(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1605) M. Huveners fait l'appel nominal à une heure et quart.
M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.
M. de Villegas fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Les membres de l'administration communale d'Audeghem présentent des observations contre le projet d'établir un chemin de fer de Bruxelles à Gand par Alost et prient la chambre, si elle décidait la construction d'une nouvelle voie ferrée, d'adopter le tracé de Bruxelles vers Assche et Merchtem sur Termonde. »
« Même demande des membres de l'administration communale de Moerzeke. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants d'Iseghem demandent l'union douanière avec la France. »
« Même demande du collège échevinal et des membres du comité de l'industrie linière à Keyem, de plusieurs habitants de Deuterghem et Marckeghem. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de la ville de Spa présentent des observations contre le paragraphe 2 de l'article 47 du cahier des charges de la concession du chemin de fer du Luxembourg. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« Les notaires de Dinant déclarent adhérer au mémoire adressé à la chambre par les notaires de diverses villes contre le projet de loi sur l'organisation du notariat. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.
« Le conseil communal d'Achel demande que le gouvernement ne consente pas à une réduction des droits d'entrée sur le bétail hollandais. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur les pétitions de même nature.
« Le sieur Rutgeerts, professeur à l'université de Louvain, adresse à la chambre des observations sur le projet de loi relatif à l'organisation du notariat. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet.
Le sieur Raingo adresse à la chambre quelques exemplaires de deux brochures sur le défrichement des bruyères. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. de Corswarem. - Messieurs, demain c'est un jour de fête, mais ce n'est pas un jour de fête réservée. Lundi et mardi ce seront des jours de fêtes nationales. Si nous ne siégeons pas demain et si nous ne siégeons ni lundi ni mardi, nous allons perdre un temps extrêmement précieux à l'époque actuelle de la session. Je propose donc à la chambre de décider qu'elle siégera demain, mais qu'elle ne siégera pas lundi ni mardi.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il me semble qu'on pourrait décider sans inconvénient qu'on siégera demain ; mais pour lundi et mardi, je pense qu'il convient d'attendre jusqu'à samedi..
M. de Corswarem. - Je me rallie à cette proposition.
- La chambre décide d'abord qu’elle se réunira demain.
Elle décide ensuite qu'elle se prononcera samedi sur la dernière partie de la proposition de M. de Corswarem.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble de ce projet ; 55 membres sont présents. 48 adoptent. 7 rejettent.
1 membre (M. Sigart) s'est abstenu.
Ont voté l'adoption : MM. de Corswarem, de Garcia de la Vega, de Haerne, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Naeyer, de Renesse, de Saegher, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, Donny, Dubus (aîné), Dumont, Eloy de Burdinne, Goblet, Huveners, Kervyn, Lange, Lebeau, Lejeune, Liedts, Lys, Malou, Manilius, Mast de Vries, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Scheyven, Simons, Vanden Eynde, Verwilghen, Zoude, Anspach, Biebuyck, Brabant, Clep, Coppieters et d'Anethan.
Ont voté le rejet : MM. de Bonne, Delehaye, Delfosse, de Tornaco, Jonet, Loos et Veydt.
M. Sigart déclare s'être abstenu parce qu'il n'a pas assisté à la discussion.
M. Rodenbach. - La chambre est saisie depuis plusieurs semaines du traité que nous avons conclu avec la France ; les sections s'en sont occupées ; la section centrale s'en est également occupée et elle doit avoir à peu près terminé son travail.
Je dois supposer que tous les renseignements qu'on a demandés à M. le ministre des affaires étrangères, ainsi que tous les documents relatifs à ce traité ont été fournis à la section centrale. Si le travail de la section centrale est fort avancé, je crois que M. le rapporteur ferait bien de soumettre promptement son rapport à la chambre, car vous devez vous apercevoir qu'il y a dans les Flandres une grande agitation commerciale ; une foule de requêtes vous sont adressées ; un pétitionnement. est organisé ; l'industrie est en souffrance, la misère continue à accabler ces provinces. On devrait présenter promptement le rapport, afin que nous puissions discuter cette convention dont nous sommes saisis depuis longtemps déjà. Si M. le rapporteur est présent, je le prierai de nous dire à quoi en est son travail et s'il pense pouvoir déposer prochainement son rapport.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, pour ce qui me concerne, j'ai fourni depuis quelque temps déjà tous les renseignements que la section centrale m'a demandés. J'ai été appelé plusieurs fois pour discuter avec les membres qui la composent les faits principaux relatifs au traité. Cette discussion est terminée, ma mission est épuisée. Je pense que le motif pour lequel la section centrale n'a pas pu se réunir aujourd'hui est l'indisposition, passagère j'espère, de l'honorable rapporteur.
Pour ma part, je désire vivement que le rapport puisse être présenté dans le plus bref délai possible. S'il était possible qu il fût présenté avant les fêtes de lundi et mardi, l'impression pourrait en être ordonnée et la discussion pourrait suivre celle que nous allons entamer, celle des sucres.
M. Delehaye. - Je suis étonné d'entendre M. le ministre émettre l'espoir que le rapport pourra être présenté avant la fin de cette semaine. M. le ministre doit savoir que c'est la semaine dernière seulement qu'il a été entendu pour la dernière fois dans la section centrale. Ce n'est qu'après l'avoir entendu que le rapporteur, qu'une indisposition a empêché aujourd'hui de se rendre à la section centrale, a pu commencer sou rapport.
En réponse à l'opinion émise par l'honorable M. Rodenbach, je dirai que si le rapport sur la convention avec la France est vivement sollicité par ceux qui vivent de l'industrie linière, c'est un motif de plus pour que ce rapport renferme le plus de renseignements, le plus de détails possibles. M. Rodenbach ne doit pas oublier que des pétitions ont été faites contre ce traité ; M. Rodenbach ne doit pas ignorer que l'opposition la plus violente qu'a rencontrée ce traité, que je considère, moi, comme très favorable au pays et aux Flandres en particulier, est venue d'une localité de la Flandre qui, par une conception inqualifiable, en a demandé le rejet. C'est un motif puissant pour examiner le traité dans tous ses détails, de ne rien négliger pour faire voir que ceux qui avaient pétitionné contre ce traité se trompaient, alors que leurs intérêts auraient dû les engager à demander sa prompte adoption.
J'ai dit.
M. Osy. - J'aurai peu de chose à ajoutera ce qu'a dit l'honorable M. Delehaye. La section centrale a reçu la semaine dernière tous les renseignements dont elle désirait s'entourer. Depuis, elles s’est réunie plusieurs fois ; elle devait se réunir encore aujourd'hui ; une indisposition de M. le rapporteur est cause que cette réunion n'a pas eu lieu.
Comme l'a dit l'honorable M. Delehaye, en Flandre on est opposé à la convention. Il y a également de l'opposition dans la section centrale. Il est donc nécessaire de faire un rapport motivé et même assez étendu.
Sans l'indisposition de l’honorable M. d'Elhoungne, nous aurions eu le rapport pour le 20 : mais il était impossible de l'avoir avant cette époque.
M. Rodenbach.- Je n'ai pas prétendu que le rapport ne devait pas être très bien fait. Sou ce rapport, nous avons toutes garanties dans le mérite, bien connu, de l'honorable rapporteur.
Je sais que dans une partie des Flandres, il y a de l'opposition contre (page 1606) le traité ; on en a même demander le rejet par des requêtes adressées à la. chambre ; mais l'opposition vient, plutôt de la classe des négociants, de la classe riche,,que de la classe ouvrière, de la classe pauvre..
J'ignorais que l'honorable M. d'Elhoungne fût indisposé. C'est assurément une cause légitime de retard. Mais j'espère que cette indisposition ne se prolongera pas, et que notre honorable collègue aura bientôt mis la dernière main à son rapport.
M. de Garcia. - Ce n'est pas sans regret que j'ai donné mon appui au crédit global pour le département de la guerre, j'ai déduit les circonstances particulières et impérieuses qui ont déterminé mon vote. Je désire.ne plus me trouver dans une position semblable. Je demande donc que les sections de la chambre soient invitées à s'occuper de suite de l'examen du budget de la guerre, pour l'exercice 1847. Nous sommes saisis de ce budget ; nous avons devant nous un temps suffisant pour examiner cet objet ; et si on veut l'employer utilement, l'on atteindra un autre devoir qui est autant dans l'intérêt du pays que dans celui des convenances, l'on mettra le sénat à même de pouvoir porter un examen sérieux sur cette branche du service public.
En agissant ainsi, nous ferions disparaître les justes griefs du sénat qui s'est plaint constamment que les budgets lui étaient transmis tardivement et que par suite il ne pouvait les examiner avec la maturité désirable.
Je fais donc la proposition que les sections et la chambre s'occupent le plus tôt possible de cet examen.
Il y a une autre loi en section centrale. A la séance d'hier, j'y ai fait allusion. C'est la loi sur les conditions d'avancement dans le service de santé de l'année. Je crois que cette loi devrait contenir les dispositions qui doivent régler la position des officiers de ce corps. Comme je l'observais hier, en réglant cet objet dans une loi, on simplifierait singulièrement cette partie du budget de la guerre. Je dois ajouter qu'il est urgent de s'occuper de cette matière importante. Personne ne peut ignorer que le corps des officiers de santé de l'année se trouve dans un état déplorable, par suite de la mauvaise position dans laquelle il a été laissé jusqu'à ce jour. Ce corps pointant rend des services éminents, il est digne de toute la sollicitude de la législature.
Je demande donc aussi que la section centrale soit invitée à s'occuper le plus tôt possible de la loi qui est soumise à la législature sur cet objet.
Plusieurs membres. - Mais n'en faites-vous pas partie ?
M. de Garcia. - Certainement ; mais je ne la préside pas ; je n'ai pas le droit de la convoquer.
M. le président. - Les présidents des sections seront convoqués pour régler l'ordre du jour des sections.
M. de Garcia. - J'insiste donc pour que la section centrale, chargée de l'examen de ce projet de loi, soit convoquée le plus tôt possible, il est urgent que la position des officiers de santé soit réglée et améliorée.
M. le président. - C'est très désirable.
M. de Garcia. - Assurément !
M. Lebeau. - Il est extrêmement désirable qu'il soit fait droit à la demande de l'honorable M. de Garcia. Non pas qu'on puisse se flatter d'espérer discuter le budget de 1847 dans cette session. Mais ce serait une avance si les travaux préparatoires qui entraînent le plus de retard pouvaient avoir lieu avant notre séparation. On, pourrait ainsi singulièrement abréger le temps que nous devrons consacrer, lors de notre prochaine session, à l'examen du budget de la guerre et de la loi accessoire dont on a parlé et qui s'y rattache intimement.
J'appuie donc la motion de l'honorable membre.
M. le président. - J'engage MM. les présidents des sections d'avril à ne pas s'en aller avant la fin de la séance.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je demande que la motion de l'honorable M. de Garcia s'étende à tous les budgets qui ont été présentés. Ce serait évidemment beaucoup de temps de gagné, si l'on avait nommé les rapporteurs à la section centrale et si les rapports sur les budgets étaient déposés avant notre séparation.
M. Rodenbach. - Je pense, comme l'honorable M. Lebeau, qu'on peut s'occuper des travaux préliminaires. Mais dans ce moment de cherté excessive des vivres et des fourrages, qui, il faut l'espérer, ne se maintiendra pas, il serait impossible d'arrêter, avec quelque certitude, les évaluations du budget. Il est donc beaucoup plus rationnel d'ajourner ce travail au mois de novembre prochain.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps) dépose le rapport de M. Blondeel sur la colonie de Santo-Thomas.
M. Sigart. - Messieurs, dans la communication que vient de nous faire le gouvernement, je ne puis voir qu'une véritable mystification.
Je n'ai pas besoin de beaucoup de pénétration pour découvrir la tactique du gouvernement. Il est évident que la tactique du gouvernement a été d'empêcher une discussion sur cette affaire. Vous vous rappellerez que le gouvernement nous a promis qu'il nous donnerait une analyse du rapport. Avec cette promesse, il a gagné du temps. A présent il renonce à l'analyse, et alors que nous n'avons plus que quelques jours à siéger, il vient nous mettre en face, d'un rapport effrayant par son volume, et encore ce n’est qu'une première partie.
Quant à moi, messieurs, je prends l’engagement de lire ce rapport quelque volumineux qu'il soit.
Le gouvernement vient de nous faire un exposé, mais il ne nous a pas donné de conclusions et cependant c'étaient ces conclusions que j'attendais. Car je ne suis pas extrêmement curieux de voir le rapport de M. Blondeel. Je devine à peu près ce qu'il peut être.
Je n'étais pas non plus désireux de voir l'analyse de ce rapport ; car je savais dans quel esprit cette analyse pouvait être faite. Ce que j'étais curieux de voir c'étaient les conclusions du gouvernement. Je voulais savoir si notée ministère catholique aurait au moins un peu d'humanité.
Je suppose que la chambre va ordonner l'impression du rapport. Que si la discussion ne peut avoir lieu ou si elle est stérile, si des malheurs en résultent, j'en rejette à l'avance sur le gouvernement toute la responsabilité.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je dois avouer, messieurs, que je ne comprends pas quelle est la tactique que l'honorable membre reproche au gouvernement.
J'avais fait, messieurs, l'analyse du rapport de M. Blondeel ; je l'ai entre les mains. Mais je me suis aperçu que cette analyse était aussi volumineuse que le rapport lui-même, sauf les annexes.
Le gouvernement, messieurs, a voulu présenter à la chambre un rapport fidèle et sérieux sur les faits dont l'honorable M. Sigart a souvent entretenu la chambre. Un résumé du travail remarquable de M. Blondeel n'aurait pas eu ce caractère ; mieux valait le communiquer à la chambre sans en rien altérer.
Je suppose, messieurs, que je vous lise le résumé que j'ai entre les mains. Mais une discussion ne pouvait évidemment s'élever, avant que le rapport lui-même fût imprimé. La chambre aurait exigé, et elle aurait bien fait, que le rapport de M. Blondeel fût imprimé et distribué, avant qu'une discussion quelconque pût avoir lieu.
Je ne sais quel sens l'honorable M. Sigart a voulu attacher à ses expressions, lorsqu'il nous a dit qu'il savait d'avance ce que le rapport de M. Blondeel devait être. Ces paroles sont presque, offensantes pour notre agent diplomatique.
M. Sigart. - Ce n'est pas dans ce sens que je l'ai entendu.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Alors je ne comprends pas le sens de vos paroles.
Le gouvernement a fait choix de M. Blondeel...
M. Sigart. - Je n'accuse pas M. Blondeel.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je suis heureux d'avoir mal interprété vos paroles.
L'honorable membre, messieurs, demande quelles sont les conclusions que le gouvernement a prises après l'examen du rapport. Mais je demanderai à l'honorable membre quelle est la conclusion que le gouvernement pourrait prendre.
Il y a cependant une conclusion prise et la voici : Le but que le gouvernement a eu, en envoyant M. Blondeel à Santo-Thomas, c'était d'abord de reconnaître et d'apprécier, les faits, de s'éclairer lui-même et d'éclairer le pays. En dehors de ces considérations générales, il avait un but particulier et d'humanité. C'était de connaître si les circonstances n'étaient pas telles que le gouvernement, qui a voulu jusqu'à présent rester étranger à cette entreprise coloniale, ne dût pas prendre des mesures extraordinaires et d'urgence à l'égard des colons et des orphelins. Eh bien, la conclusion du rapport est celle-ci : c'est que la position des colons et des orphelins est telle que ces mesures extraordinaires et d'urgence n'ont pas dû être prises.
Voilà la première conclusion, la seule, jusqu'à présent, que le gouvernement ait pu prendre à la lecture et à l'examen du rapport de notre agent. C'est, du reste, une conclusion heureuse. Car, d'après les faits qui avaient été signalés par l'honorable M. Sigart en particulier, des craintes très sérieuses avaient pu se répandre dans le pays. Le rapport, de M. Blondeel ne les confirme pas.
Sous le rapport commercial, M. Blondeel annonce des conclusions favorables. Le gouvernement les étudiera avec soin.
M. Sigart. - Le rapport sera-t-il imprimé ?
M. le président. - Il sera imprimé et distribué.
M. Sigart. - Dans ce cas je remettrai jusqu'après cette impression les observations que j'ai à présenter.
M. de Mérode. - Je demande à dire un mot.
M. le président. - Sur quoi ? Si nous allons discuter sur un rapport qui n'est pas imprimé et distribué, nous discuterons dans le vague.
M. de Mérode. - Je désire faire une observation sur ce qu'a dit l'honorable M. Sigart.
Cet honorable membre prétend que toute cette affaire est une mystification ; je ne suis pas amateur des mystifications. Je me suis occupé de l'affaire de Santo-Thomas dans un intérêt d'utilité publique, et je déclare qu'il n'y a pas la moindre mystification dans tout ce que rapporte M. Blondeel. Je suis fort étonné que l'honorable M. Sigart puisse deviner ainsi tout ce qui se passe, en quelque sorte, aux antipodes.
M. Sigart. - M. le comte, je ne devine pas. Vous avez reçu des rapports de Santo-Thomas, j'en ai reçu aussi ; de manière que je savais parfaitement ce qui s'y passait.
Lorsque j'ai dit que je savais ce qui devait se trouver dans le rapport de M. Blondeel, c'est que moi-même j'avais reçu des rapports. Jusqu'à preuve contraire, je suppose que M. Blondeel a dit la vérité.
Je dois donc m'attendre à trouver dans son rapport ce qui se trouve dans les miens.
M. le président. - Je dois donner à la chambre communication de la lettre suivante :
« Monsieur le président,
« Le rétablissement complet de ma santé réclamant momentanément mon absence de Bruxelles, j'ai l'honneur de solliciter de la chambre un congé dont je m'efforcerai, autant que possible, d'abréger la durée.
« Veuillez agréer, M. le président, l'expression de tous mes sentiments de la plus haute considération.
« Goblet. »
- Ce congé est accordé.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, si je prends la parole au début de cette discussion, c'est avec le désir et l'espoir de l'abréger, en indiquant, dès à présent, d’une manière sommaire, quels me paraissent devoir être les points principaux du débat.
En 1843, messieurs, la discussion de la loi sur les sucrés a occupé, pendant plus de trois semaines, les moments de la chambre. La chambre se rappellera qu'alors il s'agissait surtout de la question de la coexistence des deux sucres et de l'intérêt du trésor.
Aujourd'hui, messieurs, et je m'en félicite, d'après les propositions faites, comme d'après les résolutions de la section centrale, la question de la coexistence, comme principe, peut se trouver en dehors du débat.
En effet, messieurs, à l'unanimité, la section centrale, adoptant à cet égard la pensée du gouvernement, a décidé que la loi serait combinée de manière à assurer la coexistence des deux industries rivales.
Un autre point, messieurs, a également occupé longtemps la chambre et aujourd'hui, il me semble, d'après le résultat des délibérations des sections et de la section centrale, ce point peut également être éliminé des discussions. On admet généralement que la législation relative aux sucres doit faire une juste part aux trois grands intérêts qui se trouvent en cause. En d'autres termes, la loi doit être à la fois financière, commerciale et industrielle.
S'il en est ainsi, messieurs, si la question est posée sur ce terrain, le débat me paraît devoir surtout porter sur la recherche du véritable système de pondération des dispositions qui peuvent procurer à chacun de ces trois intérêts la plus grande somme d'avantages.
Il est évident, messieurs, que si un de ces trois intérêts était éliminé, que si, par exemple, on pouvait sacrifier complètement l'intérêt du trésor, il serait dès lors possible de faire une part plus grande à chacun des deux autres intérêts. Ce que je dis de l'intérêt du trésor, je dois le dire également de l'intérêt de chacune des deux industries. Et ici, messieurs, ma pensée se reporte et sur la manière dont le projet a été accueilli et sur le résultat des délibérations de la section centrale. Jamais, messieurs, je ne me suis fait illusion au point de croire qu'un projet de loi relatif aux sucres put être accueilli unanimement et sans débats par chacun des intérêts qui sont en cause ; mais, messieurs, si pour chacun de ces intérêts le projet laisse quelque chose à désirer, je demande aussi que l'on tienne compte des avantages qui en résultent et que l'on examine si ces avantages ne sont pas, dans le système d'une bonne législation, les plus grands qu'il soit possible de concilier avec le principe de la coexistence et avec une certaine recette pour le trésor.
La législation des sucres repose sur trois principes essentiels : les retenues faites au profit du trésor ; le rendement, ou, en d'autres termes, la décharge ; enfin la quotité différentielle de l'accise sur les deux sucres. Jusqu'à présent, pour assurer un revenu au trésor, on a successivement augmenté les retenues, en laissant, pour ainsi dire, invariable le chiffre du rendement. Selon moi, messieurs, c'a été là une erreur : on n'a pas complétement garanti, même en portant la retenue au-delà de toute proportion, l'intérêt du trésor, en vue duquel seul ces retenues ont été établies et en les portant jusqu'à 4/10, l'expérience a été complète, on a froissé l'intérêt des industries.
Je dis, messieurs, que l'intérêt dun trésor n'a pas été satisfait.
En effet, si la loi de 1843 a produit pendant une année une somme supérieure a trois1 millions, déjà l'année dernière et pour l'exercice courant aussi, la recette est tombée, et elle resterait nécessairement, sous le système de la loi de 1843, au-dessous du minimum de 3 millions. On le conçoit sans peine, messieurs ; si les retenues étaient compatibles avec un grand mouvement commercial, si, en d'autres termes, les 4/10 portaient sur les quantités mises en raffinage antérieurement à la loi de 1843, la recette de 3 millions eût été assurée au trésor ; mais si le travail diminue, les 4/10 portant sur une quantité moindre, la recette disparaît en partie.
J'ai cherché, messieurs, par un retour aux principes de la loi de 1822, à garantir d'une autre manière les intérêts du trésor ; j'ai cherché à les garantir en élevant le rendement dans une juste proportion.
J'ai fait plus encore pour l'intérêt du trésor : j'espère que l'industrie du raffinage réalisera des progrès, et alors le rendement qui serait vrai aujourd'hui et qui assurerait au trésor une recette de trois millions, ce rendement se trouvant au-dessous du rendement réel que l'on obtiendrait par le perfectionnement des procédés, il en résulterait qu'une partie de la recette se trouverait absorbée. Pour éviter cette lésion éventuelle des intérêts du trésor, j'ai inséré dans le projet, et je m'efforcerai d'y faire maintenir, une disposition d'après laquelle le gouvernement serait autorisé à élever le rendement si la recette venait à disparaître en partie. Ces garanties, je n'hésite pas à le déclarer, seront plus efficaces en faveur du trésor que ne l'était le système des retenues.
J'ajouterai, messieurs, qu'elles sont meilleures pour l’industrie. En effet, l'industrie a souffert surtout parce que les quantités soumises à la retenue, produisaient, sur le marché belge, encombrement, malaise, avilissement des prix, tandis que l'élévation du rendement réduisant successivement les quantités qu'on peut présenter au marché belge indemne des droits, le mouvement d'exportation se développe d'autant mieux, d'autant plus facilement et j’ajoute : se développe d'autant plus que le rendement est plus élevé, que la quantité déversée indemne de droits, sur le marché belge, est plus faible.
En 1843 on a voulu assurer au sucre indigène une protection de 25 fr. Cette protection, le sucre indigène ne l'a pas obtenue ; par l'effet même de la loi cette protection a disparu quelque temps entièrement, et pendant toute la durée de la loi elle a été considérablement réduite.
Si aujourd'hui l'on propose de diminuer la différence entre les droits d'accise auxquels sont soumis les deux sucres, l'industrie du sucre indigène trouvera dans ce chiffre une protection réelle qui ne peut pas disparaître.
J'ai voulu faire plus en faveur du sucre indigène. En proposant la décharge égale à l'exportation, mon but a été d'assurer au sucre indigène un droit protecteur, non seulement sur le marché intérieur, mais encore qu'il pût sérieusement prendre sa part sur les marchés étrangers, au moyen de l'exportation. Plus la différence de l'accise entre les deux sucres sera grande, plus sera certaine l'exportation du sucre indigène.
Je crois avoir résolu ainsi le principe de la coexistence des deux industries, en faisant à chacune d'elles une juste part. Je crois aussi avoir fait en sorte que l'industrie du sucre indigène nuisît le moins possible au grand, à l’utile développement de l'industrie du sucre exotique.
Les propositions que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre pour le rendement et le chiffre différentiel de l'accise ont été attaquées l’une par les partisans du sucre exotique, l'autre par les partisans du sucre indigène. En effet, le chiffre du rendement intéresse principalement, non pas exclusivement, le sucre exotique, tandis que le chiffre différentiel de l'accise est le grand, le principal intérêt du sucre indigène.
Pour le rendement, j'ai soumis à la chambre une proposition qui tend à le porter à 72 58 soit la décharge à 62 francs. Depuis la présentation du projet, j'ai examiné de nouveau toutes les réclamations qui ont surgi ; je les ai examinées au point de vue de la législation et surtout de l'intérêt du trésor.
Je me suis demandé s'il n'était pas possible, sans dénaturer les principes de la loi, sans nuire aux intérêts du trésor, de faire momentanément une position meilleure en Belgique au sucre exotique, et si, pour atteindre le but essentiel de la loi, il ne fallait pas lui assurer cette position meilleure.
La chambre voudra bien remarquer qu'au rendement de 72-58, si l'industrie dans l'espace de 18 mois doublait seulement son travail, le trésor percevrait, d’après te tableau joint au projet, la somme de 4,494,000 francs, si elle le triplait il percevrait 3,496,000 fr. En présence de ces faits et surtout en présence de la législation qui a été admise très récemment, dans un pays voisin avec lequel notre pays a une concurrencé à soutenir, il m'a paru possible de réduire quelque peu le chiffre du rendement établi sur les deux sucres, chiffre qui, je le répète, intéresse principalement le sucre exotique.
Il y a ici encore une fois, en ce qui concerne le sucre exotique, deux intérêts qui se combattent et dont il faut concilier les tendances. Chaque réduction du rendement est une restriction au mouvement commercial.
Pour rendre ce fait sensible, je comparerai le mouvement qui devra résulter du chiffre de rendement proposé au projet avec celui qui résulterait du rendement fixé à 68-18 comme le demandent les intéressés.
Avec le chiffre du projet on peut arriver au mouvement de 48,96,000 kil. ; d'après le projet modifié en ce sens, que la décharge serai portée à 66 fr., c'est-à-dire le rendement à 68-18, on ne pourrait arriver, en assurant une recette de 3 millions au trésor, qu’à 40 millions 642 mille kil.
Ainsi, une réduction de 4 p. c. sur le rendement amènerait une réduction de près de 9 millions dans le mouvement commercial. Si je cite ce fait, c’est pour démontrer que dans l'intérêt du sucre exotique lui-même, il ne faut pas aller au-delà des nécessités strictement démontrées pour le chiffre du rendement. Quelles sont ces nécessités ? Pour bien les apprécier, examinons la législation établie en Hollande. Le rendement moyen eu vertu de la loi du 1er avril1846, d'après les calculs faits sur les candis et autres sucres, lorsque l'année de transition sera écoulée, sera de 72-90, et pour les sucres autres que les candis, il sera de 72-97.
Si en Belgique on s’arrêtait au chiffre de 65 fr. pour la décharge à l'exportation ou au rendement de 69-23, nos raffineurs obtiendraient sur leurs concurrents hollandais, quant au rendement, une différence de 3-67 par 100 kil. Ces 3-67 d'après les derniers prix valent 5-28 en consommation.
Voilà donc quelle serait à la décharge de 65 fr., la position respective de l'industrie belge et de celle dont la concurrence est la plus intense. L’on objecte que les raffineurs de ce pays travaillent habituellement des sucres d'une qualité supérieure et d'une valeur intrinsèque beaucoup plus grande que celle des sucres mis en raffinage par nos industriels.
J’ai sous les yeux le tableau du commerce des sucres en Hollande, j'y remarque que les sucres Havane ont en entrepôt en Hollande une valeur supérieure de trois francs à peu près à celle des sucres Java de même nuance.
Je dis que c'est seulement la valeur en entrepôt, parce qu’il me paraît (page 1608) en résulter que la valeur entreposée de sucre Havane, à nuance égale, est supérieure à celle du sucre Java.
Si l'induction que je tire de ce tableau n'est pas concluante, mon erreur pourra être redressée ; mais je ne puis m'expliquer autrement les chiffres que j'ai sous les yeux.
L'honorable M. Osy a l'obligeance de me faire remarquer qu'il faut ajouter les droits d'entrée. En effet, il faut les ajouter, mais pas également à tous deux, mais au sucre Havane principalement ; d'où il résulte que la différence est plus grande ; car, si je ne me trompe, le sucre Java a sur les autres sucres un avantage sur le marché hollandais. Ainsi je remercie l'honorable membre d'avoir bien voulu renforcer mon argument.
On fait sur la question de concurrence une autre objection. On dit que les procédés de l'industrie hollandaise sont plus perfectionnés que les nôtres. J'ai entendu plusieurs industriels contester ce fait. Pour moi je l'admets. Je l'attribue au changement de législation et notamment aux inconvénients graves qu'a produits pour cette industrie la loi de 1843.
Mais lorsqu'il s'agit d'établir les conditions futures de cette industrie, il faut tenir compte du sort que lui fera la loi nouvelle. En effet, si nous voulons tous la coexistence, la loi doit avoir un résultat : le premier doit être de transformer l'industrie qui n'est pas au courant des procédés nouveaux, de l'amener à se mettre en mesure de profiter par elle-même des conditions favorables que lui ferait la législation.
Un honorable membre me dit qu'il faut, à cet égard, un système gradué : sans doute, s'il ne fallait pas un système gradué, je n'aurais pas hésité à soutenir le chiffre primitif de 72-68. C'est parce qu'il faut un chiffre gradué que je propose un chiffre qui permette à notre industrie de lutter, par des efforts nouveaux, avec l'industrie étrangère.
J'ai déjà eu l'honneur de faire remarquer à la chambre que les trois intérêts étaient connexes et qu'on ne pouvait, sans détruire le système de pondération, de coexistence des deux industries, améliorer la position du sucre exotique, sans améliorer aussi, en modifiant le projet primitif, la position de l'industrie indigène.
Le projet primitif tendait à établir un rendement qui fût très près du rendement réel, et pour le chiffre de l'accise une somme approchant de l'égalité tout en tenant compte de la moins-value des bas produits du sucre indigène.
Si maintenant on portait la décharge à 65 fr., on améliorerait sur le marché intérieur et à l'étranger la position du sucre exotique.
Mais il est nécessaire, si l'on veut sincèrement la coexistence, d'améliorer aussi la situation du sucre indigène.
Toutefois il est, je n'hésite pas à le déclarer, un danger à éviter, c'est que le sucre de betterave ne satisfasse, dans un intervalle assez rapproché, à toute la consommation de la Belgique.
M. Eloy de Burdinne. - Quel malheur !
M. le ministre des finances (M. Malou). - Oui, ce serait un malheur, parce que dans notre état politique, dans notre position géographique, il faut que le commerce soit un des éléments de la prospérité de la Belgique. Si le sucre exotique déclinait d'une manière sensible, cela compromettrait d'autres intérêts ; notre commerce, notre position seraient singulièrement amoindris.
Aussi, dès le début de ces débats, je tiens à déclarer franchement que l'accroissement illimité de la production du sucre indigène serait, à mes yeux, un danger ou même, si l'on veut, à certains égards, un malheur pour la Belgique.
J'ai donc cherché une combinaison qui pût non seulement assurer la coexistence du sucre indigène, mais qui pût lui assurer sur les marchés étrangers une bonne, une grande position. Ce moyen, je crois le trouver dans la réduction du chiffre de l'accise pour le sucre de betterave, réduction d'autant moindre, que le développement de l'industrie indigène sera plus grand.
Ainsi, jusqu'à un chiffre déterminé, l'on pourrait, sans nuire ni au trésor ni au sucre exotique, réduire l'accise sur le sucre indigène à la somme de 30 fr.
Mais si, dans une telle position, l'industrie du sucre indigène prenait un développement tel qu'elle dût envahir le marché intérieur et détruire l'industrie du sucre exotique, je pense qu'il serait d'une bonne législation de la restreindre, en augmentant proportionnellement le chiffre de l'accise, sans toutefois l'amener entièrement jusqu'à l'égalité des droits. La discussion qui s'ouvre portera naturellement sur la limitation des quantités, aussi bien que sur le chiffre de l'accise.
L'industrie du sucre indigène a une production officielle et moyenne de 2,592,000 kil. On peut admettre avec quelques membres de la section centrale que la fraude, ou ce qu'on appelle, d'une expression plus douce, la protection « de fait », s'élève à 25 p. c. Il en résulterait que la production réelle serait de 3,240,000 kil.
Dans une pétition qui vous a été remise et qui émane de personnes intéressées au sucre indigène, on fait diverses évaluations sur un chiffre de 2,850,000 kil. Quelques membres de la section centrale, dans une note jointe au rapport, raisonnent sur un chiffre de trois millions. En recherchant une solution satisfaisante pour les deux industries, on pourrait s'arrêter au chiffre de 3,850,000 fr., et à partir de ce chiffre on pourrait élever l'accise de 2 fr. par chaque cent mille kilog., jusqu'à ce qu'on soit arrivé à 40 fr. d'accise, c'est-à-dire à une production de plus de 4,200,000 kilog.
Il résulterait de là que l'industrie du sucre indigène aurait assuré, avec un droit très favorable le tiers de la consommation présumée de la Belgique.
Il en résulterait aussi que la différence du chiffre étant plus considérable que je ne l'ai proposée, et la décharge à l'exportation demeurant égale, le sucre indigène, jusqu'à ce qu'il ait atteint ce maximum légal, pourrait prendre une grande part à l'exportation des sucres raffinés.
La législation actuelle, qu'il me soit permis de le redire en terminant, doit avoir un but, des résultats.
Je conçois une législation exclusivement commerciale, comme en Hollande, exclusivement financière comme dans d'autres pays. Mais une législation qui ne pourrait avoir ni l'un ni l'autre de ces résultats ne serait pas conforme aux véritables intérêts du pays.
Si maintenant nous cherchons à faire un projet juste, équitable envers chacun de ces intérêts, que ce soit surtout en nous efforçant de combiner les principes, de manière à donner aux deux sucres, non pas tous les avantages qu'ils réclament, ce qui est impossible, mais au moins tous les avantages compatibles avec la coexistence des deux industries et avec les recettes du trésor.
M. Osy. - Messieurs, lors de la discussion de la loi des sucres de 1843, avec mes honorables amis de Gand et d'Anvers, nous avons prédit ce qui est arrivé ; et quoiqu'il y eût encore des illusions parmi quelques raffineurs, mon vote négatif à protesté d'avance contre une loi qui devait amener la fermeture et même la ruine de nos principaux établissements d'une belle industrie que nous avions dans le pays ; et le découragement est devenu tel que les intéressés, presque tous morts ou mortellement blessés, n'ont presque plus la force de se faire entendre. Cependant, nous n'abandonnons pas la partie, et nous espérons que finalement nous pourrons, par une bonne loi, leur procurer des jours meilleurs, et que finalement on verra qu'il est plus avantageux à la Belgique de protéger cette ancienne industrie et de relever le commerce d'importation et d'échange, que de protéger outre mesure une industrie qui n'offre qu'une importance secondaire et tout à fait négative ; ce qui a été démontré lors de la discussion de la loi de 1843, et qu'il est inutile de discuter de nouveau ; mais si on y revenait, je me réserve de prendre la parole plus tard.
L'industrie indigène est aussi paralysée dans son action que la raffinerie exotique, et le commerce et la marine marchande.
Le plus grand établissement, la raffinerie nationale, qui travaillait les deux sucres, a dû fermer ses deux raffineries ; elle est en liquidation, va vendre ses domaines et son établissement de Waterloo et de Bruxelles et on craint qu'à sa liquidation les actionnaires perdront 70 pour cent au moins.
D'un autre côté, le plus grand établissement de Gand a dû suspendre ses payements, et ne laisse guère assez d'actif pour couvrir les droits du trésor. Il y a peu de jours, un autre grand raffineur à Gand a dû suspendre ses payements, par suite des pertes subies dans le cours d'une seule année. A Anvers, beaucoup de raffineurs ont totalement cessé ou sont ruinés ; et s'il y en a encore qui travaillent, c'est à cause de leurs grands capitaux et qu'ils ne veulent pas abandonner la partie dans l'espoir de jours meilleurs.
Voilà le récit fidèle de l'état actuel de cette belle et ancienne industrie. Et en même temps qu'elle nous échappait, notre commerce d'importation et d'exportation diminuait tous les ans ; et tandis que nos anciens frères du Nord se ressentent encore des bienfaits de la loi de 1822, avec les seules modifications introduites par les progrès de l'industrie, depuis l'introduction de cette législation, en Hollande, tous les ans, il se forme de nouveaux établissements à la vapeur et sur le plus grand pied ; et tandis que notre mouvement commercial est tombé à 10 millions de kilogrammes à l'importation et 5 millions à l'exportation, nos anciens frères, sous une législation bienfaisante et bien entendue, ont pu mettre en fabrication, en 1845, 68,000,000 de kilogrammes, et les exportations en sucres raffinés ont monté à près de 42 millions. Voilà donc un mouvement de près de 110 millions, tandis que chez nous le mouvement n'est plus que de 15 millions.
Avec la diminution de notre mise en fabrication, nous avons aussi perdu notre grand marché d'importation, car pour avoir un grand marché, il faut trouver des acheteurs du pays et de l'étranger en concurrence et plus nos importations augmenteront, plus les étrangers viendront s'approvisionner. En même temps que nous voyons ainsi anéantir notre industrie, nos importations et exportations de sucre brut diminuent et, dans les cinq premiers mois de cette année, la Belgique a exporté en sucre brut seulement 930,000 kil., tandis que la Hollande exportait déjà treize millions.
Aussi la marine marchande hollandaise augmente, quoiqu'elle soit déjà si considérable, tandis que la marine belge ne peut dépasser le nombre si restreint de 138 navires, quoique la loi des droits différentiels soit déjà en vigueur depuis deux ans.
Ce sont les sucres qui doivent principalement alimenter notre marine et la faire prospérer et grandir.
L'augmentation de la marine doit augmenter les exportations de notre industrie, allant chercher des retours dans les colonies libres, car les étrangers se pressent de retourner chez eux, soit sur lest ou avec des émigrants. Vous aurez tous lu, messieurs, la pétition des armateurs déposée sur le bureau par l'honorable M. Dedecker et vous verrez les mêmes cris d'alarme de cette branche de l'industrie nationale, tandis que si nous faisons une bonne loi pour les sucres, nous avons espoir de voir revivre toutes les industries, le commerce et la marine, tandis qu'aujourd'hui pour maintenir le peu qui existe encore, il faut donner des primes et des (page 1609) équipages de l'Etat, et le découragement s'empare l'une après l'autre de toutes les branches de la fortune publique.
Vous avez le plus beau port du monde ; sa situation au centre de l'Europe, avec les plus belles voies de communication, devrait nous attirer, si nous faisons de bonnes lois, une masse d'affaires ; et alors, au lieu de retirer seulement trois millions des sucres, vous recevriez des sommes importantes pour toutes les artères des revenus, et votre agriculture, vos forêts et toutes les industries s'en ressentiraient favorablement.
Je ne pourrais guère ajouter quelque chose aux paroles de M. le ministre des finances, à l'appui de son projet de loi, et tout ce qu'il nous a dit aujourd'hui dans les explications qu'il vient de nous donner. Je citerai donc ses paroles à l'appui du projet de loi : « Le trésor a obtenu des produits beaucoup plus élevés qu'auparavant ; mais le mouvement commercial, loin de se développer, a été notablement réduit, et les deux industries, surtout celle du sucre exotique, ont été vivement atteintes par les effets de la législation nouvelle. »
M. le ministre, parlant toujours de la funeste loi de 1843, dit encore plus loin : « Les effets de ce régime sont connus. Il a produit à l'intérieur l'encombrement, la dépréciation et la prime de mévente qui en est la conséquence ; il comprime et restreint le travail pour l'exportation et le mouvement commercial ; sous son influence, la différence du droit d'accise entre les deux sucres disparaît en tout ou en partie. »
Je dois convenir, et tout le monde rendra justice à M. le ministre, que le cadre de sa nouvelle loi est bon ; mais, malheureusement, s'il maintenait ses chiffres, il ne pourrait pas atteindre le but qu'il se propose et qu'il a si noblement et si franchement avoué par les paroles que je viens de vous citer.
Celui qui veut la fin doit vouloir les moyens ; M. le ministre, voulant la prospérité de l'industrie, du commerce et de la navigation, ne doit pas exclusivement songer au trésor ; mais, comme je l'ai dit, ses paroles ne ressemblent pas à ses propositions ; mais j'espère que, mieux éclairé par la discussion, il nous aidera à atteindre le même but que nous nous proposons.
Les discussions en Hollande et les mémorables paroles de M. Van Hall, ministre des finances des Pays-Bas, devront faciliter à le convaincre qu'il ne suffit pas de décréter un impôt, mais qu'il faut le rendre profitable à toutes les branches de l'industrie et je dirai même à tous les degrés de l'industrie ; car pour les raffineurs, chez nous comme chez nos voisins, nous avons des industriels qui n'ont pas encore abandonné l'ancien système de travail, et nous ne pouvons pas écraser ceux-ci.
Il faut donc faire une loi qui fasse vivre tout le monde ; et en commençant par un rendement même un peu au-dessous de l'extraction réelle, vous donnez le temps aux petits raffineurs de grandir et de se perfectionner, et alors, si l'industrie fait des progrès et que votre chiffre pour le trésor vienne à diminuer, on pourra accorder, jusqu'à une certaine limite, d'augmenter le rendement par arrêté royal.
L'amélioration de l'industrie développera l'exportation et doit diminuer le chiffre des recettes ; mais, dans ce cas, l'industrie pourra supporter une petite augmentation, et le trésor aura toujours la somme qu'il exige, et toutes les branches de la prospérité nationale pourront marcher. Mais commencerez-vous, comme le propose M. le ministre, par un chiffre qui est au-delà du rendement réel ? Vous aurez votre somme et même au-delà, mais vous vous éloignez du but que vous vouliez atteindre, et votre industrie, votre commerce et votre marine tomberont de plus en plus en décadence, et vous ferez des lois qui ne feront du bien qu'à vos voisins et vous pourriez réveiller bien des regrets de ne pas avoir les mêmes lois que nos anciens frères, tandis qu'il est facile de nous contenter et de contenter les exigences du trésor.
Certainement en Hollande les grands établissements retirent une plus grande quantité de sucre raffiné que ceux qui, comme chez nous, emploient encore les anciens procédés. Aussi M. Van Hall disait si justement :
« Si la législature n'a exclusivement en vue que les premiers et règle en conséquence les bases de la restitution, les seconds ne peuvent plus continuer à exister. Si, au contraire, elle établit la restitution d'après les besoins des derniers et exige, en outre, un prélèvement ou retenue sur l'accise, elle entrave les premiers dans leur travail et les force à renoncer à la concurrence.
« Je mettrai tout en œuvre pour conserver celle de ces industries qui peut marcher d'un pas égal avec l'industrie des autres nations, cette industrie à laquelle nous devons un vaste marché de sucre en Europe, industrie qui nous fournit les moyens de conserver notre commerce et notre navigation vers le nord comme vers le midi de l'Europe ; qui, d'après l'état qui a été soumis aux états généraux, a travaillé, en 1844, 8/9ème et en 1845 presque 10/11ème de nos importations de sucre brut, qui, enfin, emploie des capitaux considérables, je n'hésite pas à dire, à respecter et conserver cette industrie. »
Le ministre continue et dit :
« Le projet de loi a néanmoins été établi de telle sorte, qu'il assure à la fois au trésor un certain revenu, n'entrave pas la nouvelle industrie et fournit aux fabricants, établis d'après l'ancien système, l'occasion de pouvoir continuer leurs travaux.»
Ainsi, en Hollande même où l'industrie est si perfectionnée et malgré ses sympathies pour la grande industrie, M. le ministre a encore compris la nécessité de procéder avec ménagement.
La grande raffinerie nationale, qui était la plus avancée en industrie, qui a cessé de travailler et qui n'a aucun intérêt à cacher la vérité, a bien voulu nous donner les chiffres de sa production ; elle nous fait connaître que son rendement, par moyenne, a été 72 93/100 ; mais comme en Hollande, vous devrez convenir que nos établissements, travaillant d'après l'ancien système, doivent avoir un rendement beaucoup moindre, et dès lors, vous devez avoir pour ces établissements les mêmes égards dont on les a entourés en Hollande.
En Hollande, on a adopté, pour la première année, le rendement de 71-05 et celui définitif, 72-97 tandis que pour le candi, le rendement est fixé, pour la première année, à 64-29 et définitivement à 65-85.
M. le ministre nous propose, pour les deux industries et pour tous les sucres, de porter le rendement et de suite à 78-58 ; et aujourd'hui, par amendement encore, à 09 23/100 ; les lois de 1838 et 1843 avait fixé le rendement seulement à 57 et à 60, mais avec des retenues forcées, système condamné eu Hollande, par notre gouvernement et par les intéressés ; je ne m'en occuperai donc pas.
Maintenant, si en Hollande où l'on suppose un rendement effectif d'environ 80 p. c., on adopte pour la seconde année seulement 72-97 (et beaucoup moins pour les candis), je vous demande, messieurs, s'il est possible d'admettre le chiffre de M. le ministre de 72 58 c. et même celui de 69 23/100 quand, de l'aveu de notre premier établissement, le rendement réel n'est que de 72 93/100. On dira peut-être que la Raffinerie nationale a travaillé beaucoup de sucres ordinaires. Je tiens de source certaine que la majeure partie de son travail ne s’est composée que de sucre indigène, Havane et Java, surtout dans les premières années de son existence.
La Hollande n'ayant pas de droits d'entrée à payer sur les sucres bruts, travaillant les sucres Java, qui sont beaucoup plus riches que ceux que nous travaillons, et nous venant de la Havane, du Brésil et de Manille, il est certain que de ce chef seul nous devons adopter un rendement plus bas, et, ne perdons pas de vue que depuis 1830, avec des lois tutélaires, l'industrie hollandaise a fait de grands progrès, tandis que nous, à cause des lois de 1838 et 1843, nous n'avons vu que dépérir cette industrie, et non seulement nous avons été obligés de rester stationnants, mais nous sommes près de mourir. Mais il nous reste l'espoir que l'on ne fera plus les mêmes fautes qu'en 1843, lorsque M. Smits s'est si facilement rallié à l'amendement de l'honorable M. d'Huart,qui doit convenir lui-même, quoiqu'il fût de la meilleure foi du monde, qu'il nous a porté, je dois le déclarer, un coup mortel. Ainsi j'espère que cette fois il nous aidera à réparer le mal fait.
Par toutes ces considérations, il faudrait commencer par augmenter l'ancien rendement de 57 et 60 à 65 ou 66 p. c. avec la faculté, au gouvernement, d'augmenter, par arrêté royal, et ce jusqu'à 72 58 ou restitution de 62 fr. pour avoir une recette certaine de 3,000,000. Mais s'il fallait recourir à une augmentation par arrêté royal, il faudrait donner le temps à l'industrie de se développer, et avant le 1er janvier 1848 on ne devrait pas faire de changements.
La loi de 1843 vous a donné en 1844 un revenu de 3,660,000 fr. : déjà en 1845 la recette a diminué à 2,612,000 fr., et certainement avec la loi en vigueur, la recette de 1846 ne dépassera pas 2,300,000 fr.
Avec un impôt sur la betterave de 40 fr., et en calculant sur les résultats obtenus par la Raffinerie nationale, et avec un rendement de 68, vous obtenez une recette de 4,168,000 fr., avec un mouvement commercial de 23 millions de kil.
Ce mouvement pourra s'étendre jusqu'à 60 millions de kil. environ, avant que la recette ne tombe en-dessous de trois millions et qu'il ne devienne nécessaire de majorer le rendement ; et il ne faudra pas d'ici à trois ans venir à 69, tandis que le rendement de 72 58 proposé, est le dernier coup de mort, et celui de 69 n'est pas encore admissible et ne remédierait pas au malaise.
M. le ministre des affaires étrangères, ayant dans ses attributions le commerce et l'industrie, doit se joindre à nous pour relever ces branches de la fortune publique ; et je ne doute pas qu'il ne se joigne à nous, pour engager M. le ministre des finances à commencer par un rendement qui. puisse donner le temps de développer et améliorer nos établissements, et ce n'est pas le but que se propose M. le ministre, d'après les paroles que je vous ai citées à l'appui de son projet de loi.
M. le ministre nous propose pour la betterave un impôt de 38 francs, mais aujourd'hui par amendement 30 fr. avec augmentation de 2 fr. par 100,000 kil. ; mais, comme, par les intéressés eux-mêmes, nous avons la preuve que la différence des bas produits ne peut être calculée à plus de 4 fr., je crois que nous pouvons admettre le chiffre de 40 fr.
M. le ministre des finances (M. Malou). - La chambre me permettra d'expliquer encore le système en ce qui concerne la betterave.
En diminuant le rendement pour le sucre de canne, il faut, si l'on veut maintenir le système de la coexistence des deux sucres, réduire le chiffre de l'accise pour la betterave.
Voici le système qui m'a paru le meilleur, c'est de faire à la betterave une large part à l'intérieur et de lui donner en même temps les moyens de s'associer au mouvement d'exportation.
La betterave produit aujourd'hui 300 mille kil. et une fraction. Je propose de réduire l'accise sur le sucre de betterave à 30 fr., jusqu'à ce que la production ait dépassé 3,800,000 kil., et ensuite pour chaque centaine de mille kilogrammes en sus de 3,800,000 kil., j'augmente l'accise de deux francs, jusqu'à ce que le droit ait atteint 40 fr. C'est-à-dire que (page 1610) lorsque la betterave aura dépassé une production.de 4,200,000 kil., l’accise restera invariablement à 40 fr., c'est-à-dire qu'il n'y aura plus qu'une différence de cinq francs. Aujourd'hui la différence serait de quinze francs.
M. Osy. - Messieurs, je trouve que la protection que M. le ministre des finances veut accorder à l'industrie du sucre de betterave est beaucoup trop forte, surtout quand je vois qu'il est démontré clairement par le tableau B, joint au rapport de la section, centrale, que l'impôt décrété par la loi de 1843 n'est pas intégralement perçu.
D'après les discussions récentes en France, on voit que les fabriques y ont obtenu par moyenne la densité de 5 1/4 pour la campagne de 1844-1845, et que la moyenne du rendement a atteint 15 hectogrammes, abstraction faite des quantités qui ont échappé par la fraude à la perception de l'impôt. Tandis que chez nous, par le tableau fourni par le gouvernement, on voit que la densité constatée à la défécation et du chef de laquelle les fabricants ont été pris en charge, ne dépasse pas 5 88/00 degrés, et on y voit que la plupart de nos fabriques ont obtenu un abonnement de 15 hectogrammes par 100 litres de jus.
Je crois donc que nous pouvons décréter l'impôt de 40 fr. et le rendement de 65 ou 66 tout au plus pour commencer ; et les deux industries pourront vivre et se développer, et vous relevez le commerce et la marine marchande ; et ayant un grand mouvement commercial d'importations et d'exportations, nous exporterons les autres produits de notre industrie, lorsque nous irons chercher les sucres aux colonies, ou lorsque nous porterons dans la Méditerranée ou dans le Nord nos sucres raffinés. Ainsi toutes les branches de la prospérité nationale sont intéressées à voir décréter une bonne loi des sucres, à rappeler à la vie cette grande source de la prospérité de la Belgique.
En adoptant nos propositions vous verrez aussi se développer notre marine marchande, et nous importerons les sucres bruts sous pavillon national, tandis qu'aujourd'hui presque tout nous arrive par navires étrangers, qui, lorsqu'ils ont touché dans un port intermédiaire, payent cette année 3 fr. les 100 kilos ; et comme il y a aggravation tous les ans, le droit d'entrée sera en 1848, 4 fr. 23 tandis que la Hollande travaillant les sucres de ses colonies, n'a pas de droit d'entrée à payer.
Cette aggravation est un des grands griefs que l'industrie du raffinage reproche au commerce, mais il disparaîtra forcément si nous faisons une loi qui relèvera en même temps notre marine marchande et notre industrie des sucres prête à expirer.
La loi des sucres, par ses ramifications, est une des lois les plus importantes à faire, car d'elle dépend la possibilité d'avoir un grand marché pour la fabrication indigène. Ainsi, grand commerce d'importation et grand commerce d'exportation en produits bruts fabriqués, vous donne la certitude de voir finalement grandir votre marine marchande, et à toutes les industries, depuis vos produits liniers, de coton et de laine jusqu'aux produits de la clouterie et des verreries, la certitude de faciliter les exportations vers les colonies et vers le nord et le midi de l'Europe. Tout se donne la main ; mais le sucre étant la marchandise la plus encombrante, sera la cheville ouvrière de l'activité et de la prospérité de toutes les industries et du développement, comme je l'ai déjà dit, du commerce et de votre marine.
M. Mast de Vries. - Messieurs, il y a déjà un bon nombre d'années que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte et je ne pense pas qu'il s'en soit écoulé une seule, sans que la question des sucres nous ait été présentée sous l'une on sous l'autre forme. Un jour, messieurs, on a apporté des changements à la tare, plus tard on en a apporté au rendement ; plus tard encore nous avons imposé la retenue des 2/10 ; ensuite on a imposé la betterave ; ensuite encore on a fait la retenue des 4/10,et au milieu de tout cela est venue la grande discussion des droits différentiels. Et, messieurs, nous avons eu la main tellement heureuse qu'il a suffi que nous fissions quelque changement pour que nous arrivions au résultat absolument contraire de celui que nous désirions obtenir. Nous avons eu la main tellement heureuse, que l'industrie du sucre se trouve dans le marasme le plus complet. Nous avons eu la main tellement heureuse qu'aujourd'hui commerce et industrie, navigation et agriculture, canne et betterave, tous paraissent être frappés par une espèce de cataclysme.
La question des sucres, messieurs, est-elle donc insolvable ? La coexistence des deux industries est-elle impossible ? Il faudrait le croire quand nous voyons tout ce qui s'est déjà passé dans cette enceinte. Car nous avons vu des projets faits par les hommes les plus compétents dans la matière, venir échouer l'un après l'autre contre l'expérience. Il faudrait le croire surtout, quand on voit aujourd'hui le projet que nous présente le gouvernement et dans la rédaction duquel il a eu les lois antérieures pour se guider, quand on voit, dis-je, ce projet attaqué d'un côté par l'industrie exotique, attaquée de l'autre côté par l'industrie indigène. D'un côté, on vous dit que le rendement, tel qu'il est fixé par le gouvernement, n'est pas assez élevé ; de l'autre, on vous dit qu'il l'est beaucoup trop ; et il serait possible, messieurs, que dans chacune de ces hypothèses les deux opinions eussent raison.
Ainsi je crois que lorsqu'on applique le rendement à certaines qualités de sucre, à des sucres extrêmement riches, il peut être vrai que le rendement proposé n'est pas assez élevé.
D'un autre côté, lorsque le sucre exotique vous dit que le rendement est trop élevé, il peut aussi avoir raison ; car si on applique ce rendement aux sucres moins riches, aux sucres de Manille, par exemple, alors bien certainement le chiffre proposé est trop élevé.
Messieurs, il faut une espèce de courage pour étudier la question des sucres. Il en faut surtout, lorsqu'on n'appartient pas à l'industrie. Je conçois très bien la défiance que doivent inspirer à la chambre les paroles d'un homme qui vient vous dire qu'il n'appartient à aucune industrie. Cependant, messieurs, j'ai cru devoir étudier cette question des sucres, dégagé de toute influence. L'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter dans cette chambre n'est pas intéressé, ou du moins est un des moins intéressés dans la question. Nous n'avons plus d'établissements de sucre exotique, et nous ne cultivons pas la betterave.
Dans mon opinion, messieurs, la cause des difficultés que nous rencontrons, c'est que nous sommes dans un système complétement vicieux, et que tout ce que nous pouvons faire, en restant dans le système qui nous guide aujourd'hui, doit nous maintenir dans un état provisoire et nous faire revenir, dans un temps plus ou moins éloigné, sur ce qui s'est passé.
Je pense, messieurs, que la question des sucres est tout à fait exceptionnelle, et que ce sont des mesures exceptionnelles qu'il faudrait y appliquer. Ces mesures exceptionnelles, voici comment je les entends.
Je crois qu'il faut frapper le sucre pour ce qu'il contient, c'est-à-dire établir un droit pour la partie de sucre propre à l'exportation, un second droit pour la partie de sucre bâtard, pour la cassonade, et un troisième droit moins élevé encore pour le sirop.
M. Dumortier. - C'est très juste. C'est le seul moyen.
M. Mast de Vries. - De cette manière, messieurs, voici les résultats auxquels on arriverait.
Je voudrais, messieurs,. que l'on remboursât à l'industriel qui exporterait, tous les droits qu'il aurait payés sur la quantité de sucre exportée, non seulement les droits d'accise, mais aussi tous les autres qu'il aurait eu à payer.
Le gouvernement, messieurs, n'aurait rien à perdre, car l'industrie des sucres morte, comme elle est sur le point de l'être, il est évident que nous ne percevrons plus rien. Cette restitution des droits aurait lieu sur les diverses espèces de sucre, à l'exportation, sur le sucre bâtard, sur le sirop, comme sur le sucre en pain, d'après ce qu'ils auraient payé, mais toujours de manière que la restitution serait intégrale, proportionnellement aux parties exportées.
Permettez-moi, messieurs, de faire une application. Je suppose qu’une quantité de 100 kil. de sucre de Havane, par exemple, soit introduite, que dans ces 100 kil. il y en ait 75 de sucre exportable pains lumps ou candis, tels qu'on les fournit pour l'exportation. Je voudrais qu'on rendît tout ce qui a été payé sur ces 75 kil. de sucre de premier choix, lorsqu'ils seraient exportés, et non seulement, je le répète, les droits d'accise, mais aussi de douanes. Je suppose que ces 100 kil. de sucre en contiennent ensuite 15 de sucre bâtard, et 10 kilogrammes de sirop ; je voudrais que les droits sur le sucre bâtard et sur le sirop fussent aussi totalement restitués, lors de l'exportation de ces qualités.
Je sais, messieurs, qu'on va me dire que ce système rencontrerait des difficultés dans l'application. On soutiendra, je pense, qu'il est impossible de déterminer les quantités de sucre de diverses espèces que contiennent telles et telles qualités. Mais remarquez, messieurs, que vous n'échapperez pas aujourd'hui à cette difficulté. Car votre rendement porte aussi sur différentes qualités de sucre, et vous êtes obligés de prendre une moyenne.
Ainsi, M. le ministre des finances vient de vous dire qu'il proposait de fixer le rendement à 69. Mais il y a telle espèce de sucre qui ne contient pas 69 kilog. de sucre fin, tandis que telle autre espèce en contient davantage. Ainsi, pour établir votre rendement, vous êtes obligés de calculer comme je le fais.
Il y aurait une autre difficulté, ce serait d'indiquer sur chaque déclaration à l'entrée les diverses espèces de produits qui seraient retirés du sucre importé. Ainsi pour 100 kilog. de sucre de Manille, par exemple, il faudrait indiquer qu'il en sera retiré tant de kilogrammes de sucre propre à l'exportation, tant de sucre bâtard, tant de sirop. Mais ce serait là un travail d'employés qui ne prendrait que peu de temps.
J'ai la conviction, messieurs, que ce système, bien élaboré, bien appliqué, est le seul qui puisse nous faire atteindre le but que nous désirons, et que nous serons obligés d'en venir là.
Cette question, telle que je la pose, est la même, messieurs, pour la betterave.
Nous connaissons, d'après ce qui se passe à l'étranger, ce que peut produire la betterave. Eh bien ! vous frapperiez la betterave, non, comme vous le faites aujourd'hui, en établissant le droit sur le sucre brut, mais en l'établissant sur les produits réels qu'on en retire.
Remarquez, messieurs, que dans mon opinion, l'impôt serait le même pour les deux sucres. Toutefois si vous vouliez que l'industrie du sucre prît des développements, vous pourriez lui accorder une prime pendant quelques années.
Je crois, messieurs, que le moyen que j'indique est le seul qui puisse rendre les deux industries prospères. Vous n'auriez d'ailleurs aucune crainte à concevoir pour les revenus du trésor. Car le sucre qui serait consommé dans le pays, payerait les droits, et vous pourriez fixer ce droit à tel taux que vous voudriez, sans nuire à l'exportation, puisque tout ce qui serait exporté ne payerait rien.
Voilà, messieurs, l'opinion que j'ai sur la loi des sucres. Le projet que l'on vous soumet est une nouvelle loi provisoire, et tellement provisoire qu'à peine vous est-elle présentée, que M. le ministre des finances est obligé d'y apporter, des changements. Cette loi, messieurs, nous la referons (page 1611) dans deux ans comme nous la refaisons aujourd'hui, avec cette différence que vous aurez encore quelques-uns de vos industriels qui seront restés sur le carreau/
Messieurs, la question des sucres me paraît d'une telle importance, que je crois que chacun doit faire connaître ce qu'il regarde le plus utile dans l’intérêt de la chose publique. J'ai donc tenu à vous faire connaître mon opinion. Le système que j'indique est peut-être nouveau ; je ne sais s'il a été étudié. Mais c'est chez moi une conviction qu'il est le seul praticable ; et c'est tellement chez moi une conviction, que je pense que quoi que vous puissiez faire, vous n'en sortirez point ; ce sera aujourd'hui la betterave qui se plaindra, demain ce sera le sucre exotique, et, malheureusement, ces plaintes seront fondées de part et d'autre.
Voilà ce que j'avais à dire dans la discussion générale ; je verrai si, dans la discussion des articles, je dois encore prendre la parole. Au reste, je dois convenir que le projet du gouvernement présente des améliorations à la législation actuelle ; mais ces améliorations sont incomplètes et elles doivent toujours l'être avec le système actuel ; elles pèchent, à mes yeux, par leur caractère provisoire. Nous avons vu dépérir nos plus beaux établissements, la navigation, le commerce, tous les principaux éléments de la prospérité nationale. Il est plus que temps de remédier à un pareil état de choses.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, nous abordons une question de la plus haute importance, tant dans l'intérêt du trésor, de la classe ouvrière, de plusieurs industries, en même temps que dans l'intérêt général, en fait d'économie politique.
Vous allez décider, messieurs, entre les intérêts des producteurs de la Havane, du Brésil et autres colonies qui produisent du sucre brut, d'un côté ; et de l'autre, des intérêts des producteurs de sucre brut indigène belge.
Enfin, messieurs, vous allez décider s'il est avantageux à la Belgique de favoriser les producteurs indiens au détriment des producteurs belges. Vous allez décider :
1° Si nous devons favoriser l'industrie étrangère au détriment de notre industrie.
2° Vous allez décider enfin, si nous accorderons du travail à la classe ouvrière étrangère au détriment de nos populations ouvrières.
3° Et, si nous sacrifierons les intérêts des producteurs de houille, de noir animal, des toiles, des poteries,, de l'industrie métallurgique qui fournissent les mécaniques nécessaires à la fabrication du sucre tout à l'avantage des habitants des colonies qui fabriquent le sucre de canne.
4° Consentirons-nous à dépenser annuellement de 10 à 12 millions en faveur de l'étranger, quand nous pouvons les distribuer à une industrie du pays et pour la plus grande partie à la classe ouvrière belge ?
5° Accorderons-nous à l'étranger la faveur de nous approvisionner de ses produits, d'une valeur de 10 à 12 millions, quand nous pouvons les produire nous-mêmes sans réduire les autres produits, je dirai même en augmentant les produits ordinaires en grain et en nourriture du bétail ?
6° Consentirons-nous à ce que le trésor fasse le sacrifice de 2 à 3 millions annuellement, afin de favoriser le placement du sucre de la Havane et du Brésil, concurremment avec les sucres des colonies hollandaises ?
Telles sont, messieurs, les principales questions que vous avez à résoudre.
Et je n'hésite pas un instant à dire qu'à l'unanimité elle sera résolue dans l'intérêt du pays ; tous, nous sommes dirigés par un esprit de patriotisme qui ne peut me laisser le moindre doute sur la solution de cette grande question.
Elle sera résolue dans l'intérêt de la Belgique, j'en ai la conviction ; car, messieurs, prenons-y garde, ne donnons pas à l'Europe un bien triste spectacle en représentant le parlement belge divisé en deux camps, l'un marchant sous le pavillon brésilien, l’autre combattant sous le drapeau tricolore belge.
Les questions que je viens de poser, si elles étaient justifiées, seraient résolues. L'intérêt belge ne peut être sacrifié, je n'en forme pas le moindre doute.
Je vais chercher à vous démontrer la vérité des faits que j'ai avancés en vous déclarant que s'il m'était démontré que je suis en erreur, je n'hésiterais pas un moment à changer d'opinion.
C'est-à-dire que si l'on me prouvait que le commerce de sucre exotique est plus avantageux au pays que la production indigène, je voterais avec les défenseurs des produits étrangers, n'étant nullement intéressé personnellement ni dans l'une ni dans l'autre de ces deux industries qu'on se permet de considérer, abusivement, comme deux industries rivales.
D'abord je vais démontrer qu'il n'existe aucune rivalité entre le raffinage du sucre et la production. Pour qu'il y ait rivalité entre deux industries, il faudrait qu'elles produisent les mêmes fabricats ou les mêmes choses.
Or, je vous le demande, les raffineurs produisent-ils du sucre ? Non assurément, ils ne font que rendre plus propre à la consommation une matière produite par une autre industrie.
D'où il résulte qu'il doit être indifférent au raffineur d'employer dans ses raffineries, soit le sucre de canne, soit le sucre de betterave.
Si toutefois on se bornait à raffiner, et telle est l'opinion des raffineurs qui travaillent pour la consommation du pays, les sucres exotiques auxquels la loi qui nous est soumise sera autant préjudiciable qu'aux fabricants du sucre indigène, ceux-ci conviennent qu'il leur est indifférent de raffiner l'un ou l'autre sucre ; mais il n'en est pas ainsi des raffineurs qui travaillent les sucres indiens pour l'exportation.
Ceux-ci, aux termes de la loi qui nous est soumise, au rendement de 72 58 centièmes, parmi exportant cette même quantité de 72 et demi kilos de sucre de la catégorie A, et sont liquidés envers le trésor de 100 kilos sucre brut pris en charge.
Il leur reste de 24 à 25 kilos de sucre et mélasse sur lesquels l'Etat n'a perçu aucun impôt et qui, livrés à la consommation, indemne de droit, viennent concourir avec les sucres indigènes, lesquels ont payé le droit intégralement.
Il est donc inexact de prétendre que l'industrie du raffinage du sucre brut est rivale de l'industrie qui fabrique le sucre.
La rivalité ne peut exister qu'entre deux industries qui produisent des produits similaires ; on doit donc considérer comme rivales les fabriques de sucres de la Havane qui emploient la canne comme matière première, avec des fabriques de sucre qui emploient la betterave. Si vous admettiez qu'il y a rivalité entre le raffinage et la fabrication du sucre, vous devriez voir la même rivalité entre la production et le raffinage du sel, et si un jour nous découvrions une mine de sel brut, comme il en existe à Wielieza en Pologne, en proscririez-vous l'exploitation sous le prétexte spécieux qu'elle est la rivale des raffineries de sel exotique ? Dira-t-on que la forgerie qui raffine le fer est la rivale des fourneaux qui produisent le fer brut ? On serait autant fondé dans ces prétentions qu'on l'est en soutenant que la raffinerie des sucres est la rivale des fabriques qui produisent le sucre brut.
Il est donc incontestable que les fabriques de sucres étrangers sont les rivales des fabriques belges ; accorderons-nous une protection à l'une ou à l'autre de ces industries ?
A moins d'avoir deux poids et deux mesures, nous accorderons une protection suffisante à l'industrie belge qui fabrique des matières similaires aux fabriques étrangères en sucre, comme nous en accordons à toutes les autres industries ; celle-ci y a d'autant plus de droit que la matière première est le produit du sol.
Cette industrie devrait être protégée au même degré que le sont les industries houillères et métallurgiques ; et cette protection, vous la lui accorderez, j'en ai la conviction, dussiez-vous faire un sacrifice bien minime, si je le compare à la prime déguisée que vous avez accordée depuis 15 à 16 années aux raffineurs belges qui rectifient le sucre de canne étranger et qui n'ont eu d'autre avantage que le plaisir de lutter avec les raffineurs hollandais qui raffinent les sucres de leurs colonies, et en faveur desquels le gouvernement peut faire des sacrifices afin de favoriser le placement des sucres de canne qui sont la propriété de l’Etat.
En somme, depuis 15 ou 16 ans, la Belgique a sacrifié, environ 3 millions annuellement, afin de placer avantageusement les sucres de la Havane au détriment des sucres de Java.
Les producteurs du sucre de canne de quelques colonies ont seuls profité du sacrifice fait par la Belgique. Les raffineurs ne se sont pas enrichis ; ils n'ont pas partagé dans plus de 50 millions de sacrifices qu'a faits le trésor, à partir de 1832 jusqu'en 1845, pour favoriser ce commerce.
J'en donne ci-dessous le détail : en fixant la consommation de la Belgique à 13 millions de sucre brut annuellement, sous le régime de la loi de 1842, droit dédouane compris, l'impôt aurait dû rapporter :
(Note du webmaster : les Annales donnent ensuite, année par année, une évaluation de la différence entre le montant annuel qui aurait dû être perçu par l’Etat (5,5 millions de francs) et la recette effectuée. Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée. Il se termine par les mots suivants :)
(page 1612) Il devait rentrer au trésor sur l'accise sur les sucres de 1832 à 1845, la somme de 78,000,000 de francs. L'Etat n'a perçu que 19,000,000 de francs : Prime pendant cette période en faveur des raffineurs : 59,000,000 chiffre rond.
Il résulte des calculs qui précèdent que l'Etat a fait un sacrifice annuellement, taux moyen, de plus de trois millions en faisant une large part à la fraude, à partir de 1832 inclus 1845, et cela en faveur d'une industrie qui ne s'est pas enrichie, mais en faveur du Brésil et de la Havane principalement ; en même temps que des nations chez qui on a exporté ces sucres de canne raffinés en Belgique, et qui ont été vendus à perte, afin de soutenir la concurrence avec les raffineurs hollandais, qui raffinent les sucres de leurs colonies, tandis que nos raffineurs raffinent des sucres étrangers. En mot, la Belgique a fait un sacrifice d'environ 50 millions en 14 années, en faveur des producteurs de sucre de canne et des consommateurs étrangers.
D'après ce que je viens de démontrer, ne serez-vous pas tentés de croire que l'industrie du raffinage du sucre exotique est une industrie factice qui ne peut se soutenir à moins d'un subside de plus de 30 p. c. de la valeur des matières qu'elle rectifie, venant de l'étranger, laquelle réclame en outre la mort d'une industrie aussi importante que l'est la fabrication du sucre indigène ?
S'il s'agissait de deux industries belges qui produiraient, l'une du sucre de navet, l'autre du sucre de betterave, je voudrais les traiter sur le même pied en leur accordant la même protection ; mais, ici il s'agit, d'après la loi qui est en discussion, de protéger les producteurs étrangers au détriment des producteurs indigènes ; en un mot, défendrons-nous les intérêts indiens contre les intérêts belges ?
Là est toute la question. Vous êtes appelés à la décider.
Un autre point, fort important, mérite votre sollicitude, c'est la nécessité, je dirai même le devoir de donner du travail aux classes ouvrières, en encourageant la fabrication du sucre indigène en quantité suffisante et nécessaire à la consommation du pays.
Nous donnerons du travail à plus de 20 mille individus, tant pour la culture de la betterave que pour la fabrication de son sucre, et annuellement il serait distribué 4 à 5 millions de francs à la classe ouvrière si vous favorisez le sucre de betterave.
Tandis que, si nous consommons le sucre étranger, c'est aux populations étrangères que cette somme est distribuée pour la fabrication des sucres.
Serons-nous assez inhumains pour donner du travail aux classes étrangères au détriment des classes pauvres de notre pays ?
C'est ce que je ne puis croire. C'est ce qui ne sera pas.
Vous aurez plus de sympathie pour vos concitoyens que pour l'étranger, en lui accordant du pain en travaillant plutôt que d'en donner aux populations indiennes. C'est un devoir, c'est une justice, et, je n'en doute pas, vous serez humains et justes.
Ajoutez à ces considérations l'avantage que procure la fabrication du sucre indigène à d'autres industries, telles que houillère, métallurgique, toilière, fabricants de claies, de poterie, de noir animal et de chaux employés à la fabrication. L'état de ces divers produits, employés et indispensables à la fabrication du sucre, nous a été distribué : chacun de nous en a, j'en suis persuadé, une parfaite connaissance. Surabondamment je vais en donner connaissance.
(Note du webmaster : Les Annales reprennent ensuite un tableau intitulé : « comparaison entre les raffineries de sucre exotique et la fabrication du sucre indigène en admettant le travail de 15 millions de kilogrammes de sucre ». Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée.)
J'ai établi que chaque ouvrier employé dans les raffineries de sucre exotique promérite un salaire annuel de 300 fr., taux moyen, tandis que je n'ai porté qu'à 150 fr. le salaire de chaque ouvrier qui est employé à la fabrication du sucre indigène, vu qu'il n'est pas employé toute l'année.
Il résulte de ce compte que la fabrication de 15 millions de sucre brut nécessite une dépense de 6,723,500 fr., que le raffinage occasionne une dépense de 648,750 fr., et, en admettant que nos fabriques de sucre indigènes approprient leurs établissements à raffiner en même temps qu'ils fabriquent, il en résultera que les classes ouvrières et les producteurs des matières nécessaires à la fabrication du sucre, recevront annuellement la somme de 6,723,500 fr., tandis qu'en anéantissant la fabrication du sucre indigène les classes ouvrières et les diverses industries qui produisent les matières nécessaires au raffinage ne recevront que la somme de 648,750 fr. différence en moins 6,074,750 fr. au détriment du travail national ; en outre, l'industrie métallurgique sera privée de la fourniture des mécaniques nécessaires aux établissements qui fabriquent le sucre indigène, perte en capital, environ huit millions, et, en entretien et en remplacement plus de 400,000 fr. annuellement.
C'est donc une question de la plus haute importance que nous allons résoudre.
En adoptant le projet du gouvernement, nous anéantissons une industrie belge à l'avantage d'une industrie étrangère. Serons-nous étrangers avant d'être Belges ?
Non ! il n'en sera pas ainsi, nous ne sacrifierons pas l'intérêt général, l'intérêt des classes ouvrières, celui de diverses industries et l'intérêt du trésor, en faveur de la navigation qui nous importe les produits étrangers et qui part de nos ports sur lest.
Non, messieurs, nous serons Belges avant d'être Brésiliens, nous soignerons les intérêts généraux avant les intérêts de quelques spéculateurs qui se chargent de débiter les produits étrangers au détriment des produits du pays.
Nous soignerons nos intérêts et nous ne les sacrifierons pas en faveur de l'étranger.
J'ai eu l'honneur de vous dire que la production du sucre est un produit nouveau qui ne diminue nullement les autres produits et qu'au contraire il les augmente.
Je viens vous administrer la preuve de ce que j'ai avancé.
Le compte du produit d'un hectare de terre destiné à produire du petit trèfle, pour pâturage (et c'est dans cette espèce d'assolement qu'on cultive la betterave), approprié et ensemencé en betterave, parmi que cette terre soit bien défoncée et amendée avec un compost de chaux et de terre mélangées, un hectare donnera de 30 à 50 mille kilos de betteraves, et taux moyen et année commune au minimum 55 mille kilos déracines (betterave) qui, livrées à la fabrication :
1° rendent à raison de 5 p. c. en sucre brut 1,750 kil.
2° On obtient en outre en mélasse non cristallisable 1 et demi p. c, cette mélasse est destinée à la distillation, soit 525 kil. les 1,750 kilos sucre brut, rendront au raffinage en sucre (page 1613) cristallisé, à raison de 75 p. c, soit 1312 1/2 kil., en vergeoises, à raison de 7 p. c., 122 1/2 k. ; soit ensemble 1,435 kil. à livrer à la consommation. Report en mélasse, 525 kil.
3° Au raffinage on obtient encore à raison de 15 p. c, sur 1,730 kilos de sucre brut en mélasse destiné à la fabrication de l'alcool, soit 262 kil. Total en mélasse 787 kil.
En résidu destiné à la nourriture du bétail, 9,000 kilos, plus 1,000 kilogrammes de feuille. Si on ajoute au résidu 187 kilos de mélasse, ils font une bonne nourriture pour le bétail et qui remplace, et plus, la nourriture qu'aurait produite l'hectare cultivé en betterave ensemencé en petits trèfles ou autre fourrage destiné au pâturage du bétail, et veuillez bien le remarquer, c'est dans les terres destinées à produire des fourrages de l'espèce qu'on cultive la betterave. Ayant déduit des 787 kilos de mélasse la quantité de 187 kilos, destinés à mélanger avec les résidus, il m'en reste 600 kilos qui distillés, rendent, à raison de 50 litres par 100 kilos à 16 degrés, la quantité de 500 litres d'alcool représentant le genièvre qu'on retirerait du produit d'un demi-hectare ensemencé en seigle ; de manière que l'hectare cultivé en betterave a donné pour la nourriture du bétail au moins la même quantité de matière nutritive que s'il eût été ensemencé en fourrage ; plus le produit en alcool, représentant une demie-récolte en seigle ;
Et en outre 1,435 kilos de sucre soit en sucre et en alcool pour plus de 1,800 fr., dont les deux tiers, soit 1,000 fr., sont répartis entre les classes ouvrières et les diverses industries que j'ai désignées plus haut. Si un hectare donne un produit de 1,453 kilos de sucre propre à livrer à la consommation, voyons ce que les 1,600 hectares que l'association commerciale d'Anvers nous annoncent être cultivés en betteraves dans la Belgique donneraient :
1° En sucre à raison de 1,435 kilos par hectare, l'hectare donnant 1,435 kilos, 1,600 hectares donneront 2,296,000,soit deux millions deux cent quatre-vingt-seize kilos de sucre.
2° En alcool à raison de trois hectolitres par hectare, par 1,600 hectares, 4,800 hectolitres, représentant l'emploi de 16,000 hectolitres de seigle, ou au moins la nourriture de 8,000 individus pendant l'année à 2 hectolitres par tête et qui, estimés au prix de 14 fr., donnent une augmentation de produit des terres annuellement de 224,000 fr. Et en sucre, 2,296,000
Total. 2,520,000, soit plus de deux millions et demi.
Tel serait le résultat si, comme l'association commerciale d'Anvers était bien informée sur la quantité d'hectares de terres qui sont cultivées en Belgique, destinées à produire des betteraves ; ce n'est pas 1,600 hectares qui sont ensemencés en cette denrée, mais c'est plus de 2,000 hectares, pour obtenir environ trois millions de kilog. de sucre.. Admettons que par suite d'une protection suffisante on parvienne à encourager la fabrication du sucre indigène, vingt mille hectares de terres peuvent être destinés à la production de la betterave qui, destinées à la fabrication du sucre, donneraient :
1° En sucre propre à livrer à la consommation, à raison de 1,435 kil. par hectare, la quantité de 28,700,000 kilog. de sucre.
2° En alcool, 60,000 hectolitres, représentant la quantité de 200,000 hectolitres de seigle, qui doivent être employés à la fabrication de l'alcool. Soit l'on aurait en sus de l'approvisionnement en céréales, en plus la quantité nécessaire à pourvoir à la nourriture de 100,000 individus, à raison de 2 hectolitres par tête annuellement. Je passerai sous silence l'amélioration de ces vingt mille hectares, qui donneront de 20 à 25 p. c. en plus de froment après la culture de la betterave que s'ils avaient été cultivés en fourrage.
D'après ce qui précède, si chacun de nous était bien pénétré de l'exactitude de mes calculs, pas de doute que nous serions unanimes pour voter une loi protectrice de la fabrication du sucre indigène.
La question étant d'un intérêt majeur, je prie la chambre de ne rien précipiter. J'engage mes honorables collègues qui ne partagent pas mes convictions, de se donner la peine de vérifier mes chiffres avant de se prononcer sur la grave question qui nous occupe. Je n'ai pas l'amour-propre de me croire infaillible. Si j'ai erré, je reviendrai de mon erreur.
Par contre, si mes calculs sont trouvés exacts, ou à peu près, je ne forme pas le moindre doute que la chambre tout entière se lèvera comme un seul homme pour provoquer une loi des sucres qui favorise la production de cette matière, laquelle a un avenir certain, si nous lui accordons la protection qu'elle a droit de réclamer.
En résumé, messieurs, le parlement belge ne sacrifiera pas à l'avantage de l'étranger : 1° les intérêts du trésor compromis par le projet de loi qui nous est soumis, projet qui accorde une prime d'exportation de deux à trois millions aux raffineurs de sucre exotique, au détriment du producteur belge et qui n'aura d’autre résultat que de nuire à la production des sucres coloniaux hollandais, en même temps que d'assurer la consommation à bon marché du sucre, aux pays où ils seront envoyés, et cela au détriment du trésor belge.
C'est-à-dire que, pour concourir avec la Hollande, on devra vendre le sucre raffiné à un prix inférieur à celui du revient, perte qui sera réparée par l'impôt perçu sur le consommateur belge, par les raffineurs sur les excédants livrés à la consommation et sur lesquels l'Etat n'aura reçu aucun impôt.
En d'autres termes, sacrifierez-vous tous les ans deux à trois millions pour nuire aux produits des sucres hollandais en concourant avec les raffineurs des Pays-Bas, sur les marchés étrangers, dont la concurrence leur procure l'avantage de s'approvisionner de sucre à bon marché ?
2° Ferez-vous le sacrifice de plus de six millions destinés à vos classes ouvrières et à diverses industries en faveur des classes ouvrières et industrielles étrangères.
3° Renoncerez-vous à faire produire à la Belgique le sucre nécessaire à sa consommation, estimé de 10 à 12 millions annuellement, et cela sans diminuer en rien les autres produits ?
Bien au contraire, en améliorant le sol et en faisant produire de 20 à 25 p. c. les céréales ensemencées à la suite de la culture de la betterave, tant sous le rapport de la quantité que de la qualité.
4° En faisant produire au sol belge une matière propre à remplacer le seigle employé à la fabrication du genièvre.
En final, donnerez-vous la préférence à l'étranger de vous fournir ce que vous pouvez obtenir de votre sol, tout en augmentant les autres produits ? Accorderez-vous du travail aux populations étrangères quand vos classes ouvrières vous en réclament ? Non, messieurs, vous ne commettrez pas cet acte d'inhumanité. Cette question étant d'une haute importance, je prie mes honorables collègues de ne rien précipiter, de prendre tous les renseignements que l'industrie du sucre indigène a droit de réclamer, devant un jour figurer au premier rang des industries belges, et de ne se prononcer qu'après un mûr examen.
Je terminerai par vous demander de nouveau un examen approfondi de cette question, en vous assurant qu'aucun motif, autre que l'intérêt général, ne me guide ; c'est de profonde conviction que je défends une cause que je considère comme étant d'une haute importance pour la Belgique.
J'attendrai que tous les orateurs qui se proposent de me combattre, aient fait valoir leurs moyens. S'ils sont de nature à me convaincre, je reviendrai à leur opinion ; si au contraire, ils ne me persuadent pas, je chercherai à me défendre et à soutenir une cause que je considère d'une nationalité incontestable.
En adoptant que, par suite d'un encouragement convenable à donner à l'industrie de la fabrication du sucre indigène, on parvienne à obtenir la construction d'une quantité de fabriques nécessaire à fabriquer 26 millions de kilogrammes de sucre indigène en Belgique ; il suffirait de cultiver 18 mille hectares de terre en betterave, soit à raison d'un p. c. de nos terres labourables.
N. B. Je connais un cultivateur qui cultive en betterave plus de 30 p. c. des terres de son exploitation et qui récolte une quantité supérieure en céréales, qu'il ne récoltait avant cette culture, et qui nourrit plus de trente bêtes à cornes en plus qu'il ne nourrissait avant la culture de la betterave destinée à la fabrication du sucre.
On obtiendrait 15 millions de kil. de sucre nécessaire à la consommation ; en outre, 15 millions destinés à l'exportation dont le commerce se chargerait du placement à l'étranger au moyen d'une prime qui n'excéderait pas une dépense de la part du trésor de plus d'un million en faveur de l'exportation, ce qui réduirait l'accise à cinq millions, de 6 que doit percevoir l'Etat, s'il recevait le droit intégralement sur la consommation du sucre ; de manière que l'Etat aurait deux millions de recette en plus qu'il ne réclame, que la Belgique produirait pour environ 20 millions de plus qu'elle ne produit en sucre, que la Belgique produirait en alcool la quantité de 54 mille hectolitres de plus qu'elle ne produit, d'une valeur de plus de 270,000 fr., que la navigation, au moyen de cette prime d'un million, aurait le moyen de lutter sur les marchés étrangers avec la Hollande ; qu'elle aurait des matières encombrantes pour compléter ses chargements, et que par la suite au moyen d'encouragements qui ne nécessiteraient aucun sacrifice de la part de l'Etat, la production du sucre de betterave pourrait être quintuplée si le commerce trouvait le moyen de placer l'excédant des produits sur la consommation à l'étranger, soit 117 millions de kilogrammes. Alors si l'Etat voulait bien accorder deux millions de prime pour l'exportation et conserver 3 à 4 millions d'impôt sur la consommation du sucre, le pays produirait en sucre pour une valeur de 100 millions environ, en alcool environ 1 million 300 mille francs en plus qu'il ne produit, augmenterait la nourriture du bétail au moyen du résidu, augmenterait les produits en céréales sur les terres cultivées en betterave à raison de 25 p. c. tant en qualité qu'en quantité, ferait prospérer les diverses industries et procurerait du travail à la classe ouvrière qui, jouissant de plus d'aisance, consommerait sur une bien plus grande échelle les produits des autres industries et du commerce, en même temps que des produits sujets aux droits d'accises.
Méditez et jugez.
La séance est levée à 4 heures 1/4.