage était la même ; il est impossible de contester que, placé dans les mêmes conditions que Malines, Anvers n'envoie un nombre de voyageurs è peu près triple de celui de Malines.
Vous voyez, messieurs, qu'il n'y a rien d'extraordinaire dans ce qu'on a écrit sur l'accroissement du mouvement des voyageurs ; la différence d'une demi-heure à 35 minutes dans la durée du trajet produit cet énorme résultat, de porter le nombre des voyageurs d'un à trois, c'est-à-dire qu'en rapprochant les distances de 4 lieues 1/2, on triple le mouvement des voyageurs. Cela est démontré ici par la logique des faits.
Voici encore un autre exemple. Quelle est la position relative de Courtray et de Tournay, quant à toutes les stations situées en deçà de Courtray vers Gand ? Encore une fois, Tournay se trouve à 6 lieues 1/2 en arrière de Courtray, relativement à toutes les stations ; quelle en est encore une fois la conséquence ? C'est que Courtray a envoyé à toutes les stations 44,441 voyageurs, tandis que Tournay n'y a envoyé que 13,680 voyageurs. Ici encore une fois, vous voyez une différence très considérable. Car le nombre des voyageurs envoyés par Courtray représente plus de trois fois celui des voyageurs envoyé par Tournay ; et cependant on admettra que sous le rapport commercial et sous celui de la population, l'importance de Tournay est plus considérable que celle de Courtray.
Maintenant il est impossible de se refuser à l'évidence, et de prétendre que la loi qui se manifeste d'une manière si évidente, si palpable, relativement aux localités que je viens d'indiquer, sera nulle quand il s'agit des relations des Flandres vers Bruxelles.
Mais ce qui est vrai sur les autres lignes sera vrai ici. Quand vous rapprocherez Gand de la capitale d'une demi-heure à 35 minutes, quant à la durée des voyages, dans la même proportion, vous arriverez à un mouvement à peu près triple du mouvement vous augmenterez le nombre des voyageurs actuel. C'est la déduction logique des faits qui se produisent sur nos chemins de fer. Si le mouvement devient triple, nous arrivons nécessairement à cette augmentation de recettes qui s'élève à un demi-million. Ce sera un bénéfice net, car indépendamment de cet accroissement, j'ai déjà établi la compensation entre les recettes nouvelles et les dépenses. Ainsi donc les craintes qu'on pourrait avoir sur les revenus sont tout à fait chimériques. C'est là une considération d'intérêt général qu'on invoque pour abriter de toutes petites considérations qu'on n'ose pas mettre en avant.
En effet, en n'évaluant même les recettes à provenir de l'accroissement de mouvements qu'à 300,000 fr., j'ai déjà des revenus tout à fait nouveaux, s'élevant à plus d'un million. L'Etat conservant d'ailleurs toutes ses recettes actuelles, avec cette seule différence qu'au lieu d'être perçus pour le parcours sur la ligne par Termonde, elles le seront pour le parcours sur la ligne passant par Alost. Or il ne me faut que 300,000 fr. pour couvrir les nouveaux frais d'exploitation, il me reste encore 700,000 fr. pour couvrir l'intérêt de mon capital, qui est de huit millions. J'aurai donc un intérêt de 8 à 9 p. c.
Raisonnons maintenant le cas d'une concession ; d'abord il ne peut être question d'une concession pure et simple, mais d'une concession au moyen d'un partage de revenus et en réservant à l'Etat la libre exploitation de la nouvelle ligne ; cela serait-il nécessairement onéreux à l'Etat ? Mais cela dépendrait absolument des conditions à stipuler. Quant au partage des revenus, les produits probables étant fixés, on pourrait établir la part de la compagnie de telle façon qu'elle aurait un intérêt de 5 ou 6 p. c..
Et comme on trouverait dans les recettes effectives nouvelles un intérêt de 8 à 9 p. c. après déduction de tous nouveaux frais d'exploitation, l'Etat après avoir acquitté la part revenant à la compagnie aurait encore un bénéfice net représentant 2 à 3 p. c. d'un capital qu'il n'aurait pas dépensé ; cela me paraît évident.
On me dira : Vous faites intervenir les compagnies, vous aurez des conditions onéreuses, elles voudront avoir un intérêt plus considérable que si elles prêtaient directement les fonds. En prêtant les fonds elles se contenteraient de 5 ou 5 1/2 ; en se chargeant de la construction, elles voudront avoir au moins 6 p. c. Mais je ferai remarquer que dans ce dernier cas elles sont associées à toutes les chances de l'entreprise. Si par suite d'événements quelconques, d'une guerre ou de bruits de guerre, ou de tout autre événement politique, les recettes venaient à diminuer, les compagnies en supporteraient les conséquences, tandis que si un emprunt était contracté par l'Etat, il supporterait seul ces chances, car il ne pourrait pas se dispenser de payer les intérêts de son emprunt, les prêteurs ne se contenteraient pas de la raison que la recette a diminué, la compagnie concessionnaire devrait s'en contenter.
J'ai entendu soutenir quelquefois dans cette enceinte et aussi ailleurs, qu'il y aurait des inconvénients à faire de nouveaux emprunts ; je ne partage pas entièrement cet avis ; tout dépend pour moi de la question de savoir si les emprunts sont destinés à des dépenses improductives, ou bien à des dépenses directement productives pour le trésor public, ou tout au moins utiles pour vivifier les sources des richesses publiques. Mais s'il y avait un inconvénient quelconque à grossir encore le chiffre de notre dette, nous l'évitons encore par l'intervention d'une compagnie.
(page 1543) Sous le rapport des intérêts, j'ai démontré qu'en négociant il serait possible d'obtenir des conditions qui ne seraient guère plus onéreuses que pour un emprunt direct ; je ferai remarquer d'ailleurs qu'on croit assez généralement dans le pays que les travaux exécutés directement par l'Etat coûtent ordinairement plus cher que les travaux faits par des particuliers ; donc lors même que l'intérêt accordé à la compagnie serait d'un tantième un peu plus élevé que celui stipulé en faveur d'un prêteur direct, par cela même qu'il s'appliquerait à un capital moindre, le sacrifice, en définitive, ne serait pas plus fort pour les finances de l'Etat.
Je me résume : soit construction par l'Etat, soit construction avec l'intervention de compagnie, avec des conditions raisonnables, vous n'avez rien à craindre pour le trésor. Les craintes qu'on exprime sont chimériques.
Maintenant que nous avons établi la justice de notre demande, quand elle devrait entraîner un préjudice pour le trésor, ce ne serait pas une raison pour la repousser. Quand il s'agit de justice, on n'examine pas si c'est onéreux, si c'est préjudiciable au trésor.
La question, quoique intéressant particulièrement une localité, revêt sous ce rapport un caractère d'intérêt général. Quand une injustice frappe un seul citoyen belge, elle a un caractère national ; peut-elle perdre ce caractère quand il s'agit de 130 mille habitants atteints dans le développement de leur commerce et de leur industrie ?
Vous pouvez d'ailleurs nous rendre justice sans porter préjudice à nos finances. Je crois l'avoir prouvée la dernière évidence. Il n'existe donc aucune raison, aucune excuse quelconque pour différer l'exécution du projet que nous réclamons avec de si vives si légitimes instances.
Mais est-ce l'arrondissement d'Alost seul qui réclame l'exécution de cet utile projet ? Les pétitions déposées sur le bureau prouvent évidemment le contraire. Les deux grandes villes du pays, Bruxelles et Gand, sont venues prêter aide et concours aux efforts de l'arrondissement d'Alost jusqu'ici impuissants. Ce qu'Alost réclame, le commerce, les industries, toutes les notabilités de Bruxelles et de Gand le réclament avec non moins de force. C'est qu'à côté d'une question de justice des intérêts immenses sont ici engagés, c'est que ce projet porte un caractère incontestable delà plus haute utilité.
Comment ce projet a-t-il été accueilli dans cette enceinte ? S'il avait rencontré une espèce de répulsion, je concevrais l'hésitation du gouvernement. Mais non, vous venez d'entendre il y a peu de jours, le 15 de ce mois, un rapport de la section centrale fait par M. Lesoinne sur les pétitions qui vous ont été envoyées par Gand. Eh bien ! dans ce rapport la section centrale est unanime pour reconnaître l’importance de la nouvelle ligne, pour reconnaître la justice qu’il y a à donner une compensation à la ville et à l’arrondissement d’Alost, et elle émet le vœu formel que l'exécution de ce projet ment pour donner du pain aux malheureux.
L'année dernière, messieurs, une pétition couverte de nombreuses signatures vous a été envoyée par l'arrondissement d'Alost. Un rapport sur cette pétition vous a été présenté par l'honorable M. Zoude, et cet honorable membre a regretté l'abandon dans lequel se trouvait l'arrondissement d'Alost. Sa voix, messieurs, avait aussi de l'autorité. Cet honorable membre connaît les localités ; il compte de nombreux amis tant à Termonde qu'à Alost. Il se trouvait dans une position d'impartialité parfaite. Eh bien, dominé par un sentiment de justice, il vous a dit qu'il était temps de réparer le tort immense que l'on avait fait à l'arrondissement d'Alost.
Dans toutes les occasions où il a été question du projet, plusieurs de nos honorables collègues de Gand n'ont cessé de prêter l'appui de leur voix éloquente aux réclamations si justes de l'arrondissement d'Alost. Il y a plus d'un an que l'honorable M. Verhaegen vous disait que la question d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Gand n'en était plus une ; qu'elle était jugée dans le pays ; que l'utilité de l'exécution de ce projet était incontestable. Il a ajouté, en même temps, qu'il comprenait les réclamations d'Alost, quelque chaleur qu'on mît à les défendre ; parce qu'en effet il y a un intérêt de justice en jeu, et qu'alors on peut parler haut, on peut parler le front levé.
Il y a quelques jours, encore, cet honorable membre a appuyé fortement la pétition des habitants de Bruxelles, qui réclament l'exécution du chemin de fer direct de Bruxelles à Gand.
L'indécision du gouvernement est donc vraiment inconcevable. Les hommes les plus compétents en cette matière ont exprimé leur opinion. L'honorable M. d'Hoffschmidt, lorsqu'il défendait le projet de chemin de fer du Luxembourg, vous disait avec raison, avec une logique irrésistible, que les chemins de fer dont la Belgique est dotée seraient une véritable calamité publique, s'ils devaient être un obstacle à la construction d'autres voies de communication ; que ce serait une entrave pour l'industrie et le commerce, que ce qui devait être un immense bienfait n'aurait servi qu'à inaugurer en Belgique le régime du privilège, le régime de la partialité et de l'injustice. L'honorable M. d'Huart dont la voix a, à juste titre, tant d'influence dans cette enceinte, a aussi été frappé de l'injustice qui pèse sur nous.
Quand il s'est agi du chemin de fer du Luxembourg, cet honorable ministre d'Etat vous a dit qu'il appelait de ses vœux l'occasion de tirer l'arrondissement d'Alost de l'abandon dans lequel il se trouvait. Voilà le langage qui a été tenu par un membre du cabinet. J'ajouterai encore qu'en dehors de nos débats, presque tous les membres de cette chambre ont exprimé pour notre cause les plus vives sympathies, de manière que nous sommes à peu près tous d'accord ; quelques exceptions pourront avoir lieu, mais elles ne feront que confirmer la règle.
Ainsi Malines votera contre le chemin de fer direct de Bruxelles à Gand ; j'en suis certain et je vais dire ce qui me donne cette certitude. Les honorables représentants de Malines ont voté contre le chemin de fer de Jurbise ; ils ont voté contre le chemin de fer du Luxembourg. Lorsque j'ai vu cela, je me suis dit que Malines voterait contre tout, attendu que Malines n'a plus besoin de rien.
Termonde fera aussi de l'opposition ; mais cette opposition tient à une autre cause ; je vais en dire un mot.
Termonde, messieurs, est notre plus proche voisine et réciproquement Alost est la plus proche voisine de Termonde. Au fond, messieurs, il est positif que ces deux localités s'aiment beaucoup. Je sais bien qu'on a soutenu le contraire ; mais je prétends que ceux qui disent cela sont au moins des médisants. En voulez-vous une preuve ? Mais c'est que les liens qui unissent ces deux villes se resserrent tous les jours par de nouveaux mariages. Je ne puis vous donner une preuve plus convaincante d'un amour réel, sérieux et en même temps très moral. (Interruption.)
Messieurs, cela ne veut pas dire qu'il ne s'élève pas de temps à autre entre les deux localités quelques petites dissensions.
Eh ! mon Dieu, cela arrive quelquefois dans les meilleurs ménages du monde. Malheur à l'agent de l'autorité qui intervient dans ces sortes de querelles domestiques ! Je pense que la chambre agira aussi sagement en n'intervenant pas dans la querelle de Termonde et Alost et en jugeant la question au point de vue de l'intérêt et de la justice absolument comme si l'opposition de Termonde n'existait pas. C'est réellement une petite querelle domestique, et en intervenant dans ces sortes de débats, l'autorité publique surtout se trouve exposée souvent aux plus grands embarras.
Je disais que je ne comprenais pas l'indécision du gouvernement ; et en effet, messieurs, le gouvernement doit avoir son opinion complètement formée depuis longtemps. L'année dernière, il y a même plus d'un an, M. le ministre des travaux publics qui doit avoir étudié et approfondi la question, puisque ses attributions lui imposent ce devoir, vous disait déjà que la question avait si bien été étudiée qu'on pouvait la considérer comme à peu près résolue. Une année s'est écoulée ; si la question était alors à peu près résolue, comment ne le serait-elle pas aujourd'hui ? Supposer qu'elle ne le soit pas, c'est faire injure aux lumières et à l'activité de M. le ministre des travaux publics, et cette injure, certainement, je ne la lui ferai pas.
Evidemment M. le ministre des travaux publics a son opinion faite. Il est impossible qu'il ne l'ait pas.
Je le répète, supposer le contraire, ce serait lui faire un reproche d'ignorance en quelque sorte, un reproche d'apathie. Or, je ne veux lui faire ni l'un ni l'autre de ces reproches.
Je le regarde comme un homme de talent, comme un homme actif ; je suis persuadé qu'il s'est occupé de la question et qu'il doit avoir en quelque sorte sa solution en poche. (Interruption.)
M. Manilius. - Ou dans son portefeuille.
M. de Naeyer. - Oui, dans son portefeuille ; je me suis trompé d'expression.
Je pourrais d'ailleurs rappeler d'autres circonstances qui me donnent l'intime conviction que M. le ministre a son opinion faite, qu'il considère la construction de cette ligne comme indispensable, comme inévitable ; que, quant aux objections qui sont faites au projet, il les considère comme futiles, qu'il croit qu'il n'en est aucune qui soit de nature à arrêter la marche du gouvernement.
Je pense donc, messieurs, que le gouvernement va saisir cette occasion pour nous rendre justice enfin, après tant de retards, et nous présenter définitivement un projet de loi ayant pour objet de décréter la construction du chemin de fer direct de Bruxelles à Gand par Alost, et dans cet espoir je bornerai là mes observations.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, le projet d'un chemin de fer direct de Bruxelles sur Gand par Alost me paraît un projet incontestablement utile en lui-même. L'honorable membre qui vient de se rasseoir vous a exposé, à son point de vue, les raisons nombreuses qui militent en faveur de l'exécution de ce projet.
A mes yeux, messieurs, il y a une utilité réelle à réduire de quatre lieues la distance qui sépare la capitale de Gand et des principales villes des Flandres. Cette influence des distances, je n'essayerai pas de la traduire en formule. Je crois cependant que ceux qui se sont livrés à l'observation des faits, qui se sont livrés à l'étude des questions de ce genre, sont aujourd'hui convaincus que, dans notre pays surtout, on se meut principalement dans un certain cercle dont le domicile de chacun est le centre ; que dans notre Belgique, en un mot, le mouvement est un mouvement à courte distance. Raccourcissez les distances, vous augmenterez le mouvement.
Ce projet, messieurs, aurait encore une utilité très grande, en ce qu'il rattacherait au système de nos chemins de fer des populations qui en sont aujourd'hui séparées. Le chemin de fer à construire traverserait la ville et l'arrondissement d'Alost ; il aurait pour affluent la vallée de la Dendre. Le chemin de fer de Bruxelles sur Gand se faisant, selon toute apparence, la compagnie de la Dendre se trouverait remise à flot et elle exécuterait les clauses de la concession. C'est là un second avantage.
Enfin, messieurs, ce projet aurait pour résultat, et ce résultat a, à mes yeux, un prix réel, de rendre à la ville et à l'arrondissement d'Alost la position qu'ils occupaient entre Bruxelles et Gand, avant l'établissement des chemins de fer décrétés par la loi du 1er mai 1834.
(page 1544) Mais, messieurs, si j'ai indiqué franchement les avantages attachés dans mon opinion à l'exécution de ce chemin de fer, je dois aussi en signaler quelques inconvénients. Cette construction, messieurs, n'est pas, on ne peut se le dissimuler, sans inconvénient.
Le projet, au point de vue du chemin de fer de l'Etat, a, comme premier inconvénient, de tendre à diviser un mouvement aujourd'hui concentré sur une ligne. A ce point de vue, messieurs, cette nouvelle branche tend à compliquer l'exploitation, à rendre l'exploitation plus difficile.
Cette nouvelle branche, messieurs, aurait aussi pour résultat d'ôter à la ligne actuelle de l'Ouest une partie de son importance ; c'est là, messieurs, un mal. C'est faire, jusqu'à un certain point, ce qui a été fait en 1834.
Enfin, messieurs, ce projet a pour inconvénient de modifier des dispositions que l'on pourrait, jusqu'à un certain point, considérer comme acquises. Malines et Termonde se trouvent sur la grande ligne de la capitale vers les Flandres ; après l'exécution du chemin de fer par Alost, elles se trouveront non pas sur une ligne secondaire, mais sur une ligne moins importante.
Il est donc impossible, messieurs, que la décision qui sera prise, quelle qu'elle soit, ait un assentiment unanime ; cette décision, quelle qu'elle soit, traînera quelques regrets à sa suite.
Peut-être, messieurs, croira-t-on devoir reprocher au gouvernement d'avoir, en quelque sorte, amené cette position difficile, d'avoir, en quelque sorte, mis à l'ordre du jour, par les mémoires de ses agents, une question irritante, une question qui devait créer une espèce de lutte, une espèce d'antagonisme entre plusieurs localités.
Je pense, messieurs, que ce reproche ne serait pas fondé. Cette question, comme beaucoup d'autres, s'est produite d'elle-même, s'est produite en quelque sorte, par sa propre force. La question du chemin de fer de Bruxelles sur Gand, était née bien avant les mémoires de M. l'ingénieur en chef Desart. Une demande en concession avait été faite dès 1837 ; beaucoup d'autres demandes analogues avaient été produites depuis. Dans cette situation, messieurs, et vu les intérêts qui se trouvaient en présence ; vu la persistance que devaient mettre à demander l'exécution de la ligne les localités qui se considéraient comme sacrifiées, il était impossible que le gouvernement n'ordonnât pas l'étude et l'examen approfondi de la question.
L'enquête sur ce projet, messieurs, a eu un résultat auquel on ne s'était certes pas attendu. Il peut paraître étonnant qu'une commission d'enquête dans laquelle les deux Flandres, le Brabant et la province d'Anvers, étaient représentés par portions égales, n'ait pas résolu, à une imposante majorité, la question du chemin de fer direct de Bruxelles sur Gand. Cette commission, messieurs, s'est partagée ; si elle n'avait pas été simplement consultative, si elle avait eu le pouvoir de décider, le vote émis par ses membres emportait le rejet. Ce partage de voix, messieurs, je me hâte de le dire, n'est pas une décision ; il laisse au gouvernement et aux chambres la faculté de statuer ainsi qu'ils le jugeront convenable ; mais il établit un préjugé que les arguments que l'on peut opposer au projet font, jusqu'à un certain point, contrepoids aux arguments que l'on peut invoquer en faveur du projet.
La difficulté, messieurs, est ici dans les choses mêmes, et il n'est donné à personne de la faire disparaître. Il n'est donné à personne d'empêcher que la ligne de chemin de fer qui relie aujourd'hui la capitale aux Flandres, ne fasse un détour de 4 lieues ; que la possibilité d'un tracé direct ne soit évidente et qu'Alost ne se trouve dans la direction nouvelle de ce tracé, On ne peut empêcher non plus, messieurs, une les populations qui y sont le plus intéressés, ne considèrent une rectification comme possible et ne la considèrent comme une mesure réparative. On n'empêchera pas, enfin, messieurs, que cette rectification n'ait pour conséquence inévitable d'amoindrir la ligue actuelle de l'Ouest, ainsi que je l'ai dit, il n'y a qu'un instant, et de causer quelque inquiétude aux populations qui se trouvent à proximité de celle ligne.
Je puis dire, messieurs, que longtemps avant l'enquête ces difficultés m'avaient apparu ; toutefois, je penchais en faveur de l'exécution du projet ; le résultat de l'enquête n'a pas modifié mon opinion à cet égard.
Indépendamment des considérations qui se puisent dans l'utilité même du projet, il m'a semblé que la position de l'arrondissement d'Alost méritait une attention particulière. Il m'a semblé qu'il y avait une espèce d'équité nationale à rendre à cet arrondissement les avantages de position qui lui ont été enlevés par l'établissement des chemins de fer en Belgique ; que le préjudice qui pourrait résulter de l'exécution du projet, pour Malines et Termonde, ne serait pas assez considérable pour être mis en balance avec les avantages que cette exécution assurerait à Alost, ces localités devant d'ailleurs continuer à être convenablement desservies pour les besoins de leur circulation.
La deuxième question, messieurs, que l'honorable M. de Naeyer a traitée déjà d'une manière fort étendue, est celle du mode d'exécution. Je crois avoir eu l'occasion déjà de déclarer devant la chambre, que je considère le chemin de fer de Bruxelles à Gand comme peu susceptible d'être exécuté par voie de concession ; que, dans mon opinion, on ne pouvait pas songer à intercaler l'exploitation d'une compagnie au cœur mime de l'exploitation de l'Etat, entre les deux plus grandes villes du pays. Il fallait dès lors, messieurs, soit l'exécution par l'Etat, soit un mode de concession qui laissât l'exploitation aux mains de l'Etat.
Dans les derniers temps, messieurs, plusieurs propositions ont encore été faites au gouvernement, pour l'exécution de cette ligne. On a proposé notamment les bases du contrat adopté par la législature, pour la ligne de Jurbise. Cette extension du système adopté pour la concession de Jurbise m'a paru peu susceptible d'être admise pour la ligne de Bruxelles à Gand.
Ce mode de contrat, messieurs, ne laisserait pas au gouvernement une liberté d'action absolue en matière de tarifs.
Voici ce que porte, quant aux tarifs, le contrat de Jurbise, article 5, annexe 1 de la loi de concession.
« Art. 5. Le tarif des péages à percevoir pendant la durée de la concession, sera établi d'après les bases du tarif actuellement en vigueur sur les chemins de fer de l'Etat, sans préjudice aux modifications qui pourront y être apportées de commun accord. »
Que résulte-t-il de cette stipulation ? C'est que le tarif en vigueur à l'époque de la concession du chemin de Jurbise, devient un tarif permanent, à moins que le concessionnaire ne consente à ce que ce tarif soit modifié.
Il est très vrai que c'était un très grand avantage de traiter à des conditions qui assurassent le tarif de l'Etat de l'époque de la concession ; mais évidemment il y a un avantage beaucoup plus grand à conserver une liberté absolue en matière de tarifs de chemin de fer.
L'article 5 portait encore :
« Les modérations et exemptions de taxe actuellement établies sur les chemins de fer de l'Etat en faveur du service de la poste aux lettres et des transports de militaires, de mendiants arrêtés, de détenus, de douaniers et de fonctionnaires et employés des chemins de fer de l'Etat, seront appliquées aux lignes concédées de Tournay à Jurbise et de Landen à Hasselt. »
Ici, encore une fois, on maintient vis-à-vis des concessionnaires les exemptions en vigueur à l'époque de la concession, mais on se trouve engagé, quant aux exemptions qu'on pourrait ultérieurement juger utile de décréter. C'est ainsi que les circonstances ont fait, il n'y a pas fort longtemps, au gouvernement une loi d'admettre le transport gratuit des grains importés et déclarés en consommation ; cette mesure, le gouvernement a cru devoir la prendre dans l'intérêt de l'alimentation même du pays, et je pense qu'il y a un intérêt réel, positif à ce que, dans des circonstances analogues, le gouvernement conserve le pouvoir d'accorder ultérieurement les modérations de ce genre.
Je n'entends pas dire qu'on ait eu tort d'admettre les conditions de la concession du chemin de Jurbise ; mais je pense que la position de cette ligne n'est pas comparable à celle de la ligne de Bruxelles vers Gand, et qu'un système de contrat, trouvé bon pour la ligne de Jurbise, peut être regardé comme insuffisant pour la ligne de Bruxelles sur Gand.
Ce système de contrat exige une comptabilité et des décomptes assez compliqués. Ici, ce que je redoute, c'est moins la comptabilité et la complication des écritures, que les contestations auxquelles tous décomptes, quelque peu compliqués, peuvent donner naissance.
Enfin, je pense que le système de la concession de Jurbise ne pourrait pas être appliqué à la ligne de Bruxelles sur Gand : ce serait une combinaison évidemment désavantageuse à l’Etat.
Une autre combinaison fut mise en avant ; elle consistait à attribuer au concessionnaire, comme rémunération de ses avances et de son travail, une redevance réglée annuellement d'après la moyenne de la lieue exploitée par l'Etat.
D'après ce système, on appliquerait à chaque lieue construite par le concessionnaire, la moitié ou toute autre quotité à déterminer, du produit de la lieue exploitée par l'Etat.
Pour citer un exemple, je dirai que la lieue moyenne a rapporté, en 1846, 122,000 fr. En supposant, pour un instant, que la moitié du produit de la lieue moyenne de l'Etat soit abandonnée au concessionnaire, il y aurait, messieurs, si un pareil contrat avait été en vigueur en 1846, à accorder pour cette année au concessionnaire, pour chaque lieue établie par lui, une somme de 61,000 fr. ; en y comprenant le raccordement des diverses stations de Bruxelles, la longueur, construite par le concessionnaire, aurait été de 9 lieues ; il y aurait donc eu à lui accorder en tout neuf fois 61,000 fr., soit 849,000 fr.
Dans ce système, l'Etat conserve la liberté d'exploitation la plus entière ; il reste maître des tarifs ; il est affranchi de l'obligation des décomptes, la recette brute du railway national déterminant l'annuité à accorder au concessionnaire.
J'avoue que ce système n'avait séduit par sa simplicité et par son absence de défaut au point de vue de l'exploitation de l'Etat. J'avouerai encore que, mû par les considérations qui militent en faveur du projet, par la position exceptionnellement défavorable que la loi du 1er mai 1834 a faite à l'arrondissement d'Alost, et par le désir d'assurer du travail aux classes pauvres dans les circonstances actuelles, j'avais pris, à une époque récente, la résolution de soumettre au conseil des ministres et aux chambres un projet de loi tendant à autoriser le gouvernement à faire application de ce système d'entreprise à la ligne de Bruxelles vers Gand ; je dis ce système d'entreprise, car c'est plutôt un système d'entreprise qu'un système de concession.
Cette intention a pu se trouver indiquée dans des conversations que j'ai eues avec quelques membres de cette chambre, avec les députés d'Alost, et notamment avec l'honorable M. de Naeyer qui, je puis le dire, s'est occupé de cette question avec une persévérance soutenue, et un amour sincère des intérêts de la localité de laquelle il tient sou mandat.
Ce que j'ai pu dire à cet égard, je n'entends ni le nier, ni le rétracter, ni en réduire la portée.
(page 1545) Mais, messieurs, de nouvelles réflexions ont élevé dans mon esprit, contre le système de contrat dont je viens de faire l'exposé à la chambre, plusieurs objections que je regarde comme un devoir de lui faire connaître.
Un contrat, messieurs, reposant sur les conditions que j'ai indiquées, est un contrat d'emprunt, bien plus qu'un contrat de concession.
Messieurs, faire un pareil contrat, ce serait en réalité faire un emprunt, en affectant aux intérêts et à l'amortissement une portion des recettes du chemin de fer. La somme à payer annuellement aux concessionnaires serait une charge du trésor, qui n'apparaîtrait pas au moment même de la signature du contrat, mais qui apparaîtrait, de la manière la plus positive, le jour où la ligne serait livrée à l'exploitation.
Cette charge, messieurs, serait aussi réelle, aussi positive, que celle qui résulte de l'intérêt de l'amortissement d'un emprunt contracté par l’Etat. Je crois devoir ajouter qu'une opération de ce genre serait de plus une opération désavantageuse au trésor public. D'abord, l'annuité à payer au constructeur devrait être payée pendant la durée ordinaire des concessions, c'est-à-dire pendant 90 ans, à moins qu'on ne veuille établir le rabais sur la durée ; mais, dans ce cas, on n'aurait pas de chance de rabais sur la quotité du partage. Il s'agirait donc bien d'une annuité pendant 90 ans, c'est-à-dire pendant un temps qui excède de beaucoup celui endéans lequel les emprunts contractes par l'Etat doivent se trouver amortis.
Mais, messieurs, l'objection la plus forte que je me suis faite, est celle-ci : L'annuité, en la supposant même très modérée dans les premières années, s'élèverait très haut à une époque future quelconque, par suite du développement toujours croissant des transports par les chemins de fer, développement dont nous n'avons pas le dernier mot.
L'honorable M. de Naeyer a prévu le cas où, par suite de circonstances aujourd'hui parfaitement imprévues, les recettes du chemin de fer pourraient se trouver en décroissance. Je crois que cette hypothèse est improbable, que la probabilité est un constant accroissement, cet accroissement est dans la force des choses.
Un contrat semblable, après quelques années, serait considère par tout le monde comme désavantageux pour le trésor de l'Etat. Pour s'en convaincre, il peut être utile de mettre en regard le produit de la lieue de chemin de fer exploité par l'Etat, pendant quelques années. En 1844, la lieue moyenne donnait 100 mille fr. ; en 1845 elle a donné 110 mille francs ; en 1846, 122 mille ; en 1847 nous viendrons probablement à 140 mille et en 1848 à 147 et peut-être à 150 mille francs. Il résulte de la comparaison de ces chiffres, qu'en cinq ans le produit de la lieue moyenne se sera accru d'environ 50 p. c. Par suite, un emprunt par annuité, du genre de celui dont il est question, qui n'aurait imposé au trésor qu'un intérêt de 5 p. c. en 1844, représenterait une charge annuelle de 7 à 8 p. c. en 1848.
On me dira peut-être que le concessionnaire tiendra compte de la progression probable du mouvement sur les chemins de fer de l'Etat, et que cette progression probable le déterminera à faire actuellement un rabais sur la quotité qui serait fixée comme maximum de ce qui pourrait lui être attribué. Cette observation peut avoir une certaine vérité en termes généraux. Mais je crois qu'elle est à peu près sans valeur dans les circonstances actuelles. Personne n'ignore que, bien à tort sans doute, les concessions de chemins de fer belges sont tombées dans un très grand discrédit momentané. Cela est vrai à tel point que le chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse, par exemple, dont l'avenir doit paraître assuré à tous ceux qui ont étudié la question, qui connaissent les localités et qui se font une idée exacte de l'avenir de notre métallurgie, est coté en perte de beaucoup. Les actions qui sont de 20 livres et sur lesquelles on en a versé 12, peuvent s'acheter pour 6 livres.
Ce qui résulte de là, c'est que le capitaliste qui sera disposé à faire un placement en actions de chemins de fer belges prendra de préférence des actions d’Entre-Sambre-et-Meuse ou de toute autre opération ayant de bonnes chances à 50 p. c. au-dessous de la somme versée. Ce sont là de fort belles conditions pour l'entrée dans une opération. Ce n'est pas quand les chemins de fer belges sont sous le poids d'une semblable dépréciation qu'on peut supposer qu'un concessionnaire ait le pouvoir de faire la part d'une progression ultérieure. Le concessionnaire ne pourra se déterminer que par des faits positifs, par des faits acquis. La recette au moment de la signature du contrat sera, par la force des choses, à peu près sa seule chose ; l'accroissement ultérieur sera regardé comme une éventualité, et pas autre chose.
Cet accroissement n'influerait guère, je pense, dans les circonstances actuelles, sur les conditions du contrat. Le concessionnaire, en supposant le contrat signé, devrait, tout comme l'Etat, lorsqu'il négocie un emprunt, faire un appel aux capitaux.
Ce concessionnaire, messieurs, serait de l'aveu de tout le monde moins bien posé que l'Etat pour faire cet appel. Ce désavantage de position devrait être compensé.
Tout cela tend à grever l'opération et à empêcher le concessionnaire de se contrôler de conditions, autres que celles qui entraîneraient un certain préjudice, un certain dommage pour l'Etat.
L'honorable M. de Naeyer a fait entendre que l'on pourrait stipuler le maximum de la quotité à accorder aux concessionnaires du chef de l'établissement de la ligne.
Il a indiqué une autre combinaison encore, celle dans laquelle on stipulerait une clause de rachat.
Messieurs, fixer un maximum au-delà duquel l'annuité ne pourra pas s'élever, ce serait en pareil cas prendre évidemment une précaution utile.
Mais toujours est-il que l'on ne trouvera pas de concessionnaire, si ce maximum ne s'élève pas au-dessus du taux auquel l'Etat pourrait lui-même emprunter.
Quant à la clause de rachat, elle serait un obstacle absolu à la conclusion du contrat, si à côté de ce rachat vous ne mettiez pas une prime ou une indemnité. La clause de rachat ne se conçoit pas sans prime. Il faudrait donc, dans les cas prévus par l’honorable M. de Naeyer, fixer un maximum plus élevé que le taux auquel l'Etat emprunterait et de plus allouer une prime en cas de rachat.
Messieurs, plus on approfondit cette matière, plus on reconnaît que la concession, même aux conditions les plus favorables, laissant d'ailleurs à l'Etat le pouvoir absolu d'exploiter, ne serait jamais qu'un partage des bénéfices entre l'Etat et les concessionnaires. Il me semble, messieurs, qu'une ligne directe de Bruxelles sur Gand ne peut manquer d'être productive et qu'il importe que l'Etat se réserve tous les bénéfices de l'opération, afin d'avoir une compensation pour la perte qu'il essuiera sur la ligne actuelle de l’Ouest. Cette perte, messieurs, est évidente ; l'honorable M. de Naeyer l'a évaluée de 6 à 700,000 fr.
M. de Naeyer. - Ce n'est pas une perte.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - L'honorable membre nous dit que ce n'est pas une perte. J'admets qu'à côté de cette perte il y aurait des produits nouveaux et que la compensation pourrait s'établir. Mais ce qui est positif, c'est que l'établissement d'un deuxième chemin de fer sur Gand réduira, et réduira dans une proportion assez forte, les produits du chemin de fer actuellement existant.
Toute réflexion faite, messieurs, l'exécution directe au compte de l'Etat, me paraît, dans le cas présent, bien préférable à un contrat de concession, quelles qu'en soient les bases et préférable à tel point qu'il est presque impossible de songer à une concession.
Les membres qui appuient le projet, l'honorable M. de Naeyer tout le premier, ne peuvent me savoir mauvais gré de ce que je liens compte d'objections qui sont réelles. Faire une proposition contre laquelle pourraient s'élever des objections sérieuses, ce serait mal servir les intérêts dont on se préoccupe, ce serait faire une proposition qui aurait peu de chances d'être adoptée, dont le rejet devrait être regardé comme probable.
D'honorables membres me diront peut-être qu'ils me considèrent comme personnellement engagé pour un projet de concession et que je ne puis me dégager en insistant aujourd'hui sur la préférence à donner à l'exécution par l'Etat. Le résultat final des vœux de ces honorables membres, messieurs, ce n'est pas la concession, c'est l'exécution. La concession n'est qu'un moyen d'exécution ; c'est même un moyen moins certain que l'intervention directe de l'Etat.
Je me considère donc, messieurs, comme étant personnellement engagé pour l'exécution. Cet engagement, je le maintiens.
Voici donc, messieurs, les conclusions auxquelles j'arrive pour le moment : c'est que le chemin de fer direct de Bruxelles sur Gand par Alost doit se faire, et qu'il doit se faire, non pas par concession, mais par l'Etat.
M. Dedecker. - Messieurs, j'ai été douloureusement affecté d'entendre l'honorable ministre nous annonce qu'il vient de prendre une décision dans l'importante question qui nous occupe, et cela sans attendre le résultat des mesures qu'il avait lui même prises pour s'éclairer et éclairer la législature.
L'une de ces mesures est la nomination d'une commission composée d'hommes spéciaux, pour examiner les théories de M. l'ingénieur Desart, théories dont l'application doit servir de base à la construction de la nouvelle voie. Je désirerais savoir de M. le ministre des travaux publics si cette commission lui a envoyé un rapport sur ses opérations ; et pour le cas où ce rapport aurait été communiqué à M. le ministre, je demande formellement qu'il soit livré le plus tôt possible à l'impression.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, la commission à laquelle l'honorable M. Dedecker vient de faire allusion, n'a pas encore fait son rapport. Je crois toutefois devoir déclarer que ce rapport n'est pas indispensable dans la cnconstante présente, attendu qu'il traitera, non pas spécialement du chemin de fer direct de Bruxelles à Gand, mais des formules posées par M. Desart quant à l'influence du temps et de la dépense sur le mouvement des voyageurs en général. La commission est chargée d'éclaircir une question en quelque sorte théorique, et dont la solution pourra être très utile pour le règlement définitif des tarifs du chemin de fer. Mais je pense qu'il est permis d'avoir une opinion sur le chemin de fer direct de Bruxelles sur Gand avant d'avoir sous les yeux le travail de cette commission.
M. Osy. - Messieurs, afin de simplifier la discussion, je me réserve de prendre plus tard la parole sur 1’exploitation du chemin de fer ; je me bornerai pour le moment à examiner la question soulevée par l'honorable M. de Naeyer.
Comme député de la province d'Anvers, nous n'avons aucun intérêt dans la question. Car évidemment pour les convois qui devront partir d'Ostende et de Gand pour l'Allemagne, on sera obligé de conserver la ligne de Termonde à Malines. Je suis donc tout à fait désintéressé pour ma localité dans la question.
Mais je ne le suis pas comme représentant du pays ; je dois prendre à cœur sa situation financière et c'est principalement de ce point que je vais m'occuper.
Je reconnais avec l'honorable M. de Naeyer qu'il est fâcheux pour (page 1546) l'arrondissement d'Alost que le chemin de fer ne passe pas par cette localité.
Mais, messieurs, en 1834 cette question a été examinée et débattue. On a décidé que le centre des chemins de fer serait Malines. Il est possible qu'on ait commis une faute, mais la chose est faite et nous ne pouvons, pour quelques localités, bouleverser tout notre railway.
Si, messieurs, on adoptait ce système de raccourcissement, ce système de passer par les localités frustrées de chemin de fer, je serai le premier à appeler votre attention sur une localité aussi intéressante que l'arrondissement d'Alost, sur la construction d'un chemin de fer qui donnerait à votre commerce un très grand développement. Je veux parler d'un chemin de fer direct d'Anvers à Aix-la-Chapelle par Visé. Avec ce chemin de fer nous ne serions pas obligés au détour de Liège par Verviers.
Mais je me garderai bien de vous le proposer, car ce serait renverser le système que vous avez adopté en 1834.
J'espère, messieurs, que tôt ou tard on fera un chemin de fer par concession vers le bas Rhin. La concession de ce chemin de fer avait été demandée, malheureusement cette demande a été retirée.
Ainsi, messieurs, si Alost n'a pas de chemin de fer, il est d'autres localités intéressantes qui n'en ont pas non plus. Certes, la Campine aurait le plus grand intérêt à avoir un chemin de fer qui la mettrait en communication avec l'Allemagne et avec notre métropole commerciale. Mais je ne demande pas la construction d'un semblable chemin de fer. Je pense que nous devons être très sobres de demander des dépenses qui ne sont pas strictement nécessaires.
Le grand intérêt qu'on invoque est celui de Gand et de Bruxelles. Eh bien, messieurs, je vous avoue franchement que je ne vois pour ces deux villes qu'un seul intérêt dans la question, c'est de pouvoir arriver une demi-heure ou trois quarts d'heure plus tôt de Bruxelles à Gand ou de Gand à Bruxelles ; car la différence de dépense n'existe pas ; comme l'a dit l'honorable M. de Naeyer, on paye entre Gand et Bruxelles, non pas 12 lieues mais 9 lieues.
M. de Naeyer. - Je n'ai pas dit cela.
M. Osy. Le fait est toujours très exact ; là, comme partout ailleurs, on tient compte des détours.
Il ne reste donc qu'une dépense de temps. Or, messieurs, bien que le temps soit une chose extrêmement précieuse, on ne peut pas imposer au pays un sacrifice immense pour abréger d'une demi-heure ou de trois quarts d'heure le temps nécessaire pour aller de Bruxelles à Gand ou de Gand à Bruxelles.
Reste donc l'intérêt d'Alost et des environs. Je conviens qu'il serait très intéressant de rattacher Alost au railway national, mais avec un peu de patience Alost aura son chemin de fer. En effet, messieurs, vous avez décrété la concession d'un chemin de fer d'Ath à Termonde, qui doit passer par Alost.
On me dira probablement que ce chemin de fer ne sera pas exécuté, et je vous avouerai, messieurs, que je le crains également ; mais la société concessionnaire a déposé un cautionnement d'un million ; le gouvernement est obligé d'exécuter le cahier des charges tel qu'il a été voté ; car il fait partie de la loi. Eh bien, si, dans le délai voulu, le chemin de fer de la Dendre n'est pas exécuté, que le gouvernement confisque le million, et qu'il l'affecte à la construction d'un chemin de fer d'Alost à Termonde. Je prends dès à présent l'engagement de faire une proposition dans ce sens. Certes, messieurs, ce chemin de fer ne coûterait pas un million, et Alost serait ainsi relié aux chemins de fer de l'Etat.
Ainsi, messieurs, l'intérêt d'Alost se trouve encore écarté et il ne reste plus que le point de savoir s'il faut faire un sacrifice énorme pour satisfaire à ce faible intérêt de Bruxelles et de Gand, qui consiste uniquement à pouvoir aller un peu plus vite.
M. d’Elhoungne. - C'est pour cela qu'on a fait les chemins de fer.
M. Osy. - Si nous pouvions aller d'Anvers à Aix-la-Chapelle, en
6 heures au lieu d'en mettre 12, cela nous serait bien plus agréable ; mais nous sommes obligés de faire un détour par Liège, c’est un sacrifice que nous devons faire à l'intérêt général. J'aborde, messieurs, la question financière.
M. le ministre des travaux publics nous a dit qu'il a été un instant assez disposé à soumettre au conseil des ministres un projet de loi d'après lequel le chemin de fer de Bruxelles à Gand par Alost aurait été concédé moyennant partage des revenus ; je suis bien charmé que M. le ministre n'ait pas été plus loin dans cette voie, car il aurait fait là l'opération financière la plus détestable qui eût jamais été faite.
M. le ministre nous a dit qu'en 1846, la lieue parcourue a donné un revenu brut de 122,000 fr., de manière que pour les 8 lieues de Bruxelles à Gand, le revenu brut aurait été de 976,000 fr. ; la compagnie aurait touché la moitié de cette somme, c'est-à-dire 488,000 fr. ; l'Etat eût également touché pour sa part 488,000 fr., mais sur cette part de l'Etat, il eût fallu imputer les frais d'exploitation. Or, messieurs, les frais d'exploitation s'élèvent à au-delà de 50 mille francs par lieue ; mais supposons, pour être extrêmement larges, que l'on parvienne à exploiter cette ligne avec 40 p. c. Certes, vous ne le ferez pas à moins. Eh bien, nous venons de voir que la recette brute sera de 976,000 fr., disons un million ; vous abandonnez 500 mille francs à la compagnie, vous employez en frais d'exploitation 40 p. c. de la recette brute, soit 400,000 fr., il vous reste un bénéfice de cent mille francs, en compensation des 600,000 fr. que vous perdez sur la ligne actuelle, de l'aveu de l'honorable M. de Naeyer lui-même. Résultat définitif ; perte de 500,000 fr. par an.
Reste, messieurs, l'exécution par l'Etat. Ici je prendrai pour base de mes calculs les chiffres posés par l'honorable M. de Naeyer. L'honorable M. de Naeyer dit que la route coûtera 8 millions. Le gouvernement doit avoir au moins 5 1/2 p. c, soit 450,000 fr. ; les frais d'exploitation s'élèvent, comme je l'ai dit tout à l'heure, à 320,000 fr. Voilà 770,000 fr, L'honorable M. de Naeyer avance lui-même que nous perdrons sur la route de Termonde 650,000 fr. ; voilà une somme annuelle de 1,420,000 fr. L'honorable M. de Naeyer dit que la nouvelle route donnera une recette d'un million ; j'accepte ce chiffre et je le retranche des 1,420,000 fr. que je viens d'indiquer ; reste un déficit annuel de 420,000 fr.
Ainsi, messieurs si le chemin de fer est concédé, la perte annuelle est de 300,000 fr., Si le gouvernement l'exécute lui-même, la perte est de 420,000 fr.
Maintenant, messieurs, pour le cas où la route serait concédée, je ferai le calcul des actionnaires. La route coûtant 8 millions, l'intérêt à 5 p. c. serait 400,000 fr.
Il faut un pour cent par an pour amortir le capital en 36 ans ; voilà pour la compagnie une dépense de 480,000 fr. Or, nous avons vu tout à l'heure qu'elle percevrait 488,000 fr., elle couvrirait donc au-delà de sa dépense et après 36 ans le chemin de fer serait sa propriété ; elle n'aurait plus rien à payer et elle continuerait pendant 54 ans à percevoir le revenu de 488,000 fr. Vous voyez, messieurs, combien cette opération serait désastreuse pour l'Etat.
Quant à moi, messieurs, je pense que le plus sage est d'attendre le résultat de la concession donnée du chemin de fer d'Ath à Termonde.
Si les concessionnaires ne font pas la route, vous aurez un million à votre disposition, et je m'engage bien volontiers à faire alors tous mes efforts pour qu'Alost soit relié au chemin de fer de l'Etat. Voilà mes conclusions.
- La séance est levée à 4 heures et un quart.