(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 1308) (Présidence de M. Liedts)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure. La séance est ouverte.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier; la rédaction en est approuvée.
M. de Renesse fait connaître l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le conseil communal de Liége demande le rejet des propositions de loi sur les céréales.
« Même demande des habitants de Herve et de Flémalle-Grande. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen de ces propositions.
« Plusieurs habitants de la commune de Heer se prononcent en faveur de la proposition de loi sur les céréales, présentée par 21 membres. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de diverses communes du canton de Perwez demandent qu’il soit stipulé dans l’acte de concession du chemin de fer entre Jemeppe et Louvain, qu’il sera établi une grande station au point dit : la Lessière, sous Walhain-St-Paul-Sart lez-Walhain. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La veuve Feye, brasseur, à Hodimont, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir la restitution des droit d’accises qu’elle a payés en trop sur ses fabrications des années 1841 à 1843. »
M. David – Messieurs, la veuve Feye réclame la restitution du droit d’accise qu’elle a payé indûment sur la fabrication de sa bière de 1841 à 1843. Il y a eu plusieurs procès intentés pour le même objet, pour obtenir une restitution semblable. Ces procès ont été gagnés contre le département des finances qui, par suite, a restitué les droits perçus indûment. La veuve Feye ne s’est pas trouvée alors parmi les plaignants ; elle demande l’intervention de la chambre pour obtenir la restitution à laquelle elle a droit en vertu de la chose jugée à propos d’autres réclamants. Je crois qu’il était inutile de réclamer l’intervention de la chambre ; la réclamante, ne pouvant pas être traitée autrement que les autres brasseurs par le gouvernement, doit recevoir le remboursement de ce qu’elle a payé en trop. Cette considération me fait demander le renvoi pur et simple au ministre des finances afin qu’il y fasse droit.
M. le président – C’est contraire au règlement.
M. David – Puisque M. le président y trouve un obstacle, je demande que la commission soit invitée à faire un très-prompt rapport sur la pétition de la veuve Feye, qui ne demande qu’une chose très-juste.
- Le renvoi à la commission des pétitions avec invitation de faire un très-prompt rapport, est mis aux voix et prononcé.
« Par message, en date du 9 avril, le sénat informe la chambre qu’il a pris en considération 23 demandes de naturalisation ordinaire, et qu’il a rejeté les demandes en naturalisation ordinaire faites par les sieurs Mongenet et Huyaux. »
- Pris pour notification.
« Il est fait hommage à la chambre, par M. Jobard, directeur du Musée de l’Industrie, de 100 exemplaires d’une brochure « Sur les modèles, dessins et tissus de fabrique. »
- Ces exemplaires seront distribués à MM. les membres de la chambre.
« M. de Renesse retenu chez lui par une indisposition, informe la chambre qu’il ne peut assister à la séance. »
- Pris pour information.
M. Rogier – Le rôle des défenseurs de l’armée est devenu plus facile, leurs luttes semblent avoir porté ses fruits. La chambre, en majorité, reconnaît aujourd’hui la nécessité d’une armée capable de protéger et de défendre efficacement cette neutralité sincère, loyale et forte, base de notre existence politique en Europe.
A quelles causes attribuer cette situation nouvelle des esprits ? j’en veux signaler trois. D’abord l’attitude d’une grande partie de l’opposition. Elle a fait violence à de légitimes défiances ; elle a soutenu le gouvernement, et son exemple n’a pu rester sans influence sur les dispositions de la majorité. La presse, la presse de l’opposition, a joué un rôle, non moins utile. Si des idées plus favorables à l’armée tendent à prévaloir, son action n’y est pas étrangère, et l’on se rappellera notamment les travaux remarquables d’un recueil dont la direction appartient à l’un de nos honorables collègues. Enfin, il est une troisième cause à ce revirement d’opinion, et ce ne fut pas la moins influente.
La conduite du général de Liem, mort vaillamment sur la brèche en défendant l’armée, sa noble persévérance et sa retraite honorable ont produit une vive impression. Ce n’était point le caprice d’un esprit aventureux ; ce n’était point l’effet d’un amour-propre froissé. Homme d’une fermeté sage et d’une modestie vraie, le général de Liem n’a pu céder qu’à des convictions profondes et à l’entraînement du devoir, et dès lors, beaucoup d’hommes de bonne foi ont dû faire un retour sur eux-mêmes et se demander si peut-être ils n’avaient pas été trop loin.
S’il en est ainsi, et je le crois, la retraite du général de Liem n’a pas été seulement un bel exemple, ça été encore une bonne action. Et voilà ce qu’on gagne, dans les régions du gouvernement, à se conduire avec suite, fermeté et résolution.
Qu’on ne croie pas, messieurs, qu’en m’exprimant de la sorte sur ce général, j’obéisse à quelque influence de relations personnelles. Je n’ai pas l’honneur de connaître particulièrement l’ancien ministre. Ce que j’honore en lui, c’est une conviction qui ne varie pas au gré de l’intérêt personnel.
Et loin de moi l’idée, en rendant hommage à un ministre tombé, de vouloir rabaisser son honorable successeur. Je reconnais au général du Pont les intentions les plus droites ; je ne mets en doute ni son dévouement à l’armée, ni son dévouement au pays ; je veux seulement savoir si, en acceptant la succession du général de Liem, il a mesuré toute la portée de la mission qu’il acceptait.
En présence des diverses propositions qu’il nous a soumises, et qui s’éloignent notablement de celles de son prédécesseur, je dois lui demander s’il a la certitude complète d’arriver au même but avec des moyens plus restreints.
Qu’on ne le perde pas de vue, le général de Liem déclarait, c’est la section centrale elle-même qui le rappelle, il déclarait, dans un rapport au Roi, avoir poussé les réductions jusqu’à leur dernière limite.
« V.M., disait-il, en accordant sa sanction à ces divers arrêtés, tant pour l’organisation de l’état-major que pour les différentes armes, consacrera pour l’armée un état normal établi, d’après les exigences les plus impérieuses (p. 1309*) du service*, dans les limites des ressources financières qu’on peut y consacrer. »
Donc, on était arrivé aux dernières limites. Pouvait-on dès lors aller au-delà et répondre encore aux exigences les plus impérieuses du service ?
Le système du général du Pont se présente avec le côté attrayant que voici : Aux 29,500,000 fr. réclamés par le général de Liem, il substitue une demande de 28,130,000. Donc réduction, 1,370,000.
Certes, je m’associerai toujours avec empressement à toutes les économies utiles. L’armée est une charge pour le pays, et je suis très-disposé à alléger celle-ci comme toutes les autres. Mais M. le ministre de la guerre comprendra qu’ayant été amenés à soutenir, il y a deux ans, un chiffre plus élevé, nous devons avoir à cœur d’être éclairés sur l’espèce de revirement d’opinion qu’on nous demande. Le gouvernement nous a fait, à plusieurs de mes amis et moi, une position délicate. Adopter les propositions nouvelles, sans explications suffisantes et pleinement rassurantes sur leurs résultats, ne serait-ce pas nous exposer à un reproche d’inconséquence, et reconnaître implicitement que sur les pas du gouvernement, nous avions inconsidérément engagé les deniers de l’Etat au delà de ses véritables besoins ?
Si les explications n’étaient pas pleinement rassurantes, si les réductions qu’on propose étaient de nature à porter préjudice à la bonne organisation de l’armée, loin d’y applaudir, nous ne pourrions que les regretter. Epargner d’une part 1,370,000 francs, et compromettre par cette épargne 28,130,000 fr., ce serait une économie de la pire espèce.
Si je ne me trompe, les réductions principales portent sur trois points : 1° Réduction de la solde du soldat ; 2° diminution du nombre d’hommes appelés sous les armes ; 3° suppression de deux compagnies dans les bataillons de réserve.
Quant à la réduction de solde, nous pourrons attendre la discussion du budget de la guerre pour discuter cette importante question.
Remarquons seulement en passant qu’il y a quelque chose de grave à imposer des sacrifices aux classes de l’armée qui n’y figurent pour la plupart qu’en exécution d’un impôt qui leur paraît déjà bien lourd, d’un impôt qu’on pourrait dire peu équitablement réparti. N’accoutumons pas le peuple à cette idée, que son bien-être ne tiendrait pas autant à cœur au pouvoir que celui des classes plus élevées.
La deuxième source d’économie résulte de la diminution du nombre d’hommes appelés sous les armes. M. le ministre a-t-il la certitude que cette réduction peut se concilier avec les nécessités du service ? Voyons à cet égard quelle était l’opinion de son prédécesseur :
« Les compagnies d’infanterie, disait le général de Liem répondant à la section centrale, loin d’offrir la consistance qu’il serait désirable de leur voir dans l’intérêt de l’instruction et du service, n’ont pas même le personnel nécessaire pour assurer aux soldats les nuits de repos que leur accordent les règlements. Cet état de choses compromettant à la fois la santé du soldat et l’avenir de l’arme de l’infanterie, il était urgent d’y remédier par une majoration d’effectif à tenir sous les armes, ce qui nécessite une augmentation de 633,980 rations à 16 centimes. »
Je passe au troisième moyen d’obtenir des économies. Il consiste dans la suppression de deux compagnies dans les bataillons de dépôt.
Déjà le général de Liem avait réduit les compagnies de ces bataillons de 6 à 4. On les réduirait aujourd’hui de 4 à 2. Cette nouvelle restriction apportée aux cadres est-elle prudente ? M. le ministre est-il bien convaincu que dans ces cadres ainsi restreints, il pourra convenablement enfermer, dans un moment donnée, ses 80,000 hommes ?
Ici j’aurai à invoquer, contre la proposition du ministre, une opinion redoutable : celle de la commission militaire, dont le rapport est déposé sur le bureau de la chambre. Le voici en quelques lignes.
« Le chiffre de 80,000 hommes, fixé par la loi pour le complet de guerre de l’armée, est une illusion, sous le rapport de ses cadres constitutifs qui ne comportent pas ce nombre. »
Quand la commission tenait ce langage, elle se trouvait, pour ne parler que de l’infanterie, en présence d’un cadre de 1784 officiers (chiffre du budget de 1842) et ce cadre lui paraissait insuffisant pour supporter l’effectif réel du pied de guerre.
Qu’eût dit la commission si elle s’était trouvée en présence des cadres d’infanterie qu’on nous propose de fixer aujourd’hui par une loi permanente, et dont l’effectif ne s’élève plus qu’à 1362 officiers, tout compris, médecins, intendants, etc.
Ces cadres, dit-on, ne sont fixés que pour le pied de paix. Mais s’il s’agissait de porter l’effectif au pied de guerre, où trouverait-on les 422 officiers nécessaires pour arriver seulement au chiffre de 1784, à ce chiffre jugé illusoire par la commission ? Serait-ce dans les rangs des sous-officiers ? Mais alors par quoi remplirait-on cette énorme brèche ? Pour compléter les cadres supérieurs, ne faudrait-il pas anéantir en partie les cadres inférieurs sur lesquels repose la force des compagnies ? J’exprime des doutes. Ils sont graves et d’autant plus cette fois qu’ils prennent leur source dans les affirmations d’une commission spéciale dont faisait partie, entre autres, deux officiers, aujourd’hui membres du cabinet, et un général ancien ministre et aujourd’hui ministre d’Etat.
Il est enfin une réduction qui ne me laisse pas sans quelque inquiétude sur ses résultats. Je veux parler de la suppression d’un sous-lieutenant par compagnie. Cette réduction avait été consentie, je le sais, par le général de Liem, qui faisait preuve en ceci d’une grande condescendance.
Les sous-lieutenants sont les premières portes ouvertes aux sous-officiers et aux élèves de notre école. En supprimer une sur deux par compagnie, n’est –ce pas là, en quelque sorte, leur fermer la moitié de la carrière ? N’est-ce pas jeter parmi eux le découragement ?
On a parler du découragement des officiers. Le moral des sous-officiers et des élèves, n’est-il pas aussi précieux à entretenir ? Déjà les sous-officiers ne sont que trop enclin à abandonner la carrière. Si je suis bien informé, il se fait dans les rangs des vides considérables. Il faudrait pour eux multiplier les chances d’avancement, agrandir les avantages du service militaire. Ne fait-on pas ici tout le contraire de qu’il y aurait faire ?
Je ne veux pas apporter dans cette discussion aucun sentiment hostile à M. le ministre. Je souhaiterais n’avoir que des félicitations à lui adresser ; mais pour lui donner mon vote en toute sûreté de conscience, je tiendrais à voir éclaircir et détruire les doutes que je lui soumets, doutes qui me sont suggérés par l’examen de son système tel qu’il résulte du budget de 1845, combiné avec le projet de loi, que l’on décore du titre d’organisation de l'armée.
J’examinerai le plus rapidement possible ce projet de loi. Evidemment son titre est trop ambitieux. Le magasin ne renferme pas ce que l’enseigne promet. On annonce une organisation de l'armée et on fournit quoi ? une loi dont le but unique est de renfermer dans des limites fixes le nombre de nos officiers. J’en ai fait la remarque dans ma section. Cette loi peut avoir son côté utile, je ne le nie pas, mais n’en exagérons pas la portée.
On nous l’apporte, dit-on, en exécution de l’art. 139 de la Constitution, qui a recommandé comme urgente une loi relative à l’organisation de l'armée. Mais pour organiser l’armée, la première condition à exiger, c’est qu’il y ait une armée. Or, sans recrutement, point d’armée. Et ce n’est pas sans raison que la commission militaire, déjà citée, a posé en quelques sorte comme question préalable à l’organisation de l'armée, celle du recrutement. « La commission, dit le rapport, est convaincue de la nécessité d’être fixée sur le mode de recrutement de l’armée, en le considérant comme l’élément le plus essentiel pour sa bonne organisation. »
Voici donc une loi d’organisation de l’armée à laquelle manque, d’après la commission, son élément le plus essentiel.
Cet avis de la commission sur le recrutement de l’armée a été évidemment inspiré par l’art. 118 de la Constitution qui s’exprime ainsi :
« Le mode de recrutement de l’armée est déterminé par la loi. Elle règle également l’avancement, les droits et les obligations des militaires. »
L’art. 139 a-t-il voulu autre chose que recommander comme urgentes les lois à faire en vertu de l’article 118 ? A-t-il entendu par organisation de l'armée la fixation des cadres ? Il est permis d’en douter. Mais il n’a, certes, pas abrogé l’article 118, qui veut que le mode de recrutement soit déterminé par la loi ; Et la commission déclarant que ce mode de recrutement constitue l’élément le plus essentiel d’une bonne organisation de l’armée, il suit que, pour répondre au vœu de la Constitution et aux conseils dictés par l’expérience, le projet de loi de l’organisation de l'armée est tout à fait incomplet. Il aurait dû prendre pour point de départ le recrutement. Aussi longtemps que cet élément essentiel manquera, on aura le faîte de l’édifice, mais non la base.
Une autre grande question qu’on laisse en dehors de cette prétendue loi d’organisation, c’est celle des forteresses. On aura beau dire, il est impossible de nier la connexité qui existe entre ces deux moyens de défense, l’armée et les forteresses. Les auteurs du traité du 14 décembre 1831 n’ont pas méconnu, eux, cette connexité.
Il est dangereux et inopportun, dit-on, de soulever la question des forteresses. Mieux vaut la laisser dormir.
Dans une de nos dernières séances, Monsieur le ministre de l'intérieur a dit quelques mots sur cette question. Il en a parlé avec une sorte de mystère menaçant peu fait pour rassurer le pays. Elle se présente, a-t-il dit, avec toutes les chances de complications extérieurs qui l’on accompagnée depuis le premier jour. Il semblerait, d’après ce langage, que des rivalités et des divergences existent encore entre les grandes cours à ce sujet, et que la convention de 1831 n’a pas, aux yeux de toutes, la même force obligatoire. S’il en est ainsi, ne vaudrait-il pas mieux aborder la difficulté aujourd’hui que la paix et la concorde règnent autour de nous, que de l’exposer aux chances d’un avenir incertain ? Mais, messieurs, l’inaction du ministère a reçu une autre explication. Le bruit a couru, il y a un an, dans les rangs de l’armée, que M. le ministre de la guerre était en désaccord avec ses collègues, sur cette question des forteresses. Comme la plupart des officiers de son arme, il voulait, disait-on, qu’on les conservât toutes, tandis que ses collègues auraient voulu la démolition de celles que condamna le traité de 1831. L’inexécution du traité tiendrait dès lors beaucoup plus à des complications intérieures qu’à des complications extérieures. Et ici on ne peut se défendre de faire un triste retour sur le passé.
La question du territoire dormait aussi. Elle s’est réveillée, et Dieu sait à quel prix pour la Belgique ! fasse le ciel que la question des forteresses ne se réveille pas de la même manière ! Si elle doit se reproduire inévitablement, mieux vaudrait, je le répète, que ce fût aujourd’hui que tout est en paix autour de nous. On pourrait se régler, s’organiser, se prémunir en conséquence. Mais, vienne une crise, et qui sait dans quelles graves complications l’exécution ou l’inexécution du traité pourrait alors nous jeter !
Non, tant que cette question reste pendante, on ne peut pas dire qu’il y ait sécurité complète pour nous au point de vue extérieur, on ne peut pas dire surtout que la question militaire soit pour nous résolue.
(page 1310) La question du recrutement et celle des forteresses étant tenues en dehors du projet de loi, à quoi se réduit-il ?
C’est, d’une part, une limitation à la faculté de conférer des grades, et sous ce rapport, on s’est demandé si la prérogative royale ne se trouvait pas entamée par ce projet.
C’est, d’autre part, le contingent des officiers rendu en quelque sorte permanent et soustrait en principe au vote annuel des chambres.
La prérogative royale est-elle entamée ? je ne le pense pas. En donnant une limite légale au contingent des officiers, la chambre reste pleinement dans son droit, et ne peut se soustraire au devoir constitutionnel de fixer chaque année le contingent des troupes. Le droit de voter chaque année les subsides en hommes et en argent est inaliénable, et c’est à tort qu’on soutiendrait qu’à l’avenir le vote du budget de la guerre serait, en quelque sorte, une simple formalité.
Qu’on ne se fasse donc pas trop d’illusion sur la portée de la loi. Sans doute elle donne une certaine fixité aux cadres de l’armée, et c’est là son côté utile. Si l’on veut une armée, il lui faut des cadres ailleurs que sur le papier. Et comme les officiers ne s’improvisent pas, il faut bien que ces cadres soient permanents. C’est la charpente de l’édifice. Nous devons la vouloir solide.
Le projet de loi aura aussi pour effet de donner aux officiers plus de sécurité sur leur position, et c’est encore là un avantage. Toutefois, MM. les officiers, j’en ai pour garant leur honneur, ne considéreront pas cette loi comme un coussin commode sur lequel ils peuvent s’endormir tranquillement, s’en remettant au temps seul du soin de leur avancement. La fixité dans les cadres ce n’est pas l’inamovibilité, l’inviolabilité. Chaque année le vote du budget des voies et moyens et celui des dépenses fournit aux chambres l’occasion d’apporter des remèdes aux abus, et l’armée n’échapperait pas aux sévérités du parlement, si, par un relâchement, dont je repousse la probabilité, si par un relâchement dans sa conduite, dans son instruction, dans son zèle, elle venait, ce qu’à Dieu ne plaise, à manquer à sa mission et à démériter du pays.
On a parlé dans cette discussion, messieurs, des mauvaises habitudes qui s’étaient introduites dans l’armée ; on a signalé la brutalité des chefs envers les inférieurs, on a été jusqu’à prononcer le mot odieux d’espionnage. M. le ministre de la guerre n’ a pas répondu suffisamment, d’après moi, à ces reproches graves.
M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) - Cette réponse se trouvait dans mes notes. Je l’ai omise par mégarde. Je prie l’honorable membre de croire que tant que je serai ministre de la guerre, je n’autoriserai pas l’espionnage ; je n’userai pas de l’espionnage.
M. Rogier – Je suis heureux d’avoir provoqué cette réponse. Je comptais trop sur sa loyauté pour croire qu’il ait pu mettre en usage de tels moyens.
M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) – Tous les renseignements me parviennent par la voie hiérarchique. Ce sont les chefs que je consulte pour tous les renseignements dont j’ai besoin.
M. Rogier – Je remercie l’honorable général de cette explication. Mais il conviendra qu’après ce qui avait été dit, cette explication était nécessaire. Si des abus existaient dans l’armée, je serais le premier à appeler, de la part de M. le ministre de la guerre, une répression sévère, comme je l’engage aussi à répondre aux reproches immérités, qui pourraient être articulés contre elle.
Des écrivains étrangers ont parlé de notre armée en termes peu flatteurs ; ils se sont principalement attaqués aux officiers sortis de la révolution.
Je professe une égale estime pour tous les officiers, quelle que soit leur origine ; mais j’ai à cœur de défendre particulièrement ceux qui ont été attaqués. J’en connais beaucoup et des plus distingués et des meilleurs qui peuvent défier toute comparaison avec les officiers étrangers, soit pour l’intelligence, soit pour le courage, soit surtout pour le dévouement à leur pays. Et sans aller chercher les exemples bien loin, la chambre ne voit-elle pas en ce moment dans son sein, sur ses bancs et à côté de M. le ministre, des officiers sortis de la révolution, qui protestent assez par leur seule présence contre ces accusations calomnieuses ? Non, non, l’armée belge ne mérite pas de pareils reproches ; la calomnier, c’est calomnier le pays dont elle est l’émanation la plus énergique ; c’est calomnier nos institutions sous l’influence vivifiante desquelles elle a été appelée à se fortifier et à fleurir. C’est une vertu de nos institutions libres de développer les intelligences, de classer les mérites et de substituer au règne du privilège, le règne de la capacité. Que l’armée ne l’oublie pas.
J’aime l’armée. Ce n’est pas un sentiment né d’hier. J’ai figuré un moment dans ses rangs pour une cause et une époque qui tiendront toujours la première place dans mes souvenirs. Et si j’aime l’armée, ce n’est pas seulement parce que je la sais prête à défendre l’indépendance nationale, les libertés publiques et l’ordre constitutionnel sans lequel il n’y a pas de vraie liberté.
C’est là sans doute une belle mission. Elle en a encore une autre.
L’armée, je n’hésite pas à le dire est le plus grande levier de la civilisation forte du pays. Dans les classes inférieures qui en forment la base, elle fait naître ou développe le sentiment de l’ordre et du devoir. A tous ses degrés, dans tous ses rangs, elle stimule, elle développe les intelligences et tous ensemble la discipline ; elle soumet à un joug utile les caractères fortement trempés, mais elle relève les faibles et n’en dégrade aucun. J’entends surtout parler de l’armée d’un peuple libre.
Si les sentiments généreux, si le dévouement, si le point d’honneur politique ou privé venaient à faillir dans le pays, ils trouveraient, laissez-moi l’espérer, un refuge dans l’armée. Si l’esprit public allait s’affaiblissant, si l’esprit national, sous l’empire de circonstances déplorables, allait se dépravant, l’armée, oh ! je l’espère encore, en conserverait le précieux dépôt, pour le rendre, au jour marqué, à la patrie. L’armée, c’est le cœur, c’est le bras du pays, c’est sa jeunesse, c’est sa sève, c’est, si je puis dire, sa santé.
Voilà pourquoi j’aime l’armée, pourquoi je la défends, pourquoi je tremble quand on y touche, pourquoi je ne verrais qu’avec un regret profond qu’on ne fit encore pour elle que du provisoire et de l’incomplet.
M. d’Huart – Ainsi que vient de le dire l’honorable M. Rogier, dans le grave débat qui nos occupe, messieurs, il est un point fondamental sur lequel tous, ou du moins presque tous, nous sommes aujourd’hui d’accord, c’est qu’il est indispensable que la Belgique ait constamment une armée sur pied, et que cette armée soit suffisamment forte, en temps de paix, pour occuper nos forteresses et contribuer au maintien parfait de l’ordre ; en temps de guerre, pour faire respecter notre neutralité et opposer une résistance imposante à tout ennemi quelconque de notre nationalité.
Aussi, messieurs, si l’organisation militaire propre à assurer ces conditions pouvait être réglée abstractivement, la chose serait simple et facile ; mais la situation, pour être bonne, doit, en garantissant la sécurité du pays, se coordonner avec les restrictions qui déterminent les ressources en hommes et en argent dont il dispose, et notre devoir nous commande impérieusement d’éviter à la fois d’excéder les moyens de défense rigoureusement nécessaires, et d’user d’une parcimonie qui serait en dessous de proportions raisonnables avec notre population et nos finances.
Quelle est donc la composition de l’armée qui satisfasse aux exigences de la situation ?
Heureusement, messieurs, que pour ceux qui, ainsi que moi, n’ont point l’avantage de posséder des connaissances spéciales en matière militaire, les hommes compétents soient unanimes sur deux bases essentielles et qu’ainsi, nous en rapportant sans défiance à leur jugement, nous puissions être bien fixés sur les points de départ.
En effet, le gouvernement qui, du reste, à aucune époque n’a, je pense, varié à cet égard, vient nous déclarer que la force numérique de l’armée doit être de 80 mille hommes en temps de guerre, et approximativement des deux cinquièmes de ce nombre en temps de paix, c’est-à-dire dans l’état normal. La section centrale qui, indépendamment de ses propres lumières, s’est entourée de tous les renseignements qu’elle a jugés nécessaires, est unanimement d’avis que ces bases sont parfaitement établies, et que, de même que quant aux rapports des différentes armes entre elles, les propositions du gouvernement sont conformes aux règles généralement admises chez toutes les nations qui connaissent le mieux l’art de la guerre.
Pour une semblable armée, quels doivent être les cadre d’officiers ? telle est la question dont nous sommes saisis.
Heureusement, encore une fois, il y a accord entre le gouvernement et la section centrale, et qu’ainsi nous sommes tout à fait à l’aise pour nous prononcer ; je dis, messieurs, qu’il y a accord entre le gouvernement et la section centrale, car la différence très-peu importante des conclusions qui nous est soumise ne provient que de quelques détails secondaires qui n’affecte en rien les principes, et il sera d’ailleurs facile de démontrer, quand nous en serons arrivés à l’examen de ces détails, que le résultat définitif, quant à la dépense, sera sensiblement le même.
C’est donc d’une somme normale de 28 millions que l’on nous demande de charger annuellement le budget de l’Etat, pour pourvoir convenablement à toutes les exigences militaires, en temps de paix, et pour nous assurer les moyens de réunir utilement les forces supposées indispensables en cas de guerre.
Pour moi, messieurs, j’avais longtemps espéré qu’une aussi forte partie de nos ressources financières ne devrait pas être affectée au service ordinaire de l’armée, et j’avais cru très-sincèrement qu’arrivé à l’état actuel de paix, il deviendrait possible de régler définitivement cette allocation au montant de celle qui, pendant plusieurs années, avait été indiquée globalement dans nos budgets, comme devant un jour être très-approximativement la dépense normale ; mais en présence des développements fournis par le gouvernement, des faits dont il s’appuie ; en présence des déclarations si précises de la section centrale, que nous savons animée des vues les plus sages d’économie, force est de renoncer à la réalisation des prévisions que je viens de rappeler.
L’expérience, au surplus, nous démontre maintenant que l’équilibre entre les recettes et les dépenses de l’Etat peut comporter annuellement 28 millions pour l’armée, mais qu’il ne serait point possible d’aller au delà sans aggraver les impôts, qu’il serait plutôt désirable d’alléger.
Messieurs, lorsque j’avais demandé la parole hier pendant le discours de M. Delehaye, j’avais particulièrement en vue de répondre à une objection que cet honorable membre faisait dans le moment contre le projet de loi en discussion ; ce projet, disait l’honorable membre, ne satisfait en rien aux prescriptions de la Constitution, qui veut une organisation complète de l’armée ; ce projet n’est rien d’autre, disait l’honorable M. Delehaye, que le dangereux abandon d’une prérogative du gouvernement, et il n’y a rien de commun avec ce qu’il faut entendre comme étant une véritable organisation de l’armée.
Sans doute, messieurs, le congrès a voulu une organisation complète comprenant tout ce qui s’y rattache ; mais tout ne peut être fait en une (page 1311) fois et la masse effrayante des divers projets qui, élaborés, attendent la discussion dans les chambres, prouve que le temps n’a permis de terminer que le plus pressé. Déjà nous avons voté la loi de 1836 et de 1838 sur la position, l’avancement et la mise à la retraite des officiers ; nous sommes saisis de projets de loi sur la garde civile, sur la milice ; le complément de tout cela arrivera en son temps.
Nos lois sur la milice ont même déjà été modifiées depuis 1830.
M. Rogier – J’ai dit que la Constitution avait voulu une nouvelle loi de recrutement basée sur les principes libéraux qu’elle consacre.
M. d’Huart – L’honorable M. Rogier nous a dit que la Constitution, dans son art. 139, avait principalement en vue le recrutement comme étant la base fondamentale de l’armée ; rien de cela ne se trouve dans l’article 139, mais je vois dans l’article 118, qu’a aussi cité l’honorable M. Rogier, quelque chose qui pourrait être invoqué comme contraire à ce qu’il a prétendu relativement à l’urgence qu’il y aurait de porter une loi de recrutement. Je ne dis pas qu’il ne faut pas modifier les lois sur la milice ; je pense, au contraire, qu’il faut, avec le temps, approprier autant que possible le recrutement à nos institutions actuelles, les modifier dans ce qu’elles pourraient avoir de contraire aux vues libérales de ces institutions. Mais, je le répète, l’art. 139 de la Constitution n’a pas eu en vue le recrutement ; il n’en dit pas un mot. Et quant à l’art. 118, qui porte que le recrutement se fera en vertu de la loi, il a pour but principal d’interdire que cette opération se fasse par arrêtés royaux. Or, messieurs, la loi existe. Nous avons des lois sur la milice qui ne sont pas aussi mauvaises qu’on veut bien le dire. Je dis donc que l’on pourrait aller jusqu’à soutenir qu’il a été complètement satisfait aux prescriptions de la Constitution quant au recrutement, puisqu’il s’opère en vertu de la loi ; en effet, nous avons trois ou quatre lois sur la milice qui déterminent de quelle manière le recrutement se fait.
Reprenant ma réponse à M. Delehaye, je vais examiner si, en effet, ainsi que l’a prétendu cet honorable membre, le projet qui nous est soumis n’est autre chose qu’un abandon de prérogative de la part du gouvernement, si ce projet n’est rien dans l’organisation de l’armée ?
Déjà M. le commissaire du roi a parfaitement rappelé hier ce qui s’est passé dans cette chambre ; il n’est pas douteux que la grande majorité de celle-ci a manifesté plusieurs fois le désir d’obtenir la présentation d’une loi réglant les cadres de l’armée. Il est sans doute libre à chacun de nous de se montrer plus soucieux des prérogatives du gouvernement que le gouvernement lui-même ; cela présente cependant quelque chose d’extraordinaire. Quoi qu’il en soit, du reste, nous devons être aussi et toujours très-soucieux des prérogatives et des devoirs que nous a légués la Constitution. Or, je n’hésite pas à trouver dans le projet de loi l’accomplissement sérieux d’une partie essentielle des prérogatives de notre pacte fondamental.
L’art. 139 de la Constitution prescrit, en termes exprès, de régler par la loi l’organisation de l’armée, eh bien, y a-t-il dans cette organisation quelque chose de plus essentiel que les cadres ? serait-il possible de rien organiser militairement sans s’occuper d’abord, et même avant tout, des officiers ; n’est-ce pas un des éléments intimes, décisifs de l’organisation d’une armée ?
Dans les autres pays, dit-on, les gouvernements se réservent le pouvoir de régler les cadres comme ils le veulent ; cela est possible, mais c’est que là on n’est pas soumis aux mêmes obligations constitutionnelles. Du reste, les lois d’organisation y sont régularisées par des actes du pouvoir exécutif qui, dans la réalité, sont aussi stables que des lois, et il faut bien que des règles fixes soient posées pour les cadres, car les hommes destinés à les remplir successivement ne s’improvisent pas, il faut que de longtemps tout soit combiné de manière à pourvoir à des besoins éventuels et bien déterminés à l’avance.
C’est en vain, messieurs, que l’on invoquerait ce qui se passe en France pour combattre l’opinion de ceux qui prétendent que notre gouvernement était obligé par sa Constitution de nous soumettre la fixation des cadres.
La charte française, en ce qui concerne l’armée, est bien différente de la Constitution belge. Voici comment la première s’exprime :
« Il sera pourvu successivement par des lois séparées et dans le plus bref délai possible aux objets qui suivent :
« … 4° Le vote annuel du contingent de l’armée ; 5° l’organisation de la garde nationale avec intervention des gardes nationaux dans le choix de leurs officiers ; 6° des dispositions qui assurent d’une manière légale l’état des officiers de tout grade de terre et de mer. »
Vous voyez, messieurs, que le mot d’organisation ne s’y trouve pas, tandis que dans l’art. 139 de la Constitution, il est dit positivement que le congrès national entend qu’il soit pourvu aux autres stipulations qui y sont indiquées, les droits d’avancement et de retraite à l’égard desquels il a été pourvu par des lois.
Ainsi, messieurs, vous le voyez, il n’y a pas de similitude entre les deux dispositions.
Cependant, qu’est-il arrivé en France ? C’est que, bien que le pacte fondamental n’obligeât en rien, les chambres ont fait subir au gouvernement la loi du 4 août 1839 qui règle d’une manière invariable les cadres de l’état-major de l’armée. Ainsi, dans un pays où l’on s’entend bien en matière militaire, les chambres ont reconnu qu’il était nécessaire pour éviter les abus et avoir des règles fixes, de déterminer et de fixer invariablement certains cadres dans lesquels des abus pouvaient se commettre.
Du reste, messieurs, quant à l’utilité d’une loi qui fixe les cadres (et c’est un point essentiel qu’il ne serait pas inutile d’examiner lors même que la Constitution ne sera pas aussi formelle), cette utilité, dis-je, est évidente. L’honorable M. Rogier l’a reconnu ; pour l’armée, plus d’incertitude. Le sort des officiers étant solidement établi, il y aura retour parfait à une confiance qu’aucune malveillance ne saurait ébranler ; pour le gouvernement et pour les chambres, économie considérable d’un temps précieux qui, chaque année, a été employé à remettre en question un état de choses qu’il importe tant d’arrêter définitivement en principe.
Il est bien entendu cependant qu’à l’avenir si des abus existaient, et je prie l’honorable M. Castiau de bien vouloir prêter quelqu’attention à l’objection que je crois devoir faire à une partie du discours qu’il a prononcé dans une séance précédente ; si des abus se commettaient, nous serions certainement libres de les faire cesser. L’honorable membre nous a dit : Quand vous aurez une loi vous serez liés et le vote du budget ne sera plus qu’une vaine formalité. Mais, messieurs, ne nous restera-t-il pas un moyen qui est toujours péremptoire, et qui domine tous les autres ? Chaque année ne votons-nous pas les subsides et ne pourrions nous pas, comme en France, si les abus étaient tels qu’il fallût en venir à un moyen extrême, n’allouer les subsides que pour autant qu’il soit remédié à ces abus ?
Je pense donc, messieurs, que cet inconvénient qui eût été très-grave s’il avait été réel comme le craignait l’honorable M. Castiau, ne subsiste pas. Il n’y aura pas certainement une fixité telle dans les cadres de l’armée qu’on ne pût faire cesser les vices que leur organisation pourrait engendrer, et rien ne nous empêchera non plus à l’avenir d’introduire dans l’armée telles améliorations qui seraient jugées nécessaires. Pour cela, il est vrai, il faudra des motifs sérieux, bien précis, et on ne s’occupera pas légèrement de semblables questions, et par suite les chambres épargneront un temps précieux.
L’honorable M. Castiau a été plus loin ; il a supposé que le contingent même de l’armée allait devenir immuable ; mais il n’y a pas un mot dans le projet qui puisse nous lier à cet égard. Nous serons libre de déterminer chaque année le contingent ; et quant au montant total du budget, nous aurons même à examiner le nombre d’hommes à appeler annuellement sous les armes. Car nous ne dirons en aucune façon, dans la loi qui nous occupe, que l’armée sera invariablement de 30 ou de 35,000 hommes ; nous établissons seulement des cadres qui puissent suffire à mettre sur pied en temps de guerre une armée convenable, et en temps de paix à commander le nombre d’hommes nécessaire pour maintenir l’ordre et garder nos forteresses.
Ainsi les scrupules très-respectables qu’a manifestés l’honorable M. Castiau, ne paraissent pas fondés et d’honorables préopinants se sont déjà exprimés dans le même sens que moi à cet égard.
L’honorable M. Rogier a fait, dans une partie de son discours, un grand éloge de M. le général de Liem. Il a vanté sa franchise, sa fermeté, la force de ses convictions.
Je ne veux rien retrancher des paroles de mon honorable collègue sur ce point. J’apprécie aussi, et j’estime infiniment les hommes disposés aux plus grands sacrifices, pour rester fidèles à leurs convictions. Mais, messieurs, tout en me montrant juste envers l’honorable M. de Liem, je ne veux pas être injuste envers l’honorable général du Pont…
M. Rogier – Ni moi non plus.
M. d’Huart – j’en suis convaincu. Remarquez que ce que propose l’honorable général du Pont n’est pas si éloigné de ce que demandait l’honorable général de Liem ; car en définitive, il n’y a entre les demandes des deux généraux qu’une différence peu sensible de 102 officiers principalement dans les grades subalternes.
On a dit, à ce sujet, que, dans le rapport des généraux, le nombre des officiers, indiqué comme nécessaire pour la mise de l’armée sur pied de guerre est supérieur de plusieurs centaines à celui qu’on demande à présent.
Mais l’honorable M. Rogier l’a reconnu lui-même, s’il y a un reproche particulier de ce chef, il doit être appliqué à peu près autant au général de Liem qu’au général du Pont.
Ce que je désire constater, pour être juste envers l’honorable général du Pont, ne se faisant pas exclusivement ministre de la guerre, c’est qu’examinant les questions du gouvernement dans leur ensemble, il ne s’est pas refusé à faire plier des exigences quelquefois extrêmes, en matière militaire, devant des exigences plus respectables, parce qu’elles sont plus en harmonie avec l’ensemble des conditions gouvernementales qui s’appliquent avec une égale sollicitude à tous les intérêts du pays.
En nous présentant la loi d’organisation des cadres, en obtenant cette loi des chambres, l’honorable général du Pont aura rendu un service signalé à l’armée. A l’avenir, toutes les défiances qu’on a cherché à semer en dehors des chambres législatives, à l’égard de nos dispositions pour l’armée, toutes les suggestions malveillantes qu’on s’est plus à répandre viendront à cesser, en face de la position fixe et définitive qu’on aura donnée à l’armée et que l’honorable général du Pont à amener.
Remarquez-le bien, la difficulté principale du général de Liem vis-à-vis des chambres est née de la persuasion où était ce général, à tort, que les chambres ne devaient pas intervenir dans l’organisation des cadres de l’armée ; il s’était arrêté à soutenir que cet objet rentrait exclusivement dans les attributions du pouvoir exécutif, tandis qu’à peu près tous les membres de la législature était de l’opinion, que le texte formel de la Constitution ne laisse aucun doute sur la nécessité de régler législativement l’organisation militaire, on comprend inévitablement comme partie intégrante, la fixation des cadres.
Messieurs, avant de finir et pour appuyer encore la thèse que j’ai exposée tantôt, sur l’utilité et la convenance de régler les cadres de l’armée par (page 1312) la loi, je vais m’emparer d’un argument qu’on a mis en avant pour soutenir le système contraire. L’honorable M. Delehaye a dit : « Tantôt on aura pour ministre de la guerre un général d’artillerie, et il fera à l’artillerie la part la plus large ; tantôt on aura un général de cavalerie, qui traitera cette arme avec plus de prédilection ; tantôt enfin on aura un général d’infanterie qui voudra avoir proportionnellement plus d’infanterie. » Eh bien, il ne faut pas ces fluctuations, ces prédilections personnelles dans l’armée. Il faut une égalité parfaite de sollicitude pour les différentes armes ; il ne faut pas que telle partie du service soit réduite au profit de telle autre partie ; Or, la loi que vous êtes appelés à voter, sera un obstacle puissant à cet égard. C’est encore un avantage précieux qu’elle procurera.
M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) – Messieurs, je voudrais posséder l’éloquence de l’honorable M. Rogier, pour le remercier dignement de la noble sympathie qu’il nous a exprimée pour l’armée, et pour lui dire combien je partage les sentiments qu’il a manifestés sur plusieurs points. Je m’associe aux éloges qu’il a donnés au mérite et au dévouement des officiers de la révolution que nous comptons dans nos rangs. Je reconnais qu’entre les officiers nouveaux et les anciens il n’y a aucune différence, et qu’il n’en a jamais existé à nos yeux. Des deux côtés, je remarque le même zèle, la même ardeur pour leurs devoirs et pour tout ce qui peut contribuer au bien-être du pays et à la bonne réputation de l’armée.
Je partage également les sentiments que l’honorable M. Rogier vous a exprimé à l’égard de l’honorable général de Liem ; messieurs, personne plus que moi n’a regretté le vote qui a forcé ce général a quitté ce banc ; j’aurais, avec lui, désiré que la chambre eût alloué les 29,500,000 francs. Mais, il faut bien le dire, la retraite du général de Liem a créé une situation nouvelle.
Quand je suis arrivé au ministère, la chambre avait exprimé énergiquement son refus de voter la somme de 29,500,000 fr. Mon devoir a été d’examiner de nouveau cette question ; j’ai dû rechercher jusqu’à quel point je pourrais céder aux volontés de la chambre, sans compromettre la bonne organisation de l’armée. Je devais examiner quelles étaient les limites des concessions que j’avais à faire.
Si la chambre était dans l’intention de voter des augmentations au budget que je lui ai proposé, il ne pouvait naturellement y avoir d’opposition de ma part ; mais il s’agit de m’opposer aux réductions qu’on propose. C’est le devoir que je viens remplir, c’est le seul qu’il me soit donné d’accomplir.
L’honorable M. Rogier vous a cité, à plusieurs reprises, le rapport de la commission dont j’ai eu l’honneur de faire partie, commission qui avait été réunie par l’honorable général de Liem. Je vais, messieurs, vous donner une récapitulation des avis de cette commission. J’indiquerai en même temps jusqu’à quel point M. le général de Liem a suivi les avis de la commission, jusqu’à quel point je m’y suis moi-même conformé, et, dans quels cas, fort rares, je m’en suis écarté.
La commission a été réunie en 1842 ; elle a formé son avis en se règlant d’après le chiffre du budget de la guerre d’alors, c’est-à-dire, d’après le chiffre de 29,500,000 fr. Tous les calculs de la commission ont été basés sur cette hypothèse ; quant à moi, j’ai dû établir les miens dans un cercle plus circonscrit.
Le rapport de la commission se compose de plusieurs parties. Dans la première partie, on trouve les idées individuelles : chacun des membres est venu apporter ses propositions à la commission, qui, après avoir délibéré sur ces propositions diverses, a pris ses conclusions. Je ne m’occuperai ici que de cette dernière partie.
Dans l’opinion de la commission, les cadres des bataillons de réserve étaient inutiles ; la réduction d’un tiers des officiers sur les 49 bataillons restants dans le but d’y introduire l’organisation par quatre compagnies devait avoir un effet fâcheux. La commission était d’avis de maintenir 49 bataillons actifs, et de conserver six compagnies par bataillon.
Je vais examiner ces différents points.
La commission avait trouvé les cadres de réserve inutiles. Eh bien, messieurs, c’est conformément à cet avis, que l’honorable général de Liem s’est décidé à supprimer deux compagnies, et que moi-même j’ai cru pouvoir en supprimer deux autres, en ne conservant que les deux compagnies les plus importantes, savoir la compagnie de dépôt proprement dite, et la compagnie d’école.
Quant aux 49 bataillons actifs, j’ai partagé entièrement l’avis de la commission ; mes propositions, ainsi que celles du général de Liem, y sont tout à fait conformes ; nous avons proposé la conservation des 49 bataillons actifs et le maintien de six compagnies par bataillon.
La commission avait émis le vœu qu’on envoyât en congé les trois quarts des officiers des quatrièmes bataillons. Le général de Liem, et moi, nous avons atteint ce résultat par la suppression des compagnies de réserve.
L’honorable M. Rogier vous a parlé des inconvénients de ces suppressions, en disant que nos cadres seraient insuffisants pour le pied de guerre. C’est pour parer à cet inconvénient que j’ai proposé un cadre de réserve, précisément pour le nombre de capitaines et de lieutenants supprimés. Il n’y a donc, de ce chef, avec le projet du général de Liem que cette différence que ces officiers, au lieu de toucher le traitement d’activité, en recevront les deux tiers, c’est-à-dire le traitement de disponibilité.
Messieurs, j’ai vivement regretté d’être obligé de réduire l’effectif de la compagnie d’infanterie, tel qu’il était proposé par la commission, et de ne maintenir celui du général de Liem que pendant la saison d’été ; il eût été de beaucoup préférable de pouvoir porter cet effectif à 75 hommes. Mais me trouvant dans la nécessité de faire des réductions dans le budget, j’ai dû considérer une diminution dans l’effectif comme l’un des moyens principaux pour arriver à ce résultat sans nuire au service.
La commission, messieurs, a proposé la suppression de mille hommes des bataillons de réserve. Cette réduction résulte de fait des mesures prises par le général de Liem, et par moi quant aux compagnies de réserve.
La commission a proposé la suppression du deuxième sous-lieutenant des compagnies d’infanterie. Le général de Liem y avait consenti ; et la proposition que j’ai eu l’honneur de faire est également basée sur cette suppression.
Messieurs, à propos des nouvelles réductions des cadres que l’on a proposées dans le temps et que l’on pourrait être porté à demander de nouveau, j’aurai l’honneur de vous citer les pays où l’on admet sur pied de paix un effectif d’officiers inférieur à celui du pied de guerre. Vous verrez alors que quelques-uns de ces pays admettent la suppression d’un officier par compagnie sur pied de paix. En présence de la nécessité qui nous dominait, nous avons dû admettre ce moyen. Mais plus tard nous démontrerons qu’il n’est pas possible d’aller plus loin dans ces suppressions, et nous nous appuierons nous-mêmes sur les arguments présentés par l’honorable M. Rogier pour nous opposer à de nouvelles réductions d’officiers, afin de ne pas rendre trop grande la difficulté qu’il y aurait à compléter les cadres en cas de guerre.
Pour le moment, il me suffira de faire observer que le chiffre d’officiers que je propose diffère peu de celui qu’avait admis l’honorable général de Liem.
Je poursuis l’examen des avis énoncés par la commission. La commission, quant à la cavalerie, a exposé deux systèmes de conserver : dans cette arme les anciens cavaliers en plaçant les recrues au dépôt et, en cas de non admission de ce système, de supprimer le dépôt et le peloton hors rang et de placer immédiatement les recrues dans les escadrons. Le 2e étant le plus économique et celui admis chez beaucoup de nations, notamment en Prusse nous avons cru devoir l’adopter. La commission était d’un avis favorable au maintien de six escadrons dans la cavalerie légère et de quatre escadrons dans la grosse cavalerie. Nos propositions sont conformes à cette opinion. Pour l’artillerie, la commission a été d’avis qu’il y eût quatre régiments, comprenant dix-neuf batteries montées et vingt-quatre batteries de siège. Nous nous sommes conformés, sur ce point, au travail du général de Liem et de la commission.
Elle était également d’avis de conserver le régiment du génie de dix compagnies tel qu’il est à présent.
La commission s’est prononcée pour le maintien des brigades des divisions territoriales, des commandements de province, ainsi que pour le maintien des généraux-majors et de colonels particulièrement chargés de ce commandement en leur allouant un traitement inférieur à celui des généraux-majors employés dans l’armée active.
Nous avons admis ces principes dans nos propositions.
Pour l’état-major, la commission a proposé 10 lieutenants-colonels, 18 généraux-majors.
Le général de Liem avait porté au budget 10 lieutenants-généraux, 20 généraux-majors.
J’ai proposé 9 lieutenants-généraux et 18 généraux-majors en activité, 2 lieutenants-généraux, 4 généraux-majors au cadre de réserve.
Messieurs, je ne sais s’il est nécessaire de pousser plus loin la preuve que nous nous sommes conformés à l’avis de la commission que l’honorable M. Rogier a rappelé.
Il me reste à répondre en ce qui concerne la réduction que j’ai proposée sur la solde du soldat. J’ai cru qu’il n’était plus possible de songer à des réductions sur le traitement des officiers, à la suite de celles qui ont été effectuées en 1831 par l’honorable M. de Brouckère. Leur traitement actuel n’est nullement susceptible de diminution. L’honorable M. de Brouckère avait proposé également quelques réductions sur la solde du soldat. Voici sur quoi il fondait ses propositions, c’est sur les mêmes motifs que je me suis appuyé.
Cet honorable ministre avait remarqué que nos soldats, comparés à ceux des pays voisins, étaient les mieux rétribués ; que le soldat belge avait non-seulement conservé la solde déjà élevée de la Hollande, mais qu’en outre, depuis la révolution, on lui avait fait plusieurs avantages. Le premier était une augmentation d’une demi-ration de pain, dépense très-importante. Le deuxième consistait dans une haute paye pour les chevrons et pour les soldats des compagnies d’élite. Il faut y ajouter l’amélioration du couchage et l’avantage pour les soldats mariés de faire admettre leurs enfants comme enfants de troupe.
Ces dépenses réunies produisent une assez forte somme, et les réductions que j’ai proposées n’en forment qu’une fraction minime. Mais, comme vous le savez, ce sont les économies sur les masses qui ont quelque importance.
Je vous répète, toutefois, que je n’ai fait ces propositions que pour satisfaire aux vues d’économie de la chambre. Il dépendra d’elle de les admettre ou de les rejeter lors de la discussion du budget.
Messieurs, quant à ce qui concerne le moral des sous-officiers, je crois que la législature et le gouvernement ont fait, pour le relever, tout ce qu’il était possible de faire.
Vous avez créé aux sous-officiers une position entièrement nouvelle ; vous leur avez donné des garanties dont ils n’ont jamais joui auparavant. Les anciens sous-officiers dont beaucoup maintenant sont officiers dans l’armée pourront dire à ceux qui portent aujourd’hui les galons, combien ceux-ci jouissent de plus d’avantages que leurs prédécesseurs. Ils ont une part réglée à l’avancement. Dans certaines armes, ils ont la moitié des vacances, et dans d’autres le tiers.
Je l’avouerai, il y a un moment de malaise qui dure encore, mais ce malaise (page 1313) est passager, et a été ressenti dans toutes les armées lors du passage du pied de guerre au pied de paix. Les officiers en ont également souffert, mais ils n’oublieront pas qu’ils ont eu pendant les premières années qui ont succédé à la révolution plus d’avancement que dans toutes les armées voisines. Ils se souviendront que la situation exceptionnelle dont ils souffrent momentanément aujourd’hui s’est présentée en France en 1814 et que dans ce pays et dans le royaume des Pays-Bas jusqu’en 1817 et 1818 l’on a conservé beaucoup d’officiers à la demi-solde. Jusqu’ici aucun de nos officiers n’a été mis dans cette position, à laquelle ne peut entièrement être comparée celle du cadre de réserve.
Je viens de parcourir quelques-uns des avantages dont jouissent nos soldats, j’ai aussi indiqué les avantages dont jouissent nos sous-officiers et ceux qu’ont eu nos officiers. L’armée sait les apprécier, elle sais que les retards actuels dans son avancement étaient inévitables. Son moral ne s’affaiblira pas ; nous connaissons d’ailleurs sa bonne discipline et son patriotisme.
Il ne faut pas conclure de ce que je viens de dire qu’il y aurait de nouvelles réductions à faire. Je les combattrai, au contraire, de toutes mes forces. Le champ des économies a été parcouru entièrement. J’en trouve une preuve dans les propositions de la section centrale. Après s’être livrée à un travail laborieux et consciencieux, quel est le résultat de ses propositions ? Il s’élève au sixième ou au septième des réductions que j’ai opérées. Les inconvénients que ces réductions entraîneraient vous prouveront du reste que j’ai fait sous ce rapport tout ce qu’il était possible.
M. Manilius – Après le discours remarquable que vous avez entendu à l’ouverture de cette séance, ma tâche est singulièrement allégée. Cependant, je traiterai quelques points du discours de l’honorable M. Rogier, non pas pour le combattre, mais pour l’appuyer. J’y arriverai dans le cours du discours que je me propose de prononcer.
Je commencerai par m’occuper du discours de l’honorable membre qui a parlé immédiatement avant M. le ministre de la guerre, et qui a répondu aux observations présentée hier par l’honorable M. Delehaye, pour soutenir que la loi ne constituait par une organisation de l'armée. C’est à ce moment que j’ai demandé la parole. Je dois la prendre après ce qu’a dit M. d’Huart. Cet honorable membre s’est aujourd’hui attaché à prouver que l’organisation projetée était bien réelle et en apparence suffisante. Il veut dire, sans doute, que la section centrale a proposé une organisation des cadres qui doit satisfaire pour le moment, car nous ne sommes pas saisis d’un projet d’organisation des cadres ; ce n’est qu’un amendement de la section centrale. Pour que nous en fussions saisis, comme projet, il aurait fallu que le gouvernement y eût adhéré ; or, c’est ce qu’il n’a pas fait. J’appelle l’attention de M. le ministre de la guerre sur ce point.
Je n’envisage pas le projet du gouvernement comme un projet d’organisation de l'armée. En cela, je suis d’accord avec toute la section centrale dont je faisais partie. Aussi la section centrale a eu le soin de vous expliquer que son travail, auquel elle a été de guerre lasse finalement obligée, n’est qu’un travail pour organiser le cadre des officiers. L’honorable rapporteur l’a dit formellement ; il a même dit, en termes exprès, dans son rapport : « A ses yeux (aux yeux de la section centrale) le projet du gouvernement a simplement le caractère d’une organisation de cadres. » Voilà ce qui est en toutes lettres dans le rapport, et même en lettres italiques.
Je m’étonne, après cela, que l’honorable M. d’Huart trouve mauvais que nous ne reconnaissions pas au projet du gouvernement le caractère d’une loi d’organisation. Il nous est impossible de lui reconnaître ce caractère.
La section centrale a été, en quelque sorte, restreinte dans son travail, parce que, comme le commencement des débats l’a prouvé, le gouvernement n’a pas jugé à propos d’entrer dans tous les détails de la grande question de l’organisation de l'armée. Aussi, lorsque la section centrale a commencé ses opérations, son premier soin a été de poser des questions. Mais pour les laisser sans réponse on a allégué des raisons diplomatiques. A cet égard, on a déjà soulevé un coin du voile qui couvre ces débats. L’honorable M. Castiau a fait de l’une de ces questions l’objet d’une motion d’ordre qui a ouvert cette discussion ; vous avez vu comment cela a tourné. Vous concevez que je ne suis pas tenté de revenir sur ce point ; aussi je n’y reviendrai pas. (On rit.)
Tout à l’heure l’honorable M. d’Huart, répondant à l’honorable M. Rogier, disait : « Mais pour l’organisation de l'armée que voulez-vous de plus que ce qu’on vous propose ? Voyez (a-t-il dit), l’article final de la Constitution. Qu’exige-t-il ? Une loi d’organisation de l'armée. » Sans doute. Mais d’un autre côté, regardez l’art. 118 de la Constitution, et vous verrez qu’il s’agit aussi d’autre chose et que l’honorable M. Rogier a bien raison de parler de la nécessité d’une loi sur le recrutement.
Mais cette loi existe, a dit l’honorable M. d’Huart. Ce qu’il faut, ce n’est donc pas une loi sur le recrutement. N’avez-vous pas la loi sur la milice ? C’est tout ce qu’il faut, Messieurs, dans toute cette discussion, et surtout au commencement, on s’est beaucoup occupé d’histoire, mais de notre histoire ancienne. Je vais aussi m’occuper un peu d’histoire, mais d’histoire contemporaine.
Je vais vous expliquer comment vous avez hérité d’une loi sur la milice. Cette loi n’est pas celle qui avait été prescrite par la Constitution ; c’est une loi que vous avez trouvée et que vous avez ramassé. Dans l’embarras où l’on se trouvait, pour faire quelque chose de neuf, on a pris cette loi sur la milice qui n’avait pas cette destination. Je vais vous le prouver.
Pour bien comprendre ce qu’est la loi sur la milice, il faut remonter à la Constitution, nous pas à celle qui nous régit aujourd’hui, mais à l’ancienne Constitution des Pays-Bas, connue sous le nom de loi fondamentale. Là il y avait le chapitre où l’on traitait de la force publique, comme on en traite dans notre Constitution. Ce chapitre n’est pas long ; je demanderai à la chambre la permission de lui en donnez lecture (Lisez !Lisez !) C’est réellement nécessaire pour vous faire comprendre que la loi sur la milice n’organisait en quelque sorte qu’un auxiliaire de l’armée.
« CHAP. VIII – De la défense de l’Etat
« Art. 203. Conformément aux anciennes coutumes, à l’esprit de la pacification de Gand et aux principes de l’union d’Utrecht, l’un des premiers devoirs des habitants du royaume est de porter les armes pour le maintien de l’indépendance et la défense du territoire de l’Etat.
« Art. 204. Le roi veille à ce que des forces suffisantes de terre et de mer, formés par enrôlement volontaire de nationaux ou d’étrangers, soient constamment entretenues pour servir soit en Europe, soit hors de l’Europe, selon que les circonstances l’exigent.
« Art. 205. Des troupes étrangères ne peuvent être prises au service du royaume que de commun accord du roi et des états généraux. Le roi communique les capitulations qu’il fait à ce sujet aux états généraux, aussitôt qu’il le peu convenablement.
(Voici, messieurs, le commencement de l’histoire que je vous ai annoncée.)
« Art. 260. Indépendamment de l’armée permanente de terre et de mer, il y a une milice nationale, dont, en paix, un cinquième est licencié tous les ans.
« Art. 207. Cette milice est formée, autant que possible, par enrôlement volontaire de la manière déterminée par la loi ; à défaut d’un nombre suffisant d’enrôles volontaires, elle est complétée par la voie du sort. Tous les habitants non mariés au premier janvier de chaque année, qui, à cette époque auront atteint leur 19e année, sans avoir terminé leur 23e, concourent au tirage. Ceux qui ont reçu leur congé ne peuvent, sous aucun prétexte, être appelés à un autre service qu’à celui de la garde communale, dont il sera parlé ci-après. »
Je n’ai pas besoin d’aller plus loin pour vous prouver que, d’après la loi fondamentale, dans l’organisation de la force publique, l’armée régulière était en première ligne, la milice en seconde ligne, et la garde communale en troisième ligne. Ces trois éléments de l’organisation de l’armée constituaient la force publique.
Maintenant, je viens à notre Constitution ; que dit-elle ? Elle porte :
« TITRE V – De la force publique.
« Art. 118. Le mode de recrutement de l’armée est déterminé par la loi. Elle règle l’avancement, les droits et les obligations des militaires. »
Qu’avez-vous aujourd’hui ? La milice seulement ; et de quel droit l’employez-vous ? La Constitution ne vous y autorise pas, et il faudrait que la loi le dit, pour que cela pût être.
Je viens de prouver, messieurs, que ce qu’il faut pour organiser une armée aujourd’hui, c’est un élément permanent. Il faut donc trouver cet élément régulier dans une loi. Eh bien, la loi qu’on a demandée, c’était une loi sur le recrutement qui devait être le commencement de l’organisation de l'armée.
Je ne m’étendrai pas davantage à cet égard : l’honorable M. Rogier a si bien défini cette nécessité qu’il est superflu que j’ajoute quelque chose.
M. Rogier – Pas du tout, vous dites, et très bien, des choses nouvelles que je n’ai pas dites.
M. Manilius – Alors, je dirai encore quelque chose. (On rit.)
Ce que je dirai encore, c’est que, de même que l’honorable M. Rogier s’est donné la peine d’approfondir l’importance des éléments nécessaires pour une armée, j’aurais voulu que MM. les ministres s’en occupassent également ; non pas seulement M. le ministre de la guerre, car je dois convenir que cela n’entre pas complètement dans ses attributions ; mais Monsieur le ministre de l'intérieur. C’est à lui qu’incombe la loi de la milice ; il doit la savoir par cœur.
Je suis convaincu d’avance qu’il n’est pas disposé à me contrarier sur le chapitre que je viens de lui mettre sous les yeux. Il doit savoir que la milice n’a été instituée que comme auxiliaire à l’armée permanente. Cette armée permanente, messieurs, avait aussi sa loi. Dans le royaume des Pays-Bas, il y avait une loi d’organisation de l’armée permanente. Cette loi avait été faite avant que la loi fondamentale existât ; ainsi la loi fondamentale n’avait pas besoin de déclarer qu’il fallait faire une loi, elle était faite. Mais ce qu’elle a voulu, c’est une loi sur la milice, et on l’a faite, on l’a faite immédiatement ; ou plutôt on l’a refaite, car je dois le dire, elle existait en 1815 lors du retour de Napoléon.
En 1817, messieurs, on l’a rendue plus compatible avec les lois permanentes ; mais on n’a pas changé son caractère. Aujourd’hui encore, malgré toutes ses modifications et les quatre voluments d’instructions ministérielles qui l’entourent, c’est encore la loi de la milice et rien que la loi de la milice.
Cela m’amène à dire, messieurs, qu’il est regrettable que les hommes qui s’occupent avec tant d’empressement de la position des généraux, des aides de camp et de tout ce qui s’ensuit, ne s’occupent pas du tout du véritable élément de l’armée, du soldat. Ils ne savent pas encore vous dire aujourd’hui quel est l’élément militaire. C’est la milice, nous a dit l’honorable M. d’Huart. Je m’attends à ce que M. le ministre de la guerre nous en dise autant, à moins qu’il ne nous dise qu’il y a aussi les volontaires. Mais je lui demanderai aussi de quel droit il y a des volontaires ? Il n’y a que peu d’années que nous avons voté quelques sommes pour les volontaires ; mais il n’y a pas d’autre loi qui prescrive qu’il faut en accepter.
(page 1314) Une loi d’organisation aurait pu s’occuper de ces questions. Elle aurait décidé de quelle manière il faut organiser l’élément militaire ; vous l’avez bien fait pour les officiers ; mais vous ne dites pas où il faut prendre les soldats. Vous nous dites : il y a une vieille loi qui décide où je dois prendre les soldats ; je ne sais s’il est bien régulier de m’appuyer sur cette loi, mais peu importe.
Messieurs, ce qu’il fallait, ce que la chambre a voulu, c’est une loi qui organisât l’armée non pas à commencer du général, mais à commencer du soldat comme base et en couronnant l’œuvre par le général.
Messieurs, comme membre de la section centrale, j’ai pensé qu’ayant pris la parole, il m’était permis de répondre à quelques questions qui ont été soulevées hier par divers orateurs.
L’honorable M. Lys, entre autres, s’est étonné du silence de la section centrale relativement à la question des forteresses. Je crois avoir répondu à cet égard au commencement de mon discours.
D’autres membres ont prétendu que le projet de la section centrale n’était qu’un travail qui ressemblait à une mystification. Messieurs, je vous prie de croire que le mot n’est pas heureux. Il n’y a pas de mystification. Nous avons été guidés par les meilleures intentions. Nous avons avisé aux moyens les plus sérieux pour amener une bonne organisation. Mais, comme je l’ai dit, le gouvernement ne nous a pas prêté les mains.
Le gouvernement, je crois, aime le repos. Chacun des ministres aime beaucoup à nous doter d’un petit travail à sa façon mais jamais ils ne nous donnent un travail d’ensemble. Vous en avez encore eu l’expérience à la fin de la dernière session. La chambre avait ordonné une enquête. Il fallait examiner la question commerciale, la question industrielle, la question agricole. Il fallait visiter pendant quatre ans tous les coins du pays, pour connaître toutes les ramifications industrielles, pour entendre de chaque industriel la manière dont il s’y prenait pour arriver à la confection de ses produits. Il fallait aller dans tous les ateliers, dans toutes les fabriques, il fallait tout savoir. Et quand on eu bien vu tout, quand on a eu les rapports de la commission d’enquête, de droite et de gauche, on est arrivé avec un simulacre de loi. Quand on a demandé une loi d’ensemble, que vous a dit M. le ministre ? Oh ! ce serait une confusion ; faites d’abord ceci, nous examinerons cela ensuite. Et nous attendons encore cela.
Aujourd’hui, messieurs, on est dans la même position. L’honorable M. Castiau dit : il nous faut une loi d’ensemble. Mais, dit le ministre, ce serait une encyclopédie que vous voudriez ; vous vous y perdriez ! Non, non, messieurs, ce n’est pas une encyclopédie que nous voulons, c’est, comme je vous le disais tout à l’heure, commencer par la base et finir par le couronnement.
Messieurs, des orateurs ont aussi traité la question d’économie à faire sur l’armée. La section centrale, lorsqu’elle s’est définitivement livrée à son travail d’organisation des cadres (car il ne s’agit que d’une organisation des cadres et quoi que fasse le gouvernement, la loi aura toujours pour frontispice : organisation des cadres), elle a cherché à concilier autant que possible les besoins de l’armée avec ceux du trésor.
J’ai entendu dire par quelques orateurs que de grandes économies avaient été faites par l’honorable ministre de la guerre, le général du Pont. L’honorable M. Verhaegen lui en a fait, en quelque sorte, un grief. Comment ! a-t-il dit, l’honorable ministre qui vous a précédé a maintenu pour l’armée la dépense de 30 millions, et l’honorable ministre M. le général du Pont fait une économie d’un million et autant de mille francs ! Non, messieurs, c’est la section centrale qui vous présente des économies réelles, et M. le ministre de la guerre n’a fait que des économies momentanées et qui ne peuvent durer.
L’honorable M. Lys vous l’a déjà dit : l’honorable ministre de la guerre fait des économies sur les munitions ; il a eu le bonheur d’obtenir les vivres à bon marché et il a économisé sur la manutention du pain, sur le fourrage, etc. Mais cette économie-là n’est pas permanente, ne vous y trompez pas, messieurs. Au contraire, vous pourriez avoir plus tard un renchérissement du budget, avec le renchérissement des céréales qu’on vous prépare.
Ce que la section centrale a cherché à obtenir, ce sont des économies permanentes. Réduite à ce travail exigu, l’organisation des cadres, elle a cherché, s’il y avait quelque chose à faire sur ce point et elle y est parvenue. L’économie, il est vrai, n’est que de 180 et quelques milles fr. mais enfin elle sera permanente si vous l’adoptez, et j’espère que la chambre l’adoptera.
Je conclus donc en déclarant que dans le cours des débats, je ne cesserai de soutenir les propositions de la section centrale tendant à faire des économies et je me prononcerai contre le projet du gouvernement, c’est-à-dire contre un projet d’organisation que je ne regarde pas comme tel.
M. de Mérode – Beaucoup de choses instructives ont été dites, sans doute, par les organes du gouvernement. Mais il est pourtant une considération qu’ils n’ont pas suffisamment abordée, ce me semble et qui est essentielle : c’est la considération de notre situation financière intimement liée à la défense militaire du pays. MM. les ministres de la guerre ne cherchent pas assez à connaître cette situation, et l’honorable général du Pont a repoussé l’opinion d’un préopinant, M. de Garcia, qui pense qu’une armée en Belgique ne doit pas être de 80,000 hommes en temps de guerre, mais seulement de 50 à 60,000. M. de Garcia déclarait que, selon lui, la qualité devait être préférée à la quantité. M. le ministre de la guerre a soutenu la thèse contraire et a fait valoir l’avantage stratégique du grand nombre. Mais il n’a pas examiné les avantages de la qualité des troupes sous le rapport de moindre dépense en cas de guerre. Je me demande souvent quelle serait notre position si une conflagration sérieuse éclatait en Europe. Je me demande comment nous mettrions sur pied nos 80,000 hommes, comment nous les entretiendrions pendant six mois seulement ; car, loin de trouver des écus dans les caisses publiques, nous en tirerions des bons du trésor, c’est-à-dire non pas des lettres de change à recevoir, mais des lettres de change à payer. C’est en vain que, depuis plusieurs années, je m’élève contre cette imprévoyance qui nous menace en cas de crise, imprévoyance dont il paraît impossible de nous préserver. Forcé d’admettre un fait dont les conséquences sont si graves, car les faits sont dominateurs absolus, je ne puis m’empêcher de me rattacher au système qui consiste à chercher surtout la qualité des troupes plus que le très-grand nombre. Vu l’imprévoyance que j’ai signalée, je me borne à vouloir, pour la Belgique, qu’elle contribue à sa propre défense d’une manière distinguée par l’instruction, la valeur de ses officiers, de ses soldats, par l’intelligence, l’activité et le courage de ses généraux. Je n’ose plus espérer qu’elle puisse seule remplir son rôle d’Etat neutre vigoureusement armée, satisfaire seule aux besoins de la défense du pays. Une possibilité semblable ne saurait s’accorder avec les frais que nécessite l’exploitation si coûteuse du chemin de fer par l’Etat. La munificence gouvernementale sur les prix de transport, les nouvelles dépenses que nous demande le ministre des travaux publics, les attaques contre presque tous les impôts productifs, que l’on déclare trop souvent dans cette enceinte contraires aux mœurs du pays, comme on assure également que la garde civique répugne aux mêmes mœurs du pays. Mais comment se défendre avec des mœurs si commodes avec une mollesse d’habitudes si grande, avec un amour excessif du bien-être matériel et la crainte de tout ce qui est gênant ? Pour être individu bon soldat, il faut être dur à soi-même, il faut être prêt à sacrifier non-seulement ses aises, mais son sang et sa vie au besoin. Ce qui est vrai pour l’individu, l’est aussi pour une nation ; ainsi, messieurs, les bouches qui, lors de la discussion des voies et moyens, attaquent les sources les plus abondantes des revenus publics, ne peuvent proclamer ensuite la nécessité d’une armée constituée fortement, parce qu’une armée ne peut s’entretenir avec des paroles patriotiques, mais avec de patriotiques sacrifices. Dégoûter un peuple des impôts qu’il paye et l’enflammer d’un beau zèle pour sa défense, est une tentative inconciliable, un contre-sens dont je ne conteste pas l’habilité, toutefois, au point de vue populaire, parce que la multitude est impressionnable et ne se pique pas de logique très-rigoureuse.
Ainsi donc, avouons-le sans détour ; en votant pour une armée forte, on s’engage, si l’on est sincère, à voter des contributions proportionnelles, à écarter les bons du trésor que l’on devrait qualifier plutôt les mauvais pour le trésor, les mauvais pour la défense du pays, lorsque se présentera le danger ; car, finances en bon ordre, trésor bien garni, sont l’indispensable auxiliaire de respectable armée. Et qu’on ne dise point qu’en temps de crise le peuple supportera de grandes misères patiemment ; non, ce n’est pas lorsque les diverses sources des recettes se tariront, ce n’est pas lorsque le commerce sera paralysé ; quand chacun restreindra ses dépenses au nécessaire ; ce n’est point alors qu’on remplira facilement les caisses publiques pour l’entretien d’une armée sur pied de guerre. Je me rappelle ce qui s’est passé après la révolution de 1830 lorsqu’il fallut nous prémunir contre la Hollande. Nous étions incapables de maintenir l’armée, si l’emprunt Rothschild de 50 millions ne nous eût tirés d’embarras ; or, pourquoi ce puissant financier a--t-il consenti à fournir l’emprunt ? Parce que, dans ses prévisions justes, cette armée devait être une muraille préservatrice d’invasion, une muraille vivante de paix, un empêchement pour la guerre générale. Des circonstances semblables sont exceptionnelles. On ne voit guère, on en conviendra, le ministre d’une puissance dont une autre puissance foudroie les troupes dans une forteresse, demeurer accrédité près du souverain qui ordonne l’attaque. Pendant que l’artillerie française canonnait et bombardait les Hollandais dans la citadelle d’Anvers, le ministre des Pays-Bas restait à Paris. Aussi le baron Rothschild nous livrait hardiment ses fonds. Mais avec d’autres mœurs que ces mœurs pacifico-guerrières très rares, autres mœurs à attendre de la haute finance. Ne comptons plus sur les prodiges.
Pour mon compte, messieurs, voyant les dispositions du pouvoir exécutif comme du pouvoir parlementaire chez nous, voyant la manière dont on y traite les finances, je n’établis pas mes calculs sur la possibilité de réunir en Belgique 80,000 hommes, et nous serons heureux lorsque nous pourrons en tenir sur pied cinquante ou soixante mille pendant un an ou deux, en cas de guerre sérieuse. Toutefois si la véritable intelligence militaire sait bien préparer d’avance ces cinquante ou soixante mille hommes, la Belgique ne mettra pas infructueusement son épée dans la balance des événements, et, si elle périssait par une force invincible, elle ne périrait point sans honneur et sans conditions ; elle ne serait plus exploitée comme terre inerte, comme un champ fertile dont s’empare, sans résistance, le premier occupant. C’est là une honte qu’il faut éviter et que nous sommes maîtres d’éviter. Une armée de cinquante mille hommes solides atteindra ce but quoi qu’il arrive. Mieux vaudrait, sans doute, qu’elle fût aussi nombreuse que le désire M. le ministre de la guerre ; malheureusement l’argent manquera par ce défaut de prévoyance que je considère ici comme incorrigible, puisqu’il s’étend des hautes sommités du pouvoir jusqu’aux deux chambres législatives, et que ceux qui essayent de résister à l’entraînement général sur cette pente dangereuse, s’usent en efforts impuissants.
Hier, messieurs, j’ai entendu parler des passe droit. Passe droit signifie tort fait au droit. Or, quels sont les premiers droits à conserver quand il s’agit d’organisation militaire ? Je pense que c’est le droit à la défense du pays qui paye l’armée, le droit du soldat recruté par une loi dure, par la plus dure des lois, d’être honnêtement et justement commandé en temps de paix, de n’être pas inutilement sacrifié en temps de guerre. Ces deux droits (page 1315) principaux, essentiels, doivent-ils céder au troisième droit que je reconnais aussi, mais dans certaines limites et secondairement ? Je parle du droit privé, du droit d’ancienneté. Personne n’oserait le dire : cependant, certains ministres ont trouvé leur tâche plus facile en lui accordant à peu près tout. Quoi de plus commode, en effet, que d’opposer aux réclamations de l’amour-propre, de l’intérêt personnel : qu’on a donné les places vacantes aux plus anciens ? Aux plus anciens ! Mais ces plus anciens étaient-ils les meilleurs à choisir ? Non pour le pays et l’armée, oui, pour ma tranquillité ministérielle, répliquera au fond du cœur l’égoïsme. Si la loi pourtant réserve une part suffisante à l’ancienneté, ne laisse-t-elle pas le reste au choix précisément pour qu’on en use en faveur de l’intérêt national le plus important ? Dès lors, messieurs, loin d’exciter le ministre à se traîner dans l’ornière trop suivie, jusqu’à ce jour, et dont il a peine à sortir, parce qu’elle est profonde, encourageons-le plutôt dans l’accomplissement pénible de ses devoirs. La meilleure armée n’est pas celle qui brille par les plus beaux habits, qui possède même le meilleur armement, mais celle qui est commandée par les chefs les plus vigoureux, les plus instruits, les plus dévoués ; et l’âge ne donne point ces qualités. Voulez-vous vous en convaincre, assistez seulement aux manœuvres du camp de Beverloo, dont la médiocrité voudrait bien voir la suppression et qu’il est, au contraire, de la plus haute utilité de maintenir, et vous verrez s’il est juste de risquer, sur un champ de bataille, des milliers d’hommes, de risquer l’existence de l’Etat pour l’intérêt privé de quelques hommes. Une des causes qui a le plus contribué aux succès des armes de la république française, c’est la promotion des jeunes intelligences, des jeunes courages. Peut-être me dira-t-on : Attendez la guerre et vous les choisirez alors ; mais dans un petit pays, il est nécessaire de réussir dès le début, et si vos généraux de pure ancienneté vous laissent battre en commençant, vous serez perdus.
Il est encore un motif qui me porte à donner la préférence à la qualité sur la quantité des soldats possibles à réunir en cas de guerre, conformément à nos moyens financiers. C’est la sûreté intérieure en temps de paix. Aujourd’hui notre armée est comme un crible à travers lequel on fait constamment passer des hommes nouveaux. C’est une armée de recrues qui à peine ont le temps de faire connaissance avec leurs officiers ; dès lors quel ascendant moral pourraient-ils avoir sur ces miliciens à peine dégrossis qui, dès qu’ils savent manier les armes, sont renvoyés chez eux et remplacés par d’autres ; cela marche tant qu’il n’y a pas de trouble ; mais vienne le désordre et l’échafaudage ambitieux mal assuré croulera. Je vais avancer une proposition qui semblera peut-être un paradoxe, et cependant n’est pas douteuse pour moi : c’est que l’armée belge est une des plus utiles garanties des libertés publiques dont jouit notre pays. Vous faites ici des lois, messieurs, des lois justes dans leur ensemble, je me plais à le dire. Qui vous garantit leur exécution ? le Roi et l’armée. Si la Suisse avait un roi constitutionnel, avait une armée digne de ce nom, l’épouvantable désordre qui l’afflige ne se produirait certes point. On ne verrait pas des bandes tenir sur le qui-vive les citoyens paisibles, et les forcer à se battre pour défendre leur territoire, leur liberté de conscience. Sans un heureux mélange avec un pouvoir qui possède une force docile, la liberté meurt, le despotisme de la turbulence l’emporte, et ce despotisme est bien moins tolérable que celui d’un gouvernement monarchique sans représentation nationale, lorsqu’il est tempéré par les coutumes d’une longue et ancienne civilisation. M. de Garcia voudrait que l’on fît passer moins d’hommes sous le régime militaire, et que ces hommes y demeurassent plus de temps. L’armée de paix vaudrait aussi beaucoup mieux, et je viens de vous indiquer le bienfait que procure au pays, même en temps de paix, une armée qui se distingue, comme la nôtre, par la discipline et l’esprit d’obéissance conforme à la Constitution.
Si vous voulez cependant que les cadres puissent bien remplir leur tâche sous le rapport de l’ordre intérieur ne leur donnez pas exclusivement à diriger comme aujourd’hui des hommes absolument neufs. Un jour viendra peut-être, qu’on rendra tel corps d’officiers responsable du mal qu’il n’aura pu réprimer, pourquoi ? parce qu’il n’aura eu à commander que des gens momentanément revêtus d’uniformes, et non pas des soldats. Ceci mérite une attention très-sérieuse de MM. les membres du conseil des ministres, et je les prie de vouloir bien y réfléchir ; parce qu’un ministre de la guerre se laisse absorber souvent par les idées de guerre éventuelle et sans s’occuper assez d’autres circonstances qui méritent la sollicitude du gouvernement.
J’ai entendu adresser des reproches à des personnes notables du pays qui ont envoyé leurs enfants servir en Allemagne, au lieu de les placer dans nos régiments ; cela, sans doute, paraît sujet à critique, j’en conviens. Mais il faut savoir qu’il est ici passablement difficile d’entrer dans l’armée. Sans s’y introduire comme soldat, l’on n’a d’autre porte que l’école militaire et la porte de l’école militaire est fort étroite. Lorsque l’on a fondé ladite école, j’avais cru qu’elle serait un moyen de servir leur pays par les jeunes gens qui appartiennent aux familles aisées et qui ont reçu l’éducation classique des collèges. Pour laisser militairement quelque chose à cette classe qu’on peut rendre très utile dans l’armée à cause d’une certaine distinction de formes et d’idées même que l’on obtient plus aisément par les relations sociales premières du jeune âge, je pensais que l’on exigerait : 1° une pensions un peu forte qui aurait diminué pour l’Etat les frais de l’école, secondement que l’on établirait l’examen non pas sur les mathématiques spécialement, du moins pour les sections de cavalerie et d’infanterie, mais sur l’histoire, sur la littérature, sur les langues anciennes, la philosophie, en un mot, sur ce qui constitue ce qu’on appelle les humanités, sur ce qui constitue j’ose le croire, une éducation supérieure à la connaissance exclusive des chiffres, des courbes, des angles, voire même des gaz ou des acides. Malheureusement, l’idée sèche, mathématico-démocratique prévalut, et le jeune homme bien élevé se trouve, au concours d’admission, surpassé par celui qui connaît le mieux le carré de l’hypoténuse. J’ai eu un fils reçu à l’école militaire, et pour qu’il pût y parvenir en temps opportun, il a dû renoncer à l’étude de la logique, de la morale, de la métaphysique, en un mot, à l’étude des branches supérieures de la philosophie, pour être plus ou moins chimiste et mathématicien, savoir dont il oubliera, comme ses camarades, tous les détails qui n’ont jamais formé ni les cœurs ni les âmes, et qui rendent cependant très-fiers ceux qui les possèdent exclusivement, vu qu’ils ignorent la valeur des autres connaissances humaines.
Voilà, messieurs, ce que j’ai à dire pour l’excuse de ceux qui vont servir en Allemagne, et si je désire voir encourager le zèle militaire des fils de famille que la Providence a favorisés en les faisant naître dans une sphère où ils peuvent prendre de bonnes formes dès l’adolescence et acquérir sans efforts certaines choses que la science même ne remplace pas, ce n’est point par manie favorable au privilège, mais parce que je crois en toute sincérité qu’il est à propos, qu’il est conforme à l’intérêt public, à la dignité du commandement, à l’éloignement des formes brutales, vexatoires pour le soldat ; qu’il est bon, dis-je, que d’autres éléments que l’élément du caporal et du sergent devenus officiers, entrent dans la composition de la tête d’une armée. Les sous-officiers qui, par leur bonne conduite, gagnent l’épaulette ont eux-mêmes intérêt au mélange. Ils ont besoin que des existences indépendantes par la fortune prouvent que le parti des armes est plus honorable qu’une foule d’emplois civils mieux rétribués que les offices militaires, puisque des individus qui n’ont besoin ni des uns ni des autres pour vivre, acceptent les seconds et n’accepteraient pas les premiers.
En outre, il est indispensable, pour faciliter le maintien des bons cadres de sous-officiers, qui tous ne peuvent s’élever à un rang supérieur, qu’on leur réserve comme récompense les places d’ordre civil qu’ils peuvent occuper. La préférence est ici vraiment juste, car le jeune solliciteur qui n’a rien fait pour le pays, n’a pas les titres du sous-officier qui aura servi pendant dix ou douze années. A ce sujet, l’accord des ministres est encore nécessaire. Si les départements des finances, des travaux publics, de l’intérieur ne secondent pas le département de la guerre, ne l’appuient pas de tous les moyens, le mode d’encouragement que je réclame, avec d’autres membres de cette chambre, ne sera pas employé, ou bien il le sera sans efficacité réelle, sans large résultat.
A ces encouragements divers, il en faut joindre un autre pour les parents dont les fils sont appelés au service ou désireraient s’engager volontairement. On peut être persuadé que la crainte de voir la religion compromise dans les jeunes cœurs de ceux qui passent du foyer domestique aux casernes est une des plus puissantes causes d’éloignement pour le service militaire. Je n’ignore point que pour beaucoup d’esprits superficiels, la fierté inhérente au port de l’épée semble peu compatible avec une des vertus principales du christianisme, l’humilité si déférente pourtant de la bassesse. Quoi ! tandis qu’on doit porter la tête haute, se mettre à l’église à l’humble niveau du bourgeois qui s’assujettit à la prière commune, ou du simple villageois, n’est-ce pas se ridiculiser ? Mais vraiment, non ! car, ce qui est ridicule, c’est de croire qu’un habit change la nature humaine, et si nous sommes dans un siècle progressif, l’on devrait faire progresser assez l’intelligence sous l’uniforme pour que l’on comprît, dans les rangs supérieurs spécialement, que Pierre ou Paul, cultivateur ou artisan, avant d’avoir endossé l’habit du soldat, est encore Pierre ou Paul quand il apprend où même quand il sait la charge en douze temps, et qu’il est mal, très-mal, parfaitement mal de le renvoyer à ses père et mère, amoindri sous le rapport moral et religieux quand il quittera le drapeau.
Je sais qu’on nie ce résultat, mais la voix publique est plus forte que toutes ces négations, et, comme je suis ami non douteux de l’armée, je dois dire à l’officier que l’estime : « N’éloignez pas les sympathies populaires qu’il vous serait si facile de posséder. » Pourquoi ferait-on perdre au libre métier des armes, à notre époque d’analyse, à notre époque de contrôle universel, une part de la considération qui lui convient ?
Loin d’inspirer des craintes aux parents, le perfectionnement de l’état militaire devrait arriver à ce point, que le jeune homme, après avoir servi, reviendrait au foyer domestique plus instruit, plus rangé, plus moral, non moins religieux, par conséquent ; il serait temps de sentir enfin qu’avec des soldats que la conscription enlève aux familles les plus honnêtes, on ne peut plus agir comme à l’époque où l’on recrutait dans les carrefours et sur le quai de la ferraille ; où l’on ramassait, pour former un régiment, les déserteurs de toutes les nations. L’usage des grossiers jurements qui offensent Dieu et blessent l’homme, contre lesquels l’on se les permet, devrait être entièrement supprimé ; il en est de même du genre bambocheur ou ricaneur des choses qui méritent le plus de respect. Avec ce genre on n’obtiendra jamais la confiance du grand nombre de citoyens belges, mais plutôt leur répugnance pour le service militaire dont ils subiront la charge pour l’obligation légale de s’y soumettre, pas autrement. Or, est-ce dans ce sentiment de répugnance instinctive que se trouvera pour le corps d’officiers la preuve évidence, palpable, qu’il atteint à un haut degré l’estime et l’affection publiques ? Le bon sens dit que non ! le bon sens dit que le jour où la crainte du service militaire sous le rapport moral disparaîtrait, serait pour l’épaulette un beau jour, un jour glorieux, un jour digne d’envie. Je connais des chefs de corps, des officiers de moindre rang qui comprennent les principes que je voudrais voir admis par tous, et qui démontrent que je ne réclame pas une utopie ; mais il faudrait que la généralité comprît de même sa mission, et pour cela il suffit que l’officier pris en masse, qui ne peut ignorer que la (page 1316) cupidité des intérêts matériels, le désir de se soustraire aux charges qu’exige l’entretien d’une armée, agissent sans cesse contre l’état militaire, se persuade, à l’aide d’un peu de réflexion, qui doit à notre époque industrielle peu belliqueuse concilier à cet état si noble en lui-même tous les intérêts moraux ; qu’il doit lui attirer non l’antipathie mais la sympathie , mais la confiance des familles.
Je me suis permis ces dernières observations, messieurs, parce que votant, comme membre de cette chambre, le contingent de la milice, c’est mon devoir d’exprimer, au moment où l’on s’occupe de l’organisation de l’armée, les sentiments et les vœux du plus grand nombre de mes concitoyens.
M. de La Coste – Messieurs, en écoutant quelques-uns des discours qui ont été prononcés dans les dernières séances, j’ai été frappé de l’idée que, sans doute à l’insu et contre le gré des orateurs, il en pouvait demeurer cette impression que l’armée ne trouverait dans les grands pouvoirs de l’Etat, et notamment dans cette chambre, la sympathie à laquelle lui donnent droit et son utilité pour le pays, et son courage, et son dévouement. Une semblable impression, messieurs, serait aussi funeste pour l’armée et pour le pays, qu’elle est, selon moi, fausse en elle-même.
Cà et là, sur tous les bancs, à ma droite et à ma gauche, je vois des hommes qui, dans certaines occasions, ont réclamé des réformes économiques dans l’organisation de l'armée ; mais nulle part sur aucun banc, l’armée n’a des adversaires, ni ne peut en avoir.
Sa position a été, est encore pénible, pleine d’incertitude et de sacrifices, mais on vous l’a dit, c’est par ce motif impérieux qu’il s’agissait du passage de l’état de guerre à l’état de paix, et c’est précisément parce qu’on a voulu adoucir cette transition qu’elle s’est prolongée.
Dans cette question, messieurs, comme dans beaucoup d’autres, nous avons des devoirs divers à concilier : chacun de nous s’y applique souvent à des points de vue différents, mais avec un zèle sincère ; et si nous pouvions négliger un de ces devoirs, pour complaire à l’armée, nous n’aurions point droit à sa reconnaissance, pour que nous n’en aurions plus à son estime. Et, messieurs, qu’il me soit encore permis d’ajouter cette réflexion ; si l’armée, maintenant, touche au moment d’être enfin dotée d’une plus grande stabilité, c’est en majeure partie à cette chambre qu’elle le doit, c’est à l’insistance de cette chambre pour obtenir une loi d’organisation.
Qu’on ne s’y trompe pas cependant, cette loi n’est point un budget ; c’est, d’une part, une garantie pour l’armée ; c’est, d’autre part, une garantie pour la nation contre un accroissement progressif des charges ; mais notre prérogative, quant au vote du budget, quant au contingent annuel, cette prérogative reste intacte, nous ne pouvons l’aliéner. Chaque année, messieurs, nous aurons à l’exercer. Nous l’exercerons cependant en hommes raisonnables, en hommes qui ne se mettent pas en contradiction avec eux-mêmes, mais enfin nous l’exercerons dans sa plénitude et nous serons nous-mêmes juges de ses limites.
J’ai cru devoir faire cette observation, parce que quelquefois on prend notre silence pour un acquiescement, et que je ne voudrais pas qu’un jour on nous opposât l’assertion partie des bancs ministériels que le vote du budget ne serait plus désormais qu’une formalité.
Messieurs, il faut en finir avec cette question de l’armée. C’est ce que nous sentons tous, et c’est ce qui déterminera mon vote. Cependant, je suis aussi de ceux qui pensent qu’il est deux points sur lesquels il faudra revenir, si nous voulons avoir une organisation militaire vraiment nationale ; c’est d’abord la question des forteresses ; non pas de telle ou de telle forteresse, mais de toutes les forteresses que nous ne pourrions défendre vigoureusement par nous-mêmes. Ces forteresses, messieurs, je ne dirai pas que c’est une épée suspendue au-dessus de nous, c’est une figure un peu vieillie, mais permettez-moi de dire que ce serait une épée que nous ne pourrions pas saisir d’une main ferme, et vous savez dans ce cas ce qui arrive.
L’autre point, messieurs, qui a déjà été touché par plusieurs orateurs et tout à l’heure encore par l’honorable M. Manilius, c’est l’appel forcé des miliciens. Messieurs, notre armée a deux objets, même sur le pied de paix ; l’un est proprement le service de paix, le service des garnisons et l’autre ce sont les prévisions de guerre. Maintenant, messieurs, faut-il confondre complètement ces deux objets ? Il me semble, à moi, que le service des garnisons, le service qui se rapporte à l’état de paix, devrait appartenir uniquement à l’armée permanente, aux soldats dont le service est volontaire ; il me semble que l’on ne devrait recourir au service forcé que pour ce qui tient véritablement à la défense du pays ; c’est-à-dire soit la défense actuelle en cas de danger, soit ce qui prépare le soldat à concourir à une défense future. Vous avez, messieurs, 14,000 hommes de volontaires ; à cela vous pouvez joindre encore les remplaçants dont j’ignore la proportion. Les remplaçants sont aussi jusqu’à un certain point des volontaires, et si leur position a quelque caractère d’infériorité, par une meilleure organisation du remplacement on pourrait la relever.
Quelle est donc l’impossibilité de composer l’armée permanente, consacrée au service du pays pendant la paix, de la composer uniquement de soldats placés sous les armes par leur propre volonté ? Et si, messieurs, pour atteindre ce but, il fallait même des sacrifices, je pense que, dans ce cas, on en pourrait demander à cette classe aisée qui profite de la faveur du remplacement, faveur que nos mœurs réclament, que la douceur de ces mœurs rend, je le crois, inévitable, mais qui peut être considérée comme exorbitante, relativement à la position de ceux qui sont astreints en personne à un service forcé.
Ceux-là, messieurs, ont droit à des ménagements tout particuliers. Je voudrais en faire une classe séparée, ce serait la véritable milice, comme elle devait l’être dans les origines, sous le gouvernement des Pays-Bas. Ceux-là, messieurs, je ne les réunirais que pour les préparer aux services militaires qu’ils devraient rendre si le pays était menacé.
Ainsi, messieurs, vous auriez une armée permanente toujours sous les drapeaux, parfaitement disciplinée, parfaitement exercée, tellement rompue aux manœuvres que s’il fallait la transporter sur le champ de bataille, elle s’y comporterait comme à la parade… ; son mécanisme, en effet, serait tellement parfait que quoiqu’elle n’eût jamais été au feu, elle serait, pour ainsi dire, inhabile à faiblir et déploierait tout naturellement le calme et l’énergie de vieilles troupes. Vous auriez, après cela, messieurs, les jeunes soldats, propres soit à défendre les places fortes, soit à être placés en seconde ligne, soit à être intercalés dans les rangs de l’armée permanente qui réunirait ainsi tous les éléments de force, la solidité des vétérans et l’élan des conscrits.
Vous obtiendriez, messieurs, en même temps, un grand résultat moral. Pour la partie de la population armée qui a la vocation de l’état militaire, la caserne est souvent une école de moralisation, parce que c’est une école d’ordre, une école d’obéissance ; mais, messieurs, pour la partie de la population que ses goûts, que sa vocation naturelle portent vers de paisibles travaux, vers la vie domestique, la caserne ne peut plus être considérée sous le même aspect.
Cette partie de la population, suivant l’expression juste et énergique d’un honorable député du Hainaut, cette partie de la population vient s’étioler en passant par la caserne ; elle y séjourne trop peu de temps pour y prendre les vertus militaires, mais assez pour en rapporter des idées, des habitudes, des dispositions morales et même physiques qui ont souvent sur la destinée de ces jeunes gens, de ceux qui les entourent, une funeste influence.
Messieurs, je le sais bien, il est impossible que vous vous décidiez sur une semblable question dans un débat d’incident, mais c’est avec une conviction profonde que je vous ai présenté ces observations, et je les recommande à vos méditations.
- La séance est levée à 4 heures et ½.