(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1790) M. de Villegas procède à l'appel nominal à une heure et un quart.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. de Villegas présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Le sieur Jean-Baptiste-François Dieutegard, soldat au 10ème régiment de ligne, né à Compiègne (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Les notaires de l'arrondissement d'Arlon présentent des observations concernant le projet de loi sur l'organisation du notariat. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.
« Les membres du conseil communal et plusieurs habitants de Heule demandent l'union douanière avec la France. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la convention de commerce conclue avec la France.
« Les membres de l'administration communale et plusieurs habitants d'Overmeire prient la chambre de ne prendre aucune décision sur le projet d'établir un chemin de fer de Bruxelles à Gand par Alost avant de connaître le résultat de l'enquête à faire par le gouvernement. »
- Renvoi au ministre des travaux publics.
« Le conseil communal de Brecht demande le maintien du droit d'entrée sur le bétail hollandais. «
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des rapports relatifs au droit d'entrée sur le bétail.
« Les membres de l'administration communale et plusieurs habitants de Ninove, appuyant le projet d'un chemin de fer de Bruxelles à Gand par Denderleeuw et Alost, demandent l'exécution du chemin de fer de la vallée de la Dendre, qui a été concédé en 1843. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La chambre de commerce et des fabriques d'Anvers demande le rejet de la convention de commerce conclue avec la France le 15 décembre 1845. »
M. David. - Je demanderai que cette pétition soit insérée au Moniteur ; elle émane de l'une de nos principales villes, de celle qui est le plus à même d'apprécier une semblable question.
- La proposition de M. David est mise aux voix et adoptée.
M. de Villegas donne lecture de la lettre suivante :
« Bruxelles, ce 1er juillet 1846.
« Monsieur le président,
« Accablé de la plus profonde douleur, je viens vous prier d'informer la chambre que mon père a terminé aujourd'hui, à une heure et demie du matin, sa longue et honorable carrière.
« Veuillez, M. le président, recevoir l'assurance de ma haute considération.
« (Signé) Léon Duvivier. »
M. le président. - La mort vient de nous enlever notre respectable doyen d'âge, M. Duvivier. Si la chambre m'y autorise, je m'empresserai de faire connaître à la famille combien nous sommes sensibles à cette perle et quelle part nous prenons à sa juste douleur.
De toutes parts. - Appuyé ! appuyé !
M. le président. - Il est dans les habitudes de l'assemblée, en pareille circonstance, de tirer au sort une députation de onze membres, à laquelle se réunit le président et qui assiste aux obsèques. Si l'assemblée nous y autorise, nous procéderons à ce tirage au sort. (Adhésion.)
Je suis informé que cette triste cérémonie est fixée à vendredi à onze heures.
- Il est procédé au tirage au sort de la députation, qui est composée de MM. Sigart, de Villegas, David, de Brouckere, Donny, Desmaisières, Kervyn, de Baillet, Anspach, Lys et Vanden Eynde.
(page 1791) M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je suis chargé par le Roi de présenter à la chambre un projet de loi tendant à créer un nouveau canton de justice de paix dans l'arrondissement de Tongres.
Les communes rurales du canton de Maestricht sud avaient été provisoirement réunies, en 1830, au canton de Bilsen. En 1842, un projet avait été présenté, d'après lequel ces communes devaient former un nouveau canton. C'est ce projet que j'ai l'honneur de représenter, par suite de la décision que la chambre a prise, de ne pas s'occuper du projet de loi général sur la circonscription cantonale.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution du projet présenté par M. le ministre et le renvoie à la commission spéciale qui a examiné le projet de loi sur la circonscription cantonale.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je suis également chargé par le Roi de présenter à la chambre un projet de loi tendant à autoriser le gouvernement à acquérir les bâtiments, terrains et landes nécessaires à l'établissement de dépôts de mendicité agricoles. Je prierai la chambre de renvoyer ce projet à une commission. Il est excessivement important que l'on puisse avoir une solution encore pendant cette session. (Interruption.)
Je répète, messieurs, qu'il est extrêmement important d'avoir une solution de la question pendant la session actuelle. Il y a, messieurs, différents terrains et bâtiments qui seront vendus publiquement dans un espace très rapproché, et si on laisse échapper ces occasions, il est probable qu'elles ne se représenteront plus.
- Ce projet de loi sera imprimé et distribué.
M. le président. - Comment la chambre désire-t-elle examiner ce projet ?
Des membres. - En sections !
D'autres membres demandent le renvoi à une commission.
M. de Tornaco. - Messieurs, je reconnais toute l'importance du projet de loi qui vient de nous être soumis ; c'est précisément pourquoi je désire que ce projet soit examiné en sections. M. le ministre de la justice vient de nous dire que les terrains sont à vendre ; je crois que c'est une raison de plus pour que la chambre se livre à un mûr examen, parce que le gouvernement pourrait, cette fois encore, faire cette acquisition pour un prix bien supérieur à la valeur réelle des terrains à acquérir.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, des expertises ont été faites pour établir la valeur des différents terrains qu'il peut s'agir d'acquérir ; il est évident que le gouvernement ne se croira pas autorisé à dépasser le chiffre fixé par ces expertises. Ainsi, la chambre peut être pleinement rassurée sur les craintes qu'a exprimées l'honorable préopinant.
M. Desmet. - Messieurs, eu égard à l'époque fort avancée de la session, il y a certes une grande différence entre le renvoi aux sections et le renvoi à une commission spéciale. Or, il est un fait incontestable, c'est que l'objet dont il s'agit est fort important et a un caractère de grande urgence. Je demande donc que le projet soit renvoyé à une commission qui aura le temps de s'en occuper avant la clôture de la session.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, j'appuie le renvoi à une commission. Si, comme M. le ministre de la justice vient de l'affirmer, il a la ferme intention de ne pas dépasser le chiffre des expertises, je puis vous dire que vous ne devez pas craindre de payer trop cher les propriétés dont il est question. J'ai eu l'honneur de faire partie de la commission d'expertise, et vous savez, messieurs, que je ne suis pas prodigue ; eh bien, si je possédais le capital nécessaire pour l'acquisition de ces propriétés, je les acquerrais ; la question est donc fort urgente ; je demanderai que le projet soit renvoyé à une commission spéciale ; je demanderai même que le bureau veuille bien nommer, si c'est possible, l'honorable M. de Tornaco ; et dans la commission, l'honorable membre reconnaîtra lui-même que l'estimation indiquée ne dépasse pas la valeur réelle des propriétés à acquérir.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, s'il m'était possible de faire connaître dès à présent quelles sont les propriétés que j'ai en vue, je suis persuadé qu'en mettant sous les yeux les estimations qui ont été faites, et en les mettant en regard de la déclaration que je fais, de ne pas dépasser ces évaluations ; je suis persuadé, dis-je, que la chambre voterait à l'instant le projet de loi ; mais il ne m'est pas possible de faire connaître en ce moment à la chambre quelles sont les propriétés auxquelles je fais allusion, car cette révélation engagerait les propriétaires à augmenter considérablement leurs prétentions. Je demande donc que la chambre, sans rien préjuger, renvoie le projet à une commission, et, d'après les pièces que je produirai, cette commission pourra se convaincre que les acquisitions sont réellement avantageuses.
M. de Tornaco. - Messieurs, d'après les renseignements que j'ai obtenus, il s'agit d'acquisitions d'une valeur de plusieurs centaines de mille francs. L'honorable M. Eloy, qui a été expert, à ce qu'il nous dit, prétend que l'estimation n'est pas au-dessus du point où il l'a portée. Mais moi je puis dire à l'honorable membre que les opinions sont partagées à cet égard. J'ai entendu parler des terrains expertisés, en ce sens que la valeur de l'expertise serait au-dessus de la valeur réelle. L'honorable M. Eloy a fait, sans doute, l'expertise avec la conscience la plus libre ; mais tout le monde n'est pas obligé de s'en rapporter à son opinion.
Dans ces sortes d'affaires, les membres des chambres qui savent comment elles se traitent, ont des raisons pour vouloir prendre connaissance de ce qui s'est passé et même des localités à acquérir ; telle est mon intention personnelle ; je me propose de me transporter sur les lieux et de voir si l'emplacement convient à l’établissement qu'on se propose de former et si l'on ne l'a pas mis au-dessus de sa valeur.
Vous devez le reconnaître, la chambre est extrêmement fatiguée, c'est à peine si nous parvenons à nous trouver en nombre ; la convention avec la France a pu seule réunir des membres en nombre suffisant pour délibérer. Le moment serait mal choisi pour nous occuper de ce projet de loi. Je pense, d'ailleurs, qu'il doit être examiné très sérieusement ; pour ces motifs, j'insiste afin que le projet de loi soit renvoyé aux sections et non à une commission.
M. Lebeau. - Si tout le monde était d'accord sur l'utilité d'organiser de nouveau des espèces de colonies agricoles, je comprendrais que le gouvernement cherchât à profiter d'une occasion qui pourrait ne pas se présenter et vînt demander des pleins pouvoirs pour acheter les immeubles propres à cette destination. Mais je crois que les opinions sont loin d'être d'accord ici sur l'utilité de créer de nouveau des établissements de la nature de ceux qu'indique M. le ministre de la justice. Par la position que j'ai occupée, j'ai été à même de reconnaître que les expériences, les essais faits jusqu'ici en Belgique ne sont pas propres à inspirer de la confiance aux chambres. Ces essais ont été très malheureux ; malgré l'appui donné à des établissements formés sous le patronage du gouvernement, mais aux frais et sous la direction de particuliers, ces établissements se sont complétement écroulés et ont dû entrer en liquidation.
Ceci n'est pas une fin de non-recevoir absolue contre l'établissement d'institutions de cette nature, mais c'est une raison pour qu'on ne préjuge pas la création, comme nouvel essai, de ces établissements, pour qu'on ne procède pas comme si la législature était parfaitement d'accord sur leur nécessité et sur leur opportunité. Cette question est assez importante par elle-même et par les conséquences financières qu'elle peut d'ailleurs entraîner, pour être soumise à l'appréciation des sections. Je demande donc le renvoi aux sections ; là on aura l'occasion de se prononcer et sur la question d'utilité et sur la question d'opportunité.
M. de Brouckere. - Si les chambres avaient voté une loi réglant tout ce qui concerne les dépôts de mendicité, je concevrais que le projet que vient de présenter M. le ministre de la justice fût facilement adopté par les chambres, parce qu'il ne serait que l'exécution d'une loi de principe.
Mais je vous prie de remarquer que jusqu'à présent la législature n'a jamais été appelée à faire connaître son opinion sur l’établissement de dépôts de mendicité, sur le nombre de ces établissements, sur leur organisation, enfin, messieurs, sur aucun point de ce qui concerne ces dépôts.
Il y a plus ; M. le ministre de la justice a formulé un projet de loi sur les dépôts de mendicité. Il a soumis ce projet de loi à l'avis des conseils provinciaux ; ceux-ci ont émis leurs avis. Mais quant aux chambres, elles n'ont pas été à même de le faire. Cependant, messieurs, on vous présente un projet de loi d'application avant qu'on n'ait voté le projet de loi de principe. C'est-à-dire qu'on fait les choses complétement à rebours ; et quand vous aurez légèrement voté un projet de loi autorisant le gouvernement à acheter pour une somme très forte certains terrains qu'il a en vue, il pourrait fort bien arriver que lorsque nous discuterons la question de principe, la chambre se prononçât dans un tel sens que ces terrains ne pussent servir à aucun usage ; et il arriverait alors ce que nous avons déjà vu plusieurs fois, c'est qu'on devrait revendre à bas prix ce qu'on aurait acheté trop cher.
La conséquence de ce que je viens de dire, messieurs, c'est que la chambre doit faire un examen très mûr, très attentif, très réfléchi du projet qui vient de lui être présenté, et qu'il y a nécessité à ce que ce projet soit renvoyé en sections. Je crois même que les membres de la chambre feront bien, dans une question comme celle-là, de se rendre aux sections, afin de discuter ce projet de loi avec attention, parce que, je le répète, on vous présente un petit projet de loi ayant pour objet une allocation de fonds pour acheter des terrains, comme si c'était la chose la plus simple ; mais lorsque vous aurez autorisé cette acquisition, on viendra vous demander des fonds considérables pour élever des constructions, et vous serez ainsi entraînés à des dépenses très grandes, sans que vous ayez été à même de juger si ces dépenses auront un résultat avantageux.
J'insiste fortement, messieurs, pour que la chambre, dans une semblable question, n'agisse pas avec légèreté, ne prenne pas une décision lorsqu'elle est déjà fatiguée de ses nombreux travaux, et pour qu'elle renvoie le projet aux sections.
Je ferai remarquer, messieurs, avant de me rasseoir, que déjà M. le ministre de la justice a introduit dans les prisons une espèce de système pénitentiaire et qu'il l'a fait sous sa propre responsabilité, sans que la chambre ait jamais été appelée à discuter une loi de principe sur ce système pénitentiaire, qui est cependant une question fort importante.
Il paraît, messieurs, qu'on veut faire pour les dépôts de mendicité ce qu'on a fait pour les prisons. Quant à moi, je m'y oppose. C'est pourquoi je demande un mûr examen du projet de loi qu'on vous présente et qui entraîne la décision d'un grand principe.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, à entendre les honorables orateurs qui viennent de prendre la parole, on dirait qu'il s'agit de discuter, dès à présent, le fond du la question. Or, la seule question à décider est celle de savoir si l'on renverra le projet à une commission ou aux sections ; après que la commission aura fait son rapport, la chambre, d'après ce rapport et d'après les explications que j'aurai données à (page 1792) la commission, pourra encore décider s'il y a lieu, oui ou non, de s'occuper de la question pendant la session actuelle.
Messieurs, il faut que la chambre le sache ; si le projet de loi est renvoyé aux sections, autant vaut le retirer. Il est en effet absolument impossible, en renvoyant le projet aux sections, d'obtenir de la chambre une décision dans un espace de temps assez rapproché pour permettre au gouvernement d'acquérir les terrains qu'il espère pouvoir avantageusement acheter.
L'honorable M. de Tornaco a dit que l'honorable M. Eloy de Burdinne avait fait l'expertise des terrains qu'il s'agissait d'acquérir. L'honorable M. Eloy de Burdinne a, il est vrai, annoncé qu'il connaissait la valeur des terrains qu'il supposait au gouvernement l'intention d'acquérir.
Mais je dois faire observer à l'honorable M. de Tornaco que je n'ai pas encore fait connaître et que j'ai même dit que je ne pouvais pas faire connaître quels sont les terrains que le gouvernement a en vue. Il n'y a pas seulement à vendre le terrain auquel l'honorable M. de Tornaco a fait sans doute allusion, d'autres terrains peuvent aussi convenir, qui doivent être très prochainement vendus, et, je le répète, si la chambre ne consent pas à faire examiner le projet par une commission, il sera impossible au gouvernement d'être en mesure pour acquérir ces terrains en temps utile.
L'honorable M. Lebeau et l'honorable M. de Brouckere pensent qu'il faudrait avant tout décider le principe et qu'il faudrait savoir si le gouvernement sera ou ne sera pas autorisé à ériger des dépôts de mendicité agricoles. L'honorable M. Lebeau a même dit que des essais antérieurs avaient très mal réussi et que les sociétés qui les avaient tentés, avaient été forcées de se dissoudre et de procéder aune liquidation.
Je pense, messieurs, que l'honorable M. Lebeau a voulu parler des colonies agricoles de Merxplas et de Ryckevorsel, qui ont été créées sous le gouvernement précédent ; ces colonies n'ont pas, en effet, atteint le but qu'on s'était proposé ; mais l'organisation de ces colonies en a été la cause. Sous le gouvernement belge, je ne pense pas qu'aucun essai de cette nature, mais avec les modifications nécessaires, ait été renouvelé.
Messieurs, si je devais dans ce moment répondre à l'observation de l'honorable M. Lebeau et de l'honorable M. de Brouckere, qu'il faut avant tout s'occuper de la question de savoir si l'idée d'établir des colonies agricoles et de les établir avec un système de centralisation, prévaudra, je pourrais faire remarquer que déjà plusieurs fois cette idée a été introduite dans cette chambre ; que notamment la section centrale chargée de l'examen du budget du département de la justice a attiré sur cette question l'attention du gouvernement, en émettant l'opinion qu'il convenait de créer des dépôts de mendicité agricoles, et de confier leur administration au gouvernement. Cette opinion, messieurs, je le répète, a été à différentes reprises émise dans cette chambre, et je ne sache pas qu'elle ait rencontré aucun contradicteur.
Il n'est donc pas exact de dire que le gouvernement introduit, en quelque sorte ex abrupto, une question dont la chambre ne se serait jamais occupée.
Messieurs, l'honorable M. de Brouckere a ajouté que je voulais faire pour les dépôts de mendicité ce que j'avais déjà fait pour les prisons, en exécutant une loi avant qu'elle soit votée. J'avoue que ce reproche de la part de l'honorable M. de Brouckere a quelque sujet de m'étonner.
Cet honorable membre a été l'un des premiers dans cette enceinte à soutenir qu'il était excessivement désirable d'adopter pour les détenus le régime cellulaire ; cette opinion est aussi la mienne, et les constructions que je fais effectuer sont combinées de manière à pouvoir exécuter la loi dès qu'elle sera votée ; je ne puis sans doute mériter aucun reproche de ce chef, je le mérite d'autant moins que j'ai annoncé, de la manière la plus positive, à la chambre que les nouvelles prisons seraient construites d'après le nouveau système, et que cette déclaration reproduite pendant deux sessions consécutives n'a pas soulevé la moindre objection. C'est ainsi, messieurs, que j'ai annoncé que les prisons de Liège, de Verviers, de Courtray, de Louvain, seraient construites d'après le système cellulaire et je le déclare formellement, s'il devait en être autrement, je ferais cesser à l'instant toutes les constructions jusqu'au moment où la loi aurait pu être votée. Je ne voudrais pas, en effet, faire construire des prisons qui ne pourraient servir que dans un système que je combats. Je ne pense donc pas que l'honorable membre puisse me faire un reproche de faciliter dans les prisons l'introduction d'un régime qu'il a lui-même proclamé efficace et à cause de la non-introduction duquel il m'avait adressé des reproches très vifs dans la première discussion que j'ai soutenue en 1843.
M. Eloy de Burdinne. - Je ferai remarquer à la chambre qu'il est très urgent de décider cette question, d'autant plus que dans très peu de temps la propriété dont il s'agit sera vendue et que l'Etat ferait, selon moi, une grande faute s'il n'en faisait pas l'acquisition.
L'honorable M. de Tornaco ne veut pas voter sans connaissance de cause ; je suis parfaitement de son avis : ni moi non plus je ne voterai jamais sans connaissance de cause. Mais je pense, messieurs, qu'une commission peut nous donner tous les renseignements nécessaires pour nous former une opinion. Au surplus, l'honorable M. de Tornaco veut aller voir lui-même la propriété, et il a raison, c'est ce que je fais également dans de semblables circonstances. Eh bien, si l'honorable M. de Tornaco ne faisait pas partie de la commission, rien ne l'empêcherait de se rendre dans les localités afin de s'éclairer d'une manière complète sur la valeur de la propriété et sur ce qu'il convient de faire. Je désire tout autant que l'honorable membre de voir clair dans les questions sur lesquelles j'ai à voter, mais la commission sera composée d’hommes éclairés, et j'espère bien que l'honorable M. de Tornaco en fera partie. Je suis convaincu que l'examen se fera tout aussi bien par une commission, qu'il pourrait se faire par les sections.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, la question est de savoir si on renverra l'examen du projet à une commission spéciale ou aux sections. Ceux qui s'opposent au renvoi à une commission spéciale insistent sur cette considération qu'il ne faut rien préjuger ; mais c'est précisément parce qu'il ne faut rien préjuger que je demande, moi, le renvoi à une commission spéciale. Je dis que d'après tout ce qui a été produit dans ce débat, il est évident que si vous renvoyez le projet aux sections, vous préjugez dès à présent que l'acquisition ne se fera pas, vous la rendez impossible. Y a-t-il rien de plus déraisonnable que cela ? On ne veut pas que la chambre soit mise à même de se prononcer à temps, on veut mettre la chambre dans l'impossibilité de se prononcer pour l'acquisition, et on appelle cela : ne rien préjuger ? On met en avant des fins de non-recevoir qui tendent à faire écarter, dès le principe, le projet présenté, on propose d'adopter dès aujourd'hui ces fins de non-recevoir et de les adopter sous la forme d'un renvoi aux sections substitué au renvoi à une commission.
Je demande, moi, pour ne rien préjuger, que le projet soit renvoyé à une commission spéciale ; lorsque cette commission aura fait son rapport, toutes les questions seront entières, toutes les fins de non-recevoir seront entières également ; si la chambre pense alors que les renseignements ne sont pas suffisants, que des investigations ultérieures sont nécessaires, elle sera encore libre de demander ces renseignements ultérieurs ; mais si le rapport de la commission spéciale met la majorité de la chambre à même de reconnaître qu'il y a utilité évidente à ne pas laisser échapper l'occasion d'acquérir une propriété précieuse pour une destination que cette majorité approuverait, alors au moins elle pourra donner au gouvernement les pouvoirs nécessaires pour faire cette acquisition. Si, au contraire, vous renvoyez le projet aux sections pour être examiné avec la lenteur et la maturité désirée par les honorables membres, il est évident, messieurs, que vous décidez dès à présent que l'acquisition ne se fera pas, vous rejetez le projet et vous le rejetez, ce qui est très grave, sans aucun examen, sans aucune discussion.
J'insiste pour le renvoi à une commission.
M. de Brouckere. - Je demande, comme l'honorable M. Dubus, que la chambre ne préjuge rien ; et c'est pour qu'elle ne préjuge rien que je l'engage à suivre la voie ordinaire, c'est-à-dire le renvoi du projet en sections, car c'est là la marche ordinaire quand il s'agit de projets qui entraînent la solution d'une question de principe, d'une question d'intérêt général. On répond : Mais vous vous méfiez donc d'une commission ? Je ne me méfie pas d'une commission, mais s'il faut admettre un argument semblable, supprimons donc l'article du règlement qui prescrit le renvoi aux sections, sauf les cas exceptionnels.
J'avais fait observer à M. le ministre de la justice, que jamais la chambre n'a été mise à même d'exprimer son opinion d'une manière régulière, ni sur l'organisation des dépôts de mendicité, ni sur le régime cellulaire ; M. le ministre répond : « Mais on a discuté plusieurs fois la question du régime cellulaire ; mais on a parlé plusieurs fois dans les sections, dans la section centrale et dans la chambre même, de l'organisation des dépôts de mendicité. » Je ferai remarquer à M. le ministre qu'il n'a été exprimé, à cet égard, que des opinions individuelles ; ce n'est pas ainsi que s'exprime l'opinion de la chambre ; jamais la chambre n'a émis son opinion sur ces deux questions, et je défie M. le ministre de dénier ce que j'avance.
Veuillez, messieurs, faire attention à une dernière observation que je vais présenter. D'après la législation en vigueur, les dépôts de mendicité sont des établissements entretenus par les provinces et les communes, et M. le ministre de la justice, par un petit projet qu'il présente tout à la fin de la session, comme ne signifiant rien, veut faire trancher cette grande question que les dépôts de mendicité seront à l'avenir entretenus ou au moins établis par le gouvernement.
Vous voyez, messieurs, l'importance de la question ; les dépôts de mendicité sont aujourd'hui des établissements provinciaux, et M. le ministre vous demande de pouvoir acheter un terrain pour établir un dépôt de mendicité gouvernemental, aux frais de l'Etat. Eh bien, je demande si ce n'est pas là une question de principe, si ce n'est pas un changement total de la législation sur les dépôts de mendicité. Je demande aussi pourquoi l'on n'a pas présenté le projet de loi sur cette matière ; il est prêt depuis un an, puisque, depuis un an, les conseils provinciaux s'en sont occupés et ont exprimé leur opinion. Et la chambre ne l'exprimerait pas ! Elle trancherait question à la fin d'une session, sans avoir examiné le principe ; elle dirait à M. le ministre de la justice : « Achetez des terrains pour y établir des dépôts de mendicité aux frais de l'Etat », tandis qu'aux termes des lois en vigueur, ces établissements sont aux frais des provinces !
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, d'après l'honorable M. de Brouckere, il s'agirait de trancher une question de principe ; il s'agirait de modifier ce qui a eu lieu jusqu'ici, quant à l'administration des dépôts de mendicité. Messieurs, le projet de loi ne décide aucune question semblable. La chambre sera saisie très prochainement du projet de loi dont vient de parler l'honorable M. de Brouckere, et où cette question trouvera sa place. Ce projet consacrera les principes qui doivent présider à l'érection des dépôts de mendicité. Aujourd'hui, il s'agit uniquement (page 1793) de l'acquisition de terrains nécessaires pour organiser des dépôts de mendicité agricoles, soit que ces dépôts restent sous l'administration des provinces, soit que le gouvernement soit exclusivement chargé de les diriger.
L'honorable M. de Brouckere n'ignore pas qu'il y a plusieurs dépôts, tels que celui de Hoogstraeten et celui de Mons, par exemple, qui, bien qu'administrés en vertu du décret de 1808, appartiennent au gouvernement ; la question de propriété ne tranche donc pas la question d'administration.
Je persiste à dire que la chambre ne déciderait aucun principe quant à l'administration, en autorisant le gouvernement à acquérir des terrains pour y organiser des dépôts de mendicité ; cette autorisation laisserait intacte la question de savoir si ces dépôts seront dirigés, soit par le gouvernement soit par les provinces.
- Plus de dix membres demandent la clôture.
M. Vanden Eynde (sur la clôture). - Messieurs, je voulais m’opposer au renvoi du projet de loi à une commission ; je voulais en même temps faire connaître les principaux motifs qui m'engagent à repousser ce renvoi ; j'ai été procureur du roi dans la province d'Anvers, et je suis en position de donner des renseignements sur l'établissement de Ryckevorsel, dont M. le ministre de la justice a parlé.
- La clôture est prononcée.
Plus de dix membres demandent l'appel nominal.
Il est procédé à l'appel nominal ; il est entendu que les membres qui répondront oui, votent le renvoi du projet à une commission, et ceux qui répondront non, votent le renvoi aux sections.
67 membres répondent à l'appel nominal.
31 répondent oui.
35 répondent non.
1 (M. de Bonne) s'abstient.
En conséquence, le renvoi du projet aux sections est ordonné.
Ont répondu oui : MM. Brabant, Castiau, Coppieters, d'Anethan, Dechamps, Dedecker, de Haerne, de La Coste, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Muelenaere, de Roo, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, Dubus (aîné), Albéric Dubus, Eloy de Burdinne, Huveners, Kervyn, Lejeune, Malou, Mast de Vries, Rodenbach, Simons, Thienpont, Van Cutsem, Verwilghen, Vilain XIIII et Zoude.
Ont répondu non : MM. Cans, Clep, David, de Breyne, de Brouckere, Delfosse, d'Elhoungne, de Meester, de Tornaco, de Villegas, d'Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dumont, Dumortier, Fleussu, Goblet, Jonet, Lange, Lebeau, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Maertens, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rogier, Sigart, Vanden Eynde, Veydt et Wallaert.
M. de Bonne est invité à faire connaître les motifs de son abstention ; il s'exprime ainsi. - Je me suis abstenu, messieurs, de donner mon vote parce que, faisant partie d'une commission chargée de surveiller la liquidation et la vente de grands biens dépendant d'anciennes colonies agricoles, dont la vente doit avoir lieu dans quelque temps, il se pouvait que ces mêmes biens fussent ceux dont M. le ministre se proposait de faire l'acquisition.
Dans cette circonstance, j'ai donc pensé ne pouvoir émettre une opinion même indirecte.
M. Zoude, organe d'une section centrale, dépose le rapport sur le budget du département des finances pour l'exercice 1847.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. La discussion en sera ultérieurement fixée.
M. de La Coste. - Messieurs, la commission d'industrie m'a chargé de présenter le rapport sur la demande des fabricants de prussiate de potasse, tendant à ce que la sortie de certains déchets nécessaires à leur fabrication soit interdite ou soumise à un droit de 10 fr. La commission propose un projet de loi, à l’effet de soumettre ces déchets à un droit de 8 francs.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. La chambre en fixera ultérieurement la discussion.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je demande la parole pour déposer sur le bureau de la chambre le rapport que j'ai lu en comité général, le rapport de mon honorable prédécesseur, le général Goblet, dont la chambre a désiré la communication, les notes des 31 octobre et 3 novembre du prince de Ligne et de M. Guizot, et les pièces de la correspondance relative à la cinquième classe de fils de lin.
M. de Roo. - J'ai demandé, en comité secret, que M. le ministre des affaires étrangères, qui nous a fait un récit très développé et étendu de nos relations avec la France, relativement au traité de 1842 et du 13 décembre 1845, voulût bien nous faire connaître le rapport des relations antérieures à 1842. M. le ministre dépose actuellement sur le bureau le rapport fait en 1842 par M. le général Goblet, alors ministre des affaires étrangères ; mais ne pourrait-il pas y ajouter les pièces originales de la correspondance avec le gouvernement français à cette époque et de la réponse du gouvernement belge, afin de connaître le véritable état de choses de nos relations à cette époque ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, j'ai examiné tous les dossiers relatifs à la négociation avec la France ; le rapport présenté par mon honorable prédécesseur le général Goblet et celui dont j'ai donné lecture en comité général, renferment une analyse très complète, très détaillée de toutes ces négociations, à chacune de leurs phases ; les divers projets de traité d'union douanière et de traités différentiels à larges bases ou à cadre restreint, ont été tous analysés dans ces rapports.
En examinant la correspondance et toutes les pièces des dossiers, je me suis aperçu qu'il y aurait des inconvénients à les déposer toutes sur le bureau. Quelques-unes ont un caractère complétement confidentiel ; ainsi plusieurs projets ont été rédigés, non en vue de propositions officielles à soumettre, mais pour faire l'objet des études et de l'examen de celui des deux gouvernements auquel les projets étaient communiqués. J'ai pu vous entretenir de ces projets en comité général, mais il y aurait de l'inconvénient à discuter publiquement des faits qui se sont passés en dehors des négociations mêmes.
Il me semble donc qu'il suffît de déposer le rapport du général Goblet et le mien, qui renferment l'analyse complète de toutes ces négociations à chacune de leurs phases, et l'honorable M. de Roo pourra prendre une connaissance aussi entière que possible des divers projets dont les deux gouvernements se sont occupés à diverses époques.
M. Rodenbach. - A propos de l'union douanière, j'ai dans le comité secret interpellé M. le ministre des affaires étrangères ; je crois de mon devoir de l'interpeller de nouveau en séance publique. Vous pouvez tous vous rappeler que naguère le ministre de France, M. Guizot, a dit à la chambre des pairs que l'union douanière entre la France et la Belgique n'était pas une utopie, que c'était une chose réalisable dans l'intérêt des deux pays et que l'époque de la conclusion d'un pareil traité dépendait entièrement du gouvernement belge.
Ces paroles du premier ministre de France ont fait une très grande sensation dans les malheureuses provinces des Flandres, c'est au point qu'elles ont provoqué un pétitionnement très considérable. Il semble qu'en cette occurrence le ministère belge ne peut pas rester muet, il doit répondre au ministre français, si réellement c'est le gouvernement belge qui est cause qu'un pareil traité n'a pas été conclu ; il doit faire connaître au pays à quoi en est cette question d'union douanière. Je prie M. le ministre des affaires étrangères de vouloir bien me répondre.
M. Lebeau. - Je dois signaler dans cette discussion un incident qui ne peut passer inaperçu. Lorsqu'il a été fait rapport dernièrement en séance publique de diverses pétitions adressées aux chambres pour les exciter à pousser le gouvernement vers une union douanière avec la France, les conclusions de la commission ont été le renvoi au ministre des affaires étrangères, avec demande d'explications. M. le ministre a répondu à cette communication par une lettre dans laquelle il a annoncé qu'il saisirait l'occasion de la discussion de la convention avec la France pour donner ces explications. Mais qu'est-il arrivé ? M. le ministre des affaires étrangères a donné des explications en comité secret. Je demande comment il est possible que, de cette manière, une satisfaction quelconque soit donnée aux pétitionnaires ? Comment, s'ils sont dans l’erreur sur la possibilité de réaliser l'union qu'ils demandent, ils seront éclairés par des paroles prononcées en comité secret ? Comment ces paroles pourront dissiper les illusions dans lesquelles on se plaît à les entretenir ? Si, comme je le crois, ce sont des illusions, je pense que des explications franches, mais convenables, données avec la réserve que commande l'intérêt du pays et avec les égards que l'on doit à un gouvernement ami, pourraient dissiper ces illusions. Le ministère ne devrait pas se renfermer sur cette question dans un mutisme absolu ; il doit quelques explications. Puisque les doléances sont publiques et paraissent avoir été suscitées par de puissantes influences, il ne faut pas tenir la lumière sous le boisseau, le gouvernement doit sortir de cette circonspection exagérée dans laquelle il paraît vouloir se renfermer. Je demande la lumière sur cette partie des négociations ; je provoque, quant à moi, des explications catégoriques, au lieu d'insinuations vagues et odieuses sur les négociations qui appartiennent à une certaine époque qu'on semble isoler à dessein. Je déclare, en ce qui concerne le temps où j'étais aux affaires, que je n'ai nul intérêt à dissimuler aucun de mes actes sous ce rapport, et que, notes officielles ou officieuses, je suis prêt à tous débattre cl à tout voir soumis à un examen. Je ne redoute, à cet égard, aucune espèce d'investigations ; au contraire, je les appelle toutes.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Mon intention est en effet, quand la discussion générale aura été ouverte sur la convention avec la France, d'aborder la question d'union douanière et toutes celles qui pourraient s'y rattacher, si la discussion est portée sur ce terrain et si l'utilité de cette discussion me semble reconnue.
Le traité qui est maintenant soumis à vos délibérations ne concerne aucunement la question d'union douanière ; aucune proposition d'association de douanes ne nous a été faite par la France et dès lors des négociations ne sont pas poursuivies dans ce but,
Je pourrais donc me renfermer dans le silence à cet égard, mais je suivrai les orateurs sur ce terrain s'ils désirent m'y placer.
M. de Haerne. - M. le ministre des affaires étrangères vient de déclarer à la chambre qu'il a l'intention de s'expliquer sur le projet d'union douanière, dont on a parlé longuement depuis quelque temps. « Il le fera (dit-il) à l'ouverture de la discussion générale. »
Je ferai remarquer qu'à la fin de la séance d'hier, la chambre ne s'est pas prononcée sur la question de savoir si la discussion continuerait en comité général ou en séance publique. Dans le premier cas, je renoncerais à la parole ; dans le second, je désirerais dire quelques mots.
(page 1794) M. le président. - Il est vrai qu'à la fin de la séance d'hier, la chambre n'étant plus en nombre n'a pas décidé si la discussion continuerait aujourd'hui en séance publique. Mais à l'ouverture de la séance, personne n'ayant demandé le comité général, j'ai dû maintenir la séance publique.
Personne ne réclamant, je déclare la discussion ouverte.
Aux termes du règlement, j'accorderai successivement la parole aux orateurs inscrits pour et contre.
Le premier orateur inscrit est M. d'Elhoungne.
M. de Haerne. -Je demande la parole pour adresser une interpellation à M. le ministre des affaires étrangères, avant l'ouverture de la discussion. Je crois que cette interpellation doit précéder la discussion du traité, parce qu'elle se rapporte à des observations qui doivent nécessairement exercer quelque influence sur l'esprit des membres de cette assemblée.
La chambre se rappellera qu'il y a à peu près un mois, à la séance du 18 mai, j'ai pris la liberté d'interpeller M. le ministre des affaires étrangères sur un procédé chimique employé par la douane française pour reconnaître si les toiles sont écrues ou teintes, procédé qui entraînait de graves inconvénients, puisqu'il avait pour résultat de faire considérer comme teintes des toiles écrues. Je désirerais avoir à ce sujet une explication de M. le ministre des affaires étrangères. Je désire savoir s'il peut nous assurer que la France renoncera à l'emploi du moyen dont je viens de parler.
J'insiste sur ce point, je considère l'explication que je demande comme devant précéder la discussion. Beaucoup de membres de l'assemblée désirent autant que moi être rassurés à cet égard.
J'ai encore d'autres interpellations à adresser au gouvernement ; je me réserve de les faire, puisque la chambre semble le préférer, dans le cours de la discussion, et quand mon tour de parole sera venu.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Effectivement je crois utile, avant que la discussion générale ne soit ouverte, de faire connaître à la chambre le résultat des premières démarches qui ont été faites par suite de la réclamation qu'a portée à cette tribune l'honorable M. de Haerne au sujet d'un mode adopté par la douane française pour distinguer les toiles écrues des toiles teintes.
D'abord, le gouvernement a pris soin d'examiner l'objet même de cette réclamation. La commission d'experts qui existe près du département de l'intérieur pour l'instruction de ces sortes d'affaires s'est réunie plusieurs fois déjà, a procédé à un examen minutieux de tous les faits qui avaient été soumis à son appréciation par le gouvernement, sur la plainte de la chambre de commerce de Courtray.
Cette instruction n'est pas complète ; mais elle est assez avancée pour que le gouvernement ait pu s'assurer que le mode employé par la douane était défectueux et qu'il devait nécessairement l'induire en erreur dans la distinction à établir entre une toile écrue ou teinte. Ces expériences ont démontré, par exemple, que des toiles évidemment écrues, des fils écrus, du lin tillé même, avaient produit une décoloration en bleu d'azur, selon la nature de l'eau où le rouissage avait eu lieu, et peut-être selon la nature du sol où le lin avait été recueilli.
Je donnerai lecture à la chambre de quelques pages d'une lettre que M. le prince de Ligne, notre ambassadeur à Paris, m'a écrite le 28 juin et de la déclaration de M. le ministre des affaires étrangères de France, en réponse aux réclamations du gouvernement belge.
Voici un passage de cette lettre :
« Paris, le 28 juin 1846.
« Monsieur le ministre,
« Aussitôt après avoir reçu les dépêches que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser les 23 et 24 courant, n° 1723/326 et 331, je me suis empressé de prendre les mesures nécessaires pour atteindre le but que me prescrivaient vos instructions. Je me suis rendu chez M. Gréterin, muni des échantillons de toiles dont la classification avait été contestée par suite du nouveau mode de constatation employé par la douane française.
« J'ai remis également à M. l'administrateur les fioles d'eaux analysées chimiquement et d'où il semble résulter que la rivière la Lys contient des matières ferrugineuses qui peuvent être communiquées au tissu dans le rouissage, et lui donner les mêmes effets que si le lin avait subi une préparation.
« M. Gréterin, ainsi que j'ai eu déjà l'honneur de vous en informer dans une lettre particulière (dès que j'eus acquis les premières notions au sujet de cette réclamation), m'a confirmé ce qu'il m'avait dit, en m'assurant qu'il avait fait annuler le plus grand nombre des saisies, pour lesquelles ses employés avaient, à son avis, déployé trop de rigueur.
« Parmi les autres, il en est de douteuses, et deux ou trois lui semblaient de nature à rentrer dans la rigoureuse application de la loi. Du reste, ce fonctionnaire m'a déclaré avoir donné les instructions les plus larges pour l'admission de nos marchandises, en exécution de la convention du 13 décembre ; et sur ma proposition d'amener une négociation, de commun accord entre les deux pays, pour le choix d'un mode servant à établir une démarcation régulière entre les toiles teintes et les toiles écrues, il m'a assuré qu'il entrait complétement dans les vues du gouvernement du roi à cet égard, et émettrait cette opinion à M. Guizot.
« J'adressai, dans la journée d'hier, une note urgente à M. le ministre des affaires étrangères, dans laquelle je lui exposais avec les plus grands détails, les difficultés nouvelles auxquelles l'introduction de nos produits se trouvait assujettie, ainsi que toutes les conséquences fâcheuses qui devaient naturellement en résulter, et je concluais par réclamer (en attendant que les expériences chimiques pussent être faites en France, comme elles l'ont été en Belgique, pour constater les faits énoncés) l'admission du principe d'un arrangement entre les deux gouvernements, dont la garantie était urgente en ce moment de la part du cabinet français.
« La réponse de M. Guizot ne se fit pas attendre ; je la reçus hier dans la soirée, et j'ai l'honneur de vous la transmettre, M. le ministre.
« J'espère que vous la trouverez satisfaisante. J'eus en outre, ce matin, un entretien avec M. le ministre des affaires étrangères. Il résulte des paroles de S. E. que le gouvernement de S. A. le roi des Français est tout disposa à se prêter avec bienveillance et cordialité à l'arrangement à déterminer ultérieurement et à écouter nos propositions pour l'adoption d'un nouveau mode destiné à prévenir les difficultés qu'a fait naître cet incident, réduit, quant à présent, aux proportions d'une question chimique.
« Il n'entre aucunement dans les vues du gouvernement français d'amoindrir les avantages concédés à la Belgique par la convention, et M. Guizot m'en a donné l'assurance formelle.
« Veuillez agréer, M. le ministre, l'expression de ma considération la plus haute.
« L'ambassadeur du Roi,
« Prince de Ligne. »
Voici la déclaration faite par M. le ministre des affaires étrangères de France :
« A Son Excellence M. le prince de Ligne.
« Paris, le 27 juin 1846.
« Monsieur l'ambassadeur,
« Je me suis empressé de faire prendre auprès des administrations compétentes des renseignements sur les circonstances qui ont provoqué la nouvelle réclamation que Votre Excellence vient de me transmettre. Les faits signalés par le cabinet de Bruxelles sont, en ce moment même, soumis à l'appréciation des experts officiels du gouvernement ; cette étude n'est pas encore terminée, mais, en attendant que les résultats en soient connus, je n'hésite point à déclarer à Votre Excellence que l'administration française se prêtera très volontiers à tout arrangement qui aura pour but d'établir une démarcation certaine et régulière entre les toiles teintes et les toiles écrues, et de prévenir les difficultés qu'avait fait naître le mode de constatation employé par la douane.
« Agréez les assurances de la haute considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être,
« Monsieur l'ambassadeur, de Votre Excellence,
« Le très humble et très obéissant serviteur,
« Guizot. »
De manière, messieurs, que nous avons la garantie que le mode de distinction entre les toiles écrues et les toiles teintes sera désormais déterminé de commun accord entre les deux pays, et qu'un arrangement interviendra pour le fixer.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, le traité du 15 décembre, actuellement soumis à vos délibérations, a soulevé dans toutes nos provinces un vif sentiment de répulsion et de regret. Repoussé comme désastreux par ses adversaires, il n'a été jusqu'ici défendu par ceux-là même qui en provoquent l'adoption que comme un acte de nécessité, que des circonstances impérieuses, invincibles, nous condamnent à subir.
La chambre se trouve ainsi placée entre les protestations passionnées des industries considérables que l'acceptation du traité menace dans leur prospérité et la douloureuse insistance des nombreuses populations que le rejet du traité frapperait dans leurs dernières ressources, dans leur existence même.
Il serait déjà difficile et pénible de pénétrer au milieu de ces intérêts, si grands, si divers, et tous si profondément alarmés, et de prononcer avec impartialité sur le déplorable conflit de leurs prétentions inconciliables. Mais les révélations que M. le ministre des affaires étrangères a apportées hier à cette tribune, viennent encore agrandir et compliquer ce débat. Vous avez dû acquérir la conviction, messieurs, par le rapport que M. le ministre des affaires étrangères vous a présenté, que le maintien de nos relations commerciales avec la France, cette question qui touche par tant de points à notre prospérité nationale, le traité du 13 décembre la soulève tout entière.
Si telles sont les proportions que prend le débat ; si telle est la portée du vote que nous sommes appelés à émettre, je pense qu'il faut bannir de la discussion cette réserve diplomatique que l'on nous vantait hier ; je pense qu'il faut dire franchement, sans détour et sans réticence, toute sa pensée et sur les conséquences d'une rupture commerciale avec la France et sur le traité du 13 décembre.
Pour ma part, messieurs, j'estime que demander à la chambre de décréter une rupture commerciale avec la France, ce n'est pas lui faire une proposition sérieuse. Je pense, en second lieu, que si l'on considère le traité du 13 décembre en lui-même, on trouvera que les concessions que ce traité accorde à la France ont été exagérées et que les concessions que ce traité fait à la Belgique, ont été, avec exagération aussi et outre mesure, amoindries.
Messieurs, le traité du 13 décembre est le terme de longues négociations. Ces négociations sont sans doute le commentaire le plus naturel du traité. Je ne me sens pas cependant le courage de parcourir de nouveau le cercle monotone de ces négociations qui ont sans cesse vacillé entre les mêmes demandes et les mêmes refus. Je veux seulement signaler (page 1795) à l'attention de la chambre un point que j'ai trouvé trop effacé dans le rapport de M. le ministre des affaires étrangères.
M. le ministre vous a dit quel a été le mauvais vouloir que nos négociateurs ont rencontré à Paris ; quelles prétentions toujours croissantes, quel dédain pour l'alliance belge ils ont vu traverser leurs efforts ; avec quelle indifférence profonde le gouvernement français envisageait l'hypothèse d'une rupture, avec quelle indifférence aussi on considérait le côté politique des relations entre la France et la Belgique. Mais ce que M. le ministre n'a pas suffisamment fait ressortir, c'est la cause de ces difficultés que nos négociateurs ont rencontrées à Paris. Il y a là une lacune que je crois devoir combler, et d'après les indications que les discussions de la tribune française nous fournissent, et d'après les indications que M. le ministre des affaires étrangères lui-même nous a données soit dans le sein de la section centrale, soit dans le rapport qu'il a présenté hier.
La loi française de 1836 et la loi belge de 1838 ont stipulé des concessions réciproques en faveur des produits des deux pays. Quoique l'importance du mouvement commercial qui s'est maintenu ou créé à l'abri de ces lois, soit loin d'être la même pour les deux pays, quoique le mouvement commercial du côté de la Belgique soit infiniment plus considérable que le mouvement commercial du côté de la France, jamais, sauf dans ces derniers temps, on n'a méconnu le caractère de réciprocité des lois de 1836 et de 1838. En 1841, dans les séances des 10 et 11 février, deux ministres français M. Cunin-Gridaine et M. Duchâtel, proclamaient dans les termes les plus formels le caractère de réciprocité de ces lois de 1836 et 1838. Ils disaient que porter atteinte au tarif de 1836 sur les toiles, par exemple, ce serait porter atteinte aux modifications de tarif stipulées avec la Belgique, et autoriser celle-ci à revenir sur les concessions qu'elle avait faites à la France.
Je sais bien que dans cette même discussion fut voté l'amendement de M. Delespaul et la disposition du tarif sur les blondines. Mais tout le monde doit reconnaître, et la simple lecture de la discussion en fournit la preuve, que ces dispositions ont été introduites dans la législation française en quelque sorte par surprise.
En 1842, lorsque le tarif sur les fils et les tissus de lin fut augmenté par l'ordonnance française du 20 juin, le gouvernement français n'a pas méconnu non plus le caractère de réciprocité des lois de 1836 et de 1838. J'en trouve la preuve dans l'exposé des motifs même que M. le ministre des affaires étrangères nous a présenté à l'appui du traité du 13 décembre. M. le ministre, dans cet exposé, fait ressortir avec beaucoup de raison que si en 1842 le gouvernement français exigeait de la Belgique des concessions nouvelles, c'est parce que, dans sa conviction, la Belgique devait obtenir, par le traité du 16 juillet, plus que le statu quo ; c'est parce que la Belgique, jouissant du privilège des anciens droits, alors que le tarif était augmenté pour les provenances des autres pays, le gouvernement français croyait que la Belgique non seulement conserverait le chiffre de ses exportations, mais les augmenterait considérablement : prévision qui, malheureusement, ne s'est pas réalisée pour les toiles, mais qui s'est réalisée pour les fils de lin.
Comment se fait-il maintenant que des précédents aussi incontestables, que des précédents jusqu'alors incontestés, aient été méconnus dans les négociations de 1844 et de 1845 ? Il faut avoir, messieurs, le courage d'en convenir, c'est qu'à cette époque on avait, sinon enlevé, au moins considérablement amoindri l’intérêt politique que la situation présentait pour la France. L'arrêté du 28 août 1842, qui avait si imprudemment étendu aux vins et soieries d'Allemagne les faveurs que le traité du 16 juillet accordait aux vins et soieries de France ; cet arrêté, par lequel on avait eu l'air de demander pardon à l'Allemagne d'avoir conclu le traité du 16 juillet avec la France ; cet arrêté et le traité du 1er septembre qui n'en est que la conséquence et le complément, voilà les causes de l'irritation et par conséquent des difficultés que nous avons rencontrées en France. Voilà ce qui nous a fait accuser de pratiquer une politique de duplicité et de ruse.
Lisez, messieurs, les discussions des chambres françaises, lisez les discours et des députés hostiles à la Belgique et des députés favorables à la Belgique et des ministres, et vous aurez la conviction intime que l'obstacle réel, que l'obstacle permanent que nous avons rencontré dans nos négociations avec la France, se trouve d'abord dans l'arrêté du 28 août 1842 et ensuite dans le traité du 1er septembre 1843. L'honorable ministre des affaires étrangères a dû convenir, dans le sein de la section centrale, qu'en faisant le traité du 1er septembre, le gouvernement avait pensé faciliter par là les négociations ultérieures avec la France, mais qu'en réalité le traité du 1er septembre n'avait fait qu'engendrer cette irritation contre laquelle nous avons eu si malheureusement à lutter. Et comment, messieurs, en aurait-il été autrement ? Le traité du 1er septembre, en amoindrissant, dans les négociations avec la Belgique, l'intérêt politique de la France, laissait le gouvernement français désarmé devant « cette coalition des intérêts protégés qui exercent en France une si redoutable influence ». Je cite les paroles d'un honorable pair de France, M. le comte Beugnot.
Rappelez-vous, messieurs, quelle a été toujours la pensée politique de la France : La France visait à une chose : nous empêcher de nous tourner vers l'Allemagne. Or, une fois le traité du 1er septembre conclu, que nous restait-il à accorder à l'Allemagne ? Il ne nous reste plus, après le traité du 1er septembre, une seule concession importante à accorder à l'Allemagne, car il ne nous reste plus à lui accorder une seule concession maritime ! Le traité du 1er septembre assimile le pavillon du Zollverein au pavillon de la Belgique pour toutes les provenances, à l'exception des arrivages indirects. Ainsi la seule concession que vous auriez pu faire encore à l'Allemagne, c'eût été d'assimiler les pavillons des deux pays pour les arrivages indirects ; c'eût été d'entrer ainsi avec l'Allemagne dans un vaste système de droits différentiels ! Eh bien ! vous ne pouvez plus faire au Zollverein cette dernière concession depuis que vous avez conclu un traité avec les Etats-Unis. En effet, toutes les faveurs de navigation que vous accorderez désormais au Zollverein ou à toute autre puissance, vous devrez les accorder également aux Etats-Unis. Or, le Zollverein qui aurait, je n'en doute pas, voulu contracter un traité d'après lequel sa marine eût entièrement été assimilée à la marine belge dont elle ne craint nullement la concurrence, ne voudrait pas contracter un traité qui mettrait sa marine en présence de la marine américaine.
Je le répète donc, par le traité du 1er septembre, vous avez fait à l'Allemagne toutes les concessions que vous pouviez lui faire, et dès que vous n'avez plus de concessions à faire à l'Allemagne, l'Allemagne ne vous en fera pas à son tour, qui soient suffisantes pour vous engager à vous tourner tout à fait de son côté. La France n'a donc plus aujourd'hui cet intérêt politique ; elle n'a plus à craindre que vous vous unissiez intimement avec l'Allemagne ; et voilà pourquoi vous trouvez la France irritée profondément, et cependant si indifférente sur la question d'une rupture.
A l'appui de ce que je viens de dire, je rappellerai encore à la chambre que la pensée d'empêcher la Belgique de se rapprocher plus intimement de l'Allemagne, que cette pensée a été à un tel point la pensée constante du gouvernement français, qu'elle s'est manifestée dans toutes les discussions des chambres françaises. Vous la retrouverez, messieurs, cette pensée, et dans la discussion de 1836 et dans celle de 1841 et dans celles de 1844 et 1845, mais vous comprenez que cette pensée, si puissante en 1836 et en 1841, n'est plus qu'affaiblie et bien secondaire depuis la conclusion du traité du 1er septembre.
La France, ne craignant plus de vous voir vous rapprocher de l'Allemagne, devait cependant être peu disposée à vous laisser vous éloigner d'elle, ce qui eût eu lieu si nous n'avions ni renouvelé la convention du 16 juillet, ni fait un nouveau traité avec elle. Mais tous les avantages de la position n'étaient-ils pas pour la France ? Ne dominait-elle pas la négociation du moment que son principal intérêt se trouvait écarté, et que nos intérêts, à nous, et nos besoins étaient plus impérieux que jamais ? La France, messieurs, a largement usé de cette position. Elle nous a imposé les conditions les plus rigoureuses ; et nous avons dû, en définitive, les subir.
C'est donc, messieurs, à l'arrêté du 28 août et au traité du 1er septembre, qui en est le complément, comme je l'ai dit, qu'il faut attribuer les difficultés des dernières négociations et les sacrifices que le présent traité nous impose. Ces difficultés et ces sacrifices étaient-ils imprévus ? Je me permettrai de rappeler à la chambre qu'en votant contre le traité du 1er septembre, j'ai déclaré que je votais contre ce traité pour deux motifs, le premier, parce que le traité ne faisait point à la Belgique des concessions équivalentes à celles que le Zollverein obtenait ; le deuxième, parce que ce traité devait rendre plus difficiles et plus onéreuses nos négociations ultérieures avec la France. Et mon honorable ami, M. Manilius, était encore plus précis dans ses prévisions ; car lorsque MM. les ministres disaient qu'ils feraient un traité avec la France, il répondait : « Je le crois bien : vous ferez un traité avec la France, comme vous en avez fait un avec l'Allemagne, en accordant tout, et comme il ne vous reste que l'arrêté du 14 juillet à accorder, vous accorderez le retrait de l'arrêté du 14 juillet. »
Ainsi, messieurs, les sacrifices nouveaux que le traité impose à la Belgique, sont la conséquence nécessaire, prévue et d'avance signalée du traité du 1er septembre ; les prétentions nouvelles de la France, son indifférence à l'égard d'une rupture, son dédain pour le maintien de ses relations avec la Belgique, tout cela n'a pas d'autre cause. Je pense l'avoir bien établi.
Maintenant, nos négociateurs se sont trouvés placés en face de la rupture : le rapport de M. le ministre des affaires étrangères ne doit point laisser de doute à cet égard. Le rejet du traité, du traité déjà sanctionné par les chambres françaises, nous placerait plus inévitablement encore en présence d'une rupture : Cette rupture, faut-il l'affronter ? La chambre veut-elle l'affronter ?
Je ne veux dire, messieurs, que peu de mots sur cette question.
Je rappellerai que malgré les exagérations de nos statistiques, le mouvement de notre commerce d'exportation vers la France représente plus du tiers de tout notre commerce d'exportation. La France offre aux produits les plus importants de notre agriculture et de notre industrie un débouché qu'il serait impossible de remplacer. Si cette exportation consiste principalement en matières premières, comme on l'a dit fort souvent, si elle consiste encore en denrées qui peuvent être placées sur la même ligne que les matières premières, je demanderai si ces exportations pour cela sont à dédaigner ? Je demanderai si la suppression de ces exportations en jetterait moins la Belgique dans une perturbation profonde ?
Une rupture léserait aussi les intérêts de la France ; qui en doute ? Mais la crise serait-elle la même en France qu'en Belgique ? Il n'est pas difficile de prévoir qui payerait les frais de la réconciliation ; le traité du 1er septembre est là encore une fois comme une leçon vivante. Dans nos relations avec l'Allemagne, il n'y avait qu'une seule industrie gravement compromise, c'était l'industrie métallurgique ; vous savez toutes les concessions que nous avons dû faire ; outre que nous avons été amenés à enrayer même nos relations avec la France. Demandez-vous ce qui en adviendrait, si par suite d'une rupture avec la France, notre industrie (page 1796) métallurgique, nos houilles, notre agriculture, notre industrie linière étaient jetées à la fois dans une crise sans remède et sans issue.
Et voyez, messieurs, car je discute ici la question d'une rupture avec la France, rupture qui est au fond du rejet que quelques-uns demandent du traité, voyez combien le moment serait mal choisi ! On ne doit pas se le dissimuler : à l'instant où je parle, il y a en France une réaction favorable à la Belgique. Dans la dernière discussion de la chambre des députés, si des accusations violentes contre la Belgique ont été applaudies par le côté gauche, il s'est cependant trouvé des orateurs qui ont fait le reproche au traité du 15 décembre, non de faire trop, mais de faire trop peu pour la Belgique. Dans la longue discussion qui a eu lieu à la chambre des pairs, il ne s'est pas levé un seul orateur pour combattre le traité ; mais tous les orateurs, dans les reproches qu'ils lui ont adressés, l'ont accusé d'avoir accordé trop peu à la Belgique, et d'avoir trop marchandé les minces faveurs qu'il fait à notre pays.
D'un autre côté, depuis la conclusion même de ce traité, chacun sait que des capitaux français considérables se sont engagés dans des établissements belges. Les chemins de fer viennent aussi de faciliter et de multiplier les relations entre les deux pays ; et, pour modérer ses tendances prohibitives, la France n'a-t-elle pas le spectacle de cette grande révolution commerciale qui s'opère en Angleterre ?
En réunissant ces circonstances, on doit dire que le moment serait étrangement choisi pour rompre les relations que nous avons avec la France. Ce n'est pas maintenant qu'il s'y manifeste une réaction favorable à la Belgique ; ce n'est pas ce moment qu'il faut saisir assurément pour jeter entre la France et nous une question d'amour-propre national. Or, le rejet du traité élèverait évidemment entre la France et nous l'obstacle insurmontable d'un amour-propre national blessé.
Ceux qui conseillent le rejet du traité, qui conseillent ainsi avec la France une rupture, conséquence nécessaire du rejet ; ceux qui veulent dès lors un système de représailles, une guerre de tarif avec la France ; ceux qui lanceraient sans hésiter le pays entier dans une révolution commerciale et industrielle dont les suites sont incalculables, ceux-là se mettent fort à l'aise. Ils nous disent :
« La France ne peut se passer de nos houilles ni de nos fers, et il faut, par des encouragements, parvenir à remplacer pour l'industrie linière le débouché que nous offre le marché français. »
Quand on va au fond de ces objections, on trouve que les faits les réfutent avec une logique inexorable.
D'abord, quant à nos houilles et à nos fontes, l’abaissement du tarif de la zone maritime porterait un coup funeste à nos exportations au moment même où les besoins du marché français leur promettent un rapide développement.
Ce préjudice, considérable pour l'industrie belge, le serait-il pour la France ? Consultez les prix des fontes et des houilles en Angleterre, et vous verrez que ce préjudice immense, causé à la Belgique, serait un avantage pour la France.
Maintenant, quant à nos toiles, la presque totalité de celles que nous exportons en France sont faites de fil fabriqué à la main ; leur grand marché, leur seul grand débouché, c'est la France. Enlever ce débouché, c'est tuer la fabrication à l'instant même. Remplacer ce débouché, le remplacer assez vite pour que la fabrication ne meure pas auparavant, c'est tenter l'impossible.
Dans le sein de la section centrale, un honorable membre, opposé au traité, mais en même temps animé des intentions les plus bienveillantes pour les Flandres, avait proposé un système de primes d'exportation. Mais je vous le demande, messieurs, en France où le marché nous est acquis par une possession plus que séculaire, où le goût des consommateurs appelle nos produits, le tarif nous assure plus de 1,500,000 francs de primes sur l'industrie d'Irlande et d'Angleterre, et nous ne sommes pas encore parvenus à bannir complétement les produits anglais et irlandais du marché français. En 1844, la France a reçu pour 3 millions de toiles d'Angleterre et d'Irlande.
Que sera-ce donc sur les marchés lointains ? Là on demande des toiles qui ont de l'apparence et qui présentent beaucoup de légèreté ; là on s'attache surtout à la perfection de l'apprêt ; là on veut des toiles qui ont toutes les apparences de la beauté et qui soient cependant fabriquées au meilleur marché possible, c'est-à-dire, avec les matières premières les plus communes.
Or, messieurs, pour tous ceux qui veulent un peu réfléchir sur la portée des faits commerciaux et industriels, il est notoire que les marchés lointains ne demandent plus les produits de notre ancienne industrie linière, qui se recommandent surtout par la perfection et la solidité du travail, et par l'excellence de la matière première ; ces marchés demandent surtout ces tissus légers, moins parfaits, moins solides, mais plus apparents et moins chers qu'on fabrique avec du fil à la mécanique.
L'état de la question linière est celui-ci : Vous avez deux industries ; d'abord l'industrie linière ancienne qui n'a d'espoir que dans le marché français, qu'il faut lui conserver ; dans le marché de la Hollande qu'il faut lui conserver ; dans le marché de l'Espagne qu'il faut tâcher de reconquérir pour elle ; vous avez ensuite l'industrie linière nouvelle ; celle-ci, au contraire, il faut la pousser vers les débouchés lointains ; il faut diriger ses efforts et ses perfectionnements vers ce but. Si elle entre dans cette voie, son avenir est assuré ; elle se développera sur une échelle étendue ; elle transformera peut-être son aînée comme elle l'a fait en Irlande.
Mais si la prudence, la politique, l'intérêt général nous conseillent de travailler à la transformation de l'industrie linière, il ne faut pas commencer par le rejet du traité du 13 décembre. Rompre avec la France, rejeter le traité, mais ce n'est pas transformer l'industrie linière, c'est la tuer !
D'après ces considérations générales, je pense, messieurs, avoir démontré que vouloir une rupture avec la France, c'est vouloir un désastre. Cette démonstration deviendra plus concluante encore, si, parcourant rapidement les stipulations du traité du 13 décembre, nous constatons que les concessions que le traité assure à la France, n'ont pas toute la portée qu'on a voulu leur donner, et que les concessions que la France nous fait sont des concessions sérieuses, importantes, impossibles à remplacer.
Je ferai rapidement cet examen. Je me réserve de revenir sur les détails, lorsque les orateurs qui sont opposés au traité se seront fait entendre.
Messieurs, outre l'avantage général en quelque sorte que présente le traité du 13 décembre, de maintenir nos relations avec la France sur le pied d'une cordialité croissante, et de nous mettre à même de profiter de la réaction favorable qui s'opère en France à l'égard de la Belgique, ce qui nous assure de l'avenir ; le traité du 13 décembre n'accorde de concessions importantes à la Belgique que pour l'industrie linière.
Pour l'industrie linière, le traité comprend la question des fils et la question des toiles. A l'égard des fils, je ne dirai rien de l'importance qu'il y a à conserver le débouché français à la Belgique ; je rappellerai que dans le cours des négociations le gouvernement n'a pas hésité, et il a bien fait, à sacrifier l'intérêt des filatures à la question des toiles. Il aurait consenti, soit à obtenir une faveur moindre sur les fils de lin, soit à n'en pas obtenir du tout, à la condition d'obtenir des avantages plus larges à l'importation de nos toiles. Le gouvernement français n'ayant pas voulu accepter cette base de négociation, il ne faut pas méconnaître l'importance du débouché que le traité assure à une industrie qui est importante et qui est nationale aussi. Dans ce traité, on a introduit une stipulation toute nouvelle, la liquidation des quantités admissibles aux droits réduits. Cette stipulation a été vivement critiquée en France ; elle l'y a été peut-être plus qu'en Belgique. La chambre de commerce de Bordeaux, dont on connaît les lumières, a considéré cette clause comme nous ramenant aux traditions sauvages du moyen âge. A la chambre des pairs et à la chambre des députés, on a également flétri cette limitation par la réprobation la plus énergique, Mais au risque d'ôter à cette réprobation toutes empreintes d'un sentiment de bienveillance pour nous ; au risque de leur ôter quelque peu de leur force, je dois franchement déclarer que la limitation, au point de vue belge, n'a pas toute l'importance qu'on lui suppose. Elle l'aurait, si la stabilité de nos rapports avec la France était garantie pour de longues années ; mais cette stabilité n'étant pas garantie, il en est tout autrement. Aussi, soit qu'on se place au point de vue de l'intérêt général du pays, soit qu'on considère l'intérêt des filatures de lin qui existent aujourd'hui, soit que l'on s'attache à l'intérêt du tissage en Belgique, ou enfin à l'intérêt de nos exportations de toiles, il est impossible de découvrir, dans le principe de la limitation, des conséquences fâcheuses.
Je m'explique : Le traité avec la France assure à nos filateurs une double protection. Il leur assure d'abord sur le marché intérieur une protection très énergique par le tarif prohibitif de la France que nous sommes obligés d'établir à toutes nos frontières ; il assure d'un autre côté à nos filateurs une protection puissante aussi sur le marché français, où il leur accorde une faveur de 30 pour cent sur les produits des filateurs anglais. Il est évident que si aucune limitation n'avait été imposée à l'introduction en France de nos fils de lin, nos exportations auraient éprouvé une progression rapide ; notre industrie de la filature se serait promptement développée ; nous aurions vu surgir des filatures nouvelles dans plusieurs provinces ; et par conséquent nous nous serions trouvés, à l'expiration du traité, en présence d'intérêts plus considérables engagés dans la question de nos rapports avec la France, intérêts encouragés d'une manière artificielle dans leur développement excessif par le traité du 13 novembre.
M. David. - Voilà précisément le malheur qui frappe l'industrie lainière ; vous avez raison de chercher à l'éviter pour l'industrie linière.
M. d’Elhoungne. - Je n'ai pas saisi l'interruption.
Au point de vue de l'intérêt général, la limitation n'est donc pas aussi fâcheuse pour la Belgique, que cela paraît au premier abord. Elle ne l'est pas en considérant l'intérêt des filatures existantes, car elle empêche que, sur la foi du traité avec la France, des fabriques nouvelles viennent s'établir et leur faire une concurrence redoutable. La limitation est loin de léser l'intérêt des tisserands. Si vous ne l'aviez pas, cette limitation, le fil de lin serait toujours en Belgique au même prix qu'en France, sauf la différence du droit d'entrée ; le tisserand belge n'aurait plus pour la matière première d'autre avantage sur le tisserand français ; tandis qu'à présent le prix du fil baissera en Belgique aussitôt que la limitation arrêtera les exportations de fil en France. Or, au point de vue de nos exportations de toiles soit en France, soit dans d'autres pays, cela ne sera point désavantageux. A l'appui de ces réflexions, je citerai des faits. Déjà par l'effet du traité du 16 juillet, le prix du fil mécanique est toujours plus élevé en Belgique qu'en Angleterre et en Irlande ; les prix courants de ces deux pays le constatent ; et cette différence constante du prix de la matière première en Belgique a été signalée comme un obstacle à l'exportation des toiles par M. Moxhet, notre agent diplomatique, récemment envoyé en Angleterre pour étudier l'industrie linière.
(page 1797) Sur la question des fils de lin, j'aurais à vous entretenir d'un autre point encore ; mais j'attendrai les explications que M. le ministre donnera relativement à la cinquième classe que le gouvernement français veut introduire dans le traité, avant de m'en occuper.
J'aborde maintenant la question des toiles. Là encore on a introduit le principe de la limitation. S'il peut être considéré comme un désavantage, je pense qu'il y a d'un autre côté amélioration notable dans la clause du traité qui détermine le mode de vérification des nuances de recru et le mode d'application du compte-fils, qui neutralise l'amendement Delespaul dans ses effets les plus injustes, les plus vexatoires.
Les hommes pratiques ont dû reconnaître, et le simple bon sens dit, et une simple vérification prouve, que ces deux modifications sont avantageuses à la Belgique, avantageuses pour notre commerce de toiles. Nos importations de toiles en France seront facilitées, seront dégagées de nombreux désagréments par ces stipulations du traité. Il est bien entendu cependant que les explications de M. le ministre sur la nouvelle manière de vérifier l'écru pour le distinguer des toiles teintes seront confirmées par les faits postérieurs et que le gouvernement français montrera, dans l'application de ces mesures, la bienveillance loyale que M. le ministre nous a permis d'espérer.
Je dirai peu de mots de la limitation des quantités de toiles, admises aux droits réduits. Nos toiles exportées en France consistant principalement en toiles faites avec du fil à la main, vous devez comprendre que la limitation avec le chiffre de trois millions de kilogrammes ne doit pas nous effrayer. L'industrie des toiles de fil à la main ne tend pas à se développer ; on peut dire qu'elle se restreint, pressée par les circonstances contraires. Dès lors les exportations n'ont pas une tendance à augmenter, et l'on peut dire, sans crainte de se tromper, qu'elles n'augmenteront pas ; qu'importe donc la limitation ? Quant aux toiles de fil mécanique, devons-nous désirer que cette industrie dirige ses efforts vers la France ? Ne devons-nous pas plutôt désirer qu'elle les dirige vers d'autres marchés ? J'ai déjà démontré l'affirmative. Ainsi, en résumé, malgré le principe de la limitation, les deux concessions que vous fait la France sur les fils de lin et sur les toiles, sont des concessions importantes, qui ont un véritable, un immense intérêt pour la Belgique ; et qu'aucune autre puissance que la France ne pourrait vous offrir.
Il reste cette considération que les faveurs qu'on nous accorde ne sont plus des faveurs exclusives dont le caractère exclusif nous est garanti par le traité. Mais nous avons une garantie dans les faits, dans la force des choses, dans l'intérêt d'une grande industrie privilégiée en France, d'une industrie, messieurs, qui fait retentir assez haut ses clameurs pour que nous n'ayons pas à craindre qu'on étende, soit à l'Angleterre, soit à l'Allemagne, les faveurs qu'on nous fait.
Quant aux autres concessions du traité, j'aurai très peu de chose à en dire.
On nous accorde l'abrogation d'une surtaxe sur les machines et mécaniques. Je rappellerai à la chambre quelle est l'importance de cette concession. Le tarif français imposait un droit différentiel sur les machines et mécaniques selon qu'elles étaient importées par navire français ou par navire étranger ainsi que par terre.
La Belgique, forcée d'importer ses machines par terre ou par navire étranger, plus souvent que par navire français, était ainsi soumise au droit le plus élevé. Dans le premier cas, le droit était de 42 p. c. de la valeur ; il était dans le second cas, de 38 fr. 78 c. p. c. de la valeur. Vous voyez que la concession n'est pas importante. Avec un droit de 38 fr. à la valeur, il n'est pas probable que nous importions beaucoup de machines en France, surtout lorsque les machines et mécaniques anglaises sont soumises aux mêmes droits. Sous ce rapport, le gouvernement français a encore commis à notre égard une véritable injustice. Autrefois nous avions déjà la protection résultant de la prohibition à la sortie des machines de l'Angleterre, protection équivalente à la prime de fraude payée en Angleterre même, et qui était de 50 p. c. Nous avions de plus des droits beaucoup moins élevés à subir en France. Lorsqu'on a décrété, en Angleterre, la libre sortie des mécaniques, aussitôt la France a élevé son tarif, mais en frappant du même coup la Belgique contre laquelle le tarif nouveau n'était cependant pas, et ne pouvait être dirigé.
Par le traité actuel, au lieu de nous replacer dans l'ancienne position, on ne nous a accordé que la remise de la surtaxe sur les mécaniques importées par terre, surtaxe qui plaçait la Belgique dans une position plus désavantageuse que l'Angleterre elle-même.
Je ne m'arrêterai pas aux concessions relatives aux ardoises, aux paquebots, à la navigation intérieure. Je pense que d'autres membres en occuperont la chambre.
Je passerai très légèrement aussi sur la première concession faite à la France, c'est-à-dire la réduction des droits sur les vins et les soieries. Cette concession est surtout très onéreuse pour nous : elle fait une brèche considérable à nos voies et moyens, sans produire de grands résultats pour la France. Mais je recommanderai au gouvernement d'étudier la question de savoir s'il ne serait pas possible de rendre la concession que nous faisons à la France, sur l'article vins, moins onéreuse pour nous et plus profitable à la France.
Messieurs, quand on diminue un impôt sur un objet de consommation, de manière à ne pas augmenter par là la consommation, il y a une perte sèche pour le trésor. Mais souvent, lorsqu'on fait une diminution plus forte, il arrive que la perte est moindre, parce qu'on augmente la consommation. Il serait à désirer que gouvernement examinât la question de l'accise et des droits d'octroi sur les vins, pour voir s'il n'y aurait pas des mesures à prendre afin d'obtenir, par une nouvelle diminution de droit sur les vins, une augmentation de la consommation.
Un membre. - Vous déclarez la guerre à la bière.
M. d’Elhoungne. - Pas du tout ; mais je voudrais augmenter ce que nous achetons à la France, parce que je ne pense pas que ceux qui achètent à un pays en soient les tributaires.
Le traité prouve que ce sont ceux qui vendent beaucoup à un autre pays et qui ne lui achètent pas, qui sont ses tributaires.
La concession sur les soieries, tout importante qu'elle est, a perdu de sa valeur, depuis que vous l'avez étendue aux soieries d'Allemagne, les seules qui fassent une vive concurrence à celles de France.
Quant aux tissus de coton, c'est sans doute une grande concession ; mais on était dans l'impossibilité de la refuser ; car on l'avait faite, sans réciprocité et gratuitement à l'Allemagne, par le traité du 1er septembre.
La concession sur les modes et sur les habits neufs n'en est pas une aux yeux de la France ; car le gouvernement belge (peut-être avait-il eu tort) avait pris, en 1843, l'initiative de proposer aux chambres la suppression, sur ces articles, des droits établis par l'arrêté du 14 juillet.
Si le gouvernement belge avait cru devoir déférer aux réclamations du gouvernement français sur ce point, il va de soi que cette concession, dans la dernière négociation, n'a été comptée pour rien, malgré l'importance que lui donnent les chemins de fer internationaux.
La sixième concession que le traité fait à la France concerne les fils de laine, les draps et les tissus de laine. C'est cette concession qui a soulevé les réclamations les plus vives, les plus nombreuses, les plus implacables.
Permettez-moi de vous présenter sur ce point quelques considérations générales.
Les fils de laine ont été protégés en Belgique par la loi du 7 avril 1838. Cette protection a été augmentée en dernier lieu par l'arrêté du 14 juillet 1843. Comment cet arrêté a-t-il opéré en faveur de la filature de laine ? De deux manières différentes.
D'abord il lui a accordé une protection directe, en augmentant les droits sur les fils de laine étrangers qui nous étaient importés par la France pour un tiers, par l'Allemagne et l'Angleterre pour les deux tiers restants. Il lui a accordé ensuite une autre protection d'une manière indirecte, en augmentant le droit sur les tissus de laine fabriqués à l'aide de ces fils, qui jusqu'alors nous avaient été importés encore une fois par la France pour un tiers, par l'Allemagne, l'Angleterre et les autres pays pour les deux autres tiers.
Les effets de l'arrêté du 14 juillet sur la filature de la laine ont été assez remarquables, j'en conviens : la filature s'est concentrée ; elle a travaillé davantage ; mais il faut remarquer que les capitaux nouveaux ne s'y sont en définitive engagés que dans une faible proportion, puisqu'on agissait sous l'empire d'une législation essentiellement provisoire et précaire.
Le traité du 13 décembre n'abolit point l'arrêté du 14 juillet. Il n'enlève pas, à la filature de la laine, la position nouvelle et favorable que cet arrêté lui avait provisoirement ménagée. Que fait le traité du 15 décembre ? Il conserve intacte la protection que l'arrêté du 14 juillet établit contre les fils de laine autres que ceux de France ; or, ces provenances, qui restent frappées, représentent les deux tiers des importations antérieures au 14 juillet 1843. Le traité conserve intacte aussi la protection indirecte, résultant pour la filature, de l'élévation des droits sur les tissus de laine autres que ceux de France ; or, les provenances encore forment les deux tiers des importations, que l'arrêté du 14 juillet a eu pour but et pour effet de restreindre.
Enfin, il laisse subsister, pour les trois quarts la protection indirecte qu'établit l'arrêté du 14 juillet à l'égard même des tissus de laine d'origine française.
Ainsi le traité enlève seulement à la filature la protection directe vis-à-vis des produits d'origine française, et il réduit d'un quart la protection indirecte résultant du droit sur les tissus de la même origine, voilà tout.
Cette industrie de la filature se trouve donc dans une position meilleure qu'avant l'arrêté du 14 juillet, nonobstant le traité actuel. Avant l'arrêté, elle subissait la concurrence de l'Angleterre, de l'Allemagne et de la France (la France n'y entrait que pour un tiers) ; aujourd'hui elle reste protégée puissamment contre l'industrie de l'Allemagne et de l'Angleterre.
Il n'y a que la concurrence de la France que le traité soustrait partiellement à l'action du tarif du 14 juillet.
Je vous le demande, messieurs, les filateurs de laine sont-ils le moins du monde fondés à soutenir devant vous que le traité du 13 décembre est pour leur industrie un arrêt de mort ?
Examinons encore.
La filature de la laine cardée a résisté de tout temps à la concurrence de l'Allemagne, de l'Angleterre et de la France réunies. Elle s'est très largement développée sous le coup de cette triple concurrence. Aujourd'hui qu'elle est débarrassée de la concurrence de l'Allemagne et de l'Angleterre, ne pourra-t-elle pas résister à la concurrence de la France, à l'égard de laquelle sa position s'est encore améliorée ? Je pense que poser cette question, c'est la résoudre.
La filature de la laine peignée, messieurs, est à la vérité plus sensiblement atteinte par le traite du 13 décembre. Car elle trouve une concurrence plus vive dans la filature française. Mais il n'en est pas moins vrai que, pour la filature même de la laine peignée, il reste une protection directe et contre l'Angleterre dont on se plaignait dans l'enquête (page 1798) commerciale presque autant que de la concurrence de la France, et contre l'Allemagne ; et qu'il lui reste une protection indirecte même contre la France.
La filature de la laine peignée, messieurs, occupe 10,000 broches. Depuis l'arrêté du 14 juillet, elle s'est augmentée de 5,000 broches qui sont comprises dans le chiffre de 10,000. Or, je vous le demande, est-ce en présence d'une pareille industrie, qui est respectable sans doute, qui aurait pu s'accroître, mais est-ce en présence d'une pareille industrie que l'on peut mettre en question toutes nos relations avec la France ?
M. Dumortier. - Il ne fallait pas la sacrifier. Elle ne vous demandait rien.
M. d’Elhoungne. - La filature de la laine peignée ne nous demandait rien ? L'honorable M. Dumortier se trompe. La filature de la laine peignée était en instance devant la chambre pour obtenir la ratification de l'arrêté du 14 juillet. Cela est tellement vrai que non seulement le ministère avait été interpellé par les honorables MM. Manilius et Lys à l'effet de savoir quand il proposerait la loi qui devait définitivement sanctionner l'arrêté du 14 juillet, mais que la chambre de commerce de Verviers elle-même écrivait lettres sur lettres à M. le ministre des affaires étrangères pour lui demander de convertir en loi l'arrêté du 14 juillet, lui disant qu'aussi longtemps que la législation ne serait pas définitive, qu'aussi longtemps qu'elle conserverait un caractère provisoire et précaire, il était impossible que l'industrie de la laine peignée pût se développer ; et je vais convaincre l'honorable M. Dumortier que j'ai raison en lui citant un fragment d'une des lettres de la chambre de commerce de Verviers, annexée à une pétition adressée à la chambre. Cette lettre est du 1er mars 1845.
« Ainsi que nous avons eu l'honneur de vous le dire dans notre rapport précité, nous sommes convaincus, M. le ministre, que l'on est en droit d'attendre les meilleurs résultats des changements de tarif réalisés par l'arrêté du 14 juillet, mais aussi longtemps que cet arrête ne sera pas converti en loi, l'industrie de la filature et du tissage ne pourra pas prendre tous les développements dont elle est susceptible.
« C'est ce qui nous est confirmé par M. l'administrateur gérant de la fabrique belge de laine peignée, dans une lettre qu'il nous a adressée le 22 du mois passé. Nous avons l'honneur de vous remettre copie de cette lettre qui contient quelques renseignements sur lesquels nous croyons devoir appeler votre attention.
« Nous avons l'honneur d'être avec une respectueuse considération, M. le ministre.
« Vos très humbles et obéissants serviteurs,
« Le président, (signé) Armand Simonis.
« Le secrétaire, (signé) J.-B. Clavareau. »
Ainsi les fabricants, ainsi la chambre de commerce de Verviers savaient fort bien qu'une législation définitive n'existait pas ; qu'il n'y avait qu'un simple arrêté pris par le gouvernement, en vertu de la loi de 1822. Or, cette loi lui permet sans doute de prendre des mesures conservatoires en faveur des industries du pays, mais elle ne lui permet pas de créer, sans le concours de la législature, des industries nouvelles. Autrement, et si ce n'était là le sens de la loi, il se trouverait que les chambres n'auraient plus leur libre arbitre ; que quand le gouvernement aurait en quelque sorte fait sortir du sol des industries nouvelles, les chambres se trouveraient liées d'avance et ne pourraient plus, en présence d'intérêts individuels nés à l'abri d'un arrêté royal, se prononcer conformément aux intérêts du pays, ce qu'elles doivent toujours faire en toute occurrence.
A ce sujet, messieurs, permettez-moi de le dire, c'est une très grave question de savoir s'il fallait protéger la filature de la laine peignée. On a invoqué l'intérêt des Flandres ; on a dit qu'il fallait, dans l'intérêt des Flandres, transformer l'industrie linière et occuper les populations à l'industrie de la laine. Mais, messieurs, ce n'est pas en établissant des droits sur les fils de laine, qui forment la matière première, que vous développerez le tissage de la laine, seul travail qui puisse prendre la place de l'industrie linière.
Car, si l'établissement des grandes filatures avait suffi pour remédier aux maux de l’industrie linière, les filatures de lin à la mécanique auraient rempli ce but.
Vous le voyez, loin qu'il fallût protéger, dans l'intérêt général, la filature de la laine peignée ; il s'agissait d'une matière première dont on devait favoriser l'entrée dans le pays, au plus bas prix possible : on eût ainsi développé le tissage.
Cela est tellement vrai, messieurs, qu'en 1838, alors qu'on a établi les droits remplacés depuis par l'arrêté du 14 juillet, il s'est trouvé des membres qui ont combattu cette augmentation, en faisant valoir que les fils de laine étaient une véritable matière première nécessaire au tissage qu'il fallait seul développer à tout prix.
Je vais avoir l'honneur de citer les paroles prononcées à la séance du 6 avril à ce sujet. Un honorable membre disait :
« Dans les objets en discussion, je vois aussi figurer l'article fils de laine. Le gouvernement propose un droit d'entrée de 45 fr. sur les fils de laine écrus et non teints, par 100 kilog., et un droit de 60 fr. sur les fils de laine tors, dégraissés, blanchis ou teints, par 100 k. Je me demande si ce droit ne sera pas préjudiciable à certaines industries, car pour beaucoup d'industries le fil de laine est une matière première. Or, dans l'état actuel des choses, une grande partie de ces fils de laine viennent de France en Belgique, et jouissent en entrant de la prime d'exportation que la France donne relativement aux laines ouvrées. Nous pouvons donc produire ces tissus à un prix d'autant plus bas que nous avons cette laine filée à meilleur compte.
« Vous le voyez donc, messieurs, l'industrie peut tirer un avantage réel de la prime d'exportation dont il est question ; c'est ce qui a lieu à Tournay. A Tournay les tapis se fabriquent en grande quantité avec de la laine filée en France. Je remarque bien que quant à la fabrication des draps, on propose d'augmenter le droit sur les draps qui viennent de l'Allemagne et de l'Angleterre, mais je ne vois pas que l'on propose une semblable augmentation en ce qui concerne les tapis.
« D'un autre côté, je remarque, dans l'avis delà chambre de commerce de Saint-Nicolas, un passage qui me paraît exiger une explication.
« Quant aux fils de laine, dit cette chambre, il serait dangereux d'augmenter les droits d'entrée sur celle peignée, ce serait étouffer le germe de plusieurs industries naissantes où le fil de laine peignée commence à être employé ; le petit nombre des filatures, d'ailleurs, qui se trouvent dans le pays, ne sauraient faire toutes les différentes qualités. »
« Voilà donc une chambre qui déclare qu'augmenter le droit sur le fil de laine peignée, serait étouffer le germe de plusieurs industries naissantes. Si le fil de laine est une matière première nécessaire à ces industries, je ne pense pas qu'il faille les sacrifier. Je désire avoir une explication sur ce point, car j'avoue que je ne serais pas disposé à voter une augmentation de tarif pour faire plaisir à une industrie quelconque, aux dépens d'une autre industrie. »
Messieurs, c'est l'honorable M. Dumortier qui a prononcé ces paroles.
M. Dumortier. - Oui, parce qu'alors l'industrie était naissante, tandis que maintenant elle est née ; parce que l'industrie du filage était alors à créer, tandis que maintenant elle est créée. Voilà la différence.
M. d’Elhoungne. - Je suis heureux d'avoir pu, pour conclusion à mon argumentation, invoquer des paroles si justes, auxquelles j'adhère de si bon cœur.
M. Dumortier. - Et je vous réponds qu'il s'agissait alors d'une industrie à créer, tandis que maintenant elle est créée.
M. d’Elhoungne. - J'aborde, messieurs, l'article des tissus de laine.
Ces tissus sont également protégés par l'arrêté du 14 juillet, et la plupart des considérations que j'ai fait valoir à l'égard des fils de laine se reproduisent au sujet des tissus de laine.
L'arrêté du 14 juillet protégeait directement les tissus de laine par l'augmentation du droit ; mais indirectement il atténuait cette protection par celle qui était accordée aux fils de laine de fabrication belge.
Maintenant encore une fois, que fait le traité du 13 décembre ? Il laisse entière, messieurs, la protection directe que l'arrêté du 14 juillet accordait aux tissus de laine pour les provenances d'Angleterre et d'Allemagne ; il ne fait que réduire de 25 p. c. la protection que ce même arrêté accordait aux tissus de laine à l'égard des provenances françaises. D'un autre côté il dégrève les fils de laine, venant de France, qui sont la matière première de cette industrie, ce qui compense en partie la réduction de la protection directe.
Or veuillez remarquer, messieurs, et l'exposé des motifs de l'arrêté du 14 juillet en fait foi, que cet arrêté n'était pas dirigé contre la France. On protestait toujours qu'on n'avait pas voulu frapper la France. On a dit, et dit avec raison, que la tarification était combinée de façon à atteindre surtout les articles venant de l'Angleterre et de l'Allemagne, et à ne pas frapper d'une manière semblable les tissus français.
Ce que l'arrêté du 14 juillet avait le grand tort de faire d'une manière indirecte et cachée (ce qui était un peu la manière du ministre qui a contresigné l'arrêté), le traité le fait d'une manière ouverte.
Pensez-vous, messieurs, qu'en faisant cela, le traité a encore fait une chose imprévue, une chose qui n'entrait pas dans les vues ou les prévisions de l'industrie lainière ? Je me permettrai de vous lire à ce sujet une citation tirée de la discussion du traité du 16 juillet, qui vous prouvera que le gouvernement en consentant à la stipulation du traité qui nous occupe, puisait ses inspirations dans les débats de la chambre même.
Voici ce qui se disait dans la discussion du traité du 16 juillet 1842 :
« Si, comme le disent MM. les ministres, ils entendent accorder à l'industrie nationale la protection qui lui est due, pourquoi ne présentent-ils pas, en ce moment, le projet de loi de protection pour nos fabriques de fils et tissus de laine que sollicite depuis deux ans la chambre de commerce et des fabriques de Verviers, qui, je le répète, ne demande pas une prohibition des fabricats étrangers, mais seulement de voir majorer les droits d'entrée, en frappant les tissus de laine ou de poils unis ou façonnés et étoffes de toute espèce, où ces matières dominent, d'un droit de 250 fr. par 100 kilog., et laissent toujours subsister la disposition par laquelle les provenances du pays où il est accordé, sur les articles de l'espèce, des primes d'exportation, sont frappées d'un excédant de droit, égal au moulant de ces primes.
« En adoptant pareil droit d'entrée, messieurs, il n'y a pas lieu de craindre des représailles de la part de nos voisins, car, d'un côté la France frappe ces objets de prohibition, et de l'autre, c'est le même droit d'entrée qui existe déjà dans les Etats allemands pour les tissus de laine, purs ou mélangés, sans distinction.
« Pourquoi la Belgique n'accorderait-elle pas à ses fabriques de tissus de laine semblable protection que l'Allemagne a établie depuis longtemps ?
« Si, par ordre de la France, nous appliquons à l'Angleterre le tarif français en ce qui concerne les fils et tissus de lin, n'aurons-nous pas le courage de lui appliquer aussi le tarif allemand, en ce qui concerne (page 1799) les fils et tissus de laine ? L'Angleterre, beaucoup plus que la France, inonde la Belgique de ses produits en ce genre.
« En augmentant l'impôt existant, nous pourrions aussi offrir une exception à la France, et, en échange de cet avantage, le gouvernement français s'engagerait à réduire ses droits établis sur le fer, sur la houille ou tout autre produit de la Belgique. Elle en agit ainsi à notre égard pour l'industrie linière.
« Comme la France, la Belgique doit dire que l'augmentation du droit a été reconnue nécessaire, pour arrêter l'invasion des fils et tissus de lin étrangers, dont l'importation toujours croissante, a atteint un chiffre très considérable, et menace de jeter la perturbation dans l'industrie nationale.
« Comme la France, la Belgique peut exprimer la pensée qu'une exception pourrait être faite en faveur des fils et tissus de laine français.
« En effet, les conditions de la fabrication sont à peu près les mêmes en France et en Belgique.
« Et à la différence de la France, qui prohibe entièrement l'entrée chez elle, même vis-à-vis de la Belgique, qui depuis longtemps a fait cesser le système de prohibition, celle-ci laissera, non seulement entrer les fabricats français au même droit que les autres nations, mais offrira au besoin des avantages, tout en lui disant cependant, comme elle nous le dit aujourd'hui, que maintenir les droits tels qu'ils existent, par exception spéciale, alors que le droit est double, vis-à-vis des autres nations, ce ne serait pas conserver le statu quo, ce serait créer un régime de faveur au profit exclusif de la France, et ce régime de faveur, nous lui en demanderions le prix. »
Qui était-ce qui prononçait ces paroles ? C'était mon honorable ami M. Lys, député de Verviers ! Vous voyez donc, messieurs, que l'industrie verviétoise, alors qu'elle n'était pas encore protégée par l'arrêté du 14 juillet, se résignait très bien à soutenir la concurrence de la France et que le gouvernement n'a fait, par le traité, que rentrer dans les intentions premières de l'industrie verviétoise. Dira-t-on maintenant que cotte exception, qui n'est pas complète, peut être le coup de mort pour l'industrie verviétoise, alors qu'un député de Verviers l'avait indiquée lui-même dans cette enceinte ? (Interruption.)
J'aborde immédiatement l'article draps et casimirs, qu'un honorable interrupteur m'objecte.
A l'égard des draps et casimirs, la loi de 1838 avait établi, en ce qui concerne les provenances françaises, une surtaxe égale au montant de la prime d'exportation payée en France. Le traité du 13 décembre accorde l'abolition de cette surtaxe sans toucher au droit principal, sans être lié sur le droit principal. Je crois que le gouvernement belge a fait un peu légèrement cette concession. Si j'ai bien saisi le sens des explications données au sein de la section centrale par M. le ministre des affaires étrangères, j'ai lieu de croire que le gouvernement belge, qui, dans l'exposé des motifs de l'arrêté du 14 juillet soutenait avec une grande assurance et avec beaucoup de développement, que la prime d'exportation accordée en France n'était pas un drawback mais une véritable prime d'exportation, j'ai lieu de croire, dis-je, que le gouvernement belge a trop légèrement admis les assertions du gouvernement français, qui soutient le contraire. Quoi qu'il en soit, je rappellerai à la chambre que la question de savoir si la prime d'exportation payée en France à la sortie des draps, casimirs et tissus de laine, est une véritable prime ou une simple restitution des droits payés à l'importation de la laine, que cette question est une vieille question ; elle a occupé la chambre pendant un grand nombre de séances, en 1837 et en 1838. Elle a été débattue aussi fréquemment en France. En 1837 et en 1838, en retour des concessions que nous faisait la France pour les toiles, les houilles et les fers, en établissant son système de zones à notre avantage, la Belgique a levé la prohibition établie depuis 1823 sur les draps de France.
Eh bien, messieurs, lorsqu'il s'est agi d'accorder la suppression de cette prohibition, il y a eu dans cette enceinte absolument les mêmes plaintes, les mêmes cris de détresse, les mêmes prédictions que nous entendons aujourd'hui. L'industrie drapière déclarait alors que si on lui enlevait le bénéfice de la prohibition il lui était impossible d'exister ; qu'elle était frappée de mort par la concurrence de la France, on évoquait devant vous les milliers d'ouvriers que la suppression de la prohibition devait jeter sur le pavé de Verviers et de Liège. L'honorable M. David ne cessait de dire : « Vous offrez en holocauste à l'industrie des Flandres, l'industrie des draps. » (Interruption.) Je pense que la chambre, en songeant qu'en 1837 et en 1838, les honorables députés de Verviers tenaient ce langage et le tenaient avec un ton d'assurance, avec un ton de conviction profonde, en quelque sorte indestructible, elle se trouvera naturellement amenée à penser que la conviction de ces honorables membres peut être tout aussi erronée en 1846 qu'elle l'a été en 1837 et en 1838 ; que leurs craintes et leurs prédictions d'aujourd'hui ne sont pas plus fondées que leurs craintes et leurs prédictions d'alors ; et que l'industrie verviétoise, loin de recevoir le coup de mort, avancera encore et avancera toujours dans la voie du progrès, où, je me plais à le dire, elle se trouve glorieusement au premier rang.
Je pourrais, messieurs, donner lecture de quelques-uns des discours qui ont été prononcés en 1837 et en 1838, mais l'honorable M. David ayant annoncé qu'il tiendrait le même langage, je crois pouvoir m'abstenir d ces citations.
J'arrive à la question de la prime d'exportation. Dans les discussions de 1837 et de 1838, et dans la discussion actuelle avant que le traité ne fût porté publiquement devant la chambre, on a soutenu d'une part que la prime payée en France à la sortie des tissus de laine, est une véritable prime d'exportation. On a affirmé cela d'une manière absolue et l'on a fait des calculs pour le démontrer.
De l'autre côté on a affirmé et on a fait des calculs tout aussi étendus, tout aussi minutieux, pour établir que la prime française n'est même qu'une restitution incomplète.
Eh bien, messieurs, je crois que les honorables membres qui soutiennent d'une manière absolue l'une ou l'autre thèse, sont également dans l'erreur : d'une part il est certain que le droit établi en France à l'entrée des laines, quand il a été payé sur la laine employée à la fabrication des tissus exportés, que ce droit n'est pas même restitué à l'exportation au moyen de la prime. Mais d'autre part il est certain aussi que la production de la laine est très considérable en France, et qu'on exporte des draps et tissus fabriqués de cette laine ; pour ceux-là il semble qu'il y a prime et non restitution. Mais le prix de la laine française subit l'influence du droit protecteur ; tandis que, il va sans dire cependant, que plus la production indigène augmente, plus cette influence est faible. Il peut dès lors arriver, d'après des circonstances indéfiniment variables et mobiles, que tantôt la prime payée à la sortie sera une restitution incomplète du droit payé sur la laine étrangère, ou de l'élévation de prix produite par le tarif sur la laine indigène ; que tantôt il y aura à la fois et restitution et même une légère prime en sus ; que tantôt enfin il y aura, par suite de faits tout exceptionnels, une véritable prime ; par exemple, parce que la stagnation des affaires aura fait baisser notablement les prix de la laine et parce que l'emploi de la laine indigène aura été considérable. (Interruption.) Je citerai pour le prouver des faits, et des faits beaucoup plus éloquents que tous les raisonnements du monde.
Le premier de ces faits c'est que les filateurs français, dans l'enquête de 1834, demandaient qu'on voulût bien abolir et le droit d'entrée sur la laine brute et la prime d'exportation. Or si la somme payée à la sortie avait été une véritable prime d'exportation, est-ce que les fabricants de fils de laine seraient venus demander la suppression de cette prime ?
L'autre fait est beaucoup plus récent, c'est la discussion du tarif des douanes en 1844 à la chambre des députés de France, qui me le fournit. On a demandé, dans cette discussion, d'élever le droit sur la laine de 20 p. c. à 30 p. c. ce qui faisait élever la prime dans la même proportion ; eh bien, c'est au nom de la fabrication des draps, de la fabrication des tissus de laine que d'honorables députés ont fait rejeter cette proposition. Or si la prime s'élevait au-delà du droit d'entrée, est-ce que les fabricants français s'opposeraient à l'élévation du droit d'entrée alors qu'elle doit entraîner une élévation proportionnelle de la prime d'exportation ? Il me semble, messieurs, que ces deux faits en disent plus que de longs discours.
Certainement, on viendra avec des calculs ; on en a fait en France, on en a fait dans cette enceinte pendant de longues séances, sans que la question se soit éclaircie le moins du monde ; on cherchera encore à le faire, mais je prie la chambre de s'attacher à ces deux faits : c'est que les filateurs français voudraient voir supprimer les droits d'entrée sur la laine et les primes à la sortie ; et que les fabricants de tissus de laine français, refusent l'augmentation des droits d'entrée sur la laine et l'élévation proportionnelle de la prime d'exportation.
Que l'industrie de Verviers se rassure donc ; qu'elle ne joue pas vis-à-vis de l'industrie française le rôle d'un poltron qui se bat avec un autre poltron et qui tremblent de frayeur tous les deux. (Interruption.)
Messieurs, consultez le tableau des exportations de France et des exportations de Belgique en draps et en tissus de laine : vous verrez l’industrie belge et l'industrie française parallèlement, en quelque sorte, combattre l'industrie anglaise sur tous les marchés du monde ; vous verrez les progrès de l'industrie belge contre l'industrie anglaise, être plus considérables, plus rapides que ceux de l'industrie française sur tous les marchés. Or, si la draperie belge lutte si victorieusement avec la France sur tous les marchés, malgré le système de protection adopté en France, malgré les primes d'exportation, pouvez-vous admettre que l'abrogation de la surtaxe, stipulée par le traité, puisse frapper à mort cette puissante industrie ?
Quel langage tenait dans les discussions de 1837 et 1838 l'industrie drapière ? Pourquoi voulait-elle conserver, à l'égard de la France, des droits prohibitifs ? C'est parce qu'elle se plaignait de la concurrence anglaise, de la concurrence allemande ; c'est parce qu'elle se plaignait d'avoir perdu le marché hollandais. (Dénégation de M. David.) Voici ce que disait l'honorable M. Demonceau, M. David : (L'orateur donne lecture d'un passage du discours de M. Demonceau, prononcé le 1er mai 1837.)
Ainsi, après s'être plainte de la vive concurrence de l'industrie allemande et anglaise, après avoir déploré la perte du marché de la Hollande et de ses colonies, l'industrie verviétoise n'avait pas d'autres motifs pour s'opposer à la levée de la prohibition qui frappait les draps français en Belgique.
Or, depuis cette époque, on a délivré l'industrie verviétoise de la concurrence anglaise et allemande ; on peut, sans connaître le résultat des négociations entamées avec la Hollande, on peut prévoir et prédire qu'on lui rouvrira le marché, si vivement regretté par elle, de la Hollande et de ses colonies.
Eh bien, je dirai à l'industrie verviétoise : « Les avantages que le traité avec le Zollverein vous fait sur l'entrée des laines ; ceux que vous procurera la réouverture du marché hollandais, devront être payés par des (page 1800) sacrifices qu'on imposera à d'autres industries ; ce sera l'industrie des Flandres, ce sera la pèche qui payera ces concessions, Avez-vous le droit de vous plaindre ? »
Et je le demande, peut-il en être autrement dans un pays tel que le nôtre ? Dans les négociations avec les autres pays, peut-on constamment offrir des compensations sur les mêmes produits ? Il faut nécessairement qu'il s'établisse une sorte de balance ; en présence des avantages que certaines provinces ont obtenus par le traité du 1er septembre ; en présence de ceux que d'autres obtiendront par le traité avec la Hollande, il est juste que les Flandres en obtiennent dans le traité du 13 décembre.
Ce traité, messieurs, est une question de vie ou de mort pour l'industrie linière. C'est assez dire ce qu'elle est pour les Flandres. Son rejet, c'est une rupture avec la France : c'est assez vous dire ce que le rejet serait pour la Belgique. Je voterai pour le traité.
M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le président. - Il n'y a pas de fait personnel.
M. Dumortier. - C'est pour une rectification.
M. le président. - Vous êtes inscrit ; vous répondrez.
M. Dumortier. - Je demande la parole ; je vais expliquer pourquoi je la demande.
Il n'appartient pas à un membre de cette chambre de tronquer l'opinion d'un collègue, et de jeter à l'avance du blâme sur ce qu'il se propose de dire...
M. d’Elhoungne. - Je demande la parole pour un fait personnel. Ayant été accusé de tronquer l'opinion d'un collègue, je dois repousser ce reproche. La seule phrase du discours de l'honorable M. Dumortier, que j'ai omise, et la chambre comprendra le motif de cette omission, c'est celle qui est relative aux tapis. L'honorable M. Dumortier soutenait que les fils de laine venant de France, servaient à la fabrication des tapis ; ce qui est parfaitement inexact.
M. Dumortier. - Messieurs, puisqu'on a écoulé l'honorable préopinant, j'espère qu'on voudra bien m'écouter aussi et qu'on n'aura pas deux poids et deux mesures.
Lorsqu'en 1838, et remarquez, messieurs, cette date ; lorsqu'en 1838 j'ai parlé dans le sens qu'a indiqué l'honorable M. d'Elhoungne, dans quelle position se trouvait l'industrie de Tournay ? Quoi qu'en dise l'honorable préopinant, je maintiens que ce que j'ai dit alors était de la plus rigoureuse exactitude...
M. Dubus (aîné). - C'est très vrai.
M. Dumortier. - Mon honorable ami confirme ce que je dis ; d'ailleurs, j'ai la preuve en mains. L'industrie de Tournay ne consommait alors que des fils venant de France ; il n'y avait pas, à cette époque, à Tournay, de filatures à la mécanique pour le tissu des tapis ; nous dépendions donc nécessairement de la France ; dans une pareille circonstance, il était très vrai de dire que les fils venant de France étaient une matière première indispensable pour nos fabriques ; mais depuis lors, il s'est établi à Tournay des filatures à la mécanique. C'est ainsi que la manufacture royale de tapis a créé un établissement considérable de ce genre.
L'honorable préopinant a donc donné à mes paroles de 1838 une couleur qu'elles n'avaient pas ; il a fait envisager comme une question générale ce qui n'était alors pour moi qu'une question toute spéciale, exclusivement applicable à l'industrie en faveur de laquelle je parlais. Loin d'avoir réussi à me mettre en contradiction avec moi-même, l'honorable préopinant m'a fourni des armes puissantes pour combattre le système qu'il a défendu dans cette enceinte. J'ai soutenu et je soutiens encore que lorsqu'une industrie dépend du fil venant de l'étranger, ce fil devient pour cette industrie une matière première dont elle ne peut se passer ; en 1838, l'industrie de Tournay dépendait, sous ce rapport, de l'étranger ; mais aujourd'hui des filatures se sont élevées dans cette ville ; notre matière première, nous la fabriquons maintenant nous-mêmes ; dès lors, nous avons cessé de dépendre, à cet égard, de l'étranger, et nous devons à cette industrie la protection que nous accordons à toutes les autres.
Messieurs, je déclare protester contre la suppression, faite par l'honorable préopinant, d'une phrase de mon discours ; suppression qui donne à mes paroles un sens opposé à ce que je voulais dire ; suppression qui aurait pu faire croire que je me serais donné un démenti formel à moi-même.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, je ne devrais pas me lever pour répondre à l'honorable M. d'Elhoungne, dont l'appréciation qu'il a faite du traité a été impartiale et approfondie. Mais il est un passage du discours de l'honorable membre qui nécessite une réponse immédiate de ma part.
L'honorable M. d'Elhoungne a été frappé d'un fait qui a dominé les négociations avec la France depuis plusieurs années : c'est que la France avait méconnu le caractère de réciprocité qui existait entre les lois françaises de 1836 et la loi belge de 1838. Dans l'exposé des motifs du traité du 13 décembre, j'ai eu soin de faire connaître à la chambre qu'en effet c'était le refus apporté par la France, depuis 1840, d'admettre le caractère bilatéral de ces lois qu'une négociation avait préparées, qui avait créé les difficultés dont nos négociations avec la France furent semées depuis.
Mais l'honorable membre croit devoir attribuer la cause de ce changement d'opinion en France, à l'arrêté du 28 août et au traité du 1er septembre.
Je ne puis partager en aucune manière l'appréciation de l'honorable membre à cet égard. En effet, messieurs, l'arrêté du 28 août 1842, qui a étendu à l'Allemagne les faveurs faites à la France sur les vins et les soieries, cet arrêté n'était pas né quand la France a fait paraître l'ordonnance du 24 septembre 1840, par laquelle une partie des avantages que nous avaient accordés les lois de 1836 nous était enlevée. Cette ordonnance étendait aux autres frontières de terre, aux frontières d'Allemagne, la faveur différentielle dont la fonte belge jouissait sur le marché français.
Le tarif, quant au linge de table, fut augmenté. C'est la première fois qu'on introduisit dans le tarif la clause relative aux nuances des toiles écrues. On statuait que les toiles écrues ne devaient avoir subi soit avant, soit après le tissage, aucun degré de blanchiment et devaient conserver la couleur prononcée de l'écru.
Ce fut cette ordonnance qui repoussa nos toiles blondines et à nuances jaunâtres. L'ordonnance élevait encore le tarif sur le fil de lin.
La loi du 6 mai 1841, qui est aussi antérieure à l'arrêté du 28 août 1842, a confirmé l'ordonnance de 1840. Elle l'a aggravée par l'adoption de l'amendement de l'Espaul, relatif aux fractions de fil, disposition qui amenait un véritable déclassement.
Ainsi, la première dérogation aux lois de 1836, la première infraction à cette réciprocité que nous avions attribuée à ces lois et à la loi belge de 18358, date de l'ordonnance de 1840 et de la loi du 6 mai 1841, d'où l'ordonnance du 26 juin 1842 et la convention du 16 juillet sont sorties.
Messieurs, il faut bien le dire, si le gouvernement français a dans l'origine attribué un caractère bilatéral aux lois de 1836 et de 1838, ce caractère n'a pas existé aux yeux des chambres françaises. La preuve de ce que j'avance, c'est que ces chambres ont adopté la loi du 6 mai 1841, c'est qu'elles ont exigé que la Belgique achetât par des concessions l'exception à l'ordonnance du 26 juin 1842, qui avait doublé le droit sur les toiles et les fils de Belgique, c'est qu'en 1844 elles ont exigé que le gouvernement ne renouvelât la convention du 16 juillet qu'en obtenant des avantages nouveaux.
Il faut bien le reconnaître, messieurs, il y a dans nos relations avec la France, dans nos négociations avec elle, deux périodes marquées depuis 1830. De 1830 à 1840, c'est la période ascendante ; depuis 1840, c'est la période décroissante.
De 1830 à 1840 les relations ont été sans cesse s'étendant. Les modifications apportées aux tarifs de part et d'autre l'ont été dans le but de rapprochement mutuel. Mais à partir de 1840, la France est entrée plus avant dans le système protecteur ; les intérêts ont élevé leurs exigences, que le gouvernement n'a pu entièrement dominer. C'est la cause générale à laquelle il faut attribuer les difficultés que nous avons rencontrées depuis dans les négociations avec cette grande puissance.
Ce n'est pas un fait accidentel comme l'arrêté du 28 août, mais c'est la coalition des intérêts protectionnistes qui a poussé la France à amoindrir au lieu d'agrandir nos rapports commerciaux avec elle.
Je crois, comme l'honorable M. d'Elhoungne, que ce traité est le dernier acte de cette période que j'ai appelée décroissante. En effet, les circonstances semblent changer au point de vue de nos relations avec la France.
Les grandes mesures que vient de prendre l'Angleterre auront une influence décisive sur la politique commerciale des puissances de l'Europe et de la France en particulier. Il est évident que le système protecteur est arrivé à son apogée ; il ne peut plus que descendre. Je ne dis pas qu'il faille renoncer aux protections, mais nous sommes placés désormais sur une autre pente.
D'autres faits existent : c'est, d'abord, que la France a de jour en jour un plus grand intérêt à admettre notre houille et notre fonte à des droits réduits. Si la France n'abaisse pas dans un bref délai le droit sur la houille et la fonte belges, il arrivera que la forgerie française du département du Nord et des Ardennes sera complétement compromise. Il y a quelques années, quand les forges du département du Nord et des Ardennes, qui s'approvisionnent de notre fonte et de notre houille, achetaient nos fontes à 7 et 8 fr., ils ne pouvaient pas soutenir la concurrence avec les forges du Midi et du centre sur le marché central de Paris ; comment la concurrence leur serait-elle possible aujourd'hui que la fonte belge se vend 14 et 15 fr. ?
Le minerai manque à la forgerie du Nord, la production des hauts fourneaux est dès lors limitée et ne peut s'étendre au-delà de la production actuelle. Sans notre houille et notre fonte, ce bassin métallurgique de France est condamné à une ruine prochaine.
Je dis que la forgerie du Nord et des Ardennes est complétement compromise, si la France n'admet pas un système de tarif plus modéré à l'égard de la houille et de la fonte belges.
Un autre fait, c'est l'ouverture du chemin de fer entre la France et la Belgique. Il est évident que l'ouverture de cette communication doit être le signal de l'extension de rapports commerciaux avec la France.
Il est impossible que ce fait important ne fasse pas tomber une partie des obstacles qui se sont opposés à ce rapprochement des intérêts. C'est le résultat que le chemin de fer d'Anvers à Cologne a déjà produit.
L'honorable M. d'Elhoungne a cité un fait tout récent, c'est le versement des capitaux français dans nos grands établissements houillers et métallurgiques. Cette alliance d'intérêts donnera au gouvernement belge, dans les futures négociations avec la France, ce qui lui a presque toujours manqué, des points d'appui et des influences en France même.
Ainsi, je crois, messieurs, que le traité du 13 décembre sera le dernier acte de cette période décroissante dont j'ai parlé, et qui a commencé à l'ordonnance de 1840, sous l'empire des idées protectionnistes (page 1801) pour aboutir aux traités de 1842 et de 1845, qui, il faut le reconnaître, avaient pour but de restreindre et non d'élargir le débouché français pour nos produits.
Je crois que désormais les négociations seront plus favorables ; je lègue à mes successeurs des espérances que mes prédécesseurs ne m'avaient pas laissées ; mais n'oubliez pas, messieurs, que le traité du 13 décembre est la condition et le gage de ces espérances. Ne pas le ratifier, c'est compromettre cet avenir dont je viens de parler ; c'est y renoncer.
La cause qui a pesé sur nos négociations n'a donc pas été, comme l'a supposé l'honorable M. d'Elhoungne, l'arrêté insignifiant du 28 août. Je viens de démontrer à l'évidence que l'attitude de la France, dont l'honorable membre se plaint, a été prise en 1840 et en 1841, c'est-à-dire à une époque antérieure à l'arrêté du 28 août et au traité du 1er septembre.
L'arrêté du 28 août a subi des reproches très vifs de la part de l'honorable membre. Mais la chambre n'a pas oublié que cet arrêté était nécessaire, parce qu'à l'époque où il a été porté, la Belgique était en sérieuse négociation avec l'Allemagne. Sans cet arrêté, les négociations auraient été rompues. Nous entrions immédiatement dans la voie de la rupture et des représailles.
Du reste, la France n'a jamais ignoré que les faveurs accordées aux vins et aux soies de l'Allemagne ne pouvaient nuire en rien à la production française.
L'honorable membre a critiqué le traité du 1er septembre. Ce serait, d'après lui, une des causes qui auraient amené le refroidissement de la France à l'égard de la Belgique industrielle. J'ai déjà prouvé que ce refroidissement, si je puis me servir d'une telle expression, date de plus haut. L'ordonnance de septembre 1840, la loi du 6 mai 1841, l'ordonnance de juin 1842, la convention du 16 juillet, par laquelle nous avons dû acheter l'exception linière que nous aurions dû obtenir peut-être gratuitement, l'arrêté sur les machines, etc., tous ces actes ont précédé le traité du 1er septembre.
Je ne comprends pas comment la France aurait pu attribuer au traité du 1er septembre un caractère hostile à ses intérêts. Evidemment ce traité ne blesse en aucune manière, sur aucun point, les intérêts français.
Ce traité repose sur deux bases : 1° la concession que nous faisions à l'Allemagne sous le rapport de la navigation ; or, la France est à cet égard complétement désintéressée ; 2° la concession que l'Allemagne nous a faite concernant notre industrie métallurgique. Eh bien, la France avait-elle intérêt à ce que cette concession ne fût pas faite ? Mais au contraire. Un des grands obstacles dans toutes les négociations antérieures avec la France a été précisément la question des fers. Or, l'Allemagne, en faisant à notre industrie métallurgique une concession efficace, nous permettait, s'il le fallait, de dégager les négociations françaises, jusqu'à un certain degré, de cette grande difficulté que la France avait autant d'intérêt que nous à éloigner.
L'honorable M. d'Elhoungne a renouvelé son appréciation relative au traité du 1er septembre. Il me semble que les faits démentent complétement ses prévisions. Que l'honorable membre interroge la grande industrie de Liège et de Charleroy, il reconnaîtra que depuis le traité du 1er septembre notre industrie métallurgique a pris d'immenses développements.
Je ne veux pas dire que ce traité en soit uniquement la cause ; mais certainement ce traité y a largement contribué.
Le traité du 1er septembre a ce grand avantage qu'il ne blesse aucun intérêt belge, qu'aucun sacrifice ne nous a été demandé pour acheter les concessions obtenues.
Lors de la discussion du traité du 1er septembre, on a reproché au gouvernement d'avoir eu une politique commerciale tendant à menacer la France par l'Allemagne et l'Allemagne par la France. Aujourd'hui, l'honorable M. d'Elhoungne semble faire au gouvernement le reproche contraire.
Il nous a dit que, par le traité avec les Etats-Unis, le gouvernement belge s'était interdit la faculté de faire avec l'Allemagne un traité extensif, ayant la navigation pour base, et il en a déduit cette conséquence, que la France était débarrassée de la crainte de voir nos relations avec l'Allemagne s'étendre, de voir le traité du 1er septembre se compléter ; que c'était la cause de l'indifférence que la France aurait témoignée de voir ses relations avec la Belgique compromises par le non-renouvellement de la convention du 16 juillet.
Le reproche de l'honorable membre repose d'abord sur une erreur de fait ; car le traité avec les Etats-Unis n'est nullement un empêchement à ce que nos relations avec l'Allemagne deviennent plus complètes. L'union de navigation avec le Zollverein, à laquelle l'honorable membre a fait allusion, est possible, après connue avant le traité conclu avec les Etats-Unis. Est-elle utile ? C'est une question que je ne veux pas résoudre ici. Mais ce n'est pas par le moyen de la crainte de cette éventualité que nous devons agir sur la France, mais en lui faisant de jour en jour mieux comprendre qu'il existe un grand nombre d'intérêts communs à régler et qu'une négociation future peut comprendre.
Je dis donc que le traité du 1er septembre n'a aucun caractère d'hostilité à l'égard de la France. Prétendre que la France pouvait s'offenser de la conclusion du traité entre le Zollverein et la Belgique, ce serait dire que la France avait la prétention de nous interdire des relations commerciales avec d'autres peuples, tout en refusant en même temps d'en établir de meilleures avec nous.
La France a trop le sentiment de la loyauté, pour qu'on lui suppose ainsi des intentions qu'elle ne pouvait avoir.
Je crois avoir suffisamment répondu à la partie critique du discours de l'honorable membre.
Pour ce qui concerne le traité du 13 décembre en lui-même, je ne puis qu'applaudir au langage que l'honorable membre a tenu et à la défense qu'il a faite du traité, de manière à laisser peu de choses à dire après lui.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'ai l'honneur de soumettre à la chambre un projet de loi tendant à accorder au gouvernement les crédits nécessaires pour la continuation des travaux du canal de la Campine, du canal de Zelzaete et pour le payement de l'entreprise du réendiguement du polder de Lillo.
Ces crédits s'élèvent, en totalité, à 1,038,000 fr. Il s'agit, messieurs, de pourvoir à des dépenses qui ont été décrétées en principe par des lois. Je demanderai que la chambre veuille bien renvoyer ce projet à l'examen de la section centrale du budget des travaux publics.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; il sera imprimé et distribué.
La chambre le renvoie à la section centrale qui a examiné le budget du département des travaux publics.
- La séance est levée à 4 heures et quart.
- Parmi les membres absents par congé, samedi et lundi dernier, le nom de M. de Foere a été omis.