(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 489) M. de Villegas procède à l'appel nominal à une heure.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est approuvée.
M. de Villegas fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Plusieurs raffineurs de sucre demandent une prompte révision de la loi sur les sucres. »
M. Osy. - Je profile de la présence de M. le ministre des finances pour venir appuyer la pétition dont on vient de vous faire l'analyse et pour demander au gouvernement de vouloir remplir le plus tôt possible la promesse qu'il nous avait faite, lors de l'ouverture de la session, il y a environ trois mois, de nous présenter un projet de loi sur les sucres. Je demanderai à M. le ministre des finances si nous pouvons espérer de voir bientôt présenter ce projet de loi. Si l'on tarde encore, nous ne pourrons nous en occuper dans cette session.
Je demanderai en même temps le renvoi de la pétition à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'espère pouvoir présenter, avant une quinzaine de jours, le nouveau projet de loi sur les sucres. Je dirai plus, ce projet vous aurait été soumis depuis quelque temps, si une nouvelle combinaison n'avait été soumise à l'examen du gouvernement, et n'avait retardé la présentation du projet de loi.
- Le renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, est adopté.
« Le corps médical du Luxembourg présente des observations sur la situation de la médecine dans le pays et sur la nécessité de la réorganiser. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants de la Boverie, Froidmont et Vennes, commune de Liège, demandent l'exécution des travaux de rectification du lit de la Meuse et de l'endiguement du vallon dans lequel se trouvent ces localités. »
M. Delfosse. - La pétition des habitants de la Boverie est une de celles qui méritent le plus de fixer l'attention de la chambre. Il ne se passe pas d'année sans que la Boverie soit inondée et sans que les eaux y exercent de grands ravages. Ce ne sont pas seulement les caves et le rez-de-chaussée des habitations qui sont inondés, les eaux gagnent jusqu'aux étages, et il y a des habitants qui doivent se réfugier dans les greniers ; ce n'est qu'en courant les plus grands dangers qu'on peut leur porter des aliments. Il faut pour cela des hommes dévoués qui consentent a exposer leur vie. C'est là un état de choses intolérable qu'il est du devoir du gouvernement de faire cesser ; ce n'est pas la première fois que les habitants de la Boverie réclament, on a répondu à leurs précédentes réclamations qu'une commission était nommée pour rechercher les meilleurs moyens d'empêcher les inondations. Je prévois que M. le ministre des travaux publics va me faire la même réponse ; mais il est temps d'en finir ; il est temps qu'une prompte résolution soit prise ; au nom de l'humanité je somme M. le ministre des travaux publics de mettre un terme à toutes ces lenteurs.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Je n'ai pas besoin de la sommation de l'honorable préopinant pour comprendre combien il est important de chercher à remédier aux inondations qui affligent un quartier de la ville de Liège. Cette question attire depuis plusieurs années toute l'attention du département des travaux publics.
Plusieurs systèmes ont été successivement proposées pour remédier à ce malheureux état de choses. Dans ce moment, un système très important, et qui aurait non seulement pour but d'obvier aux inondations, mais de donner à la Meuse un tirant d'eau de plus de deux mètres, est très attentivement étudié par un ingénieur habile. Je crois que ce système sera complétement étudié pendant le cours de cette année, et dès lors je serai à même de pouvoir soumettre aux chambres les moyens de venir non seulement au secours des inondes de la Boverie, mais en même temps de procurer à la ville de Liège une navigation beaucoup plus facile dans toute sa traversée.
Voilà, messieurs, où en est la question. Elle continue à attirer toute l'attention du département des travaux publics.
M. Delfosse. - Comme je l'avais prévu, M. le ministre des travaux publics vient de me faire la même réponse que ses prédécesseurs. Il faut bien que je me contente, pour le moment, de la promesse qu'il vient de faire d'activer les travaux de la commission, mais je l’engage fortement à ne pas perdre cette promesse de vue, une grande responsabilité pèse ici sur le gouvernement.
M. Delehaye. - Je me joins à mon honorable ami M. Delfosse pour que M. le ministre des travaux publics hâte l'examen des questions qui se rattachent aux inondations dans la province de Liège. Mais il est une autre question que M. le ministre des travaux publics doit avoir maintenant examiné, sur laquelle il doit avoir tous ses apaisements. Je veux parler des inondations fréquentes de la Lys et de l'Escaut. Il existe à cet égard un travail complet.
Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s'il croit pouvoir bientôt saisir la chambre d'un projet de loi pour remédier à ces inondations, qui, après avoir un instant cessé, se représentent encore aujourd'hui dans toute leur horreur. Une partie de la Flandre orientale et de la Flandre occidentale se trouve encore aujourd'hui submergée, et pour peu que cet état de choses dure encore, une grande partie des récoltes prochaines se trouvera perdue.
Je demande quelques explications sur ce point à M. le ministre des travaux publics.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - La chambre sera saisie d'ici à deux ou trois jours d'un projet de loi tendant à remédier aux inondations qui affligent la Flandre par suite des débordements de l’Escaut et de la Lys.
M. Biebuyck, rapporteur. - « Messieurs, par pétitions des 12 novembre, 1er et 24 décembre derniers, plusieurs négociants de Bruxelles, Charleroy et Wavre demandent la révision de la législation des faillites et des sursis. »
Ils invoquent à l'appui de leur demande le paragraphe 9 de l'article 139 de la Constitution, qui impose formellement cette révision dans le plus bref délai possible.
Votre commission, à qui vous avez renvoyé ces requêtes, en présence de la loi sus-énoncée, et convaincue, d'ailleurs, de la nécessité de remédier aux nombreux défauts dont est entachée la législation actuelle sur la matière, conclut au renvoi des trois demandes à M. le ministre de la justice, pour que le gouvernement y fasse droit.
- Le renvoi à M. le ministre de la justice est mis aux voix et adopté.
M. Lesoinne. - Messieurs, parmi les concessions que vous avez autorisées dans la dernière session, figure celle du chemin de fer de Namur à Liège. Cette ligne est tellement importante, que l'un de nos honorables collègue, M. Rogier, s'est opposé avec force à la concession, parce qu'il aurait voulu que le gouvernement s'en réservât la propriété.
D'après les plans qui nous avaient été soumis, ce chemin de fer suivait, depuis Namur jusqu'à Chokier, la rive gauche de la Meuse ; là on jetait un pont sur le fleuve, et le chemin de fer prenait les deux rives et desservait les nombreux établissements qui s'y trouvent des deux côtés de la Meuse, entre Chokier et la station du chemin de fer de l'Etat, à Liège.
Ce plan avait été approuvé par tout le monde, il satisfaisait à tous les intérêts. Cependant quelques objections isolées, mais puissantes, à ce qu'il paraît, s'élevèrent contre la partie de ce tracé, qui se trouve entre Huy et Chokier. Des réclamations furent adressées au sénat pour qu'elle fût transportée sur la rive droite du fleuve. D'un autre côté des pétitions des habitants de l'une et de l'autre rive furent adressées à cette assemblée, mais toutes ayant le même but, c'est-à-dire que sur la rive droite entre Huy et Chokier, il se trouve quelques maisons de campagne qui s'opposaient à ce que le tracé passât par chez elles, tandis que de l'autre côté se trouvent des établissements industriels et des populations nombreuses qui pétitionnaient pour obtenir la voie.
L'honorable M. Dechamps, alors ministre des travaux publics, pour faire droit à ces réclamations, promit que les plus grandes précautions seraient prises pour que le chemin de fer ne nuisît ni à la circulation sur la route ordinaire ni au halage.
Le sénat se tint pour satisfait et vota le projet que vous lui aviez renvoyé. Mais il paraît que, depuis lors, les mêmes réclamations ont été soulevées de nouveau, et d'après les bruits qui courent, bruits auxquels j'aime à ne pas ajouter foi, on aurait cherché à effrayer la compagnie concessionnaire en lui disant que si elle soumettait un plan qui établit le chemin de fer sur la rive droite, il obtiendrait immédiatement l'approbation du gouvernement, tandis que si elle voulait faire suivie à la ligne la rive gauche, on nommerait une commission d'enquête, qui, probablement, traînerait la question en longueur, et qui lui imposerait de grands sacrifices dans l'intérêt de la sécurité pour la circulation. J'aime toutefois à croire que le gouvernement ne voudrait pas recourir à de pareils moyens.
Mon but, en faisant cette motion d'ordre, est de demander que, quel que soit le plan que propose la compagnie, il soil nommé une commission d'enquête dans laquelle tous les intérêts qui se trouvent en cause soient représentés.
J'ai pour motif encore d'attirer l'attention sur l'importance des intérêts des habitants qui se trouvent sur la rive gauche de la Meuse. Car sur un espace de trois lieues, il se trouve beaucoup d'établissements industriels et une population de plus de 25,000 habitants.
J'ai vu aussi qu'il était de notre loyauté d'avertir les actionnaires étrangers, qui ont versé leurs capitaux dans l'entreprise, du tort considérable qu'on pourrait leur causer en faisant passer le tracé par la rive droite de la Meuse.
Enfin, j'ai fait ma motion pour qu'il restât bien entendu que, si la (page 498) compagnie persistait, contre son propre intérêt, à faire passer la voie par la rive droite, aucune considération quelconque ne pourrait s'opposer à ce qu'il fût construit un chemin de fer sur la rive gauche, soit par le gouvernement, soit par une compagnie, ce chemin de fer allant de Huy à Chokier, et que, d'après l'acte de concession, les propriétaires de la voie en construction devraient passage sur leur chemin de fer.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Je n'ai été saisi, jusqu'ici, de la part de la compagnie du chemin de fer de Namur à Liège, que du projet définitif entre Liège et Seraing, et entre Huy et Namur. Jusqu'à présent je n'ai pas reçu de proposition en ce qui concerne le tracé entre Chokier et Huy. Je n'ai donc pu encore m'occuper de l'examen de la question de savoir si le chemin de fer devra passer sur la rive droite ou sur la rive gauche de la Meuse.
Je n'ai aucune connaissance des moyens, en quelque sorte, d'intimidation qu'à entendre l'honorable préopinant, on aurait employé vis-à-vis de la compagnie. La compagnie devra me faire ses propositions. Elles seront examinées par le gouvernement. Le gouvernement entendra les différentes réclamations qui peuvent être faites ; il consultera tous les intérêts, et alors il pourra prendre une décision.
En ce moment, je ne pourrais pas donner de plus amples explications à la chambre sur cet objet.
M. Thyrion. - Je viens appuyer de tout mon pouvoir la motion de notre honorable collègue M. Lesoinne. Je ne sais jusqu'à quel point est fondée la crainte de voir établir le chemin de fer dont il s'agit, sur la rive droite de la Meuse, en aval de Huy, mais je dois dire que si telle chose arrivait, ce serait éminemment déplorable. Les chemins de fer ne sont pas seulement destinés au transport des voyageurs, ils sont encore et surtout destinés au transport des matières premières et des produits de l'industrie. C'est donc une condition de succès pour les chemins de fer, et surtout pour celui de la vallée de la Meuse, de traverser les localités où se trouvent les établissements industriels. Il ne faut pas que la société concessionnaire se fasse illusion ; si elle veut placer son entreprise dans des conditions de succès, elle doit absolument s'arranger de manière à pouvoir transporter la plus grande quantité possible de matières pondéreuses. Atteindra-t-elle ce but en plaçant son chemin de fer sur la rive droite ? Evidemment, non. Il n'y a sur cette rive ni industrie ni commerce ; il n'y existe pas un seul établissement industriel. Sur la rive gauche, au contraire, les établissements industriels sont, en quelque sorte, serrés l'un contre l'autre.
M. le président. - Je dois faire observer à M. Thyrion que cet objet n'est pas à l'ordre du jour.
M. Thyrion. - Nous avons voté une loi qui accorde la concession d'un chemin de fer de Liège à Namur, mais cette loi ne détermine pas le tracé que ce chemin de fer doit suivre, et il me semble que l'on peut toujours entretenir M. le ministre des travaux publics de la nécessité de le faire passer plutôt dans un endroit que dans un autre, de l'établir là où il peut être utile, au lieu de le placer là où il ne peut offrir aucune espèce d'utilité. Du reste, j'appuie la motion de l'honorable M. Lesoinne.
M. Vanden Eynde, pour un rappel au règlement. - Messieurs, la loi a concédé un chemin de fer de Liège à Namur, et je pense que les honorable membres qui ont des observations à faire sur le tracé, devraient présenter ces observations au ministre, dans son cabinet. Il me semble que nous ne devons pas perdre un temps précieux à écouter tout ce qui peut être dit pour ou contre telle ou telle direction.
Nous n'avons aucun jugement à porter en cette matière ; toute décision à intervenir doit être prise par le gouvernement, chargé de l'exécution de la loi.
M. Lesoinne. - Il me semble que nous sommes ici pour signaler tout ce qui peut être utile au pays. J'avais d'ailleurs consulté M. le ministre sur le point de savoir si, après que la concession a été accordée, il existerait quelque obstacle à ce qu'un nouveau chemin de fer fût construit sur la rive gauche, en concurrence avec celui qui serait établi sur la rive droite. Il me semble qu'il y aurait injustice à priver d'une manière définitive les habitants de la rive gauche, et les nombreux établissements industriels qui s'y trouvent, d'un moyen de communication dont seront dotées bientôt la plupart des autres parties du pays.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - L'honorable M. Lesoinne peut examiner lui-même, aussi bien que le ministre, s'il serait permis d'établir une ligne à côté de celle qui serait construite, en vertu de la concession ; ce sont les termes de la loi et non pas le gouvernement qui décident cette question. Or, les termes de la loi ou plutôt du cahier des charges sont tels que toute ligne de chemin de fer concédée n'empêche pas l'établissement d'une nouvelle ligne en concurrence avec la première. Seulement ce serait au gouvernement et aux chambres qu'il appartiendrait d'examiner s'il y a lieu de concéder une semblable ligne. C'est là une question importante que je ne puis pas décider maintenant.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, dans une précédente séance, à laquelle je n'ai pu assister, l'honorable M. Verhaegen a fait quelques observations sur le désistement des douze pourvois qui étaient formes relativement aux traitements d’attente. Je m'empresse, messieurs, de donner, à cet égard, des explications qui seront bien simples.
La chambre se rappellera qu'au début de la discussion, j'avais proposé un amendement d'après lequel on aurait payé aux héritiers Coupez ce qu'ils avaient obtenu par un arrêt passé en force de chose jugée ; je me réservais alors de poursuivre devant les tribunaux, comme j’avais déjà commencé à le faire, la cassation des douze arrêts rendus dans d'autres causes analogues. La chambre n'a pas admis ce système. Au second vote elle a rejeté toutes les propositions. Il me restait donc à examiner, messieurs, s'il était encore de l'intérêt de l'Etat de continuer les procédures qui avaient été commencées, les choses étant entièrement différentes. Je n'ai pas eu de peine à me convaincre que la procédure commencée devant la cour de cassation devenait sans objet.
En effet, messieurs, le vote de la chambre avait un sens bien clair, bien positif ; la chambre admettait d'une manière implicite que ces arriérés réclamés judiciairement n'étaient pas dus par l'Etat. Il était donc inutile de donner suite aux pourvois, quel qu'en put être le résultat. Seulement j'aurais ainsi dépensé sans motif des sommes assez fortes et il m'eût été impossible de justifier la dépense qui serait résultée de la continuation des procédures.
Je m'arrêterai peu à une expression qui est échappée à l'honorable membre. Ni aucun de mes honorables collègues ni moi-même, en combattant l'opinion admise par les corps judiciaires, n'avons entendu blâmer la magistrature. Lorsqu'on appelle d'un jugement de première instance, lorsqu'on se pourvoit contre un arrêt de cour d'appel, on ne blâme pas la magistrature, mais on use de son droit de faire réformer une décision que l'on croit erronée. C'est dans ce sens que je me suis toujours exprimé.
M. Verhaegen. - Je ne puis pas, messieurs, admettre les explications de M. le ministre des finances sur une question que je considère comme étant de la plus haute importance.
Messieurs, la question qui s'est présentée naguère dans cette enceinte était celle de savoir si le pouvoir judiciaire portant des jugements ou des arrêts dans le cercle de ses attributions est oui ou non indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Une longue discussion s'est engagée à ce sujet, et cette discussion a offert plus d'une imprudence, plus d'une atteinte portée à l'indépendance des pouvoirs.
J'avais cru qu'après y avoir mieux réfléchi, on avait voulu réserver l'examen de la question pour d'autres temps ; j'avais pensé que l'opinion qui avait été émise par M. le ministre des finances, quant à la force qui devait rester à la chose jugée, n'avait pas été modifiée et que dans d'autres temps on aurait trouvé le moyen de satisfaire à la condamnation.
M. le ministre des finances, dans le passage de son discours auquel j'ai fait allusion, lors de mon interpellation, nous avait dit en effet que l'arrêt en cause Coupez étant passé en force de chose jugée, il y avait nécessité de faire les fonds pour payer, mais que, dans son opinion, un seul arrêt ne faisant pas jurisprudence et lui ne partageant pas l'avis des cours d'appel, il pensait qu'il y avait lieu de poursuivre les procès. Pour mon compte, messieurs, je l'ai dit dans une précédente séance et, je dois le répéter, je crois que si l'on avait soumis à la cour de cassation les vrais moyens de droit qu'offrait la contestation, la cour de cassation n'aurait pas accueilli les prétentions des titulaires de toelagen ; mais les vraies questions qu'il y avait à lui soumettre ne lui ont jamais été soumises ; c'était d'abord celle de savoir s'il fallait payer les toelagen pour l'avenir, et ensuite, s'il fallait payer la totalité des sommes allouées, ou bien les différences entre ces sommes et les nouveaux traitements dont jouissaient les titulaires.
M. le ministre avait donc parfaitement raison lorsqu'il nous disait qu'un arrêt ne faisait pas jurisprudence, et que lui, ne partageant pas l'opinion des cours d'appel, il croyait devoir se pourvoir en cassation ; mais grand a dû être votre étonnement lorsque, après cela, nous avons vu, par le Moniteur, que M. le ministre venait de renoncer à ses douze pourvois, renonciation qui a fait acquérir aux douze arrêts de la cour d'appel de Bruxelles l'autorité de la chose jugée. Les douze affaires se trouvent maintenant dans la même position où se trouvait l'affaire Coupez, et se présentera de nouveau, plus tard, la question si délicate, quoique non douteuse pour nous, de savoir si nous pouvons nous refuser à créer les ressources nécessaires pour payer le montant de condamnations passées en force de chose jugée.
Je pense, messieurs, qu'il aurait beaucoup mieux valu de laisser de côté une discussion dont les dangers onl déjà été appréciés, et de tâcher d'obtenir gain de cause devant les tribunaux. Or, le gouvernement aurait évidemment obtenu gain de cause si, comme je l'ai dit, les véritables questions avaient été soumises et développées devant la justice.
Il semblerait que ceux qui, avant M. le ministre actuel, ont conduit cette affaire et ont transmis les instructions aux avocats plaidants l'auront conduite de manière à faire perdre le procès au gouvernement ; ne serait-ce, par hasard, que pour la forme que le gouvernement aurait soumis la question aux tribunaux ? Serait-il vrai qu'il se trouvait sous l'influence d'exigences manifestées par une puissance voisine avec laquelle nous avons aujourd'hui un nouveau démêlé ? Serait-il vrai qu'une des premières conditions du raccommodement serait la reconnaissance des prétentions des titulaires des toelagen ! L'arrêt par lequel gouvernement a perdu son procès n'aurait-il été, comme on dit en termes de barreau, qu'un arrêt d'expédient ?
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, la seule question qui se présente en ce moment devant vous, est celle de savoir, si en me désistant des 12 pourvois qui étaient institués avant le vote de la chambre, j'ai bien interprété ce vote. Je l'ai interprété en ce sens, je le répète, que la chambre déclarait que les arriérés des toelagen n'étaient pas dus par l'Etat. Si tel a été le sens du vote, je devais nécessairement me désister des pourvois qui étaient institués, puisque j'aurais gagné inutilement ces causes ; j'aurais dépensé les deniers publics, sans qu'il put en résulter pour l'Etat aucun fruit. Or, messieurs, souvent on fait au gouvernement le reproche d'avoir trop de procès, ici le reproche eût été assurément bien mérité ; j'aurais plaidé sans motif.
Cette procédure très longue a été suivie avec un grand soin ; j'ai lu le mémoire rédigé par MM. Verhaegen jeune, Allard et Maubach, et je puis assurer qu'aucun des moyens qu'on pouvait faire prévaloir devant la cour de cassation n'a été négligé dans ces travaux préparatoires. L'honorable M. Verhaegen me dit que cela importe peu à l'affaire. (page 499) L'honorable membre me permettra de lui faire remarquer qu'il suppose en quelque sorte, non pas chez moi, mais chez mes prédécesseurs ou d'autres personnes, l'intention préconçue de perdre le procès. Or, je puis déclarer qu'on n'a négligé aucun des moyens qu'on pouvait faire valoir en cassation.
L'honorable membre a été très mal informé, lorsqu'il a supposé que des influences étrangères auraient agi sur les déterminations du gouvernement. Je puis affirmer que rien n'a été fait, à l'égard de cette question, de la part de la puissance à laquelle l'honorable M. Verhaegen a fait allusion. Et en effet cette question, ainsi qu'on l'a fort bien démontré lors de la dernière discussion, est toute intérieure et ne touche aucunement aux relations de la Belgique avec l'étranger.
La discussion continue sur l'article 5 et les amendements y relatifs.
M. Fleussu. - Messieurs à la suite des observations que j'ai présentées hier, je n'ai pas déposé d'amendement. Je prie M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien nous dire s'il n'y a pas moyen de parer à l'inconvénient que j'ai signalé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, j'ai reconnu la justesse des observations qu'a présentées hier l'honorable préopinant, et je suis, comme lui, d'avis qu'il faut aviser aux moyens de faire cesser les inconvénients qu'il a signalés. Ces moyens, on les trouvera dans les instructions qui seront données à l'époque des ouvertures de la chasse. Ces instructions seront telles que les inconvénients signalés, disparaîtront dans l'exécution.
- La discussion sur l'article 5 et les amendements est fermée.
Le gouvernement a proposé en dernier lieu de rédiger l'article 5 comme suit :
« Art. 5. Dans chaque province ou partie de province, il est défendu d'exposer en vente, de vendre, d'acheter, de transporter ou de colporter pendant le temps où la chasse n'y est point permise, et à compter du troisième jour, après la clôture de la chasse, des faisans, perdrix, cailles, coqs de bruyères, gelinottes, lièvres, chevreuils, cerfs ou daims.
« Le gibier sera saisi et mis immédiatement à la disposition de l'hospice ou du bureau de bienfaisance, par le juge de paix du canton ou par le bourgmestre, si la saisie a été faite dans une commune autre que celle du chef-lieu.
« Chaque infraction aux dispositions du présent article sera punie d'une amende de 16 à 100 fr. »
- Par sous-amendement, M. le ministre de l'intérieur propose de comprendre dans l'énumération de l'article 5 les mots râles de campagne et de genêts.
- Cette addition est adoptée.
M. de Villegas propose d'ajouter après le mot gelinottes ceux de bécassines et jacquets.
- Cette addition est également adoptée.
M. de Breyne propose d'ajouter, après le mot râles, celui de vanneaux.
- Cette troisième addition est adoptée.
Le premier paragraphe ainsi modifié est adopté.
Les deuxième et troisième paragraphes de l'article 5, tels qu'ils sont indiqués ci-dessous, sont mis aux voix et adoptés.
La disposition additionnelle, proposée par M. Cans, est conçue en ces termes :
« Sera permis le transport du gibier de l'étranger, avec constatation de son origine, par un document de la douane. »
- Elle est mise aux voix et n'est pas adoptée.
Le gouvernement a proposé le retranchement du quatrième paragraphe du projet de loi de la section centrale. Ce paragraphe est ainsi conçu :
« La recherche du gibier ne pourra être faite que chez les marchands de comestibles, et dans les auberges ou autres lieux ouverts au public. »
La suppression de ce paragraphe est mise aux voix et adoptée.
L'ensemble de l'article 5, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.
L'honorable M. Verhaegen a proposé la disposition ci-après, qui serait placée entre les articles 4 et 5 du projet du gouvernement, ou à la suite de l'article 6 du projet de la section centrale :
« II est défendu, en tout temps et en toutes circonstances, aux gardes, chefs-gardes, gardes généraux et autres employés supérieurs, de chasser dans les bois et forêts de l'Etat et des communes dont la surveillance leur est confiée.
« L'infraction à cette défense sera punie d'une amende de cent francs à cinq cents francs sans préjudice aux mesures administratives s'il y a lieu. »
- La proposition est appuyée.
M. Verhaegen. - Messieurs, cette proposition, très inoffensive en elle-même, a éveillé beaucoup de passions. J'ai été, de la part de quelques-uns, l'objet d'insinuations perfides et de la part de quelques autres l'objet de reproches ; des amis sont même venus me dire que mon amendement allait leur enlever un plaisir dont ils jouissaient depuis plusieurs années. Comme je ne suis pas à la chambre pour consulter l'intérêt de mes amis, mais bien l'intérêt du pays, je maintiens mon amendement, et je pense, messieurs, que jamais disposition n'a été mieux fondée en équité comme en droit.
Il est un principe général en administration, c'est que personne ne peut être mis entre son devoir et son intérêt ou ses affections. Personne ne peut être juge dans sa propre cause. J'ai pensé que ceux qui avaient la mission spéciale de constater des délits, devaient être mis au-dessus de tout soupçon de partialité, alors que dans l'exercice traîne de leurs fonctions, un intérêt ou une affection pouvait les guider.
Messieurs, ce que j'ai eu en vue par mon amendement, c'est d'empêcher que ceux qui, sur les lieux mêmes, sont chargés de constater des délits ne puissent chasser dans les bois dont la surveillance leur est confiée ; je n'ai eu nullement en vue les fonctionnaires de l'administration centrale, et par conséquent les insinuations dont j'ai été l'objet ne sont pas fondées. Je n'ai pas voulu atteindre des individus qui n'ont pas une surveillance directe sur les lieux mêmes.
Messieurs, mettre l'individu entre son intérêt et son devoir, c'est violer les principes généraux du droit, c'est blesser aussi les règles de la morale. Dans une foule de nos lois, nous trouvons des dispositions qui défendent à des administrateurs de prendre un intérêt quelconque, soit matériel, soit d'affection, dans les objets soumis à leur administration.
Lisez la disposition de l'article 68 de la loi communale, vous verrez tout ce qui est interdit aux administrateurs de la commune. On trouve le même principe dans l'article 63 de la loi provinciale, et des dispositions semblables existent dans nos codes : partout, lorsqu'un individu a un intérêt personnel dans une affaire, il est éloigné du contrôle qui doit être exercé en termes d'administration et de surveillance. La morale le veut en même temps que la loi. La loi le veut : j'ai cité des dispositions formelles ; la morale le veut, car il ne faut pas mettre l'individu qui a un intérêt personnel, soit matériel, soit d'affection, dans la position de ne pas remplir son devoir, de ne pas obéir à sa conscience.
Messieurs, la surveillance des bois est confiée aux agents locaux, elle est confiée aux simples gardes comme aux chefs-gardes, comme aux gardes généraux, comme aux inspecteurs. Et encore une fois, qu'on ne se trompe pas sur mes intentions, ce sont les employés supérieurs et inférieurs locaux, que je veux atteindre par mon amendement. Je ne veux pas leur ôter la possibilité d'obtenir la permission de chasser dans des forêts autres que celles dont ils ont la surveillance. Mon amendement se borne aux agents forestiers pour le fait de chasse dans la localité où ils exercent leur surveillance.
Les agents forestiers sont appelés à constater les délits qui se commettent dans les bois, par conséquent tout d'abord les délits de chasse ; et les délits de chasse dans les forêts, aux termes de l'ordonnance de 1669 et de la loi de 1791, sont punis plus sévèrement que les délits de chasse sur des propriétés privées. On donne même aux gardes forestiers supérieurs et inférieurs un pouvoir beaucoup plus grand qu'aux gardes champêtres et aux autres fonctionnaires, chargés de constater les délits de chasse ; car les agents forestiers dressent des procès-verbaux qui font foi jusqu'à inscription en faux, alors que l'amende n'excède pas 100 fr., tandis que les procès-verbaux des autres fonctionnaires ne font foi que jusqu'à preuve du contraire.
On donne donc plus de pouvoir aux agents forestiers qu'aux agents ordinaires ; par cela même il faut être plus scrupuleux à leur égard. Comme, leur pouvoir est plus grand, il faut que leur impartialité, plus que celle des autres fonctionnaires, soit à l'abri de tout soupçon.
Messieurs, l'on a dit, et c'est l'honorable M.de Brouckere auquel je réponds, que les agents forestiers sont « excités au devoir par le plaisir et qu'ils surveillent les bois en chassant. » Mais d'abord j'aurai l'honneur de répondre au député de Bruxelles que nous payons les agents forestiers pour les soins qu'ils donnent à la conservation des bois et par suite, aussi à la conservation de la chasse ; que si, indépendamment de leurs appointements, il faut exciter les employés au devoir par le plaisir, ce sont des employés dont le gouvernement doit se débarrasser au plus tôt, puisqu'on ce cas ils ne sont pas dignes de sa confiance.
Mais on insiste et on dit qu'ils apporteront du moins plus d'activité dans leurs fonctions, notamment dans la recherche des délits de chasse.
Messieurs, si on admettait un pareil système, les agents forestiers, soumis comme tous les chasseurs à la loi commune de la jalousie, en conservant soigneusement la chasse, la conserveraient d'abord pour eux et ensuite pour d'autres « s'il en reste. » Ils aimeraient à jouir seuls autant que possible et donneraient rarement un avis favorable aux locations des chasses.
Ces observations ont d'autant plus de force que, dans une séance précédente, l'honorable ministre des travaux publics, quand il s'est agi d'un débat relatif aux filets, lacets et engins, dont on permettait l'emploi pour certaine espèce de gibier en le défendant pour d'autres, a dit en termes :
« Mais les gardes apprécieront bien d'après la physionomie des individus, d'après les circonstances, si l'engin dont ils sont détenteurs, constitue ou non un délit. »
Et certes c'est laisser aux gardes une bien grande latitude, et je ne veux pas combattre ici l'opinion de M. le ministre ; mais si vous donnez cette latitude aux agents chargés de constater les délits, vous leur abandonnez la tenderie dans les forêts ; il n'y aura plus de tenderie que pour les gardes ; quiconque viendra avec l'intention la plus pure pour prendre des grives, porteur de lacets, comme la jalousie sera là, ayant pour principe tout pour soit rien pour les autres, les gardes, maîtres souverains des bois, constitueront en état de délit quiconque voudra partager avec eux les plaisirs de la chasse.
Pour donner à un homme une autorité, un pouvoir si exorbitant que celui d'apprécier les circonstances quand il rédige un procès-verbal, il faut le mettre au-dessus de tout soupçon d'être guidé par un intérêt direct ou indirect, matériel ou d'affection ; il faut qu'il soit pur et impartial aux yeux de tous.
Mais, dit-on encore, qui verbalisera ? C'est toujours l'objection de (page 500) l'honorable M. de Brouckere. Les gardes forestiers seuls étant chargés de la surveillance devraient donc verbaliser contre eux-mêmes ? Mais si les gardes forestiers seuls peuvent verbaliser, ils sont juges dans leur propre cause. Personne n'est là pour contrôler leurs faits et gestes, et ce serait là le plus grand des inconvénients.
Heureusement il n'en est pas ainsi, les gardes ne seront pas seuls ; ce ne sera pas à eux que sera réservé exclusivement le droit de constater les délits de chasse, les gardes champêtres, les gendarmes, les bourgmestres des localités environnantes, toutes les autorités quelconques pourront rédiger des procès-verbaux. J'ajouterai que, s'il n'y a pas de fonctionnaires sur les lieux, on y suppléera par l'audition de deux témoins. Un délit de chasse est un délit comme un autre ; les agents forestiers pourront être poursuivis comme les particuliers, comme tous fonctionnaires publics.
Il y a un article dans le projet de loi qui porte la peine au double quand le délit a été commis par un simple garde forestier. Admettre cet article sans mon amendement, ce serait rentrer dans les idées qu'on a condamnées dans la première séance, ce serait rentrer dans des idées aristocratiques. Dans la première séance, j'ai dit : Pourquoi s'attacher aux simples gardes ?
La surveillance des bois est exercée aussi par des chefs-gardes, par des gardes généraux, par des inspecteurs locaux. (J'insiste sur ce dernier motif.) Pourquoi établir une différence entre le simple garde et ses supérieurs ? Pourquoi accorder un privilège à ceux-ci ? Peut-on sérieusement invoquer une habitude, une habitude mauvaise, pour réclamer en leur faveur la continuation d'un plaisir qu'ils s'attribuent à l'exclusion des autres ?
Mon amendement est conforme à tous les principes généraux ; il est commandé par la morale ; il est encore conforme aux lois spéciales. En France, les gardes ne peuvent pas chasser ; ils sont porteurs d'épée et de pistolets ; ils ne peuvent pas être porteurs de fusil de chasse. En Hollande, la défense que je demande de mentionner dans notre loi existe de fait, et elle est en outre écrite dans le projet de loi soumis à la législature. Le principe de mon amendement se trouve formellement proclamé dans l'article 5, qui porte :
« La chasse est permise à tous les Néerlandais, etc., excepté les surveillants salariés de la chasse. »
Eh bien, ceux auxquels je désire qu'on défende la chasse sont des agents, des surveillants salariés de la chasse. Je demande à leur égard ce qui existe de fait en Hollande et ce qui bientôt sera traduit en loi. C'est aussi ce qui existe en France.
De plus, le principe de mon amendement existe dans l'article 6 du projet de loi de la section centrale, car la section centrale élève au double la peine contre les gardes champêtres, gendarmes, bourgmestres, douaniers et gardes forestiers convaincus d'un délit de chasse.
Ainsi, le système, on l'admet quant aux simples gardes. Je demande que l'on soit juste et que l'on étende la disposition à tous les agents locaux supérieurs comme inférieurs de l'administration des forêts. Et, messieurs, si vous adoptez cette disposition que commande une bonne administration, vous arriverez à louer toutes les chasses domaniales, vous ne rencontrerez plus d'obstacle à la location.
Chose remarquable, d'après les principes généraux qui nous régissent, les agents forestiers administrateurs, dans le cercle de leurs attributions, ne pourraient devenir locataires de la chasse dans une forêt dont la surveillance leur est confiée, et cependant lorsque la chasse n'est pas louée, ils pourraient faire acte de propriétaire, chasser dans la forêt ! Cela n'est pas admissible.
Messieurs, on arrivera à louer la chasse dans les forêts domaniales, lorsqu'un principe tel que celui qui fait l'objet de mon amendement, sera arrêté par la législature.
Ce sera un bien sous plus d'un rapport. L'Etat en retirera des sommes assez considérables, et beaucoup d'abus cesseront ; car, il faut bien le dire, dans les forêts domaniales, les véritables braconniers sont les gardes locaux ; ce sont eux qui chassent en temps prohibé, comme en temps ouvert, sans égard pour aucune espèce de gibier et même sans port d'armes.
Ils font ce que s'interdit le véritable chasseur. Ne consultant que leurs intérêts propres, ils détruisent le gibier, plutôt qu'ils ne le conservent. Ce sont, je le répète, de véritables braconniers, et le mal qui en résulte, c'est le mauvais exemple donné aux braconniers de la plaine. C'est dans les localités voisines des forêts qu'il y a le plus de braconniers.
Si l'on trouve trop élevée l'amende que je propose dans mon amendement, on pourra la réduire. Je ne tiens pas au chiffre, je tiens au principe.
Ce que je demande, c'est qu'on consacre un principe conforme à toutes les lois de bonne administration et aux lois des pays voisins.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - L'amendement de l'honorable préopinant a plusieurs inconvénients ; le premier, c'est qu'il est en quelque sorte inutile, attendu que, d'après les règlements existants, les individus à qui l'honorable préopinant veut interdire l'exercice du droit de chasse n'exercent pas ce privilège. Il y a défense à tous les gardes-chasse, à tous les gardes forestiers de chasser dans les bois dont la surveillance leur est confiée. Il est évident qu'en ce qui concerne les gardes et les chefs-gardes, l'amendement de l'honorable préopinant est d'autant plus inutile qu'on n'accorde pas même à ces agents le port d'armes.
Bien qu'en vertu d'une instruction générale ces agents soient munis non d'une arme quelconque, mais d'un fusil à un seul coup, le port d'armes leur est refusé, en ce qu'ils ne peuvent se livrer à la chasse.
L'honorable M. Verhaegen a repoussé les insinuations qui ont été dirigées contre lui, insinuations qui porteraient à faire penser que son amendement n'a point un caractère d'utilité générale, mais qu'il est uniquement dirigé contre quelques individus. Je n'ai pas besoin de dire que ces insinuations, quoiqu'elles fussent parvenues jusqu'à moi, je les ai repoussées avec indignation. J'ai fait plus, je les ai communiquées à l'honorable préopinant lui-même. C'est donc, je le reconnais, dans l'intérêt général que l'honorable M. Verhaegen a présenté son amendement. Cependant, ce qui avait pu, jusqu'à un certain point, donner un fondement à quelques-unes de ces insinuations, c'est la manière un peu large dont cet amendement a été rédigé. En effet, il s'y trouve des expressions tout à fait différentes de celles dont s'est servi l'honorable membre en développant sa proposition.
Dans ses développements, il a localisé l'application de la mesure en indiquant les chefs locaux qu'il veut frapper, tandis que dans son amendement il parle des gardes, chefs-gardes, gardes généraux et outres employés supérieurs.
A cette occasion, l'honorable membre vous a cité l'exemple de la législation étrangère, le projet de loi hollandais qui, dans des termes plus généraux, frapperait d'une interdiction générale tous les employés salariés chargés officiellement de la surveillance du domaine de l'Etat.
Si une disposition pareille était admise dans notre législation, qu'en résulterait-il ? C'est que nos gardes, chefs-gardes et employés supérieurs seraient frappés de cette interdiction, c'est que M. le ministre des finances lui-même, qui accorde des permis de chasse, serait, en sa qualité d'agent salarié, frappé de la même interdiction, aussi bien que le ministre de l'intérieur, qui, depuis la suppression de la charge de grand veneur, se trouve en quelque sorte revêtu de ces fonctions.
Le législateur, lorsqu'il arrête une mesure d'interdiction, doit se garder de lui donner une tendance, un caractère personnel. Bien que cette tendance soit loin de la pensée de l'honorable préopinant, les faits démontrent que, dans cette circonstance, sa proposition aurait ce résultat.
En effet, nous avons reconnu que les gardes de chasse et les chefs-gardes sont privés, par les règlements, de la faculté de chasser. Quels sont donc les individus que frapperait l'amendement de l'honorable préopinant ? Ce seraient les inspecteurs locaux, les gardes généraux. Eh bien, le nombre de ces fonctionnaires, pour toute l'étendue du royaume, s'élève à 25 ou 26. Le législateur ne doit pas, pour deux ou trois individus par province, admettre d'interdiction légale, et mettre en quelque sorte ces hauts fonctionnaires hors la loi commune.
On a cherché à établir la nécessité d'une disposition pareille sur ce principe que les gardes chargés de la surveillance des bois étaient par la nature de leurs fonctions appelés à dresser des procès-verbaux. Je ne sache pas qu'un seul procès-verbal de délit de chasse ait été dressé par un inspecteur forestier. Ces fonctionnaires se rendent sur les lieux pour surveiller leurs propres agents, afin de s'assurer si ces agents remplissent bien leurs devoirs. Si, dans cette surveillance, un délit de chasse parvient à leur connaissance, ce ne sont pas les inspecteurs qui dressent le procès-verbal, mais les agents spécialement chargés de ce soin.
Personne ne pensera qu'en cherchant à ne point exclure de la règle ordinaire suivie jusqu'à présent les hauts fonctionnaires du domaine, on veuille établir des distinctions aristocratiques entre les hauts fonctionnaires de l'Etat. Mais, je le répète, il ne convient pas de placer ces hauts fonctionnaires dans une exception qui diminuerait leur action sur leurs propres subordonnés.
On vous a dit aussi qu'un autre avantage qui résulterait d'une semblable disposition, c'est que le gouvernement se verrait en quelque sorte obligé par là de procéder à la location des domaines, ce qui procurerait à l'Etat un revenu considérable ; ce sont les expressions de l'honorable préopinant.
Déjà cette question a été soulevée le mois dernier à l'occasion du budget des voies et moyens. Je lis à ce sujet dans le rapport de la section centrale le passage suivant :
« La cinquième section, sauf deux membres qui s'abstiennent, demande que la chasse soit mise en location par adjudication sur les propriétés du domaine, dans l'intérêt même de la chasse et du trésor.
« La section centrale ayant demandé des explications à l'administration, elle en a reçu la réponse suivante :
« Les bois domaniaux dans lesquels ce droit de chasse est loué sont d'une contenance de 4,602 hectares ; le produit du droit de chasse est de 1,535 francs, soit eu moyenne 35 centimes par hectare.
« Divers motifs ont fait ajourner jusqu'à présent la location du droit de chasse dans d'autres bois domaniaux. L'utilité financière de cette mesure serait très faible.
« La section centrale, à la suite de cette réponse, a passé à l'ordre du jour sur la proposition de la cinquième section. »
M. Osy. - Je demande la parole.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je pense donc que si l'honorable préopinant a eu en vue, dans son amendement, d'empêcher que les fonctionnaires, chargés de la surveillance des bois, ne se livrent eux-mêmes au braconnage, nous avons atteint ce but en privant ces agents du droit de port d'armes, et en confiant leur surveillance à des fonctionnaires trop haut placés pour mériter qu'une disposition exceptionnelle soit dirigée contre eux dans la loi même.
M. Rodenbach. - Le but de l'honorable M. Verhaegen est que la chasse dans les bois domaniaux ajoute quelque chose au revenu de l'Etat.
L’honorable ministre de l'intérieur vient de dire qu'en Belgique, l'adjudication de la chasse ne rapporterait que fort peu de chose. En France, ou a adjugé la chasse dans les forêts domaniales ; dans les premières années (page 501) elle a rapporté fort peu de chose ; mais en 1845, dans un rayon de 30 ou 40 lieues autour de Paris, l'adjudication a produit jusqu'à 1,000 francs par 1,000 hectares.
Nous avons 17,000 hectares de bois dans le Luxembourg, si la chasse dans ces forêts était adjugée,, le produit en serait faible pendant les premières années, mais au bout de cinq ou six ans le produit pourra être assez considérable, car nous voyons au budget des recettes de France la location de la chasse dans les forêts domaniales renseignée pour une somme assez forte.
On dira : Vous empêchez les chasses royales ; mais on pourrait déterminer les bois où le Roi chasserait et même stipuler que le roi pourrait chasser dans tous les bois de l'Etat. Mais il n'en est pas moins vrai que cela rapporterait quelques revenus. Les hospices ont aussi des forêts ; je ne vois pas pourquoi ils n'adjugeraient pas également la chasse dans ces forêts.
Un membre. - Ils en ont le droit.
M. Rodenbach. - Je le sais ; mais il y en a qui n'usent pas de ce droit, et j'engagerai M. le ministre de la justice à attirer leur attention sur ce point.
Messieurs, puisqu'en France, en Hollande et dans d'autres pays on adjuge publiquement la chasse dans les domaines nationaux et que cela produit un certain revenu, je ne vois pas pourquoi il n'en serait pas de même en Belgique, où il paraît que les amateurs de chasse ne manquent pas. Je sais qu'on nous a dit que la location de la chasse dans les forêts où elle est accordée, ne produit que 3,500 fr. par hectare. Mais je vous ai rappelé ce qui est arrivé en France, où cette location produit maintenant des millions.
M. Savart-Martel, rapporteur. - Je pense que l'article additionnel proposé par l'honorable M. Verhaegen rentre dans les principes qui ont amené le projet de loi dont s'agit.
Si l'on interdit à de simples gardes la faculté de chasser dans les bois qu'ils sont chargés de surveiller, à plus forte raison doit-on l'interdire aux officiers supérieurs forestiers.
On vous a parlé de MM. les ministres ; mais indépendamment que nous ne leur laissons guère le temps de chasser, je pense qu'il suffit que le ministère connaisse l'opinion de la chambre, pour être assuré que ces hauts fonctionnaires ne voudraient pas user d'un droit contesté par la législature.
On objecte que les gardes ne peuvent porter des fusils de chasse d'après les règlements de l'administration ; mais je répondrai 1° qu'on peut chasser sans fusil ; 2° que le règlement de l'administration pouvant être révoqué par l'administration, c'est une raison de plus pour y statuer législativement.
En mettant en adjudication publique la location des chasses de l'Etat, on y trouvera un nouveau revenu qui figurera au budget, et un revenu qui peut devenir considérable.
Il est facile de concevoir que, jusqu'à ce jour, la chasse n'ait produit que 1,500 fr., puisque la chasse est la jouissance des agents forestiers, qui ont le plus grand intérêt à empêcher ces locations.
Enfin j'ajouterai que l'article proposé par l'honorable M. Verhaegen doit même être étendu aux bois des hospices, des bureaux de bienfaisance et autres établissements publics qui sont assimilés aux forêts de l'Etat par les arrêtés du 28 vendémiaire an V, 19 ventôse an X et 19 ventôse an XI. J'appuierai donc la proposition, hormis que la loi n'ordonne au gouvernement la mise en location des droits de chasse dans les forêts de l'Etat.
M. le président. - M. Delehaye présente l'amendement suivant : « Le droit de chasse dans les domaines de l'Etat sera mis en adjudication publique au profit du trésor. »
La parole est à M. Delehaye pour développer son amendement.
M. Delehaye. - Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur vous a fait observer qu'un des inconvénients signalés par l'honorable M. Verhaegen n'existe plus en présence des dispositions réglementaires prises par le gouvernement. Je pense, messieurs, que ces inconvénients disparaîtraient complétement si l'on mettait en adjudication le droit de chasse dans les domaines de l'Etat.
Je sais que M. le ministre de l'intérieur a prévu en quelque sorte ma proposition et qu'il a cherché à la combattre. Mais je ne puis admettre l'argument qu'il lui a opposé, il vous a dit que la proposition faite par la première section avait été repoussée, parce qu'elle ne produirait aucun avantage pour le trésor. Je m'étonne, messieurs, qu'on vienne aujourd'hui faire valoir des arguments tous contraires à ceux que l'on présentait il y a quelques jours. Au début de la discussion un honorable membre combattait la loi parce qu'il la regardait comme un rétablissement des droits féodaux, comme un retour a l'ancien régime, comme présentant beaucoup plus d'inconvénients que d'avantages. Et que lui répondait un ministre d'Etat, M. d'Huart ? Il disait que les prohibitions que l'on établissait par le projet étaient tout à fait dans l'intérêt des propriétaires, que l'on voulait garantir à ceux-ci un droit qui était inhérent à la propriété et qui pouvait leur rapporter un revenu considérable. L'honorable M. d'Huart vous a même cité des particuliers qui obtenaient un produit assez avantageux de la location de la chasse sur leurs terres ; si je ne me trompe, il vous a parlé d'un propriétaire qui avait retiré de cette location jusqu'à 14 et 1,500 francs par an.
Si la location de la chasse peut amener de pareils résultats, pourquoi donc, messieurs, ne l’adopterions-nous pas en faveur du trésor pour les propriétés de l'Etat ? Remarquez que la location de la chasse serait bien autrement productive en ce qui concerne les forêts de l'Etat, qu'en ce qui concerne les propriétés des particuliers, parce que celles-ci consistent généralement en terres ensemencées où il faut user de ménagements, et qu'ensuite le gibier est beaucoup plus abondant dans les forêts.
On vous a d'ailleurs cité un exemple. On vous a dit qu'en France la location de la chasse qui, dans le principe, avait produit peu, rapportait aujourd'hui des sommes considérables. Je crois, messieurs, que le trésor n'est pas dans une position tellement brillante qu'il faille dédaigner les revenus même les plus minimes. Du reste, si le produit par la location de la masse est d'abord minime, il pourra devenir plus considérable. Je suis persuadé, quant à moi, que dans le Brabant seul, où la passion de chasser est très grande, l'Etat retirera déjà un très beau revenu des propriétés qu'il y possède.
Je dis donc que ma proposition suffit et qu'elle prévient les inconvénients signalés par l'honorable M. Verhaegen.
Ce sera une addition aux revenus du trésor ; remarquez que vos domaines sont loin de rapporter ce que vous avez le droit d'en attendre, s'ils étaient exploités comme ils doivent l'être.
M. Osy. - J'avais appuyé l'amendement de l'honorable M. Verhaegen parce que j'espérais que, par là, nous en viendrions à louer les domaines de l'Etat. L'honorable M. Delehaye propose de le stipuler dans la loi ; j'appuie également cet amendement. M. le ministre de l'intérieur dit que les difficultés que l'on veut prévenir sont prévenues dans les règlements, je préfère que ce soit dans la loi. Je pense qu'il doit être interdit de chasser dans les forêts domaniales à tous ceux qui en ont la surveillance, même à M. le ministre des finances, car si nous admettions une exception pour lui, il faudrait également l'admettre pour les directeurs des domaines et autres fonctionnaires supérieurs ; et alors on ne louerait pas la chasse, car ces messieurs, y ayant intérêt feraient en sorte qu'elle ne fût pas louée.
J'appuie d'autant plus l'amendement que, dans ma province, les administrateurs des bureaux de bienfaisance ne conservent pas la chasse pour eux-mêmes, mais la louent. S'ils sont chasseurs, lors de l'adjudication publique, ils se mettent en concurrence avec le public.
Si la chambre adopte l'amendement de l'honorable M. Delehaye ou de M. Verhaegen, nous aurons une augmentation de revenu de 60,000 fr. au moins. Dans le Limbourg.il y a des chasses qui se louent jusqu'à 5 francs par hectare. Cela produira donc beaucoup.
Les communes ne louent pas leurs chasses ; elles les loueront quand les gardes forestiers ne pourront plus chasser ; ce sera un revenu pour les communes comme pour les bureaux de bienfaisance et pou ries hospices.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je désire que les idées soient bien assises avant d'aller plus loin dans la discussion. L'honorable préopinant vient de dire qu'il appuie les amendements de MM. Verhaegen et Delehaye ; mais ces deux amendements s'excluent mutuellement. Si vous posez ce principe que la chasse, dans les bois domaniaux, sera mise en location, l'amendement de M. Verhaegen devient inutile.
M. de Garcia. - L'observation qui vient d'être faite par M. le ministre de l'intérieur me paraît d'une exactitude parfaite. C'est précisément une des principales réflexions que je voulais présenter.
Vous voulez mettre en location la chasse dans les bois de l'Etat. Si la chambre en décide ainsi, toute la partie de l'amendement de M. Verhaegen disparaît. En vertu de l'article 2 de la présente loi, celui qui sera propriétaire, ou qui représentera le propriétaire, pourra empêcher les gardes, chefs-gardes, gardes généraux et autres employés supérieurs de chasser. Evidemment l'un des amendements empêche l'autre. Quant à moi, je n'admettrais pas l'amendement de M. Verhaegen, dont l'inutilité est démontrée par celui de l'honorable M. Delehaye, que je crois désirable, au moins en partie.
Je suis aussi disposé que l'honorable M. Delehaye à admettre ce principe. Je crois même que, sans qu'une disposition de loi soit nécessaire, le gouvernement, qui a l'administration des bois de l'Etat, peut mettre en location la chasse dans ces bois. Si le gouvernement ne le faisait pas en présence du désir manifesté dans la chambre, je crois que cette dernière serait dans son droit en refusant le budget des voies et moyens, s'il ne comprenait pas un article relatif et correspondant au vœu manifesté plus d'une fois dans cette enceinte.
J'admets donc le principe ; mais je ne l'admets pas d'une manière absolue. Je voudrais que le gouvernement entrât dans cette voie avec certaine réserve, avec convenance.
On a dit que, d'après la nature de nos institutions, il n'y avait pas de chasses royales dans le royaume. Nos lois ne disent pas un mot à cet égard, mais la chose n'était pas nécessaire ; la dignité d'une nation, sans qu'il soit besoin de disposition formelle, parlait assez haut sous ce rapport. Le respect et la déférence dont tous nous devons vouloir environner le souverain, nous dispensaient tous de rien insérer dans la loi à ce point de vue. Si notre Roi, si nos princes avaient le goût de la chasse, je regarderais comme indigne de la nation de louer la chasse des forêts qui pourrait leur être agréable. Je me réserve donc de faire un sous-amendement à la proposition de l'honorable M. Delehaye, si elle venait a être adoptée. Je proposerai de faire une exception pour les forêts de Soignes, de Saint-Hubert et d'Hertogenwald. Voilà trois grandes forêts qui pourraient faire les plaisirs du la couronne.
L'on m'interrompt, soit ; libre à chacun de m'attribuer telle idée qu'il jugera convenir, libre même de faire des insinuations, peu m'importe. J'attends les objections et les insinuations, et je saurai y répondre. A propos d'insinuations, messieurs, qu'il me soit permis de répondre à quelques-unes qui ont été produites dans ce débat envers des personnes qui ne sont pas ici pour se défendre.
(page 502) Dans le développement des amendements que nous discutons, on a insinué que les employés de l’administration des forêts exerceraient des rigueurs vexatoires. dans le but exclusif de conserver le gibier pour eux. Si l'on admettait ce qu'a dit un honorable député de Bruxelles, ces fonctionnaires n'empêcheraient l'enlèvement des herbes et des feuilles dans la forêt de Soignes que pour leur plaisir personnel de chasse.
Les fonctionnaires sur lesquels on a élevé des soupçons ne sont pas ici pour se défendre. Je crois devoir élever ma voix pour les justifier d'une accusation qui n'a nulle espèce de fondement. Faut-il mettre la forêt de Soignes dans un état exceptionnel et de privilège ?
Pour toutes les forêts de l'Etat, il existe des lois communes de police. Mille fois, j'ai applique ces lois ; il n'appartient ni aux fonctionnaires, ni au gouvernement d'en arrêter le cours.
Jusqu'à ces jours, a-t-on dit, on n'avait point apporté cette rigueur dans la surveillance de la forêt de Soignes ; cette observation est sans valeur puisqu'elle se rattache à une époque où la forêt appartenait à la Société générale, qui ne pouvait être considérée que comme un particulier, et qu'un particulier administre ses propriétés comme il le juge convenable. Il ne pouvait plus en être ainsi, dès que cette forêt est revenue à l'Etat ; alors elle devait être régie par les lois générales et c'est ce qui a eu lieu. Il ne pouvait pas en être autrement sans un privilège pour les voisins de cette forêt.
Ce n'est donc pas une vexation ; et la conduite qu'on y a tenue ne constitue que la franche et loyale exécution de la loi.
L'exécution des lois, au point de vue qui a été critiqué par M. Verhaegen, n'est pas sans objet d'utilité pour la conservation des bois. On doit reconnaître qu'en enlevant les feuilles et les branches, on peut faire tort aux forêts en détruisant les jeunes plants, au moyen desquels elles se repeuplent.
L'honorable M. Verhaegen, qui fait un signe négatif, peut être d'un avis contraire au mien, mais, quant à moi, je crois cette opinion exacte et beaucoup d'agents forestiers la partagent.
Au surplus, si on veut se relâcher de la rigueur des principes que je signale, que la mesure soit générale et qu'elle porte non seulement sur la forêt de Soignes, mais sur toutes les forêts de l'Etat. Pour arriver a ce but, il faut réviser la législation de 1669 et toute la législation actuelle.
Déjà on a demandé cette révision et je l'appuie de tout cœur. Il y a dans ces lois des dispositions qui ne sont plus de notre siècle. Si l'honorable M. Verhaegen propose quelque chose à cet égard, j'appuierai vivement cette proposition.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - La chambre a dans l'examen des projets de loi, dans tous ses travaux législatifs, obéi à des principes dont elle ne s'est jamais écartée ; elle a évité avec soin d'introduire dans les lois des dispositions qui y sont tout à fait étrangères. Tel est le caractère de l'amendement de l'honorable M. Delehaye. Que faisons-nous depuis quelques jours ? Nous nous occupons d'une loi sur la police de la chasse, des, moyens à employer pour prévenir le braconnage, pour empêcher la dévastation des récoltes, la destruction du gibier.
A cette occasion, l'honorable M. Delehaye vous propose une disposition qui sort essentiellement du caractère de la loi soumise à vos délibérations.. Sa proposition est de nature à être examinée et discutée, lors de la discussion du budget des voies et moyens. C'est une mesure financière, une mesure d'administration, qui ne rentre nullement dans les dispositions d'une loi relative à la police de la chasse. Le gouvernement ne recule pas devant la discussion de cette proposition. Les considérations que l'honorable membre a fait valoir l'éclaireront dans l'examen de cette question nouvelle. Mais je demande, par respect pour les précédents, pour les principes et pour la bonne rédaction des lois, qu'on n'introduise pas, dans une loi sur la police de la chasse, une disposition qui rentre essentiellement dans le budget des voies et moyens.
M. Fleussu. - Quand j'ai demandé la parole, il n'était question que de l'amendement de l'honorable M. Verhaegen. J'avoue que ce n'était pas pour l'appuyer. Il me semble que puisque le gouvernement attribue le droit d'accorder des permis de chasser dans les forêts nationales, il ne faut pas qu'il lui soit interdit d'accorder ces permis de chasse aux agents supérieurs. Tous n'usent pas de ces permis de chasse pour détruire le gibier ; j’en connais qui sont jaloux de sa conservation ; ils défendent aux gardes de chasser.
Plusieurs membres. - Mais ils chassent eux-mêmes !
M. Fleussu. - Oui, avec la permission de l'administration.
Irez-vous interdire la faculté de chasser à un inspecteur forestier qui, depuis un quart de siècle, visite la forêt le fusil à la main ; aux sous-inspecteurs, aux agents supérieurs, aux gardes généraux ? Quoi ! il arrivera que le gouvernement ordonnera des battues, et l'inspecteur, le sous-inspecteur forestier seront obliges d'assister la chasse une canne à la main ! Ce serait dérisoire, ce serait contraire à tout ce qui existe.
Ou le gouvernement continuera d'accorder des permis de chasse, usant du droit qui lui a été attribué par un été de 1818, sous le roi Guillaume, et dans ce cas, je demande qu'il n'y ait point d'exception pour les employés supérieurs de l'administration forestière ; ou on louera la chasse dans les biens domaniaux, alors la question disparaît entièrement.
Sur cette proposition (celle de l’honorable M. Delehaye), je suis encore dans le doute, je me défie beaucoup de ces propositions improvisées. On se prévaut d'avantages sous le rapport financier ; mais savons-nous si, sous d'autres rapports, il n'y aura pas d'inconvénients plus graves ? Et peut-être vaudrait-il mieux en faire l'objet d'une loi spéciale ; cependant je n'en fais pas la proposition.
M. Verhaegen. - Messieurs, la proposition de l'honorable M. Delehaye doit avoir la priorité sur la mienne. Ma proposition, je le reconnais, ne conservera son utilité qu'autant que celle de mon honorable ami ne soit pas admise. Mon but principal a été d'arriver à la location de la chasse dans les propriétés domaniales. Si ce but est atteint par l'amendement de l'honorable M. Delehaye, ma proposition devient sans objet.
Messieurs, la proposition de l'honorable M. Delehaye ne sera pas, je pense, contestée ; elle n'est pas contestable. En effet, chaque fois que l'on peut procurer des ressources nouvelles au trésor, il faut s'empresser de le faire, surtout dans les circonstances où nous nous trouvons.
Mais, dit-on, la proposition est produite incidemment dans un projet de loi auquel elle ne se rattache pas directement ; on pourra l'examiner lors de la discussion du budget des voies et moyens,
Messieurs, si l'on avait présenté la proposition à l'occasion du budget des voies et moyens, on aurait dit aussi que la proposition était intempestive, qu'il fallait en ajourner l'examen jusqu'à la discussion d'un projet de loi sur la chasse.
C'est un moyen, je dois le dire, d'éloigner une discussion, c'est un moyen dilatoire, tant soit peu diplomatique. Je ne pense pas qu'il soit sérieux ; aussi, mon honorable ami, M. Fleussu, qui voudrait bien le moyen dilatoire, ne l'appuie pas parce qu'il pense que, dans la position où il se trouve, il ne peut pas lui donner l'appui de son nom.
Je dis que la proposition de l'honorable M. Delehaye se rattache directement au projet de loi en discussion. En effet, de quoi nous occupons-nous ? De la chasse. S'agit-il aussi de la chasse dans les forêts domaniales ? Oui, messieurs, tout autant que de la chasse sur les propriétés privées et dans les forêts des communes et des hospices. Nous nous occupons donc des propriétés nationales, en réglementant la chasse. On fera même peut-être bien d'aller un peu plus loin.
Le projet de loi n'a pas été longuement élaboré, il a été fait à la hâte, et toutes les lois qui auraient dû être consultées, ne l'ont pas été. Il faudra bien qu'on songe un peu à l'ordonnance de 1669, et à la loi de 1791, lorsqu'il s'agira de ces contraventions spéciales qui se commettent dans les bois ; il faudra bien qu'on cherche à mettre le projet de loi actuel en rapport avec ces anciennes lois. Ce que je tiens seulement à constater pour le moment, c'est que nous nous occupons aussi de la chasse dans les forêts nationales, et dès lors la chambre peut fort a propos décider que la chasse dans ces forêts fera l'objet d'une adjudication publique.
C'est même là le principe fondamental sur lequel il convient de voter d'abord. Cela est tellement vrai que, si la proposition est adoptée, plusieurs autres dispositions viendront à tomber. Ainsi, dans l'hypothèse de cette adoption, mon amendement n'aura plus la même utilité. Le moment est donc arrivé de discuter ce principe fondamental, principe qui consiste à déclarer que la chasse, dans les forêts nationales, sera l'objet d'une adjudication publique.
Maintenant, la proposition est-elle fondée ? Evidemment oui. Nous voulons des ressources. La ressource qu'il s'agit de créer, ne sera pas aussi faible qu'on le prétend ; et d'ailleurs, le fût-elle, des ressources médiocres, en s'accumulant, forment une ressource importante.
Ne croyez pas d'ailleurs que cette ressource sera si faible. La chasse dans les forêts domaniales produira au moins 30,000 francs. (Oui ! oui !) On dit à mes côtes 100,000 francs ; peut-être cette prévision n'es-t-elle pas exagérée.
Voulez-vous, messieurs, augmenter le revenu des forêts et des domaines, tirer de nos forêts tout l'avantage qu'il est possible d'en tirer ; concédez la coupe des herbages dans les parties défensables vos bois, ; louez-y enfin tout ce que vous pouvez, sans faire tort à la foresterie,, et vous augmenterez votre revenu de 150,000 francs.
J'ai des rasons spéciales pour parler de la coupe d'herbes : sous tous les gouvernements précédents, comme sous le régime de la banque, on accordait aux cultivateurs la faculté de couper l'herbe et d'envoyer leurs bestiaux dans la forêt, moyennant une rétribution. Le gouvernement ainsi que les petits cultivateurs y gagnaient.
Mais depuis que la jalousie de la chasse est allée au point de s'arroger des monopoles, l'on a fait comprendre au gouvernement qu'il ne fallait plus permettre aux petits cultivateurs, moyennant rétribution, d'aller prendre l’herbe dans les parties défensables du bois. Eh bien, aujourd'hui, dans ces parties, l'herbe pourrit sur lieu et amène beaucoup d'ordure qui, au dire de personnes fort compétentes, cause un grand dommage à la foresterie. Toutes les réclamations faites à cet égard ont été écartées ; parce que ceux qui tenaient à la chasse, croyaient que l'on dérangerait les lièvres, en permettant aux petits cultivateurs de venir couper l'herbe dans les parties défensables du bois. Que le gouvernement loue tout ce qu'il peut louer dans les forêts nationales, et je vous garantis que vous réaliserez un revenu de 150 à 200,000 fr. par an. Cela n'est certes pas à dédaigner.
Maintenant devez-vous, dans l'intérêt des plaisirs de quelques fonctionnaires, conserver la chasse au détriment de l'Etat ? Il me paraît impossible qu'aucun membre de cette chambre vote contre la proposition de l'honorable M. Delehaye, surtout dans les circonstances difficiles où nous nous trouvons, et qui nous commandent de nous faire des ressources de tout ce que nous avons.
Il y a donc lieu de s'occuper de la proposition de l'honorable M. Delehaye ; cette proposition est fondée à tous égards, et j'ose espérer qu'elle recevra l'approbation de la chambre. Je propose à l'assemblée de s'occuper de cette proposition ; la mienne viendra ensuite subsidiairement, le cas échéant, et (page 503) je me propose de faire valoir quelques nouvelles considérations à l'appui de mon amendement.
- La chambre consultée décide qu'elle s'occupera d'abord de la discussion et du vote de la proposition de M. Delehaye.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, la question de savoir s'il faut louer immédiatement la chasse de tous les domaines s'est déjà présentée plusieurs fois. Depuis que je fais partie de cette chambre, presque tous les ans, la section centrale du budget des voies et moyens a soulevé la question, et cette année encore une note a été envoyée au département des finances. Je me suis alors occupé du point de savoir quels étaient les domaines dont la chasse était louée, et quels pouvaient être les motifs, pour lesquels la chasse n'avait pas été louée jusqu'à présent dans tous les domaines.
Le passage, qui a été cité tout à l'heure par mon honorable collègue prouve quelle est, en réalité, la portée financière de cette mesure. La moyenne pour les quatre mille et quelques centaines d'hectares loués est de 35 centimes par hectare. (Interruption.) On me dit que ces hectares ne sont pas loués publiquement. C'est une erreur. Les domaines dont la chasse est louée font l'objet d'une adjudication publique, et c'est en recourant à ce moyen qu'on a obtenu 35 centimes par hectare.
Comme ministre des finances, intéressé à voir prospérer les ressources du trésor, je devrais, semblerait-il au premier abord, me rallier à la proposition de l'honorable M. Delehaye. Cependant je dois la combattre comme intempestive et comme prématurée.
Cette question est intempestive, parce qu'elle ne se rattache pas à la loi de police de la chasse, mais qu'elle s'est toujours rattachée et doit continuer de se rattacher au budget des voies et moyens.
En effet, ce n'est pas une fin de non-recevoir plus ou moins diplomatique que je propose, car je déclare dès à présent que j'instruirai la question sous tous les rapports avant la discussion du prochain budget des voies et moyens, et alors à l'occasion d'un article de ce budget, la chambre pourra décider, en connaissance de cause, d'après tous les renseignements dont j'aurai soin de m'entourer.
Je dis, d'après tous les renseignements dont j'aurai soin de m'entourer, parce qu'il ne faut pas croire que cette question n'ait qu'un côté.
Je n'éprouve pas ce qu'on a appelé la jalousie du chasseur ; cependant, je crois que, dans certaines localités, l'absence de location peut intéresser vivement tous ceux à qui les passions du chasseur ne seraient pas étrangères. Ainsi, l'intérêt de la conservation du gibier peut être un motif pour ne pas louer la chasse dans certains domaines, pour faire des exceptions au principe très absolu que pose l'honorable membre.
J'indique ici l'un des côtés de la question sur lequel, à juste titre, non seulement au point de vue du plaisir du chasseur, mais à un point de vue plus sérieux, devrait porter cette investigation que je prends l'engagement de faire et de poursuivre rapidement.
Moyen dilatoire, j'entends dire ! Singulier moyen dilatoire qu'un ajournement jusqu'à la discussion du prochain budget des voies et moyens ! Y a-t-il donc une telle urgence, que l'on doive trancher immédiatement une question complexe, sans attendre les résultats de l'instruction que je ferai ?
Je pense donc, messieurs, qu'en présence de cet engagement la chambre agira prudemment en réservant cette question que je reproduirai moi-même si elle ne l'est pas, et sur laquelle je donnerai à la chambre tous les renseignements nécessaires pour statuer en pleine connaissance de cause, renseignements que je ne puis pas donner en ce moment, la question ayant surgi à l'improviste.
Un membre. - Si vous cessez d'être ministre, que devient cet engagement ?
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je ne dirai pas qu'en fait de succession ministérielle le principe que les obligations contractées passent aux héritiers reçoive toujours son application, mais si j'ai un successeur avant la discussion du prochain budget, je ne crois pas qu'il se refuserait a exécuter cet article que j'aurais soin d'insérer dans mon testament.
Je viens au fait spécial signalé par l'honorable M. Verhaegen. Il semblerait d'après les observations qui ont été faites, qu'on ne cherche pas à tirer profit de tous les produits du domaine. Je puis assurer à l'honorable membre que le principe contraire domine dans tous les actes de l'administration. Administrateurs de cette partie de la fortune publique, nous ne devons pas toujours rechercher les produits directs immédiats, mais voir l'ensemble des intérêts qui nous sont confiés. Au premier abord, ii paraît très simple et très utile de donner la permission de couper l'herbe dans la forêt de Soignes. Si on a retiré cette permission, on l'a fait non pour mieux assurer le repos des lièvres, mais pour mieux conserver la forêt, pour empêcher que la population des environs ne s'introduisît dans la forêt et n'y commît des faits de maraudage. On a voulu rendre la surveillance meilleure, plus efficace ; on n'a nullement eu pour motif un intérêt de chasse.
Ainsi cette année, la demande faite à cet égard ayant été reproduite, j'ai cru que je nuirais à la bonne surveillance de la forêt, je multiplierais les délits forestiers si je donnais cette permission. Mais comprenant que, dans la circonstance actuelle, il y avait quelque chose à faire pour les populations qui avoisinent cette forêt, j'ai pris des mesures pour leur donner du travail dans la forêt ; cela valait mieux que de leur donner la permission d'y couper de l'herbe au risque de nuire à la surveillance et de porter préjudice à la bonne exploitation de la forêt.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, quand j'ai fait à l'amendement dont il s'agit l'objection du principe que j'ai eu l'honneur de vous soumettre, je n'avais nulle intention diplomatique. Il est fâcheux pour un homme public, à ce qu'il paraît, d'avoir appartenu pendant un certain temps à la diplomatie, car on voit je ne sais quoi d'insidieux, de perfide dans la proposition la plus simple. Pourquoi donc frapper ainsi de réprobation une carrière où un homme qui se respecte peut rester aussi vrai, aussi sincère que dans toute autre carrière ? La diplomatie, messieurs, n'est pas l'apprentissage de la duplicité, de l'emploi des moyens détournés.
Il n'y a de bonne diplomatie que celle où l'on peut avouer tout ce qu’on fait.
Un membre. - Et la doctrine de Talleyrand !
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je ne discuterai pas les principes de la diplomatie à l'occasion de la loi sur la chasse, mais je dirai que, quelles que soient, à cet égard, les traditions du passé, la diplomatie belge a toujours conservé un caractère dont elle s'honore.
L'objection que j'ai faite est donc réellement une objection de principe, je vais avoir l'honneur de le démontrer par une simple observation. Ce que l'honorable membre demande à poser comme règle générale se pratique déjà en fait dans l'administration. Que veut-il, en effet ? Que le droit de chasse dans les domaines de l'Etat soit mis en adjudication publique au profit du trésor. Eh bien, ce principe qu'il veut introduire dans une loi de police de la chasse se trouve déjà posé dans le budget des voies et moyens, page 8. où je lis : « Fermage de biens-fonds, bâtiments, chasse et pêche. » II résulte de là qu'entre quelques honorables membres de chambre et le gouvernement du Roi, la seule différence qui existe, consiste dans l'application. Car le principe est reconnu, constaté ; déjà on l'applique ; dans certaines localités, les chasses sont mises en fermage. La question est de savoir si ce principe, dont l'application est très limitée dans le budget des voies et moyens, recevra une extension plus grande. Or il est impossible, sans violer tous les principes en matière de législation, d'introduire des mesures de gestion de domaines, des mesures administratives dans une loi de police. Vous examinerez au prochain budget si ce principe doit recevoir une plus grande extension, mais vous ne confondrez pas, dans une même loi, des dispositions d'un caractère tout à fait distinct.
M. le ministre des finances a reconnu la nécessité d'examiner alors, sous toutes ses faces, jusqu'à quel point on pourrait modifier l'état actuel des choses. Il vous soumettra le résultat de ses investigations, et vous jugerez si l'extension que l'on réclame aujourd'hui doit avoir lieu oui ou non.
M. de Garcia. - Je partage en principe l'opinion des honorables collègues qui veulent qu'on loue la chasse dans les forêts de l'Etat, mais je ne puis admettre la pensée émise par l'honorable M. Verhaegen, relativement à la location du droit de recueillir l'herbe, les feuilles et le bois mort ; ce serait frapper une classe de malheureux. L'honorable membre a développé cette pensée ; je la repousse parce qu'elle me paraît contraire à une classe de citoyens digne de bienveillance. En effet, on sait que ces objets sont ramassés par des indigents. Voulez-vous enrichir le trésor de quelques francs qui seront payés par des malheureux, malheureux qui souvent manquent de pain ? Une proposition semblable sera toujours repoussée par moi. Il est à la vérité des propriétaires qui, cherchant à faire argent de tout, empêchent de couper l'herbe dans les bois, d'y ramasser les feuilles et le bois mort, sans une rétribution en argent : mais il en est d'autres, et je désire que l'Etat suive l'exemple de ces derniers.
M. Verhaegen. - Si on voulait le leur donner, je ne demanderais pas qu'on le leur vendît ; je suis de votre avis.
M. de Garcia. -Vous avez proposé de mettre en location le droit de couper l'herbe et de ramasser les feuilles et le bois mort, ainsi que le droit sur la chasse. Je repousse cette idée que vous avez émise.
Je partage votre opinion quant au principe de la location de la chasse, mais en temps opportun. On ne peut pas ordonner au gouvernement d'une manière absolue de louer la chasse dans tous les domaines. Le principe est posé dans le budget ; s'il n'a pas reçu un développement suffisant, nous pourrons formuler au budget prochain des finances un amendement pour l'étendre.
M. Delehaye. - Quand une proposition est motivée de telle façon qu'on ne peut pas la combattre, on lui oppose une fin de non-recevoir. J'ai souvent remarque que quand une proposition dont ne voulait pas le gouvernement était tellement bien accueillie par la chambre qu'elle était sur le point d'être adoptée, le gouvernement cherchait a la rattacher à quelque projet de loi et présentait une motion d’ajournement autour de laquelle il espérait voir se grouper quelques voix complaisantes.
Si je voulais rechercher les lois dans lesquelles on a introduit des amendements qui ne rentraient pas directement dans l'objet de la loi, je pourrais presque citer toutes celles que nous avons faites. Vous vous rappelez notamment combien, dans la discussion de la loi des droits différentiels, le gouvernement a présenté d'amendements que nous avons combattus, parce qu'ils ne rentraient pas dans l'objet de la loi. Nos observations ont été repoussées par la raison, disait-on, que l'amendement était utile.
Ma proposition est-elle intempestive ? C'est une loi sur la chasse que nous faisons. Que signifie ma proposition ? Après la stipulation de la loi, qu'on ne chassera pas sans port d'armes, moi je dis qu'on n'acquerra le droit de chasser sur les domaines de l'Etat, que par adjudication publique ; c'est-à-dire qu'il ne sera permis de chasser sur les domaines de l'Etat qu'autant qu'on en aura acquis le droit en adjudication publique. On me dit : Ce principe est admis, mais il n'est pas appliqué partout ; il serait dangereux d'en prescrire l’application d'une manière générale et absolue. Eh bien, voulez-vous dire qu'on ne chassera plus que sur les domaines de l'Etat dont la chasse aura été mise en adjudication ? On oppose une fin de non-recevoir à ma proposition parce qu'on n'ose pas avouer les motifs réels pour lesquels on la repousse ; le gouvernement recule devant l'expression des motifs de son opposition ; si ses motifs étaient ceux qu'il allègue, il ne manquerait pas d'adopter la dernière forme tout hypothétique de mon amendement (page 504) qu'on ne chassera plus sur les domaines de l'Etat, si ce n'est en vertu d'une adjudication publique.
Si vos motifs sont sincères, vous admettrez mon amendement ; mais vous ne l'admettrez pas, parce que les motifs que vous donnez ne sont pas les motifs réels, et ne servent qu'à en masquer d'autres que vous ne pouvez pas dire.
D'un autre côté, depuis longues années, vous a dit M. le ministre des finances, on demande que la chasse soit mise en adjudication. Mais cela prouve que le gouvernement n'est pas pris au dépourvu. Vous dites que depuis longues années on demande la mise en adjudication de la chasse dans les forêts de l'Etat. Vous avez eu le temps de vous former une opinion à cet égard, vous devez être en mesure de vous expliquer et de prendre une détermination.
Peut-on dire après cela que j'aie surpris le ministère ?
N'ai-je pas dit dans la discussion générale, répondant aux honorables MM. de Brouckere et Verhaegen, que d'après moi il fallait mettre en adjudication publique la chasse dans les forêts domaniales ? Amsi j'ai mis ma proposition en avant au commencement de la semaine dernière, c'était donc pour M. le ministre des finances un devoir d'examiner la question.
M. le ministre dit qu'il l'examinera l'an prochain ; mais l'an prochain, il peut avoir un successeur qui demande aussi un délai d'une année. Ces ajournements successifs pourraient nous conduire fort loin.
Comme l'a fort bien dit l'honorable M. Rodenbach à la fin de la séance d'hier, ce projet de loi nous coûte déjà plus d'argent et plus de temps que ne mérite la matière. Je vous mets à même de regagner sinon le temps, du moins l'argent perdu, et de créer à l'Etat un revenu de plus de cent mille francs.
M. le ministre des finances a fait observer que la chasse ne se louait que 35 centimes par hectare ; cela est vrai, mais pourquoi, parce que les parcelles ne sont pas déterminées. Si chacun avait le droit sur des parcelles déterminées, la chasse pourrait se louer jusqu'à 10 francs par hectare dans le Brabant, et 3 francs par hectare en moyenne dans tout le royaume. Ne serait-ce par là un revenu assez considérable ?
Vous voyez que le gouvernement n'a invoqué aucun bon argument pour repousser ma proposition ; c'est qu'il n'y a en vérité aucune raison valable pour ne pas l'admettre.
On a dit que l'on ferait une proposition pour permettre, par exception, les chasses royales dans quelques forêts. Le motif qui détermine M. de Garcia à faire cette proposition est très honorable, je ne puis qu'y applaudir, mais j'ai des doutes sur sa constitutionnalité.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Les motifs que j'ai fait valoir pour que la chambre ajourne l'examen de cette question ne sont pas un appel fait à des voix complaisantes, mais un appel à l'intelligence des honorables membres et aux précédents de la chambre.
J'ai fait remarquer que cette question est complexe. Ce que je combats, c'est la généralité de la proposition, c'est l'impossibilité d'admettre l'exception même la plus nécessaire.
L'honorable M. Delehaye ne voit pas lui-même (qu'il me permettre de le lui dire) la portée de sa proposition. Il la traduit en ces termes : Il ne sera pas permis de chasser dans les bois de l'Etat qu'en vertu d'une adjudication. Il y a plus dans l'amendement proposé ; la chasse devra être louée dans tous les domaines de l'Etat, et il sera permis de chasser dans tous les domaines.
L'engagement que j'ai pris envers la chambre est très sérieux, et il sera fidèlement rempli. Je ferai plus : si dans l'instruction qui va s'ouvrir, je reconnais qu'on peut louer la chasse dans un plus grand nombre de forêts domaniales, je ferai procéder sans délai à cette location ; je désire, comme les honorables membres, que les forêts domaniales produisent tout ce qu'elles peuvent produire. Mais il faut tenir compte des circonstances, qui exigent que, par exception, on ne loue pas la chasse dans certains domaines C'est cette exception que je justifie devant la chambre, lors de la discussion du budget des voies et moyens.
Dès à présent, j'étends la mesure partout où je puis le faire.
J'ai accordé quelques permissions de chasser au gibier de passage dans la forêt de Soignes. Avant que cette discussion ne fût soulevée, mon intention était de ne plus accorder de permissions particulières, parce que j'ai reconnu la difficulté qu'il y a à poser une limite et les inconvénients qu'il peut y avoir à multiplier outre mesure ces permissions. J'ai l'intention de ne plus accorder de permis de chasser dans les forêts domaniales.
M. de Theux. - La proposition n'a aucun caractère d'urgence, surtout d'après la déclaration de M. le ministre des finances. On pourrait en faire une loi spéciale dont la chambre resterait saisie, et qui serait mise en discussion, s'il n'était pas fait droit aux observations de l'honorable M. Delehaye, dans la discussion du budget des voies et moyens.
M. Delehaye. - Puisqu'on n'a fait aucune objection fondée contre ma proposition, j'entre dans les idées de MM. les ministres, en la modifiant dans les termes ci-après :
« Il ne sera permis de chasser dans les domaines de l'Etat qu'en vertu d'une adjudication publique. »
Si le gouvernement n'a pas des motifs cachés autres que ceux qu'il a indiqués, il doit accueillir ma proposition dans ces termes.
S'il y a des motifs qui militent pour qu'on ne chasse pas dans un bois domanial, il n'y aura pas d'adjudication et il n'y aura pas de chasse ; il en sera de ces bois comme des domaines particuliers où le propriétaire ne veut pas que l'on chasse.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Pendant que l'honorable membre développait son amendement, j'ai fait un retour sur moi-même ; je me suis demandé, au fond de ma conscience, si je pouvais avoir un de ces motifs cachés qu'on me prête. Je déclare que je n'y ai trouvé aucun motif que je ne puisse avouer hautement.
Je ferai remarquer que la chambre a posé le principe de la location de la chasse et que ce principe a déjà reçu une première application.
J'ajouterai que mon honorable collègue a pris l'engagement de soumettre l'affaire à une nouvelle instruction, d'examiner si ce principe que vous avez posé, que le gouvernement a accueilli, peut recevoir une nouvelle extension ; il le fera avec une parfaite connaissance de cause.
M. le ministre des finances a dit à la chambre qu'avant que cette discussion ne fût soulevée dans cette assemblée, il avait refusé des permis de chasse qui lui avaient été demandés ; il avait donc admis lui-même spontanément le principe qu'on veut lui imposer.
Je pense que ces considérations suffiront pour faire exclure de la loi le principe de l'adjudication que vous avez déjà posé ailleurs, et qu'il ne convient pas de faire d'une mesure d'administration une disposition d'une loi de police sur la chasse.
M. de Mérode. - Lorsque des propriétaires louent leurs chasses, ils peuvent poser à l'exercice de ce droit certaines conditions ; si l'on ne s'y conforme pas, l'année suivante ils cessent de louer leurs chasses. Dans les forêts de l'Etat, si vous obliges le gouvernement à louer la chasse...
Plusieurs membres. - On ne l'y oblige pas.
M. de Mérode. - Alors la chasse ne sera point exercée, ou bien, s'il y a une adjudication, le gouvernement se trouvera dans le cas d'adjuger le droit de chasse à un individu qui ne se sera rendu adjudicataire que pour détruire le gibier.
L'objet n'est pas tellement urgent qu'il faille prendre immédiatement une décision.
M. Verhaegen. - L'amendement, tel qu'il est maintenant formulé par mon honorable ami, se réduit à ceci que le gouvernement ne pourra plus accorder à titre gratuit la permission de chasser dans les forêts nationales. Et n'est-il pas raisonnable que si le droit de chasse peut être exercé sans inconvénient, la permission de chasser ne soit pas accordée gratuitement ?
La seule objection que l'on ait fait valoir tantôt, c'est que la chasse pourrait présenter quelques inconvénients dans certaines circonstances. L'amendement, tel qu'il est maintenant formulé par mon honorable ami, écarte cette objection ; le gouvernement ne louera pas la chasse, s'il croit qu'il y a des inconvénients dans cette location.
- La discussion est close.
M. le président. - Le premier amendement à mettre aux voix est celui de M. Delehaye.
M. de Garcia. - Je demande la parole sur la position de la question. Si l'ajournement de l'honorable M. Delehaye est adopté, je me réserve de proposer une disposition en ce qui concerne les chasses du Roi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - J'ai proposé l'ajournement ; je crois que cette proposition doit avoir la priorité.
Plusieurs membres. - L'ajournement à quand ?
M. le ministre des finances (M. Malou). - Jusqu'au prochain budget.
M. Delfosse. - Je ferai remarquer que l'ajournement à la prochaine session, équivaut à un rejet. Lors même que la proposition de notre honorable collègue serait rejetée aujourd'hui, rien n'empêcherait qu'il la reproduisît à la prochaine session.
M. Verhaegen. - Ce que vient de dire mon honorable ami est complétement exact ; l'ajournement équivaut à un rejet.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Le règlement porte que l'ajournement doit être proposé à un temps déterminé. En proposant de rattacher cette question au prochain budget des voies et moyens, nous sommes donc dans les termes du règlement. Nous discuterons alors la questions car j'accepte la discussion, lorsque l'instruction sera complète.
M. Delfosse.- Il est bon que l'on sache quel sens il faut attacher à l'ajournement ; il équivaut à un rejet.
M. le président. - L'ajournement étant proposé, je dois le mettre aux voix. (L'appel nominal !)
- La proposition d'ajournement est mise aux voix par appel nominal.
62 membres répondent à l’appel nominal.
27 voient pour l'ajournement.
34 votent contre.
M. Orban s'abstient.
En conséquence, l'ajournement n'est pas adopté.
Ont voté pour l'ajournement : MM. de Garcia de la Vega, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Muelenaere, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d'Hoffschmidt, Dumont, Fallon, Henot, Huveners, Kervyn, Lejeune, Malou, Mast de Vries, Simons, Van Cutsem, Verwilghen, Wallaert, Zoude, d'Anethan et de Corswarem.
Ont voté contre l'ajournement : MM. de Foere, de Haerne, Delehaye, Delfosse, de Man d'Attenrode, de Meester, de Roo, de Tornaco, Dubus (Bernard), Eloy de Burdinne, Fleussu, Jonet, Lange, Lesoinne, Loos, Lys, Orts, Osy, Pirson, Rodenbach, Rogier, Savart, Thyrion, Vanden Eynde, Vandensteen, Verhaegen, Vilain XIIII, Anspach, Biebuyck, Cans, Castiau, Clep, de Bonne et de Chimay.
M. le président. - Le membre qui s'est abstenu est invité à faire connaître les motifs de son abstention.
(page 505) M. Orban. - Messieurs, je crois qu'il est convenable d'adjuger la chasse dans les forêts domaniales, et je regrette de ne pas avoir pu obtenir la parole pour appuyer cette manière de voir ; mais je crois, d'un autre côté, qu'une disposition à cet égard ne doit pas se trouver dans la loi que nous discutons.
- L'amendement de M. Delehaye est mis aux voix par appel nominal.
62 membres répondent à l'appel nominal.
39 votent l'adoption.
32 votent le rejet.
1 (M. Orban) s'abstient.
Ont voté l'adoption : MM. de Foere, de Haerne, Delehaye, Delfosse, de Man d'Attenrode, de Meester, de Roo, de Terbecq, de Tornaco, Dubus (Bernard), Eloy de Burdinne, Fleussu, Henot, Huveners, Jonet, Kervyn, Lange, Lesoinne, Loos, Lys, Mast de Vries, Orts, Osy, Pirson, Rodenbach, Rogier, Savart, Thyrion, Vanden Eynde, Vandensteen, Verhaegen, Vilain XIIII, Anspach, Biebuyck, Cans, Castiau, Clep, de Bonne, de Chimay et Van Cutsem.
Ont voté le rejet : MM. de Garcia de la Vega, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Muelenaere, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Theux, de Villegas, d'Hoffschmidt, Dumont, Fallon, Lejeune, Malou, Simons, Verwilghen, Wallaert, Zoude, d'Anethan et de Corswarem.
M. le président. - M. Orban est invité à faire connaître les motifs de son abstention.
M. Orban. - Je me suis abstenu par les motifs que je viens de donner.
M. de Garcia. - Messieurs, dans le peu de mots que j'ai dits, j'ai annoncé le désir de présenter un amendement. Comme la matière est grave et que je tiens à ce que cet amendement soit rédigé d'une manière convenable, je me réserve de le présenter demain.
M. le président. - M. Verhaegen persiste-t-il dans son amendement ?
M. Verhaegen. - M. le président, il faut qu'il n'y ait de surprise pour personne. L'amendement de l'honorable M. Delehaye étant adopté, le mien devient sans objet. Mais comme on se réserve de revenir au second vote sur l'amendement adopté, je me réserve de renouveler ma proposition, si l'étal actuel des choses n'était pas maintenu. (Oui ! oui !)
M. le président. - C'est entendu.
- La séance est levée à 4 heures et demie.