(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Dumont)
(page 1827) M. de Villegas procède à l'appel nominal à 11 heures et un quart.
La séance est ouverte.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier dont la rédaction est approuvée.
M. de Villegas fait connaître l'analyse de la pétition suivante.
« Les membres de l'administration communale de Woubrechtegem demandent l'exécution du chemin de fer projeté de Bruxelles à Wetteren par Denderleeuw, Alost et Lede. Même demande des membres de l'administration communale de Haeltert, Nieuwenhoven, Santbergen, Nederhasselt, Okegem, Iddergem, Neygem, Liefferinge, Oultre, Pollaere, Appelterre-Eychem, Waerbeke et Baevegem. »
M. Zoude, rapporteur. - « Le sieur Théodore Mackintosh prie la chambre de faire rendre justice à son frère, caporal au régiment d'élite, pour les mauvais traitements dont il a été l'objet de la part d'un officier supérieur. »
Messieurs, le pétitionnaire signale un acte de brutalité qui aurait été commis par un officier supérieur, envers le caporal Mackintosh, à peine âgé de 17 ans, et qui ensuite aurait été jeté dans une prison infecte où il aurait contracté une maladie dégoûtante ;
Que cet officier se serait excusé de la violence à laquelle il s'était livré, par le mécontentement que lui aurait fait éprouver une lettre anonyme remplie d'injures que ce caporal lui aurait écrite ;
Qu'après 20 jours de séquestration, ce militaire a été mis à la disposition de l'auditeur militaire qui l'a condamné à 5 ans de réclusion et à la déchéance du service militaire ;
Que cependant, dit le pétitionnaire, des experts en écritures auraient déclaré qu'il n'y avait pas identité d'écriture ; mais il nous a été affirmé qu'un journal intitulé : La Belgique Judiciaire qui relate le jugement du conseil de guerre, porte que cette identité aurait été reconnue. Votre commission aurait désiré prendre inspection de cette pièce, niais elle avait été transmise à la haute cour militaire qui est maintenant saisie de cette affaire.
La législature ne pouvant intervenir dans les débats judiciaires, votre commission croit cependant devoir exprimer son opinion sur la conduite de l'officier dont il est question, et elle déclare, avec regret, que cette conduite lui a paru d'autant plus répréhensible qu'elle s'exerçait envers un militaire qui, à peine sorti de l'enfance, avait déjà mérité le grade de caporal.
Votre commission croit devoir aussi exprimer un blâme sur certains passages de la pétition, en ce qu'elle contient d'injurieux tant envers l'auditeur militaire qu'envers le conseil de guerre, qu'on signale comme ayant cédé à l'influence d'un magistrat prévenu.
La commission a la confiance que des actes de cette violence sont rares dans l'armée ; cependant elle croit devoir dire à M. le ministre de la guerre, qu'il lui est parvenu des renseignements sur les désertions qui seraient plus fréquentes dans les corps où les soldats auraient plus à se plaindre de la dureté des officiers à leur égard.
Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition au département de la guerre.
M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - J'avais espéré que l'affaire du caporal Mackintosh ne parviendrait pas jusqu'à la chambre, que celle-ci n'aurait pas à s'en occuper. Je l'avais espéré surtout dans l'intérêt de ce militaire. Mais enfin, puisque le rapport concernant cette affaire a été fait à l'honorable assemblée, je demanderai la permission de donner quelques explications sur l'objet dont la chambre vient d'être saisie.
Dans les explications que je désire soumettre à l'honorable assemblée, j’ai deux devoirs à remplir :
Le premier, c'est d'expliquer, et, en les expliquant, d'amoindrir les torts que le rapport de l'honorable M. Zoude attribue au colonel Vanderlinden.
La seconde obligation, c'est d'avoir tous les égards possibles à la position du caporal Mackintosh, qui est encore en ce moment sous la main de la justice.
La première lettre relative à l'affaire qui nous occupe, et qui a été adressée à la chambre, renferme les expressions qui se retrouvent dans le rapport de l'honorable M. Zoude. Ainsi, par exemple, le colonel Vanderlinden est accusé d'un acte de brutalité. Je trouve ce terme empreint d'exagération. Dans la plainte du sieur Mackintosh en faveur de son frère, on lit que le caporal Mackintosh étant de service, le colonel lui a brutalement arraché son fusil des mains, et l'a souffleté en présence de la troupe. Je crois que le sieur Mackintosh a été très mal informé de ce qui s'est passé. S'il avait connu la vérité comme je la connais, il ne se serait pas permis de signaler à la chambre des faits aussi inexactement rapportés.
Voici ce qui a eu lieu :
Un jour qu'on avait jugé à propos de consigner une partie de la garnison, parce qu'il était possible de prévoir quelques troubles dans la capitale, le caporal Mackintosh s'étant absenté de la caserne est resté dehors toute la journée. Lorsqu'il est rentré, il n'avait plus ses cartouches. Or, messieurs, il est impossible de perdre des cartouches, à moins d'y mettre l'intention la plus formelle ; les cartouches sont destinées à rester dans la giberne ou dans le sac du soldat ; elles ne peuvent en sortir sous aucun prétexte jusqu'au moment où elles sont utilisées. Ainsi, après un premier tort bien grave, celui de s'être absenté lorsque la troupe était consignée, le colonel Vanderlinden en avait un autre à reprocher au caporal Mackintosh, celui d'avoir prétendument égaré dans une excursion en ville des objets qu'il est défendu de détacher du fourniment. Mais j'ai, messieurs, d'autres erreurs à rectifier.
L'honorable M. Zoude parle d'un cachot infect. J'ai des détails très exacts sur les cachots de la caserne de Sainte-Elisabeth. Ces renseignements, je n'ai voulu les demander ni au chef de corps, ni aux officiers de santé du régiment d'élite. J'ai fait prendre des renseignements par un médecin étranger au régiment. Il résulte de ces renseignements que ce cachot infect a une hauteur de 3 mètres 86, une profondeur de 5 mètres 56, une largeur de 2 mètres 34, qu'il reçoit le jour par un corridor à 3 mètres de hauteur, enfin qu'il est garni de deux lits de camp.
Il vous a été dit également que le caporal Mackintosh avait été enfermé dans un lieu infect, sur de la paille fétide. Or, la paille ne pouvait pas être fétide par l'excellente raison qu'il n'en entre jamais un brin dans les cachots, ni dans les salles de police. L'on y trouve des lits de camp. Donc aucune fétidité à redouter.
On a dit aussi que le caporal Mackintosh avait contracté en prison une maladie honteuse. Comment aurait-il contracté cette maladie honteuse en couchant sur des planches, et quand il n'avait de contact avec personne ? Il fallait qu'il eût en lui le germe de la maladie, ou plutôt, je suis obligé de le dire, que cette maladie provînt de sa malpropreté. J'ai sous les yeux la liste de ses nombreuses punitions, elle démontre qu'il était souvent puni pour extrême malpropreté.
On ne peut donc faire un grief ni au gouvernement, ni au colonel de cette maladie, ni d'avoir mis le caporal Mackintosh dans un cachot infect, dans un lieu fétide.
J'arrive au fait principal.
Le lendemain de l'arrestation du caporal Mackintosh, le colonel reçut une lettre dans laquelle on le menaçait du poignard, s'il ne levait pas les punitions données la veille, et le jour même que le colonel avait reçu cette lettre, le caporal Mackintosh demanda à un de ses camarades dont j'ai le nom : « Le colonel n'a-t-il pas reçu une lettre où on le menace ? » Comment se fait-il que le caporal, qui se trouvait en prison, pût avoir connaissance de cette lettre ? On compara cette pièce avec l'écriture du sieur Mackintosh, et on crut reconnaître entre elles une grande identité. Jusqu'à présent rien n'est prouvé à cet égard. Car l'honorable M. Zoude nous dit que si certains experts n'ont pas reconnu l'identité entre les écritures, d'autres ont cru la reconnaître.
Cependant, le colonel arrive à la caserne, irrité de cette lettre qui n'était, certes, pas de nature à le satisfaire. Apprenant que le caporal venait de demander s'il ne l'avait pas reçue, il s'approche de lui, lui donne une bourrade et lui dit : J'ai reçu de vos nouvelles, mais vous recevrez des miennes.
Voilà tout ce qui s'est passé. Le caporal n'avait donc pas son fusil, il n'était pas sous les armes. Je ne dis toutefois pas ceci pour excuser la conduite du colonel. Je vois dans le rapport de l'honorable M. Zoude que la commission exprime son regret à l'égard de ce qui a eu lieu. Je dois dire que le colonel Vanderlinden a été le premier à me manifester les mêmes regrets, il me les a exprimés par écrit. Au reste il avait commis une faute, et comme je n'en tolère pas dans l'armée, j'ai puni le colonel Vanderlinden.
On dira peut-être que je ne l'ai pas puni très sévèrement ; mais je lui ai infligé une punition proportionnée à la faute qu'il avait commise, et j'étais fort heureux de trouver dans nos règlements militaires le droit de ne pas user de trop de sévérité.
Il y a un article de ces règlements qui dit : « En infligeant les punitions, on devra surtout avoir soin de faire une distinction entre ceux des subordonnés qui ne commettent que rarement des fautes et ceux à qui il arrive souvent d'en commettre. » Or, messieurs, nul de nous n'est infaillible, le colonel Vanderlinden n'est pas exempt de la règle commune (page 1828) mais il est bien rare qu'il mérite des reproches. C'est un des officiers les plus honorables de notre armée, un de ces hommes qui, au moment de la révolution, ont abandonné tous leurs intérêts pour se dévouer au service du pays. Il n'avait, il est vrai, aucune connaissance de l'état militaire, mais il s'est appliqué avec le plus grand zèle à l'étude de son métier et aujourd'hui c'est un officier respectable sous tous les rapports et dont je me plais à reconnaître le mérite et le dévouement.
J'avais donc le droit d'indulgence ; j'en ai usé, je crois avoir bien fait : et j’espère que la chambre m'approuvera. (Certainement ! Certainement !)
Messieurs, il est très fâcheux pour le caporal Mackintosh qu'on ait donné de telles proportions à cette affaire. Si ses parents avaient bien entendu ses intérêts, ils auraient laissé ce jeune homme subir sa punition. Il y longtemps qu'elle serait terminée, presque oubliée ; il serait rentré dans les rangs et tout serait fini. Aujourd'hui, Dieu sait ce qui lui arrivera. Ce n'est pas notre faute, s'il en est venu si loin.
Il y a encore, dans le rapport de l'honorable M. Zoude, une observation dont je demande à dire quelques mots ; c'est celle qui est relative aux désertions que l'on remarque, dans dans l'armée, désertions que l’on attribue au trop de sévérité de la part de certains chefs.
Je dois déclarer que si je me fais un devoir de punir les fautes qui me sont connues, je m'en fais un autre de recommander aux chefs de l'armée d'user avec modération de leur pouvoir, et depuis que j'ai l'honneur de me trouver au ministère, je n'ai eu que très peu d'actes de sévérité intempestive à réprimer. Du reste, je tiendrai la main à ce que toujours Justice soit faite, et soit faite avec l'indulgence que mérite généralement. le jeune âge de nos soldats.
Quant aux désertions, messieurs, on peut les attribuer d'abord à la jeunesse et à l'inexpérience de ceux qui sont appelés sous les armes. Mais on peut les attribuer aussi au désir de changement qui se manifeste quelquefois parmi nos militaires, dont le plus grand nombre désertent à l'étranger, surtout pour aller servir en Algérie.
Je le répète, je tiendrai la main à ce que justice soit faite à tout le monde et sans rigueurs inutiles.
M. de Garcia. - Je regrette, messieurs, comme l'honorable ministre de la guerre, que la chambre ait été saisie de la plainte dont il s'agit. Tout en remerciant M. le ministre de la guerre de la modération et de la justice qu'il a apportées dans ses explications, je dois l'engager fortement à veiller à ce que les officiers ne manquent pas d'égards envers le soldat ; jamais un homme de cœur ne pourra se laisser frapper par son chef, quelque élevé qu'il soit en grade, sans s'exposer à de graves inconvénients.
Je pourrais citer à l'appui de cette assertion un fait qui s'est passé sous mes yeux, dans le corps où j'avais l'honneur de servir. Un colonel menaça un sous-officier et, devant cette seule menace, s'il ne s'était sauvé avec précipitation, il était frappé de mort par le sous-officier contre lequel il avait tiré son sabre. C'est un devoir pour le gouvernement de veiller à ce qu'il ne soit posé aucun acte de violence et de brutalité contre le soldat.
La désertion qui existe dans l'armée et qu'on signale dans le rapport qui vient d'être présenté, provient-elle réellement de la cause indiquée par M. le ministre de la guerre, qui la rattache surtout au désir d'aller servir en pays étranger, notamment en Algérie, et nullement aux mauvais traitements exercés sur les soldats ? Cette supposition est possible ; mais on peut aussi faire la supposition contraire. Je pense, messieurs, qu'il y aurait moyen de s'assurer de la véritable cause de la détention dont on se plaint. Je voudrais qu'on mît à l'ordre du jour de l'armée le nom des officiers qui commandent les compagnies où les désertions se font remarquer ; de cette manière nous pourrions apprécier et l'armée pourrait apprécier la valeur des officiers. Je crois que ce serait le plus sûr moyen de restreindre considérablement la désertion ; car je suis convaincu, quant à moi, qu'elle peut être attribuée en partie au peu d'égards et aux mauvais traitements des chefs envers les soldats.
Je le déclare, messieurs, je veux la discipline et l'honneur dans l'armée. La discipline et l'honneur sont les seuls et les vrais intérêts d'une bonne armée. Mais pour obtenir ce résultat, il faut le respect des soldats envers leurs chefs, et les égards des chefs envers les soldats.
J'engage donc M. le ministre à recommander sévèrement aux officiers de se conduire envers leurs soldats avec tous les égards convenables. Les soldats sont enfants de la nation ; ce ne sont pas des engagés volontaires comme dans les Etats despotiques. Notre armée n'est pas un ramassis de gens de toute espèce ; ce n'est pas un ramassis d'hommes immoraux et sans aveu ; nos soldats, je le répète, sont les enfants de la nation, et nous devons exiger qu'ils soient traités avec tous les égards dus à des citoyens belges.
M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Je demande pardon à la chambre d'abuser encore de son temps. J'y suis forcé. Je partage l'intérêt que l'honorable M. de Garcia porte à l'armée ; c'est tout naturel de ma part ; je pense, comme lui, qu'il faut que toutes les peines disciplinaires qu'on inflige soient empreintes de modération. Mais je ne consentirai jamais à mettre à l'ordre du jour de l'armée les noms des officiers qui pourraient être accusés de trop de sévérité, parce que cette mesure aurait pour effet de décourager les bons officiers et c'est-à-dire le plus grand nombre, sans résultat utile quant aux autres. Les chefs de l'armée doivent seuls être initiés à de semblables détails.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Vous demandez sans doute l’ordre du jour ?
M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Certainement je le demande.
M. Pirson. - Je demande la parole.
De toutes parts. - L’ordre du jour, l’ordre du jour.
M. Pirson. - J'avais demandé la parole lorsque j'ai entendu l’honorable M. de Garcia attribuer la désertion. dans l'armée aux mauvais traitements auxquels les soldats sont exposés de la part des officiers, et demander la mise à l'ordre du jour de l'armée, des noms des officiers des compagnies auxquels les déserteurs appartiennent.
Je voulais réfuter l'assertion que les soldats seraient maltraités dans nos régiments... (L'ordre du jour ! l'ordre du jour !) et combattre la proposition de faire mettre à l'ordre du jour de l'armée, les noms des officiers des compagnies dans lesquelles des désertions auraient lieu... (L'ordre du jour ! l'ordre du jour !)
Puisque la chambre paraît ne pas admettre les observations que vient de présenter l'honorable M. de Garcia, je renonce à la parole.
M. le président. - La commission a proposé le renvoi à M. le ministre de la guerre ; mais l'ordre du jour étant demandé, je le mets d'abord aux voix.
- L'ordre du jour est adopté.
M. Zoude, rapporteur. - « Plusieurs habitants de Turnhout réclament l'intervention de la chambre pour empêcher l'administration de cette ville d'abandonner gratuitement à une corporation religieuse, l'ancien couvent des Bons-Enfants. »
Plusieurs habitants de Turnhout exposent à la chambre que, par délibération du 15 mars et du 19 juin 1845, le conseil communal aurait cédé gratuitement à une corporation religieuse le ci-devant couvent des Sépulchrines, pour y établir une école d'enseignement moyen ; que le conseil se serait engagé en outre à approprier le bâtiment à sa nouvelle destination, à de lui fournir un subside annuel de 2,000 fr.
Ils ajoutent que cette aliénation est faite en faveur des pères jésuites, sans que le conseil se soit même réservé son intervention dans la surveillance du collège.
Ils exposent ensuite que le bâtiment est utile à la ville pour le casernement de la gendarmerie et pour d'autres services d'un grand intérêt public ; ce qui n'a pas été suffisamment apprécié par le conseil ; cependant, pour rendre les bâtiments propres à ces divers usages, on avait dû recourir à un emprunt de 24,000 fr.
Ils disent ensuite que cette délibération fut transmise à l'autorité provinciale pour être envoyée au gouvernement, à l'effet d'obtenir l'autorisation requise.
Qu'une enquête de commodo et incommodo sur l'utilité d'un autre projet fut ordonnée, qu'elle eut lieu le 18 mai, et que deux jours après ils virent dans le Moniteur que, par arrêté sous la même date du 18 mai, le gouvernement avait approuvé la délibération du conseil.
Les pétitionnaires demandent l'intervention de la chambre pour éclairer le gouvernement sur les intérêts de leur commune qu'ils disent sacrifiés.
Votre commission, en présence de faits aussi graves, a cru devoir prendre des renseignements sur l'objet de cet arrêté du 18 mai, et voici ce qu'elle a recueilli à cet égard, c'est que cet arrêté ne concerne point la délibération du conseil sur la cession des bâtiments dits des Sépulchrines, mais bien l'acquisition à faire d'une propriété destinée au casernement de la gendarmerie et à une boucherie, ainsi qu'à la vente à faire à des religieuses des bâtiments et terrains formant le restant de l'ancienne église des Récollets.
Il résulte donc de ces renseignements ; que l'arrêté royal du 18 mai est étranger aux délibérations du conseil des 15 mai et 19 juin relatives à la cession du bâtiment qui serait destiné à l'établissement d'un collège.
Dans cet état de choses, votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition au département de l'intérieur, avec demande d'explication.
M. de Bonne. - Dans les pièces jointes à cette pétition ne se trouve pas la copie authentique du procès-verbal tenu dans la séance du conseil de la commune où la cession ou donation du couvent des Bons-Enfants a été autorisée, non plus que la copie de l'acte, passé avec les révérends pères. Il est à remarquer, qu'une acquisition doit être faite pour remplacer le couvent des Bons-Enfants cédé en vertu d'une décision du conseil communal. On a demandé copie de toutes ces pièces ; il a été impossible de les obtenir, la commune les a refusées. M. le ministre est à même de les demander et de les obtenir pour les joindre aux pièces, afin que nous puissions en prendre connaissance.
Je ferai observer qu'il ne s'agit pas d'une cession à notre clergé national, mais à un clergé exotique, car l'ordre des jésuites n'est pas national.
Je demande que M. le ministre communique à la chambre copie, des pièces que je viens d'indiquer.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - La commission a proposé le renvoi avec demande d'explications. Je donnerai des explications.
M. Dubus (aîné). - En réponse à ce que vient de dire l'honorable M. de Bonne, je dirai qu'il n'y a, relativement aux bâtiments dont il vient de parler, ni cession, ni donation, ni aliénation ; il y a eu à Turnhout ce qu'il y a eu dans beaucoup de localités de la Belgique, l'administration communale a cédé l'usage d'un édifice qui était autrefois affecté à l'enseignement moyen, à la condition d'y établir un collège d'humanités, et à consacrer un subside à l'établissement de ce collège ; mais la commune demeure propriétaire de l'édifice, à telles enseignes qu'elle est chargée d'y faire les grosses réparations nécessaires. Il n'y a donc là ni cession, ni aliénation ; il ne s'agit que de la mise à la disposition d'une association (page 1829) religieuse, d'un édifice affecté à l’enseignement moyen, à la charge d’y donner cet enseignement.
M. le président. - M. Dubus, j’avais demandé si personne ne demandait la parole sur les conclusions du rapport de la commission, et c’est après cela que j’ai mis les conclusions aux voix et que je les ai déclarées adoptées.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je puis déclarer que les faits annoncés par l'honorable M. Dubus sont très exacts ; mais j’ai entendu que la commission conclut à une demande d'explications ; je fournirai ces explications.
M. Mast de Vries. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission qui a été chargée d'examiner, une demande de crédits pour le service des canaux de la Campine et de Zelzaete, et pour le réendiguement du polder de Lillo. Ces crédits doivent être votés dans cette session. Si, après le vote de la convention, la chambre se réunit encore, on pourrait fixer le vote des crédits à la séance prochaine ; mais s'il y a un parti pris de ne plus se réunir, il faudrait voter les crédits d'urgence, car les sommes sont exigibles.
M. Osy. - Je demande que les crédits dont il s'agit viennent à la suite des objets indiqués dans le bulletin de convocation, et que le chemin de fer de Manage vienne immédiatement après la convention ; si on ne s'occupe pas de ce projet en ce moment, on ne le votera pas cette année, et les actionnaires retireront leur cautionnement.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je ne m'oppose pas à ce qu’on donne la priorité au chemin de fer de Manage sur le projet de loi relatif à la fabrication des pièces d'or. Cependant, en ce qui concerne les crédits sur lesquels l'honorable M. Mast de Vries vient de faire rapport, je ferai remarquer qu'ils s'appliquent à des dettes exigibles. Il s'agit notamment du réendiguement du polder de Lillo ; je crois qu'il n'y aura qu'un simple vote : la dépense a déjà été sanctionnée par la chambre et il faut la payer. Je demande donc que l'on vote ce crédit aujourd'hui ; l'ordre du jour pourrait ensuite être réglé comme l'indique l'honorable M. Osy.
M. Dedecker. - Messieurs, je ne m'oppose pas à ce qu'on examine dans ce moment le projet sur lequel l'honorable M. Mast de Vries vient de faire rapport ; mais d'un autre côté, je désire qu'on maintienne l'ordre du jour qui a été fixé dans la séance d'hier. On a décidé que les crédits supplémentaires, demandés au budget de l'intérieur, viendraient après la convention ; parmi ces crédits, il en est qui ont un caractère d'urgence, et notamment celui qui concerne le jury d'examen. Je demande que ces crédits soient mis en discussion avant les objets qui ont été indiqués par l'honorable M. Osy, en d'autres termes, que l'ordre du jour soit maintenu tel qu'il a été fixé hier.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, les observations de l'honorable M. Dedecker sont parfaitement justes : parmi les crédits supplémentaires demandés au budget de l'intérieur de l'exercice 1845, il en est qui sont d'une urgence extrême. Ainsi, par exemple, les primes pour abatage de bestiaux infectés, sont encore dues en partie, parce que les crédits alloués au budget de 1845 ont été insuffisants. Or, on sait que le payement de ces indemnités ne peut guère être différé. Je demande donc que la chambre veuille maintenir l'ordre du jour, sauf à le modifier, en ce qui concerne la fabrication de la monnaie d'or, comme l'a proposé M. le ministre des finances. Les crédits dont il s'agit ne peuvent pas prendre beaucoup de temps, et contrairement à ce qu'a dit l'honorable M. Osy, je crains que si l'on vote auparavant les objets d'un caractère plus général qui ont été indiqués par cet honorable membre, la chambre ne soit plus en nombre pour voter les crédits.
Il vaut beaucoup mieux vider ces questions de crédit d'abord, parce qu'on restera pour s'occuper des objets d'un grand intérêt. Je demande que la chambre ne s'ajourne pas aujourd'hui, parce que probablement le gouvernement sera dans le cas de faire une communication dans la séance de lundi. La session ne durera plus longtemps, mais il y a encore quelques objets importants qu'il est indispensable de voter avant de se séparer.
M. Osy. - On propose de voter immédiatement les crédits sur lesquels l'honorable M. Mast de Vries vient de faire un rapport.
Je m'y oppose formellement, parce que je vois qu'il s'agit là d'une dépense de 200,000fr. que nous devons examiner à fond. Nous votons pour les ingénieurs des sommes considérables au budget et on nous demande encore aujourd'hui 200,000 francs de crédits supplémentaires.
M. le ministre a promis de déposer sur le bureau les états de dépenses.
Je demande qu'on ajourne la discussion jusqu'à ce que M. le ministre ait déposé les tableaux qu'il a promis. Je m'oppose également à ce qu'on vote les crédits demandés pour le département de l'intérieur, parce qu'ils doivent soulever beaucoup d'observations et que le rapport n'est pas imprimé.
Je demande le maintien de l'ordre du jour imprimé ; et quant au rapport de l'honorable M. Mast de Vries, je demande qu'il soit mis à la suite des objets à l'ordre du jour.
M. Mast de Vries, rapporteur. - L'observation de l'honorable M. Osy sur les demandes de crédit pour les ingénieurs est exacte ; j'ai demandé l’état détaillé des dépenses ; M. le ministre a proposé de le déposer sur le bureau dans la séance d'aujourd'hui. Mais je ne puis admettre la proposition de renvoyer la discussion de la demande de crédit sur laquelle je viens de faire rapport, après le chemin de fer de Manage. Je crois qu'il faut la fixer soit après la convention, soit après les crédits demandés pour le département de l'intérieur.
M. Delfosse. - M. le ministre vient de demander qu'il y ait séance lundi, que peut-être le gouvernement aurait une communication à nous faire. J'espère que la chambre est de cet avis ? (Oui ! oui !)
- La discussion du projet de loi sur lequel rapport vient d'être fait, est fixée après le vote de la convention avec la France.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, la malheureuse position des classes ouvrières des Flandres m'intéresse au plus haut degré, j'y prends le plus vif intérêt comme je prends à toutes les classes ouvrières.
Si le traité qui nous est soumis devait sauver l'industrie linière du naufrage, je serais entraîné, je voterais en sa faveur ; mais je n'ai pas foi dans ses résultats. Je crois qu'il ne donnera pas les fruits qu'on en attend et que le sacrifice que nous faisons envers la France sera fait en pure perte. En un mot, le traité qui nous est soumis est considéré par moi, comme un traité de dupe ; nous donnons 4 pour avoir 1.
Comme il pourrait bien arriver que le traité fût rejeté et qu'il est urgent de prendre des mesures en faveur de l'industrie linière, je crois que l'amendement de l'honorable M. Osy, modifié, protégera bien plus cette industrie que le traité qui nous est soumis.
J'ai donc l'honneur de vous proposer le sous-amendement suivant, à la proposition de M. Osy :
« Je propose :
» 1° De substituer deux ans à six ans, et un million à quinze cent mille francs ;
« 2° D'ajouter à la fin du paragraphe premier, les mots suivants : provenant de la filature à la main. »
Nous ne devons pas nous engager pour 6 ans ; 2 ans suffisent pour apprécier l'effet de cette disposition.
Un million me paraît suffire. On pourra augmenter ce subside.
C'est particulièrement la filature à la main que nous devons soutenir en donnant des primes ou en fournissant le lin à bon marché.
La filature à la mécanique peut lutter avec les fabriques anglaises.
Pour ne pas déranger l'équilibre de nos budgets, on pourrait prendre, sur la consommation du sucre, un million ; pour cela on doit faire en sorte que l'accise sur les sucres rapporte quatre millions, soit un million de plus que le ministre ne demande.
S'il avait été possible d'amender quelques articles du traité, entre autres les articles 7 et 8, j'en aurais fait la proposition ; si j'avais eu mission de prendre part à la discussion du traité, je n'aurais pu consentir à frapper de mort une industrie qui a vie pour en soutenir une autre à l'agonie et qui ne peut être sauvée par le traité qui nous est soumis.
On me répondra peut-être que tous les moyens ont été mis eu usage pour obtenir de meilleures conditions et qu'il n'est pas possible d'en obtenir de meilleures. On me dira : Le traité est à prendre ou à laisser.
Eh bien, si on me fait cette objection, je répondrai que je laisse et que je ne prends pas des marchés ruineux ; je ne puis consentir à anéantir une industrie (l'industrie lainière) qui prospère et qui a vie, pour traîner l'existence d'une autre industrie qui est sur le point de mourir.
Je ne consentirai pas à ce que le gouvernement continue plus longtemps à faire un sacrifice de près d'un million annuellement pour donner de l'espoir à l'industrie lainière ; mieux vaudrait, selon moi, distribuer un million aux classes pauvres des Flandres, comme encouragement ; au moins cette dépense produirait quelque fruit. Quoique vous fassiez, vous ne parviendrez pas à remettre à flot la filature à la main ; je vous en dirai tout à l'heure les motifs.
Ne perdez pas de vue, messieurs, que vous démolissez pièce par pièce toutes nos industries. Il y a huit jours, vous avez porté un coup fatal à l'industrie sucrière belge en faveur de l'industrie sucrière brésilienne et autre, étrangères. Aujourd'hui vous donnez le coup de mort à l'industrie lainière, vous ôtez le pain à une masse de travailleurs.
En vérité, messieurs, les hommes qui donnent la main à des actes semblables peuvent être soupçonnés de ne pas faire partie de la nation belge ; mais ce qui doit le plus surprendre, c'est de voir deux de nos ministres soutenir de semblables dispositions. On serait tenté de croire, d'après leur conduite, qu'ils sont d'origine française par leur père et d'origine brésilienne par leur mère.
Ce sont les intérêts étrangers qu'ils soutiennent contre les intérêts du pays qui leur a donné le pouvoir de gouverner la Belgique. La postérité les jugera. Si un jour on leur élève des statues, ce ne pourra être qu'au Brésil, au Cuba et en France pour avoir fait usage de leur talent en faveur de ces nations.
Si nous n'avions pas d'autres moyens d'occuper les classes ouvrières, la question serait plus difficile ; mais le proverbe dit : Qui cherche trouve.
Nous avons des moyens de donner du travail à nos populations, mais nous ne le voulons pas. Vous venez de laisser échapper une belle occasion. Si vous aviez protégé, comme on aurait dû le faire, l'industrie sucrière indigène, on aurait pu (et on l'aurait fait) construire 25 à 30 fabriques de sucre dans les deux Flandres ; et à ces fabriques et à la culture de la betterave on aurait employé plus de 20 mille ouvriers qui auraient vécu de ce travail, tout en réduisant le nombre des fileurs à la main.
D'autres industries peuvent également surgir, et en les protégeant, ou parviendrait à faire disparaître le paupérisme des Flandres, en donnant du travail aux classes nécessiteuses des deux provinces les plus peuplées.
L'arrondissement qui a envoyé M. Malou à la chambre, compte environ mille ouvriers qui vont en France travailler aux sucreries françaises ; établissez des sucreries belges.
(page 1830) Si vous aviez de ces fabriques en Belgique, je le répète, mille individus ne seraient pas obligés de s'expatrier pour gagner leur vie en faisant des dépenses à l'étranger ; ils vivraient chez eux du produit de leur travail, avec leur famille. Ah ! croyez-moi, ne persistez pas à vouloir lutter contre la filature à la mécanique, au moins sur une grande échelle.
Réduisez autant que vous le pouvez la filature à la main, en cherchant à procurer du travail à vos ouvriers, au moyen d'autres industries et du défrichement des bruyères.
Les toiles provenant de la filature à la main seront toujours recherchées par quelques consommateurs, j'en conviens ; mais le plus grand nombre donnera la préférence au beau et au bon marché, et c'est ce qu'on obtient par la filature à la mécanique.
Soignons les intérêts des classes ouvrières par d'autres moyens que ceux qu'on nous propose, qui tous ne produiront que peu ou point de résultats, comparativement à la dépense qu'ils réclament.
Soignons l'intérêt de nos industries, mais ne démolissons pas nos fabriques neuves, pour étayer de bois vermoulu celles qui sont sur le point de s'écrouler, et qui, malgré nous, et quoi que nous fassions, disparaîtront dans un temps plus ou moins rapproché, après que nous aurons fait des dépenses énormes en pure perte.
Permettez-moi, messieurs, de vous indiquer un autre moyen de donner de l'ouvrage à la classe pauvre. Nous avons 1,800,000 hectares de terres cultivées ; la statistique ne porte pas un chiffre aussi élevé ; mais depuis les opérations cadastrales, une grande quantité de terrains ont été mis en culture, des bois ont été défrichés qui maintenant sont en état de produire des betteraves et des céréales. La statistique, déplus, indique : comme jardins des enclos où l'on cultive les grains et la betterave. Sur 1,800 mille hectares, 800 mille au plus sont cultivés en céréales ; le reste est cultivé en avoine et marsage, mais la plus grande partie en plantes fourragères ; je distrairai seulement 150,000 hectares de terres servant à produire la nourriture du bétail, ces 150,000 hectares cultivés en betteraves à 1,435 kil. de sucre par hectare vous donneront 215 millions de kil. de sucre propre à la consommation.
En alcool ils vous produiront environ 400,000 hectolitres. (Interruption.)
L'honorable M. Mast de Vries m'interrompt pour me dire que cela nous griserait. Si l'honorable membre a tant de dispositions à s'enivrer, il peut très bien s'enivrer avec l'alcool que produit le seigle. Mais s'il veut s'enivrer avec l'alcool venant de la betterave, alors on conservera le seigle pour le donner aux malheureux. Voilà où sera l'économie.
Mais là n'est pas la question. La grande question est d'employer la classe ouvrière. Or, messieurs, 200,000 individus seraient employés tant à la culture de la betterave qu'à la fabrication du sucre, et remarquez-le, les classes employées à cette culture sont en général les classes les plus faibles ; ce sont des vieillards, ce sont des femmes, ce sont des enfants, qui, trouvant à gagner leur vie dans cette culture, ne seraient plus à charge aux bureaux de bienfaisance et aux hommes bienfaisants et philanthropes des deux Flandres qui leur donnent du lin à bon marché.
C'est assez vous dire, messieurs, que si l'on n'adopte pas un autre moyen que celui qui vous est proposé, je serai obligé de repousser le traité que l'on nous soumet, parce que c'est un traité de dupe, parce qu'on agit envers nous comme les usuriers envers les enfants de famille à qui ils prennent tout ce qu'ils peuvent pour leur donner fort peu de chose.
- Le sous-amendement de M. Eloy de Burdinne est appuyé.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je comprends que la chambre est fatiguée. Cependant comme mon intention est d'examiner le traité dans son ensemble, dans ses détails, de répondre aux orateurs qui l'ont attaqué, j'espère, messieurs, que la chambre voudra bien m'accorder un peu d'attention. (Mouvement d'attention.)
Je ne veux pas, messieurs, considérer le traité comme une conquête, comme un succès. Je ne le présente pas comme devant régler définitivement nos relations avec la France. Mais je le défends comme un acte nécessaire, comme un acte utile dans le présent, comme la condition du maintien de nos relations générales avec la France, comme le gage de nos espérances dans l'avenir.
C'est un acte nécessaire dans le présent. Et en effet, messieurs, il ne faut pas de longue démonstration, pour vous faire comprendre que par le traité seul on évitera de jeter l'industrie linière dans une perturbation immédiate et profonde. Chacun comprend, si le marché français était immédiatement fermé pour cette industrie, quels seraient les résultats de ce déficit de 18 à 20 millions de francs qui existerait à l'instant même dans la circulation du numéraire dans les Flandres. Car il ne faut pas oublier, messieurs, que ces 18 à 20 millions de fr. sont convertis presque en totalité en salaires pour près de 400,000 ouvriers.
On a parlé de primes : les primes peuvent servir peut-être à développer une industrie nouvelle ; mais elles seraient impuissantes à soutenir une industrie ancienne, si le marché français lui était immédiatement fermé.
C'était donc un acte nécessaire, utile au point de vue de la position de notre industrie linière. Fermer le marché français avant d'en avoir trouvé d'autres, ce serait jeter dans la misère trois à quatre cent mille ouvriers, dont le sort est lié à celui de l'industrie linière dans ses rapports avec le marché français.
J'ajouterai que le traité était un acte nécessaire pour le maintien de nos rapports généraux avec la France. C'est ici que la question devient grave.
L'honorable M. Dumortier a déclaré hier que le rejet du traité n'amènerait pas la cessation de ces rapports avec la France, n'amènerait pas une rupture de ces relations. L'honorable membre ne me paraît pas avoir examiné cette question avec assez de sang-froid, et d'après une exacte appréciation des faits.
Il a semblé croire que si le traité du 13 décembre n'était pas ratifié par vous, les avantages réciproques résultant de la convention du 16 juillet 1842 viendraient seuls à tomber ; c'est-à-dire que l'industrie linière, soumise au régime de l'ordonnance du 26 juin 1842, serait frappée d'un double droit (ce qui serait déjà un grand mal), que d'un autre côté les vins, les soieries et le sel de France rentreraient sous le régime de notre tarif général.
Je crains bien que ce ne serait là qu'une erreur.
Il me suffira de rappeler à la chambre quelques faits pour la convaincre que le rejet du traité pourrait véritablement compromettre nos relations générales avec la France.
En effet, si le traité n'était pas ratifié, les fils et les toiles de lin de Belgique seraient, comme je vous le disais, frappés, par l'ordonnance du 26 juin 1842, de doubles droits, de droits prohibitifs.
Or, n'est-il pas vrai de dire qu'en Belgique chacun dirait au gouvernement, et l'honorable M. Dumortier qui éprouve à un haut degré le sentiment de la dignité nationale serait le premier à dire au gouvernement : Comment ! On n'avait voté la loi de 1838 que parce que la France avait accordé des avantages à l'industrie linière par la loi de 1836 ; on a toujours considéré ces deux lois comme des lois de réciprocité, des lois bilatérales, comme les ministres français l'ont eux-mêmes reconnu en France à une certaine époque. Depuis la loi de 1836, ajouterait-on, l'ordonnance de 1840 et la loi du 6 mai 1841 ont successivement retiré les avantages qui avaient été faits à la Belgique. Lorsque l'ordonnance du 26 juin 1842 a été rendue en France, nous pouvions espérer être maintenus dans l'exception, puisque la France voulait se garantir, non contre la concurrence belge, mais contre la concurrence anglaise.
Si par le rejet du traité, notre industrie linière était frappée de doubles droits, ne nous rappellerait-on pas tous ces faits pour exiger du gouvernement tout au moins le retrait de la loi belge de 1838 ?
Le gouvernement résisterait à ces plaintes qui au fond seraient justes, et s'il y résistait, l'honorable M. Dumortier, au nom de la dignité et de l'intérêt du pays, ne viendrait-il pas tout le premier le lui reprocher ? Nous serions poussés inévitablement dans la voie des représailles et de la rupture.
Mais le gouvernement français n'y serait-il pas poussé non plus de son côté ? Je vous ai indiqué la thèse belge ; voici quelle serait la thèse française :
Il ne faut pas oublier que, depuis 1842, nous avons posé des actes qui, si le traité était rejeté par nous, seraient considérés comme ayant un caractère d'hostilité pour la France.
Par le traité conclu avec le Zollverein, la Belgique a accordé, aux vins et aux soieries de l'Allemagne, la jouissance de la réduction des droits sur les vins et sur les soieries accordée aux vins et aux soieries de France par la convention de 1842.
Si le traité n'était pas ratifié, il en résulterait que les vins et les soieries de France seraient frappés de droits plus élevés que les vins et soieries d'Allemagne, pendant toute la durée du traité du 1er septembre. C'est alors que le traité du 1er septembre, qui n'a aucun caractère d'hostilité relativement aux intérêts français, revêtirait ce caractère aux yeux de la France.
Ces faits ne sont pas les seuls.
Depuis 1842, le gouvernement belge a pris l'arrêté du 14 juillet 1845 sur les fils et les tissus de laine et celui du 13 octobre 1844 sur les cotons.
Si le traité français n'était pas ratifié, la France se trouverait en présence de ces deux arrêtés, c'est-à-dire que son industrie cotonnière, son industrie lainière seraient frappées de droits nouveaux.
Le résultat qu'il y aurait à craindre de la non ratification du traité est celui-ci. La France n'aurait pas besoin de nous frapper de mesures directes de représailles ; elle pourrait nous dire : Vous frappez nos vins, nos soieries, nos tissus de laine et de coton de droits exceptionnels ou plus élevés qu'en 1842 ; le moins que je puisse faire, c'est de faire cesser la protection différentielle dont jouissent sur la marché français la houille et la fonte belge. N'est-il pas à craindre que la France fasse cesser cette protection le jour où vous la frappez de droits exceptionnels, de droits nouveaux ?
Ce qui pourrait faire croire que cette crainte n'est pas sans fondement, ce sont les paroles que M. le ministre des affaires étrangères de France a prononcées deux fois à la tribune française. Vous savez que M. Guizot a constamment, depuis deux ans, mis en corrélation les privilèges dont nous jouissons sur le marché français pour l'industrie linière, pour la houille et pour la fonte, avec les privilèges accordés sur le marché belge aux vins, aux sucres et aux laines, par le traité actuel. Si ces privilèges venaient à cesser pour la France, n'est-il pas à craindre que la France en tirât cette conclusion, annoncée d'avance à la tribune française, par M. Guizot, que le système des zones sur la houille et la fonte serait aboli au profit de l'Angleterre ? N'est-il pas à craindre qu'on établisse le droit commun pour tous nos produits ?
La France n'élèverait pas peut-être le droit sur les fontes et sur les houilles belges ; mais ce qui serait possible, c'est qu'elle abaissât les droits sur les frontières maritimes, c'est qu'elle ferait cesser le système des zones.
(page 1831) M. David. - Qu'est-ce que cela nous fait ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Cette interruption me prouve que l'honorable membre n'a pas étudié cette question. Cela fait que nous perdrions le marché de Rouen, que nous avons recouvré en partie depuis plusieurs années, et peut-être le marché de Paris tout entier. Je connais bien l'obstacle à la réalisation de cette mesure ; notre cause serait plaidée par les charbonnages de St-Etienne ; mais d'autres intérêts, le Havre et Rouen plaideraient la cause de l'Angleterre.
Quoi qu'il en soit, quelqu'un oserait-il répondre que le rejet du traité n'entraînerait pas ces conséquences ? Pour moi, je ne voudrais pas assumer cette responsabilité.
Je me hâte de dire que je regarde comme peu juste et peu vraie la prétention de la France. Je sens le besoin d'y opposer ici quelques observations. Ce que je vais dire n'est pas dans une intention de récrimination à l'égard du gouvernement français. Les deux pays se doivent la vérité sans réticence, nous n'avons l'un et l'autre qu'à gagner à cela.
Cette prétention française, je la regarde comme peu juste, comme peu vraie. En effet, lorsqu'on prétend que les privilèges accordés à la houille et à la fonte belges sont des actes d'une politique libérale envers la Belgique, on oublie que ces privilèges datent, l'un de 1816, l'autre de 1822 ; que nous en avons joui pendant que l'hostilité commerciale et politique existait entre le royaume des Pays-Bas et la France de 1822 à 1830, ce qui prouve que c'était l'intérêt français qui avait dicté cette mesure. On oublie que les privilèges de 1816 et de 1822 ont été altérés depuis 1830 par les ordonnances de 1837 et de 1840. On a modifié, à ces deux époques, le système des zones à l'égard des houilles et des fontes d'une manière défavorable aux intérêts belges. On a étendu pour la fonte la zone de faveur aux frontières d'Allemagne, et pour la houille on nous a dépossédés du marché de Dunkerque et du littoral de la France.
Avant 1837, le bassin de Mons envoyait annuellement à Dunkerque 1,200 bateaux de houille qui étaient distribués sur le littoral par le cabotage français.
L'ordonnance de 1837 nous a dépossédés de ce marché ; nous l'avons perdu, ainsi que celui de Rouen, que nous avons reconquis en partie depuis. Cette mesure a frappé non seulement l'intérêt belge, mais encore l'intérêt français, en ce sens qu'en empêchant les exportations de nos houilles vers Dunkerque on a tué le cabotage français de ces côtes, au profit du cabotage de l'Angleterre.
Je le proclame ici, parce qu'il est utile qu'on le sache en France ; la législation française et les relations avec la France, quant aux trois grandes industries dont j'ai parlé, étaient meilleures en 1829 pour le royaume des Pays-Bas, qu'en 1846 pour la Belgique alliée de 1830. (Mouvement.)
Je viens de prouver qu'en 1829, pendant les hostilités politiques et commerciales entre le royaume des Pays-Bas et la France, la législation pour les houilles et les fontes était meilleure. Pour l'industrie linière, chacun le sait, nos relations étaient telles que nous exportions en produits liniers plus du triple de ce que nous exportons aujourd'hui. Voilà les faits ; il est bon de les dire ; il est nécessaire qu'on les connaisse.
D'un autre côté, il faut aussi ne pas oublier, je le reconnais, quelle est pour la Belgique l'importance du marché français. Notre commerce d'exportation vers la France forme à peu près le tiers de nos exportations générales.
Depuis 1840, nos importations en France, en marchandises belges, ont monté successivement de 55 millions en 1840, à 61 millions en 1842, à 67 millions en 1843, à 76 millions en 1844 et en 1845 à un chiffre que je ne connais pas, mais que j'ai lieu de croire plus élevé.
C'est ce que la France a soin de nous rappeler. Je pose ces chiffres afin de rencontrer les objections mêmes ; niais il est une chose qu'il serait dangereux de méconnaître : c'est que pour apprécier exactement l'état de nos relations avec la France, ces chiffres sont trompeurs.
A côté de ces chiffres, je vais placer des faits plus significatifs, qui démontrent que les liens commerciaux entre la France et la Belgique, malgré l'apparence des chiffres, tendent à se relâcher de plus en plus.
En effet, lorsqu'on examine quels sont les grands centres du commerce et de l'industrie belge, qui sont encore sous l'influence directe de nos relations avec la France, on doit reconnaître que la plupart de ces centres d'industrie et de commerce sont en dehors de cette influence. Ainsi les espérances de notre industrie métallurgique se dirigent-elles aujourd'hui vers le marché français ? Chacun sait que non. Ces espérances sont tournées désormais vers l'Allemagne qui, dès le lendemain du traité du 1er septembre, est devenue pour cette industrie un marché plus important que ne l'est l'ancien débouché français.
Messieurs, je n'ai pas les chiffres sous les yeux, mais la moyenne de nos exportations métallurgiques, pendant les années 1844 et 1845, dépasse d'un demi-million de francs en importance sur le marché de l'Allemagne la moyenne de nos importations métallurgiques sur le marché français. Ainsi pour l'industrie métallurgique, pour celle des machines qui s'y rattache, le marché de l'Allemagne devient de jour en jour plus important que le marché français ; l'industrie métallurgique est allemande aujourd'hui par ses espérances.
Notre métropole commerciale, Anvers, notre commerce maritime sont complétement en dehors de l'influence de nos relations avec la France. Pendant la négociation, vous le savez, le gouvernement belge a demandé instantanément à la France de comprendre dans les négociations l'intérêt maritime. Il y avait à cela, selon nous, un puissant intérêt pour les deux pays : c'était de rattacher ou traité l'intérêt des ports en France, l'intérêt maritime en Belgique. Il y avait là un intérêt commun à satisfaire ; mais vous savez que le gouvernement fronçais n'a pas cru devoir comprendre la question de navigation dans les négociations.
La France, par des prohibitions ou par des droits très élevés, a repoussé et continue à repousser nos grandes industries des cotons et de la laine ; l'industrie de la bonneterie, l'industrie des verreries qui forment les industries capitales en Belgique. Aucune de ces industries, messieurs, n'a de relations avec la France.
Ainsi, messieurs, à l'heure où je vous parle, Liège, Charleroy, Anvers, Ostende, Gand, Verviers, Tournay et Bruxelles, sont placés presque complétement en dehors de l'influence de nos relations commerciales et industrielles avec la France ; elles se déshabituent chaque jour davantage de ces relations.
Ainsi, messieurs, les chiffres de notre balance commerciale peuvent grandement tromper. La vérité est qu'au point de vue des faits réels, ce n'est pas la France dont l'influence commerciale et industrielle est aujourd'hui la plus grande en Belgique ; ce sont d'autres nations qui nous avoisinent. Les deux seuls liens industriels importants qui existent encore et qui nous rattachent à la France, c'est l'industrie linière, c'est l'industrie de la houille.
Messieurs, n'est-on pas en droit de s'étonner, je le dis tout haut, que ce lien de l'industrie linière qui est le seul qui rattache les provinces flamandes à la France, que ce lien de l'industrie linière, la France depuis 1836 l'use sans cesse, comme si elle voulait le briser ? A la tribune française n'avons-nous pas entendu des orateurs prévoir avec une certaine joie le moment où ce lien de l'industrie linière n'existerait plus ?
Messieurs, si ce lien venait à se rompre, je déclare que, malgré la trompeuse apparence des chiffres statistiques, il n'en existerait plus aucun essentiel entre la France et nous. Car pour la houille c'est presque une relation nécessaire pour certains départements français ; ce n'est pas un lien de sympathie politique. Du reste, si l'industrie linière venait jamais à être sacrifiée dans ses rapports avec la France, il ne resterait plus à cette puissance, pour anéantir tous nos rapports de commerce avec elle, qu'à modifier le système de zones au profit de l'industrie anglaise ! (Mouvement.)
Messieurs, les plaintes que je viens d'exprimer, chacun l'aura sans doute compris, n'ont aucun caractère ni d'amertume ni de blâme qui serait de l'ingratitude envers un pays à qui nous devons beaucoup dans l'établissement de notre nationalité ; ces plaintes sont des plaintes amies, elles sont l'expression du désir vif, sincère, qui nous anime tous de voir nos relations avec la France devenir meilleures, plus fécondes. (Bien.)
Si la Belgique se plaint, si je porte ces plaintes à la tribune, c'est parce que les deux nations se doivent la vérité, comme je le disais tout à l'heure ; c'est que notre devoir est d'éclairer, non pas le gouvernement français qui connaît ces choses, qui sait les apprécier, mais l'opinion publique en France que des intérêts isolés et puissants ont égarée, car c'est dans cette opinion que nous avons rencontré jusqu'ici les plus insurmontables résistances.
Si donc nous n'acceptons le traité du 13 décembre que comme un acte nécessaire au maintien de nos relations commerciales avec la France, c'est surtout parce que nous le comparons à nos espérances.
Le traité, c'est la condition de ces espérances qui seraient évidemment compromises par le rejet du traité.
Je vous ai dit, messieurs, sur quels faits reposait l'espoir de voir nos relations s'améliorer ; je reproduis cette pensée : Il est évident que les grandes mesures qui ont été adoptées en Angleterre auront une influence décisive sur les nations du continent et sur la France en particulier ; il est certain qu'il sera désormais impossible à la France d'entrer plus avant dans le système protecteur, système qui a été la principale cause de l'amoindrissement de nos relations avec la France.
D'un autre côté, les intérêts que le chemin de fer vient de développer, les obstacles qu'il doit abattre, les intérêts qui se lient aux capitaux français qui ont été versés dans nos grandes usines métallurgiques et houillères ; tous ces intérêts sont tels que nous devons croire que désormais nos négociations avec la France deviendront meilleures ; j'ai la conviction profonde que je lègue à mes successeurs des négociations tout autres que celles qui m'ont été léguées à moi-même.
J'ai dit que je considérais le traité comme un acte nécessaire et relativement utile, que je ne le considérais pas comme devant régler définitivement nos rapports avec la France dans l'avenir. Mais je dois repousser de toutes mes forces les qualifications que les adversaires du traité lui ont données ; je n'aurai pas de peine à démontrer qu'elles sont injustes ; l'honorable M. d'Elhoungne l'a fait avant moi, et pour le dire en passant, personne n'a essayé de lui répondre.
M. Lys. - Nous n'avons pas encore eu notre tour !
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - MM. David et Dumortier ont parlé.
Je dis que je n'aurai pas de peine à démontrer, après l'honorable M. d'Elhoungne à qui personne n'a répondu, que le traité n'est ni un acte humiliant, honteux, déplorable, ni une œuvre de ruine.
Messieurs, permettez-moi de dire en passant que nous devrions nous interdire ces exagérations. Il est imprudent de semer ces exagérations, à l'aide desquelles on inquiète et on passionne les populations qui les prennent au sérieux. Les intérêts s'alarment si facilement ; on prend au mot les plaintes qui retentissent à cette tribune, et vous savez, messieurs, combien de fois nous avons vu des industries qu'on proclamait mortes (page 1832) ici, non seulement survivre à cette prédiction, mais atteindre d'immenses développements. (Mouvement.)
J'entre dans l'examen du traité.
Le traité comprend deux choses : d’un côté, les avantages qu’il consacre pour la Belgique ; de l’autre, les sacrifices que le traité nous impose et à l’aide desquels nous avons acheté ces avantages.
Ce que je veux démontrer, c'est que les avantages sont plus grands qu'on ne l'a dit ; qu'on les a beaucoup trop dépréciés ; c'est que les sacrifiées n'ont pas l'importance qu'on leur a attribuée ; qu'on les a singulièrement exagérés.
Examinons la position que le traité du 13 décembre fait d'abord à l'industrie linière.
Eh bien, messieurs, j’affirme que le traité du 13 décembre, malgré la restriction de la limitation, fait à l’industrie linière une position meilleure que celle que lui faisait la convention du 16 juillet 1842 ; or, cette dernière convention a été considérée dans les Flandres comme un bienfait.
Si je compare le traité, nouveau avec le traité ancien, je trouve qu'il consacre deux améliorations, l'amélioration relative aux fractions de fil, et l’amélioration relative aux nuances.
N’oublions pas que depuis la loi du 6 mai 1841, la Belgique n’a cessé, dans toutes ses négociations, de chercher à obtenir de la France précisément la réparation de ces deux griefs, concernant les nuances et l’amendement de M. Delespaul.
Dès 1841, la Belgique est entrée en négociation avec la France, pour obtenir, relativement à l'amendement Delespaul, la clause telle qu'elle est écrite dans le traité du 13 décembre, et la France n'y a pas consenti. En 1842, lors de la convention du 16 juillet, la Belgique a renouvelé sa demandé et n'a pas été plus heureuse que la première fois. En 1841 et en 1842, l'industrie des Flandres attachait une importance réelle à la mesure, relative à l'application du compte-fils, que le nouveau traité renferme. J'ai sous les yeux la correspondance de 1841, concernant cet objet ; on proclamait alors que cette mesure entraînerait le retrait, au moins partiel, des effets de l'amendement Delespaul.. J'ai encore sous les yeux une note d'un des plus grands fabricants de tissus de lin, qui m'a été remise pendant la dernière négociation et qui considérait comme une conquête à faire, l'obtention de la mesure que la France a accordée.
Avant d'obtenir cette amélioration, on en proclamait l'utilité ; depuis que nous l'avons, on paraît la considérer comme étant d'un médiocre intérêt ; c'est, du reste, le sort de toutes les concessions obtenues ; la veille, elles sont importantes, le lendemain on n'y songe plus.
L'honorable M. de Haerne a reconnu que cet avantage est réel, mais il trouve qu'il n'est pas aussi grand que le pense le gouvernement. Il vous a dit : La mesure relative à l'application du compte-fils peut être utile pour les toiles inégales, et l'inégalité résulte ou bien du fil lui-même, ou bien du tissage. Il a reconnu que, pour ces deux catégories, la mesure serait fort utile, qu'elle ferait cesser pour ces toiles une partie des effets de la loi de 1841 qui équivalaient à un déclassement que l'honorable M. de Haerne a évalué à une surtaxe de 4 à 5 p. c.
Mais l'honorable membre sait que la plus grande partie des toiles faites avec du fil à la main sont encore fabriquées avec des peignes à roseaux.
Malgré les efforts du gouvernement et des comités, l'honorable membre sait que la plus grande partie des métiers battant, 49 sur 50 manquent encore de peignes métalliques. Je crains qu'il ne faille toute la durée du traité pour généraliser l'usage des peignes perfectionnés. Je dis donc que la plus grande partie de ces toiles sont fabriquées avec des peignes à roseaux, pour ces toiles la mesure relative à l'application du compte-fils aura une importance qu'on ne peut méconnaître.
La seconde amélioration que le traité renferme est celle qui concerne les types pour distinguer la nuance des toiles écrues. Vous savez, messieurs, que la loi du 6 mai 1841 a statué qu'on ne devait considérer comme toile écrue que celles qui n'avaient subi aucune espèce de blanchiment soit avant, soit après le tissage, et qui avaient conservé la nuance prononcée de l'écru.
Qu'est-ce qu'un degré de blanchiment avant ou après le lissage ? Qu'est-ce que c'est que la couleur prononcée de l'écru ?
Nous étions soumis à une appréciation arbitraire de la douane française ; le commerce n'avait aucune garantie, aucune sécurité.
La garantie que nous avons obtenue par l'établissement de types n'est pas sans valeur. Après la circulaire du 22 mai de l'année dernière, l'administration française avait adopté quatre types pour reconnaître les toiles écrues, nous avons obtenu l'admission d'un cinquième type pour les toiles de 8 à 9 fils.
Je dois le déclarer, dans la négociation on nous a demandé de fournir les types les plus blancs que nous pourrions trouver pour chacune des cinq catégories ; ce sont ces types qu'on a adoptés. Nous devons donc croire que la grande masse de nos importations en France seront comprises dans les types qui serviront de règle lors de la mise en vigueur du traité.
Nous avons de plus obtenu la déclaration, déposée sur le bureau, de M. le ministre des affaires étrangères de France que les toiles écrues exceptionnelles dont la nuance pourrait ne pas correspondre parfaitement à celles des types, seraient jugées par la commission des experts à Paris, d’après le carcatère de l’écru, en dehors des types, c’est-à-dire que nous avons obtenu un choix plus favorable et mieux garantir de types que vous n’aviez pas avant la circulaire du 22 mai, et qu’après le traité, comme avant cette circulaire, les toiles non conformes aux types seront jugées d’après le caractère de l’écru. Or, la chambre de commerce de Courtray a déclaré qu’avant le 22 mai il ne s’était élevé aucune contestation quant à la nuance des toiles.
Ainsi, messieurs, nous avons obtenu deux améliorations qu’on peut considérer comme la réparation partielle de deux griefs dont la Belgique se plaignait depuis la loi de 1841.
Mais il y a dans le traité une restriction, la limitation des quantité de fils et de toiles à introduire en France. L’honorable M. d’Elhoungne l’a déjà dit, cette limitation est une restriction plus apparente que réelle. En effet, malheureusement pour nous, les progrès de la fabrication toilière, en France, sont tels que nous trouvons là une limite plus dangereuse que celle qui se trouve dans le traité.
Pour les fils de lin, la limitation est plutôt un bien qu’un mal. En effet, de quoi se plaignaient les tisserands des Flandres, depuis deux années ? Des exportations trop rapidement développées peut-être de fils de lin sur le marché français, de manière que le fil manquait au tissage belge et le prix de cette matière première s’était trop élevé. Il était donc sage dans l’intérêt de notre industrie toilière, d’admettre la limitation pour le fil de lin. Nous l’avons admise, de manière à permettre aux exportations de prendre une certaine extension, mais sans qu’elle puisse nuire au tissage.
Vous savez que le gouvernement, dans les négociation a été jusqu'à offrir des concessions plus larges sur la filature du lin ; à la condition d'obtenir de meilleures conditions de tarif pour nos toiles. Je croyais que cette proposition aurait été acceptée, car en limitant l'importation des toiles, que risquait la France en vous accordant une réduction de droit, puisqu'elle déclarait qu'au-delà de la limite fixée, le marché français nous était fermé par des droits prohibitifs ? Cette réduction de droits nous eût seulement permis d'atteindre plus facilement la limite déterminée et que nous ne pouvions franchir.
A cette condition, nous aurions accordé une concession plus large pour la filature ; cependant, messieurs, il y avait un terme que nous n'aurions pu dépasser. Car, et j'attire l’attention de la chambre sur cette considération, si nous avions été, comme quelques-uns ont semblé nous le conseiller, jusqu'à compromettre la filature mécanique, jusqu'à amener son dépérissement et sa décadence, je dis que cette mesure eût été fatale non seulement pour l'industrie nouvelle, dont l'avenir peut être très brillant, mais pour l'industrie ancienne, qu'on aurait détruite en même temps.
En effet, messieurs, si le marché français avait été immédiatement fermé au fil mécanique belge, que serait-il résulté ? C'est qu'à l'instant même, la production de nos grandes filatures, repoussée du marché français, aurait été rejetée sur le marché belge, aurait amené un encombrement et un avilissement de prix tel qu'il aurait créé une concurrence écrasante pour le fil à la main. Le sort de nos 280,000 fileuses était à l’instant même compromis, ainsi que le sort de la plupart de nos tisserands.
Ainsi, messieurs, si nous avions fermé le marché français au fil mécanique belge, il en serait résulté ces deux conséquences inévitables, d'un côté, c'est qu'on aurait frappé l'industrie linière à la main ; c'est que d'un autre côté, on aurait compromis l'industrie nouvelle, dont le sort est rattaché au développement même de la filature à la mécanique.
Je dis donc, messieurs, que le gouvernement a admis la limitation pour le fil de lin dans une mesure telle qu'elle est u 'avantage pour le tissage des toiles ; qu'il n'a pas été plus loin, parce qu'il aurait créé un péril en même temps pour l'ancienne et pour la nouvelle industrie linière ; qu'il n'aurait été au-delà qu'à la condition d'une faveur plus large à l'égard de nos toiles.
Quant à la limitation pour les toiles, messieurs, je l'ai déjà dit, les progrès de l'industrie toilière en France forment une limite nécessaire bien plus sérieuse que la limite des quantités fixées à 3 millions, sans compter le transit, ce qui porte le chiffre à 3,200,000 kil.
Messieurs, je le demande à tons les députés des Flandres, si la convention du 10 juillet 1842 avait été renouvelée purement et simplement, y avait-il la moindre espérance de voir nos exportations s'accroître ? Tous répondront que non, que sous l'empire de l'ancienne convention, il y avait plutôt des chances de les voir se restreindre que de les voir augmenter. Or, messieurs, si nous atteignons la limite de 3,200,000 kil., on le devra d'un côté aux améliorations apportées dans la fabrication, et on le devra d'un autre côté au traité nouveau, à cause des améliorations qu'il renferme.
Ainsi la limitation sur les toiles n'est pas un obstacle. Mes seules craintes, c'est que la limite ne soit pas atteinte, et je dis que si elle est atteinte, c'est au traité qu'on le devra.
Messieurs, je viens de vous prouver que les avantages du traité sont réels. Je viens de démontrer à l'évidence que la position que le traité fait à l'industrie linière ancienne sur le marché français est meilleure que la position que lui faisait la convention du 10 juillet 1842.
Cette convention de 1842, on l'a considérée à cette époque comme un bienfait ; aujourd'hui on en méconnaît trop les résultats. La décadence dans nos importations qui s'était manifestée en 1842 et en 1843, alors que la convention n'avait pas pu produire tous ses effets, cette décadence a été immédiatement arrêtée en 1844, et même nos importations se sont quelque peu relevées depuis.
(page 1833) Mais si au lieu d’envisager les importations de toiles en France depuis 1842, sous le rapport des quantités en kilog., je considère leur valeur en francs, un progrès sensible se manifeste.
Ainsi nous importations se sont élevés en 1842 à 580,00 kilog., en 1843 à 660,000 kilog. et en 1844 à 800,000 kilog.
Ce fait remarquable provient de ce que nous importons depuis plusieurs années graduellement moins de toiles de qualités communes, de 8 à 12 fils, et plus de toiles de qualités moyennes et supérieures de 12 à 20 fils. L'année-1844, inférieure à l'année 1840 en quantités, lui est supérieure en valeur, de 3 millions de francs. N'oublions pas que l'année 1840 est l'une des plus brillantes qui ont existé sous l'empire de la loi tant regrettée de 1836.
Je ne veux pas démontrer, messieurs, par ces observations que les souffrances de l'industrie linière ne sont pas réelles ; ce n'est pas en cachant une plaie qu'on la guérit, je le sais ; mais je veux faire voir que la convention du 16 juillet n'a pas été aussi nulle dans ses résultats qu'on semble le dire dans quelques parties des Flandres. Elle a arrêté la décadence qui était rapide ; elle a permis à nos importations de se relever.
Il y a quatre ans, on déclarait comme aujourd'hui que la convention était inutile, que l'industrie ancienne était destinée à mourir, que le traité n'y apporterait aucun remède. Les résultats, messieurs, ont prouvé le contraire.
Messieurs, je vais peut-être avancer une énormité aux yeux de quelques-uns. Mais je soutiens que pour l'industrie linière des Flandres, pour l'industrie ancienne, la cause qui empêche nos importations en France de s'accroître, ce n'est pas l'élévation du tarif français, mais c'est avant tout la fabrication elle-même.
Je citerai, messieurs, un fait récent qui m'a été communiqué par des membres de la chambre de commerce de Courtray, négociants eux-mêmes.
C'est que depuis quelque temps ils ne trouvent pas en assez grand nombre de bonnes toiles en fils à la main. C'est la fabrication qui fait défaut. Les mêmes renseignements, je les ai obtenus à Paris même. Le commerce de toiles de Paris déclare que si l'on pouvait lui fournir en plus grande quantité de bonnes toiles en fils à la main, nos importations augmenteraient. C'est un fait reconnu par tous les députés des Flandres qui ont pu l'apprécier ; la fabrication est l'obstacle, bien plus que l'élévation des tarifs ; et ces membres de la chambre de commerce de Courtray m'ont dit qu'ils n'avaient pas pu satisfaire à d'énormes commandes dans ces derniers temps, par la raison qu'ils ne trouvaient pas assez de bons tisserands. C'étaient les bons tisserands qu'ils ne trouvaient pas, ce n'étaient pas les importations qui étaient entravées.
Messieurs, on a dit que nos importations pendant les quatre premiers mois de l'année 1846 semblaient décroître d'une manière sensible. Cela est vrai ; mais il ne faut pas méconnaître quelles en sont les causes. J'ai déjà eu occasion de les indiquer. Le lin est rare et il est cher. La rareté de la matière première est une des causes du peu de développement de notre industrie linière et de la décroissance de nos exportations.
Mais la cause fondamentale, messieurs, c'est la crise des subsistances, c'est la disette des pommes de terre. Ce qui le prouve, c'est que cette décroissance dans nos exportations n'est pas seulement relative à l'industrie linière, mais elle atteint toutes les branches de notre industrie. Ainsi, pendant les quatre premiers mois de l'année courante, un fait frappant, c'est que non seulement toutes nos exportations ont diminué, mais que surtout notre mouvement d'importation a sensiblement baissé. A quoi faut-il attribuer cet état de choses ? Evidemment à la crise des subsistances. C'est qu'on a moins acheté, on a moins consommé, on a moins fabriqué. Cette crise était prévue ; ces résultats ne doivent surprendre personne.
Messieurs, je vous ai démontré que les avantages que le traité nous donne ont plus d'importance qu'on ne l'avait reconnu. Je conteste formellement que les avantages pour l'industrie linière aient été amoindris par la convention que nous discutons. Je dis qu'ils sont supérieurs aux avantages obtenus en 1842.
Examinons maintenant, messieurs, l'étendue réelle des sacrifices que le traité nous impose. Examinons jusqu'à quel point l'industrie de la laine est compromise par le traité.
J'appelle, messieurs, l'attention de la chambre sur ce point. Je demande, malgré la fatigue de la chambre dans cette longue discussion, de bien vouloir continuer à me prêter une bienveillante attention. Car c'est sur ce point que les objections se sont élevées, et je pense qu'il me sera facile de démontrer qu'on a singulièrement exagéré les résultats de la convention relativement à l'industrie lainière.
Je vais examiner trois points : la question des tissus de laine, écrus, teints et blanchis que l'arrêté de 1843 concerne ; la question des fils de laine cardée et peignée, et la question de la draperie et des tissus similaires relativement à la suppression de la surtaxe établie en 1838.
Je vais restituer aux faits toute leur vérité.
Avant le traité, la question qui paraissait dominante était celle des tissus de laine que l'arrêté du 14 juillet a protégée.
Vous avez dû être frappés comme moi de ce que les honorables membres qui ont pris part à la discussion, et qui ont combattu le traité, ont glissé légèrement sur la question des tissus de laine qui est la question principale du traité. La chambre de commerce de Verviers en dit peu de chose ; elle se déclare presque incompétente.
L'honorable M. David n'en a pour ainsi dire rien dit. (Dénégation de la part de M. David.) L'honorable membre qui m’interrompt me répondra mieux, quand j'aurai cité les faits.
L'honorable M. Dumontier a parlé de la filature ; mais il a présenté très peu d'arguments sur la question des tissus de laine qui primé cependant celle de la filature.
Il est impossible de soutenir que le traité amènera, je ne dis pas la ruine de l’industrie des tissus de laine, mais le moindre danger sérieux pour cette industrie.
Non seulement elle ne sera pas tuée, mais je démontrerai à toute évidence qu'elle ne sera pas même blessée et que l'arrêté du 14 juillet restera pour elle avec sa protection presque tout entière.
J'ai à cet égard une conviction profonde.
Je ne citerai qu'un fait.
A Mouscron et à Courtray, localités où l'on travaille la laine, on a vainement demandé aux fabricants de tissus de laine de signer les pétitions contre le traité ; ils s'y sont refusés, parce qu'ils savent que leur industrie n'est nullement compromise.
M. de Haerne. - Il en est qui ont signé des pétitions en faveur au traité.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Voilà un fait qui, selon moi, en dit plus que beaucoup d'arguments.
Plusieurs fabricants de tissus de laine m'ont déclaré à moi-même que la réduction de 25 p. c. ne pouvait nuire sérieusement à leur industrie.
L'arrêté du 14 juillet a été porté pour protéger les tissus plutôt contre la concurrence anglaise que contre la concurrence française. Cela a été bien des fois proclamé et reconnu.
En 1844 dans nos importations totales, l'Angleterre figure pour les deux tiers ; la France ne figure pas même pour le tiers. Or, il est reconnu que dans ce tiers, c'est-à-dire dans les 138,000 kilog. que la France nous importe, la moitié au moins ne se fabrique pas en Belgique et ne se fabriquera pas en Belgique.
Il y a pour cela deux excellentes raisons : d'abord c'est que pour les tissus français où la mode domine, les satins-laine pure laine, les damassés façonnés, les mérinos fins, les mousselines-laine pure laine, les barèges, etc., jamais on n'a eu l'espoir de voir l'industrie belge aborder cette fabrication. Il était d'ailleurs impossible de l'aborder, parce que l'arrêté du 14 juillet ne protège ces tissus que d'un droit de 2 à 6 p. c. Or, comment prétendre qu'avec une aussi insuffisante 'protection, la Belgique aurait entrepris la fabrication des tissus de mode de haute fantaisie que la France nous enverra, quelle que soit l'élévation du tarif ? Cela n'est pas soutenable.
J'ai dit que l'Angleterre figurait dans les importations totales pour 270,000 kil., et l'Angleterre nous envoie précisément les tissus pour la fabrication desquels nous sommes dans d’excellentes conditions de travail et de tarif, les stoffs, les mérinos anglaisées mousselines-laine, chaîne coton, les serges, les orléanaises, les tissus de Roubaix que Mouscron confectionne et qui forment la consommation la plus considérable. Or, ne l'oubliez pas, pour ces tissus, la protection reste encore très considérable, après l'adoption du traité du 15 décembre.
Je citerai des chiffres.
J'ai sous les yeux des tableaux qu'on ne contestera pas ; ils ont été fournis avant et pendant les négociations par les fabricants eux-mêmes. J'ai un tableau fourni par l'un des fabricants les plus intéressés dans la question ; il en résulte que la protection sur les produits que nous fabriquons et où nous avons d'immenses progrès à réaliser restera fixée comme suit.
Sur les stoffs, les napolitaines, orléanaises, mousselines-laine chaîne coton imprimées, serges, mérinos anglais, la protection, après la réduction des 25 p. c., restera de 20 p. c.
Sur les satins-laine de 15 p. c.
Sur les étoffes façonnées pour pantalons et les thibets teints de 21, 22 et 23 p. c.
Sur les tweens et les mousselines-laine chaîne coton, blanchis, de 28 à 30 p. c.
Cette protection reste suffisante.
Ou conçoit qu'avant de songer à faire concurrence aux tissus de haute fantaisie de France qui s'adressent à une consommation restreinte, et sur lesquels les droits sont de deux à six p. c., nos fabricants chercheront à conquérir les 270,000 kil. de tissus de plus facile imitation que nous envoie l'Angleterre.
Messieurs, je dis donc que relativement aux tissus de laine et à l'arrêté du 14 juillet (et c'est la question dominante), je dis que non seulement on ne ruine pas cette grande, cette belle industrie, mais qu'on ne la compromet en rien. J'ai cette conviction profonde résultat d'un examen sérieux, et j'ai la certitude que cette conviction est partagée par la plupart des fabricants eux-mêmes.
On a parlé de la primé ; on a dit : Mais la prime de sortie qui se paye en France compense en partie le droit protecteur de 15, 20 et 30 p. c. qui existerait encore après l'exécution du traité du 13 décembre. Eh bien, (page 1834) messieurs, j'ai naturellement dû examiner avec le plus grand soin cette question, et je puis dire qu'il est impossible de faire une enquête plus minutieuse que celle que j'ai faite. Je prie les honorables membres qui auraient encore quelque doute dans leur esprit, d'examiner un travail que j'ai déposé sur le bureau de la chambre. J'ai calculé quelle était la valeur de la prime de sortie en France, relativement au droit qui frappe la laine à l'entrée pour toutes les espèces de tissus de laine que l'arrêté du 14 juillet concerne ; ce travail a eu pour résultat de prouver que sur toutes les catégories de tissus de laine, non seulement la prime n'est pas une prime de sortie dans la véritable acception du mot, mais que ce n'est pas même une restitution intégrale du droit de 22 p. c. qui pèse sur la laine à l'entrée en France. Il y a même sur certaines catégories une différence assez grande.
Mais, messieurs, en défiance de ces calculs, je les ai soumis à un intéressé lui-même et je puis le dire, à celui de tous les intéressés qui est le plus fortement blessé par le traité du 13 décembre ; je crois pouvoir citer son nom : c'est M. Scheppers qui est évidemment celui dont les intérêts sont le plus fortement lésés par le traité.
Eh bien, messieurs, le travail dont je viens de parler, qui a été fait consciencieusement, sur les lieux mêmes, à Mouscron, à Roubaix, et dans d'autres localités où les tissus de laine se fabriquent, ce travail je l'ai soumis au contrôle de M. Scheppers, et j'ai déposé sur le bureau les observations critiques de cet industriel qui avait intérêt à contester l'exactitude de ces chiffres.
Or, en tenant compte de quelques erreurs évidentes dans lesquelles il est tombé, il résulte de ce travail que la prime sur les satins-laine, sur les stuffs, sur les mousselines-laine chaîne coton, sur les mousselines-laine pure, que la prime sur ces tissus équivaut à peine à la restitution intégrale du droit de 22 p. c. qui pèse sur les laines en France. Ce travail est déposé sur le bureau ; il est soumis à l'inspection des membres de la chambre, et je crois qu'il serait très difficile de le réfuter.
Ainsi, messieurs, pour le tissage de la laine, je le répète, il est impossible de soutenir avec quelque apparence de raison que le tissage de la laine est compromis ; il est impossible de croire que la réduction de 25 pour cent consacrée par le traité, puisse blesser ce grand intérêt. J'ai la conviction qu'aucun obstacle n'est mis à l'extension de cette fabrication.
Nous avons, je le répète, à conquérir les deux tiers de l'importation totale, que l'Angleterre introduit chez nous, et l'autre tiers, qui nous est envoyé par la France échappe en grande partie à notre concurrence, à la possibilité de les fabriquer en Belgique.
En résumé, je soutiens que l'arrêté du 14 juillet, dont on a tant parlé, reste entier à peu près relativement au tissage de la laine, que la protection accordée à cette industrie demeure suffisamment élevée.
Mais, messieurs, il est une autre question, qui, quoique moins importante que celle du tissage de la laine, a cependant aussi son importance, c'est la question de la filature. D'abord, messieurs, il faut distinguer soigneusement entre la filature de la laine cardée et la filature de la laine peignée.
Il ne s'agit pas, selon moi, relativement à l'arrêté du 14 juillet, de la filature de la laine cardée ; la filature de la laine cardée s'est développée depuis l'arrêté du 14 juillet, mais elle a suivi le progrès et les développements de la draperie à laquelle elle se rattache. Ces progrès ne concernent pas l'arrêté du 14 juillet, qui est étranger à la draperie. On a donc confondu deux questions distinctes lorsque, à propos de l'arrêté du 14 juillet, on a parlé des progrès de la filature de la laine cardée ; aussi longtemps que la draperie se développera, évidemment la filature de la laine cardée suivra les mêmes perfectionnements.
Si l'arrêté du 14 juillet n'avait pas été pris, la draperie et les tissus similaires n'auraient pas reçu moins de développement, et la filature de la laine cardée eût suivi les mêmes progrès. Il ne s'agit donc nullement de la laine cardée.
Du reste, cette industrie est aussi ancienne en Belgique qu'en France, elle est aussi avancée en Belgique qu'en France ; elle a existé avant l'arrêté du 14 juillet, elle existera après le traité du 13 décembre, dans les mêmes conditions.
Avant l'arrêté du 14 juillet on n'a jamais réclamé de protection pour la laine cardée, toujours on a réclamé une protection plus grande pour les seules fabriques de laine peignée.
Ainsi, messieurs, il faut dégager le débat de la question de la filature de la laine cardée ; il ne s'agit pas de cette industrie ; tous les chiffres mis en avant pour démontrer qu'elle s'est développée depuis 1843, tous ces chiffres sont ici de nul effet, et il est impossible d'en tirer aucune conséquence.
L'intérêt qui seul peut paraître compromis, c'est donc la filature de la laine peignée.
A cet égard, je commence par reconnaître, parce que je veux être vrai avant tout, que des intérêts individuels pourront être blessés par le traité ; mais c'est une question très grave, comme l'a dit l'honorable M. d'Elhoungne, que celle de savoir si une diminution de droits sur le fil de laine peignée n'est pas plutôt un bien qu'un mal. Je ne veux pas résoudre cette question maintenant, mais il est évident, comme l'honorable M. Dumortier le disait en 1838 et comme il l'a répété encore hier, qu'il ne faut développer la filature qu'après avoir développé le tissage. Eh bien, le tissage, relativement aux tissus de laine que l'arrêté du 14 juillet a pour but de favoriser, s'est, développé sans doute jusqu'à un certain point, mais ses progrès sont encore à l'état d'enfance, comparativement l'avenir qui lui est réservé.
Je dis donc que c'est une question grave que celle de savoir si, comme on l'a fait en Allemagne pour l'industrie cotonnière, il ne serait pas plus sage de donner moins de protection à la filature, pour s'attacher davantage au tissage. A l'heure qu'il est, les fabricants vont encore acheter en partie leurs fils de laine peignée en France et en Angleterre, et ils sont unanimes pour reconnaître que le tissage prendrait de grandes proportions, si le prix de cette matière première était réduit.
Mais il est un autre fait que la chambre ne doit pas perdre de vue. Si, lorsque nous devons accepter dans le traité une réduction de 25 p. c. sur les tissus de laine, il n'y avait pas eu, comme corrélation, une diminution sur le fil de laine peignée, évidemment nous frappions deux fois l'industrie des tissus.
Je commence par reconnaître qu'il y aura des intérêts individuels compromis relativement à la filature ; mais je soutiens que la mesure, comme mesure économique, peut être considérée plutôt comme bonne que comme mauvaise ; je dis que dans tout état de cause, lorsque nous réduisions le droit sur les tissus, il était nécessaire qu'une réduction correspondante fût établie sur le fil.
Mais les intérêts individuels qui seront compromis, sont-ils nombreux, importants ? J'ai déposé sur le bureau les résultats d'une enquête toute récente qui a été faite par le département de l'intérieur dans toutes les localités où l'on fabrique de la laine. Eh bien, messieurs, voici quels sont les faits nouveaux qui ont été introduits dans la filature de la laine peignée depuis l'arrêté du 14 juillet 1843 ?
Avant cet arrêté, il y avait en activité, pour filer la laine peignée, 3,260 broches ; ce nombre s'est élevé à 6,150 depuis que l'arrêté est intervenu ; ainsi le nombre de broches nouvelles, mises en activité depuis cette dernière époque, montait à 2,890 broches. Mais il faut déduire de ce chiffre les 1,700 broches de la fabrique de M. Philippart, à Tournay, parce que ces 1,700 broches ont été cédées à M. Philippart par M. Lousberg-Thiry qui avait à Gand une filature de fil de laine avant le 14 juillet 1843 ; donc le nombre des broches nouvelles, mises en activité depuis cette époque, est réduit à 1,190 broches ; il faut ajouter à ce chiffre les 2,000 broches de la fabrique de M. Scheppers, que l'on monte actuellement près de Bruxelles, et j'ai dès lors 3,190 broches.
L'honorable M. Dumortier a dit qu'un industriel de Tournay monte 2,000 nouvelles broches ; je l'ignore, mais je devrais conclure de ce fait que l'industriel dont il s'agit ne croit pas que le traité du 13 décembre ruinera cette industrie, car il est impossible de supposer qu'on continue à monter 2,000 broches, lorsqu'on pense que cette industrie est à la veille de périr.
Ainsi, ce sont 3,190 broches que le traité pouvait compromettre, Or, ces 3,190 broches ont sans doute une importance relative ; mais lorsqu'on songe que dans les deux seules localités de Roubaix et de Tourcoing, il y a 180,000 broches en activité ; qu'en France beaucoup de fabriques comprennent 5,000 et quelques-unes 10,000 et jusqu'à 20,000 broches, il faut reconnaître que les 5,190 nouvelles broches mises en activité depuis 1843, forment un intérêt certainement respectable, mais en général peu important.
Messieurs, je vais examiner une troisième question. Jusqu'à quel point le traité compromet-il réellement les filatures de laine peignée ? Ces filatures vont-elles mourir le lendemain de l'adoption du traité ?
D'abord, je dirai que celles qui existaient avant 1843 continueront de subsister après le traité, puisqu'on les replace dans la même position où elles se trouvaient alors.
Il y a une première remarque à faire ; c'est que les deux grandes filatures de Verviers, la société belge pour la filature de la laine peignée, la filature de M. Grandry, et la filature attachée à la manufacture royale des tapis de Tournay, sont montées, en grande partie du moins, d'après le système anglais pour filer la laine d'Irlande et de Kent ; or, le mode anglais n'a aucun rapport avec le mode français de fabrication ; par conséquent, il ne s'agit pas, pour nos industriels, de la concurrence française, mais il s'agit seulement de la concurrence anglaise. Or, le traité ne touche pas à l'Angleterre ; la protection reste entière contre les fils venant de l'Angleterre.
Une seconde remarque qui se rattache à celle que je viens de faire, c'est que plusieurs filatures de laine peignée, celle, entre autres, qui est annexée à la manufacture royale des tapis de Tournay, ainsi que les fabricants de bonneterie de cette ville, fabriquent du fil, non pour la vente, mais pour leur propre usage. Eh bien, toutes ces fabriques, qui sont en assez grand nombre, continueront d'exister.
Evidemment la filature de la manufacture royale qui fabrique pour elle-même, pour la fabrication des tapis, comme la filature de Verviers qui fabrique pour le tissage des serges et des mérinos anglais, ne seront pas compromises, puisque la fabrication des tapis, des serges et des mérinos anglais conservent leur protection.
M. Dumortier. - Ces renseignements sont inexacts.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je dis qu'ils sont très exacts et mon affirmation vaut la vôtre.
Ainsi, messieurs, pour résumer ce que j'ai avancé relativement à la filature, je dis que, dans la discussion actuelle, il n'est pas question de la filature de laine cardée, qu'elle n'est pas compromise, car l'arrêté du 14 juillet ne la concerne pas. Pour la laine peignée je reconnais que des intérêts particuliers peuvent être lésés, mais que, comme mesure économique, la stipulation est très justifiable. J'ajouterai que les intérêts individuels compromis sont loin d'être aussi considérables qu'on l'a prétendu, et même qu'une partie notable des filatures se trouveront après (page 1835) le traité dans des conditions à peu près aussi bonnes qu'aujourd'hui.
Il me reste à examiner la question de la draperie, c’est-à-dire la question des surtaxes de 9 et 6 1/2 p. c. établies en 1838, sur les draps et tissus similaires de provenance française.
Je me sens un peu fatigué.
L'honorable M. Lys est inscrit, comme il traitera cette question, je demanderai à la chambre la permission de m'arrêter ici et d'attendre pour continuer que l'honorable M. Lys ou d'autres orateurs aient parlé.
M. Lys. - Je ne doute pas que M. le ministre des affaires étrangères ne doive être fatigué de la part qu'il a prise à cette discussion, car voilà trois séances qu'il nous tient tandis que deux orateurs seulement ont parlé contre la convention.
Je commencerai par répondre à quelques observations de M. le ministre des affaires étrangères. M. le ministre vous a fourni la critique la plus sévère du traité qu'il veut nous faire ratifier. En effet, que vous a-t-il dit ? j Que nos grands centres d'industrie, et il en a fait une longue énumération, n'ont aucun intérêt à nos relations avec la France ; et c'est dans cet état de choses, qu'on vient nous demander des avantages pour l’industrie lainière de France afin qu'elle puisse venir détruire la nôtre ! Je comprends peu comment M. le ministre a pu tenir un pareil langage, car il a énuméré une masse de grands centres d'industrie qui ne font aucune affaire avec la France ; et au moyen du traité dont il vous demande la ratification, il vient détruire la principale de nos industries.
Que vous a dit M. le ministre ? Nous faisons des sacrifices, mais nous avons l'espérance d'un meilleur avenir. Voilà le beau motif qu'il a fait valoir ! Mais en 1838, quand vous avez accordé à la France l'entrée de ses fabricats drapiers, n'avez-vous pas dit déjà : Nous faisons cet avantage à la France, parce que nous avons l'espoir que la France supprimera aussi la prohibition qui pèse sur nos produits ! Vous avez fait cela en 1838, espérant que la France apprécierait vos bons procédés. Vous est-il permis d'espérer encore, lorsque depuis huit ans la France maintient la prohibition de nos tissus de laine ?
Le ministère ne pouvait plus sacrifier le présent à l'espérance d'un meilleur avenir ; il ne pouvait perdre de vue le résultat obtenu dans le passé.
Il y a peu de temps, M. le ministre des affaires étrangères disait avec emphase : L'industrie drapière nous a remercié de l'arrêté du 14 juillet. Je voudrais savoir s'il pense encore mériter les mêmes remerciements. On peut lui reprocher, au contraire, que, par cet arrêté, il a trompé l'industrie lainière ; et, en effet, quel peut être, après la ratification du traité, le résultat de l'arrêté de 1843 ? Confiants dans les actes du gouvernement, nous avons employé des capitaux pour faire face à des besoins du pays,, comptant sur l'arrêté de 1843, qui nous permettait de lutter avec la France à armes égales. Voilà ce que nous avons fait.
Je le dis franchement, si le traité avec la France est ratifié, le gouvernement n'aura rien autre chose à faire que de nous traiter comme il traite l'industrie linière, de nous vendre des laines au-dessous du prix, en établissant, comme dans les Flandres, des comités où les mendiants vont se pourvoir de fils, au grand détriment des ouvriers actifs et honnêtes. Nous aurons ainsi la lèpre de la taxe des pauvres, comme en Angleterre, avec cette différence que l'Angleterre, à côté de cette taxe des pauvres, tâche de faire progresser son industrie, tandis que le gouvernement belge empêche le progrès de la nôtre en introduisant chez nous les produits de l'industrie étrangère d'un pays qui prohibe nos produits similaires. Et c'est cette noble manière que veut adopter le ministère pour enrichir le pays !
Quant à ce qu'a dit M. le ministre relativement aux droits d'entrée et à certaines primes que nous disions existera la sortie des tissus de laine en France, je répondrai par l'exposé de motifs du 8 mai 1844. Le ministère n'a pas à se plaindre, car je ne me sers que de ses propres motifs qu'il nous a fournis à l'appui de son projet de loi. Là tous les calculs sont faits ; ce sont ces calculs que je prends pour répondre à ce qu'il dit aujourd'hui.
Je prends donc l'exposé de motifs du projet de loi ayant pour objet la ratification de l'arrêté du 14 juillet 1843.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Ce n'est pas de moi.
M. Lys. - Quand nous parlons du gouvernement, nous ne parlons pas des personnes ; celui qui viendra après vous dira la même chose, et le dira avec raison ; d'ailleurs vous faisiez alors partie du ministère, vous avez dû délibérer sur cette question.
(Note du webmaster : les Annales parlementaires comprennent un tableau intitulé « Aperçu des effets du tarif pour les tissus français ». Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée.)
« Voilà quelles sont les primes existantes en France et comment elles atténuent en grande partie, pour les tissus français, les droits nouveaux qu'il s'agit d'établir sur les tissus de laine en Belgique. On a vu ci-dessus, quelles sont leur hauteur et leur portée pour les fils de laine.
« Faut-il pour cela en ajouter le montant à celui des droits proposés ?
« On ne le croit pas.
« Il est vrai que les chambres de commerce consultées et les industriels intéressés se sont accordés à demander cette addition à l'instar de ce qui a été fait par la loi du 7 avril 1838, pour les draps et la bonneterie de laine.
« Il est vrai encore qu'à plusieurs égards, l'addition de la prime au montant des droits d'entrée, peut paraître équitable. Et, en effet, cette prime n'est pas simplement une restitution des droits d'entrée : on n'exige, pour l'obtenir, la production d'aucune quittance du payement des droits perçus sur l'importation de la matière première ; en outre, le droit ad valorem de 22 p. c. existant en France sur la laine étrangère s'élude en grande partie en douane, comme tout droit ayant pour assiette la valeur de l'objet ; et, d'ailleurs, les fils et tissus de laine exportés de ce pays avec prime, peuvent se fabriquer et se fabriquent en effet avec des laines indigènes qui n'ont supporté aucun droit d'entrée.
« Ainsi, on le répète, la restitution accordée en France est, en grande partie, il faut bien le reconnaître, une véritable prime et non-seulement un drawback. »
Voilà, messieurs, les paroles de M. Nothomb, ministre de l'intérieur, et remarquez bien que M. Dechamps faisait alors partie du conseil auquel ce projet de loi a dû nécessairement être soumis, et qui en a discuté les motifs.
Vous voyez, messieurs, que le traité dispense les fabricants de Verviers de nouveaux remerciements, et que force est pour eux de rétracter leurs expressions de gratitude, par un blâme bien mérité.
Vous voyez aussi que le ministère devra, an besoin, recourir à des comités pour vendre la laine à bon marché aux fabricants, comme il a fait dans les Flandres pour le lin, car nos petits fabricants seront tout aussi malheureux que les ouvriers des Flandres. Vous aurez, enfin, à fournir les moyens d'existence aux ouvriers de l'industrie lainière, comme vous l'avez fait pour la linière. Libre à vous de vous mettre à la recherche d'une nouvelle industrie à sacrifier, pour aviser à faire face, dans six ans, aux exigences nouvelles de la France.
Une question de la plus haute gravité est dans ce moment soumise à l'appréciation de la chambre. Vous avez, messieurs, à vous prononcer sur la nature et la portée des dispositions contenues dans le traité conclu arec la France.
L'intérêt du pays et de sa prospérité est le seul guide que la législature ait à suivre dans l'appréciation de cette convention internationale.
(page 1836) Si cet intérêt exige la non-approbation du traité, vous n'hésiterez pas, messieurs, un seul instant : vous repousserez le traité comme désastreux pour le pays et pour l'industrie nationale, quelque délicate que soit ou que puisse être la question de convenance, que l'on n'a pas manqué de jeter dans le débat.
Voyons maintenant et le traité et les causes qui ont amené ce traité, et les conséquences qu'il doit infailliblement avoir.
En matière de douane et de tarif, tout pays doit avoir et doit suivre un système homogène, dominé par un principe unique, recevant dans une juste proportion une application égale et uniforme à chaque espèce de produits. Ainsi, lorsque la législation douanière admet le principe de la protection en faveur du travail national contre la concurrence étrangère, ce principe doit être suivi à l'égard de toutes les industries. Tout le pays est aujourd'hui régi par le système protecteur ; personne ne peut se plaindre parce que chacun jouit également de la faveur de la loi, et qu'ainsi il y a compensation et maintien de l'équilibre. Si, dans certains cas, on dévie du principe, il y a injustice commise au préjudice de l'une des branches de l'industrie nationale, et il y a privilège créé au profit des autres.
La législation suivie aujourd'hui en Belgique, admettant et consacrant le principe de protection au profit de l'industrie nationale, ce principe reçu et proclamé, il faut bien en admettre toutes les conséquences.
C'est dans cet état de choses, que le gouvernement vient vous proposer d'abaisser, en faveur de la France, la protection que le tarif accorde à l'industrie de la laine.
On veut aujourd'hui modifier le système établi, on vous demande de retirer à l'industrie lainière la part de protection que la loi lui accordait ; on ouvre le marché intérieur à la France, pour les draps, les étoffes et les fils de laine, et ce sacrifice a lieu, pour maintenir un souffle de vie dans une industrie frappée au cœur, et pour contribuer au développement de l'industrie de la filature des fils de lin à la mécanique.
Y a-t-il justice, messieurs, de priver l'industrie lainière de la protection à laquelle elle a un droit incontestable ? Y a-t-il justice et équité à sacrifier cette industrie à la conservation de nos rapports avec la France, lorsque, de l'aveu de tous, la France s'est étudiée à nous enlever, par pièce et par lambeau, chacune des concessions qu'elle avait pu nous faire, lorsque la France refuse de nous traiter sur un pied de réciprocité parfaite ?
Comment se fait-il que l'arrêté du 14 juillet, que l'on considérait comme un acte de toute justice, que l'on considérait comme ayant donné de l'impulsion à l'industrie de la laine et comme ayant contribué à sa prospérité, soit aujourd'hui abandonné et rejeté ? Vous n'avez pas oublié, messieurs, que l'un de mes honorables amis, M. d'Elhoungne, se plaignait naguère de ce que le gouvernement n'avait pas persévéré jusqu'au bout, dans la ligne de conduite dont l'arrêté du 14 juillet lui semblait présager l'adoption.
Vous vous rappellerez, messieurs, que cet honorable membre vous signalait l'industrie cotonnière comme étant exposée à soutenir une lutte avec la concurrence française, sans trouver dans la loi la protection qu'elle avait le droit d'en attendre, parce que l'arrêté du 15 octobre sur les cotons, contenait une double exception, à savoir : pour la France et pour l'Allemagne ; et aujourd'hui, alors que sur la foi des promesses contenues dans l'arrêté du 14 juillet, de nouveaux établissements ont surgi ; alors que les anciens ont pris une plus grande extension, on vous propose de détruire une mesure qui a contribué, et contribue encore, au développement et à la prospérité de l'industrie de la laine ! Est-ce là être conséquent ? Est-ce là un acte rationnel du gouvernement ?
Pour qu'un traité aussi étrange ait été conclu, il faut que le gouvernement prouve qu'il a été en présence de besoins tellement graves et tellement pressants, qu'il a dût consentir inévitablement et forcément, le sacrifice de l'avenir et de la prospérité de l'industrie lainière.
Où est la preuve de ces besoins urgents ? Où est la preuve de la nécessité de sacrifier l'industrie de la laine ? De quelque côté que nous nous tournions, nous ne pouvons apercevoir les raisons qui ont dominé le cabinet ; cet inconcevable traité est tout à l'avantage de la France, et si tous les négociateurs avaient appartenu à nos voisins, on n'aurait pu faire mieux que le traité dont on demande la ratification à vous, messieurs, qui êtes ici pour défendre et stipuler les intérêts de la Belgique.
Le gouvernement n'allègue qu'une cause pour justifier le traité : c'est la position pénible de l'industrie linière, c'est la nécessité de lui conserver le débouché de la France.
La question ainsi posée, quelle est donc l'importance de l'industrie linière, quel est son degré d'avenir ?
Les souffrances de cette industrie sont dues à une révolution dans la fabrication des fils et des toiles.
La filature à la mécanique remplace aujourd'hui la filature à la main et le mode de tisser la toile a aussi subi de profondes altérations. C'est l'ancienne industrie linière, que le gouvernement veut soutenir, et c'est, par suite une lutte que le gouvernement veut entreprendre contre les découvertes nouvelles, et contre l'application de nouveaux procédés, dont la connaissance est due aux progrès, des sciences manufacturières. La chambre ne doit pas permettre au gouvernement de s'engager dans une voie aussi dangereuse : c'est un malheur pour le pays, et pour les individus eux-mêmes, que de perpétuer l'agonie d'une industrie qui se meurt.
C'est dans la pétition des fabricants de Roulers que je trouve la preuve de la triste position de l'industrie de la filature à la main. Nous l'avions annoncée depuis longtemps.
Le nouveau mode de fabrication des produits liniers a tué les procédés anciens ; il n'y a plus d'avenir possible pour cette industrie, que dans la transformation qu’elle doit nécessairement et inévitablement subir. On a donné quatre ans à la routine, pour sortir de l'ornière de l'habitude, et pour entrer dans de nouvelles voies ; c'est déjà plus que l'on n'aurait dû faire. Que serait devenue l'industrie de la laine si elle ne se tenait pas à la hauteur de tous les progrès, de toutes les innovations qui ont eu lieu dans les procédés de fabrication ? Que serait devenue l'industrie drapière, si on avait persévéré à suivre l’ancien mode de filature au rouet, si on n'avait pas adopté les améliorations, résultant de l'application des machines, au travail de fabrication ?
L'industrie de la laine a subi, et subit encore tous les jours, cette transformation progressive de tous les instants. Elle subit cette transformation sans murmure et sans demander au gouvernement une protection, autre que celle qui résulte du tarif.
Que vous disent MM. les fabricants de tissus liniers de Roulers ? Voici un extrait de leur pétition :
« Pour nous, nous déclarons hautement que, dans les conditions actuelles du traité, nous pouvons lutter encore avec nos voisins, et lutter avec succès. Pour cela que faudrait-il ? Abandonner la guerre désastreuse qui s'exerce au sein même du pays, encourager le développement des procédés mécaniques, organiser le travail sur de nouvelles bases, faire en sorte que l'impulsion de la réforme soit donnée par des hommes puissants par leurs capitaux et recommandables par leur intelligence et leur caractère. Dans ces nouvelles conditions, le travail sera fructueux, les débouchés s'établiront naturellement, et le gouvernement n'aura plus à s'imposer de stériles sacrifices pour soutenir une industrie dont l'impuissance est reconnue par ses plus ardents partisans.
« Nous sentons le besoin de rendre ici un sincère hommage aux nobles efforts que des hommes généraux et désintéressés ont tentés pour relever l'industrie linière sur ses antiques bases ; mais, au risque de nous faire taxer d'inhumanité, nous croyons devoir vous dire encore une fois, messieurs, que le mal de la situation n'est pas ailleurs que chez nous ; il est dans l'existence des comités, dans la vente anormale de leurs produits, dans la distribution de subsides employés à combler le déficit résultant d'une concurrence impossible, et qui paralysent les efforts des hommes courageux qui prétendent encore lutter à leurs risques et périls. Non, ce n'est ni par inhumanité, ni dans des vues intéressées que nous vous disons cela ; nous le disons parce que nous avons la conviction de remplir un devoir, et que nous voulons le remplir, quelque pénible qu'il soit. »
Je demanderai maintenant à l'honorable M. Rodenbach, ce qu'il pense de ses industriels de Roulers, qui ne veulent plus entendre parler de l'industrie linière à la main, lui qui nous disait en 1842 : « Quant à la mécanique, elle est puissante par elle-même, elle n'a pas besoin de protection, ce sont nos malheureuses fileuses qui ont besoin d'une protection efficace. »
Cet honorable membre ne peut être d'accord avec les fabricants de Roulers, qui soutiennent avec raison, que le mal est dans l'existence des comités, qui ne font que nuire aux bons tisserands qui n'entendent pas se faire inscrire sur la liste des mendiants, et aux communes qui repoussent ces comités.
Vous le voyez, messieurs, il ne s'agit plus de l'ancienne industrie linière ; elle n'existe plus, disent les fabricants de Roulers ; ce qu'on a fait, ce qu'on ferait pour cette industrie, se réduit à des efforts incessants, mais infructueux ; ce sont même des mesures déplorables, c'était, si vous voulez, une sainte pitié pour le malheur, mais c'était agir au détriment de la nouvelle industrie linière ; aussi, appellent-ils concurrence ruineuse l'industrie des toiles à la main.
Il résulte de là, messieurs, que ce n'est point pour l'ancienne industrie linière, mais pour des procédés nouveaux, pour l'industrie de la fabrique des toiles à la mécanique, qu'il faut sacrifier l'industrie lainière.
Le rejet du traité aurait pour conséquence, disent les fabricants de Roulers, le renvoi immédiat des ouvriers, que la filature à la mécanique, occupe ; mais je demanderai, à mon tour, que résultera-t-il de l'approbation du traité, pour un bien plus grand nombre d'ouvriers que l'industrie lainière emploie ? Il faut du temps, disent ces mêmes fabricants, pour substituer le tissage de la laine au tissage de la toile ; donc il faut continuer, quant à présent, à protéger le tissage de la toile ; mais en agissant ainsi, quand le temps arrivera de substituer le tissage de la laine à celui de la toile, trouvera-t-on encore l'industrie lainière ? Non, messieurs, vous l'aurez tuée pour gagner du temps, en faveur de l'industrie de la toile à la mécanique, vos deux industries n'existeront plus.
Ce n'est donc plus, je le répète, en faveur de l'industrie linière à la main que le traité est fait, c'est en faveur de cette industrie à la mécanique.
El que vous disait M. le ministre de l'intérieur en 1838 ? Voici ses paroles.
« La protection qui est réclamée par la filature indigène, doit être envisagée sous deux rapports : sous le rapport de la filature à la mécanique et sous le rapport de la filature à la main ; s'il ne s'agissait que de la filature à la mécanique, je n'hésiterais pas de m'opposer à toute espèce de majoration, car les personnes qui s'occupent de cette industrie m'ont assuré qu'aucune protection ne lui serait nécessaire, et cela se conçoit : puisque nous avons en notre possession les mêmes machines perfectionnées qu'en Angleterre. »
Pour vous démontrer combien est injuste la base du traité, il me suffit de vous signaler la perturbation qui a été jetée dans le commerce de (page 1837) transport par la construction du chemin de fer ; a-t-on accordé une indemnité aux propriétaires dont les immeubles ont perdu toute leur valeur par le délaissement des grandes routes ? A-t-on donné aux entrepreneurs de messageries et aux entrepreneurs de roulage un délai pour les préparer à la secousse qu'allaient éprouver leurs affaires et leurs rapports ? Non, messieurs, l'Etat n'a rien fait et ne devait rien faire. Il y avait cependant dommage, il y avait une innovation capitale créée dans le pays, il y avait monopole de l'industrie de transport créé en faveur de l'Etat par le fait de l'anéantissement de toute concurrence possible.
On n'a rien fait pour l'industrie de transport, la transition s'est opérée brusquement et sans délai ; le commerce de transport peut donc vous, dire avec raison, que c'est une faute très grave en politique, que d'avoir deux poids et deux mesures en matière de protection.
L'industrie linière a joui pendant quatre années d'un traité exceptionnel dans ses rapports avec la France ; ce traité, que l'on présentait comme une panacée d'un effet infaillible, a-t-il ranimé la prospérité de l'industrie linière ? A-t-il rendu la vie à une industrie que le mépris des progrès dans les procédés de fabrication a tuée ? Mon, messieurs, l'ancienne industrie linière, galvanisée un moment, n'a pu renaître ; aussi le gouvernement avoue que le traité de 1842 n'a pas produit tous les effets que l'on en espérait ; la conséquence de cet aveu, c'est que le renouvellement de ce traité ne devait pas être acheté par de nouvelles concessions ; cela est évident ; malheureusement, le cabinet a une autre logique ; la conséquence pour lui a été que le traité devait être renouvelé, et que le renouvellement de ce traité devait être acheté au prix de concessions nouvelles.
En vérité, messieurs, c'est à n'y rien comprendre ; il n'y a de meilleure démonstration que le traité est dirigé contre les intérêts de la Belgique industrielle, que l'exposé des motifs qui accompagne le projet de loi contenant ratification de ce traité. M. le ministre fait l'historique de nos rapports avec la France, et il démontre clairement, que le tarif français de 1836 et le tarif belge de 1838 étaient le résultat d'une convention bilatérale entre les deux pays, et que, par conséquent, la Belgique avait le droit de voir ses produits liniers échapper aux aggravations de tarif adoptées par la France ; et après avoir fait cette démonstration, après avoir ensuite établi, que le traité de 1842 n'avait pas été d'une efficacité bien réelle, M. le ministre vous propose cependant d'acheter, au prix d'énormes sacrifices nouveaux, le renouvellement de ce traité ; il y a, messieurs, dans ce procédé, quelque chose de si crûment inconséquent, qu'il est impossible de se rendre compte des raisons qui ont dominé le gouvernement au point de lui faire perdre de vue que les véritables intérêts du pays exigeaient impérieusement le rejet d'un traité conclu sur des bases aussi désastreuses.
Voulez-vous, messieurs, toucher du doigt jusqu'à quel point le traité pousse le mépris des intérêts belges, et jusqu'où va la protection dérisoire que l'on accorde à notre industrie ? Jetez les yeux sur les proportions jusqu'à concurrence desquelles l'importation des produits liniers est permise en France ! Quand il s'agit de fils, l'importation au droit antérieur à l'ordonnance du 20 juin 1842, n'est permise que jusqu'à concurrence de deux millions de kilogrammes. Quand il s'agit de toiles, au contraire, on nous permet généreusement d'importer jusqu'à concurrence de trois millions de kilogrammes.
Savez-vous pourquoi, messieurs, cette générosité d'une part et cette restriction d'autre part ? C'est que les relevés statistiques ont établi que la moyenne de nos importations en toile ne dépassait pas 2,2799,344 kilog., c'est qu'il était, par conséquent, prouvé et établi que la faveur accordée aux toiles belges est une faveur dérisoire, dont il nous est impossible de pouvoir jamais totalement profiter.
Savez-vous, maintenant pourquoi on a limité à deux millions l'importation des fils ? C'est que les relevés statistiques établissent que nos importations de fils vont en augmentant, à tel point, qu'en 1845 l'importation a atteint le chiffre de 2,194,121 kil. La France avait une concurrence sérieuse à redouter du côté de la filature du lin et du chanvre, elle s'est hâtée de mettre bon ordre aux éventualités de cette concurrence, elle a fixé des bornes à l'essor de notre industrie ; mais la France n'ayant rien à redouter de la concurrence d'une industrie décrépite, a généreusement ouvert son marché à nos toiles, et l'on ose sérieusement présenter un pareil traité à la ratification d'une chambre belge !
L'honorable M. d'Elhoungne a fait beaucoup d'efforts pour faire paraître avantageuse à la Belgique cette limitation d'entrée de nos fils en France. Elle est, nous a-t-il dit, tout à fait avantageuse à nos tisserands ; mais si une telle mesure est avantageuse, si la limitation des fils à deux millions est favorable aux toiles, pourquoi ne pas supprimer entièrement l'exportation des fils, cela deviendrait alors nécessairement plus avantageux encore ; pourquoi donc ne pas renoncer à leur exportation et faire des sacrifices pour l'obtenir ?
Ce serait, messieurs, faire douter de notre avenir comme nation, que de croire un seul instant à la possibilité de la ratification d'un traité ou nos intérêts ont été sacrifiés sans vergogne aux intérêts de la France.
La France veut s'assurer son marché intérieur, elle veut en égoïste faire prospérer son industrie au détriment de la nôtre ; il fallait et il faut lui laisser suivre son système d'isolement. Isolée en politique, qu'elle s'isole également sons le rapport commercial.
Elle saura plus tard si cette vie fait la force réelle d'une nation. Pour négocier fructueusement avec la France, il fallait mettre en présence les intérêts français : il fallait créer un antagonisme d'intérêts, dans le sein de nos égoïstes voisins ; il fallait rudement frapper les vins, il fallait rudement frapper les soieries, les objets de mode, la fine quincaillerie, enfin tout ce qui constitue essentiellement l'industrie française. Les actes de rigueur auraient servi la Belgique, beaucoup mieux que le système de concessions qui a été suivi. Pourquoi ira-t-on fait essuyer dommage à la France dans ses industries vitales ? Pourquoi le système des sacrifices perpétuels et sans cesse renouvelés au profit de la France, imposés à la Belgique ? Ce n'est pas là, croyez-moi, messieurs, le moyen de fortifier notre nationalité que d'accoutumer les populations à l'idée que le gouvernement est incapable de les protéger dans leurs intérêts matériels. Ce traité peut être la source d'un immense danger politique, et rien que sous ce rapport la chambre ne peut lui accorder sa sanction.
J'étais aussi disposé à mettre sous les yeux de la chambre le tableau des concessions douanières que la Belgique a faites à la France, et ce que celle-ci lui a accordé depuis 1830, mais je ne pourrais que répéter ce que vous a dit l'honorable M. d'Hoffschmidt, en 1842, et le tableau si complet que vous a fourni hier l'honorable M. Dumortier.
Nous disons donc avec justes motifs, en voyant le traité qui vous est soumis, que la France fait ses tarifs exclusivement en sa faveur, que toutes les dispositions lui en sont favorables, qu'elle ne s'inquiète nullement de ses voisins, qu'elle ne consulte que ses intérêts ;
Que depuis longtemps nous eussions dû faire à notre tour un tarif qui fût entièrement en notre faveur ; qu'alors nous eussions pu traiter avec la France, car notre position eût été la même ; la France, dans son tarif, a stipulé pour elle, nous aurions dû stipuler pour nous dans le nôtre, et ensuite nous aurions pu en venir à des concessions réciproques.
Mais ce n'est pas ainsi que le gouvernement belge en agit. L'intérêt général est toujours négligé ; quelques localités spéciales obtiennent satisfaction pour leurs intérêts ; on organise pour ainsi dire une lutte de province à province.
Voilà, messieurs, le produit d'un gouvernement faible ; voilà ce que produit le défaut d'ensemble dans les opérations. Il y a de grands dangers dans cette politique à vue basse qui nous gouverne, qui ne cherche qu'à se tirer des embarras du jour et s'en crée toujours de plus grands pour le lendemain, qui ne donnait hier que pour reprendre aujourd'hui, qui n'élève aujourd'hui que pour abattre demain. C'est là l'œuvre du traité avec la France ; l'industrie a eu confiance dans la protection lui accordée par l'arrêté de juillet 1843 ; ainsi on lui donnait hier pour reprendre aujourd'hui. Sans stabilité point de confiance en nos lois, et sans celle-ci aucun progrès industriel n'est possible.
On prétend aujourd'hui soutenir l'industrie linière (et c'est là une grave erreur) et pour y parvenir, on arrête dans son essor une industrie pleine de vie. Le gouvernement renouvelle ni la faute commise en 1838. Il satisfait momentanément aux désirs de l'industrie linière, il semble prolonger son existence. Ses défenseurs se croiront satisfaits, ils se railleront au ministère ; d'autres localités croiront ne pas être intéressées, comme si l'intérêt général pouvait jamais être perdu de vue, et le résultat fatal pourra être que ce honteux traité se trouvera ratifié, par là de nouvelles victimes viendront grossir le nombre de celles faites en 1838.
Envisagé au point de vue de l'industrie linière, envisagé au point de vue politique, le traité doit être déclaré désastreux et doit être repoussé, et cependant nous n'avons encore rien dit des sacrifices que l'on impose à la Belgique pour acheter ce malheureux traité.
La Belgique s'oblige à appliquer à l'entrés des fils et tissus de lin et de chanvre, des droits semblables à ceux qui sont ou pourront être établis par le tarif français. La Belgique abdique, en quelque sorte, par cette clause, son indépendance au profit de la France. Ce n'est pas seulement le tarif connu, qu'elle s'oblige de suivre et de faire appliquer, c'est le tarif qu'il plaira à la France d'adopter dans la suite.
La chambre ne peut, messieurs, consentir la consécration d'une pareille clause. On conçoit que la Belgique puisse s'engager à adopter un tarif connu, mais l'on ne conçoit pas que la Belgique puisse s'obliger à suivre aveuglément tel tarif que la France pourrait dans la suite juger convenable à ses intérêts. C'est là abdiquer son indépendance, car c'est se soumettre à la volonté d'une nation étrangère. Que la Belgique y prenne garde ; c'est surtout quand une nationalité est jeune encore, qu'il faut éviter soigneusement de l'affaiblir et qu'il faut se garder de permettre l'immixtion de l'étranger dans nos rapports extérieurs avec les autres peuples.
Que nous disait le ministère en 1842 ? Il y a, disait-il, réciprocité, le pouvoir législatif français est limité pendant quatre ans dans son action, c'est là une disposition exorbitante que le gouvernement belge a obtenue au profil du pays.
Eh bien, le ministère ne peut plus faire valoir pareille clause, il n'y a plus de réciprocité.
En 1846, la France a fait disparaître la clause de 1842.
Celle qui lie la Belgique a au contraire été maintenue.
C'est sur cette nouvelle stipulation que nous devons attirer toute votre attention. La France s’est réservé le droit d'étendre le bénéfice du traité à d'autres nations ; ainsi, messieurs, la France, quand elle le jugera convenir à ses intérêts, peut rendre illusoire un traité aussi chèrement acheté ! Comment se fait-il que nos ministres aient poussé l'imprévoyance et l'incurie des intérêts belges, au point de ne pas stipuler, dans ce cas, la faculté au moins de dénoncer le traité. Il y a, messieurs, dans ce traité une abnégation telle de toutes espèces de garantie en faveur de la Belgique qu'il n'appartient qu'à un ministère se souciant peu de nos intérêts industriels, d'en demander la ratification à la législature.
Le ministère fiançais avoue et reconnaît que le traité de 1842 n'a pas nui à la France ; il proclame que le progrès de la filature belge est à peine (page 1838) de 5 p. c, tandis que le progrès de la filature française est de plus de 100 p. c. De son côté, le gouvernement belge déclare que la convention de 1842 n'a pas produit tous les résultats que l'on en attendait ; et cependant, le maintien de cette convention qui n'a pas nui à la France, qui, d'un autre côté, n'a pas été réellement profitable à la Belgique, qui a été blâmée en 1842 par tous les orateurs qui ont pris part à la discussion, est acheté au prix des sacrifices les plus onéreux. En présence de la déclaration des deux gouvernements, l'on conçoit le renouvellement pur et simple du traité de 1842 ; mais se soumettre, pour en obtenir la continuation, à des conditions plus onéreuses, c'est évidemment faire un marché de dupes. Quel intérêt si puissant avons-nous de tout immoler aux exigences de la France ? Force sera à l'industrie linière de se passer de la France dans bien peu de temps, et, en effet, l'augmentation considérable que l'industrie linière prend en France, en comparaison de celle qui a lieu en Belgique, en est une preuve incontestable.
Le droit de douane, tel que le fixe le traité de 1845, sera plus que suffisant pour exclure vos produits liniers du marché français ; car, remarquez-le bien, en 1842 vous comptiez exporter pour la France de ces produits pour 40 millions, ou au moins pour 30 millions, c'était là le minimum ; vous êtes réduit aujourd'hui à 15 à 17 millions, et votre chiffre d'importation, en France, est en décroissance depuis plusieurs années et continuera le même mouvement.
La réduction sur les droits qui grevaient les vins et les soieries de France, produit un déficit d'un million dans le revenu de la douane ; que l'on rétablisse l'ancien tarif sur les soieries et sur le vin, qu'on l'augmente même, c'est là un impôt que j'appellerai avantageux, car il n'atteint que la classe riche, et que l'on distribue le produit de cet impôt, en primes d'exportation sur les toiles fabriquées d'après le système routinier, et à coup sûr cette protection remplacera d'une manière efficace le débouché que ces toiles trouvent encore aujourd'hui en France, et donnera la possibilité de créer de nouvelles relations ; nous trouverons un autre avantage : la protection ou plutôt la perpétuation de l'agonie de l'ancienne industrie linière nous coûtera moins cher.
Prenez-y garde, messieurs, au train dont le gouvernement marche, dans son système de concession vis-à-vis de la France, s'il reste dans six ans encore un souffle «de vie à l'industrie routinière du lin, il faudra sans doute faire de nouveaux sacrifices en faveur de la France, et immoler tout ce qui a de l'avenir, aux efforts infructueux que l'on fait pour tâcher de ranimer un cadavre. La France réussira ainsi à consommer insensiblement notre ruine ; c'est évidemment le but qu'elle se propose dans l'intérêt de ses industriels, et l'on ose convier une chambre belge d'aider à ce suicide !
Rappelez-vous, messieurs, ce que disait le ministère en 1838 pour faire lever la prohibition d'entrée sur les draps et casimirs français :
« Nous pourrions insister avec une nouvelle force, disait-il, quand la loi aura été adoptée, puisqu'elle sera pour nous une arme d'autant plus puissante qu'elle témoignera de notre loyauté et de nos dispositions libérales. »
Vous avez la triste expérience du contraire ; vous avez levé la prohibition en 1838, la France la maintient encore aujourd'hui.
Vous avez levé la prohibition en 1838, et pour obtenir l'entrée de nos toiles à des conditions onéreuses en 1842, nous avons dû faire cadeau d'un million à la France, par la réduction de l'impôt sur les vins et sur les soieries ; enfin, le dernier traité donne la mesure des bonnes dispositions de la France, de son désir bien clairement établi de ruiner tour à tour toutes nos industries pour avantager les siennes.
La prohibition de l'entrée de tout produit lainier belge en France est toujours maintenue, et, depuis 1839, elle est levée en Belgique pour les produits similaires français ; et, non content de cette position avantageuse, le traité lève la surtaxe qui avait été établie en 1838.
C'est ainsi que vous agissez envers une industrie qui a su lutter contre les événements à force de travail et de persévérance. Elle se contentait de la protection simple d'un droit d'entrée, quand la France continuait à la frapper d'une prohibition absolue ; elle pouvait, à l'aide de ce droit, se défendre sur le marché de la Belgique ; vous diminuez cette protection et la France continue sa prohibition entière ; ainsi, d'un côté, avantage pour l'étranger, qui ne vous en fait aucune facilité pour l'étranger, afin d'arriver sur votre propre marché, tandis qu'il continue à vous exclure entièrement du sien. L'on vous disait, en 1838, que le gouvernement serait moins fort, parce qu'il lui resterait moins de concessions à offrir, et vous répondiez qu'il s'appuierait très efficacement sur ce qu'il aurait déjà fait. La France n'a rien fait depuis 1838 en faveur de l'industrie lainière de la Belgique. Elle a maintenu, au contraire, je ne puis trop le répéter, la prohibition dont elle l'a frappée depuis tant d'années, et c'est dans une semblable position, sans que vous ayez reçu la réciprocité de vos concessions de 1838, que vous lui en faites de nouvelles par le traité de 1845, et après cela pourrez-vous encore nous dire que vous réclamez la sympathie de nos populations industrielles, quand au lieu de les protéger vous ouvrez la Belgique aux produits de la France, celle-ci continuant à repousser les vôtres ?
Prenez-y garde, MM. les ministres, car on vous a prouvé que la production annuelle de l'industrie lainière, sans y comprendre le district de Tournay, est de plus de 32 millions de francs, et que les capitaux engagés pour cette industrie, en maintenant l'exception ci-dessus, excèdent 117 millions. Et remarquez-le bien, la prétendue industrie linière à la main n'a pas le plus petit capital engagé.
Que mes honorables collègues, dont les provinces ne sont pas intéressées dans les concessions faites par ce fatal traité, y réfléchissent mûrement ! C'est en détail que l'on nous attaque ; aujourd'hui c'est une industrie qu'on sacrifie, mais un peu plus tard, le tour d'une autre industrie arrivera ; si vous acceptez ce traité, parce que votre province n'en souffre pas, vous subirez le même sort un jour, si à votre exemple, nous en agissons de même quand votre province sera intéressée directement. C'est à nous, mes honorables collègues, à ne pas laisser arriver le malheur dont la Belgique est menacée, car le ministère ne s'occupe pas des besoins industriels du pays, il ne sait que se soumettre à l'étranger ; j'en trouve la preuve dans la conclusion de ce traité néfaste ; il oublie les motifs qu'il a fait lui-même valoir, pour les lois protectrices de l'industrie lainière. Les motifs mêmes du projet de loi, en ratification de ce traité, sont une preuve incontestable du peu de soin que le ministère a donné à la négociation.
Maintenant, messieurs, que nous avons reconnu l'inefficacité du traité, voyons si ce traité, en le supposant utile, ne nous est pas vendu au prix de sacrifices qui ne trouvent aucune compensation réelle dans ses dispositions.
Nous maintenons d'abord, à l'égard des vins et des soieries, le traitement stipulé par la convention du 10 juillet 1842 ; nous accordons ensuite 12 p. c. de déchet au lieu de 7 alloué aux sels provenant de France en sus de la réduction qui pourrait être accordée aux sels de toute autre provenance ; nous supprimons les taxes supplémentaires établies par l'arrêté royal du 14 juillet 1843 sur les fils de laine de toute sorte, sur les habillements neufs ou supportés, et sur les ouvrages de mode, le tout de provenance française. Ce n'est pas encore assez, nous consentons de réduire au profil de la France, d'un quart, les droits actuels qui frappent les tissus de laine. Nous affranchissons les draps, casimirs et leurs similaires du droit supplémentaire de 9 et 6 3/4 p. c. fixés par l'arrêté du 27 août 1838 ; et enfin nous nous engageons à maintenir pendant toute la durée de la convention les dispositions des arrêtés du 15 octobre 1844 et du 2 octobre 1845, par suite desquels les tissus de coton d'origine française sont affranchis des surtaxes établies par l'arrêté du 13 octobre 1844. M. Guizot, en présentant ce traité à la chambre française, n'a pu se dispenser de lui dire franchement :
« Nous avons, d'une part, fait à la Belgique des concessions moindres et obtenu en retour des concessions plus considérables.
« Quant à l'industrie linière, personne ne peut contester qu'elle était en assez mauvais état en France, lorsque la convention de 1842 fut conclue ; on ne peut contester non plus que, pendant la durée de cette convention, elle y a prospéré ; c'est sous l'empire de la convention de 1842 que l'industrie linière s'est relevée de son déclin. Dans ces derniers temps, à la fin de l'année dernière, elle a éprouvé une certaine crise, comme toutes les industries analogues, en ce moment elle reprend le cours de sa prospérité. »
« J'en viens aux concessions que nous avons obtenues de la Belgique : l'arrêté belge de 1843, qui imposait à nos tissus de laine une augmentation de droits, a été rapporté en tout ce qui touche les tissus de laine, qui intéressent particulièrement la France, pour lesquels nous faisons avec la Belgique un commerce de quelque étendue. »
Peut-on faire plus clairement la censure du traité au point de vue des intérêts belges ? Voulez-vous encore une autre démonstration que le traité est exclusivement au bénéfice de la France ? Voyez le nombre des voix acquis à l'approbation du traité : contre, 36 ; pour, 209.
Ce résultat est significatif dans une chambre composée en grande partie d'industriels. Du reste, messieurs, les clauses du traité parlent assez haut, elles n'ont pas besoin de commentaires.
La France craignant le développement de notre industrie, craignant surtout que nous ne lui fassions concurrence sur le marché étranger par la fabrication des tissus de laine légers, comme les mousselines-laine, les mérinos, etc., a eu soin d'exiger que les droits actuels fussent réduits d'un quart ; le but de ces réductions est facile à apercevoir ; la France veut s'attribuer notre marché intérieur, elle veut détruire nos établissements naissants, elle veut amener leur ruine au profit de ses industriels.
Avant 1838 les draps français et les casimirs étaient prohibés en Belgique ; en 1838 on en a permis l'importation au droit de 250 fr. les 100 kil. La France a-t-elle admis nos produits similaires sur le même pied ? Non, messieurs, la France a maintenu la prohibition, et cependant quoique cette prohibition soit maintenue par la France, on nous propose de consentir, au profit des produits français, la suppression de la surtaxe des 9 et 6 3/4 p. c. établie par l'arrêté du 27 août 1838, et comment arrive-t-on à justifier cette proposition ? C'est ici surtout que le gouvernement est en contradiction avec lui-même. Avant de le prouver, commençons par faire connaître quelle est la cause et l'origine du droit supplémentaire établi par l'arrêté du 27 août 1838.
La France accorde une prime de 9 p. c. de la valeur des draps exportés, et une prime de 6 3/4 de la valeur des casimirs. Cette prime n'est pas un simple drawback en restitution des droits perçus sur l’importation des laines. En effet, de l'aveu des industriels français, le droit d'entrée sur les laines étrangères qui est de 22 francs n'a amené aucun changement dans le prix de la laine indigène.
La faculté de préempter la laine cessant, lorsque la laine est déclarée à 65 p. c. de sa valeur (lettre de la douane française du 14 octobre 1841, remarquez ici que j'entre dans la manière de calculer du ministère. La chambre de commerce de Verviers établit elle son calcul à 60 p. c. de la (page 1839) valeur et elle en fournil la preuve), il en résulte que le droit de 22 francs ne se perçoit que sur 65 p. c, de la valeur et se réduit ainsi à 12 ou 15 p. c. D'un autre côté, la laine étrangère n'entre que pour 1/10 dans la consommation totale de la France, et la laine n'entrant dans la valeur du drap que pour une moitié, (j'exagère, car elle n'entre pas pour moitié), il résulte que sur la prime de 9 p. c. de la valeur, il ne peut y avoir de véritable drawback que le 20ème de 12 à 15 p. c, soit 3/5 à 3/8 p. c. de la valeur du drap, les 9 p. c. et le 6 3/4 p. c. accordés à la sortie de France sur les tissus de laine, sont donc une véritable prime d'exportation et c'est ce que le gouvernement belge établit parfaitement aux pages 9, 19, 20 et 21 de l'exposé des motifs, à l'appui du projet, pour la conversion en loi de l'arrêté du 14 juillet 1843. Comment se fait-il que ce qui était une prime d'exportation à la date du 8 mai 1844 soit devenu aujourd'hui un drawback. M. le ministre pourra expliquer à la chambre comment il s'est fait que le gouvernement ait ainsi changé de manière de voir !
Si le traité est adopté, le droit de 250 francs par 100 kil. ne sera plus qu'une véritable fiction.
Supposons un drap de la valeur de 18 fr. l'aune à la sortie de la fabrique. L'expéditeur recevra à la sortie une prime de 330 fr. 48 c. sur un ballot de 12 pièce de drap d'un poids de 144 kil. Or le droit à payer sur ce ballot ne serait que de 360 francs, de sorte, qu'en résumé, le droit d'entrée de 250 fr. il ne sera plus que de 29 fr. 52 c. ou 17 centimes p. c. du droit établi. Il est encore à remarquer que la prime se paye d'après la valeur du drap, tandis que le droit d'entrée se paye d'après le poids. Or plus un drap a de valeur, plus il est léger, et par suite plus il reçoit déprime et moins il paye d'entrée.
Pouvez-vous, messieurs, sanctionner un pareil résultat en présence des contributions de toute espèce, et de tous genres qui pèsent sur nos industriels ? Le droit d'entrée sur les marchandises étrangères doit toujours au moins contrebalancer les taxes qui pèsent sur l'industrie nationale ; ce traité viole donc tous les principes d'économie politique.
L'industrie drapière pourrait peut-être soutenir la concurrence contre la Fiance, mais ce n'est pas à ce point de vue que nous devons nous placer ; lcdistiicl.de Verviers a réussi à créer une industrie nouvelle à côté de l'industrie drapière ; on y fabrique maintenant des étoffes de laine pure pour pantalons. N'est-ce pas, messieurs, sacrifier cette industrie nouvelle, qui donne du pain à des milliers d'ouvriers, que de permettre aux industriels français de venir lutter sur notre marché, que de leur permettre d'offrir leurs fabricats à aussi bas prix et même à plus bas prix que les nôtres ? C’est, messieurs, favoriser l'engouement ridicule des consommateurs, qui donneraient trop souvent la préférence aux produits de mode français, si les fabricats belges n'étaient (à part leur bonne qualité) soutenus par le bon marché.
La France protège, elle, toutes ses industries, et la Belgique livre les siennes à la merci de sa puissante voisine.
Un objet non moins important, c'est la filature des fils de laine. Sous l'influence de l'arrêté de 1843, nos filatures de laine cardée ont repris de la vigueur et de l'extension. Elles fournissent aujourd'hui les fils employés à Verviers et dans les arrondissements de Tournay, Courtray et Mouscron, au tissage des flanelles à carreaux, des doublures de mérinos, des étoffes à pantalons et étoffe commune avec chaîne de coton ; ces industries fournissent des produits à la consommation intérieure et à l'exportation aux Etats-Unis et au Brésil.
L'effet salutaire produit par l'arrêté de 1843est constaté par le gouvernement lui-même à la page 12 de l'exposé du 8 mai 1844.
La convention de décembre 1845 anéantira nos filatures et détruira tous les effets que le gouvernement se promettait de l'arrêté de 1843.
Les droits seront réduits en faveur de la France, de 100, 120, 140 fr.. les 100 kilog., à 40 et 60 francs.
Les douanes françaises payent en moyenne, à la sortie, sur les fils dégraissés 171 fr. les 100 kil. et sur les fils non dégraissés 140 fr. Pour les uns et les autres, la prime varie suivant la valeur de la laine. Le droit d'entrée deviendra donc une dérision amère.
Sous le tarif de 1838, nos filatures de laine n'ont pu fournir des fils à d'autres industries que l'industrie drapière, à cause des primes d'exportation payées par la France et de la concurrence de l'Angleterre. Sous le tarif de 1843, nos filatures ont pu fournir des fils à d'autres industries en concurrence avec la France et l'Angleterre, et elles n'ont pu même fournir d'un numéro supérieur, en concurrence avec la France, à raison des primes d'exportation ; et en 1846, on veut détruire nos filatures, au profit de la France.
Le traité, dont on vous demande la ratification est donc un acte de mauvaise politique : ce traité est un acte qui accuse la plus grande inhabileté au point de vue de la nationalité.
Il ne faut jamais, messieurs, qu'une industrie soit sacrifiée à une autre ; il ne faut jamais immoler une province à d'autres provinces : il faut voir l'intérêt général du pays ; il faut protéger toute industrie qui a de l'avenir ; il faut se hâter d'abandonner toute branche d'industrie qui vieillit ; il faut surtout se garder de lutter contre les innovations salutaires dans les procédés de fabrication ; car c'est vouloir perpétuer un état contre nature, et augmenter toujours les souffrances du pays.
La France nous accuse de nous tourner vers l'Allemagne ; mais c'est elle-même qui nous y porte, car, je vous le demande, fait-elle quelque chose pour nous ? Ne fait-elle pas, au contraire, tout ce qui peut tendre à notre ruine ?
La France, sous le roi Guillaume, avait prohibé nos produits lainiers, ce dernier prohiba à son tour les mêmes produits français. L'industrie se trouva fort bien de cette réciprocité.
En 1838, la Belgique leva cette prohibition, voulant prouver à la France son vif désir de lever les entraves en faveur du commerce respectif des deux pays, unis par les mêmes opinions politiques.
Qu'a fait la France ? A-t-elle imité la Belgique en levant, de son côté, la prohibition ? Non, mais elle l'a maintenue dans toute sa rigueur.
Ainsi aujourd'hui, les produits lainiers entrent en Belgique, à des droits fixés, depuis 1839. Sept années sont écoulées, sans que nous ayons pu obtenir d'entrer en France, à des droits similaires, ni même plus forts, et c'est dans cet état des choses qu'on vient consentir à des réductions de ces droits, en faveur de la France, elle qui prohibe les produits similaires belges d'une manière absolue !
Comprend-on la conduite de notre gouvernement ?
Les membres du parlement français reconnaissent qu'une coalition d'industriels force la main au gouvernement, et empêche souvent de faire ce qui serait conforme aux intérêts du pays ; que l'on ne fait que de mesquines faveurs à la Belgique ; que le Belge consomme trois fois plus de marchandises françaises, que le Français n'use d'objets fabriqués venant de la Belgique. Ils reconnaissent encore, qu'à l'aide du traité, cette exportation va prendre un développement considérable. Comprend-on la conduite du gouvernement belge envers les prohibitionnistes français, qui présentent une triple ligne de douanes contre nous ?
Le gouvernement belge a pris en 1838, une mesure qui établit une surtaxe ; il a pris en 1843, un arrêté qui protégeait l'industrie lainière contre les fabricats étrangers. Nos ministres ont apporté cet arrêté, lorsque le Roi était au milieu des Verviétois, qui lui en témoignaient une reconnaissance aussi vive que respectueuse, non seulement pour eux mais pour les nombreux établissements qui existaient en Belgique.
Aujourd'hui d'après le traité, quels sont, pour les industriels, les fruits qu'ils retirent de cet arrêté ? Des fruits bien amers pour ceux qui se sont bercés de l'espoir que la mesure serait définitive. Aujourd'hui, par le traité, c'est un véritable leurre, une ruine pour l'industriel qui a accordé sa confiance. Il aura monté ses ateliers, les aura garnis de machines et de métiers, et à peine sont-ils établis que l'arrêté est modifié, qu'on va même jusqu'à rapporter une surtaxe établie depuis 1838 ; et en faveur de qui faites-vous de pareils sacrifices ? Pour les Français qui continuent à maintenir leur triple barrière contre des fabricats similaires belges ; et c'est vous, ministres, qui vous dites les sauveurs de la Couronne, qui la compromettez au point de rétracter les paroles proférées par le Roi lorsqu'il communiquait cet arrêté à nos industriels !
Le traité prolongera quelque temps, je ne dirai pas, l'industrie linière à la main, mais l'industrie à la mécanique ; elle pourra faire quelques fournitures à la France pendant les premières années qui suivront le traité ; mais avant son expiration, ce débouché lui sera fermé, et dans cet intervalle, qu'arrivera-t-il ? Vous avez aujourd'hui une industrie pleine de vie, l'industrie lainière, qui ne se borne pas à une localité, mais qui prend racine sur une grande partie du sol de la Belgique, elle est aujourd'hui convenablement protégée ; dans six ans, elle n'aurait plus besoin de protection ; on pourrait suivre à son égard la marche qu’adopte en ce moment l'Angleterre.
Mais dit l'honorable M. d'Elhoungne, vous pouvez soutenir à l'étranger, la concurrence avec les fabricats français, sans protection ; oui sans doute : mais qui soutient cette concurrence ? Ce sont nos grands industriels, ce ne font pas nos petits fabricants et c'est la classe la plus nombreuse. Pour eux il faut le marché du pays. Et ce marché à qui l'abandonnez-vous ? Je ne puis trop le répéter, à ceux qui vous repoussent, par une prohibition absolue de leur marché.
Mais au lieu de maintenir cette protection contre la France, (elle ne se borne pas à protéger, mais prohibe) au lieu de venir au secours de l'industrie linière, par des primes bien distribuées, (par exemple, à 10 p. c. sur toute exportation) primes qui ne coûteraient rien à l'Etat, car vous en prendriez la valeur sur les impôts que vous produiraient les vins et la soierie étrangère ; vous négligez ces impôts, vous faites cesser la protection, quand la France prohibe, au lieu de lui dire : Abattez vos barrières, j'abals les miennes.
Quel sera le résultat du traité que nous discutons ? C'est qu'avant son expiration, l'industrie linière sera perdue, et la lainière, qui aurait pu la remplacer, aura le même sort ; c'est ainsi que l'une après l'autre toutes nos industries périront.
Et en effet, que faites-vous en ce moment avec la Hollande ? Vous disputez sur des articles de tarifs. Le ministère nous arrête, lorsque nous voulons lui dépeindre combien le retard nuit à nos producteurs. Prenez-y garde, nous dit-on, vous allez augmenter les prétentions de la Hollande, en lui découvrant la position de la Belgique. On semble croire que le cabinet batave ne connaît pas notre situation par une raison fort simple, nos ministres l'ignorent, ou ne s'en occupent pas.
On nous tenait le même langage quelques jours avant le traité français, on nous assurait qu'on n'avait fait aucune concession nuisible à l'industrie lainière, il fallait avoir la plus grande confiance dans le ministère, ne point l'entraver par des demandes d'explication ; je vous le demande comment a-t-on répondu à cette confiance ?
Au lieu de ces disputes de tarif, que faudrait-il entre la Belgique et la Hollande ? La suppression de toute ligne de douane, pour le bonheur des deux nations.
Que nous faudrait-il avec la France ? L'union douanière. Mais le cabinet belge ne l'a pas voulu. L'honorable M. Guizot l'a déclaré à la tribune française, je cite ses paroles :
« Je ne dirai qu'un mot sur l'union douanière. Les honorables membres qui en ont parlé se sont certainement rendu compte de toutes les (page 1840) difficultés que rencontrait une pareille mesure, des difficultés françaises, des difficultés européennes, des difficultés belges.
« Eh bien, je n'hésite pas à dire que, de toutes ces difficultés, les dernières sont les plus grandes et celles qui nous ont le plus frappé : je ne voudrais pas que mes paroles allassent au-delà de mon intention, ni qu'elles compromissent ce qui peut être possible un jour ; les difficultés françaises, qui tiennent à la concurrence des industries nationales avec les industries belges, sont grandes ; les difficultés européennes, les inquiétudes auxquelles ces difficultés se rattachent, sont réelles. Mais les difficultés belges sont les premières de toutes.
« La Belgique est nouvelle dans la carrière de la nationalité, de l'indépendance, de la neutralité. Tenez pour certain que la perspective de l'union douanière l'a inquiétée, effrayée sur ses premiers intérêts politiques. L'union douanière sans le concours complet, sincère, efficace, de l'une des deux parties, est chimérique et impossible. L'union douanière ne serait possible qu'autant que la Belgique y verrait son bien, son salut. Il n'en est rien quant à présent.
« Les considérations que je rappelais tout à l'heure à la chambre, le sentiment de la nationalité, le désir de l'indépendance, la crainte de voir sa neutralité compromise, sont les sentiments dominants en Belgique sur cette grande question. Il n'y a donc pas moyen de penser sérieusement à l'union douanière : on peut en parler, mais y travailler sérieusement, cela ne se peut par, tant que le sentiment du danger qu'aurait la mesure pour sa nationalité et son indépendance, surpassera, dans l’esprit de la Belgique, les avantages qui pourraient en résulter pour elle.
« Nous avons donc été naturellement conduits, par la vérité des choses et par les motifs que je ne fais qu'indiquer à la chambre, nous avons été conduits, dis-je, à laisser le système de l'union douanière de côté, et à réserver ses chances, s'il en a, pour une autre fois. »
On a donné, dit M. le ministre, aux paroles de M. Guizot, une portée qu'elles n'avaient pas. Je viens de vous prouver, messieurs, par la lecture d'un passage du discours du ministre français, que rien n'est plus clair, plus positif, que la déclaration de ce dernier.
Comme de coutume, le ministère belge a négligé de demander des explications. Le ministère français sait respecter la chambre française, mais le ministère belge sait probablement par expérience qu'on peut tout obtenir de la chambre belge ; c'est par le même motif que nos diplomates ne trouvaient rien à répondre, lorsque le ministère français leur disait qu’il n'oserait pas présenter de pareilles conditions à la chambre des députés, ils ne pensaient pas qu'ils avaient une chambre de représentants.
Que nous faudrait-il enfin, messieurs, en attendant cette union douanière ? Un tarif uniforme appliquée à des produits similaires ; s'en irriter serait, de la part des deux pays, un excès d'exigence que l'un et l'autre ne pourrait souffrir.
Convaincu que le traité de 1845 est nuisible aux intérêts du pays, il n'aura pas mon assentiment : la chambre, je l'espère, ne se laissera pas entraîner par les inconséquences et les fluctuations ministérielles. Elle demandera dans la vue de quels intérêts le gouvernement lui propose de sacrifier une industrie vivace et prospère ? C'est à la France, messieurs, et à l'industrie linière que l'on sacrifie l'avenir de nos fabriques de draps ou d'étoffes de laine ; à la France qui, dominée par ses grands industriels, repousse de ses marchés nos fabricats et nous impose la concurrence ruineuse de ses produits ; à la France qui n'accepte dans de certaines proportions, que les produits de celles de nos industries qui, n'ayant plus d'avenir, ne lui inspirent pas de crainte sérieuse ! La législature belge pourra-t-elle sanctionner une pareille iniquité ? L'égalité devant la loi, l'égale répartition dans la protection que la loi accorde à tous, sera-t-elle maintenant un mot vide de sens, une dérision quand il s'agira de l'industrie de la laine ? C'est à vous, messieurs, de décider si le principe qui forme la base de notre législation douanière doit recevoir des exceptions ! Mais, prenez-y garde ; n'oubliez pas qu'admettre le principe qu'une industrie peut être offerte en holocauste, pour conserver des débouchés à l'industrie d'une province puissante, consacre un précédent dont les conséquences peuvent être désastreuses pour le pays.
C'est une faute et une faute grave en politique que de traiter en ilotes une partie du pays au profit d'une autre partie du même pays. L'injustice n'a qu'un temps, et tôt ou tard le jour des représailles arrive. La Belgique a besoin de l'union de toutes ses forces, elle doit surtout vouloir et désirer, que les efforts de tous convergent vers le même but.
Or, peut-on espérer atteindre ce résultat, lorsque l'on sème dans le pays un brandon de discorde, lorsque l'on érige en principe légal, que les uns doivent être immolés au plus grand avantage des autres ? Ce n'est pas, croyez-moi, messieurs, un bon moyen de faire aimer une jeune nationalité, que de laisser prédominer les intérêts matériels d'une fraction du pays, que de sacrifier le reste à la conservation de ces intérêts. Cette conduite est antinationale, car elle crée l'égoïsme et produit un antagonisme déplorable entre les divers membres d'un même corps. Et savez-vous quel est le résultat de l'égoïsme et d'un antagonisme semblable ? C'est de faire germer dans le sein de l'Etat un principe de dissolution, dont il est quelquefois bien difficile d'arrêter les effets et dont il est surtout souvent impossible de prévenir efficacement les dangers.
L'indifférence est déjà une maladie mortelle quand elle gangrène la masse de la nation ; que sera-ce quand à l'indifférence se joindra l'action vive et puissante des intérêts matériels lésés ? Quand on pourra avec fondement accuser le gouvernement d'injustice, quand on pourra dire, que s'il n'y a pas égalité dans les charges publiques, il n'y a pas égalité dans la protection que la loi doit accorder à tous, quand on pourra dire en un mot que notre association nationale est une sorte de société léonine ?
La sagesse de la chambre préviendra tous ces dangers ; elle repoussera le fatal traité que la France veut nous imposer, et tout en repoussant ce traité néfaste, elle saura adopter les mesures que peut commander l'état de l'industrie linière. Vous concilierez, messieurs, tous les intérêts ; mais vous n'en sacrifierez aucun. Accordez à l'industrie linière des primes d'exportation, rien ne s'y oppose ; accordez à cette industrie une protection équitable, mais que cette protection ne soit pas accordée au détriment d'une autre branche de la richesse nationale. Mais, dira l'industrie linière, il faudra deux années pour se procurer des débouchés, que faire en attendant ? Accordez, au besoin, des primes qui couvrent l'excédant du droit de douane pour l'entrée en France, au moins ce sacrifice ne durera que deux années ; vous ferez acte d'économie, car vos faveurs envers la France, résultant du traité, vont durer six années, et dans deux ans peut-être, dans quatre années bien certainement, vous ne pourrez plus fournir ni fils ni toiles à la France ; elle n'en voudra plus ; ce n'est pas à vingt pour cent de droit que vous pourrez tenir la concurrence, et vous aurez à continuer les concessions faites.
Rejetez, messieurs, le traité ; ce sera servir les intérêts du pays, ce sera en même temps servir d'une manière efficace les intérêts de l'industrie linière, toutes les branches de l'industrie nationale, toutes les veines et les artères d'un même corps. Frapper l'une des branches de l'industrie ; c'est tarir une source de prospérité, c'est restreindre le marché national pour toutes les autres, et c'est, par suite, nuire à la branche même que l'on a voulu protéger au détriment des autres.
Vous repousserez ce traité, parce qu'il consacre une inégalité entre les deux pays, parce qu'il ne repose pas sur le principe d'une juste réciprocité, seule base d'un traité acceptable.
La chambre n'oubliera pas que, dans tous les conflits douaniers, c'est la province de Liège qui est souvent frappée, tantôt c'est dans ses draps et ses houilles avec la Hollande, tantôt c'est dans ses fers avec le Zollverein ; et encore, aujourd'hui, se font de nouveaux sacrifices, que l'on veut nous imposer. Vous n'oublierez pas non plus que l'industrie de la laine, de l'aveu de la chambre de commerce de Charleroy, tend à se substituer à l'industrie linière, et à amener ainsi une transition dans les habitudes des ouvriers des Flandres.
Sacrifierez-vous à l'avenir, à une espérance, car c'est là tout le mérite du traité ; M. le ministre des affaires étrangères vient, en termes formels, d'en convenir, sacrifierez-vous ainsi une industrie pleine de vie, dans le moment actuel ? Tarirez-vous une source de bien-être et de prospérité, à la chance fort douteuse de prolonger l'agonie d'une industrie décrépite !
Je ne puis le croire, vous vous souviendrez de l'espoir qui vous berçait en 1838, et qui est resté à l'état d'espérance, ou plutôt de déception, à l'époque où nous sommes arrivés. Je ne puis le croire, vous donnerez |à la nationalité belge un nouveau baptême, et vous saurez prouver que tous les intérêts vous sont également chers. Rejetez, messieurs, le traité ; la prospérité, que dis-je ? l'existence de l'industrie lainière et l'intérêt général du pays l'exigent impérieusement. Je demanderai maintenant au ministère, ce qu'il a fait pour repousser la prétention de la France, quant à la surtaxe des 9 et 6 3/4 p. c. ?
Qu'avez-vous répondu à la France qui élevait une pareille réclamation ? Vous n'avez rien dit, vous y avez acquiescé, sans discussion, toutes vos communications en comité général le prouvent.
L'honorable M. d'Elhoungne vous a fait le même reproche, et M. le ministre des affaires étrangères n'a rien répondu : M. d'Elhoungne a dit que le ministère avait fait légèrement cette concession, lui qui avait soutenu avec une grande assurance et avec beaucoup de développement que la prime d'exportation accordée en France n'est pas un drawback, mais une véritable prime d'exportation. J'ai lieu de croire, a-t-il ajouté, que le gouvernement belge a trop légèrement admis les assertions du gouvernement français qui soutient le contraire.
De quel moyen vous êtes-vous servi pour vous laver de cette négligence, je dirai même de cette incurie ? Un industriel de Verviers, nous avez-vous dit, un industriel du premier rang était convenu que la surtaxe n'était qu'un drawback.
Et c'est ainsi que vous ne craignez pas de venir à la tribune nationale ternir une réputation méritée, pour tâcher de sauver et vos fautes et celles de vos diplomates.
Mais c'est en comité général que vous nous faites cette confidence, et vous avez pour cela de bonnes raisons. La famille du sénateur Biolley, la presse ne peuvent pas vous répondre.
Je suis donc forcé de vous dire que l'avancé n'est pas exact, c'est en scindant les idées de cet industriel que vous voulez nous faire croire qu'il aurait reconnu que la surtaxe n'était qu'un drawback.
Mais ce n'était pas un individu que le ministère avait à consulter dans une affaire aussi grave.
C'était la chambre de commerce de Verviers, un corps constitué spécialement pour donner des renseignements sur les questions de commerce et d'industrie.
Et vous ne l'avez pas fait ! C'est donc dans l'ombre que vous vouliez agir, c'est dans l'ombre que vous venez accuser.
Vous avez donc reconnu, sans discussion comme sans contestation, que c'était à bon droit que la France demandait la suppression de la surtaxe, qui formait pour elle, ainsi qu'elle le disait, une exception au droit commun.
Mais cette surtaxe faisait si peu exception au droit commun, qu'elle est applicable à tous les Etats qui établiraient des primes de sortie.et (page 1841) remarquez-le bien, remarquez dans quelle circonstance cette surtaxe a vu le jour.
La France prohibait tout produit lainier, et elle les prohibe de même aujourd'hui. La Belgique prohibait à son tour les mêmes produits. Que fit la Belgique en 1838 ? Le ministère lui conseilla de prendre l'initiative des bonnes dispositions envers la France pour obtenir de sa part une parfaite réciprocité. La Belgique leva donc la prohibition, elle la remplaça par des droits d'entrée et opposa aux primes de sortie la surtaxe dont s'agit.
Que voulait la Belgique ? Voir la France en agir de même ; et depuis lors, elle l'a vainement sollicitée à cette réciprocité, c'était là tout son désir ; mais non, la France a maintenu ses prohibitions, et vous ne trouvez rien à répondre, quand elle vous demande la levée de pareille surtaxe.
Vous la levez comme étant un drawback, un industriel puissant vous l'a dit ; vous avez donc oublié ce que vous disiez, il y a deux ans, et ce que M. le ministre de l'intérieur actuel disait en 1838 ? Vous nous prouviez alors sans réplique que notre industrie lainière ne pouvait pas prospérer sans protection ; aujourd'hui, vous l'abandonnez pour faire prospérer l'industrie étrangère aux dépens de l'industrie indigène.
Vous venez ensuite diviser la représentation nationale en jetant dans la discussion des craintes pour les autres industries, si on n'acquiesçait aux dispositions exigées par la France.
C'est ainsi qu'en mettant en jeu l'intérêt provincial, vous sacrifiez l’intérêt général.
Mais vous oubliez sans doute que nous nous sommes déjà trouvés dans pareille position.
La France a prohibé nos draps, nos étoffes de laine, nos verreries, nos glaces, etc., etc.
Mais les Pays-Bas ont répondu par de semblables prohibitions et nous nous en sommes bien trouvés. Nous nous trouvions dans cet état en 1830.
La Belgique a malheureusement levé ses prohibitions après 1830, sans recevoir l'équivalent.
La Hollande a maintenu ses prohibitions, et voyez la différence.
La Hollande obtient en 1840 un traité avec la France fort avantageux
La Belgique ne peut rien obtenir, sans ruiner une industrie pleine de vie et d'avenir.
Mais la France, me dira-t-on, peut prohiber nos houilles, nos fontes, notre industrie linière ; mais nos houilles et nos fontes, ce sont là des matières premières, elle en a besoin.
Mais supposons qu'elle prohibe nos houilles, n'avez-vous pas ses vins à prohiber, et pour qui le tort serait-il le plus grand ? i
Nos fontes, mais n'avez-vous pas ses scieries, ses modes, sa quincaillerie fine, sa mercerie ?
Notre industrie linière, mais n'avez-vous pas ses draps, ses étoffes de laine, ses glaces et bien d'autres objets ?
Vous le voyez, messieurs, la France peut refuser nos matières premières dont elle a besoin ; mais nous avons bien plus de tort à lui faire en objets manufacturés et qui ne sont pas de nécessité absolue.
Mais si la France prohibait nos houilles et nos fontes, ne serait-ce pas à elle-même qu'elle ferait le plus grand tort ? Aussi n'a-t-elle pas usé de pareille prohibition vis-à-vis du royaume des Pays-Bas, quand nous en faisions partie.
Inutilement, M. le ministre des affaires étrangères, dans le comité général, avait-il mis en avant les prohibitions dont il s'agit, car bientôt en séance publique, il est venu nous rassurer pleinement, en nous disant que la France compromettrait complétement sa forgerie dans les départements du Nord et des Ardennes, que le minerai manque à la forgerie du Nord, et que ce bassin métallurgique de France serait condamné à une ruine prochaine, si on n'admettait notre houille et notre fonte à des droits réduits. Il a parlé des chemins de fer et enfin des versements de capitaux français dans nos grands établissements, mais je dois en convenir, telle est la versatilité de M. le ministre des affaires étrangères, qu'il vient de nous tenir un langage tout différent.
Le ministère n'aurait jamais dû accepter pareil traité, puisqu'il convient que celui de 1842 n'avait pas répondu à notre attente ; il devait se rappeler que ce dernier traité n'avait été défendu par aucun membre de la chambre, que tous avaient dit alors que si nous avions eu plus d'énergie, si à chaque aggravation de tarif que la France a fait peser sur nous, nous avions répondu par une mesure semblable, nous n'eussions pas dû passer sous les fourches caudines, comme nous étions forcés de le faire en 1842 ; que la section centrale, en vous présentant le rapport sur ce traité, vous exprimait le regret de devoir reporter vos souvenirs vers la loi du 7 avril 1838, modifiant le tarif des douanes, parce que c'était là que nous avions posé le germe des conditions que cette convention nous imposait.
Mais MM. les ministres auront pensé que la chambre est de facile composition ; on tenait pour certain qu'elle ferait en 1845 ce qu'elle avait fait en 1838 et en 1842 ; qu'ils viendraient lui dire qu'il y avait nécessité absolue, qu'ils nous feraient craindre les représailles comme ils l'avaient fait en 1842.
Aujourd'hui, messieurs, les gouvernements étrangers doivent connaître notre faiblesse ; ils peuvent tout exiger de nous, ils n'ont rien à craindre, ils peuvent frapper, nous ne pouvons et nous ne voulons frapper à notre tour, c'est ce que vous ne leur avez que trop bien appris.
Mon honorable ami M. d'Elhoungne a cité une partie du discours que j'ai prononcé en 1842 d'où il conclut que l'industrie verviétoise, alors qu'elle n'était pas encore protégée par l'arrêté du 14 juillet, se résignait très bien à soutenir la concurrence de la France, d'où il s'ensuit que le gouvernement n'a fait par le traité que rentrer dans les intentions premières de l'industrie verviétoise.
Et il s'écrie :Dira-t-on maintenant que cette exception, qui n'est pas complète, peut être le coup de mort pour l'industrie verviétoise, alors qu'un député de Verviers l'avait indiqué lui-même dans cette enceinte ?
Mais mon honorable ami tire des conséquences qui ne sont nullement exactes puisque, pour y arriver, il doit ne pas tenir compte de la surtaxe sur les draps et casimirs dont nous jouissions depuis 1838, que je croyais voir reproduire dans la disposition que je sollicitais, ce qui n'a pas eu lieu.
Mon raisonnement aurait donc changé du tout au tout ; je me serais bien gardé de parler d'exception envers la France, je n'en parlais que dans l'idée que la même surtaxe qui existait pour les draps serait appliquée aux tissus de laine.
Nul doute, messieurs, que le traité ne pouvait avoir un meilleur défenseur que l'honorable M. d'Elhoungne qui a fait valoir, avec le talent que vous lui connaissez, tout ce qui pouvait paraître une faveur accordée à la Belgique, tout en s'efforçant de réduire à fort peu de chose les concessions qu'on exigeait de nous, de sorte que pour une mauvaise cause il fallait aussi pareil avocat, le ministère en avait un besoin absolu ; aussi M. le ministre a-t-il reconnu qu'il ne lui restait dès lors plus rien à dire après lui, pour la défense du traité.
M. le ministre aurait dû, me semble-t-il, confesser aussi son impuissance de réfuter la critique si pressante, qu'il avait faite de ce même traité.
L'honorable M. d'Elhoungne nous a aussi dit que la prime de sortie accordée en France pour tes draps et tissus de laine n'était pas d'un grand avantage pour les fabricants français, et la preuve en était, selon lui, que ceux-ci n'ont cessé de s'opposer à l'augmentation du droit d'entrée sur la laine étrangère et par suite des primes de sortie.
Cette conduite des fabricants français n'a rien qui puisse surprendre, et ce n'est pas là la preuve, comme vous l'a dit M. d'Elhoungne, que la prime de sortie ne leur soit pas très avantageuse.
En effet, les fabricants français ont intérêt à la suppression du droit d'entrée sur les laines, et par suite de la prime de sortie, et la raison en est bien simple.
C'est que leur marché intérieur est bien plus considérable que le marché extérieur.
Ils fabriquent bien davantage pour l’intérieur que pour l'étranger.
La France consomme bien autrement que la Belgique, et tout son marché leur appartient exclusivement.
Il me reste encore, messieurs, à vous parler de M. Guizot, qui reconnaît que la France est aujourd'hui plus avancée que la Belgique en fait d'industrie linière. (Bruit, réclamation pour la levée de la séance, et même la clôture.)
J'allais, messieurs, arriver à la fin de mon discours ; il ne me restait pour ainsi dire qu'à vous remercier de la bienveillante attention que vous avez bien voulu prêter à un aussi long discours, mais ce bruit qui continue me force à y renoncer.
Plusieurs voix. - Parlez ! parlez !
M. Lys renonce à continuer.
M. le président. - La parole est à M. Rodenbach.
Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !
M. Rodenbach. - Messieurs, voilà quatre jours que je suis inscrit. J'espère qu'on voudra bien m'accorder dix minutes, d'autant plus que mon district a été nommé. Je promets d'être très court.
Je commencerai par répondre à l'honorable préopinant que le district de Roulers, dont il a cité les pétitions, demande à grands cris que le traité soit accepté.
Je dois aussi protester contre une allégation que l'on a faite dans cette discussion, et notamment un honorable député d’Anvers et de Tournay ; il vous a dit que l'industrie linière était une industrie stationnaire. Je dis, messieurs, que, loin qu'il en soit ainsi, l'industrie linière est une de celles qui, depuis trois ans, se donnent le plus de peine pour avoir les procédés les plus avancés. Je citerai surtout le district de Roulers, où l'on compte déjà quatorze fabriques de toile à la mécanique, qui occupent au-delà de 7,000 ouvriers.
Messieurs, on vous a parlé de l'industrie des laines. Je conviens avec l'honorable M- David et avec l'honorable M. Lys que dans ce moment il existe une crise bien malheureuse pour cette industrie.
Les fabriques, depuis 18 mois, sont encombrées, je le sais. Mais c'est là, messieurs, le sort de presque toutes les industries. On peut trouver une des causes de l'état où se trouve l'industrie de Verviers, dans cette circonstance que nous n'avons pas eu d'hiver, qu'il y a eu à peine cinq ou six jours de gelée, que dès tors les étoffes de laine ont été beaucoup moins portées. Une autre cause, messieurs, et la principale peut-être, c'est la crise des subsistances. Les vivres ont été d'une cherté excessive, ce qui a fait que les produits de l'industrie ne se sont pas vendus et qu'il y a eu encombrement. (La clôture ! la clôture !)
Messieurs, je trouve vraiment inconvenant qu'on ne me permette pas de parler pendant cinq minutes. Si l'on veut remettre la suite de la discussion à lundi, j'y consens volontiers. (Non ! Oui ! Continuez !)
Messieurs, l'industrie linière exportait en France en 1834 pour 25 à (page 1842) 30 millions de ses produits. Aujourd'hui cette exportation est 12 millions pour les toiles et à 6 millions pour les fils. La France seule nous fournit donc encore un débouché de 18 millions, qui procure à nos nombreux tisserands et ouvriers des Flandres pour 12 millions de main-d'œuvre.
L'industrie drapière, messieurs, exporte pour 15 à 17 millions. Eh bien, la France qui est un pays de 34 millions d'habitants, où l'industrie drapière est excessivement avancée, n'exporte pas pour plus de 19 millions. Ainsi la Belgique exporte presque autant de draps que la France, dont les produits ont une réputation européenne.
L'industrie des draps a éprouvé aussi une crise en France. En 1818 les exportations étaient de 40 millions ; elles ne sont plus aujourd'hui que de 20 millions. Du reste, messieurs, presque toutes les industries ont eu leurs moments de crise. (Interruption.)
Messieurs, je suis le député d'un district qui est le centre môme de l'industrie linière. IL est étonnant qu'après avoir entendu des orateurs pendant plus de deux heures, on ne veuille pas me prêter attention pendant quelques instants.
Messieurs, un honorable député d'Anvers a proposé un système de primes ; il a proposé d'allouer à cet effet 1,500,000 fr. par an. Messieurs, c'est là un système des plus vicieux, et je suis étonné qu'un député d'Anvers vienne le défendre ici. La boussole de tous les pays, messieurs, c'est leur intérêt. Si vous rejetez le traité et si vous accordez des primes, a France ne manquera pas d'élever les droits du montant de la prime, et votre exportation, qui est aujourd'hui de 18 millions, tombera peut-être à 2 ou 3 millions. (Aux voix ! aux voix !)
Il arrivera pour la Belgique ce qui est arrivé pour l'Angleterre qui, payant des droits plus élevés de 50 p. c. que vous, n'exporte plus en France que pour 5 millions.
Messieurs, je désirais répondre à plusieurs orateurs ; mais puisque la chambre paraît pressée, je ne dirai plus que quelques mots.
Messieurs, avec le traité nos malheureuses populations des Flandres ont encore une existence, parce qu'elles peuvent vendre, à leur porte, dirai-je, pour 18 millions de toiles et de fils. Un honorable député d'Anvers nous a dit : Vous pouvez faire des toiles légères, et les expédier en Amérique et ailleurs, comme font les Anglais et d'autres peuples. Mais, messieurs, il faut des années pour pouvoir se créer des relations outre-mer. Il faut que l'on y ait des comptoirs, des maisons de commerce ; et nos malheureux tisserands et nos modestes fabricants n'ont pas des millions comme les Anversois pour arriver à ce résultat. Car Anvers est prospère ; ses armateurs ont des millions ; ils peuvent former des expéditions tandis que nos ouvriers ont besoin de vendre leurs toiles au jour le jour pour pouvoir se procurer des moyens d'existence. Ils n'ont pas le bonheur de jouir de cette prospérité qu'on remarque à Anvers. Au moment où je vous parle, messieurs, il y a 370 navires dans les bassins de notre métropole commerciale ; c'est un signe de prospérité réelle.
M. le ministre des affaires étrangères nous a fait connaître la position brillante d'une foule d'industries. Mais il a dû faire une exception pour l'industrie linière dont la malheureuse position est connue de tout le monde.
Si, messieurs par le rejet du traité vous aggraviez encore cette position, 3 à 400,000 ouvriers se trouveraient réduits à la plus extrême misère et vous seriez forcés d'établir la taxe des pauvres. (La clôture ! la clôture !)
Messieurs, je viens de vous dire mon opinion en peu de mots ; j’aurais voulu vous présenter de nombreux arguments en faveur du traité ; mais comme je vois l'extrême impatience de la chambre, je finirai en vous exhortant, dans l'intérêt de nos malheureuses provinces, à voter le projet qui vous est soumis.
- La clôture est demandée par plus de dix membres.
M. de Villegas (contre la clôture). - Messieurs, quelle que soit l'impatience de la chambre, je lui demanderai un instant pour adresser une interpellation à M. le ministre des affaires étrangères. Si la chambre ne m'autorisait pas à faire cette interpellation, je ne pourrais consciencieusement voter le traité.
M. Anspach (contre la clôture). - Messieurs, c'est seulement la troisième séance dans laquelle la chambre s'occupe d'un traité d'une immense importance. Je ne conçois pas comment on veut passer au vote, alors que plusieurs orateurs sont encore inscrits et peuvent éclairer la chambre.
Nous avons passé plus de 15 jours à nous occuper de la question des sucres et pour la chasse, questions bien moins importantes que celle du traité avec la France, et vous voulez maintenant tronquer la discussion et pourquoi ? Parce que plusieurs membres sont pressés d'en finir et veulent retourner chez eux. Je dis que ce n'est pas pour une cause aussi futile que nous pouvons étouffer une discussion de cette importance.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, je dois m'opposer à la clôture, d'abord pour une raison toute personnelle : tout à l'heure la fatigue m'a empêché de continuer mon discours ; j'allais arriver à la question drapière qui est très importante ; mon intention est de faire connaître à la chambre des faits qui sont de nature à faire impression sur elle. En second lieu, je crains que lundi la chambre ne soit plus en nombre ; c'est l'impatience manifestée par plusieurs membres qui me donne cette crainte. Or l'ordre du jour de lundi est assez considérable, et mon honorable collègue, le ministre de l'intérieur, vous a annoncé, messieurs, que le gouvernement aurait peut-être une communication à vous faire. Il serait donc à déplorer que la chambre ne fût pas en nombre lundi. J'avoue que sans cette considération j'insisterais moins contre la clôture, et céderais à l'impatience de la chambre en me réservant d'émettre devant le sénat les considérations que je voulais encore présenter dans cette enceinte. Mais je le répète, je crains très sérieusement que si le traité était voté aujourd'hui, la chambre ne se trouvât pas en nombre lundi.
- La clôture est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.
La séance est levée à 4 heures.