(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Vilain XIIII, vice-président.)
(page 1765) M. Dubus (Albéric) procède à l'appel nominal à 1 heure.
M. Huveners donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Dubus (Albéric) présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Le conseil communal de Thisselt prie la chambre d'ajourner à la session prochaine l'examen du chemin de fer projeté de Bruxelles à Gand par Alost. »
« Le conseil communal d'Erondegem demande l'exécution de ce chemin de fer. »
- Renvoi nu ministre des travaux publics.
Il est fait hommage à la chambre, au nom de la commission administrative du Musée de l'industrie, de 2 exemplaires de la livraison du bulletin de ce Musée pour 1846.
- Dépôt à la bibliothèque.
M. le secrétaire donne lecture de la lettre suivante de M. le ministre des affaires étrangères.
« Bruxelles, le 25 juin 1846.
« Monsieur le président,
« La chambre m'a renvoyé, avec demande d'explications, une série de pétitions qui lui ont été adressées et qui s'accordent à engager le gouvernement du Roi à négocier l'union douanière de la Belgique avec la France. J'ai eu l'honneur de faire connaître à la chambre, M. le président, qu'à l'ouverture de la discussion sur la convention du 13 décembre 1845, j'exposerai, en comité général, dans toutes leurs phases, les négociations que le gouvernement a poursuivies dans le but d'élargir les rapports du commerce entre les deux pays. Cette communication me procurera l'occasion (page 1766) de traiter, au point de vue historique, la question soulevée dans les pétitions que la chambre m'a fait transmettre, et l'assemblée trouvera, dans les détails mêmes que j'exposerai à ce sujet, les éclaircissements qui me sont demandés.
« Je vous prie d'agréer, M. le président, l'assurance de ma haute considération.
« Le ministre des affaires étrangères. Dechamps. »
M. Osy. - Messieurs, deux jours de suite nous avons voulu fixer notre ordre du jour et nous n'avons pu le faire, parce que nous n'étions plus en nombre. Je crois donc qu'il vaut mieux fixer cet ordre du jour, dès le commencement de la séance.
Nous voyons qu'après la loi des sucres, on met à l'ordre du jour, le projet de loi sur la fabrication de l'or. Je crois que M. le ministre a renoncé à faire discuter ce projet dans cette session.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Non ! non !
M. Osy. - Quoi qu'il en soit, je renouvelle ma demande, tendant à ce que l'on mette à la suite de la loi des sucres, le projet de loi relatif au chemin de fer de Manage à Wavre, avant la convention avec la France. Sans cela, ce projet ne pourra être discuté dans cette session, et les concessionnaires pourront se retirer.
Le rapport de l'honorable M. Desmaisières ne pourra d'ailleurs être distribué que demain soir, et il faudra donner du temps à la chambre jusqu'à mardi pour l'examiner.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Ce à quoi je tiens, c'est que la discussion de la convention avec la France soit fixée à un jour déterminé, parce que, comme mon intention est de demander un comité général pour faire une communication à la chambre, je tiens à ce que tous les membres puissent connaître quel est le jour où la discussion aura lieu.
Je propose donc, comme l'avait demandé l'honorable M. de Haerne, de fixer la discussion de la convention avec la France, à mardi prochain. Je ne demande pas de la fixer à lundi, parce que je crains que, ce jour-là, l'assemblée ne soit pas assez nombreuse.
M. Rodenbach. - J'allais également réclamer que l'on voulût mettre la discussion de la convention du 13 décembre à jour fixe, et il paraît que M. le ministre demande que ce jour soit mardi.
Mais l'honorable député d'Anvers demande qu'on s'occupe préalablement du projet relatif à la concession du chemin de fer de Manage à Wavre. Messieurs, si l'on peut discuter ce projet avant mardi, j'y consens volontiers. Mais si mardi nous n'avions pas terminé cette discussion, il faudrait l'ajourner jusqu'après la discussion de la convention. Je pense d'ailleurs que pour demain M. le ministre des finances sera prêt à soutenir la discussion du projet de loi sur la fabrication de l'or. Cette discussion nous prendra probablement deux séances, de sorte que nous aurons suffisamment de besogne jusqu'à mardi.
- La chambre, consultée, décide qu'elle commencera mardi, toute affaire cessante, la discussion du projet de loi relatif à la convention avec la France.
M. le président. - M. Osy a proposé de discuter le projet de loi relatif au chemin de fer de Manage à Wavre, avant le projet de loi relatif à la fabrication des pièces d'or.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je crains que de cette manière le projet de loi relatif à la fabrication des pièces d'or ne soit renvoyé à la session prochaine. Je le regretterais d'autant plus que ce projet ne peut donner lieu à une longue discussion ; qu'il ne peut pas prendre plus d'une séance, et c'est même lui faire une large part que de lui accorder une séance entière. En utilisant la journée de demain et celle de lundi, nous pouvons très bien terminer le projet relatif aux monnaies d'or et le projet relatif au chemin de fer de Manage à Wavre.
M. Osy. - Messieurs, le cahier des charges du chemin de fer de Manage à Wavre, porte que si la loi n'est pas votée dans cette session, les actionnaires peuvent se retirer, et je crains que si nous discutons d'abord le projet de loi relatif aux monnaies d'or, nous n'ayons plus le temps de voter le projet concernant le chemin de fer de Manage à Wavre.
Je propose donc à la chambre de mettre à l'ordre du jour, immédiatement après le vote définitif de la loi des sucres, le projet de loi sur le chemin de fer de Manage à Wavre, et ensuite le projet relatif aux monnaies d'or, la convention avec la France demeurant, dans tous les cas, à l'ordre du jour de mardi.
- La proposition de M. Osy est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.
M. Dubus (aîné). - Il est bien entendu qu'au moins le projet de loi sur le chemin de fer de Manage à Wavre viendra immédiatement après la loi sur les monnaies d'or.
De toutes parts. - Oui ! oui !
M. Maertens dépose divers rapports sur des demandes en naturalisation.
- La chambre en ordonne l'impression.
(page 1775) M. Pirmez. - Messieurs, vous avez renvoyé à la section centrale, chargée de l'examen du projet de loi de concession du chemin de fer de Manage à Wavre, une pétition du sieur Neville, administrateur et délégué de la compagnie concessionnaire du chemin de fer de Charleroy à la frontière de France vers Erquelinnes, et vous lui avez demandé de présenter un rapport avant la discussion de la loi. C'est à cette prescription que je viens satisfaire.
Le pétitionnaire réclame une mesure législative qui autorise la cote, aux bourses d'Anvers et de Bruxelles, des actions des compagnies concessionnaires des chemins de fer belges, dont les travaux sont en pleine voie d’exécution.
A l'époque où les concessions des chemins de fer furent accordées en Belgique, la fièvre de la spéculation sur toutes les opérations du chemin de fer était portée à tel point que le législateur a dû prendre des mesures de précaution pour empêcher les capitaux des habitants de la Belgique d'être engloutis dans le jeu des primes. Aussi a-t-il prescrit que les actions ne pourraient être cotées, aux bourses d'Anvers et de Bruxelles, avant l'entier achèvement des travaux.
Cette mesure utile et, dit le pétitionnaire, faite pour la circonstance, il est maintenant nécessaire de l'abolir.
Les actions des chemins de fer belges qui, en 1845, étaient à 250 fr. de prime, sont tombées à près de 100 fr. au-dessous du pair.
La fièvre est passée et les précautions qui naguère pouvaient paraître utiles n'ont plus maintenant d'autre résultat que de maintenir et d'augmenter la crainte qui règne dans les esprits. Il n'est entré dans l'intention de personne de faire aux actionnaires une situation précaire et en quelque sorte ruineuse ni de jeter à l'étranger du discrédit sur les chemins de fer belges, et cependant tel est le résultat de la défense portée par la loi de concession.
La chambre syndicale des agents de change près la bourse de Paris a refusé, dit le pétitionnaire, la cote des actions par cela seul qu'elle était interdite aux bourses de Belgique, et qu'il lui semblait injuste d’encourager à Paris des transactions sur des valeurs belges contre lesquelles le gouvernement du pays mettait les nationaux en garde.
Le pétitionnaire fait voir la triste position où la défiance, jetée sur ces titres, place l’actionnaire de bonne foi, celui qui a souscrit avec confiance et qui a fait honneur aux appels successifs de la compagnie. Comment agira-t-il, si quelque motif impérieux, si quelque besoin pressant l’oblige à réaliser ? Il devra enfreindre la loi, s'adresser à des courtiers-marrons et subir, en outre, la dépréciation énorme qu'entraîne ce mode de liquidation. Faudra-t-il qu'il se déclare en faillite lorsqu'il est propriétaire de grandes valeurs ?
Il montre la situation de l'héritier appelé à un partage et de l'exécuteur testamentaire qui trouveront des valeurs dans une succession qu'ils ne pourront vendre sans enfreindre la loi.
Les meilleures intentions, dit le pétitionnaire, les résolutions les plus sages peuvent avoir des résultats tout différents que ceux que l'on s'est proposés, et c'est presque toujours ce qu'amènent les mesures exceptionnelles.
Il n'y a non seulement aucun danger d'abolir les mesures restrictives, mais il est de l'intérêt de la Belgique de rendre au plus tôt licites, faciles et régulières les transactions sur les titres des compagnies, surtout de celles dont la majeure partie des capitaux (tous étrangers) est déjà employée pour les travaux faits dans le pays et qui donnent toute garantie d'une sécurité complète.
Le pétitionnaire cite l'exemple de la France et de l'Angleterre, où les actions peuvent être cotées à la bourse immédiatement après l'approbation des statuts. Il dit que la compagnie qu'il représente est en possession d'une longueur de plus de douze mille mètres de terrain, et qu'il y a plus de huit mois que les travaux du chemin de fer de Charleroy à Erquelinnes sont poussés avec activité.
A la majorité de trois voix contre une, la section centrale décide que la pétition doit être renvoyée à M. le ministre des travaux publics afin que le gouvernement porte son attention sur les résultats signalés de l'interdiction faite en Belgique de coter les actions à la bourse avant l'entier achèvement des travaux.
Maintenant que toutes les exagérations sont tombées et que les esprits sont rentrés dans le calme et la vérité, il importe d'examiner si les mesures que nous avons prises ne sont pas un motif qui peut empêcher les capitaux de prendre part aux opérations des chemins de fer en Belgique.
Il importe surtout que le gouvernement fasse vérifier ce fait annoncé par le pétitionnaire, à savoir que la chambre syndicale des agents de change près de la bourse de Paris a refusé de coter les actions par cela seul que cette cote était interdite aux bourses de la Belgique.
Quelles que soient nos opinions sur le jeu de la bourse, il ne nous est pas possible de dissimuler que la plupart des grandes entreprises, celles qui demandent de grands capitaux, ne se mènent guère à fin sans l'intermédiaire de la bourse.
Hormis les chemins de fer construits par l’Etat, nous n'avons pas connaissance d'opération de ce genre qui n'ait eu besoin de la bourse pour être mise à exécution. Il semble donc que jusqu'à présent la bourse est en quelque sorte un agent indispensable à la construction des chemins de fer par concession.
Des mesures qui fermeraient l'entrée des bourses de Paris ou de Londres aux actions des chemins de fer belges seraient donc un obstacle très puissant à la concession de nouvelles lignes et peut-être à l'achèvement de celles déjà concédées.
Et nous faisons remarquer ici que c'est pour la construction des chemins de fer que la bourse est utile. On conçoit qu'on pourrait s'en passer lorsqu'ils sont achevés.
Les chemins de fer paraissent destinés à opérer tous les transports par terre, il est de l'intérêt de chaque pays et surtout d'un pays comme la Belgique qui produit tant de fer, et qui, en même temps, transporte une si grande quantité de matières pondéreuses, de ne mettre obstacle au développement de ces admirables voies de communication, que pour autant que la nécessité en soit bien démontrée.
La section centrale pense qu'il est de l'intérêt du pays que le gouvernement tâche de bien apprécier la situation et qu’il juge s'il n'y a rien de nuisible aux développements du chemin de fer dans les conditions qui sont imposées.
Qu'il examine aussi si, dans l’état des esprits, les cotes des actions des chemins de fer et le jeu sur ces actions offrent plus de dangers que le jeu sur la plupart des fonds étrangers, sur toutes les espèces d’industries et sur toutes les espèces de loteries étrangères dont périodiquement le bulletin des lois nous donne la longue nomenclature et la cote officielle.
El si ces opérations sont de même nature ; si le gouvernement est convaincu, comme l'a été la majorité de la section centrale, que jusqu'à présent la bourse est un agent indispensable à la construction de presque tous les chemins de fer ; s'il acquiert la certitude que notre législation empêche les actions de nos chemins de fer de se produire dans les grands centres d'affaires ou bien qu'elle est cause qu'elles n'y sont accueillies qu'avec grande défaveur, le gouvernement s'empressera, et la section centrale l'y invite, de proposer des mesures législatives pour remédier au mal qui est signalé.
Il n'est point dans l'opinion de la section centrale qu'il faille tomber d'un excès dans un autre et demeurer entièrement sans garantie. Non, telle n'est pas sa pensée. Elle engage le gouvernement, s'il présente un projet de modification aux conditions actuelles, de prendre toutes les précautions nécessaires pour que les entreprises concédées soient conduites à bonne fin. Le versement de 30 p. c. déjà demande dans les concessions antérieures au projet de Manage à Wavre devrait, par exemple, toujours être exigé. L'emploi de ces 30 p. c. en travaux utiles, est une garantie plus certaine encore. Le payement de tous les terrains expropriés en est encore une autre. Il paraît enfin à la section centrale qu'on peut trouver beaucoup de garanties d'exécution des travaux sans qu'il soit besoin de fermer l'entrée de la bourse aux actions des chemins de fer belges jusqu'à l'achèvement complet de la construction.
(page 1766) - La chambre décide que ce rapport sera inséré au Moniteur.
« Art. 1er. Les articles 34, paragraphes 1er et 45, litt. B de la loi sur les sucres, du 4 avril 1843 (Bulletin officiel, n°XXII), sont modifiés conformément aux dispositions suivantes :
« 1° Art. 34, § 1er. Le droit d'accise sur le sucre brut de betterave est fixé à 30 francs par 100 kilogrammes, à partir du 1er juillet 1840.
« 2° Art. 45, litt. B. Les prises en charge aux comptes ouverts pour sucre brut de canne ou de betterave, résultant de documents délivrés à partir du 1er juillet 1846, pourront, en ce qui concerne les raffineurs, être apurées par exportation jusqu'à extinction de la redevabilité.
M. Delfosse. - Je n'ai pris jusqu'à présent aucune part à la discussion de la loi des sucres, et j'aurais probablement continué à garder le silence, si certains journaux qui passent pour recevoir les inspirations de certains ministres n'avaient, dans un but facile à comprendre, donné à mes votes une portée qu'ils n'ont pas ; s'ils n'avaient cherché à m'attribuer des motifs qui n'ont exercé sur moi aucune espèce d'influence.
A en croire ces journaux, j'aurais en matière commerciale des idées fort étroites, j'appartiendrais à une école rétrograde, je serais l'un des fervents disciples de l'honorable M. Eloy de Burdinne. J'en demande pardon à cet honorable collègue, ce n'est pas moi, ce sont les journaux dont je parle qui qualifient ainsi les doctrines qu'il professe.
Ces journaux charitables ont été plus loin ; ils ont trouvé fort étrange qu'il y eût, entre l'honorable M. Rogier et moi, un dissentiment profond, profond, selon eux, sur la question des sucres, et ils sont partis de là pour nier l'homogénéité de la combinaison ministérielle que l'honorable M. Rogier avait soumise à l'agréation de Sa Majesté.
Ces observations, dont la source ne m'est pas inconnue, et qui sont répétées chaque jour, me forcent à dire quelques mots pour expliquer la position que j'ai prise sur la question des sucres, pour faire connaître les principes qui m'ont guidé, le but que j'ai voulu atteindre.
Et d'abord un mot sur l'homogénéité. En 1840, M. Mercier, défenseur zélé du sucre de betterave, était au pouvoir avec M. Rogier, partisan du sucre exotique ; cela a-t-il empêché le ministère de 1840 d'être homogène ? Non, sans doute. On l'a, au contraire, accusé d'être exclusif.
Je puis citer un exemple plus récent. S'il y a un ministère éminemment homogène, c'est bien certainement le ministère actuel ; eh bien, il y a peu de jours, M. Malou, ministre des finances, s'est trouvé en désaccord avec M. Dechamps, ministre des affaires étrangères, sur l'une des dispositions les plus importantes du projet de loi, et voici ce que M. Malou m'a répondu lorsque j'ai signalé ce désaccord :
« Je demande aux honorables membres, qui ont connaissance des annales parlementaires d'autres pays, s'il n'y existe pas un grand nombre de questions beaucoup plus importantes que celle de l'application d'un principe sur lequel nous sommes d'accord et qu'on appelle des questions ouvertes. Ainsi le cabinet ne cesserait pas d'être homogène, même au point de vue des sucres, parce que mon honorable collègue voterait pour le rendement de 68-18, tandis que je voterais pour le rendement de 69-23. »
Si le ministère actuel pouvait, sans perdre le caractère d'homogénéité, qui le distingue éminemment, faire de la question des sucres une question ouverte, une question réservée, pourquoi le ministère ne l'aurait-il pas pu également ?
M. le président. - M. Delfosse, il me paraît que vous sortez de la question.
M. Delfosse. - Pardon, M. le président, vous allez voir que les observations que je présente ont un rapport direct à l'article qui est en discussion ; elles servent à expliquer, pourquoi j'ai repoussé cet article au premier vote ; veuillez attendre un peu, je ne serai pas long.
Je n'ai pas à rendre compte ici de ce qui s'est passé entre l'honorable M. Rogier et moi, au sujet de la formation du ministère ; mais je puis affirmer qu'il n'y a pas, sur la question des sucres, entre l'honorable M. Rogier et moi, un dissentiment aussi profond qu'on se plaît à le dire.
L'honorable M. Rogier et moi nous sommes d'accord sur un grand principe. Nous pensons que la liberté de commerce, que la liberté des échanges est une chose bonne, une chose désirable ; mais nous ne voulons pas introduire brusquement ce principe dans notre législation, nous savons tenir compte des faits, des intérêts engagés ; nous ne voulons pas jeter imprudemment la perturbation dans les industries du pays.
Notre principe étant le même, notre but étant commun, ce n'est guère que sur des questions secondaires, que sur l'appréciation des faits que le dissentiment aurait pu porter.
Voici, pour ce qui me concerne, ce que je pense sur la question des sucres ; s'il y avait table rase, si nous n'avions ni fabriques de sucre indigène, ni raffineries de sucre exotique, je dirais à ceux qui voudraient cultiver la betterave dans le but d'en extraire du sucre : Vous êtes parfaitement libres d'introduire cette branche d'industrie dans le pays, mais si vous le faites, vous le ferez à vos risques et périls, je vous préviens que vous ne devez compter sur aucune faveur. Je tiendrais le même langage à ceux qui voudraient établir des raffineries de sucre exotique. Malheureusement, la position n'est pas telle ; on a créé, à l'aide de la législation, une quantité d'établissements qui ne peuvent se soutenir par eux-mêmes et qui n'ont qu'une existence factice ; leur retirer tout à coup les faveurs dont ils ont joui jusqu'à présent, ce serait causer leur ruine, ce serait amener de grands désastres.
Il faut donc user de ménagements envers les deux industries ; c'est pourquoi le gouvernement, et je le loue en cela, s'est mis à la recherche des mesures propres à assurer la coexistence des deux sucres, tout en garantissant une certaine recette au trésor.
(page 1767) M. le ministre des finances croyait avoir résolu le problème par le projet de loi qu'il a présenté dans la séance du 10 février 1840 ; d'après ce projet le rendement était fixé à 72-58 ; l'accise était portée à 38 fr. pour le sucre indigène, elle restait à 45 fr. pour le sucre exotique.
Ce projet qui était, dans l'opinion du gouvernement, de nature à satisfaire tous les intérêts ne contenta personne ; les réclamations, qui s'élevèrent de toute part, furent tellement énergiques que M. le ministre des finances se décida à le modifier, en abaissant, d'une part, le rendement de 72-58 à 69-23 et en réduisant, d'autre part, l'accise du sucre indigène de 38 à 30 fr.
Ces modifications étaient un sacrifice que le trésor s'imposait en faveur des deux industries ; mais elles ne changeaient rien, ou tout au moins elles changeaient fort peu de chose à la position respective des deux sucres. Il résulte en effet de calculs présentés par M. le ministre des finances, calculs qui reposent sur des bases plausibles, que l'avantage résultant de ces modifications était de 348,000 fr. pour le sucre de canne et de 304,000 fr. pour le sucre indigène.
Si M. le ministre des finances avait maintenu ce projet, je m'y serais probablement, très probablement, rallié ; et alors mon vote aurait été, sur presque toutes les questions, conformes aux vues du gouvernement.
Mais M. le ministre des finances ne s'est pas arrêté là. Poussé par de nouvelles réclamations, il s'est décidé à modifier une seconde fois son projet et à abaisser le rendement à 68-18.
J'aurais pu consentir encore à suivre M. le ministre des finances sur ce nouveau terrain, s'il avait complété la mesure, en accordant au sucre indigène un avantage à peu près égal à celui qu'il venait d'accorder au sucre exotique.
Puisque M. le ministre des finances avait regardé la réduction de l'accise sur le sucre indigène de 38 à 30 fr., comme une compensation équitable de l'avantage que le sucre exotique devait retirer de l'abaissement du rendement de 72-58 à 69-23, il aurait dû pour être conséquent, alors qu'il modifiait encore le rendement, alors qu'il le fixait à 68-18, il aurait dû opérer aussi une réduction analogue sur l'accise du sucre indigène.
En laissant cette accise à 30 francs, alors qu'il faisait descendre le rendement à 68-18, M. le ministre des finances a accordé au sucre exotique un avantage de cent mille francs de plus qu'au sucre indigène. (Signe de dénégation de la part de M. le ministre des finances.) Cela résulte de calculs que vous avez présentés et qui sont consignés au Moniteur.
Il a changé la position respective des deux sucres, il a rompu les conditions d'équilibre qu'il avait posées lui-même.
Là, messieurs, est tout le secret de mes votes. Je n'étais ni pour le sucre de betterave ni pour le sucre de canne ; j'ai cherché, comme toujours, à être impartial, et si je n'ai pas suivi M. le ministre des finances jusqu'au bout, c'est à cause de l'inconséquence regrettable que je viens de signaler. !
J'étais pour le rendement de 69-23 avec l'accise de 30 fr. pour le sucre indigène, ou bien pour le rendement de 68-18 avec l'accise de 28 francs ; : si l'accise de 28 fr. proposée par l'honorable M. de la Coste avait été adoptée au premier vote, j'aurais voté pour le rendement de 68-18 avec M. le ministre des finances et avec l'honorable M. Rogier ; j'aurais très probablement voté avec eux sur les autres questions.
Vous voyez, messieurs qu'il n'y a pas de dissentiment bien profond entre l'honorable M. Rogier et moi sur la question des sucres ; notre dissentiment n'est pas plus profond, il est le même que celui qui s'est manifesté, il y a quelques jours, entre M. le ministre des finances et M. le I ministre des affaires étrangères.
Jugez, après cela, si je puis être accusé d'avoir, en matière commerciale, des idées étroites, d'appartenir à une école rétrograde et d'être l'un des fervents disciples de l'honorable M. Eloy de Burdinne, dont je combats au contraire les doctrines, tout en respectant les convictions.
En commerce et industrie, comme en politique, j'appartiens à la grande école de ceux qui veulent la liberté. Mais je suis opposé aux mesures trop brusques, aux secousses trop violentes ; je sais que le bien ne s'obtient pas en un jour, j'ai la patience d'attendre. Voilà l'école à laquelle j'appartiens, je pense que c'est aussi celle de l'honorable M. Rogier.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je ne m'occuperai pas de toute la partie du discours de l'honorable M. Delfosse qui concerne les attaques dirigées contre lui par les journaux. Pour moi, j'ai lu toute la polémique de la presse depuis que le projet de loi sur les sucres est en discussion, et si j'avais seulement voulu répondre à la moitié de ce qui m'a été dit, vos séances n'y auraient pas suffi.
Messieurs, le projet primitif a été maintenu, quant au système. Il a été maintenu quant à tous les points, et les premiers votes de la chambre consacrent ce système en tout ce qui concerne les principes de la loi.
L'honorable membre croit qu'en présentant ce projet de loi au mois de février, j'ai espéré obtenir l'adhésion de tous les intéressés. Mais que l'honorable membre veuille voir l'exposé des motifs, et il reconnaîtra que dans cet exposé j'avais déclaré que je m'attendais à voir naître des réclamations de part et d'autre.
Ce n'est pas exclusivement à cause de ces réclamations que j'ai modifié le projet. J'ai reconnu qu'une période de transition pouvait être admise et qu'il était de l'intérêt commun des deux industries que cette période de transition fût consacrée par la loi.
L'honorable membre établit une corrélation absolue entre tout abaissement du rendement, et toute diminution du chiffre de l'accise. Déjà, messieurs, plusieurs fois cette observation s'est produite. Depuis que le gouvernement a proposé le chiffre de 68-18, j'ai constamment demandé que l'on démontrât qu'avec le chiffre de 30 fr.et l'égalité de la décharge, l'industrie du sucre indigène ne pouvait pas lutter, que la coexistence était réellement compromise, et cette démonstration n'a pas été faite.
L'honorable M. Delfosse suppose que pour un franc d'augmentation de la décharge, il faut nécessairement qu'il y ait une diminution de l'accise proportionnelle. Mais, messieurs, combien de fois depuis quinze jours n'a-t-on pas démontré que le rendement était d'un intérêt commun, d'un intérêt proportionnel pour les deux industries !
L'honorable M. Delfosse, appliquant la même méthode de calcul à la balance des avantages obtenus par la réduction proposée au début de la discussion, trouve maintenant que l'équilibre entre les deux industries est rompu d'une somme de cent mille francs.
M. Delfosse. - C'est vous qui l'avez dit.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Pardon. J'ai calculé sur un rendement déterminé. Mais il ne résulte pas de ces calculs que si vous changez d'une unité le chiffre de la décharge, cela produise 100,000 fr., parce que, lorsque je baisse le rendement, le mouvement commercial se restreint.
Dès lors les calculs devraient être refaits, et j'ai refait les calculs dans cette hypothèse. Je suis arrivé à une balance, en sens inverse, je le reconnais.
Dans les premiers calculs j'arrivais pour la betterave à un avantage de 16,000 fr. Dans les seconds, en supposant que la moitié seulement du sucre indigène pourra être exportée, il y aura pour la canne un avantage d'à peu près 25 à 30 mille francs. Mais je suis en droit de supposer, et je crois que dans la discussion j'ai démontré à l'évidence que non seulement la moitié du sucre indigène sera exportée, mais que la totalité en sera exportée ; et s'il en est ainsi, non seulement la balance ne penchera pas pour le sucre exotique, mais penchera très notablement en faveur j du sucre indigène.
Du reste, je n'insisterai pas sur ce point. 1l n'y a pas d'autre chiffre proposé jusqu'à présent que celui de 50 francs.
M. Delfosse. - M. le ministre des finances vient de combattre la corrélation que j'ai établie entre l'abaissement du rendement et le chiffre de l'accise sur le sucre indigène ; mais je lui ferai remarquer que c'est lui-même qui a établi cette corrélation, cela est consigné au Moniteur.
Lorsque M. le ministre des finances a abaissé le rendement de 72-58 à 69-23, il a en même temps réduit l'accise de 38 à 30 francs et il a dit qu'il résultait de ces modifications un avantage de 348,000 francs poulie sucre de canne et de 364,000 francs pour le sucre indigène.
M. le ministre des finances nous dit que l'abaissement du rendement a pour effet de restreindre le mouvement commercial et que cela doit modifier mes calculs ; je demanderai à M. le ministre des finances si l'abaissement du rendement de 72-58 à 69-23 ne devait pas avoir aussi pour effet de restreindre le mouvement commercial.
Quoi qu'il en soit, M. le ministre des finances reconnaît lui-même que la dernière modification a constitué un avantage d'environ cinquante mille francs pour le sucre exotique. J'avais évalué cet avantage à cent mille francs en prenant pour base les calculs de M. le ministre ; eh bien, cet avantage de 50,000 fr. est encore suffisant pour m'autoriser à maintenir ce que j'ai dit, que M. le ministre des finances a rompu les conditions d'équilibre qu'il avait posées pour les deux sucres.
Bien que j'aie voté contre la plupart des dispositions du projet de loi, je ne voterai pas néanmoins contre l'ensemble, parce que je le préfère encore à la loi qu'il s'agit de remplacer et qui est décidément mauvaise.
- Le chiffre de 30 fr. est mis aux voix et définitivement adopté.
La chambre passe à l'amendement introduit dans l'article 3 et qui fixe le chiffre de la décharge de l'accise à l'exportation, à 66 francs par 100 kilog. de sucre de la catégorie 4, provenant de sucre brut de canne ou de betterave.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, ne croyez pas que j'aie demandé la parole pour défendre l'industrie indigène contre l'industrie étrangère ; non, messieurs, ce n'est pas cette industrie qui me fait prendre la parole, je vais traiter les intérêts du trésor fortement compromis par l'adoption de l'article 3 du projet de loi. Il est compromis, parce que le rendement est par trop inférieur à la réalité, et que les excédants du rendement viendront, pour environ les 10/12, alimenter la consommation, indemnes de droit, ce qui occasionnera un déficit au trésor de plus de 4 millions île francs ; c'est assez vous dire que le rendement doit être augmenté.
Discuter de nouveau les articles du projet de loi amendés est un droit qui ne peut être contesté. Mais obtiendra-t-on une amélioration quand même on démontrerait les vices de la disposition de l'article 3 ? Je doute qu'on parvienne à obtenir de les faire disparaître ; les opinions sont en grande partie fixées et arrêtées.
M. le ministre persistera à soutenir qu'il obtiendra sur la consommation du sucre au moins trois millions d'impôt.
En acquit de mon devoir, j'ai cru demander la parole pour démontrer que MM. les ministres sont en erreur, je vais vous le prouver : M. Malou, d'accord avec M. Rodenbach, prétendent que le sucre indigène ne payera aucun droit.
(page 1768) Si le projet de loi devait avoir ce résultat, ce seul motif m'imposerait le devoir de le repousser. Je ne veux pas accorder les moyens de puiser dans le trésor, pas plus a une industrie qu'à une autre.
Je veux que les impôts rentrent intégralement dans les caisses de l'Etat, je repousse tout moyen d'éluder les lois.
Si on croit que telle ou telle industrie a besoin de prime, qu'on en fasse la proposition et les chambres jugeront si elles doivent l'accorder.
J'en viens à la preuve que 3 millions ne rentreront pas au trésor. D'après la loi en discussion, la Belgique consomme 12 millions de kil. de sucre, dit-on ; j'admets que la Belgique consomme 12 millions de kil. de sucre de toute espèce, mélasse comprise.
Pour obtenir 12 millions de sucre à livrer à la consommation, on doit en livrer au raffinage 12,600,000 kilog., savoir : 3,600,000 kil.en sucre indigène qui rendent, à raison de 83 p. c., en sucre fin et cassonade, chiffre rond 3,000,000 ; en mélasse, 540 mille kil. non susceptible d'être consommée comme matière sucrée, mais propre à faire de l'alcool.
Ces 3,600,000 kil. pris en charge ne payeront rien, dit M. le ministre ; je comprends le mécanisme de l'opération, c'est au moyen des primes de mévente.
On déclarera vouloir exporter 2 millions 448 mille kilogrammes de sucre indigène, afin de liquider la prise en charge. Au lieu d'exporter de l'indigène on exportera 2 millions 448 mille kilogr. de sucre exotique sous le nom de sucre indigène, et cette restitution de droit sera partagée entre les producteurs belges et les raffineurs de sucre exotique, comme cela a eu lieu sous l'empire de la loi actuelle, au moyen de la vente des primes (M. le ministre nous a dit que c'était pour éviter cette manœuvre qu'il supprimait la retenue de 4 dixièmes), je conviens que si ce moyen est employé, le sucre indigène ne payera aucun droit à l'Etat, il sera partagé entre les producteurs belges et les raffineurs de sucre exotique.
Voilà ce qui explique les arguments qu'ont fait valoir les raffineurs en soutenant qu'on devait accorder aux producteurs de sucre belge la restitution de droit à l'exportation (ils n'étaient pas désintéressés dans la question). Voilà donc le trésor privé de l'accise sur trois millions de sucre raffiné parmi qu'il soit exporté 2,448,000 kilog., soit de sucre indigène, soit de sucre exotique.
Si le sucre indigène ne paye aucun droit, comme on le prétend, voyons ce que payera le sucre exotique appelé à compléter l'approvisionnement à raison de S millions de kilog., tant en sucre fin qu'en vergeoise et mélasse ; qu'on ne perde pas de vue que la consommation fixée à douze millions, les vergeoises et les mélasses y sont comprises. Les raffineurs déclareront 30 millions de kilog. qui seront pris en charge au rendement de 68 p. c.
De ces trente millions, ils obtiennent, à raison de 88 p. c, en sucre fin et en cassonade, 26,400,000 kilog ; pour solder la prise en charge de 30 millions, ils devront exporter 30 millions 400,000 kilog. de sucre raffiné.
Ayant obtenu des 30 millions pris en charge, kil. 26.400,000, parmi exportant, kil. 20,400,000, il restera indemne kil. 6,400,000. Plus, en sucre indigène, kil. 3,000,000. Ajoutez la mélasse, qui entre dans les 12 millions de la consommation, à raison de 10 p. c, sur 30 millions de sucre brut, soit kil. 3,000,000. Total :kil. 12,400,000, chiffre supérieur à la consommation de 400,000 kilog.
Mais comme on a dû exporter en sucre exotique 2,448,000 kilog. pour rendre indemnes les sucres indigènes, les droits seront acquittés au trésor sur 2,048,000 kil. de sucre raffiné, représentant en sucre brut la quantité de 2,089,000 kilog., au droit de 45 fr. p. c, donneront une recette de 940,050 fr.
Voilà la recette réelle, pour autant qu'il n'y ait pas de moyen d'éluder le droit, de la part de l'une ou de l'autre industrie, et qu'il n'y ait pas de fraude, ce qui est bien difficile à croire. Je suis donc fondé à vous prédire que le ministre, qui compte sur 3 millions au moins, aura au plus 950 mille fr., et, selon toute probabilité, il aura moins de 500 mille fr. en 1847.
Il est probable qu'en 1846 il obtiendra environ deux millions, mais je ne le lui garantis pas, et ce sera pour le motif que pendant la moitié de l'année (le premier semestre), la retenue des quatre dixièmes a été réservée aux termes de la loi qui régit la matière. Tels sont les effets probables de la loi. Notre position financière nous permet-elle de faire un sacrifice de quatre millions eu faveur du commerce des sucres ? Je ne le crois pas.
Si on n'augmente pas le rendement de manière à obtenir au moins quatre millions de recette sur la consommation du sucre, je refuserai mon vote approbatif à la loi.
Pour obtenir quatre millions de recette, il faudrait porter le rendement, fixé par le projet de loi à 68 fr., au minimum, à 80 p. c, ou bien fixer la décharge, à l'exportation, à 56 fr. 25 c. par cent kilogrammes de sucre exporté, au lieu de 66, taux fixé par le projet de loi.
En portant la restitution à ce taux, vous donnez encore au commerce le moyen de prélever, sur la consommation du sucre, une prime de près de deux millions ; le commerce devrait être satisfait, mais le commerce n'est jamais content ; plus on lui donne, plus il exige.
Selon toute probabilité, M. le ministre n'adhérera pas à ma proposition, et je devrai voter contre la loi.
Puisque j'ai la parole, messieurs, je répondrai quelques mots à l'honorable M. Delfosse.
L'honorable M. Delfosse est de la grande école ; il veut la liberté. Eh bien, messieurs, nous serons parfaitement d'accord ; j'entrerai volontiers aussi dans la grande école aussitôt que les puissances voisines voudront bien adopter également les principes de la liberté du commerce.
M. Lebeau. - L'Angleterre vient de le faire.
M. Eloy de Burdinne. - Il ne suffit pas que l'Angleterre l'ait fait ; il faut encore que ce système soit admis par la France, par l'Allemagne et par toutes les autres nations.
Voilà, messieurs, à quelle condition j'entrerai dans la grande école, voilà à quelle condition j'adopterai le grand principe de la liberté du commerce. Il faudra encore qu'avant tout, on fasse disparaître en Belgique les protections accordées aux autres industries. On ne peut pas avoir deux poids et deux mesures ; ce que vous voulez accorder aux unes, il faut l'accorder aux autres, ou bien il ne faut rien accorder à personne.
Vous le voyez, mon honorable collègue, M. Delfosse, nous ne sommes pas si loin de nous entendre. Pour que nous nous entendions il faut seulement que nous ne nous exposions pas à être dupes de l'étranger et qu'on n'accorde pas 100 p. c. à la houille, 40 p. c. à la draperie, 100 p.c. aux fers et je ne sais combien aux cotons. Il faut que tous soient traités de la même manière.
Les grands principes exigent avant tout que l'on soit juste, équitable envers tout le monde, qu'on ne favorise pas les uns au détriment des autres.
M. le président. - M. Eloy de Burdinne, présentez-vous un amendement ?
M. Eloy de Burdinne. - Je crois que c'est inutile, car M. le ministre ne se ralliera pas à l'amendement que je proposerais et la majorité de la chambre ne l'adoptera pas, car il y a parti-pris. Je n'abuserai donc pas des moments de l'assemblée, en proposant un amendement repoussé par la majorité, comme cela a en lieu précédemment.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Puisque l'honorable membre n'a pas fait de propositions, et que ses calculs ont déjà été réfutés précédemment, je ne m'y arrêterai pas ; mais j'avais promis d'examiner, avant le second vote, la question posée par l'honorable M. Manilius, relativement au n°3 du paragraphe 3 de l'article ; j'aurai l'honneur de donner une explication à cet égard.
Messieurs, le n°3° porte à 15 et à 13 fr. la décharge de l'accise à l'exportation sur les sucres de la catégorie C. L'honorable M. Manilius a demandé si par suite du changement apporté au taux de l'accise sur le sucre indigène, il n'y avait pas lieu de modifier aussi le chiffre de 13 fr. qui la concerne. Messieurs, l'exportation des sirops n'a lieu que par exception, et ce chiffre de 13 fr. est à peu près le tiers de l'accise. D'après les dispositions déjà adoptées, l'accise sur le sucre indigène variera de 30 à 40 fr., et 15 fr. est à peu près le tiers de 40, maximum du droit ; si l'accise n'atteint pas 40 fr., le chiffre de 15 fr. constituera une légère faveur pour le sucre indigène. L'objet est réellement sans importance.
M. Dumortier. - Je ne pense pas qu'il soit question d'exporter le sirop du sucre indigène. Le sirop du sucre de betterave n'est propre qu'à faire de l'alcool, on ne saurait le consommer.
Il a un goût qui ne permet pas de le consommer ; il faut donc l'employer à faire de l'alcool ; c'est ce qui se fait dans ce pays.
On vous l'a fait remarquer plusieurs fois, tandis que le sirop de mélasse de sucre exotique reste dans le pays où il est consommé sans droit, le sirop du sucre de betterave paye un droit, parce qu'il est employé dans les distilleries, où il est soumis aux droits sur les distilleries. C'est là une différence considérable dont on n'a pas tenu compte dans la loi.
Pour mon compte, j'aurais préféré que l'on n'établît pas, sous ce rapport, dans la loi, des primes d'exportation ; car c'est réellement insolite. Jusqu'ici les sirops n'avait ni pas eu de primes à l'exportation ; il n'y en avait que sur les sucres cristallisés, tandis que l'on va introduire une échelle de primes en faveur de ces produits ; or cette échelle est tellement graduée qu'il y a évidemment prime plus grande encore sur l'ensemble du produit.
Un honorable membre a voulu justifier son opinion, en parlant de la liberté commerciale. Il veut bien appuyer le projet du gouvernement, parce qu'il ne veut pas donner d'avantage à l'industrie du sucre, à cause du principe de liberté commerciale. Mais qu'y a-t-il de plus antipathique à la liberté commerciale que les primes énormes accordées au sucre exotique ? Si l'on veut la liberté commerciale, qu'on commence par voter contre les primes énormes accordées au sucre exotique.
M. Delfosse. - Vous ne m'avez pas compris.
M. Dumortier. - Je dis comme principe que rien n'est plus antipathique à la liberté commerciale que la prime accordée au sucre de canne.
M. Delfosse. - C’est mon avis.
M. Dumortier. - Je ne le dis pas pour l'honorable membre, mais pour d'Autres.
Il est constant que cette industrie ne peut exister qu'au moyen de primes, et quoi qu'en ait pu dire M. le ministre des finances, il n'est pas un moment douteux qu'il n'arrivera jamais, au moyen de la loi que nous discutons, à réaliser trois millions pour le trésor public.
Cela n'est pas possible parce que la loi amène l'abus que nous avons voulu faire disparaître ; on avait supprimé les retenues, pour supprimer la prime de mévente ; or la loi la rétablit et fait plus encore.
(page 1769) Un autre point sur lequel je veux appeler l'attention de la chambre, c'est le résultat de ces méventes.
Je suis le premier qui ai fait remarquer ce qui arrivera relativement à la mévente des prises en charge du sucre indigène.
On a dit, on répétera que le sucre indigène ne payera pas de droits.
Je proteste à l'avance contre cette assertion. Il reste constant que le sucre indigène restant dans la consommation payera le droit au trésor public. Mais par une fiction de la loi, il paraîtra que la betterave ne payera pas de droits, parce qu'il y aura une substitution de prise en charge, dans l'intérêt des raffineurs, afin de leur donner le plus grand avantage possible.
Je proteste d'avance contre toutes les conséquences qu'on pourrait tirer à l'avenir du système qu'on introduit aujourd'hui ; je proteste dès aujourd'hui contre ce qu'on pourrait dire plus tard, à savoir que le sucre de betterave n'a pas payé de droit.
Pour faire rapporter au trésor public les sommes nécessaires, la première chose qu'il fallait faire, c'était d'élever le rendement ; et ce n'est pas sans surprise que j'ai relu ce matin dans le Moniteur la discussion du 7 mars 1843. Au 7 mars 1843, la chambre désirait voir élever le rendement, et je crois que ce serait encore aujourd'hui le seul moyen de sauver la question ; si je voyais la moindre chance, dans cette chambre, de faire adopter un amendement dans ce sens, je le présenterais immédiatement à cette assemblée.
A cette époque, le rendement était fixé au même taux que celui où il était en Hollande. La chambre frappée des abus successifs du système du rendement, frappée surtout du déficit annuel que présentait le trésor public, avait proposé, par l'organe de la section centrale, de fixer rendement à 68 et à 71 fr., suivant les qualités. Ce rendement a été rejeté à une majorité de deux voix, et au nombre des membres qui l'ont adopté, était M. Malou qui aujourd'hui n'en veut plus.
Or, à cette époque, la Hollande était dans les mêmes conditions, elle était encore régie par l'ancienne législation du royaume des Pays-Bas, tandis qu'aujourd'hui la Hollande a admis pour rendement le chiffre 73, moins un dixième. D'où il résulte qu'aujourd'hui nous donnons à nos raffineurs une prime de 5 fr. au-delà de celle que la Hollande accorde à ses raffineries.
Je vous le demande, messieurs, est-ce là une chose raisonnable ?
On avait ensuite proposé un autre moyen, c'était de fixer le droit sur le sucre de canne à 50 fr. Cette proposition a encore été rejetée à la majorité de 2 voix, et parmi les membres qui ont voté son adoption, je trouve encore M. Malou qui aujourd'hui a tant de tendresse pour la canne et qui en a si peu pour la betterave.
Une troisième proposition avait été faite ; elle consistait à établir un droit différentiel de 25 francs entre la canne et la betterave ; cela donnait une protection de 25 francs à l'industrie indigène ; je suis heureux de pouvoir dire que M. Malou, encore une fois, a été au nombre des membres de la chambre qui ont adopté cette proposition.
Ainsi, une première fois, M. Malou, en 1843, a voté un rendement de 71 ; il a voté ensuite un droit de 50 fr. à établir sur le sucre de canne ; il a voté une fois une protection de 25 fr. en faveur du sucre de betterave. Aujourd'hui il y a, sur tous ces points, chez l'honorable membre un changement complet. N'y a-t-il pas là de quoi trouver un chapitre supplémentaire aux variations des églises protestantes ?
Je ne puis pas m'expliquer un pareil changement ; les choses sont restées les mêmes ; les deux industries sont demeurées dans les mêmes conditions.
De deux choses l'une : ou l'industrie indigène est une bonne chose, ou elle est mauvaise. Si c'est une mauvaise chose, je conçois que, dans un système donné, on puisse vouloir la non-production du sucre de betterave en Belgique ; c'est ce qui arrive en Angleterre ; là, la production du sucre de betterave est prohibée par les lois ; mais aussi, si c'est une mauvaise chose, il faut avoir le courage de le dire ; faites alors comme l'honorable M. Smits qui a proposé la suppression des établissements de sucre de betterave avec indemnités.
Si, au contraire, l'industrie indigène est une bonne chose, pourquoi la décourager ? Qu'est-ce qu'un système qui reconnaît que l'industrie indigène est une bonne chose et qui la décourage ?
On parle de pondération. Or, la meilleure pondération, c'est de laisser faire ; laissez les deux industries se débattre ; laissez-les lutter entre elles de leurs forces vives, mais ne venez pas mettre des entraves au développement de l'une d'elles. Les entraves résultent de l'article 5 tel qu'il a été adopté lors du premier vote ; elles doivent amener, d'une manière peu loyale, le sacrifice de l'industrie indigène.
Messieurs, d'après ces considérations, je suis loin de pouvoir voter le projet de loi qui est en discussion ; mais j'adjure la chambre de vouloir bien revenir sur l'article 5. Cet article, tel qu'il est formulé actuellement, doit avoir pour conséquence d'amener dans un avenir fort rapproché la perte de l'industrie du sucre indigène.
Messieurs, dans la discussion générale et dans la discussion des articles, j'ai fait remarquer toutes les bizarreries de la loi ; j'ai montré combien on frappait les deux industries dans des échelles opposées : on frappe l'une par le rendement, l'autre est frappée par le droit. Il y a dans le système les choses les plus insolites ; au lieu d'élever le droit des deux côtés, d'élever le rendement des deux côtés, au lieu d'adopter une marche uniforme pour les deux industries, on cherche tous les moyens propres à avantager l'une et à charger l'autre. L'on appelle cela de l’impartialité. Je dis que jamais loi, présentée par le gouvernement, n'a été d'une partialité plus évidente.
Je dis que le seul moyen d'établir l'uniformité c'était de fixer le rendement au taux où il a été établi en Hollande.
La Hollande a fixé son rendement à 72 65 ; nous devrions adopter le même rendement. Voilà ce que je propose à l'assemblée. Si nous mettons notre industrie du raffinage dans les mêmes conditions que l'industrie hollandaise, elle n'a pas à se plaindre, car elle a vécu pendant vingt-cinq ans dans cette situation, elle ne peut pas s'en plaindre aujourd'hui.
Un honorable député de Gand a dit que nos industriels étaient tellement avancés qu'ils n'avaient rien à craindre de la concurrence étrangère ; si quelques-uns sont des retardataires, la loi ne doit pas les protéger, car ce serait protéger la paresse ou l'insouciance ; c'est à ceux à améliorer leur fabrication, à suivre les progrès de l'industrie. Voyez ce qui s'est passé, il y a quelques années. On disait que pendant cinq ans que nous aurions le traité avec la France pour les toiles, nous perfectionnerions notre industrie de manière à pouvoir marcher. Voilà ces cinq années écoulées et l'industrie linière est restée au même point.
Vous faites la même chose pour l'industrie des sucres ; vous ne la ferez pas avancer davantage par ce moyen. Si vous voulez que cette industrie progresse, il faut la mettre sur le même pied que sa rivale, elle a vécu pendant 25 ans dans cette situation, il n'y a donc pas de motif pour lui faire une situation meilleure. Je le répète, la loi donne à cette industrie en Belgique une prime de 5 francs plus forte par 100 kilogrammes que celle dont elle jouit en Hollande.
M. le ministre des finances (M. Malou). - L'honorable membre prend des centièmes de rendement pour des francs.
M. Veydt. - La différence n'est que de 3-30.
M. Dumortier. - Soit 3-30. C'est scandaleux de donner une prime de 3-30 supérieure à la prime hollandaise.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Le droit de douane est d'autant.
M. Dumortier. - Mais ouvrez le tarif, vous verrez que le droit de douane sur le sucre brut par navire belge paye un centime par 100 kil. Cela vous démontre la valeur des arguments qu'on a présentés ; on s'est joué de vous. Quand je dis que la prime est de 3-30,on me répond que le droit de douane est d'autant !
Un membre. - C'est deux francs !
M. Dumortier. - Lisez le tarif, c'est un franc par tonneau ou un centime par 100 kilogrammes.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Vous prenez des tonneaux pour des kilogrammes.
M. Lebeau. - Vous prenez des quintaux pour des centaines de kilogrammes.
M. Dumortier. - Je ne prends pas des tonneaux pour des kilogrammes et j'ai le droit de m'étonner que vous connaissiez si mal les lois.
Le droit est de un fr. par 1,000 kilogrammes : c'est un centime par 100 kilogrammes.
M. de La Coste. — C'est un centime par 100 kilogrammes.
M. Dumortier. - Je disais donc bien : le droit est d'un centime par 100 kilog., et le ministre vient dire que le droit est le même que la prime, alors que la prime est de 3 fr. 30. Ainsi, en déduisant le droit d'entrée, elle reste à 3 fr. 20. Voilà des chiffres positifs. Voilà la réalité. Je vous demande si c'est une chose sensée, alors que notre industrie a vécu 30 ans sous le même régime que l'industrie hollandaise, de lui accorder une augmentation de prime, à charge du trésor, quand le trésor a besoin d'argent ? Quand la raffinerie belge n'avait pas ces 3 fr. 30 de plus que les raffineries hollandaises, vous ne receviez rien, et vous voulez recevoir quelque chose quand vous accordez ce supplément de prime ! Je demande si cela est raisonnable ? Ce qui serait juste, ce serait d'établir en Belgique le même rendement qu'en Hollande. Je désire savoir pour quel motif M. le ministre a changé d'opinion à cet égard.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, l'honorable membre a cru devoir compulser le Moniteur pour rechercher quels avaient été mes votes en 1843. D'après la déclaration que j'ai faite avant-hier, ce travail était parfaitement inutile.
Je me suis trouvé plusieurs fois dans la même minorité que l'honorable membre en 1843 ; j'ai déjà déclaré quels avaient été les motifs de ces votes, j'avais pris en considération presque exclusivement un seul des trois intérêts qui se trouvaient en présence, l'intérêt du sucre indigène qu'on voulait exproprier. Ce principe d'expropriation me répugnait, je l'ai combattu.
Je suppose après tout qu'il y ait eu changement dans mes opinions, que je n'aie pas défendu cette fois le sucre indigène comme je l'ai fait en 1843, y a-t-il quelqu'un qui puisse m'en faire un reproche ? Membre du gouvernement, ayant le devoir de chercher à concilier tous les intérêts, pouvais-je venir en défendre un exclusivement au mépris de tous les autres ? Les devoirs ont changé, je ne pouvais plus être l'organe trop exclusif d'un seul intérêt parce que la position n'est plus la même. (Interruption.)
Je désire qu'on ne se méprenne pas sur mes paroles. Si dans le désir de rester conséquent avec les votes que j'ai émis en 1843, je m'étais constitué le défenseur exclusif du sucre indigène, je n'aurais pas compris mes devoirs comme membre du gouvernement.
Je viens à ce qui est véritablement la question. D'abord la loi de 1843 (page 1770) contenait, quant à l'exportation des bas produits, les mêmes principes que la loi actuelle. L'honorable membre, pour s'en assurer, n'a qu'à consulter la disposition de l'article 47.
Cet article établissait aussi, non pas une prime, mais une décharge quelconque pour l'exportation des bas produits.
Messieurs, la discussion générale me paraissait avoir épuisé et ce qui concerne la prime et ce qui concerne la prime de mévente, deux primes essentiellement distinctes dans leur objet, dans leurs résultats, et que l'honorable membre confond complétement. Il suppose que la différence entre le rendement réel et le rendement légal constitue la prime de mévente. Or, la prime de mévente est une transaction sur le droit, et ce qu'on est convenu d'appeler la prime est seulement cette différence entre le rendement réel et le rendement légal.
Messieurs, la différence entre la position de l'industrie belge et celle de l'industrie hollandaise a été expliquée à satiété dans la discussion. C'est parce qu'une différence dans les procédés, dans la situation industrielle, dans toutes les conditions de concurrence, existe aujourd'hui, que nous avons établi une période de transition.
Il y a une différence quant à la situation des établissements et une différence très réelle quant au droit de douane. Ainsi on nous dit avec raison que le sucre exporté par navire belge ne paye qu'un centime par 100 kilog. Mais pour connaître les charges que l'industrie supporte, il faut savoir quel est le droit moyen qui a été payé sur toutes les quantités importées. Or, ce droit n'est pas d'un centime, mais de plus de 2 francs par 100 kilog., parce que jusqu'à présent, la loi des droits différentiels n'ayant pas produit tous ses effets, la plupart des sucres nous sont importés par navire étranger et supportent des droits supérieurs à 2 francs. En établissant la moyenne de tous les droits supportés par les raffineurs belges, elle est de plus de 2 francs.
Il est évident, ce me semble, que la recette peut être aussi bien assurée, mieux assurée même par une élévation de rendement qu'elle ne peut l'être par les retenues. Les retenues n'ont pas produit les recettes sur lesquelles nous comptions. L'élévation successive du rendement doit certainement nous donner ces recettes.
- La clôture de la discussion est demandée.
M. Manilius. - Je ne m'oppose pas à la clôture, si toutefois l'honorable M. Dumortier n'a pas déposé d'amendement.
M. le président. - Il n'y a pas d'amendement déposé.
- La clôture est prononcée. L'article 3 est définitivement adopté.
« Art. 4. Le gouvernement modifiera, conformément aux dispositions suivantes, le taux de la décharge pour les sucres de la catégorie A, de manière que le produit de l'accise soit au moins de trois millions de fr. par an.
« A cet effet, à l'expiration de chaque semestre, à partir du 1er juillet 1847, la décharge sera réglée par arrêté royal, d'après la recette effectuée pendant les douze mois précédents.
« La décharge, fixée par l'article 3, paragraphe 3, ou par le dernier arrêté, sera maintenue, si la recette excède le minimum de 3 millions ; si elle est inférieure de plus de 100,000 francs à ce minimum, elle sera réduite d'un franc par chaque somme de 100,000 fr. composant le déficit, sans que le rendement résultant de la décharge réduite puisse être porté à un taux supérieur au rendement moyen qui existera dans l'un des pays limitrophes. »
- Adopté.
« Art. 5. Si les prises en charge inscrites du 1er juillet d'une année au 1er juillet de l'année suivante, pour la fabrication du sucre de betterave, dépassent 3,800,000 kilogrammes, le droit d'accise sera augmenté de 2 francs par chaque quantité de 100,000 kilogrammes composant l'excédant, sans que l'accise puisse, en aucun cas, s'élever à plus de 40 francs.
« Le montant total des prises en charge sera, chaque année à l'expiration du premier semestre, constaté par un arrêté royal qui fixera le taux de l'accise et qui sortira ses effets à l'égard des prises en charge inscrites après sa publication. »
M. de La Coste. - Messieurs, lorsque j'ai présenté le chiffre de 28 fr. au lieu du chiffre de 30 fr., j'ai agi sous la même impression que l'honorable M. Delfosse ; j'ai agi sous une impression qui résultait des paroles prononcées par M. le ministre des finances. Les industriels, les fabricants avaient invoqué ces paroles. Leur demande n'a pas eu d'écho. Voilà pourquoi je l'ai appuyée.
Du reste, dans mon opinion, le chiffre de 30 fr. m'avait paru suffisant. Je dirai même que j'espère que d'ici à quelque temps la différence de 15 fr. ne sera plus nécessaire. Je pense que, par les progrès que fera cette industrie, le droit pourra s'élever au-delà de 30 fr.
Sera-t-il possible, comme l'honorable M. Loos, comme M. le ministre des finances en paraissent convaincus, que la coexistence soit maintenue, si l'on atteint le chiffre de 40 fr. ? Voilà un point sur lequel je suis loin d'être du même avis que ces messieurs. Au moins, si cela peut arriver, ce sera, je crois, à une époque plus ou moins éloignée.
Remarquez, messieurs, que ce chiffre de 40 fr. est réellement, à très peu de chose près, l'égalité des droits. Car il y a une différence d'environ 5 fr. dans la valeur intrinsèque des deux produits. Peut-être même cette différence est-elle moindre ; mais enfin je l'accepte puisque c'est celle que M. le ministre des finances a admise. Or, messieurs, le chiffre de 45 fr., c'est 75 p. c. de la valeur assez ordinaire qu'a eue le sucre havane, de 60 fr.
Eh bien, le sucre indigène à 5 fr.de moins, pour payer 75 p. c, devrait payer 41 fr. 25. Il n'y aurait donc qu'une différence de 1 fr. 25, et cette différence est plus que compensée par l'avantage de tare dont jouissent les sucres exotiques, avantage qui, suivant l'honorable M. Cogels dans la discussion de 1843, et suivant un des défenseurs du sucre exotique dans une brochure intitulée : « Quelques mots sur la question des sucres », monte à 2 ou 3 francs.
Je doute donc, messieurs, quant à moi, que la coexistence que l'on veut atteindre puisse exister dans ce système. Je doute surtout que cette coexistence puisse avoir lieu à une époque rapprochée.
Cependant, messieurs, ne peut-il pas arriver que l'on atteigne maintenant la limite de 3,800,000 kilog., et ne peut-il arriver ensuite que, puisque M. le ministre des finances admet qu'une bonne récolte peut faire une différence de 11 p. c, on fasse en une année, pour cette raison jointe à un progrès dans l'industrie, le saut de 12 à 13 p. c, et qu'on atteigne le chiffre de 4,300,000 kilog. ? Alors, messieurs, en une seule année, le sucre indigène serait soumis tout à coup au droit de 40 fr. Or, messieurs, on n'a pas besoin de démontrer qu'il serait possible que, sous le régime de 30 fr., on atteignit la limite de 4,200,000, et qu'après cela, soumis à un droit de 40 fr., la coexistence deviendrait impossible.
J'aurais donc voulu que l'on procédât graduellement, qu'on ne se bornât pas à dire que l'accise ne pourrait excéder 40 fr., qu'on ajoutât que l'augmentation ne pourrait, en aucun cas, dépasser 5 francs en une année.
Ainsi, si la progression de l'échelle répondait à un droit de 38 fr., on n'aurait cependant qu'un droit de 35 fr. Après cela, le mouvement se ralentirait ; il y aurait une limite résultant du chiffre adopté de 35 fr. On restera à 35 fr. jusqu'à ce que la limite ait été dépassée. Si, au contraire, l'année suivante, on a encore 4,200,000, alors il est constant qu'un droit plus élevé pourra être imposé ; alors il sera soumis à un droit de 40 fr. Je mets un droit de 5 fr. Mais je crois qu'on pourrait rendre l'augmentation plus insensible.
Maintenant il semble qu'on ne veuille pas suivre les développements de la culture, mais qu'on espère que par les divers stimulants que l'on croit insérer dans la loi, on atteindra tout d'abord cette limite où le sucre indigène sera condamné au droit de 40 fr.
Je vous demande pardon de la comparaison. Mais cela ressemble à ces machines ingénieuses où un hôte incommode est attiré par un appât. Plus l'appât est puissant, plus il s'avance vivement. La planchette s'abaisse derrière lui. Voilà le résultat de l'appât qui lui est présenté.
Il est vrai que par un amendement que M. le ministre des finances a introduit, quand la victime est bien malade, on rouvre la planchette. On lui permet de recommencer le même cercle, que je puis à bon droit appeler fatal, comme celui d'où nous avons tiré le raffinage du sucre exotique.
Lorsque pendant deux ans la production aura été réduite, permettre le retour au droit de 30 fr., certainement c'est quelque chose. C'est surtout beaucoup pour le raffinage. C'est une disposition que l'on avait produite dans la section centrale et dans les sections, mais qu'on n'avait pas osé reproduire dans la discussion publique. Je veux parler du maximum de la recette. Puisque la chambre a admis cette disposition pour le sucre exotique avec le corrélatif pour le sucre indigène, c'est certainement un pas que le ministre a fait vers nous. Mais il me semble que, dans ce système, il ne devrait pas s'opposer à l'amendement que j'indique à la chambre, mais que je ne propose pas.
Voilà comme j'aurais rédigé cet amendement, mais comme j'ai été très malheureux dans mes propositions et que crois inutile d'engager la chambre à voter de nouveau sur cette disposition, je me borne à la soumettre à M. le ministre des finances.
J'aurais été réellement charmé, et pour moi, et je dirai presque pour le ministère, si M. le ministre avait admis cette observation, car il y a une chose qui me semble vraiment extraordinaire : depuis trois semaines, nous discutons cette question ; je l'ai étudiée avec un très grand soin ; il est possible, probable même que, parmi mes propositions, il en eût qui fussent de nature à donner lieu à des objections ; j'ai dit moi-même que je ne pouvais pas absolument dire mon dernier mot, parce que les industriels auraient dit : «Ce membre qui a l'air de prendre notre défense, nous impose des obligations que nous ne pouvons pas subir », mais il me paraît singulier qu'après une si longue discussion, une discussion si approfondie, tous les faits présentés d'un côté ont été admis, tous ceux présentés de l'autre côté, déniés ; que tous les arguments qu'on a fait valoir d'un côté ont été trouvés bons, tandis que tous ceux qu'on a fait valoir du côté opposé ont été jugés inadmissibles. Je me serais donc trompé sur tous les points ? Cela ne m'humilie point, parce que, quand on cherche la vérité, personne n'est sûr de la trouver ; mais cela me donnerait une extrême défiance de moi-même.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Les souvenirs de l'honorable M. de La Coste, en ce qui concerne les résultats de la discussion actuelle, le servent assez mal. Il n'est pas exact de dire que tous les faits posés d'un côté ont été reconnus fondés, tandis que tous les faits posés d'un autre côté ont été considérés comme dépourvus de fondement ; que l'une des industries a obtenu satisfaction entière, tandis que l'autre n'a rien obtenu.
Rappelons-nous, messieurs, ce qui s'est passé. Dès le début de la discussion, les partisans de l'industrie du sucre exotique ne demandaient pas tant la réduction du rendement pour eux-mêmes qu'ils ne demandaient un chiffre élevé pour l'accise sur le sucre indigène. Eh bien, sur ce point la discussion a produit pour l'industrie du sucre indigène un (page 1771) grand, un utile résultat, (Interruption.) On me dit : « Rien du tout. » C'est toujours la même chose ; du moment qu'on n'obtient pas tout, on prétend n'avoir rien obtenu.
J'arrive, messieurs, d'une manière plus directe, à l'observation faite par l'honorable M. de La Coste.
Déjà dans une des dernières séances, l'honorable membre a paru concevoir des craintes sur les effets d'une aggravation trop brusque de l'accise. J'ai recherché s'il y avait moyen d'admettre dans l'aggravation de l'accise et dans la diminution de la décharge une espèce de gradation, et j'ai reconnu que cela était impossible.
En effet, il en résulterait les plus singulières conséquences. Je suppose, par exemple, que pour l'industrie du sucre indigène, le droit, qui devrait être porté à 40 francs, ne fût porté qu'à un taux inférieur par suite d'un amendement comme celui que vient d'indiquer l'honorable M. de La Coste ; il en résulterait que la culture aurait intérêt à se développer et à se restreindre alternativement, que le droit le plus faible porterait sur une culture plus étendue et le droit le plus fort sur une culture plus restreinte, car jamais un arrêté n'interviendrait que lorsque la campagne serait terminée. Ce serait là une conséquence très bizarre et très éloignée, j'en suis convaincu, des intentions de l'honorable M. de La Coste.
Est-il nécessaire, messieurs, d'admettre cette gradation pour le droit d'accise ? Il faut supposer que, sans le savoir, pour ainsi dire contre son gré, l'industrie du sucre indigène atteindrait le maximum de la production, où le droit d'accise est porté à 40 francs, et, messieurs, il a été établi d'après la culture de cette année que le droit de 30 francs serait applicable. Ce fait est décisif, parce que dans un an l'expérience de la loi sera faite et si la culture se développe sous l'influence de cette loi, c'est que la loi lui sera bonne et profitable. Il est peu probable que le développement d'une seule année sera tel que dès la deuxième campagne il faille porter immédiatement le droit de 30 à 40 fr. ; je crois, au contraire, que le développement graduel de l'industrie amènera naturellement la gradation que l'honorable M. de la Coste désirerait voir introduire dans la loi. (Aux voix ! aux voix !)
- L'article 5 (nouveau) est mis aux voix et définitivement adopté.
« Art. 6 (nouveau). La décharge réduite en vertu de l'article 4 sera reportée à 66 fr. si la moyenne des recettes constatées pendant deux années consécutives, s'élève à plus de 3,500,000 fr.
« Le droit d'accise augmenté en vertu de l'article 5 sera réduit à 30 fr. si la moyenne des prises en charge inscrites pendant deux campagnes consécutives est inférieure à 3,000,000 de kilog. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je pense que pour éviter toute équivoque il serait bon de substituer le mot « années » au mot « campagnes » ; on se référerait ainsi à l'espace compris entre le 1er juillet d'une année et le 1er juillet de l'année suivante. Aujourd'hui la fabrication du sucre de betterave se fait par campagnes, mais comme elle fait des progrès aussi, il est possible qu'on découvre bientôt le moyen de travailler la betterave pendant toute l'année et alors il n'y aurait plus de campagnes. Je proposerai donc de substituer le mot « années » au mot « campagnes ».
J'ai réfléchi aussi, messieurs, à une observation faite dans une séance précédente par l'honorable M. de La Coste touchant le chiffre de 3 millions de kilogrammes ; je pense que l'on pourrait, sans inconvénient, le remplacer par celui de 3,200,000 kil. Il y aurait ainsi entre le maximum de 3,800,000 et le minimum de 3,200,000 une proportion à peu près analogue à celle qui existe pour le sucre exotique. Je propose le chiffre de 3,200,000 kil.
M. Dumortier. - Messieurs, je propose, moi, de porter le chiffre à 3,800,000 kil. L'article 5 qui a été voté dit que si les prises en charge inscrites du 1er juillet d'une année au 1er juillet de l'année suivante, pour la fabrication du sucre de betterave, dépassent 3,800,000 kil., le droit d'accise sera augmenté de 2 fr. par chaque quantité de 100,000 kilogrammes.
Ici la loi a donc pris pour base le chiffre de 3,800,000 kil. pour fixer le chiffre normal de la production ; et par le même motif pour lequel vous avez inscrit la même date dans tous les articles de la loi, vous devez également admettre, dans tous les articles de la loi, le même chiffre pour la fixation de la limite où le droit doit descendre, aussi bien que pour la limite où le droit doit être élevé. Le chiffre de la production normale qui motive, lorsqu'il est dépassé, l'augmentation du droit doit aussi en motiver l'abaissement lorsque ce chiffre n'est plus atteint. Sans cela la loi ne serait pas en harmonie avec elle-même.
Quant au premier paragraphe de l'article, je ferai remarquer, messieurs, qu'au moyen de cette disposition l'accise sur le sucre devient un véritable abonnement ; c'est un forfait contracté avec les raffineurs.
Je demanderai s'il existe un seul exemple d'un pareil abonnement, en matière d'accise. Je demanderai s'il y a un abonnement semblable avec les brasseurs pour l'accise sur la bière, s'il y a un abonnement semblable avec les sauniers pour l'accise sur le sel, s'il y a un abonnement semblable avec les distillateurs pour le droit sur les alcools, s'il y a un abonnement semblable avec nue industrie quelconque pour un droit d'accise.
Je ne fais pas ici de proposition, parce que je suis convaincu que l'Etat n'aurait rien à y gagner : le droit perçu n'arrivera jamais au chiffre indiqué ; je fais seulement remarquer combien la disposition est vicieuse, combien elle dénote de partialité ; mais, en ce qui concerne le chiffre relatif au sucre de betteraves, je demanderai qu'on adopte à l'article 6 le même chiffre qu'on a adopté à l’article 5, c'est-à-dire le chiffre de 3,800,000 kilogrammes.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, lorsque j'ai proposé l'article 6, auquel l'honorable préopinant fait un accueil si peu favorable, j'ai expliqué assez longuement les motifs qui n permettaient pas, dans l'intérêt des deux industries, d'admettre une échelle descendante, comme on a admis une échelle ascendante. Je ne reviendrai pas sur cette discussion. La portée de l'article est que si, par des faits bien constatés, en faisant intervenir notamment les résultats de deux années, il est démontré que si l'une ou l'autre industrie dépérit, on la reporte au point minimum. Si vous adoptiez ici le chiffre de 3,800,000 kilog., il en résulterait notamment cette conséquence bizarre que j'ai indiquée tout à l'heure, qu'en portant alternativement la production à 5 millions et 2 1/2 millions, on payerait 30 fr. sur les 5 millions et 40 sur les 2 millions et 1/2. Par le fait de la loi, tous les fabricants auraient intérêt à amener ces changements dans la production, et il leur serait facile d'y parvenir.
M. Dumortier. - Je ne pense pas, messieurs, qu'il vienne jamais à l'idée de personne de faire un jeu aussi bizarre que celui qui vient d'être indiqué par M. le ministre des finances. (Interruption.) Je demanderai à l'honorable M. Loos, qui m'interrompt, si l'industrie du sucre de canne agit de la sorte.
Messieurs, toute l'argumentation de M. le ministre des finances repose sur une véritable erreur de fait. Il dit toujours que si la production de la betterave augmente, c'est que l'industrie sera en progrès ; cela serait vrai s'il n'y avait qu'un seul fabricant ; ce fabricant, connaissant toutes les conséquences de ce qu'il fait, n'augmenterait sa fabrication qu'autant qu'il aurait la certitude de placer ses produits convenablement ; mais comment voulez-vous que les choses se passent de cette manière lorsqu'il y a, en Belgique, 25 sucreries de betteraves, situées à une distance de 20, 30 et 40 lieues l'une de l'autre ? Comment ! il y a une sucrerie de betteraves à Tournay, par exemple, il y en a une autre près de St-Trond, il y en a d'autres dans la province de Namur, d'autres dans le Brabant, d'autres dans les Flandres peut-être, et vous vous imaginez que ces sucreries vont s'entendre sur le plus ou moins d'extension à donner à leur fabrication, qu'elles vont se tenir mutuellement au courant de leurs ventes, de leurs bénéfices, de toutes leurs affaires !
Cela n'est pas possible.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Cela existe.
M. Dumortier. - Où cela existe-t-il ?
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il y a un comité permanent pour l'industrie des sucres.
M. Dumortier. - Il est impossible que ce comité vienne dire à chacun des industriels : « Vous ne fournirez qu'autant de sucre. » Quand on fait des contrats avec les fermiers pour planter des betteraves, sait-on quelle quantité de sucre elles donneront ? Connaît-on au commencement de l'année le temps que la Providence vous destine l'année suivante ? Et quand les betteraves sont achetées, M. le ministre des finances s'imagine-t-il qu'on va les laisser pourrir ?
Ce qui serait possible chez un seul individu, devient inexécutable quand il s'agit de plusieurs ; et le développement du sucre de betterave, s'il a lieu dans telle ou telle année, ne sera nullement la preuve du progrès de cette industrie ; ce sera un fait auquel personne ne se sera attendu et qui n'aura pas été amené par l'accord d'industriels, éloignés de 20, 30 ou 40 lieues les uns des autres.
Je combats ce système, parce qu'il offre au gouvernement un moyen tout simple de frapper le sucre de la betterave. Je pense qu'il est indispensable d'établir les mêmes chiffres pour les uns et pour les autres.
M. le ministre des finances (M. Malou). - C'est une bizarrerie.
M. Dumortier. - Il n'y a là rien de bizarre ; ce que dit M. le ministre est seul bizarre ; c'est seulement un rêve de son cerveau ; ce qu'il y a de bizarre, ce sont tous les articles de la loi, comme l'a dit l'honorable M. Lebeau ; c'est une bizarrerie continue ; c'est une vraie marqueterie.
- La discussion est close,
La substitution du mot « années » au mot « campagnes » est mise aux voix et adoptée.
Le chiffre de 3,800,000 kil., proposé par M. Dumortier, est mis aux voix et n'est pas adopté.
Le chiffre de 3,200,000 kil., proposé dans la séance de ce jour par le gouvernement est mis aux voix et adopté.
L'article 6 ainsi modifié est mis aux voix et définitivement adopté.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, depuis le dernier vote, diverses objections m'ont été faites contre la rédaction de l'article 8. Je proposerai à la chambre de décider qu'on reviendra sur cet article et, j'indiquerai dès à présent le changement de rédaction que je demande.
« Le gouvernement pourra, selon que l'exigeront les procédés de fabrication, prendre les mesures nécessaires pour assurer la perception intégrale de l'accise sur le sucre de betterave. »
M. Verhaegen. - Messieurs, j'ai combattu la disposition primitive et alors on a trouvé que j'avais tort. J'ai démontré que la disposition était inconstitutionnelle ; le ministre des finances revient aujourd'hui à de meilleurs sentiments, et j'adopterai sa nouvelle rédaction, s'il est bien entendu que toutes les dispositions de la loi de 1843 restent debout, et qu'il n'appartient pas au gouvernement de prendre des dispositions contraires à celles-là.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, cet amendement est proposé pour faire droit à des scrupules de constitutionnalité qui m’ont été (page 1772) exprimés depuis le premier vote ; mais le sens et les effets de l'article nouveau doivent être les mêmes que le sens et les effets de l'article primitif.
D'abord, je propose à la chambre de supprimer les mots : « les changements des procédés de fabrication », parce que depuis la loi de 1843, il y a déjà eu des changements de procédés de fabrication qui rendent inefficace le mode de contrôle établi par cette loi.
Il faut ici se reporter aux procédés tels qu'ils existent, que le gouvernement ait les moyens nécessaires d'assurer la perception intégrale de l'accise.
D’autres changements peuvent intervenir. Le gouvernement doit pouvoir, à raison de ces changements, prescrire d'autres dispositions que celles qui sont dans la loi de 1843.
L'on me demandera si ces dispositions peuvent être contraires au mode de contrôle établi par la loi. Mais par cela même qu'on ne suivra pas le mode défini dans la loi de 1843, les dispositions qu'on prendra seront contraires au mode de contrôle que cette loi a prévu pour d'autres procédés de fabrication.
La question de délégation temporaire du pouvoir législatif avec clause de retour est bien ancienne et résolue par un bien grand nombre de faits. Depuis quelques années, dix fois peut-être par session, vous avez accordé au gouvernement, dans des circonstances déterminées, quand l'intérêt du pays et même des intérêts de peu d'importance l'exigeaient, l'autorisation de prendre des mesures ayant l'autorité de la loi, quoiqu'elles fussent du domaine législatif ; ainsi, pour les péages du chemin de fer, le transit, la pêche, les droits différentiels, les céréales et récemment pour les subsistances, vous avez dans maintes occasions accordé au gouvernement le pouvoir de prendre temporairement des mesures qui sont du domaine de la loi. Ici il y a d'autant plus de motifs de consentir à cette délégation que les moyens de contrôle ne peuvent pas être arrêtés par la loi ; l'industrie se transforme et il faut, avant de décréter des mesures par la loi, continuer les éludes communes et n'arriver aux moyens rigoureux dont l'efficacité est certaine que quand ces études seront achevées.
M. Savart-Martel. - Telle mauvaise que puisse être une loi, dès qu'elle est adoptée par l'autorité compétente, notre devoir est d'en faciliter l'exécution. Mais la chambre remarquera qu'au lieu de préciser des dispositions d'exécution, c'est l'arbitraire qu'on exige. Le ministère pourrait imaginer des dispositions plus ou moins acerbes, plus ou moins odieuses, qui nous ramèneraient au temps des droits réunis.
Je rejetterai la loi parce qu'elle est mauvaise, injuste et marquée de la plus odieuse partialité. Mais n'y eût-il que l'arbitraire auquel on veut nous soumettre par l'article 8, cela suffirait pour le rejet d'une loi qui frappe de mort une industrie indigène que je voulais conserver dans l'intérêt du travail que nous devons à la classe ouvrière.
J'adjure la chambre de proscrire au moins cet arbitraire.
M. Orts. - Je ne sais si la Constitution est postérieure à 1843, mais j'ai été étonné des scrupules exprimés par des membres qui ont voté la loi de 1843 sans faire la moindre objection contre la disposition qui nous occupe, l’article 67 de la loi de 1843.
Cet article est ainsi conçu :
« Le gouvernement est autorisé à prendre ou à prescrire d'autres dispositions et formalités que celles prévues par la présente loi, pour assurer la perception du droit d'accise sur le sucre de betterave, sauf à soumettre lesdites mesures aux chambres législatives dans la session qui suivra la campagne pendant laquelle elles auront été mises à exécution. »
Maintenant, je voudrais qu'on me signalât la différence qu'il y a, quant au fond, entre la formule indiquée par M. le ministre et celle dont on j s'est servi, quand on a discuté et voté la loi de 1843, entre autres l'article 67. Je n'ajouterai rien aux observations de M. le ministre des finances, elles sont fondées non seulement sur des raisons puisées dans la loi, mais encore sur des analogies puisées dans des cas semblables. Je désirerais, pour l'édification de ma conscience, pouvoir saisir la différence qui existe entre l'article 67 de la loi de 1843 et la rédaction nouvelle présentée par M. le ministre.
M. Dumortier. - Il est facile de répondre à l'honorable membre ; l'article 67 n'autorisait le gouvernement qu'à prendre des mesures complémentaires, à ajouter des mesures nouvelles aux mesures votées, sans modifier en rien les mesures existantes. La disposition telle qu’elle était primitivement rédigée, autorisait le gouvernement à modifier la loi de 1843.
M. le ministre supprime ces expressions : j'approuve cette suppression. J'aurais mauvaise grâce à ne pas l'approuver après avoir combattu ces expressions au premier vote. Mais M. le ministre, en déclarant qu’il supprime les mots, dit qu’il en maintient le sens, c’est encore là un manque de franchise.
M. le ministre des finances (M. Malou). - C’est très franc, au contraire.
M. Dumortier. - C’est un moyen de tromper l’assemblée ; vous venez retirer des mots blessant pour beaucoup de membres, et quand vous retirez les mots, vous déclarez que vous maintenez le sens. A quoi bon supprimer les mots si le sens reste ? je dis que par le fait seul qu’on supprime les mors, on doit entendre la suppression en ce sens que le gouvernement pourra prendre des mesures complémentaires, mais non apporter des modifications à la loi. Si l’article n’est pas entendu en ce sens, voici quelle serait la conséquence. Je prie la chambre d’y réfléchir.
En 1843, la chambre a repoussé beaucoup de mesures vexatoires pour les citoyens ; le gouvernement pourrait mettre en vigueur toutes les mesures qui ont été rejetées, il pourrait le faire non seulement sans le vote, mais malgré le vote de la chambre ; le gouvernement pourrait établir des mesures contre les cultivateurs, les obliger à déclarer combien ils cultivent en betteraves.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il s'agit de procédés de fabrication.
M. Dumortier. - Je suis charmé de cette déclaration de M. le ministre, mais on pourra faire des rapprochements. Quand on met de l'arbitraire dans les mains du gouvernement, on doit s'attendre à tout. Je dis que la modification proposée, et que j'approuve, change le sens comme le texte de la disposition, qu'un changement de texte entraîne un changement de sens. C'est, ainsi entendu, que je voterai la rédaction nouvelle de l'article.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Non seulement il se trouve dans la loi de 1843 un article analogue à celui-ci, mais on a autorisé le gouvernement à établir par arrêté royal le droit et le mode de surveillance pour toutes les autres fabriques de sucre indigène qui seraient établies.
Il y a là non seulement les moyens de contrôle comme je les propose aujourd'hui, mais le principe et la quotité de l'impôt.
.Maintenant si l'article 8 était rejeté, on pourrait, entendant la loi dans le sens le plus large (je veux être franc jusqu'au bout), en venir à cette conséquence que l'industriel qui aurait changé ses procédés de fabrication aurait 25 à 30 p. c. de faveur au préjudice du trésor public ou de ses concurrents, que l'industriel qui croirait que l'on peut éluder, frauder complétement l'impôt y réussirait, tandis que celui qui voudrait être sévère envers lui-même et remplir ses devoirs envers le trésor, payerait l'impôt dont l'autre serait affranchi.
On peut différer d'opinion sur le chiffre de l'accise ; mais il doit y avoir unanimité quand il s'agit de ne pas créer dans la loi un privilège pour celui qui a le moins de moralité.
M. Dumortier. - Présentez la loi qui prescrive ces mesures.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je la présenterai quand je me serai assuré, par des études que l'on fait en ce moment, si la rentrée de l'impôt peut être assurée sans moyens rigoureux. Mais si des moyens rigoureux sont nécessaires, je les proposerai, parce que la chambre doit vouloir que la loi soit juste dans son application, morale dans ses résultats.
On me dit : Faites-en autant pour le sucre exotique. Encore une fois, l'honorable membre ne se doute pas du principe de la législation qu'il combat.
Le principe, c'est la prise en charge en raison du sucre brut.
M. Dumortier. - Et le rendement !
M. le ministre des finances (M. Malou). - Cette interruption me confirme dans l'opinion que je suis obligé d'exprimer que vous ne vous doutez pas du principe de la législation sur les sucres.
Je dis qu'en fait de sucre exotique, la prise en charge a lieu en raison du sucre brut étranger que l'on importe, que c'est là ce qui crée la dette envers le trésor et que le sucre indigène est pris en charge en raison du sucre brut que l'on produit.
Si le sucre brut indigène nous arrivait par la frontière, nous n'aurions pas besoin d'accise qui n'existe que parce que le sucre brut de betterave est produit dans le pays.
M. Verhaegen. - J'admets, avec M. le ministre, qu'il ne faut pas permettre à un industriel de frauder en changeant son mode de fabrication ; et je donnerai les mains à tout système qui tendrait à empêcher la fraude.
Mais là n'est pas la question.
Je pense que M. le ministre, qui reproche à l'honorable membre de ne pas comprendre le système que l'on discute, ne comprend pas lui-même la portée de son amendement. Je vais avoir l'honneur de le lui expliquer.
Il supprime dans l'article les mots : « modifier les dispositions de la loi du 4 avril 1843 », et il vient nous dire, nonobstant cette suppression : Le sens de l'article 8 reste le même. S'il en était ainsi, ce serait une assez pauvre chose que de modifier l'article, puisqu’au fond ce serait la même chose.
Je pense que l'amendement de M. le ministre a une autre portée ; cette portée, la voici : la loi a pu prescrire toutes les mesures nécessaires pour empêcher les fraudes que l'on pourrait commettre d'après les moyens actuels de fabrication ; niais non pour empêcher les fraudes qui se commettraient d'après des moyens nouveaux de fabrication.
Ceci rentre dans l'observation qu'a faite l'honorable M. Dumortier, lorsqu'il a dit que la loi de 1843 n'avait donné au gouvernement que la faculté de prendre des mesures complémentaires.
Ainsi, l'amendement de M. le ministre des finances aurait cette portée qu'il ne serait pas permis de prendre des mesures nouvelles à l'égard des fabricants qui n'ont pas changé leur mode de fabrication.
Si la loi ne vous donne pas le droit de modifier à leur égard les dispositions de la loi du 4 avril 1843, les tribunaux n'appliqueront pas les arrêtés que vous prendrez en ce sens, parce que, aux termes de l'article 107, les tribunaux n'ont pas égard aux arrêtés contraires à la loi.
L'article ne serait donc pas applicable aux fabricants qui n'ont pas changé leur mode de fabrication. C'est ce que je veux ; et comme c'est là la portée de l'amendement, que M. le ministre lui-même paraît ne pas avoir comprise, je l'ai appuyé.
(page 1773 M. le ministre des finances (M. Malou). - Les tribunaux appliquent ordinairement les lois d'après leurs termes, et la discussion dont elles ont été l'objet. Je suppose que la disposition ait été convertie en loi. Je me demande quel en serait le sens naturel.
Le gouvernement serait autorisé à prendre, selon que l'exigeront les procédés de fabrication, les mesures nécessaires pour assurer la perception du droit d'accise.
Je n'ai aucun doute sur la décision que les tribunaux prendraient si une question de légalité ou d'illégalité était soulevée devant eux par suite des mesures que le gouvernement aurait prises. Ce texte me suffit.
Si j'ai modifié la première rédaction, c'est parce que j'ai voulu avoir égard à des scrupules de constitutionnalité et de forme qui me paraissent toujours respectables, alors même que je ne les partagerais pas.
Maintenant, voici les faits : Il y a dans la loi de 1843 deux modes de contrôle, les prises en charge sur les jus et le contrôle à l'empli. Or, dans un certain nombre de fabriques, et toutes celles qui progresseront, arriveront là, le contrôle à l'empli qui devait être le contrepoids, la consécration du premier contrôle par lequel on n'a qu'un minimum, ce contrôle à l'empli, dis-je, est devenu impossible. D'où il résulte qu'en dehors des termes de la loi, par suite de nouveaux procédés qui sont déjà en vigueur aujourd'hui, l'administration a dû contracter des abonnements qui augmentent les prises en charge.
Si l'article qui vous est soumis n'était pas adopté avec le sens naturel qu'il présente, avec les conséquences qu'il doit avoir, je ne puis trop le redire, il en résulterait que la loi aurait donné une prime, et une prime considérable à celui qui voudrait frauder l'impôt.
Veuillez remarquer, messieurs, qu'il s'agit ici de mesures temporaires. Si le gouvernement ne les soumet pas dès maintenant à la législature, c'est dans l'intérêt de l'industrie elle-même. Lorsqu'il les aura prises, il sera tenu d'en référer aux chambres, et les chambres seront appelées à les apprécier !
M. de Corswarem. - Messieurs, dans le premier discours que l'honorable ministre des finances a prononcé à l'appui de son amendement, il nous a expliqué quelles seraient les conséquences funestes du rejet de l'article 8. Mais c'est vraiment combattre une chimère, car il est impossible que cet article soit rejeté, si la loi tout entière ne l'est pas.
M. le ministre des finances (M. Malou). - On a décidé qu'on y reviendrait.
M. de Corswarem. - On n'a rien décidé encore. Il fallait connaître votre amendement.
L'amendement que M. le ministre des finances présenté a, dit-il, pour but de dissiper un scrupule de constitutionnalité, et dans ce but, il propose de remplacer les mots : « modifier les dispositions de la loi du 4 avril 1843 », par ceux-ci : « prendre les dispositions nécessaires ».
Certainement, messieurs, si cet amendement ne concernait que cette partie de l'article, il pourrait satisfaire à un scrupule de constitutionnalité ; mais il a une tout autre portée. Il propose en outre la suppression des mots : « changements des » avant celui « procédés », et par la suppression de ces mots, il rend les mesures à prendre applicables non seulement à ceux qui changeront leurs procédés, mais aussi à ceux mêmes qui ne les changeront pas.
D'après l'article, tel qu'il a été adopté au premier vote, en ne pouvait prendre des mesures que contre ceux qui changeraient leurs procédés de fabrication, et non contre ceux qui ne les changeraient pas ; tandis que, d'après l'amendement proposé, on peut en prendre contre les uns comme contre les autres.
M. le ministre nous dit encore aujourd'hui qu'il veut tout bonnement empêcher les industriels de frauder en changeant leurs procédés ; mais, d'après sa proposition, il veut atteindre un tout autre but, puisqu'il veut aussi atteindre ceux qui ne les changeront pas. Il ne sera plus nécessaire que les industriels changent leurs procédés pour qu'on prenne des mesures contre eux, puisque, je le répète, en supprime les mots : « changement des procédés » ; puisque M. le ministre propose de dire : « Le gouvernement pourra, selon que l'exigeront les procédés de fabrication, prendre les dispositions nécessaires, etc. »
Je veux bien, messieurs, que le gouvernement prenne les dispositions nécessaires lorsque des changements de précédés l'exigeront, mais je ne veux pas qu'il puisse prendre des mesures nouvelles contre ceux qui conserveront les procédés mis en usage depuis la loi de 1843.
Je demande donc que, conformément à l'article 45 du règlement, la proposition de M. le ministre des finances ne soit pas mise aux voix, car, d'après cet article, on ne peut soumettre à la seconde épreuve que les amendements adoptés et les articles rejetés, et l'article en discussion a été adopté au premier vote sans avoir été amendé dans aucune de ses parties.
M. Dumortier. - Je commencerai, messieurs, par répondre quelques mots à M. le ministre des finances, qui prétend que je ne comprends pas la loi, parce que je lui ai demandé pourquoi il ne l'appliquait pas aux deux industries.
M. le ministre des finances dit que la loi tout entière repose dans l'accise du sucre indigène. Je dis, moi, qu’elle repose sur deux bases : l'accise du sucre indigène et le rendement pour l’exportation, et que si le gouvernement a intérêt à prendre des mesures pour connaître quels sont les produit du sucre indigène, il a un bien plus grand intérêt encore à connaître quel est le chiffre réel au rendement, quel est le chiffre exact de la réduction des sucres raffinés pour lesquels des primes si considérables sont accordées par le trésor.
Ainsi, messieurs, si l'un de nous deux ne comprend pas la loi, c'est celui qui dit que la question des exportations et des primes ne touche en rien à la loi elle-même.- Je dis que la loi repose, non pas sur un principe, mais sur deux principes, et que c'est principalement le second de ces principes qui affecte le trésor public.
De la manière dont on nous représente, messieurs, il semblerait que nous sommes ici les défenseurs de la fraude. Mais comme vous l'a dit mon honorable collègue M. Verhaegen, nous prétendons qu'il ne faut pas entraver le gouvernement quand il s'agit de punir la fraude. Nous voulons que la fraude soit punie en toutes circonstances, qu'elle soit réprimée chez les fabricants de sucre de betterave, comme nous entendons qu'elle soit réprimée chez les raffineurs de sucre de canne. Car s'il y a fraude lorsque, par suite des procédés de fabrication, le trésor ne perçoit pas assez sur le sucre de betterave, il y a fraude aussi lorsque le trésor paye trop de primes sur le sucre exotique.
On nous dit encore que certains industriels seront frappés parce qu'ils auront des procédés moins perfectionnés que leurs concurrents. Mais je retourne cet argument contre M. le ministre des finances en ce qui concerne le sucre de canne. Dans l'industrie du raffinage certains établissements ont des procédés beaucoup plus perfectionnés que d'autres. Demande-t-on des mesures différentielles pour les établissements qui auront adopté des perfectionnements en matière de raffinage ? Nullement, et pourquoi ? Parce que la tendresse tout entière est pour le sucre de canne et que toutes les mesures de rigueur sont pour le sucre de betterave.
Maintenant que j'ai prouvé combien les arguments de M. le ministre des finances sont inexacts ; maintenant que j'ai prouvé que nous ne voulions pas nous rendre ici les organes de la fraude, que nous étions prêts à faire payer au trésor tout ce qui lui est dû, j'arrive à la question en elle-même.
On a comparé, messieurs, l'article maintenant en discussion à l'article voté en 1843. M. le ministre s'est beaucoup prévalu de ce dernier article pour justifier l'inconstitutionnalité qu'il nous propose. Je demanderai, messieurs, la permission à la chambre de lui rappeler ce qui s'est passé dans la séance du 9 mars 1843.
Le gouvernement avait proposé une disposition beaucoup plus étendue que celle qui a été adoptée. Il demandait d'être autorisé à prendre ou à prescrire d'autres dispositions et formalités que celles prévues par la loi, et il ajoutait : « Notamment dans les fabriques où les procédés ordinaires de fabrication ne sont pas suivis. »
Qu'a fait la section centrale ? Elle a proposé de modifier cet article de manière à faire disparaître l'arbitraire, et voici ce que disait, à cette occasion, l'honorable M. Mercier, qui a été deux fois ministre des finances et qui était alors rapporteur de la section centrale :
« La section centrale a modifié cet article en retranchant le mot : « notamment », parce qu'elle n'a pas voulu donner au gouvernement un pouvoir exorbitant et arbitraire, au moyen duquel il aurait pu changer à sa guise tous les moyens de contrôle établis par la loi, non seulement à l'égard des fabriques employant des procédés nouveaux, mais à l'égard de toutes les fabriques existantes dont les procédés sont connus.
« Maintenant que M. le ministre propose de déclarer que les mesures prises seront soumises au pouvoir législatif, je me rallierai à sa nouvelle rédaction, pourvu qu'il soit bien entendu que les dispositions ainsi prises ne pourront affecter ni le droit ni la prise en charge. «
Que répondait à cela l'honorable M. Smits ?
« Nous sommes parfaitement d'accord, qu'il ne peut s'agir de modifier ni le droit, ni la prise en charge, enfin aucune des bases fondamentales de la loi, mais seulement d'assurer la rentrée des droits au trésor. »
Voilà, messieurs, dans quel sens l'article a été voté. Il ne donnait pas au gouvernement le droit de modifier les bases de la loi ; il ne lui permettait pas de modifier ni le chiffre du droit ni la prise en charge ; il lui permettait seulement d'assurer la perception des revenus du trésor. Si c'est là tout ce qu'on demande aujourd'hui, je suis prêt à l'accorder ; mais s'il s'agit au contraire d'autoriser le gouvernement à modifier toutes les bases de la loi, l'article en discussion serait en opposition formelle avec le vote émis en 1843. Quelle peut être la conséquence du système de M. le ministre des finances ? Il y a des fabricants qui, pour pouvoir marcher, ont cherché à introduire dans leurs usines le raffinage ; eh bien le gouvernement, par un arrêté royal, pourra interdire de raffiner dans les fabriques de sucre de betterave ; il pourra arrêter les progrès de l'industrie, il pourra la paralyser. Ce qui a été fait en 1843, le gouvernement pourra le changer, sans que les chambres aient été consultées. Il ne suffit pas que le gouvernement vienne après coup soumettre à la législature les dispositions qu'il a prises ; car vous le savez, messieurs, il y a une différence immense entre une mesure prise et une mesure à prendre : lorsque le gouvernement viendra vous soumettre un arrêté royal, il y aura une sorte de préjugé en faveur de cet arrêté ; on dira : C'est un fait accompli ; les chambres n'auront pas toute la liberté d'examen qu'elles doivent avoir pour s'occuper de pareilles questions.
Je pense donc que la disposition doit être entendue dans le sens que comporte la nouvelle rédaction proposée, et non pas dans le sens des explications données par M. le ministre. Si ces explications devaient en déterminer la portée, il me serait impossible de l'adopter.
Du reste, l'honorable M. de Corswarem a fait une observation extrêmement juste. M. le ministre des finances, par un scrupule constitutionnel, (page 1774) a supprimé les mots : « Modifier les dispositions de la loi du 4 avril 1843. » Mais ce n'est pas le seul changement qu'il propose ; il supprime aussi les mots : « Selon que l'exigeront les changements des procédés de fabrication ; » et dès lors les mesures qu'il jugera convenable de prendre pourront s’appliquer également aux fabricants qui auront conservé leurs procédés de fabrication ; il pourra changer toute la loi ; il pourra faire une loi toute nouvelle. Eh bien, messieurs, je dis que cela n'est pas admissible. Soyez contraires à l'industrie indigène, si vous le voulez ; mais au moins conservez la rigueur des principes, ne donnez pas au gouvernement un arbitraire sans limites.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, l'amendement que j'ai proposé à un article définitivement adopté, avait exclusivement pour but d'adoucir la rédaction de cet article et de faire droit aux scrupules qui avaient été manifestés. Puisque je vois naître, de la part de quelques partisans de l'industrie du sucre indigène, une opposition si vive, puisqu'ils désirent laisser au gouvernement le droit de modifier les dispositions de la loi du 4 avril 1843. (Interruption : Mais l'art. 8 est définitivement voté.) puisqu'enfin on attaque mon amendement, je le retire et je ne sais pas jusqu'à quel point les personnes intéressées à l'industrie du sucre indigène sauront gré aux honorables membres de la manière dont ils défendent en ce moment les intérêts de cette industrie.
M. Dumortier. - Je reprends l'amendement, en rétablissant les mots : « Selon que l'exigeront les changements des procédés de fabrication. »
M. le président. - Il faudrait l'assentiment de toute la chambre pour que cet amendement pût être mis en discussion.
M. Dumortier. - Le règlement me donne le droit de reprendre la disposition abandonnée par le gouvernement.
M. le président. - La chambre n'avait pas décidé qu'elle voterait sur la proposition de M. le ministre.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet ;
69 membres sont présents ;
49 adoptent ;
20 rejettent ;
En conséquence le projet est adopté.
Ont voté l'adoption : MM.de Saegher, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Villegas, Donny, Dubus (Albéric), Fallon, Henot, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Thienpont, Van Cutsem, Verwilghen, Veydt, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Anspach, Cans, Coppieters, d'Anethan, David, de Bonne, Dechamps, Dedecker, de Haerne, Delfosse, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Naeyer, de Roo.
Ont voté le rejet : MM. de Sécus, de Tornaco, Dubus (aîné), Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Huveners, Jonet, Lange, Savart, Sigart, Simons, Vanden Eynde, Verhaegen, Castiau, Clep, de Corswarem, de la Coste, de Man d'Attenrode.
La chambre adopte successivement, par assis et levé, divers projets de loi de naturalisation ordinaire.
Le premier de ces projets est ainsi conçu :
« Vu la demande du sieur François Favarger, sous-lieutenant au 2ème régiment d'artillerie, né à Neuchâtel (Suisse), le 25 mars 1814, tendant à obtenir la naturalisation ordinaire ;
« Attendu que les formalités prescrites par les articles 7 et 8 de la loi du 27 septembre 1835 ont été observées ;
« Attendu que le pétitionnaire a justifié des conditions d'âge et de résidence exigées par l'article 5 de ladite loi ;
« Les chambres ont adopté et nous sanctionnons ce qui suit :
« Article unique. La naturalisation ordinaire est accordée audit sieur François Favarger. »
La formule qui précède est applicable à chacune des demandes des sieurs :
Alexis-Joseph Huyaux, fabricant de bas, né à Ohain (France), domicilié à Momignies (Hainaut).
Louis Lassen, fabricant de boutons, né à Copenhague (Danemark), domicilié à Bruxelles.
Nicolas-Joseph-Alexis Huyaux, avocat, né à Ohain (France), domicilié à Momignies (Hainaut).
Nélibre Germain, sous-brigadier des douanes pensionné, né à Douai (France).
Louis-Félix Marguier, employé aux charbonnages, né à Belleherbe (France), domicilié à Frameries (Hainaut).
Albert Feidel, sous-lieutenant, au 2ème régiment de chasseurs à pied, né à Cassel (Hesse-Electorale).
Frédéric-Guillaume Bechtold, tapissier-décorateur, né à Mayence (Prusse), le 26 mai 1819, domicilié à Liège.
Henri-Clément-Léonard Boirot, lieutenant au 3ème régiment de chasseurs à pied, né à Moulins (France).
Jean-Henri-Charless Meyer, adjudant sous-officier au 1er régiment de chasseurs à cheval, né à Osnabruck (Hanovre).
François Perroux, pâtissier-traiteur, né à Châteaudun (France), domicilié à Bouillon.
Eugène Marie Bureau, lieutenant au 1er régiment de chasseurs à pied, ne à Quintin (France).
Guillaume-Henri Francken, préposé de 1ère classe des douanes, né à Millendorff (Prusse), domicilié à Athus (Luxembourg).
Pierre Gauthier, sous-lieutenant au 3ème régiment de ligne, né à Excideuil (France).
Jean-Damas Peignot, capitaine au 8ème régiment d'infanterie, né à Nevers (France).
Christophe Schmitz. propriétaire, né à Strickscheidt (Prusse), domicilié à Limerlé (Luxembourg).
Pierre-Louis-Joseph Viol, instituteur communal, né à Camphin-en-Pévèle (France), le 1er mai 1815, domicilié à Warcoing (Hainaut).
Jacques-Prosper Plaideau, fabricant de tabac, né à Lille (France), le 1er ventôse an II, domicilié à Menin.
Théodore Edmond Plaideau, fabricant de tabacs, né à Lille (France), le 15 janvier 1811, domicilié à Gand.
François de Paule-Jean-Baptiste Dupuy, sous-lieutenant au 1er régiment de chasseurs à pied, né à Orléans (France), le 20 octobre 1808.
Frédéric-Louis Cuny, capitaine au 3ème régiment de ligne, né à Hemstede (Pays-Bas), de parents allemands, le 5 juin 1795.
Guillaume-Adolphe Nerenburger, lieutenant-colonel d'état-major, directeur au ministère de la guerre, né à Amsterdam (Pays-Bas), de parents français, domicilié à Bruxelles.
Frédéric-Guillaume Neumann, trompette maréchal des logis et chef de musique au 2ème régiment de chasseurs à cheval, né à Jonsdorf (Saxe), le 31 décembre 1807.
Charles Capel, maréchal des logis au 2ème régiment de lanciers, né à Metz (France), le 8 juin 1812.
Pierre-Joseph Delaporte, adjudant-sous-officier au 3ème régiment de ligne, né à Troisvilles (France), le 31 décembre 1810.
Jean-Thomas de Rungs, sergent à la 2ème compagnie sédentaire, né à Neukirch (Suisse), le 15 janvier 1809.
Louis-Camille Ulser, musicien gagiste au régiment d'élite, né à Senglea (île de Malte), le 6 mai 1805.
Jean-Fréd. Isserstaedt, musicien gagiste au 11ème régiment de ligne, né à Hassleben (Saxe-Weimar), le 25 octobre 1790.
Clément-François-Emile Garnier, conducteur des ponts et chaussées, né à Saint-Omer (France), domicilié à Audenarde.
Pierre- François Bourdois, receveur et maître éclusier, né à Saint-Cheron-du-Chemin (France), le 13 mai 1788, domicilié à Gand.
Félix-Antoine Pantrini, lieutenant au 1le régiment de ligne, né à Metz France), le 8 fructidor an xm.
Joscph-Calesente Xiczopobki, lieutenant au 9ème régiment de ligne, né à Wola-Burzecka (Pologne), le 5 juillet 1804.
François Scheffers, capitaine administrateur d'habillement au 2ème régiment de cuirassiers, né à la Haye (Pays-Bas), le 18 novembre 1801.
Louis-Charles-Mathieu Pelzer, surveillant du chemin de fer à Marcinelle, né à Trêves (Prusse), le 15 octobre 1818.
Joseph-François Villery, lieutenant des douanes à Courtray, né à Olmen (province d'Anvers), le 23 juillet 1806.
Jacob Wiener, graveur en médailles, né à Horlsgen (Prusse), le 27 février 1815, domicilié à Bruxelles.
Charles Auguste-Théophile Clément, lieutenant d'artillerie, professeur à l'école militaire, né à Amiens (France), le 3 mars 1812, domicilié à Bruxelles.
Charles-Michel-Louis Braconnier, sous-lieutenant au 11ème régiment de ligne, né à Orléans (France), le 30 janvier 1813.
Charles-Guillaume-Ferdinand Troeger, musicien gagiste au 2ème régiment de chasseurs à pied, né à Zaltbommel (Pays-Bas), le 19 février 1822.
Gérard Loyens, gendarme à cheval, né à Breda (Pays-Bas), le 13 mars 1800.
Gerrit Harting, commissionnaire en marchandises, à Anvers, né à Rotterdam (Pays-Bas), le 14 mai 1792.
Henri Cabry, ingénieur en chef mécanicien au chemin de fer de l’Etat, né à Percy-Main (Angleterre), domicilié à Saint-Josse-ten-Noode, lez-Bruxelles.
Jean-Mathieu Gripekoven, pharmacien, né à Dahlen (Prusse), le 22 avril 1806, domicilié à Bruxelles.
Jean Jacques Laubscher, marchand de viandes à Berchem, né à Teuffelen (Suisse), le 27 mars 1804.
Marie-Antoine-Auguste Sarazin, capitaine adjudant-major au 3ème régiment de ligne, né à Juliers (Prusse), le 10 mai 1809.
Louis-Achille-Hippolyle Thorel, conservateur du canal de Charleroy à Molenbeek-St-Jean, né à Dunkerque (France), le 5 frimaire an XIII.
Alexandre-Joseph Couvez, professeur à l'athénée, né à Lille (France), le 12 juin 1813, domicilié à Bruges.
Guill.-Victor Lefrançois, professeur à l'athénée, né à Arras (France), le 25 août 1807, domicilie à Bruges.
- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble de ces divers projets de loi.
Ils sont adoptés par 56 membres contre 1 (M. Savart). Ils seront transmis au sénat.
- La séance est levée à 4 heures et demie.