(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 191) M. Huveners fait l'appel nominal à midi et quart.
M. Albéric Dubus lit le procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.
M. Huveners présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« L'administration communale de Lambusart prie la chambre de s'occuper le plus tôt possible du projet de loi qui fixe les limites entre les communes de Moignelée et de Lambusart. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi.
« Le sieur Saremont, ancien douanier pensionné, demande une augmentation de pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants de Nivelles demandent la réforme postale basée sur la taxe uniforme de dix centimes. »
« Même demande de plusieurs habitants de Verviers et de Jodoigne. »
- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
M. le ministre de la guerre (M. Dupont). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de présenter à la chambre un projet de loi relatif au mode d'avancement dans le service de santé militaire.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet de loi et de l'exposé des motifs, et renvoie l'examen aux sections.
M. le ministre de la guerre (M. Dupont). - Messieurs, il a été question hier, à la chambre, de l'adjudication des toiles nécessaires au service de l'armée. Je crois devoir donner quelques explications à cet égard.
Messieurs, ces toiles ont été fournies, pendant quelques années, exclusivement par les prisons. En présence de la situation souffrante de l'industrie linière, j'ai cru qu'il ne fallait pas seulement songer au bien-être des prisonniers, mais qu'il fallait encore et surtout songer au bien-être d'ouvriers qui forment une partie notable de notre population. Dès l'année dernière, je me suis entendu, à ce sujet, avec M. le ministre de la justice, et il a été convenu que je continuerais à demander à son département une partie de la fourniture des toiles nécessaires à l'armée, et que, pour le reste, j'aurais recours aux adjudications publiques.
L'article qui a paru dans un journal, il y a quelques jours, ne rapporte pas d'une manière exacte les conditions de l'adjudication. D'après cet article, il semblerait que dans le cahier des charges on ait stipulé que les toiles seraient fournies par tel ou tel marche à l'exclusion de tel ou tel autre marché. Rien de cela n'existe dans le cahier des charges. Je vais le prouver à la chambre par la lecture de ce document.
De toutes parts. - C'est inutile.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, je regrette que l'honorable député de Tournay qui m'a adressé hier, en mon absence, une interpellation sur la réorganisation de l'Académie des sciences et belles-lettres, ne soit pas présent pour entendre les explications que je vais donner à la chambre, en conséquence de cette motion. Comme je dois ces explications, non pas à un membre seulement, mais à la chambre elle-même, je crois ne pas devoir attendre que l'honorable député de Tournay soit présent, pour faire connaître le mode de procéder que le gouvernement a suivi dans cette affaire.
D'abord, chacun sait que l'Académie des sciences et belles-lettres de Bruxelles a été organisée et réorganisée par des arrêtés royaux ; que, depuis la première organisation, plusieurs arrêtés royaux sont venus modifier ceux qui avaient été pris antérieurement ; que, malgré la présentation d'un projet de loi qui date de 1833, l'Académie et le gouvernement ont senti la nécessité d'introduire, dans l'organisation de ce corps, des changements rendus nécessaires par le progrès des sciences et des lettres. En conséquence, l'académie elle-même nomma, dans son sein, une commission chargée de proposer un projet de règlement; ce règlement, après avoir été soumis au gouvernement et avoir obtenu sa sanction, devait servir de base à la réorganisation de l'académie.
Le projet dont il s'agit porte la date du 2 décembre 1843. Il avait pour but non seulement de réorganiser l'Académie mais aussi d'étendre ses attributions. La pièce est ainsi intitulée : « Projet de règlement pour l'extension à donner à l'académie royale des sciences et belles-lettres de Belgique. » Or, c'est précisément cette pièce, émanée de l'Académie, que j'ai prise pour base des arrêtés royaux qui ont paru dans le Moniteur. Tous les principes posés par la commission de l'Académie, ont été incorporés dans les arrêtés que j'ai soumis à la signature du Roi.
La commission à laquelle je viens de faire allusion, était composée de MM. le baron de Stassart, directeur; de Gerlache, vice-directeur ; le chanoine de Ram, Grandgagnage, Plateau, Quetelet et Wesmael.
Quoique muni du projet de règlement qui m'a servi en quelque sorte de guide pour la réorganisation da l'Académie, je ne me suis pas contenté de cette espèce de lettre morte; j'ai voulu que l'Académie elle-même, représentée par ses autorités constituées, eût connaissance du projet de réorganisation, et qu'elles y participassent par leurs conseils et leurs lumières. Pendant huit jours, MM. le baron de Stassart, de Gerlache, le chanoine de Ram et Quetelet ont examiné et discuté avec moi chacune des dispositions qui se trouvent dans les arrêtés royaux de réorganisation, et je suis autorisé, par ces messieurs, à déclarer à la chambre que les projets ont eu non seulement leur assentiment, mais encore leur active participation.
On a soulevé la question de savoir si la réorganisation de l'Académie par arrêté royal ne constitue pas une illégalité. J'ai déjà eu l'honneur de faire observer à la chambre que l'Académie n'existe qu'en vertu d'arrêtés; que les modifications apportées successivement à sa première organisation, l'ont été de la même manière. J'avais, du reste, en faveur de cette doctrine, un précédent récent, c'est-à-dire, l'organisation de l'Académie de médecine qui a eu lieu par arrêté royal, alors même que la chambre n'avait pas voté d'allocation spéciale. Ici, au contraire, une allocation est votée, depuis plusieurs années, dans le budget, en faveur de l'Académie des sciences et belles-lettres, et je m'empresse de l'annoncer à la chambre : la légère augmentation qui vous est demandée cette année au budget de l'intérieur, a été proposée, non pas en vue du règlement nouveau, mais à la demande de l'Académie et de l'honorable député de Tournay lui-même, avant qu'on songeât à la réorganisation.
Les autres mesures qui ont été prises par le gouvernement, pour donner à l'Académie plus d'extension, et, j'ose le dire, plus de nationalité dans ses travaux, n'exigeront pas des sacrifices pécuniaires nouveaux.
Je pense, messieurs, que la chambre sera satisfaite de ces explications et qu'elle ne verra pas dans le règlement, émané du Roi, une infraction aux principes.
Un règlement sur une branche quelconque n'enlève pas aux membres de la chambre le droit de présenter et de faire discuter un projet de loi sur la même matière. Nulle atteinte n'est portée à l'initiative qui appartient à chaque membre de la chambre, et s'il était dans l'intention d'un représentant de déposer un projet de loi pour réorganiser l'Académie des sciences et des belles-lettres, la chambre examinerait alors si la nécessité de cette mesure est bien reconnue, en présence des faits anciens et des faits nouveaux.
Et, à cette occasion, que la chambre me permette d'exprimer ici mon opinion personnelle.
Rien, à mon avis, n'étant plus mobile que le progrès des lettres et des sciences, il y aurait danger de régulariser et d'immobiliser, en quelque sorte, par une loi, ce qui est essentiellement variable de sa nature. Si le projet de loi qui a été présenté en 1835, et qui depuis est tombé dans un oubli complet, avait reçu votre sanction, je suis convaincu, messieurs, que l'Académie, elle-même, eût pris plusieurs fois l'initiative, pour en demander le changement.
J'espère que ces explications satisferont la chambre. J'exprime de nouveau le regret que l'honorable député de Tournay ne soit pas présent. Toutefois, comme ce n'est pas à un membre de la chambre, mais à la chambre tout entière que je devais ces explications, j'ai cru ne pas devoir attendre la reprise de la discussion du projet de loi sur les entrepôts de commerce, pour faire connaître à la chambre la part que l'Académie elle-même a prise à sa réorganisation, et pour lui donner l'assurance que les autorités constitutives de ce corps savant ont donné leur sanction et ont pris une part active à l'adoption des mesures dont il s'agit.
Un de mes collègues me fait une observation qui est fort juste ; c'est que hier l'honorable député de Tournay a constamment exprimé l'avis qu'il fallait une loi pour la réorganisation de l'Académie; mais il est sur ce point en désaccord avec les commissions dont il a signé les proposition». Il peut (et je crois que les choses se sont passées ainsi) avoir, avec quelques-uns de ses collègues, maintenu, malgré cette signature, son opinion première. Mais la nécessite d'une réorganisation de l'Académie, par arrêté royal, n'en a pas moins été reconnue, et par le gouvernement, et par les honorables, membres de ce corps savant, dont l'autorité a été invoquée.
M. le président. - La parole est à M. Mercier.
M. Mercier. - Messieurs, un honorable préopinant, dans la séance précédente, prenant sans doute ses désirs pour la réalité, a présenté le projet de loi comme rencontrant peu d'adhérents. Cette assertion est tout à fait inexacte. Dans cette chambre même, le nombre des orateurs qui ont pris la parole en faveur du projet est tout au moins égal à celui des orateurs qui l'ont combattu. D'un autre côté, l'honorable membre a-t-il oublié (page 192) l'adhésion presque unanime donnée par les chambres de commerce à ce projet, adhésion qui a été très prononcée chez plusieurs de ces corps?
Et cette approbation n'émane pas seulement des chambres de commerce des villes que le projet de loi pourrait intéresser plus particulièrement, telles qu'Ostende et Anvers; elle est tout aussi complète de la part des chambres de commerce des principales villes industrielles, telles que Charleroy, Mons, Verviers et Liège. Et puisque le rapport de celle de Liège n'était pas arrivé au ministère au moment de la présentation du projet de loi, qu'il me soit permis d'en citer quelques passages. Voici comment s'exprime cette chambre :
« M. le gouverneur,
« Reprenant l'étude trop longtemps, mais forcément, interrompue de l'avant-projet de loi sur les entrepôts, nous sommes heureux de constater que les dispositions contre lesquelles nous aurions dû réclamer ont été presque toutes modifiées dans le projet dernièrement présenté à la chambre des représentants, de manière à prévenir toute critique, même de la part des esprits les plus exigeants, du moins quant à son ensemble et à ses parties essentielles.
« Il nous paraît inutile de nous étendre sur le mérite de l'établissement des entrepôts francs dont M. le ministre des finances propose de doter le pays. A moins de se laisser aveugler par un intérêt provincial et local bien étroit, il est impossible de ne pas accueillir très favorablement cette heureuse innovation qui, jusqu'à un certain point, convertira en ports libres les deux villes de la Belgique qui, par leur situation touchant à la mer, sont destinées à devenir d'immenses magasins européens. Leur envier les avantages particuliers auxquels, seules, elles peuvent légitimement prétendre, grâce à la position exceptionnelle que leur ont faite la nature et le chemin de fer, ce serait, nous paraît-il, peu généreux et encore moins raisonnable. Considérant les diverses provinces qui composent le royaume comme un tout homogène et indivisible, nous nous garderons de taxer de privilège injuste une disposition législative plus spécialement favorable à l'une ou à plusieurs d'entre elles, sans nuire d'une manière directe à la nôtre. »
Tel a été le langage de la chambre de commerce de Liège, ville essentiellement industrielle. Si l'industrie pouvait souffrir de l'institution dont on propose la création, les représentants naturels de l'industrie ne viendraient pas l'appuyer avec autant de force et d'unanimité.
La chambre de commerce de Verviers a émis la même opinion. J'ai peine à comprendre la prétention de l'honorable député de Verviers, qui a voulu concilier son opinion avec celle de la chambre de commerce de cette ville ; en effet, ce corps approuve le projet, qui a pour but unique de donner de l'extension aux facilités qui existent en vertu de la législation actuelle.
L'honorable M. Lys, au contraire, est venu critiquer le régime en vigueur qu'il trouve déjà trop libéral, et cependant il prétend être d'accord avec la chambre de commerce de Verviers.
Cette chambre composée d'hommes bien compétents consent à l'extension des facilités que donne la législation existante ; son adhésion n'aurait pas de sens si elle devait être entendue autrement. L'honorable M. Lys, au contraire, critique avec amertume des mesures qu'il semble attribuer au projet de loi, mais qui sont consacrées par notre législation, qui certes est parfaitement connue des chambres de commerce du pays.
Au reste, l'honorable membre n'est pas le seul qui se soit trompé dans l'appréciation du projet de loi qui nous occupe; la plupart des observations présentée par plusieurs autres honorables membres portent plutôt sur le régime actuel que sur le projet de loi qui vous est présenté.
Pour que ce projet ne soit pas exposé à être repoussé pour des causes qui lui sont entièrement étrangères, j'ai pensé qu'il ne serait pas inutile de rappeler en peu de mots quel est notre régime de transit et d'entrepôt.
Je m'occuperai d'abord du transit. Le transit, tel qu'il était organisé sous la législation des Pays-Bas, n'était pas lui-même très onéreux en général; cependant quelques droits étaient assez élevés; la Belgique constituée en Etat indépendant comprit qu'il était de son intérêt de chercher à se développer; la loi du 6 juin 1836 a réduit considérablement les droits de transit; la loi du 18 juin 1842 a autorisé le gouvernement à apporter lui-même des modifications au régime du transit.
En vertu des pouvoirs dont il a été investi par cette loi deux fois prorogée, il prit différents arrêtés pour modifier les droits et les formalités ; celui du 23 septembre 1843 supprime les droits de transit pour les marchandises qui sont transportées par le chemin de fer; d'autres arrêtés du 29 août 1842, du 26 décembre 1844 et du 5 juin 1845 dispensent des formalités de déclaration et de vérification à la frontière, quand les marchandises sont importées par le chemin de fer.
Ainsi, messieurs, sous le régime en vigueur, les droits de transit sont supprimés ; la déclaration en détail n'est plus exigée, il n'est plus opéré de vérification à l'entrée à l'égard des marchandises importées par le chemin de fer, transitant directement ou dirigées sur entrepôt. J'ai cependant entendu dans la discussion repousser ces dispositions, comme si elles faisaient l'objet de la loi qui vous est soumise ; on a paru ignorer leur existence et l'on s'est ainsi abstenu de reconnaître que jusqu'à présent elles n'ont donné lieu à aucun abus, à aucun inconvénient.
M. Manilius. - Les facilités sont accordées pour le transit et non pour la consommation. Aujourd'hui la législation ne permet pas l'entrée sans vérification pour la consommation.
M. Mercier. - Nous ne proposons pas non plus l'entrée pour la consommation sans vérification, mais toute marchandise destinée à la consommation peut être dirigée sur un entrepôt de l'intérieur où s’opère la vérification ; ce sont des objections ainsi présentées sans que la portée du projet ait été bien appréciée, qui seraient de nature à nuire à son adoption ; car dans ma conviction, il ne pourrait être écarté que par un malentendu.
Je le répète donc, aujourd'hui les marchandises entreposées peuvent être déclarées en consommation; le projet de loi ne contient aucune extension sous ce rapport.
J'espère, messieurs, avoir donné des explications suffisantes sur tout ce qui concerne le transit direct ou indirect; je vais passer maintenant à ce qui est relatif au régime des entrepôts, dont je viens de dire quelques mots à la suite d'une interruption.
Sous l'empire de la loi du 26 août 1822, toutes les marchandises soit brutes, soit manufacturées, similaires ou non des produits de notre industrie, peuvent être déposées dans nos entrepôts; elles peuvent en être retirées soit pour la consommation, soit pour l'exportation.
Une modification a été apportée à cette loi, par celle du 31 mars 1828, qui crée des entrepôts de libre réexportation et permet d'accorder de pareils établissements aux principales villes maritimes jouissant d'un entrepôt public, pourvu qu'elles fournissent les locaux nécessaires et satisfassent aux conditions voulues.
L'honorable M. de La Coste a expliqué que cette loi avait un caractère plus général que celle que nous discutons en ce moment. Quelques-unes des principales villes maritimes ont demandé à jouir de la faculté de libre réexportation. Elle a été accordée à Gand, à Ostende, à Bruges et à Anvers. Dans ces entrepôts, les marchandises peuvent être déballées, triées et assorties. Nous ne demandons pas autre chose dans le projet qui vous est soumis, nous ne demandons que ce qui existe en vertu de la loi de 1828. Cependant, beaucoup d'honorables membres ont présenté ces mesures comme autant d'innovations dangereuses, proposées par le projet de loi soumis à vos délibérations et s'alarment sur la ruine de l'industrie qui, selon eux, doit en être la conséquence.
Je prie la chambre de bien se pénétrer de l'état de choses que je viens l'exposer; il serait vraiment déplorable que la loi fût repoussée, par la seule raison que la législation existante n'aurait pas été suffisamment appréciée.
Du reste, messieurs, les faveurs spéciales accordées aux entrepôts de libre réexportation n'ont donné lieu à aucun abus; elles n'ont soulevé aucune plainte fondée de la part des industriels belges.
Vous comprendrez maintenant, messieurs, que les observations, faites dans la séance d'hier par les honorables MM. Lys et Dumortier s'appliquent exclusivement au régime actuel.
L'honorable député de Tournay craint l'établissement de magasins de déballage; ces magasins ne seront pas d'une autre nature que ceux qui existent ou peuvent exister en vertu de la loi de 1828; il craint que les produits étrangers ne prennent la place de ceux de nos manufactures dans les exportations qui seront faites de nos ports ; mais, depuis longtemps, nos entrepôts sont ouverts aux marchandises étrangères, sans exception. La concurrence dont on a parlé existe, et il ne s'en présentera pas d'autre par suite de la loi qui vous est soumise. Je ne vois donc pas comment l'argumentation de l'honorable membre militerait contre l'adoption du projet de loi. Il y a plus, ce projet renferme une restriction à la facilité de déballer et de déclarer en consommation, puisqu'à l'avenir on ne pourra plus déclarer en consommation moins de 50 kilog. de tissus. Cette limite ne se trouve pas dans la loi de 1828. C'est donc une amélioration à ce qui existe actuellement, du moins aux yeux de ceux qui voient dans l'institution des entrepôts un danger pour l'industrie indigène.
Précisons maintenant quelle est la différence essentielle entre le régime proposé et celui qui est en vigueur. Comme aujourd'hui, tous les fabricats étrangers introduits par mer ou par le chemin de fer pourront être dirigés sur les entrepôts, sans déclaration en détail et sans visite préalable à la frontière ; mais la situation reste donc la même à l'entrée sur le territoire belge et en cours de transport jusqu'au moment de l'arrivée au lieu de l'entrepôt franc; ici seulement commence la distinction. Ces marchandises pourront, en vertu de la nouvelle loi, être immédiatement entreposées, sans être l'objet d'une déclaration, ni d'une vérification ; mais on conçoit que si la fraude ne s'est pratiquée ni à l'importation, ni en cours de transport, ce ne sera pas à son passage dans l'enceinte de l'entrepôt qu'elle pourra se perpétrer; toute la question est donc de savoir s'il est possible de surveiller les entrepôts francs, de manière à prévenir les abus. Je n'hésite pas à déclarer qu'il sera infiniment plus facile d'empêcher la fraude autour de l'entrepôt franc qu'à la frontière, c'est-à-dire de surveiller un seul point qu'une grande étendue de territoire; l'administration pourra, sur ce point, concentrer des forces suffisantes pour parer à toute éventualité, y organiser un service sévère qui ne permette aucune sortie d'entrepôt sans qu'elle soit découverte. L'Escaut et les canaux qui conduisent à Gand et à Bruges, seront l'objet d'une surveillance toute spéciale; aucun navire n'entrera dans l'entrepôt sans avoir été convoyé par des agents des douanes depuis l'extrême frontière.
Cette mesure qui pourrait paraître suffisante ne sera pas la seule, car il y aura sur l'Escaut de petits bâtiments constamment en croisière pour observer les arrivages par mer ; et le long des canaux de Terneuzen et d'Ostende à Bruges, des brigades ambulantes seront organisées. La déclaration générale se fera, du reste, comme précédemment, ainsi que je l'ai déjà fait observé; ce n'est qu'au lieu de l'entrepôt que la déclaration détaillée se fait actuellement; le navire passant, sans s'arrêter, dans l'entrepôt, la fraude n'aura aucune nouvelle chance. Il suffit que l'entrepôt lui-même soit suffisamment garanti. Je ferai d'ailleurs remarquer que si l'administration soupçonnait le moins du monde la fraude, elle a le droit d'exiger une vérification détaillée ; et soyez persuadé qu'au moyen de toutes les précautions qui seront prises, toute tentative serait bientôt découverte.
(page 193) Sur le moindre soupçon, elle peut, en vertu des articles 29 et 33 du projet qui se trouve sous vos yeux, procéder à une vérification détaillée.
Avec toutes ces garanties, les entrepôts francs ne présentent aucun danger.
Je suis persuadé, au contraire, qu'ils auront pour effet de diminuer la fraude qui se fait par les frontières ; la fraude en effet se pratique parfois pour éviter des retards ou des formalités désagréables. Les marchandises pouvant désormais arriver à l'entrepôt franc, sans être exposées à ces inconvénients, un appui de moins lui reste offert; elle trouvera donc moins d'intérêt à s'organiser.
Ainsi les entrepôts, loin de nuire à l'industrie, lui seront favorables en réduisant la fraude et en fournissant, comme je l'ai déjà fait remarquer dans une autre séance, des occasions d'exportation qui ne s'offrent pas aujourd'hui.
Je suis heureux d'être d'accord, dans cette appréciation, avec la presque unanimité des chambres de commerce et d'industrie du pays.
En terminant mes observations, j'ajouterai que si la Belgique n'adopte pas le système proposé, d'autres nations ne manqueront pas de s'en emparer ; ainsi au lieu d'être les premiers à nous créer un grand marché par ce moyen, nous marcherons à la remorque d'autres peuples.
Je suis convamcu que la France et les Pays-Bas ne tarderont pas à former de pareils établissements. En nous laissant devancer, nous perdrons donc tous les avantages de l'initiative et nous rencontrerons une concurrence de plus en plus difficile à soutenir.
M. Dumortier. - Je n'ai pas reçu de billet de convocation par l'effet d'une erreur.Je pensais donc que la séance était, comme ces jours derniers, fixée à une heure. Il est une heure et j'arrive. J'apprends que M. le ministre de l'intérieur a donné des explications sur la motion que j'ai faite hier. D'après ce qui m'a été rapporté, les faits, tels qu'ils ont été présentés par l'honorable M. Van de Weyer, seraient inexacts. Comme il a cherché à me mettre en contradiction avec moi-même, je demande à pouvoir répondre.
M. le président. - Il n'est pas dans les usages de la chambre d'interrompre une discussion d'un projet de loi, pour reprendre la discussion d'une motion d'ordre. Cependant, si l'honorable membre insiste, je consulterai la chambre.
M. Dumortier. - Je n'insiste pas, M. le président, votre observation est très juste. Mais on m'a dit que M. le ministre de l'intérieur aurait avancé que, dans une commission de l'Académie, j'aurais émis une opinion contraire à celle que j'ai émise dans cette enceinte.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - J'ai dit que vous étiez de la minorité.
M. Dumortier. - Monsieur, vous n'avez pas expliqué les faits. Quand ils seront expliqués, vous serez fort surpris d'apprendre que les choses se sont passées tout autrement que vous ne l'avez dit. C'est précisément le contraire.
Pour le moment, je n'insiste pas. Je me réserve, à une prochaine séance d'interpeller de nouveau M. le ministre de l'intérieur. J'ai du reste, en main, toutes les pièces de cette affaire.
M. le président. - La discussion continue sur l'article 13 du projet de loi relatif aux entrepôts de commerce. La parole est à M. Loos.
M. Loos. - Je compte parler pour l'article, de même que l'honorable M. Mercier qui vient de parler. Ne conviendrait-il pas de donner plutôt la parole à un orateur inscrit contre ? (Adhésion.)
M. le président. - Soit. La parole est à M. de Saegher.
M. de Saegher. - M. le ministre nous a dit, hier, que nous sanctionnerions une idée contraire aux intérêts du pays si nous établissions des entraves au commerce sans une évidente nécessité, et alors qu'on pourrait donner à l'industrie toutes les garanties, toute la sécurité dont elle a besoin.
Mais c'est précisément ce qu'il s'agit d'examiner; c'est la question à laquelle M. le ministre n'a pas donné jusqu'ici une solution satisfaisante à l'appui de son système.
Le but que le gouvernement se propose, c'est d'utiliser les avantages de notre position topographique , pour faire de notre pays un vaste marché où viennent s'opérer les échanges des autres peuples.
Pour parvenir à ce but, il veut créer des entrepôts francs dans lesquels les autres peuples puissent venir opérer leurs échanges : où les uns (comme le dit l'exposé des motifs) envoient leurs matières premières pour prendre en retour des objets manufacturés belges ou étrangers, où les autres transportent les produits de leur industrie pour les échanger contre des matières premières.
Cette énonciation générale du but que l'on veut atteindre, fait déjà connaître suffisamment combien nous devons user de prudence, afin que les échanges d'objets manufacturés d'autres pays, opérés au sein même de la Belgique, ne puissent nuire à l'industrie belge.
Voyons donc en quoi consiste le nouveau système qu'on veut introduire.
Le nouveau projet consacre l'affranchissement de presque toutes les formalités, actuellement requises à l'entrée et à la sortie. Il établit une entière liberté de manipulation dans les entrepôts. Ce sont les termes mêmes de l'exposé des motifs de la loi.
Vous le voyez : on veut introduire un système extrêmement large. C'est ainsi que l'article 13 du projet dispose que les marchandises seront arrimées avec soin, et classées séparément. Voilà la seule condition à laquelle seront assujetties les marchandises à l'entrée des entrepôts francs.
L'article 28 supprime des déclarations en détail, prévues par la loi de 1822 ; de sorte que les marchandises entreront dans le royaume sans être déclarées en détail, sans qu'elles puissent être vérifiées.
En un mot, toutes les formalités de douane sont abolies. L'article 33 abolit également toutes les formalités de douane, à l'exception de la déclaration en général.
J'ai cru devoir vous rappeler ces dispositions du projet, parce qu'on a soutenu constamment que ce nouveau projet ne change presque rien à l'état actuel des choses, et, quant à moi, je crains qu'une partie de cette chambre n'ait été induite en erreur par ces allégations continuelles qui ne sont pas exactes.
Du reste, nous reviendrons sur ce point.
Ces dispositions nouvelles, l’abandon de toutes ces formalités de déclaration et de vérification ne doivent-elles pas faire craindre d'abord que les entrepôts ne facilitent la fraude, ensuite qu'ils ne deviennent des bazars, où l'on établira une concurrence avec l'industrie indigène ?
C'est cette double crainte qui a fait admettre par la section centrale l'amendement maintenant en discussion. Mais cette crainte est-elle fondée? Voilà toute la question que nous avons à examiner.
Examinons d'abord le premier point : voyons s'il est vrai qu'au moyen des dispositions nouvelles dont il s'agit, la fraude recevra un nouvel aliment, pourra être augmentée d'une manière ou d'une autre.
Nous persistons à croire que l'abolition de toute déclaration tendant à faire connaître aux employés chargés de la surveillance, la nature, la quantité, le poids ou la mesure des marchandises, que l'abolition du droit qu'ont les employés, sous la législation actuelle, de vérifier les marchandises, doivent nécessairement fournir un nouvel aliment à la fraude, parce qu'il en résultera que la surveillance sera incontestablement difficile.
A cet égard, on a fait des objections. On a dit : la difficulté de réprimer la contrebande naît surtout de l'étendue de la frontière.
Cette partie du territoire étranger, qui touche immédiatement la frontière, doit être considérée en quelque sorte comme un vaste entrepôt. Centralisez les importations sur un seul point ; la fraude et surtout la fraude par cachettes deviendra presque impossible.
Voilà, si je ne me trompe, le principal argument, tel qu'il a été présenté. Mais ce vaste entrepôt dont on parle existera-t-il moins qu'auparavant, après l'établissement des entrepôts francs ? L'usage des fraudes par cachettes sera-t-il moindre après l'établissement des entrepôts? Il me semble qu'à cet égard il n'y aura pas le moindre changement, que par conséquent on ne peut pas tirer un argument solide des assertions qu'on a faites à cet égard.
Ainsi, messieurs, la fraude pourra s'opérer comme elle s'opère aujourd'hui, mais vous aurez en outre la surveillance des entrepôts francs, et ce sera un nouvel aliment à la fraude ; car cette surveillance pourra être mise en défaut par mille moyens ingénieux qui sont bien mieux connus des fraudeurs que de l'administration elle-même; et ces moyens ingénieux pourront être facilement mis en usage, puisque vous voulez soustraire la connaissance de l'existence des marchandises mêmes, de leur importance et de leur nature, à vos propres employés chargés d'exercer la surveillance. Je vous le demande, messieurs, est-il possible de soutenir que la surveillance ne sera pas plus difficile pour des employés qui ne connaissent pas ce qu'ils doivent surveiller, que pour des employés qui connaîtraient en quoi consistent les marchandises qu'ils doivent surveiller?
D'ailleurs, messieurs, si les déclarations de détails, si les vérifications sont inutiles, comme on veut bien le dire, pourquoi dans la loi de 1822 a-t-on pris tant de soin pour prescrire dans un grand nombre d'articles toutes ces formalités? N'est-il pas évident que si toutes ces formalités n'avaient pas été jugées nécessaires pour empêcher la fraude, on ne serait pas entré dans des détails aussi minutieux? Le régime hollandais connaissait-il peut-être moins que nous ne le connaissons, ce qui était nécessaire en matière de douane? Son expérience ne valait-elle pas la nôtre? Et cependant jamais il ne s'est avisé de vouloir supprimer des formalités aussi essentielles que celles qu'on veut supprimer aujourd'hui.
Messieurs, on a senti la force de ces raisonnements et, pour préconiser le système que l'on désire introduire, on est allé très loin. L'honorable M. Osy est venu vous dire qu’aujourd'hui on ne prenait pas assez de précautions contre la fraude. Si vous ne créez pas l'entrepôt franc, vous a-t-il dit, le gouvernement n'aura pas des garanties suffisantes contre la fraude.
Quoi, messieurs, ce serait dans l'intérêt de la répression de la fraude que l'on viendrait nous présenter ce projet de loi, et il serait vrai que, s'il n'était pas accepté, le gouvernement n'aurait pas toutes les garanties nécessaires pour empêcher la fraude! Messieurs, qu'on nous explique au moins en quoi, de quelle manière le gouvernement aura plus de sécurité quant à la répression de la fraude qu'il n'en a sous la loi actuelle. Quant à moi, je serais curieux d'apprendre comment par la suppression des déclarations des détails, par la suppression de toute surveillance, on pourrait avoir plus de garantie contre la fraude qu'on n'en a sous le régime de la loi de 1822.
Venons-en, messieurs, au second point que nous nous proposons d'examiner, celui de savoir si, par l'adoption du projet de loi qui vous est soumis, il ne pourra pas s'établir une concurrence réelle entre les marchandises manufacturées étrangères et les marchandises manufacturées belges.
Nous pensons encore, messieurs, que les facilités exorbitantes accordées au commerce et à l'industrie étrangère par le projet de loi établiront une concurrence désastreuse pour l'industrie belge. En effet, messieurs, l'industrie étrangère pourra venir déposer au sein du pays, sans être astreinte à aucune formalité gênante, sans avoir, remarquez-le bien, à supporter aucun des frais considérables qu'elle supporte aujourd'hui, des quantités de produits similaires aux nôtres. Nos détaillants auront donc toutes les facilités désirables pour aller faire leurs choix dans les entrepôts francs. Or, ces facilités seules, notamment pour les marchandises de mode et de (page 194) fantaisie, établiront, nous n'en doutons pas, une concurrence redoutable. Car vous le savez, messieurs, pour les marchandises de mode et les tissus imprimés ou teints, ce ne sont pas quelques centimes de plus ou de moins par aune qui arrêteront les consommateurs, pourvu qu'ils puissent faire leurs choix et satisfaire à leurs fantaisies. Cela est vrai surtout pour les articles qui figurent dans le tarif sous le nom de rubanerie , de tissus, toile en étoffes et notamment de tissus imprimés ou teints.
Et ici, messieurs, il nous importe de relever un aveu fait par l'honorable M. Mercier. « Aujourd'hui, nous dit-il, nous importons des produits similaires sans connaître exactement le goût des consommateurs belges. Il en résulte que le débit de ces produits ne s'opère pas entièrement aux conditions ordinaires, et que dès lors il faut en vendre une partie à vil prix au grand détriment de nos industriels ; tandis que si le projet de loi est adopté, au lieu de laisser subsister cette concurrence désastreuse, on pourra exporter des marchandises étrangères qui ne conviendraient pas complétement au consommateur belge. »
Mais, messieurs, c'est précisément cette circonstance avouée qui sauve en partie jusqu'ici l'industrie du pays. Aujourd'hui en effet on importe des produits similaires sans connaître le goût des consommateurs. Il en résulte que la concurrence est moins forte; il en résulte, par cela même, qu'une grande partie de ces marchandises ne peuvent convenir au goût des consommateurs, et qu'ainsi il y a beaucoup plus de chance pour les produits belges de se placer. Avec la loi nouvelle, messieurs, les étrangers qui importeront des marchandises ne connaîtront pas mieux qu'auparavant les goûts des consommateurs belges; mais les détaillants pourront aller et iront choisir à l'entrepôt franc les produits similaires réclamés par la fantaisie des consommateurs. C'est ce qui ne peut se faire aujourd'hui, et c'est ce qui établira la concurrence.
Mais, dites-vous, c'est la vente à vil prix des marchandises dont le débit ne s'opère pas aux conditions ordinaires qui fait concurrence aux produits indigènes. Mais qui vous dit que cette concurrence n'existera pas sous la loi que vous proposez, comme auparavant? Je sais bien que l'honorable M. Mercier nous a dit que si le projet est adopté, au lieu de laisser subsister cette concurrence désastreuse, on pourra exporter les marchandises étrangères qui ne conviendront pas complétement aux consommateurs belges.
Mais où est la garantie qu'il en sera ainsi? Où est la garantie que ces marchandises que l'on aura importées, et dont la vente ne sera pas facile, ne seront pas aussi jetées à vil prix sur le marché inférieur et seront livrées à l'exportation? Voilà ce qu'on ne nous a pas encore dit.
On a senti, messieurs qu'il était difficile de répondre à ces vérités, qui se répètent tous les jours dans nos grandes villes industrielles. Aussi on a voulu nous donner le change. On a dit qu'on avait vu un grand danger dans les entrepôts francs, mais que les produits de l'industrie étrangère ne viendraient pas nous faire concurrence dans nos entrepôts, que les marchandises qui viendraient d'Allemagne en entrepôt franc seraient destinées aux colonies, que les produits anglais qui nous arriveraient seraient destinés à la consommation du Zollverein; qu'ainsi nous n'avions rien à craindre.
« Avant les arrêtés pris en vertu de la loi de 1842, continue l'honorable M. Osy, les produits en transit devaient être déballés aux frontières d'Allemagne et aux ports de mer; ces marchandises souffraient considérablement. Aujourd'hui, ces marchandises sont convoyées de l'Escaut à la frontière d'Allemagne, et vice versa pour celles qui viennent d'Allemagne et de France. C'est la conversion en loi de ces arrêtés qu'on vous propose. »
Ainsi, encore une fois, au dire de certains membres, ce ne sont pas des dispositions importantes nouvelles qu'on vient nous présenter; ce sont tout simplement les arrêtés existants que l'on vient convertir en loi. Mais, messieurs, est-ce bien sérieusement que l'on vient employer de semblables arguments? Est-ce bien sérieusement que l'on vient dire que les marchandises étrangères ne font que passer dans le port d'Anvers? N'est-il pas vrai, au contraire, que ces marchandises entreposées seront en très grande partie déclarées en consommation ? Dès lors, messieurs, ainsi que l'a très bien expliqué l'honorable M. de Haerne, dès lors il est évident que ces marchandises doivent nous faire une concurrence très redoutable sur le marché intérieur.
Comprenant, messieurs, le fondement de nos appréhensions, on s'est efforcé d'atténuer la portée de la loi : « La loi, est-on venu dire, n'ajoute rien au régime actuel; on propose de modifier certaines formalités, mais ce n'est que le côté accessoire de la loi. » C'est ce qu'est venu dire l'honorable M. Rogier, c'est ce qu'est venu dire l'honorable M. Veydt, c'est ce qu'est venu dire l'honorable M. Osy, tous représentants d'Anvers; c'est ce qu'est venu dire l'honorable M. Mercier, l'auteur de la loi lui-même. Mais, messieurs, avez-vous donc oublié ce que vous avez écrit vous-mêmes sur la portée de ce projet? Voici, messieurs, ce que nous trouvons à la page 5 de l'exposé des motifs :
« Les entrepôts francs, dont nous proposons la création, sont institués dans des proportions beaucoup plus larges : non seulement le nouveau système consacre l'exemption des droits, ce qui importe peu dans un pays où le transit est presque toujours libre, mais il introduit, en outre, l'affranchissement de presque toutes les formalités actuellement requises à l'entrée et à la sortie, et il permet une entière liberté de manipulation dans l'enceinte. Informés des avantages qu'il présente, les capitaines, les affréteurs des navires de toutes les nations sauront que, sans être soumis aux déclarations détaillées, aux vérifications, à toutes les autres formalités de douanes souvent si gênantes, ils trouveront en Belgique des bassins et de vastes locaux destinés au déchargement, à l'emmagasinage de leurs marchandises, et que celles-ci seront mises en sûreté, sans être exposées à toutes les lenteurs inhérentes aux formalités douanières, sans donner lieu aux frais considérables qui en sont parfois la conséquence. Le commerce étranger saura qu'en Belgique il trouvera un grand centre d'approvisionnement de toute nature, où il pourra sans délai, sans entrave et en jouissant de facilites inconnues, même dans les pays de provenance, prendre des cargaisons complètes des produits des diverses nations, ou s'approvisionner des nôtres. »
Et aux observations qui se trouvent jointes à l'article 28 du projet de loi, on dit encore :
« Pour ne citer que les plus importantes de ces formalités, nous rappellerons que, sous la législation actuelle, il faut d'abord une déclaration en gros, ensuite une déclaration en détail; ces deux déclarations doivent coïncider entre elles; les différences constatées sur les premières donnent lieu à des pénalités; celles reconnues sur les secondes entraînent d'autres pénalités encore; les déclarations nécessitent des vérifications longues et coûteuses; ces vérifications et la délivrance des documents de douanes occasionnent une perte de temps parfois considérable et des dépenses de chargement et de rechargement impossibles à éviter. Les expéditions concernant l'entrepôt franc seront affranchies de toutes ces entraves. »
Ainsi, messieurs, vous supprimez toutes les garanties des déclarations de détail et des vérifications; vous effacez d'un trait de plume toutes les garanties accordées à l'industrie belge contre la concurrence étrangère ; vous expliquez vous-mêmes les conséquences graves de ces innovations, et ce ne serait là que l'accessoire de la loi! Sans doute, messieurs, que personne ne pourra le croire.
« L'entrepôt franc, nous a dit M. le ministre des finances, dans la pensée de ceux qui l'ont conçu, ne doit pas être un bazar. » L'honorable j M. Mercier paraissait partager cette manière de voir, mais il prévoyait cependant lui-même qu'un entrepôt franc pouvait devenir un bazar, et il indiquait déjà quelques dispositions par lesquelles il tâchait de remédier à ce mal.
« Les déclarations en détail, dit M. le ministre, ni la vérification ne sont pas nécessaires pour que l’entrepôt ne devienne pas un bazar. » Mais, messieurs, où sont les garanties que nous donne à cet égard M. le ministre? Jusqu'ici on ne nous a indiqué aucune mesure suffisante pour empêcher que les entrepôts francs deviennent dès bazars.
Les vérifications, dit-on, ne sont pas nécessaires. Mais quelles sont les mesures que l'on propose pour les rendre inutiles? L'honorable ministre des finances est venu nous proposer, en effet, comme une mesure propre à obvier à tout le mal que nous craignons, un amendement qui établit un minimum de 50 kilog. Mais il est de toute évidence, messieurs, que cet amendement ne remédie pas au mal : ce minimum de 50 kilog. n'empêchera pas la concurrence entre l'industrie belge et l'industrie étrangère chez les détaillants; ce ne serait pas même un minimum de 100 kilog. qui pourrait empêcher cette concurrence, car lorsque nous parlons des détaillants, nous ne parlons pas sans doute de simples petits boutiquiers, nous parlons de commerçants qui peuvent approvisionner leurs magasins, et sans doute un minimum de 50 ou de 100 kilog. ne détruira pas les transactions qui s'établiraient pour les marchandises étrangères. A cet égard, messieurs, je dirai que je ne partage pas les craintes que l'honorable M. Manilius a exprimées hier : dans mon opinion, ce n'est pas cette espèce de fraude par la vente de quelques foulards que l'on doit craindre ; ce qu'il faut craindre, selon moi, c'est la concurrence réelle établie entre les manufacturiers étrangers et les fabricants indigènes, vis-à-vis des détaillants du pays.
L'honorable M. Mercier vient de vous dire, messieurs, dans la séance de ce jour, que si nous n'établissons pas nous-mêmes, que si nous ne nous empressons pas d'établir les entrepôts francs, nous serons dépassés par les autres peuples et que nous n'aurons pas l'honneur de l'initiative. Mais, messieurs, où serait le mal? Après les dangers qui ont été signalés pour l'industrie, quel inconvénient y aurait-il à laisser faire les premiers essais par les autres peuples du continent ! Je crois que c'est là précisément ce que nous devons désirer, car personne dans cette enceinte ne pourra sans doute dissiper les justes craintes, les craintes profondes que nous devons avoir relativement à la position de l'industrie belge.
D'après ces considérations, messieurs, et à moins que je n'obtienne des explications plus satisfaisantes, je me prononcerai contre le principe même des entrepôts francs; subsidiairement je voterai pour l'amendement de la section centrale parce qu'il restreint les facilités que la loi nouvelle donnera au commerce étranger pour faire une concurrence désastreuse à l'industrie nationale. Sans doute, messieurs, nous devons protéger le haut commerce, mais nous n'irons au-delà de ce qui a été fait jusqu'ici que lorsqu'il nous sera démontré que l'on donne en même temps à notre industrie toutes les garanties, toute la sécurité dont elle a besoin et auxquelles elle a droit.
M. le ministre des finances (M. Malou). - La chambre sera frappée sans doute du caractère que présente cette discussion : Le projet est combattu dans son principe, par des considérations qui tendent à prouver qu'il faut abroger la législation actuelle. Voilà en deux mots toute l'opposition que rencontre le projet. C'est le procès fait au système des entrepôts tel qu'il existe en Belgique depuis 1822.
M. Dumortier. - On n'en demande pas l'abrogation.
M. le ministre des finances (M. Malou). - On n'en demande pas législativement l'abrogation, mais on la demande implicitement, et j'aimerais mieux me trouver en présence d'une proposition tendant à faire abroger formellement la législation actuelle, que de me trouver en présence d'arguments qui impliquent cette conséquence et qui ne mettent pas la chambre (page 195) en demeure de la sanctionner par un vote formel. Si l'on se trouvait ainsi, par la discussion, amené à examiner ce qu'il faut faire pour le commerce, je ne doute pas que la législation existante tout entière ne fût facilement justifiée dans son principe et qu'elle ne fût plus facilement encore justifiée dans ses résultats.
« Le projet, dit l'honorable préopinant, supprime des droits, abolit des formalités de douane à l'entrée et à la sortie. » Messieurs, ces observations de l'honorable membre reposent entièrement sur des erreurs de fait. Voici comment les choses se passent actuellement et comment elles se passeront si les entrepôts francs sont établis.
Un navire étranger doit arriver à Anvers ; à Lillo il rencontre le premier bureau ; il fait une déclaration générale; il est convoyé; il arrive à Anvers ; il fait une déclaration en détail, lorsque déjà il est reçu dans les bassins. Qu'arrivera-t-il si les entrepôts francs sont établis?
Le navire fera à Lillo sa déclaration en gros; il sera convoyé et, de plus, messieurs, on organisera alors un service spécial sur l'Escaut, service qui n'existe pas aujourd'hui; on renforcera les moyens de surveillance entre le premier bureau d'entrée et le bureau d'Anvers. Il en sera de même, naturellement, pour les autres entrepôts francs. Des facilités nouvelles supposent des garanties nouvelles pour le trésor et elles ne manqueront pas.
Le navire dont je parle, après l'établissement du système des entrepôts francs, arrive à Anvers, et, au lieu de faire sa déclaration en détail, après être entré dans le bassin, il entre dans une enceinte dont l'administration garde la porte et dont elle ne laisse rien sortir qu'avec toutes les garanties requises pour le trésor. En d'autres termes, tout le système des entrepôts repose sur une fiction d'après laquelle le territoire de l'entrepôt est, à certains égards, considéré comme territoire étranger. Cette fiction, quant aux entrepôts francs, nous la poussons à ses dernières catégories ; nous faisons entrer ce navire dans l'enceinte, sans qu'il soit considéré comme étant en Belgique; mais la Belgique est à la porte de cette enceinte ; lorsqu'il s'agit d'en sortir, pour entrer dans la consommation, on y rencontre d'une manière insurmontable toutes les barrières qui sont insuffisantes à la frontière, et qui ici offrent des garanties beaucoup plus fortes.
Il y aurait donc entre le système nouveau et le système actuel cette différence, pour les mises en consommation, que les formalités que d'honorables membres croyaient supprimées, seraient ajournées; elles devraient être remplies, lorsqu'on sortirait de l'entrepôt franc pour entrer dans la consommation ou dans un autre système tel que celui des entrepôts publics.
C'est donc une grave erreur de croire qu'il s'agisse de supprimer les formalités de douane; ces formalités seulement s'ajournent jusqu'à ce qu'on arrive réellement en contact avec les intérêts belges.
Supposons quelque chose de plus. Ce même navire, après être entré ainsi dans l'entrepôt franc, après avoir déchargé sa cargaison, prend une cargaison nouvelle dans l'entrepôt; cette cargaison est pour l'exportation. Qu'arrive-t-il ? La douane convoie de nouveau ce navire, elle le surveille jusqu'à ce qu'il soit sur le territoire étranger. Peut-on vouloir, dans une législation, quelle qu'elle soit, que de pareilles exportations soient impossibles? Toute la question, quant au commerce dont je viens de décrire une des opérations, ne se réduit-elle pas à savoir si, dans les précautions que l'administration prendra, il y a des garanties suffisantes pour les intérêts du trésor et pour ceux de l'industrie.
J'ai décrit, peut-être un peu minutieusement, cette opération, parce qu'elle vous démontre par le fait même qu'il n'y aura pas de danger réel pour l'industrie belge.
L'avantage que présentent les entrepôts francs, est immense pour le commerce et pour l'industrie. Que la chambre me permette de revenir encore un peu sur ce point qu'on considère avec raison comme capital.
Comment les relations de notre industrie avec les contrées lointaines peuvent-elles se faire ? Ou bien, l'industriel belge a des relations établies dans les contrées lointaines; ou bien ce sont ces contrées lointaines qui viennent chercher l'industriel belge ; ou bien, il y a des intermédiaires dans le pays.
Il faut bien le dire, messieurs, notre industrie, en général, n'est pas organisée de manière à pouvoir elle-même établir ces relations directes avec les contrées lointaines. Il est, malheureusement, peu d'industries, en Belgique, qui puissent le faire. Prenons, par exemple, l'industrie linière. La manière même dont cette industrie est organisée, rend presque impossibles ces relations venant de l'industriel belge, pour aller provoquer le placement des produits belges en Amérique. L'on ne s'aventure pas facilement à envoyer à des maisons étrangères, inconnues, ces articles fabriqués en Belgique, et d'une valeur considérable, non seulement parce que ces relations sont difficiles par elles-mêmes, mais parce que la rentrée dans les capitaux est longtemps différée.
Croyez-vous que le deuxième mode d'exportation soit plus aisé, plus facile? Croyez-vous que le négociant de Rio-Janeiro, par exemple, viendra frapper à vos portes, pour acheter vos produits ? Ce serait fort heureux, et, je le désire vivement, mais ce serait exagérer vos espérances que de vous y attendre.
Le troisième mode, c'est le recours aux intermédiaires. Quels sont ces intermédiaires? C'est d'abord le commerçant, c'est celui qui fait le plus grand commerce et qui se trouve chez vous. Pourquoi cet intermédiaire n'a pas, jusqu'à présent, agi en Belgique avec toute l'étendue désirable ? La raison en est bien simple. Il est difficile, dangereux, peut-être, dans certaines circonstances, de prendre toute une cargaison de produits belges, pour faire une opération d'essai. C'est là une des causes qui ont, jusqu'ici, paralysé le plus fortement les exportations de nos produits.
Un fait récent a été porté à ma connaissance. En ce moment même, l'on arme pour la Chine un navire qui sera chargé de produits belges ? Comment la cargaison s'est-elle formée ? L'armateur qui obtient un encouragement du gouvernement (sans cet encouragement, je doute qu'il eût pu l'entreprendre), l'armateur a envoyé des commis voyageurs dans diverses provinces pour se procurer des produits belges.
Ce fait qui, aujourd'hui, est, en quelque sorte, une exception, qui n'est pas posé et qui peut l'être difficilement sans l'appui du gouvernement, ce fait d'achats par intermédiaires, pour des quantités qui forment un appoint considérable, tendrait à se généraliser par la force des choses. C'est là qu'est pour l'industrie belge l'effet utile, c'est là qu'est la plus grande espérance que l'on puisse fonder sur le projet de loi.
J'ai entendu une objection tout à l'heure : « On trouvera tout dans les entrepôts francs, et l'on n'achètera plus rien en Belgique. »
Messieurs, rendez-vous bien compte de la minière dont ces opérations se font; rendez-vous compte surtout d'après l'expérience, d'après les faits auxquels j'en appelle toujours, des causes qui ont empêché jusqu'ici l'exportation des produits belges. Un navire qui doit prendre son fret de retour, ne prend pas une petite pacotille; il va chercher ailleurs un chargement complet ; jusqu'à présent, il ne le prenait pas en Belgique, et c'est parce qu'il ne l'y trouvait pas, qu'il ne prenait rien. Si vous lui fournissez l'occasion, et votre loi la lui fournira, de prendre en Belgique une cargaison, par la force des choses il est impossible qu'on n'entraîne pas une plus grande quantité de produits belges vers d'autres contrées.
J'espère que si les chambres donnent leur approbation au projet de loi, ; nous n'aurons plus à signaler des faits comme ceux que je vous ai signalés hier, qu'on ne verra plus à peu près la moitié des navires fréquentant nos ports, venir nous apporter des produits étrangers et partir sur lest.
Messieurs, j'ai fait remarquer hier que l'on combinait directement la fraude par le projet proposé, et qu'on la combattait dans ce qu'elle a de plus dangereux. Ainsi, par exemple (et je veux rendre encore mon observation sensible par les faits), un navire entre aujourd'hui en Belgique; ce navire contenait des doubles fonds, des cachettes , il entre dans les bassins d'Anvers , et lorsque son chargement officiel, connu de la douane, est placé à l'entrepôt, il n'a aucune enceinte à franchir , il lui suffit de tromper la surveillance des douaniers qui se promènent le long des bassins. Ainsi, une fois en dehors de cette surveillance, des marchandises , souvent de grande valeur , relativement au poids, sont introduites dans la consommation, en ne payant pas les droits fixés par les tarifs. Or, dans l'hypothèse que je présentais tout à l'heure , le navire arrive, sous la surveillance de la douane, jusque dans l'entrepôt franc , là il dépose tout ce qu'il veut laisser en Belgique, et à sa sortie il retrouve la douane qui le convoie jusqu’au territoire étranger.
Ainsi, il est certain que cette fraude est rendue plus difficile, qu'elle est restreinte ; que le projet de loi donne une garantie nouvelle à l'industrie nationale, que les tarifs, quels qu'ils soient, seront plus sérieux, plus efficaces.
L'on se préoccupe encore de l'idée que les entrepôts francs deviendront des bazars.
Entendons-nous, messieurs; bazars du grand commerce, oui ; bazars d'objets manufacturés et de détail, non.
Bazars du grand commerce... Ici encore les intérêts industriels s'accordent parfaitement avec les intérêts commerciaux. Si vous aviez, par exemple, pour toutes les matières premières que votre industrie emploie, un grand marché en Belgique, croyez-vous que votre industrie ne s'en ressentit pas d'une manière très heureuse ?
Pour les marchandises manufacturées, j'en reviens toujours à ce point: cherchons la garantie de l'industrie, mais ne détruisons pas le principe, à moins qu'il ne soit démontré à la dernière évidence qu'il est impossible de donner à l'industrie cette garantie dont elle a besoin et à laquelle, comme je l'ai déjà dit, elle a droit.
Qu'y a-t-il de changé, quant à l'industrie? D'après l'honorable M. de Saegher, il semblerait que nos tarifs disparaissent, qu'on va introduire dans le pays toutes les marchandises manufacturées sans formalités et sans frais.
D'abord, je ne vois pas qu'on touche aux tarifs; en second lieu, les formalités ne sont pas détruites, mais l'accomplissement en est ajourné jusqu'à ce que les marchandises sortent des entrepôts pour entrer dans la consommation.
Messieurs, permettez-moi d'ajouter une idée générale. Vous aspirez à devenir un peuple industriel, et vous considérez quelquefois dans cette discussion l'intérêt de l'industrie comme séparé de celui du commerce. Mais, messieurs, est-il possible que la Belgique soit un pays industriel si elle n'est pas en même temps un pays commercial? Pouvez-vous séparer ces deux choses? Si vous ôtez à la Belgique les moyens d'approvisionnement pour cette industrie même, si vous restreignez les relations que suppose cette industrie, comment voulez-vous la développer ?
On me dit encore : Laissez faire l'essai par un autre peuple. Il ne s'agit pas ici de faire une expérience que personne n'ait tentée, il s'agit de suivre d'autres peuples dans la voie où ils sont entrés avec succès; non pas d'imiter des peuples chez lesquels l'industrie est encore dans l'enfance, mais de suivre la voie dans laquelle est entrée depuis longtemps la grande maîtresse en industrie. Car l'entrepôt franc n'est pas une création nouvelle; en Angleterre, pays industriel par excellence, on a compris cette solidarité des intérêts du commerce et des intérêts de l'industrie ; des entrepôts francs sont organisés sur les bases les plus larges, les plus libérales et jamais il n'en est résulté de lésion pour l'industrie.
(page 196) Ainsi donc, qu'il me soit permis de rétablir encore la question sur ce terrain. Développons le commerce, mais donnons à l'industrie par les moyens que j'ai indiqués ou par d'autres si on ne les trouve pas suffisants, la sécurité dont elle a besoin; mais n'arrêtons pas le commerce dans ses développements en espérant servir ainsi les intérêts de l'industrie, car ce serait les frapper tous deux du même coup.
M. Loos. - Messieurs, à la fin de la séance d'hier, j'avais demandé la parole pour rectifier un fait présenté par l'honorable M. Lys, à propos du déballage des marchandises dans les entrepôts. L'honorable membre vous a présenté ce fait comme exorbitant et mettant en péril les intérêts de l'industrie belge. Il vous a dit que les entrepôts étaient convertis en véritables bazars, que les marchandises étrangères y étaient étalées et présentées à la vente en détail aux consommateurs belges et étrangers.
Voici, messieurs, le fait, tel qu'il s'est produit dans l'entrepôt d'Anvers : La loi de 1828 permet de déballer et d'assortir la marchandise à l'entrepôt. Deux maisons avaient demandé à l'administration la faculté de pouvoir procéder à ces opérations dans l'un des magasins de l'entrepôt, où, à leurs frais et pour préserver la marchandise de la poussière, elles auraient fait établir des cloisons en bois, de manière à séparer cette partie du magasin de celle destinée au dépôt d'autres marchandises. Cette faculté leur fut accordée aux conditions du tarif existant, qui faisait monter le loyer de cette partie du magasin à un prix assez élevé, je crois de 200 à 250 fr., environ une vingtaine de pieds carrés, par trimestre. On y procéda, sous les yeux de la douane, au déballage et à l'assortiment de différentes espèces de marchandises manufacturées, pour lesquelles des rayons avaient été établis dans ce magasin. Ces marchandises y furent réemballées, puis exportées, mais aucune partie, que je sache, n'en fut vendue en détail et livrée à la consommation, quoique, d'après les dispositions de la loi de 1828, cette faculté leur fût acquise.
Eh bien, messieurs, quel préjudice ces facilités ont-elles porté à l'industrie belge? Je suis porté à croire que l'industrie n'a jamais eu à en souffrir, puisque les honorables membres appartenant aux districts manufacturiers m'ont paru ignorer même l'existence de ces facilités.
Au lieu de présenter ce fait, auquel j'avais moi-même initié l'honorable M. Lys, comme ruineux pour l'industrie belge, il aurait dû, ce me semble, démontrer que l'industrie du pays en avait éprouvé un préjudice réel, et, dans ce cas, il aurait dû conclure par demander non seulement l'exclusion des marchandises étrangères de l'entrepôt franc, mais encore la prohibition du transit par le pays. C'est à quoi l'on arrive nécessairement en s'exagérant la situation des choses. Quant aux bazars, auxquels l'honorable M. Lys a fait allusion, il faut croire que les frais de magasinage auxquels ils donnaient lieu, ont paru trop lourds aux intéressés, car au bout de quelques mois ils ont renoncé à l'emplacement qui leur avait été accordé.
On me dira peut-être que, puisque jusqu'à présent l'industrie étrangère n'a pas cru qu'il était de son intérêt d'établir des dépôts dans nos ports de mer, il ne fallait pas provoquer ces dépôts par des facilités plus grandes à l'importation.
Sur ce terrain, messieurs, je dois nécessairement rencontrer l'argumentation de l'honorable M. Manilius qui, dans une précédente séance, vous disait que, sous le gouvernement des Pays-Bas, le commerce avait prospéré pendant 14 ans sous le régime de la loi de 1816, sans se plaindre de l'absence des facilités d'entreposage qu'on réclame aujourd'hui.
La loi de 1828 doit vous prouver, messieurs, que déjà sous le gouvernement précédent ces facilités étaient appréciées et reconnues indispensables aux besoins du commerce et de la navigation, utiles au développement de l'industrie nationale ; oui, messieurs, utiles au développement de l'industrie nationale.
Qu'on ne s'imagine point qu'en proscrivant les produits de l'industrie étrangère, on forcera le commerce à composer exclusivement ses cargaisons des produits de l’industrie nationale. Non, messieurs; le commerce, comme l'industrie, opère dans la vue de réaliser des bénéfices, et si vos produits susceptibles d'une réalisation avantageuse sur les marchés étrangers, sont insuffisants pour former une cargaison, il préférera, s'il ne peut la compléter de produits étrangers, faire partir ses navires sur lest que d'entamer une opération ruineuse, ou de se soumettre à des frais considérables, en ne composant une cargaison que de quelques colis, qui auraient à supporter, dans les ports étrangers, tous les frais qui incombent a un navire chargé, et dont sont affranchis les navires sur lest.
M. le ministre des finances vous l'a dit hier, messieurs, la moitié, je dis, moi, les deux tiers des navires sortent de nos ports sur lest, Faut-il attribuer cette circonstance fâcheuse aux effets de la loi de 1828 qui permet l'entreposage et le déballage des marchandises étrangères?
Je crois, au contraire, qu'il faut en conclure que les facilités accordées par cette loi sont insuffisantes pour attirer dans nos entrepôts les produits de l'industrie étrangère, et que, ne trouvant pas à composer exclusivement des produits belges des cargaisons d'une importance suffisante pour payer les frais auxquels sont assujettis les navires chargés, on préfère partir sur lest.
Croyez-vous, messieurs, que nos toiles de la Flandre, qui s'exportent encore sur les marchés de la Havane et du Brésil, ne perdraient pas ce débouché qui lui est, du reste, si vivement disputé, si l'on ne trouvait à composer des cargaisons, pour ces parages, d'autres produits plus encombrants de l'industrie étrangère?
On vous a dit, messieurs, que les entrepôts francs seraient des espèces de bazars, où les produits de l'industrie étrangère viendraient, en quelque sorte, emprunter la nationalité belge, prendre ses couleurs, pour se placer comme produits belges sur les marchés étrangers et discréditer ainsi notre industrie.
Je n'admets pas que ce soit discréditer une industrie que de placer ses produits, et s'il était vrai que les produits étrangers fussent d'un placement plus facile sur les marchés étrangers que les produits belges, notre industrie n'aurait-elle donc rien à gagner à imiter ces produits, afin de s'emparer des débouchés qu'ils trouvent, et réaliser, comme premiers bénéfices, tous les frais de transport, de magasinage et autres, que les produits étrangers ont à supporter avant de s'embarquer dans nos ports ?
Mais, messieurs, s'il est réellement profitable à l'industrie étrangère de former des dépôts, des bazars dans nos ports de mer, pourquoi l'industrie belge n'en ferait-elle pas autant, et ne procurerait-elle pas ainsi l'occasion à nos armateurs de trouver sous la main de quoi composer leurs cargaisons ?
On nous a parlé du royaume des Pays-Bas; croyez-vous, messieurs, que les navires qui s'expédient des ports de la Hollande pour les Indes orientales ne soient chargés que de produits nationaux? C'est une erreur ; ils partiraient le plus souvent sur lest s'ils ne pouvaient prendre à leur bord des produits de l'industrie étrangère, parmi lesquels les produits belges tiennent leur place.
Que M. le ministre des finances nous mette sous les yeux les tableaux des exportations de nos ports, et vous reconnaîtrez, messieurs, que différentes expéditions qui ont pu se faire de nos produits, grâce à l'adjonction de produits étrangers, eussent été impossibles sans cette faculté.
Un navire espagnol se trouve depuis plus de deux mois en charge pour la Havane, dans les bassins d'Anvers. Je ne connais pas la cargaison qu'il est parvenu à se former, mais j'oserais garantir, qu'elle se composera de beaucoup de produits belges. D'un autre côté, je suis convaincu que si ce navire n'avait pu composer sa cargaison exclusivement que des produits de notre industrie, il aurait dù se résoudre,pour obtenir un chargement, à rester peut-être huit mois et plus, dans nos bassins. Et croit-on par hasard qu'il eût tenté cette épreuve avec la perspective d'un long chômage? Evidemment non.
L'industrie anglaise est celle qui nous fait la concurrence la plus redoutable sur les marchés des colonies. Et celle-là ne viendra emprumter ni nos entrepôts, ni nos navires pour s'y produire avec avantage, car nulle part le pavillon belge ne jouit de privilèges ou d'avantages dont ne soit favorisé le pavillon anglais.
Puisqu'en 1828 le gouvernement des Pays-Bas a senti le besoin de créer les entrepôts de libre exportation dans le but de favoriser le commerce et l'industrie, je crois qu'en 1845, aujourd'hui que notre pays se trouve relié par de nouvelles voies de communication aux pays voisins, il s'agit pour lui de soutenir la concurrence avec les ports étrangers et de ne pas abdiquer son importance commerciale au profit de Rotterdam ou de Hambourg.
Si les facilités qui doivent résulter des entrepôts francs étaient de nature à jeter de la perturbation dans quelques branches de la prospérité nationale, je consentirais volontiers à ne pas les consacrer d'une manière définitive et j'admettrais que ces facilités ne fussent concédées que provisoirement et pour un terme limité, en ce qui concerne les produits étrangers similaires des produits belges. Mais, messieurs, nous jouissons depuis 1828 des facilités qu'on redoute aujourd'hui. Nous avons donc l'expérience de 17 ans qui prouve d'une manière suffisante, que la faculté d'admettre les marchandises manufacturées dans les entrepôts de libre exportation, ne présente aucun danger.
L'entrepôt franc n'est possible qu'à cette condition, car, enfin, si vous affranchissez de la visite à l'entrée, (erratum inséré page 207) sauf le cas de suspicion de fraude, comment vous assurerez-vous qu'un navire ne contient point de marchandises manufacturées ? Si vous voulez, au contraire, exercer une visite, alors vous ne voulez point d'entrepôt franc, ni pour les marchandises manufacturées, ni pour les produits bruts.
L'honorable M. de Saegher vous a dit que dorénavant, d'après les dispositions de la loi, les marchandises manufacturées entrant dans les entrepôts, seraient affranchies de frais considérables. J'ai vainement consulté le projet de loi pour y trouver une semblable disposition. Nulle part il n'y est dit que le tarif des frais de magasinage ou autres sera diminué; il résulterait des facilités données par le projet de loi, la suppression de certaines formalités, formalités qui entraînaient des frais; ce n'est que sous ce rapport qu'il pourra y avoir quelque économie. Mais cette économie sera-t-elle assez forte pour déterminer un industriel étranger quelconque à venir créer des bazars dans vos entrepôts? Ce serait croire à l'absurde que d'y ajouter foi.
L'honorable membre vous a fait un tableau effrayant des moyens de fraude qui existeront par suite des dispositions du projet de loi. Je crois que l'honorable ministre des finances a suffisamment démontré que ce tableau était chimérique ; et pour ma part je me bornerai à dire que si des moyens de fraude existent aujourd'hui, la création des entrepôts francs doit nécessairement les faire disparaître.
(page 199) M. Delehaye. - Je conviens, messieurs, que le système qu'on propose ne diffère pas, en beaucoup de points, de celui qui nous régit aujourd'hui. Mais il ne faut pas perdre de vue qu'ayant aggravé singulièrement la situation de notre industrie dans ses relations avec l'étranger, il faut, pour être justes, tenir compte des nouvelles charges qui pèsent sur elle.
Par le traité avec l'Allemagne, vous avez appelé sur votre territoire l'industrie étrangère, dont vous avez amélioré la situation : vous payez pour elle les droits de navigation sur l'Escaut; vous construisez pour elle des entrepôts dont vous ne sauriez encore évaluer toutes les charges; enfin, vous facilitez pour elle tous les moyens de s'emparer des marchés étrangers, et, par suite, d'une partie notable de votre propre consommation. Ne fallait-il pas, dès lors, songer à donner à notre industrie quelque avantage sur ses rivales, dont vous faisiez si bien les affaires?
J'aurais voulu donner mon adhésion à la proposition de la section centrale, elle ne fait que maintenir l'état de choses actuel. D'après les concessions faites à l'Allemagne et qui ont modifié le système du transit, je voudrais qu'on interdît l'entrée en entrepôt franc des marchandises étrangères. Après avoir fait baisser le prix pour le transport de ces marchandises en transit par le chemin de fer, après avoir pris à notre charge les frais de la navigation de l'Escaut, j'aurais voulu qu'on accordât à notre industrie quelques avantages.
Je m'étonne de cette grande sollicitude qu'on montre pour le commerce, au point de vouloir supprimer toutes les formalités qui peuvent lui apporter quelque entrave. Quelle est l'industrie du pays qui est exempte d'entraves? Tous les établissements ne sont-ils pas soumis à une gêne continuelle? Les distilleries, les sucreries, les brasseries, les raffineries de sel, toutes les grandes industries ne sont-elles pas soumises à des mesures qui plus ou moins entravent leur marche? Cependant, manifestez-vous quelque sympathie pour ces industries ? Je ne demande pas cette ardeur qui semble vous dévorer ici et qui vous porte à enlever toutes les entraves quelconques qui pèsent sur le commerce, mais seulement celles de ces entraves qui sont un obstacle à leur développement, à leur perfectionnement? Vous ne faites rien pour elles; et alors que pas une seule ville n'a élevé de réclamation, vous trouvez que le commerce est trop gêné dans son allure.
Mais, dit l'honorable M. Mercier, nous avons l'adhésion générale du pays. Les chambres de commerce ont adhéré à ce système. J'ai vu l'adhésion de la chambre de commerce d'Alost qui dit qu'elle n'a pas examiné les détails du projet, mais que l'ensemble de la loi paraît fort bon. J'ai vu également l'adhésion de la chambre de commerce de Hasselt et d'autres villes qui, par leur position industrielle, ne peuvent pas apporter un grand poids dans la balance.
Mais, dit l'honorable M. Mercier, vous avez l'adhésion de la chambre de commerce de Liège. Oui, messieurs, mais sous quel rapport avez-vous l'adhésion de la chambre de commerce de Liège? Précisément sous le rapport sous lequel n'en veut pas M. le ministre des finances.
M. le ministre vous a dit hier : Croyez-vous que l'entrepôt d'Anvers deviendra un bazar où seront étalées les marchandises? Mais dans ce cas, nous n'en voudrions pas; car alors notre industrie rencontrerait une concurrence ont elle aurait à souffrir. Et que dit la chambre de commerce de Liège? Elle dit que l'entrepôt franc sera un grand bazar ouvert à toutes les exigences du pays.
Ainsi vous le voyez; d'un côté adhésion d'une chambre de commerce pour laquelle j'ai l’estime la plus profonde, d'une chambre de commerce qui a toujours su fort bien apprécier les exigences de l'industrie, qui n'a pas cessé de réclamer aussi longtemps que vous n'aviez pas accordé cette protection au moyen de laquelle les deux branches principales de l'industrie de cette province sont parvenues à un si haut degré de prospérité. En effet, c'est aux sollicitations réitérées de la chambre de commerce de Liège que l'on doit la protection que vous avez accordée à l'industrie houillère et à cette autre industrie plus importante, celle des fers.
M. Rodenbach. - Cent pour cent.
M. Delehaye. - Oui, messieurs, nous payons aujourd'hui une prime de cent pour cent en faveur de l'industrie de Liège et j'en félicite le pays. Je n'ai qu'un reproche à vous faire, c'est de ne pas avoir adopté ce système pour toutes les branches de l'industrie sans exception.
Je vous disais en commençant, messieurs, que notre position était changée. Et en effet on nous dit : Voyez ce qui se passe; les navires partent sur lest; au lieu de prendre une cargaison de marchandises, ils sont obligés de prendre du sable.
Messieurs, examinons bien la question, et tâchons de l'approfondir. Ces navires prennent du sable. Il est vrai que vous payez ce sable un florin et demi par tonneau. Mais l'industrie belge sera-t-elle plus heureuse, lorsque ces navires prendront, au lieu de sable, une cargaison de produits étrangers? Quel avantage y a-t-il pour l'industrie belge à ce qu'un vaisseau venant dans nos ports, en sorte avec une cargaison de produits étrangers qui vous coûtera un florin et demi par tonneau, plutôt qu'avec du sable? Je dirai même qu'il est plus avantageux que ce navire parte avec du sable ; car s'il ne prend pas de produits étrangers, il laissera une place sur les marches étrangers, et cette place, vous aurez la perspective de venir la combler.
Mais, dit-on, une partie de la cargaison sera formée de produits belges, et l'honorable M. Malou a cité un exemple dont je veux m'emparer à mon tour.
Un capitaine arrive de Rio avec son navire, apportant une cargaison de produits de cette contrée; il a l'ordre de retourner avec une cargaison de toiles. Que doit chercher ce capitaine? C'est de se pourvoir le plus vite possible, de prendre immédiatement sa cargaison. Mais comme il est impossible de soustraire votre législation à la connaissance des pays voisins, ceux-ci tâcheront d'en profiter. Et que feront-ils ? Ils feront ce que vous avez conseillé à l'industrie belge de faire.
Vous avez dit qu'un obstacle à nos exportations, c'est que nous n'imitions pas l'industrie étrangère; vous nous disiez d'imiter la fabrication des autres pays, d'imiter même leur mode d'emballage. Eh bien, que fera l'Allemagne, que fera l'Angleterre? Elles imiteront votre production et votre mode d'emballage en fait de toiles, et déposeront leurs produits ainsi imités dans vos entrepôts francs? Dès lors que restera-t-il à faire au capitaine de Rio qui a reçu l'ordre de prendre des toiles belges? Il se rendra à l'entrepôt, il y verra des toiles semblables aux vôtres, emballées comme les vôtres, et au lieu de parcourir le pays pour acheter de vos produits, il prendra des produits anglais ou des produits allemands.
Voilà, messieurs, le résultat auquel on arrivera par le projet que l'on veut faire voter à la chambre, par les dispositions que l'on veut introduire dans notre code commercial. Or, je vous le demande, est-ce pour obtenir de pareils résultats que nous avons fait avec l'Allemagne une convention qui nous a coûté si cher? Que de plus nous nous sommes soumis à rembourser le péage sur l'Escaut? Que nous avons, dans l'intérêt du commerce, voté la loi sur les droits différentiels? Mais telle n'a jamais pu être votre opinion! Car vous vous êtes toujours déclarés les partisans de l'industrie; vous avez toujours dit qu'il ne fallait pas accorder des faveurs au commerce sans en accorder en même temps à l'industrie. Et après avoir porté de nouveaux coups à l'industrie par votre traité avec l'Allemagne, vous voudriez lever les dernières entraves imposées au commerce ! Mais ce serait avoir deux poids et deux mesures et ne tenir aucun compte des exigences actuelles.
Je sais, messieurs, que l'honorable M. Mercier nous a menacés que, si nous ne nous hâtions pas d'adopter le système qu'on nous propose, nous serions devancés partout. Messieurs, je me rappelle très bien que chaque fois qu'on a voulu nous faire adopter un système dont nous prédisions l'inefficacité ou les effets désastreux, on a fait valoir cet argument.
Ainsi pour la navigation transatlantique, on nous disait : Hâtez-vous : les autres peuples vous devanceront. Pour la colonisation on tenait le même langage. Quant à moi, messieurs, les craintes que veut nous inspirer l'honorable M. Mercier me touchent peu. Si un peuple veut adopter le système qu'on nous propose, qu'il le fasse; nous tâcherons alors de profiter des avantages qu'il nous accorde; nous irons déposer nos produits dans ses entrepôts. Nous profilerons ainsi de la faute que les autres auront commise. (Interruption.)
Messieurs, je suis interrompu par l'honorable M. Lesoinne et je vous avoue que l'opinion de cet honorable membre exercerait sur moi une grande influence. En fait de commerce et d'industrie, je m'en rapporterais presque aveuglément à ce qu'il nous dirait. Aussi, si son interruption, au lieu de me faire perdre le fil de mes idées, avait eu pour résultat de nous éclairer, je lui en témoignerais toute ma reconnaissance, ce serait un service qu'il rendrait au pays et pour lequel il aurait bien mérité de la chambre.
Messieurs, je le déclare, ce n'est point la crainte de la fraude qui m'affecte le plus dans le projet qui nous occupe. Je conçois que l'on soutienne que la fraude deviendra en quelque sorte plus difficile par le système des entrepôts. Il peut se faire qu'au lieu d'importer des produits étrangers, de venir les mettre en entrepôt, et de les en retirer ensuite pour les faire passer en fraude dans la consommation, il serait beaucoup simple de ne pas les placer en entrepôt et de les faire passer immédiatement dans la consommation. Je veux bien abandonner ce point. Il est une considération plus grave, c'est la conviction que la fraude sera inévitable, du moment que l'on aura admis l'établissement des succursales.
Il est vrai que M. le ministre des finances nous a dit que l'on visiterait, que l'on fouillerait même tous ceux qui sortiraient des entrepôts ou des succursales.
Messieurs, je ne sais si ces visites sont bien compatibles avec les mesures que l'on veut prendre. On veut faire disparaître toutes les entraves, et en même temps on veut nous livrer à des visites même corporelles. J'aimerais mieux, messieurs, que l'on établît quelques formalités gênantes dans l'intérieur de l'entrepôt que de se livrer à des visites corporelles sur ceux qui en sortent.
M. le ministre des finances vous a aussi parlé d'un navire à double fond. Mais il me semble qu'il n'a pas tout à fait dissipé les craintes qu'on pourrait avoir à cet égard. Je commence par dire que ces craintes existent avec le régime qui nous régit aujourd'hui, tout autant qu'avec le système que l'on propose. Mais, nous a dit M. le ministre des finances, la fraude ne sera plus possible, parce que le navire à double fond sera convoyé à son entrée à l'entrepôt ainsi qu'à sa sortie.
Ainsi, messieurs, lorsqu'un navire sortira de l'entrepôt d'Anvers et se dirigera vers la mer, vous le ferez convoyer sur toute la ligne de l'Escaut, jusqu'à ce qu'il arrive sur le territoire hollandais. Mais pesez les conséquences de vos paroles : dans votre opinion, la navigation va singulièrement augmenter par l'établissement des entrepôts francs ; combien donc ne seront pas immenses les dépenses que va nécessiter voire système? Non (page 200) seulement il vous faudra rembourser le péage sur l'Escaut, qui deviendra très considérable, mais il vous faudra une augmentation très forte de personnel, qui amènera nécessairement aussi une augmentation de dépenses.
Je sais, messieurs, que dans la réalité cette augmentation de dépenses n'aura pas lieu, parce que je suis persuadé que cette institution nouvelle ne produira aucun résultat pour la Belgique, et qu'avec le temps, il sera fait justice du système des entrepôts francs, comme déjà il est fait justice du système des droits différentiels. Je ne serais pas même surpris que le gouvernement, qui pousse à l'adoption du système des entrepôts francs, ne fût le premier à en reconnaître les difficultés.
Qu'il me soit permis, messieurs, de rencontrer encore une observation de M. le ministre des finances, observation qui semble avoir fait quelque impression sur la chambre.
M. le ministre des finances vous a dit que vous n'aviez rien à craindre de l'entreposage des produits manufacturés étrangers, parce que la mode changeant souvent, ceux qui mettraient de ces articles en entrepôt, risqueraient de devoir les y laisser et de les voir s'y détériorer.
Messieurs, je sais que pour les tissus de mode nous n'avons rien à craindre, d'autant plus que ce n'est pas nous qui faisons la mode. Mais M. le ministre, par cette observation, a détourné votre attention du point principal. Il ne s'agit pas de savoir si l'on mettra en entrepôt des tissus de mode, mais si l'on y mettra des tissus de laine, des tissus de coton, etc.; ces tissus ne changent pas de mode tous les six mois. Je concevrais l'observation de M. le ministre si elle s'appliquait aux colons imprimés, mais nous parlons des cotons écrus, des toiles blanchies, des draps; c'est pour ces objets bien autrement importants que nous avons des craintes.
Un autre argument de M. le ministre des finances consiste à vous dire que l'industrie ne doit trouver de la protection que dans le tarif. Cet argument vous aura probablement étonnés. En effet, messieurs, s'il faut un tarif protecteur, il ne faut pas se dissimuler les dangers que présente un tarif trop élevé. Il en résulte souvent des représailles de la part des nations dont les produits sont frappés. Un pareil tarif provoque toujours la fraude, et de plus il est possible aux étrangers de le neutraliser en accordant des primes exportatives. C'est là ce qu'on nous a toujours opposé lorsque nous demandions une augmentation de droits d'entrée. Mais aujourd'hui on change de tactique; on veut empirer la position de l'industrie, et l'on vous dit que c'est dans le tarif qu'il faut chercher de la protection. Mais, messieurs, rien n'est plus plus avantageux que la protection résultant de mesures qui ne sauraient soulever de réclamations de la part de l'étranger, qui ne sauraient être l'objet d'aucune plainte.
Messieurs, permettez-moi d'ajouter encore un mot aux considérations que je viens de faire valoir.
Dans mon opinion ma proposition n'est qu'une concession due à l'industrie après les concessions que nous avons faites à l'Allemagne. Vous avez empiré la position de notre industrie en appelant les produits allemands à venir lutter avec elle ; par mon amendement, vous lui accorderez un dédommagement, et vous la mettrez à même de soutenir la concurrence que lui fait l'industrie étrangère, concurrence que vous avez rendue si facile par le traité que vous avez fait et par la manière dont vous interprétez la loi des droits différentiels.
(page 196) M. Rogier. - Messieurs, je rends grâce à l'honorable préopinant de la franchise qu'il apporte dans cette discussion. Il résulte de son discours qu'il ne s'agit pas pour lui d'apporter au régime des entrepôts francs certaines mesures de douane plus ou moins restrictives, mais qu'il s'agit d'exclure des entrepôts, n'importe le nom qu'on leur donne, les produits étrangers qui peuvent faire quelque concurrence aux produits belges. Voilà la pensée dans toute sa netteté, dans toute sa franchise.
Messieurs, je m'étonne de voir un pareil système encore défendu en Belgique. Je m'étonne surtout de le voir mis en avant à propos d'une loi qui a pour but d'étendre quelque peu les facilités qui ont été accordées jusqu'ici aux entrepôts que la législation consacre et dont il n'est plus possible de mettre en question l'existence.
(page 197) Si nous admettions, messieurs, les propositions qui nous sont faites; si l'opinion exprimée par l'honorable député de Gand, et qui, en définitive, est la même que celle qui a été exprimée par des députés d'autres provinces, avait quelque succès dans cette enceinte, il se trouverait qu'en voulant faire une loi en faveur des entrepôts, nous aurions fait une loi contre les entrepôts. Ces propositions nous reporteraient en arrière, et au lieu d'améliorer le système, elles l'empireraient beaucoup. Or, je ne pense pas que tel puisse être le but que s'est proposé le gouvernement dans le projet de loi qui vous est soumis.
Déjà, messieurs, ce projet de loi, par les extrêmes précautions qu'on y a mises, dénature, jusqu'à certain point, ce qu'il faut entendre par entrepôt franc. On vous démontrera qu'il est dans ce projet telle mesure qui ne peut guère se concilier avec le système des entrepôts libres ou des entrepôts francs. Si à ces dispositions que nous considérons comme trop restrictives, viennent se joindre des dispositions plus restrictives encore, au lieu d'une loi bienfaisante pour le commerce, vous aurez fait une loi contraire aux intérêts du commerce.
Messieurs, permettez-moi de dire deux mots du commerce. Chaque représentant de localité importante ou non dans cette enceinte, demande à être écouté chaque fois qu'il parle au nom de son industrie. Toutes les industries du pays ont successivement reçu par les tarifs ce qu'on peut appeler une protection complète. Ainsi, on vient de vous signaler la protection dont jouissent les houilles et les fers. Le coton, les toiles, les draps ont obtenu des lois que ces industries ont considérées comme étant très favorables, des lois plus ou moins prohibitives. Toutes les branches de l'activité belge, enfin, ont reçu successivement dans cette enceinte leur part de protection. Cette protection a-t-elle été plus ou moins féconde en bons résultats? Là n'est pas la question. Mais, en fait, les protections qu'elles ont réclamées leur ont été successivement accordées.
Le commerce, messieurs, mais, n'est-ce pas aussi une branche de l'activité belge? Le commerce n'est-il pas aussi une industrie? Dans le commerce n'engage-t-on pas des capitaux; n'occupe-t-on pas des bras? Et lorsqu'il s'agit d'une loi favorable au commerce, je voudrais bien savoir sous quelle ombre de justice on la repousserait, parce qu'elle favoriserait la branche de prospérité nationale qui s'appelle commerce. Mais le commerce, messieurs, est une industrie comme une autre ; mais les 70,000 Anversois qui vivent de cette industrie ont autant de droits à une protection que les 80,000 Gantois qui vivent de l'industrie des cotons, que les industriels d'autres parties du pays, qui vivent de l'extraction da la houille ou du fer : il faut laisser à chaque partie du pays et ses intérêts et ses destinées. Si vous accordez une protection, si vous portez une loi favorable à telle branche d'activité, il faut, pour être juste, que cette protection soit accordée à toutes les branches d'activité. Telle localité vit de la fabrication du coton, telle autre de l'extraction de la houille, telle antre de l'extraction du fer, telle autre du commerce.
Ainsi, messieurs, je crois qu'il serait temps de faire trêve à cette espèce d'antipathie peu raisonnée qu'excite souvent dans cette enceinte le mot commerce.
Si donc la loi qui nous occupe avait un intérêt purement commercial, si elle était d'un intérêt purement anversois, vous lui devriez votre protection, vos sympathies, au même titre qu'aux autres intérêts du pays.
Mais, je l'ai déjà dit, messieurs, cette loi n'est pas d'un intérêt purement local. Elle n'est pas non plus d'un intérêt purement commercial.
Elle est si peu d'un intérêt purement local, messieurs, que la ville d'Anvers, à l'heure qu'il est, est en possession de la plupart des avantages que le projet de loi a pour but de consacrer. Elle est si peu d'un intérêt local, que ces avantages vont être étendus, par son fait, à d'autres localités qui n'en jouissaient pas.
Aujourd'hui Anvers est en possession (et cette possession, vous ne pouvez la lui enlever à moins de bouleverser la législation actuelle), Anvers est en possession de l'entrepôt libre qui a même été désigné à son origine sous le nom d'entrepôt franc ou d'entrepôt général. Dans cet entrepôt toutes les marchandises étrangères peuvent être introduites; elles peuvent y être manipulées, triées, assorties, divisées en nouveaux colis et exportées.
Voilà le système dont jouit actuellement Anvers. Il s'agit, par le projet, de l'étendre à d'autres localités.
Permettez-moi, messieurs, de vous faire une observation. L'entrepôt franc, tel qu'on nous le présente, excite une sorte de frayeur chez plusieurs représentants.
C'est un réceptacle de fraude ; ce sera un moyen de concurrence fatal à l’industrie belge. Et cependant, messieurs, ce réceptacle de fraude, ce grand instrument de concurrence en faveur de l'industrie étrangère contre l'industrie belge, on se l'arrache de toutes parts. Dans le projet primitif, Anvers seul était désigné; Ostende l'était accessoirement; on ne parlait pas de Gand, on ne parlait pas de Bruges. Là-dessus grandes réclamations de la part de Gand, de la part de Bruges. On obtient chez soi ce grand réceptacle de fraude. Le gouvernement revient sur ses propres idées. Car il avait d'abord déclaré que l'entrepôt franc, pour bien remplir sa destination, devait se borner aux deux ports de mer. Mais enfin le gouvernement, par une espèce de faiblesse dont il a quelquefois fait preuve, étend l'avantage aux villes de Gand et de Bruges. Mais une fois qu'il leur est accordé, Gand et Bruges ne veulent plus de cet avantage.
Aujourd'hui, avec le système dont Anvers est en possession, et dont elle ne se laissera pas facilement déposséder, les marchandises étrangères une fois admises dans l'entrepôt, peuvent être, je le répète, manipulées, triées, assorties. D'après le système nouveau qui vous est proposé, ces avantages vont être étendus à plusieurs entrepôts libres. Ainsi l'espèce de monopole dont jouissait en fait la ville d'Anvers, sera, par exemple, étendu à l'entrepôt libre de Bruxelles ; on pourra aussi, dans ce dernier, manipuler, trier, assortir, diviser en paquets les marchandises. Louvain obtiendra peut-être les mêmes avantages ; si Termonde n'en est pas encore en possession, peut-être les lui accordera-t-on.
J'ai donc en parfaitement raison, messieurs, de dire que cette loi n'avait pas de caractère local ; qu'au point de vue local elle pouvait à certains égards présenter plus d'inconvénients que d'avantages. Mais je me hâte d'ajouter que fût-elle d'un intérêt local, fût-elle exclusivement anversoise, encore la chambre, pour être juste, pour ne pas avoir, comme on le disait tout à l'heure, deux poids et deux mesures, devrait l'accueillir favorablement.
Cette loi a-t-elle un but exclusivement commercial? Messieurs, je ne le pense pas. Dans mon opinion, une loi ne peut être bonne au point de vue commercial, sans l'être en même temps au point de vue industriel. Il m'est impossible de séparer les intérêts du commerce des intérêts de l'industrie. Je ne comprends pas plus le commerce sans l'industrie, que je ne comprends l'industrie sans le commerce. Le commerce apporte à l'industrie les matières premières dont elle a besoin; il expédie ces matières après qu'elles ont été manipulées, transformées par l'industrie. Voilà sa mission,
Eh bien ! les entrepôts francs, tels que je les comprends, doivent être aussi utiles à l'industrie du pays qu'au commerce même.
On dit qu'il ne faut pas que les entrepôts francs soient des bazars où viennent s'étaler tous les produits étrangers. Messieurs, je serai franc à mon tour, et je dis que les entrepôts francs doivent être cela, ou qu'il n'y a pas d'entrepôts francs. Je crois que dans l'entrepôt franc doivent venir s'étaler tous les produits des nations étrangères; que ces produits doivent y entrer librement et en sortir librement, non pour la consommation du pays qui est toujours acquise aux produits nationaux, mais pour l'exportation.
Voilà la destination de l'entrepôt franc : c'est un immense bazar ouvert pour l'exportation aux produits étrangers, mais j'ajoute en même temps ouvert aux produits du pays même.
Ainsi, si vous recevez dans vos entrepôts francs des produits anglais, des produits américains, des produits allemands, des produits français, qui vous empêche d'y recevoir aussi en même temps, si pas dans le même local, ce à quoi je ne verrais pas le moindre inconvénient, mais enfin dans un local parallèle, dans un local voisin, des produits belges, des échantillons de produits belges?
Aujourd'hui, messieurs, pourquoi n'exporte-t-on pas de produits belges? Mais c'est souvent parce qu'on ne les trouve pas rassemblés sur un seul point; c'est parce qu'un armateur étranger arrivant à Anvers, n'a pas sous la main le spécimen de tous les produits belges, et qu'il doit, comme on vous l'a dit, visiter les coins et recoins du pays pour y chercher des échantillons. Si à côté de l'entrepôt ou dans l'entrepôt se trouvaient des produits belges, l'armateur qui expédierait une cargaison de produits étrangers, pourrait joindre aux produits étrangers un assortiment de produits belges.
Qu'arrive-t-il aujourd'hui, messieurs, en l'absence d'un bon régime d'entrepôts francs dans le pays? C'est que nos produits sont obligés de s'exporter au moyen d'entrepôts étrangers. C'est par les entrepôts d'Angleterre que beaucoup de nos produits, nos draps, par exemple, s'écoulent vers les pays lointains. Cependant là, dans ces entrepôts, nos produits rencontrent la concurrence des produits étrangers. Ils ne craignent pas cette concurrence, ils savent la soutenir, la vaincre même dans les entrepôts étrangers ; à plus forte raison le pourront-ils dans les entrepôts francs du pays puisqu'ils auront en moins les frais qui, nécessairement, accompagnent le transport en pays étrangers.
Messieurs, j'ai beaucoup d'estime pour l'industrie belge en général, mais je crois qu'elle est susceptible de progrès; je ne pense pas que nous soyons arrivés à la dernière perfection, et la preuve, c'est que nous avons nous-mêmes une grande peur de la concurrence étrangère. Nous supposons sans doute que l'industrie étrangère l'emporte sur la nôtre, soit par le prix, soit par la qualité, soit par les relations que les négociants étrangers ont su se créer et qui nous manquent. Eh bien, messieurs, où serait le mal si, en même temps que les bazars dont on parle, serviraient de moyen d'écoulement à nos produits, ils servaient aussi un peu à notre éducation, à notre perfectionnement industriel ? Où serait le mal si nos industriels pouvaient savoir à toute heure comment les industriels étrangers s'y prennent pour pouvoir exporter leurs produits; s'ils pouvaient chaque jour connaître leur secret ou leur méthode soit en ce qui concerne la qualité, soit en ce qui concerne les prix, soit en ce qui concerne le pliage, l'emballage, etc.?
Voilà, messieurs, pour ma part, comment j'entends les entrepôts francs, et voilà comment ils finiraient par s'organiser même avec la législation actuelle libéralement comprise. Si vous ne voulez pas d'entrepôts libres, si vous voulez exclure de vos entrepôts les marchandises étrangères , alors , messieurs, il faut rayer de votre législation le mot « entrepôt » : non seulement il faut repousser le projet de loi, mais il faut supprimer le système d'entrepôts qui existe en vertu de la législation actuelle. Il faut de plus révoquer la loi du transit; il faut enlever au gouvernement la faculté que vous lui avez donnée de procurer au commerce, en ce qui concerne les transports par le chemin de fer, toutes les facilités compatibles avec les intérêts du trésor et de l'industrie. Cette faculté que vous avez donnée au gouvernement, il en a usé largement, il en use encore tous les jours; un pas de plus dans cette voie et le gouvernement aurait complétement affranchi l'entrepôt de certaines formalités qui le gênent encore.
Ainsi, messieurs, il faudrait revenir sur tout ce passé un peu libéral et se replacer dans un système qui nous reporterait en arrière, qui nous mettrait sur la même ligue que les peuples les moins avancés en civilisation.
Et, messieurs, quand vous auriez supprimé les entrepôts, quand vous (page 198) auriez supprimé le transit, qu'auriez-vous gagné? Empêcherez-vous la Hollande, l'Allemagne, l'Angleterre, d'avoir leurs entrepôts ? Empêcherez-vous la Hollande, l'Allemagne et la France d'avoir leur transit? Mais ce qui ne sera pas entreposé chez vous sera entreposé en Hollande, en Allemagne, en Angleterre; ce qui ne passera pas par chez vous, passera par la Hollande, par l'Allemagne et par la France. En serez-vous plus avancés? Vous aurez ruiné le commerce, vous aurez coupé certaines branches commerciales dans leur racine, mais pour cela vous ne vous serez pas mis à l'abri de la concurrence étrangère.
Quand vous aurez empêché les marchandises étrangères de venir se réunir dans un local hermétiquement fermé, rigoureusement surveillé, vous n'aurez pas empêché les marchandises étrangères d'entrer dans le pays. Loin de là, car il vous restera toujours vos 200 lieues de frontières à surveiller, et tant que vous n'aurez pas fermé et emmuraillé le pays comme vous pouvez fermer et emmurailler un entrepôt, vous ne serez pas à l'abri de la fraude.
Les entrepôts sont même un grand progrès contre la fraude : quand vous parvenez à réunir sur un seul point la plupart des marchandises étrangères destinées à traverser le pays; quand vous exercez sur ce point un contrôle de tous les moments ; quand ce point est entouré de murs, fermé de portes, surveillé dans tous les sens par des douaniers, c'est alors que vous rendez la fraude beaucoup plus difficile ; et quand vous n'aurez point ces entrepôts où les marchandises étrangères viennent se soumettre à la surveillance la plus rigoureuse, les étrangers ne seront plus empêchés d'importer en fraude leurs produits dans notre pays par nos deux cents lieues de frontière.
Ainsi, supprimer les entrepôts francs ce n'est pas supprimer la fraude; c'est la déplacer et c'est rendre la surveillance beaucoup plus difficile.
Maintenant, sous le rapport de la consommation intérieure, qu'est-ce que l'industrie aurait à gagner à la suppression des entrepôts francs ? Est-ce que la marchandise sortant des entrepôts francs va entrer dans la consommation sans payer les droits? Pas du tout; quand la marchandise étrangère sort d'un entrepôt franc pour entrer dans la consommation elle acquitte les droits. Ces droits sont-ils trop faibles, demandez-en l'augmentation; nous ne voulons pas des entrepôts francs pour favoriser l'introduction en Belgique des marchandises étrangères ; nous les voulons, au contraire, pour favoriser l'exportation des produits indigènes accompagnés de produits étrangers qui en complètent les assortiments et en facilitent la vente. Quant à la consommation intérieure, nous respectons entièrement les droits acquis de l'industrie nationale; nous ne voulons pas modifier les tarifs, au contraire, nous rendons l'introduction des produits étrangers beaucoup plus difficile, attendu que nous l'entourons d'une surveillance toute particulière.
Messieurs, mes observations s'appliquent moins à l'amendement qui nous est proposé qu'à l'esprit général qui semble avoir dicté cet amendement. Mais cet amendement lui-même est en contradiction flagrante avec les dispositions existantes, et je suis quelque peu surpris de voir de quelle source il est parti.
Je pense que l'amendement restrictif proposé par la section centrale a pour auteur l'honorable M. Desmaisières. Eh bien, cet honorable membre, alors qu'il occupait les hautes fonctions remplies aujourd'hui par l'honorable M. Malou, semblait envisager les choses d'un point de vue moins restrictif. Les arrêtes qu'il a signés sont formellement opposés au système nouveau qu'il s'agit d'introduire. Les arrêtés qu'il a signés en vertu des pleins pouvoirs que la chambre a accordés au gouvernement quant aux modifications à apporter à la loi du transit, ces arrêtés exemptent les marchandises des formalités qu'il s'agirait de leur imposer aujourd'hui.
Un membre. - Pour le transit.
M. Rogier. - Pour le transit, mais la question est absolument la même. Les marchandises importées en transit sont dirigées vers les entrepôts ou vers les pays étrangers. Il est impossible de séparer les entrepôts du transit. Quelle distinction veut-on faire à cet égard?
Eh bien, messieurs, aujourd'hui, en vertu des arrêtés existants, les marchandises qui entrent dans le pays par le chemin de fer, soit pour le transit, soit en destination des entrepôts, sont exemptes à l'entrée de toute espèce de formalité.
On les prend à la frontière prussienne lorsqu'elles se présentent; on ne recherche point ce qu'elles sont, on demande seulement où elles vont ; on les accompagne ou jusqu'à la frontière ou jusqu'à l'entrepôt, et elles sont exemptes de toute autre déclaration. (Interruption.) On exige une lettre de voiture, mais cette lettre de voiture serait également exigée dans le système que nous appuyons.
Ainsi on ne craint pas de permettre à la marchandise étrangère de traverser sans formalité le pays dans sa plus grande longueur, depuis la frontière de Prusse jusqu'à l'entrepôt d'Ostende ou jusqu'à la mer.
Voilà, messieurs, ce qui existe aujourd'hui. Les ministres qui ont pris des dispositions, à cet égard, depuis 1842, ont successivement reconnu que ces dispositions n'altéraient en rien le système de la législation actuelle, et qu'elles ne donnaient lieu à aucune espèce d'inconvénient. Voilà les termes dans lesquels se sont successivement expliqués les ministres qui sont venus tour à tour demander à la chambre le renouvellement des pleins pouvoirs qui ont été donnés au gouvernement pour modifier la loi du transit. Je ne regrette qu'une chose, c'est que MM. les ministres donnant une légère extension à leurs pleins pouvoirs, ne les aient pas étendus aux entrepôts. Je suis convaincu que s'ils avaient pu faire cette épreuve, toutes les craintes que l'on manifeste aujourd'hui seraient beaucoup calmées.
Quelques membres s'exagérant les conséquences des dispositions relatives aux entrepôts, il faut qu'ils sachent bien que la marchandise qui se trouve dans les entrepôts du pays, n'est pas pour cela dans le pays, que quand elle doit passer dans la consommation, elle rencontre la douane, elle rencontre les tarifs, et qu'elle doit payer tout aussi bien pour entrer par l'entrepôt que pour entrer par toute autre frontière. Si l'essai avait été fait, on aurait vu que, par le système des entrepôts, tel qu'il est établi dans le projet de loi, la fraude aurait été rendue beaucoup plus difficile qu'elle ne l'est aujourd'hui. On aurait peut-être vu aussi qu'en attirant dans les entrepôts francs un plus grand concours de marchandises étrangères, on créait un nouveau moyen d'exportation pour nos propres produits. On aurait vu que la présence des produits étrangers dans les entrepôts ne nuirait en rien à la consommation des produits nationaux dans le pays.
En résumé, le projet de loi n'apporte pas de grandes améliorations à l'état actuel des choses; il étend, au contraire, à certaines villes des avantages dont Anvers était seul, pour ainsi dire, en possession. Cependant il améliore un peu ce qui est, et sous ce point de vue, il doit être accepté par tous ceux qui, dans cette chambre, comptent pour quelque chose le grand intérêt du commerce, alors surtout que cet intérêt peut être satisfait, sans que l'industrie ait à en souffrir. Je voterai pour le projet de loi.
- La chambre remet à lundi, à deux heures, la suite de la discussion.
La séance est levée à 3 heures et demie.