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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 18 mai 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1399) M. de Villegas fait l'appel nominal à deux heures.

M. Huveners lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Villegas présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le conseil communal de Severghem présentant des observations sur le projet de canal pour la dérivation des eaux de la Lys, prie la chambre de décréter d'abord ou tout au moins en même temps un canal de décharge reliant le haut au bas Escaut. »

« Même demande des conseils communaux de Swynaerde, Dickelvenne et Semmersaeke. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif au canal de dérivation des eaux de la Lys.


« Les maîtres de forges, usines et fonderies du district du Centre prient la chambre d'accorder le plus tôt possible la concession du chemin de fer de Manage à Wavre. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à cette concession.


« Le sieur Errembault de Maisnil, bourgmestre de la commune de Brasmenil prie la chambre de statuer sur la demande faite en faveur du milicien Vilain, tendant à lui obtenir une pension du chef de l'ophtalmie qu'il a contractée au service. »

- Renvoi à la section centrale du budget de la guerre.


« Le conseil communal de Wervicq prie la chambre d'adopter le projet de loi sur le canal de dérivation des eaux de la Lys, et demande qu'il soit pris des mesures pour faire ouvrir les écluses des fortifications de Menin, toutes les fois que les eaux viennent à déborder. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif au canal de dérivation des eaux de la Lys.


« Les notaires délégués par leurs collègues de 17 villes ou communes présentent des observations contre le projet de loi sur l’organisation du notariat. »

(page 1400) - Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi.


M. Vandensteen demande un congé de quelques jours.

- Accordé.


Par divers messages, du 16 mai, le sénat informe la chambre qu'il a adopté :

1° Le budget du département des travaux publics, exercice de 1846 ;

2° Le projet de loi relatif à l'avancement des officiers d'artillerie et du génie au grade de capitaine :

3° Le projet de loi relatif à la comptabilité des commissions médicales provinciales.

- Pris pour notification.

Loi relative à l'exportation, en transit, des cordages déposés en entrepôt

Rapport de la section centrale

M. Veydt dépose le rapport de la section centrale sur le projet de loi concernant l'exportation des cordages entreposés.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport dont la discussion sera fixée ultérieurement.

Rapport sur la situation de l'enseignement supérieur

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) dépose le rapport sur la situation des deux universités de l'Etat pendant l'année 1845.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

Motion d'ordre

M. de Renesse. - Messieurs, plusieurs pétitions ont été dressées à la chambre, relativement à la question des sucres ; elles ont été renvoyées à la section centrale qui a été chargée de l'examen du projet de loi sur les sucres. Je voudrais qu'un rapport fût fait sur ces pétitions, avant la discussion du projet de loi.

M. le président. - Je ferai convoquer la section centrale, afin de s'occuper de ces pétitions dans sa séance d'après-demain.

Motion d'ordre

Arrestation d'un officier polonais servant dans l'armée belge

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, si la chambre me le permet, je répondrai à l'interpellation que l'honorable M. Verhaegen m'a adressée dans une séance précédente, relativement à l'extradition du sieur Zawiska, réfugié polonais et l'un des officiers de l'armée belge. Je donnerai ces explications en très peu de mots.

D'abord, je dois faire connaître que les faits rapportés dans un article de la « Gazette de France », article dont l'honorable M. Verhaegen a donné lecture ; que ces faits sont complétement inexacts. Rien n'autorise à supposer, d'après la correspondance officielle, que des rigueurs quelconques auraient été exercées à l'égard du sieur Zawiska, depuis son arrestation à Dresde, le 26 février dernier.

Le lieutenant Zawiska, du 1er régiment de lanciers, s'était rendu auprès de ses parents dans le grand-duché de Posen : il avait obtenu un congé pour cause de santé ; ce congé fut révoqué depuis. Il fut considéré par le gouvernement prussien, comme impliqué dans les événements politiques qui eurent lieu dans les provinces de la Prusse occidentale et dans le duché de Posen, et son extradition fut réclamée du gouvernement saxon, en vertu de l'arrêté fédéral de la haute Diète du 18 août 1836. Les autorités de la Saxe remirent le sieur Zowiska aux autorités prussiennes le 9 mars, mais après que le cabinet de Berlin eut communiqué au gouvernement de la Saxe l'instruction judiciaire que celui-ci s'était réservé d'examiner et d'apprécier lui-même.

Dès le début de cet incident regrettable, le gouvernement belge, par l'intermédiaire de ses agents diplomatiques, est intervenu activement à Dresde comme à Berlin dans l'intérêt du sieur Zawiska, et il n'a négligé aucun des moyens que son devoir lui prescrivait d'employer.

On a cru que le sieur Zawiska pourrait être livré par la Prusse à la Russie : c'est là une erreur ; la convention en vertu de laquelle la Prusse, la Russie et l'Autriche sont convenues de se livrer mutuellement leurs nationaux, ne concernant que le complot armé de Cracovie qui est une affaire spéciale.

Le lieutenant Zawiska est seulement prévenu, comme je l'ai dit tout à l'heure, de participation aux événements politiques de Posen ; il se trouve donc en dehors du système d'extradition adopté par les trois puissances dont je viens de parler.

Le lieutenant Zawiska n'ayant pu obtenir son élargissement immédiat, a reconnu la nécessite de se justifier devant les tribunaux prussiens. Il a fait cette demande d'un jugement par une lettre adressée à notre envoyé à Berlin le 31 mars, et il l'a renouvelée par une nouvelle lettre en date du 18 avril.

Voilà, messieurs, les faits succinctement rapportés. Si le gouvernement s'abstient aujourd'hui de faire connaître plus explicitement la nature et le but de son intervention, il le fait pour ne pas s'exposer à aggraver la position de cet officier qui, je le répète, a compris lui-même qu'il devait, pour sauver son honneur compromis, se disculper par un jugement.

M. Verhaegen. - Messieurs, j'apprends avec plaisir que le gouvernement a fait toutes les réclamations que nécessitaient les circonstances. J'espère qu'il continuera ses démarches et qu'il fera en sorte d'obtenir l'élargissement de ce malheureux officier qui a été arrête sans savoir pourquoi. En effet, d'après les renseignements qui me sont parvenus, il est complétement étranger aux événements de Posen ; il se trouvait dans sa famille pour rétablir sa santé ; cette circonstance seule ne lui permettait pas, indépendamment de toute intention contraire à une semblable participation, de se mêler à des événements de cette nature.

Les principaux motifs de plainte sont que cet officier, qui est naturalisé et qui fait partie de notre armée, se trouve arrêté depuis l'époque qui a été indiquée par M. le ministre des affaires étrangères, et que, nonobstant les réclamations les plus vives, il n'a pas encore pu obtenir la grâce d'être interrogé : il demande à être jugé. Le gouvernement belge doit donc faire en sorte que s'il y a une prévention contre cet officier, il soit mis à même de la faire disparaître, en présentant sa justification au grand jour.

Je recommande donc de nouveau cet objet à l'attention du gouvernement, et surtout à celle de M. le ministre des affaires étrangères.

M. de Mérode. - Messieurs, nous nous occupons d'un fait qui concerne la dernière insurrection polonaise et les malheurs qui en sont résultés. Je demanderai au gouvernement de vouloir bien donner suite aux intentions de la chambre à l'égard des réfugiés polonais d'une autre époque. Il a toujours été alloué un subside dont M. le ministre de la guerre pouvait disposer pour les malheureux Polonais. Je demande que l'on veuille bien, dans les circonstances actuelles, ne pas perdre de vue cette disposition.

Modalités jugées arbitraires de la douane française, à l'égard des toiles de lin belges

M. de Haerne. - Messieurs, je saisis l'occasion de la présence de M. le ministre des affaires étrangères, pour lui adresser une interpellation sur un nouveau mode arbitraire de procéder, employé par la douane française, relativement à l'introduction de nos toiles. Le fait est très grave, je demande la permission à la chambre de m'étendre un peu sur les faits qui se sont passés récemment à la douane française.

Messieurs, depuis quelque temps, la douane française a eu recours à un procédé chimique, pour constater si la toile introduite est écrue ou si elle est teinte. J'exposerai quelques expériences auxquelles je me suis livré, et après cela, je pense que la chambre demeurera convaincue que presque toujours les toiles écrues tomberont dans la catégorie des toiles teintes, par suite du nouveau système que la douane française emploie.

Je ne m'étendrai pas sur les rigueurs dont la Belgique a été la victime de la part de la France, telles que l'amendement Delespaul, la mesure relative aux blondines, celle relative aux fournitures militaires. Depuis longtemps vous connaissez ces faits ; je prierai seulement la chambre de me permettre de m'arrêter à la dernière mesure, celle des types, qui a été prise par la France, relativement à l'entrée de nos toiles, parce que cette mesure se rattache à celles dont j'aurai l'honneur de vous entretenir.

Messieurs, vous savez que les types ont été proposés l'année dernière pour constater si une toile est blanche ou si elle est écrue. Le mode de procéder, d'après ces types, est vicieux, comme il a été démontré précédemment, parce qu'il consiste dans la combinaison de la nuance avec la finesse. Cette combinaison est très arbitraire ; et pour le prouver, il suffit de dire que les toiles, faites avec des étoupes de Courtray, par exemple, qu'on appelle blanches écrues, passeront pour des toiles blanches, tandis que dans bien des cas, les toiles faites avec le lin d'où proviennent ces étoupes, passeront pour des toiles écrues.

Maintenant, on a recours à un autre moyen, pour constater, non pas que la toile est blanche, mais qu'elle est teinte. C'est une dissolution de prussiate de potasse, combiné avec l'acide hydrochlorique, qu'on emploie ; on immerge un bout de la toile dans cette préparation chimique, et aussitôt que la partie humectée présente la couleur bleue, on déclare la toile teinte, et l'on procède à la confiscation et à l'amende.

Il suffit d'avoir la moindre notion de chimie, pour comprendre qu'une telle préparation chimique doit affecter la couleur bleue, lorsqu'elle est appliquée à une substance quelconque qui contient une base de fer, lorsqu'en un mot il y a dans la substance une matière plus ou moins ferrugineuse, il faut nécessairement que la couleur bleue se produise.

Il est très vrai que la toile, lorsqu'elle sera teinte, produira la couleur bleue ; mais il y aura bien des toiles écrues qui produiront également la couleur bleue, parce qu'il y a beaucoup de toiles écrues qui contiennent des substances ferrugineuses, comme j'aurai l'honneur de le démontrer. Ainsi donc lorsque la toile devient bleue on la déclare teinte et on la soumet au droit des toiles teintes qui est de 50 p. c. en sus du droit des toiles écrues.

Vous voyez donc, messieurs, de quelle importance est ce droite et par conséquent de quelle importance est la question que j'ai l'honneur de vous soumettre.

Plusieurs faits de saisie m'ont été signalés non seulement par des négociants belges, mais par des négociants français. Je tiens une lettre d'un négociant de Lille à son correspondant qui renferme les plaintes les plus amères contre telle manière de procéder, contre cette fiscalité du gouvernement français. Il déclare ne plus pouvoir continuer avec son correspondant les relations commerciales qu'il a eues pendant 25 années.

Il s'agit de 3 pièces dont on m'a envoyé les échantillons ; elles proviennent du marché de Thielt. J'ai soumis ces échantillons aux expériences faites en France ; ils accusent la couleur bleue aussitôt qu'on les soumet à la dissolution du prussiate de potasse et d'acide muriatique ou hydrochlorique. Evidemment pour tout homme qui a un peu de pratique de cette industrie, qui a vu un peu de toiles, ces toiles sont écrues. Mais je n'ai pas voulu me borner à la vue, je n'ai pas voulu me borner à la déclaration des négociants dont je tiens les échantillons de toiles saisies et de leur correspondant ; j'ai poussé les expériences plus loin, j'ai voulu connaître par quelles circonstances il se fait que lorsqu'on soumet les toiles écrues à cette opération, les unes accusent la couleur bleue et d'autres ne la produisent pas.

(page 1401) Je dirai d'abord que le négociant de Lille dont je viens de parler aurait pu, s'il avait voulu, comme le cas s'est présenté pour des toiles saisies comme blanches, s'en référer à une commission établie à Paris qui, juge en dernier ressort ; mais ce sont là des entraves apportées au commerce et contre lesquelles on réclame avec raison ; car le commerce doit se faire vite, avec facilité ; il suffit de ces entraves, pour qu'il se porte ailleurs. La commission établie à Paris, est, m'assure-t-on, composée de personnes intéressées, et on redoute surtout les lenteurs qu'entraînent ces procédures.

Je dis donc que cette manière d'agir est arbitraire. Il est certain que quand il y a dans la toile une base de fer plus ou moins prononcée, il faut nécessairement que la couleur bleue se produise. Je dis que la matière ferrugineuse peut se trouver dans une toile par suite de l'opération du rouissage dans des puits ou des eaux courantes qui contiennent du fer, ou du débouissage des fils qu'on fait quelquefois dans des vases de fer, ou presque toujours, comme on dit à mes côtés. Il est possible aussi que le sol soit ferrugineux et introduise des substances ferrugineuses dans la plante même. Voilà donc trois causes qui peuvent introduire dans le lin une base dè fer et dans la toile la couleur bleue, quand on la soumet à la dissolution chimique dont il s'agit.

Il est à remarquer que les produits liniers ont une très grande affinité pour le fer, ce qui se prouve par la rouille que contracte très facilement à la toile. J'ai fait des essais, comme je viens d'avoir l'honneur de vous le dire, sur des toiles, des fils et des lins ; je tiens des échantillons ; les membres qui voudraient se convaincre de ce que j'avance, peuvent les examiner.

Voici les résultats que j'ai obtenus. J'ai fait des expériences sur des toiles, j'ai pris des toiles teintes, des toiles écrues et des toiles blanchies. J'ai pris aussi des échantillons des toiles saisies à la douane française et j'ai pris les types français communiqués officiellement à notre gouvernement par le gouvernement français, pour constater si la toile est blanchie ou écrue ; j'ai coupé des échantillons sur ces types remis à notre gouvernement à l'occasion du dernier traité du traité du 15 décembre. Voici comment les faits se sont présentés : Pour les toiles teintes, aussitôt que je les eus immergées dans la dissolution chimique la couleur bleue s'est produite.

Pour les toiles écrues, j'en ai pris qui étaient faites avec du fil mécanique et avec du fil à la main, j'en ai pris des différentes parties du pays, de Renaix, de Ninove, de Courtray, de Bruges, de Thielt. Presque toutes ces toiles se bleuissent dans la dissolution chimique, mais il y en a aussi qui ne deviennent pas bleues, il y en a qui n'ont pas même donné la moindre teinte, pas plus que si on les avait immergées dans l'eau distillée.

Eh bien, les toiles qui n'ont pas changé de couleur étaient des toiles faites avec du lin ou du chanvre roui à la rosée. Vous comprendrez très bien que la rosée ne peut pas donner de substance minérale, du fer ; par conséquent il est fort naturel que des toiles pareilles n'aient pas donné la couleur bleue à l'application de la préparation chimique. Les toiles faites avec du lin de Lokeren, de Courtray, de Furnes, de Bruges, toutes ont pris une nuance bleue plus ou moins prononcée ; elles sont devenues plus ou moins bleues suivant qu'il y avait plus ou moins de fer dans les eaux où les lins dont elles étaient faites avaient été rouis.

Les toiles de Lokeren donnent la couleur bleue la plus forte. Je suis allé encore plus loin, j'ai pris des fils de différentes qualités, des fils mécaniques et des fils à la main ; j'ai pris des fils faits de différentes espèces de lins, de lin de Lokeren et de lin du pays wallon où l'on rouit à la rosée ; j'ai trouvé la même différence que pour les toiles ; c'est-à-dire que les fils faits avec des lins rouis à la rosée n'ont pas pris la couleur bleue et que ceux faits de lin rouis dans des puits ou des eaux courantes ont bleui.

On pourrait dire que les fils sont teints, j'ai voulu prévenir cette objection qu'on peut attendre de l'esprit de chicane ; j'ai poussé mes expériences jusqu'à faire des immersions de lins qu'on ne prétendra pas avoir été teints. J'ai pris différentes espèces de lin, des lins de Lokeren, des lins de Courtray, de Furnes, du pays wallon et de Russie ; j'ai trouvé encore les mêmes résultats ; de manière que je dois conclure qu'il est évident que les lins, les fils ou les toiles renferment une substance ferrugineuse plus ou moins forte, quand ils donnent du bleu ; et que quand le bleu ne se produit pas, c'est qu'il n'y a pas de substance ferrugineuse dans le lin.

Remarquez, messieurs, que cette mesure, si elle était appliquée aux fils écrus, tendrait à les assimiler aux fils teints et à en aggraver les droits de 50 p. c.

Pour vous donner une preuve plus concluante, je dois ajouter que j'ai fait la même expérience sur les types mêmes de la douane, types qui servent à constater si une toile est blanche ou écrue ; de manière que toute pièce qui présente une nuance plus blanche par chaque catégorie que le type de cette catégorie est considérée comme toile blanche ; mais quand elle présente la même nuance, elle est envisagée comme toile écrue.

Donc ces types sont écrus aux yeux du gouvernement français lui-même. J'ai opéré sur des échantillons de ces types déclarés écrus par le gouvernement français ; je les ai immergés dans la dissolution chimique et j'ai obtenu la couleur bleue ; par conséquent il faudrait en tirer la conclusion que ces types sont teints, si la nouvelle mesure du fisc français pouvait avoir quelque valeur.

Ainsi donc, si d'après les procédés chimiques qu'on emploie à la douane française pour constater si une toile est teinte ou écrue, on doit en conclure qu’elle est teinte, lorsqu'elle produit le bleu ; il faut conclure que dans le même cas les fils sont teints et les lins aussi.

J'ajouterai que d'après mes expériences la toile blanchie contracte aussi, par l'immersion, une couleur bleue plus ou moins forte. Il me semble que c'est là le comble de l'arbitraire.

Nous n'avons jamais donné lieu à la France de procéder d'une manière aussi vexatoire à notre égard. Je dois ajouter que nous n'éprouvons pas de telles tracasseries, avec d'autres pays, dans nos relations commerciales. En faisant ces observations, en appelant l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur cette question importante, mon intention n'est pas de provoquer une rupture avec la France. Je crois au contraire et je suis intimement convaincu que nos relations avec la France sont nécessaires, que nous devons tâcher de les maintenir.

Mais faut-il les maintenir à tout prix ? Faut-il toujours courber la tête sous le joug de l'arbitraire ? On a l'air de dire que nous sommes bien heureux de pouvoir continuer ces relations quand nous exportons en France pour 104 millions de produits, tandis que la France n'exporte chez nous que pour 46 millions. Ces évaluations sont exagérées de moitié pour ce qui regarde la Belgique, et je crois que si nous introduisons pour 50 millions en France, c'est le maximum. Mais là n'est pas la question. Je répète que je tiens beaucoup à nos relations avec la France, qu'on doit tâcher de les maintenir. Je le dis de nouveau, nous n'agissons pas d'une manière arbitraire avec la France, mais d'une manière loyale. On n'éprouve pas à la douane belge ces chicanes que nous rencontrons à la douane française ; ici il y a même souvent connivence ; il est reconnu qu'on introduit en Belgique des vins sophistiqués avec de l'eau-de-vie en plus grande quantité ; je demanderai s'il ne serait pas juste de soumettre les vins à une espèce de contrôle semblable à celui qu'on fait subir à nos toiles au moyen des types, au moyen de procédés chimiques.

Je ne pense pas qu'il entre dans les intentions de la nation française de nous traiter avec une injuste rigueur ; mais on sait qu'il existe en France une coalition puissante d'intérêts privés ligués contre la Belgique, coalition qui pèse sur le gouvernement et dont nous ne pouvons trop nous méfier, contre laquelle nous devons prendra des mesures défensives.

Ne devrait-on pas faire vérifier si les vins ne contiennent pas des degrés d'alcool au-delà de ce qu'ils doivent contenir, et déclarer, lorsque ce fait serait constaté, que les vins sont sophistiqués ? Ce serait, messieurs, un moyen de représailles, je l'avoue ; mais je ne recule pas devant les représailles lorsqu'elles sont provoquées par des chicanes comme celles dont nous sommes l'objet de la part de la France. Le moyen que j'indique a d'ailleurs été proposé précédemment par les chambres de commerce, entre autres par celle de Courtray.

Messieurs, je demande, pour me résumer sur cette question, quels sont les moyens que le ministère croit devoir employer pour conjurer cette nouvelle calamité, dont le commerce des toiles belges est menacé ; je le demande surtout en présence de la discussion solennelle qui devra bientôt avoir lieu sur le traité du 13 décembre, discussion que j'ai voulu prévenir par l'interpellation que j'ai l’honneur d'adresser au ministère, afin que pour ce moment le gouvernement tâche de déblayer le terrain, et de faire cesser, de la part de la France, les rigueurs vexatoires dont nous sommes les victimes.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, le fait dont vient de vous entretenir l'honorable M. de Haerne, m'a été récemment signalé. J'ai soumis ce fait à un examen immédiat et les observations de l'honorable membre sont de nature à faciliter cet examen.

Si le fait qui vient d'être signalé est reconnu exact, le gouvernement s'empressera d'en faire l'objet d'incessantes réclamations auprès du gouvernement français, et j'aime à croire, messieurs, que le lendemain du renouvellement de la convention du 16 juillet, par le traité du 13 décembre, le gouvernement français ne voudra pas altérer le statu quo en changeant la manière dont l'application s'est faite depuis 1842. J'aime à croire que le lendemain de la conclusion d'un traité, l'application de ce traité se fera d'une manière bienveillante et non d'une manière telle que l'a qualifiée l'honorable M. de Haerne.

M. Osy. - Nous apprenons par l'honorable ministre des affaires étrangères qu'on s'occupera de la réclamation dont l'honorable M. de Haerne vient de se faire l'organe.

Je demande que nous ayons une explication du gouvernement français avant la discussion de la convention du 13 décembre. Il est bon qu'avant d'aborder cette discussion qui, d'ailleurs, n'aura pas lieu avant six semaines ou deux mois, nous sachions à quoi nous en tenir.

M. de Haerne. - Telle est aussi mon intention et j'ai eu l'honneur de dire que c'était pour ce motif que j'avais cru devoir devancer la discussion du traité. Car je crois que si nous n'avions pas nos apaisements sur ce point, il nous serait impossible d'accepter un traité dont on pourrait annuler tous les avantages au moyen de l'opération chimique que je vous ai signalée. Il est certain que si ce procédé devait être maintenu, le traité pourrait être éludé, car je viens de démontrer qu'à l'exception de quelques lins rouis à la rosée, tous prennent la couleur bleue au moyen de ce procédé et pourraient être envisagés comme teints.

M. Desmet. - Je crois qu'il est dangereux d'obtempérer à la demande de l'honorable M. Osy, qui consiste, si j'ai bien compris, à remettre la discussion du projet de loi qui soumet à notre sanction la convention passée dernièrement avec la France, jusqu'à ce que notre gouvernement ait reçu la réponse du gouvernement français sur les plaintes qui vous ont été communiquées par l'honorable M. de Haerne, et qui sont faites par le commerce belge, sur la manière tracassière que la douane française met toujours en œuvre à l'entrée de nos toiles, et qui se repose sur l'ancienne chicane de la nuance plus ou moins claire qu'ont quelques espèces de nos toiles et qu'en France on voudrait faire passer comme plus ou moins blanchies, et ainsi trouver un expédient de majorer le tarif à l'égard des toiles belges. Si vous ajournes la discussion et le vote de cette loi, jusqu'à ce que (page 1402) vous ayez reçu les explications de la France, et surtout des explications claires et catégoriques, je crains fortement que vous ne les remettiez jusqu'à la session prochaine. Cependant, je pense qu'il serait bon de ne plus tarder à fixer le jour où nous pourrions nous occuper du traité, car il a fait trop de bruit dans le pays pour qu'on ajourne encore sa discussion.

J'ignore si la question des types est clairement résolue dans le traité, mais il me semble qu'on pourra plus amplement la traiter quand nous discuterons le projet de loi qui concerne l'approbation de la convention.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je n'avais pas répondu à la partie du discours de l'honorable M. de Haerne, relative aux types, parce que cette question se rattache à la discussion du traité qui sera bientôt soumis à l'examen de la chambre.

En effet, dans le traité nouveau, le gouvernement belge a obtenu une garantie pour l'adoption de types choisis de commun accord, et je ferai remarquer en passant que l'honorable M. de Haerne me paraît s'être trompé sur la manière dont l'usage des types est établi par le traité. Les types choisis par le gouvernement français ne sont qu'un moyen général d'appréciation donné à la douane. Mais en dernier ressort, il y a des toiles exceptionnelles, des toiles ne rentrant pas dans les types choisis ; elles seront jugées, indépendamment des types et d'après la nuance réelle de l'écru. Telle est l'application que le gouvernement français s'est engagé à donner au traité.

Du reste, j'anticipe sur la discussion de ce traité et je ne désire pas le faire.

La question soulevée par l'honorable M. de Haerne, relativement à la manière de constater les toiles teintes se rattache effectivement à la question même des types ; et si le fait signalé par l'honorable M. de Haerne, c'est-à-dire si l'expérience prouve que les toiles adoptées comme types par le gouvernement français, et reconnues écrues par lui, devraient être considérées comme teintes d'après le mode nouveau dont il a été parlé, il sera évident qu'une erreur existe et que cette erreur doit être immédiatement réparée.

Je répète que l'intention du gouvernement est, après avoir examiné le fait, d'adresser immédiatement des réclamations au gouvernement français, et j'ai lieu d'espérer que la réponse de ce gouvernement nous parviendra avant la discussion du traité.

M. de Haerne. - Je tiens beaucoup à ce que les réclamations du gouvernement se fassent le plus tôt possible et c'est pour cela que j'ai cru devoir adresser mes interpellations dans ce moment.

Mais je dois répondre un mol à M. le minière des affaires étrangères. Il vous dit que je me suis mépris sur les types. Ja ne me suis pas du tout trompé sur les types ; je sais fort bien tout ce que M. le ministre des affaires étrangères vient de nous en dire ; je sais que ces types ne seront qu'un moyen général de vérification et que si l'importateur ne veut pas se soumettre à la décision de la douane, il pourra recourir à une commission supérieure. Mais je dois dire que ce moyen est déjà très vexatoire et découragera souvent le commerce.

Je n'ai donc pas dit que les types devaient décider la question en dernier ressort.

Si j'en ai parlé, c'est que je devais appeler votre attention sur ce point pour vous dire que j'avais aussi fait mes expériences sur ces types regardés comme toiles écrues par le gouvernement français et que j'avais, par l'application du procédé employé par la douane, trouve la couleur bleuâtre sur ces types comme sur les autres toiles.

L'honorable M. Desmet nous dit qu'il ne sait jusqu'à quel point la question que j'ai soulevée se rattache au traité. Je ne pense pas non plus que cette question se rattache directement au traité ; mais elle se rattache au tarif français. Car vous savez que dans le tarif français il y a des catégories de toiles : il y a une distinction entre les toiles écrues, les toiles blanches et les toiles teintes ou les toiles plus ou moins coloriées, et les droits sont gradués d'après ces diverses espèces de toiles.

Si par l'application d'une mesure aussi élastique que celle dont je viens de parler on éludait le traité, je demande à quoi il servirait de conclure des conventions avec une nation quelconque, lorsque, par des moyens subreptices, on en élude toute la valeur ?

Voilà, messieurs, comment la mesure, dont je me plains et qui ne se rattache pas directement au traité, a une portée telle qu'elle tend à annuler le traité.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1846

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XII. Agriculture

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale sur le chapitre est ouverte.

M. de Renesse. - Messieurs, depuis plusieurs années, à l'occasion de la discussion du chapitre de l'agriculture, des observations ont été adressées au gouvernement, sur la nécessité de s'occuper d'une manière plus sérieuse des intérêts de cette première de toutes nos industries ; je viens, en conséquence, rappeler à M. le ministre de l'intérieur les différentes considérations que j'ai adressées antérieurement pour provoquer, de la part du département de l'intérieur, toutes les mesures utiles aux intérêts agricoles.

Il est incontestable que les progrès, la prospérité de l'agriculture ont la plus heureuse influence sur la richesse nationale ; il est ainsi de notre devoir de chercher, par tous les moyens en notre pouvoir, à faire successivement introduire dans notre pays les nombreux perfectionnements apportés à l'industrie agricole dans d'autres contrées ; nous pouvons citer en première ligne l’Angleterre, où, au moyen d'un meilleur mode dans la culture des terres et par les croisements avec discernement des différentes races d'animaux domestiques, on est parvenu à tirer de la terre des produits beaucoup plus considérables que dans d'autres pays, et à améliorer les races des animaux domestiques destinés à l'agriculture.

Si nous voulons que notre agriculture fasse les mêmes progrès, il est indispensable que le gouvernement s'occupe plus spécialement des intérêts de cette industrie, et qu'il provoque la solution de toutes les questions utiles aux intérêts agricoles.

Par un arrêté royal du 31 mars 1845, le conseil supérieur d'agriculture et les commissions provinciales ont été réorganisés. J'ai vu avec satisfaction que, par un arrêté subséquent du 5 mars 1846, le personnel de ce conseil supérieur a été composé en général d'hommes spéciaux, ayant les connaissances pratiques de l'agriculture. J'espère qu'ils contribueront de tous leurs efforts à diriger le gouvernement vers les vrais intérêts de cette industrie.

En réorganisant le conseil supérieur et les commissions provinciales, il est aussi indispensable que la direction de l'agriculture au ministère de l'intérieur reçoive une réforme. Déjà l'année dernière, j'ai soutenu, ainsi que d'autres de nos honorables collègues, et même l'honorable ministre de l'intérieur actuel, que cette division ne pouvait, telle qu'elle était organisée, répondre aux besoins des intérêts agricoles. Jusqu'ici les fonctionnaires de cette direction n'ont pu acquérir les notions agricoles que très superficiellement. Il faut donc que, sous ce rapport, elle soit réorganisée ; qu'il y ait une direction réelle de l'agriculture ; qu'il y ait des employés ayant des connaissances théoriques et pratiques en économie rurale, pour que toutes les questions relatives aux divers intérêts de l'agriculture puissent y être traitées convenablement. L'industrie agricole a une importance trop grande sur les intérêts généraux du pays, pour que l'on puisse prétendre avec droit qu'elle doive nécessairement recevoir une bonne direction de la part du gouvernement.

Au sénat, lors de la discussion du budget de l'intérieur de l'année dernière, un honorable sénateur s'exprimait ainsi, par rapport à la réorganisation de la direction supérieure de l'agriculture : « Il résulte, puisqu'on s'occupe beaucoup de l'agriculture en ce moment, qu'il y a nécessité absolue que M. le ministre de l'intérieur organise à son département une forte division de l'agriculture, qui puisse répondre aux besoins et aux améliorations qu'on réclame aujourd'hui. Je pense que cela est assez difficile à organiser, mais il faut que les sommes que le pays accorde soient dépensées avec intelligence des besoins réels du pays.» Je crois donc devoir insister avec l'honorable sénateur auprès de M. le ministre de l'intérieur, pour que cette division de l'agriculture soit utilement réorganisée ; qu'elle ne soit plus associée à une division avec laquelle elle n'a pas le moindre rapport.

La Belgique, si renommée pour son agriculture, n'a fait, depuis quelque temps, que peu de progrès dans cette industrie, tandis que dans d'autres pays elle n'a cessé de prospérer et de progresser ; pour ne pas rester stationnaire, il est de toute nécessité que le gouvernement s'occupe plus activement de l'organisation de l'agriculture ; il est même étonnant que dans un pays aussi agricole que le nôtre, le gouvernement n'ait pas cru devoir s'occuper plus tôt de cette importante question ; probablement préoccupé des intérêts politiques, les intérêts plus positifs ont été constamment différés.

Il faut espérer, qu'actuellement le gouvernement et les chambres pourront examiner plus particulièrement les véritables intérêts moraux et matériels du pays, et qu'en organisant l'agriculture, et surtout en établissant une bonne instruction agricole, cette industrie, la plus importante de la Belgique, serait portée à sa plus haute perfection.

Sous le rapport de l'instruction agricole, tout est à créer dans ce pays-ci ; jusqu'ici, pour ainsi dire, il n'y a aucun enseignement agricole, dans les différents degrés de l'instruction publique ; cet enseignement devrait surtout être organisé dans toutes nos écoles primaires ; l'on pourrait y enseigner, comme en Prusse, la meilleure culture des terres, l'arboriculture, l'horticulture, l'élève du bétail, et toutes les notions agricoles utiles à l'économie rurale ; pour former des professeurs, des maîtres d'écoles aptes à enseigner l'agronomie, il faudrait fonder des établissements modèles, ou adjoindre, si possible, à nos écoles normales les cours nécessaires pour y donner cette instruction théorique et pratique. C'est ainsi que de grands établissements modèles ont été formés en France, en Allemagne, en Suisse et dans d'autres pays, où l'agriculture ne cesse de progresser. S'il est nécessaire de faire à cet égard quelques nouvelles dépenses, elles seraient en peu d'années largement compensées par une amélioration dans la culture des terres, par une plus forte production des céréales. Il faut bien le reconnaître, l'absence de toute instruction agricole contribue pour beaucoup à maintenir notre agriculture dans un élat stationnaire ; elle ne fait guère de progrès, comparée surtout à l'Angleterre, et à certaines parties de l'Allemagne.

Outre l'instruction agricole qui procurerait déjà un immense bienfait à l'agriculture, il est aussi à désirer qu'il puisse se former en Belgique des établissements financiers qui créeraient le crédit agricole si nécessaire aux petits propriétaires et aux cultivateurs dans des moments où ils seraient obligés par l'une ou l'autre circonstance de recourir à des levées de fonds, soit pour maintenir leur industrie agricole, soit pour l'améliorer. Actuellement ces cultivateurs, ces propriétaires qui lèvent des capitaux se ruinent par le payement de hauts intérêts surpassant en général le taux de l'intérêt que l'on retire de la propriété foncière. De pareils établissements financiers sous le patronage du gouvernement, qui prêteraient à l'agriculture à un intérêt peu élevé, avec des modes faciles de libération, rendraient les plus grands service à l'amélioration et aux progrès de l'agriculture. Je crois devoir attirer l'attention du gouvernement sur la (page 1403) question du crédit agricole ; elle mérite toute sa sollicitude ; elle doit on outre être combinée avec les améliorations à introduire dans le régime hypothécaire qui sont réclamées depuis longtemps. Si cette question obtenait une solution convenable, elle aurait une influence heureuse sur le sort d'une grande partie de nos cultivateurs.

J'espère que M. le ministre de l'intérieur donnera suite au projet de son honorable prédécesseur M. Nothomb, de présenter aux chambres une proposition de loi sur le défrichement des bruyères et des terrains incultes ; l'instruction de cet objet si important pour la mise en culture de près de 300,000 hectares de bruyères et de landes, doit être assez avancée pour en saisir la législature ; la discussion d'une telle loi est d'autant plus opportune que des concessions de travaux public sont demandées pour les parties de notre pays où se trouvent ces terres en friche ; les défrichements combinés avec des travaux publics, rendraient ces contrées productives, de stériles qu'elles sont en partie actuellement et augmenteraient en peu d'années les productions agricoles, de manière à ne plus rester les tributaires de l'étranger. Pour pouvoir cependant arriver plus promptement à ces défrichements, il serait utile qu'une bonne loi sur les irrigations vint concourir à ce grand travail national de la fertilisation de nos terrains incultes.

Dans le courant de l'année dernière, une loi, sur cette matière, a été votée en France ; elle a été fortement appuyée par les conseils généraux d'agriculture ; elle serait, pareillement, très utile en Belgique ; il est certain que par un bon système d'irrigation, on provoque l'extension des cultures fourragères ; on obtient, par conséquent, une plus forte augmentation de bétail, nécessaire à l'agriculture, une plus forte production d'engrais, si utile pour améliorer la culture des terres et ainsi doubler, en peu d'années, les récoltes des céréales.

Lors de la discussion du budget de l'intérieur de l'année précédente, j'ai adressé au gouvernement quelques observations sur le rétablissement du fonds d'agriculture, je prendrai la liberté de recommander, tout particulièrement, cet objet à l'attention de M. le ministre de l'intérieur ; je crois toujours qu'il y aurait utilité de rétablir ce fonds ou de créer toute autre caisse d'assurance mutuelle qui indemniserait, plus largement, les cultivateurs de la perte du bétail destiné à l'agriculture ; la part d'indemnité accordée actuellement par le gouvernement est trop minime pour compenser les pertes éprouvées ; elle n'est même pas payée assez promptement pour porter secours aux cultivateurs malheureux ; je voudrais que le budget de l'Etat payât une plus forte partie de cette perte.

L'agriculture supporte assez de charges pour pouvoir réclamer d'être indemnisée sur les fonds de l'Etat des désastres qu'elle éprouve. J'insisterai pareillement auprès de. M. le ministre de l'intérieur, pour qu'il fasse dresser une bonne statistique agricole aussi exacte que possible ; actuellement nous ne connaissons qu'imparfaitement la quantité des produits de notre agriculture ; l'on ne peut faire une comparaison exacte de leur importance relative aux autres industries du pays ; si l'on pouvait connaître l'importance réelle de l'industrie agricole, son influence sur les développements, sur les progrès de la richesse nationale, l'on se convaincrait qu'elle mérite toute notre sollicitude et qu'elle a droit à une juste protection ; si une pareille statistique existait, l'on se mettrait plus facilement d'accord pour élaborer une bonne législation des céréales ; car celle qui existe maintenant a été reconnue vicieuse sous bien des rapports ; elle doit être nécessairement modifiée, de manière à ce que l'industrie agricole reçoive une protection réelle et permanente.

En terminant mes observations sur le chapitre de l'agriculture, je crois devoir renouveler à M. le ministre de l'intérieur le désir que j'ai témoigné l'année dernière, lors de la discussion du budget du département de l'intérieur, d'obtenir, chaque année, un rapport général sur la situation de l'agriculture, sur les progrès, sur les améliorations de la race chevaline et des animaux domestiques destinés à la culture des terres, pour lesquels le trésor de l'Etat fait des dépenses assez notables ; il faut que les chambres législatives puissent apprécier, par l'inspection de ce document, si les sommes votées chaque année au budget de l'intérieur ont été appliquées dans le véritable intérêt de l’agriculture. Je voudrais que ce rapport comprît tout ce qui est relatif à l’industrie agricole ; que ce ne fût pas un rapport isolé sur l'une ou l'autre partie de l'agriculture, comme cela a eu lieu jusqu'ici, mais un rapport général ; cette industrie est assez importante pour que chaque année le gouvernement fournisse aux chambres un état de sa situation, de ses progrès, et indique les mesures à prendre pour la faire prospérer.

L’agriculture, étant la base de la richesse du pays, mérite toute la sollicitude du gouvernement et de la représentation nationale ; j'espère, en conséquence, que M. le ministre de l'intérieur voudra bien s'occuper plus activement que ses honorables prédécesseurs de cette première de toutes nos industries, et qu’il approuvera les paroles prononcées en France par M. le ministre de l'agriculture et du commerce, lors de la dernière session des conseils généraux de l'agriculture, du commerce et de l'industrie ; ce ministre s’exprimait ainsi : « L'agriculture est le plus grand intérêt du pays ; c'est le premier de ceux dont l'administration m'est confiée, et il n'en est pas un dont la prospérité excite davantage ma sollicitude. » Si en Belgique une pareille sympathie était manifestée en faveur de l’agriculture par nos hommes d'Etat, tous ceux qui s'intéressent au bien-être de l'industrie agricole seraient heureux d'apprendre de la part de M. le ministre de l'intérieur qu'il est pénétré, ainsi que ses honorables collègues, des mêmes sentiments envers l'agriculture nationale, que ce grand intérêt du pays serait dorénavant plus apprécié par le gouvernement.

M. A. Dubus. - Messieurs, le défrichement des bruyères est une mesure des plus importantes et dont le gouvernement va, paraît-il, s'occuper sous peu. Il me paraît donc très opportun de vous présenter quelques observations à ce sujet.

Une grande partie du sol de nos provinces, indépendamment de plusieurs milliers d'hectares de marais et broussailles, est encore improductive. Il y a là de quoi donner du travail et des moyens d'existence à plus d'un demi-million d'hommes, augmenter la richesse nationale, les revenus du trésor public et les produits de l'agriculture qui suffisent à peine aujourd'hui à la consommation du pays. Il est généralement reconnu que le sol de la Campine est identiquement le même que celui du pays de Waes, ce magnifique jardin de la Belgique, et qu'il n'y faut que des bras et des engrais pour le rendre également fertile.

La question la plus importante aujourd'hui est celle de savoir quels sont les meilleurs moyens à employer pour opérer ce défrichement.

Serait-il vrai, comme on l'a dit souvent, que la disposition du sol de la Campine rendît très coûteux et presque impraticables les travaux d'amélioration que cette contrée réclame ? Non, messieurs, cela n'est certainement pas. Je ne saurais voir dans cette assertion que le résultat de l'ignorance des localités, ou une sorte d'excuse du retard injustifiable apporté à l'exécution des travaux si souvent réclamés.

L'abandon dans lequel est demeurée la Campine n'a point pour cause un principe absolu d'infertilité résidant dans le sol, mais il est la conséquence, d'une part, du régime qui pèse sur une partie de son sol ; je veux parler du droit de propriété des communes sur la presque totalité des bruyères, et d'autre part, de l'état d'abandon complet dans lequel elle a été laissée par les différents gouvernements qui se sont succédé en Belgique.

La disposition du sol de la Campine permet d'exécuter avec facilité et à peu de frais toute espèce de communications. Ce pays est pauvre parce que tout y est à créer.

Mettre les bruyères communales dans le commerce et construire des voies de communication ; tels sont les moyens les plus simples et les plus faciles pour parvenir au but qu'on se propose. J'examinerai donc très brièvement ces deux points.

Je ne pense pas qu'une loi spéciale soit nécessaire pour faire passer les bruyères du domaine communal dans le domaine privé. Cette aliénation ne doit se faire que graduellement, pour plusieurs motifs. D'abord, parce que la mise en vente d'une trop grande quantité de bruyères en ferait singulièrement baisser les prix ; ce qui serait une perte pour les communes ; ensuite parce qu'une semblable mesure jetterait la perturbation dans la mode de culture de ce pays.

Les cultivateurs campinois ont l'habitude d'enlever le gazon des bruyères et de s'en servir, tantôt pour le chauffage, tantôt pour la litière des bestiaux dans l'écurie. Cet usage est sans doute défectueux, la bruyère ne pouvant jamais remplacer la paille et ne fournissant qu'une minime quantité d'engrais. Mais les cultivateurs y sont habitués depuis un temps immémorial, et il pourrait être dangereux de supprimer trop brusquement une habitude aussi invétérée. Je désire donc que le gouvernement se borne à employer tous les moyens de persuasion pour amener les communes à se défaire volontairement de leurs bruyères ; je dirai même qu'il peut indirectement les y contraindre en refusant tout subside pour travaux quelconques aux communes qui s'obstineraient à conserver inutilement une très grande quantité de bruyères. Ce refus de subside de la part du gouvernement serait d'autant plus équitable qu'il mettrait un terme à la mauvaise administration financière de quelques communes. Il est en effet très remarquable et très étonnant que certaines communes aient des dettes assez élevées et payent de gros intérêts moyennant une cotisation personnelle imposée à chaque habitant riche ou peu aisé, tandis qu'elles possèdent des bruyères immenses qui ne produisent rien à la communauté, et dont une portion vendue permettrait de satisfaire les créanciers de la commune et de diminuer ou même de supprimer la cotisation personnelle.

De manière qu'aujourd'hui une criante injustice a lieu, l'habitant peu aisé paye sa part contributive dans les dettes communales, et l’habitant aisé, le fermier riche profite spécialement des bruyères en employant le gazon à la litière de ses bestiaux ; ainsi les charges de la commune sont payées indistinctement par tous les habitants, tandis que les bruyères sont particulièrement utiles à ceux qui tiennent chevaux et bestiaux, à ceux qui jouissent de plus d'aisance.

Le second point et le plus important même pour le défrichement de la Campine, est la création des voies de communication. Car il est évident que pour engager le propriétaire à rendre sa propriété productive, il faut lui procurer les moyens d'exporter ses produits et d'importer les objets nécessaires à sa culture. La création d'un système complet de routes pavées est donc indispensable, et j'engage de toutes mes forces le gouvernement à faire commencer de semblables constructions. Les sommes qu'il y affectera lui seront remboursées, et avec usure, par la voie indirecte des impôts.

S'il faut juger de l'avenir de la Campine par ce qui s'y est déjà passé, on peut conclure que l'Etat ferait une véritable spéculation en y construisant ces voies de communication nombreuses ; car depuis l'exécution du canal de la Campine, ainsi que de quelques routes, l'augmentation des revenus du trésor a été considérable. Ainsi les seules recettes de bureaux de l'enregistrement de l'arrondissement de Turnhout étaient, année commune, de 1830 a 1831, de la somme de 230,000 fr., tandis que de 1840 à 1844 elles ont été de 338,000 fr. ; et en 1845 les recettes se sont élevées a 347,757 fr. 99 cent.

Veuillez remarquer, messieurs, qu'il s'agit ici uniquement des bureaux de l'enregistrement qui ne fournissent qu'une partie des ressources du trésor. Si je n'avais craint d'occuper trop longtemps la chambre, j'aurais étendu mes recherches a d'autres impôts, et notamment à l’impôt foncier, et il ne m'eût pas été difficile de faire ressortir encore davantage les motifs d'intérêt si puissants qui doivent déterminer le pouvoir à s'occuper sans délai des travaux publics dans la Campine.

(page 1404) Il est hors de doute que les travaux d'utilité générale, qui seront entrepris dans cette partie de nos provinces, fourniront une très large compensation des dépenses affrétées à leur exécution.

M. de Baillet-Latour. - Messieurs, parmi les questions qui intéressent à un très haut degré l'avenir de l'agriculture, une des principales est, sans contredit, l'amélioration de la race chevaline et l'amélioration des bestiaux.

Tout se lie, tout s'enchaîne, dans un pays surtout en fait d'agriculture ; une culture plus intelligente et devenue meilleure, diminue le prix de revient des élèves ; de meilleures routes permettent l'emploi de chevaux plus légers, et de voitures moins pesantes qui à leur tour défoncent moins les routes ; plus le fermier nourrit de bétail, et plus il fumera ses terres, plus il sera riche et plus il payera de contributions à l'Etat. Une amélioration n'arrive jamais seule ; elle se multiplie toujours par une autre.

C'est une bien grave question que celle de l'amélioration de la race chevaline ; une question à la fois agricole et politique ; agricole, lorsqu'il s'agit de rechercher les moyens que le gouvernement doit employer pour l'amélioration de la race en général ; politique, quand il faut résoudre le problème des remontes de la cavalerie. Combien de systèmes divers ont été présentés, combien de tentatives ont été faites, sans que le succès soit venu confirmer les espérances que l'on avait conçues ! Augmenter le nombre des chevaux tout en les améliorant, tel est le problème à résoudre. La nécessité de faire produire à l'agriculture belge, déjà si belle, si prospère, les chevaux nécessaires à la remonte de la cavalerie paraît généralement comprise aujourd'hui ; la section centrale en a fait l'objet de l'une des observations de son rapport.

La Belgique, messieurs, avec ses vastes et fertiles campagnes, l'activité, l'intelligence de ses habitants, ne peut pas ressentir un besoin sans qu'elle s'impose aussitôt le devoir d'y satisfaire. Quelle contrée possède plus qu'elle, les éléments de richesse et d'abondance de toutes choses ? Son impuissance actuelle ne saurait donc être un état anomal, le résultat d'une organisation défectueuse de nos forces productives. Tous nos efforts doivent tendre à découvrir les vices cachés.

Les améliorations à réaliser sont de deux natures : amélioration dans les races, voilà le but ; amélioration dans les institutions, voilà le moyen. Les premières dépendent des secondes.

Le gouvernement doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour encourager l'industrie particulière, et la guider par les essais intelligents du haras du gouvernement. ;

Que devrait-on faire pour améliorer les espèces différentes ? On devrait d'abord faire une chose que l'on ne fait pas ; c'est de combiner les accouplements avec intelligence.

En France, et je prends l'exemple de la France parce que dans ce pays aussi il y a beaucoup à faire pour améliorer la race chevaline, en France, depuis quelques années, on apporte le plus grand soin dans les combinaisons des accouplements.

Lors de la réorganisation des haras, un des hommes les plus versés dans la science hippique, M. de Champagny, fit dresser une carte chevaline de la France. Au moyen de cette carte qui divise la France par circonscriptions administratives, chacune pour le directeur d'un haras ou d'un dépôt d'étalons, on reconnaît immédiatement quelles races de chevaux sont propres à telles et à telles localités ; c'est là ce qu'il importe le plus de savoir pour que les haras produisent tout le bien qu'ils peuvent produire. Car grâce à cette connaissance, on pourvoirait chaque localité d'étalons propres à entretenir et à améliorer la race de cette localité

Remarquez que je dis entretenir et améliorer. Pour entretenir on emploie en général le demi-sang, pour améliorer, le pur-sang. Pour entretenir, on emploie aussi le 3/4 sang, lorsque l'étalon est bon, et en cherchant à le placer dans des localités où la race à moins de gros, et où il se trouve plus en rapport avec elle. Le dépôt d'Angers, par exemple, emploie dans sa circonscription beaucoup de ces étalons, et le département de la guerre achète de préférence leurs produits ; parce que ces chevaux sont beaucoup plus disciplinables tout en ayant de grandes qualités de fond.

Vous voyez par là que l'important pour celui qui dirige un haras ou une station d'étalons, est d'avoir les connaissances pour bien juger un cheval, et de bien connaître le pays qu'il administre, et l'espèce d'étalons qui peut y donner les plus beaux produits.

Je voudrais que l'on eût toujours les mêmes soins en Belgique qu'en France ; je désirerais, par exemple, que tel étalon envoyé en station cette année dans une province ne fût pas envoyé l'année prochaine dans une autre province, où la race est entièrement différente, car tel étalon a pu convenir à la première, et ne pourra pas convenir à celle qui en diffère totalement.

Tous les hommes qui se sont occupés de cette importante question savent que plus les mères sont belles et distinguées dans leur espèce, plus l'on doit rechercher de noblesse et de sang dans l'étalon ; que l'on doit assortir la taille autant que possible. Tient-on compte de ces conditions ? Très rarement. Il suffit que la jument amenée au haras ou au dépôt ait un certificat de santé, et on lui donne alors la plupart du temps non pas l'étalon qui conviendrait le mieux, mais celui dont le tour de saillie est arrivé.

Je voudrais voir les chefs de station tenir compte de ces conditions, et ne pas oublier que, pour entretenir, il faut procéder par parité, et, pour améliorer, par supériorité du mâle.

La section centrale a émis le vœu de voir la remonte de la cavalerie se faire au moyen de chevaux indigènes. C'est une idée sage et que je partage avec elle. Je la partage d'autant plus qu'il y aurait là encouragement pour l'industrie du pays, et en même temps économie pour le trésor, quand bien même, pour encourager encore plus les éleveurs, on augmenterait le prîx rémunérateur des chevaux de troupe, comme cela a été proposé en France.

En effet, cette augmentation du prix rémunérateur serait largement compensée, d'un autre côté, si l'on considère que parmi les chevaux de l'armée, achetés à l'étranger, il règne une mortalité que l'on peut évaluer à 10 p. c. au moins, et cela pendant les six premiers mois de leur entrée au corps, quels que soient les ménagements qu'on prenne envers eux. Cette mortalité, les chevaux du pays n'y sont pas exposés, parce qu'ils n'ont pas à courir les dangers si souvent funestes de l'acclimatation. Cet avantage compenserait donc, et au-delà, ce qu'on pourrait payer en plus pour un cheval indigène. J'ajouterai que les marchands français viennent faire chez nous de nombreuses acquisitions, et qu'ils préfèrent nos chevaux à ceux de l'Allemagne. Je ne vois donc pas pourquoi nous leur préférerions, nous, les chevaux de l'Allemagne.

Quant à l'idée émise par M. le ministre dans le sein de la section centrale sur la nécessité d'établir un dépôt de remonte, je crois devoir la combattre, et voici pourquoi.

C'est qu'un établissement de cette nature doit inquiéter tous les intérêts à la fois, les agriculteurs pour l'avenir agricole, le haras pour son existence, les producteurs pour leurs débouchés. Le producteur s'inquiéterait, voyant le département de la guerre faire lui-même, les chevaux, le haras se demandera si son existence ne sera pas compromise, et si le département de la guerre, à son tour, n'aura pas par la suite ses haras ; enfin l'agriculture penserait, et à bon droit, que l'intérêt général de la production aurait à souffrir.

Voulez-vous des exemples ? En France, trois dépôts de remontes sont devenus de véritables haras, qui font concurrence à ceux de l'Etat et à l'industrie particulière. Ces dépôts de remonte devenus des haras, sont situés l'un au domaine du Bec, l'autre à Saumur, le troisième à Guingamp.

Quant à moi je préférerais de beaucoup à ce système des dépôts de remonte l'achat direct par les régiments. Ce système a été proposé avec raison en France par le comité hippique de 1842. Il a l'avantage d'intéresser directement la production, et celui d'organiser des régiments mieux montés, car chaque colonel a un intérêt évident, un intérêt de juste orgueil, à avoir un régiment mieux ou aussi bien monté que les autres.

Je pourrais signaler plusieurs abus, mais je tiens à éviter tout ce qui pourrait ressembler à une attaque personnelle, et d'ailleurs j'ai beaucoup de confiance dans les lumières et dans le zèle de M. l'inspecteur général des haras. Je me réserve seulement de signaler plus tard les abus si les vices de l'organisation des haras mettaient le fonctionnaire éclairé dans l'impuissance de les corriger tous.

Un moyen efficace pour arriver à un bon résultat serait de donner une bonne organisation au haras. Eh bien ! j'avoue que l'arrêté du 18 février 1846 ne me paraît pas contenir toutes les garanties désirables à cet égard.

J'indiquerai seulement quelques-unes de ses lacunes.

Vous comprendrez que les hommes chargés de diriger un établissement de cette nature devraient réunir au savoir hippique les connaissances agricoles. Le gouvernement devrait donc exiger deux conditions d'admission, notamment celle d'un diplôme de capacité, délivré, après examen, dans une école du gouvernement, à l'école vétérinaire, par exemple. L'arrêté de 1846 n'exige aucune condition, aucune garantie des fonctionnaires du haras.

L'année dernière, en France, le congrès médical, considérant que dans nul autre établissement que les écoles vétérinaires, l'instruction ne présente toutes les garanties nécessaires pour imprimer aux haras une direction utile, a émis le vœu que des vétérinaires seulement puissent être nommés directeurs de ces établissements.

En Belgique, au contraire, voici ce qui se passe ; j'en ai la preuve dans l'arrêté du 18 février 1846.

On n'exige aucune condition du directeur ni des inspecteurs ; le médecin vétérinaire du haras est placé par le chiffre de son traitement dans une position tout à fait inférieure ; et, enfin, voici le plus curieux : on institue un conseil des haras, et de ce conseil, on exclut devinez qui ? Le seul homme qui ait les connaissances requises, le seul qui puisse réellement entendre quelque chose à la question : le médecin vétérinaire du haras.

Je n'irai pas plus loin ; je le répète, je redoute et j'évite tout ce qui pourrait ressembler à des attaques personnelles.

Dans un autre ordre d'idées, je tiens à signaler encore une preuve de cette espèce d'impéritie de l'administration de l'agriculture.

On veut améliorer les races des bestiaux, et pour encourager les producteurs, on établit des concours, et l'on accorde des primes aux plus beaux produits. C'est là une mesure fort sage ; l'administration l'applique de manière à ne lui faire produire que de mauvais résultats. On admet à ce concours non pas seulement des animaux nés en Belgique, et issus de croisement de races étrangères et des races indigènes ; mais encore des animaux étrangers, à la seule condition qu'ils soient arrivés en Belgique depuis six mois au moins. Les moutons de Disbley et les bœufs de Durbam viennent concourir avec les animaux du pays, et voilà ce que l'on appelle encourager. C'est ce que j'appellerai, moi, décourager. L'expérience le prouve, les producteurs ont reconnu que les plus beaux animaux ne peuvent pas lutter avec des bœufs de Durham, aussi ne luttent-ils pas, et nos concours belges se trouvent-ils ouverts aux seuls animaux étrangers.

Et encore ces concours n'ont-ils pas l'avantage de constituer un bénéfice pour nos éleveurs, car n'ayant ni la position, ni les débouchés des éleveurs anglais, l'importation et l'entretien des bestiaux de Durham deviennent pour eux une ruineuse folie, à moins qu'ils ne soient assez riches pour se (page 1405) permettre cette perte, et que ce ne soit là pour eux qu'une affaire de luxe, qu'une question d'amour-propre. C'est aussi ce qui arrive. Mais je vous le demande, messieurs, l'agriculture a-t-elle quelque chose à gagner à cet état de choses ?

Pour me résumer, en terminant, améliorer la race chevaline et la race des bestiaux, est un des points les plus importants, les plus indispensables du progrès de l'agriculture. Les Anglais ont compris cela les premiers, aussi le monde est-il leur tributaire. L'Allemagne, la Hollande, la France travaillent à se soustraire à cet impôt ; ils font chaque année de nombreux sacrifices d'argent. Je désire donc que la Belgique marche dans la même voie.

Je suis donc tout disposé à voter les sommes qui sont demandées ; je les aurais encore votées si elles eussent été plus élevées, et je pense que c'est bien comprendre les intérêts du pays.

J'appelle donc toute l'attention du gouvernement sur les abus que j'ai signalés ; du reste, je le répète, je suis d'avis que, loin d'entraver la marche progressive de l'agriculture par une parcimonieuse opposition, il faut chercher à la protéger particulièrement en favorisant l'amélioration et la multiplication des races de bestiaux ; les observations que j'ai faites n'ont pas d'autre but.

M. Lejeune. - Ce n'est pas sans quelque hésitation que je viens prolonger, pendant quelques instants, la discussion déjà très longue du budget de l'intérieur. Cependant, à cette époque l'on consacre tant de temps à la discussion des questions politiques qu'il doit bien nous être permis de donner quelques moments aux intérêts les plus importants du pays.

Si nous voulons jeter un coup d'œil sur ce qui s’est fait en Belgique pour l'agriculture, ce coup d'œil rétrospectif ne nous prendra pas trop de temps. La liste des faits n'est pas longue.

En 1830, il existait un seul établissement agricole qui méritât d'être conservé. C'était le fonds d'agriculture ; il a été aboli ; il avait déjà produit de très heureux fruits ; il était exclusivement destiné l'amélioration et à la conservation du bétail. En 1830, ce fonds s'élevait à cinq millions de florins. Sur ce fonds, la Hollande, depuis 1833 jusqu'en 1842, a remboursé aux éleveurs une somme de 1,500,000 fl. Pour notre part, vous le savez, nous n'avons reçu qu'un million de francs, et ce million n'est pas jusqu'ici rendu à sa destination.

Jusque dans ces derniers temps, on peut dire que l'agriculture a été presque complétement abandonnée à elle-même, oubliée. Cependant la Belgique ne serait rien sans sa richesse agricole. La fortune publique a ses racines dans le sol.

Nous n'avons ni institutions utiles, ni enseignement agricole. Il existe quelques commissions d'agriculture, commissions qui exercent peu d'influence utile. Elles sont sans vigueur et n'ont aucune initiative.

Pour l'enseignement, il se borne à un semblant d'enseignement agricole donné à l'école de Cureghem.

Nous ne pouvons être injustes envers le passé ; nous ne pouvons rien lui enlever ; il n'a rien à prétendre.

Je rappellerai donc les mesures utiles à l'agriculture, prises dans le pays, depuis notre régénération politique,

L'école vétérinaire, je n'hésite pas à la mettre en première ligne, malgré tous les reproches qui lui ont été faits, malgré tout le scandale qu'elle a causé, malgré les défauts qui doivent en être extirpés, je n'hésite pas à dire que l'école vétérinaire est un établissement qui a rendu des services au pays, et qui doit en rendre encore.

On a fait des efforts et dépensé beaucoup d'argent pour l'amélioration de la race des chevaux.

Mais on a poussé à l'élève des chevaux, sans donner aux éleveurs les moyens de se défaite de leurs produits. Ainsi on a constamment demandé à l'étranger des chevaux pour la remonte de notre cavalerie. Ce n'est que depuis l'an dernier, si je ne me trompe, qu'on a fait un essai sérieux, pour l'achat des chevaux de remonte dans le pays même. On s'en est parfaitement bien trouvé. Je conseille au gouvernement d'étendre cette mesure, et si j'ai bien compris un arrêté royal qui nous a été communiqué par le Moniteur d'hier, j'espère que cet essai va se convertir en mesure générale.

J'en félicite que le gouvernement, parce que non seulement on emploiera ainsi le véritable moyen d'amélioration pour la race des chevaux, mais encore parce qu'on en retirera un bénéfice réel, dùt-on payer les chevaux indigènes plus cher, car ces chevaux acclimatés dureront beaucoup plus longtemps.

A ce propos, j'engagerai aussi le gouvernement à donner suite au projet de former un dépôt de remonte, à ne pas s'arrêter devant quelques dépenses de premier établissement.

C est là le véritable complément de l'amélioration pour la race chevaline. Il en résultera que vous aurez de bons chevaux qui dureront beaucoup plus longtemps.

L'argent du trésor ne sortira pas du pays. Vous ne verrez pas ces bénéfices de 100,000 francs réalisés par tel ou tel particulier sur l'achat de chevaux étrangers, qui passent bien vite à la réforme.

Le gouvernement et les chambres ne sont pas restés indifférents à l'amélioration de la voirie vicinale ; nous avons la loi sur cet objet et l'initiative d'une bonne mesure a été prise par l'honorable M. Liedts pendant son passage aux affaires. C'est lui qui a porté le premier au budget un crédit de 100,000 fr. pour donner des subsides aux communes, à l'effet d'améliorer la voirie vicinale. C'est la une mesure qui a produit des effets au-delà de toute prévision et qui, je l'espère, prendra encore beaucoup d'extension.

Pour ne rien oublier du passé, je dirai encore que je regarde comme une mesure utile, dans l'intérêt de l'agriculture, la reprise par l'Etat des canaux et rivières. Nous ne pouvons encore juger de cet acte par ses résultats ; mais il forme la base d'améliorations incalculables.

C'est à l'administration de l'honorable M. Nothomb, ministre des travaux publics, que cette mesure est due.

Depuis quelque temps les commissions d'agriculture sont réorganisées, ; il existe un conseil supérieur d'agriculture. C'est, selon moi, un commencement heureux d'organisation agricole ; c'est en quelque sorte un point d'appui pour l'administration centrale. Mais ce qui a été fait, jusqu'aujourd'hui, est bien peu de chose, en comparaison de tout ce qui reste à faire.

Le premier objet dont le gouvernement me semble devoir s'occuper, c'est l'organisation complète de l'administration. On ne peut en disconvenir, l'administration actuelle de l'agriculture est incomplète ; elle n'a pas été formée en vue de tous les intérêts agricoles qui se débattent aujourd'hui, elle est, d'un autre côté, distraite de ses occupations par une foule d'autres objets.

L'administration de l'agriculture me paraît devoir être organisée de manière à ce qu'elle ne reste pas dans un état d'infériorité vis-à-vis des autres administrations, par exemple vis-à-vis de l'administration de l'industrie et du commerce. Alors le gouvernement sera à même de donner l'impulsion, de prendre l'initiative.

Je placerai en deuxième ligne le fonds d'agriculture ; sur cet objet le gouvernement a consulté les conseils provinciaux. Dans quelques provinces il existe un fonds d'agriculture, dans d'autres on l'établira. Mais il est a craindre qu'il n'y en ait qui ne fassent rien.

D'après moi, le fonds d'agriculture aurait dû faire l'objet d'une mesure générale pour tout le pays. Je ne considère la mesure comme bonne qu'à cette condition.

Aujourd'hui que veut-on faire ? Le gouvernement indemnise les éleveurs jusqu'à concurrence d'un tiers ; un autre tiers serait payé par les provinces ; cela peut-être satisfaisant en temps ordinaire ; mais je suppose une grande calamité ; je suppose qu'il faille des sommes très considérables pour indemniser jusqu'à concurrence du tiers, ce moment pourrait arriver lorsqu'il conviendrait le moins à l'état de nos finances, et il y aurait une certaine perturbation. Je préférerais de beaucoup que l'on prît une mesure générale, que l'on formât un fonds général suffisant pour faire face à tous les événements sans aucune secousse.

Un troisième objet qui doit être recommandé à l'attention du gouvernement, c'est l'enseignement agricole. Comment faut-il l'organiser ? C'est là sans doute la question qui doit être examinée d'abord par le gouvernement. Faut-il l'adjoindre à l'enseignement primaire ? Dans une discussion précédente, et, je crois, dans la discussion du budget de l'intérieur de l'année dernière, l'honorable M. de Theux, sans exprimer une opinion définitivement arrêtée, a émis l'avis que l'enseignement agricole pouvait se donner dans les écoles primaires. Cette opinion, émise avec beaucoup de réserve, a cependant été contestée, et d'autres ont cru devoir la combattre.

Pour moi, je désirerais qu'on ne prononçât aucune exclusion à cet égard. Nous avons l'avantage de ne devoir rien essayer par nous -mêmes. Nous trouvons presque tous les genres d'établissements à l'étranger. L'instruction primaire agricole se donne avec beaucoup de succès dans d'autres pays, notamment en Ecosse. Mais pour arriver à cet enseignement je conçois que l'on dise qu'il est impossible de l'introduire brusquement. Il nous faut poser des bases, des jalons, qu'on utilisera à la longue. Il faut de la patience, en fait d'enseignement agricole. Je crois que cet enseignement pourra s'établir dans les écoles primaires, à l'aide du temps. Je partage l'avis d'un honorable représentant de Malines qui disait, il y a quelques jours, que ce serait très bon d'avoir des cours d'agronomie dans nos écoles normales.

M. de Tornaco. - Il faut d'abord des professeurs.

M. Lejeune. - On pourrait en adjoindre aux écoles normales. Ce serait la base de l'enseignement agricole primaire.

En attendant qu'il soit possible de propager l'enseignement agricole sur une grande échelle, il y a d'autres moyens à employer. En France, on va confier, paraît-il, l'enseignement agricole aux artistes vétérinaires. Ou pourrait réorganiser notre école vétérinaire de telle manière que les élèves sortant de cette école fussent en même temps des instituteurs agricoles. On pourrait du moins avoir une catégorie d'élèves destinés à être artistes vétérinaires et instituteurs agricoles.

Ces instituteurs pourraient donner chaque semaine quelques leçons dans les écoles primaires des chefs-lieux de canton ; un de nos artistes vétérinaires les plus distingués a donné l'idée de ce genre d'enseignement. Si cette organisation paraissait possible, praticable et utile, elle aurait cet avantage que les instituteurs primaires eux-mêmes pourraient fréquenter ces cours cantonaux d'agriculture.

Faut-il introduire l'enseignement agricole dans l'enseignement moyen ? C'est là une question sur laquelle je n'ai pas d'opinion arrêtée. Cependant je partage l'avis d'un célèbre économiste français qui dit que : « L'enseignement professionnel est devenu une nécessité publique, un des premiers soins qui doivent occuper l'Etat. » Si cela est vrai, s'il faut que l'enseignement professionnel soit introduit dans toutes les branches de l'enseignement, ii ne faut pas en exclure la profession d'agriculteur.

« Partout et toujours (dit l'économiste dont je viens de parler, Michel Chevalier) on a réglé l'éducation de la jeunesse sur les données principales de l'organisation sociale. Or aujourd'hui cette donnée est l’industrie. »

(page 1406) De cette dénomination générale d'industrie on ne peut exclure l'industrie agricole.

Permettez-moi une dernière citation du même professeur : « Respectons et aimons les lettres ; mais on ne voit pas pourquoi la jeunesse puiserait exclusivement des notions d'agriculture dans les Géorgiques et s'initierait aux mystères de l'histoire naturelle et de l'astronomie dans les Métamorphoses d'Ovide. »

Dans l'enseignement supérieur, il y a eu déjà quelques essais d'enseignement agronomique dans notre pays et il convient de les étendre.

Un des moyens de répandre l'enseignement agricole est aussi l'établissement de fermes modèles et de fermes expérimenlales. Une ferme expérimentale, au moins, me paraît indispensable.

Pour ce qui concerne les fermes modèles, il en existe dans plusieurs pays.

Il y en a qui couvrent leurs frais, qui ne sont pas onéreuses pour l'Etat. Toutes les améliorations à introduire ne doivent donc pas être une charge pour l'Etat. Il y en a qui sont établies par des associations ; il s'agit seulement de donner l'impulsion et d'aider en quelque sorte au premier établissement.

Nous avons un exemple de ce genre donné par le conseil général de Saône-et-Loire qui assure un minimum d'intérêt pendant vingt ans à un certain nombre de souscripteurs pour qu'ils établissent une ferme modèle, et une école d'agriculture. Cette institution a été créée sur la proposition de M. de Lamartine.

En Ecosse, il existe une société agricole qui se charge de répandre l'enseignement agricole.

Vous voyez donc que tous les moyens à employer ne sont pas onéreux pour l'Etat.

Ce que nous devons demander avant tout c'est l'initiative, c'est l'impulsion.

Du reste l'enseignement agricole, de quelque manière qu'il soit donné, doit être avant tout un enseignement d'application, un enseignement positif.

Il ne faudrait pas inviter nos cultivateurs à s'adonner à des études théoriques, à faire par eux-mêmes des expériences. Ces deux moyens feraient rétrograder l'agriculture, au lieu de la faire avancer. Il faut du positif ; il faut qu'à côté des conseils qu'on donne, on indique les résultats ; il faut enseigner en commençant par l'application, montrer les résultats, et remonter ensuite aux causes. C'est dans cet ordre que les causes inspireront assez d'intérêt pour qu'on les étudie.

Quel sera le résultat d'un bon enseignement agricole ? Que voyons-nous aujourd'hui ? Les fils de cultivateurs aisés vont aux collèges, aux universités. Ils ne réussissent pas toujours dans les études qu'ils embrassent ; ils en rapportent chez eux un certain goût de livres fort étrangers à la profession de leur père et ils ont perdu toute aptitude pour diriger des travaux agricoles.

Il y a des cultivateurs aisés qui n'osent pas envoyer leurs fils à un pensionnat où ils ne recevraient même qu'une éducation un peu plus que primaire, de crainte qu'ils ne deviennent inhabiles à conduire les affaires de la ferme.

Les résultats de l'enseignement agricole se résument en quelque sorte en ces mots : L'alliance de la science avec l'agriculture pratique. La chimie et les autres sciences appliquées à l'agriculture, prennent d'immenses développements ; d'un autre côté, la pratique ne reste pas tout à fait en arrière. Mais il y existe encore pour ainsi dire un mur de séparation entre la science et la pratique. Les progrès scientifiques pénètrent peu dans la pratique.

Nous pourrions citer une foule d'exemples pour montrer ce qui arrive à défaut d'instruction suffisante.

Il y a aujourd'hui, pour suppléer à l'engrais ordinaire, une foule d'engrais industriels connus dans le commerce. Les prix courants en présentent en quantité qui peuvent suppléer très utilement les engrais ordinaires.

Eh bien, il n'y a pas un cultivateur en état d'apprécier à sa valeur ces engrais industriels. La valeur de l'engrais industriel dépend de l'élément fécondant qu'il contient. Il est impossible, sans procédé chimique, de pouvoir évaluer cet élément fécondant.

On a trouvé en Angleterre du guano qui ne contenait pas moins de 80 p. c. de matière inerte. Le guano de bonne qualité doit contenir 80 p. c. de matière fécondante.

On fabrique aux portes de Bruxelles un excellent engrais connu sous le nom d’ « engrais aminal » ou « noir animalisé ». J'ai entendu dire que des expériences très heureuses ont été faites au moyen de cet engrais. Mais il faut s'en rapporter à la bonne foi du fabricant que personnellement je ne mets pas en doute ; mais le cultivateur est toujours défiant, parce qu'il est souvent trompé.

Il peut se faire que la marchandise qu'on achète paraisse bonne, et ne soit que de qualité très médiocre ; il est impossible de s'en apercevoir.

Il y a pour cela, messieurs, des mesures à prendre, et nous pouvons encore procéder par des exemples. Dans la ville de Nantes, les engrais pulvérulents ne peuvent être livrés au commerce qu'après avoir ete soumis à l'examen d'une commission de pharmaciens, nommée à cet effet par la municipalité On ne peut assez louer, messieurs, de pareilles mesures. Il faut que l'agriculture soit prémunie contre la mauvaise foi, contre le charlatanisme des spéculateurs Il existe a Edimbourg un laboratoire où chaque particulier peut présenter des échantillons d’engrais, pour les soumettre à l'analyse et en connaître la valeur réelle. Depuis que ce laboratoire existe, il n'y a eu qu'un seul exemple de falsification, tandis que les falsifications sont très nombreuses en Angleterre.

Je dis, messieurs, qu'on ne peut pas assez louer des mesures qui tendent à introduire dans le commerce la vérité, la probité. J'exprimerai sous ce rapport ma reconnaissance à un homme qui n'a cessé de travailler à obtenu ce résultat. Je veux parler de M. Jobard, qui ne cesse de faire des efforts pour faire partager ses idées sur les marques obligatoires d'origine.

Pour l'objet dont je parle ici, de même que pour tous les objets de commerce, pour l'industrie de bonne foi, il serait désirable que l'on pût donner suite à cette idée.

M. de Haerne. - Pour les toiles surtout.

M. Lejeune. - Pour les toiles surtout, dit l'honorable abbé de Haerne, mais pas pour les toiles seulement. Il serait désirable qu'on pût donner suite à cette idée pour tous les objets de commerce et qu'on pût ainsi réintroduire la bonne foi, la vérité et la probité dans les transactions commerciales.

On a parlé de défrichements.

Je pense aussi, messieurs, que le gouvernement, ne peut pas tarder plus longtemps à proposer des mesures pour le défrichement de nos bruyères. La question a été beaucoup remuée. Il y a beaucoup de personnes qui ont apporté leur contingent de lumières, et si leurs propositions ne sont pas toujours acceptables, il faut leur savoir gré d'avoir mis la main à l'œuvre. Ainsi pour la Campine nous avons entre autres une brochure qui ne me paraît pas sans importance, de M. le colonel Eenens.

Pour la Flandre occidentale, nous avons un ouvrage de notre ancien collègue le chanoine Andries ; notre honorable collègue, M. Kervyn, sans traiter spécialement cette question, en dit un mot dans un travail intéressant qu'il nous a communiqué. Nous avons les avis des conseils provinciaux et des commissions d'agriculture ; du contact, du frottement de tous ces documents peut jaillir la lumière.

Je crois encore que sur cette question on ne peut pas faire beaucoup à la fois ; qu'on doit procéder avec lenteur et circonspection, qu'on ne doit pas brusquer, pas froisser les habitudes ; qu'on doit commencer en quelque sorte par convaincre du bon résultat des mesures qu'on veut prendre.

Dans cette limite, je suis partisan des colonies intérieures ; je pense qu'on pourrait les établir avec grand fruit.

Il y a un autre moyen d'encourager l'agriculture, je veux parler des irrigations et des écoulements.

Pour les irrigations, on a fait très peu de chose dans notre pays : en France on est plus avancé, la question est toujours pendante et attend de nouveaux développements. M. de Gasparin disait dernièrement qu'on continuait à faire produire la fièvre à 200.000 hectares de marais qui auraient pu produire de la viande et du pain. Cela peut s'appliquer à quelques parties de notre pays.

En France, on a voté, l'année dernière, une loi d'irrigation sur la proposition de M. d'Angeville. Elle a pour but d'établir, moyennant indemnité,, une servitude presque absolue de passage pour faire arriver les eaux sur un terrain, et la même servitude de passage pour les faire évacuer. Celle loi sera la source d'une immense amélioration agricole.

Un autre projet avait été proposé dernièrement par M. Lafarelle. Il avait pour but l'endiguement de cours d'eau. Cette loi a été rejetée, quoique la base en fût très bonne ; elle a été rejetée, je pense, parce qu'on a voulu mettre à la charge des riverains seuls, tous les frais d'endiguement et d'amélioration à faire aux cours d'eau. C'était là une injustice.

Chez nous, nous aurons à discuter dans peu de jours un moyen qui est beaucoup plus rationnel et qui, j'espère, pourra réunir les suffrages de la chambre : je veux parler de l'établissement des wateringues. Là, on retrouvera le principe de la loi française, avec plus de justice dans l'application.

Messieurs, je ne puis terminer l'examen des différents moyens qui me semblent propres à améliorer l'agriculture, sans dire un mot des droits protecteurs.

On a (et j'ai omis ce point lorsque j'ai parlé de ce qui avait été fait en Belgique), on a fait une loi sur les céréales ; on a voulu modérer la concurrence étrangère, et prévenir ce que son action pouvait avoir de trop compromettant pour les intérêts de la production nationale. Depuis, d'autres propositions ont été faites, votées ou abandonnées. Dans mon opinion, les prétentions qu'on a formées n'étaient réellement pas exagérées. En tenant compte de la position de la Belgique, à l'égard de la France et de l'Angleterre, je ne puis pas croire que ces mesures qui, je le conçois, peuvent soulever de l'opposition dans tous les temps, aient cependant mérité l'excessive réprobation dont on a voulu les frapper.

Les droits protecteurs sont encore nécessaires ; ils constituent un encouragement utile, dans notre pays ; mais je n'y attache pas une importance exagérée, j'en abandonnerais plutôt une partie que de les soutenir, au risque de compromettre d'autres intérêts importants.

Du reste, notre position, sous ce rapport, subira probablement de grandes modifications, par suite des mesures adoptées récemment en Angleterre. Cependant je ne veux pas non plus qu'on induise de mes paroles qu'il faille, en Belgique, aller aussi loin qu'en Angleterre. Dans notre pays une ligue contre la loi des céréales serait, me paraît-il, une singerie des plus ridicules.

Chez nous, la fortune est attachée au sol ; les sept huitièmes de la richesse publique consistent dans l'agriculture. Il n'en est pas de même en Angleterre. En Angleterre, c'est l'industrie qui l'emporte ; et, messieurs, si nous devons marcher vers la situation de l'Angleterre, je désire que ce soit le plus lentement possible ; dans l'intérêt de nos populations, je désire beaucoup que les intérêts agricoles continuent à prédominer.

(page 1407) Lorsque je jette un regard sur la situation de la classe ouvrière en Angleterre, je ne pis que me féliciter de ce que nous ne soyons pas encore arrivés jusqu’à ce points. Il y a en Angleterre trois classes de personnes qui souffrent plus ou moins : ce sont le journalier indépendant, le pauvre valide entretenu par la paroisse et le criminel. Eh bien, le croiriez-vous, de ces trois classes d'individus, c'est le journalier qui est le moins bien nourri, qui est le plus malheureux sous le rapport matériel.

La condition matérielle du criminel est meilleure que celle du pauvre nourri par la paroisse, et celle du pauvre nourri par la paroisse, meilleure que celle de l'honnête homme qui travaille.

Pour moi, je ne suis pas disposé à pousser au développement de l'industrie, jusqu'au point d'arriver à la situation de l'Angleterre.

Les droits protecteurs constituent un encouragement pour l'agriculture. Mais les diverses mesures sur lesquelles j'ai eu l'honneur d'appeler l'attention de la chambre et du gouvernement sont une bien autre garantie, un bien autre encouragement. Ce qui doit aujourd'hui peser dans la balance, c'est l'intelligence, c'est le développement des connaissances agricoles, c'est l'alliance de la science avec la pratique.

M. Osy. - Messieurs, nous sommes à la veille de voir expirer la loi qui a été votée pendant la session extraordinaire sur les subsistances. Il faut que le pays sache le plus tôt possible à quoi s'en tenir à cet égard. M. le ministre de l'intérieur nous a annoncé récemment qu'il avait demandé des renseignements ; je regrette d'apprendre qu'il ne les a pas encore reçus ; de mon côté, j'ai pris des renseignements, je pourrai les communiquer à M. le ministre de l'intérieur, et il pourra les contrôler avec ceux qu'il ne tardera pas à recevoir.

Dans le cours de l'année 1845, d'après le dernier tableau publié par M. le ministre des finances, nous avons importé en Belgique 1,150,000 hectolitres de froment et 300,000 hectolitres de seigle. Vous voyez que les besoins ont été très considérables. Dans les 4 premiers mois de la présente année, nous avons importé 450,000 hectolitres de froment et 108,000 hectolitres de seigle. Il se trouve à l'entrepôt et dans les magasins particuliers è Anvers 80 à 85,000 hectolitres de froment et 30 à 35,000 hectolitres de seigle. Eh bien, la consommation du pays étant au-delà de 15,400 hectolitres de froment par jour, vous avez en froment une consommation pour cinq jours et demi. Depuis 15 jours, les prix sont en hausse. C'est la preuve évidente que nous avons besoin de grains étrangers.

Je crois donc que le gouvernement devrait se presser de nous présenter un projet de loi prorogeant la loi que nous avons votée en septembre dernier. Je crois que le terme que j'avais proposé lors de la discussion de cette loi ne suffira pas, car la nouvelle récolte ne peut pas venir en consommation avant la nouvelle année, on ne pourra pas battre en grange avant cette époque, nous devons vivre jusque-là des grains qui nous viendront de l'étranger. Le gouvernement ferait bien de nous présenter un projet de loi prorogeant la loi de septembre dernier à la fin de l'année. Je sais qu'il n'y a pas à espérer de voir le froment à bas prix ; mais cela ne suffit pas au commerce, il faut qu'il sache sur quoi il peut compter, il lui faut une loi qui lui garantisse la libre entrée des grains jusqu'à la fin de l'année. C'est nous qui devons faire venir de l'étranger les grains que vous mangerez d'ici à la fin de l'année ; s'il en résulte une baisse, ce sera tant mieux pour la consommateur. (Interruption.)

Messieurs, je plaide ici la cause du consommateur, comme nous l'avons plaidée l'année dernière, et si le gouvernement n'avait pas montré plus de sagesse que la chambre, vous auriez vu où nous en aurions été. (Nouvelle interruption.)

Oui certainement, nous avons été en minorité et on a rendu justice à la minorité en ne sanctionnant pas la loi.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Ce sont les pommes de terre qui vous ont rendu justice.

M. Osy. - Quand la sanction de la loi a été refusée, il n'était pas question de pommes de terre, car c'était en juin ; ce sont les observations de la minorité qui ont ouvert les yeux au gouvernement, et la loi que nous avions tant combattue n'a pas été sanctionnée ; j'en rends grâce au gouvernement.

La preuve qu'il est urgent de proroger la loi, c'est que les céréales sont en hausse au lieu de baisser ; dans les dernières mercuriales le prix du froment atteignait presque 24 fr. et celui du seigle 18 ; le gouvernement doit donc porter sérieusement son attention sur ce qu'il y a faire jusqu'à la fin de l'année.

L'amendement de l'honorable M. Delfosse donnait au gouvernement toute latitude pour la libre entrée des farines, le gouvernement a bien fait d'user de cette faculté ; mais aujourd'hui que nous sommes convaincus que les moulins à farine travaillent avec activité, on ne devrait pas continuer à permettre la libre entrée des farines. Je ne pense pas cependant qu'il faille rétablir le droit de 15 francs qui est prohibitif ; en laissant un droit de 3 francs, ce serait assez. Le gouvernement devrait voir si dans l'intérêt de l'industrie nationale, tout en baissant les droits d'entrée, il ne peut pas donner une protection à cette industrie.

Les importations en légumes ont aussi été considérables ; beaucoup de légumes secs ont été employés par la population moyenne et la population pauvre, ce qui a fait un bien infini. Il en est tellement arrivé, que les haricots ont baissé de 48 à 16 fr. Voilà un avantage que le commerce a procuré au consommateur.

Pour ce qui est des riz que mange la classe moyenne, comme il y en a un grand approvisionnement dans le pays, je pense qu'il ne faut pas continuer à en permettre la libre entrée ; mais il ne faut pas non plus rétablir le droit dans son intégrité au 1er juin ; il faudrait prendre un terme moyen et au lieu de 6 fr. mettre un droit de 3 fr. ; de cette manière, nous ferions quelque chose pour la classe moyenne.

J'engage donc le gouvernement à nous présenter un projet de loi le plus tôt possible ; afin que le pays, la commerce et le consommateur sachent à quoi s'en tenir ; car c'est du commerce, je le répète, que vous devez attendre votre consommation jusqu'à la fin de l'année. Il ne faut pas perdre de vue que le seigle ne se présente pas bien.

Maintenant reste une autre question ; dans la nouvelle loi je ne voudrais, pas qu'on maintînt la prohibition à la sortie. En vous conformant aux vrais principes d'économie politique, en laissant les céréales libres à l'entrée et à la sortie, vous ne manquerez jamais de rien.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je regrette que trois provinces soient en retard de me fournir les renseignements que j'ai demandés ; de ce nombre se trouve précisément la province d'Anvers ; j'attache beaucoup de prix à son avis ; aussitôt que je les aurai reçus, je m'empresserai de présenter un projet de loi à la chambre. Comme vous avez pu le voir par le discours de M. Osy, plusieurs questions se rattachent à cet objet ; quoi qu'il en soit, aussitôt ces avis reçus, la chambre sera saisie d'un projet de loi.

Vu l'heure avancée de la séance, le chiffre d'ailleurs n'étant pas contesté, je n'entrerai pas dans la discussion détaillée de ce chapitre. Nous accueillerons toutes les observations faites en vue de l'agriculture et nous tâcherons de les faire tourner à son profit.

M. Osy. - Et au profit des consommateurs.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il ne s'agit ici que de l'agriculture ; nous avons au budget un chapitre pour l'industrie et le commerce, comme dans cette séance on n'a parlé que de l'intérêt agricole, je crois que je pouvais me borner à m'en occuper en ce moment.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Ce n'est pas en juin que la sanction a été refusée à la loi des céréales ; si l'honorable membre veut relire l'exposé des motifs de la loi présentée en septembre dernier, il verra que c'est seulement au mois d'août ou dans les premiers jours de septembre que la sanction a été refusée à la loi ; il y est déclaré que la sanction n'a pas été donnée à raison des faits nouveaux survenus et non des motifs singuliers que l'honorable M. Osy a énoncés.

Un mot encore sur la prohibition de la sortie. Vous vous rappelez que pendant la discussion de la loi de septembre, l'honorable membre déclarait que le commerce était tellement timide que l'interdiction de la sortie paralyserait son action.

Je vous laisse à juger, messieurs, de l'exactitude de ses appréciations en présence des quantités introduites et que l'honorable membre vous a lui-même indiquées.

- La séance est levée à 4 heures 3/4.