(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Vilain XIIII.)
(page 1705) M. Dubus (Albéric) fait l'appel nominal à 1 heure et un quart et lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
Il présente ensuite l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur François Van Assche, candidat notaire à St-Gilles lez-Ter-monde, présente des observations concernant le projet de loi sur l'organisation du notariat. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.
« Les membres du conseil communal et plusieurs habitants d'Aeken demandent que cette commune soit distraite du canton de Looz et réunie à celui de Hasselt. »
- Renvoi à la commission des projets de loi sur la circonscription cantonale.
M. de Corswarem demande que la commission soit invitée à faire un prompt rapport.
- Adopté.
« L'administration communale de Termonde, présentant des observations contre le chemin de fer projeté de Bruxelles à Gand, par Alost, prie la chambre de ne point discuter cette question avant de connaître le résultat d'une enquête à faire par le gouvernement. »
M. de Terbecq demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du rapport à faire par M. le ministre des travaux publics sur la pétition de la ville d'Alost.
- Cette proposition est adoptée.
« L'administration communale de Denderleeuw demande l'exécution du chemin de fer projeté de Bruxelles à Gand par Alost. »
- Même dépôt.
M. Pirson. - Messieurs, par décision des 26 mai et 9 juin derniers, vous avez renvoyé à l'avis de la commission pour la circonscription cantonale :
1° La pétition des administrations communales d'Hérinnes, Thollenbeek, Gammerage, Oetinghen, Heffelingen, Vollezeele et Haut-croix, dont l'objet est de demander la formation d'un nouveau canton de justice de paix avec chef-lieu à Hérinnes ;
2° La pétition des communes du canton de Dhuy, dont l'objet est de prier la chambre de transférer à Eghezée le chef-lieu de ce canton.
Votre commission ayant pris connaissance du contenu de ces pétitions et des pièces y annexées, a l'honneur de vous proposer, à l'unanimité, leur renvoi à M. le ministre de la justice avec demande de renseignements.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Roo, rapporteur. - « Plusieurs habitants des communes de St-Eloy, de St-Bavon, d'Ousselghem, de Wacken, de Thielt, de Wyngene, de Pitthem, d'Oostroosebeke, d'Ardoye, Arseele, Caneghem, Eeghem, Wielsbeke, Gotthem, Grummene, Iseghem, Denterghem, Markeghem, et les conseils communaux d'Ingelmunster, de Waereghem, de Meulebeke, de Roulers, Deynze, Oyghem, ainsi que le comité de l'industrie linière de Keyem, demandent la réunion douanière avec la France. »
C'est sur ces pétitions, messieurs, que j'ai l'honneur de vous faire le prompt rapport demandé par la chambre.
Un grand mouvement a lieu dans les Flandres et notamment dans les districts liniers, pour demander la réunion douanière avec la France. La misère excite à ce mouvement ; elle est si grande dans une partie de ce pays, et le paupérisme y fait des progrès si effrayants, que l'avenir s'y présente sous les couleurs les plus sombres.
La cause de tant de maux est attribuée par eux à la décadence de l'ancienne industrie linière, et le plus grand remède, dans les circonstances actuelles, serait de voir abaisser les droits énormes de 24 à 25 p. c. qu'impose la France à l'entrée de nos toiles, et pour y parvenir, ils demandent a force l'union douanière avec le plus grand débouché de ces produits fabriqués, la France.
Malheureusement, messieurs, nous craignons que ces vœux, si chaudement émis, qu'ils appellent « la planche de salut » de nos pauvres tisserands, ne soient stériles et ne puissent, à notre grand regret, recevoir leur exécution.
En effet, nous nous trouvons en présence de différents traités faits avec d'autres puissances qui s'y opposent formellement. Notamment celui conclu en 1844 entre la Belgique et le Zollverein, Ce traité enlève de la manière la plus formelle à notre pays la faculté d'une union douanière telle que l'exigerait la France, parce qu'il impose, dans son article 24, à la Belgique la défense de porter à des droits excédant les droits actuels, plusieurs objets de leur provenance, entre autres les tissus de coton de toute espèce, ce qui serait évidemment contraire aux prohibitions imposées par la France. Ce traité, qui a été conclu pour 6 ans, a, par conséquent, encore quatre années d'existence.
Le traité avec la Hollande, qui paraît avoir une durée assez longue, y mettra, nous le craignons, un obstacle nouveau.
Le traité même, récemment fait avec la France, obtenu avec beaucoup de peine, après des efforts inouïs, pour parvenir à une union douanière, en démontre à l'évidence l'impossibilité pour le moment.
Nous serions donc condamnés, en attendant les négociations avec la France, pour opérer une réunion douanière, quasi impossible, à ne pouvoir traiter avec aucune autre puissance, quelque favorable que soit le traité.
Il est déplorable, messieurs, de voir ainsi bercer d'espoir des individus qui souffrent, et devenir augmenter leur souffrance en les faisant croire une réunion douanière, dont les paroles de M. Guizot à la tribune française ont fait entrevoir la possibilité.
Paroles toutes de consolation et d'espoir, disent les pétitionnaires. Lorsqu'on considère, disent-ils, avec quelle prudence la portée de chaque parole sortie de la bouche de cet homme d'Etat, aussi haut placé, a été pesée d'avance, on ne doit pas s'étonner que ces paroles aient causé tant de sensation dans les Flandres.
Hélas, messieurs, il est vrai que ces paroles ont été pesées d'avance ; mais il eût mieux valu les entendre lorsqu'il n'y avait pas de traité conclu, que maintenant lorsqu'elles ne peuvent sortir d'effet.
Si M. Guizot voulait franchement la réunion douanière, certes ce ne serait pas de la part de la Belgique que viendraient les obstacles.
Cette question n'en est pas une pour la Belgique, car il n'y a personne en Belgique, nous le croyons, qui ne la désirerait pas.
Il n'est donc pas exact, comme l(a dit M. Guizot, que les répugnances viennent de la part de la Belgique.
Que M. Guizot la propose franchement et loyalement, dégagée de toutes les entraves et telle qu'une réunion doit être et telle que la croient les pétitionnaires, avec une égalité de droits pour les industries similaires ; et elle ne se fera pas attendre ; mais une union douanière avec des droits prohibitifs d'un côté et le maintien de minimes droits de l'autre est une dérision. C'est la part du lion.
L'opposition vient donc du côté de la France et non de la Belgique.
Il est cependant possible et désirable que, pendant la durée du traité à intervenir, l'on parvienne à mieux s'entendre, que les intérêts réciproques soient plus justement appréciés, et comme tout tend à un rapprochement des peuples, à un abaissement des droits de douanes, dont l'Angleterre vient de donner l'exemple aux grands Etats de l'Europe. Il est possible et probable que nous parvenions à une union douanière sur une base plus équitable que celle qu'on a proposée jusqu'ici. Tout espoir n'est donc pas perdu, et une tendance générale vers un principe d'échange plus libéral nous amènera vers ce but. Et quels pays du monde conviennent mieux que la Belgique et la France pour une réunion douanière ?
La Belgique comme la France est industrielle et industrieuse, comme le dit fort bien M. Léon Faucher, mais sous des conditions bien différentes. Dans les provenances belges, les matières premières et les objets de consommation y figurent pour 43,000,000, ce qui équivaut à une proportion de 71 p. c, tandis que dans les exportations françaises les objets manufacturés y entrent pour une somme de 23,000,000 ou de 60 p. c. ; il y a donc plus d'échange de produits que de concurrence réelle.
Mais qu'on y fasse attention, messieurs, la misère sert souvent aussi de prétexte pour exploiter le pays, pour jeter le blâme sur le gouvernement et la représentation nationale. Quelques feuilles publiques sont trop faciles à admettre les articles de certains écrivassiers politiques, qui se déchaînent contre le gouvernement, excitent le peuple, et cela par une ambition mal placée, et souvent même pour une vengeance, un intérêt personnel, ou par une ignorance complète des affaires du pays ; ils veulent à force l'impossible, qu'ils ne voient pas ou qu'ils ne veulent pas voir. Nous en avons vu qui conseillaient jusqu'à arborer le drapeau tricolore français, croyant y trouver un moyen pour démontrer que la Belgique voulait la réunion douanière.
Messieurs, il ne faut pas que le gouvernement perde de vue toutes ces menées qui, basées sur la misère du pays, finissent par devenir menaçantes ; et son devoir est de démontrer à la face du pays, les moyens qu'il a et qu'il propose de mettre en action pour venir au secours de la misère qui est flagrante dans une grande partie du royaume, qu'il explique comment et pourquoi la réunion douanière ne peut avoir lieu dans le moment actuel et les efforts qu'il a faits pour y parvenir.
La commission conclut au renvoi de toutes ces pétitions au ministre des affaires étrangères avec demande d'explications.
M. Rodenbach. - J'approuve le renvoi du rapport, dont on vient de nous donner lecture, à M. le ministre des affaires étrangères ; dans une séance précédente, M. le ministre nous a promis de donner des explications lorsque nous discuterons le traité du 15 décembre, conclu avec la France.
Je dois encore le répéter, un nouveau traité avec la France, sur de larges bases, serait éminemment utile à la malheureuse population des Flandres. Je demande donc, avec la plus vive instance, que le gouvernement recommence les négociations pour un nouveau traité, afin que, dans (page 1706) les deux pays, les barrières douanières s'abaissent tellement, que la convention qui en résulte soit équivalente à une union douanière.
Quoi qu'on en dise, l'union se fera, un peu plus tôt un peu plus tard, j'en ai la conviction, et les deux pays y gagneront. Il y a quelques jours qu'à l'occasion de l'inauguration du chemin de fer franco-belge on a vu éclater des témoignages de sympathies qui nous permettent de croire que cette union rencontre beaucoup de partisans aussi bien en France qu'en Belgique.
J'appuie les conclusions de la commission.
- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.
M. Dubus (Albéric). - Messieurs, deux nouvelles pétitions viennent de parvenir au bureau :
« Le sieur Castelain, cultivateur à Estaimpuis, réclame le payement de terres expropriées lors de la construction du chemin de fer de Courtray à Tournay. »
M. Dumortier. - Messieurs, dans les environs de Tournay, il y a encore beaucoup de propriétaires qui se trouvent dans le cas du pétitionnaire. Il faut convenir qu'il serait bien à désirer qu'on payât ceux qui ont été expropriés depuis la création du chemin de fer. Je demanderai donc que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport sur cette requête, et j'engagerai vivement M. le ministre des travaux publics à prendre les mesures nécessaires pour que ceux dont les propriétés ont été expropriées pour la construction des chemins de fer puissent être payés sans retard.
- La proposition de M. Dumortier est adoptée. En conséquence la requête est renvoyée à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
« Plusieurs candidats notaires dans l'arrondissement de Louvain, présentent des observations concernant le projet de loi sur l'organisation du notariat et prient la chambre de s'occuper de ce projet pendant la session actuelle. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.
M. Henot présente plusieurs rapports sur des demandes eu naturalisation.
La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports.
M. Delfosse. - Un journal de Liège, se disant bien informé, affirmait, il y a quelques jours, qu'un marché à main ferme a été conclu pour la partie du canal de Liége à Maestricht, située sur le territoire hollandais ; il ajoutait que ce marché a été conclu à des prix très élevés, beaucoup plus élevés que ceux que l'on paye pour la partie du canal qui est située en Belgique et qui a fait l'objet d'une adjudication publique.
C'est ainsi que la maçonnerie en briques avec mortier ordinaire, coûterait, par mètre cube, 21 fr. 16 c., au lieu de 16 fr. ; la charpente en bois de chêne, 253 fr. 96 c, au lieu de 150 fr. ; le béton, 25 fr. 10 c, au lieu de 18 fr. ; la maçonnerie en briques avec mortier en trass, 31 fr. 75 c, au lieu de 18 fr. ; le fascinage, 4 fr. 23 c, au lieu de 3 fr. 50 c.
Si ces faits sont vrais, il en résulte que le gouvernement a fait non seulement une opération irrégulière, mais aussi une opération excessivement onéreuse pour le trésor. Je ne puis croire qu'il ait méconnu son devoir à ce point et je désire que les explications que je provoque de la part de M. le ministre des travaux publics viennent dissiper les doutes, je dirai même les soupçons que l'article du journal dont je viens de parler a dû faire naître dans les esprits.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, le fait sur lequel l'honorable préopinant demande des explications, n'est pas exclusivement le fait du gouvernement belge ; il s'agit ici d'actes communs au gouvernement belge et à un gouvernement étranger. Cette position, messieurs, m'impose une réserve que la chambre comprendra. Je crois cependant pouvoir déclarer que dans cette circonstance les intérêts de l'Etat n'ont été, ni négligés, ni perdus de vue.
Dans la discussion du budget des travaux publics, j'ai eu l'occasion de faire une profession de foi fort large, en ce qui concerne les adjudications publiques ; mais je pense que ces principes doivent être appliqués à une situation ordinaire, et qu'il peut y avoir des raisons, puisées dans l'intérêt même de l'Etat, de s'en écarter dans une situation exceptionnelle.
Ici, il ne s'agit pas de travaux à exécuter dans le pays et sous la direction des agents de l'Etat ; il s’agit de travaux à exécuter sur un territoire étranger et par les agents d'un gouvernement étranger. Le gouvernement a donc ici des moyens d'action plus restreints que ceux que comporte le cours ordinaire des choses.
Je dois faire remarquer maintenant que d'après la convention diplomatique du 12 juillet 1845, les travaux du canal latéral à la Meuse, pour la partie comprise sur le territoire du duché de Limbourg doivent être exécutés non par le gouvernement belge, mais par le gouvernement néerlandais ; le gouvernement néerlandais a tenu à avoir cette exécution qu'il considérait comme inséparable de ses prérogatives comme gouvernement.
L'article 3 de cette convention du 12 juillet 1845, est ainsi conçu :
« Les travaux à établir sur le territoire du duché de Limbourg seront exécutés, aux frais du gouvernement belge, par le gouvernement des Pays-Bas, d'après les plans d'exécution approuvés par les deux gouvernements. »
L'idée d'un marché direct pour les travaux à exécuter sur le territoire du duché de Limbourg est due à l'initiative de l'administration néerlandaise.
Au mois de décembre de l'année dernière, notre ministre à La Haye, le général Willmar, fut informé qu'une offre avait été faite au gouvernement des Pays-Bas par une compagnie de Maestricht, à des conditions qui, vu la solidité de cette compagnie, conviendraient au ministre de l'intérieur des Pays-Bas et assureraient une exécution prompte et non interrompue des travaux.
Pour le dire en passant, ces conditions d'une exécution prompte et non interrompue étaient pour la Belgique un point capital. Il est à remarquer en effet que la partie du canal à exécuter sur le territoire belge et qui comprendra la plus forte partie de la dépense, ne pourra être utilisée, et que le commerce de Liège ne pourra y trouver un débouché pour l'écoulement de ses produits, qu'autant que la partie néerlandaise du même canal sera également exécutée.
Notre ministre à La Haye fut informé en même temps que le ministre de l’intérieur des Pays-Bas ne se déciderait à traiter à main ferme, qu'autant qu'il aurait la certitude que le gouvernement belge n'y élèverait pas d'objections. Des objections n'ont pas été faites de notre part, et je crois qu'il n'était pas de l'intérêt de l'Etat que des objections fussent faites.
Il est à remarquer en effet, qu'un incident quelconque, dû à un défaut d'entente entre des entrepreneurs belges, par exemple, et les ingénieurs néerlandais, chargés de la direction des travaux, aurait pu amener des retards dont les conséquences eussent été déplorables. Mon honorable prédécesseur crut en conséquence devoir donner son assentiment à un marché à main ferme, pourvu que les prix fussent en rapport avec ceux des travaux analogues exécutés en Belgique dans les dernières années.
Le gouvernement néerlandais, comme je l'ai dit, était saisi d'une proposition d'exécution ; cette proposition fut renvoyée à l'examen de la commission mixte, instituée en vertu de l'article 2 de la convention du 12 juillet 1843, article ainsi conçu :
« Les gouvernements belge et néerlandais nommeront une commission mixte chargée de régler ultérieurement tout ce qui se rapporte à l'exécution dudit canal. »
Cette commission est composée de l'ingénieur en chef du waterstaat du | duché de Limbourg, du colonel commandant le génie à Maestricht et de l'ingénieur en chef, chargé, en Belgique, du service des canaux de la Campine et du canal latéral à la Meuse.
Le marché qui a été conclu, a été proposé par cette commission, après un très sérieux examen, et je dois dire que j'ai acquis la conviction que toutes les conditions en avaient été discutées avec soin, et que les ingénieurs néerlandais s'étaient proposé, comme engagement d'honneur, de n'admettre aucune clause désavantageuse à la Belgique.
J'ai rencontré, de la part du gouvernement des Pays-Bas et de la part de ses agents, les meilleures dispositions pour la bonne et loyale exécution du traité. Ces bonnes dispositions existent, et je crois qu'il y a le plus grand intérêt à les maintenir.
L'honorable membre a cité certains prix qui seraient exagérés, comparés aux prix usités en Belgique.
L'honorable membre a cité la source où il a puisé ses renseignements. C'est un journal de Liège. Le rédacteur de ce journal a commis plusieurs erreurs. C'est ainsi qu'il a indiqué pour le bois de charpente le prix de 253 fr. 96 c, tandis qu'il n'est que de 175 fr. 63 c.
Pour ce qui est de la maçonnerie, on n'a pas fait attention que les prix, tels qu'ils sont réglés, comprennent toutes les dépenses d'épuisement ; ce qui n'a pas eu lieu pour la partie belge du canal. Or, ces dépenses d'épuisement peuvent s'élever à des sommes considérables.
Tout le monde est d'accord que la partie du canal à établir sur le territoire du duché de Limbourg présente des difficultés tout à fait extraordinaires notamment au point de vue de l'épuisement.
Il vous souvient sans doute, messieurs, que dans la discussion qui a précédé le vote du projet de loi relatif au canal latéral à la Meuse, plusieurs orateurs ont été jusqu'à révoquer en doute la possibilité d'établir le canal aux abords de Maestricht. Le canal devra y être établi en partie dans la Meuse. Là où il pourra l'être à côté de la Meuse, les infiltrations seront considérables.
Pour en revenir à la maçonnerie, les matériaux devront être tirés de la Belgique ; ils seront soumis à des droits d'entrée, qui en élèveront les prix. Il seront de plus soumis, à Maestricht, à un droit d'octroi.
Pour ce qui est des fascines, le prix est de 4 fr. 23 c ; or les fascinages exécutés chez nous, pour la défense de la rive gauche de la Meuse, s'exécutent, eu vertu d'adjudications, au prix de 4 fr. 50 c, et dans des conditions qui présentent moins de difficultés.
En résumé, messieurs, les différences qui ont été exactement signalées tiennent, en très grande partie, aux bases mêmes du contrat, qui imposent aux adjudicataires les dépenses d'épuisement, et des dépenses de reconstruction en cas de destruction d'ouvrages. Ainsi que je l'ai dit, messieurs, ces prix ont été sérieusement discutés et examinés. On les a mis en rapport avec l'ouvrage spécial à exécuter, et j'ai la conviction qu'ils ont été établis de manière à n'entraîner aucune lésion pour le trésor belge.
M. Delfosse. - Je regrette de devoir dire que les explications de M. le ministre des travaux publics ne sont pas d'une nature satisfaisante. S'il s'était agi de travaux à exécuter aux frais du gouvernement belge et sous sa direction, on aurait eu recours au système d'adjudication publique, système dont M. le ministre des travaux publics reconnaît la bonté, l'utilité ; s'il s'était agi de travaux à exécuter aux frais et sous la direction du gouvernement hollandais, on aurait également procédé par voie d'adjudication publique, car le gouvernement hollandais reconnaît aussi la (page 1707) bonté, l'utilité de ce système, il l'impose à ses agents ; et parce qu'il s'agissait de travaux communs, jusqu'à un certain point, de travaux à exécuter aux frais du gouvernement belge, sous la direction des agents hollandais, il a fallu traiter à main ferme !
Je suis surpris qu'un homme sérieux vienne nous donner une telle raison, pour justifier le mode irrégulier qui a été suivi ; ce n'est pas là une raison, c'est une mauvaise plaisanterie.
M. le ministre des travaux publics invoque la convention diplomatique qui a été faite avec la Hollande. Mais cette convention ne nous liait qu'en ce sens que la direction des travaux devait être laissée aux agents hollandais ; elle ne nous empêchait aucunement de débattre nos intérêts, de demander, d'exiger même que l'on eût recours au système d'adjudication publique, à ce système dont les deux gouvernements reconnaissent la bonté, l'utilité, et qu'ils doivent mettre en pratique lorsqu'ils opèrent isolement.
Cela est si vrai que M. le ministre des travaux publics vient d'avouer que le gouvernement hollandais n'a pas voulu conclure le marché sans l'assentiment du nôtre ; c'est donc de son plein gré, sans y être forcé par la convention diplomatique que notre gouvernement s'est écarté du système d'adjudication publique, et il s'en est écarté sans raison plausible.
Car que signifie, je vous le demande, cette autre raison donnée par M. le ministre des travaux publics, que l'exécution des travaux devait être prompte et non interrompue. Depuis quand est-il devenu impossible de concilier le système d'adjudication publique avec l'exécution prompte et non interrompue des travaux ? Ne peut-on pas dire, dans le cahier des charges, que les travaux seront exécutés promptement et sans interruption ? Ne peut-on pas garantir l'exécution de cette clause par une pénalité ? On a exécuté dans le pays, promptement et sans interruption, une foule de travaux qui avaient été adjugés publiquement.
Rien ne justifie donc le mode irrégulier qui a été suivi. Rien ne justifie surtout les prix élevés qui devront être payés ; M. le ministre des travaux publics a signalé quelques inexactitudes dans les chiffres que j'ai indiqués, mais alors même que M. le ministre des travaux publics aurait raison sur ce point contre le journal qui m'a fourni les renseignements que j'ai communiqués à la chambre, la différence entre les prix convenus pour la partie du canal située en Hollande, et les prix de l'adjudication de la partie située en Belgique serait encore beaucoup trop forte ; il y aurait encore lésion considérable pour le trésor.
Ce fait, messieurs, est une nouvelle preuve de la tendance déplorable qui pousse trop souvent le département des travaux publics à sacrifier les intérêts du trésor aux profits des entrepreneurs.
J'ai signalé plusieurs fois des abus de ce genre, je les signalerai chaque fois qu'ils se reproduiront ; mais c'est surtout sur les bancs de la majorité qu'on devrait les signaler et les blâmer sévèrement. La minorité n'est pas responsable des abus ; si on lui demandait pourquoi elle les tolère, elle répondrait qu'il ne dépend pas d'elle de les empêcher. La majorité ne peut pas faire la même réponse, la majorité a les moyens d'empêcher les abus, de les faire cesser ; si elle n'use pas de ces moyens, qui sont à sa disposition, à elle, à elle seule, la responsabilité !
M. de Tornaco. - Messieurs, je profite de la présence de M. le ministre des travaux publics, pour me plaindre des retards, ou plutôt du mauvais vouloir que l'administration des chemins de fer apporte à effectuer certains transports. Tout le monde sait que le chemin de fer rend assez peu de services, ou moins de services directs, à l'agriculture ; malheureusement lorsqu'il pourrait en rendre quelques-uns, l'administration, paraît-il, s'oppose à ce qu'il les rende. D'après les renseignements que j'ai reçus, plusieurs communes sollicitent depuis longtemps le transport de pierres nécessaires à la construction ou à la réparation des chemins vicinaux ; il est même une commune, située à côté de Waremme, qui, depuis le 4 mars, sollicite en vain, de M. le directeur des chemins de fer, le transport des pierres dont elle a absolument besoin et qu'elle ne peut recevoir que par le chemin de fer.
Vous comprendrez, messieurs, combien ce mauvais vouloir est une chose fâcheuse, surtout cette année : vous vous êtes empressés de voter les fonds qu'on vous a demandés pour les chemins vicinaux, vous vous êtes empressés de mettre à la disposition du gouvernement des crédits au moyen desquels il pût donner du travail à la classe ouvrière, procurer du pain aux pauvres ouvriers des campagnes qui ont tant souffert cette année ; et que le gouvernement, au lieu de seconder vos vues (quand je dis le gouvernement, j'entends parler de l'administration du chemin de fer dont M. le ministre des travaux publics est responsable), l'administration du chemin de fer, au lieu de seconder les vues de la chambre, les contrarie, en entrave la réalisation.
Je sais bien qu'il s'agit ici d'un intérêt peu important pour tel ou tel directeur des chemins de fer ; il y a bien plus d'importance pour lui dans certains voyages, dans des fêtes ou des bals, des festins ; mais pour les communes qui souffrent de ces entraves, il résulte un grand dommage alors surtout qu'il existe de si vives souffrances. J'insiste donc pour que M. le ministre des travaux publics donne des ordres en conséquence de mes observations, afin qu'on puisse faire les travaux de la voirie vicinale avant la moisson.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Je viens de recevoir un rapport qui m'apprend que les transports dans l'intérêt desquels l'honorable préopinant a réclamé, seront faits immédiatement.
M. Zoude, rapporteur. - « Le conseil communal de Spa prie la chambre d'autoriser la concession du chemin de fer projeté de Pepinster à Spa. »
La commission propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. le président. - Un nouvel amendement vient d'être déposé par M. de Corswarem. Il est ainsi conçu :
« J'ai l'honneur de proposer les amendements suivants :
« Art. 1er. Substituer le chiffre de 25 fr. à celui de 30 fr. »
« Art. 3, § 3, n°1er. Substituer le chiffre de 66 fr. à celui de 65 fr. »
« Art. 5 nouveau. Substituer 1° 1,200,000 kil. à 3,800,000 kil. ; 2° une augmentation de 1 fr. à celle de 2 fr. par chaque 100,000 kil. d'excédant ; 3° le maximum du droit d'accise de 32 fr. à celui de 40 fr.»
La parole est à M. de Corswarem pour développer cet amendement.
M. de Corswarem. - Messieurs, depuis quelque temps on est entré dans une voie de concessions et je crois que c'est le seul moyen d'arriver à une solution convenable de la question. C'est pour engager la chambre à faire un pas de plus dans cette voie, que j'ai proposé mon amendement.
On est généralement d'accord, messieurs, que les deux industries réunies doivent donner au trésor un produit de 3 millions de francs. On est aussi généralement d'accord pour laisser à l'industrie nationale, c'est-à-dire à l'industrie du sucre de betteraves, un tiers du marché intérieur et de réserver les deux autres tiers à l'industrie du sucre exotique. On veut sans doute également faire contribuer les deux industries, dans la même proportion, à la somme de 3 millions que le trésor réclame.
Or, messieurs, la consommation intérieure s'élève à 12,600,000 kilog. produits inférieurs compris ; donc un tiers est 4,200,000 kilog. Le droit sur 1/3 à fournir par l'industrie nationale, s'élèverait à raison de 30 fr., comme le propose M. le ministre des finances, à 1,260,000 fr., mais M. le ministre des finances propose aussi de ne laisser produire à l'industrie nationale, au taux de 30 fr., que 3,800,000 kilog. ; il en résulte que si l'industrie du sucre de betteraves fournit un tiers du sucre nécessaire à la consommation intérieure, elle fournira 4,200,000 kilog. et qu'alors, au lieu de paver 30 francs, elle en payera 40.
Or 4,200,000 kilog. à 40 fr. donneraient 1,680,000 fr. et comme l'intention de M. le ministre est de ne faire produire aux deux industries réunies qu'une somme de 3 millions de francs, il se trouve que si l'industrie nationale parvient à suffire au tiers de la consommation du pays, elle payera pour ce tiers, 360,000 fr. de plus que l'industrie étrangère ne payera pour les deux autres tiers, car alors le sucre exotique n'aurait plus à contribuer que pour 1,320,000 fr. dans les 3 millions sur lesquels l'industrie du sucre de betterave aurait déjà payé 1,680,000 fr.
Et dans le cas où la production du sucre indigène resterait à 400,000 kil. au-dessous du tiers nécessaire à la consommation de l'intérieur, c'est-à-dire dans le cas où elle ne produirait que les 3,800,000 kil. qu'on veut bien lui laisser produire, elle payerait sur cette production, à raison de 30 fr. par 100 kil., 1,260,000 fr.
Ainsi, si des 3 millions, part du trésor, l'industrie du sucre indigène paye 1,260,000 fr. pour 3,800,000 kil. de produits, il ne resterait plus à payer par l'industrie du sucre exotique que 1,740,000 fr. pour 8,800,000 kil. Dès lors, l'industrie du sucre de canne payerait autant que celle du sucre de betterave sur les premiers 3,800,000 kil. qu'elle produirait ; et sur les autres 5 millions qu'elle fournirait pour parfaire les 12,600,000 kil. nécessaires à la consommation de l'intérieur, elle ne payerait plus que 480,000 fr., c'est-à-dire que pour ces 5 millions de kil., elle ne payerait qu'un peu au-delà du tiers de ce que l'industrie nationale payerait pour un peu moins de 4 millions de kil.
Il est donc évident qu'un impôt de 30 fr. par 100 kil. sur le sucre indigène est exagéré, et qu'il dépasse de beaucoup le but qu'on veut réellement atteindre. C'est dans cette intention que je propose de le réduire à 25 fr., sauf à l'augmenter, comme je le demanderai plus tard, dès que cette production aura atteint le tiers nécessaire à la consommation.
Maintenant si l'impôt était de 25 fr. par 100 kil., il produirait déjà le million qu'on veut faire rapporter à l'industrie du sucre indigène, quand même cette industrie produirait 200,000 kil de moins que le tiers nécessaire à la consommation de l'intérieur, c'est-à-dire que lorsque l'industrie nationale fournira 4 millions de kil. de sucre au marché intérieur, elle payera, à raison de 25 fr. par 100 kilog., la somme ronde d'un million. Restent alors à payer les deux autres millions par l'industrie dii sucre exotique sur une quantité de 8,600,000 kil. à fournir par cette industrie, pour parfaire les 12,600,000 kil. nécessaires à la consommation de l'intérieur.
Ainsi, le sucre, produit du sol belge, payera 1 million pour 400,000 kil., et le sucre, produit du sol étranger, ne payera que la même somme pour 300,000 fr. de plus ; en d'autres termes, 100 kil. de sucre indigène consommés dans le pays payeront 25 fr. tandis que 100 kil. de sucre exotique consommés dans le pays ne payeront pas tout à fait 23 fr. 26 c, puisque 8,600,000 kil. à 23 fr. 26 c. les 100 kil. produisent plus de 2 millions ; ainsi, en imposant le sucre indigène à 25 fr., on laisse une différence d'un franc 74 c. par 100 kil. en faveur du sucre exotique. Cette différence devient encore plus grande, si l'industrie indigène produit une somme plus forte que les 4 millions qui ne suffisent pas même au tiers de la consommation intérieure.
C'est pour ces motifs que je propose de réduire le chiffre à 25 francs, jusqu'à concurrence de 4 millions. Mais comme mon intention est de faire coexister les deux industries, il faut nécessairement que j'augmente aussi le chiffre de la décharge de l'accise à l'exportation ; et c'est dans cette intention que je propose, à l'article 3, § 3, n° 1, d'élever le chiffre de la décharge de 65, proposé par M. le ministre des finances ; de l'élever (page 1708) dis-je, à 66, tel qu'il a été réclamé par l'honorable M. Manilius, et appuyé par M. le ministre des affaires étrangères.
A l'article 5 nouveau, je propose également un amendement.
On est convenu de laisser à l'industrie indigène le tiers de la production nécessaire à la consommation intérieure. Or, ce tiers monte à 4,200,000 kil. puisque la consommation intérieure exige une quantité totale de 12,600,000 kil. Je propose donc de ne pas augmenter le droit sur le sucre indigène, tant qu'il ne produira pas au-delà du tiers nécessaires à la consommation intérieure.
Ensuite, au lieu d'augmenter le droit d'accise de 2 fr. pour chaque quantité de 100,000 kilog., je propose de ne l'augmenter que d'un franc, et de porter le maximum à 32, au lieu de 40. Je propose ce chiffre de 32, parce qu'avec celui de 40, l'exportation du sucre indigène est impossible ; M. le ministre a répondu lui-même plusieurs fois dans cette discussion qu'il doit y avoir une différence de droit de 15 francs. Ainsi, au lieu de laisser une différence de 15 francs, je ne laisse qu'une différence de 13 francs.
Voilà les motifs qui m'ont engagé à présenter cet amendement. Je dois déclarer d'avance que mon intention est de faire coexister les deux industries ; je crois qu'avec cet amendement, elles peuvent coexister, et lorsque la chambre l'aura examiné attentivement, j'espère qu'elle partagera mon opinion à cet égard.
- L'amendement est appuyé.
(page 1713) M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je rends justice aux intentions de l'honorable M. de Corswarem ; il désire que la discussion fasse un nouveau pas vers la conciliation. Mais, messieurs, il m'est impossible d'admettre que l'amendement de l'honorable préopinant ait le caractère qu'il a cru devoir lui attribuer. L'amendement de l'honorable membre repose tout entier sur une erreur, et tous les calculs qu'il vous a présentés sont basés sur cette erreur ; c'est ce que j'espère démontrer à la chambre.
La consommation est évaluée à 12,600,000 kilog. (dit l'honorable membre), y compris les bas produits du sucre ; on veut laisser le tiers à la betterave ; ce tiers, à 40 francs, donnerait une somme de....., à 30 fr., une somme de....., donc la betterave, sur le tiers qui lui est réservé, payerait, dans une hypothèse donnée, plus que le sucre exotique sur les deux autres tiers. Je reproduis l'argument fondamental de l'honorable membre, en supprimant les chiffres, pour le rendre plus clair.
Eh bien, c'est là une erreur capitale, parce que l'accise est établie sur le sucre brut et que la décharge est établie sur le sucre raffiné. L'accise est établie sur le sucre brut, d'où il résulte que le fabricant de sucre brut indigène, comme le raffineur de sucre exotique, sont pris l'un et l'autre en charge, pour le payement des droits, d'après le taux différentiel de l'accise ; en d'autres termes, lorsque le fabricant de sucre brut indigène a produit 100 kilog., son compte est chargé d'une somme de 30 à 40 fr. suivant le droit que vous établirez, comme le raffineur de sucre exotique est chargé d'une somme de 45 fr. quand il met en raffinage une quantité de 100 kilog. de sucre brut exotique.
Ici, il ne s'agit que de l'introduction du sucre brut dans le travail qui doit le rendre propre à la consommation. Ainsi le sucre brut indigène mis en charge à 30 fr. d'après mon amendement et à 20 fr. d'après la législation actuelle, est pris en charge à un droit inférieur à celui du sucre exotique, qu'il soit consommé ou exporté ; s'il est exporté on obtient sur les produits fins, mais sur les produits fins seulement, une décharge dont la loi fixe le taux ; et les produits qui ne sont pas compris dans la décharge de l'un ou de l'autre sucre restent dans le pays.
Tous les calculs qui font intervenir les bas produits pour établir le droit perçu à la consommation reposent sur une base complétement erronée.
C'est exclusivement en faisant une moyenne sur toute la consommation et en appliquant les 3 millions à cette consommation, sans distinguer les produits exportés de ceux qui ne le sont pas, que l'honorable membre peut induire que le sucre indigène paye un droit plus fort sur un tiers de la consommation, que le sucre de canne ne paye sur les deux autres tiers.
Il suffit d'ailleurs d'exposer cette allégation en présence du droit différentiel d'accise pour démontrer que c'est une espèce de tour de force mathématique.
Le droit de 30 fr. est exagéré, dit l'honorable membre. Reportons-nous un instant aux faits qui ont été constatés, qui se sont produits sous la loi de 1843.
Voyons quelle est la position actuelle de l'industrie indigène et quelle position le projet qui nous est soumis tend à assurer à l'avenir.
Sous le régime de la loi de 1843, le sucre indigène avait une protection nominale plus forte que celle que je veux lui assurer. En effet, il est reconnu par les défenseurs du sucre indigène que cette protection avait disparu ; si on discute encore à cet égard, c'est sur la question de savoir si le sucre indigène a supporté plus que l'égalité de droit, ou s'il a encore conservé une protection quelconque.
L'honorable M. de La Coste, dans une précédente séance, appliquant les effets de la prime de mévente aux 6/10 exportés, a dit que lorsqu'elle s'élevait à plus de 48 1/2, la protection était réduite à 12 francs 4 centimes.
M. de La Coste. - C'est le département des finances qui l'a dit dans l'enquête.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Cela est vrai, mais depuis lors on a rectifié une erreur qui faisait porter sur 6 dixièmes et non sur la totalité des prises en charge, les effets de la prime de mévente. Je n'insiste du reste pas sur ce point, il serait difficile de faire comprendre tout le mécanisme de la prime de mévente ; je me borne, admettant par supposition le point de vue de l'honorable M. de la Coste à accepter le fait que sous le régime de la loi de 1843, la protection s'est réduite en réalité pendant longtemps à 12 fr. 4 c.
L'honorable M. de Corswarem vous propose de porter cette protection non plus nominale, mais réelle, qui ne peut pas faillir dans les faits, de la porter à 20 fr. et de laisser comme protection définitive une différence de droit d'accise de 15 fr.
Je fais disparaître la prime de mévente, ce fait a réagi à l'intérieur et au dehors.
Permettez-moi de vous expliquer pendant quelques instants le mécanisme de la loi en ce qui concerne l'exportation du sucre indigène. C'est selon moi un des points essentiels de la loi, c'est un des moyens les plus énergiques, les plus efficaces d'assurer la coexistence des deux industries et de donner à chacune d'elles la plus grande prospérité relative à laquelle elle puisse prétendre.
La prime de mévente a été la cause de l'encombrement du marché intérieur et du malaise.
Les deux industries le proclament. Aussi le problème que je me suis attaché à résoudre a été de dégager le marché. Quand l'encombrement du marché intérieur n'est pas possible, l'exportation peut prendre plus de développement ; je m'étais dit que pour arriver là, il fallait que le sucre indigène pût prendre part à l'exportation. Il la prendra. Il est impossible qu'il ne la prenne pas si vous admettez la décharge égale à l'exportation. Demandons-nous d'abord pourquoi le sucre indigène n'a pas exporté sous la législation actuelle ?
On était obligé de laisser en consommation 40 p. c. des prises en charge ; alors le sucre indigène brut se présentait avec une décharge différentielle ; il n'était pas acceptable aujourd'hui qu'à décharge égale et à un droit d'accise différent, il a une double porte ouverte pour l'exportation.
En fait je me demande quelle quantité de sucre indigène ou exotique apure une dette vis-à-vis du trésor public. J'ai fait le calcul sur la décharge de 65 fr. Un producteur de sucre de betterave ayant à apurer une dette de 65 fr., a 217 kil. de sucre à vendre ; la même dette apurée en sucre exotique ne laisse au raffineur que 145 kil. de sucre ; la faveur est donc de 72 kil. pour une même dette, envers le trésor.
Mais, comme au moyen d'une dette moindre, le raffineur de sucre brut indigène peut également exporter ce sucre comme celui de la Havane, il n'a plus de motif de repousser ce sucre comme sous la loi de 1843 ; il a, au contraire, un motif de le préférer, puisque, chargé de droit d'accise moindre, il obtient une décharge égale à l'exportation. On dit à côté de moi que le sucre indigène, dans de telles conditions, tuera le sucre exotique.
Oui, messieurs, il le détruirait si la différence du droit d'accise d'une part, mise en rapport avec l'égalité de décharge d'autre part, restait fixé à 15 fr. pour le droit d'accise. Je ne fais aucun doute qu'à 15 fr. comme à 13 fr., vous auriez vainement écrit dans votre loi le principe de la coexistence, et qu'avant deux ans le sucre exotique, non seulement pour l'exportation, mais même comme objet de consommation en Belgique, aurait complétement disparu. J'insiste pour ce motif sur la limitation de la production du sucre indigène au droit le plus favorable. En effet, dans la limitation combinée avec l'égalité de la décharge est tout le système de la coexistence.
Quelle que soit la décharge, si la limitation de la production n'est pas admise, le principe de la coexistence ne sera pas assuré ; avant peu de temps vous verrez reparaître la question des sucres, aussi difficile, plus difficile peut-être qu'auparavant.
Il n'y a pas de doute à concevoir sur un avenir, si la différence qu'on laisse au droit le plus favorable est du tiers de la consommation. Les (page 1714) faits que j'ai rappelés, quant au sucre indigène, me paraissent le démontrer suffisamment.
Peut-être même (j'ai déjà indiqué cette éventualité), si un jour l’industrie du sucre indigène réalisait des progrès analogues à ceux qu'elle a déjà faits, on pourrait, sans compromettre le principe de la coexistence des deux industries, ou peut-être même, devra-t-on pour sauvegarder ce principe, aller jusqu'à l'égalité absolue des droits, malgré la différence de valeur des bas produits.
L'honorable membre, je l'ai vu avec plaisir, admet en principe le système que je n'ai cessé de défendre, que l'on doit imposer le sucre indigène, en proportion des progrès que réalise cette industrie, en proportion du développement qu'elle acquiert.
Ce. système, d'après toutes les-éludes que j'ai faites, me paraît seul répondre aux véritables intérêts, du sucre indigène : seul il applique, dans un esprit de justice, l'aggravation de l'impôt.
Le dissentiment porte sur le point de départ et sur le mode d'aggravation.
J'ai pensé que s'il fallait laisser au sucre indigène le tiers de la consommation, il fallait le lui laisser non pas au droit le plus favorable, mais au droit différentiel qui serait reconnu nécessaire pour assurer la coexistence.
Nous sommes divisés d'opinion sur ce point.
L'honorable membre part du chiffre le plus élevé, tandis que je pars d'un chiffre qui laisse une latitude de plus d'un million de kilog. sur les deux millions et demi que produit la culture de la betterave d'après les faits officiels. L'on ne se bornerait donc pas à assurer un tiers de la consommation au sucre indigène, mais un tiers à 25 fr. car on ne commencerait à aggraver la condition de cette industrie en lui imposant un droit supérieur à 25 fr. que quand la production aurait dépassé le tiers de la consommation.
La conséquence de l'amendement serait de livrer le marché tout entier, sous très peu de temps, à l'industrie du sucre indigène.
L'honorable membre a ajouté une dernière observation ; il pense que, dans des séances précédentes, j'ai reconnu l'impossibilité de l'exportation du sucre indigène, si le droit d'accise était de 40 fr., ces observations me fournissent l'occasion de combattre une autre erreur.
Le droit différentiel de l'accise et la décharge égale étant admis, l'exportation ne serait pas plus impossible 40 fr. qu'à 45 fr., si à 40 fr., comme à 45 fr. la coexistence était possible.
Le droit différentiel d'accise a pour objet d'assurer l'existence prospère des fabriques de sucre indigène. L'égalité de la décharge a pour objet et aura pour résultat nécessaire de permettre l'exportation de ce produit. Si la protection établie pour assurer l'existence des fabriques, leur permet de subsister en effet, fût-elle d'ailleurs considérablement réduite dans l'avenir, l'exportation n'en aurait pas moins lieu aussi longtemps que l'égalité de la décharge serait maintenue. Il y a là deux ordres d'idées qu'il faut se garder de confondre quant au but et quant aux résultats.
La raison même qui fait que l'industrie du sucre indigène peut subsister avec une protection même réduite, fait qu'elle peut exporter dans ces conditions.
Je crois que ces observations démontrent que, contrairement aux intentions de l'honorable M. de Corswarem, le système qu'il vous a soumis n'assurerait pas la coexistence des deux industries, mais ne tendrait à rien moins qu'à la destruction complète de l'industrie du sucre exotique.
Il me reste à dire un mot sur un autre point.
A la séance d'hier, en terminant son discours, l'honorable M. Rogier a exprimé le vœu que l'on recherchât si le rendement relatif aux deux sucres ne pouvait pas être fixé au taux de 68-18, conformément aux vœux de l'industrie du sucre exotique.
J'ai recherché de nouveau s'il n'y aurait pas moyen de lever l'objection que j'ai faite au point de vue exclusif de la situation du trésor, et ce moyen j'espère l'avoir trouvé.
Je craignais que dans l'espace de 18 mois, les développements, les perfectionnements de l'industrie fussent tels que la recette vînt à être réduite au-dessous de 3 millions par année. Le danger, dans ma pensée, était donc proportionnel au temps. Si au lieu d'avoir cette incertitude pendant 18 mois je pouvais ne l'avoir que pendant un an, je reconnais volontiers qu'il serait presque impossible que, dans l'état actuel des établissements de raffinage, l'industrie pût dépasser le développement qu'elle a pris à l'époque de sa plus grande prospérité, et que dès lors la recette pût être absorbée en un an, comme elle aurait pu l'être en 18 mois, de manière à rester en dessous du minimum de 3 millions.
Ainsi en maintenant à l'article 4 la date du 1er juillet 1847 au lieu de celle du 1er janvier 1848, l'objection fondée sur l'intérêt du trésor, objection que j'avais faite moi-même, vient à disparaître.
Quant à l'industrie, je ne pense pas que la conséquence de cette réduction de terme puisse lui être funeste.
Il y a pour cette loi comme pour toutes les lois d'impôt une période de transition, dont les effets sont incertains.
Cette période de transition, c'est celle qui s'écoule entre le vote de la chambre et le vote du sénat. Il est arrivé que les effets d'une loi financière ont été pour quelque temps singulièrement amoindris par suite du temps qui s'écoulait entre les deux décisions des assemblées législatives. Mais ici, messieurs, je ne pense pas que l'industrie puisse trouver dans cet intervalle, que je m'efforcerai du reste d'abréger, le moyen d'énerver, de diminuer les recettes que le trésor doit attendre de la loi actuelle.
J'admettrai donc le chiffre de 68, 18, mais en regard de ce chiffre j'abrégerai le délai d'un tiers. Je proposerai que le gouvernement puisse élever le rendement dès le 1er juillet 1847, s'il y a lieu.
(page 1708) M. le président. - La parole est à M. de Garcia.
M. de Garcia. - J'y renonce.
M. le président. - D'après l'ordre des inscriptions, la parole est à M. de La Coste. Mais cet honorable membre a déjà parlé deux fois.
Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !
- La clôture de la discussion générale est demandée par plus de 10 membres.
M. Delehaye. (contre la clôture). - Messieurs, je ne comprends pas réellement la demande de clôture. M. le ministre vient de modifier ses propositions. L'honorable M. de Corswarem en a fait de nouvelles. Ces propositions n'ont pas été examinées, et vous voulez prononcer la clôture !
M. le ministre des finances (M. Malou). - On ne demande que la clôture de la discussion générale. On discutera les articles.
M. Delehaye. - Messieurs, le fait est que plusieurs points n'ont pas encore été examinés, et je persiste à croire qu'on ne peut clore en ce moment.
M. de La Coste (contre la clôture). - Messieurs, je sens bien que je dois à peine espérer que la chambre m'entende une troisième fois. Cependant comme on a cherché à réfuter plusieurs de mes arguments, j'aurais désiré ne pas laisser la chambre sous cette impression que ces réponses sont sans réplique.
Messieurs, j'ai examiné cette question avec extrêmement d'attention. J'admettrai, si l'on veut, entre MM. les ministres et moi, une grande distance sous le rapport de l'intelligence. Mais, je crois la compenser plus ou moins par l'étude approfondie que j'ai faite de la question, et je dois le dire franchement, à l'égard de deux des points principaux qui ont été traités par MM. les ministres, ils me paraissent avoir avancé de véritables sophismes. C'est ce que j'aurais voulu démontrer à la chambre.
M. Eloy de Burdinne (contre la clôture). - Messieurs, je conçois la lassitude que doit éprouver la chambre. Cependant je suis prêt à détruire les chiffres de M. le ministre des affaires étrangères qui a voulu combattre les miens, et je désirerais que la chambre voulût m'entendre.
Ne perdez pas de vue, messieurs, que cette question est de la plus haute importance, qu'il s'agit ici de l'intérêt du trésor, de l'intérêt de l'agriculture, de l'intérêt du commerce, de l'intérêt de la navigation. Je crois que sur une pareille question on a besoin d'épuiser la matière.
D'ailleurs, messieurs, les honorables ministres qui ont le droit de parler quand ils veulent, ont naturellement usé de ce droit et fort largement ; et s'ils prennent les derniers la parole, les membres qui ne partagent pas leur opinion, ne peuvent répondre à des arguments plus ou moins exagérés, plus ou moins erronés.
Dans une pareille discussion, on ne doit pas regarder à un jour ou deux pour approfondir convenablement la question.
Au surplus, messieurs, vous le savez, cette question n'est pas bien connue, et ce qui le prouve, ce sont les discours de différents membres qui ont parlé contre l'opinion de ceux qui veulent protéger l'industrie agricole.
M. Desmaisières (contre la clôture). - Messieurs, je n'ai parlé qu'une fois. Je suis inscrit immédiatement après l'honorable M. de la Coste qui a parlé déjà deux fois. Des objections ont été faites au discours que j'ai prononcé dans une séance précédente. Je crois qu'il devrait m'être permis de répondre à ces objections.
D'un autre côté, lorsque la clôture a été proposée, il y a quelques jours, j'ai demandé qu'elle ne fût pas prononcée, afin que je pusse m'expliquer dans leur corrélation, sur les questions de principe qui ont été proposées par M. le ministre des finances. Je n'en ai pas eu l'occasion ; mon tour de parole n'est pas arrivé.
Certainement, messieurs, la chambre est libre de prononcer la clôture ; cependant, je crois qu'elle devrait auparavant entendre encore l'honorable M. de La Coste, bien qu'il ait déjà parlé deux fois. Vous voyez que je suis généreux, puisque M. de La Coste défend le sucre de betterave ; mais j'entends que si la chambre autorise M. de la Coste à parler, elle me permette ensuite de lui répondre.(Réclamations.)
La chambre ne paraît pas disposée à admettre cette proposition. Mais je demanderai comment s'établira la discussion, lors de l'examen des articles, s'il sera permis de s'expliquer à la fois sur les diverses questions de principe.
M. Lebeau. - Messieurs, je n'ai pas l'habitude d'appuyer des demandes de clôture, et je déclare que si je croyais que huit jours encore de discussion sur les principes de la loi, c'est-à-dire de discussion générale, pussent apporter de nouvelles lumières aux membres de cette chambre qui cherchent à émettre une opinion consciencieuse, je serais le premier à appuyer la prolongation des débats.
Mais, messieurs, je pose en fait que si la discussion générale dure encore huit jours, les mêmes doutes, les mêmes perplexités survivront dans presque tous les esprits.
Messieurs, lorsque la question a été traitée avec le talent qu'ont déployé dans l'intérêt des deux industries qui sont en présence, l'honorable M. de la Coste, MM. les ministres et notamment (il ne m'en coûte rien de le dire, c'est d'ailleurs la pensée de toute la chambre), M. le ministre des finances, je crois réellement qu'on peut dire en style parlementaire comme en style de palais, que la cause est entendue.
Remarquez d'ailleurs que nous ne sommes pas au milieu d'une session. Nous sommes au terme de la session, et nous sommes encore en présence de travaux d'une très grande urgence. D'un autre côté, ce n'est pas la première fois que la question des sucres est traitée dans cette enceinte. Elle y a été traitée tous les deux ou trois ans, et je ne vois pas qu'elle ait fait pour cela de très grands progrès.
Je regrette qu'il puisse encore rester des doutes dans les esprits. Mais je pense, je le répète, que huit jours de discussion laisseraient encore ces doutes dans le même état, et que dans l'intérêt de nos travaux, il serait au moins utile de clore la discussion générale, laissant à chacun des membres le soin de faire valoir tel ou tel argument sur les articles. Car nous aurons tout au plus pourvu à la moitié de l'œuvre, lorsque nous aurons clos la discussion générale. La plupart des arguments pourront encore se reproduire lors de l'examen des articles.
- La clôture de la discussion générale est mise est voix et prononcée.
M. le président. - Maintenant la chambre aura à décider si elle veut discuter les questions de principe posées par M. le ministre des finances ou les articles du projet de loi.
M. de La Coste. - Il me semble, messieurs, que si nous entamons la discussion des questions de principe, ce sera recommencer la discussion générale. C'est ce qui est arrivé dans la section centrale, où après nous être mis d'accord sur tous les principes, nous n'avons pu nous entendre sur aucun des articles du projet. Je crois que la marche la plus naturelle ce serait de suivre l'ordre des articles de la loi.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je ne m'oppose pas, messieurs, à ce qu'on suive, pour la discussion, l'ordre des articles. Nous verrons plus tard s'il y a utilité à voter sur quelques questions de principe.
M. Lebeau. - Je demande que la chambre se prononce d'une manière positive et qu'elle donne la préférence au vote par articles, qui est le vœu du règlement et qui est d'ailleurs conforme à la nature des choses. Pour vous prouver, messieurs, la difficulté qu'il y aurait à se prononcer sur les questions posées par M. le ministre des finances, je vous citerai celle-ci : « La loi sera-t-elle combinée de manière à assurer la coexistence des deux industries ? » Des membres disent que cette coexistence, c'est, en fait de législation sur les sucres, la pierre philosophale. Comment peut-on s'engager d'avance à assurer cette coexistence sans connaître les moyens que la chambre devrait adopter pour y parvenir ? On peut bien former des vœux pour la coexistence des deux sucres. Ce vœu, je ne le combats point, mais les membres qui la considèrent comme très problématique ne peuvent pas commencer par prendre l'engagement de la réaliser. Il me semble que dès lors tout le procédé de M. le ministre des finances est jugé. Ensuite qu'arrivera-t-il lorsque nous aurons à nous prononcer sur le taux de l'accise ? Nous ne savons pas même quelle est maintenant la pensée définitive du gouvernement à cet égard, car il nous interroge sur trois chiffres de rendement.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je me vois obligé de définir encore une fois le but que j'ai voulu atteindre en formulant les propositions de principe. Ce ne sont pas des propositions soumises à la chambre, ce sont des espèces de thèses, des positions, pour résumer le débat et faciliter le vote. Ainsi, pour le rendement, j'ai soutenu un chiffre déterminé, je n'ai pas proposé trois chiffres à la fois.
Je ne m'oppose pas à ce qu'on discute les articles, mais je désire que l'honorable membre veuille bien enfin comprendre quel était le but que j'ai eu en vue lorsque j'ai formulé les propositions de principe.
M. le président. - La chambre passe à la discussion de l'article premier. Il est ainsi conçu :
« Art. 1er. Les articles 34, paragraphes 1 et 45, littera B de la loi sur les sucres, du 4 avril 1843 (Bull. off. N°XXII), sont modifiés conformément aux dispositions suivantes :
« 1° Art. 34, § 1. Le droit d'accise sur le sucre brut de betterave est fixé à 38 fr. par 100 kilogr., à partir du 1er juillet 1846.
« 2° Art. 45, litt. B. Les prises en charge aux comptes ouverts pour sucre brut de canne ou de betterave, résultant de documents délivrés à partir du 1er juillet 1846, pourront, en ce qui concerne les raffineurs, être apurées par exportation jusqu'à extinction de la redevabilité. »
(page 1709) M. le ministre des finances propose de substituer le chiffre de 30 fr. à celui de 38 fr.
M. de Corswarem propose de fixer le droit d'accise à 25 fr.
M. Delehaye. - Messieurs, l'article premier a pour but en grande partie de s'assurer la coexistence des deux sucres que M. le ministre des finances a tant à cœur. Quant à moi je crois que c'est là une chose complétement impossible. Il est certain qu'au bout de quelque temps, ou bien le sucre de betteraves aura cessé d'exister, ou bien le raffinage du sucre exotique sera réduit à très peu de chose.
Quoi qu'il en soit, messieurs, est-ce dans un chiffre différentiel du droit qu'il faut chercher la coexistence ? Examinez ce qui se passe chez nos voisins du midi : en France, les deux sucres sont soumis aux mêmes droits. Je sais bien qu'on me répondra qu'en France il ne s'agit que du sucre des colonies françaises, mais il n'en est pas moins vrai que le sucre de betteraves subit l'égalité des droits, et que malgré cela il soutient avantageusement la concurrence ! Je sais qu'en Belgique, messieurs, sous l'empire de la législation de 1843, la production du sucre de betteraves a diminué : nous avions primitivement deux mille et quelques hectares plantés de betteraves, et aujourd'hui nous n'en avons plus guère que dix-sept cents. Cherchons la cause de cette décadence ; tâchons de découvrir la cause réelle de cette diminution.
J'ai fait des recherches à cet égard, je pense que le résultat de mes études à ce sujet mérite d'être communiqué à la chambre. La diminution provient, messieurs, de ce que généralement les petits producteurs ont cessé de cultiver la betterave, les grands seuls ont continué cette culture, ils ont pu le faire avec succès par suite de certains changements survenus dans les procédés de fabrication, ils sont parvenus à écarter tous ceux qui se bornaient à fabriquer du sucre brut.
Messieurs, les grandes fabriques de sucre de betteraves sont parvenues à exercer la fraude sur une vaste échelle ; ils ont soustrait au trésor une grande partie des droits sur la production en raffinant le sucre par une seule et même manipulation.
J'appelle sur ce point toute l'attention de M. le ministre des finances. C'est pour empêcher une semblable fraude qu'on a interdit, en France, de raffiner le sucre de betteraves dans les mêmes usines où l'on extrait le sucre brut. Pourquoi ne voyons-nous pas figurer une disposition de cette nature dans le projet qui nous est soumis ? Pourquoi ne pas protéger les petits producteurs et en même temps le trésor public contre les manœuvres employées par les grandes fabriques ? Il me serait facile de prouver à la chambre, par des calculs positifs, en tenant compte du nombre d'hectares cultivés et du rendement, que près de 1 million de kil. de sucre de betteraves ont été soustraits au payement des droits.
Je m'en abstiens parce que la chambre peut s'en convaincre en consultant les documents fournis par le gouvernement. Ainsi la fraude sur ce point se fait sur une grande échelle.
Le premier alinéa de l'article premier est relatif au droit qu'on impose à la betterave ; ce droit était primitivement fixé à 38 fr., et je vois avec regret que le gouvernement le porte maintenant à 30 fr. ; c'est le résultat de cette même prédilection pour la betterave. Que résultera-t-il de la fixation de l'impôt à ce taux ? C'est que, par l'adoption même de ce chiffre, vous allez accorder une prime à la betterave. Plus le droit sera bas, plus cette prime sera considérable.
En effet, en admettant un rendement égal pour les deux sucres et une restitution uniforme, vous accordez à la betterave, sur 68 kilog. d'exportation, 13 francs en plus qu'il n'a payé, en supposant le droit à 30 francs.
Ainsi, non seulement vous organisez le système de prime, mais vous le consacrez formellement par la loi ; la loi est conçue en termes tellement clairs que lorsque la betterave exportera à 68, elle recevra un apurement de 45 tandis qu'elle n'a payé que 30 fr. Ainsi vous accordez à la betterave une véritable prime, c'est-à-dire que non seulement elle apurera un compte de la somme payée, mais encore elle obtiendra une bonification de 13 fr.
M. le ministre des finances (M. Malou). - C'est évident.
M. Delehaye. - Je sais bien que c'est évident ; mais c'est cette évidence que je repousse ; je ne comprends pas comment, après avoir déclaré qu'elle ne voulait plus de prime, la chambre consentirait à restituer à la betterave 45 fr., alors qu'elle n'en a payé que 30.
On dit que 68 est une prime pour le sucre exotique ; je dis, moi, que 68 n'est pas une prime pour le sucre exotique ; je suis heureux qu'on m'ait attiré sur ce terrain. Le rendement actuel est de 57 à 60 ; vous le portez à 68 ; pourquoi élevez-vous le chiffre ? parce que vous voulez compenser la suppression des retenues ; dans l'opinion du gouvernement et dans celle du commerce d'Anvers, une amélioration à introduire consistait dans la suppression des retenues et dans l'élévation du rendement.
Mais il est à remarquer que les retenues ne pouvaient, sous aucun rapport, détruire l'exportation, elles ne tendent qu'à la limiter ; mais en haussant le rendement, quel résultat pouvez-vous amener ? Vous pouvez non pas seulement limiter l'exportation, mais même la rendre impossible. C'est là une différence que M. le ministre des affaires étrangères n'a pas saisie dans son premier discours. Il n'est pas exact de dire que la suppression des retenues soit plus favorable, alors qu'elle se trouve en regard d'une augmentation de rendement ; si le rendement est tel qu'il n'y ait pas quelque marge entre le rendement réel et le rendement légal, vous rendez l'exportation impossible.
Il y a un autre danger. Je suppose que 68 soit un rendement réellement favorable ; qu'en résultera-t-il ? c'est que n'ayant pas de réserve on apurera le compte. Je sais, messieurs, que l'on me reprochera de commettre une indiscrétion, mais je veux dire toute la vérité à la législature ; eh bien, je déclare que si le rendement est favorable, les comptes seront complétement apurés ; et la preuve, c'est qu'on le fait en Hollande. Si le rendement de 68 est réellement favorable, pourquoi n'apurerait-on pas entièrement le compte ? La fabrication en Hollande s'établit sur 70 millions ; et en Hollande le trésor perçoit peu de chose ; là, on veut que le trésor ne vienne qu'en seconde ligne, tandis qu'en Belgique on veut faire prédominer avant tout l'intérêt du trésor, combinaison malheureuse dont un homme d'Etat ne devrait pas se faire le champion. M. le ministre des finances veut avoir 3 millions pour le trésor public ; : eh bien, je dis que si le rendement de 68 est favorable, vous parviendrez tôt ou tard au complet apurement des comptes ; et qu'en résultera-t-il ? C'est qu'on demandera alors une élévation de rendement ; et d'élévation en élévation, vous arriverez enfin à ce point, que l'exportation deviendra impossible.
Messieurs, lors de la discussion de la loi de 1843, j'ai énoncé ce que j'ai cru être des vérités ; ces vérités, l'expérience les a complétement justifiées. Je proclame d'autres vérités aujourd'hui, et je dis qu'avec le système qu'on propose, il n'y a qu'un leurre, involontaire si l'on veut, pour la législature.
Il est certain ou que les intérêts du trésor seront méconnus ou bien que les exportations n'auront plus lieu. Si ces intérêts sont sauvegardés, l'industrie sera frappée, la navigation et le commerce recevront le contrecoup ; vous êtes donc placés dans cette condition de ne maintenir les revenus du trésor qu'au détriment de l'industrie.
Messieurs, les dernières observations que j'ai à soumettre à la chambre se rattachent au paragraphe 2. Dans mon opinion on a eu raison d'admettre l'apurement complet des comptes ; je ne combattrais pas une mesure aussi sage, aussi salutaire, si l'on déclarait que le trésor n'a rien à y voir, qu'on ne se préoccupe point de ses revenus comme en Hollande ; mais si vous décidez en principe que le trésor doit percevoir trois millions, je n'hésite pas à dire qu'alors il y a danger que l'exportation soit frappée d'une complète impossibilité ; les exportations seront alors suspendues, jusqu'au moment où vous reviendrez à de meilleurs principes ; je le désire de tout mon cœur, mais je doute qu'il en advienne ainsi ; parce qu'alors les besoins du trésor étant devenus plus grands, on sacrifiera les intérêts du commerce, de l'industrie à la nécessité de faire des ressources.
Je terminerai par une simple observation.
Nous accordons des primes pour construire des navires. C'est sans doute dans l'intérêt de la navigation nationale.
Eh bien, n'est-ce pas une chose déplorable que, quand vous engagez des individus à construire des navires, vous veniez frapper les sucres, le seul produit qui serve d'aliment à notre navigation ? Vous avez imposé le café, vous avez imposé le tabac, il restait encore les sucres comme matière encombrante d'une grande importance, et après avoir annoncé un projet bienveillant pour le commerce et l'industrie, vous nous offrez un véritable leurre, une loi qui finira par anéantir et le commerce et le raffinage des sucres exotiques.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'attendais depuis assez longtemps l'exposé du système rétrograde en matière de législation des sucres. L'honorable préopinant vient de faire cet exposé. Ce système est rétrograde en ce qui concerne le sucre indigène ; il est rétrograde en ce qui concerne le sucre exotique. Quant à l'industrie du sucre indigène, quel est le regret qu'il exprime ? C'est qu'on n'interdise pas en Belgique, comme en France, le travail non pas des raffinés directs, mais le raffinage par les fabricants de sucres autres que ceux fabriqués par eux.
En France il existe une surtaxe pour les raffinés directs. Il en a été question dans la seule réunion de la section centrale à laquelle j'ai assisté. J'ai déclaré nettement que je m'opposerais de toutes mes forces à ce qu'on introduisît dans la loi une condition aggravante pour les industriels qui avaient réalisé pour cette industrie que nous voulons maintenir et favoriser, le plus beau, le plus grand progrès.
J'insiste sur ce mot progrès, parce que c'est avec raison que j'ai appelé le système de l'honorable membre rétrograde en ce qui concerne l'industrie indigène.
L'honorable membre pense qu'on aurait quelque intérêt à empêcher, quant au sucre indigène, le raffinage dans les fabriques. Il y a là, je le conçois, un intérêt qui pourrait être mieux satisfait ; c'est-à-dire qu'au lieu de raffiner à Gand deux millions de kilog. de sucre, on en raffinerait un de plus, parce qu'on aurait interdit aux fabricants de produire des raffinés directs. Mais l'intérêt véritable du sucre exotique n'est pas là.
Il est rétrograde également quant à l'industrie du sucre exotique. Les retenues, dit l'honorable membre, réduisaient l'exportation, mais garantissaient les intérêts du trésor. L'une et l'autre assertion sont inexactes. Les retenues tuaient l'exportation ; comment pouvez-vous dire qu'elles se bornaient à la réduire, quand nous la voyons tombée à 4 millions de kilogrammes ?
Ont-elles garanti les intérêts du trésor ? Non ; car du moment que le revenu du trésor était réduit aux 4 dixièmes des quantités mises en raffinage, l'exportation diminuant, le trésor, au lieu de 3 millions, n'aurait reçu que 2 millions 600 mille francs.
L'honorable membre est d'avis que la hausse du rendement détruit l'exportation, parce qu'il croit que les intérêts du trésor ne peuvent être sauvegardés sans élever le rendement au taux où l'exportation est impossible. J'ai déjà répondu à cette objection. J'ai fait remarquer qu'avec le système de 1822, auquel on est revenu, qui fait l'abandon d'une partie (page 1710) des droits d'accise, dans la fixation du rendement, l'exportation sera possible et d'autant plus étendue que le rendement sera prélevé.
Si l'exportation était impossible, l'accise serait intégralement perçue et au lieu de 3 millions le trésor en percevrait 5 ou 6. Il résulte de là que si par le jeu de l'article 4 on diminue la quantité indemne de droit on ne diminuera pas l'exportation, car les faits auront prouvé que le sucre exotique peut supporter un rendement plus élevé ; les intérêts du trésor seront garants ; il faudra élever le rendement quand les recettes tomberont au-dessous de 3 millions par suite des progrès que l'industrie aura réalisés ; on diminuera les quantités indemnes quand elles auront absorbé une trop grande partie de l'accise en la réduisant au-dessous de 3 millions.
M. de La Coste. - L'honorable M. Delehaye est revenu sur la fraude qu'il reproche aux fabricants de sucre indigène. Cette question appartient plus pertinemment à un autre article. Là nous aurons à examiner ce que nous aurons à faire à cet égard ; je ne suis pas plus indulgent pour la fraude qu'aucun membre de cette chambre ; la fraude est nuisible, non seulement au trésor, mais à tous les fabricants de bonne foi.
La question sera de juger quels sont les moyens réguliers, constitutionnels, auxquels on doit avoir recours pour l’empêcher. Je dois cependant en dire un mot puisque l’honorable membre en a fait mention, je ne dois pas laisser la chambre sous une impression aussi déplorable aux fabricants de sucre indigène. Voici ce qu'on lit à ce sujet dans l'enquête publiée par le département des finances.
« II serait superflu de combattre ces évaluations évidemment empreintes d'exagération ; seulement on dira que les produits, dans plusieurs fabriques surveillées avec une rigoureuse exactitude, sont restés de 24, 37 et même de 38 p. c. au-dessous du rendement de 5 p. c. calculé sur le pied de 35,000 kil. de betteraves par hectare déclaré. »
Je vous prie de vous garder à l'égard de ce point d'une préoccupation fatale ; dans d'autres temps et dans des circonstances certainement plus graves, l'on a vu trop souvent exagérer un danger, une faute pour pousser une assemblée, un gouvernement à passer sur les formes légales. Dans tout état de cause, c'est une disposition d'esprit qu'il faut éviter, il ne s'agit pas ici d'aussi grands intérêts que ceux auxquels j'ai fait allusion, mais le même principe s'applique quand il s'agit d'intérêts moindres.
L'honorable M. Delehaye a paru croire, et il me semble que M. le ministre a à peu près la même opinion, que lorsqu'on accordait une restitution égale au sucre exotique et au sucre indigène, il y avait pour le sucre indigène double faveur, que l'exportation serait puissamment provoquée.
Dans la section centrale, nous avons examiné cette question. Je crois que l'honorable M. Loos était d'accord avec moi que ce n'était pas une double faveur, que c'était seulement le maintien pour l'exportation de la position faite sur le marché intérieur.
Si vous partez de ce fait qu'un certain chiffre différentiel est nécessaire pour que le sucre indigène soit produit, ce chiffre est également nécessaire, soit qu'on le livre à l'exportation, soit qu'on le réserve pour le marché intérieur. C'est le même chiffre, c'est la même différence ; l'exportation est rendue possible, et voilà tout.
Nous voyons, par une pièce qui nous a été distribuée, que le commerce ou la raffinerie déclare que le rendement de 68 est pour cette industrie une condition de vie ou de mort. M. le ministre des finances a fait cette concession ; je ne dis pas qu'il ait tort. Mais d'où vient que, quand une assertion aussi positive est émise d'un autre côté, il la repousse ? Les fabricants de sucre indigène affirment que, malgré la condition d'égalité pour la restitution, ils ne sont pas dans des conditions aussi favorables que les raffineurs de sucre exotique sous le rapport de l'exportation.
Certes,. M. le ministre des finances a saisi la question avec beaucoup de sagacité. Je ne dis pas que je l'ai étudiée avec plus de soin ; mais je l'ai étudiée avec plus de temps que le ministre n'a pu en consacrer à cette question. Eh bien ! je persiste à déclarer qu'il ne m'est point prouvé que l'exportation sera pour le sucre indigène aussi régulière, aussi profitable que pour le sucre exotique. Cette opinion de la part des fabricants est du reste tellement sincère, qu'il y en a beaucoup qui consentent, pourvu qu'on fasse à leur industrie des conditions supportables d'existence, à être mis en dehors de l'exportation.
J'ai qualifié tout à l'heure certaines assertions de MM. les ministres de sophismes ; je regretterais vivement cette expression, si on pouvait y trouver une intention blessante, si on ne la prenait uniquement dans le sens dans lequel on l'emploie en logique. Je demanderai maintenant à M. le ministre des affaires étrangères la permission d'employer une autre expression empruntée à la logique, qui, elle étant prise dans le sens vulgaire, serait peu parlementaire ; je lui demanderai d'opposer à l'un de ses arguments ce qu'on appelle une réduction à l'absurde.
M. le ministre des affaires étrangères a dit que la question du rendement est entre le trésor et le sucre exotique, qu'elle ne peut être entre les deux sucres, car, a-t-il ajouté, bien loin qu'en baissant le rendement vous réduisiez la protection admise par la loi, vous réduisiez le chiffre différentiel qui, pour parler plus juste, n'est pas entièrement une protection, mais qui est en grande partie une compensation de moins-value, vous augmentez, au contraire, la protection. En effet, quand la décharge de l'accise est fixée à 66 au lieu de 65, le raffineur prend cela pour le type de l'impôt que lui doit le contribuable.
Il dit : Puisque l'Etat a la bonté de me décharger de 66 fr. par 100 k.de sucre, je vais demander au consommateur qu'il me rembourse l'impôt dans la même proportion. Moins j'aurai payé, plus je tâcherai de me faire rembourser. Mais, messieurs, c’est ce qui ne sera certainement pas. Le raffineur peut le demander, mais le consommateur ne l'accordera pas. Jugez-en par cet exemple.
Le rendement de 57 donne une décharge de 79-95. Eh bien, avec le rendement de 57 kilog, il ne faut qu'une quantité qui est, je crois (le chiffre importe peu), de 31 millions et demi de kil. de mise en fabrication pour que l'Etat ne reçoive absolument rien, pour qu'il y ait apurement complet. Prenez, si vous voulez, un autre chiffre, il y a toujours un terme où l’apurement complet a lieu. Je suppose que ce soit à 31 millions et demi de kiiog. avec un rendement de 57. Croyez-vous que, quand ainsi le raffineur ne payera absolument rien à l'Etat, il pourra dire au consommateur : J'ai obtenu une décharge de 79-95, donc vous me payerez sur le sucre à titre d'accise 79 95, dont je n'ai pas déboursé un centime.
C'est impossible ; c'est le renversement des principes qui régissent le prix de toutes choses.
Ce prix dépend d'une part de la proportion entre la demande et la quantité disponible, de l'autre des charges qui incombent à la production. Je défie avec ces données d'arriver aux mêmes conclusions que l'honorable ministre des affaires étrangères. C'est directement l'inverse.
Si la diminution du rendement est favorable dans un sens au sucre indigène, puisqu'il a plus au moins de part à l'exportation, cette diminution cependant augmente les quantités indemnes et doit par là nécessairement produire, non pas une hausse, mais une baisse. Cette baisse étant proportionnelle, atteint également proportionnellement le chiffre différentiel qui s'efface à mesure que les excédants indemnes sont plus considérables, à mesure qu'il y a une moindre somme d'impôt à répartir sur les sucres restant dans la consommation.
C'est ce que M. le ministre des finances admettait lorsqu'il a dit : Je descends du rendement de 72 1/2 à 69, donc je dois réduire le chiffre de l'accise sur le sucre indigène.
Maintenant M. le ministre des finances descend au rendement de 68, il est logique qu'il fasse également un pas dans la réduction de l’accise du sucre indigène.
Je suis enchanté, pour ma part, que MM. les ministres se soient entendus sur ce point. Ce n'est pas sur une question semblable que Burke et Fox se sont séparés ; ce n'est pas sur une question semblable, mais quand il s'agissait de la réforme électorale, par exemple, que Pitt se séparait de ses collègues. Mais, je ne voudrais pas que MM. les ministres se fussent raccommodés aux dépens des tiers.
Un autre raisonnement (car je ne veux plus répéter le mot qui m’est échappé tout à l'heure), que je ne puis absolument admettre et dont M. le ministre des finances paraît convaincu par je ne sais quel prestige, c'est qu'il y aurait eu égalité de droits entre les deux sucres sous la loi de 1843.
J'ai étudié la question sous toutes ses faces ; j'ai médité les arguments mis en avant en ce sens, et en vérité s'il fallait sauver ma vie en y adhérant, je ne le pourrais pas, parce que ce qui n'est qu'une erreur de la part de M. le ministre serait de ma part l'abandon de la vérité. Je ne puis non plus partager l'idée de l'honorable M. Loos, qu'il y aurait égalité de position entre les fabricants de France et ceux de notre pays. J'en appelle à la nature même des choses, à la différence du prix des sucres qui est en France de 80 à 85 c. le demi-kil. Enfin j'en appelle encore à un autre fait bien plus patent, ben plus incontestable.
Quelle est la production du sucre indigène en France ? Elle est en nombre rond de 40 millions de kil. Appliquez cette base à notre population, vous viendrez à 5 millions de kilogrammes au lieu de 3,800,000 qu'on veut bien tolérer ici !
Je reviendrai encore sur ce point lorsque nous nous occuperons de la limitation. Je ne m'en occupe maintenant, comme des questions précédentes, que relativement à l'article que nous discutons. J'ai voulu vous faire sentir la nécessité d'apporter quelque modification aux droits sur le sucre indigène, comme une conséquence de la nouvelle concession accordée au sucre exotique. M. de Corswarem a fait une proposition à cet effet ; mais subsidiairement et pour le cas où elle ne serai pas adoptée, je veux soumettre à la chambre un autre chiffre qui est celui de 28 fr. Je dépose un amendement en ce sens.
M. Delehaye. - Ce n'est pas la première fois qu'il m'arrive d'être appelé « rétrograde » par le gouvernement, quand il s'agit d'affaires commerciales et industrielles. Malheureusement pour le pays, mes vues rétrogrades se sont singulièrement réalisées, alors surtout qu'il s'agissait d'admettre le système que repousse M. le ministre des finances.
En fait de commerce et d'industrie, je ne connais rien de rétrograde. Tout ce que je sais, c'est que nous devons tâcher d'aviser à donner à notre commerce, à notre industrie le plus grand développement possible.
La protection, comme l'entend le gouvernement, a un résultat tout contraire.
Cette qualification de rétrograde me touche donc fort peu. Je n'ai qu'un regret, c'est que le ministère la mérite à un si haut degré, dans d'autres circonstances.
J'ai été rétrograde, pourquoi ? Parce que j'ai préconisé le système français. Mais c'est ce système qui a permis à la betterave de marcher de pair avec le sucre exotique. C'est précisément de cette manière que l'on est parvenu à donner à l'industrie du sucre de betterave ce grand développement qu'elle a obtenu jusqu'à présent.
(page 1711) Pourquoi est-on opposé à ce que toutes les opérations relatives à la fabrication du sucre se lassent dans un même local ? C'est pour empêcher la fraude. Il est impossible de constater la quantité du sucre dans une usine où l'on permet le raffinage immédiat. Si M. le ministre veut être progressif, qu'il établisse les droits non pas sur les produits, mais sur les quantités d'hectares ensemencés.
Ainsi vous obtiendriez davantage ; vous ne seriez plus rétrogrades. Vous augmenteriez l'industrie agricole en lui faisant faire de nouveaux progrès. Cela doit convenir à M. le ministre des finances, qui aime tant le progrès. De cette manière, vous feriez chose utile ; vous empêcheriez la fraude, ou du moins vous la diminueriez considérablement, et de plus vous engageriez le cultivateur à chercher ses intérêts dans les progrès de l'agriculture, qui payerait au trésor non pas d'après les produits, mais d'après l'étendue de la culture.
Permettez-moi d'entrer dans quelques détails pour prouver qu'il y a fraude. L'honorable M. Mercier n'était pas l'ennemi de la betterave ; les chiffres qu'il a produits peuvent donc être admis par ses partisans, ils prouvent que l'on avait soustrait au trésor 900,000 kilog.
On admettra que les chiffres de l'honorable M. Mercier doivent être envisagés comme officiels, surtout quand il déclare le nombre des hectares ensemencés et le rendement que donne la production. Or, d'après les chiffres qu'il a indiqués, il est certain que 900,000 fr. sont soustraits au trésor.
M. le ministre des finances a fait un reproche qui est à l'adresse de la ville de Gand. J'aurais été étonné qu'une discussion de cette nature ait eu lieu, sans que, de la part du ministre, il y ait eu quelque insinuation peu bienveillante pour Gand. Il a insinué que nous étions favorables au système des retenues, parce qu'il permettrait aux raffineurs de Gand de produire un million de kil. de plus. Mais il doit avoir la conviction que Gand s'est montrée trop amie de tous les perfectionnements pour s'arrêter à de telles considérations.
Dans les demandes que l'on adresse au gouvernement, est-ce Gand qui est en première ligne ? Peut-on lui reprocher quelque établissement qui dénoterait de sa part de l'éloignement pour tout ce qui tend au perfectionnement ?
Gand ne demande que quand il y a nécessité absolue, quand l'intérêt général s'y trouve intéressé.
Dans ce cas, d'ailleurs, ce ne sont pas les intérêts de Gand que je défends ; je parle d'après mes convictions personnelles ; si je considère la suppression des retenues comme une mesure très utile, ainsi que le font les raffineurs de Gand, ce n'est qu'alors que vous ne décrétez pas que sans les trois millions, l'industrie ne peut pas vivre.
Nous pensons que sans la réserve, avec un rendement admissible, toute la recette sera absorbée. En effet, s'il y a avantage à exporter, tout le monde exportera, et on ne laissera rien au trésor, puisqu'il y aura avantage à le faire. Mais, dit-on, les retenues ont été un obstacle aux exportations.
Cependant nos grands établissements qui exportaient ont dû cesser leur travail, croit-on qu'ils eussent mieux réussi en exportant davantage ? Quand le trésor recevait 2,500,000 francs, les exportateurs se sont ruinés ; peut-on raisonnablement supposer qu'ils s'enrichiront quand le trésor leur impose une charge de 3,000,000 de francs ?
Je dis que non, messieurs ; je persisterai dans cette opinion jusqu'à ce qu'on me prouve que les charges imposées à une industrie constituent pour elle un avantage.
Je voterai contre la loi, que je considère comme mauvaise, comme ruineuse, parce qu'elle consacre des principes inconciliables.
Si l'on avait supprimé l'industrie de la betterave en lui accordant comme indemnité une partie de ce qu'on avait perçu sur le sucre exotique depuis longtemps, vous seriez débarrassé de cette entrave. Aujourd'hui vous êtes frappés d'impuissance pour le bien, la loi avant deux ans déjà ne sera plus tolérable.
Vous avez voulu maintenir cette industrie. Eh bien, je le déclare, avant deux ans vous serez appelés à modifier la loi. C'est ce que je voudrais éviter, car, messieurs, chaque modification que vous avez faite, même en agissant avec l'intention de travailler dans l'intérêt du commerce et de Industrie, leur a été fatale.
Chaque fois les relations commerciales ont été diminuées. Il en sera encore de même cette fois. Il est impossible qu'avec le système proposé l'une ou l'autre industrie ne soit pas sacrifiée.
Le rendement proposé par M. le ministre est tel que l'industrie en sera frappée ; vous aurez bientôt la conviction, messieurs, que le rendement a été un véritable leurre, qu'il a été la ruine du commerce.
Je me résume ; ou le rendement de 68 est admissible, et dans ce cas le trésor ne perdra rien, ou il ne l'est pas, et dans ce cas le trésor obtiendra les ressources indiquées ; mais ce ne sera qu'aux dépens du commerce et de l'industrie. Ce dilemme, auquel on ne saurait se soustraire, m'impose un vote négatif.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, mon intention n'a nullement été de me permettre une insinuation peu bienveillante à l'égard de la ville de Gand ; j'ai fait remarquer que si l'on défendait aux fabriques de sucre indigènes de raffiner leurs produits, le raffinage de la ville de Gand prendrait de l'extension ; or c'est là un fait que personne ne contestera. Du reste si, appartenant en quelque sorte à la ville de Gand, je m'étais permis tout à l'beure une insinuation à son égard, je réparerais ce tort en remerciant l’honorable membre et les industriels dont il a été l'organe, de la vive sollicitude qu'ils ont témoignée pour le trésor public. Ce n'est pas, en effet, pour eux-mêmes, c'est dans l'intérêt du trésor qu'ils voudraient le maintien de la retenue substituée à l'élévation du rendement.
Messieurs, l'intérêt du trésor, je l'ai défendu aussi vivement, avec autant de chaleur qu'il est possible de le faire ; et, pour moi, je pense que si la faculté d'élever le rendement est laissée au gouvernement, l'intérêt du trésor sera beaucoup mieux garanti qu'il ne le serait par le système de la retenue.
J'ai peine à concilier entre elles quelques observations faites par l'honorable membre : il dit, d'une part, que le développement de l'industrie va absorber entièrement la recette, et d'autre part, que le rendement de 68, qui est un minimum, que nous élèverons un jour, ne permettra pas à l'industrie de vivre.
M. Delehaye. - Ce n'est pas cela, vous changez le sens de mes paroles.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Voici comment j'ai compris l'argument de l'honorable membre : que les comptes seraient entièrement apurés par l'exportation, et que le trésor ne recevrait plus rien lorsque l'industrie se serait développée. Or, messieurs, vous venez d'entendre qu'avec le rendement de 68, qui n'est qu'un minimum, l'industrie périrait. Voilà comment j'ai compris les observations de l'honorable préopinant, et, je le répète, il m'est impossible de les concilier entre elles.
M. Eloy de Burdinne. - L'honorable M. Delehaye nous a dit, messieurs, qu'en France le sucre de betteraves et le sucre de canne payent le même droit.
Je ferai observer à l'honorable membre qu'il est inexact qu'en France le sucre de betteraves paye le même droit que le sucre de canne. L'égalité de droits, ou nous l'a déjà dit, n'existe que pour le sucre de betteraves et le sucre des colonies françaises ; mais, messieurs, on exige que ce dernier sucre arrive brut et complétement brut, sans avoir subi aucune espèce d'épuration, et le motif de cette mesure a été expliqué par le ministre français dans la discussion de la loi des sucres ; il a dit que cela était exigé dans l'intérêt de la navigation.
Or, ce sucre perd 25 p. c. au raffinage, tandis que le sucre blond de la Havane qui est employé par vos raffineurs perd 2 ou 3 p. c. Je vous le demande, messieurs, quelle comparaison peut-on dès lors établir entre la France et la Belgique ?
Ah ! messieurs, si vous voulez le système français, je suis prêt, quant à moi, à l'accepter de grand cœur, et en l'acceptant nous favoriserons la navigation à laquelle je m'intéresse tout autant et peut-être plus que l'honorable M. Delehaye. (Interruption.)
L'honorable M. Osy paraît révoquer en doute l'exactitude de mes paroles : eh bien, je lui rappellerai que lorsqu'il s'est agi des droits différentiels, j'ai voulu accorder à notre pavillon une protection bien plus forte que celle qu'on vous demandait. Vous le voyez donc bien, messieurs, j'ai tout autant de sollicitude pour notre navigation que vous pouvez en avoir vous-mêmes.
Eh bien, messieurs, pour vous donner une preuve nouvelle de l'intérêt que je porte à la navigation, je vous proposerai d'admettre le système français. Or que fait le système français ? Il frappe d'un droit de 60 fr. le sucre étranger importé sous pavillon national et d'un droit de 85 francs, celui qui est importé sous pavillon étranger. Voilà, MM. les navigateurs, l'avantage que je vous offre.
L'honorable M. Delehaye a parlé des avantages que les grandes fabriques de sucre indigène trouvent à raffiner elles-mêmes leurs produits ; je conviens que c'est un avantage, mais à qui la faute si elles ont trouvé le moyen de raffiner elles-mêmes ? Mais il a dépendu des raffineurs de travailler le sucre indigène ; s'ils ne le font pas, c'est parce qu'ils ont toujours mis le couteau sur la gorge aux fabricants, parce qu'ils ont voulu obtenir le sucre à vil prix ; c'est ce qui a déterminé les producteurs de sucre indigène à chercher le moyen de raffiner eux-mêmes, et ce moyen ils ont fini par le trouver.
Les partisans du sucre exotique attaquent avec force le projet de loi qui vous est soumis, et cependant, messieurs, si vous adoptez ce projet, au moyen du rendement de 68, le sucre exotique ne payera pas un centime au trésor, tous les droits lui seront restitués, tandis que le sucre de betterave payera 30 à 40 centimes par kilog.
Eh bien, savez-vous ce qui arrivera ? C'est que les fabricants de sucre indigène raffineront en même temps le sucre exotique ; ils créeront des établissements où ils raffineront le sucre exotique, de telle manière que les excédants de ce sucre, indemnes de droits, viendront combler ce qui manquera de protection au sucre indigène. Oui, messieurs, on créera de semblables raffineries, et il ne sera plus possible aux raffineries de Gand ou d'Anvers de lutter contre ces établissements monstres.
L'honorable M. Delehaye a dit aussi que les fabricants du sucre indigène fraudaient un million de kilog. de sucre. Je n'aime pas la fraude, je l'aime moins que personne peut-être, je me gendarme contre la fraude, les fraudeurs sont dangereux partout, dans le commerce comme sur la ligne de douane. Eh bien, l'honorable M. Delehaye s'est écrié : Quelle prime ! Eh bien, cette prime, à raison de 45 fr. dans la supposition de l'égalité des droits sur les deux sucres, s'élève justement à 450,000 fr. Eh bien, MM. les raffineurs, êtes-vous fondés à vous plaindre d'une prime de 450,000 fr. donnée à une industrie qui a fait vivre nos malheureuses populations dans les moments difficiles, alors que vous avez reçu, vous jusqu'à 5 millions en une seule année.
L'honorable M. Delehaye a dit encore : « Vous allez tuer la navigation ; si vous acceptez le second paragraphe de l'article premier, plus de commerce de (page 1712) sucre ; et vous donnez des primes pour construction de navires ! N'êtes-vous pas en contradiction avec vous-même ? Vous donnez des primes pour construction de navires, et vous frappez le café, le tabac d'impôts, vous empêchez le commerce du sucre. »
Messieurs, si nous donnons des primes pour la construction des navires, c'est dans le but de voir notre marine exporter nos propres produits ; mais nous ne les donnons pas pour faire les affaires des étrangers.
On parle de l'exportation des sucres provenant de la betterave ; mais croyez-vous donc, messieurs, que nos exportateurs achèteront du sucre de betterave pour l'exporter ! Croyez-vous peut-être que nos fabricants de sucre, qui fabriquent 2 ou 300,000 kilog. de sucre, iront chacun faire construire des navires pour exporter eux-mêmes leurs sucres ? Vous ne le pensez sans doute pas ainsi.
M. Delehaye. - On exportera pour nous.
M. Eloy de Burdinne. - Ah ! on exportera pour nous ; eh bien, mon honorable interrupteur, je vais vous prouver qu'on n'exportera pas pour nous ; les raffineurs raffineront du sucre en quantité telle qu'ils auront un excédant suffisant pour alimenter la consommation de l'intérieur.
M. le ministre des finances, en désaccord avec son collègue, le ministre du commerce...
Un membre. - Ils sont tombés d'accord.
M. Eloy de Burdinne. - S'ils sont tombés d'accord, je les en félicite.
Je voulais donc rappeler que M. le ministre du commerce a dit qu'on ne raffinait pas plus de 20 à 25 millions, et M. le ministre des finances, dans une séance précédente, a déclaré qu'on porterait le raffinage à 45 millions.
Je demande aux deux ministres : Etes-vous d'accord ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Nous sommes d'accord ; il s'agissait de deux hypothèses différentes ; vous confondez les deux chiffres.
M. le ministre des finances (M. Malou). - C'est de la discussion générale.
M. Eloy de Burdinne. - Il n'y a sans doute pas deux poids et deux mesures ; je réponds, et je puis répondre, à ce qu'ont dit M. le ministre des finances et l'honorable M. Delehaye, depuis la clôture de la discussion générale.
Eh bien, si l'on raffine 45 millions de kilog., et qu'on exporte à raison de 68, il vous restera en Belgique une quantité de sucre plus que suffisante pour alimenter la consommation, et que le raffineur livrera à des prix bas. Or, dans cette position, le raffineur sera-t-il assez mal avisé pour acheter, en vue de l'exporter, du sucre indigène ?
Je me borne à ces observations pour le moment ; quand nous aborderons les articles, je prierai la chambre de m'accorder encore un moment d'attention.
M. Desmaisières. - Au risque d'être encore accusé par l'honorable M. Eloy de Burdinne d'abandonner la cause de la protection à accorder au travail national, je dois cependant combattre les prétentions trop exclusives, selon moi, des défenseurs du sucre de betterave.
Messieurs, sans rentrer aucunement dans la discussion générale, me tenant même à la discussion du droit dont l'article premier frappe le sucre de betterave, je répondrai deux mots au reproche que m'a adressé l'honorable M. Eloy de Burdinne. Il m'a dit : Mais vous aviez toujours été dans cette chambre le défenseur du travail national, et il a cité plusieurs de mes discours ; il aurait pu citer tous ceux que j'ai prononcés dans cette chambre à l'occasion des discussions sur des questions industrielles, agricoles et commerciales, car je me suis toujours effectivement posé en défenseur du travail national.
Messieurs, j'admets que les honorables défenseurs du sucre de betterave s'établissent en défenseurs du travail national, mais moi, en défendant la cause du sucre exotique, je me tiens aussi défenseur du travail national. Il y a seulement entre nous cette différence, M. le ministre des affaires étrangères l'a prouvé hier mieux que je ne pourrai le faire en faisant voir qu'à la cause du sucre exotique se rattachent les intérêts de la navigation maritime, du commerce extérieur et de toutes les industries nationales, il y a seulement entre nous cette différence que les défenseurs du sucre de betterave défendent le petit travail national, tandis que moi je suis le défenseur du grand travail national, c'est-à-dire de la navigation maritime, du commerce extérieur, de toutes les industries. Voilà la réponse que j'avais à faire au reproche non fondé de l'honorable M. Eloy de Burdinne.
Maintenant, je viens à la question. A la section centrale, j'ai voté pour le principe de l'égalité des droits sur les deux sucres, parce que, dans ma conviction, le sucre de betteraves peut supporter l'égalité des droits. Cela est prouvé en France, d'où le sucre de betteraves nous est venu, cela est prouvé aussi dans l'exposé des motifs lui-même du projet de loi qui nous occupe ; cependant, je veux bien ne pas me montrer aussi exclusif que les défenseurs du sucre de betteraves. Je veux bien leur faire des concessions, mais à la condition expresse d'en obtenir de leur côté.
Les défenseurs du sucre de betterave refusent au sucre exotique la diminution qu'il demande et que le ministre lui-même aujourd'hui reconnaît devoir lui être faite sur le rendement, sur la quantité à exporter en raffiné pour être déchargé du droit pris en charge pour 100 kilog. de sucre brut.
Tout à l’heure l'honorable M. de La Coste a prétendu que le projet de loi ne donnait aucune faveur, sous le rapport de l'exportation, au sucre de betterave. Je vais lui démontrer qu'il est dans l'erreur. Dans le projet de loi, le droit sur le sucre de betterave est de 38 fr., tandis qu'il est de 45 sur le sucre exotique. La décharge est la même pour l'un et l'autre sucre à l'exportation ; elle est de 62 fr. Dans le projet, nous demandons que le rendement soit porté à 68, ce qui a lieu lorsqu'on porte la décharge sur le sucre exotique comme sur le sucre de betterave à 66.
Eh bien, messieurs, avec une décharge de 66 fr. à l'exportation, le rendement sur le sucre de betterave, en supposant qu'il soit frappé du droit de 38 fr., serait de 57 kilog. 57/100 par 100 kilogrammes de sucre brut pris en charge ; tandis que pour le sucre exotique, il serait de 68 kilogrammes 18/100 ; vous voyez quelle faveur on donne au sucre de betterave pour l'exportation, car quand le producteur de sucre de betterave aura exporté 57 kil. 57/100 avec la décharge de 66 fr. il sera déchargé entièrement du droit pris en charge sur 100 kil. de sucre brut, tandis que le raffineur de sucre exotique devra exporter 68 18/100 pour être déchargé du droit sur cent kilogrammes de sucre brut pris en charge. Vous voyez qu'il y a là une immense faveur. Avec un droit de 30 fr. et 66 fr. de décharge, le rendement du sucre de betterave serait de 45 kil. 45/000. Ainsi, le producteur de sucre de betterave exportant 45 kil. 45/100 de sucre raffiné, serait déchargé du droit dont il aura été pris en charge sur cent kilogrammes de sucre brut, tandis que le raffineur de sucre exotique devra exporter 68 kil. 18/100 pour être déchargé du droit pris en charge pour cent kilogrammes.
Avec le droit de 25 francs que propose M. de Corswarem et la décharge de 66 francs, le rendement du sucre de betterave descend jusqu'à 37 87/100. Ainsi avec 25 francs de droits, il suffira au producteur de sucre de betterave d'exporter 37 kil. 87/100 pour être déchargé du droit entier pris en charge sur 100 kil. de sucre brut, tandis que le raffineur de sucre exotique devra exporter 68 kil. 18/100.
Vous voyez qu'il y a là, je le répète, immense faveur. Cependant, par esprit de conciliation, je veux bien accorder un droit moindre aux défenseurs du sucre de betterave et une décharge égale à l'exportation ; mais aussi qu'ils nous accordent le rendement que nous demandons, qui est encore beaucoup plus élevé que le leur.
Je crois qu'il y a une telle corrélation entre le rendement et le droit qu'il serait convenable que les deux questions fussent vidées en même temps, car il pourrait arriver, comme à la section centrale, que les deux propositions étant votées séparément, le résultat soit tel à l'égard de l'une et l'autre industrie qu'il ne satisfasse personne et que le projet soit rejeté. Cependant nous devons désirer qu'il y ait une nouvelle loi.
Je bornerai là mes observations.
M. Dumortier. - Il me paraît que nous marchons dans une voie éminemment vicieuse et que nous ne pourrons pas arriver à une solution, car nous ne comprenons pas la portée de ce que nous avons à voter. Deux dispositions capitales règlent toute la matière : le chiffre du droit et le chiffre du rendement ; le chiffre du droit est l'impôt établi au profit du trésor, le chiffre du rendement est la fixation de la quantité de sucre raffiné à exporter pour être déchargé du droit pris en charge sur 100kil. de sucre brut.
C'est, en d'autres termes, la prime accordée à l'exportation à l'un et à l'autre. Quant à moi, il me serait difficile, je crois même impossible de voter sur le chiffre du droit, si je ne connais pas quel sera le chiffre du rendement. Le vote simultané sur les deux questions serait désirable, mais il est impossible, je crois donc qu'il faut discuter avant tout le chiffre ; du rendement c'est-à-dire de la prime. Après que nous l'aurons votée, nous verrons quel doit être le chiffre du droit.
Ainsi je consentirais à élever le droit sur la betterave, si j'étais convaincu qu'un rendement efficace serait admis sur l'exportation des sucres ; mais il m'est impossible d'admettre un droit élevé sur la betterave si j'ignore quel sera le chiffre du rendement, quelle sera la prime. C'est la prime qui est la question dominante, cette question doit donc être résolue la première.
M. le président. - La chambre s'est refusée à voter par questions.
M. Dumortier. - Je ne demande pas que l'on vote par questions ; je demande que l'article relatif à la prime soit mis aux voix avant celui relatif aux droits, sans quoi chacun sera exposé à ne pas comprendre la portée de son vote.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Les observations que vous venez d'entendre, je pourrais les accepter comme un premier hommage rendu au mode de voter que j'avais indiqué dans la proposition de principe.
Je crois qu'il y a une grande connexité entre tous les termes de la loi. Il n'y a pas un argument qui ne puisse être retourné dans l'un ou dans l'autre sens.
L'honorable M. Dumortier voudrait que l'on commençât par fixer le droit différentiel d'accise. Les partisans du sucre exotique demanderont l'inverse, parce que pour eux la question est essentiellement différente. Ainsi toutes les questions sont connexes. Nous n'aurons tous pour sanction de nos votes de détail que le vote par oui ou par non, sur l'ensemble de la loi. Plus la discussion avancera, plus on reconnaîtra qu'il y a connexité entre tous les termes de la loi.
Je ne m'opposerais pas à ce que l'on votât sur l'article 3 si l'on avait commencé par le discuter ; mais la discussion vient d'avoir lieu sur l'article premier. Si vous passez maintenant à l'article 3, elle aura été inutile, elle recommencera, et nous aurons perdu du temps.
(page 1713) M. Osy. - Si l'on met en délibération l'article 3, il faudra revenir ensuite à l'article premier ; ce sera une perte de temps. Je m'oppose à ce que l'on suive cette marche.
Si les partisans de la betterave veulent savoir quel sera le rendement pour fixer le droit, nous désirons, nous, savoir quel sera le droit de la betterave avant de fixer le rendement.
M. Dumortier. - Je crois que le mode que je proposais était le plus rationnel ; cependant je n'insiste pas.
M. le président. - La discussion continue sur l'art. 1er. La parole est à M. Osy..
M. Osy. - J'avais espéré que nous aurions fait, comme l'a dit hier, M. le ministre des affaires étrangères, en l'appuyant de si bons arguments, une grande loi commerciale. D'après la manière dont les choses se passent, c'est une espérance que je n'ai plus.
Je veux bien admettre le chiffre de 30 fr. proposé par M. le ministre des finances ; mais mon vote est subordonné à l'article 5 où il y a une limite.
M. de Corswarem. - Je ne rentrerai pas dans la discussion générale pour savoir si le travail national est celui de l'industrie du sucre indigène qui occupe des milliers d'ouvriers, ou du sucre exotique qui n'en occupe que sept cents.
Je ferai remarquer que l'article premier contient deux stipulations distinctes. Je demande la division. L'article premier fixe d'abord la quotité du droit à payer ; il fixe ensuite le délai à compter duquel le droit sera dû. Si le chiffre de 50 fr. proposé par M. le ministre des finances était adopté, ce serait le coup de mort de l'industrie nationale ; alors je demanderais que l'on votât séparément sur le terme et qu'on le fixât au 1er janvier 1847 pour donner à cette industrie le temps de pousser ses derniers râlements et d'expirer dans ses dernières convulsions.
Je ne puis pas faire maintenant de proposition puisque cela dépend d'une éventualité. Lorsque l'on aura fixé le droit, je proposerai un amendement à la date si le chiffre de M. le ministre des finances est adopté.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je n'ai l'intention de tuer, ni même de faire râler personne. J'ai la prétention d'avoir établi, et je démontrerai encore qu'avec le droit de 50 fr. non seulement l'industrie du sucre indigène peut vivre, mais se développer ; elle vivra très bien et grandement ; sa position, en supportant le droit proposé, et si l'on tient compte des autres éléments de la loi, est beaucoup meilleure que l'état sous lequel l'industrie a vécu depuis 1843.
Quant à l'époque, il s'agit ici en réalité d'un des termes essentiels de la loi. Ou bien il faut laisser le sucre indigène complétement en dehors de la loi, ou bien il faut lui appliquer le régime de la loi. Je ne comprends pas qu'on change le terme sans fixer transitoirement un autre droit d'accise. Car changer le terme, c'est diviser une proposition indivisible, l'application d'un régime nouveau à l'industrie du sucre indigène en même temps qu'à l'industrie du sucre exotique.
- La séance est levée à 4 heures et demie.