(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1425) M. de Villegas fait l'appel nominal à une heure et quart.
M. Huveners lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Villegas présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« La chambre des avoués établie près le tribunal de première instance de Gand, prie la chambre d'examiner, avant la fin de la session, le projet de loi qui apporte des modifications aux tarifs en matière civile. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Un nombre considérable d'habitants de la province de Liège, demande la libre entrée du bétail. »
M. Delfosse. - La pétition dont M. le secrétaire vient de donner l'analyse est celle que je vous ai annoncée, il y a quelques jours, lorsque j'ai appelé votre attention sur le prix élevé de la viande ; cette pétition est couverte d'environ 5,000 signatures. Je la recommande à l'examen attentif de la commission des pétitions et je demande qu'il soit fait un prompt rapport. Il s'agit d'une chose extrêmement urgente.
M. Dumortier. - C'est une chose très urgente ; il faut un prompt rapport.
M. Delehaye. - Messieurs, la question dont il s'agit dans cette pétition, a été déjà traitée plusieurs fois dans la chambre. Elle a entre autres été l'objet d'une discussion assez longue au mois de septembre dernier, lorsque nous avons voté des mesures extraordinaires par suite de la disette des pommes de terre, de sorte que chacun de vous peut connaître la portée de cette pétition.
Je ferai remarquer qu'à cette époque l'honorable ministre de l'intérieur actuel s'était opposé, dans l'intérêt de l'agriculture, à la demande de mon honorable ami M. Delfosse, qui proposait la libre entrée du bétail.
L’honorable M. de Theux disait alors que le bétail se vendait, dans ce moment, à bas prix, et qu'il fallait, dans l'intérêt de l'agriculture, que le prix fût assez élevé.
Or, aujourd'hui, messieurs, le bétail se vend à un prix très élevé, non pas seulement parce que nous sommes privés de la concurrence étrangère, mais parce que la plupart de nos étables sont privées de bétail.
Je vois l'honorable M. de Garcia faire un signe négatif. Mais je lui dirai que dans les deux Flandres il n'y a plus de bétail à vendre. Les cultivateurs eux-mêmes demandent à cor et à cri que l'on permette l'importation du bétail maigre ; ils demandent une mesure de cette nature afin d'être à même de pouvoir répondre plus tard aux besoins du pays, à un prix plus raisonnable.
Lorsqu'il y a six mois nous avons combattu la mesure que proposaient nos adversaires, nous avons dit qu'effectivement à cette époque la viande se vendait à bas prix, parce que les éleveurs s'en défaisaient à tout prix, mais que plus tard elle devrait renchérir. Les faits ont dépassé nos prévisions. La viande se vend à un taux plus élevé que nous ne l'avions prévu à cette époque, où elle était à bas prix, par ce motif surtout que les cultivateurs, ne pouvant se procurer que difficilement de quoi nourrir leur bétail, dépeuplaient leurs étables.
Je pense, messieurs, que dans cette circonstance il y a urgence qu'il soit statué sur cette pétition ; et qu'on pourrait, si le règlement ne s'y oppose, la renvoyer directement à M. le ministre de l'intérieur, sans la faire passer par la filière de la commission des pétitions.
Remarquez, messieurs, que le gouvernement a le moyen de faire cesser le mal que l'on signale ; il peut, sans l'intervention des chambres, permettre l'entrée du bétail étranger. Je crois qu'il devait d'autant plus recourir à cette mesure que chacun doit reconnaître que la viande se vend à un prix tel qu'elle n'est plus, je ne dirai pas à la portée de la classe indigente, qui ne s'en nourrit pas, mais de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie, qui aujourd'hui sont obligées de se passer de cet aliment.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - J'ai dernièrement fait part à la chambre des considérations politiques qui s'opposaient pour le moment à ce qu'il fût rien innové au tarif en cette matière. Je persiste encore plus fermement dans les observations que j'ai présentées dernièrement à la chambre. A mon avis, il y aurait la plus grande imprudence à innover quoi que ce soit dans le moment.
M. Lesoinne. - Je me joindrai à l'honorable M. Delehaye, pour appuyer le renvoi à M. le ministre de l'intérieur. Les circonstances qui ont amené le haut prix de la viande, auraient pu être prévues ; ce haut prix est le résultat du manque de denrées alimentaires pour les bestiaux, et tout fait présumer que ce haut prix se maintiendra encore longtemps.
La mesure que l'on réclame n'est d'ailleurs que temporaire, et je ne sais jusqu'à quel point elle pourrait compromettre les négociations avec un pays voisin. C'est une mesure qui avait été prévue avant ces négociations, puisque déjà dès le mois de septembre de l'année dernière les chambres avaient accordé au gouvernement les pouvoirs nécessaires pour admettre le bétail en franchise de droit.
M. de Garcia. - Je ne m'oppose nullement à ce que la pétition dont il s'agit soit prise en mûre considération par le gouvernement. Je crois cependant que nous ne devons pas montrer trop d'impatience de voir donner une solution à la question qu'elle soulève.
Je dois, messieurs, faire une observation relativement à ce qui a été dit que le bétail se vendait plus cher aujourd'hui que dans aucune autre circonstance. Je reconnais que cette assertion est fondée en ce qui concerne le bélail gras. Cela se conçoit ; les campagnards ont manqué de pommes de terre, qui servent généralement à engraisser le bétail.
En outre, la cherté du seigle a paralysé l'activité des distilleries et par suite diminué singulièrement la quantité du bétail qu'on engraisse ordinairement dans ces établissements. Voilà, je crois, les véritables causes de la cherté accidentelle du bétail gras.
L'entrée libre du bétail étranger doit-elle amener une diminution sensible dans le prix des viandes ? La chose est possible, s'il entre du bétail gras ; mais ce but ne sera pas atteint par l'entrée du bétail maigre, attendu que les habitants des campagnes n'ont pas encore les matières nécessaires pour pouvoir l'engraisser.
On dit que le bétail est à un prix plus élevé qu'il n'a jamais été. Je répondrai à cela que, pour la province de Namur, cette assertion n'est pas d'une exactitude parfaite pour les bêtes à cornes et pour les moutons que j'ai vus à des prix supérieurs à ceux d'aujourd'hui, et cela se conçoit, puisque les matières nécessaires à la nourriture des animaux manquent encore.
Vous voyez messieurs, que la question que l'on traite incidemment est assez compliquée et qu'il ne faut rien précipiter dans sa solution. Il faut rechercher les vraies causes du mal pour y porter remède, et je saisis cette occasion pour engager le gouvernement à faire constater, autant qu'il pourra, le prix du bétail de toute espèce, dans nos diverses provinces. Il peut facilement se procurer ces renseignements et s'assurer des prix actuels comparés aux années antérieures, par l'intermédiaire des gouverneurs et des commissions d'agriculture.
M. Delehaye. - Messieurs, je ne crois pas que mes paroles puissent rendre plus difficile l'issue des négociations. Nos voisins connaissent aussi bien notre position que nous-mêmes. Remarquez que la pétition est déposée sur le bureau et que nous ne faisons que répondre aux observations qui ont été faites à l'appui de cette pétition.
Remarquez, messieurs, que l'argument qu'on nous oppose lorsqu'il s'agit de négociations avec un pays quelconque, est toujours le même. Dernièrement encore on nous disait qu'il fallait prendre garde de compromettre nos négociations avec la France. Nous avons gardé le silence, nous n'en avons pas obtenu davantage.
Messieurs, je dois faire une observation à l'honorable M. de Garcia qui nous a parlé de la modicité du prix de la viande. Je dirai que je ne sais pas ce qui se passe dans la province de Namur, mais que ce n'est pas du tout le prix de la viande de mouton qui constitue le prix normal de la viande. En ce qui concerne les bêtes à cornes, il me paraîtrait fort étrange qu'elles fussent à vil prix dans la province de Namur, alors que dans une province voisine, dans celle de Liège, on se plaint de leur prix élevé. Du reste dans les Flandres la viande se vend si cher, qu'elle n'est plus accessible qu'a une partie de la bourgeoisie.
La pétition présente donc un intérêt d'actualité qu'on ne peut contester. Si cependant la chambre, par respect pour le règlement, ne voulait pas la renvoyer directement à M. le ministre de l'intérieur, je demanderai que la commission des pétitions soit invitée à en faire l'objet d'un prompt rapport.
M. Rodenbach. - Messieurs, je conviens avec l'honorable préopinant que la viande se vend très cher dans nos provinces. Mais, messieurs, la viande est également chère en Hollande. Depuis le commencement de ce trimestre, il est entré en Belgique beaucoup plus de bétail de Hollande que les années précédentes, malgré l'élévation du tarif.
Vous savez tous, messieurs, que c'est la calamité qui a frappé l'agriculture, qui a amené en grande partie la cherté du bétail. Maintenant que nous sommes à la veille de faire un traité avec la Hollande, il me semble que la politique nous commande d'attendre avec patience. cette attente d'ailleurs ne sera pas très longue. Car dans un mois ou six semaines le bétail gras sortira de nos prairies ; et déjà alors il y aura une diminution dans les prix.
J'ai aussi eu l'occasion de vous dire, messieurs, qu'on a tué beaucoup de bétail, parce que l'on n'avait pas de pommes de terre. Ce tubercule précieux manquant à l'ouvrier, il a dû se nourrir de viande. C'est ce qui fait que la quantité du bétail a considérablement diminué dans le pays.
(page 1426) J'ai aussi, à différentes reprises, attribué la cherté de la viande à une autre cause ; c'est que les droits d'octroi sont extrêmement élevés ; ces droits en effet sont beaucoup plus élevés que les droits de douane.
Il paraît, messieurs, que déjà la ville de Liège a permis la vente de la viande à domicile. Il est certain, et plus tard on s'en apercevra, que lorsque les bouchers, les négociants, les commerçants sont réunis, ils s'entendent et vendent beaucoup plus cher que lorsqu'ils vendent à domicile.
Messieurs, j'appuie le renvoi de la pétition à la commission des pétitions avec invitation de faire un prompt rapport. Mais je le répète, la prudence, la politique et l'intérêt de notre pays nous commandent de patienter. L'honorable député de Gand doit d'ailleurs savoir que la viande fût-elle à 30, à 60 p. c. meilleur marché encore, la classe malheureuse de la société ne pourrait en manger ; et c'est cette classe malheureuse que nous devons avoir en vue bien plus que la classe bourgeoise. Je sais bien que la classe ouvrière qui gagne des journées assez fortes, fait usage de viande ; mais il faut convenir que les trois quarts des malheureux de notre pays ne peuvent en manger. Ainsi sous ce rapport les conditions d'humanité n'ont pas tant de poids qu'on pourrait le supposer.
M. Delfosse. - Il me serait facile de répondre aux observations de l'honorable M. Rodenbach, mais je crois devoir attendre la présentation du rapport. Jusque-là toute discussion serait prématurée.
Si j'ai demandé le renvoi de la pétition à la commission des pétitions, c'est que c'est la marche tracée par le règlement ; sans cela j'aurais pu demander, comme l'honorable M. Delehaye, le renvoi direct à M. le ministre de l'intérieur ; si ma proposition est adoptée, le rapport sera fait sous peu de jours et le but de l'honorable membre sera atteint.
M. de Garcia. - Je n'ai pas dit, comme le suppose l'honorable préopinant, que le bétail fût à vil prix dans la province de Namur. J'ai uniquement avancé que pendant les années antérieures j'avais vu ce bétail plus cher qu'aujourd'hui. Pour combattre mon opinion, l'honorable membre a dénaturé mes paroles.
- Le renvoi à la commission des pétitions avec invitation de faire un prompt rapport, est ordonné.
« Plusieurs candidats notaires dans le canton de Perwez présentent des observations en faveur du projet de loi sur l'organisation du notariat. »
M. Jonet. - Messieurs, comme il importe que la chambre soit éclairée sur une loi aussi importante que celle du notariat, je demanderai l'insertion de cette pétition au Moniteur, et son renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi.
M. Delehaye. - Messieurs, vous aurez remarqué que toutes les fois que la chambre est saisie d'une question importante, il nous arrive un grand nombre de pétitions relativement à cette question, pétitions qui très souvent sont imprimées au Moniteur.
Cette insertion ne peut avoir qu'un but, c'est que nous puissions en prendre connaissance. Mais ces pétitions étant éparpillées dans un grand nombre de numéros, nous avons beaucoup de peine à les retrouver. C’est ainsi que pour la convention avec la France, nous sommes obligés de compulser le Moniteur de 3 ou 4 mois pour retrouver les pétitions qui nous ont été adressées sur cette convention. Cette manière d'agir entraîne un autre inconvénient ; il en résulte, messieurs, de très grandes dépenses pour le trésor, et, pour nous, beaucoup de difficultés dans les recherches. Ne vaudrait-il pas mieux que les pétitions que la chambre voudra livrer à la publicité, fussent imprimées comme pièces de la chambre ? Le mode serait plus économique et faciliterait nos recherches. Le but serait complétement atteint.
M. de Corswarem. - Je crois, messieurs, que si nous adoptions le principe de faire imprimer toutes les pétitions qui vont nous arriver relativement à la loi sir le notariat, nous entrerions dans une voie de grandes dépenses. Je proposerai de laisser à la section centrale le choix des pétitions dont elle croira la publication utile et de la charger de faire imprimer ces pièces à la suite de son rapport. Sans cela nous allons faire imprimer un grand nombre de pétitions qui diront toutes la même chose. Ensuite il est des pétitionnaires qui font imprimer eux-mêmes leurs requêtes, de sorte que pour celles-là l'insertion au Moniteur serait un double emploi.
Ainsi, messieurs, je propose de charger la section centrale de faire imprimer comme annexes à son rapport les pétitions qu'elle jugera mériter de fixer l'attention de la chambre.
M. Delehaye. - Je crois, messieurs, que l'honorable M. de Corswarem m'a mal compris. Je n'ai pas demandé que toutes les pétitions relatives à la loi sur le notariat fussent imprimées et distribuées aux membres de la chambre. J'ai eu en vue ce qui s'est fait pour la convention avec la France et pour la question des dérivations des eaux de la Lys, ainsi que pour plusieurs autres objets importants. Ordinairement la chambre ordonne l'insertion au Moniteur des pétitions relatives à des questions semblables. Eh bien, je demande qu'au lieu de faire insérer au Moniteur les pétitions dont on juge l'impression utile, on les fasse imprimer comme pièces de la chambre. Il résulterait de là, je le répète, une grande économie et une grande facilité pour nos recherches. Quant au public, il n'a que faire de toutes ces pétitions sur lesquelles il ne jette pas même les yeux.
Je n'ai, du reste, aucune objection à faire a la proposition de l'honorable M. de Corswarem.
- La proposition de M. de Corswarem est mise aux voix est adoptée. En conséquence la pétition dont l'analyse vient d'être présentée et les autres requêtes que la chambre pourra recevoir ultérieurement en ce qui concerne le projet de loi sur le notarial, seront renvoyées à la section centrale chargée de l'examen de ce projet, qui fera imprimer à la suite de son rapport celles de ces pétitions qui lui sembleront devoir fixer l'attention de la chambre.
M. Castiau, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé.
- Accordé.
M. Simons, au nom de la commission chargée d'examiner le projet de loi sur la circonscription cantonale, donne lecture du rapport suivant. - Messieurs, dans la séance du 29 avril dernier, vous avez renvoyé à la commission chargée d'examiner les projets de loi sur la circonscription cantonale, une pétition adressée à la chambre par les administrations communales de Vlytingen, Fall-el-Mheer, Vroenhoven, Canne, Eben-Emael, Bassenge, Roclenge, Wonck, Scihen-Sussen-Bolré et Lanayc (province de Limbourg).
Vous avez en même temps exprimé le désir qu'un prompt rapport vous fût fait à ce sujet ; organe de cette commission, j'ai l'honneur de vous présenter ce rapport.
La pétition, dont il s'agit, a pour but de faire cesser un état de choses qui porte un préjudice notable aux justiciables de ces localités. Avant les événements politiques de 1830, les dix communes prédésignées formaient, avec une partie de la ville de Maestricht, située sur la rive gauche de la Meuse, et avec la commune de St-Pierre, un canton distinct et séparé, sous la dénomination de canton de Maestricht Sud. La ville de Maestricht était le chef-lieu de ce canton et le lieu de résidence du magistrat attaché à cette justice de paix.
La Belgique, à la suite de sa révolution, prit possession de toute la province de Limbourg, la ville de Maestricht seule exceptée, qui continuait à être occupée par une garnison hollandaise.
Il résulte de là que les communes rurales qui ressortissaient à cette justice de paix furent de fait séparées de leur chef-lieu, et, par suite, l'action de la loi et le cours régulier de la justice furent forcément interrompus, pour cette partie du territoire belge. Force fut d'y porter promptement remède dans l'intérêt de la chose publique, autant que dans celui des justiciables en particulier. Aussi, sous la date du 15 novembre 1830, le gouvernement provisoire prit l'arrêté suivant :
« Le gouvernement provisoire,
« Sur le rapport du comité de la justice ;
« Voulant assurer l'action de la loi et le cours de la justice dans l'arrondissement de Maestricht, pendant le temps que le chef-lieu sera encore au pouvoir des troupes hollandaises ;
« Arrête :
« Art. 1er. Provisoirement, et aussi longtemps que la ville de Maestricht. sera au pouvoir des troupes hollandaises, les communes rurales qui ressortissent au canton Maestricht (sud), ressortiront à la justice de Bilsen ; etc., etc. »
Ainsi que vous l'avez remarqué, messieurs, cette mesure n'était que temporaire et provisoire ; elle devait cesser avec la cause qui l'avait rendue nécessaire. Ceci résulte à l'évidence de la contexture de l'arrêté dont je viens d'avoir l'honneur de vous donner lecture.
J'ajouterai que, chaque fois que le gouvernement a eu à émettre son opinion à ce sujet, il a reconnu la nécessité de la conservation de ce canton judiciaire ; sa position topographique et son éloignement des autres chefs-lieux cantonaux ne permettant pas de l'adjoindre à aucun des cantons judiciaires circonvoisins, sans de grands inconvénients. C'est ainsi que dans le projet de loi sur la circonscription cantonale du Limbourg et du Luxembourg, présenté à la sanction de la législature, le 30 décembre 1841, le gouvernement a formellement proposé le maintien de ce canton judiciaire, avec l'adjonction de la commune de Rumpst, sous la dénomination de canton de Sichen ; c'est ainsi encore, qu'à la suite du traité de paix avec la Hollande, la loi relative à la réorganisation du conseil provincial du Limbourg attribue au canton de Maestricht (Sud) l'élection de deux membres du conseil provincial, et celle, ayant pour objet la nouvelle circonscription judiciaire de la même province, porte textuellement que : « l'arrondissement judiciaire de Tongres comprend les cantons de Tongres, Bilsen, Mechelen, Maeseyck, Brée, Looz et la partie du canton de Maestricht (Sud) qui reste à la Belgique. »
La conservation du canton judiciaire dont il s'agit se trouve donc virtuellement consacrée par les deux lois, qui ont réorganisé les arrondissements administratif et judiciaire de la province de Limbourg, à la suite du traité de paix avec la Hollande ; aussi, depuis longtemps, il aurait été fait droit sans doute aux réclamations incessantes des localités intéressées, si les difficultés, que la circonscription cantonale a rencontrées dans son ensemble, au sein de votre commission, et sur lesquelles un rapport vous a été fait par son honorable président, n'y eussent mis obstacle.
Cet obstacle vient d'être levé par la décision prise par la chambre « que la commission ne s'occupera plus d'un travail d'ensemble, mais se bornera à délibérer sur les cas spéciaux qui peuvent se présenter, soit de la part du gouvernement, soit à la demande des parties intéressées. »
En conséquence, eu égard aux considérations signalées ci-dessus, votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la justice, avec demande de renseignements.
Par suite des mêmes considérations, M. le ministre de la justice concevra sans doute qu'il est urgent de donner une prompte suite à l'instruction de cette affaire.
(page 1427) M. de Renesse. - En appuyant les conclusions de la commission de la circonscription des cantons de justice de paix, je viens prier M. le ministre de la justice de vouloir faire instruire le plus tôt possible la juste réclamation des conseils communaux du canton de Maastricht sud ; j'ai lieu d'espérer que tous les renseignements que M. le ministre pourra recueillir sur cette affaire seront favorables à la demande des pétitionnaires ; il serait à désirer que, pendant le courant de la session actuelle, la chambre puisse prendre une résolution, conforme à la juste demande des habitants du canton de Maestricht sud, qui, déjà, à plusieurs années se sont adressés au gouvernement et aux chambres, pour que l'on fasse cesser le provisoire où se trouve ce canton depuis 1830. Son ancien chef-lieu de la justice de paix était alors la ville de Maestricht, restée au pouvoir de la Hollande ; il est donc urgent que ce canton obtienne un autre chef-lieu, que l'on fasse droit aux justes réclamations de ses habitants, puisqu'il paraît décidé que l'on ne discutera pas le projet général de la circonscription des justices de paix.
- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.
M. Zoude, au nom de la section centrale du budget des finances, dépose le rapport sur la demande d'un crédit de 80,000 fr. pour l’établissement d'un atelier d'affinage à l'hôtel des monnaies.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.
M. Liedts remplace M. Dumont au fauteuil.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Cette demande de crédit est assez urgente. Je ne prévois pas qu'elle donnera lieu à discussion. Ne pourrait-on pas la mettre à l'ordre du jour à la suite de la discussion du projet de loi relatif au canal de Deynze à Schipdonck ? On pourrait la voter au commencement d’une séance.
M. de Brouckere. - Je demanderai si la session sera close sans que nous ayons discuté le budget de la guerre. (Non ! non !) C'est que je vois continuellement charger l'ordre du jour. Nous avons encore à discuter plusieurs projets qui doivent être l'objet d'un vote avant la fin de la session, notamment la convention avec la France, et le budget de la guerre.
Un membre. - Le rapport n'est pas présenté.
M. de Brouckere. - Je demande qu'il soit présenté le plus tôt possible ; sans cela nous ne pourrions pas voter le budget de la guerre dans la session actuelle.
- La proposition de M. le ministre des finances, relative à la mise à l'ordre du jour du crédit de 80,000 fr., est mise aux voix et adoptée.
M. le ministre des finances (M. Malou) présente un projet de loi tendant à autoriser le gouvernement à liquider la pension du sieur de Wargnies, ancien juge au tribunal de Bruxelles, révoqué de ses fonctions en 1830. Il propose de renvoyer ce projet à l'examen d'une commission spéciale.
- La chambre adopte cette proposition et décide que la commission sera nommée par le bureau.
M. le ministre des finances (M. Malou) présente ensuite le budget du département de la guerre pour l'exercice de 1847. Il donne lecture de l'exposé des motifs, qui est ainsi conçu :
La chambre ordonne l'impression et la distribution du projet de budget et de l'exposé des motifs qui l'accompagne et le renvoie à l'examen des sections.
M. de Brouckere. - Que la chambre me permette de revenir sur l'observation que j'ai faite tout à l'heure. Je désirerais savoir quand la chambre sera mise à même de discuter le budget de la guerre.
M. le président. - Il m'est très difficile de répondre à cette question. Des renseignements avaient été demandés au prédécesseur de l'honorable ministre actuel. M. le ministre actuel a déclaré qu'il désirait faire beaucoup de changements au budget. Jusqu'ici il n'a pas fait parvenir ses propositions à la section centrale, de sorte qu'elle n'a pas pu continuer son examen.
M. de Garcia. - L'explication que vient de donner l'honorable président, me dispenserait en quelque sorte d'en donner de nouvelles. La section centrale s'était adressée au département de la guerre pour lui demander des renseignements. Est arrivée l'indisposition de l'honorable général Dupont, puis sa retraite, puis l'avènement d'un ministre nouveau. Il est résulté de tout cela que jusqu'à présent les renseignements demandés n'ont pu être fournis. S'il m'est permis de parler d'une conversation que j'ai eue avec l'honorable chef actuel du département de la guerre, je dirai que dans sa pensée il croyait que, par la présentation du budget pour l'exercice 1847, la section centrale et la chambre seraient mises à même d'apprécier son opinion sur plusieurs demandes d'explications qui lui étaient adressées.
C'est un des motifs pour lesquels la section centrale a dû différer l'examen du budget de l'exercice courant.
M. Lebeau. - Ne pourrait-on pas prier M. le ministre de la guerre d'expliquer ses intentions ? M. le ministre voudrait-il, par hasard, que l'on commençât par le budget de 1847 ? Je ne lui en ferais pas un grief, car si le budget de 1847 contenait toute la pensée de M. le ministre, je comprendrais, quoiqu'il y eût là quelque chose de fort étrange, je comprendrais qu'il demandât à la chambre de voter d'abord le budget de 1847. Remarquez, messieurs, dans quelle position se trouve M. le ministre de la guerre : M. le ministre de la guerre paraît avoir consigné ses vues sur le service de l’armée dans le budget de 1847, et dès lors si ce budget était voté, je crois que le budget de 1846 marcherait tout seul. Je crois, messieurs, qu'il conviendrait que M. le ministre de la guerre s'expliquât devant la chambre ; la section centrale ne peut pas ainsi être frappée d'inertie. Je demanderai que M. le ministre soit invité à faire connaître, dans une prochaine séance, ses intentions à l'égard de ses deux budgets.
M. le ministre des finances (M. Malou). - - Je regrette que l'honorable M. Lebeau n'ait pas bien compris la pièce dont j'ai donné lecture. Mon honorable collègue de la guerre a cru que pour hâter l'examen du budget de 1846 il était utile de résumer dès à présent ses vues sur l'application du fonds de l'armée, en présentant le budget de 1847. Maintenant dès que le budget sera imprimé, l'ordre naturel des idées indique la marche à suivre : M. le ministre de la guerre se rendra au sein de la section centrale et l'on pourra introduire au budget de 1846 les amendements qui auront été convenus entre lui et la section centrale. C'est pour hâter l'examen du budget de 1846 que le budget de 1847 a été présenté.
M. Maertens dépose 47 projets de loi de naturalisation ordinaire.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports.
M. Dumortier. - Je crois, messieurs, qu'avant d'aborder l'objet à l'ordre du jour, il importe que la chambre décide ce qu'elle entend faire relativement aux séances des derniers jours de cette semaine et à la séance de lundi ; demain c'est un jour de fête.
Vraisemblablement, la majeure partie des membres qui habitent à de petites distances de Bruxelles s'en retourneront dans leurs familles ; il est à croire que les deux jours qui se trouvent entre la fête et le dimanche, il n'y aura pas de séance ; d'un autre côté, lundi, ont lieu les élections provinciales, et chacun de nous voudra sans doute être à son poste pour ces élections. Je pense être l'organe de mes collègues, en proposant à la chambre de fixer sa prochaine séance à mardi prochain. (Adhésion.)
- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.
En conséquence, la chambre se réunira en séance publique mardi prochain à 2 heures.
M. le président. - La discussion générale continue sur le chapitre XIX, instruction publique.
La parole est à M. Orts.
M. Orts. - Messieurs, dans sa séance du 30 août 1842, la chambre, à une majorité de 75 voix contre 3, a voté la loi de l’enseignement primaire, loi qui a été promulguée le 23 septembre de cette année. C'est avec intention que je rappelle ces dates et l'espace de temps qui nous sépare de l'époque de la promulgation de la loi, parce que ce fait exerce une grande influence sur l'examen que je compte faire de la marche suivie et de la conduite tenue par le gouvernement dans la mise à exécution de la loi.
Le ministère de 1840 appelé à énoncer son opinion sur le projet de loi de 1834, la formula par l'organe d'un de ses membres, l'honorable ministre de la justice, M. Leclercq ; voici ce qu'il disait dans la séance du 27 février l841. (L'honorable représentant donne lecture de ce passage.)
C'est sur ce terrain que fut placée la discussion au mois d'août 1842 ; la loi fixa d'une manière précise la compétence respective du pouvoir civil et de l'autorité ecclésiastique. L'article 7 de la loi plaça la surveillance des écoles, quant à l'instruction et à l'administration, sous la tutelle de l'autorité communale.
Quant à l'enseignement de la religion et de la morale, la surveillance de ces deux branches, mais de ces deux branches seulement, fut confiée aux délégués des chefs des cultes.
Cette loi, messieurs, fut votée, nous devons le reconnaître, dans un esprit de patriotique conciliation, sous la foi de l'exécution franche, complète et surtout impartiale des dispositions qui assuraient au pouvoir civil son indépendance, sa liberté d'action, la jouissance pleine et entière de tous ses droits.
La loi donnait au pouvoir civil des garanties ; ces garanties ont-elles été maintenues par l'exécution donnée à la loi ? Voilà sur quel point va porter l'examen que je me propose de faire.
Je signale trois points principaux comme constituant la non-exécution de la loi de l'enseignement primaire.
Le premier, c'est la formation des instituteurs eux-mêmes ; c'est la question la plus grave, parce qu'avant de savoir ce qu'il faut faire des élèves, il faut chercher à leur donner de bons maîtres.
Le second point est celui qui concerne le règlement intérieur de l'école ; j'entends par là le programme fixant les matières de travail, la répartition des heures de leçons. Un règlement devait être arrêté par chaque commune, c'était la prescription formelle de l'article 15 de la loi.
Enfin, une troisième mesure bien sage était celle des concours à établir entre les différentes écoles communales d'une province. Cela faisait l'objet spécial des articles 29 à 32 de la loi.
Je commence par la question relative à la formation des instituteurs. C'est la loi du 23 septembre 1842 et les arrêtés organiques à la main, que je compte établir que le gouvernement n'a pas exécuté, non seulement les promesses qu'il avait faites lors de la discussion de la loi, mais les promesses successivement faites par les arrêtés organiques.
(page 1428) L'article 10 de la loi sur l’enseignement primaire porte :
« Art. 10. La nomination des instituteurs communaux a lieu par le conseil communal, conformément à l'article 84, n° 6, de la loi du 30 mars 1836.
« Pendant les quatre premières années de la mise en exécution de la présente loi, toutes les nominations seront soumises à l'agréation du gouvernement. Après ce délai, les conseils communaux choisiront leurs instituteurs parmi les candidats qui justifieront d'avoir fréquenté avec fruit, pendant deux ans au moins, les cours de l'une des écoles normales de l'Etat, les cours normaux adjoints par le gouvernement à l'une des écoles primaires supérieures, ou les cours d'une école normale privée ayant, depuis deux ans au moins, accepté le régime d'inspection établi par la présente loi.
« Toutefois, les conseils communaux pourront, avec l'autorisation du gouvernement, choisir des candidats ne justifiant pas de l'accomplissement de cette condition. »
Ainsi, messieurs, c'était dans les écoles normales de l'Etat, dans les écoles normales privées adoptées et dans les cours normaux attachés aux écoles primaires supérieures, qu'on devait prendre les candidats pour remplir les places d'instituteurs.
Le 10 novembre 1845, un arrêté royal vint organiser les deux écoles normales du gouvernement ; un autre arrêté du 20 du même mois fixa le siège de ces écoles à Lierre et à Nivelles.
Dès le 17 décembre 1845, un autre arrêté royal, à la demande des chefs de diocèse, adopta sept écoles normales du clergé, placées dans cinq diocèses ; savoir : celles de St-Roch et de St-Trond (diocèse de Liège), celle de Bonne-Espérance (diocèse de Tournay), celle de Roulers (diocèse de Bruges), celle de St-Nicolas (diocèse de Gand), celles de Malonne et de Bastogne (diocèse de Namur). Il y avait donc là sept écoles normales du clergé, indépendamment des deux écoles normales de l'Etat, à la tête desquelles ont été placés deux directeurs appartenant au clergé, bien que, lors de la discussion de la loi, l'on eût réclamé de la part de M. le ministre de l'intérieur des explications sur la question de savoir s'il ne conviendrait pas de confier la direction, au moins d'une des deux écoles normales de l'Etat, à une personne laïque ; deux directeurs ecclésiastiques furent donc placés à la tête des deux écoles normales de l'Etat ; ce qui fait en compte rond 9 écoles normales dirigées par le clergé.
Maintenant le maximum des cours normaux attachés à des écoles primaires supérieures ne pouvait être que de 9, car il ne pouvait y en avoir qu'une seule par province.
Eh bien, messieurs, combien existe-t-il de cours normaux organisés près des écoles primaires supérieures ? Aucun.
Ainsi, messieurs, en reportant votre attention sur l'article 10 de la loi, il est clair qu'à partir du 17 décembre 1845, les élèves sortis des écoles normales du clergé, et qui justifieront avoir fréquenté l'une des écoles pendant deux ans, auront le même droit que les élèves sortis des écoles normales de l'Etat à être nommés instituteurs communaux. C'est le 23 septembre 1846, que cette disposition de l'article 10 de la loi du 23 septembre sera obligatoire.
Voyons maintenant ce qui a été fait relativement à l'organisation des cours normaux qui devaient être annexés à une école primaire supérieure dans chaque province ; toutefois avant de passer à l'examen de l'exécution prétendument donnée sous ce rapport à la loi du 23 septembre 1842, qu'il me soit permis de me reporter au projet de loi de 1834 et de voir comment le ministre qui avait présenté ce projet, entendait l'organisation de ces mêmes cours normaux. L'article 18 du projet de loi portait :
« Des professeurs spéciaux seront nommés pour donner pendant une partie de l'année dans les écoles modèles des leçons sur les différentes méthodes d'enseignement. »
Au-dessus de ces cours, le projet de loi de 1834, dans son article 19, plaçait l'établissement d'une école normale pour l'enseignement primaire ; avec faculté, pour le gouvernement, d'en créer successivement deux autres.
Voilà quelle était la pensée des deux commissions qui ont examiné le projet de 1834, projet sur lequel s'était expliqué le ministère de 1840.
Il s'agissait là de nommer des professeurs spéciaux chargés près des écoles primaires supérieures, d'enseigner les différentes méthodes, d'enseigner en un mot la pédagogie. Voyons maintenant ce qu'a fait la loi du 23 septembre 1842 et l'arrêté organique pris en exécution de cette loi.
L'article 35 porte :
« Dans chaque province des cours normaux pourront être adjoints par le gouvernement à l'une des écoles primaires supérieures. »
Cela faisait, si on avait exécuté la loi, neuf cours normaux près des écoles primaires supérieures. Un arrêté royal du 18 avril 1845 organisa les écoles primaires supérieures. L'article 8 de cet arrêté est très remarquable sous le rapport de l'organisation à donner aux cours normaux qui devaient être attachés aux écoles primaires supérieures ; il est ainsi conçu :
« En exécution du § 2 de l'article 35 de la loi organique, il sera annexé à l'une des écoles primaires supérieures dans chaque province une section d'élèves aspirants instituteurs. »
« Un règlement particulier, arrêté par notre ministre de l'intérieur, déterminera tout ce qui a rapport aux cours pédagogiques de cette section. »
Voilà bien une prescription formelle dans un arrêté royal, dans un arrêté organique pris en exécution de la loi que vous avez votée en 1842.
Eh bien, une section d'élèves aspirants a-t-elle été attachée à chacune de ces écoles primaires supérieures ? Un règlement a-t-il été proposé ? Rien ! Voulez-vous savoir ce qu'on a fait des écoles primaires supérieures sous le rapport des cours normaux ?
On a, sans s'inquiéter de la nomination de professeurs spéciaux pour enseigner les méthodes, la pédagogie ; sans s'occuper d'organiser une section spéciale où ces leçons devaient être données, on a distribué quelques bourses à des jeunes gens qui fréquentaient l'école primaire supérieure, du moins à Bruxelles, car je ne sais ce qui s'est fait dans les autres chefs-lieux de province ou d'arrondissement étrangers à ma province.
A Bruxelles ou a accordé la dispense de payer les minervalia ou des bourses dans la proportion de 75 à 200 fr., à des jeunes gens de 11 à 12 ans fréquentant non pas le cours le plus avancé de l'école primaire supérieure, mais qui se trouvaient dans le cours moyen. Deux de ces jeunes gens qui avaient achevé leurs études, ont quitté l'école et sont allés on ne sait où.
Après avoir fait un simulacre d'exécution en donnant à des jeunes gens une dispense de payer les minervalia, ou une des bourses d'étude créées par la loi, on les laisse là ; on donne des bourses à des jeunes gens de 11 à 12 ans incapables de devenir professeurs ou qui ne le deviendront que dans quatre ou cinq ans ; mais des leçons de pédagogie, aucune ; ces jeunes gens fréquentent les cours de l'instruction primaire supérieure, mais quant à des leçons de pédagogie, quant à l'enseignement des méthodes, ils n'en reçoivent pas la moindre tradition. Cependant voilà quatre ans que tout cela devait être exécuté.
Maintenant vous avez vu que l'arrêté organique du 10 avril 1843 promettait un règlement particulier qui devait déterminer tout ce qui avait rapport aux cours de méthode, de pédagogie. Un règlement est intervenu ; savez-vous quand ? Le 1er mars dernier. Mais ne vous attendez pas à y voir la moindre trace concernant l'organisation des cours normaux. C'esl uniquement un règlement d'ordre intérieur pour les écoles primaires supérieures ; il est inséré au Moniteur, sous la date du 25 mars ; on y trouve un autre arrêté organique des commissions administratives des écoles primaires supérieures. Mais, je le répète, ni dans le règlement d'ordre intérieur, ni dans l'arrêté d'organisation des commissions administratives, on ne trouve un seul mot concernant l'organisation des cours normaux qui, aux termes de la loi et de l'arrêté organique du 10 avril 1843, doivent être créés.
Comment expliquez-vous une négligence pareille qui se prolonge pendant quatre ans en présence de dispositions formelles de la loi et d'un arrêté royal organique ? On parle de tout ceci d'une manière fâcheuse. Je ne suis que l'écho d'un bruit.
Je n'ai pas l'habitude d'affirmer quand je n'ai pas les pièces à la main. On parle de convention occulte, d'une espèce d'engagement entre le gouvernement et les chefs du culte catholique qui aurait pour but de laisser provisoirement sans exécution cette organisation si solennellement promise. Si l'inculpation n'est pas vrai, elle est du moins très vraisemblable, car ces faits nombreux de négligence, cette apathie en présence de prescriptions formelles d'une loi et d'un arrêté organique ne peuvent s'expliquer autrement. Je poserai un dilemme : ou celle convention existe ou elle n'existe pas ; si elle existe, je ne saurais comment la qualifier ; si elle n'existe pas, pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas exécuté la loi ?
Les choses en sont arrivées à ce point que je crois qu'il conviendrait quand il sera temps, car une pareille proposition ne peut pas se faire à propos de la discussion du budget, je crois qu'il conviendrait de proroger de deux ou quatre ans le délai fixé par l'article 15 de la loi qui doit expirer au mois de septembre prochain, relativement aux élèves sortant des cours normaux qui depuis longtemps auraient dù être organisés près des écoles primaires supérieures et qui n'existent pas encore.
Je crois en avoir dit assez sur ce point ; je passe à une autre question fort grave, l'inexécution de l'article 15 de la loi du 23 septembre 1842. Voici la teneur de cet article :
«. Un règlement arrêté par le conseil communal, sur la proposition de l'inspecteur provincial, l'inspecteur cantonal entendu, et approuvé par la députation permanente, sauf recours au roi, déterminera, dans chaque commune, la rétribution des élèves, le mode de recouvrement, les jours et les heures du travail, les vacances, le mode de punition et de récompense. »
La loi, comme j'ai déjà eu l'honneur de le faire observer, n'attribue aux délègues des chefs du culte que la surveillance de l'enseignement de la morale et de la religion ; elle leur appartient de par la loi et en vertu de la mission de ministres des autels qui leur est confiée ; eux seuls sont compétents à cet égard.
L'article 8 indique la manière de s'assurer des résultats de cette surveillance ; les inspecteurs ecclésiastiques font un rapport de leurs observations au chef du diocèse ; ce chef en réfère au ministre qui adresse par l'intermédiaire du gouverneur ses observations à la commune s'il y a lieu. Vous sentez combien il est important que le règlement d'ordre intérieur qui fixe les matières de l’enseignement, les heures de leçons consacrées à chaque branche, le tout en exécution de l'article 15 de la loi, soit arrêté le plus tôt possible, pour chaque commune possédant une école communale. C'est au gouvernement qu'incombait de faire proposer par ses agents, les inspecteurs provinciaux, ces règlements que les communes devaient ensuite discuter et arrêter. A Bruxelles ce ne fut que dans les premiers mois de 1844, que le projet de règlement fût proposé par l'inspecteur provincial et dès le 11 mai, il fut arrête par le conseil.
Mais il est une foule de communes où ce règlement n'existe pas ; c'est à cette absence de règlement qu'il faut attribuer que les délégués du chef du culte s’immiscent souvent dans d'autres affaires que celles qui leur sont attribuées par la loi.
L'on a vu dans plusieurs communes le programme qu'avait arrêté l'autorité communale complétement bouleversé par les inspecteurs ecclésiastiques
(page 1429) Hier mon honorable collègue et ami M. Verhaegen vous a entretenus de ce qui s'est passé à Ath. Voici la réclamation que, le 25 avril dernier, le conseil communal de la ville d'Ath adressait au gouverneur du Hainaut :
« Ath le 25 avril 1840.
« Monsieur le gouverneur,
« Nous venons de faire une visite à notre école communale, et nous avons vu avec étonnement, qu'à notre insu, l'inspecteur ecclésiastique a ordonné à notre instituteur communal, lors de sa dernière tournée, des modifications qui nous paraissent de nature à compromettre l'instruction de la classe pauvre.
« En effet, jusqu'ici on se bornait à faire dire la prière aux jeunes élèves, au commencement et à la fin de chaque classe et à donner une leçon de catéchisme. Maintenant, d'après de nouveaux ordres, la prière doit avoir lieu quatre fois dans chaque classe, ce qui fait huit fois par jour, plus deux leçons de catéchisme qui durent chacune une demi-heure.
« Remarquez, monsieur le gouverneur, qu'il ne s'agit pas d'une simple prière, puisque, quatre fois par jour, on recommence la prière page 9 du catéchisme de Tournay, l'oraison dominicale, la salutation angélique, le symbole des apôtres, les commandements de Dieu, les commandements de l'église, les actes de foi, d'espérance, de charité et de contrition, sans compter les autres prières qui sont dites pendant le cours de la classe, de sorte que nos jeunes élèves sont au moins la moitié du temps à genoux et en prières.
« Nous sommes loin de nous opposer, monsieur le gouverneur, à l'enseignement religieux ; au contraire, nous tiendrons toujours la main à que la religion du Christ soit enseignée dans les établissements soumis à notre direction ; mais il nous semble qu'il y a des limites, et que la part de l'instruction scientifique doit aussi faire l'objet de notre constante sollicitude.
« Nous serions désireux de savoir en vertu de quel texte de loi M. l'inspecteur ecclésiastique se permet de bouleverser l'organisation de notre école, sans se donner la peine de nous consulter, et nous vous prions, M. le gouverneur, de vouloir bien l'inviter dorénavant à se borner à remplir, près de notre école, les obligations qui lui sont imposées par la loi du 23 septembre 1842, sans empiéter sur nos attributions. »
Maintenant de deux choses l'une : ou l'inspecteur provincial civil du Hainaut avait proposé au conseil communal d'Ath le règlement voulu par l'article 15 et ce conseil l'avait discuté et arrêté après délibération ; ou bien il n'y a pas encore de règlement en exécution des prescriptions de cet article. Dans le premier cas, il est évident que l'inspecteur ecclésiastique ne pouvait violer le règlement, bouleverser toutes les heures de travail, tout le programme de l'enseignement. Dans le second cas (celui où il n'y aurait pas de règlement) la faute en est à l'inspecteur provincial civil, qui aurait négligé de le proposer au conseil.
Ainsi vous voyez que, sous le rapport si intéressant de l'organisation même de l'école, quant aux matières enseignées et aux heures de travail, il y a très souvent absence d'action de la pari du gouvernement dans le chef de ses agents les inspecteurs provinciaux.
Je passe maintenant à une autre omission grave. Il s'agit de l'organisation des concours entre les élèves des écoles primaires, conformément à l'article 29 de la loi du 23 septembre 1842.
Cet article 29 porte : « Des concours pourront être institués, soit par ressort d'inspection, soit par canton, en réunissant les écoles indistinctement ou en séparant celles des villes d'avec celles des campagnes.
« La participation à ces concours est obligatoire pour les établissements soumis au régime de la présente loi et facultative pour les écoles privées.
« Une bourse pourra être accordée par le conseil provincial à celui des élèves qui, peu favorisé de la fortune, aura subi les épreuves du concours avec le plus de distinction. »
Les articles 30 et 31 de la loi organique déterminent la composition du jury d'examen qui doit présider à ces concours.
L'article 32 prescrit un règlement préparé par l'inspecteur provincial et arrêté par la députation permanente, qui fixera les matières d'examen et déterminera le mode et la durée des concours, ainsi que l'époque à laquelle ils auront lieu.
Lorsque le projet de loi fut soumis à la discussion, on avait fait observer qu'au lieu de rendre ce concours facultatif, il fallait le rendre obligatoire, sauf à en déterminer l'époque et le mode par un arrêté royal. L'honorable M. Nothomb s'opposa formellement à ce que ce concours fût obligatoire.
« Je pense (disait-il) qu'il ne faut pas établir d'une manière absolue dans la loi qu'il y aura nécessairement des concours, et qu'il y en aura chaque année ; je pense qu'il faut laisser cela à décider. »
Eh bien, voilà 4 ans que l'on attend une décision, un premier essai !
Cependant cette mesure du concours avait déjà subi l'épreuve d'un essai. Avant la loi de 1842, les provinces avaient établi des concours. La province de Brabant en avait organisé un entre les élèves des diverses écoles du ressort provincial. Ce concours avait produit les meilleurs résultats. Il fut suivi d'une distribution solennelle des prix qui eut lieu le 30 juillet 1842 ; et là on vit la petite ville de Hal emporter des prix concurremment avec les écoles de la capitale. Il est évident que l'institution des concours est l'aiguillon le plus puissant, non seulement pour les élèves, mais encore pour les instituteurs ; cette institution est la source d'une noble émulation qui tourne tout entière au profit de la science.
L'honorable M. Castiau avait rappelé l'exécution de cette disposition de la loi au ministre de l'intérieur lors de la discussion du budget de l'année dernière ; il disait que, dans le Hainaut, ce concours entre les établissements de la province avait été couronné du plus beau succès. M. le ministre promit de s'en occuper ; il fit entendre que si ces concours n'avaient pas eu lieu jusqu'alors, c'est qu'il avait fallu, avant tout, instituer les autorités nouvelles, que suppose la loi. Or ces autorités nouvelles ne sont autres que les inspecteurs civils et ecclésiastiques.
Il est assez singulier d'entendre alléguer un pareil prétexte en 1845, alors que, par des arrêtés royaux successifs du 4 octobre 1842 au 22 novembre 1843 tous les inspecteurs avaient été nommés et qu'ils étaient depuis lors en plein exercice de leurs fonctions.
Ainsi plus de deux ans se sont écoulés depuis que la nomination de tous les inspecteurs a eu lieu conformément à la loi, sans qu'on ait encore songé à donner la moindre exécution aux dispositions des articles 29, 30, 31 et 32.
Et l'on dira que c'est là exécuter la loi ! C'est une dérision que de le supposer. Je ne sais quelles circonstances fatales pèsent sur cette partie de nos institutions. Mais il est évident qu'un bras, je ne sais lequel, qu'une puissance occulte arrête le gouvernement dans sa marche.
En résumé, je déclare qu'il y a eu de la part du gouvernement, pendant ces 4 ans, une inconcevable apathie, une négligence coupable en ce qui concerne l'organisation des cours normaux près des institutions urbaines ; car j'avais oublié de vous dire, qu'à l'occasion de la discussion de l'article 35 de la loi du 23 septembre 1842, M. le ministre de l'intérieur faisait apprécier combien était importante pour les villes l'institution des cours normaux attachés aux écoles primaires supérieures. Voici comment M. Nothomb s'exprimait à ce sujet :
« J'ai proposé la formation de deux écoles normales du gouvernement, et de plus j'ai demandé, pour le gouvernement, l'autorisation d'annexer à l'une des écoles primaires, par province, des cours normaux.
« Il faut faire une distinction importante, quand il s'agit des candidats, à former pour l'instruction primaire. Il faut distinguer entre les écoles rurales et les écoles urbaines.
« Rarement, et très difficilement on pourra former des candidats, dans le même établissement, pour ces deux espèces d'écoles. Je considère les deux écoles normales comme destinées, non exclusivement, mais principalement, à la formation des instituteurs des campagnes et des villes d'un ordre très secondaire. Les instituteurs urbains se formeront et se perfectionneront ailleurs, dans les cours qui seront annexés aux écoles primaires supérieures. On a cru qu'il y avait une espèce de double emploi dans mes deux propositions. Il n'en est rien. Ces deux propositions ont deux buts différents. »
Maintenant, demandez-vous, quel sera le résultat de la conduite du gouvernement ? C'est qu'au 23 septembre prochain, l'on ne manquera pas de candidats instituteurs pour les campagnes ; mais qu'on n'en trouvera que fort peu pour les villes.
Messieurs, c'est tuer la loi que de l'exécuter de cette manière, ou plutôt c'est faire d'une œuvre de conciliation l'instrument d'un parti.
S'abstenir pendant quatre ans de mettre à exécution les sages mesures qui devaient rassurer l'opinion libérale contre l'absorption de l'instruction primaire par l'autorité cléricale, c'est justifier cette défiance qui, à l'époque du 23 septembre 1842, pouvait n'être qu'un sentiment inspiré par de craintives prévisions, mais qui désormais devient un devoir commandé par l'expérience.
Nous ne le perdrons pas de vue en présence de la discussion de la loi sur l'instruction moyenne.
L'article 10 de la loi sur l'enseignement primaire, en maintenant la commune dans le droit de nomination de ses instituteurs qui lui était attribué par l'art. 84 de la loi communale, avait circonscrit le choix des candidats dans des limites, qu'une exécution impartiale des dispositions écrites dans les articles 35 de celle loi, et 8 de l'arrêté du 10 avril 1843, pouvait justifier.
Mais lorsqu'à côté des deux écoles normales du gouvernement, nous voyons sept écoles normales du clergé adoptées, depuis deux ans et demi, sans que jusqu'à ce jour un seul des cours normaux près des écoles primaires supérieures soit organisé ; il n'est personne de nous qui ne doive reculer devant la possibilité de voir sanctionner par la loi sur l'enseignement moyen des conventions, en vertu desquelles les conseils communaux abdiqueraient, en faveur de l'autorité ecclésiastique, leurs droits de nomination, de révocation du personnel enseignant et de direction de leurs établissements d'instruction moyenne.
Indépendance du pouvoir civil, inaliénabilité des prérogatives communales, voilà ce que l'honorable M. Van de Weyer avait stipulé à l'article 5 de son projet de loi ; voilà ce qui doit reparaître en principe, quelle que soit sa formule, dans le projet qui sera soumis à la discussion et au vote de la chambre.
Sous ce rapport, toutes les destinées du pouvoir civil se résument en ces mots : Etre ou ne pas être.
Soutiens des droits constitutionnels du peuple, vous ne vous rendrez pas coupables d'un suicide.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, dans la séance d'hier, un honorable député de Bruxelles, qui a voté contre la loi sur l'instruction primaire, en a fortement blâmé l'application et les résultats. Néanmoins, d'après les renseignements que j'ai pris, je puis assurer que cette loi a donné la plus grande impulsion à l'instruction primaire, que des résultats immenses ont déjà été obtenus par suite de cette loi.
On a parlé, messieurs, a cette occasion de l’influence exorbitante du clergé. Eh bien, messieurs, cette loi a eu pour objet de donner une extension toute particulière aux institutions civiles consacrées à l'enseignement primaire.
(page 1430) Il est très vrai, messieurs, que le clergé exerce une part d'influence en ce qui concerne l'enseignement de la religion et de la morale. Mais enfin, cette influente qu'il exerce, il l'exerce en vertu de la loi, et en vertu d’une loi adoptée à peu près à l'unanimité des voix dans les deux chambres ; parce qu'en effet, messieurs, on a senti qu'en initiant toutes les classes à un degré assez avancé d'instruction, il convenait en même temps de donner à ces classes de nouvelles garanties de religion et de moralité.
On a parlé de la nomination des inspecteurs civils. Pour apprécier, messieurs, si ces nominations ont été bien faites, j'ai dû m'enquérir de la manière dont ces inspecteurs remplissent leur mission, et d'après les renseignements que j'ai obtenus sur ce point, je puis encore assurer qu’ils remplissent leurs fonctions avec beaucoup de zèle et d'intelligence.
L'honorable M. Orts semble regretter que le gouvernement ait placé à la tête des écoles normales de Lierre et de Nivelles deux ecclésiastiques. Vous vous rappellerez, messieurs, que dans la discussion de la loi sur l'enseignement primaire, on avait proposé d’imposer au gouvernement l'obligation de faire choix d'ecclésiastiques pour diriger les écoles normales. On a cependant soutenu que cette disposition ne pouvait pas être insérée dans la loi, que le gouvernement devait avoir toute liberté à cet égard. Mais en même temps on est convenu assez généralement de l'utilité qu'il y aurait à ce que les directeurs de ces établissements fussent des prêtres, et en voici les motifs. Les instituteurs sont chargés de donner l'enseignement de la religion dans presque toutes les écoles primaires. Il faut donc que dans les écoles normales les instituteurs soient parfaitement initiés à la connaissance de la religion qu'ils se chargent d'enseigner. D'ailleurs, messieurs, si au lieu de placer des prêtres à la tête de ces établissements, on y avait placé des personnes laïques, on aurait dû faire choix de personnes qui présentassent des garanties de religion. Dès lors les résultats étaient exactement les mêmes.
L'honorable M. Orts a attaqué mon prédécesseur, l'honorable M. Nothomb de ce qu'il n'avait pas organisé les cours normaux dans chacune des provinces. Effectivement, messieurs, le gouvernement a la faculté d'organiser des cours normaux près d'une école primaire supérieure dans chaque province. C'est une faculté qui lui est laissée par la loi ; ce n'est pas une obligation. Il est essentiel d'établir cette distinction. Néanmoins des cours normaux préparatoires ont déjà été organisés dans sept villes. Mais une disposition de mon prédécesseur exigeait que pour les deux dernières années de l'enseignement normal qui seraient données au moyen des cours attachés à une des écoles primaires supérieures, il y eût un pensionnat pour les élèves qui se destinent à l’enseignement primaire, afin qu'ils s'y formassent eux-mêmes à la pédagogie. L'honorable M. Orts n'a pas critiqué cette disposition. Mais qu'est-il arrivé pour la ville de Bruxelles ? Trois élèves avaient été admis par le gouvernement et étaient désignés pour suivre comme internes les cours normaux ultérieurs. Le ministre s'est adressé à la régence pour obtenir un local. La régence n'a pas cru devoir en accorder un, et alors mon honorable prédécesseur, M. Van de Weyer, a déclaré qu'il ne serait donné pour le moment aucune suite à cet enseignement. Voilà ce que j'ai appris par des renseignements que j'ai pris dans les bureaux.
Je sais au contraire que la ville de Bruges a fourni le local nécessaire pour permettre que les élèves achèvent les études normales près de son école primaire.
L'honorable membre s'est demandé s'il existait une convention entre le gouvernement et le clergé, ayant pour objet de suspendre l'exécution de cet article de la loi. Je dois déclarer, messieurs, qu'il n'existe aucune espèce de convention à cet égard ; je n'en ai jamais entendu parler.
L'honorable membre a regretté que ces cours normaux n'aient pas reçu jusqu'à présent leur pleine institution et qu'ils n'aient pas produit de grands résultats. Il a pensé que ces cours normaux étaient d'une nécessité absolue pour former les instituteurs pour les villes. Je puis déclarer encore que l'honorable membre est dans l'erreur. Car je sais que les écoles normales de l'Etat fournissent des instituteurs aux villes aussi bien qu'aux campagnes. Je ne puis assurer le fait, mais on vient même de me dire qu'un élève de l'école de Lierre a été nommé instituteur à Bruxelles. Dans tous les cas, messieurs, je suis persuadé que les écoles normales qui existent dans le pays peuvent fournir des instituteurs très capables, pour enseigner aussi bien dans les villes que dans les campagnes. D'ailleurs, si cela n'était pas, il faudrait pousser l'organisation au point d'obtenir ce résultat.
L'honorable membre a aussi parlé de l'absence de programme dans certaines communes. Il vous a dit que ce programme existait pour la ville de Bruxelles, mais qu'il semblait qu'il n'en existait pas pour la ville d'Ath dont il vient de parler. Il m'a paru cependant, d'après la teneur des observations communiquées à la chambre, qu'il existait aussi un règlement pour Ath, mais qu'on se plaignait que ce règlement aurait été en quelque sorte bouleversé, qu’on ne s'y serait pas conformé. J'ignore ce qui peut s'être passé à cet égard, l’honorable membre nous a lu une correspondance entre l'administration centrale et l'administration provinciale. L'honorable M. Verhaegen ayant parlé hier de ce fait, j'ai voulu prendre des renseignements, mais on n'a pu m'en donner aucun. Ainsi je m'abstiendrai d'en parler.
Dans tous les cas, messieurs, si les règlements n'existent pas partout comme ils sont prescrits par la loi, il n'y a pas de doute qu'il faudrait les établir. La loi est impérative à cet égard.
L'honorable membre nous a également parlé des concours. Messieurs, les concours sont encore facultatifs aux termes de la loi. Que jusqu'à présent il n’en ait pas été fait l'essai, il me semble qu'il n'y a pas lieu de s'en étonner. La loi est seulement de la fin de 1842 ; elle est à peine mise à exécution, et je crois que l'on a bien fait de ne pas précipiter la création de ces concours.. Il sera bon de procéder graduellement en cette matière, pour s'assurer des résultats.
On a parlé des concours qui avaient été établis dans quelques provinces avant le vote de la loi sur l'enseignement primaire. Eh bien ! je crois pouvoir dire que l'on a été loin d'obtenir de ces concours les résultats que l'on s'en était promis. Du reste, ceci n'est pas un motif pour s'abstenir de faire l'essai des concours ; ils sont facultatifs et nous en ferons l'essai.
Je crois, messieurs, avoir rencontré succinctement toutes les observations qui ont été présentées.
M. Orts. - Messieurs, je dirai un mot relativement à la demande qui a été faite à la ville de Bruxelles, de fournir un local pour y interner les élèves qui, dans l'intention de devenir professeurs, désireraient suivre les cours normaux. La ville de Bruxelles a répondu ce que répondront toutes les villes qui n'ont pas de locaux à leur disposition. Elle a dit que bien qu'elle ne fût nullement tenue en vertu de la loi à fournir ces locaux, elle regrettait beaucoup de ne point en avoir pour une destination aussi utile.
Mais prenons-y garde, messieurs ; la loi dit bien que chaque ville dans laquelle se trouve établie une école primaire supérieure du gouvernement, doit fournir l'habitation à l'instituteur. Mais elle ne dit nulle part que la commune doit fournir un local pour l'internat.
Si les villes se refusaient à fournir des locaux, tandis qu'elles n'y sont par obligées par la loi, le gouvernement trouverait donc dans ce refus une fin de non-recevoir pour se dispenser d'établir les cours normaux ; C'est là un moyen fort commode que se crée le gouvernement pour se justifier de l'inexécution de la loi.
M. Rogier. - Messieurs, on a souvent rappelé dans nos dernières discussions, que la loi du 25 septembre 1842 sur l'instruction primaire, a été votée à la presque unanimité des membres de cette chambre ; on en a tiré une induction tout honorable pour le gouvernement et pour l'esprit de conciliation qui avait animé les membres de la chambre. Messieurs, j'ai donné ma voix à la loi sur l'instruction primaire ; j'ai fait preuve, en cela, ainsi que plusieurs de mes amis politiques, d'un grand esprit de conciliation. Si la loi était représentée aujourd'hui dans les mêmes termes, je ne dis pas quel serait mon vote ; mais si j'avais pu prévoir alors jusqu'à quel point le gouvernement pouvait porter, dans son exécution, l'oubli de ses devoirs et de ses droits, oh ! certes, messieurs, une pareille loi n'aurait pas reçu mon approbation.
Voilà bientôt 4 années que cette loi a été votée et si le gouvernement avait rempli consciencieusement les devoirs qu'elle lui imposait, il n'aurait certainement pas reculé devant l'obligation qui lui était faite de présenter aux chambres un rapport sur l'état de l'instruction primaire ; ce rapport devait être fourni à la fin de la troisième année qui a suivi la promulgation de la loi.
C'est donc depuis le 23 septembre 1845 que le gouvernement est en retard d'exécuter cette prescription si importante de la loi. Je ne fais pas un grief personnel à M. le ministre de l'intérieur actuel de n'avoir pas fourni ce rapport immédiatement, mais je pense qu'il est grand temps qu'il s'en occupe. Quant à son prédécesseur (je ne parle pas de l'honorable M. Van de Weyer), je regrette qu'il ne soit pas ici afin de se défendre, mais ses anciens collègues le feront sans doute pour lui.
Il y a eu, messieurs, de la part du gouvernement deux genres de fautes commises et par ce qu'il a fait, et par ce qu'il n'a pas fait dans l'exécution de cette loi si importante.
Lorsque l'opinion libérale, celle qui dans toute la discussion avait, et souvent à défaut du gouvernement lui-même, joué le rôle de défendre les prérogatives du pouvoir civil, tout en accordant au clergé une part et une part très large, lorsque cette opinion disait que l'on allait bien loin, que la part du clergé était trop forte, on lui répondait : « Mais nous obtenons un grand point ; nous obtenons l'inspection civile ; cette inspection civile s'étendra aux écoles laïques et aux écoles du clergé lui-même. Ayez confiance en l'action des inspecteurs civils, ils sauront défendre les droits de l'autorité laïque. »
Nous avions vu, messieurs, sous l'ancien gouvernement, ce qu'étaient ces inspecteurs civils. Ces inspecteurs étaient en général choisis parmi les hommes les plus honorables de nos provinces.
Ainsi, dans la province de Liège, nous avions pour représenter le gouvernement le président actuel de la cour de cassation, cet homme éminent qui vient de porter, sur le rôle du clergé dans ces luttes politiques, un jugement si élevé et destiné à produire, je l'espère, une salutaire impression.
Voilà, messieurs, dans quels rangs, parmi quelles intelligences, on prenait alors les inspecteurs de l'enseignement primaire.
Voilà, messieurs, où l'autorité laïque allait chercher ses représentants et voilà aussi où l'opinion libérale croyait pouvoir trouver des garanties d'une inspection sérieuse et indépendante. Eh bien, messieurs, à en juger par un assez grand nombre de nominations, peut-on dire que le ministère ait voulu donner à ses inspecteurs civils ce caractère d'autorité, cette considération dont ils avaient si grand besoin pour ne pas être effacés et en quelques sorte annihilés par les délégués de l'épiscopat ? Je ne veux point ici faire la guerre à des noms propres. J'admets que dans certaines localités des choix convenables ont pu être faits, mais on pourrait en signaler beaucoup d'autres qui ne répondent nullement à la dignité des fonctions dont il s'agit, qui portent sur des hommes qui sont avant tout serviteurs humbles des évêques et non pas les agents indépendants de l'autorité civile.
Je sais, messieurs, que plusieurs de ces choix n'ont pas été dictés par les besoins réels de l'instruction primaire ; que tel candidat, très (page 1431) respectable, a été repoussé comme suspect de libéralisme, que tel autre n’a dû l’honneur de sa nomination qu'au plus ou moins d'influence qu'il s’attribuait dans tel arrondissement au moment des élections.
Ainsi, messieurs, une loi dont on ne voulait pas, disait-on, faire une loi de parti, une loi qui, par son objet même, devait dominer tous les partis, celle loi dans l'exécution d'une de ses dispositions essentielles est devenue aux mains du gouvernement un instrument politique, un moyen électoral !
Une autre disposition plus importante encore que l'inspection, c'est celle qui est relative à la formation des instituteurs. Un bon instituteur, messieurs, c'est toute l'école. Vous aurez beau créer des écoles, si vous placez à leur tête des instituteurs peu instruits, peu moraux, vos écoles seront désertes, vos dépenses seront inutilement faites.
Nous attachions, nous, une grande importance à l'établissement de bonnes écoles normales, nous en demandions trois ; il n'en fut accordé que deux, mais, par fiche de consolation, par une espèce de compensation, on nous dit : « Le gouvernement se trouve, il est vrai, en présence de 7 écoles normales des évêques ; il se contente, lui, de deux écoles normales, mais il va adjoindre, dans chaque province, à une école primaire supérieure, des cours normaux où il pourra se former des instituteurs. » De cette manière on établissait une sorte d'équilibre entre le clergé et le gouvernement : le clergé avait ses 7 écoles normales ; le gouvernement en avait 2 et 9 cours normaux adjoints aux écoles primaires supérieures. Eh bien .messieurs, de quelle manière encore cette partie de la loi a-t-elle été exécutée ? Vous allez en juger.
Le clergé (je constate des faits je ne l'en blâme pas ; je trouve que le clergé a parfaitement raison à son point de vue de faire ce qu'il a fait), le clergé avait établi depuis plusieurs années ses écoles normales. Le gouvernement n'en possédait aucune ; la loi lui prescrivait d'en établir immédiatement deux. Cette loi était du 23 septembre 1842. Eh bien, ce ne fut qu'un an plus tard que le gouvernement songea à établir ces écoles normales. Une des dispositions de la loi porte que 4 ans après sa promulgation aucun instituteur communal ne pourra être nommé que parmi les élèves sortis des écoles normales de l'Etat, des écoles normales agréées, qui sont celles des évêques, ou des cours normaux attachés aux écoles primaires supérieures.
Nous voilà bientôt arrivés au délai fatal après lequel toutes les communes seront obligées de nommer leurs instituteurs dans une de ces catégories d'élèves.
En ce qui concerne les écoles normales de l'Etat, à peine est-on arrivé à temps pour fournir à la fin de cette année une trentaine d'élèves aux communes qui devront choisir des instituteurs parmi les aspirants instituteurs sortis de nos écoles normales. Viennent alors les sept écoles normales du clergé, qui sont en mesure d'en fournir dans la proportion de 7 à 2, en supposant que leurs écoles ne soient pas plus peuplées que celles de l'Etat.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Non ! non !
M. Rogier. - L'honorable M. de Theux doit savoir mieux que moi ce qui se passe dans les écoles normales du clergé ; au reste, cela sera indiqué dans le rapport.
Quoi qu'il en soit, les sept écoles normales du clergé seront placées sur la même ligne que les deux écoles normales de l'Etat, pour fournir des instituteurs aux communes.
Maintenant, quant aux élèves qui devaient être formés dans les cours normaux annexés aux écoles primaires supérieures, où sont-ils ? Nulle part.
Le gouvernement, et c'est ici ou un oubli de ses devoirs, ou un calcul, ou un arrangement dont il ne serait pas impossible de découvrir la source ; eh bien, le gouvernement n'a pas organisé ces cours normaux, où devaient se former les élèves particulièrement destinés à remplir les fonctions d'instituteurs dans les villes.
Nous nous trouvons ainsi devancés et distancés par le clergé ; je ne repousse pas, quant à moi, les instituteurs qui sont formés exclusivement dans les établissements du clergé ; je veux bien que les communes les adoptent, si surtout ces instituteurs ont reçu une éducation nationale ; s'ils ont été élevés dans l'amour et le respect de toutes nos institutions ; s'ils n'ont pas puisé dans certains établissements ces doctrines perverses, anticonstitutionnelles, qu'un fervent catholique signalait dernièrement, par la voie des journaux, à l'attention du pays.
Messieurs, tout en me montrant impartial à l'égard des établissements du clergé, je dois avoir au moins la même sollicitude et plus de sollicitude encore pour les établissements laïques ; et quand je vois, d'une part, sept écoles normales du clergé fournissant des aspirants instituteurs, et d'autre part seulement deux écoles normales de l’Etat et pas de cours normaux ; je dis que l'équilibre n’existe plus ; je dis que l'Etat est effacée et dans une position subalterne, et je demande ce qu'eût fait de plus un ministre qui aurait eu pour mission de favoriser l'intervention exclusive du clergé dans l'instruction primaire.
Comment ! l'on est averti par la loi que dans quatre années, nul instituteur communal ne pourra être choisi que parmi les élèves sortis des écoles normales ou des cours normaux ; et les cours normaux, cette partie si importante de la loi, on ne les établit pas, on ne fait rien pour ouvrir cette source d'études aux aspirants instituteurs ! N'y a-t-il pas là ou connivence ou complaisance coupable ?
On nous a dit dans le temps que le retrait de certaine proposition n'aurait pas lieu gratis, que le sacrifice que l'on faisait en haut dans l'enseignement supérieur, on tâcherait de le regagner en bas dans l'enseignement primaire. Ceux qui à cette époque ont pensé, en effet, que le retrait de la proposition serait largement compensé par des concessions du gouvernement, ceux-là se sont livrés à des prévisions que l'avenir n'a que trop réalisées.
Il existe une autre disposition de la loi également très importante, et de nature à exciter le zèle des élèves et des maîtres, à relever l'enseignement primaire, je veux parler de la faculté laissée au gouvernement d'établir des concours entre les élèves des écoles primaires de chaque province.
Eh bien, sous ce rapport, loin que l'exécution de la loi nouvelle ait profité à l'enseignement primaire, nous avons considérablement rétrogradé ; loin d'avoir amélioré ce qui existait, on l'a anéanti : depuis la loi de l'instruction primaire, les concours entre les écoles primaires, qui avaient été organisés dans la plupart des provinces, ont été supprimés. M. le ministre de l'intérieur vient de nous dire que ces concours n'avaient pas produit d'heureux résultats. Je ne sais de quelle autorité M. le ministre de l'intérieur tient ces renseignements, mais s'il a consulté les autorités civiles, je suis bien convaincu qu'en ce qui concerne plusieurs provinces, et notamment la province d'Anvers que je connais plus particulièrement, il ne lui est point parvenu de renseignements défavorables sur les résultats des concours entre les élèves des écoles primaires. Loin de là, ces concours ont exercé la plus heureuse influence sur l'enseignement primaire ; il s'était manifesté entre les instituteurs, aussi qu'entre les élèves, la plus salutaire rivalité.
Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas exécuté cette partie de la loi ? Y avait-il peut-être encore ici parti-pris, engagement de laisser l'enseignement primaire défaillir entre les mains du pouvoir civil ?
Après tout cela, j'ai raison de répéter que si j'avais pu prévoir de quelle manière le gouvernement exécuterait la loi de l'enseignement primaire, je n'aurais certes pas donné ma voix à une loi qui devait produire de tels résultats.
Il ne suffit pas de déposer dans une loi les principes les plus libéraux, les plus impartiaux ; il faut surtout que ces principes soient exécutés suivant l'esprit de la loi ; un principe libéral en soi, exécuté, organisé par des mains illibérales, peut être entièrement dénaturé et devenir fatal : particulièrement en matière d'enseignement, l'organisation, l'administration présentent beaucoup plus d'importance peut-être que les principes mêmes écrits dans la loi.
Ainsi, messieurs, pour citer un exemple, voici comment un principe essentiel de la loi a reçu son application, grâce encore au laisser aller de l'administration.
Le gouvernement, dans les quatre années qui ont suivi la loi de l'instruction primaire, était chargé d'agréer les nominations des instituteurs, faites par les communes. Si je suis bien informé, voici comment cette partie de la loi est exécutée : le. gouvernement n'accepte comme instituteurs que ceux qui ont été préalablement agrées par l'inspecteur ecclésiastique. Je demande à M. le ministre de l'intérieur si en effet c'est ainsi qu'on a exécuté la loi, et si c'est ainsi qu'il compte l'exécuter lui-même et s'il n'y aura d'instituteurs communaux que ceux dont la nomination aura été préalablement acceptée par l’autorité ecclésiastique ?
S'il en était ainsi, il y aurait dans l'exécution de la loi de l'instruction primaire la mise en pratique du principe qu'on veut introduire dans l'enseignement moyen. S'il est établi en fait que, pour être nommé instituteur, il faut préalablement avoir été agréé par l'autorité ecclésiastique ; s'il est établi que tout instituteur dénoté par l'évêque, doive être destitué par la commune, je conçois que le clergé ait pris goût à de pareilles complaisances, et que ce qu'il a obtenu pour l'enseignement primaire, il l'exige pour l’enseignement moyen.
La loi de l'instruction primaire fait une part très large au clergé, personne ne le contestera ; mais par l'exécution ou la non-exécution des principales dispositions de la loi, vous allez encore ajouter à ces prérogatives, autant vaudrait tout d'un coup lui livrer l'instruction primaire tout entière.
Qu'on ne le perde pas de vue. Indépendamment d'une large intervention dans l’enseignement laïque, le clergé possède encore ses écoles à lui ; il jouit sous ce rapport d'une liberté illimitée.
Eh bien, messieurs, au moyen de ce remède que le clergé a entre les mains vis-à-vis des établissements laïques qui pécheraient par l'absence de l’enseignement moral et religieux, le cierge doit-il se montrer si exigeant. ? Tombe-t-il sous le sens que l’enseignement laïque avec les principes de publicité, avec les principes de tolérance consacrés par la Constitution, avec l'esprit religieux qui distingue la population de la Belgique, peut-on raisonnablement supposer que dans une école du pouvoir laïque, on vienne enseigner l'immoralité, l'irréligion ? A qui ferait-on croire que les pères de famille qui composent nos conseils communaux pousseraient l'oubli de leurs devoirs, de leurs sentiments religieux, jusqu'à nommer et tolérer des instituteurs qui donneraient un enseignement contraire à leur propre foi ? Non cela n'est pas possible.
Cette défiance vis-à-vis des établissements d'enseignement laïque est très exagérée ; je crois qu'elle n'existe pas au fond ; il y a plutôt prétexte de la part de ceux qui ne veulent voir dans les établissements laïques qu'un terrain à exploiter par eux seuls ou que des établissements rivaux.
La Constitution a voulu dans le pays l'enseignement libre pour tout le monde, libre pour l’Etat comme pour les individus, libre pour le pouvoir civil à tous ses degrés, depuis le gouvernement central jusqu'à la commune, comme pour l'autorité ecclésiastique depuis l'évêque jusqu'au desservant. Mais si vous donnez tout à l'un, et si vous tenez l'autre dans un état de défiance et de dépendance continuelle, ne voyez-vous pas que l'équilibre est rompu, que l’esprit de la Constitution est violé et que le pays doit se récrier, à bon droit, contre un pareil état de choses qui sous une apparence de liberté établirait un complet monopole ?
(page 1432) Pour résoudre de pareilles questions, il ne faut que du bon sens et de la bonne foi. J'ai regret de le dire, mais la manière dont la loi sur l'instruction primaire a été interprétée et exécutée n'annonce pas une entière bonne foi. Si l'on avait voulu franchement l'exécution de la loi telle que nous la voulions, nous qui l'avons votée, nous serions dans une situation tout autre ; et le gouvernement se serait empressé de venir fournir au pays la preuve qu'il avait compris et rempli tous ses devoirs. Cette preuve, nous l'aurions trouvée dans le rapport que le ministère est en retard de produire depuis le 23 septembre dernier.
Je demande donc en finissant que M. le ministre nous dise pour quel moment il sera prêt à fournir son rapport sur l’instruction primaire ; je demande si dans ce rapport seront traitées les diverses questions que nous avons touchées aujourd'hui. Le gouvernement doit avoir à cœur de se justifier des reproches qui lui ont été adressés.
L'instruction publique est encore appelée à jouer un trop grand rôle dans nos débats, pour qu'avant d'aborder la loi d'enseignement moyen, nous ne soyons parfaitement édifiés sur l'exécution donnée à la loi d'enseignement primaire. M. le ministre sentira sans doute la responsabilité qui pèse sur lui de ce chef, et je ne doute pas qu'il ne se hâte de préparer les éléments de son rapport sur l'enseignement primaire, de manière qu'il puisse nous être soumis, avant la discussion de la loi sur l'enseignement moyen.
M. de Mérode. - Messieurs, la liberté des cultes a-t-elle été établie pour anéantir la religion ?...
M. Rogier. - Qui parle d'anéantir la religion ?
M. de Mérode. - Vous ne savez pas ce que je vais dire. C'est une question que je pose.
La liberté des cultes a-t-elle été établie pour anéantir la religion ou pour lui laisser son libre développement sans que le pouvoir temporel s'immisce dans les affaires de la conscience ?
Voici la réponse à faire à cette question :
Non, la liberté des cultes a pour but de faciliter à l'homme le sentiment et les pratiques qui relèvent vers Dieu.
Je ferai encore cette question : La liberté des cultes a-t-elle été établie pour détruire chez nos enfants belges la croyance religieuse de leurs pères ?
Et je dirai encore non !
Messieurs, chaque année notre budget porte une somme considérable destinée au maintien du culte catholique, pratiqué depuis des siècles dans le pays qui, jadis, en prenait même géographiquement le nom.
Or, qu'est-ce qu'un maître d'école dans une commune, ? N'est-ce pas la personne qui se trouve le plus en contact avec les enfants, qui agit sur leur cœur et leur intelligence de la manière la plus puissante ?
Eh bien, messieurs, n'est-il pas vrai que si le maître exerçait son influence dans un sens différent sous le rapport moral et religieux de celui du prêtre charge du soin des âmes, ce serait détruire d'une main ce qu'on conserverait de l'autre ? Ce que je viens de dire explique le motif des mesures qui ont été prises dans la fondation des écoles normales de l'Etat ; car si l'on eût agi autrement, les écoles n'auraient point obtenu la confiance de la généralité des paroisses ; car, messieurs, soyez-en persuadés, parce que tous les faits le prouvent, les pères de famille en immense majorité, bien loin de craindre l'influence ecclésiastique dans l'éducation de leurs enfants, la désirent vivement, et il ne leur suffit pas de trouver dans un instituteur l'instruction que j'appellerai scientifique ; ils veulent chez lui le sentiment qu'ils considèrent comme la base la plus solide du respect filial et de la morale vraiment sérieuse.
Constamment on présente l'influence du clergé dans l'éducation comme ascendant dangereux, comme un monopole effrayant.
Et cependant que voyons-nous effectivement parmi nous ? Est-ce une piété excessive, fanatique, contraire à la tolérance civile constitutionnelle ? Je le dis sincèrement, j'ai beau regarder de l'œil le plus attentif ce qui se passe autour de moi. je ne vois rien de semblable.
L'honorable préopinant vient de nous parler du principe libéral en matière d'enseignement dont je ne sépare pas l'éducation ; vous savez, messieurs, que je ne joue pas avec le terme libéral ; je ne lui permets pas de prendre plusieurs significations diverses et même absolument opposées, car de là résulte dans cette enceinte et ailleurs une perpétuelle confusion d'idées.
Selon moi, donc, une éducation, un enseignement scientifique et catholique est une éducation libérale pour le père de famille catholique, parce qu'elle est conforme à ses vœux, parce qu'il y trouve ce qu'il aime pour ses enfants, qui lui appartiennent par les droits les plus sacrés de la nature.
Une éducation scientifique conforme à la religion de Moïse est une éducation libérale pour le père israélile. Une éducation conforme à l'éclectisme est libérale pour le père éclectique, à moins qu'il n'arrive, chose assez fréquente, qu'il en préfère une autre.
Voilà, messieurs, comme j'entends l'enseignement au point de vue libéral, et des plaintes graves de la part des pères de famille n'étant point parvenues à nos oreilles, je ne crois pas que les censures rigoureuses de ce qui s'est fait relativement à l'instruction primaire en Belgique soient justement appliquées.
M. Veydt. - Les garanties que demande l'honorable comte de Mérode, il les trouve dans la présence des inspecteurs ecclésiastiques dans les écoles primaires : leur mission est de veiller à ce que l'instruction soit basée sur la religion et la morale, qui sont, dans ma manière de voir comme dans la sienne, le premier fondement de l'enseignement primaire. Mais à côté de l'instruction religieuse, il y a l'instruction civile, l'instruction scientifique comme vient de la qualifier l'honorable préopinant. A cet égard, tous les devoirs des inspecteurs provinciaux ne sont pas remplis ; la part d'intervention et d'influence du gouvernement n'est pas suffisamment faite ; on la laisse, s'il m'est permis de parler ainsi, tomber en déchéance,
Déjà les honorables membres qui ont pris la parole avant moi ont rempli une grande partie de la tâche que je m'étais tracée. Je. voulais également parler des écoles normales et des cours normaux.
J'avais fait un relevé du nombre d'instituteurs dont nous pourrions avoir besoin pour nos différentes écoles dans une situation normale et complète. Ce relevé, le voici :
Il y a en Belgique 2,431 communes ; les villes sont au nombre de 86. En supposant que chaque commune ait besoin d'un instituteur, chaque ville de cinq, nous arrivons à un chiffre de 2,861, Il y a en outre, dans le pays, au moins 30 écoles primaires supérieures ayant, en moyenne, quatre instituteurs, a qui fait 120 instituteurs à ajouter. Nous avons donc 2,981, soit, en nombre rond, trois mille instituteurs primaires.
Or, d'après le calcul fait en France pour le remplacement annuel, l'on compte sur un vingtième à renouveler par suite des extinctions et autres causes : il faudrait dans cette proportion 150 instituteurs par an pour suffire aux besoins de l'enseignement primaire du pays. Peut-on espérer que les deux écoles normales de l'Etat aient une part suffisante dans cette répartition annuelle ? Evidemment non, messieurs. De la résulte encore la nécessité de l'organisation prochaine des cours normaux.
A cette occasion je dirai aussi un mot d'une question qui concerne les élèves des écoles normales créées par la loi de 1842.
Une disposition de la loi sur la milice de 1817 (article 94 § ff) accorde aux élèves des écoles établies pour former des instituteurs l'exemption successive de la milice pour un an, pourvu que ces élèves, parvenus à 23 ans, soient placés par les soins du gouvernement dans une école communale du pays ; avant 1830, c'était l'Etat qui nommait aux fonctions d'instituteur. Aujourd'hui ces conditions ne peuvent plus être remplies ; et il est arrivé que les conseils de milice, à cause de la stricte application que réclame la loi en cette matière, n'ont pas pu faire jouir les élèves des écoles normales de Lierre et de Nivelles de l'exemption de l'article précité.
Je prie M. le ministre de porter son attention sur ce changement. Le moment est d'autant plus opportun que la commission chargée de l'examen des modifications proposées aux lois sur la milice, n'a pas encore achevé son travail.
Comme le disait l'honorable M. Rogier, le rapport triennal sur l'instruction primaire, qui ne peut plus tarder à nous être présenté, traitera toutes les questions soulevées devant la chambre. Qu'il me soit permis d'en indiquer deux sur lesquelles on n'a pas appelé jusqu'ici son attention. L'article 9 de la loi organique de l'enseignement primaire prescrit l'examen des livres destinés à l'enseignement par la commission centrale et ensuite leur approbation par le gouvernement ; les livres destinés à l'instruction morale et religieuse doivent être approuvés par les chefs du culte. Ces chefs ont largement usé du pouvoir que la loi leur confère, car nous trouvons leur approbation jusque sur des livres d'arithmétique et de géométrie. Quant au gouvernement, je ne pense pas qu'il ait jusqu'à présent fait usage de sa prérogative, de son droit.
Le rapport sur l'état de l'instruction primaire en France, présenté au roi, en 1841, par M. Villemain, fait connaître qu'il y a 551 ouvrages approuvés par le conseil de l'instruction et qui sont à l'abri de tout reproche immoral. Je verrais avec plaisir que le gouvernement exerçât dans une large mesure le pouvoir que la loi lui confère pour l'approbation des livres destinés aux écoles primaires.
L'article 14 de la loi concerne les conférences des instituteurs ; il prescrit aux inspecteurs cantonaux de réunir tous ceux de leur ressort ou de leur canton, sous leur direction, une fois par trimestre. C'est une disposition libérale éminemment utile, qui a pour but le progrès de l'enseignement, l'étude et la mise en pratique des bonnes méthodes. Il est donc bien désirable qu'elle reçoive partout son exécution.
M. Mast de Vries. - Elle est exécutée.
M. Veydt. — L'honorable membre confond peut-être les conférences dont je parle avec celles qui doivent être présidées par l'inspecteur provincial.
C'est l'article 16 qui est relatif à ces dernières conférences ; mais l'article 14 en prescrit d'autres par canton.
Je désirerais de plus que le rapport que nous attendons de M. le ministre nous dît si des efforts ont été faits pour arriver à la séparation des deux sexes dans les écoles primaires ; leur réunion présente des inconvénients, et des dangers ; il est difficile, je le reconnais, dans beaucoup de communes de séparer les garçons et les filles. Il en est cependant plusieurs où l'on pourrait donner suite à une pareille amélioration que le gouvernement devrait provoquer et encourager le plus possible. Jusqu'à présent, l'on n'a presque rien fait pour l'instruction des filles, qui est destinée à exercer une si salutaire influence dans les familles.
Toute école publique devrait être placée, à perpétuité, dans un local possédé en propriété par la commune. Les maisons louées conviennent, en général, peu à la tenue des écoles.
Je serais charmé de savoir quelle est la situation des écoles en ce qui concerne les bâtiments qui y sont affectés.
Je voudrais savoir si nous pouvons espérer d'atteindre, dans un terme assez rapproché, à l'amélioration notable, dont j'ai l'honneur d'entretenir la chambre.
(page 1433) Comme j'y attache une grande importance, je vois avec regret, dans le dernier amendement déposé par l'honorable comte de Theux, qu'il propose de réduire de 100,000 à 75,000 fr., le crédit pour construction, réparation et ameublement d'écoles.
Il me reste à traiter la question financière.
L'Etat, les provinces et les communes ont fait des sacrifices incontestables et cependant la position des instituteurs n’est pas améliorée. Cela provient de différentes causes. Dans plusieurs communes, on a eu à lutter contre l'extrême parcimonie des conseils. Les provinces ont jusqu'à présent trouvé de grandes difficultés à exécuter l'article de la loi qui leur impose 2 centimes additionnels au profit de l'instruction primaire. Ces centimes s'élèvent pour les neuf provinces à 510,000 fr.
Nous avons reçu l'état des fonds dépensés ; mais il se rapporte à l'exercice 1844, et ne peut plus servir de point de comparaison, car à cette époque les conseils provinciaux étaient loin d'avoir rempli leurs obligations. Je crois qu'aujourd'hui la plupart se sont exécutés, et que tous s'exécuteront à la session qui va bientôt s'ouvrir.
Pour ma part, je les y engage fortement ; c'est le seul moyen d'acquérir un droit certain aux subsides de l'Etat. L'honorable M. Nothomb avait pris le parti de refuser aux provinces dont les conseils n'avaient pas voté une allocation égale au produit de 2 centimes sur le montant des contributions directes, toute participation aux subsides accordés au budget de l'intérieur ; il avait trouvé là un moyen coercitif pour contraindre les provinces à s'imposer de durs sacrifices.
Je crois que ce but est aujourd'hui atteint ou sur le point de l'être. Il faudra à présent que le gouvernement ait un crédit d'un chiffre égal au total de toutes les allocations provinciales (fr. 510,000), afin de subvenir à tous les besoins de l'instruction primaire.
Une autre cause de la situation défavorable des instituteurs gît dans la réduction trop grande de la rétribution payée par les élèves. Je crois que l'on a été trop loin.
Il y aurait de l'inconvénient sans doute à exiger une rétribution trop élevée, qui rendrait difficile l'accès des écoles à toutes les familles et nuirait à l'extension des bienfaits de l'enseignement. Mais il y a un juste milieu à garder.
Aux termes de l'article 5, les enfants pauvres reçoivent l'instruction gratuitement. C'est une disposition excellente ; mais dans ma manière de voir elle a reçu trop d'extension. Il y a beaucoup d'enfants dont les parents ne sont pas pauvres et qui ont néanmoins été inscrits pour recevoir l'instruction gratuite. Je crains que cette trop grande facilité ne soit aussi la cause d'un préjudice notable pour les instituteurs.
J'ai été pendant longtemps un zélé défenseur de l'instruction primaire ; je m'en suis occupé avec intérêt, avec sollicitude. J'avouerai franchement, messieurs, que l'exécution si incomplète que la loi de 1842 a reçue jusqu'à présent m'a découragé.
Je suis resté, pendant deux ans, sans prendre soin des intérêts de l'instruction, et j'étais enclin à persévérer dans cette indifférence.
Aujourd'hui, ma position dans la chambre me porte à changer de conduite. Je saisirai de temps en temps l'occasion de faire les observations qui me paraîtront utiles. Quelque faible portée qu'elles puissent avoir, je croirai devoir les renouveler dans le but de contribuer à assurer au gouvernement la part qu'il doit toujours avoir dans un intérêt aussi grand que celui de l'instruction publique.
M. de Garcia. - Très bien !
M. de Mérode. - Nous sommes d'accord.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Répondant à l'observation que j'avais faite touchant le refus de l'administration communale de Bruxelles de mettre à la disposition du gouvernement un local pour les élèves de l'école normale primaire de l'Etat, l'honorable M. Orts a dit que l'obligation de fournir le local n'était pas inscrite dans la loi.
Mais l'honorable député ne peut pas contester au gouvernement le droit d'imposer cette condition aux administrations communales. C'est ce que le gouvernement a fait et il était dans son droit ; car la création de ces écoles n'est pas non plus obligatoire pour lui ; il avait donc parfaitement le droit d'ouvrir une négociation avec les villes où il les établit. C'est d'ailleurs l'esprit de la loi, puisque les bâtiments d'école et les locaux pour tes écoles normales sont partout fournis par les communes.
L'honorable M. Rogier a parlé des sentiments de confiance qui doivent exister de la part de l'autorité ecclésiastique vis-à-vis de l'autorité civile. Certes je ne le combattrai pas sur ce terrain, et je dirai qu'il faut que les sentiments de confiance soient réciproques, là où il doit y avoir des concessions réciproques dans un intérêt tout à fait social et d'un ordre aussi élevé que l'instruction primaire. Il ne faut donc semer de défiance ni d'un côté ni de l'autre.
J'ai plutôt à parler ici de mon prédécesseur que de mes actes personnels.
On a articulé contre mon prédécesseur un grief de ce qu'il n'avait pas déposé de rapport sur l'exécution de la loi sur l'instruction primaire. Cette obligation n'est née pour lui qu'en septembre 1845 ; or, à cette époque, il avait quitté le pouvoir ; cette seule observation fait disparaître le grief.
Je suppose que l'honorable M. Van de Weyer aura cru s'être acquitté de l’obligation qui lui est imposée par la loi, au moyen du dépôt du compte de l'emploi des subsides du gouvernement, des provinces et des communes. Le dépôt de cet état aura été envisagé comme l'exécution de la loi.
Toutefois, je ne me refuse pas à communiquer a la chambre un rapport plus étendu sur cette matière. Mais on comprendra qu'il n'est pas facile de faite un rapport sur l'exécution de la loi sur l'instruction primaire, qui embrasse toutes les communes, qui se complique d'une foule de dispositions. C'est un très grand travail. Il faut pour cela un temps suffisant. J'ajouterai qu'il y a maintenant un travail énorme à la direction de l'instruction publique. La loi sur l'instruction primaire a augmenté le travail de cette direction d’une manière tout à fait remarquable. Ainsi la question du rapport n'est pour moi qu'une question de temps. Aussitôt qu'il sera possible de présenter un rapport complet, tel qu'on semble le désirer, je n'hésiterai pas à le déposer ; car dans cette matière, comme pour toutes les autres parties de l'administration, je ne ferai jamais aucune difficulté de porter à la connaissance de la chambre les actes du gouvernement.
L'honorable membre aurait désiré qu'on eût partout choisi, pour remplir les fonctions d'inspecteurs civils, soit provinciaux, soit cantonaux, les hommes les plus considérables par leur position. Sans doute, ce serait un résultat extrêmement désirable que les hommes qui ont la position la plus élevée dans la société, qui portent intérêt à toutes les questions sociales voulussent accepter de semblables fonctions. L'honorable membre a comparé les choix actuels avec ceux faits sous le gouvernement précédent. Mais qu'on veuille remarquer qu'alors les attributions des inspecteurs étaient presque nulles en comparaison de ce qu'elles sont conformément à la loi actuelle. C'est un travail considérable que peu de personnes, dans les conditions indiquées par l'honorable M. Rogier, voudraient accepter. Il faut pour cela avoir du temps disponible et un zèle tout extraordinaire.. Du reste le choix de telles personnes ne contrarierait en aucune manière l'exécution de la loi.
Ce serait une garantie de plus au point de vue de la religion, de la morale et de l'instruction. Plus les personnes appelées à ces fonctions seraient, par leur position et par leurs qualités, dignes de les occuper, plus l'exécution de la loi serait facile.
L'honorable membre s'est ensuite attaché à critiquer l'absence complète de cours normaux près des écoles primaires. Il désirerait des instituteurs religieux, moraux, instruits. Sur ce point nous sommes parfaitement d'accord. Je dirai que les cours normaux qui peuvent être institués encore dans quelques écoles primaires n'ont pas pour objet d'obtenir des instituteurs plus instruits que ceux qui sortent des écoles normales. D'après l'esprit de la loi, les uns et les autres doivent avoir les mêmes qualités.
Je ne vois pas non plus quels résultats fâcheux, au point de vue de la religion, peuvent produire ces cours, s'ils sont réellement conformes à l'esprit de la loi.
Il est à remarquer qu'il existe déjà dans le pays neuf écoles normales. Si ces cours normaux doivent encore équivaloir à des écoles normales, je ne pense pas qu'il faille donner une pareille extension à la loi ; il est évident qu'ainsi l'on dépasserait les besoins du pajs et que l'on compromettrait même le sort des écoles normales..
En ce qui concerne l'institution des concours, ce ne peut être une question d'opinion, une question de parti. C'est tout bonnement une question du progrès de l'instruction. Le clergé est parfaitement indifférent à cette question de concours. Tout ce que nous devons désirer, c'est de les organiser graduellement de manière à leur faire porter de bons fruits. Je n'ai pas nié que les institutions de ce genre ne doivent produire de bons fruits ; mais j'ai dit qu'il y a eu beaucoup de désappointement, en ce que l'on s'était promis, dans les provinces où ils ont été tentés avant la loi de septembre 1842, des résultats bien au-delà de la réalité.
En ce qui concerne l'agréation des instituteurs, on sait qu'il sont nommés par les conseils communaux ; jamais on n'a admis comme condition de l’agréation par le gouvernement l'agréation de l'inspecteur ecclésiastique. Seulement, celui-ci est consulté par l'inspecteur civil ; autant que possible il y a accord entre ces deux fonctionnaires. C'est bien là l'esprit de la loi. Il s'est présente des cas où l'agréation a eu lieu sur l'avis de l'inspecteur civil, contre l'avis de l'inspecteur ecclésiastique. Ce sont des questions de faits, où le gouvernement reste juge ; la loi lui laisse toute latitude à cet égard ; c'est à lui à apprécier les faits et les motifs de dissentiment.
L'honorable M. Veydt a parlé de l'approbation des livres par le gouvernement ; c'est encore une faculté que la loi donne au gouvernement ; je ne suis pas, je l'avoue, au courant de cette partie du service ; je ne pourrais donner à la chambre des renseignements sur tout ce qui a été fait à cet égard ; mais ce qui est certain, c'est qu'il n'y a pas encore là une question de parti.
En ce qui concerne les conférences des instituteurs, je ne pourrais affirmer qu'il en existe partout ; je puis cependant déclarer qu'il y en a dans ma localité et dans beaucoup d'autres. Dans tous les cas, ces conférences sont très utiles. Je veillerai à ce qu'il y en ait dans toutes les localités, si jusqu'ici elles ne sont pas régulièrement établies.
Les observations de M. Veydt sur la séparation des sexes, qu'il serait si utile d’établir dans toutes les communes en donnant des locaux distincts pour chaque sexe, sont parfaitement justes ; elles ont toute noire sympathie. A la vérité, 75,000 fr. seulement sont portés au budget. Si le chiffre proposé par mon honorable prédécesseur est aussi peu élevé, c'est parce qu'il y a pénurie dans le trésor.
M. Veydt. - Par votre amendement, vous réduisez le chiffre de 100,000 fr. à 75,000 fr.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - C'est une erreur ; c'est simplement un transfert ; l'imputation sur ce crédit devait comprendre des dépenses de deux natures différentes.
J'ai proposé un amendement pour faire concorder la rédaction du budget avec les spécialités des dépenses indiquées dans la loi, ainsi que dans le rapport de l'honorable M. Van de Weyer, de manière que l'on pût confronter le budget avec l’etat des dépenses. C’est une simple formalité, d'où (page 1434) il ne résulte aucune réduction sur le chiffre affecté à la construction do bâtiments d'écoles.
Il y a un projet qui devra être mûri, c'est celui de hâter, au moyen d'un emprunt, la construction des bâtiments d'école. C'est une question extrêmement importante ; mais il n'y a pas encore de décision arrêtée sur ce point.
La dépense totale de l'instruction primaire communale s'élève déjà à 2,800,000 fr., tant à la charge de l'Etat qu'à la charge des provinces et des communes, el, je dois le dire, la dépense ne s'arrêtera pas à ce chiffre, à moins qu'on ne parvienne à introduire quelque moyen d'économie.
J'applaudis aux idées émises par l'honorable député d'Anvers sur le chiffre de la rétribution des élèves. Je crois comme lui qu'il ne faut pas trop réduire les frais d'école à l'égard des enfants des familles aisées, et qu'il est juste que les chefs de famille fassent les frais d'enseignement de leurs enfants ; il faut que la majeure partie de ces frais soit mise exclusivement à la charge des parents.
Ainsi en fixant la rétribution des élèves à un taux convenable, on pourrait éviter les charges énormes qui pèsent sur le budget des communes, des provinces et de l'Etat.
Le chiffre que nous avons proposé a pour but de satisfaire aux besoins réels de l'année courante. Deux provinces sont encore en retard de voter les 2 c. additionnels ; elles n'ont pas entièrement atteint le chiffre fixé par la loi. Cependant on a reconnu que, vu les circonstances particulières, il y aurait lieu de leur accorder cette année un subside, mais à la condition que l'année prochaine les 2 c. additionnels seront portés au budget ; car, il ne faut pas que deux provinces restent en arrière, lorsque les autres se sont conformées à la loi.
L'honorable député a aussi appelé mon attention sur la dispense du service militaire qu'il conviendrait d'accorder aux élèves des écoles normales ; je ferai un examen particulier de cette question.
Je crois avoir rencontré la plupart des observations qui m'ont été faites. Je puis donc borner à ceci mes explications.
M. Rogier. - Il résulte du discours que vous venez d'entendre, que les griefs que nous avons articulés contre l'administration relativement à la mauvaise exécution de plusieurs parties de la loi sur l'instruction primaire ne sont pas contestés par l'honorable ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Pardon, je n'ai pas dit cela.
M. Rogier. - M. le ministre ne dit pas qu'il soit d'accord avec nous mais il repousse toute responsabilité et la rejette sur son prédécesseur.
J'aurais voulu que les collègues de l'honorable M. Nothomb, qui siègent encore au banc ministériel et qui ont une part de responsabilité dans ses actes, prissent la parole pour les défendre.
On avouera que le champ était assez vaste pour les provoquer à se jeter dans la lutte, ne fût-ce que pour défendre un autre collègue qui n'est pas présent.
M. le ministre de l'intérieur vient de nous dire que le rapport sur l'instruction primaire, que le gouvernement doit à la chambre depuis le 23 septembre dernier, n'avait pas été présenté par l'honorable M. Van de Weyer, ce qui est très vrai ; mais ce n'est pas un motif pour M. le ministre de l'intérieur de se soustraire à l'obligation qui a commencé à courir pour lui depuis le 30 mars de cette année.
L'honorable M. Van de Weyer n'avait pas décliné cette obligation ; il n'est pas exact de dire que la production de l'état des dépenses de l'instruction primaire équivalait à ses yeux au rapport général sur l'instruction primaire. Ce sont des renseignements tout à fait différents prescrits par des articles différents de la loi.
Ainsi l'article 23 exige que le gouvernement dépose l'état détaillé de l'emploi des fonds ; c'est cet état détaillé que l'honorable M. Van de Weyer a déposé sur le bureau ; mais il avait formellement promis d'exécuter l'article 38 qui prescrit le dépôt d'un rapport triennal sur l'état de l'instruction. C'est ce rapport que nous réclamons. J'espère bien qu'il ne se fera pas attendre.
Nous ne pouvons admettre comme motif du retard la difficulté de faire ce travail. Tout ce que la loi prescrit au gouvernement doit lui être facile.
L'honorable M. Van de Weyer s'était engagé à déposer le rapport au commencement de la session prochaine ; M. le ministre de l'intérieur prend-il le même engagement ?
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Oui !
M. Rogier. - J'en prends acte ; et je n'en dirai pas davantage en ce moment. Lorsque le rapport qui vient d'être promis aura été déposé, nous en ferons l'objet d'un examen sérieux ; et nous avons la conviction qu'il sera facile de faire ressortir, des faits seuls, l'entière justification des reproches de l'opposition.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Effectivement, messieurs, mon honorable prédécesseur, M. Van de Weyer, a promis un second rapport en conformité de l'article 38 de la loi. Ce rapport, il l'a annoncé pour l'époque de la présentation de son budget, au mois de novembre prochain. Je prends très volontiers le même engagement. Je ne ferai à cet égard aucune difficulté.
Mais je ne puis laisser passer sans observation cette allégation de l'honorable M. Rogier, que j’avais en quelque sorte accepté pour l'honorable M. Nothomb un blâme sur l'inexécution de certaines parties de la loi.
Au contraire, messieurs, j'ai répondu à diverses observations qui ont été faites, et nous attendrons le dépôt du rapport que vient de réclamer l'honorable M. Rogier, pour apprécier en pleine connaissance de cause l'administration de mon honorable prédécesseur en ce qui concerne l'instruction primaire ; c'est alors que la chambre pourra apprécier ses actes. (La clôture ! la clôture !)
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je demande la parole. (La clôture ! la clôture !)
- La clôture est réclamée par plus de dix membres.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, si la chambre veut clore la discussion, je renoncerai à la parole.
Plusieurs membres. - Aux voix la clôture !
M. de Brouckere. - Messieurs, l'honorable M. Rogier vient de provoquer les anciens ministres à donner quelques explications sur ce qui s'est passé pendant le ministère de l'honorable M. Nothomb. L'honorable M. Dechamps est disposé à répondre à cet appel et je l'entendrai avec beaucoup de plaisir. J'espère donc que la chambre ne lui fermera pas la bouche. (La clôture ! la clôture !)
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
« Art. 1er. Traitements des fonctionnaires et employés des deux universités de l'Etat. Bourses. Médailles et subsides pour le matériel : fr. 621,800. »
- Adopté.
« Art. 2. Frais des jurys d'examen pour les grades académiques : fr. 64,100. »
M. le ministre de l'intérieur propose une augmentation de 30,000 fr., ce qui porterait le chiffre à 94 100 fr.
- Le chiffre de 94,100 fr. est adopté.
« Art. 3. Dépenses du concours universitaire : fr. 15,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Frais d'inscription des athénées et collèges : fr. 12,000 fr. »
La section centrale propose de réduire l'allocation à 7,300 fr.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, la loi sur l'instruction moyenne sera prochainement discutée, et dès lors des fonds seront nécessaires. Je pense donc qu'il vaut mieux maintenir le chiffre.
M. Orban, rapporteur. - Je crois, messieurs, qu'il n'y a pas lieu d'adopter le chiffre proposé par le gouvernement, tant que la loi sur l'enseignement moyen n'est pas votée. Indépendamment de ce motif, un fait malheureux est survenu, c'est le décès du titulaire de l'inspecteur des écoles moyennes, de sorte que dans tous les cas le crédit proposé par la section centrale sera suffisant.
M. de Brouckere. - Je vous avoue, messieurs, que j'ai vu avec plaisir la nomination d'un inspecteur chargé de surveiller les établissements d'enseignement secondaire, mais il paraît que l'acte posé à cet égard n'obtient pas au même degré l'approbation de M. le ministre de l'intérieur actuel.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je vous demande pardon.
M. de Brouckere. - Si je fais cette observation, c'est parce que je vois qu'on ne se dispose pas à nommer un successeur au titulaire qui est mort depuis quelque temps déjà.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demande la parole.
M. de Brouckere. - Ce qui me fait croire qu'on ne se dispose pas à lui donner un successeur, c'est que par une disposition ministérielle insérée dans les journaux le chef de la division de l'instruction publique au département de l'intérieur est chargé des fonctions de l'inspecteur, avec cette réserve qu'il n'y aura pas d'inspections, qu'il est simplement chargé de recevoir les dépêches destinées à l'inspecteur et d'y répondre. Je suppose, d'après cela, que le chiffre destiné aux inspections est actuellement sans emploi.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Oui. Il n'y a pas de titulaire.
M. de Brouckere. - Et alors même que M. le ministre de l'intérieur nommerait dans un bref délai un nouveau titulaire il en résulterait toujours que le crédit proposé par la section centrale serait suffisant jusqu'à la fin de l'année, parce que l'intérim a été assez long. Je ne vois pas pourquoi nous irions allouer une somme supérieure à celle qui est reconnue nécessaire pour payer l'inspecteur.
Je sais très bien que le gouvernement a parlé d'inspecteurs temporaires, qui seraient chargés, sous les ordres de l'inspecteur général des athénées, de certaines inspections ; mais puisque M. le ministre de l'intérieur dit lui-même que nous sommes si près du vote de la loi sur l'enseignement secondaire, je pense avec M. le rapporteur de la section centrale qu'il n'y a pas lieu de nommer ces titulaires pour le moment, et ainsi, alors même que M. le ministre de l'intérieur aurait l'intention de remplacer immédiatement l'inspecteur des établissements d'enseignement secondaire, le chiffre de 7,500 fr. porté primitivement au budget serait toujours suffisant.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je n'ai pas du tout annoncé l'intention de ne pas nommer un remplaçant au titulaire qui vient de décéder. La disposition provisoire qui a été prise l'a été par mon prédécesseur et je suppose que c'est parce que la section centrale avait contesté le chiffre et qu'avant le vote de ce chiffre il n'a pas voulu procéder à la nomination. Quant à moi, je ne suis pas du tout éloigné de faire la nomination d'un inspecteur. Je crois, au contraire, que ces fonctions sont utiles ; mais comme il y a eu une vacature assez longue, je proposerai de réduire le chiffre à 10,000 fr. Je crois, messieurs, qu'il y a encore des frais assez considérables à faire par les inspecteurs adjoints qui doivent se rendre dans les collèges qui prennent part aux concours ; dès lors le chiffre de (page 1435) 10,000 fr. est nécessaire, mais je pense qu'il suffira pour assurer le service.
- Le chiffre de 10,000 fr. est mis aux voix et adopté.
« Art. 5. Subsides annuels aux établissements d'enseignement moyen et industriel (écoles de Gand et de Verviers), autres que les écoles d'art et métiers et les ateliers d'apprentissage : fr. 200,000. »
M. Rogier. - Messieurs, voici un article qui peut donner lieu à une discussion assez longue ; je ne sais pas si la chambre est disposée à entamer aujourd'hui cette discussion. (Oui, oui.)
C'est fort bien, mais que ce soit à la condition que par des demandes de clôture on ne ferme pas la bouche aux orateurs et même aux ministres qui veulent prendre la parole.
Messieurs, dans le courant de cette session, un honorable membre avait adressé une interpellation à M. le ministre de l'intérieur d'alors, relativement à certaine convention passée par une administration locale avec le clergé. Je n'ai pas besoin de rappeler en quoi consistait cette convention ; vous savez qu'on reprochait à l'administration locale d'avoir abdiqué sa prérogative entre les mains de l'épiscopat, en ce qui concerne la nomination des professeurs de son athénée. Voici la réponse que fit l'honorable M. Van de Weyer :
« Je me suis cru obligé d'écrire à l'autorité communale de Tournay une dépêche dans laquelle j'ai déclaré que je ne pourrais donner mon consentement à cette convention. Je n'ai pas voulu, à la veille de la présentation du projet de loi, que par mon silence ou mon abstention on pût croire que les termes de cette convention serviraient de base, de type au projet de loi qui vous sera soumis. »
Je remarque, en passant, qu'à cette époque le ministère annonçait à la chambre qu'un projet de loi devait lui être nécessairement soumis, et que ce projet nous n'avons pu l'obtenir du ministère actuel, qui compte parmi ses membres les anciens collègues de M. Van de Weyer. Mais enfin il y avait alors un principe au gouvernement, un principe qui ne craignait pas de s'énoncer, un principe qui aurait passé dans le projet de loi dont le ministère d'alors nous promettait la présentation.
Un changement d'administration a eu lieu. Nous sommes en droit, avant d'accorder les subsides destinés aux établissements d'enseignement moyen, nous sommes en droit de demander au ministère tout entier quel est le principe qui, aujourd'hui, le dirige dans les questions semblables à celles qu'a soulevées la convention passée par l'administration communale de Tournay. M. le ministre de l'intérieur croit-il qu'une pareille convention puisse obtenir l'assentiment de l'administration 7 Son intention est-elle de revenir à cet égard sur la décision qui a été prise par son prédécesseur ? Ses collègues d'aujourd'hui abandonneront-ils le principe mis en avant par l'honorable M. Van de Weyer ? Ce qui m'engage, messieurs, à poser cette question à M. le ministre de l'intérieur, c'est l'attitude qu'il a prise dans la discussion de la motion faite par notre honorable ami M. Cans. L'honorable M. de Theux loin de blâmer, loin de désapprouver le principe qui avait servi de base à la convention de Tournay, lui donnait sa pleine et entière adhésion, dans les termes que voici :
« Le gouvernement qui s'opposerait à un pareil arrangement se mettrait en opposition manifeste avec le vœu des pères de famille, avec les sentiments religieux de toute la nation. Et je ne crains pas de le dire, si un amendement était formulé au projet de loi sur l'enseignement moyen, ayant pour objet d'interdire de pareils arrangements, jamais il ne recevrait l'assentiment des chambres. J'ai trop de confiance dans leur loyauté, pour croire que jamais elles interdiraient de semblables arrangements.
« Je vais tellement loin, en cette matière, que si j'étais ministre de l'intérieur et que si un conseil communal croyait avoir des motifs suffisants pour mettre son collège à la disposition de l'autorité ecclésiastique protestante, par exemple, je ne me croirais pas le droit, ni d'annuler la convention, ni de refuser les subsides.
« Voilà, messieurs, les principes vraiment libéraux, vraiment constitutionnels, vraiment légaux, et je suis prêt à les soutenir en toutes circonstances. »
Ainsi, messieurs, l'opinion de M. le ministre actuel et celle de son prédécesseur différaient radicalement. Où l'un voyait un principe blâmable, que le gouvernement ne pouvait pas sanctionner, l'autre voyait un principe parfaitement acceptable, et que le gouvernement ni la chambre ne pouvait pas répudier, sous peine de porter atteinte aux vœux des pères de famille, à la loi, à la Constitution. En présence d'une divergence d'opinion aussi complète, en présence de la profession de foi de M. le ministre de l'intérieur, nous devons savoir de quelle manière il entend appliquer en principe les subsides qu'il demande à la chambre pour être répartis entre les établissements d'enseignement moyen. Quant à nous, si par le vote de ces subsides, nous devions le moins du monde engager notre opinion, si, par le vote de ces subsides, nous pensions que, soit directement, soit indirectement, une sanction fût donnée aux arrangements auxquels il a été fait allusion ; si telle devait être l'interprétation du vote des subsides destinés à l'enseignement moyen, je proposerais, messieurs, la radiation de la partie de ces subsides applicable aux établissements de communes qui auraient aliéné entre les mains de tiers leur indépendance, leur prérogative. Si donc les subsides sont votés par nous, ils ne peuvent l'être que sous cette réserve expresse.
Je conçois qu'au point de vue administratif, il puisse être utile de continuer aux établissements existants les subsides dont ils ont besoin pour vivre. Nous ne voudrions pas y jeter tout à coup une grande perturbation ; mais il faut qu'on soit bien d'accord sur ce point, qu'en votant les subsides, nous n'entendons nullement sanctionner les arrangements qui ont eu lieu et qui ont été l'objet d'un blâme de la part du ministère précédent.
M. Dumortier. - Messieurs, je suis surpris, je suis vraiment peiné que ce soit l'honorable préopinant, lui qui, comme ministre de l'instruction publique, en 1841, a posé des principes si libéraux, en matière d'allocation de subsides aux établissements d'enseignement moyen ; que ce soit l'honorable préopinant, qui, revenant sur ses opinions antérieures, propose de retirer le subside à l'athénée de Tournay, à cause d'une convention qui n'a eu qu'un résultat, celui d'assurer une brillante prospérité à cette institution.
A cet égard, je crois n'avoir rien de mieux à faire que de répondre à M. Rogier de 1840, par M. Rogier de 1841. Voici, en effet, une circulaire que M. Rogier en 1841 adressait, en qualité de ministre de l'instruction publique, aux bourgmestres des villes où se trouvaient des collèges subventionnés, pour leur faire connaître les conditions auxquelles les subsides seraient continués. Cette pièce est insérée dans le rapport sur l'enseignement moyen de Belgique, présenté à la chambre le 1er mars 1843 :
« Bruxelles, 31 mars 1841.
« Monsieur le bourgmestre,
« Avant que de proposer au Roi l’arrêté qui distribue entre les athénées et les collèges le crédit porlé à l'article 4, chapitre V du budget de mon département, exercice courant, je crois devoir vous informer que le gouvernement considérera comme un droit et un devoir résultant de cette allocation, la surveillance et l’inspection des établissements subventionnés par le trésor.
« Il sera en conséquence établi, comme condition pour l'obtention des subsides, que le gouvernement aura le droit de les faire inspecter, d'y organiser des concours, et que de plus, pour s'assurer du bon emploi des fonds il se réservera l'approbation du budget des recettes et dépenses des athénées et des collèges qui auront obtenu des secours sur les fonds de l'Etat.
« Comme l'allocation des subsides ne. se fera qu'aux conditions ci-dessus détaillées, je vous prie, M. le bourgmestre, de vouloir bien me faire parvenir l'adhésion de l’administration communale à ces conditions dans le plus bref délai possible.
« Le ministre des travaux publics,
« Ch. Rogier. »
Voilà quelles étaient, en 1841, les seules conditions que l'honorable M. Rogier, alors ministre de l'instruction publique, imposait aux athénées et aux collèges subventionnés, pour leur assurer la continuation de leurs subsides. Trois conditions étaient exigées : acceptation de l'inspectorat, approbation du budget de l'établissement par le gouvernement et participation au concours.
Or, qu'a fait la ville de Tournay ? Elle a adhéré aux conditions indiquées par le gouvernement.
Eh bien ! n'est-ce pas une chose affligeante de voir l'honorable auteur de principes si libéraux, les abandonner maintenant, pour entrer dans un cercle étroit, dans un cercle d'interdictions indigne de son caractère ? Oui, je dis que c'est un cercle étroit, car il est incontestable que la ville de Tournay a eu le même pouvoir pour faire un concordat relativement à l'athénée que la ville de Bruxelles, pour créer une université libre. Si, à votre avis, la régence de Tournay n'a pas eu le droit de faire un semblable concordat, de déléguer ce que vous appelez une partie de ses attributions, assertion tout à fait inexacte, je vous demande comment vous trouvez que Bruxelles a eu le droit de fonder une université libre.
M. Orts. - Bruxelles n'a pas fondé une université libre.
M. Dumortier. - Je demanderai comment il est légal que le conseil provincial du Brabant ait pu allouer un subside sur les fonds provinciaux à cet établissement.
On dit que la ville de Bruxelles n'a pas fondé une université libre. Je me rappelle que lors des funérailles d'un de nos anciens collègues, de M. Rouppe, le plus grand éloge qu'on ait cru pouvoir faire de cet ancien bourgmestre de Bruxelles, c'était d'avoir, comme bourgmestre, fondé l'université libre.
Mais, si de pareilles conventions sont illégales, s'il n'est plus possible à des villes de faire des conventions relativement à leurs établissements d'instruction, alors je demande comment la ville de Bruxelles a pu faire une convention d'adoption avec une université libre, en supposant que cette université n'ait pas été fondée par la ville. Y a-t-il, en pareille matière, plusieurs modes de procéder ?...
M. Orts. - Où est la convention faite par la ville de Bruxelles ?
M. Dumortier. - Cette convention est dans le subside que vous accordez annuellement. Croyez-moi, M. Orts, soyez tolérants, laissez faire aux autres ce que vous faites vous-mêmes. Nous ne trouvons pas mauvais que vous ayez une université libre ; j'ai été même un des souscripteurs pour l'érection de cet établissement, je n'en rougis pas ; mais, encore une fois, soyez aussi tolérants que nous ; nous ne vous demandons pas que vous souscriviez pour les établissements qui sont dans l'ordre de nos idées ; mais laissez-nous faire ce que vous faites vous-mêmes ; lorsque nous ne demandons qu'une juste égalité, nous sommes en droit de l'obtenir. Que deviendrait la liberté en Belgique si, réellement, elle n'existait que pour vous et non pour nous ? Votre liberté ne serait qu'une tyrannie.
Messieurs, je reviens à la question. L'honorable M. Rogier déclare donc aujourd'hui que si l'allocation du subside que nous allons voter pouvait impliquer l'approbation des conventions conclues par des villes avec l'épiscopat, il croirait de son devoir de proposer une réduction sur le chiffre.
Eh bien, lorsque l'honorable M. Rogier avait, en 1841, l'instruction publique dans ses attributions, non seulement il n'a pas voulu, à cette époque, demander la suppression des conventions existantes, mais il n'a pas hésité un instant à proposer à la chambre de continuer les subsides à ces (page 1436) établissements. Ainsi, par exemple, en ce qui concerne les collèges subventionnés de Herve et de Soignies, il a été conclu un concordat sous les dates du 15 septembre 1838 et du 15 octobre 1840, entre les évêques et les administrations de ces villes. Les conseils communaux de Malines, de Furnes, de Thielt, etc., ont fait une semblable convention, à l'égard de leurs collèges sous les dates respectives du 18 avril 1840, du 28 septembre 1831 et du 9 février 1839. Je pourrais citer d'autres conventions de ce genre.
Il reste donc démontré que lorsque l'honorable M. Rogier était ministre de l'instruction publique il ne trouvait pas ces conventions illégales, et je l'en félicite ; il trouvait alors ces conventions convenables, puisqu'il portait au budget les subsides qui y avaient figuré les années précédentes en faveur de ces établissements. Comment se fait il donc qu'aujourd'hui il juge illégal ce qu'il regardait comme très légal quand il était ministre ? Les choses sont-elles donc changées ? L'illégalité existe-t-elle ou n'existe t-elle pas, selon que l'on est membre de l'opposition ou selon que l'on est ministre ? Je ne. puis le croire ; je pense que la légalité est la même en tout temps et en tout état de cause.
Au reste, je déclare qu'il est inexact de dire que l'administration communale de Tournay ait abdiqué ses prérogatives au profit de l'épiscopat, en ce qui concerne la nomination et la révocation des professeurs :
L'administration communale de Tournay n'a rien abdiqué : elle a consenti à recevoir des conseils en matière de morale et de religion ; mais elle s'est réservé le droit de nomination et de révocation ; seulement en cas de nouvelle nomination, elle demande des conseils ; or, je crois que tout le monde peut demander des conseils, s'astreindre même à les suivre, sans se soumettre à une abdication. Ainsi cette allégation est complétement inexacte.
On a rappelé les paroles prononcées par M. Van de Weyer dans la séance à laquelle on a fait allusion ; l'ancien ministre de l'intérieur a déclaré alors qu'il ne donnait pas son adhésion à la convention.
Mais j'ai eu l'honneur de faire remarquer, lors de la discussion à laquelle on fait allusion, que la ville de Tournay n'avait pas besoin de l'adhésion du ministre, elle a agi dans le ressort de ses attributions, de son droit. Comme elle a satisfait aux trois conditions imposées par la circulaire pour avoir le subside, elle a pu faire en outre ce que font toutes les régences, et elle a bien fait, comme le résultat l'a prouvé. L'établissement qui dépérissait au moment de la convention est arrivé depuis à une grande prospérité. Chose digne de remarque ! Déjà aujourd'hui un grand nombre de demandes d'admission au collège de Tournay sont faites pour la rentrée du mois d'octobre prochain. Voilà ce qui ne s'est jamais vu ; voilà comment l'opinion des pères de famille du pays se manifeste en faveur de cet établissement. Cela contrarie certaine opinion, je le comprends ; si vous ne voulez pas envoyer vos enfants dans cet établissement, libre à vous ; mais laissez aux pères de famille qui le préfèrent la liberté d'y envoyer les leurs. Liberté, liberté pour tout le monde et tout ira au mieux ; fondez des établissements tant que vous voudrez, mais permettez-nous aussi d'en fonder qui reposent sur l'instruction religieuse que les pères de famille demandent et demandent fortement dans ce pays.
M. de Brouckere. - Si la chambre se propose de discuter aujourd'hui à fond, quelle est la portée des conventions de la nature de celles dont viennent de parler les deux honorables préopinants, si la chambre voulait examiner jusqu'à quel point ces conventions sont légales, nous entrerions dans une discussion qui pourrait devenir fort longue et j'ajouterai qui serait singulièrement inutile, puisqu'elle n'aurait d'autre résultat que d'anticiper sur une discussion à laquelle nous devons nous livrer dans un temps assez rapproché, quand nous aurons à discuter la loi d'enseignement moyen.
En effet, ce sera à coup sûr une des questions principales que nous aurons à résoudre que celle de savoir jusqu'à quel point de semblables conventions peuvent ou ne peuvent pas être autorisées, ou au moins quelles seraient les modifications qui devraient y être apportées.
Je concevrais cependant la réponse de M. Dumortier si mon honorable collègue avait proposé d'une manière formelle de retrancher de l'article dont nous nous occupons une partie, quelconque quant au chiffre. Mais l’honorable M. Rogier s'est contenté de dire qu'on ne ferait une proposition de réduction que pour autant qu'on voudrait induire au vote des 200 mille francs demandes par le gouvernement, que la chambre approuve les conventions de la nature de celle dont on a parlé. Il y a un moyen assez simple de mettre un terme à ce débit. Je demanderai au ministre si par le libellé qui figure à l'article 5 du chapitre XIX, soit par le chiffre porté à cet article, il a entendu réclamer l'approbation directe ou indirecte des conventions dont il s'agit.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Non !
M. de Brouckere. - M. le ministre me répond non ; je dois d'autant plus croire que telle est l'opinion du gouvernement que le budget a été dressé par l'honorable M. Van de Weyer, qui à coup sûr, n'approuvait pas la convention de Tournay. M. le ministre vient de me répondre non ; il n'entend donc pas que le vote de deux cent mille francs entraîne une approbation quelle qu'elle soit donnée aux conventions de ce genre. Je crois qu'il y a un moyen simple : de mettre un terme à cette discussion ; pour éviter de la prulouger, je m'abstiendrai de répondre à l'honorable M. Dumortier, notamment relativement à la comparaison qu’il a faits de l’université libre avec l’athénée de Tournay.
La meilleure preuve que l'université libre n'a pas été fondée par la ville de Bruxelles, c'est que l’honorable M. Dumortier est un des fondateurs. Il n'y a pas eu d'autres fondateurs de l'université libre que des personnes qui ont fait ce qu’a fait l’honorable M. Dumortier. L’université libre a été fondée à l'aide de souscriptions particulières. Il est vrai que la ville de Bruxelles et le conseil provincial du Brabant allouent chaque année un subside à cette université, mais elle n'en reste pas moins un établissement entièrement indépendant ; c'est sans condition quelconque que ces subsides sont accordés. Mais nous ne voulons pas prolonger cette discussion, nous voulons seulement que la question reste entière, et le but serait atteint si on ajoutait au libellé de l'article : « sans préjuger en rien la validité des conventions par lesquelles des autorités communales auraient pu aliéner les pouvoirs qu'elles tiennent de l'article 84 de la loi communale en ce qui concerne les établissements communaux d'instruction publique.
M. Dumortier. - Pourquoi n'avez-vous pas présenté cela l'an dernier ?
M. de Brouckere. - Permettez-moi de vous dire que l'année dernière on n'avait pas signalé les conventions à la chambre.
M. Dumortier. - Elles étaient imprimées dans le rapport du ministre.
M. de Brouckere. - Je ne dis pas qu'elles n'existaient pas, mais niez-vous que les chambres ne s'en soient pas préoccupées, que l'attention de la chambre n'a pas été éveillée à cet égard ?
M. Dumortier. - Vous étiez libres de le faire.
M. de Brouckere. - C'est pour cela que nous le faisons ; nous usons d'une liberté en le faisant.
L'honorable M. Dumortier, qui se dit si épris de toutes les libertés, doit nous permettre d'user des nôtres.
Je répète donc que mon seul but est qu'on ne puisse tirer aucune induction du vote que nous allons émettre. Si vous voulez qu'on en tire, discutons la question à fond. Je n'exprime pas mon opinion sur le fond en ce moment, afin de ne pas engager cette discussion ; pour que nous puissions adopter l'article dont il s'agit, il faut qu'il soit reconnu qu'aucune opinion ne sera liée par le vote que nous allons émettre. J'entends, MM. de Mérode et Dumortier dire : Non ! non ! Mais il me faut autre chose que les non, non, de MM. de Mérode et Dumortier ; il faut qu'aucune opinion n’ait été émise ; il faut que quand nous discuterons la loi d'instruction secondaire, chaque membre arrive complétement libre, n'étant lié par aucun antécédent.
Ce que vient de dire l'honorable M. Dumortier doit engager la chambre à user d'une prudence particulière ; car l'honorable membre n'invoque pas seulement contre ses adversaires leurs paroles, mais leur silence. Il vient de faire à l'honorable M. Rogier un grief sérieux, un grief tellement sérieux qu'il a dit que ce qu'il a fait était indigne de son caractère ! Il lui a fait un grief de quoi ? De ce que, dans la circulaire dont il a donné lecture, M. Rogier n'a pas parlé des conventions...
M. Dumortier. - C'est la circulaire.
M. de Brouckere. — Ce n'est pas la circulaire, vous approuvez la circulaire ; c'est du silence que vous tirez une induction, comme vous tirez une induction de ce qui n'a pas été fait en 1841.Vous dites que : Vous n'avez pas improuvé en 1841, c'est que vous approuviez. Si nous ne faisons pas de réserve en 1846, quand nous discuterons la loi de l'enseignement au commencement de 1847, car je doute qu'elle puisse être discutée avant la fin de cette session, M. Dumortier viendra argumenter de notre silence et dire : Comment pouvez-vous parler de ces conventions ? Tous les journaux en avaient parlé, le rapport d'un membre du conseil communal de Tournay sur une convention de cette nature était dans tous les journaux ; vous saviez que dans les 200 mille francs portés à l'article 15 du chapitre XIX figurât une allocation pour le collège de Tournay, vous avez voté cet article sans rien dire, c'est que vous approuviez la convention !
Voilà ce qui doit déterminer la chambre à agir avec une certaine circonspection. A l'encontre de l'honorable membre, je désire que personne ne prenne d'engagement, que la question reste entière ; je ne m'explique pas pour le moment sur la question ; quand j'aurai à le faire, je le ferai catégoriquement. Je le répète, si nous le faisions maintenant, ce serait inutilement, d'autant plus que nous aurons occasion de traiter la question à fond dans quelques mois.
M. Dumortier. - L'honorable préopinant me fait dire autre chose que ce que j'ai dit. Il est toujours commode de tronquer les opinions émises par ses adversaires, on se ménage un triomphe facile.
Je me suis gardé de blâmer l'honorable M. Rogier ; mon intention n'était nullement de le blâmer ; j'ai exprimé le regret qu'un homme pour lequel je professe une haute et sincère estime, se soit mis en opposition avec ses précédents, c’était du moins mon opinion. L'ai-je blâmé de son silence ? Non certainement ; je n'entends pas non plus blâmer l'honorable M. de Brouckere de son silence. Je ne dirai pas que quand M. de Brouckere était gouverneur, il croyait devoir se taire et que maintenant il peut parler.
Personne ne pourra tirer d'induction du vote d'aujourd'hui ; mais ne vous y trompez pas : si la réserve proposée était admise, ce serait un vote du défiance, de désaveu de la convention que vous émettriez. Il ne faut pas se tromper sur ce point ; si j'avais voulu blâmer, j'aurais dit qu'il avait approuvé ce qu'il désapprouve aujourd'hui, je le prouverai quand le moment sera venu.
M. de Brouckere. - L'honorable M. Dumortier vient de me répondre d'une manière assez peu obligeante, mais cela ne m'étonne pas. Il a dit : Si je voulais adresser quelque chose de peu agréable à M. de Brouckere, je dirais qu'il se taisait quand il était gouverneur et qu'il parle aujourd'hui. Je ne lui répondrai qu'un mot : Quand j'étais gouverneur, lui et ses amis ne m'adressaient qu'un seul reproche ; c'est que je parlais un peu trop.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je suis parfaitement d'accord (page 1437) avec les honorables MM. de Brouckere et Rogirr sur ce point que le vote que la chambre émettra, quant au chiffre destiné à subsidier l’enseignement moyen, n'emporte en aucune manière, directement ou indirectement, approbation quelconque de la convention de Tournay, ou de toute autre convention. Ces questions restent pleines et entières, telles qu'elles sont aujourd'hui ; le vote ne peut exercer aucune espèce de préjugé ou d'influence,. ces questions seront débattues à propos de la discussion de la loi d'enseignement moyen.
Je dirai même que la convention de Tournay sera prochainement débattue dans le conseil communal.
Nous avons connaissance d'un rapport d'une commission ; nous verrons quelles observations seront faites sur ce document. La question est pendante à Tournay ; nous ne connaissons pas le véritable sens, la véritable portée de la convention- Ainsi nous n'avons pas à nous en occuper.
L'honorable M. Rogier a cité un passage d'un discours que j'ai prononcé à la suite de la motion de l'honorable M. Cans. Ce discours renfermait deux passages distincts : j'examinais d'abord la question de droit ; puis je constatais les faits.
J'ai dit d'abord qu'aux termes de la loi communale l'autorité communale avait seule le droit de nomination et de révocation des employés communaux et par conséquent des professeurs des athénées. J'ai reconnu ce principe qui est consacré par la loi. J'ai ensuite établi en fait que l'autorité communale de Tournay n'avait pas aliéné ses droits. Je ne reproduirai pas mes observations. Nous attendrons les résultats de la délibération de l'autorité communale de Tournay.
En fait, nous étions d'accord avec l'honorable M. Devaux, qu'une conciliation était désirable. C'est en ce sens que je me suis exprimé, qu'une loi, qui empêcherait l'entente entre les autorités civile et ecclésiastique, en ce qui concerne l'enseignement religieux, ne serait pas acceptable au point de vue social.
L'honorable M. Devaux était d'accord avec moi sur ce point ; nous ne différions que sur une seule circonstance : la portée de la convention. L'honorable M. Devaux y assignait une portée que je n'y assigne pas. Voilà le dissentiment entre nous deux.
Je crois donc inutile de formuler en amendement des réserves sur lesquelles on paraît être d'accord. Il est entendu que, quel que soit le vote sur l'article du budget, il n'y a absolument rien de préjugé.
M. Orts. - L'honorable M. Dumortier a prétendu que la ville de Bruxelles avait fondé l'université libre ; il a même parlé d'une convention entre la ville et l'université. Je ferai remarquer à l'honorable membre que la ville de Bruxelles n'a pas plus fondé l'université libre, que la ville de Louvain n'a fondé l'université catholique. Il m'a convié à la tolérance ; je ne sais si cette invitation s'adresse à moi personnellement, ou à la ville de Bruxelles. Je lui ferai cependant une observation, c'est que la ville de Bruxelles, qui vote tous les ans un subside en faveur de l'université, vote aussi tous les ans un subside en faveur d'une école gardienne dirigée par un respectable curé de la ville et à une école dirigée par l'abbé Van Dorselaer, et qui est consacrée à l'enseignement des jeunes filles.
L'honorable membre a voulu trouver quelque analogie entre la convention de Tournay et le subside alloué à l'université libre. Je ne lui ferai qu'une réponse, par laquelle il pourra apprécier mon opinion sur cette convention, c'est que si l'on proposait au conseil communal de Bruxelles de déléguer la nomination des professeurs de son athénée ou l'approbation de ces nominations au conseil d'administration de l'université libre, composé d'hommes les plus respectables et éminemment capables de faire de bonnes nominations, je m'opposerais de toutes mes forces à une pareille proposition, parce que ce serait violer le principe de l'inaliénabilité des droits dont la Constitution et la loi communale investissent exclusivement les conseils communaux.
M. Rogier. - D'après la déclaration de M. le ministre de l'intérieur, la discussion perdra beaucoup de ses proportions.
M. le ministre de l'intérieur a déclaré qu'il était bien entendu que le vote de l'article en discussion n'impliquerait ni directement ni indirectement, de la part de la chambre, la sanction ou l'approbation de conventions semblables à celle de Tournay. Ceci demeure bien entendu. Nous pouvons donc voter aujourd'hui l'article et ne pas entraver un service administratif.
J’ai commencé par dire que je ne voulais pas entraver l'administration, que je voulais bien voter le subside, mais à la condition que ce vote ne lie la chambre sous aucun rapport.
J'ajouterai quelques mots.
L'honorable M. Dumortier s'étonne et s'afflige de ce que moi qui, en 1841, approuvais de pareils arrangements, je vienne les condamner en 1846. Je dirai d'abord à l'honorable M. Dumortier que les temps sont changés, que, depuis 184l, des prétentions nouvelles et des faits nouveaux ont surgi, et que dès lors, tout en restant conséquent avec moi-même, j'aurais pu changer d'opinion en présence des changements survenus dans les principes et dans les faits.
Mais je nie que je sois différent de moi-même en 1846 et en 1841.
En 1841, j'ai imposé aux établissements qui recevaient un subside de l'Etat trois conditions : le concours, l'inspection et la soumission des budgets au gouvernement. Mais dans quelle circulaire, dans quel acte, dans quel discours l'honorable M. Dumorlier a-t-il trouvé la preuve que jamais j'aie approuvé des conventions par lesquelles une ville aurait abdiqué, dans l'administration de son collège les prérogatives qu'elle tenait de la loi communale ? A aucune époque ; nulle part je n'ai professé une telle opinion.
Des subsides, j'en ai accordé sous condition, j'en accorderais encore, si j'étais ministre, à des établissements privés ; mais jamais je n'en accorderais à des établissements publics, dans lesquels l'autorité communale aurait abdiqué sa part légitime d'action.
Nous sommes très tolérants : nous sommés disposes à être libéraux vis-à-vis des établissements privés ; mais jamais (et je ne pense pas que de telles doctrines puissent prévaloir dans cette enceinte) nous n'admettrons que le gouvernement puisse sanctionner des conventions par lesquelles les droits de la commune seraient abdiqués, comme ils le sont par la convention de Tournay.
Du reste, ces questions reviendront en temps opportun. Je souhaite trouver sur les bancs de l'honorable M. Dumortier autant de sympathie que sur les nôtres pour les libertés du pouvoir civil à tous ses degrés. A cet égard je ne crains pas de défier l'honorable M. Dumortier lui-même ; nous verrons qui de nous deux sera le plus libéral et le plus tolérant.
Tout ce qui nous importe pour le moment, c'est la déclaration de M. le ministre de l'intérieur faite en son nom et sans doute aussi au nom de la droite. (Oui, oui !) Car aucune réclamation ne s'est élevée sur ses bancs, lorsqu'il a déclaré que le vote du subside n'impliquait ni directement ni indirectement approbation de la chambre, quant à la convention de Tournay.
M. de Brouckere. - Mon intention était de présenter l'amendement ; mais après une déclaration aussi nette que celle qu'a faite l'honorable M. de Theux en sa qualité de ministre de l'intérieur, déclaration qui non seulement ne semble pas contestée mais qui même paraît ratifiée par tous les membres de cette chambre assis sur les bancs de la droite, je déclare n'avoir aucune proposition à faire, et être parfaitement satisfait.
- L'article 5 est mis aux voix et adopté.
« Art. 6. Indemnités aux professeurs démissionnaires des athénées et collèges : fr 5,000. »
- Adopté.
« Art. 7. A. Frais d'administration. Inspection civile et ecclésiastique : fr. 90,000
« B. Service annuel ordinaire de l'instruction primaire communale, subsides aux communes (article 23 de la loi) ; fr. 271,000
« C. Matériel. Construction, réparation et ameublement d'écoles. : fr. 75,000
« D. Encouragements (titre III, § 2) : fr. 90,000
« E. Subsides à des établissements spéciaux (article 25) ; fr. 25,000
« F. Enseignement normal. Ecoles primaires supérieures : fr 200,000
« Total : fr. 751,000. »
M. de Brouckere. - J'ai connaissance depuis tantôt de l'article nouveau présenté par M. le ministre, et qui présente une augmentation de 79,000 francs. Mais M. le ministre de l'intérieur n'a pas dit quelles étaient les provinces qui profiteraient de cette augmentation et dans quelle proportion. Or je crains que certaine province à laquelle une augmentation de subside est indispensable ne soit pas favorisée. Je voudrais savoir quelles sont les intentions de M. le ministre de l’intérieur au sujet de la province dont je veux parier.
Cette province, en effet, est celle qui s'est le mieux exécutée, relativement à ses obligations concernant l'enseignement, c'est-à-dire qu'elle s'est empressée de porter à son budget le montant des 2 c. additionnels à ses contributions, et que les communes de cette province ont également rempli leurs obligations.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - La question faite par l'honorable M. de Brouckere est, on doit le comprendre, assez délicate ; car, si j'entre dans des explications, elles seront considérées comme des engagements vis-à-vis des provinces. Ce que je puis dire à l'honorable membre, c'est que quatre provinces n'ont pas obtenu l'an dernier de subside sur le litttera pour lequel je demande une augmentation, et qu'il sera fait droit, au moins en partie, à leur réclamation pour cette année. Ce sont les provinces d'Anvers, de la Flandre orientale, du Hainaut et du Brabant.
Ces provinces auront une part dans l'augmentation, mais je ne puis dire laquelle.
Je sais que l'honorable M. de Brouckere désirerait une augmentation pour la province de Liège ; nous examinerons s'il ne serait pas possible de l'accorder.
Nous n'avons pas pu proposer une somme telle que nous l'eussions désirée pour faire face à tous les besoins de l'enseignement primaire ; nous avons dû nous restreindre dans certaines limites ; mais ce que nous ne pouvons pas faire telle année pourra être fait au budget de l'année prochaine. Je prie donc l'honorable membre de ne pas insister pour obtenir d'autres explications. Si quelques provinces restent encore sans obtenir ce qui est nécessaire pour faire complétement face aux besoins du service, nous tâcherons d'y pourvoir l'année prochaine.
Mais le gouvernement aura à examiner s'il n'est pas possible d'introduire quelques économies dans les dépenses de ce service. Ainsi que je l'ai dit, en répondant à l'honorable M. Veydt, je crois qu'il y a quelques mesures à prendre pour empêcher l'accroissement excessif des dépenses de l’enseignement qui s'élèvent déjà à 2,800,000 fr. en réunissant les subsides communaux et provinciaux à ceux de l'Etat.
M. de Brouckere. - D'après ce que vient de dire M. le ministre de l’intérieur, je n'insisterai pas pour obtenir d'autres explications. Il reconnaîtra d'ailleurs, et la chambre reconnaîtra avec lui, que dans la demande que j'ai faite, je suis parfaitement désintéressé. Si j'ai fait une interpellation à M. le ministre, c'est parce qu'il est à ma connaissance, à ma parfaite (page 1438) connaissance que les fonds alloués par l'Etat aux provinces ne suffisent pas aux besoins de l'enseignement primaire. Si M. le ministre de l'intérieur, qui n'est que depuis bien peu de temps aux affaires, veut se faire représenter les réclamations faites par les provinces, il reconnaîtra lui-même que quoique les allocations portées au budget soient déjà bien élevées, elles sont véritablement trop minimes encore. C'est ainsi que pour la province dont je veux parler, l'allocation que l'administration provinciale croit indispensable, a été réduite des trois huitièmes.
Il faut cependant que l'instruction primaire marche. Il faut que les instituteurs soient salariés d'une manière convenable, c'est-à-dire de manière à pouvoir vivre décemment. Or, vous savez, messieurs, qu'en général, ils ne peuvent pas exercer d'autres professions ; ce n'est que par exception qu'on leur permet de donner une partie de leur temps à des occupations étrangères à leurs fonctions. Il faut donc les rétribuer de manière qu'ils puissent vivre convenablement.
Quoi qu'il en soit, messieurs, je bornerai là mes réclamations, mais je prie avec instance M. le ministre de l'intérieur d'examiner mûrement les observations dont je viens de parler et de voir si, l'année prochaine, il ne. devra pas aviser au moyen, ou de diminuer les dépenses de l'enseignement primaire, ou d'augmenter les subsides du gouvernement.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Certainement, messieurs, je ne manquerai pas de m'occuper de cela et d'une manière toute particulière. Cependant je dois dire à l'honorable M. de Brouckere que la province de Liège est celle qui touche le plus. Elle a touché 53,000 fr. Dans tous les cas je me ferai rendre compte de toutes les demandes qui ont été faites et j'examinerai la question soigneusement.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 8. Subsides pour l'enseignement à donner aux sourds-muets et aux aveugles : fr. 20,000. »
- Adopté.
« Art. 1er. Lettres et sciences : fr. 235,850.’
M. de Garcia. - Messieurs, je dois recommander à M. le ministre de l'intérieur une académie de dessin qui existe à Namur et qui est aussi remarquable par le mérite du directeur que par les élèves distingués qu'elle produit. Qu'il me soit permis de donner lecture d'une lettre par laquelle l'académie d'Anvers félicite le directeur de l'école de Namur des soins qu'elle obtient. Cette lettre, beaucoup mieux que tout ce que je pourrais dire, établira combien M. Marinus, paysagiste distingué et directeur de cette académie, est digne de la sollicitude du gouvernement. Voici un extrait de cette lettre :
« Académie royale des Beaux-Arts d'Anvers.
« A messieurs les bourgmestre et échevins de la ville de Namur.
« Anvers, le 15 septembre 1845.
« (…) Il nous est agréable, messieurs, de n'avoir à donner à l'académie de Namur que de sincères éloges. Les études qui nous ont été présentées le 7 sont encore meilleures sous tous les rapports que celles des concours précédents et nous vous assurons que de toutes les académies et écoles dont nous sommes appelés à juger les concours, l'académie de, Namur est l'une de celles qui se distinguent le plus par leur bonne méthode, l'avancement des éludes en général et les progrès vraiment remarquables des élèves. Aussi, les professeurs ont-ils témoigné à l'unanimité le désir que le procès-verbal qui en tiendrait lieu, contînt l'expression de leur satisfaction des études de l'académie de Namur et les félicitations qu'ils croient devoir adresser à M. le directeur Marinus, sur les brillants succès de son enseignement.
« (…) Le directeur, G. Wappers. »
Je n'ajouterai à ce témoignage flatteur qu'une seule considération. Le. directeur de l'école de Namur est un artiste paysagiste très distingué ; des élèves brillants sortis de son école ont déjà figuré avec succès dans diverses expositions. La province de Namur, la plus riche de nos provinces en beaux sites, est en quelque sorte le siège naturel de l'étude du dessin de paysage. J'attire donc l'attention du gouvernement sur ce directeur de l'académie de Namur qui, jusqu'à ce jour, est peut-être le seul directeur qui n'ait pas reçu un témoignage d'encouragement. Je prie donc le gouvernement de vouloir réparer cet oubli en demandant à cet artiste aussi modeste que distingué l'occasion de fournir quelques ouvrages destinés à embellir les établissements publics. (Aux voix ! aux voix !)
M. de La Coste. - Puisque l'honorable membre a cru devoir recommander l'académie de Namur, je ne puis me dispenser d'appeler l'attention du gouvernement sur celle de Louvain. Elle renferme des artistes très remarquables qui n'ont reçu aucune marque de sympathie du gouvernement.
M. Dedecker. - Je n'ai pas demandé la parole, messieurs, pour faire des réclamations en faveur de l'académie de Termonde. C'est pour un autre objet. Dans la dernière réunion des différentes classes de l'Académie royale de Bruxelles, M. le secrétaire perpétuel a été chargé de prier M. le ministre de l'intérieur de porter le budget de l'Académie à 50,000 fr. Depuis nombre d'années le budget normal de ce corps savant est fixé à 30,000 fr. Maintenant l'Académie est réorganisée ; on a formé trois classes et au lieu de 48 membres, il y en a 90. Les travaux de l'Académie ont augmenté considérablement. Déjà dès à présent il y a un arriéré considérable pour l’impression des mémoires parmi lesquels il y en a de fort importants et entre autres il en est un qui, à lui seul, coûtera 8,000 fr., et qui est relatif aux origines du droit belgique. Je crois, messieurs, que par suite de la réorganisation de l'Académie et pour ne pas interrompre des travaux dont tout le monde reconnaît l'importance, il faudrait porter le chiffre de cette institution à 50,000 fr. Je fais la proposition d'augmenter à cet effet de 10,000 fr. le crédit de l'article en discussion, et j'espère que M. le ministre de l'intérieur voudra bien appuyer ma demande.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, par un amendement qui a été imprimé le 11 mai, j'ai proposé une augmentation de 10,000 francs pour l'appropriation des locaux destinés à l'Académie royale des sciences, lettres et beaux-arts. Maintenant l'honorable M. Dedecker propose une nouvelle augmentation de 10,000 francs. Je vous avoue que je ne suis pas du tout préparé à traiter ce point. Dans tous les cas, s'il y avait un déficit sur ce service, je proposerais un crédit supplémentaire.
M. Dedecker. - Par suite de la déclaration de M. le ministre, qu'il proposera, au besoin, un crédit supplémentaire pour les publications de l'Académie, je retire ma proposition.
M. de Bonne. - Messieurs, l'allocation de 6,000 fr. qu'on vous demande au littera G de cet article a pour objet de subvenir aux frais de publication de la collection des Acta sanctorum commencée à Anvers il y a plus de 2 siècles.
Depuis environ 10 ans, si pas davantage, le trésor paye annuellement 6,000 fr. aux révérends pères de la compagnie de Jésus.
Je ne viens pas proposer, encore moins demander la suppression de cette allocation ; mais le procédé suivi jusqu'à ce jour me paraît vicieux, et je crois nécessaire de le signaler.
Autant que personne, je désire conserver à la Belgique l'honneur de la publication de cet ouvrage. Je serais heureux de le voir achevé, quoique j'en désespère beaucoup si l'on continue à suivre la voie déplorable dans laquelle le ministère est entré, et j'ai lieu de craindre que 2 siècles encore seront peut-être nécessaires.
La preuve de ce que j'avance est facile à saisir. Tous les ans on alloue 6,000 fr., sans condition aucune. Que l'on publie ou ne publie rien ; que les révérends pères travaillent ou ne travaillent pas, peu importe, tous les ans le trésor leur paie 6,000 fr.
De manière que depuis une dizaine d'années vous leur avez payé une soixantaine de mille francs.
Qu'avez-vous pour cette somme ? Un volume de 1,200 pages in-folio, publié il y a trois mois environ.
Je ne sais ce que penseront mes honorables collègues, mais je trouve que l'œuvre est trop chère.
Presque tous les gouvernements protègent les sciences, les lettres, les arts : ils leur viennent en aide et leur accordent des secours. Mais cette assistance consiste dans l'achat de l'œuvre ou même en un don pour l'œuvre faite ou à faire, et dans ce cas le prix est fixé. Mais aucun que je sache ne paye une somme fixe par année, sans déterminer l'ouvrage.
N'est-ce pas mettre en action la table de la toile de Pénélope ? C'est vouloir éterniser le travail des révérends pères, car ils sont intéressés à le prolonger. C'est en un mot accorder une récompense, si pas à la paresse,, bien certainement à l'insouciance.
Je pense donc que, dans le cas actuel, nous devons demander que le gouvernement fasse comme on fait partout ailleurs, c'est-à-dire qu'il détermine un prix par volume de tant de pages, par exemple 15 à 1,600 pages. Ou bien qu'il soit décidé que le gouvernement payera les frais d'impression de chaque volume, et abandonnera aux révérends pères le bénéfice de la vente.
Il me semble que ce mode est préférable : il présente plusieurs avantages.
D'abord ou sait ce que produit chaque allocation ;
2° Il hâtera l'achèvement de l'ouvrage.
3° Il diminuera la charge que le mode suivi jusqu'à présent fait peser sur le trésor.
Le mode suivi jusqu'à ce jour est d'autant plus vicieux qu'il pourrait établir un précédent déplorable. Pourquoi, peut-on se demander, ne pas donner 3,000 fr. par an à tel peintre ? 3 ou 4 mille à tel sculpteur ? 2 ou 3 mille à tel écrivain qui chacun se serait chargé de faire tableaux, statues ou ouvrages littéraires ou historiques, sans convenir ni de l'ouvrage, ni du terme dans lequel il seraient fails ou livrés ?
L'allocation, de la manière dont elle est faite, est donc une faveur, une donation, une pension annuelle déguisée.
Ce que l'on fait pour les révérends pères de la compagnie de Jésus pourrait-on le refuser à des révérends pères d'un autre ordre, soit Bénédictins soit Oratoriens, qui entreprendraient un ouvrage national ? Non sans doute. Eh bien, si l'on veut éviter les plaintes de favoritisme et peut-être quelque chose de plus, il faut régler cette allocation, en déterminant le prix et l'œuvre. La conséquence de ce que je viens d'avoir l'honneur de vous dire se résume en la proposition de déclarer que le gouvernement fera les frais d'impression de chaque volume à publier par les révérends pères Bollandistes ; ou bien que la somme de... (à convenir) sera payée pour chaque volume publié par les révérends pères Bollandistes.
M. Dumortier. - Messieurs, la publication dont il s'agit honore au plus haut point la Belgique. Vous savez, messieurs, que les Acta sanctorum sont la seule grande publication que le pays ait produite et qu'il a fallu deux siècles pour la pousser au point où elle est. Chacune des grandes nations de l'Europe a élevé un monument aux sciences historiques ; la France (page 1439) a eu son grand recueil ; l'Allemagne a eu le sien ; l'Angleterre a eu le sien ; la Belgique a les Acta sanctorum.
Remarquez, messieurs, que les Acta sanctorum ne sont pas seulement une publication religieuse ; c'est avant tout une publication historique. En effet, les saints sont les grands hommes du moyen âge ; c'est uniquement dans ce qui est relatif aux saints qu'on trouve des renseignements sur les mœurs, sur la vie des citoyens, sur les libertés du peuple au moyen âge. Cette publication a été jugée en France comme tellement importante que sous l'Empire, l'Institut de France a adressé un message à l'empereur pour demander que la France continuât ce que la Belgique avait entrepris. Maintenant des savants français sont venus en Belgique pour continuer cette œuvre. La Belgique a vu là une question de dignité nationale ; elle n'a pas voulu qu'une publication aussi célèbre passât à l'étranger, et les chambres ont voté un subside pour en permettre la continuation.
L'honorable membre pense que nous avons payé 60,000 fr. pour un volume, c'est une erreur ; il y a deux volumes.
M. de Bonne. - Douze cents pages.
M. Dumortier. - Il y a seize cents pages. (Interruption). Mais l'honorable membre oublie une chose, c'est qu'il a fallu commencer par réunir les matériaux ; la révolution française avait éparpillé les documents recueillis par les anciens Bollandistes ; il fallu une correspondance extrêmement active avec tous les autres pays pour pouvoir se procurer les matériaux nécessaires, et certes, messieurs, le subside alloué n'est pas trop considérable.
Je pense que les matériaux étant maintenant réunis, la publication sera un peu plus rapide que dans les premières années. Mais je dois dire que les deux volumes qui ont paru sont, de l'avis des hommes de lettres, à la hauteur des premières publications et que l'Europe félicitera le Belgique d'avoir continué cette œuvre importante.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je m'engage volontiers à donner au prochain budget les renseignements les plus détaillés sur le matériel de cette publication. Je n'ai pas dans ce moment ces documents. Mais je puis donner l'assurance que ces fonds n'ont pas été dilapidés. J'ajouterai que j'ai eu quelque peine à déterminer le collège St-Michel à se charger de cette publication, parce qu'il devait retirer du personnel d'ailleurs pour s'occuper de ce travail qui est très difficile et extrêmement long.
M. de Bonne. - D'après ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur, je retirerai ma proposition. J'espère qu'au prochain budget M. le ministre de l'intérieur ne manquera pas de nous donner les explications qu'il nous a promises sur la partie matérielle et la régularisation de cette allocation.
Je reconnais la vérité de ce que vous a dit l'honorable M. Dumortier : il s'agit d'une entreprise très digne et très honorable pour la Belgique. Mais je trouve que nous la payons un peu cher, et je désirerais qu'une allocation fût fixée par volume et non par le nombre d'années que durera le publication. Car si l'on est resté dix ans pour publier un volume, on peut en rester vingt pour en publier un autre et cela deviendrait par trop onéreux.
M. de Haerne. - J'ajouterai aux observations de l'honorable M. Dumortier qu'il est à ma connaissance que non seulement on a dû se donner de grandes peines pour rassembler les matériaux qui se trouvaient dans le pays, mais qu'on a dù entrer en correspondance avec les pays étrangers, qu'on a dû chercher des documents en Espagne, en Italie et dans toute l'Europe, qu'ainsi il est impossible de régler l'allocation par volume, parce que les documents s'accumulent et s'appliquent à des volumes différents.
- La discussion est close.
Le chiffre de 245,850 fr. est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Archives du royaume. Frais d'administration (personnel) : fr. 23,750. »
- Adopté.
« Art. 3. Matériel : fr. 4,600. »
- Adopté.
« Art. 4. Frais de publication des inventaires des archives : fr. 4,000. »
- Adopté.
« Art. 5. Archives de l'Etat dans les provinces ; frais de recouvrement de documents provenant des archives, tombées dans des mains privées ; frais de copies de documents concernant l'histoire nationale : fr. 15,000. »
M. le ministre de l'intérieur propose une augmentation de 2,400 fr., ce qui porte le chiffre à 17,400 fr.
- Le chiffre de 17,400 fr. est adopté.
« Art. 6. Location de la maison servant de succursale au dépôt général des archives de l'Etat : fr. 3,500. »
- Adopté.
« Art. 7. Beaux-arts ; fr. 236,500. »
M. le ministre de l'intérieur propose une augmentation de 12,000 fr., ce qui porterait le chiffre à 248,500 fr.
M. Veydt. - A la fin de la troisième section, il est dit qu'il n'y a pas de crédit au budget pour l'exposition triennale des beaux-arts. Mais, messieurs, il y a des expositions, à tour de rôle, à Anvers, à Bruxelles et à Gand. En 1845, c'était le tour de la capitale. Je désire prévenir que la suppression d'un crédit en 1846, au moment où l'exposition va avoir lieu à Anvers, ne soit considérée comme pouvant nuire à cette exposition et la priver des subsides du gouvernement. Les trois expositions ont été consacrées par plusieurs arrêtés royaux, et en dernier lieu, par celui du 25 novembre 1839, qui crée un fonds destiné à l'encouragement de la peinture historique et de la sculpture. Il est donc parfaitement juste qu'elles reçoivent toutes les trois des subsides de l'Etat, dans l'année respective de leur ouverture.
M. de Bonne. - Messieurs, dans ce chiffre se trouve comprise une somme de 8,000 fr. pour travaux d'appropriation à la porte de Hal. En 1841, il avait été dit qu'une somme de 10,000 fr. suffirait pour ces travaux. Depuis lors il paraît que l'on a déjà dépensé 23,000 fr., et on demande encore 8,000 fr. pour 1846. Il y a plus ; on nous menace (car je regarde cela comme une menace) d'une dépense de 86,000 fr. pour faire de la porte de Hal un monument. J'avoue, messieurs, que je comprends difficilement comment d'une ancienne porte de ville et d'une prison, on pourra faire un monument. Je désirerais que mes collègues de la chambre fissent un tour jusqu'à la porte de Hal pour s'assurer de la possibilité de l'exécution d'un pareil projet. Si c'était par amour de l'ogive que l'on voulait conserver la porte de Hal, il ne fallait pas l'enterrer en grande partie et fermer ainsi l'entrée. Quant à moi, je ne vois plus dans cet édifice qu'un gros caillou qui obstrue la voie publique. Qu'on le conserve comme un débris de fortifications, je le conçois, mais je ne puis admettre qu'on en fasse un monument.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, le crédit qui est demandé n'est pas destiné à faire de la porte de Hal un monument, mais à l'approprier à l'intérieur et à y transporter des collections qui se trouvent au Palais de l'Industrie. Il ne s'agit nullement en ce moment de commencer les travaux d'un monument.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je ferai remarquer que ce que l'honorable M. de Bonne appelle un caillou a été payé 165,000 fr. à la ville de Bruxelles, et que, dès lors, il est naturel qu'on y fasse quelques travaux ultérieurs pour le rendre bon à quelque chose.
— Le chiffre de 248,500 fr. est mis aux voix et adopté.
« Art. 8. Monument de la place des Martyrs : fr. 2,000. »
- Adopté.
« Art. 9. Quatrième septième pour l'exécution de la statue équestre de Godefroid de Bouillon : fr. 12,500. »
- Adopté.
« Art. 10. Monuments à élever aux hommes illustres de la Belgique, avec le concours des villes et des provinces ; médailles à consacrer aux événements mémorables : fr. 10,000 ? »
- Adopté.
« Art. 11. Subsides aux provinces, aux villes et aux communes dont les ressources sont insuffisances pour la conservation des monuments, et commission royale des monuments : fr. 38,000. »
La section centrale propose une réduction de 2,000 fr.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je me rallie à cette réduction.
- Le chiffre de 36,000 fr. est adopté.
« Article unique. Complément des frais de confection des tables décennales des actes de l'état-civil pour la période de 1835 à 1842, en exécution du décret du 20 juillet 1807 et des articles 69 et 70 de la loi provinciale : fr. 25,000
- Adopté.
« Article unique. Dépenses imprévues et travail extraordinaire : fr. 18,000. »
- Adopté.
M. le président. - Des amendements ayant été introduits dans le budget, il y a lieu de remettre le second vote à une autre séance.
Plusieurs membres. - Non ! non ! Aux voix ! aux voix !
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Si la chambre désire passer immédiatement au vote définitif, je me rallierai aux amendements adoptés, pour ne pas prolonger la discussion.
- La chambre décide qu'elle procédera d'urgence au second vote.
Les amendements admis au premier vote sont successivement mis aux voix et définitivement adoptés.
La chambre passe au vote du projet de loi.
« Art. 1r. Le budget du département de l'intérieur pour l'exercice 1846 est fixé à la somme de cinq millions huit cent quatre-vingt-quatre mille soixante et quatorze francs, conformément au tableau ci-annexé. »
- Adopté.
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du budget de l'intérieur.
Voici le résultat de cette opération : 57 membres prennent part au vote. 56 membres répondent oui. 1 (M. de Bonne) répond non.
En conséquence le projet de loi, contenant le budget de l'intérieur, exercice 1846, est adopté. Il sera transmis au sénat.
(page 1440) Ont répondu oui : MM. Brabant, Clep, Coppieters, d'Anethan, de Brouckere, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Roo, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, d'Hoffschmidt, d'Huart, Dubus aîné, Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Henot, Lange, Lejeune, Liedts, Maertens, Malou, Mast de Vries, Orban, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Simons, Thienpont, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Verwilghen, Veydt, Wallaert, Zoude.
M. Osy. - Au commencement de la séance, la chambre a mis à l'ordre du jour un crédit supplémentaire pour le département des finances. Je demanderai que l'assemblée mette également à l’ordre du jour un crédit supplémentaire pour le département des affaires étrangères, crédit sur lequel j'ai déposé un rapport récemment.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à 5 heures et demie.