(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 303) M. A. Dubus procède à l’appel nominal à 1 heure.
M. Van Cutsem lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. A. Dubus présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Mignolet, commissaire de police à Heyst-op-den-Berg, demande qu’il soit accordé un traitement spécial aux commissaires de police qui remplissent les fonctions de ministère public près les tribunaux de simple police. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.
« Le sieur Gatellier, propriétaire cultivateur à Lavacherie, présente des observations sur la question du défrichement des Ardennes. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi sur le défrichement des terrains incultes.
« La chambre de commerce et des fabriques de Bruxelles demande une réduction de péages sur le canal de Charleroy à Bruxelles et sur la Sambre canalisée.»
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La chambre de commerce et des fabriques de Bruxelles demande l’établissement d’une société destinée à opérer l’exportation de la généralité des produits de la Belgique. »
M. de Brouckere. - Messieurs, avant la séance, j’ai pris connaissance de cette pétition, et j’ai pu me convaincre qu’elle était de la plus haute importance. Voici quel est son objet.
Le gouvernement a annoncé un projet de loi portant création d’une société d’exportation, laquelle société ne doit avoir pout objet que les produits de l’industrie linière. La chambre de commerce de Bruxelles demande que le projet de loi s’applique à tous les fabricats, à toutes les marchandises se fabriquant en Belgique. Elle expose son plan et elle dit quels sont les moyens auxquels il faudrait avoir recours, selon elle, pour l’établissement de cette société.
Vous voyez donc que, comme je l’ai dit, la pétition est extrêmement importante ; et je puis ajouter qu’elle est d’un intérêt actuel, d’un intérêt pressant. Je demanderai que la chambre veuille bien ordonner l’impression au Moniteur, et voici le motif de ma demande
Lorsque le projet portant création d’une société sera présenté, il est certain que les chambres de commerce du pays vont nous adresser leurs observations. Ces observations arrivant tardivement, il pourra en résulter que nous ne pourrons pas discuter immédiatement le projet. Si, au contraire, l’attention des chambres de commerce du pays est appelée dès à présent sur cet important objet, elles pourront nous adresser leurs observations avant le moment où nous serons à même de discuter. En lisant la pétition de la chambre de commerce de Bruxelles, il est incontestable que les autres chambres de commerce s’occuperont de cet objet. Ce sera donc un service rendu au pays, et nous-mêmes nous pourrons discuter plus tôt et d’une manière plus convenable le projet que le gouvernement nous a annoncé.
J’espère que la chambre voudra bien consentir à cette insertion qui, du reste, n’est pas une chose nouvelle. (Appuyé ! appuyé !)
- La chambre décide que la pétition sera insérée au Moniteur.
M. le président. - La pétition sera, en outre, renvoyée à la commission des pétitions.
M. Desmet. - Il me paraît qu’il serait plus convenable de renvoyer cette pétition à la commission permanente d’industrie.
M. de Garcia. - Je crois qu’il vaudrait mieux décider qu’elle sera renvoyée à la section centrale, qui sera chargée d’examiner le projet de loi annoncé par le gouvernement.
M. David. - La commission permanente d’industrie ayant déjà à statuer sur une quantité d’autres objets, il me paraît effectivement qu’il vaudrait mieux que la pétition fût renvoyée à la section centrale qui aura à examiner la question à laquelle elle se rapporte.
- La chambre décide le renvoi à la commission permanente d’industrie.
M. A. Dubus continue la communication des pièces adressées à la chambre :
« Le président de la commission administrative du Musée d’industrie adresse à la chambre deux exemplaires du catalogue des collections du Musée de l’industrie. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. Verwilghen demande un congé de quelques jours.
- Ce congé est accordé.
M. David. - Messieurs, la commission permanente d’industrie m’a chargé de vous présenter son rapport sur le projet de loi tendant à modifier le tarif des douanes en ce qui concerne les cuirs et les peaux. J’ai l’honneur de déposer ce rapport sur le bureau.
Je demanderai à la chambre de bien vouloir mettre cet objet à l’ordre du jour à la suite du projet de loi concernant la sortie des étoupes. L’humanité exige que nous votions le plus tôt possible ce dernier projet, vu la position fâcheuse où se trouve l’industrie linière ; mais le projet de toi sur lequel je viens de présenter le rapport, présente aussi un caractère d’urgence très grande.
En effet, messieurs, des achats considérables ont été faits, et si la loi est votée dans un bref délai, ces marchandises pourront jouir des avantages du tarif modifié.
- La proposition de M. David est adoptée.
M. de Garcia donne lecture du rapport sur le contingent de l’armée.
M. de Brouckere, au nom de la section centrale du budget de l’intérieur, dépose trois états nominatifs des décorés de la Croix de Fer, des membres de la Légion d’honneur et des veuves de décorés de la Légion d’honneur qui ont touché des subsides sur le budget.
M. le président. - Ces documents resteront déposés sur le bureau pendant la discussion du budget de l’intérieur.
M. Delfosse. - Le gouvernement n’a pas encore fait distribuer un rapport sur l’instruction primaire. Cependant ce document est très important, et nous aurions dû le recevoir avant la discussion du budget de l’intérieur. Je remarque avec peine que le gouvernement est toujours en retard de publier les pièces qui peuvent nous éclairer ; ainsi les documents relatifs au projet de loi sur les subsistances n’ont été distribués que quelques jours après le projet de loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, vous savez qu’à l’ouverture de la session, une foule de documents vous ont été communiqués. Les imprimeurs étaient tellement surchargés qu’il ne leur était pas possible de faire face aux impressions. C’est ce qui a retardé notamment la distribution des documents relatifs à l’emploi des deux millions.
En ce qui concerne l’instruction primaire, quand l’honorable membre aura le rapport sous les yeux, il comprendra parfaitement la cause du retard apporté à la publication de ce document. On n’a pu réunir les renseignements qu’un certain temps avant l’époque où le rapport devait être présenté. Ensuite il a fallu rédiger le rapport qui est extrêmement volumineux, et la lecture du rapport fera connaître à la chambre l’étendue de ce travail. Je puis dire que je n’ai cessé de presser le fonctionnaire supérieur, chargé de la confection du rapport, et qu’il n’a dépendu ni de lui ni de moi que le travail fût prêt plus tôt.
Cependant, comprenant que la chambre devait, surtout pour la discussion du chiffre demandé pour l’instruction primaire, connaître la situation financière, j’ai fait imprimer ce travail à part, et le document doit avoir été distribué aujourd’hui aux membres de la chambre. C’est avec beaucoup de peine que nous avons obtenu ce résultat. Pour le 25 de ce mois, le rapport entier sera distribué, et chacun pourra voir alors s’il y a eu négligence ou non ; pour moi, je suis convaincu qu’il n’y en a eu aucune ; surtout il n’y a eu aucun désir de ma part de retarder la publication ; il nous est plus agréable de discuter sur des documents déposés qu’en l’absence de tous documents.
M. Delfosse. - M. le ministre de l’intérieur aurait dû faire paraître le document dans les premiers jours de la session ; la cause principale du retard, c’est qu’on ne veut pas que les abus soient connus avant la discussion du budget.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je proteste de toutes mes forces contre l’insinuation de l’honorable membre. Je viens de déclarer que j’ai pressé la confection du rapport autant qu’il était possible de le faire, et que l’employé supérieur à qui la rédaction du travail a été confiée, n’a cessé de s’en occuper, autant que ses forces le lui ont permis ; mais il n’a pu le commencer que lorsque le département le l’intérieur a été nanti de tous les documents ; on a mis la main à l’œuvre il y a plusieurs mois. L’honorable membre pense que des travaux de ce genre peuvent s’improviser, mais il n’en est pas ainsi.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je crois que la chambre sera bientôt saisie du rapport sur le projet de loi relatif aux défrichements ; je demande à M. le ministre de l’intérieur s’il n’est pas dans l’intention de faire distribuer aux membres de la chambre, le rapport de la députation permanente du Luxembourg ; ce rapport est très détaillé ; il jette une grande lumière sur la question des défrichements dans le Luxembourg (page 304), province qui est la plus intéressée en quelque sorte, dans cette question, puisque c’est celle qui possède le plus grand nombre de terres incultes. Je pense donc qu’il serait très utile de distribuer aux membres de la chambre le document que je viens d’indiquer et de le faire de suite, afin qu’ils puissent l’examiner avant la discussion.
M. Orban. - J’ignore si des membres de la chambre n’ont pas reçu ce document ; s’il n’en était pas ainsi, j’en serais étonné ; car je dois vous faire connaître que la députation permanente du conseil provincial du Luxembourg avait demandé et obtenu le concours du gouvernement dans les frais de publication de ce document, à la condition d’en fournir au gouvernement un certain nombre d’exemplaires ; ces exemplaires, nous avons toujours pensé qu’ils étaient destinés aux membres de la législature. Je regrette d’autant plus que ce travail n’ait pas été distribué, que l’on a prêté à la députation permanente, en matière de défrichement, des opinions qui ne sont pas les siennes ; je désirerais beaucoup qu’on pût s’éclairer sur les véritables opinions de ce collège, autrement que des analyses et des extraits inexacts.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, tous les documents relatifs à la question des défrichements ont été communiqués au conseil d’agriculture, lors de sa première session. Ce conseil a désiré, pour l’information de chacun de ses membres, d’avoir une analyse d tous ces documents ; c’est ce qui a été fait. Ce travail a été imprimé pour les membres du conseil d’agriculture et pour les membres de la chambre ; la distribution en a eu lieu. Maintenant, on demande l’impression en entier d’un rapport de la députation permanente du Luxembourg ; je ne vois aucune difficulté à cette impression ; je communiquerai ce document à la chambre.
L’honorable M. Orban croit qu’il a été imprimé un nombre suffisant d’exemplaires par suite d’un arrangement avec M. le ministre de l’intérieur. Ce fait est antérieur à mon administration ; je prendrai des informations, et si l’arrangement dont a parlé M. Orban a eu lieu, la communication sera d’autant plus facile.
M. Vanden Eynde. - Je ferai observer que ce document, dont j’ai obtenu un exemplaire, est très volumineux, car il forme un in-quarto de deux doigts d’épaisseur, et son impression coûterait assez cher si la chambre l’ordonnait. Il vaudrait mieux rechercher s’il n’existe pas assez d’exemplaires pour vous en faire la distribution.
M. Orban. - Si, contre mon attente, il n’existait pas un nombre suffisant d’exemplaires de ce document pour le distribuer aux membres qu’il fallût recourir à l’impression, il y aurait moyen de réduire la dépense en se bornant à faire imprimer et distribuer le texte du rapport. Car si le volume est considérable, les trois quarts consistent en pièces, annexes, documents divers qu’on pourrait retrancher.
M. d’Hoffschmidt. - J’avais redemandé la parole pour faire l’observation que vient de présenter M. Orban.
M. de Foere. - Dans les dernières discussions qui ont eu pour objet l’industrie linière et dans celles qui les ont précédés, plusieurs orateurs ont posé en fait l’agonie de l’ancienne industrie linière. Partant de cette prémisse, ils en ont conclu qu’il fallait l’abandonner et la transformer en industrie nouvelle.
Comme l’exactitude des conclusions dépend de la justesse des prémisses, il importe d’examiner la question de savoir si l’ancienne industrie linière est à l’agonie, et s’il est de l’intérêt des Flandres et du pays de la transformer en industrie nouvelle.
Depuis 1835, des orateurs, que les Flandres n’avaient point envoyés dans cette chambre, ont prêché avec chaleur cette transformation, Depuis 1835, nous nous y sommes opposés, et les événements ont prouvé que les Flandres se seraient laissé conduire par l’ignorance, si elles avaient eu le malheur de suivre ces conseils.
En effet, depuis onze ans que des hommes, complètement étrangers au commerce de toiles, ont donné ces conseils, l’ancienne industrie a encore exporté, en moyenne, pour dix millions de ses produits par an.
Dans ce chiffre n’est pas compris celui qu’a atteint, pendant le même espace de temps, la consommation intérieure.
Ce seul fait prouve, à l’évidence, combien ces conseils, suggérés par un aveugle esprit de progrès, eussent été désastreux pour les Flandres, s’ils avaient été suivis.
Afin de ne rien laisser à désirer à vos convictions, messieurs, je vous ferai remarquer que, depuis 1835 jusqu’à présent, l’étranger est venu demander aux marchés des Flandres presque exclusivement les toiles confectionnées selon les anciens procédés.
Donc, si les Flandres n’avaient pas fabriqué ces produits, elles auraient subi, pendant ces onze années, une perte de 110 millions en matière première et en main-d’œuvre. Elles auraient bénévolement concédé cet avantage soit à la France, soit l’Allemagne. Elles se seraient, en outre, dépossédées de leur marché extérieur.
D’après ces faits commerciaux constamment posés et généralement connus dans les Flandres, la discussion se réduit à ces simples questions :
Le commerce n’est-il plus la règle de l’industrie ? Fallait-il confectionner des toiles que le commerce demandait, ou des toiles que ni le commerce intérieur, ni le commerce extérieur ne demandaient pas ? Poser ces simples questions même devant l’écolier assis sur les bancs de la science économique, c’est les résoudre, Les résoudre dans le sens de nos adversaires, fussent-ils même les députés des grandes villes, absorbassent-ils tous les talents parlementaires, ce serait insulter au simple bon sens industriel. Heureusement les ouvriers liniers des Flandres, quelque ignorants que l’on puisse les supposer, n’en sont point encore arrivés ce merveilleux progrès de l’intelligence parlementaire.
Devant ces simples faits commerciaux tombe l’absurde accusation qui a été dirigée contre le clergé des Flandres. Selon un honorable membre étranger aux Flandres, le clergé de ces provinces aurait été en partie la cause de la misère à laquelle la population linière des Flandres est aujourd’hui réduite. Selon lui, ce clergé serait coupable parce qu’il n’aurait pas conseillé à cette population d’abandonner l’ancienne industrie linière.
Déjà, messieurs, vous avez compris que je n’ai plus à justifier ce clergé. Mais je vais plus loin. L’honorable membre, auquel je réponds, habite la ville de Liége. Moi, je suis un des députés du plus grand district linier des Flandres. Je suis né dans le chef-lieu de ce district, qui a le marché hebdomadaire de toiles le plus considérable, auquel les produits de toutes les communes environnantes sont apportés d’une distance de plusieurs lieues. M. Delfosse assure que le clergé des Flandres a donné à la population ouvrière le conseil de persister dans l’ancienne fabrication, et moi je dois le dire en conscience, je l’ignore ; mais ce que je sais et que l’honorable M. Delfosse ne sait probablement pas, c’est un fait connu dans la majeure partie de la Flandre occidentale.
Il se publie un journal flamand dans le chef-lieu du district linier dont je viens de parler. Ce journal prêche, chaque semaine, en faveur de l’ancienne industrie linière, la doctrine dont l’honorable M. Delfosse accuse le clergé des Flandres. Savez-vous par qui ce journal est rédigé ? Par des membres du clergé ? Pas du tout. Il est rédigé par deux membres de l’Alliance de Bruxelles, qui ont assisté au premier congrès libéral. Voilà, si culpabilité il y a, les deux prêtres coupables. Voilà aussi à quelle position parlementaire on arrive quand on est obsédé d’aveugles préjugés et tourmenté d’un besoin incessant de dénaturer les faits et de dénigrer le clergé.
Je suppose maintenant que le clergé eût donné des conseils conformes à l’intelligence industrielle et commerciale de l’honorable député de Liége. Quels en eussent été les résultats ? Ils auraient rencontré la résistance la plus positive dans le simple bon sens de la population ouvrière, et, en admettant, par supposition impossible, que ces conseils eussent été écoutés, la misère de cette population eût été centuplée. La nouvelle industrie rencontre dans presque tous les districts liniers un obstacle insurmontable. Ses produits n’y sont demandés ni par le commerce intérieur, ni par le commerce extérieur.
M. Delfosse ignore jusqu’aux premiers éléments pratiques de toute industrie. Il faut, à côté de chaque industrie, un commerce qui en achète les produits. Dans l’absence de cette condition indispensable, l’industrie travaille à pure perte. Or, ce commerce en produits de la nouvelle industrie linière ne s’exerce, dans les Flandres, qua sur une échelle presque imperceptible.
Si l’honorable membre a, en principe, connu la nécessité de ce commerce, alors il n’a pas consulté les faits commerciaux, et, dans l’un et l’autre cas, il s’est laissé aller aux aveugles suggestions de son imagination progressive en dirigeant contre le clergé des accusations qui ne sont fondées ni en principe, ni en fait.
J’ai dit que le commerce en tissus nouveaux ne se pratique presque pas dans les Flandres. Je crois avoir énoncé un fait incontestable. Mais il est un district de la Flandre occidentale dans lequel des fabricants ont fourni des fils mécaniques à un certain nombre de ses tisserands ; c’est celui de Roulers. Je n’ai pas appris que le clergé de ce district se soit opposé à ces essais ; mais ce qui est de ma parfaite connaissance, c’est que ces tisserands ne sont pas moins malheureux que ceux qui tissent des toiles avec des fils à la main. Si je suis dans l’erreur sous le rapport de l’un ou de l’autre de ces deux faits, les deux députés du district de Roulers sont là pour me contredire. Au surplus, les deux membres de l’Alliance de Bruxelles, qui rédigent le journal publié à Thielt, nous apprennent que ces essais en nouvelle industrie linière, tentés dans le district de Roulers, ont à peu près complètement manqué.
Je vous ai dit la raison pour laquelle, dans les Flandres, on n’a pas fabriqué, dans une plus grande extension, ces toiles avec des fils mécaniques ; cette raison est simple, elle est péremptoire. La consommation intérieure ne les a pas demandées. La France et l’Espagne ne les ont pas demandées d’avantage. La France fabrique elle-même ces toiles ; mais elle ne produit pas les toiles, confectionnées avec des fils à la main, en quantités suffisantes pour ses marchés intérieurs, ou en qualités requises par le goût de ses consommateurs.
Il s’élève peut-être dans l’esprit de quelques membres, étrangers aux Flandres, la question de savoir si, depuis 1835, on avait transformé l’ancienne industrie en nouvelle, l’étranger ne serait pas également venu nous demander ses produits. A cette question il y a encore une réponse très simple : Si le commerce étranger avait demandé les tissus de la nouvelle industrie, sans aucun doute, les Flandres les auraient fabriqués ; mais la demande a eu constamment et presque exclusivement pour objet les produits de l’ancienne industrie. Depuis que la concurrence s’est établie entre les deux industries, le commerce étranger a même pris des précautions très sérieuses, afin de s’assurer qu’on ne lui livrât pas des produits de la nouvelle industrie pour des produits de l’ancienne.
Cette situation du marché s’est opposée jusqu’à présent énergiquement (page 305) à toute transformation industrielle. Dans cet état de choses, toute tentative spontanée aurait été un acte de déraison que l’insuccès n’aurait d’ailleurs pas tardé à réprimer.
Il s’est présenté d’ailleurs un autre obstacle, égaiement insurmontable, à tout nouvel essai.
Les filatures mécaniques du pays ont trouvé, dès le commencement et pendant longtemps, le moyen de placer leurs fils à des prix que le tissage ne pouvait atteindre, sans se constituer en perte. Le prix des fils mécaniques n’était pas en rapport avec le prix de la toile. Le tisserand trouvait plus avantageux de tisser des toiles avec des fils obtenus par le travail de sa femme et de ses enfants. C’était, au surplus, une main-d’œuvre qui lui restait acquise.
C’est dans une semblable situation industrielle que l’on reproche à l’ancienne fabrication de la toile de ne pas s’être convertie en nouvelle !
Je crois avoir justifié les Flandres des reproches d’avoir maintenu jusqu’à présent son ancienne industrie.
Maintenant j’examinerai la question de savoir si, dans la situation actuelle, il est de l’intérêt des Flandres et du pays d’abandonner l’ancienne industrie toilière et de se jeter dans la nouvelle. La réponse à cette question me paraît encore simple : la situation du marché des toiles n’a pas changé. Le commerce extérieur et le commerce intérieur demandent encore constamment de préférence les toiles confectionnées avec des fils à la main.
Il est du plus haut intérêt pour les Flandres de continuer à les fabriquer. L’industrie, en général, ne peut, sans se suicider, connaître d’autre règle que celle de la demande, d’autre direction que celle que le commerce lui imprime. Fabriquer des produits que le commerce ne demande pas est, j’en conviens, un principe de progrès en libéralisme, mais nos tisserands flamands ne savent pas le français et leur intelligence n’a pu encore se façonner à ce genre de progrès. Il résulte aussi de certain discours, j’en conviens encore, qu’au moyen de la langue française, les ouvriers d’autres provinces peuvent extraire la houille des mines, charger les bateaux de charbons, fondre, couler et battre le fer ; mais nos ouvriers flamands, qui ignorent le français, n’entendent rien aux prodiges que cette langue peut opérer en industrie et en commerce. Ils ne savent qu’une seule chose sous le rapport des langues, c’est que, dans toutes les langues, il faut produire ce que le commerce demande.
Les Flamands ne comprennent pas non plus pourquoi Rome aurait emprisonné Galilée pour une découverte dont, cent ans avant lui, Copernic s’était rendu coupable. Quand on sait le français et l’histoire ancienne, on n’avance pas un anachronisme de cette force. En effet, la découverte du mouvement de la terre était déjà généralement connue, pendant tout un siècle, sous la dénomination de système de Copernic, comme elle est encore généralement connue aujourd’hui sous le même titre. Mais comme les Flamands aussi ont un peu de bon sens, le motif de l’emprisonnement de Galilée, assigné par un orateur de cette chambre qui ne sait pas le flamand, leur a paru impossible ; et comme ils ont appris aussi un peu d’histoire, ils savent, malgré leur ignorance, que Galilée a été emprisonné, non pas pour avoir découvert le mouvement de la terre, découverte qui, cent ans avant lui, avait été faite par un prêtre de Varsovie, découverte que ce prêtre avait apportée, en personne, à Rome même ; mais pour s’être obstiné, malgré tous les avis de ses amis et des savants de son temps, à vouloir tirer du système de Copernic, qu’il était d’ailleurs autorisé à enseigner et à développer, pour s’être obstiné, dis-je, à vouloir tirer de ce système des conséquences théologiques qui n’y étaient pas renfermées, conséquences qui, depuis ce temps jusqu’à nos jours, ont été repoussées par tous les astronomes, comme ne découlant pas du système de Copernic.
Quand on sait l’histoire, on connaît l’exacte vérité de ce fait historique. Il n’est pas même nécessaire de savoir le français. Il suffit qu’on sache le latin, ou l’italien, ou l’espagnol, ou l’allemand, ou même le flamand.
Aussi, si les Flamands voulaient rappeler les actes de violence que les prêtres de toutes les religions ont commis, ils auraient assez d’impartialité pour discerner, dans ces déplorables événements, entre l’attaque et la défense, entre la provocation et la protection. Ensuite leur impartialité historique irait jusqu’à ne pas oublier les actes sanguinaires, les révoltantes atrocités dont, dans tous les temps, les prêtres de la liberté se sont rendus coupables.
Mais détournons nos regards de ce hideux aspect de l’espèce humaine, et dirigeons ensemble tous nos efforts pour que la religion ne dégénère plus en fanatisme, la liberté en oppression, la tolérance en intolérance, le libéralisme en illibéralisme. Ce n’est pas en exhumant les atrocités réciproques des temps passés que nous remplirons cette belle mission qui est pour nous, représentants de la nation, un des devoirs les plus sacrés. Revenons donc à l’examen des moyens les plus efficaces de donner du travail à la population ouvrière du pays.
Je me suis prononcé pour le maintien de l’ancienne industrie linière. J’en ai dit les motifs. Je passe à l’examen des objections qui ont été élevées contre cette opinion.
Cette industrie, dit-on, est à l’agonie ; il faut se presser de la traduire en industrie nouvelle.
Déjà j’ai cité le chiffre qu’atteint encore aujourd’hui l’exportation de cette industrie.
Il faut encore l’augmenter de toute la valeur que la fabrication produit pour la consommation intérieure. Ce simple fait répond, me semble-il, suffisamment l’objection. Cependant ma réponse ne se borne pas à ce fait.
La France est si peu disposée à croire que l’ancienne industrie, est mourante que, dans la dernière convention, elle a cru devoir limiter dans l’intérêt de sa propre industrie, l’importation des toiles belges à trois millions deux cent mille kilos. Le gouvernement français sait qu’outre les nombreux commissionnaires belges que le commerce français emploie sur nos principaux marchés de toiles, les Français eux-mêmes viennent, chaque semaine, acheter de préférence, sur tous nos marchés les toiles confectionnées selon les anciens procédés.
Cette préférence est due à la spécialité de nos toiles, à leur solidité, à leur durée, à leur résistance dans beaucoup d’usages que les nouvelles toiles ne pourraient prêter. Enfin, la cause de cette préférence ne serait pas connue, ou elle serait même erronée, le fait est là, le consommateur en France, en Espagne comme en Belgique, y attache sa préférence.
Dans cet état de choses, serait-il rationnel de renoncer nous-mêmes à la possession du marché étranger ? Ce serait aller à rebours du sens commun en industrie et en commerce. Conserver la possession d’un immense intérêt a été constamment l’œuvre de tous les hommes d’Etat les plus éminents. La possession nous met à même d’attendre toutes les éventualités industrielles et politiques et d’en saisir les avantages.
En effet, que la France abaisse son tarif, ou qu’il intervienne une union commerciale, ou, tout au moins, une convention fondée sur de larges bases, vous comprenez, au premier coup d’œil, les immenses avantages que nous offrirait la possession du marché français que nous aurons en partie conservé.
S’il y avait péril dans la demeure, si l’industrie linière était compromise par le maintien de l’ancienne fabrication, je concevrais cet empressement à vouloir la convertir dès à présent en industrie nouvelle. Mais ce danger n’existe pas. Si les événements conseillent plus tard aux intérêts des Flandres d’opérer cette transformation, ces provinces ne tarderont pas un instant à la consommer. Toutes les voies sont préparées. Nous avons nos grandes filatures de lin établies depuis plusieurs années. Nos ouvriers sont là pour tisser les fils mécaniques, comme aujourd’hui ils tissent les fils à la main. La matière première sera récoltée commue aujourd’hui dans le pays.
Mais, je vous le demande avec la confiance de la conviction la plus intime, comment serait-il même possible d’engager notre population ouvrière à fabriquer des toiles qu’elle ne pourrait pas vendre ? Je vous l’ai déjà dit, il faut, à côté de chaque industrie, des négociants. qui achètent ou, tout au moins, de grands industriels qui font fabriquer ces tissus nouveaux ; or, ni les uns, ni les autres n’existent pas dans toutes les Flandres sur une échelle assez considérable pour activer cette nouvelle industrie, tandis que le commerce existe pour nourrir l’ancienne.
Du reste, je ne sache pas que, dans aucun district des Flandres, il ait été apporté le moindre obstacle aux essais qui ont été faits pour se livrer à la nouvelle industrie.
Savez-vous, messieurs, quelle est celle de ces deux industries qui est sérieusement compromise sur le marché français, si tant est qu’il n’intervienne pas une union commerciale entre la Belgique et la France ? A mon avis, c’est l’industrie mécanique.
La France donne une extension considérable aux filatures de lin. Après l’expiration de la dernière convention, nul doute qu’elle ne produise abondamment pour sa propre consommation Si,, alors, le système de bas prix, celui qui se lie à l’intérêt du consommateur, n’est pas adopté, croyez-vous que la France sera disposée à admettre encore les produits mécaniques de la Belgique ? Je ne le pense pas.
Pour corroborer mon opinion, je ferai remarquer que ce n’est pas l’ancienne industrie qui, dans les dernières négociations, a inspiré de l’ombrage à la France ; c’est la nouvelle. Ce sont nos grands établissements mécaniques qui ont effrayé les filatures françaises. Ces filatures ont vu là une concurrence redoutable, tandis que la France continuera, pensons-nous, d’admettre nos toiles en fils à la main aussi longtemps qu’elle ne les produira pas elle-même en quantités suffisantes pour satisfaire à ses besoins. Elle les admettra comme spécialités qu’elle ne produit pas ; plus elle se jettera sur l’industrie des toiles en fils mécaniques, moins elle fabriquera les toiles en fils à la main, et plus nos chances augmenteront pour placer ces toiles sur le marché français.
Une deuxième objection a été soulevée par l’honorable M. Delehaye. Il est parti de cette position : nous ne pouvons plus reprendre l’ancienne prospérité de l’industrie linière. En posant ainsi la question, l’honorable membre s’est placé en dehors de nos discussions. Personne parmi nous ne songe à un semblable avenir ; personne n’espère de voir renaitre l’ancienne prospérité de l’industrie à la main ; mais ce que nous espérons, c’est de la maintenir dans le statu quo ; c’est de continuer à lui voir produire les valeurs qu’elle produit maintenant. Telle est la position de la question.
Ce n’est pas la concurrence seule de la nouvelle industrie qui a mené l’ancienne industrie linière, autrefois si florissante, à l’état auquel elle est arrivée, état que nous désirons conserver. Il en est d’autres qui ont plus puissamment contribué à ce résultat. Je les signalerai afin que, lorsqu’elles seront bien connues, nous puissions les atténuer.
La première cause a été le déplacement de beaucoup de marchés opéré pendant les guerres de l’empire.
L’Angleterre dominait seule les mers ; les autres parties du mode n’ont pu verser leurs produits que sur le marché anglais.
(page 312) L’Angleterre est devenue par la force des choses le marché général. Elle en a largement profité ; elle a stimulé sa fabrication par une forte protection, et elle a réussi à échanger ses fabricats contre les produits des pays d’outre-mer. Elle est parvenue à habituer les contrées lointaines à ses propres produits liniers.
La deuxième cause, c’est la substitution des tissus de coton aux tissus de lin dans l’usage des nombreuses populations ouvrières du continent.
La troisième, c’est la concurrence que nous fait la fabrication de la France sur son marché, et surtout l’élévation du tarif de douanes de ce pays. Chaque pièce de toile, d’une valeur moyenne de 70 fr., paye 16 fr. à l’entrée en France. C’est à peu près le quart de la valeur totale, ou 24 p. c. Il faut que notre ancienne industrie soit encore pleine de vie pour pouvoir soutenir un droit qui paraît écrasant.
Enfin, la cinquième cause me semble la plus nuisible à notre ancienne industrie ; c’est la hauteur du prix de la matière première qui, souvent, n’est pas en rapport avec le prix courant de la toile.
La matière première prend une part considérable dans la fabrication de la toile.
Dans la plupart des autres industries, on calcule que la matière première n’entre que pour 25 p. c., tandis que 75 p. c. restent pour la main-d’œuvre.
Telle n’est pas la proportion du lin qui entre dans la fabrication de la toile. Elle est beaucoup plus considérable.
Si le gouvernement veut atteindre d’une manière efficace le but qu’il s’est proposé, il doit trouver le moyen de procurer à notre population linière le lin à un prix qui soit en proportion avec celui de la toile. Il n’obtiendra pas entièrement le but en fournissant les subsides tendant exclusivement à améliorer les procédés, à perfectionner les outils, à organiser la fabrication en grand et à créer une société de commerce, destinée à exporter les produits liniers.
Il me semble que le but ne peut être efficacement atteint qu’en cherchant le moyen de mettre le prix du lin en rapport avec celui de la toile.
Il y a un moyen qui ne lèserait pas essentiellement l’agriculture. C’est la propriété agricole ainsi que le commerce des lins, qui sont venus constamment s’opposer au droit qu’on a demandé à l’exportation des lins. Si l’on adoptait une échelle, comme nous l’avons fait pour l’importation et l’exportation des grains ; si l’on partait d’un prix qui convînt à ‘agriculture et à l’industrie, et si seulement on élevait le droit dans la même progression que le prix des lins, on pourrait probablement satisfaire les deux intérêts.
J’ai compris la sollicitude extrême que, depuis longtemps, la chambre a témoignée, et avec raison, en faveur de toutes les autres industries du pays afin qu’elles pussent obtenir la matière première au prix le plus bas. L’industrie linière est la seule pour laquelle on n’a rien fait sous ce rapport. Cependant cette industrie s’exerce, comme vous le savez, sur une échelle considérable. Il existe, sous ce rapport, une anomalie choquante. L’exception que l’on a faite de l’industrie linière, en ne lui accordant pas la même faveur, est une contradiction palpable.
La chambre comprend cependant l’immense importance qui se rattache à la prospérité de cette industrie, attendu qu’elle est le travail, la nourriture, le pain de populations considérables réduites aujourd’hui à un état misérable. Ce qui fait souffrir leur industrie, c’est surtout le prix élevé de la matière première qui souvent n’est pas en rapport avec le prix de la toile.
Si on avait introduit la nouvelle industrie, la même cause s’opposerait souvent à ses progrès, à sa prospérité.
Il est une troisième et dernière objection à laquelle je répondrai en peu de mots.
On a dit : Votre industrie se maintient dans une proportion considérable. A part la fabrication pour la consommation intérieure, vous exportez encore, dites-vous, depuis 1835, terme moyen, pour 10 millions par an. Cette industrie n’en est pas moins mourante, attendu que, malgré leur travail, vos populations sont si misérables.
Messieurs, l’industrie linière est exploitée dans les Flandres par deux populations différentes. Sa population agricole se livre à cette industrie pendant l’hiver et même pendant les autres saisons, lorsque les besoins de l’agriculture ne réclament pas ses bras. Cette population ne lutte pas péniblement contre la cherté de la matière première. Elle récolte ses propres lins ; ses toiles confectionnées par la classe agricole sont les meilleures. La matière première en est bonne ; elle a été bien soignée. Ce sont aussi ces toiles qui sont enlevées sur nos marchés avec empressement et qui sont particulièrement destinées à l’exportation. Je suis disposé à croire que cette population agricole maintiendra l’ancienne industrie contre toutes les concurrences, car, pour elle, tout est bénéfice, matière première et main-d’œuvre.
Mais à côté de cette population agricole, il en existe une autre très considérable. C’est celle des familles de tisserands et de fileuses. Elle est misérable, elle ne récolte pas ses propres lins. Elle lutte péniblement contre la cherté des lins et, par conséquent, contre un salaire inférieur à ses besoins. Eu égard au prix des lins, elle est forcée de s’en acheter dans les qualités inférieures. Ses produits sont ordinairement mal soignés. Nous supplions le gouvernement d’appliquer surtout ses subsides à cette malheureuse classe ouvrière, de lui venir en aide particulièrement en avisant aux moyens de lui fournir la matière première à un prix qui lui permette de subsister par son travail. J’ai déjà dit que cette classe ouvrière ne serait pas moins malheureuse si elle était réduite à ne tisser que les fils mécaniques, car alors elle serait bornée au salaire du tissage.
(page 306) M. Delfosse (pour un fait personnel). – L’honorable abbé de Foere, sortant de son calme habituel, du calme qui convient à son ministère, a attaqué avec beaucoup de vivacité une idée que j’ai émise dans la discussion de l’adresse, il y aura bientôt un mois.
L’honorable membre a été très dur pour moi. Je ne lui en veux pas, mais je déplore profondément l’obstination qu’il met à défendre une erreur fatale.
Si j’avais besoin de preuves à l’appui de l’observation que j’ai présentée, dans la discussion de l’adresse, que le clergé a été l’un des obstacles à la transformation de l’industrie dans les Flandres et par conséquent l’une des causes de la misère qui afflige ces deux provinces, je les trouverais dans les discours de l’honorable abbé de Haerne et de l’honorable préopinant.
Ces deux honorables collègues ne font-ils pas en effet tous leurs efforts pour entretenir les populations flamandes dans cette erreur que l’ancienne industrie linière offrirait encore des chances d’avenir ?
Je pardonne volontiers à l’honorable abbé de Foere les injures qu’il m’a adressées.
Puisse le ciel lui pardonner un jour le mal qu’il aura fait aux Flandres !
M. Delehaye. – Messieurs, chacun de vous comprend que les besoins déterminent l’étendue et l’extension de la production. Partant de là, il sera facile de répondre aux questions que nous a proposées l’honorable député de Thielt.
Pourquoi le commerce réclame-t-il des toiles de fil à la main ? Parce que l-a fabrication de toiles de fil à la mécanique ne répond pas encore aux besoins des consommateurs, et en second lieu, parce que les tisserands, poussés par la faim, se défont de leurs toiles à tout prix.
Je pourrais rétorquer l’argument de l’honorable membre, et lui demander pourquoi le commerce solliciterait des produits qu’il sait ne pas être fabriqués. Cependant, messieurs, on nous a dit souvent que des toiles demandées par l’étranger ne se trouvaient plus au marché ; pour ma part, j’ai entendu souvent des marchands se plaindre de ce que des toiles de certaines qualités, quoique vivement réclamées, ne se trouvaient plus fabriquées ; cela provenait de ce que le tisserand, abandonné à lui-même, ne connaît ni les besoins ni les goûts du moment.
Mais, messieurs, comment veut-on que les toiles de fil à la main ne soient pas enlevées de nos marchés ? Que se passe-t-il ? Nous avons plus d’une fois assisté à ce triste spectacle que nous présentaient des tisserands venant du marché n’ayant pas reçu de leur toile la valeur de la matière première.
Dans la discussion sur les denrées alimentaires, ne nous a-t-on pas dit, et avec raison, que les fileuses, les meilleures même, ne gagnaient pas 15 centimes par jour ? Je connais une commune où l’on ne trouverait que bien peu de fileuses gagnant 10 centimes.
Il en est de même des tisserands ; beaucoup travaillent à perte, heureux ceux qui obtiennent trente centimes par jour !
L’honorable orateur, auquel je réponds, doit comprendre que lorsque des toiles sont exposées au marché, pour lesquelles on ne payent le salaire de la fileuse, ni celui du tisserand, il doit être évident que ces toiles doivent obtenir la préférence.
Sans doute, messieurs, il est beau de protéger une industrie qui, tout en maintenant des principes moraux au sein des familles, donne du travail à tous les membres ; il est favorable, utile pour le tisserand de pouvoir lisser le fil fabriqué par sa femme et ses filles ; mais si les produits de ce travail, venant en concurrence avec d’autres, doivent être vendus à perte ou avec un bénéfice insuffisant, sans leur laisser le moyen de vivre à ‘aide de leur travail, est-il avantageux d’encourager une pareille production ? Lorsque cette industrie ne laisse aucune ressource à ceux qui l’exercent, ne faut-il pas, par humanité, par sollicitude pour l’ouvrier, l’engager à embrasser une autre carrière, à se livrer à une autre industrie qui lui permettra de trouver dans son travail une existence honnête pour lui et sa famille ? S’il n’en était ainsi, les sommes destinées à venir au secours de l’ouvrier devraient figurer au budget d’année en année, sans espoir de les voir supprimées un jour.
Il ne peut en être ainsi. Il faut que le gouvernement fasse tous ses efforts pour que la classe ouvrière se pénètre bien de cette idée que ce n’est que temporairement, pour ménager la transition, que nous venons à son secours ; que ce n’est que parce que les denrées alimentaires sont au-dessus du salaire attribué à son travail.
Messieurs, l’honorable membre sait que ce qui fait la prospérité d’une industrie, ce sont les besoins. Ce sont les besoins qui, lorsqu’ils sont considérables, rendent la production elle-même considérable. Or, comment se fait-il qu’aujourd’hui les produits de l’ancienne industrie sont encore réclamés ? Est-ce parce que ses produits constituent une spécialité sous quelque rapport ?
Non, messieurs ; mais c’est parce que la nouvelle industrie, quelque développement qu’elle ait pris, ne répond pas encore aux besoins qui se font sentir, c’est en outre parce que les produits de l’ancienne industrie se rendent à tout prix. On comprend, messieurs, que la nouvelle industrie, établie seulement depuis quelque temps, ne puisse satisfaire à tous les besoins de la consommation.
Et, en effet, comment pourrait-elle le faire, alors que, comme vous l’a dit lui-même l’honorable abbé de Foere, on ne place encore le fil mécanique que dans le seul district de Roulers. Ce n’est qu’à Roulers que quelques personnes bien pensantes, quelques personnes amies du progrès, ont introduit la fabrication du fil mécanique. Il est donc naturel que la France ne nous demande que des toiles de fil à la main.
Messieurs, il est une autre observation sur laquelle je dois également appeler l’attention de l’honorable membre, et qu’il m’étonne qu’il n’ait déjà pas faite lui-même.
Pourquoi les produits de l’ancienne industrie se placent-ils encore en France ? Mais c’est parce que, comme il l’a dit en finissant, et comme il l’aurait dû dire en commençant, ces produits ne sont pas en rapport avec le prix du lin, j’ai vu au marché de Gand, et souvent les journaux l’ont annoncé, que le fil à la main se vendait au prix du lin ; j’ai vu, et l’honorable M. de Foere doit l’avoir vu avec moi, des toiles vendues pour le prix de la matière première. Or, messieurs, on conçoit que la France est heureuse de se jeter sur des toiles pour lesquelles ou ne paye que la matière première.
On conçoit d’ailleurs que le tisserand est entièrement à la disposition de l’acheteur ; il se rend au marché alors que, poussé par la faim, il a besoin de se défaire de sa toile ; il ne saurait attendre le bon moment ; arrivé à la ville, ayant payé les frais du transport, ceux de marché, il ne peut pas retirer sa pièce de toile ; il doit, de crainte d’augmenter encore la perte, la céder au prix qu’on lui offre.
Il faut encore envisager la question sous un autre rapport, sous celui de la position de ceux qui s’adonnent à l’ancienne industrie. Cette position est telle qu’ils ne trouvent plus dans leur travail des moyens de subsistance. Il n’est pas de fileuse, et à cet égard je ne crains pas d’être démenti, dans le district représenté par l’honorable membre lui-même, qui gagne 25 centimes par jour. Dans certaines communes, il n’est pas une seule fileuse qui gagne 10 centimes par jour. Or, comment voulez- vous, M. de Foere, qu’une industrie qui ne donne pas 10 centimes de salaire à une fileuse, puisse être maintenue ? Pourquoi s’obstiner à soutenir une industrie qui produit de pareils résultats ?
J’irai plus loin encore. L’honorable membre a dit que l’ancienne industrie est avantageuse aux populations des Flandres, en ce sens que le tisserand pouvait fabriquer de la toile avec le fil filé de la main de sa femme. Mais que gagne le tisserand qui tisse ce fil ? Son salaire et celui de la fileuse réunis ne s’élèvent pas à six sous par jour. En portant ce salaire à 60 centimes, ce qui peut-être même est exagéré, est-il donc suffisant pour qu’il faille engager les ouvriers à continuer leur travail ?
Mais, dit l’honorable membre, voyez ce qu’a fait la France. Elle a limité l’introduction de nos toiles. Je ne sais ce que prouve cet argument. Mais, messieurs, la France n agi dans son intérêt. Pourquoi a-t-elle limité l’introduction de nos toiles ? Parce qu’elle vient prendre le fil à la mécanique pour lui donner la main-d’oeuvre et s’assurer ainsi tout le bénéfice de la fabrication.
La France, en faisant cette stipulation, n’a eu qu’un seul but, c’est de se réserver le bénéfice de la main-d’œuvre.
Je ne puis pas croire, messieurs, que l’honorable membre, qui a une idée très nette des besoins du pays, ait pu se faire illusion à ce point qu’il croie à l’avenir de l’ancienne industrie linière. L’honorable membre a beaucoup de philanthropie ; il a donné des renseignements très utiles à plusieurs personnes appartenant à la Flandre orientale, et je lui en exprime ici toute ma reconnaissance ; eh bien, il a senti lui-même que l’ancienne industrie linière avait fait son temps, il a voulu la remplacer en établissant, partout où il l’a pu, des écoles dentellières. Et ici, messieurs, permettez-moi de revenir sur ce que je disais tantôt, en réponse à l’argument de l’honorable membre qui disait que la nouvelle industrie n’était pas appelée à satisfaire au besoin du commerce.
Je suppose, remarquez que ce n’est qu’une hypothèse, que le goût du jour exige tout à coup le tulle en remplacement de la dentelle ; aussi longtemps que la production du tulle ne répondrait pas aux besoins, la dentelle serait demandée ; ce ne serait que lorsque le tuile serait fabriqué en quantité suffisante que la dentelle serait abandonnée.
Il en sera de même de la nouvelle industrie ; quand les produits seront mis en rapport avec les besoins de la consommation, on abandonnera les toiles anciennes qui n’auront pour elles aucun des avantages de la nouvelle industrie sur laquelle se portera le goût du jour. Je prie la chambre de ne pas perdre de vue que je ne me sers de cette comparaison que pour expliquer ma pensée.
Eh bien, messieurs, la même chose se produira quant à l’industrie linière ; si l’ancienne industrie peut encore travailler, c’est uniquement parce que l’industrie nouvelle ne peut encore pourvoir qu’à une faible partie des besoins. Comment voulez-vous, en effet, messieurs, que l’étranger vienne demander en Belgique des toiles à la mécanique, alors que, comme l’honorable membre en convient lui-même, on ne fait de ces toiles que dans le seul district de Roulers ? Et dans ce district même, messieurs, nous savons tous combien l’industrie des toiles à la mécanique a rencontré d’obstacles, combien il a été suscité de difficultés à son établissement. L’on est allé jusqu’à la dépeindre comme ne présentant aucune solidité.
L’honorable membre a caressé une autre idée, il faut mettre, a-t-il dit, le prix de la matière première en rapport avec le prix des produits fabriqués et ce résultat il veut l’obtenir par l’établissement d’un droit à la sortie sur les lins.
Messieurs, j’ai prouvé dans maintes circonstances que je ne reculerai jamais devant aucune protection à accorder à l’industrie ; mais frapper le lin d’un droit de sortie, ce serait imposer de nouvelles charges à l’agriculture, et je ne m’y prêterai jamais. Quand on est venu demander des droits plus élevés sur les céréales, je m’y suis opposé dans l’intérêt des (page 307) consommateurs et par suite dans l’intérêt des gens de la campagne ; je m’opposerais également à ce qu’on établît un droit de sortie sur les lins qui sont le principal produit de l’agriculture dans nos provinces.
Ce remède-là même serait inefficace. Supposons, en effet, que la chambre adopte le système préconisé par l’honorable membre, qu’arrivera-t-il ? Les tisserands seraient-ils plus heureux qu’ils ne le sont aujourd’hui ? Mais ils n’obtiendraient pas encore le lin à bas prix, pourquoi ? Parce qu’ils ne présentent pas les garanties qu’offrent les sociétés. Vous concevez, messieurs, que le cultivateur n’aime pas beaucoup de vendre son lin à crédit, à un pauvre tisserand qui ne gagne son salaire qu’à son corps défendant ; il donnera toujours la préférence, aux grands établissements qui disposant de capitaux considérables, peuvent faire de grands achats et les payer comptant.
Ainsi donc, messieurs, le système de l’honorable M. de Foere ne produirait pas l’avantage qu’il en attend, car le lin fût-il maintenu à un prix peu élevé, à l’aide d’un droit de sortie, le tisserand ne pourrait pas encore profiter de ce prix réduit.
Déjà, messieurs, je vous ai fait connaître ma manière de voir sur ce qu’il importe de faire, si l’on veut être utile aux tisserands. Je le répéterai de nouveau, il faut qu’on établisse dans le pays des fabriques de toiles, afin que ce soit le fabricant, le chef de l’établissement qui achète le fil ou le lin, comme les fabricants de coton achètent le coton en laine. De cette manière, connaissant et le prix de la matière première et la qualité qu’il lui faut, il pourrait s’assortir avantageusement de tout ce qui est nécessaire à la fabrication ; il achèterait à meilleur compte, travaillant sur une échelle plus étendue, il indiquerait à ses ouvriers, à ses tisserands la manière dont ils doivent travailler ; il leur ferait connaître le goût des consommateurs, la mode du jour, l’espèce recherchée, dont le débit est le plus facile, dont les demandes sont les plus nombreuses.
Le tisserand, à son tour, n’ayant plus à s’enquérir du prix dii lin bornerait son industrie à produire, conformément aux instructions reçues ; il travaillerait le fil qui lui a été confié, et, sa toile achevée, il irait recevoir le salaire de la main-d’œuvre, sans être exposé, comme aujourd’hui, à devoir passer par toutes les exigences du négociant qui peut profiter de la nécessité dans laquelle se trouve l’ouvrier de se défaire à tout prix de sa toile.
Le tisserand serait ainsi soustrait aux conséquences fâcheuses de la concurrence que lui font aujourd’hui les grands établissements et contre laquelle il lui est impossible de lutter aussi longtemps qu’il est abandonné à lui-même.
L’honorable membre a mis en avant une assertion bien extraordinaire ; il a dit qu’en France la nouvelle industrie disparaissait, qu’elle n’obtenait pas même le marché français…
M. de Foere. – Je n’ai pas dit cela.
M. Delehaye. - J’avais compris ainsi les observations de l’honorable membre, mais puisque je me suis trompé, je retire ce que j’ai dit.
Je ferai seulement remarquer que, dans le département du Nord, c’est l’ancienne industrie qui disparaît tous les jours devant la nouvelle. Il s’est créé à Lille un établissement, travaillant sur une échelle immense ; je ne sais pas même si, avant deux ans d’ici, il n’emploiera pas, à lui seul, autant de broches qu’en emploient aujourd’hui tous les établissements du département du Nord réunis.
Il est donc incontestable, messieurs, que l’ancienne industrie linière doit disparaître devant l’industrie nouvelle. C’est un malheur, j’en conviens, j’aime tout autant que qui que ce soit cette industrie qui permettait à chacun de travailler au sein de sa famille. Il est certain que c’était là une industrie très favorable à la moralité des populations, mais enfin rien ne peut l’empêcher de succomber sous la concurrence d’une industrie plus perfectionnée et pouvant livrer ses produits à meilleur marché, et force nous est bien de suivre les progrès du siècle. D’ailleurs, si l’on veut que le peuple soit moral, on obtiendra ce résultat en lui faisant connaître ses devoirs, en lui prouvant tout ce qu’il peut attendre du gouvernement et en lui apprenant ce qu’il se doit à lui-même.
En instruisant la classe ouvrière, en la faisant marcher dans les progrès du siècle, nous ne tarderons pas à conquérir cette ancienne puissance qui nous rendait un objet d’envie pour les Etats qui nous environnaient.
M. Mast de Vries. - Messieurs, de toutes les questions que nous pouvons discuter à l’occasion du budget de l’intérieur, la plus importante, tant sous le rapport matériel que sous le rapport moral, est peut-être celle des octrois municipaux.
M. de Brouckere. - Je demanderai à l’honorable M. Mast de Vries s’il ne pense pas qu’il conviendrait d’épuiser la question soulevée par M. de Foere.
M. le président. - C’est la discussion générale, et elle embrasse toutes les matières qui se rattachent au budget.
M. de Brouckere. - Il est incontestable que M. Mast de Vries a le droit de parler ; mais la question qu’il va soulever est une question très importante, et dans l’intérêt de cette question il serait peut-être utile de terminer d’abord la discussion provoquée par M. de Foere.
M. Mast de Vries. - Je ne m’y oppose pas.
M. Sigart. - Je désire aussi dire quelques mots.
M. le président. - Vous êtes inscrit.
M. Lebeau. - Messieurs, je crains que si nous adoptons la motion de parler uniquement sur chacune des questions qui se présentent, on ne pose un précédent fâcheux pour l’avenir. D’où vient l’inconvénient qu’on signale ? C’est que la discussion actuelle n’est pas véritablement à sa place comme discussion spéciale ; si l’on veut en faire une discussion spéciale, elle doit naturellement trouver son siège à l’article du budget de l’intérieur relatif à l’industrie linière. Agir autrement, c’est déjà une déviation des bonnes règles d’une discussion générale ; car, dans une discussion générale, l’orateur a le droit d’aborder à la fois toutes les questions d’ordre politique, moral ou matériel ; ce serait nuire au droit de l’orateur, que de circonscrire le débat général dans chacun des incidents, à mesure qu’ils se produisent dans la discussion.
Du reste, je ne veux pas être plus exigeant que l’honorable M. Mast de Vries ; s’il croit devoir renoncer à son tour de parole, je n’insisterai pas sur mon observation.
M. de Brouckere. - Messieurs, si j’avais fait une proposition, tentant à ce que la chambre décidât qu’on commencerait par examiner la question de l’industrie linière à l’exclusion de toute autre, l’observation de l’honorable M. Lebeau serait parfaitement juste ; mais je n’ai fait aucune motion ; j’ai présenté une observation à l’honorable M. Mast de Vries personnellement ; je lui ai dit : « Je suis inscrit après vous, et je vais parler en réponse au discours de l’honorable M. de Foere ; on perdra de vue la question très importante que vous avez l’intention de soulever ; je vous demande de juger vous-même si vous préférez parler maintenant ou plus tard. » Ce n’est pas là faire une proposition, et je reconnais parfaitement le droit, pour l’honorable M. Mast de Vries, de parler dès à présent, s’il le veut.
M. Mast de Vries. – M. le président, je désire conserver mon tour de parole.
M. le président. - La parole vous est continuée.
M. Mast de Vries. - Messieurs, je disais qu’une des questions les plus intéressantes qui puissent être soulevées dans cette chambre à l’occasion du budget de l’intérieur, est certainement la question des octrois municipaux. Cette question touche à la fois aux intérêts matériels et aux intérêts moraux de la société. L’honorable M. de La Coste, dans des séances antérieures, a déjà appelé l’attention de la chambre sur cette importante question ; c’est peut-être à la persistance que cet honorable membre a montrée, que nous avons dû le travail, si complet, qui nous a été distribué, il y a quelques mois, sur les octrois municipaux, sous l’administration de l’honorable M. Nothomb. Chacun de nous aura examiné ce travail ; plusieurs, sans doute, l’auront étudié ; quant à moi, par la position que j’occupe, obligé de m’occuper beaucoup d’octrois, j’ai étudié la question avec attention, je l’ai étudiée sous tous ses rapports, et j’ai acquis la conviction que le système actuel des octrois est un système à la fois immoral, injuste, vexatoire et impolitique. En persévérant dans ce système, je crois que nous aurons dans l’avenir de grands mécomptes, peut-être même de terribles catastrophes.
Ce système, messieurs, est injuste ; parce qu’en frappant les comestibles, les boissons, le combustible, on frappe particulièrement les classes les plus pauvres de la société, et on les frappe, proportion gardée, bien plus fortement que les classes élevées. Les pauvres sont forcés de faire une consommation beaucoup plus grande de ces articles que les personnes fortunées. N’est-ce pas une amère dérision que d’entendre parler chaque jour de la situation de la classe nécessiteuse, et de voir en même temps qu’il n’y a peut-être pas un seul ménage pauvre qui ne rende deux ou trois fois à l’octroi ce qu’il reçoit du bureau de bienfaisance ? Je pourrais prouver qu’il n’y a pas un seul ménage pauvre qui ne paye un bon nombre de francs pour l’octroi. Eh bien, nous avons la conviction intime que la journée du pauvre n’est plus en rapport avec ses besoins ; et cependant les octrois frappent principalement les individus qui ne peuvent pas payer. Que doit-il avenir à la fin de tout cela ? Il faut que le pauvre se passe des 20 ou 30 fr. qu’il paye à l’octroi ; se fasse à lui-même et à sa famille une part qui le conduit à l’hôpital et finalement à la mort.
Je dis ensuite que le système actuel des octrois est immoral.
En effet, nous voyons le chiffre de l’octroi augmenter de jour en jour dans toutes les villes. Qu’en résulte-t-il ? Qu’on offre par là un appel immense à la fraude. Les droits d’octroi sont partiellement fraudés ; et qui pousse-t-on à commettre cette fraude ? Ce sont encore les pauvres, que des personnes plus adroites emploient, pour miner leurs concurrents.
Voyez ce qui se passe à Bruxelles ; l’octroi sur les vins, par exemple, est, si je ne me trompe, de 24 fr. par baril ; eh bien, vous faites assurer pour 15 fr. l’introduction, à Bruxelles, d’un baril de vin. Et qui se charge de cette introduction ? Ce sont des malheureux, poussés en avant par un individu plus fin qui se tient derrière les coulisses, pour qu’on ne puisse pas l’atteindre. Je dis donc qu’à ce point de vue le système actuel des octrois est de la dernière immoralité.
Je dis que ce système est vexatoire. En effet, voyez ce qui a eu lieu dans toutes nos villes. Il est impossible à l’étranger de connaître tous les articles qui sont frappés d’un droit d’octroi dans la ville où il entre ; dès lors, sans le vouloir, il est à peu près certain de commettre la fraude ; et alors vous êtes puni pour un délit que vous n’aviez pas l’intention de commettre. Combien d’entre nous, arrivés aux portes de Bruxelles, se trouvent dans ce cas ? Nous avons peut-être tous fraudé sans le savoir Ce qui se passe à Bruxelles se passe dans toutes les localités ; et il y a des localités où le moindre délit est puni d’une manière extrêmement sévère.
Je ne connais pas de vexations plus désagréables que celles qui résultent de l’application du système actuel des octrois.
Je dis enfin que ce système est impolitique. N’est-ce pas un non-sens (page 308) que de voir chaque petite localité faire, pour ainsi dire, un Etat séparé dans le grand Etat ? La tendance de tout ce qui se fait dans chaque localité, c’est de s’isoler. Nous parlons de liberté commerciale avec l’étranger, il faudrait commencer par appliquer ce système à nous-même ; eh bien, nulle part, en Belgique, vous ne trouvez le principe de la liberté commerciale mis en pratique. Les villes sont séparées entre elles par des lignes de douanes. Fabrique-t-on un tel article dans telle localité, vous pouvez être sûr que cet article va être imposé à l’entrée par une autre ville.
Je sais très bien que si je signale des abus, on me demandera ce qu’il faut faire pour y porter remède ; mais c’est précisément parce que j’ai étudié la question que je me permets d’en parler, et je crois que je pourrai indiquer le moyen de faire disparaître l’abus que je vous ai dénoncé.
Messieurs, si vous avez examiné le travail qui a été distribué par l’honorable M. Nothomb, vous avez été étonné, comme moi, de l’extension extrême que prennent les octrois Ainsi, par exemple, le chiffre total pour toutes les villes à octroi de la Belgique, s’élevait en 1820 à 5,865,000 francs (chiffre rond) ; en 1835 le chiffre s’est élevé à 7,990,000 francs. Vous voyez déjà l’extension qu’il prend : 2,200,000 francs et quinze années.
En 1843 nous le voyons monté à 9,120.000 francs, de manière que la différence entre 1843 et 1820 est de 3,255,000 francs c’est-à-dire une majoration moyenne de 150 mille francs par an. Ces 150 mille francs sont prélevés en très grande partie sur les classes que je viens d’indiquer et auxquelles nous portons le plus grand intérêt.
Examinons maintenant le chiffre des dépenses de perception :
En 1820, la perception d’un produit de 5,800,000 francs coûtait 280,000 francs, c’est-à-dire 4 4/5 pour cent.
En 1835, le produit de l’octroi augmente de 2,200,000 fr. ; mais la dépense de la perception augmente dans une bien plus grande proportion ; de 280 mille fr. elle s’élève à 461 mille fr., c’est-à-dire que de 4 4/5 p. c., elle s’élève à 5 3/4.
Maintenant, pour vous faire voir où nous marchons, je vais vous dire où nous sommes déjà arrivés : de 1835 à 1843 les produits présentent une augmentation de 1,200,000 Fr. mais le chiffre du coût de la perception monte de 5 3/4 p. c. à 10 ! de sorte qu’aujourd’hui ou plutôt à la fin de 1843 la perception des octrois coûtait 10 p. c., c’est-à-dire qu’on paye le chiffre énorme de 1,200,000 fr. de frais de perception des droits d’octroi.
Les chiffres que je viens de présenter s’arrêtent à la fin de 1843 ; aujourd’hui le chiffre total des octrois s’élève probablement à onze millions environ. Mais vous avez vu que le chiffre des dépenses pour les faire rentrer augmente dans une proportion bien plus forte. Qu’est-ce que cela prouve ? Cest que la difficulté devient plus grande, que l’immoralité augmente, que chaque localité sent l’impérieux besoin d’augmenter les employés pour forcer les recettes.
Messieurs, je viens de dire que signaler les abus est une chose extrêmement facile, et qu’il est peut-être difficile de signaler les moyens d’y porter remède.
Je crois avoir bien étudié la question des octrois ; il est résulté pour moi de l’étude que j’ai faite, la conviction que les octrois peuvent être supprimés et remplacés par d’autres bases d’impôt. La première réforme qu’on pourrait faire, et elle serait importante si on considère le chiffre élevé des frais de recettes, ce serait de faire en sorte que les recettes fussent faites par des employés de l’Etat résidant dans les localités. Vous auriez une économie extrêmement importante.
Voici le système que je livre à vos méditations.
Y a-t-il un objet plus en rapport avec les octrois que les assurances ? On a déjà parlé de cette question des assurances, je sais qu’elle est étudiée par le gouvernement. Mais je pense que si on veut couper court aux graves inconvénients des octrois, on peut le faire par l’établissement d’un système d’assurances générales, par le gouvernement, au profit des communes en raison des propriétés qu’on leur assurerait. Je suppose un système général d’assurances établi ; la ville de Bruxelles, par exemple, recevrait une part du produit en proportion de ce qu’elle a de propriétés assurées. J’ai fait quelques calculs ; le produit serait immense, vous seriez étonnés du résultat auquel on pourrait arriver.
En supprimant les octrois, on fait disparaître toutes les perceptions qui se font à l’entrée des villes sur les boissons distillées, sur les vins, sur les bières. Vous pourriez faire percevoir par l’Etat l’équivalent de ce droit que vous supprimez, sauf à l’Etat à en tenir compte aux communes. Vous trouveriez là d’immenses ressources, sans augmenter les droits en réalité, qui, soit dit en passant, sont portés à un chiffre élevé, Un troisième moyen serait l’établissement de centimes additionnels, les centimes additionnels sont payés par la classe qui possède ; les assurances sont encore payées par la classe qui possède ; et quant aux droits à prélever sur les boissons distillées, il n’y aurait pas de majoration, car si les droits perçus par l’Etat étaient augmentés, il y aurait compensation dans la suppression des droits établis à l’entrée des villes.
De cette manière, je pense que le système des octrois pourrait être révisé. 1° remettre entre les mains du gouvernement la perception ; 2° faire des assurances un objet d’octroi, par l’intermédiaire du gouvernement ; 3° voir ce qu’il conviendrait de faire pour les boissons, notamment pour les distillés et les vins, pour remplacer les droits perçus à l’entrée des villes.
Voilà un système que j’engage le gouvernement à étudier. Le ministère quel qu’il soit, qui voudrait apporter des modifications importantes au système d’octroi, mériterait du pays une éternelle reconnaissance.
En présence de la propension qu’ont les villes à faire de nouvelles dépenses, on doit reconnaître qu’on marche à la banqueroute. D’ici à peu de temps l’octroi sera tellement élevé qu’il surpassera toutes les ressources à faire, toutes les propriétés sont vendues, les autres droits des villes sont diminués à tel point que le chiffre des recettes ordinaires autres que l’octroi n’est augmenté en 23 ans que de 150,000 fr. la tandis que l’octroi. seul l’est de 3,255,000. Tout nous oblige donc à examiner sérieusement cette question.
M. le président (M. Liedts). - Je dois faire une observation. On a dit tout à l’heure que le discours de M. de Foere n’était pas à sa place. Je ferai remarquer que dans la loi relative aux subsistances, lorsque M. de Foere, a parlé contre la clôture, la chambre a paru consentir à ce qu’il prononçât son discours lors de la discussion du budget de l’intérieur. En second lieu, au budget de l’intérieur figure une allocation de 150 mille fr. pour subsides eu faveur de l’industrie linière et de la classe des tisserands et des fileuses.
De sorte qu’il m’a paru que son discours était à sa place dans la discussion du budget de l’intérieur.
M. Lebeau. - Je serais désolé que M. le président, à l’impartialité duquel j’ai souvent rendu hommage, ainsi qu’au tact avec lequel il dirige nos travaux, ait cru voir une critique indirecte, une observation du moins qui lui serait personnelle dans la réflexion que j’ai soumise tout à l’heure à la chambre. Mais il n’en est absolument rien ; car lorsque M. le président déclare que dans la discussion générale on peut parler de l’industrie linière, qui appartient au budget de l’intérieur, il ne fait que reconnaître le droit de tous les orateurs. Par conséquent, il est loin de ma pensée de vouloir adresser le moindre reproche à la conduite de M. le président.
Mais j’ai cru (et j’ai voulu appeler sur ce point l’intention de la chambre, qui croira d’autant plus à mon impartialité, qu’il s’agit d’un de mes amis politiques), j’ai cru que ce serait un mauvais précédent que de forcer la discussion à se concentrer sur un article, à l’exclusion des autres. Car voici ce qui arriverait : une discussion spéciale tendait à s’établir sur la question de l’industrie linière ; on aurait entendu tous les orateurs qui auraient voulu parler sur cette question. Il en serait résulté que, quand on serait arrivé à l’article du budget concernant l’industrie linière, on aurait, par le principe du non bis in idem, fermé la bouche aux orateurs tardifs qui, prenant le règlement au sérieux, seraient venus présenter leurs observations sur ce chapitre.
Je dis que, si l’on admettait ce système, il pourrait arriver que l’on privât un orateur, inscrit sur un article, du droit de présenter ses observations, en disant que, la chambre ayant eu sur cet article une discussion spéciale, la question est épuisée. Qui empêcherait qu’après une discussion spécale sur l’industrie linière, il y en eût une sur les octrois, et une troisième sur un autre point soulevé par un autre orateur ?
Voilà sur quoi j’appelle l’attention de la chambre et de l’honorable M. de Brouckere lui-même.
Du reste, je n’ai pas insisté. Si l’honorable M. Mast de Vries avait cédé, tout était dit.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je désire présenter quelques observations en réponse à celles de l’honorable député de Lierre.
Assurément, c’est une question très grave que de savoir s’il convient de supprimer les octrois et de les remplacer par d’autres impôts ; car c’est là la véritable question. Si la suppression des octrois s’opère, il faudra les remplacer par d’autres impôts.
Lorsqu’on aura examiné la question des assurances, dont M. le ministre des finances a promis de s’occuper, on pourra examiner simultanément cette autre question soumise à la chambre par l’honorable préopinant, à savoir s’il convient de faire participer au produit des assurances les villes et les communes où seraient situées les propriétés assurées. Mais tout en admettant cette possibilité éventuelle, il faudrait en outre recourir à d’autres modes d’impôt. C’est ce que l’honorable membre a reconnu en proposant d’augmenter les droits de fabrication sur les eaux-de-vie et sur les bières, et les centimes additionnels sur les contributions directes.
Cette question de la suppression des octrois a déjà été soumise à l’examen des députations provinciales ; en général, cette idée a été accueillie avec peu de faveur.
Maintenant, l’honorable membre signale les octrois comme un impôt extrêmement odieux ; et il vous en a signalé la progression. Il est dangereux de présenter les impôts existants comme étant odieux, parce que cela peut avoir pour résultat d’augmenter l’aversion que déjà l’on n’a que trop pour acquitter des charges de cette nature.
En y réfléchissant, on comprendra que si les octrois ont considérablement augmenté, depuis 1823, c’est qu’en général toutes les communes à octroi ont fait d’énormes dépenses d’amélioration ou d’embellissement. Qui a surtout profité de ces dépenses d’amélioration et d’embellissement ? Evidemment la classe ouvrière dont l’honorable membre a chaudement défendu les intérêts ; car les travaux considérables, exécutés depuis 1830, l’ont été par la classe nécessiteuse.
C’est pour cela que l’on a constamment augmenté les octrois.
Une autre circonstance importante, c’est que, depuis 1830, les salaires de tous les employés en général ont considérablement augmenté. C’est ce qui explique, au moins en partie, que la perception de l’octroi qui, dans le principe, était de 5 p. c. s’élève aujourd’hui à 10 p. c.
Une tendance particulière de la phase dans laquelle le pays est entré, depuis 1830, c’est d’augmenter en général tous les petits traitements, (page 309) les traitements des employés de l’octroi et de toutes les administrations en général. C’est ce qui explique en grande partie l’augmentation des budgets des administrations communales et provinciales et de l’administration générale.
Si vous supprimez les octrois, de même que si vous supprimez le régime des douanes, vous aurez encore un nombre infini de personne sans travail. Il ne faut donc pas considérer de telles mesures comme un pur bénéfice pour la classe nécessiteuse. Déjà l’on a reconnu que malgré tous les travaux que font les communes, les provinces et l’Etat, le nombre des travailleurs est encore hors de proportion avec le travail. Vous supprimeriez ainsi le travail d’un grand nombre de personnes ; vous augmenteriez par conséquent la concurrence du travail. Ce serait un moyen de diminuer les salaires plutôt que d’améliorer la situation de la classe ouvrière.
Il est à remarquer qu’aujourd’hui les villes à octroi ont, en général fait de grandes dépenses pour assurer la perception des octrois ; c’esl ainsi qu’on a construit des enceintes, des portes et les locaux nécessaires pour la perception. Toutes ces dépenses deviendraient inutiles. Si un pareil système devait être adopté à l’avenir, il serait regrettable qu’il n’ait pas été introduit avant que les villes aient fait ces dépenses.
Quoi qu’il en soit, la question des octrois est immense, et ainsi que je l’ai déjà dit à la chambre, il serait impossible de la saisir de cette question, dans la présente session. Ce ne sera que dans la prochaine session que la question pourra être mûrie, et que nous pourrons vous faire connaître la détermination du gouvernement.
M. de Brouckere. - Messieurs, comme l’honorable M. Lebeau, j’aurais préféré, si une nouvelle discussion devait avoir lieu, à l’occasion du budget de l’intérieur, sur l’industrie linière et sur la situation des Flandres, que cette discussion n’eût surgi que lorsque nous en serions venus à l’article du budget qui concerne l’industrie linière. Mais puisque cette discussion a été ouverte aujourd’hui, puisqu’elle l’a été dans un discours dans lequel on professe des opinions contraires aux miennes, par un discours que je regarde comme très fâcheux, comme devant avoir de mauvais résultats, je demande à la chambre la permission d’y répondre quelques mots, et je lui promets d’être très court.
Messieurs, je suis député d’une des grandes villes du pays ; je suis même député de la plus grande ville du pays, et de ce chef, plus qu’aucun de vous, je dois me regarder comme étant un de ses députes qui, aux yeux de l’honorable abbé de Foere, au lieu de siéger sur ces bancs, ferait beaucoup mieux d’aller s’asseoir sur les bancs d’une école où l’on enseigne l’économie politique.
Je reconnais, messieurs, en toute modestie, que je ne suis pas très savant en économie politique, et par contre, je reconnais à l’honorable M. de Foere des connaissances très approfondies en cette matière. Je lui promets même que si quelque jour il se fait professeur d’économie politique, ce sera son école à laquelle je donnerai la préférence. Je suivrai même son cours d’astronomie s’il en donne un. Car il vous a fait une dissertation très savante sur Copernic et sur Galilée.
Mais en attendant, messieurs, dans mon discours il ne sera question ni d’économie sociale, ni de Copernic, ni de Galilée ; mais je tâcherai de démontrer très modestement à mon honorable professeur qu’il a un peu péché contre la logique, et je m’efforcerai de le faire sans blesser les règles de la logique.
Voici, messieurs, résumé en bien peu de mots, le discours de l’honorable M. de Foere : La Flandre exporte annuellement pour 10 millions de produits de l’ancienne industrie linière ; elle n’exporte presque rien en produits de la nouvelle industrie linière, et les efforts que l’on a faits pour y introduire cette nouvelle industrie n’ont pas été heureux. Donc il faut protéger l’ancienne industrie linière, et ne rien faire ou du moins ne faire que bien peu de chose pour la nouvelle.
Voilà l’analyse la plus fidèle et la plus exacte du discours de l’honorable M. de Foere.
Je raisonne, moi, tout différemment et je demande à l’honorable M. de Foere, lui-même, de vouloir écouter mon raisonnement qui sera fort simple.
La Flandre, dit-il, exporte encore aujourd’hui pour dix millions de produits de l’ancienne industrie linière. J’admets ce chiffre ; mais je me hâte d’ajouter que la Flandre exportait autrefois pour 20 à 25 millions de produits de cette même industrie ; je me hâte d’ajouter encore que c’est précisément parce qu’elle n’exporte que pour dix millions de produits que la Flandre se trouve aujourd’hui dans la plus affreuse misère.
Que faut-il faire pour tirer la Flandre de la position où elle se trouve ? Il faut, dit l’honorable M. de Foere, maintenir, protéger, encourager l’ancienne industrie. Je dis, moi, le contraire. L’ancienne industrie en Flandre était parvenue au plus haut degré de perfection, à un degré de perfection que n’avait atteint aucun pays du monde, et malgré cela l’importation a été en diminuant.
Pourquoi cette importation a-t-elle été en diminuant ? L’honorable M. de Foere a expliqué un grand nombre de causes qui ont amené cette diminution. Je n’en indique que deux, et ces deux causes les voici : D’abord c’est l’invention d’une nouvelle industrie ; en second lieu, c’est le changement de goût à l’égard des toiles dans un grand nombre de contrées, où, aux magnifiques toiles des Flandres, à ces toiles serrées, solides, mais chères, on préfère des toiles légères, mais à bon marché.
Voilà les deux véritables causes, selon moi, qui ont amené la diminution des exportations des toiles.
Voulez-vous, messieurs, lutter contre une nouvelle industrie ? Gardez-vous en bien ? Ceux qui lutteront se ruineront.
Voulez-vous lutter contre le goût ? Nouvelle cause de ruine.
Qu’y a-t-il donc à faire pour la Flandre ? A côté de l’ancienne industrie, en introduire une nouvelle. Car je ne veux pas détruire l’ancienne industrie linière. Je sais très bien que, si dans un grand nombre de contrées on préfère d’autres toiles que celles dont on faisait usage autrefois, il se trouve aussi beaucoup de personnes encore qui continuent à donner la préférence aux produits de l’ancienne industrie linière ; et il faut que l’ancienne industrie linière continue à fabriquer pour ceux qui veulent de ses produits. Mais puisque cette ancienne industrie ne suffit pas, je dis que, pour sauver la Flandre, il faut, à côté d cette ancienne industrie, en introduire une nouvelle.
Et laquelle ? Mais évidemment l’industrie linière mécanique. Pourquoi cette industrie de préférence ? me dira-t-on. Mais précisément parce que les Flamands ont une disposition toute particulière à travailler le lin ; parce qu’ils travaillent le lin avec la plus rare perfection, parce que la main-d’œuvre, pour le travail du lin, y est à bon marché ; parce que la matière première, en Flandre, est excellente et n’y est pas chère. Voilà pourquoi, à côté de l’ancienne industrie linière, qui ne suffit plus pour les Flandres, il faut introduire la nouvelle.
Ah ! dit l’honorable M. de Foere, introduisez la nouvelle ; je ne m’y oppose pas ; mais protégez les deux industries à l’égal l’une de l’autre.
Non, messieurs ; je crois que l’on aurait tort de protéger les deux industries à l’égal l’une de l’autre. L’ancienne industrie ne doit plus être protégée ; l’ancienne industrie, je l’ai déjà dit, est arrivée à son plus haut degré de perfection, et le gouvernement ne doit rien faire pour elle.
Quant à la nouvelle, au contraire, le gouvernement doit la protéger, parce qu’il ne l’introduira qu’en parvenant à vaincre une espèce de répugnance de la part de ceux qui se livreront à l’industrie linière à la main, parce qu’il y a une éducation à faire pour les Flamands ; parce qu’encor il y a des frais de premier établissement qui sont considérables.
Voilà pourquoi le gouvernement doit tout faire pour la nouvelle industrie, et autant que possible laisser marcher d’elle-même cette ancienne industrie à la main qui dans la Flandre, je le répète, est arrivée à son plus haut degré de perfection.
Messieurs, ce qui se passe en Flandre aujourd’hui n’est rien de nouveau ; la même chose a eu lieu en Belgique il y a environ une quarantaine d’années dans une autre partie du pays, toutefois, j’en conviens, sur une échelle moins grande. Il y a 40 ans environ, la laine se travaillait également à la main. Les habitants des communes rurales qui entourent Verviers, par exemple, venaient dans cette dernière ville chercher la laine, la filaient chez eux et la reportaient ensuite aux fabricants de Verviers. L’on a introduit à Verviers les mécaniques, les métiers. Quelques fabricants se sont obstinés à lutter contre cette nouvelle invention ; ils se sont ruinés ; d’autres fabricants, plus sages, ont adopté le nouveau système. Mais toutes les fabriques ne se sont pas établies à Verviers, qu’on ne s’y trompe pas ; les fabriques se sont établies aussi dans les principales communes qui entourent Verviers, à Ensival, à Hodimont, à Dison, à Lambermont, ) Chaîneux, et dans beaucoup d’autres communes que je pourrais citer, Et la ville de Verviers et les communes des environs de Verviers ont continué à prospérer ; je crois même que depuis cette époque leur prospérité a été en augmentant.
Eh bien, messieurs, que le gouvernement (et il y a longtemps qu’il aurait dû le faire), que le gouvernement travaille à ce que l’on fasse en Flandre ce que l’on a fait à Verviers ; que le gouvernement aide de tous ses moyens ceux qui voudront établir des ateliers dans les principales communes des Flandres ; qu’il les aide non seulement en leur accordant des subsides pour frais de premier établissement, mais en leur donnant des indications sur les espèces de fabricats dont ils pourront se défaire plus facilement, en favorisant l’exportation de ces fabricats. Le gouvernement en employant ces moyens, ne va pas, je le sais, du jour au lendemain rendre la prospérité aux Flandres, cela est impossible ; les premiers essais sont toujours pénibles, ils ne peuvent pas être immédiatement couronnés de succès. ; mais que le gouvernement entre dans cette voie, et je suis bien persuadé que d’ici à très peu d’années, la position des Flandres sera sensiblement améliorée.
Je ne suis donc point, messieurs, un ennemi de l’ancienne industrie linière, à Dieu ne plaise ; mais je le répète, cette industrie ne suffit plus aux Flandres et tous les efforts que l’on ferait pour rendre aux Flandres leur prospérité à l’aide de l’ancienne industrie, tous ces efforts échoueraient, tous les sacrifices pécuniaires auxquels la chambre consentirait seraient sans aucun résultat.
Je sais très bien, messieurs, que pour se rendre agréable à un grand nombre d’habitants des Flandres le moyen est excellent de leur dire : « Votre industrie reprendra ; persévérez. Ne suivez pas les conseils de ceux qui vous disent qu’il faut admettre la nouvelle industrie, » Oh, messieurs, je n’ignore pas que ce langage plaît, parce qu’un homme trouve toujours une grande répugnance à devoir, quand il connaît bien un métier, en apprendre un autre ; mais, messieurs, les conseils agréables ne sont pas toujours des conseils utiles et, pour moi, j’aime beaucoup mieux dire aux habitants des Flandres qu’ils ont un sacrifice à faire, un sacrifice pénible, mais enfin qu’ils doivent y souscrire pour se sauver ; j’aime mieux le leur dire et m’exposer à être peut-être moins en vue dans les Flandres que ne le seront ceux qui tiennent le langage contraire ; j’aine mieux le leur dire et être ainsi utile à mes concitoyens que de leur rendre le mauvais service de les bercer d’espérances qui ne peuvent point se réaliser et de les éloigner par là des seuls moyens propres à améliorer leur situation.
(page 310) Je me permettrai, messieurs, de dire en terminant que bien que j’habite le Brabant, bien que je sois député de Bruxelles, je suis né dans les Flandres, que j’y ai la plus grande partie de ma famille et que j’y même des intérêts très réels. Aussi je ferai tous mes efforts, chaque fois que l’occasion s’en présentera, pour coopérer à rendre la prospérité aux Flandres ; mais jamais je ne sacrifierai la vérité pour me rendre agréable ; je tiendrai à cette occasion, comme en toute chose, le langage que je croirai le plus utile à mes concitoyens.
M. Desmet. - L’honorable préopinant vient de dire que le discours de l’honorable abbé de Foere aura de mauvais résultats ; qu’il n’est qu’une leçon d’économie politique. Messieurs, qu’a fait l’honorable abbé de Foere ? Il s’est borné à répondre à des observations présentées dans une autre séance.
Je demanderai maintenant si l’honorable préopinant a répondu à un seul des arguments de l’honorable M. de Foere ? Mais évidemment non. Tout ce qu’a dit l’honorable M. de Brouckere se réduit à ceci : Puisque l’ancienne industrie linière est à son apogée, il ne faut plus la protéger, mais il faut protéger la nouvelle industrie. Ainsi, messieurs, d’après l’honorable M. de Brouckere, le gouvernement doit protéger la rivale de l’ancienne industrie linière et, par conséquent, détruire celle-ci, c’est-à-dire enlever aux ménages pauvres le travail qu’ils ont encore, et cela en faveur de sociétés anonymes, de sociétés riches.
Messieurs, j’avais demandé surtout la parole pour répondre deux mots à l’honorable M. Delehaye. Comment ! dit cet honorable membre, vous voulez continuer encore l’ancienne industrie linière, et cependant votre industrie ne produit rien de ce que la consommation demande ; vous ne fabriquez pas ce que demandent les pays lointains. Messieurs, la question n’est pas ici entre l’ancienne industrie et l’industrie nouvelle, la question est que nous ne sommes pas bien informés des besoins des pays transatlantiques ; car, messieurs, l’Angleterre et l’Allemagne vendent bien dans ces pays, et elles y vendent des toiles faites de fil à la main ; je dirai même qu’on n’y vend pas de toiles mécaniques. En effet, messieurs, il est connu que pour placer des toiles il faut leur donner le nom de toiles à la main. C’est ce que font l’Angleterre, l’Allemagne et la France. Vous ne voyez pas, messieurs, que l’Allemagne substitue l’industrie mécanique à l’industrie à la main. Si nos rivaux placent plus à l’étranger que nous, certainement cela ne tient pas à ce que nous fabriquons encore à l’ancienne méthode, à ce que nous faisons des toiles avec des fils à la main ; non certainement, aucun commerçant ni aucun armateur ne soutiendra cela ; mais nous ne plaçons pas, parce que nous n’avons pas les facilités de commerce qu’ont les Allemands et les Anglais.
L’honorable M. Delehaye dit qu’il n’ya pas de différence entre les deux industries, que c’est la même fabrication, le même filage.
Mais alors, messieurs, pourquoi ces dénominations d’ancienne industrie, de nouvelle industrie ? Alors surtout pourquoi vouloir anéantir l’ancienne industrie ? Est-ce encore pour favoriser des sociétés riches et puissantes aux dépens des pauvres mécaniques ?
Mais, dit l’honorable M. Delehaye, vous fabriquez pour rien ! vous donnez le fil au prix auquel vous achetez la matière première ! Je demanderai, messieurs, si les sociétés qui travaillent à la mécanique ne doivent pas payer le lin comme le payent les fileuses ? Et, s’il en est ainsi, je ne conçois pas comment l’industrie à la mécanique pourrait produire à plus bas prix que le filage à la main.
Si le filage à la main est à meilleur compte que le filage à la mécanique, on ne peut nier qu’on ne doive pas alors faire et livrer la toile à meilleur marché...
M. Delehaye. - Permettez, M. Desmet, vous ne m’avez pas bien compris. J’ai dit qu’il n’était pas étonnant que les produits de l’ancienne industrie pussent encore se placer sur nos marchés, attendu que ces produits étaient vendus au prix de revient de la matière première ; que c’était là un malheur ; qu’on aurait dû dès lors donner la préférence à la nouvelle industrie qui réalise annuellement de grands sacrifices.
Il ne suffit pas à une industrie de placer ses produits, pour qu’elle puisse se soutenir. Il faut qu’elle accorde à ceux qui s’y livrent des moyens d’existence.
M. Desmet. - Il résulte de cette explication que les produits de l’ancienne fabrication ne se vendent pas plus cher que la matière première même ; il est donc avéré que le filage à la main fabrique à meilleur compte que le filage à la mécanique. On ne peut pas méconnaître non plus que les tissus faits à la main ont plus de solidité que les tissus faits à la mécanique. L’honorable M. Delehaye a reconnu lui-même que le filage à la main produit à meilleur compte et fabrique de meilleurs produits ; ainsi ce n’est pas là un motif pour ne pas conserver l’ancienne industrie ; au contraire, l’argumentation de l’honorable membre conduit à soutenir qu’il faut conserver l’ancienne, car le bon moyen de placer ses produits, c’est de bien fabriquer et de fabriquer à bon compte.
Mais, ajoute l’honorable membre, pour que la fabrication des toiles puisse prospérer, il faut que la fabrication ou le tissage des toiles se fasse dans les ateliers, que de grands ateliers remplacent nos petits ateliers domestiques, nos petits ateliers de ménage, que les petits ateliers de nos campagnes qui font l’admiration de tous les peuples soient détruits. Mais quelle en sera la conséquence ? Que le travail linier sera totalement enlevé à nos ouvriers de campagne pour le transporter dans les villes ; et c’est tout le contraire que l’on désire aujourd’hui ; pour soulager la classe souffrante, nous devons au contraire chercher à augmenter le travail, la somme de travail dans le plat pays. Et pour ce qui concerne la bonne fabrication, on sait combien on fabrique bien dans les campagnes, c’est dans ces petits ateliers domestiques que l’on donne ces petits soins auxquels nous devons la bonne renommée de nos toiles des. Flandres.
Mais, dit l’honorable M. Delehaye, en France, on commence à filer à la mécanique ; mais si réellement il en est ainsi, c’est un motif pour nous de tâcher de conserver l’ancienne industrie. Il est constant que les consommateurs français préfèrent les toiles faites à la main aux toiles faites d’après le nouveau système. Or, si en France on ne fabrique plus de toiles à la main, il faut nécessairement que nous conservions l’ancienne industrie, si nous ne voulons pas perdre le marché français.
Je n’en dirai pas davantage ; je crois avoir répondu suffisamment à toutes les objections que l’honorable M. Delehaye a faites, au sujet de l’excellent discours de l’honorable M. de Foere ; je pense que le gouvernement fait très bien de ne chercher à conserver l’ancienne industrie afin de pas priver le pays de ce travail et de ce commerce ; et quand l’honorable membre a parlé du tulle qui a remplacé la dentelle, mais c’est là la condamnation la plus complète de sa manière de voir sur l’ancienne industrie linière. Cela prouve que quand l’expérience et la consommation démontrent qu’un produit est mauvais, on l’abandonne et on retourne à celui qui était meilleur ; il y a eu une époque où l’on faisait un grand usage de tulle et où l’on avait abandonné les dentelles. Aujourd’hui l’on en est revenu et l’on fait tous les jours de plus en plus usage de la dentelle, à tel point que le travail des dentelles est une des principales ressources de travail et de gagne-pain pour nos pauvres des Flandres. Eh bien il en sera de même, quand la crise des toiles de la nouvelle fabrication sera passée, et que le consommateur reconnaîtra que le bon et le beau existent dans la toile de l’ancienne bonne fabrication ; on retournera à cela et le commerce belge prospérera. C’est donc une erreur que de prêcher l’abandon de l’ancienne industrie linière. J’ai dit.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, il me semble que, dans cette discussion, on a un peu perdu de vue les faits. Les uns ont dit que le gouvernement n’avait jamais rien fait pour encourager la nouvelle industrie. Eh bien, c’est là une erreur. D’abord, le gouvernement n autorisé l’organisation de la nouvelle industrie de la filature à la mécanique, à l’état de société anonyme. (Interruption.)
C’était là faciliter l’introduction de cette nouvelle industrie.
Ensuite il y a eu une augmentation de tarif sur les fils de toute nature, augmentation qui a été à l’avantage de la nouvelle industrie comme de l’industrie ancienne.
Les traités de commerce, qui ont été conclus avec la France, profitent également aux deux industries.
Maintenant de quoi s’agit-il ? S’agit-il de consacrer des sommes énormes à soutenir exclusivement l’industrie de la filature à la main, pour faire tomber l’industrie de la filature à la mécanique ?
Une telle prétention serait évidemment absurde. Il s’agit uniquement d’employer une somme modique à améliorer la filature à la main, tant par le numérotage que par les dévidoirs et les meilleurs rouets qu’on pourrait introduire. A cet effet, on a indiqué l’emploi de 50,000 francs mais nous ne croyons pas que ce soit là un sacrifice bien onéreux pour le trésor, et puisqu’il est notoire que la spécialité de la filature à la main existe encore et qu’elle est dans un état de souffrance, on ne peut pas lui refuser ce léger encouragement. Voilà de quoi il s’agit uniquement, Il est évident que le fil à la main a encore un emploi spécial ; eh bien, il ne faut pas faire cesser cet emploi, il faut au contraire le soutenir, en se tenant dans des bornes raisonnables.
On a été jusqu’à dire que les toiles fabriquées avec du fil fait à la main se vendaient au prix de revient du lin. C’est là une assertion absurde, Peut-on croire que le tisserand irait travailler uniquement en vue de revendre au prix coûtant du lin le lin fabriqué (Interruption.)
On dit que les comités ont donné des secours ; mais que sont ces faibles secours, en comparaison de l’importance de la main-d’œuvre ?
Il s’agit encore, non pas d’encourager la fabrication des toiles à la main, mais d’encourager la fabrication des toiles par l’emploi des métiers les plus nouveaux et les plus perfectionnés. Eh bien, cela tient à l’industrie à la mécanique, et non pas à l’industrie purement manuelle.
Ce genre de fabrication est très usité en Angleterre et en France, et il peut très-bien se soutenir et se développer en Belgique, non seulement pour les toiles, mais pour une infinité de tissus. C’est ce que l’expérience démontre.
Vous voyez donc, messieurs, qu’on a véritablement combattu des chimères, en prêtant au gouvernement des intentions qu’il n’a jamais eues.
M. le président. - La parole est à M. Sigart. (Interruption.)
M. Sigart. - Messieurs, je n’ai pas reçu du discours de M. de Foere l’excitation nécessaire pour que je sois entraîné à renouveler les débats qui ont eu lieu il y a peu de temps. D’ailleurs j’aurais peine à en faire mon régime journalier. Je répondrai donc avec un grand calme à quelques observations de l’honorable M. de Foere qui sont à mon adresse.
Les prêtres de toutes les religions ont commis des excès, dit M. de Foere.
Mais oui, messieurs, je n’ai pas la moindre partialité envers les diverses théocraties. L’une ne vaut pas mieux que l’autre. Je conviens très volontiers que la théocratie turque est bien abrutissante, bien dégradante. Ai-je annoncé du goût pour le régime turc ? Son fanatisme a fait couler bien du sang. Ai-je vanté le fanatisme turc ? Je vous le demande. En quoi les torts des prêtres turcs excusent-ils les torts des prêtres catholiques ? Ne faut-il pas détester les uns comme les autres ?
(page 311) Les prêtres de la liberté ont commis des excès, dit l’honorable M. de Foere.
Sans doute la liberté a eu ses saturnales ; sans doute aussi les ambitions des princes ont arraché bien des larmes aux peuples. Je ne me charge de justifier aucune horreur. Exécrez-les ces hommes, mais réservez la meilleure part de votre exécration aux excès théocratiques, qui ont, je me répète, amoncelé plus de ruines et fait versé plus de sang à eux seuls que toutes les ambitions et autres mauvaises passions réunies. Voulez-vous une preuve du caractère de férocité particulier aux excès religieux ? Comparez les guerres ordinaires aux guerres de religion, et une chose vous frappera, c’est que les guerres de religion sont toujours remarquables par leur révoltante cruauté. Une seule comparaison : la fronde et la ligue.
M. de Foere me reproche encore d’accorder à Galilée la découverte du mouvement de la terre.
Mais, messieurs, ai-je dit que c’était Galilée qui avait découvert le mouvement de la terre ? Je n’ai nullement dit cela. (Interruption.)
Permettez, M. l’abbé, tout à l’heure vous me reprochiez de vous interrompre ; je vous prie à présent de me laisser continuer.
Je n’ai pas dit que Galilée avait découvert le mouvement de la terre je n’ai pas même prononcé le nom de Galilée. J’ai dit : Il faut bien que l’on puisse emprisonner celui qui a l’impiété de dire que la terre tourne. Si j’avais cru convenable d’entrer dans les détails, je vous aurais dit que Galilée avait démontré ce que Copernic avait trouvé.
Galilée était un savant de premier ordre ; ce n’était pas un théologien. Il n’était pas nécessaire de venir lui faire rétracter des erreurs théologiques ; jamais il ne s’était occupé de théologie.
Il vient de me venir de notre bibliothèque deux ouvrages. Eu entendant M. de Foere m’accuser d’ignorance, j’ai demandé une biographie, sans désigner laquelle. On m’en a apporté une. L’honorable M. de Bonne, d’une manière très officieuse, dont je le remercie, est allé en chercher une seconde. Vous jugerez. Voici ce que je trouve dans la première :
« GALILEE (GALILE0 GALILEI), le créateur de la physique moderne, fut, en même temps que Bacon, l’auteur de cette réforme scientifique qui, en détrônant la scolastique péripatéticienne, a renouvelé la face des sciences naturelles. Pendant que Bacon proclamait les règles de la méthode expérimentale, Galilée la mettait spontanément en pratique par d’admirables découvertes. »
Vous voyez, messieurs, que c’était un savant que Galilée, ce n’était pas un théologien.
Après l’énumération de ses découvertes, on lit :
« Ces brillantes découvertes et la haute faveur dont il jouissait près de Côme II ameutèrent contre lui l’ignorance et la médiocrité. Déjà l’on avançait que le système de Copernic et de Galilée sur les corps célestes était évidemment contraire aux saintes Ecritures. Les dominicains en particulier l’attaquèrent avec fureur dans leurs écrits et dans la chaire. En 1614, ils accusèrent hautement d’hérésie non seulement les opinions de Galilée sur le mouvement de la terre, mais la découverte qu’il avait faite de diverses planètes. « Cette prétendue découverte, disait un religieux napolitain, est manifestement contraire à l’Apocalypse, puisque ces nouvelles étoiles ne font pas partie de celles qui sont figurées dans le chandelier à sept branches. » Telle était la nature des arguments qu’on faisait valoir contre Galilée. »
Voici ce que je trouve dans la seconde bibliographie :
Plusieurs membres. - C’est assez.
M. le président. - Cela ne se rattache nullement au budget de l’intérieur.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Cela se rattache au chapitre de l’observatoire.
M. Sigart. – Pardonnez-moi, M. le président. L’honorable M. de Foere, tout le monde me demande des leçons d’histoire, il faut bien que j’en donne. Voici ce que je trouve dans cette biographie :
« Il fut ramené de nouveau au tribunal, le 2 juin, pour y prononcer son abjuration, qu’on lui dicta à peu près en ces termes : Moi, Galilée, dans la 70° année de mon âge, étant constitué prisonnier, et à genoux devant Vos Eminences, ayant devant mes yeux les saints Evangiles, que je touche de mes propres mains abjure, je maudis et je déteste l’erreur et l’hérésie du mouvement de la terre, etc. » Cette expiation achevée, on prohiba ses dialogues ; on le condamna à la prison pour un temps indéfini, et on lui ordonna, pour punition salutaire, de réciter, une fois par semaine, les sept psaumes de la pénitence, pendant trois ans. Telle fut la récompense d’un des plus grands génies qui aient jamais éclairé l’humanité. On dit qu’après avoir prononcé son abjuration, rempli du sentiment de l’injustice que lui faisait son siècle, il ne put s’empêcher de dire à demi-voix, en frappant du pied la terre : E pur si innove et pourtant elle se meut). »
Messieurs, je vous le demande, cela est-il clair ?
M. de Foere. - L’honorable M. Delehaye, en répondant à mon discours, se plaint de ce que l’industrie linière ne fabrique pas pour les besoins des contrées d’outre-mer et de ce que le commerce n’existe pas pour ces produits.
Messieurs, j’ai établi le même fait et exprimé le même regret. J’ai répété plusieurs fois que ce commerce n’existait pas pour l’ancienne industrie. Il n’existe pas plus pour la nouvelle. J’en ai conclu que l’ancienne fabrication ne pouvait produire que pour un autre commerce qui existait et que ce commerce lui offrait le seul moyen de placer ses produits.
Mais, dit l’honorable membre, il faut créer ce commerce d’outre-mer. Je partage cette opinion ; je l’ai énoncée depuis dix ans. Si le commerce d’Anvers se borne en grande partie au commerce de consignation et de commission, est-ce la faute à l’industrie linière des Flandres ? Est-ce à elle qu’il convient d’adresser le reproche de ce que nous n’avons pas un véritable commerce d’échanges ? Notre population ouvrière ne peut pas se livrer à ce commerce. Que le commerce du pays lui fasse des commandes, qu’il stipule les qualités des produits, et la fabrication exécutera ses ordres. Il faut donc nécessairement, comme je l’ai dit, que, dans l’absence de ce commerce, l’ancienne industrie linière produise les tissus qu’elle peut vendre à un autre commerce qui existe. Telle est la situation réelle que j’ai faite à l’industrie linière des Flandres.
L’honorable député de Gand vous a dit encore qu’il faudrait organiser l’industrie linière sur de larges bases. Que de grands fabricants, a-t-il dit, s’établissent et fassent fabriquer pour leur compte.
C’est encore entrer dans l’opinion que j’ai énoncée. Cette organisation n’existe pas dans les Flandres. Tant qu’elle n’est pas créée, il faut de toute nécessité, comme je l’ai dit, que l’industrie linière marche d’après les seules ressources qui lui sont offertes pour placer ses produits. Du reste, je désire, comme lui, que la fabrication s’établisse sur une grande échelle. Les deux industries, l’ancienne et la nouvelle, pourront en profiter. Il y a une grande différence entre une opinion qui dit : Cette grande fabrication existe, et entre une autre qui dit : Elle devrait exister.
Cependant il me reste un doute : supposez que cette grande fabrication soit créée et organisée. Quel en sera le résultat probable ? Je crains que ce ne soit celui qui a été obtenu en Angleterre. Je doute que le sort de nos tisserands en soit amélioré. On leur fournira des fils mécaniques pour le tissage. Je crains que leur salaire ne suffise pas à leurs besoins, car il pourrait arriver que, pour exporter ou pour livrer les tissus au commerce lointain, le grand fabricant fût forcé de réduire le salaire du tisserand.
C’est ce qui a eu constamment lieu en Angleterre. La taxe des pauvres a suppléé à ce qui manquait aux besoins de la famille de l’ouvrier. Toutefois, il était obligé de justifier, devant l’administration de la taxe des pauvres, de son travail et de l’insuffisance de son salaire pour exister lui et sa famille. Je crains que nos populations ouvrières ne puissent se soustraire, dans ce cas, à la même situation.
L’honorable M. Delehaye a dit, en outre, qu’il a vu vendre des toiles confectionnées selon les anciens procédés, au prix de la matière première. Il est possible qu’il ait été témoin de ce fait ; je ne le conteste pas ; mais alors c’étaient des toiles mal fabriquées, ou confectionnées avec de mauvaises matières premières ; mais il eût été impossible à une fabrication qui se développe sur une échelle considérable, de se maintenir seulement pendant l’espace d’un mois, si telle avait été la situation générale de cette industrie. L’honorable membre a tiré une conclusion générale d’un fait particulier. Voilà son erreur.
D’après l’honorable membre, j’aurais reconnu moi-même que l’ancienne industrie dépérissait, parce que j’ai fourni à des communes des élèves de mon établissement dentellier, érigé pour la classe pauvre, pour servir comme maîtresses dans des écoles dentellières que ces communes voulaient créer en faveur de leur population pauvre.
Il ne faut pas conclure de ce fait, que je considère l’ancienne industrie linière comme devant être abandonnée. Seulement j’ai voulu multiplier et augmenter les moyens de travail et d’existence, en faveur de la population pauvre de nos communes rurales. Notre conduite n’a donc pas eu la cause que l’honorable membre y assigne.
Il est aussi dans l’erreur, lorsqu’il m’a fait dire qu’en France la nouvelle industrie linière périclitait. J’ai dit exactement le contraire. J’ai soutenu qu’elle prospérait et qu’à cause de cette prospérité même c’était l’industrie mécanique belge qui était menacée, attendu qu’elle courait le danger d’être exclue du marché français après l’expiration de notre dernière convention avec la France ; car alors la filature française sera probablement en position de suffire à la consommation intérieure de la France.
L’honorable membre est d’ailleurs convenu du fait ; il a dit qu’en France on organisait sur plusieurs points, et notamment à Lille, de grands établissements liniers mécaniques. C’est la raison pour laquelle j’ai émis l’opinion que les produits belges à la mécanique étaient compromis, à l’avenir, sur le marché français.
L’honorable M. de Brouckere, de son côté, a cru que je ne veux pas que l’on protège la nouvelle industrie linière ; il a tiré une conséquence qui n’est pas renfermée dans les paroles que j’ai prononcées. Je désire que les deux industries marchent ensemble, et prospèrent. Il a été loin de ma pensée de vouloir soustraire la nouvelle industrie à toute espèce de protection. J’ai soutenu d’autres opinions, qui ne menaient pas à cette conclusion.
Aux causes auxquelles j’ai attribué la réduction de l’ancienne industrie linière, l’honorable membre en a ajouté une autre que je n’aurais point indiquée. Cette cause c’est le goût. Mais je vous l’ai dit, les faits connus, les achats faits hebdomadairement sur nos marchés prouvent que le goût est demeuré acquis à l’ancienne industrie linière. J’ai ajouté que, si le goût, depuis 1835, s’était prononcé d’une manière différente, les Flandres auraient dû adopter la nouvelle industrie. Mais je le répète, à cause de ce goût même, les Flandres ont été forcées de se conformer à (page 312) ce principe général que toute industrie doit suivre la demande et la direction du commerce.
Il a aussi comparé l’industrie des laines, celle des draps à l’industrie linière. Mais il y a une immense différence entre ces deux industries. Je sais que l’industrie des draps, l’industrie de Verviers n’a pu se dispenser d’adopter la fabrication à la mécanique. C’eût été une immense erreur de la part de cette industrie, de ne pas adopter le nouveau mode de fabrication. Mais il n’en est pas de même de l’industrie linière. J’ai soutenu et je le répète, que jusqu’à présent la consommation intérieure et extérieure demande presque exclusivement les produits de l’ancienne industrie, et que de toute nécessité il faut satisfaire à ces demandes.
L’honorable M. de Brouckere a paru insinuer que j’avais parlé en faveur de l’ancienne industrie linière, afin de caresser les populations de Flandres. Lui, a-t-il ajouté, il disait toujours ce qui leur était utile plutôt que ce qui pouvait leur être agréable. Jamais il n’est entré dans ma pensée, depuis seize ans que je siège dans cette chambre, de rien dire qui pût me faire supposer l’intention de vouloir être plutôt agréable qu’utile à ces populations. J’ai parlé de conviction. Je suis, il est vrai, l’un de représentants du district linier le plus considérable des Flandres. Jamais je n’ai fait un pas, jamais je n’ai rien écrit, rien dit pour me faire élire. Depuis plusieurs élections, j’ai même désiré et demandé à mes amis politiques qu’on me substituât un autre candidat.
Je conçois que la discussion savante que l’honorable M. Sigart a renouvelée…
M. le président. - Je prie l’honorable membre de ne pas renouveler ce débat, qui est étranger à l’objet en discussion.
M. de Foere. - Je n’ai pas cette intention. Je partage l’opinion de M. le président. Seulement je voulais dire que la chambre n’est pas le lieu pour discuter à fond les points d’histoire controversés. Je n’a pas l’habitude d’entrer dans ces sortes de discussions.
L’autorité ecclésiastique avait été attaquée sur un fait qui, dans certaines histoires, est inexactement rapporté ; j’ai cru devoir prendre sa défense pour la justifier. J’abandonne maintenant la question à la discussion des savants en histoire.
- La séance est levée à 4 heures et demie.