(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 984) M. de Villegas procède à l'appel nominal à 2 heures.
M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. de Villegas présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le conseil communal de Tongres demande que la ligne principale du chemin de fer projeté entre Anvers et Dusseldorf passe par Tongres. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« L'administration communale de Waereghem demande que cette commune soit déclarée chef-lieu d'un canton de justice de paix. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner les projets.de loi sur la circonscription cantonale.
« Le sieur Kenettenorf, directeur de ventes à Bruxelles, présente des observations concernant le projet de loi sur les ventes publiques en détail des marchandises neuves. »
M. Dumortier. - Je demande la lecture de cette pétition.
M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, il va être donné lecture de cette pétition.
M. de Villegas donne cette lecture.
(Note du webmaster : le texte de cette pétition, inséré ensuite dans les Annales parlementaires, n’est pas repris dans la présente version numérisée.)
- Cette pétition restera déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi à l'ordre du jour.
Par dépêche en date du 14 mars, M. le ministre de la justice transmet à la chambre sept demandes en naturalisation, accompagnées des renseignements relatifs à chacune d'elles.
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. Delehaye demande un congé pour cause de santé.
- Accordé.
M. le président. - A la séance de samedi, la chambre en était restée à l'article 10 ainsi conçu :
« Toute contravention aux dispositions ci-dessus sera punie de la confiscation des marchandises mises en vente, et, en outre, d'une amende de 50 à 3,000 francs, qui sera prononcée solidairement, tant contre le vendeur que contre l’officier public qui l'aura assisté, sans préjudice des dommages-intérêts, s'il y a lieu.
« En cas de récidive dans les trois années, le maximum de la peine sera toujours appliqué.
« Ces condamnations seront prononcées par les tribunaux correctionnels. »
La section centrale propose de réduire le maximum de l'amende à 1,000 fr. au lieu de 3,000.
Samedi, au moment de mettre cet amendement aux voix, la chambre ne s'est plus trouvée en nombre.
- L'amendement de la section centrale est mis aux voix et adopté.
L'article 10 ainsi amende est également adopté.
« Art. 11. Seront passibles des mêmes peines, les vendeurs ou officiers publics qui comprendraient dans les ventes faites pas autorité de justice, sur saisie, après décès, faillite, cessation de commerce, ou dans les autres cas de nécessité prévus par l'article 3 de la loi, les marchandises neuves faisant pas partie du fonds ou du mobilier mis en vente. »
(page 985) M. Jonet. - Je vois par cet article que l'on punit des mêmes peines les vendeurs ou officiers publics qui comprendraient dans les ventes faites par autorité de justice, sur saisie après décès, faillite, cessation de commerce ou dans les autres cas de nécessité prévus par l'article 3, des marchandises neuves ne faisant pas partie du fonds ou du mobilier mis en vente. Je pense qu'il y aurait une exception à faire pour les officiers publics qui ne savent pas toujours si des marchandises neuves ont été mises, depuis le décès ou la faillite, parmi celles dont la vente est autorisée. Si l'officier public n'a pas une connaissance formelle de l'introduction de ces marchandises, il est impossible qu'il soit passible de l'amende prononcée contre le vendeur qui a introduit ces marchandises.
Je proposerai un changement de rédaction consistant dans la suppression des mots : « ou officiers publics », et j'ajouterai un deuxième paragraphe ainsi conçu : « Quand les officiers publics connaissant la fraude auront procédé à la vente, ils seront condamnés à l'amende solidairement avec les vendeurs. »
Les officiers publics ne doivent pas toujours être condamnés à l'amende, parce qu'il y a une foule de circonstances où ils n'ont pas connaissance de la fraude. Dans ce cas il est impossible de les condamner. Je ne veux qu'ils soient passibles de la peine que quand ils ont connaissance de la fraude.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'observation faite par l'honorable M. Jonet est parfaitement juste, mais il peut y être satisfait en ajoutant un mot à l'article 10, le mot « sciemment », sans avoir besoin d'ajouter un deuxième paragraphe à l'article. »
M. Jonet. - Le mot « sciemment » s'appliquerait ainsi anx vendeurs ; or, les vendeurs savent toujours si les marchandises ont été introduites en fraude parmi celles dont la vente doit avoir lieu par autorité de justice.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Si les vendeurs ont toujours connaissance de la fraude, il n'y a aucun inconvénient à introduire le mot « sciemment », ce ne peut être qu'une redondance à leur égard,
- L'addition du mot « sciemment » après ceux-ci : « officiers publics qui » est mise aux voix et adoptée.
L'article 11 ainsi amendé est également adopté.
« Art. 12. Dans tous les cas ci-dessus, où les ventes publiques seront faites par le ministère des courtiers, ils se conformeront aux lois et règlements qui les régissent, tant pour les formes de la vente que pour les droits de courtage. »
- La section centrale propose la suppression de cet article.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Le gouvernement se rallie à cette proposition.
- La suppression de l'article 12 est mise aux voix et prononcée.
« Art. 13 (qui devient art. 12). Dans les lieux où il n'y aura point de courtiers de commerce, les officies publics ayant à ce qualité légale, feront les ventes ci-dessus, selon les droits qui leur sont respectivement attribués par les lois et règlements.
« Ils seront, pour lesdites ventes, soumis aux formes, conditions et tarifs imposés aux courtiers. »
M. de Corswarem. - Messieurs, je crois que cet article ne peut s'appliquer qu'aux ventes en gros, qu'aux ventes qui se font dans les quantités déterminées par l'article 2. Jusqu'à présent les courtiers de commerce n'ont jamais procédé à des ventes en détail, ils vendent des cargaisons ou des parties de cargaison qui, nécessairement, sont toujours des ventes importantes.
Les courtiers de commerce ont un tantième pour cent très peu élevé, parce qu'ils font des ventes considérables sur lesquelles un faible tantième donne un salaire assez considérable.
Si vous obligez les autres officiers publics, les notaires, par exemple, à se charger des ventes en détail moyennant le tantième alloué aux courtiers sur les ventes en gros, ils se refuseront à faire les ventes en détail. Le tantième attribué au courtier sur une vente peu importante s'élèverait à une somme si minime qu'un notaire ne voudrait pas s'y prêter.
Il y a d'autres circonstances où les notaires ne peuvent pas percevoir de tantième, c'est quand il s'agit de ventes de marchandises où des mineurs, des absents ou des interdits ou d'autres incapables ont intérêt ; alors la loi stipule qu'ils ne peuvent se faire payer que par vacation et non par tantième, quelle que soit l'élévation du produit de la vente. L'article qui nous occupe viendrait déroger à ce qui existe. Il me paraît qu'on peut supprimer cet article comme le précédent. Il n'y a à cela aucun inconvénient, selon moi ; car il va sans dire que dans les lieux où il n'y aura pas de courtiers de commerce, les seuls officiers publics, ayant à ce qualité légale, feront les ventes selon les droits qui leur sont respectivement attribués par les lois et règlements, parce que, d'après un autre article déjà adopté, quiconque n'ayant pas qualité légale, fait une vente publique, est puni d'une amende de 50 à 100 fr.
Si la vente est très considérable, il pourra se faire qu'il y ait des remises très élevées ; tous les officiers publics s'en chargeront ; mais si elles sont peu élevées, les officiers publics d'un ordre élevé trouveront des motifs pour ne pas s'en charger ; les vendeurs seront obligés de recourir à des officiers publics d'un rang inférieur, en qui ils pourront ne pas avoir la même confiance qu'en ceux qui auront refusé leur ministère. Je propose donc la suppression de cet article, à moins qu'on ne me démontre qu'il y a nécessité de le maintenir.
M. Savart-Martel. - J'appuie la suppression demandée par l'honorable préopinant. Je pensais qu'il avait été entendu qu'on le supprimerait. Nous faisons une loi pour protéger le commerce, mais non une loi qui règle les devoirs, les obligations, les droits des officiers ministériels.
Il me semble qu'il avait été convenu qu'on laisserait cela dans le droit commun, pour ne pas entrer dans des détails pour les cas où il s'agirait de majeurs ou de mineurs, de courtiers ou de notaires. J'insiste donc pour la suppression.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Si l'article 13 n’avait pas le deuxième paragraphe, on pourrait supprimer cet article ; mais le dernier paragraphe assimile tous les officiers publics aux courtiers, quant au tarif et aux honoraires. Ce paragraphe porte :
« Lorsque les ventes seront faites par les officiers publics, ils seront soumis aux formes et conditions de tarif imposées aux courtiers. »
Sans cette disposition spéciale, l'assimilation n'existerait pas. Je n'ai pas présentes à la mémoire les différences qui existent entre le tarif des notaires, celui des huissiers et celui des courtiers. Je ne sais même pas s’il y a des différences notables entre ces tarifs. Les émoluments de ces officiers publics ont été établis par divers décrets et arrêtés.
Je ne vois pas d'inconvénient à les assimiler, quant au tarif, si on les assimile quant à la compétence. Je trouve même cette assimilation très logique.
Elle n'existerait pas si nous n'adoptions pas le paragraphe final de l'article 13. Je ne vois pas de difficulté à laisser subsister cet article, et il pourrait peut-être y avoir des inconvénients à le faire disparaître. Il pourrait y avoir des officiers publics ayant la même mission, la même compétence et soumis des tarifs différents.
On peut maintenir l'article 13 en restant d'accord avec le principe qui a fait supprimer plusieurs autres articles ; cette suppression a été motivée par l'intention de ne pas créer un système nouveau, et s'en référer aux lois existantes ; mais ici il s'agit d'établir une assimilation qui n'existe pas, quant aux tarifs, entre ces divers fonctionnaires.
M. de Corswarem. - Je ne crois pas qu'il soit juste d'assimiler ici les officiers publics des divers grades, même pour la même vente. Le tarif des notaires est plus élevé que celui des courtiers, mais le tarif des huissiers est moins élevé que celui des courtiers. Pourquoi vouloir allouer aux notaires moins et aux huissiers plus qu'ils n'ont aujourd’hui? Dans les cas où les notaires sont payés par vacation, pourquoi vouloir leur donner des remises ? Car, comme je l'ai déjà dit, dans tous les cas où les ventes sont faites d'après inventaire, quand il y a des mineurs, des interdits ou des absents, les notaires sont payés par vacation.
Ainsi cet article dérogerait au code de procédure qui prescrit le mode de vente dans les cas où des incapables sont intéressés.
Il faudrait faire ici une exception et dire que les ventes par autorité de justice ou sur saisie, etc., ne seront payées que par vacations. Il faudrait faire une distinction pour les ventes qui seraient opérées d'après le tarif. Mieux vaut laisser les choses comme elles sont et laisser aux vendeurs la faculté de transiger avec les officiers ministériels sur la quotité de leurs remises ; ce qui se fait assez fréquemment pour les ventes de quelque importance, il y aurait, par suite, des cas où vous donneriez aux officiers publics des remises plus fortes que celles qu'ils ont maintenant.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je ne suis pas l'auteur du projet de loi. Mais j'ai voulu indiquer les motifs qui, d'après moi, ont motivé la présentation de cette disposition.
Je reconnais que les observations de l'honorable M. de Corswarem peuvent être prises en considération. Je ne vois pas, pour ma part, grand inconvénient à supprimer l'article.
- La chambre consultée supprime l'article 13.
« Art. 14 (qui devient l'art, 12). 11 sera perçu au profit du trésor public sur les ventes désignées à l'article. 2, un tantième de 5 p. c. de leur produit, payable en même temps que les droits d’enregistrement. »
« Art. 14 (Amendement de la section centrale). Les droits d'enregistrement à percevoir sur les ventes désignées à l’article 2 sont portés à 5 p. c. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - J'ai un nouvel amendement à proposer pour remplacer cet article, dont la rédaction ne me paraît pas très claire. On y mentionne des ventes désignées à l’article 2. Or il n'est question dans l'article 2 que de ventes en détail qui sont interdites.
Je proposerai donc la rédaction suivante :
« Le droit d'enregistrement à percevoir sur les ventes publiques de marchandises neuves mentionnées à l'article 2, est porté à 5 p. c, sauf en ce qui concerne les ventes publiques en détail autorisées par l'article 3, sur lesquelles on continuera à percevoir le droit fixé par l'article 13 delà loi du 31 mars 1824. »
- La chambre remet à après-demain le vote définitif du projet de loi.
M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il au projet de la commission ?
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Non, M. le président.
M. le président. - En conséquence, la discussion est ouverte sur le projet du gouvernement.
Les propositions de la commission seront considérées comme amendements.
- Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, cette discussion est close.
La chambre passe à la discussion sur les articles.
« Art. 1er. (Projet du gouvernement.) Tout individu non soumis aux lois militaires, qui aura acheté, loué, emprunté, reçu en dépôt ou en gage, présenté à vendre, exposé en vente, ou vendu des effets ou objets d'habillement, d'équipement, de harnachement ou d'armement militaires ne portant point les marques de rebut, sera puni d'un emprisonnement de six jours à un an et d'une amende de cinquante à cinq cents francs. »
(page 986) « Art. 1er. (Projet de la commission.) Quiconque aura acheté, vendu, loué, échangé, emprunté, donné ou reçu en dépôt ou en gage, exposé en vente, présenté en vente, louage, échange, prêt, dépôt ou en gage, des effets ou objets d'habillement, d'équipement, de harnachement ou d'armement militaires, ne portant pas les marques de rebut, ou qui se sera rendu complice de ce délit, sera puni d'un emprisonnement de six jours à un an, et d'une amende de cinquante à cinq cents francs. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - J'ai dit tout à l'heure que je ne me ralliais pas à la proposition de la commission. Je ne m'y rallie pas en ce qui concerne les articles 2 et 3. Quant à l'article premier, je reconnais que la rédaction de la commission est plus complète que celle que le gouvernement avait proposée. Il est préférable, me paraît-il, de ne pas parler dans l'article premier de la complicité, et de réserver cette question pour l'article 2.
J'exposerai dans la discussion de cet article les motifs qui me portent à ne pas me rallier à la disposition proposée par la commission.
- La proposition de M. le ministre de la justice est adopté ; en conséquence l'article premier du projet de la commission est adopté avec la suppression des mots « ou qui se sera rendu complice de ce délit ».
« Art. 2. Les complices du délit prévu par la présente loi seront punis des mêmes peines que les auteurs, sans préjudice des peines portées par la loi militaire contre les individus appartenant à l'armée, à raison de leur coopération aux faits mentionnés à l'article premier. »
« Art. 2. (Projet de la commission.) La connaissance des délits mentionnés à l'article qui précède est dévolue aux tribunaux correctionnels ; néanmoins lorsqu'ils auront été commis par des personnes faisant partie de l'armée, sans que des individus soumis aux lois civiles y auraient participé, ou y seraient compromis, ils seront déférés au juge militaire, et punis des peines portées par les lois militaires. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - La commission change par cet article l'état de choses existant, d'après la loi de 1817, relativement à la compétence et à la juridiction. Contrairement à cette loi, la commission veut soumettre à la juridiction ordinaire des délits tout à fait militaires. Elle modifie des dispositions essentielles du Code pénal militaire ; car elle ne propose pas seulement un changement quant à la compétence et à la juridiction, mais elle propose un changement très notable quant à la peine.
Cette proposition est inadmissible.
Je vais, en peu de mois, essayer de démontrer à la chambre que le système de la commission, contraire à tout ce qui existe, à tous les précédents judiciaires, est inadmissible.
La loi de 1817, que la loi actuelle est destinée à remplacer, porte dans ses considérants :
« Ayant pris en considération que les Codes militaires ont établi des peines pour la désertion et pour le délit des militaires ou autres individus appartenant aux armées de terre ou de mer, qui se permettraient de la favoriser, mais que les lois existantes n'ont pas assez prévu le cas où ce même délit serait commis par des personnes qui ne sont pas soumises à la juridiction militaire ;.....
« Art. 1er. Tout individu non soumis à la juridiction militaire, qui engagera d'une manière quelconque à la désertion un ou plusieurs militaires des armées de terre ou de mer..... sera puni de..... »
Ainsi, la loi de 1817 n'est, en aucun cas, applicable à l'individu soumis a la juridiction militaire. C'est donc une véritable innovation que propose la commission, en voulant soumettre à la juridiction civile un individu soumis à la juridiction militaire, et ce non seulement à raison de délits ordinaires, mais même en raison des faits qui constituent de véritables délits militaires.
Quand il s'agit, messieurs, de délits ordinaires, on conçoit très bien si ces délits sont commis simultanément par un militaire et par un bourgeois, qu'on doive alors recourir à la juridiction ordinaire ; il faut que le militaire soit traduit avec le bourgeois devant le tribunal correctionnel, on ne concevrait pas en effet que dans ce cas le bourgeois fût justiciable d'un conseil de guerre. Mais s'il en est ainsi lorsqu'il s'agit de délits ordinaires, il en est tout autrement lorsqu'il s'agit de délits militaires. Dans ce cas le militaire, quelle que soit la coopération qu'un bourgeois lui aurait prêtée, reste soumis à la juridiction militaire. En effet, si un bourgeois, par exemple, avait favorisé la désertion d'un militaire, on ne soutiendra pas que, pour ce crime, le militaire doive être traduit devant une cour d'assises. Le militaire, bien qu'ayant été aidé, pour effectuer sa désertion, par un individu non militaire, n'en restera pas moins soumis aux lois militaires, à la juridiction militaire, et une autre procédure, une autre instruction aura lieu contre l'individu non militaire, qui sera traduit devant la cour d'assises ou devant le tribunal correctionnel, suivant les circonstances.
Ainsi jamais on n'a admis ce principe, que lorsqu'un bourgeois a coopéré à un délit militaire, une seule et même juridiction devait connaître de l'affaire. J'ai cité l'exemple de la désertion ; il y a une infinité d'autres cas que l'on pourrait également rappeler.
Le principe d'une juridiction unique n'est admis que lorsqu'il s'agit de délits ordinaires. Ainsi un militaire et un individu non militaire auraient eu une rixe, punissable par l'article 311 du code pénal. Il est évident que le militaire et le bourgeois seront traduits devant le tribunal correctionnel. Mais lorsqu'il s'agit d'un délit militaire auquel un bourgeois a coopéré, chaque juridiction conserve ses pouvoirs et doit amener devant elle l'individu qui lui appartient.
Il s'agit donc, messieurs, de voir si le fait de la vente des objets militaires, par un militaire, constitue ou non un délit militaire ; et dès l'instant où il sera reconnu, comme cela ne me paraît pas douteux, que la vente d'effets militaires par un militaire auquel ces effets ont été remis pour son service, constitue pour celui-ci un délit militaire, il est évident qu'il devra rester soumis à la juridiction militaire et que le bourgeois qui aura coopéré au délit, en achetant les effets, sera punissable des tribunaux ordinaires.
Messieurs, le code pénal militaire a rangé au nombre des délits punis par ce code, le fait prévu par son art. 193 qui porte : « Un sous-officier ou soldat qui vend ou qui met en gages ses armes, ses habits ou l'équipement que le gouvernement lui avait donné pour son usage, sera puni de coups ou de détention suivant les circonstances du délit. »
L'article 19 du règlement de discipline pour l'armée porte :
« Art. 19. Quiconque vend ou met en gage, ruine ou gâte les moindres pièces de son uniforme, ou qui néglige, par paresse ou par inadvertance, de faire ce qui lui est ordonné par rapport à l'extérieur ou à la propreté, dans l'habillement et l'armement. »
Ainsi le code pénal militaire, abstraction faite de toute coopération d'un bourgeois, a rangé au nombre des délits militaires le fait de ne pouvoir reproduire les effets qui ont été donnés par le gouvernement au militaire, et qui deviennent sa propriété, mais qu'il doit payer sur sa solde.
Peu importe la manière dont le militaire est dépourvu de son uniforme ou de ses objets d'équipement ; soit qu'il les perde, soit qu'il les vende, soit qu'il les mette en gage, soit qu'il les détériore, il y a dans le chef de ce militaire un délit parce qu'il ne reproduit pas au corps les objets dont il devait faire usage. Et l'on conçoit que ce soit là un délit militaire, parce que l'absence d'équipement militaire l'empêche de faire son service.
Messieurs, je me demande comment on soumettrait à des tribunaux civils l'appréciation d'un fait qui est évidemment militaire et que le militaire seul, à raison de la remise qui lui a été faite de ses effets, peut commettre.
Je ne comprends, du reste, pas comment il serait possible d'adopter la proposition de la commission, à cause des anomalies que l'admission de ce système amènerait infailliblement.
Un militaire ne peut pas reproduire un objet d'équipement qui lui a été remis, un objet de grand équipement, par exemple. Le conseil de guerre sera à l'instant saisi de la connaissance de ce délit ; il suffira de la première revue pour s'apercevoir que cet objet manque, et alors l'article 193 du Code pénal militaire sera appliqué.
Mais si l'inspecteur ou le colonel ne s'aperçoit que plus tard de la disparition, en même temps qu'il apprend que tel marchand a acheté cet objet militaire, il en résultera que le militaire qui, dans le premier cas, aurait été traduit devant un conseil de guerre et puni de la détention, sera, à cause de la circonstance de la découverte postérieure au délit, traduit devant le tribunal correctionnel, et qu'alors il encourra une peine différente.
Il faut avouer qu'un semblable système ne peut être un instant soutenu, car on ne peut admettre qu'un fait postérieurement découvert fasse changer la nature du délit et le rende punissable d'une peine différente.
Il y a une autre remarque importante à faire, c'est que, relativement au délit militaire dont je m'occupe, il y a des peines différentes suivant que l'objet qui n'est pas reproduit appartient au grand ou au petit équipement ; s'il appartient au grand équipement, c'est l'article 193 du code pénal militaire qui est appliqué ; s'il appartient au petit équipement, c'est l'article 19 du règlement disciplinaire qui est applicable.
Or, l'une de ces peines est appliquée par le conseil de guerre et l'autre par le chef de corps. Ainsi deux peines différentes pour le militaire : peine quelquefois très grave, puisque la détention peut être prononcée pour plus d'une année ; peine au contraire souvent très minime, alors qu'il s'agit d'un objet de petit équipement ; et l'on voudrait que la peine fût la même dans les deux circonstances, tandis qu'on voudrait d'un autre côté que la peine variât suivant que l'objet est ou non vendu à un bourgeois !
Il me semble que ce système peut être difficilement soutenu, parce qu'il renverse ce qui existe et qu'il est contraire à la saine application des lois militaires qu'il est important de maintenir, et que l'on ne peut modifier d'une manière incidente dans une loi qui n'a pas rapport à la discipline militaire.
Vous voudrez bien remarquer, messieurs, qu'un militaire pourrait, il est vrai, se rendre coupable du même trafic qu'un bourgeois ; ainsi il est possible qu'il s'agisse d'effets qui n'ont pas été remis à ce militaire. Je conçois que dans ce cas le militaire soit assimilé au bourgeois, parce qu'il ne commet pas alors de délit militaire.
Messieurs, je fais une grande différence entre le militaire qui aurait vendu des objets qui lui auraient été remis pour s'en servir et le militaire qui aurait acheté à un marchand des effets militaires qu'il irait vendre à un autre marchand. Je conçois que, dans ce dernier cas, le militaire soit traduit devant le tribunal correctionnel, parce qu'il n'est pas possible de reconnaître dans ce fait un délit militaire. Mais, lorsque l'objet vendu est un objet qui lui avait été remis pour son service, je dis qu'il y a là un délit spécial, et tellement spécial, que le militaire est punissable de peines militaires, uniquement pour avoir perdu l'objet qui lui a été donné.
Je crois donc devoir m'opposer, dans l'intérêt du service, dans l'intérêt de la conservation des effets militaires entre les mains des soldats, à l'amendement proposé par la commission.
Messieurs, les craintes qui préoccupent la commission ne me paraissent nullement fondées. Que dit, en effet, la commission? Elle soutient qu'il y aura d'un côté un militaire traduit devant un conseil de guerre et de l'autre un bourgeois traduit devant un tribunal correctionnel ; que d'un côté il pourra y avoir acquittement, de l'autre condamnation ; que dans tous les cas il y aura doubles frais. Voilà tous les arguments de la commission, messieurs. Ils ne tiennent pas un instant devant les faits réels. Le militaire sera (page 987) presque toujours traduit devant le conseil de guerre bien avant que l'on sache l'individu auquel il aura vendu l'objet disparu. Il est presque impossible que le délit militaire ne soit découvert qu'en même temps que l'acheteur de l'objet. Le délit militaire est ordinairement découvert le jour même ou le lendemain du jour où il a été commis, tandis que le délit du bourgeois n'est découvert que lorsqu'on fait des visites domiciliaires ou qu'on voit étalé chez lui l'objet qu'il a acheté.
La crainte qui préoccupe la commission n'est donc pas sérieuse, et dans tous les cas elle ne balance pas les inconvénients si réels que je crois avoir développés.
L'autre crainte qui préoccupe la commission, la crainte des frais, n'est pas non plus fondée. On sait les frais que peut occasionner devant un conseil de guerre une poursuite pareille. Jamais on n'entend de témoins. Il suffit d'établir que le militaire n'a plus l'objet qu’il doit reproduire, pour qu'il soit condamné ; et quand il s'agit d'effets de petit équipement, il n'y a pas même de poursuites devant le conseil de guerre, c'est le chef de corps qui prononce la pénalité.
Ainsi les deux craintes qui ont été émises et qui ont fait adopter par la commission l'amendement qu'elle propose, me paraissent chimériques et ne pourront me faire renoncer à l'opposition que je fais à cet amendement, à cause des inconvénients réels et des anomalies véritables qu'il peut amener.
Voici, messieurs, comment je proposerai de rédiger l'article 3 :
« Les complices du délit prévu par la présente loi seront punis des mêmes peines que les auteurs. Toutefois les individus appartenant à l'armée restent soumis aux lois militaires en ce qui concerne les faits prévus par l'article 193 du Code militaire et par l'article 19 du règlement disciplinaire. »
Je demande qu'on maintienne les peines établies par l'article 193 du code pénal et l'article 19 du règlement disciplinaire, articles dont l'application n'a donné lieu jusqu'ici à aucun inconvénient.
Je pense, messieurs, à l'aide de ces considérations, avoir justifié mon opposition à l'amendement qui vous a été proposé par la section centrale.
M. Henot, rapporteur. - Avant de répondre aux observations au moyen desquelles M. le ministre de la justice s'est efforce de combattre l’amendement proposé par la commission, je me permettrai d'indiquer succinctement les motifs sur lesquels cet amendement est fondé.
Que la chambre veuille bien ne pas perdre de vue la portée des deux dispositions qui sont en présence.
D'après le système du gouvernement, un militaire ne serait, en aucun cas quelconque, justiciable des tribunaux ordinaires, de manière que lorsqu'un militaire et un bourgeois se seraient rendus coupables de trafic d'effets militaires, le premier devrait être traduit devant le juge militaire, et le second devant le juge ordinaire.
D'après la commission, au contraire, le juge militaire ne connaîtrait que du trafic entre militaires, et de la présentation en vente, louage, échange, etc., perpétrée par un militaire seul ; et tous les faits de trafic auxquels un bourgeois aurait participé, ou dans lesquels un bourgeois serait compromis, seraient dévolus à la juridiction civile.
Le système du gouvernement, on l'aura déjà compris, s'écarte de tous les principes qui régissent la matière, tandis que celui de la commission n'en fait qu'une juste application.
Le premier principe avec lequel le gouvernement est en opposition directe, est celui qui proclame l'indivisibilité des délits et des procédures.
Vouloir en effet que le militaire qui aurait trafiqué avec un bourgeois soit renvoyé devant le juge militaire, et le bourgeois devant le juge ordinaire, c'est diviser les délits, c'est scinder les procédures.
Diviser les délits et les procédures, c'est compromettre à chaque instant le sort de la vindicte publique ; c'est ce que tous les auteurs enseignent. Or la chambre ne voudra pas, sans doute, insérer dans la loi une disposition qui serait de nature à paralyser ses effets, en rendant les preuves du délit difficiles, sinon impossibles.
La proposition du gouvernement est contraire ensuite à la règle inscrite aux articles 226 et 227 du Code d'instruction criminelle, au vœu de laquelle la connaissance des délits connexes doit être dévolue à un seul et même juge, et non à des juges différents.
Le trafic d'effets militaires constitue des délits tellement liés entre eux que si le principe de la connexité n'était pas inscrit dans la loi, il faudrait l'y introduire pour ces sortes de délits, et l'on doit donc s'étonner qu'on veuille les soustraire à l'application de ce principe.
Ces délits n'ont pas seulement, comme les délits connexes ordinaires, cette liaison qui résulte de ce qu'ils ont été commis en même temps par différentes personnes, ou par suite d'un concert formé à l'avance, mais ils sont en outre le plus souvent tels qu'ils ne peuvent exister l'un sans l'autre.
Le délit de vente ne peut exister qu'avec le délit d'achat ; on ne peut donner en louage, échange, prêt, dépôt ou gage, que pour autant qu'un autre n'accepte à l'un de ces différents titres ; sans le concours des deux délits, aucun d'eux n'est possible, ils sont corrélatifs entre eux ; on ne peut déclarer un individu coupable d'achat, sans déclarer nécessairement un autre coupable de vente, et comment pourrait-on alors, comme le veut le gouvernement, soumettre la connaissance de ces délits à des juges différents ?
Il est encore une autre disposition légale avec laquelle la proposition du gouvernement est en hostilité évidente, c'est celle de l'article 14 du code pénal militaire ; cet article veut, en effet, comme la commission, que lorsque des militaires ou des employés commettent un délit avec d'autres personnes qui sont du ressort du juge civil, ou que ces dernières y sont compromises, ils soient remis au juge civil, ou laissés à sa juridiction.
Jetons maintenant les yeux sur les résultats qu'aurait la proposition du gouvernement.
Elle compromettrait d'abord, nous l'avons déjà dit, le sort de la vindicte publique en disséminant les preuves du délit.
Elle donnerait ensuite prise à des jugements contradictoires ; le juge militaire pourra trouver sa conviction là où le juge ordinaire ne trouvera pas la sienne, et vice versa, les preuves administrées devant l'un pourront être plus pertinentes que celles fournies devant l'autre, et le militaire qui aurait vend pourrait de cette manière être condamné, tandis que le bourgeois qui aurait acheté pourrait être acquitté ; de sorte que l'un subirait une peine pour avoir posé un fait qui ne devenait criminel que par le concours du fait d'un autre qui n'en jouirait pas moins de l'impunité.
Le militaire qui vend est aussi coupable que le bourgeois qui achète, et le système du gouvernement prêterait encore à cet autre résultat, que deux individus également coupables seraient punis de peines inégales.
Avec l'innovation proposée par le gouvernement, le juge ne jouirait plus de cette pleine et entière liberté dont il a un si grand besoin ; lorsqu'il trouvera devant lui un individu qui aura acheté un effet militaire d'un autre individu déjà condamné pour le délit de vente, il sera lié, en quelque sorte, par la sentence de l'autre juge qui, en condamnant le vendeur, a reconnu l'existence du délit d'achat, sur lequel il sera appelé à statuer.
La proposition du gouvernement aura ensuite ce résultat nécessaire et inévitable qu'il faudra intenter deux poursuites, l'une devant le juge militaire, l'autre devant le juge ordinaire ; que les témoins devront être déplacés deux fois, qu'ils devront recevoir double taxe ; que tous les frais quelconques seront doublés, et qu'au lieu d'aviser à des économies, on grossira sans nécessité le chiffre déjà si élevé des frais de justice.
Nous demandons à la chambre s'il faut s'écarter des principes pour obtenir de pareils résultats ?
D'ailleurs qu'on veuille bien nous dire depuis quand ce besoin d'innover s'est fait sentir ; on ne le connaissait pas encore en 1831, lorsqu'on porta une loi pour réprimer le trafic d'effets militaires ; on se garda bien d'insérer dans cette loi une disposition de la nature de celle dont il s'agit ; tout en défendant le trafic, on en abandonna la répression aux tribunaux correctionnels, et on ne dérogea en rien aux principes qui régissent la matière.
On ne connaissait pas encore ce besoin en 1841, lorsqu'on a porté la loi sur le duel, car cette loi a donné une nouvelle consécration au principe que nous défendons, en soumettant à la juridiction ordinaire le militaire qui se serait battu en duel avec un individu non militaire, lors même que ce dernier ne serait pas poursuivi.
Après avoir développé les motifs sur lesquels l'amendement de la commission est basé, il me reste à rencontrer les objections faites par M. le ministre de la justice.
J'avais espéré que les règles, les dispositions légales et les autorités citées au rapport, non moins que les conséquences fâcheuses que devait avoir la proposition du gouvernement, auraient engagé celui-ci à se rallier à l'amendement proposé ; mais les observations qui ont été présentées de sa part m'ont démontré que j'étais en erreur.
Je l'avais cru avec autant plus de raison que, depuis la présentation du projet de loi, M. le ministre de la justice avait émis dans cette enceinte une opinion qui autorisait à croire qu'il était revenu du système qu'il vient de défendre encore, et avec lequel cette opinion me paraît inconciliable.
Lorsque, dans la discussion du projet de loi sur la chasse, il s'est agi de l'amendement de l'honorable M. de Garcia, qui tendait à soumettre les militaires à la juridiction ordinaire du chef des délits de chasse, et que l'honorable M. Pirson eut combattu cet amendement parce qu'il lui paraissait de nature à désorganiser l'armée, le chef du département de la justice le justifia de ce reproche en disant à la séance du 30 janvier dernier :
« Les militaires ne sont pas toujours soumis à la juridiction militaire ; dès l'instant que des militaires se trouvent compris avec des bourgeois dans une poursuite, ils sont soumis aux tribunaux ordinaires ; pourtant il n'est jamais entré dans la pensée de personne de dire que cette disposition était de nature à désorganiser l'armée. »
Si donc, d'après M. le ministre de la justice lui-même, les militaires doivent être soumis aux tribunaux ordinaires, dès l'instant, qu'on veuille bien remarquer cette expression si générale, qu'ils se trouvent compris avec des bourgeois dans une poursuite, comment se fait-il que, d'après ce même fonctionnaire, ils devraient être soumis à deux juges différents lorsqu'ils auraient, conjointement avec des bourgeois, contrevenu à la loi qui est soumise à nos délibérations?
M. le ministre de la justice voudra bien, je l'espère, expliquer cette contradiction.
Mon honorable contradicteur a reproché à la commission de vouloir modifier le code pénal militaire ; on comprendra difficilement une pareille objection lorsqu'on se rappellera que tous ses efforts tendent au contraire à faire appliquer à l'espèce la disposition si générale de l'article 14 de ce code, tandis que le gouvernement ne veut en tenir aucun compte, pas plus que de la règle inscrite aux articles 226 et 227 du code d’instruction criminelle qui est pour lui une lettre morte.
On a invoqué la loi du 12 décembre 1817, et je ne puis comprendre sous quel rapport elle pourrait justifier le système du gouvernement ; elle ne contient en effet aucun article relativement à la juridiction, et en ne s'occupant pas de cet objet, elle a voulu qu'il fût réglé par les principes généraux, et que dès lors la répression du trafic entre bourgeois et militaires (page 988) serait dévolue au juge ordinaire, au vœu de l'article 14 du code pénal militaire.
Le militaire qui trafique de ses effets, me dit-on, commet un délit militaire. Mais en admettant ce point, il n'en résulte absolument rien pour la thèse à l'appui de laquelle on l'invoque ; ce délit pour être militaire n'en est pas moins connexe au délit du bourgeois qui coopère au trafic ; et s'il est connexe, il doit être dévolu au juge ordinaire seul appelé pour connaître des délits connexes commis entre des bourgeois et des individus appartenant à l’armée.
On allègue que la désertion avec armes et effets est soumise au juge militaire, quand bien même un bourgeois aurait acquis ces effets, et on en conclut que ce résultat est contraire au système que nous défendons.
Mais qu'on veuille bien remarquer que l'individu qui déserte et vend ses effets ne commet pas un crime et un délit, mais un crime seulement ; l'enlèvement et la vente d'effets militaires ne sont considères dans cette occurrence que comme des circonstances aggravantes de la désertion, et non pas comme des délits séparés ; ces délits sont absorbés par le crime de désertion ; étant absorbés, il ne peuvent plus présenter de connexité avec le délit du bourgeois, et il n'est donc pas étonnant que dans ce cas le militaire devra être jugé par un conseil de guerre, puisqu'il ne peut y être traduit que du chef de désertion avec la circonstance aggravante de la vente de ses effets.
On n'a, pour se convaincre de la réalité de cette assertion, qu'à jeter les yeux sur les articles 118, 140, 144, 145, 146, 150 et 151 du code pénal militaire qui tous présentent l'enlèvement des effets comme une circonstance aggravante de la désertion.
M. le ministre de la justice a encore combattu l'amendement de la commission en soutenant qu'il aurait pour résultat de faire punir plus sévèrement le militaire qui aurait offert en vente que celui qui l’aurait consommée, et il a présenté ces résultats comme constituant une anomalie.
Pour que cette observation ait une portée, il faut admettre que dans la pensée de M. le ministre la présentation en vente aurait un délit moins grave que la vente même.
M. le ministre de la justice me fait un signe affirmatif, de sorte que je ne me suis pas trompé en appréciant ainsi son observation.
Or, c'est la une véritable erreur ; et ce qui le prouve à l'évidence, c’est que le gouvernement lui-même place ce délit sur la même ligne que celui de vente 'et qu'il veut le faire punir de la même peine.
Cette présentation en vente n'est d’ailleurs, en réalité, qu'une tentative de vente qui ne manque son effet que par une circonstance indépendante de la volonté de l'auteur, c'est-à-dire par le refus d'acceptation de la vente ; et quand la loi pénale atteint la tentative d'un délit, elle la frappe toujours de la même peine que le délit même.
C'est encore une autre erreur de dire qu'en renvoyant un individu devant le juge militaire, il devrait nécessairement encourir une condamnation plus sévère, et, pour s'en convaincre, on n'a qu'à consulter la peine commine par la loi militaire.
Cette peine diffère d'après l'importance de l'objet vendu ; elle n'est que disciplinaire quand il s'agit d'un effet de petit équipement, et la vente d'un objet de grand équipement est réprimée par la détention.
La détention n'est autre chose que l'emprisonnement ; le législateur du code pénal militaire se sert indistinctement des mots « detentie » et « gevangenis ».
Le code militaire ne prononce pas d'amende ; la loi civile en prononce une ; la loi militaire est donc moins sévère sous ce rapport que la loi civile.
La loi militaire ne fixe pas de minimum pour la détention, de sorte que le juge militaire peut se borner à condamner à un jour d'emprisonnement, tandis que le juge civil est forcé de prononcer un emprisonnement de six jours au moins, et une amende de 50 francs, à moins de circonstances atténuantes ; la peine militaire est donc, sous ce rapport encore, plus douce que la peine civile.
La loi civile me distingue pas entre la vente d'objets de grand et de petit équipement ; la peine est la même pour l'un ou l'autre cas ; la loi militaire admet celle distinction, et prononce une peine moins furie quand il s'agit d'objets de cette dernière catégorie. ; la loi militaire est donc encore une fois moins sévère.
La peine militaire n'est plus rigoureuse que sous un seul rapport, c'est quand il s'agit d'objets de grand équipement car la détention peut-être alors indéterminée ; mais il est de fait que le juge militaire a rarement prononcé un emprisonnement de plus d'un an du chef de trafic d'effets militaires, et quand il a surpassé ce taux ce n'a été qu'après plusieurs récidives.
D'ailleurs les résultats dussent-ils être tels que le gouvernement les présente, ils ne sont qu'éventuels, et ils seraient loin d'avoir les conséquences fâcheuses que la proposition du gouvernement doit nécessairement entraîner.
On s'est bien gardé de contester la nécessité de deux poursuites, et l'augmentation des frais qui en sera le résultat nécessaire, et on s'est borné à justifier cette augmentation en avançant que ces frais ne seront que faibles ; mais il est évident que quelque peu considérables qu'ils doivent être, ils ne peuvent être justifiés, puisqu'en appliquant les principes dont on s'écarte sans nécessité, on n'y donnera pas naissance.
Nous pensons avoir ainsi répondu aux objections que le gouvernement a fait valoir pour combattre l'amendement présenté par la commission, et nous espérons qu'il obtiendra l'assentiment de la chambre.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Henot vient de dire que je demande des innovations, que lui, au contraire, demande le maintien de ce qui existe. Il me suffit que l'honorable membre invoque ce qui se fait dans le tribunal dont il fait partie, pour que je ne doute nullement que les choses se passent, ainsi qu'il l'a dit, au tribunal de Malines. Mais je puis vous donner l'assurance qu'il n'en est pas ainsi ailleurs. J'ai reçu des renseignements qui établissent que dans les affaires de cette nature qui se sont fréquemment présentées, jamais, depuis 1817, des militaires n'ont été traduits de ce chef devant les tribunaux correctionnels.
S'il m'est permis de citer ma propre expérience, je dirai que jamais quand j'occupais les fonctions du ministère public, il ne m'est arrivé de citer devant les tribunaux correctionnels des militaires pour vente d'effets militaires à un bourgeois.
C'est donc à tort que l'honorable M. Henot a invoqué l'état de la jurisprudence sur cette matière.
Si les jugements dont a parlé l'honorable M. Henot étaient déférés à l’autorité judiciaire supérieure, je ne doute pas qu'ils ne soient réformés par elle.
L'honorable membre a invoqué l'article 14 du Code pénal militaire et l'article 228 du Code d'instruction criminelle. Mais l'article 14 du Code pénal militaire n'est évidemment pas applicable, lorsqu'il s’agit de délits militaires. L'honorable membre le reconnaît lui-même. En effet, lorsqu'il s'agit de la désertion, favorisée par la vente d'effets militaires, il admet que le militaire doit être traduit devant le conseil de guerre, quoique les effets aient été achetés par un bourgeois ; cette vente n'est, dit-il, dans ce cas, qu'une circonstance aggravante. Mais je lui demanderai si cet achat d'effets militaires n'est pas un fait de complicité de la désertion ; et si ce fait a été posé par un bourgeois, l'honorable membre soutiendra-t-il que, dans ce cas, le militaire doit être traduit devant la cour d'assises ? Evidemment non ! Dès lors vous devez reconnaître que l'article14 du code pénal et l'article 226 du code d'instruction criminelle ne sont pas applicables aux délits militaires proprement dits ; vous devez encore le reconnaître par un autre motif, à savoir que les peines pour les délits militaires sont de telle nature que les tribunaux ordinaires ne pourraient les prononcer. Quoi ! admettriez-vous qu'un arrêt de la cour d'assises pût condamner un militaire à être passé par les armes, à la peine de la brouette, à la détention? Evidemment non ! Dès lors vous devez reconnaître que lorsqu'il s’agit de délits militaires, de peines spéciales, c'est évidemment la justice militaire seule qui doit et peut prononcer ; car les tribunaux ordinaires ne sont pas compétents pour prononcer des peines semblables.
Dans l'affaire qui nous occupe, l'honorable membre le reconnaît lui-même, lorsque le militaire aura vendu des effets d'équipement sans que la coopération d'un bourgeois soit prouvée, il sera traduit devant le conseil de guerre qui lui appliquera les peines comminées par les lois militaires,
Mais, ajoute l'honorable M. Henot, lorsque postérieurement on reconnaît que le militaire a vendu ces objets à un bourgeois, le délit change, il devient délit ordinaire que le tribunal correctionnel doit juger. Ce système est inadmissible, le sort du militaire ne peut pas changer de nature parce qu'il a été commis à l'aide d'un bourgeois.
Quand il s'agit d'un délit ordinaire auquel ont coopéré des bourgeois et des militaires, le délit ne change pas de nature. La juridiction devient différente, à cause de la connexité des faits ; mais la peine reste la même, tandis que, dans le système de la commission, l'adjonction d'un bourgeois ferrait changer le caractère de la peine ! Dès que le caractère du délit n’est pas changé, c'est la même peine qui doit être appliquée.
L'honorable M. Henot vous dit : Ces deux délits sont tellement connexes que l’un ne peut pas exister sans l'autre. C'est une véritable erreur. Quel est le délit qu'on consulte à la charge du militaire ? C'est le fait de la non-reproduction de son équipement. Il n'y a pas d'autre délit militaire quant à lui ; qu'il vende, qu'il prête ou mette en dépôt ses effets, le seul délit est la non-reproduction de son équipement. Les objets appartiennent bien au militaire, mais à charge de les conserver. Ainsi, le fait que l'on punit n'est pas d'avoir vendu, prêté ou loué, mais de ne pas reproduire l'effet d'équipement nécessaire pour le service. Voilà le fait matériel qu'on constate contre le militaire. Ce fait consommé, peu importe si un bourgeois a acheté cet effet à ce militaire ou si le militaire l'a perdu ou donné.
C'est une autre question, indépendante de la première qui est la non-reproduction de l'objet. Cela est tellement vrai que quels que soient les motifs pour lesquels il ne peut pas reproduire l'objet convenablement conservé, il est punissable soit aux termes de l'article 193, si c'est un effet du grand équipement, soit aux termes de l'article 19 du règlement disciplinaire, si c'est un effet du petit équipement.
Il peut y avoir dans le système du gouvernement, dit l'honorable préopinant, des jugements contradictoires : d'un côté, le bourgeois pourra être condamné et le militaire acquitté, de même que le militaire pourra être condamné et le bourgeois acquitté à raison du même fait. Mais cela peut se rencontrer devant la même juridiction à laquelle seraient défères et la vente et l’achat ; il est possible que le même tribunal condamne l’un et acquitte l'autre. La contradiction que semble redouter l'honorable membre peut aussi exister avec le système qu'il défend ; lorsqu'il n'y a pas de fait délictueux, de fait intentionnel reconnu par le tribunal, il n'y pas de condamnation.
Je réponds à une autre considération de l'honorable M. Henot. Il dit : Vous allez enlever au juge sa liberté ; quand le conseil de guerre aura reconnu le délit à charge du miliaire, le bourgeois traduit devant le tribunal civil devra craindre une condamnation certaine, à cause de la condamnation antérieure prononcée contre son complice.
L'honorable membre voudrait-il qu'on attendît, pour poursuivre le militaire, qu'on ait découvert l'acheteur ? Non, sans doute ; dès l'instant où les (page 989) objets ont disparu, où l’on s'en aperçoit, les poursuites ont lieu contre le militaire. Quand on découvre l'acheteur, il est poursuivi, et il est poursuivi indépendamment de la personne qui lui a vendu. Il est poursuivi parce qu'on voit en sa possession un objet d'équipement militaire non marqué du signe de rebut. Cette poursuite est indépendante de celle intentée contre le militaire.
Je reviens à mon premier argument. Je demande s'il faut attendre pour poursuivre le militaire qu'on ait trouvé un bourgeois pour son complice ; la négative n'étant pas douteuse, l'inconvénient que l'honorable membre craint existera dans tout état de cause, parce que la poursuite contre le militaire précédera presque toujours celle contre le bourgeois. Pourquoi dès lors adopter le système de la commission, puisqu'il ne fait pas disparaître les inconvénients qui l'ont engagée à le présenter. Quant à la liberté du juge, est-il vrai qu'elle se trouvera gênée? Que lui importe qu'un militaire ait été condamné ; qu'un fait matériel ait été constaté à charge d'un militaire? Cela ne liera pas le juge civil, car le tribunal militaire ne se sera pas occupé de la question de savoir si le militaire a vendu à tel bourgeois. Il est donc impossible que la décision du juge militaire ait la moindre influence sur le tribunal correctionnel qui sera appelé à prononcer.
L'honorable M. Henot vous dit que le système que veut faire adopter le gouvernement est bizarre, parce qu'il consacre l'inégalité dans les peines. Ce qui serait bizarre, ce serait de ne pas consacrer dans l'espèce l'inégalité dans les peines, car il y a une énorme différence entre le fait du bourgeois qui achète et le fait du militaire qui vend des objets de son équipement. La différence de la peine est justifiée par la différence du délit, par cette circonstance que le militaire avait reçu les objets vendus pour faire un service nécessaire à l'Etat.
Enfin je passe à la contradiction que m'a reprochée l'honorable M. Henot ; il a cité la loi sur la chasse, Il a dit que, répondant à l'honorable M. Pirson, j'avais soutenu que la comparution de militaires devant un tribunal correctionnel du chef de délit de chasse ne pouvait en aucune façon désorganiser l'armée. Ce que j'ai dit, je le soutiens encore. Mais l'honorable membre ne prétendra pas que le fait d'avoir tiré quelques coups de fusil sur des lièvres et des perdreaux, constitue un délit militaire ; par conséquent, quand des bourgeois et des militaires sont poursuivis pour délits de chasse, ils doivent être traduits devant les tribunaux ordinaires ; cela est naturel et conforme à l'article 14 du code pénal militaire. J'ai dit de plus qu'il était indispensable de faire traduire les militaires devant les tribunaux ordinaires du chef de délit de chasse, si on ne voulait pas consacrer l'impunité, les tribunaux militaires ne pouvant pas prononcer d'amende. Je suis donc conséquent, car j'ai demandé que les délits non militaires fussent déférés aux tribunaux ordinaires, et maintenant je demande que les délits militaires continuent à être jugés par les tribunaux compétents en cette matière.
Je crois, à l'aide de ces considérations, avoir répondu aux observations de l'honorable membre.
M. Henot. - L'honorable ministre de la justice nous a dit que la jurisprudence était contraire au système de la commission ; je pense, moi, que loin d'y être contraire elle y est en tout point conforme ; ce système est suivi par le tribunal auprès duquel j'ai l'honneur d'exercer mes foliotions, et si mes renseignements sont exacts, il en est de même à Audenarde et à Courtray.
On nous dit que l'article 14 du code pénal militaire n'est pas applicable quand il s'agit de trafic d'effets militaires ; mais qu'on veuille bien le remarquer, cet article est général, et ne fait aucune exception quelconque ; d'après la généralité de sa disposition, dès l'instant qu'un bourgeois est impliqué dans un délit quel qu'il soit avec un militaire, il doit être traduit ainsi que ce bourgeois devant le juge ordinaire.
M. le ministre de la justice a donc besoin, pour étayer sa proposition, de créer une exception là où la règle est générale.
On est revenu au fait de la désertion, et l'on vous a dit que j'avais reconnu que le militaire qui aurait déserté et vendu ses effets à un bourgeois devait être traduit devant le juge militaire ; mais qu'on ne perde pas de vue que dans cette occurrence le délit de vente d'effets militaires n'existe plus, qu'il est absorbé par le crime de désertion ; que ce fait de vente ne constitue alors qu'une circonstance aggravante de la désertion, et que ce fait n'existant plus dans l'espèce comme constituant un délit, il ne pouvait plus y avoir lieu à connexité ; de sorte que les principes qui en dérivent ne pouvaient, dans cette espèce particulière, recevoir d'application.
M. le ministre de la justice a prétendu à tort que l'amendement présenté tendait à faire changer le délit de nature ; il est évident qu'il n'en sera pas ainsi. Le délit conservera sa nature de délit militaire connexe à un délit commis par un individu non soumis aux lois militaires ; il en résultera seulement qu'il sera puni de la peine comminée par la loi civile, et cela par la force des principes de la connexité.
Cette conséquence n'a rien de contraire aux règles qui régissent les peines ; un militaire est citoyen avant d'être soldat, et. à ce titre, il est soumis, comme tous les membres du corps social, aux lois générales qui régissent le pays, et dès lors les peines communes à tous peuvent lui être appliquées.
La règle que nous venons d'indiquer est consacrée par la loi même, car différentes dispositions législatives obligent le juge militaire d'appliquer aux militaires les peines du Code pénal civil, dans tous les cas qui n'ont pas été prévus par la loi militaire ; nous avons indiqué plusieurs de ces dispositions dans le rapport que nous avons eu l'honneur de présenter à la chambre.
On a soutenu encore que nous voulions changer la nature de la peine, et :c'est encore une nouvelle erreur ; quelle est la peine de la loi militaire ?
Cette peine est la détention quand il s'agit de trafic d'effets de grand équipement, c'est-à-dire l'emprisonnement, comme nous l’avons déjà faire remarquer, et elle n’est que disciplinaire quand il s’agit d’effets de petit équipement ; or, la loi civile ne prononce également que la peine d'emprisonnement, de sorte qu'il est inexact de dire que le système de la commission aurait pour résultat de faire changer la nature de la peine.
Le militaire ne subira donc qu'une peine de même nature, soit qu’on le renvoi devant le conseil de guerre, soit qu’on le traduise devant le juge ordinaire.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Elle peut s'élever jusqu'à 10 ans.
M. Henot. - Je réponds à l'interruption de M. le ministre de la justice que la durée de la peine n’en change pas la nature, et que cette durée plus ou moins longue ne peut pas faire qu'elle ne soit plus celle de l'emprisonnement.
M. le ministre de la justice s'est vu forcé d'avancer, pour défendre son système, que le juge militaire ne devait pas s'enquérir si les effets d'un militaire avaient été vendus ou mis en gage, qu'il n'avait qu'à examiner le fait de la non-reproduction des effets, et qu'aussitôt que ce fait était établi, il devait appliquer la peine.
Mais c'est encore là une erreur des plus évidentes, car ce n’est pas le défaut de production qui est puni, mais seulement la vente et la mise en gage.
« Un sous-officier ou soldat, dit l'article 193 du Code pénal militaire, qui vend ou met en gage ses armes, ses habits ou l'équipage que le gouvernement lui avait donné pour son usage, sera puni de détention ;
« Quiconque vend ou met en gage, ruine ou gâte les moindres pièces de son uniforme, ou qui néglige par paresse ou par inadvertance de faire ce qui lui est ordonné par rapport à l'extérieur ou à la propreté dans l'habillement et l'armement, dit l'article 19 du règlement de-discipline, se rend coupable de transgression contre la discipline. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Il s'agit à l’article 193 d'objets de grand équipement.
M. Henot. - Il est fort indifférent qu'il s'agisse d'objets de grand ou de petit équipement ; toujours est-il que dans l'un comme dans l'autre cas c'est la vente ou la mise en gage que la loi punit, et non pas le simple défaut de produire les effets, comme on n'a pas craint de l'avancer.
Il n'est jamais entré dans notre pensée d'exiger le sursis aux poursuites à exercer contre un militaire jusqu'à ce qu'on se fût assuré qu'un bourgeois ne serait pas impliqué dans le délit qui donnerait lieu aux poursuites ; s'il n'est pas établi qu'un bourgeois participe au délit, on passera outre au jugement du militaire devant le conseil de guerre ; et si l'on découvre plus tard qu'un individu qui ne fait pas partie de l'armée y est compromis, on poursuivra ce dernier devant le juge ordinaire par la raison qu'on se sera trouvé, dans ce cas spécial, dans l'impossibilité d'appliquer les règles générales ; on obtiendra alors, par exception, le résultat auquel le système du gouvernement veut dans tous les cas quelconques donner naissance.
Nous avons repoussé l'inégalité des peines, non pas en ce sens qu'un militaire ne devra jamais être puni plus sévèrement qu'un bourgeois, mais sous ce rapport seulement qu'il ne pouvait en être ainsi dans le cas qui nous occupe ; lorsqu'un militaire vend à un bourgeois, il est aussi coupable que ce dernier, et nous n'avons pas voulu que, dans cette hypothèse, des peines inégales puissent atteindre des individus coupables au même degré.
L'absence de complicité dans le fait du militaire qui vend et du bourgeois qui achète, et la circonstance qu'ils commettent chacun un délit séparé, ne peuvent être un obstacle à l’adoption de l'amendement que nous avons proposé ; ce n'est pas ni effet sur la complicité qui est basée la règle qui prescrit l'indivisibilité des procédures, mais bien sur l'intérêt de la vindicte publique.
Ce n'est pas la complicité qui exige la jonction des délits connexes, mais la liaison intime qu'ils ont entre eux.
Ce n'est pas à cause de la complicité que nous réclamons la jonction dans l'espèce, mais parce que les divers délits ont une telle liaison entre eux que la décision sur l'un établit l'existence de l'autre.
Ce n'est pas enfin sur la complicité qu'est basée la disposition de l'article 14 du code pénal militaire, car il porte en termes exprès que c'est à cause de la connexité.
M. le ministre de la justice a voulu justifier la contradiction que j'ai signalée entre le système qu'il défend aujourd'hui, et l'un des discours qu'il a prononcés lors de la discussion de la loi sur la chasse ; il nous a dit que lorsqu'il a prononcé les paroles que nous avons rapportées, il n'avait entendu parler que des délits de chasse ; un simple coup d'œil jeté sur son discours démontre à l'évidence que, loin de traiter d'un cas spécial, M. le ministre a parlé de la manière la plus générale possible ; il a dit, en effet, que, dès l'instant que des militaires se trouvent compris avec des bourgeois dans une poursuite, ils sont soumis aux tribunaux ordinaires, et à moins de dire que le trafic d'effets militaires ne peut pas donner lieu à des poursuites contre des bourgeois et contre des militaires, la contradiction reste...
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Le règlement ne s'applique qu'aux délits ordinaires.
M. Henot, rapporteur. - Mais encore une fois, votre assertion est générale ; l'article 14 du code pénal militaire qui l'a dictée est général aussi ; où se trouve écrite, nous le demandons de nouveau, l'exception que vous êtes réduit à invoquer comme votre seule planche de salut ? Elle n'existe pas, et elle ne peut exister parce qu'un délit spécial peut être connexe avec un autre délit tout aussi bien qu'un délit ordinaire.
(page 990) Je pense avoir démontré que l'amendement de la commission est conforme aux principes et à l'abri des conséquences fâcheuses que le système du gouvernement doit nécessairement produire ; je pense encore avoir réfuté les objections au moyen desquelles on s'est efforcé de combattre cet amendement, et j'ai tout lieu de croire qu'il sera adopté par la chambre.
M. de Villegas. - D'après l'honorable M. Henot, les militaires seraient traduits devant le tribunal d'Audenarde pour vente d'effets militaires.
Je puis lui donner l'assurance que ses renseignements sont parfaitement inexacts. Depuis quinze ans que je suis à la tête du parquet de ce tribunal, je n'ai jamais vu que les choses se soient pratiquées de cette manière.
M. Van Cutsem. - Ayant été cité par l'honorable député de Malines comme ayant poursuivi devant le tribunal correctionnel les militaires qui auraient vendu des effets militaires et les bourgeois qui auraient acheté ces effets, je dois déclarer que jamais je n'ai rien vu de semblable devant le tribunal de Courtray.
M. Henot, rapporteur. - Il résulte des observations présentées par les honorables préopinants que les renseignements qui m'ont été fournis relativement à la jurisprudence des tribunaux d'Audenarde et de Courtray manquent d'exactitude ; quoi qu'il en soit, cette jurisprudence ne peut justifier ce que j'estime être une véritable déviation des principes généraux que j'ai eu l'honneur d'invoquer dans la discussion.
- La discussion est close.
L'art. 2 est mis aux voix et adopté avec la rédaction présentée par M. le ministre de la justice.
« Art. 3 (nouveau). Lorsque les circonstances paraîtront atténuantes, et que le préjudice causé n'excédera pas 25 francs, les tribunaux sont autorisés à réduire l'emprisonnement, même au-dessous de six jours, et l'amende, même au-dessous de cinquante francs ; ils pourront aussi prononcer séparément l'une ou l'autre de ces peines, sans qu'en aucun cas elle puisse être au-dessous des peines de simple police. »
- Adopté.
« Art 3. Le maximum des peines comminées par l'article premier sera toujours appliqué en cas de récidive. »
Amendement de la commission : « Art. 3. Le maximum des peines comminées par l'article premier sera toujours appliqué en cas de condamnation antérieure à un emprisonnement de plus de six mois, du chef de contravention à la présente loi. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je ne me rallie pas à cet amendement ; en voici le motif.
D'après le projet du gouvernement, le maximum des peines devra toujours être appliqué dans le cas de récidive. D'après le projet de la commission, pour que ce maximum fût appliqué, il faudrait qu'il y eût eu une condamnation antérieure à six mois d'emprisonnement.
Je ne pense pas qu'il doive en être ainsi. En effet, dans ce système, un individu condamné à trois mois de prison, n'encourrait pas une peine plus sévère, après cette première condamnation. On trouvera peut-être l'article du projet du gouvernement un peu sévère ; je proposerai donc de le remplacer par la disposition suivante :
« En cas de récidive, la peine de l'emprisonnement sera prononcée pour six mois au moins. L'amende sera de 100 francs au moins. »
Il y aura ainsi une répression suffisante. Je pense que cette rédaction pourra rallier l'opinion de l'honorable rapporteur.
- L'article est adopté avec la nouvelle rédaction proposée par M. le ministre de la justice.
« Art. 4. En cas de contravention à la présente loi, les objets repris à l'article premier seront confisqués. »
- Adopté.
« Art. 5. Sont abrogées les dispositions du huitième paragraphe de l'article premier de la loi du 12 décembre 1817 '(Journal officiel, n°33.)
- Adopté.
La chambre décrète l'urgence du projet de loi.
Les amendements sont soumis à un deuxième vote et définitivement adoptés.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi ; en voici le résultat.
Nombre des votants, 49.
43 membres votent pour l'adoption.
6 votent contre.
La chambre adopte.
Ont voté pour l'adoption : MM. Dubus (Albéric), Eloy de Burdinne, Jonet, Kervyn, Lange, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Malou, Mast de Vries, Mercier, Orban, Osy, Rodenbach, Sigart, Simons, Troye, Thienpont, Van Cutsem, Verwilghen, Zoude, Anspach, Biebuyck, Clep, d'Anethan, de Breyne, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, de Foere, de Haerne, de La Coste, d'Elhoungne, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Sécus, de Theux, de Villegas, Dolez et Liedts.
Ont voté contre : MM. Castiau, de Tornaco, Henot, Savart, Scheyven et Vanden Eynde.
M. le président. - Il reste à l'ordre du jour un projet de loi de séparation de communes.
M. le ministre des finances (M. Malou). -L'intention de mon honorable collègue, le ministre de l'intérieur, est de demander demain un nouveau crédit provisoire. Je pense qu'on pourrait laisser à l'ordre du jour de demain le projet dont parle M. le président, et qu'on pourrait y mettre également les projets de loi relatifs aux comptes de 1833, 1834 et 1835, bien qu'il s'y rattache une question que je désire examiner. Mais je tâcherai d'être prêt pour demain. (Adhésion.)
M. le président. - On pourrait aussi mettre à l'ordre du jour des naturalisations et un feuilleton de pétitions.
M. Lejeune. - Il est encore un autre objet que l'on pourrait discuter utilement et qui ne prendrait que peu de temps à la chambre ; ce sont les conclusions déposées par l'honorable M. Fallon sur la pétition de Ruysselede, concernant la circonscription cantonale. Si la chambre se prononçait sur ces conclusions, le gouvernement saurait à quoi s'en tenir, et il pourrait enfin pourvoir à des places qui sont vacantes depuis douze ans dans des cantons et des justices de paix.
Ces conclusions sont fort simples ; je crois qu'elles ne rencontreront pas d'opposition.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - J'insiste également pour qu'on mette à l'ordre du jour le rapport dont parle l'honorable M. Lejeune.
M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, ce quatrième objet figurera à l'ordre du jour de demain.
- La chambre décide qu'elle se réunira demain à une heure.
La séance est levée à 4 1/2 heures.