(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 934) M. Van Cutsem fait l'appel nominal à midi 3/4.
M. Huveners lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Van Cutsem présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Prévost, maître de pension à Bruxelles, qui a pris part aux combats de la révolution, prie la chambre de lui accorder une pension civique de 1,500 fr. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Vandevelde, notaire à Termonde, présentant des observations sur les articles 67 et 70 du Code de commerce qui exige le dépôt aux greffes et chambres désignées par l'article 872 du Code de procédure civile, de certains contrats de mariage, prie la chambre, lorsqu'elle s'occupera de la législation des faillites, de restreindre l’obligation de la publicité, aux contrats de mariage des commerçants maries sous le régime dotal ou séparés de biens. »
- Même renvoi.
« Le sieur George, major pensionné, demande, le remboursement des retenues qui ont été opérées sur ses appointements à partir du 1er janvier 1840. »
- Même renvoi.
« Le sieur Meuris demande que le nombre des notaires ne soit pas augmenté. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur le notariat.
« Le sieur Bertrand, directeur d'usines à Antiennes, demande une réduction des péages sur la Sambre canalisée pour le transport des terres plastiques et des sables destinés à la forgerie et aux verreries. »
« Même demande de la chambre du commerce de Namur. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi qui porte récution des péages sur la Sambre canalisée.
M. de T'Serclaes, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé.
- Accordé.
M. Brabant. - Messieurs, dans la séance du 22 février, M. le ministre des travaux publics vous a soumis un projet de loi portant prorogation de l'article premier de la loi du 12 avril 1835 sur les péages des chemins de fer. La loi de même nature, que vous avez votée l'année dernière, expire le 28 février, et il y a dès lors urgence de statuer sur cet objet. La section centrale du budget des travaux publics, qui a été chargée, comme commission spéciale, de l'examen de ce projet, l'a adopté à l'unanimité. M. le ministre s'est engagé vis-à-vis d'elle à présenter le projet de loi sur les tarifs, dans la session actuelle ; il s'est également engagé à rectifier les erreurs qui se sont glissées dans le tarif au préjudice de quelques localités.
(page 935) M. le président. - Veut-on, vu l'urgence, procéder immédiatement à la discussion de ce projet ?
M. Delfosse. - Il est fâcheux qu'on n'ait pas le temps d'examiner le projet.
M. Brabant. - C'est peut-être la douzième fois qu'on renouvelle cette loi.
M. Delfosse. - Pourquoi attend-on toujours jusqu'au dernier moment ?
M. Brabant. - Je dois ajouter que la section centrale s'est trouvée dans la nécessité de proposer un article 2 ; il est ainsi conçu :
« La présente loi sera obligatoire le 1er mars 1847. »
Il est possible que le projet ne soit pas sanctionné d'ici au 1er mars, mais il y aura, pour ainsi dire, un bill d'indemnité donné d'avance pour la perception. (Interruption.) Vous ne pouvez pas interrompre l'exploitation et vous ne pouvez pas exploiter sans percevoir les péages.
- La chambre décide qu'elle discutera le projet immédiatement.
M. le président. - La discussion générale est ouverte.
M. Osy. - Messieurs, je viens de voter en faveur de la discussion immédiate du projet ; mais je dois, ainsi que l'ont fait plusieurs de mes honorables collègues, me plaindre de ce que le gouvernement propose toujours les lois urgentes et les crédits supplémentaires soit à la veille de l'expiration de la loi qu'il s'agit de renouveler, soit à la veille de la clôture de la session, de manière que nous n'avons aucun loisir d'examiner les propositions qui nous sont soumises et de présenter des observations. J'engage beaucoup le gouvernement à vouloir proposer au moins un mois d'avance les lois de cette nature, afin que la discussion n'en soit pas étouffée. Je pense que mon opinion à cet égard sera partagée par toute la chambre.
Je profite de la discussion actuelle, pour dire à M. le ministre que le commerce continue à se plaindre du manque de matériel pour le transport des marchandises. Je sais que M. le ministre a présenté un projet de loi tendant à augmenter de.100 waggons le matériel de transport des marchandises ; mais, messieurs, avant que ces 100 waggons soient construits, l'année se passera, il y a d'ailleurs un autre fait. Même avec le matériel actuel, les retards pourraient être beaucoup moindres que ce qu'ils sont aujourd'hui. Les marchandises que nous envoyons en Allemagne sont principalement des marchandises d'encombrement, tandis que l'Allemagne ne nous expédie que des objets manufacturés, de sorte que les waggons reviennent presque vides. Eh bien, à Cologne on retient très longtemps ces waggons vides. Si nous avions un agent à Cologne, il accélérerait ces affaires. Dans la discussion du budget des affaires étrangères, je me suis fortement plaint de ce qu'on ne nommât pas un agent qui fût en position de soigner convenablement nos intérêts en Allemagne.
On est allé nommer le consul à Darmstadt ; or, nommer un consul à Darmstadt ou dans toute autre partie du monde, c'est absolument la même chose : Darmstadt, il n'y a rien à faire.
Quand nous votons une dépense, c'est uniquement en vue de l'utilité qu'elle peut avoir pour le pays. Eh bien, je regrette que M. le ministre des affaires étrangères ne soit pas présent ; je lui aurais dit qu'il n'a tenu aucun compte de ce que nous avions énoncé à cet égard dans le cours de la discussion du budget du ministère des affaires étrangères ; j'ai insisté alors pour que l'agent consulaire à nommer fût établi, soit à Cologne, soit dans une localité voisine, d'où il fût permis à l'agent de se rendre à Cologne en une demi-heure. Mon opinion n'a été critiquée par aucun membre de cette chambre, et cependant peu de jours après l'adoption du budget, le Moniteur nous a appris la nomination de M. Carolus aux fonctions de consul à Darmstadt.
J'engage fortement le gouvernement à revenir sur cette décision, et je l'engage à faire en sorte que, sous quelque dénomination que ce soit, nous ayons à Cologne ou aux environs un agent qui puisse soigner, non seulement nos intérêts matériels, mais encore les intérêts de nos actions dans le chemin de fer rhénan.
Lorsque nous avons pris 4,000 actions dans le chemin de fer rhénan, nous n'avons pas entendu faire un cadeau à la Prusse ; c'était dans l'intérêt commercial ; de telle manière que lorsque nous aurions un agent à Cologne, nous pourrions savoir ce qui est à faire pour la nomination des directeurs de la société Rhénane.
M. Delehaye. - Messieurs, je me joins à l'honorable membre pour protester également contre cette habitude qu'ont M. les ministres de présenter souvent des projets de loi à une époque tellement tardive, que nous sommes obligés de les voter d'urgente. M. le ministre des travaux publics vient de promettre qu'un projet de loi définitif sera ultérieurement présenté ; je désire que si le projet de loi doit être déposé et discuté dans le cours de la session, soit présenté assez tôt, pour que nous puissions l'examiner et le voter en connaissance de cause.
Lorsqu'on nous a soumis, les années précédentes, un projet de loi semblable à celui qui est en discussion, j'avais signalé à M. le ministre des travaux publics une erreur palpable pour tout le monde ; j'avais dit qu'au chemin de fer il existait des anomalies choquantes relativement aux péages ; j'ai prouvé par des faits qu'en partant, par exemple, pour Gand, pour Ostende, et en changeant de billets en chemin, on paye 28 p. c. de moins que si on prend un billet au point de départ pour l'une de ces destinations. Les prédécesseurs de M. le ministre ont reconnu la justesse de mes observations ; il y a plusieurs années que je signale ces faits, et ces faits continuent d'exister. J'espère que ces anomalies disparaîtront par le projet de loi définitif qu'on nous annonce.
Messieurs, je signalerai un autre fait à M. le ministre : mais je commencerai par lui dire que mon observation n'est pas hostile à son administration, et que je ne lui signale ce fait que pour enlever un prétexte à des insinuations malveillantes dont il pourrait être l'objet.
Il existe dans l'arrondissement de Gand plusieurs places importantes vacantes dans l'administration du chemin de fer. Si on tardait à nommer à ces places, on pourrait supposer qu'on les laisse vacantes pour s'en faire un moyen d'action pour le moment des élections.
Pour moi, je désire qu'une semblable supposition n'ait aucun fondement ; il est à espérer que nous ne verrons pas un ministre des travaux publics laisser des emplois de son administration vacants pour en tirer parti afin d'influencer les élections. Ce n'est que pour ôter tout prétextée de pareilles insinuations que je désire qu'il s'empresse de nommer à ces places ; il y a longtemps qu'elles sont vacantes. Si au contraire on pense que ces places sont inutiles, il serait bon qu'on déclarât dès aujourd'hui qu'elles sont supprimées.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Je répondrai d'abord à la dernière observation de l'honorable préopinant ; il peut y avoir certaines places vacantes dans l'administration du chemin de fer à Gand, je pense qu'il y en a également sur d'autres points ; mais cela a une explication fort simple : c'est le désir de faire face aux besoins du service avec les allocations accordées au budget. J'ai annoncé à l'administration du chemin de fer mon intention formelle de ne plus faire de nomination nouvelle, jusqu'à ce qu'on soit rentré dans le chiffre des allocations du budget. Ce motif est le seul.
M. Delehaye. - On ne nommera pas !
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - On nommera quand les allocations du budget le permettront.
L'honorable membre a signalé des anomalies dans les tarifs du chemin de fer ; ce qui a retardé la rectification de ces anomalies, c'est l'espoir que j'avais conçu d'arriver à un tarif définitif sanctionné par la loi ; je m'étais proposé de présenter, non une loi provisoire, mais une loi définitive ; j'ai donné tous mes soins à ce travail pour l'avancer ; mais à une époque récente j'ai reconnu l'impossibilité de présenter actuellement un projet définitif ; c'est ce qui explique la présentation un peu tardive, je le reconnais, du projet qu'on discute aujourd'hui.
J'ai encore quelques mots à répondre à l'honorable M. Osy. L'honorable membre a exposé une des causes de l’insuffisance du matériel ; le matériel est retenu trop longtemps de l'autre côté de la frontière ; pour que le déchargement fût plus prompt, il faudrait que le chemin de fer rhénan fût pourvu de voies d'évitement qui lui manquent et de locaux plus vastes. Là est le mal. Je pense que le gouvernement doit peser de tout le poids de ses actions sur l'administration du chemin de fer rhénan, pour l'amener à faire tout ce qui est possible dans l'intérêt d'un bon service ;
M. Osy. - M. le ministre vient de promettre de nous présenter un projet définitif. Je l'engage à ne pas tarder trop longtemps. Je sais que nous ne pourrons pas voter ce projet dans cette session, nous sommes arrivés à une époque où cela est devenu impossible ; mais il est important que non soyons saisis de ce projet avant notre séparation, afin de pouvoir l'examiner dans l'intervalle des deux sessions. Nous pourrons faire nos calculs et voir si le tarif concilie les intérêts du trésor et ceux du commerce.
A cette occasion, je dois rappeler à M. le ministre que la loi volée l'année dernière sur la comptabilité lui impose l'obligation d'établir dans la session de 1846-1847 un règlement définitif pour la comptabilité du chemin de fer.
J'engage M. le ministre à le proposer dans la session actuelle, pour se conformer à la loi.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Je voulais seulement dire que mon intention est de présenter un projet de loi qui comprenne le tarif et la comptabilité de manière qu'on ait autant que possible, une loi générale pour le chemin de fer.
M. Delfosse. - Je me proposais de présenter quelques observa-lions sur le tarif des chemins de fer ; mais cet objet n'était pas à l'ordre du jour et je ne pouvais m'attendre à la discussion qui vient de s'ouvrir ; je ne me suis donc pas muni des pièces ; la discussion du budget des travaux publics me fournira du reste l'occasion de présenter ces observations.
- La discussion est close.
« Art. 1er. L'article premier de la loi du 21 avril 1835 (Bulletin officiel, n°196), concernant les péages du chemin de fer, est prorogé jusqu'à l'époque de la mise à exécution d'une loi définitive sur la matière, sans néanmoins que les effets de cette prorogation puissent s'étendre au-delà du 1er mars 1848. »
- Adopté.
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le 1er mars 1847. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi, qui est adopté à l'unanimité des 54 membres qui prennent part au vote.
Ont pris part au vote : MM. de Roo, Desmet, de Terbecq, Donny, Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Goblet, Huveners, Jouet, Kervyn, Lange, Lejeune, Lesoinne, Le Hon, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Nothomb, Orban, Osy, Pirson, Rodenbach, Scheyven, Sigart, Troye, Van Cutsem, Vandensteen, Veydt, Vilain XIIII, Anspach, (page 936) Biebuyck, Brabant, Cans, Clep, de Baillet, de Brouckere, de Corswarem, Dedecker, de Foere, de Haerne, de La Coste, de Lannoy, Delehaye, Delfosse, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester et Liedts.
M. Dedecker. - Messieurs, dans la séance du 6 courant vous avez renvoyé à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, une pétition de l'administration communale de la ville d'Ath. Voici sommairement les faits :
Vous vous rappelez que le gouvernement, dans son projet de loi relatif à l'augmentation du nombre des représentants et des sénateurs, vous a proposé un représentant de plus pour le district de Soignies.
Par une pétition, en date du 30 janvier dernier, l'administration communale d'Ath a réclamé contre cette proposition du gouvernement et a demandé que le district d'Ath pût alterner avec Soignies pour l'élection de ce troisième représentant. La section centrale, chargée d'examiner le projet de loi, a été saisie de la pétition de la ville d'Ath et n'a pas cru pouvoir s'en référer à l'opinion exprimée par l'administration communale de cette ville. La majorité a proposé, conformément au projet du gouvernement, d'attribuer au district de Soignies la nomination du troisième représentant.
L'administration communale de la ville d'Ath, messieurs, revient à la charge et réclame contre la décision de la section centrale, se fondant sur ce que dans son travail il y a, selon elle, une grave erreur.
Cette erreur consiste en ce que le gouvernement a pris pour point de départ la population de fait au 15 octobre et non la population réelle. L'administration d'Ath prouve qu'au lieu d'être de 93,000 habitants, la population réelle du district est de 98,000 habitants, c'est-à-dire qu'au 15 octobre il y avait 5,000 personnes momentanément absentes du district, qui s'étaient rendues soit en France, soit dans les districts voisins, comme terrassiers, comme moissonneurs, comme tisserands.
La commission des pétitions, messieurs, m'a chargé de vous proposer le dépôt de cette requête sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la nouvelle répartition des représentants et des sénateurs. Elle croit qu'en supposant même que l'admission du système gouvernemental pût nuire spécialement au district d'Ath, il n'y a pas lieu cependant d'admettre pour ce district une base de population autre que pour tous les autres districts. Car vous le savez, le gouvernement annonce d'une manière positive que la population de fait au 15 octobre a été prise comme base générale de la nouvelle répartition des représentants et des sénateurs.
La commission conclut donc au dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la nouvelle répartition des représentants et des sénateurs.
M. Le Hon. - Messieurs, je demanderai à la chambre la permission de relever une assertion de l'honorable rapporteur. Il a commis une erreur involontaire, lorsqu'il a avancé que la section centrale s'était occupée de la pétition de la ville d'Ath. Cela n'est pas exact. C'est moi qui, dans le sein de ta section centrale, ai présenté quelques observations en faveur de cet arrondissement, et qui, après la décision prise par la section centrale, qu'en principe l'alternat ne serait pas admis, ai proposé d'établir le concours entre les arrondissements de Soignies et d'Ath.
Voilà ce qui s'est passé clans le sein de la section centrale. Mais elle n'a été saisie d'aucune pétition de l'arrondissement d'Ath. Elle n'a pas même examiné s'il y avait lieu, eu égard aux circonstances invoquées en sa faveur, d'admettre par exception, comme on l'a fait pour Philippeville et Namur, le bénéfice de l'alternat. Elle n'a pas examiné ce point. Je ne voudrais pas que l'erreur que je signale pût nuire à la décision que la chambre aurait à prendre. Je ne sais jusqu'à quel point l'observation que j'ai l'honneur de présenter peut changer la conclusion du rapport, ni si la chambre, dans l'étal des choses, jugera convenable de renvoyer à la section centrale la réclamation de la ville d'Ath ; mais il faut que la chambre sache bien que cette section n'a été saisie d'aucune requête dans l'intérêt de cet arrondissement.
M. Dedecker, rapporteur. - Il se peut que j'aie commis involontairement une erreur, du reste fort peu importante, en disant que la section centrale avait examiné une première pétition de la ville d'Ath ; il est possible que ce soit d'après une note fournie par notre honorable collègue M. Le Hon, que la question a été discutée ; toujours est-il que la section centrale a examiné la question de l'alternat....
M. Le Hon. - Du concours.
M. Dedecker. - Du concours, si vous voulez, entre les arrondissements d'Ath et de Soignies.
Dans tous les cas, je ne pense pas, messieurs, que ce point puisse influer sur la décision à prendre par la chambre en ce qui concerne les conclusions de la commission des pétitions, qui tendent au dépôt sur le bureau, pendant la discussion, du projet de loi sur l'augmentation du nombre des sénateurs et des représentants.
- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.
M. Osy. - Messieurs, dans le discours que j'ai eu l'honneur de prononcer avant-hier, je disais que si la loi autorisait le gouvernement à fabriquer pour 25 millions de monnaie d'or, cette monnaie serait contrefaite à Birmingham. M. le ministre a dit : « C'est un conte. » Il est facile de répondre de cette manière, mais il faut répondre par des faits. Moi, j'ai cité des faits ; j'ai cité ce qui s'est passé en Angleterre en 1814 et en 1815 lorsqu'on y a fabriqué une grande quantité de pièces portant l'effigie de Louis XVIII. M. le ministre a dû convenir hier que j'avais raison, mais il a dit que c'était un acte d'hostilité contre la France. M. le ministre a dit aussi que le droit des gens ne permettait pas de frapper de la monnaie à l'effigie d'un souverain étranger.
Vous voyez, messieurs, que ce droit des gens n'a pas toujours été respecté, puisqu'en 1814 et 1815 notamment les Anglais n'en n’ont tenu aucun compte.
A cette époque j'étais adjoint du trésor en Belgique, et nous avons reçu une masse énorme de pièces de 20 fr. fabriquées à Birmingham. Leur couleur était jaunâtre, tandis que l'or hollandais est rougeâtre ; il en est résulté, comme l'a dit l'honorable M. Anspach, que nous avons eu des inquiétudes ; nous avons examiné ces pièces et nous avons trouvé qu'elles avaient le poids et le titre voulus ; dès lors ces pièces ont été reçues dans le trésor de la Belgique.
Vous voyez donc, messieurs, que malgré le droit des gens, dont parle M. le ministre des finances, cette opération s'est faite et ce qui s'est fait une fois peut se renouveler. L'expérience du passé doit donc nous mettre en garde contre l'avenir.
M. le ministre des finances a parlé hier d'une loi récente, la plus récente qu'il ait pu trouver dans les annales anglaises, de la loi de 1832. J'ai parcouru cette loi et j'ai vu qu'elle porte défense à tous les sujets britanniques de frapper des pièces à l'effigie du souverain de la Grande-Bretagne ; mais elle ne renferme pas un mot quant aux pièces étrangères, qui sont considérées là comme médailles et qu'on peut frapper. Un de mes amis, un négociant anglais, qui réside à Liverpool, m'a encore dit dimanche dernier : « Prenez garde ; ne votez pas la loi dont vous allez vous occuper, car je vous préviens que nous ferons en Angleterre vos pièces de 25 fr. ; la loi ne s'y oppose pas. » Toutefois, messieurs, je veux bien admettre qu'en Angleterre, en vue des bonnes relations que nous avons avec ce pays, on défende la fabrication de notre monnaie d'or ; mais il y a dans le monde un autre pays avec lequel vous n'êtes pas si bien qu'avec l'Angleterre. Ce pays, que je ne nommerai pas, mais que vous devinez tous, a aujourd'hui les mines d'or les plus riches, et dont les produits augmentent considérablement. Eh bien, ce pays doit trouver le moyen d'exporter son or ; il n'a pas besoin de tout son or pour la circulation, parce qu'il a beaucoup de papier-monnaie. Jusqu'à présent il a frappé chez lui des pièces d'or qu'il envoie à la banque d'Angleterre. Au mois d'octobre dernier, j'ai vu de ces pièces ; il y en a en grande quantité qui restent là comme lingots.
Eh bien, messieurs, ce pays n'est pas du tout votre ami ; vous n'avez avec lui aucune relation, et comme le code, là, ne doit pas être très sévère contre ceux qui fabriquent de la monnaie étrangère, je dis que, dans ce pays où l'on connaît parfaitement la fabrication de la monnaie, on fabriquera vos pièces de 25 fr. pour vous et on vous les importera avec un bénéfice considérable. Je vous demande quel moyen vous aurez de l'empêcher ?
Je demanderai à l'honorable M. Sigart si ce que je viens de dire le rassure complétement ; je demanderai également à la chambre si cela est de nature à la rassurer. Je n'ai pas voulu me servir la première fois de cet argument parce que j'aurais voulu ne pas donner l'éveil sur ce qu'on peut faire contre nous ; mais M. le ministre m'a forcé d'aller plus loin que je ne le voulais. J'ai pensé, du reste, que les autres pays n'attendent pas qui nous les avertissions pour savoir de quelle manière ils peuvent réaliser des bénéfices à nos dépens.
M. le ministre des finances nous a dit que l'or des Etats-Unis vaut 150 fr. de moins que l'or français ; le fait est vrai, messieurs, mais M. le ministre aurait dû ajouter quelle en est la conséquence ; c'est précisément cette conséquence qui confirme ce que nous avons dit l'honorable M. Anspach et moi, relativement aux effets qu’une monnaie surévaluée exerce sur le change : cette conséquence est que le change entre les Etats-Unis et l'Angleterre est, en temps ordinaire, à 8 p. cent. Aujourd'hui pur suite des fortes exportations de céréales et des sommes considérables qu'il faut par conséquent envoyer aux Etats-Unis, le change est à un taux moins élevé. La piastre vaut aux Etats-Unis, 5 fr. 40 ; eh bien, messieurs, dans un temps normal le change sur Paris est de 5 fr. 10 à 5 fr. 15. Voilà une différence de 25 centimes. Eh bien, messieurs, si vous admettiez le système qui vous est proposé, vous aurez également une dépréciation du change avec l'étranger ; vous n'aurez pas 5 p. c. comme aux Etats-Unis, parce que M. le ministre des finances, heureusement, ne va pas aussi loin.
Mais comme il nous propose de faire de l'or qui aura 5 p. c de moins que l'or français, il y aura à déduire l'agio de l'or à l'étranger ; la pièce que l'on vous propose perdra 2 p. c. contre les pièces de 5 francs.
Maintenant n'est-il pas tout naturel que le change sur Paris ira entre 1 1/2 et 2 p. c.
Si par malheur, la loi était adoptée et que nous eussions 25 millions en pièces de 25 francs en circulation, que fera-t-on ? Comme c'est une monnaie qui perdra 2 p. c. sur les 5 francs et 1 1/4 sur les guillaumes, tout le monde se débarrassera de ses 25 francs ; les banquiers garderont en caisse les pièce s de 5 francs et de 10 florins, et quand un négociant devra payer des marchandises venues de l'étranger, il devra payer un change très élevé ou payer des espèces avec agio ; dès lors, toutes les marchandises que l'on tirera de l'étranger ne vous coûteront-elles pas 1 ou 1 1/2 p. c. plus cher ? J'ose affirmer qu'une année après la mise à exécution de la loi, il n'y aura que des doléances dans le pays, et vous serez (page 937) obligés de retirer les 25 francs que M. le ministre veut faire décréter aujourd'hui.
Du moment que les 25 millions seront en circulation, tout le monde tiendra en réserve ses bonnes espèces. Cela est tellement évident que le moindre surnuméraire d'une maison de banque pourrait le comprendre. Je ne conçois pas qu'une pareille conception soit venue dans l’esprit d'un ministre des finances ; le ministre s'est livré à de faux calculs. Je n'ai qu'à m'appuyer sur le rapport de la commission de 1837 ; cette commission, qui n'avait qu'à examiner une proposition tendant à diminuer le kilog. d'or de 50 francs, disait, en toutes lettres : « Prenez le système hollandais, et c'est un dol fait à la fortune publique. »
Je voudrais que M. le ministre des finances combattît le travail de la commission de 183,7 ; si déjà alors on parlait de dol, avec une proposition aussi restreinte, je demande si, en présence de la proposition actuelle, je n'ai pas été en droit de me servir de l'expression « spoliation », ou si vous voulez, des mots : « contribution forcée sur le pays », qu'a employés un honorable membre. Véritablement c'est revenir à un système qui a existé eu Turquie, et auquel je ne puis donner mon assentiment.
M. le ministre des finances disait hier : L'argent blanc en circulation en Angleterre est-il en proportion de l’or ? On ne fait cependant pas de pièces anglaises à l’étranger.
Quand pour chaque payement on doit se borner à deux livres sterling, je demanderai si c'est une opération qui vaut la peine d'être faite à l’étranger ; vous n'émettriez par 10 mille livres sterling par an : cette opération rapporterait pas le moindre bénéfice ; elle ne se fait pas, elle ne se fera pas ; le gouvernement anglais n'a aucune inquiétude à cet égard.
Messieurs, ne perdez pas de vue que la proposition faite en 1837, par l’honorable M. d’Huart, de diminuer la valeur du kilog. d'or de 50 fr., a été renvoyée, après avoir été examinée par la commission de 1837, a été renvoyée à votre section centrale qui s'en est occupée pendant sept ans. Peut-être plus de vingt membres de cette chambre ont été successivement membres de la commission ; et finalement en 1844, sept membres de la chambre, dont quatre siègent encore dans cette enceinte, ont proposé à l'unanimité le rejet de la loi de l'honorable M. d’Huart.
On doit convenir que le rapport de l'honorable M. Cogels est un travail complet sur la matière ; ou y est entré dans tous les délais possibles. La commission rejetait la proposition de l'honorable M. d'Huart qui ne réduisait que de 50 fr. le kil. d'or, tandis que nous nous occupons aujourd'hui d'un projet qui réduit le kil. de 93 fr. 33 c.
L'honorable M. Sigart s'est demandé hier quelles garanties nous avions, qu'on ne ferait pas plus de 25 millions en pièces d'or. Pour moi, je suis persuadé que nous avons une garantie assez forte, parce qu'aucune commission de surveillance à la monnaie n'oserait se permettre d'aller au-delà ; d'autant plus que les chambres seront toujours là, et que les chambres seront assez vigilantes pour réprimer l'abus, s'il pouvait venir à se produire. Quant à moi personnellement, si je continue à siéger dans cette enceinte, je ne manquerai certainement pas à mon devoir, je n'ai donc aucune inquiétude à cet égard.
Mais ce qui fait mon inquiétude, le voici : M. le ministre des finances se propose de faire battre que 25 millions ; quand une fois ces 25 millions seront battus, on dira : Nous avons 200 millions dans le pays ; continuons à frapper pour 25, 50 millions ;et finalement les 200 millions pourront y passer. Pour combler le déficit du trésor, on pourra nous engager à aller jusque-là.
Eh bien, je me défie de la voie dans laquelle on nous entraîne aujourd'hui ! Je suis persuadé que nous irons au-delà des 25 millions ; une fois dans ce système, vous devez l'adopter en entier ; vous devez opter entre le système d'or ou le système d'argent. Quand vous aurez le système d'or, il ne vous restera dans le pays aucune pièce de 5 fr. et même d’un demi-franc ; il ne vous restera plus de monnaie pour faire vos payements. Quelle sera la conséquence de cet état de choses ? C'est qu'il sera nécessaire de changer le restant de la loi de 1832 et de proposer de l'argent en billon, comme en Angleterre ; il nous faut de l'argent pour les appoints.
Eh bien, on vous proposera pour les appoints, je suppose, pour chaque payement 50 francs ; on dira : Il faut faire de l'argent eu rapport avec or, nous ferons des 5 francs qui vaudront 4 fr. 80.
Comme j'ai eu l'honneur de le dire, les 25 premiers millions causeront déjà une perte considérable. Si l'on porte la somme à 200 millions, la perte étant d'au moins 2 p. c., cela fera 4 millions. Comme l'argent sera rare, chacun de ceux qui auront des payements à faire à l'étranger, supportera cette perte ; la marchandise que vous devez acheter coûtera d'autant plus cher.
Ce que je ne conçois pas, c'est qu'avant 1830 et depuis, on a toujours critiqué le système monétaire de la Hollande. Il doit bien nous être permis aujourd'hui de critiquer une loi faite en 1816 ; d'autant plus que je vous avoue franchement que c'était un de vos griefs contre la Hollande de vous avoir imposé son système monétaire.
Ce système nous faisait perdre en calculant l'agio à 10 centimes par pièce, et le système que nous propose M. le ministre, en fera perdre 50. C'était un grief contre la Hollande du nous faire perdre 10 centimes par pièce d'or, peut-on considérer comme une bonne opération que le gouvernement belge vous en fasse perdre 50 ? Je vous avoue que l'amour de voir des pièces d'or avec l'effigie du souverain ne va pas jusque-là ; nous pouvons trouver un autre moyen de montrer notre amour pour le souverain qu'en plaçant son effigie sur une monnaie d'aussi mauvais aloi. Aux yeux de l'étranger, nous nous ferions plus de tort que nous n’aurions d’avantage à pouvoir dire : Nous avons l’effigie de notre souverain sur de la monnaie d’or. C’est la réponse que j’ai faite à l’honorable M. de Corswarem, quand il nous a dit ; J’ai trouvé dans les campagnes beaucoup de personnes qui me demandaient : Est-ce que notre souverain a bien toutes les prérogatives de la royauté, car il nous semble qu’il n’a pas celle de frapper de la monnaie d’or. Quand le projet sera voté, il ira leur dire : Aujourd’hui vous avez de l’or belge, mais au lieu de perdre 16 centimes par pièce, vous en perdrez 50. Voilà la réponse qu’il pourra faire à ceux qui lui ont demandé : Le roi peut-il frapper de la monnaie d’or ? Il leur dira : J’ai insisté pour que vous pussiez voir l’effigie de notre souverain sur la monnaie d’or, mais si vous la vendez à l’étranger, vous perdrez 50 centimes par pièce ; sur l’ancien or vous n’auriez perdu que 16 centimes.
M. le ministre des finances disait hier : « Dans la commission de 1846, il n’y a eu que deux membres de l’opposition, c’est-à-dire deux membres qui ne voulaient pas même de la proposition de 1837, qui ne faisait perdre que 50 fr. par kilogramme d’or. » Je ne connais pas ces membres ; je vois dans le rapport de la commission de 1837 que les deux banquiers dont a parlé M. le ministre des finances, qui ont été membres de la chambre, ne se sont pas rendus une seule fois à la commission de 1837 ; de sorte que vous ne connaissez pas leur opinion.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Les noms sont imprimés.
M. Osy. - Je ne demande pas les noms, je réponds à votre argument. Vous avez dit que deux membres, qui connaissaient parfaitement la question, avaient fait partie de la commission. En lisant la fin du rapport, M. le ministre aurait vu que ces membres ne se sont pas rendus à la commission ; donc il ne peut pas connaître leur opinion.
Ils ont été de la commission de 1846, mais un de ces membres, que j'ai eu l'honneur de voir mardi, qui a été ministre des finances, j'ignore comment il a voté dans la commission de 1846, mais cet ancien ministre des finances m'a dit : « Faites tout ce que vous pourrez pour faire rejeter la loi qui vous est présentée. » Cet ancien membre de la chambre, qui faisait partie de la commission de 1837, qui était ministre des finances en 1832 et qui a, en cette qualité, présenté le projet de loi de 1832…
M. le ministre des finances (M. Malou). - Nommez-le.
M. Osy. - C'est inutile, je n'aime pas à jeter des noms propres dans les discussions. Si vous voulez que je nomme, je vous nommerai aussi les puissances dont j'ai parlé. Si j'avais voulu citer des noms propres et nommer les puissances, on m'aurait blâmé. J'ai mis toute la discrétion possible dans mes paroles. Si je nommais maintenant, je nommerais aussi les puissances dont j'ai parlé, et la responsabilité ne retomberait pas sur moi. Mais je ne nommerai pas, je ne nommerai ni membre ni puissance. Il y a assez d'intelligence dans la chambre pour me comprendre.
Eh bien, cet honorable membre qui n'a pas fait partie de la commission de 1846, me dit M. le ministre, cet honorable membre me disait, avant-hier, après une très longue conversation : « Faites tout ce que vous pourrez pour faire rejeter cette loi ; ce serait un malheur pour le pays.» Il a même ajouté : « Si une personne plus élevée que les ministres était ici, j'aurais été lui en parler ».
Oui, je puis le dire, une affaire comme celle que nous discutons est des plus importantes, la fortune publique en dépend. L'honorable M. d Huart a proposé un projet signé par le Roi. M. le ministre des finances, sans avoir consulté le conseil des ministres, propose son amendement qui rogne encore la fortune publique de 93 fr. par kil. d'or.
Je dis qu'une affaire pareille doit non seulement être soumise au conseil des ministres, mais plus haut. La personne dont je veux parler désirait beaucoup que nous eussions de la monnaie d'or à l'effigie de Sa Majesté, mais elle ne voudrait pas que ce fût au détriment de la fortune publique ; si nous lui expliquions que l'amendement du ministre fera perdre au public 50 centimes par pièce, tandis qu'il n'en perdait que 16 sur les pièces hollandaises, je suis persuadé que si on lui avait fait cette observation, le projet ne passerait pas. On veut le bien du pays avant tout, avant la gloriole d'avoir son effigie sur de la monnaie d'or. Sachant que cela dût coûter aussi cher au pays, il serait le premier à dire : Ne le faites pas.
D'après les paroles prononcées hier et avant-hier par M. le ministre des finances, je vois déjà qu'il ne tient pas beaucoup au chiffre, et qu'avant la fin de la discussion viendra un amendement, qui augmentera un peu la valeur du kilogramme. J'aurais désiré le savoir, mais je ne suis pas dans la confidence. Toutefois j'ai lieu de croire qu’on en viendra au chiffre de la commission de 1846, c'est-à-dire au chiffre de 3,515 fr. soit une perte de 80 fr. 56 c. par kil., tandis que l'honorable M. d’Huart avait proposé le chiffre de 3,485 fr. 72 c. ou une perte seulement de 51 fr. 16 c. par kilog.
Si cet amendement était présenté, je le combattrais par les mêmes motifs que j'ai fait valoir.
Si M. le ministre des finances fait un pas vers nous, il est encore très loin de la vérité ; car, en 1832, lorsque nous avons discuté en section centrale le projet de loi monétaire, j’ai dit qu'il y avait deux systèmes : le système argent et le système or. J'aurais désiré le système or, si l’on avait fait des pièces de 20 fr. ou de 25 fr., juste au taux légal des pièces de 10 fl., parce qu'on sait que pour les contrats par hypothèque et pour les lettres de change, tout le monde sait qu'on peut se libérer en pièces de 10 fl. comme en pièces de 5 francs. Je n'aurais donc fait tort à personne. J'aurais ajouté, comme en Angleterre, un argent-billon, ou bien j'aurais adopté le système argent, c'est-à-dire le système français.
(page 938) On a décrété des pièces de 5 fr. et des pièces d'or, comme en France. L'or ayant un agio assez fort, on n'a pas pu frapper des pièces de 20 fr. En France, on a continué à en frapper, parce que le pays étant plus grand, a plus de besoins que nous, ensuite parce que la banque de France ne peut émettre des billets inférieurs à 500 fr. Aujourd'hui que la crise est passée, elle est obligée de changer son système. On propose l'émission de billets de banque de 250 fr. Je ne serais pas étonné que dans la discussion du projet de loi on adoptât un amendement qui décrétât les billets de banque de 100 fr.
Le luxe étant plus grand en France qu'ici, les voyageurs ne veulent pas se charger de pièces de 5 fr. ; moyennant un agio de 8 ou 10 par mille, ils se procurent des pièces d'or.
Ensuite le jeu est une affaire plus importante que chez nous : les joueurs, les lions, tous ceux qui ont toujours besoin de beaucoup d'argent remplissent leurs poches d'or. Ceux qui ont tant d'argent à dépenser ne regardent pas à un agio. Comme nous sommes plus calculateurs, nous n'allons pas payer un agio pour nous procurer des léopolds en or ; on n'a donc pu en frapper.
Je veux garder le système argent qui a été décrété. Je ne crois pas que par un amendement d'un ministre, qui n'a pas été délibéré en conseil des ministres, on change de système. Je dis que c'est inconvenant, lorsqu'il s'agit d'une affaire aussi importante ; car qu'y a-t-il de plus important que tout ce qui tient à la fortune publique ?
M. le ministre des finances a dit : J'en viens au système hollandais. Je veux bien que vous changiez toute la loi de 1832. Mais je ne veux pas que, par un amendement, vous nous fassiez accepter le système hollandais.
M. le ministre ne se donne pas la peine de combattre le rapport de la commission ; il lance tout bonnement un amendement. Ce n'est ni régulier ni convenable, car un rapport aussi bien élaboré que celui de M. Cools méritait bien l'honneur d'une réfutation.
M. le ministre des finances (M. Malou). - L'honorable M. Osy, dans les discussions auxquelles il prend part, donne souvent de très bonnes raisons. Mais il a le tort d’y ajouter des expressions extrêmement dures, extrêmement désobligeantes pour les partisans de l'opinion contraire à la sienne. Il n'a pas dérogé à ses habitudes ; vous avez pu vous en convaincre. C'est déjà la seconde fois qu'on parle de mœurs turques, d'habitudes turques, d'altérer la monnaie, de manquer à la foi publique, de déshonorer le pays. Aujourd'hui, on y ajoute que, pour un petit bénéfice, on s'expose à toutes les conséquences. On ajoute que le moindre surnuméraire d'une maison de banque aurait mieux fait.
Pour couronner l'œuvre, on examine si le projet de loi a été délibéré en conseil des ministres, et s'il a obtenu, par anticipation, un assentiment sur lequel je pensais que, d'après nos principes constitutionnels, il ne pouvait y avoir de discussion, en ce moment, à la chambre.
Messieurs, ce qui s'est passé dans cette discussion se passe tous les jours. Un projet est présenté par le gouvernement ; un rapport est fait. Après les conclusions du rapport, les ministres ont use jusqu'à présent, sans conteste, du droit de présenter des amendements, des propositions intermédiaires, et puisque nous nous occupons de substances métalliques, de matières d'or et d'argent, du droit incontesté de marchander.
J'ai usé de cette faculté.
Je ne pense pas que l'honorable membre ait le droit de me demander autre chose en ce moment.
Ou me reproche encore de ne pas avoir réfuté le rapport de la commission. Mais qu'ai-je fait, depuis le début de la discussion, sinon réfuter le rapport de la commission ? L'honorable membre le soutient ; je m'efforce de le réfuter. Fallait-il faire une brochure, une publication en réponse au rapport de l'honorable M. Cogels ? Cela ne se fait jamais ; c'est là qu'il y eût eu inconvenance.
Lorsque le rapport est négatif, la réfutation est dans le projet et dans les motifs que le gouvernement donne à l'appui du projet.
Déjà hier, messieurs, et précédemment j'ai fait remarquer à la chambre qu’il s'agissait ici d'une question de raisonnement et non pas d'opposer des autorités les unes aux autres.
Si je me suis trompé sur une question où un petit surnuméraire d'une maison de banque ne se serait pas trompé, j'ai du moins de bien grands, de bien honorables complices. La commission de 1837 était composée d'hommes assurément compétents en matière de finances. Deux membres ne s'y sont pas rendus. Leurs noms, je n'ai aucune répugnance à les dire, puisqu'ils sont imprimés dans un document parlementaire, à la suite de l'exposé des motifs de 1837. On dit à la fin de ce rapport : « En terminant ce rapport, M. le ministre, nous devons vous exprimer le regret qu'a éprouvé la commission d'avoir été privée de deux de ses membres, MM. les comtes Meeus et Coghen, retenus par d'autres occupations. »
Vous voyez donc, messieurs, que deux membres, dont les noms peuvent être cites à cette tribune, deux de nos anciens collègues, n'ont pas pris part aux travaux de la commission de 1837, mais que cependant cette commission, où se trouvaient représentées d’autres personnes qui ont fait une étude spéciale de la question, a voté en principe pour la création d'une monnaie d'or.
Je dis en principe, et je m'arrête ici un instant en présence d'une interruption qu'on m'adresse.
Encore une lois, messieurs, quelle est la question du débat ? La question, et j'y reviendrai tout à l’heure, est de savoir s'il faut en Belgique une monnaie d'or, et, en cas d'affirmative, quelles doivent être les conditions légales pour que cette première disposition ne reste pas une lettre morte, pour qu'elle puisse recevoir son exécution.
Messieurs, après le rapport de l'honorable M. Cogels qui concluait à ne pas faire de monnaie d'or, qui posait une conclusion purement négative, j'ai proposé au Roi de nommer une nouvelle commission, et cette commission m'a fait un rapport qui a été distribué à la chambre.
Les noms des membres de cette commission se trouvent dans les documents de la chambre, session 1845-1846, n°250 ; il n'y a aucun inconvénient à les lire. La commission était composée de MM. Vilain XIIII, vice-président du sénat, président ; Pirmez, représentant ; le comte de Meeus, gouverneur de la Société Générale ; Cogels, ancien représentant ; Thiry, président de la commission des monnaies ; Allard, directeur de la Monnaie et Van Caillie, secrétaire générale du ministère des finances.
L'honorable M. Pirmez et l'honorable M. Cogels, fidèles à leurs doctrines, ont formé la minorité dans la commission de 1846. Mais qu'en résulte-t-il ? Que les autres membres et notamment l'honorable comte de Meeus, gouverneur de notre plus grand établissement de crédit, ont voté pour le système. Ces noms constituent, je pense, une autorité qui vaut un peu mieux que celle d'un petit surnuméraire d'une maison de banque.
J'ai eu très récemment, hier encore, l'occasion d'entretenir le chef de ce grand établissement des discussions qui sont commencées à la chambre des représentants. Je lui ai demandé si, en présence des débats, il croyait encore qu'il y eût, comme il l'avait énoncé auparavant dans cette chambre, entre autres lors de la discussion du budget des voies et moyens de 1844 (Moniteur du 12 décembre 1845), d'avoir en Belgique une monnaie nationale, et je crois pouvoir le dire, il persiste dans son opinion.
M. Osy. - Pour le chiffre ?
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je parle de l'opinion émise dans la commission de 1846, qu'il faut faire une loi qui nous permette d'avoir une monnaie nationale. Nous ne sommes pas divisés dans ce moment par le chiffre ; nous sommes divisés par un principe. Vous venez d'ailleurs de dire que vous n'admettiez pas le chiffre de la commission de 1846. Discutons d'abord le principe ; nous viendrons ensuite au chiffre.
Pour le moment, je ne suis pas même dans le débat réel ; j'oppose des autorités à celles que vous avez citées.
Sur cette question d'autorité on dit encore : Tous les banquiers sont contraires au projet. Veuillez remarquer d'abord que cela n'est pas exact, puisque le plus grand banquier de la Belgique n'y est pas contraire. Mais ensuite je conçois sans peine cette opposition. Permettez-moi une comparaison : s'il s'agissait de réduire ou de supprimer les procès, je crois que beaucoup d'avocats seraient contraires au projet de loi.
Des autorités, messieurs ! Mais assurément il faut voir quelle est la position de ces autorités. Il faut voir quelles peuvent être les conséquences de l'état actuel des choses pour les opérations dont les métaux précieux sont l'objet, et alors on comprend pourquoi, non pas tous les banquiers, mais quelques-uns, peuvent désirer que nous restions dans l'étal actuel des choses.
En effet, messieurs, quel est notre système aujourd'hui ? On nous dit : Il faut le système anglais ou le système français, l'argent ou l'or ! Soit, discutons cette question ; mais ayons un système. Aujourd'hui nous avons tous les systèmes à la fois et nous n'en avons aucun. Telle est la vérité de notre situation.
Ainsi que se passe-t-il tous les jours ? A certaines époques, la Belgique n'a que des pièces de cinq francs, que de l'argent français ; à d'autres époques, elle n'a que de l'or hollandais. Mais elle n'a presque jamais, elle ne peut en avoir, de l'argent belge, et elle n'a jamais de l'or belge parce qu'on ne peut en créer.
Ainsi nous sommes dans cette étrange position d'avoir tous les systèmes, d'avoir les inconvénients de tous, de n'avoir rien à nous et de compter sur tout le monde. Voilà réellement notre situation.
L'honorable M. Osy pense que nous devrions avoir le système anglais, le système de l'or.
Je concevrais que l'on discutât si l'application en est utile ou même possible en Belgique. Mais analysez toute la discussion actuelle, vous verrez que, dans l'opinion des membres qui combattent le projet, il faut que nous continuions à compter sur ce qu'on appelle le grand réservoir de l'argent, sur la France, et à compter simultanément sur la Hollande, pour avoir de l'or ; et, par conséquent, à n'avoir de monnaie ni d'argent, ni d'or.
Messieurs, je laisse un instant de côté toutes les considérations économiques ; je demande à chacun de vous d'interroger l'histoire contemporaine, l'histoire de tous les temps, et de voir si jamais il est arrivé à une nation, quelle qu'elle fût, de dire qu'elle comptait pour l'argent sur un voisin et pour l'or sur un autre voisin.
Toutes les nations, messieurs, ont senti par leur expérience qu'il y avait non seulement pour elle une question de dignité qu'on a appelée quelquefois gloriole, mais qu'il y avait une question d'intérêt politique et national d'avoir une monnaie propre. Ce n'est qu'en Belgique, messieurs, au milieu du XIXème siècle, qu'on vient déclarer qu'il n'en est pas ainsi. Car tous ces discours que nous avons entendus n'ont pas d'autre conclusion, d'autre conséquence.
Cette opinion toute nouvelle, qui depuis les temps historiques ne s'est pas encore fait jour dans le monde, dans quel pays, en présence de quels faits est-elle produite ? Dans un pays qui, comme je viens de le dire, est entre le système anglais et le système continental, de manière qu'il ait (page 939) tantôt l'un, tantôt l'autre par la force des choses, et selon l'intérêt d'autres peuples.
Cet argument, messieurs, ne m'appartient pas ; notre ancien collègue, dont j'invoquais tout à l'heure l'autorité, me l'a suggéré. Voici ce qui arrive : L'or hollandais nous vient de ce pays ou de Londres, à d'autres moments l'argent nous arrive de France, et il reste très peu de monnaie d'or dans la circulation ; dans de telles circonstances ne sommes-nous pas mieux placés que d'autres peuples, pour avoir comme eux, mais avec moins de dangers, jusqu'à un certain point, dans de certaines limites, la coexistence de deux monnaies, l'une accessoire, l'autre principale ? N'est-ce pas lorsque nous voyons ces faits se produire, que nous pouvons dire : Si généralement la coexistence de deux systèmes est impossible, du moins nous pouvons avoir comme type la monnaie d’argent, et comme accessoire, comme un utile agent des échanges, une certaine quantité de monnaie d'or nationale.
Messieurs, dans les transactions auxquelles donnent lieu les métaux précieux, il faut voir deux choses bien différentes : le change international, la circulation à l'intérieur. Aussi pour réfuter une partie du discours que vous venez d'entendre, je n'aurais qu'à démontrer que l'honorable membre applique à la circulation intérieure les faits qui se produisent, qui sont inévitables dans le change de nation à nation.
Je dois toujours en venir aux faits : depuis 30 ans nous avons la pièce de 10 florins ; cette pièce de 10 florins, entre nos mains, change de valeur chaque jour selon que la prime de l'or monte ou descend : eh bien, je le demande, dans toutes les transactions des échanges intérieurs, est-il jamais arrivé que qui que ce fût ait consulté le tarif de la prime de l'or ? N'a-t-on pas constamment échangé la pièce de 10 florins contre d'autres marchandises, d'après le cours légal qu'elle a en Belgique ? N'a-t-on pas toujours accepté cette monnaie comme étant un agent d'échange ? N'a-t-on pas pris indifféremment, comme le disait hier avec raison, l'honorable M. Sigart, l'argent, l'or ou les billets de banque qui, eux, n'ont aucune valeur intrinsèque quelconque ?
Eh bien, messieurs, si ce qui est arrivé pour la pièce de 10 florins est réel, et personne ne peut le contester, en vertu duquel principe peut-on soutenir qu'il en serait autrement pour la pièce que nous proposons de créer ? N'est-il pas vrai que si l'on nous fait un payement, soit en pièces de 25 fr., soit en pièces de 5 fr., soit en billets de banque, vous recevrez indifféremment les uns ou les autres, parce que c'est pour vous une valeur que vous pouvez échanger dès que vous le voulez ? Or c'est pour cela que la monnaie existe, c'est parce qu'elle présente une valeur échangeable certaine.
Quant au change international, il est très vrai que si vous deviez remettre constamment dans un pays étranger une monnaie dont la valeur légale fût supérieure à la valeur intrinsèque, le change se réglerait en votre défaveur, parce que l'étranger, pour lequel cette monnaie n'est pas une valeur échangeable, ne tient compte que de sa valeur intrinsèque.
Je le répète donc, c'est une erreur complète d'appliquer aux échanges à l'intérieur, ce qui se produit pour les échanges internationaux.
J'en appelle toujours aux faits : la création des pièces de 10 fl., l'existence de ces pièces, depuis 1816 jusqu'à ce jour, a-t-elle été cause d'une dépréciation du change ? Non, messieurs, cet effet ne s'est pas produit et ne devait pas se produire.
Maintenant je reconnaîtrai volontiers que lorsqu'il y a constamment des remises à faire de peuple à peuple, le change se règle d'après la valeur intrinsèque de la monnaie qui doit être donnée en payement à l'étranger. Cependant, il faut admettre aussi que dans le change intervient le besoin des remises ; l'on ne consulte pas seulement la valeur de la monnaie, mais aussi la nature des échanges qui doivent avoir lieu. Je n'accepte pas le fait, mais je le suppose tel que l'honorable M. Osy vient de le citer, que le change aux Etats-Unis sur l'Angleterre est ordinairement d'au moins 8 p. c. de perte, et qu'il est aujourd'hui réduit à 6 p. c. Cela s'explique, messieurs, par les transactions exceptionnelles que la crise des subsistances nécessite entre l'Angleterre et les Etats-Unis. Or, on attribue le fait non pas à la nature des transactions, mais à la valeur de la monnaie d'or américaine. (Interruption.)
Vous avez dit que la défaveur du change entre l'Angleterre et les Etats-Unis provient précisément de ce que les Etats-Unis ont, plus encore que nous le proposons, exagéré la valeur de leur monnaie d'or. Je dis que précisément aux Etats-Unis le principal agent des échanges n'est pas l'or mais l'argent. Ainsi votre argument, permettez-moi cette expression, frappe à côté.
Je définissais tout à l'heure, messieurs, le système ou plutôt l'absence de système, quant à la circulation monétaire que nous avons en Belgique. L'honorable M. Anspach, dans le discours qu'il a prononcé hier, m'a paru énoncer un regret de ce que nous n'avons pas complété l'absence de système en tarifant légalement en Belgique la nouvelle monnaie d'argent de Hollande. C'est ainsi que l'honorable membre dit : « Voyez ce qui serait arrivé si les monnaies hollandaises avaient été tarifées chez nous suivant leur valeur, c'est-à-dire les florins à 2 fr. 10 c. et les 10 florins à 21 fr. Voyez ce que nous aurions pu faire ! Au lieu de nous adresser à un étranger pour placer six misérables millions de bons du trésor à un prix excessif, nous nous serions adressés à nos banquiers qui les auraient pris à bon marché, puisque l'escompte était à Amsterdam de 3 1/2 à 4 p. c. »
Eh bien, messieurs, je dois le dire, à l'époque où cette négociation de bons du trésor eut lieu, on savait que le trésor devait négocier des bons, mais il n'y eut pas d'offres de ce côté, et aujourd'hui on nous apprend que si nous avions démoli tout ce qui pouvait rester d'un système monétaire en Belgique, nous aurions eu l'argent hollandais. Et pourquoi ? pour avoir tarifé légalement une monnaie réduite, comme l'a dit hier l'honorable M. Pirmez, l'argent hollandais, nous aurions continué d'accepter les pièces de 10 florins, soit pour 21 fr. 10, soit pour 21 fr., si nous les réduisons, et nous nous serions mis dans l'impossibilité à tout jamais d'avoir à nous-mêmes, soit de la monnaie d'argent, soit de la monnaie d'or.
La France, dit-on, est un immense réservoir où vous pouvez toujours puiser ; vous n'avez pas à craindre de manquer d'argent dans aucune crise.
Messieurs, cela est très vrai lorsqu'il y a une crise en Belgique, sans qu'il y ait une crise en France ; mais lorsque la crise est commune aux deux pays, les difficultés de la Belgique pour obtenir de l'argent en France sont en raison directe de la violence de cette crise elle-même.
Nous ne devons pas remonter bien loin pour en avoir l'expérience.
Au mois de décembre dernier, lorsqu'on publiait avec inquiétude, lorsqu'on suivait tous les jours en quelque sorte le bulletin sanitaire de la réserve de la banque de France, nous avions aussi besoin eu Belgique de tirer de l'argent de ce pays, et tout le monde sait quelles ont été les difficultés. (Interruption.)
Si tout le inonde ne le sait pas, tout le monde, moins l'honorable M. Osy, qui m'interrompt, sait quelles ont été les difficultés.
On nous dit encore : Si vous créez une monnaie d'or, vous chasserez une quantité correspondante d'argent français ; vous diminuerez l'émission d'argent, vous nuisez au système.
Si dans ce moment nous avons principalement de l'or hollandais, comment peut-on admettre que la création de l'or belge aura plutôt pour effet de chasser les pièces de 5 francs que de chasser l'or hollandais ?
Un autre orateur, et remarquez combien les objections sont contradictoires, un autre orateur a dit : Vous allez faire une perte annuelle de 1,250,000 fr. sur la création des 25 millions de réserve en numéraire.
La réserve en numéraire, par quoi se réglera-t-elle ? Par les besoins de la circulation ; de sorte que s'il était satisfait complétement à cette circulation, en dehors de cette création de 25 millions, l'argument serait fondé. Mais on l'a dit avec raison, la circulation se règle d'après les besoins réels, de sorte que ces 25 millions, que ce soient des pièces de 25 francs ou des pièces de 10 florins, s'ils sont réellement nécessaires à la circulation, y resteront.
Assurément, il ne faut pas qu'un pays exagère la circulation des métaux. Il y a perte d'intérêt réelle, lorsque les capitaux que les métaux précieux représentent, au lieu d'être appliqués au travail national, sont appliqués à une simple circulation. Ainsi la valeur monétaire est une véritable déduction du bénéfice national.
Je demande pardon de faire un peu de métaphysique économique ; mais ces notions me paraissent nécessaires. Pour mieux faire sentir ma pensée, prenons le système anglais et le système français. En France, nous avons, je suppose, 3 milliards 1/2 de numéraire ; ces 3 milliards sont un simple agent matériel des échanges, et ne rapportent pas, en réalité, un intérêt à la nation ; en Angleterre, on n'a que 1,200,000,000 en numéraire, et ou y fait 5 fois plus d'affaires qu'en Fiance. Le dernier pays, pour ses échanges intérieurs, perd l'intérêt de 3 milliards et demi ; l'Angleterre l'intérêt de 1,200,000,000.
Messieurs, tout le numéraire circulant donne une perte d'intérêt. C'est une réserve improductive.
Les 25 millions d'or dont la création est proposée, viendront-ils former un excédant sur les besoins de la circulation ? Pour le prétendre, il faudrait pouvoir démontrer que cette somme sera inutilement créée et ne viendra pas remplacer dans la circulation les pièces d'or hollandaises qui y sont aujourd'hui.
Si je suis parvenu à faire comprendre ma pensée, il en résulte que l'honorable M. Anspach s'est complétement mépris, lorsqu'il a dit qu’en créant 25 millions d'or, nous conseillions à subir une perte annuelle des 1,250,000 fr. d'intérêt.
J'espérais, je l'avoue, d'après les explications que j'ai données hier, que l'honorable M. Osy ne serait plus revenu sur la question du droit des gens. Le fait cité par lui se rapporte à une époque exceptionnelle ; c'est en réalité au nom de celui que l'Angleterre considérait comme le roi légitime de France que cette fabrication a eu lieu. Voilà le fait dans toute sa vérité historique ; mais on ne peut en citer aucun autre depuis lors, soit en Angleterre, soit dans tout autre pays.
Si le fait ne s’est pas produit depuis tors (je ne veux plus discuter la teneur du bill que j'ai sous les yeux et qui me paraît péremptoire), quelle en est la cause ? C'est que cela ne peut pas être ni au point de vue international, ni au point de vue anglais.
Cela ne peut pas avoir lieu au point de vue anglais ; si dans un pays quelconque, on permet d'avoir des instruments pour fabriquer de la monnaie étrangère, ces instruments seront excellents pour fabriquer de la monnaie nationale ; et à moins d'établir un contrôle incessant, lorsque vous aurez permis à quelqu'un de créer de la monnaie étrangère, vous lui aurez donné tous les moyens nécessaires pour fabriquer de la monnaie indigène, vraie ou fausse. Tel est l'intérêt anglais.
Quant à l'intérêt international, encore une fois, il ne s'agit pas de savoir si la Belgique pourrait mettre en circulation en (page 940) Angleterre une grande quantité de monnaie d'argent anglaise ; mais si un gouvernement quelconque, à une époque telle que celle où nous sommes, peut permettre qu'on fabrique sur son territoire de la monnaie étrangère, même vraie, il doit y avoir réciprocité : parce que la réciprocité entre les nations est la grande loi ; mais si tel est le droit des gens, pourquoi n'a-t-on pas fait ce que nous avons fait nous-mêmes ? Nous fabriquons une monnaie surtaxée de 30 p. c, d'un métal pur, sans alliage, dont la fabrication est plus facile qu'aucune autre ; pourquoi n'a-t-on pas fabriqué quelques millions de monnaie de cuivre belge ? En faisant cette opération, on faisait un bénéfice de 30 p. c. Et cependant vous le voyez, messieurs, les intérêts communs de tous les pays sont tels que jamais à aucune époque un pareil fait ne s'est présenté.
Je crois, messieurs, ne pas devoir m'arrêter davantage à cette objection ; je me surprends à douter, en la rencontrant, si nous vivons à une époque de civilisation ou si nous rétrogradons de quelques siècles.
Il me reste, messieurs, un dernier mot à dire sur les payements.
La commission instituée en 1846 a fait observer que notre législation a résolu une question controversée sous l'ancienne jurisprudence, la question de savoir si le payement de dettes anciennes pouvait avoir lieu au moyen de la nouvelle monnaie. La commission dont on parle n'a pas dit que ce qui est légal est toujours équitable (on a vu des lois ne pas tenir compte des règles de la justice et de l'équité) ; mais, citant l'article 1895 du Code civil, elle a dit que le payement en monnaie ayant cours était légal.
Cette assertion est parfaitement fondée ; et qu'a fait l'article 1895, sinon l'application de ce principe, que dans la création des monnaies il faut tenir compte de la valeur échangeable que peut réaliser immédiatement pour tous les usages de la vie celui à qui un payement se fait. Autre chose est la grande opération qui a pour objet de relever le change entre les pays ; autre chose est le payement, la circulation qui est juste, équitable toutes les fois qu'on peut réaliser la valeur que l'on reçoit.
Messieurs, quel que doive être le résultat de cette discussion, je me féliciterai de l'avoir soulevée. Il faut que la Belgique sache dans quel système elle se trouve aujourd'hui, et que le gouvernement et les chambres avisent au moyen de l'améliorer.
Il résultera de ces débats, ou la reconnaissance du principe qu'un système de monnaie nationale peut être créé, ou qu'il y a d'autres mesures à prendre à l'égard de la monnaie d'or que nous avons eu la bonté de recevoir jusqu'aujourd'hui.
Dans tous les cas, il est une question qui doit rester en dehors du débat, c'est celle de l'altération de la monnaie. La monnaie est vraie quand on l'a fabriquée conformément à la loi. La monnaie d'or du duc de Ferrare et celle du pape sont sans alliage ; elles ne sont pas plus vraies que celle des Etats-Unis qui est fabriquée à une valeur relative beaucoup inférieure à celle que nous proposons aujourd'hui. Ainsi, toute nation a le droit de fixer le titre et le poids de sa monnaie ; quand ces conditions légales sont observées, il n'y a aucune question de moralité ou de dignité nationale qui puisse être soulevée à l'étranger.
M. Lejeune. - Messieurs, si jamais le côté pratique d'une question a dû l’emporter sur la théorie, c'est bien lorsqu'il s'agit de la fabrication des monnaies. Cela s'est vu toujours et partout. Plusieurs orateurs que vous avez entendus dans cette discussion, raisonnant en théorie, sont arrivés à des conclusions différentes : les arguments des uns conduisent à ce résultat, qu'il ne faut pas du tout de monnaie nationale, que nous n'avons besoin d'aucun système monétaire, que la fabrication de la monnaie nationale est une institution inutile, même onéreuse sans compensation ; les autres ont manifesté une préférence marquée pour le système anglais, c'est-à-dire pour le système qui admet l'or comme seule mesure de la valeur, comme seul étalon.
Messieurs, je commence par dire que les théoriciens peuvent avoir rigoureusement raison, c'est-à-dire qu'ils peuvent être logiques dans leurs raisonnements, et que cependant on peut ne pas suivre leur avis en pratique.
Quant à l'opinion que toute espèce de fabrication de monnaie est inutile et même onéreuse, je pense que nous ne pouvons pas la discuter ici. La question a été discutée et résolue au congrès national.
L'institution d'une monnaie nationale est constitutionnelle ; la Constitution accorde au Roi des Belges la prérogative de battre monnaie, conformément à la loi. Ne faut-il pas que cette disposition de la Constitution soit exécutée, comme toute autre ? Ne devons-nous pas chercher à faire une loi qui permette l'exercice de cette prérogative ? Une loi négative en quelque sorte, une loi dont l'exécution serait impossible, serait contraire, me paraît-il, à l'esprit de la Constitution.
D'honorables membres ont dit qu'ils préféraient le système anglais. Messieurs, les Anglais ont le meilleur système, pour leur pays, peut-être même en théorie, on peut les imiter.
Mais on doit rechercher comment ils sont parvenus à leur système ; le système anglais n'a pas été décrété n priori, le système anglais a été le résultat des mœurs et des coutumes de la nation.
Je vous demanderai la permission d'examiner en peu de mots ce qui s'est passé en Angleterre. Suivons l'exemple des Anglais, mais avant voyons ce qu'ils ont fait.
Jusqu'en 1257 on n'a frappé en Angleterre que de la monnaie d'argent ; l'or n'était pas admis dans la circulation ; l'or fut seulement admis dans la circulation vers 1330.
Il y eut deux étalons monétaires, dès cette époque jusqu'en 1774. Ainsi, pendant 450 ans, le double étalon a existé en Angleterre.
L'or et l'argent ont été indifféremment les mesures légales de la valeur.
Alors encore, après 1774, la monnaie d'argent a conservé son cours légal jusqu'à concurrence de 25 liv. st.
Ce n'est qu'en 1816 que le cours obligé de l'argent a été réduit à 40 schellings.
Voilà le résumé des grands changements dans la législation anglaise.
Le résultat final a été que l'or est resté comme unique étalon. Mais comment cela est-il arrivé ? Est-ce par la loi que cela s'est fait, comme voudraient le faire aujourd'hui les partisans d'un seul étalon ?
Examinons quels ont été les motifs des lois anglaises.
Nous pouvons imiter les Anglais dans leur raisonnement, dans leur logique et arriver à un résultat diffèrent.
Voyons avec un peu plus d'étendue les principales vicissitudes qu'a subies le système monétaire anglais.
En 1257, pour la première fois, on émit des deniers d'or. L'opposition contre la monnaie d'or se manifesta avec une telle violence que le gouvernement fut obligé de publier que personne n'était tenu de recevoir l'or en payement. Je cite ce fait, pour constater que de tout temps, en cette matière, on a rendu hommage à l'opinion publique ; ce sont les habitudes, les mœurs du pays qui ont servi de base à toute législation monétaire.
On s'est habitué peu à peu à la circulation de l'or, qui n'avait pas encore cours obligatoire.
C'est vers le milieu du XIVème siècle que l'or a été admis légalement dans la circulation.
Depuis cette époque jusqu'en 1774 (pendant quatre siècles et demi) a existé le double étalon. Les inconvénients qu'on nous cite aujourd'hui comme pouvant résulter de la coexistence des deux mesures de la valeur existaient alors comme aujourd'hui, et l'on ne crut pas devoir par cette raison seule changer de système. Vers le milieu du XVIème siècle l'argent disparut. Au commencement du XVIIème siècle, l'or disparut à son tour.
Pour remédier à cet inconvénient on a élevé le prix de l'or à différentes reprises. On l'éleva d'abord de 11 pour cent et peu de temps après de 10 pour cent.
En 1663, c'était de nouveau l'argent qui dominait. On se trouva, pour une troisième fois, obligé d'augmenter la valeur de l'or de 8 1/2 p. c. La circulation de l'or trouva une telle faveur que constamment le prix s'en est augmenté, et que le cours des guinées s'est même élevé de 20 sch. jusqu'à 30.
Ainsi, dès la fin du XVIIème siècle, l'or a définitivement obtenu la préférence. C'était un fait très bien constaté. Cependant, on maintint dans la loi le double étalon jusqu'en 1774, parce que la longue habitude de se servir de monnaie d'argent, quoiqu'elle fût presque réduite à l'état de souvenir, était encore trop enracinée pour opérer plus tôt ce grand changement.
Mais quelles sont donc les causes de la préférence donnée à l'or ? Pourquoi l'or est-il importé en Angleterre. Pourquoi l'argent est-il exporté ? Ce n'est pas la loi qui produit ce résultat ; c'est l'opinion publique qui avait établi la supériorité de l'or.
Le gouvernement, en élevant le prix de l'or successivement et en décidant que l'or serait le seul étalon, n'a jamais fait que constater le fait qui préexistait ; il s'est simplement conformé aux habitudes, aux usages reçus, aux mœurs du pays ; et même le fait étant constant, il l'a toujours fait passer dans les lois, en le modérant, en s'y opposant en quelque sorte, en favorisant la fabrication de la monnaie d'argent, plutôt que celle de la monnaie d'or.
Les causes de la préférence pour la monnaie d'or sont diverses. Il y en a une que l'on peut faire valoir dans tous les pays ; c'est la facilité des payements et du transport.
En Angleterre, il y en a d'autres. A la réforme de 1696, on a été privé pendant un certain temps de toute monnaie d'argent qui était défectueuse, rognée. On s'est ainsi de plus en plus habitué à la monnaie d'or.
Il y a d'autres causes que des causes commerciales ou industrielles.
Il y a un fait assez remarquable : c'est que la prépondérance définitive de l'or sur l'argent, date précisément de l'époque où l'aristocratie a acquis définitivement la prépondérance en Angleterre.
La monnaie d'or est plus particulièrement la monnaie de l'aristocratie, tandis que la monnaie d'argent a un caractère plus démocratique. En France, les positions sont toutes différentes, les positions sont plus médiocres, on y a maintenu la préférence pour l'argent.
Messieurs, ces détails, dans lesquels je suis entré quant à la législation anglaise, ont uniquement pour but de constater que jamais l'Angleterre n'a cherché quel était le meilleur système monétaire en théorie ou en principe, que jamais elle n'a eu la moindre intention d'établir un système à l'encontre de l'opinion, mais qu'elle a cherché à constater quelles étaient les mœurs, quelles étaient les habitudes du pays, et qu'elle a fait passer dans la loi les faits acquis dans l'opinion publique.
Messieurs, en admettant cette base, voyons quelles sont les habitudes, quelles sont les mœurs, quels sont les besoins du pays ? Qu'est-ce que le pays demande à la législation monétaire ? Nous avons certainement besoin de moyens d'échanges à l'intérieur ; pour l’intérieur seul, il faut pourvoir à des moyens d'échange.
Eh bien, messieurs, ne sont-ce pas simultanément les monnaies d'or et d'argent qui ont encore cours, et que l'on demande dans la circulation ? S'accommoderait-on aujourd'hui du système anglais ? Si l'on faisait (page 941) disparaître tout à coup la monnaie d'argent, et que l'on adoptât l'or comme seule mesure de la valeur, serait-ce là se conformer à l'opinion publique, aux habitudes du pays ? Certainement non, nos habitudes sont constatées par les moyens d'échange que nous trouvons dans la circulation, ce sont l'or et l'argent.
Cette base admise et constatée, faut-il que ce soit la monnaie étrangère qui fasse l'office de monnaie d'échange dans notre pays ?Faut-il que la monnaie d'argent dont nous avons besoin, nous l'empruntions à la France, et que la monnaie d'or, nous l'empruntions à la Hollande ? Je suis persuadé que votre patriotisme répondra négativement.
Messieurs, il me paraît qu'eu égard aux nécessités des échanges à l'intérieur, il est nécessaire encore aujourd'hui de fabriquer de l'or et de l'argent. J'ai envisagé la question dégagée de toute difficulté de haute théorie, de toute question de haut commerce et d'opérations de banque.
L'intérêt principal et le motif primitif de toute fabrication de monnaie ont été sans doute les moyens d'échange dans le pays où l'on fabriquait cette monnaie. C'est là l'intérêt vrai, l'intérêt dominant. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas d'autres qui s'y rattachent, il y en beaucoup sans doute ; mais les autres, selon moi, ou en dérivent ou doivent y être subordonnés.
Ainsi, messieurs, j'envisage comme base de la loi que nous discutons, d'abord les dispositions constitutionnelles et en second lieu les habitudes de la nation. Si l'on admet cette double base, on reconnaîtra que nous n'avons à faire qu'une seule chose : c'est de rechercher tous ensemble les moyens de fabriquer de la monnaie dans les meilleures conditions possibles ; et je le déclare, je considère comme les meilleures conditions possibles celles qui rapprochent le plus la valeur intrinsèque de la valeur nominale. Mais encore faut-il qu'il y ait de la marge pour que la fabrication soit possible et qu'elle soit un peu au-dessus des fluctuations du taux des métaux précieux.
Messieurs, nos moyens d'échange à l'intérieur sont-ils assurés ? On l'a soutenu dans cette discussion ; mais quelle que soit l'autorité des honorables membres qui ont émis cette opinion, je ne puis m'y référer. Je n'ai pas besoin de citer, comme l'a fait tout à l'heure l'honorable ministre des finances, d'autres autorités ; mais il y en a de très respectables qui sont d'un avis contraire. L'exportation de la monnaie française a lieu souvent, a lieu quelquefois dans une très grande proportion, quels que soient les motifs qu'on y assigne. On a assigné comme motifs l'élévation des valeurs de banque sur Paris, au moyen desquelles nous nous libérons non seulement envers la France, mais aussi envers d'autres pays voisins. Si le cours du change, si élevé sur les valeurs de banque de France, s'élevait en même temps sur Amsterdam, nous pourrions voir partir aussi les guillaumes et rester sans moyen d'échange dans le pays.
De pareilles crises, messieurs, quoi qu'on en ait dit, ont existé et les moyens d'y parer n'ont pas été faciles.
Le remède à ces inconvénients, c'est de fabriquer une monnaie d'or qui puisse rester dans le pays. D'un autre côté c'est de fabriquer de l'argent, et cette fabrication deviendra plus facile à la suite des mesures prises par le gouvernement et par les chambres. Dès lors l'exportation de la monnaie, soit des guillaumes, soit des pièces de 5 francs, n'aurait plus tant d'inconvénients ; on pourrait au moins pourvoir à la circulation, on pourrait les remplacer.
Une autre opinion, messieurs, s'est fait jour dans la discussion, c'est qu'il faudrait fabriquer de la monnaie d'or portant seulement l'empreinte du poids et du titre des pièces auxquelles on ne donnerait pas de valeur nominale. Messieurs, on peut faire cela, mais on ne peut pas donner à ces pièces le nom de monnaie ; ce n'est pas là véritablement une monnaie, c'est une marchandise ; une condition essentielle de la monnaie réelle, c'est que non seulement sa valeur intrinsèque soit déterminée par la loi, mais encore qu'elle ait un prix certain, une valeur nominale garantie par l'Etat. De quelle utilité serait une pièce de monnaie-lingot, de quelle utilité serait-elle, je ne dis pas pour les banquiers, pour le haut commerce, mais pour le peuple, pour le petit commerce, pour la bourgeoisie ? Pour croire qu'une pareille monnaie pourrait suffire, il faut faire abstraction des huit dixièmes de la nation, pour lesquels d'autres moyens d'échange sont nécessaires.
Je ne puis donc admettre cette opinion que la monnaie-lingot pourrait satisfaire aux besoins en vue desquels le projet est présenté.
Pour faire de la monnaie d'or qui soit véritablement de la monnaie, c'est-à-dire une pièce à laquelle on donne une valeur nominale garantie par l'Etat, il faut nécessairement rester au-dessous de cette valeur nominale, afin de pouvoir couvrir les frais de fabrication, les frais de transport et de commission. On a dit que rester au-dessous de la valeur nominale, c'était un dol, une spoliation ; mais, messieurs, quelle spoliation y a-t-il à émettre une pièce dont la valeur réelle se rapproche de la valeur nominale, et dont la valeur nominale est garantie par l'Etat ? C'est dans cette condition que partout les monnaies se fabriquent.
Ou propose de fabriquer de l'or a un taux plus bas que celui qui est fixé par la loi de 1832, pour rendre la fabrication possible. On a cité bien souvent dans cette discussion la pièce de 10 florins comme étant trop légère, et la loi de 1816 comme ayant consacré un dol, une spoliation. Mais, messieurs, cette pièce de 10 florins s'est bien corrigée depuis 1816, il paraît que l'on continue en quelque sorte à la calomnier par habitude ; cette pièce aujourd'hui n'est plus si mauvaise, car il est arrivé déjà plusieurs fois, par les fluctuations de la prime, que la pièce de 10 florins valait plus, valeur intrinsèque, que 21 fr. 10 c. On peut avoir eu raison, à une certaine époque, de critiquer la loi de 1816 ; mais je crois qu'aujourd'hui ces critiques que l'on continue, je le répète, par habitude, ces critiques sont devenues une véritable calomnie envers le guillaume d'or.
On en est arrivé à ce point qu'à Utrecht on ne peut plus faire les guillaumes.
Il est facile à chacun de voir, par la cote de la bourse, quand on pourra travailler : lorsque la prime de l'or est à 17 1/2 millièmes à peu près, la pièce de 10 florins vaut à Paris exactement sa valeur nominale ; il faut déduire de ce prix les frais de fabrication, environ 3 millièmes ; ainsi la pièce de 10 florins, considérée comme monnaie, c'est-à-dire y compris les frais de fabrication, a une valeur intrinsèque égale à sa valeur nominale lorsque la prime est à 14 1/2 à peu près. De cette prime de 14 1/2, il faut déduire encore les frais de transport, de commission, de courtage, frais qui reviennent à peu près à 5 millièmes, de sorte qu'en définitive lorsque la prime de l'or est de 10 millièmes et que l'on doit tirer la matière de Paris ou de Londres, on ne peut pas fabriquer avec bénéfice à Utrecht.
Eh bien, messieurs, la plupart du temps ce chiffre de 10 millièmes est dépassé et dès lors la plupart du temps on ne peut plus fabriquer de pièces de 10 florins à Utrecht. Aussi, en Hollande, sans s'attacher à ce qu'on appelle ici la question de moralité, sans s'attacher à toutes les considérations que les adversaires du projet ont fait valoir, on songe sérieusement à modifier la loi monétaire.
Mais, vous a-t-on dit, augmenter le numéraire en circulation, c'est faire une perte assurée ; nous ne manquerons jamais de numéraire, nous n'avons pas besoin d'en faire ; le plus ou moins de numéraire en circulation serait sans aucune importance.
Messieurs, je ne contesterai pas les arguments des honorables membres très haut placés pour traiter les questions de banque qui leur sont très familières. Mais je dirai que la question qui nous occupe peut être considérée sons divers points de vue.
Il ne faut pas que tout, dans le monde, que tous les intérêts de la société soient capitalisés, soient convertis en sous et deniers et rapportent un intérêt de 5 p. c. ; il y a des intérêts sociaux qui ne comportent pas ce calcul, et puisqu'on s'est appuyé sur des autorités, je vais en citer une qu'on ne récusera pas comme autorité politique ; je vous citerai l'opinion que M. Thiers a émise, lorsqu'on a examiné dans les bureaux la loi ayant pour objet d'autoriser la banque de France à mettre en circulation des billets de 250 francs. Voici un extrait du compte rendu :
« M. Thiers a signalé comme dangereux, le projet du gouvernement, qu'il regarde comme ayant une tendance à émettre des billets de petite valeur. Il craint que dans les départements on ne mette en circulation des billets de 100 fr. ou de 125 fr. ; selon lui, ce sera un grave inconvénient pour la richesse de la France. La véritable richesse, l'une des forces principales d'un pays, dit-il, est l'abondance du métal, tandis que la diffusion des petits effets le chasse du territoire. »
Vous voyez, messieurs, qu'il y a une autre manière d'envisager la question ; je l'indique seulement ; M. Thiers trouve que la véritable richesse «d'un pays, l'une des forces principales d'un pays est dans l'abondance du métal.
M. Thiers paraît être partisan de ce grand réservoir de monnaie dont on a parlé hier, et où, dit-on, nous pouvons continuellement puiser. Oui, la France est le pays où l'on a fabriqué le plus de monnaie, on y a fabriqué plus de monnaie que dans le reste du monde entier, et les économistes ont souvent reproché à la France d'en avoir fait trop. L'on a évalué les valeurs en circulation en numéraire à 3 milliards ou à 3 milliards et demi, et même 5 milliards ; et l'un des économistes qui a reproché à la France d'avoir trop de monnaie d'argent, manifeste aujourd'hui des inquiétudes en sens contraire. C'est M. Léon Faucher.
« Nous avons, a-t-il dit, nous avons passé de l'abondance du numéraire à un état voisin de la pénurie. »
Il ne partage pas l'avis de M. Thiers, relativement à l'émission des petits effets de banque ; il veut qu'on comble le déficit par des billets de banque, il est favorable à l'émission de billets de 250 fr. et même de 100 fr.
Cette pénurie de monnaie se manifeste en France, dans le pays où les quantités de monnaie sont les plus abondantes ; elle s'est manifestée en Belgique, malgré les ressources que nous avons trouvées dans les monnaies de nos voisins ; c'est un fait qui a existé ; la crise peut se reproduire eu Belgique ; il serait sage d'y obvier autant que possible.
En résumé, il me semble que nous devons chercher à exécuter la Constitution, que nous devons chercher à maintenir le système actuel, parce que ce système est conforme aux habitudes du pays ; nous devons fabriquer non seulement de la monnaie d'argent, mais aussi de la monnaie d'or dans certaines limites ; rapprochons la valeur réelle autant que possible de la valeur nominale, mais laissons une marge suffisante, pour que la loi ne soit pas une lettre morte.
M. Cans. - Messieurs, après les discours prononcés dans les séances précédentes par les honorables membres qui ont combattu le projet de loi en discussion, je crois inutile de revenir sur les arguments qu'ils ont présentés. Mais, avant d'aborder l'examen de la question sous un autre point de vue, je ne puis, en passant, m'empêcher d'exprimer le regret qu'elle n'ait pas été étudiée sous toutes ses faces par la commission, dont les membres semblent n'avoir pas eu connaissance d'un travail dû à un savant aussi distingué par sa modestie que par son talent, professeur de l'une des universités de l'Etat, et dont l'opinion méritait certes bien l'honneur d'être discutée.
Dans cet écrit de quelques pages, l'auteur démontre que l'or et l'argent ne peuvent être employés simultanément comme monnaie-étalon.
(page 942) L'une de ces monnaies doit nécessairement expulser l'autre qui, dans ces circonstances, redevient marchandise.
L'auteur part de ce principe, pour proposer de frapper des lingots d'un poids déterminé, soit de 5 et 10 grammes à 9/10 de fin, portant sur l'empreinte, outre l'effigie du souverain et l'indication de la valeur pour laquelle elle aurait cours dans le pays, comme nos monnaies actuelles, l'indication du poids et du titre de chaque pièce. Dans le pays, elle pourrait être reçue pour 15 fr. 75 l'une, et 31 fr. 50 l'autre, taux un peu plus élevé que sa valeur intrinsèque et qui, s'il était nécessaire, par suite de l'augmentation continue de la valeur de l'or, ou en cas de diminution, pourrait être modifié par une loi, sans devoir refondre la monnaie. Cette monnaie serait recherchée à l'étranger parce que, grâce à l'indication du poids et du titre, chacun pourrait faire le calcul de ce qu'elle vaut réellement au cours du jour de l'or. Elle serait ce qu'est la monnaie d'or dans plusieurs Etats de l'Allemagne, où toutes les pièces étrangères sont acceptées sans difficultés, d'après le cours des changes.
Je n'entrerai pas plus avant dans l'analyse de ce système, qui a déjà été indiqué à la chambre par l'honorable M. Sigart, et qui mérite d'être mûrement approfondi. Si le projet de loi, comme je le pense, est rejeté, je me féliciterai d'avoir signalé à l'attention de M. le ministre des finances le travail trop peu connu de l'honorable professeur. J'y puiserai la matière d'un amendement, dans le cas où le projet serait adopté. Cet amendement a pour objet de faire décider que le poids et le titre de chaque pièce y seront indiqués.
J'examinerai maintenant la question sous un autre point de vue, et je me demande : s'il est bien nécessaire, s'il est indispensable, qu'il y ait une monnaie d'or dans le pays ?
Il est inutile de rappeler que, dans l'origine des sociétés, tous les échanges de produits se faisaient d'une manière directe, par le troc des uns contre les autres ; ce mode, le plus imparfait de tous, n'a pas tardé à s'améliorer ; plus tard ces échanges se sont opérés d'une manière indirecte par le moyen de divers produits intermédiaires auxquels on a donné une valeur de convention. On a successivement choisi des produits naturels, tels que des coquillages, des grains de cacao, etc. etc., pour remplir les fonctions de monnaie, et l'on s'est définitivement arrêté à l'or et à l'argent. Un progrès analogue à celui qui a signalé la substitution des métaux précieux aux autres objets, doit dans peu de temps se réaliser.
L'or et l'argent possèdent à un très haut degré les propriétés monétaires, mais à mesure que les transactions deviennent plus nombreuses et plus importantes, ils se montrent moins propres à remplir exclusivement la mission de moyens d'échanges. Dans les grands centres d'affaires tels que Londres, Paris, etc., les payements journaliers s'élèvent à des sommes tellement considérables qu'il serait impossible de les effectuer en monnaie métalliques. Quelques auteurs prétendent qu'il se paye à Londres chaque jour 5 millions sterling (125 millions de francs), d'autres portent le total des payements au triple de cette somme.
La monnaie métallique n'étant plus en rapport avec les besoins de la société, on aurait dû réformer le système monétaire. Mais aucun Etat n'y ayant songé jusqu'à ce jour, l'intérêt privé, plus actif et plus clairvoyant que les hommes du pouvoir, a créé une monnaie de convention beaucoup plus commode et moins coûteuse que la monnaie métallique ; ce sont les billets de banque ; pourquoi le gouvernement ne ferait-il pas lui-même des billets de banque, qui deviendraient monnaie légale et remplaceraient l'or avec avantage ?
Seulement, il faudrait que la loi limitât l'émission de cette monnaie de papier à la somme nécessaire et que la fabrication fût soumise à une commission spéciale qui ferait connaître régulièrement par la voie des journaux les quantités qui seraient mises dans la circulation.
Les propriétés d'une bonne monnaie sont la divisibilité, la facilité à être comptée, transportée, la valeur et même une grande valeur sous un petit volume, enfin le bon marché de la fabrication. Les billets de banque réunissent à un degré éminent ces différentes qualités, et c'est ce qui les fait journellement préférer à la monnaie même. A ces avantages il faut ajouter la perte inévitable de l'usure des monnaies et l'intérêt du capital rendu improductif par la transformation des métaux précieux en monnaie. Si au lieu de proposer aux chambres la fabrication de la monnaie d'or pour 25 millions, le gouvernement demandait l'autorisation de créer pour une pareille somme de billets de banque, le pays y gagnerait annuellement près de 1,300,000 fr., outre les frais de fabrication. Cette diminution de nos dépenses n'est pas à dédaigner dans les circonstances actuelles.
Les billets présentent encore un autre avantage sur la monnaie d'or que l'on est tenté de garder inutilement en sa possession. L'épargne transformée en monnaie d'or reste longtemps hors de la circulation d'une manière improductive, tandis que s'il n'y avait que des billets de banque et des espèces en argent dont le volume est embarrassant, toutes les économies se placeraient dans les caisses d'épargnes, ou en obligations de la dette nationale ; elles produiraient à leur tour un intérêt qui viendrait accroître la fortune publique dans une proportion incalculable. Cette heureuse innovation serait due à l'usage des valeurs en papier répandues dans toutes les classes de la société.
Le temps n'est sans doute pas éloigné où la monnaie de papier remplacera les monnaies métalliques, qui ne serviraient plus que pour les appoints. Le pays est parfaitement préparé pour cette transformation.
Nous n'avons pas de monnaie d'or ; les pièces de 10 florins qui continuent à avoir cours ont par moments disparu entièrement de la circulation, lorsque les changes élevés rendaient avantageuse l'exportation de l'or. Les banques à Bruxelles émettent des billets de 50 fr., celles d'Anvers et de Gand descendent même jusqu'à une coupure de 25 fr. Ces billets, dont l'usage est général, dispenseraient de la nécessité de créer une monnaie d'or, si, émis par le gouvernement, ils étaient reçus dans les caisses des receveurs des contributions dans tout le pays.
Mais, dira-t-on, tout le monde se souvient encore des assignats ! Les conséquences désastreuses des diverses émissions de papier-monnaie que l'histoire a enregistrées, sont dues seulement à l'abus que l'on en a fait. Il faut que cette émission soit restreinte dans les bornes des besoins. En France aussi longtemps que Law eut la direction de la banque, c'est-à-dire depuis 1710 jusqu'en 1719, les billets de cette banque valaient le pair ; mais après sa retraite, de nouvelles émissions immodérées vinrent en diminuer la valeur, jusqu'à ce qu'elle devint tout à fait nulle.
En Angleterre le parlement ayant, en 1797, autorisé la banque à ne pas rembourser ses billets, ils sont devenus la monnaie du pays, et comme la masse existante correspondait aux besoins, ils ont conservé pendant quelque temps la même valeur que les pièces métalliques.
Plus tard de nouvelles émissions ayant augmenté la masse circulante au-delà des besoins, leur valeur baissa dans la même proportion. En 1810, il y avait 48 millions sterling en circulation, il fallait donner 4 1/2 liv. st. en papier pour une once d'or. En 1814, la masse du papier s'élevait à 60 millions sterling ; au lieu de 4 1/2, il fallait donner 5 1/2 livres sterling en papier pour acheter une once d'or. En 1829, il n'y avait dans la circulation que 40 millions, et il suffisait de donner 3 liv. 18 schellings pour une once d'or : de sorte qu'à ces différentes époques la masse de papier monétaire en circulation représentait une valeur à peu près égale à celle de 10 millions d'onces d'or.
En Prusse le papier du gouvernement s'échange au pair contre des pièces métalliques attendu que les émissions ont été faites avec modération. On croit qu'elles ne dépassent pas 12 millions de thalers (45 millions de francs).
Les billets de banque émis par le gouvernement seraient reçus dans les caisses du gouvernement, et il est probable qu'on en demanderait bien rarement l'échange contre des espèces, surtout lorsque l'usage en aurait fait reconnaître les avantages.
Ce n'est pas le moment d'entrer plus avant dans l'examen de cette question que je recommande à l'attention de M. le ministre des finances, si, comme je le pense, le projet en discussion n'est pas adopté par la chambre.
M. Dumortier. - Messieurs, je rencontrerai d'abord les observations de l'honorable M. Cans. L'honorable député de Bruxelles voudrait que le gouvernement substituât des billets de banque à l'émission de la monnaie d'or qui est proposée en ce moment.
Messieurs, je ferai remarquer tout le danger qu'il y aurait à adopter un semblable système qui, comme, on l'a dit fort bien, ressemblerait quelque peu au système des assignats.
De deux choses l'une, ou bien ces billets de banque seraient remboursables ou ils ne le seraient pas. Si ces billets étaient remboursables, l'Etat, au jour de la crise, se trouverait devoir tout l'import de la somme représentée par les billets de banque en circulation. Si, au contraire, les billets de banque n'étaient pas remboursables, ils seraient, par cela seul, soumis à l'agio ou à toute autre opération semblable. Car le billet de banque, en lui-même, n'a pas plus de valeur que le morceau de papier dont il est formé, et le jour où une crise viendrait à faire tomber la valeur des capitaux qui circulent en Europe, ce jour ces billets subiraient le même résultat, et par conséquent il y aurait dépréciation immédiate de ces billets de banque.
Ce serait donc, au point de vue de la chose publique, la mesure la plus malheureuse, la plus funeste qu'on pût adopter pour le pays.
On m'objectera, l'honorable préopinant l’a déjà objecté, les sociétés qui émettent des billets de banque. Mais je ferai remarquer à l'honorable membre que si les billets de banque de ces sociétés ne sont pas soumis à la même dépréciation, c'est qu'il y a un encaisse toujours présent, qui vient représenter les valeurs en circulation. Mais la valeur de l'Etat n'est pas dans des conditions semblables ; cette valeur, en présence d'une crise, a aussi ses vicissitudes. En 1815, la valeur des fonds publics, en France, était tombée à 50, et s'il y avait eu alors des billets de banque comme fonds de l'Etat, ils seraient alors tombés aussi bas.
Je pense que l'idée émise par l'honorable préopinant peut être très belle en théorie ; mais qu'en pratique, c'est l'idée la plus désastreuse que l'on puisse introduire dans un pays comme le nôtre.
Aussi, voyez ce qui s'est passé en Prusse. En Prusse, quand on a voulu introduire le papier-monnaie, le gouvernement prussien pour lui donner cours a dû forcer le contribuable à payer une partie de ses contributions en papier-monnaie. Cependant le gouvernement prussien, constitué depuis de longues années, n'est pas soumis à toutes les vicissitudes auxquelles est soumis un pays comme le nôtre, désiré, convoité par de grands et de puissants voisins.
Je repousse donc ce moyen, et je soutiens que le seul moyen de produire des échanges, c'est le système des monnaies.
Maintenant, dans le système des monnaies, deux systèmes sont en présence : admettrez-vous la continuation du système français qui vous régit, ou admettrez-vous un système différent ? voilà la question. Pour moi, elle est résolue, puisque déjà en 1832, quand nous avons voté la loi qui nous régit, j'ai proposé un système différent du système français.
(page 943) Depuis lors, tous les événements qui se sont passés ont prouvé que j'avais raison, et la loi qui nous est soumise en est une nouvelle confirmation.
Messieurs, il faut examiner la question des monnaies sous deux points de vue, sous le point de vue des échanges avec l'étranger et sous celui des échanges au sein de la nation elle-même.
Je pense que la loi de 1832 a été faite un peu trop sous l'impression des échanges avec l'étranger, au point de vue des opérations des banquiers, et qu'on a trop négligé la considération des échanges dans l'intérieur, ce qui est le côté de la question qui intéresse le plus grand nombre des habitants.
Depuis lors, comment, les choses se sont-elles passées ? Nous avions admis purement et simplement le système français ; nous sommes arrivés à ce résultat que nous avons battu peu de monnaie d'argent et pas de monnaie d'or. Nous sommes arrivés à cet autre résultat que, dans des circonstances graves, la Belgique s'est trouvée presque sans argent. Ainsi quelque temps après le traité des 24 articles, vers 1842, les échangés sont devenus presque impossibles par suite de l'absence du numéraire qui avait été exporté de notre pays. Vous devez vous rappeler ce fait extrêmement grave. Je me souviens que dans cette circonstance critique les membres qui avaient combattu ma proposition ont regretté que nous n'eussions pas une monnaie nationale qui ne put pas sortir du pays et servît aux échanges des habitants entre eux ; une monnaie nationale est donc indispensable ; quand la monnaie d'un petit peuple manufacturier et commerçant est la même que celle d'un voisin plus puissant, ce peuple est exposé à se la voir enlever au moindre événement, à la moindre crise politique.
En cas de guerre, un pays qui vous veut du mal, vous enlève votre monnaie pour la mettre en circulation chez lui ; rien de plus facile ; au moyen de quelques opérations de banque, il peut vous enlever votre monnaie pour la mettre en circulation chez lui.
M. Lesoinne. - Comment ?
M. Dumortier. - Par une opération de banque.
M. Castiau. - Laquelle ?
M. Dumortier. - C'est très facile.
M. Castiau. - Indiquez-la.
M. Dumortier. - Je suppose que M. Castiau ne veut pas me demander de faire ici un cours d'opérations de banque.
M. Castiau. - Je vous demande seulement de développer votre pensée.
M. Dumortier. - Si seulement le besoin d'argent est plus grand chez le voisin, je dis que ce qui s'est passé en 1840 pourra se renouveler ; un gouvernement pourra vous enlever votre numéraire par une opération momentanée ; je sais que cela ne durerait pas ; l'argent devrait refluer, mais pendant la crise le pays sera dans une position des plus difficiles ; il suffira même de faire un petit sacrifice pour vous enlever tout votre numéraire, quand on le voudra, pendant un temps assez long pour vous mettre dans une crise effroyable.
J'invoque les souvenirs de tous les hommes sérieux de l'assemblée. Vous devez vous rappeler la crise de 1839. Peu après, le pays s'est trouvé dans une telle situation que les transactions nationales étaient interrompues par l'absence de numéraire ; cela ne serait pas arrivé, si nous avions eu une monnaie qui nous fût propre, par cette considération qu'elle n'aurait eu de cours que pour la Belgique, une monnaie d'intérieur qui fût propre au pays, qui n'eût qu'un cours difficile à l'étranger.
Messieurs, le système français qui nous régit repose sur une proportion qu'on a regardée comme devant être constante entre la valeur de l'or et celle de l'argent. Cette proportion a existé sous l'empire et sous la restauration ; mais maintenant elle tend à devenir de plus en plus impossible. Pourquoi ? Parce qu'il est démontré aujourd'hui que les mines d'or ne fournissent pas proportionnellement autant que les mines d'argent. Il est une autre démonstration plus importante, c'est que les mines d'argent d'Amérique sont tellement mal exploitées que si elles étaient exploitées d'après les procédés perfectionnés de la chimie, l'argent diminuerait de 50 p. c. de la valeur.
En présence d'une pareille vérité, il est de l'intérêt du gouvernement de faire consister la monnaie nationale en matière d'or qui est sujette à bien moins de vicissitude que l'argent. Si un jour les procédés perfectionnés d'extraction de métaux étaient introduits dans les vastes mines d'argent d'Amérique, vous verriez le numéraire d'argent tomber extrêmement bas. Bien heureux serait le pays qui se serait soustrait à la crise en substituant un système monétaire basé sur l'or au système basé sur l'argent. (Interruption.)
Précisément en raison de la valeur de l'or, on apporte à son extraction des procédés perfectionnés qu'on n'apporte pas dans l'extraction de l'argent.
J'ai entendu un honorable membre prétendre que nous devions attendre la loi française, et que quand elle serait votée nous l'aurions admise purement et simplement. Ce serait rester encore dans le système vicieux dans lequel nous nous trouvons, qui ne donne pas à la Belgique une monnaie spéciale. Il faut impérieusement, si nous voulons mettre notre pays à l'abri des crises, des vicissitudes et des échanges, il nous faut une monnaie qui n'ait pas cours à l'étranger, dans laquelle notre commerce intérieur puisse en toute circonstance, à toute époque, trouver des moyens d'échange qui lui manqueraient s'il n'avait pas cette ressource.
On s'est élevé contre le peu de valeur de la monnaie d'or qu'il s'agit de mettre en circulation ; mais le meilleur argument qu'on ait donné en faveur du projet du gouvernement, c'est celui du député de Bruxelles. En effet, si le pays se contentait de morceaux de papier sur lesquels on aurait écrit 25, 50 ou 100 fr., il se contentera à plus forte raison de la monnaie d'or que le gouvernement se propose de frapper.
Quant au chiffre, je désire ne me prononcer que quand la discussion m'aura éclairé ; je désire me livrer à un examen approfondi de cette question qui est extrêmement grave. Je me réserve de voter, quant au chiffre, suivant que la discussion m'éclairera. Mais en principe je félicite le gouvernement d'avoir enfin fait mettre en discussion ce projet de loi qui est présenté depuis 10 ans et dont l'adoption sera un bienfait pour le pays.
Comment ! vous prétendez que nous ne devons pas avoir de monnaie différente de celle de la France ! Mais pendant la moitié de notre existence, c'est de la monnaie hollandaise que nous nous sommes servis !
Est-ce que nous ne pouvons faire, au type du roi que nous avons choisi, la même monnaie que nous avons au type du Roi que nous avons renvoyé ? Personne ne se plaindra d'avoir, au type de notre souverain, une monnaie dont la valeur nominale ne correspond pas rigoureusement à sa valeur intrinsèque, alors que personne ne s'est plaint d'avoir de la monnaie au même titre et au type d'un souverain étranger.
L'honorable M. Osy prétend que le pays perdra 4 millions avec le système du projet de loi. Je lui demanderai si la Hollande a perdu cette somme avec son système monétaire. Elle n'a rien perdu avec ce système. Par conséquent, le pays ne perdra rien à avoir une valeur représentative sur les mêmes bases, les chiffres restant à examiner.
Je conçois que cette question soit envisagée à un point de vue tout particulier par les banquiers, qui veulent exporter le numéraire de la Belgique ; mais nous, qui voulons conserver le numéraire en Belgique, nous devons l'envisager tout différemment. La loi leur paraît aussi dangereuse qu'elle nous paraît utile.
Quant à moi, désirant conserver le numéraire en Belgique, je suis partisan du projet de loi.
Nous devons faire une loi qui mette le pays à l'abri d'une crise européenne. Le seul moyen, c'est de nous créer une monnaie qui nous soit propre et au moyen de laquelle, la crise arrivant, les transactions ne seront pas interrompues.
M. Rogier. - J'ai demandé la parole, en entendant l'honorable préopinant émettre certaines opinions, dont, pour ma part, je ne voudrais pas accepter la solidarité même par mon silence.
L'honorable préopinant a professé d'abord une opinion contraire à l'émission d'un papier-monnaie ; j'y reviendrai tout à l'heure.
Il a professé aussi une opinion toute favorable à la création d'une nouvelle monnaie nationale. Cette monnaie nationale, pour qu'elle conservât son caractère exclusif, pour qu'elle ne fût pas traîtreusement soutirée par l'étranger, l'honorable préopinant voudrait la rendre telle qu'elle devînt un objet de répulsion pour l'étranger.
M. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela.
M. Rogier. - Si vous voulez qu'on ne vous prenne pas votre monnaie, il faut la rendre répulsive pour l'étranger. C'est à quoi tend le discours de l'honorable préopinant.
En effet, on nous propose une monnaie qui doit différer de la monnaie française. On croit qu'il faut frapper des pièces d'or de 25 fr., parce que les pièces de France étant de 20 fr., il y aura un motif pour que nos pièces ne circulent pas aussi facilement en France que les pièces françaises de 20 fr.
Un autre motif de répulsion de la part de l'étranger, c'est qu'on ne donnerait pas à nos pièces d'or leur valeur réelle, c'est qu'elles auraient une valeur nominale supérieure à leur valeur réelle. C'est-à-dire que notre gouvernement inaugurerait son entrée dans la famille européenne par une émission en quelque sorte de fausse monnaie, de monnaie de mauvais aloi.
M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. Rogier. - Ce n'est pas ainsi que j'entends la nationalité. Qu'on frappe de la monnaie d'or, si l'on trouve que c'est utile à certaine circulation, pour certaines habitudes, pour certains besoins ; qu'on y place l'effigie royale. Je conçois qu'à ce point de vue on puisse demander la création d'une monnaie d'or. Mais avant tout la loyauté ! Honneur à la royauté ! c'est fort bien. Mais à côté de la royauté, la loyauté !
Que m'importent les 2 ou 3 cent mille francs dont vous ferez le bénéfice, lorsque, par une rognure anticipée, vous aurez donné à votre monnaie d'or une valeur qu'intrinsèquement elle n'a pas ! J'aime mieux que l'Etat ne fasse pas ce bénéfice de quelques centaines de mille francs, et que nous ne passions pas aux yeux de l'étranger pour émettre une monnaie qui ne porte pas avec elle sa valeur réelle.
Prenons-y garde, messieurs ! nous sommes une jeune nation. Mais, à côté de nous se trouvent d'autres nations, où s'inflige fréquemment un certain blâme au caractère de notre nationalité.
Comment la Belgique est-elle envisagée par un grand nombre d'écrivains qui, je veux bien le reconnaître, ont un intérêt personnel dans la question, mais qui exercent sur l'opinion publique une forte influence ?
A chaque instant la loyauté belge est mise par eux en question ; je sais que c'est injuste, que ce qu'on nous reproche de faire, on se permet parfaitement de le faire soi-même. Mais je dis que nous ne devons pas, par un acte spontané du gouvernement, de la législature, consacrer en quelque sorte un état de choses, qui jusqu'ici est resté dans le domaine privé.
Rien de mieux que de poser des actes nationaux ; j'y donnerais volontiers (page 944) les mains, dût cela nous couler quelques centaines de mille francs. Mais si je veux de la monnaie d'or, je ne veux pas que cette monnaie porte en elle-même un obstacle à sa circulation ; je veux qu'elle puisse être acceptée, et circuler le plus facilement possible dans tous les pays du monde. Je désire que, sous ce rapport, nous puissions faire une union monétaire avec la France, et quelque jour avec l'Allemagne et l'Angleterre. Quoi ! à une époque où toutes les relations entre nations se multiplient, à cette époque où le commerce et les voyages tendent à rapprocher les populations, dans un moment où l'Allemagne vient de donner l'exemple d'une monnaie nationale, par je ne sais quel mouvement rétrograde, nous voudrions nous renfermer chez nous avec une monnaie spéciale, ne pouvant avoir cours chez les nations voisines, vers lesquelles nous appellent toutes nos relations commerciales ! A quoi devons-nous tendre, au contraire ? A l'unité monétaire. C'est vers ce but que toutes les nations doivent marcher, et elles finiront un jour par l'atteindre !
Vous le savez, messieurs, lorsqu'en Allemagne chaque petit prince avait la prétention de battre monnaie pour son compte, à son effigie, d'avoir une monnaie ayant un titre spécial, une forme, une valeur différente de la monnaie de son voisin ; mais que de gênes, que d'embarras pour tous les voyageurs, pour toutes espèces de relations commerciales ! Que quand le Zollverein a été fondé, on a reconnu qu'il fallait marcher non seulement à l'union douanière, mais aussi à l'unité monétaire ; et qu'est-il arrivé ? Chaque prince a conservé, si vous le voulez, cette satisfaction de voir son effigie sur chaque florin, mais aujourd'hui il y a un florin du Zollverein, une unité de monnaie pour toutes les nations comprises dans la Germanie. Chacun de ces florins porte l'effigie de tel ou tel prince, suivant le pays où elle a été frappée, mais tous ont la même dimension. Je ne vois pas que cette idée de vouloir l'isoler, dans la crainte que la Bavière ne vînt enlever à la Saxe, que le Wurtemberg ne vînt enlever à la Hesse son numéraire, ait dominé en Allemagne ; au contraire, on a senti la nécessité d'arriver à l'unité monétaire ; ce qui n'a pas empêché chaque souverain de conserver son effigie sur la pièce devenue commune à toutes les nations du Zollverein. Sous ce rapport, rien n'empêcherait que faisant, ici des pièces d'or au même titre, forme et valeur que les pièces françaises, on n'y conservât l'effigie du Roi.
Je ne veux pas, messieurs, entrer plus avant dans une question délicate. Je ne suis pas contraire d'une manière absolue à la création d'une monnaie d'or, si l'on croit par là satisfaire certains besoins. Mais je serais tout à fait contraire à ce que de pareille monnaie inaugurât son entrée dans le monde commercial par une tache telle que celle que lui imprimerait la loi, si nous la votions.
Messieurs, j'ai maintenant à dire un mot du papier-monnaie dont avait parlé mon honorable ami M. Cans et que tout de suite l'honorable préopinant a qualifié du nom d'assignats.
Il importe, messieurs, de relever l'expression. Ce n'est pas pour la première fois que je vois émettre dans cette chambre et hors de cette chambre l'idée que l'émission du papier-monnaie au nom de l'Etat, serait le retour au régime des assignats.
M. Dumortier. - C'est votre voisin qui l'a dit.
M. Rogier. - Je me rappelle que dans un certain district électoral, à une certaine époque, l'opinion libérale était accusée dans certains journaux, à l'occasion de l'idée mise en avant d'émettre du papier-monnaie, de vouloir établir en Belgique ni plus ni moins que le régime abhorré des assignats de la révolution française. L'idée fut alors exploitée.
Ce que je viens d'entendre me ferait croire qu'on n'a pas renoncé à l'exploiter encore. Eh bien, il faut que le pays sache qu'il n'y a pas le moindre rapport entre l'idée émise de billets de l'Etat émis dans une certaine limite, et l'énorme abus qui a été fait des assignats. Sous ce rapport, messieurs, il est bon de rassurer tous les esprits. Il est bon de jeter quelque lumière sur une question qu'il ne faut pas laisser s'obscurcir ou se dénaturer.
J'avais, messieurs, et c'était à cette opinion qu'on faisait allusion, dans deux discussions de budgets des voies et moyens, à propos de l'émission des bons du trésor, j'avais exprimé l'opinion que le gouvernement, au lieu d'émettre des bons du trésor avec intérêt à échéances fixes, pourrait émettre des bons du trésor sans intérêt et sans échéance fixe.
M. de Mérode. - On ne les prendrait pas.
M. Rogier. - Je faisais remarquer que les bons du trésor avec intérêt n'étaient, après tout, que du papier-monnaie, n'ayant rien pour se couvrir que du papier-monnaie, dans l'état actuel de nos finances. Dès lors, je demandais si le gouvernement, de la même manière qu'il peut émettre du papier-monnaie avec intérêt, ne pourrait pas émettre du papier-monnaie sans intérêt ; si le gouvernement ne pourrait pas faire pour son compte ce que font pour leur compte plusieurs banques du pays.
L'idée, messieurs, n'avait rien de très extraordinaire ; l'idée n'est pas une pure théorie ; elle, a au contraire, des côtés très pratiques et elle est d'une réalisation facile. Je suis bien convaincu que M. le ministre des finances ne serait pas autant éloigné que son honorable ami de l'émission modérée d'une certaine quantité de billets émis au nom de l'Etat, et puisque vous voulez faire à cette occasion de la nationalité, puisque vous voulez imprimer, et je le veux aussi, la figure de notre monarque sur les pièces de monnaie, vous pourriez également imprimer sur ce bons du trésor, appelez-les comme vous voudrez, sur ces bons de caisse, sur ces billets de banque nationale, sur ces billets de circulation, vous pourriez imprimer aussi l'effigie du monarque.
Où serait, messieurs, le grand danger pour l'Etat d'émettre des billets de banque jusqu'à concurrence de certaine somme, jusqu'à concurrence, par exemple, de 15 à 20 millions ? Il y aurait à examiner si l'on doit forcer le cours de ces billets, si l'acceptation devrait en être forcée ; mais cela ne serait pas nécessaire pour en assurer la circulation.
Mais ces billets seraient recevables dans toutes les caisses de l'Etat. Ils seraient recevables au chemin de fer, où l'on fait une recette de 14 à 15 millions ; ils seraient recevables pour les droits de douane, qui se montent chaque année à 12 millions ; ils seraient recevables à l'enregistrement, où l'on a à payer chaque année 20 millions ; ils seraient recevables enfin au payement de toutes espèces de contributions, péages et rémunérations dus à l'Etat.
Je demande dès lors si pour les détenteurs de pareils billets, il y aurait jamais la moindre crainte de se trouver avec du papier sans pouvoir en faire emploi, alors que pour 100 millions que nous avons à payer chaque année à l'Etat, il y aurait quatre occasions pour les détenteurs de placer 25 millions de billets, en supposant qu'on allât jusqu'à cette somme, ce que je ne proposerais pas.
Mais, dit-on, arrive une crise, et les billets viendront se présenter en masse aux caisses de l'Etat ; et l'Etat, si l'argent lui manque, ne pourra pas les rembourse. Messieurs, quand il s'agit d'une institution à fonder, il ne faut pas la combattre par l'idée qu'en telle circonstance donnée, il pourrait en résulter quelque danger ; de pareilles crises sont rares, et de pareilles crises ne seraient pas à craindre si l'on renfermait l'émission de ces billets dans de sages limites. L'objection, d'ailleurs existe dans toute sa force à l'égard des banques, que le gouvernement autorise à émettre des billets ; n'est-il pas évident que si dans un moment de crise les billets émis par telle et telle banque se présentaient en masse pour un remboursement immédiat, ces banques ne seraient pas en position, à l'instant même, de faire face à un semblable remboursement ?
Cela s'est vu : qu'est-il arrivé alors ? C'est que le gouvernement a été appelé précisément à faire face à l'insuffisance de ressources que présentaient les caisses de la banque. Les crises, le gouvernement n'y échappe pas, le pays n'y échappe pas ; ou il faudrait interdire à toute grande banque d'émettre du papier-monnaie, ou il faut s'attendre, en cas de crise, à leur venir en aide. Si le gouvernement s'abstenait, tout le pays et son propre crédit en souffriraient. Le gouvernement devrait donc faire face à la crise aussi bien lorsqu'une banque autorisée par lui à émettre des billets ne pourrait pas les rembourser, qu'alors qu'il aurait émis les billets lui-même.
Messieurs, au point de vue pratique, il en est bien peu d'entre nous à qui l'idée ne sourie de voir un jour le gouvernement émettre dans une certaine mesure des billets, sauf à les qualifier comme on voudra ; quant à moi, je les appellerai des billets de circulation. (Interruption.)
Je suis bien persuade que c'est par exception qu'une semblable mesure rencontrerait des contradicteurs, si l'on veut examiner la question de sang-froid, si l'on veut faire attention à ce qui se passe partout ailleurs qu'en Belgique.
Partout ailleurs, messieurs, le papier-monnaie joue le plus grand rôle dans les relations particulières, dans les relations commerciales. Aux Etats-Unis, vous savez le rôle immense que joue le papier-monnaie ; là il y a eu abus, mais pour ceux qui seraient tentés d'aller trop loin, il y eu dans ces abus mêmes un avertissement utile ; mais enfin personne, aux Etats-Unis, ne cherche à condamner en masse le papier-monnaie ; en France, le papier-monnaie ; en Angleterre, le papier-monnaie ; en Prusse, le papier-monnaie.
Savez-vous, messieurs, d'où vient le mal ? Savez-vous d'où vient cette espèce de frayeur dont on entoure l'idée d'un papier-monnaie ? Cette peur a absolument la même origine que la frayeur qu'inspirent les idées politiques libérales ; les excès de 93, on les évoque constamment contre ce qu'on appelle l'invasion des idées libérales. Il y a eu des excès politiques en 93, donc il ne faut point d'idées libérales C'est précisément comme ceux qui disent : il y a eu une Saint-Barthélémy, donc il ne faut point de catholicisme.
A la même époque, il y a eu ce qu'on peut appeler des excès financiers ; il a été fait un effrayant abus du papier-monnaie, et aujourd'hui, messieurs, sur les bonnes âmes, sur les esprits peu éclairés, on veut faire impression en évoquant le fantôme des assignats, on veut les effrayer du véritable bienfait, je ne crains pas de le dire, qui résulterait de l'émission sage et modérée de bons du trésor sans intérêt, recevables dans toutes les caisses de l'Etat.
Dans le système que l'on défend, ce qui serait véritablement absurde, c'est l'émission de papier-monnaie que vous autorisez chaque année sous le nom de bons du trésor. Si le papier-monnaie vous fait horreur alors qu'il peut s'émettre par l'Etat sans intérêt, et qu'il pourrait être reçu dans toutes les caisses de l'Etat jusqu'à concurrence de 100 millions, c'est-à-dire quatre fois par an, en supposant que l'émission fût de 25 millions, si un tel papier-monnaie vous fait horreur, je demande ce que vous pensez de cet autre papier-monnaie que vous émettez chaque mois ou chaque semestre sous le nom de bons du trésor ? Qu'est-ce que c’est le bon du trésor ? C'est un assignat à échéance. Avec quoi remplacez-vous les bons du trésor ? Est-ce avec de l'argent ? Non, car vous n'avez pas d'argent ; si vous aviez de l'argent vous n'auriez pas besoin d'émettre des bons du trésor ; c'est avec d'autres bons du trésor. Et qu'arrive-t il ? L'exemple n'est pas encore si loin de nous, c'est que même aux époques les plus tranquilles, à certaines échéances, on se trouve tellement embarrassé, que l’on considère comme une espèce de sauveur tel banquier qui arrivera de France et qui consentira à prendre des bons du trésor à l'intérêt de 5 p. c, soit de 6 p. c. avec la commission etc. A Chaque échéance il y a crise (page 945) possible. C'est donc purement et simplement du papier-monnaie, et si vous émettez un pareil papier-monnaie avec intérêt, je le répète, vous pouvez émettre un autre papier-monnaie sans intérêt. En outre, nos bons du trésor actuel sont privés de cet avantage que le papier-monnaie ordinaire offrirait, de pouvoir circuler dans le pays comme y circulent la monnaie métallique et les autres billets de banque.
Sous ce rapport donc, le bon du trésor, tel qu'il s'émet aujourd'hui, est encore inférieur aux billets de circulation que vous pourriez émettre.
Ces idées, messieurs, je les ai déjà exprimées à plusieurs reprises dans cette enceinte. Je sais qu'elles ont été combattues, qu'elles le seront encore, mais je tiens à établir qu'il n'y a pas de comparaison à faire entre ce qu'on a appelé le régime des assignats et une émission modérée de papier-monnaie, émission contrôlée, limitée par la législature, et en concordance avec une bonne situation financière ; une assimilation entre ces deux choses ne peut exister que dans les imaginations qui se plaisent aux exagérations.
Maintenant, après avoir exprimé de nouveau mon opinion sur la possibilité et la convenance éventuelle d'un papier-monnaie à émettre au nom de l'Etat, je répète que je ne serai pas contraire à la création d'une monnaie d'or ; mais que j'y mets cette réserve expresse, que cette monnaie d'or ne sera créée que dans certaines limites, qu'elle répondra par sa valeur réelle à sa valeur nominale, et qu'elle remplira toutes les conditions voulues pour une circulation facile tant à l'intérieur qu'à l'étranger.
M. Dumortier (pour un fait personnel). - Messieurs, l'honorable préopinant m'a attaqué très vivement sous deux points de vue ; il a prétendu d'abord que j'avais demandé qu'on fît de la fausse monnaie ; il a prétendu ensuite que j'avais tronqué sa manière de voir, en lui supposant la volonté de faire faire des assignats.
Je n'ai en aucune manière demandé que la Belgique fît de la fausse monnaie, et certes, jamais un pays ne fait de la fausse monnaie. Nous ferions de la fausse monnaie si, nous servant du coin d'une autre puissance, nous donnions à cette monnaie une valeur différente. Mais, lorsqu'une loi précise la valeur de la monnaie du pays, assurément nous ne faisons pas de la fausse monnaie en pareil cas.
Ainsi, pour vous présenter un exemple saisissant : D'après le système de l'honorable M. Rogier, vis-à-vis du ducat de Hollande, la pièce de 20 fr. est de la fausse monnaie, et, vis-à-vis du napoléon, la pièce de 10 florins est encore de la fausse monnaie.
L'observation de l'honorable préopinant est donc tout à fait déraisonnable ; avant de répondre à un adversaire, il faudrait connaître au moins la question. Je le répète, dès que la loi détermine les conditions de la fabrication de la monnaie, et que cette fabrication se fait dans ces conditions, la monnaie fabriquée peut être plus ou moins désavantageuse, mais elle n'est jamais de la fausse monnaie.
Voici, au reste, les contradictions étranges dans lesquelles est tombé l'honorable membre.
D'une part, si nous mettons dans nos pièces de 20 fr. une différence de 20 c, c'est de la fausse monnaie, selon l'honorable membre ; c'est un acte contraire à la nationalité ; mais si l'on donne aux habitants un papier-monnaie qui vaut deux centimes, et qui doit valoir cent francs, alors c'est un acte éminemment national et les habitants doivent le prendre, et cela est bien.
D'un autre côté, l'honorable membre ne veut pas d'une monnaie belge qui ne circule pas facilement dans toute l'Europe, il veut une monnaie universelle ; et puis par une autre inconséquence, il vient proposer de la remplacer par un papier qui ne circule que dans notre pays seulement.
Voilà, messieurs, des contradictions manifestes dans lesquelles on tombe nécessairement, quand on veut prêter à des adversaires des idées qu'ils n'ont pas exprimées. (Interruption de la part de M. Rogier.)
Je ne vous ai jusqu'ici accusé ni directement, ni indirectement, de vouloir émettre des assignats. Mais maintenant je vous en accuse : Oui, vous voulez émettre des assignats, et même pis que des assignats.
En effet, votre papier-monnaie, comme vous le présentez, serait des assignats, moins l'hypothèque sur les domaines royaux. Car sous la république, les assignats avaient leur hypothèque sur les forêts de l'Etat, et les vôtres n'en auraient pas. Ce seraient des morceaux de papier sans valeur, et vous forceriez les habitants à les prendre. Cette mesure, dites-vous, a pour elle l'opinion libérale ; eh bien, je vous dis, moi, que s'il pouvait entrer dans la pensée d'un ministère libéral de réaliser votre système, un pareil ministère serait un malheur pour la Belgique, une véritable calamité, et que ce système serait universellement repoussé dans le pays. Je ne vous avais pas attaqué, M. Rogier ; mais puisque vous m'y forcez, je vous dis des vérités.
Messieurs, voyez ensuite la confusion des idées de l'honorable membre ; d'une part, ce sont des bons du trésor, d'autre part, ce sont des billets de banque ; puis c'est du papier-monnaie ; mais, dit-il, ce ne sont pas des assignats. Je vous ai déjà dit, messieurs, la différence entre les anciens assignats et les assignats de l’honorable membre : c'est que les anciens assignats avaient une hypothèque sur le domaine public, tandis que ceux de l'honorable membre, tels qu'ils sont présentés par lui, n'auraient pas d'hypothèque J'ai donc eu raison de dire que votre papier-monnaie est cent fois pis encore que des assignats. Laissez ces moyens aux Etats ruinés ; mais, Dieu merci, la Belgique n'est pas encore réduite à cette extrémité.
Si l'honorable membre proposait un semblable système, j'ose l'affirmer, il n'y aurait pas dix voix pour l'accepter, et tout le pays le repousserait.
M. le président. - Ce n'est pas un fait personnel.
M. Dumortier. - M. le président, j'ai dû répondre, et j'ai précisément fini.
M. Anspach (pour un fait personnel). - L'honorable M. Rogier, en soutenant le système des billets de banque émis par l'Etat, a dit que dans un moment de crise, il ne pourrait payer ces billets et qu'il en était de même de toutes les banques. Comme administrateur de la Banque de Belgique, si je laissais passer cette opinion sans y répondre, mon silence pourrait passer pour un consentement, et je tiens à déclarer tout le contraire : c'est que si une crise quelconque survenait dans le pays, la Banque de Belgique n'en payerait pas moins sans discontinuer et à présentation tous ses billets.
- La séance est levée à 5 heures.