(Moniteur belge n°58, du 27 février 1844)
(Présidence de M. Liedts.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure.
M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est approuvée.
M. de Renesse fait connaître l’analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Le sieur de Crane, médecin vétérinaire, demande que l’exercice de la médecine soit interdit à ceux qui ne sont pas munis d’un diplôme de vétérinaire. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les cultivateurs de la commune de Vieux-Genappe présentent des observations contre le projet de loi sur les céréales. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi.
M. Eloy de Burdinne demande un congé.
- Accordé.
M. Rodenbach. - Messieurs, dans la dernière séance trois orateurs ont signalé les abus de l’administration de la construction du chemin de fer. Il s’agit maintenant de s’occuper plus spécialement de l’exploitation, car c’est l’exploitation qui doit combler notre déficit, et vous savez que le déficit dans le chemin de fer est très considérable. Dans nos voies et moyens on ne porte que 11 millions, pour le produit du chemin de fer, tandis que, pour amortir la dette, payer les intérêts et combler le déficit de plusieurs années, il faudrait que le chemin de fer produisît dans nos voies et moyens 15 à 16 millions C’est dans l’exploitation du chemin de fer qu’il faut trouver des revenus pour combler notre déficit.
Je persiste toujours dans l’opinion que j’ai émise qu’il conviendrait d’augmenter de 10 p. c. le tarif sur les voyageurs et de diminuer considérablement le tarif sur le transport des marchandises. J’ai déjà eu l’honneur de vous dire, messieurs, qu’en Belgique nous ne transportons par lieue et par an que 40 mille tonneaux de marchandises. C’est insignifiant. On ne doit pas dire que le transport des marchandises est organisé quand on ne peut transporter par au et par lieue que 40 mille tonneaux. Par nos cent mille lieues de chemin de fer, nous n’avons transporté en 1843 que 300 mille tonneaux de marchandises, tandis que nos canaux transportent 500 mille tonneaux par an et par lieue.
Voyons ce qui se passe en Angleterre. En Angleterre le transport des marchandises par lieue et par an s’élève jusqu’à 500 mille tonneaux, tandis que chez nous avec nos cent lieues réunies nous ne transportons que 300 mille tonneaux ; ce n’est guère plus de la moitié de ce que le chemin de fer anglais transporte par lieue.
Ainsi on doit être frappé de l’insignifiance de notre transport de marchandises. Il faut l’organiser autrement, car il ne transporte presque rien. Le transport des voyageurs emploie quatre chevaux de vapeur et le transport des marchandises n’en emploie qu’un.
M. le ministre des travaux publics a eu raison de dire que le transport des marchandises était dans l’enfance.
On ne peut pas continuer à faire payer 4 à 5 millions aux contribuables pour le chemin de fer. Il est des campagnards qui payent pour le chemin de fer au-delà d’un franc, sans en profiter, se trouvant à une très grande distance.
M. le ministre, dans une précédente séance, quand j’ai parlé de l’ouvrage de M. Lavalleye, m’a répondu que le système que je proposais n’était pas exécutable, que déjà le commerce se plaignait quand la marchandise restait trois jours sans être expédiée et qu’il se plaindrait bien plus encore si, comme le proposait l’ingénieur Lavalleye, on la gardait pendant un mois dans les magasins de chemin de fer. Je ferai observer qu’il ne s’agissait que des marchandises dont le négociant ne demandait pas la prompte expédition et que l’administration pouvait expédier quand les convois n’étaient pas complets. Pour ces marchandises il y avait une diminution de 25 p. c. sur le tarif. C’était là une faveur. Le négociant ne pouvait pas se plaindre alors quand la marchandise restait trois ou quatre semaines avant d’être expédiée. Quand il voulait un transport expéditif, il devait payer 40 centimes au lieu de 30. Je conçois les plaintes du commerce dont vous a parlé M. le ministre contre des retards de trois jours, car il payait pour expédition prompte.
Il y a donc deux propositions dans le système de M. Lavalleye. Comme je suis un peu fatigué, je me bornerai à ce peu de mots. Je prie de nouveau M. le ministre de porter toute son attention sur le transport des marchandises qui ne produit que trois millions et demi ; ce n’était pas la peine de faire un travail aussi coûteux que le chemin de fer pour arriver à un pareil résultat. Ce transport devrait rapporter trois fois plus. Si on veut tenter le système proposé, on verra qu’il y a moyen de faire rapporter au chemin de fer plus qu’il ne rapporte.
Je terminerai en me ralliant à la proposition de M. de Theux, de nommer une commission permanente auprès du chemin de fer. D’autres préopinants ont également appuyé cette proposition. Par ce moyen, si on ne fait pas disparaître tous les abus dont on s’est plaint, on peut espérer du moins en faire cesser beaucoup et en empêcher de nouveaux de se produire.
Je désire que cette commission soit nommée le plus promptement possible.
M. Dumortier. - Je suis aussi du nombre de ceux qui désirent voir augmenter les produits du chemin de fer. Ce vœu est partagé par toute l’assemblée. Mais pour les moyens de le réaliser, chacun peut avoir ses idées. Je ne puis partager l’opinion de M. Rodenbach que ce serait en réduisant outre mesure les péages sur les marchandises qu’on pourrait augmenter les revenus. L’honorable M. Rodenbach compare le produit des canaux avec ceux du chemin de fer. Vous avez vu tout d’abord que cette comparaison pèche par sa base. Une fois le canal construit on peut transporter 100 ou 300 tonneaux de marchandises avec un cheval et son conducteur ; il n’en est pas de même par le chemin de fer, où il faut plus de locomotives, de conducteurs et de waggons, par conséquent des dépenses plus considérables et un personnel plus nombreux ; et où tout se détériore beaucoup plus vite que les moyens de transport par canaux. Il y a impossibilité matérielle de comparer le transport par le chemin de fer avec celui par les canaux et rivières.
En Angleterre, quand on a créé des chemins de fer, on les a construits dans l’hypothèse qu’on aurait transporté les marchandises pondéreuses, Vous savez que le chemin de Liverpool à Manchester est le premier qui a été construit en Angleterre et celui qui a servi de base à tous les calculs. Quand on a construit le chemin de fer de Liverpool à Manchester, il existait deux canaux dans la même direction l’lrrwell et le Duc Bridg-Water.
Aussitôt que le chemin de fer a été commencé à être ouvert, les sections de ces canaux sont tombées, parce qu’on pensait que tous les transports des marchandises pondéreuses allaient être faits par cette voie. On en a fait l’expérience, mais on n’a pas tardé à reconnaître qu’il y avait impossibilité de lutter avec les canaux ; et aujourd’hui les actions de ces canaux sont plus élevées qu’elles ne l’ont jamais été. Aucune marchandise pondéreuse n’est transportée par le chemin de fer, toutes se transportent par les canaux, à moins qu’on ne se trouve dans une situation à devoir traverser des rivières.
Si vous n’avez à lutter que contre les transports par voiture, le chemin de fer l’emportera. Mais quand il y a un canal parallèle ou voisin, il n’y a pas d’exemple que les marchandises pondéreuses soient transportées par le chemin de fer, c’est le canal qui les transporte, parce que le transport coûté infiniment moins par voie d’eau que par le chemin de fer. Sur les canaux et rivières, on n’a pas à veiller au coak, au combustible. Il ne faut ni locomotive ni personnel aussi considérable. Quelques éclusiers et pontonniers suffisent pour la surveillance. Il n’y a donc pas de comparaison à établir.
Le calcul pèche également par sa base à un autre point de vue. Cette supputation est basée sur cette hypothèse, que les quantités à transporter sont indéfinies et que la consommation en est également indéfinie. Ni l’une ni l’autre de ces suppositions n’est exacte. Les quantités à transporter ont des limites ainsi que la consommation. Comment penser alors qu’en baissant outre mesure le tarif des transports on augmentera les revenus ? Si les marchandises à transporter et leur consommation augmentaient en raison de l’abaissement du prix du transport, peut-être arriverait-on à cette donnée que le produit augmenterait en raison de l’abaissement du tarif ; mais il n’en est pas ainsi. Ce n’est pas parce que vous transporterez de Charleroy à Bruxelles toute la houille et tout le fer par le chemin de fer, que la consommation en augmentera. Tout cela a des limites.
Ces limites prouvent que vous ne devez pas abaisser votre tarif au-delà de certains prix, en supposant toujours l’augmentation du transport des marchandises. En abaissant ainsi votre tarif outre mesure, à quel résultat arriverez-vous ? Que les canaux ne rapporteront plus rien. Si vous transportez la houille par le chemin de fer, vous augmenterez le revenu du chemin de fer, mais que deviendra le revenu des canaux ? Les canaux du Hainaut rapportent aujourd’hui deux millions et demi. Vous devrez continuer à les entretenir, et ils ne produiront plus rien. Ce sont là des questions qu’on ne tranche pas par des idées mais par la pratique. Or, la pratique et l’expérience démontrent que le tarif doit être établi de manière à laisser un bénéfice à l’exploitant et présenter des avantages sur les autres transports par terre. Vouloir lutter avec les voies d’eau, c’est impossible. Lutter contre les transports par voie de terre on doit le faire et on doit réussir.
Je traite ici la question dans sa généralité.
Je fais abstraction des intérêts de telle ou telle localité ; car il peut se faire que certaines localités, Liége, par exemple, aient un intérêt différent. Je me borne à examiner la question en thèse générale.
Si l’on compare le prix du transport des marchandises et des personnes avant l’ouverture du chemin de fer avec ce qu’il est aujourd’hui, on reconnaît que, dans toutes les directions, il y a abaissement considérable et déraisonnable par les chemins de fer. J’en citerai quelques exemples : pour n’éveiller aucune susceptibilité d’intérêt local, je citerai la localité que je représente ; non pas que je veuille voir augmenter les péages du chemin de fer vers cette localité ; mais pour vous faire voir que je veux être juste envers tout le monde, je veux l’être d’abord envers moi-même.
Entre Tournay et Gand, on payait le transport des marchandises à raison de 2 fr. par 100 kil. Il fallait trois jours pour le voyage. Comme il n’y avait pas de départs tous les jours, très souvent il fallait attendre ; de manière qu’on calculait que, pour faire parvenir des marchandises de Gand à Tournay, il fallait une semaine. Aujourd’hui de Gand à Tournay, on paye 90 centimes pour 100 kilog. de marchandises, et vous les avez en trois heures.
Je signale ce fait, parce qu’il m’est parfaitement connu. Ce qui se passe entre Tournay et Gand se passe dans toutes les directions où vous avez des lignes droites. Lorsque le chemin de fer forme une courbe, il n’y a plus de terme de comparaison. Ainsi de Tournay à Bruxelles, où le chemin de fer a un parcours double de la route pavée, le transport par chemin de fer est plus cher que par la route pavée. Mais dans toutes les localités où le chemin de fer va directement de clocher à clocher, les dépenses de charroi sont réduites par le chemin de fer de moitié et même souvent au-delà. Ainsi entre Verviers et Liége on transporte les marchandises aujourd’hui au tiers du prix auquel on les transportait, il y a six mois. Je ne veux pas attaquer telle ou telle localité ; je vous cite celle-ci, comme j’en citerais d’autres. Je parle d’une manière générale.
Vous cherchez les motifs pour lesquels le chemin de fer ne rapporte pas. N’allez pas les chercher en dehors des faits réels. Vous avez abaissé les péages d’une manière tellement exagérée, qu’il n’y a plus de revenu possible. Quand vous serez arrivés à perdre en transportant l’unité, vous ne pouvez sérieusement prétendre arriver à un bénéfice par l’accroissement des transports. Il est évident que, plus vous transporterez de marchandises, plus vous multiplierez la perte.
Pareille chose a lieu relativement au transport des voyageurs. J’appellerai votre attention sur un fait qui vous est connu. Autrefois entre Anvers et Bruxelles (je prends un trajet bien connu de tout le monde) on payait 4 fr. dans le coupé de la diligence. Le trajet était de 6 heures. Aujourd’hui le trajet est d’une heure, et l’on paye en diligence 3 fr. 25 c. Vous voyez que la réduction est considérable. Autrefois sur l’impériale on payait 3 fr. ; maintenant dans les waggons où l’on est moins exposé à la pluie et au mauvais temps, et où on l’est moins longtemps, on paye la moitié, 1 fr. 50 c.
Voulez-vous invoquer l’exemple des pays voisins ? Voyons par exemple la France, puisqu’il y a analogie entre les habitudes de ce pays et les nôtres.
Deux routes sont maintenant exploitées, de Paris à Rouen et de Paris à Orléans. Sur la route de Paris à Rouen, tout le monde le reconnaît, le prix du transport des marchandises est trop élevé. Mais tout le monde est d’accord que de Paris à Orléans le tarif a été établi sur des bases tellement heureuses qu’il satisfait à tous les besoins.
On paye, par lieu de 5 kilomètres (successivement : en Belgique, de Paris à Orléans et de Paris à Rouen)
En diligence : 40 cent., 50 cent. et 60 cent.
En chars-à-bancs : 27 cent., 37 1/2 cent. et 47 cent.
En waggon : 17 1/2 cent., 25 cent. et 37 cent.
Ainsi on paye en diligence de Paris à Orléans, 25 p. c., et de Paris à Rouen 50 p. c. de plus qu’en Belgique et de Paris à Rouen, on paye en waggon plus du double de ce qu’on paie en Belgique. En Belgique pour 17 c. et 1/2 on fait une lieue en waggon ; mais, pour me servir d’une expression vulgaire, qu’il me soit permis de le dire, en faisant une lieue on use pour plus de 17 c. et 1/2 de souliers.
Vous le voyez, il ne faut pas chercher des faits ailleurs que dans les bases du tarif.
Je conçois que, dans cette matière qui était neuve, le gouvernement se soit trompé. Mais il faut que les élus de la nation, éclairés par l’expérience, ne se trompent pas. C’est l’abaissement excessif du tarif qui est cause de l’abaissement du revenu. Je pense que là est le vice, et que si vous voulez que le chemin de fer ne donne plus de déficit, il faut élever peu à peu le tarif jusqu’à ce qu’on soit arrivé à un taux convenable.
D’où vient qu’on a fait des calculs si inexacts ? D’où vient que le chemin de fer qui, dans le principe, couvrait ses dépenses, ne les couvre plus aujourd’hui ? Cela provient de ce que les premières sections mises en exploitation ont coûté moins que les autres à construire.
Lorsque nous avons voté la deuxième voie du chemin de fer, en 1837, alors nous étions tous dans la conviction que le chemin de fer rapporterait de 7 à 8 p. c. On comptait bien ; mais c’est qu’alors on n’avait pas fait cinq lieues de chemin de fer coûtant 30 millions. On n’avait fait le chemin de fer que dans les provinces flamandes où il ne coûte que de 4 à 500,000 fr, par lieue.
M. David. - Mais là il ne rapporte rien.
M. Dumortier. - Pardon, c’est là qu’il rapporte le plus.
M. David. - Ce sont les pays de montagne qui rapportent.
M. Dumortier. - C’est une erreur. Les routes qui rapportent le plus sont celles où le revenu est le plus considérable, proportion gardée avec leur dépense ; car, si vous supposez dans vos calculs que la route de la Vesdre ne rapporte pas plus qu’une autre, il est bien certain que vos calculs manquent d’exactitude. Les chemins de fer des provinces flamandes rapportent peut-être 5 ou 6 p. c., tandis que les autres ne rapportent pas 1 p. c.
J’ajouterai, sur ce point, quelques mots encore pour faire voir comme on calcule inexactement les revenus du chemin de fer. J’ai déjà entendu dire plusieurs fois, que certaines routes dans la partie plate du pays, ne rapportaient rien, par exemple de Tournay à Courtray ; c’est une opinion accréditée. C’est cependant directement le contraire de la vérité.
Je tiens en main le tableau des recettes du chemin de fer dans les derniers mois qui nous sont connus. Je crois que l’époque la plus rapprochée est le meilleur élément de nos calculs. J’y vois que le transport des voyageurs a produit en décembre dernier :
A Bruxelles (avec les deux stations), 95,000 fr.
A Gand, 36,000 fr.
A Anvers, 32,000 fr.
A Liége, 26,000 fr.
A Malines, 17,000 fr.
A Mons, 15,800 fr.
A Tournay, 15,120 fr.
A Verviers, 9,800 fr.
Ainsi vous le voyez, au sujet de la route de Tournay à Courtray, on est dans une erreur complète. Ce sont les routes des pays plats qui ont rapporté les plus grands revenus et ce sont celles qui out coûté le moins.
Voyons ce qu’a rapporté la route de Verviers. Pendant le mois de décembre, elle n’a rapporté pour les voyageurs que 9,000 fr.
M. David. - Pour les voyageurs.
M. Dumortier. - Voulez-vous savoir ce qu’elle a rapporté en tout ? Elle n’a rapporté que 18,000 francs pour les voyageurs et les marchandises, tandis que la station de Tournay, qui n’est qu’une demi-station, a rapporté 25,000 francs, Et remarquez-le, messieurs, l’embranchement de Tournay a coûté un million et demi, tandis que la route de Verviers a coûté 30 millions.
Si vous prenez le mois de novembre, vous arrivez aux mêmes résultats.
Dans le mois de novembre, Bruxelles, la capitale, est nécessairement la localité qui a donné les plus grandes ressources au trésor ; elle a produit 100,000 fr. de recettes sur les voyageurs. Puis est venue encore la ville de Gand qui a rapporté 57,000 fr. ; ensuite la ville d’Anvers qui a rapporté 34,000 fr. ; Liége qui a produit 27,000 fr. ; Malines qui a produit 16,800 fr. ; Tournay qui a rapporté 15,100 fr. Tournay occupe donc le sixième rang dans les produits. Verviers n’a rapporté que 10,460 fr.
M. David. - Pour les voyageurs.
M. Dumortier. - C’est la même chose pour les marchandises ; si l’on veut, je citerai les chiffres.
N’est-il donc, pas complètement inexact de prétendre que ce sont les localités de montagnes qui amènent les plus grands revenus au chemin de fer ? Evidemment ces localités sont loin d’occuper les premiers rangs pour les revenus, bien que ce soient leurs lignes qui aient coûté le plus.
Je le répète donc, les routes les plus productives sont celles des pays plats, parce qu’elles ne coûtent que très peu proportionnellement aux autres, et en second lieu parce que ce sont celles qui rapportent le plus au trésor public.
M. David. - Les pays plats transportent de la dentelle et nos chemins transportent des montagnes.
M. Dumortier. - Je vous demande pardon. Les pays plats rapportent des pièces de cinq francs au trésor public.
M. David. - Pour les voyageurs.
M. Dumortier. - Je vais répondre à mon honorable collègue pour les marchandises ; cela ne me sera pas difficile.
Puisque nous sommes un député de Verviers et un député de Tournay en présence, je ne parlerai que de ces deux localités.
La recette totale de Verviers, pour les marchandises et les voyageurs, a été, dans le mois de décembre, de 17,637 fr., et celle de Tournay de 24,140 fr. Dans le mois de décembre la recette totale de Verviers a été de 18,600 fr., et celle de Tournay de 20,000 fr.
Ainsi dans les deux mois sur lesquels on peut réellement établir des calculs, la recette de Tournay qui n’a qu’une demi-direction, qui n’a pas de chemin de fer sur Mons, ni en réalité sur Bruxelles, a excédé celle de Verviers qui a deux directions.
Vous le voyez donc, là est le vice. Le vice vient de ce que l’on veut aujourd’hui calculer pour les localités montagneuses.
Une première question se présente : ne serait-il pas juste d’équilibrer les tarifs actuels du chemin de fer avec les anciens prix de transport dans les diverses localités ? Si l’on tenait compte, messieurs, de cette considération, on arriverait à quelque chose qui ressemblerait beaucoup à de la justice. Car il n’est pas juste que dans telle localité on ne paie que 15 p. c. de moins qu’auparavant sur le transport des marchandises, tandis que dans telle autre on paye 60 p. c. de moins.
Cependant, je dois le dire, je n’entends pas trancher cette question ; je me borne à vous la signaler. J’avoue même que j’ai jusqu’à présent défendu le système contraire ; mais une mûre réflexion et surtout l’examen des tableaux que je viens de vous communiquer, m’ont fait voir que nous n’augmenterions les revenus qu’en élevant les tarifs aussi bien pour les voyageurs que pour les marchandises.
Messieurs, le chemin de fera a coûté 150 millions, capital effectif, et 180 millions, capital nominal. C’est sur le capital de 180 millions qu’il faut établir nos calculs, puisque c’est celui-là que nous devons rembourser. Nous devons payer chaque année 5 p. c. d’intérêt, plus 1 p. c. d’amortissement, et nous n’en retirons pas 3 p. c. de revenu. Il faut donc faire produire au chemin de fer une somme beaucoup plus considérable. Aujourd’hui qu’il est entièrement terminé, nous pouvons mieux qu’autrefois apprécier de quel côté est le vice, et y porter remède.
On s’est donc trompé lorsqu’on a fait les premiers tarifs du chemin de fer. On s’est trompé parce qu’on a remarqué que les sections qu’on avait ouvertes et qui avaient coûté très peu, rapportaient beaucoup par les voyageurs. On s’est trompé, parce que les sections les dernières ouvertes sont celles qui ont coûté le plus et qui rapportent le moins en voyageurs. Ces erreurs, nous les avons tous partagées ; maintenant des faits viennent nous faire voir que nous nous sommes trompés.
D’un autre côté, messieurs, il y a certainement des améliorations considérables à apporter au chemin de fer. Ainsi, pour ne parler que de ce que je connais, que de ce qui se passe sous mes yeux (car chacun ne peut mieux parler que des faits qui se passent sous ses yeux), je vous parlerai de la localité que j’habite. Tournay communique par le chemin de fer avec Gand et avec Lille. De Tournay à Lille il y a, par le chemin de fer, sept lieues ; on pourrait parcourir cette distance en une heure ; cependant nous n’avons pas encore de rapports directs avec Lille, tellement que pour aller de Tournay à Lille par le chemin de fer, il faut quatre heures. Qu’en résulte-t-il ? C’est qu’aucun voyageur ne prend le chemin de fer pour se rendre de Tournay à Lille ; il continue à y avoir des diligences comme auparavant, tandis que l’Etat pourrait s’emparer de cette branche de revenu, si les choses étaient arrangées avec un peu de soin.
Je pense aussi qu’il y a des économies et des réductions à apporter dans le personnel. Je suis convaincu, comme plusieurs de mes collègues, que dans plusieurs localités le personnel est trop considérable. Je pourrais ajouter aussi qu’on a fixé les traitements de ce personnel à un taux un peu trop élevé.
Dans notre pays, messieurs, de tous les corps constitués, celui dont les employés sont le plus largement rétribués, c’est le corps des ponts et chaussées. Malheureusement on a pris ces traitements pour base. Il en est résulté que les traitements des employés du chemin de fer sont trop élevés. Ainsi, un simple ouvrier terrassier, qui travaille sur les stations, gagne 2 ou 2 fr. 50, selon les localités, tandis qu’il n’est rien de plus facile que d’avoir des ouvriers terrassiers à 1 fr. 20 et 1 fr. 50 par jour. Je pourrais multiplier les exemples.
Un autre moyen d’améliorer encore les revenus du chemin de fer, c’est d’en compléter la création. Et ici, messieurs, je ne puis terminer sans dire quelques mots relativement au chemin de fer de Jurbise à Tournay. C’est mon devoir, j’ajouterai : c’est mon droit. Car vous nous avez promis formellement ce chemin de fer. C’est au nom de la parole que vous nous avez donnée que je viens vous parler.
Un membre. - On n’a rien promis.
M. Dumortier. - Je vous demande pardon ; cela est inséré dans vos procès-verbaux, et j’espère bien que vous ne reculerez pas lorsqu’il s’agira d’exécuter votre promesse. (Interruption.)
Je sais bien qu’il y a des personnes qui malheureusement ne sont pas très disposées en faveur du Hainaut, mais enfin je dois dire la vérité.
Messieurs, il y a trois ans la chambre a fait de grandes largesses. Nous avons voté en faveur des Flandres une somme considérable pour le canal de Zelzaete ; nous avons voté un canal dans la Campine ; nous avons voté deux millions pour le Luxembourg ; nous avons voté pour la province d’Anvers, indépendamment du prix du canal de la Campine, une somme considérable pour l’entrepôt et pour les victimes de l’incendie ; nous avons voté pour Bruxelles le rachat de ses collections, ce qui était pour cette ville un avantage considérable. En un mot toutes les provinces ont eu quelque chose, le Hainaut excepté.
A cette époque mes honorables collègues du Hainaut et moi, nous avons présenté un amendement tendant à obtenir le chemin de fer de jonction des deux lignes du midi. La chambre n’a pas cru pouvoir accepter cette proposition ; mais, à la demande de mon honorable ami M. d’Huart, elle l’a prise en considération, et a ajourné son exécution jusqu’au moment où tous les chemins de fer seraient achevés.
M. de Brouckere. - Elle a ajourné l’examen.
M. Dumortier. - Pardonnez-moi. Messieurs, mettez la main sur la conscience ; lorsque chaque province venait prendre une part considérable au budget de l’Etat, lorsque chaque province venait s’asseoir à la table du budget et nous en excluait, il y aurait eu impudeur à ne pas nous promettre quelque chose. Seulement on a voulu que le chemin de fer fût terminé, et aujourd’hui qu’il est terminé, nous avons le droit de venir demander la réalisation d’une promesse qui nous a été faite.
Mais cette promesse serait-elle onéreuse pour l’Etat ? Messieurs, je suis à même de prouver d’une manière incontestable que sa réalisation, non seulement ne serait pas désavantageuse à l’Etat, mais qu’elle lui serait éminemment avantageuse. Et cela pourquoi ? Parce que, ici encore, le chemin de fer doit traverser des pays de plaine, que dès lors il coûtera fort peu pour la construction, tandis que, d’un autre côté, en reliant des populations nombreuses, en reliant les Flandres au Hainaut, vous aurez un nombre considérable de voyageurs.
En reliant Lille à la capitale, vous attireriez un nombre considérable de voyageurs. Ce chemin de fer serait un de ceux qui rapporteraient le plus au trésor public. Prenez le tableau du transport des marchandises, présente par le gouvernement ; vous y verrez qu’aujourd’hui il n’y a point de transports de marchandises entre la partie du Hainaut que j’habite et Bruxelles.
Ainsi, messieurs, entre Tournay et Mouscron (c’est la direction que l’on suit) on transporte 8,000 tonneaux de marchandises, tandis qu’entre Bruxelles et Tournay, on n’en transporte pas un kilogramme ; tous les transports entre ces deux points continuent à se faire par chariots ; nous sommes seuls exclus du bénéfice dont toutes les autres parties du pays ont profité.
Il y a là une lacune ; l’arrondissement que j’ai l’honneur de représenter n’est point en communication réelle avec la capitale. Pourquoi veut-on nous laisser dans un état d’infériorité relativement aux autres alors qu’il est démontré par les tableaux des revenus de l’Etat, que nous payons la sixième partie des charges publiques ? La chambre, il y a trois ans, nous a fait une promesse, et j’espère qu’elle n’hésitera point lorsqu’il s’agira de réaliser cette promesse. Je voudrais que M. le ministre des travaux publics, qui a dû examiner la question, voulût nous donner quelques éclaircissements sur ce point ; je pense qu’il doit être à même de le faire, puisque des investigations ont eu lieu. Je le prierai donc de bien vouloir nous dire à quel point en sont les choses.
Messieurs, j’ai eu l’honneur d’exprimer toute ma pensée sur le déficit du chemin de fer. Ce déficit est une chose extrêmement fâcheuse. D’où vient, en effet, que nous devons augmenter nos impôts ? D’où vient que nous ne pouvons plus rien entreprendre de grand ? Cela provient d’une seule chose, c’est que le chemin de fer ne couvre point ses dépenses. Nous nous trouvons donc dans l’alternative de frapper le peuple de nouveaux impôts ou il augmenter les revenus du chemin de fer. Quant à moi, entre des deux alternatives, je n’hésiterai jamais. Il me paraît que celui qui voyage ou qui fait transporter ses marchandises par le chemin de fer doit supporter les charges de cette entreprise, puisqu’il jouit des avantages qui en résultent.
Je dis donc que c’est de ce côté que doit se tourner surtout l’attention du gouvernement lorsqu’il s’occupe de rechercher les moyens de combler le déficit. Il y aurait bien un troisième moyen à employer, ce serait d’adopter des économies et en ce qui me concerne ma profession de foi est faite depuis longtemps à cet égard ; depuis 12 ans que je siège dans cette chambre, j’ai toujours été un de ceux qui ont parlé le plus haut en faveur des économies, mais ma voix n’a jamais été entendue ; elle n’a pas été entendue lorsqu’il s’agissait de faire des budgets normaux, lorsqu’il y avait en quelque sorte table rase ; j’ai donc bien peu d’espoir de la faire entendre aujourd’hui.
Il ne reste donc, comme je le disais, qu’à choisir entre l’établissement de nouveaux impôts sur le peuple et l’emploi de mesures propres à faire produire au chemin de fer les revenus qu’il doit donner. Eh bien, je pense, messieurs, que dans une pareille position le choix de la chambre ne saurait être douteux.
M. Peeters. - Messieurs, j’ai vu avec plaisir dans le rapport du budget des travaux publics, que, cette année au moins, le gouvernement avait cédé aux observations bien justes des deux chambres, en séparant pour le chemin de fer les dépenses pour le personnel, des dépenses pour le matériel, seul moyen, selon moi, de forcer le gouvernement à mettre plus d’économie dans le personnel du chemin de fer.
Je pense que le moment est venu que le gouvernement et les chambres s’occupent sérieusement à régler par une loi les traitements de tous les fonctionnaires de l’Etat sans exception aucune, en établissant une juste proportion entre les employés des différentes branches d’administration. Il me paraît que l’impression d’une liste comparative où se trouveront, en regard les uns des autres, les traitements des employés des finances, des employés du chemin de fer, des postes, des ponts et chaussées, voire même des membres de l’ordre judiciaire, serait une chose bien utile en ce moment. J’engage le gouvernement à y penser sérieusement ; il est de son intérêt qu’il y ait harmonie complète entre les traitements des différents fonctionnaires.
Je crois qu’en diminuant les traitements des uns et en augmentant les traitements des autres, l’on pourrait parvenir à leur assurer à tous une existence honnête sans imposer de nouvelles charges aux contribuables, car ces derniers ne sont pas toujours dans une position favorable et méritent aussi votre attention.
Il y a au chemin de fer des fonctionnaires qui reçoivent des traitements trop élevés, comme vous l’a prouvé très bien, selon moi, l’honorable M. de Man d’Attenrode, tandis que les employés des postes et plusieurs catégories des membres de l’ordre judiciaire sont trop faiblement rétribués.
Puisque nous discutons ici le chemin de fer et la poste, je m’arrêterai à cette dernière catégorie de fonctionnaires.
Les employés des postes sont presque tous, sans exception, beaucoup trop mal payés, mais il y a une catégorie qui, par sa position malheureuse, mérite surtout votre attention. Je veux parler des facteurs ruraux, dont la position, dans beaucoup de localités, est tellement malheureuse, qu’on pourrait qualifier presque d’inhumaine la conduite du gouvernement à leur égard. Oui, messieurs, l’on voit punir continuellement ces malheureux pour des négligences et irrégularités qu’ils ont été obligés de commettre.
Le croirez-vous, messieurs, il y a des facteurs ruraux, et j’en connais plusieurs, qui, pour remplir exactement leur devoir, devraient journellement (vous savez qu’aucune fête de l’année ne fait même exception) faire un parcours de 12 à 14 lieues, surtout dans les moments que les notaires et les receveurs d’enregistrement, etc., envoient leur avis. D’ailleurs, la distribution des journaux est encore une grande charge pour eux, ils doivent se rendre journellement chez tous les abonnés, même chez ceux qui se trouvent tout à fait à l’extrémité des limites de la commune.
Ils doivent encore se rendre presque journellement chez tous les employés du gouvernement, chez MM. les curés et dans les châteaux ou les maisons de campagne qui se trouvent souvent à l’écart et aux limites de la commune.
Aussi, si quelques personnes n’étaient point indulgentes à leur égard, pour les journaux surtout, des punitions journalières devraient être appliquées.
Tout ce que je viens de dire vous prouve déjà que le nombre doit en être considérablement augmenté ; j’arrive maintenant à leur traitement qui, comme vous savez, est de 500 fr. par année ; défalquez de cette somme un demi-franc par jour pour dépense inévitable en route, il leur reste, à ces malheureux, un franc par jour pour entretenir souvent une nombreuse famille. Je vous le demande, messieurs, est-ce là un traitement convenable pour un service si dur et si pénible, qu’on peut à bon droit l’appeler un service d’esclave ?
J’engage M. le ministre à prendre ces courtes observations en sérieuse attention ; ces malheureux, M. le ministre ne les voit pas quand il parcourt nos belles lignes des chemins de fer ; c’est pourquoi il est de notre devoir de les lui faire connaître ; je fais ici un appel non seulement à ses sentiments d’équité, mais à son humanité. Une augmentation de cent mille francs au moins, pour le personnel des postes, est devenue de toute nécessité.
Je pense même que le gouvernement y gagnerait, les revenus des postes sont déjà très considérables ; et j’ose prédire qu’avec une majoration de dépense de cent mille francs, bien combinée, l’on obtiendrait une augmentation de recette de trois à quatre cent mille francs, de manière que l’intérêt de l’Etat exige qu’on s’en occupe sans délai.
Dans l’état actuel des choses, je prie M. le ministre d’être très indulgent pour les employés des postes, mais le service une fois humainement établi, je l’engage également à être très sévère et de punir exemplairement les négligences et les infidélités ; un facteur rural infidèle peut tromper beaucoup le gouvernement, soit en recevant pour son compte les taxes des lettres qu’il trouve dans les boîtes de son parcours, soit en demandant plus que la taxe aux habitants simples des campagnes, de manière que lorsqu’il s’agit de nommer des nouveaux facteurs ou autres employés des postes, la probité doit être la principale condition.
Le patriotisme et les services rendus doivent aussi être pris en considération. Un arrêté du gouvernement provisoire du 11 novembre porte :
« Art. 1er. Les diverses comités d’administration générale, appelées à faire des propositions aux emplois vacants dans le service public, auront soin de choisir parmi les personnes capables, celles qui auront donné le plus de preuves de dévouement à la cause nationale ; de manière toutefois à ne pas nuire à l’avancement des hommes en place dont la conduite n’aurait pas cessé d’être louable. »
« Art. 2. Il sera joint, à chaque présentation de candidats, un rapport sur l’aptitude, le patriotisme et autres titres du candidat. »
Vous voyez, messieurs, que, d’après le vœu du congrès et du gouvernement provisoire, la capacité et le patriotisme donnaient des titres pour des emplois publics.
Nous sommes déjà bien loin de cette époque ; aussi en vous parlant de patriotisme, ai-je peut-être l’air d’un rétrograde, qui veut vous parler du bon vieux temps ; tout est changé depuis à ne plus s’y reconnaître.
Aujourd’hui, les faveurs sont très souvent accordées aux intrigants, et quelque fois même aux plus méchants.
D’ailleurs, contrairement, selon moi, à l’esprit de l’art. 6 de la constitution qui porte : « Il n’y a dans l’Etat aucune distinction d’ordre, les Belges sont égaux devant la loi, seuls ils sont admissibles aux emplois civils et militaires », l’on a rétabli le surnumérariat, qui, aujourd’hui, vous donne seul des titres pour obtenir des emplois publics, et par cette disposition gouvernementale, dont je ne puis admettre l’utilité même, que pour l’enregistrement seul, (administration qui demande des études spéciales et approfondies), l’on a exclu des emplois publics tous les habitants des campagnes, c’est-à-dire trois millions de Belges ; vous savez que le surnumérariat n’est accordé qu’à ceux qui, pendant plusieurs années ont travaille gratuitement dans les bureaux des ministres, d’inspecteurs ou de directeurs dans les grandes villes ; vous savez également que, dans les campagnes, le nombre des parents qui peuvent faire ces dépenses pour leurs fils est très restreint ; d’ailleurs il arrive souvent qu’en envoyant leurs enfants dans les grandes villes, ils y contractent le goût du luxe et de la dépense ; de là ces déficits continuels qu’on découvre chez les comptables de l’Etat.
Vous voyez, messieurs, d’après ce que je viens de dire, qu’on a établi une espèce de caste privilégiée pour les emplois publics, état de chose que je voudrais voir disparaître.
Si l’on veut maintenir le surnumérariat, je désire que la condition d’avoir flâné pendant quelque temps dans les bureaux des ministres, directeurs ou inspecteurs, ne soit plus une condition absolue ; que le surnumérariat ne soit plus qu’un examen pour constater la capacité, et que les fils de receveur de campagnes, les fils des percepteurs de postes, qui pendant plusieurs années auront assisté leur vieux père, etc., seront aussi admis à concourir ; même quelquefois un bourgmestre de campagne, un secrétaire communal, un instituteur communal qui auront donné des preuves de capacités extraordinaires ou qui auront rendu d’autre service à l’Etat, car dans ces positions l’on peut être aussi très utile à la société, et, comme vous savez, on y est très mal payé, et l’on n’y a aucun espoir d’avancement.
J’admets que l’avancement doit être réservé pour stimuler le zèle des employés en service actif, mais le patriotisme et les services rendus à l’Etat par d’autres individus doivent aussi entrer en ligne de compte.
Selon moi, pour concourir à obtenir des emplois publics, il faut justifier de la capacité, n’importe où on a acquis ces connaissances ; il faut aussi du patriotisme, avoir rendu des services au pays, et avoir de la probité ; surtout cette dernière qualité est la plus essentielle.
L’honorable M. Dumortier ne perd pas courage, l’honorable membre est venu de nouveau présenter la province du Hainaut comme une province entièrement sacrifiée, pour laquelle l’on n’a rien fait jusqu’ici.
L’honorable membre compte donc pour rien les soixante millions dépensés dans cette province, comme je l’ai prouvé par des chiffres, que l’honorable membre n’a pas contestés,
Dans une précédente séance, l’honorable député de Tournay a soutenu que le Hainaut seul payait le sixième de toutes les contributions du pays, quoique j’aie encore prouvé par des chiffres qu’il n’en était pas ainsi. J’admets un instant son raisonnement comme vrai et j’en conclus que, pour prouver que les intérêts du Hainaut avaient été négligés, l’honorable membre aurait dû prouver que l’Etat aurait dépensé trois cent soixante millions ; six fois soixante millions donne ce résultat.
Pour Anvers, nous avons déjà fait beaucoup ; nous avons décrété la canalisation de la Campine et voté des sommes considérables pour l’entrepôt.
Je sais bien que la majorité de cette chambre a décrété la canalisation de la Campine, mais l’honorable M. Dumortier ne faisait pas partie de cette majorité, je sais aussi que le canal, qui rapportera tant à l’Etat, la Campine l’a acheté assez chèrement, par un principe de concours qu’on ne veut appliquer que pour la Campine seule.
Lors de la révolution la province d’Anvers n’avait que 36 lieues de routes pavées, tandis que le Hainaut en avait cent, et depuis lors, au lieu d’établir un équilibre entre les différentes provinces, l’on a dépensé plus pour les routes pavées dans la province du Hainaut que dans la province d’Anvers.
Pour les rivières navigables on a dépensé zéro dans la province d’Anvers.
Si l’achat des canaux dans le Hainaut est une bonne chose, nous n’avons aucune obligation à cette province pour cet achat ; d’ailleurs, si c’est une bonne affaire pour le pays, elle aurait été meilleure si l’on n’avait pas diminué les péages dans l’intérêt du Hainaut.
Il est vrai qu’on a voté des sommes assez fortes pour l’entrepôt d’Anvers, mais c’est de l’argent bien employé, et qui rapporte un bon intérêt ; d’ailleurs, c’est dans l’intérêt du commerce en général, et nullement dans l’intérêt de la Campine, pays entièrement agricole et où il n’y a pas de commerce.
M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le président. - Il n’y a rien de personnel dans ce qu’a dit M. Peeters.
M. Dumortier. - M. Peeters a prétendu que je n’ai pas réfuté ses observations.
M. le président. - Il n’y a là rien de personnel.
M. Dumortier. - C’est me faire passer condamnation sur ce qu’il a dit, tandis que j’ai démontré, de la manière la plus évidente, que les calculs de M. Peeters sont complètement inexacts. En effet, il a compris dans les dépenses faites dans l’intérêt du Hainaut, le rachat de trois canaux qui rapportent à l’Etat 9 p. c. par an…
M. le président. - Je dois répéter que ce n’est pas là un fait personnel ; vous êtes inscrit pour prendre de nouveau la parole après les membres qui l’ont demandée avant vous ; vous pourrez alors présenter vos observations.
M. Dumortier. - Je dois au moins pouvoir repousser l’assertion de M. Peeters que je n’aurais pas répondu à ses observations, alors que j’ai démontré à la dernière évidence que ses calculs n’avaient pas le moindre fondement. Le rachat des canaux du Hainaut a été fait dans l’intérêt du trésor, ce n’est pas une dépense que l’Etat a faite pour le Hainaut ; c’est une opération financière qu’il a faite, et cette opération lui est tellement avantageuse que les canaux dont il s’agit lui rapportent annuellement un revenu net de 1 million de fr. Ce n’est donc pas là un avantage accordé au Hainaut.
M. Peeters. - Pourquoi a-t-on réduit les péages ?
M. Dumortier. - C’est là une autre question. Ce qui est positif, c’est que ces canaux rapportent à l’Etat tous les ans 1 million de plus qu’ils ne coûtent. Le trésor n’a donc pas fait une opération onéreuse en rachetant ces canaux.
M. le président. - M. Dumortier, je ne puis pas vous maintenir la parole ; il n’y a rien de personnel dans les observations auxquelles vous répondez.
M. Dumortier. - Je voulais seulement répondre à cette assertion que je n’avais pas réfuté les observations de M. Peeters. Quoi qu’il en soit, j’attendrai mon tour d’inscription.
M. Osy. - Je viens principalement entretenir la chambre de l’intérêt que nous avons dans la société rhénane. L’honorable M. Lys nous a soumis à cet égard des observations tellement exactes, qu’il me reste peu de chose à dire. Je ne regrette nullement le sacrifice que nous avons fait pour aider la société rhénane à achever son chemin de fer, mais ce sacrifice nous donne un grand intérêt dans cette société, et je désire que cet intérêt ne soit pas négligé.
Les quatre millions que nous avons donnés nous donnent dans l’assemblée générale mille voix ; mais, comme, d’après les statuts de la société, personne ne peut avoir plus de 50 voix, nous aurions dû nous faire représenter par 20 personnes et de cette manière nous aurions pu exercer l’influence à laquelle nos sacrifices nous donnaient droit et qu’il était de notre intérêt d’exercer. Ainsi que l’honorable M. Lys nous l’a dit samedi dernier il y a eu au commencement de l’année une assemblée où il s’agissait d’un objet du plus grand intérêt : tous les membres de la direction, moins un seul, avaient donné leur démission. Cette démission contrariait fortement les intérêts des actionnaires, et par conséquent les nôtres. Nous aurions dû dès lors nous y faire représenter de manière à y exercer toute l’influence qui nous appartenait, afin de tâcher de maintenir à la tête des affaires les directeurs qui avaient donné leur démission. Au lieu de cela nous y avons envoyé deux personnes qui se sont conformées à leurs instructions, mais qui n’avaient pas reçu, je pense, les instructions qu’elles auraient dû recevoir. Eh bien, le résultat de ce qui s’est fait dans cette réunion, a été tel que malheureusement les honorables membres de la direction, qui s’étaient retirés, n’ont pas pu être amenés à reprendre leur poste.
Maintenant de nouvelles démissions ont été données, et je pense que sous peu il y aura des élections à faire ; j’engage donc le gouvernement à ne point perdre de vue le grand intérêt que nous avons dans cette société, et à s’y faire représenter de manière à pouvoir amener l’adoption de mesures favorables à la prospérité du chemin de fer. J’engage vivement le gouvernement à ne pas oublier qu’il ne s’agit point ici d’une affaire internationale, que la Belgique n’a ici affaire qu’à une société particulière. Il ne faut donc se laisser influencer par aucune puissance, il faut poursuivre efficacement notre intérêt qui est de faire transporter aussi bas prix que possible, les marchandises que nous avons à envoyer en Allemagne.
J’ai dit dans une dernière séance, messieurs, que j’avouais que le tarif arrêté au mois d’octobre avec la société rhénane, était tout ce que nous pouvions désirer pour le moment. En effet pour plusieurs marchandises, nous pouvons lutter avec la Hollande ; cependant, la Hollande fait tout ce qu’elle peut pour attirer chez elle le transport des marchandises venant d’Angleterre, et pour bien des marchandises elle obtient encore la préférence. Je crois donc que nous devons tâcher d’obtenir encore une réduction sur les prix de transport ; si nous pouvions encore réduire ces prix d’un cinquième ou d’un quart, nous attirerions probablement chez nous tout le transit qui se fait jusqu’ici par le Rhin.
Je partage, messieurs, l’opinion de l’honorable M. Dumortier, que dans les provinces où nous avons des canaux, il faut concilier l’intérêt de ces voies de communication avec ceux du chemin de fer, mais pour la ligne d’Anvers à Cologne, nous n’avons aucun intérêt de cette nature à ménager ; sur cette ligne nous n’avons de concurrence à soutenir qu’avec la Hollande, et nous devons dès lors faire tous nos efforts pour obtenir la préférence.
Je crois que l’on pourrait sans inconvénients diminuer d’un quart ou d’un cinquième les frais de transport des marchandises vers l’Allemagne. Cette diminution pourrait être largement compensée par une augmentation du tarif des voyageurs. Je crois avec l’honorable M. Dumortier que, dans le principe, a été fixé trop bas le tarif des voyageurs. Je crois qu’en révisant ce dernier tarif, on pourrait prendre pour modèle le tarif du chemin de fer d’Orléans.
Je pense donc qu’il serait utile de réunir le plus tôt possible la commission des tarifs, pour lui soumettre la question de savoir si le tarif des marchandises vers l’Allemagne n’est pas susceptible de réduction et s’il ne conviendrait pas d’autre part d’augmenter le tarif des voyageurs par tout le pays.
Je partage l’opinion de l’honorable M. Dumortier que ce n’est point par de nouveaux impôts que nous devons tâcher de combler le déficit C’est à l’aide des économies que nous devons obtenir ce résultat. Ces économes sont possibles. En ce qui concerne le budget dont nous nous occupons, on pourrait réaliser une grande économie sur les dépenses d’exploitation et sur les traitements ; j’ai déjà attiré l’attention de la chambre sur les dépenses que nous faisons dans les stations pour les locomotives. Depuis, je me suis encore assuré que les réparations dans les stations se réduisent à peu de chose, et l’on pourrait sans inconvénients supprimer une grande partie du nombreux état-major chargé de ce service. Toutes les grosses réparations se font à Malines.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Messieurs, les questions qui ont été soulevées dans la séance de samedi et dans la séance de ce jour peuvent se diviser en deux catégories ; la première concerne la comptabilité, la régularité administrative, et surtout le mode qu’on a employé dans la construction même des chemins de fer. La seconde question que la plupart des orateurs ont surtout traitée, est celle relatif à l’exploitation même et au système des tarifs.
Messieurs, j’ai demandé la parole, avant que la liste des orateurs ne fût épuisée, afin de ne pas devoir comprendre dans une seule réponse les observations que j’ai à émettre sur l’une et l’autre de ces questions que je regarde comme distinctes.
Je n’aborderai donc maintenant que la première.
L’honorable M. de Man et avec lui quelques autres membres se sont occupés des faits de régularité administrative et de comptabilité ; ils ont voulu montrer que la construction du chemin de fer avait eu lieu en dehors des règles de bonne administration.
Les observations critiques qui ont été émises par ces honorables membres, se rapportent presqu’entièrement au passé, et surtout à la première période de nos chemins de fer, celle qui s’étend depuis 1834 jusqu’à 1837. Tous les faits auxquels l’honorable M. de Man a fait allusion sont dès lors en dehors de ma responsabilité ministérielle. Je démontrerai facilement que l’administration actuelle de l’exploitation des chemins de fer se trouve presque complètement hors des atteintes des critiques qui ont été faites. Je pourrais donc me taire sur le passé et ne chercher qu’à justifier le présent.
Mais je ne puis m’empêcher de faire remarquer à l’honorable membre que son appréciation des faits est loin d’être exacte et juste.
Messieurs, l’administration de nos chemins de fer comprend trois périodes. La première période comprend l’époque qui s’étend du 1er mai 1834 à l’année 1838 ; la seconde époque comprend l’intervalle qui sépare cette dernière année de l’année 1843, qui clôt la phase de la construction ; la troisième période commune, c’est l’époque de l’exploitation.
Lorsque le chemin de fer a été voté, nous nous trouvions en face d’un problème entouré de doutes. La discussion de 1834 avait laissé dans les esprits une grande indécision, relativement aux résultats qui seraient atteints. L’impatience du pays, l’impatience des chambres et du gouvernement était le fait dominant ; on voulait connaître les premiers résultats ; la promptitude dans l’exécution était la première condition imposée.
Messieurs, l’honorable comte de Mérode, et après lui l’honorable M. de Man, a attribué l’empressement qu’on avait mis à l’ouverture des diverses lignes du chemin de fer à ce qu’il a appelé la gloriole ministérielle. Je conviens que cette ouverture, souvent trop hâtive, a amené des dépenses considérables, dépenses qu’on aurait peut-être évitées, si on avait mis à la construction du chemin de fer quelques années de plus.
Mais, messieurs, veuillez vous en souvenir, ce n’est pas seulement à la gloriole ministérielle qu’il faut attribuer ce résultat, mais c’est surtout et avant tout à l’impatience du public et des chambres ; chacun doit accepter ici sa part de responsabilité. La chambre se rappellera qu’au mois de novembre 1836, elle a inséré dans l’adresse en réponse au discours du trône, un blâme à l’égard de la lenteur qu’on mettait, selon elle, à l’exécution des travaux du chemin de fer. Le gouvernement était donc poussé alors, fouetté en quelque sorte, par les chambres elles-mêmes. Vous savez encore, messieurs, que la plupart des nouvelles lignes décrétées l’ont été en vertu de l’initiative des chambres.
Ainsi, dans la première période de la construction des chemins de fer, à laquelle l’honorable M. de Man a surtout fait allusion, le résultat principal qu’on voulait atteindre, c’était la promptitude d’exécution ; on voulait connaître sans délai quels seraient les résultats du chemin de fer qui n’était alors qu’un problème.
L’honorable député de Louvain vous a cité un passage d’un rapport de MM. Simons et de Ridder qui, en effet, peint parfaitement bien la situation des choses à cette époque. Ces ingénieurs ont cru faire chose économique et utile, en supprimant, pour ainsi dire, les formes administratives, en adoptant l’adjudication à bordereaux de prix, les marchés directs et les travaux en régie. Je sais parfaitement bien que, pour une administration arrivée à un état normal, ces formes ne sont pas les meilleures à suivre ; mais reportons-nous aux circonstances dont on était alors entouré. On envisage souvent le chemin de fer, tel qu’il était en 1835, 1836 ou 1838, comme une route vieille de 20 ans, ayant une administration ancienne, hiérarchique et régulière. Mais, messieurs, le chemin de fer était une œuvre nouvelle ; les conditions d’exécution étaient méconnues, le travail ne pouvait pas être défini. Or, l’honorable M. de Man le sait, l’adjudication publique n’est bonne, elle n’est même possible que lorsqu’elle peut amener une concurrence étendue. Mais cette concurrence pouvait-elle exister pour une œuvre nouvelle, dont les conditions d’exécution étaient ignorées des entrepreneurs ? L’industrie privée était-elle en mesure, à cette époque, d’offrir au gouvernement une telle concurrence ?
Messieurs, les faits démentent une telle assertion. Ainsi, par exemple, on a dû, pour la pose de la voie, faire venir des ouvriers de l’Angleterre ; personne en Belgique ne possédait cette expérience. Pour la confection des rails, les usines n’étaient pas préparées ; si l’on avait eu recours à l’adjudication publique, vous n’auriez eu aucun résultat, ou plutôt vous auriez obtenu des prix fort élevés, puisque la concurrence n’existe pas. Pour la confection des roues de voitures, il a fallu, jusqu’en 1838, les faire venir d’Angleterre ; cette année-ci on a mis en adjudication une fourniture de roues acérées ; l’adjudication est restée sans effet.
Lorsqu’un travail ne peut pas être déterminé, lorsque les conditions ne sont pas nettement connues, l’adjudication publique est le mode le plus ruineux pour l’Etat, et la raison en est bien simple : c’est que, pour un travail non défini, l’entrepreneur fera payer au gouvernement toutes les éventualités et les mauvaises chances qu’on lui fait courir.
Qu’est-il arrivé en Hollande, où l’on a recours d’une manière trop absolue aux adjudications publiques ? c’est que l’adoption de ce mode a constitué un véritable monopole aux mains de trois ou quatre grandes compagnies d’entrepreneurs, et dès lors toute concurrence a été anéantie.
Ainsi, il est parfaitement concevable que, dans la première période de nos chemins de fer, il ait été plus économique de recourir au système des bordereaux de prix qu’à un système d’adjudication publique ; alors que la concurrence n’était guère possible, l’adjudication aurait amené nécessairement des prix beaucoup plus élevés.
En 1837, époque à laquelle l’administration se trouvait dans une situation plus régularisée, un autre système plus régulier aussi a été introduit dans l’administration.
L’honorable M. Nothomb, alors ministre des travaux publies, dont M. de Man a signalé un rapport qui ouvre cette seconde période, a adopté un système mixte. L’adjudication publique était le principe général, mais avec faculté pour le gouvernement d’adopter le système de bordereaux de prix pour les travaux supplémentaires. C’était un acte de prudence, car pour les travaux de la Vesdre l’imprévu se présentait à chaque pas ; il a fallu remanier plusieurs fois les projets. Pour des travaux semblables le gouvernement a fait chose utile en déterminant d’avance des bordereaux de prix qui devaient être appliqués à ces travaux supplémentaires, qu’il était impossible d’éviter. La cour des comptes, parce que les travaux du chemin de fer ont reçu des qualifications différentes : travaux primitifs, travaux extraordinaires, travaux supplémentaires, travaux de parachèvement, la cour a pensé, parce qu’on avait appliqué à ces travaux des qualifications différentes, qu’ils étaient par cela même divisibles et susceptibles d’être soumis à des adjudications séparées. C’est là une erreur fondamentale. Le plus souvent ce système aurait amené pour résultat d’avoir deux entrepreneurs exécutant simultanément deux parties d’un même ouvrage. Ainsi, pour assurer un talus on a cru souvent nécessaire de le former par des perrés. Il est clair que vous n’auriez pas pu faire élargir la tranchée par un entrepreneur et faire faire les perrés par un autre. Ces travaux n’étaient pas divisibles et ne pouvaient être soumis à des adjudications publiques distinctes.
L’administration, du reste, est seule compétente pour juger de la possibilité d’exécuter des travaux de telle ou telle manière. Il ne faut pas non plus oublier qu’on a généralement appliqué à ces travaux en marchés directs, les prix du rabais de l’adjudication primitive ; il n’y a eu que de rares exceptions à cette règle, et quand le contrat de l’entreprise primitive ne permettait pas d’obliger l’entrepreneur à accepter de pareilles conditions.
Il était impossible, surtout dans la construction du chemin de fer, d’adopter des principes absolus. L’adjudication publique doit être la règle générale, mais elle n’a pas toujours été possible. Le système admis actuellement est l’adjudication publique avec la faculté laissée au gouvernement de choisir entre les plus bas soumissionnaires.
Cependant, pour certains travaux exceptionnels, alors qu’il est impossible de bien déterminer d’avance les conditions d’exécution, le système mixte de 1837 reçoit encore exceptionnellement son application.
Du reste, la chambre ne doit pas s’effrayer du mode que le gouvernement adoptera désormais pour l’exécution des travaux publics. Il est clair que le ministre préférera toujours l’adjudication publique, parce que c’est le seul mode qui met parfaitement à couvert sa responsabilité ministérielle. Peut-être même est-ce contre cette tendance trop absolue que les ministres doivent le plus s’armer.
Je pourrais citer un fait qui m’est personnel. Pour les travaux de la Campine, l’ingénieur chargé de ce service m’avait propose de soumettre à un marché direct l’exécution de travaux d’art qui restaient à faire sur la première section.
Après avoir examiné les motifs sur lesquels était appuyée la proposition de cet ingénieur, il m’avait semblé que ces motifs étaient fondés. Cependant le conseil des ponts et chaussées n’a pas partagé l’avis de l’ingénieur. La somme était assez considérable, l’opinion du conseil des ponts et chaussées fut qu’il fallait recourir a l’adjudication publique. J’avais des doutes sérieux sur les résultats, mais en face de l’avis du conseil des ponts et chaussées, j’ai fait ce que feront tous les ministres qui préfèrent toujours couvrir leur responsabilité, j’ai ordonné l’adjudication publique. Le résultat a été tel que je l’avais pressenti, l’adjudication publique a amené un renchérissement de 12 à 15 mille fr.
Je cite ce fait pour faire comprendre à la chambre qu’elle n’a aucune crainte à avoir qu’on abuse des marches directs.
Le système actuel consiste donc dans l’adjudication publique comme règle générale, avec la faculté pour le gouvernement de choisir entre les plus bas soumissionnaires. Une commission de réception existe pour tous les travaux, pour toutes les fournitures. Outre cette commission de réception, il y a la surveillance ordinaire des chefs de service et la surveillance, organisée récemment des inspecteurs des ponts et chaussées, de manière que je suis à me demander quelles sont les garanties nouvelles qui restent à introduire. Je désirerais que les honorables préopinants voulussent bien me les indiquer ; pour moi, je ne les connais pas.
Les observations de l’honorable M.de Man ne concernent comme je l’ai dit tantôt, que le passé que je viens d’expliquer en peu de mots. Pour le présent, l’honorable M. de Man n’a attaqué que deux points de l’administration actuelle, les ateliers de réparation et de construction et le mode de comptabilité de la régie. Messieurs, on est dans l’erreur quand on pense que les ateliers de Malines et des autres stations ont été établis surtout pour construire. Non, messieurs, la construction n’est là qu’un mode exceptionnel ; et l’objet principal pour lequel ces ateliers ont été fondés, c’est la réparation et l’entretien. Dans le règlement même qui a institué les ateliers, il est dit, art 1er, qu’on n’aura qu’exceptionnellement recours au mode de construction, et seulement quand les conditions de sécurité et d’économie ne pourront pas être obtenues au même degré de la part de l’industrie privée. Ainsi le règlement organique des ateliers de Malines renferme le principe que les honorables membres ont eux-mêmes défendus.
Messieurs, pour les voitures, plusieurs honorables membres ont pensé qu’on construisait les voitures au chemin de fer. C’est une erreur. Je ferai en passant cette remarque, que dans toutes les administrations des chemins de fer étrangers, on regarde la construction des voitures comme se rattachant à la sécurité des voyageurs.
Partout, si je ne me trompe, la construction des voitures est réservée à l’administration. Mais en Belgique, nous ne construisons plus les voitures au chemin de fer, il y a adjudication publique pour la livraison de toutes les pièces séparées ; on s’adresse ainsi pour chacune à des industries spéciales.
L’administration ne fait que le montage et l’assemblage, parce qu’elle a trouvé qu’elle seule pouvait le faire dans des conditions de sécurité pour les voyageurs. Pour les locomotives, partout encore l’entretien des locomotives est laissé à l’administration des chemins de fer. Il est difficile qu’il en soit autrement.
En effet, quand une locomotive doit être mise en réparation et avant de la démonter, il est impossible de connaître d’avance quels sont les défauts qui existent et qui nécessitent des réparations. Si on avait recours à l’adjudication pour l’entretien des locomotives, vous n’obtiendriez inévitablement que des prix beaucoup plus élevés, parce que dans l’incertitude l’entrepreneur calculera toutes les chances mauvaises que vous paierez. C’est ce qui a eu lieu ; dans le principe, l’administration avait demandé à une société de construction de machines de réparer deux locomotives. Les réparations, d’après les évaluations des ingénieurs, devaient monter à deux mille francs environ ; la société avait demandé pour effectuer ces réparations, huit mille francs. L’administration s’est refusée à l’en charger ; elle fit elle-même le travail qui lui coûta moins que l’évaluation même des ingénieurs.
J’arrive maintenant à la régie. D’abord il m’a paru que l’honorable. M. de Man confondait le plus souvent deux choses qu’il faut soigneusement séparer ; le travail en régie et la direction de la régie, qui n’a aucune espèce de rapport avec les travaux en exécution. La régie a disposé de sommes considérables, ii est vrai, pendant la construction des lignes, pour les entreprises, pour les indemnités à accorder et les avances à faire. Mais c’était là une mission temporaire et exceptionnelle qui a été donnée à la régie.
Or, cette mission a cessé. Je puis donc me dispenser d’en parler. Pour l’exploitation du chemin de fer, il n’y a pas de travaux en régie. Sans doute, l’exploitation n’est au fond qu’une grande régie ; je ne pense pas que ce soit cette régie que l’honorable M. de Man ait voulu attaquer ; car ce serait attaquer l’exploitation même par l’Etat.
Pour la comptabilité de la régie, on a souvent confondu, comme je viens de le dire, la direction et les travaux en régie.
Le nom du directeur de la régie ne répond même pas aux attributions conférées à ce fonctionnaire ; il n’est en définitive qu’un agent payeur et un contrôleur.
A la lecture des documents que j’ai fournis dans le compte-rendu sur la comptabilité de la régie, vous avez pu vous convaincre, messieurs, que si le visa préalable de la cour des comptes n’est pas applicable aux travaux d’urgence, au solde des salaires de quelques milliers d’ouvriers qui ne peuvent attendre les lenteurs inévitables du visa préalable, vous avez pu vous convaincre, dis-je, que les garanties dont on a entouré ce mode de comptabilité sont aussi réelles que celles mêmes du visa préalable. En effet, pour le crédit à ouvrir au directeur, la cour des comptes doit viser et approuver. On ne peut donc pas dire que cette ouverture de crédit a lieu sans le contrôle de la cour des comptes.
Ensuite, l’autorisation du ministre est exigée d’une manière préalable pour toutes les dépenses faites par la régie. Enfin les mandats ne peuvent jamais être délivrés aux parties intéressées que d’après l’ordre du ministre. Les dépenses pour salaires d ouvriers et menues fournitures sont les seules qui soient payées en espèces, et ces dépenses sont les plus considérables que la régie ait dans ses attributions ; encore les mandats sont-ils toujours visés par le ministre, qui ne les délivre qu’au fur et à mesure des besoins du service, Les sommes pour salaires des ouvriers ne sortent des caisses du trésor que pour être versées immédiatement dans les mains des intéressés ; elles ne séjournent jamais dans la caisse du régisseur, qui, par cela même, est presque toujours vide. On s’est imaginé que le régisseur avait une manutention considérable de fonds ; c’est là une erreur.
Il est arrivé par exception que la caisse du régisseur a parfois contenu des sommes plus considérables, mais c’était lorsque le remboursement des avances opérées par la régie ne recevait pas un emploi immédiat.
Lorsque l’examen des pièces justificatives a été fait par la régie, lorsque la vérification de ces pièces a eu lieu dans les bureaux du département, l’envoi en est fait à la cour des comptes, qui donne décharge au directeur.
La régie est donc soumise à un double contrôle de la cour des comptes ; premier contrôle lors de l’ouverture du crédit ; deuxième contrôle lorsque les pièces justificatives sont remises à la cour, et qu’elle accorde la décharge. D’autre part, toutes les dépenses opérées par la régie sont autorisées spécialement et préalablement par le ministre. Enfin, jamais la régie n’a entre les mains une manutention considérable de fonds.
Je n’ai parlé de la régie que sous le rapport de la comptabilité ; mais il faut l’envisager surtout sous un autre point de vue : elle a été établie avant tout, afin d’établir un contrôle sérieux, efficace sur les travaux d’entretien du chemin de fer. On a voulu éviter que les dépenses fussent payées par ceux qui avaient surveillé et commandé les travaux ; on est parti de ce principe de toute bonne comptabilité, que celui qui propose la dépense ne doit pas la solder. Or, C’est ce qui arrivait avant 1837, époque de l’établissement de la régie. Les sommes étaient confiées aux directeurs des chemins de fer et aux employés qui dirigeaient les travaux. C’était une source d’abus possible auquel on a voulu porter remède par l’établissement de la régie. C’est un progrès véritable qui a été effectué.
Les employés de la régie opèrent maintenant les paiements à pied d’œuvre. Les ouvriers doivent être présents pour signer l’état d’émargement. Ce mode a été admis aussi pour la solde de l’armée. La cour des comptes a admis dès 1831 pour la solde de l’armée, le même mode de crédits à charge d’en rendre compte. C’était aussi comme pour le chemin de fer une nécessité de service. La régie du chemin de fer est une véritable inspection aux revues. C’est une garantie certaine contre la création d’ouvriers fictifs.
Messieurs, si la régie n’existait pas, on n’en serait pas moins astreint à suivre le mode actuel, il ne faudrait pas moins que la cour des comptes consentît à ouvrir un crédit, parce que le paiement des salaires d’ouvriers et des dépenses urgentes est incompatible avec les lenteurs du visa préalable. Mais l’immense avantage du système actuel, c’est qu’il présente un moyen de contrôle sérieux et efficace. L’administration n’a eu qu’à se louer des résultats obtenus.
J’ai dit tout à l’heure qu’on versait souvent dans une erreur profonde en s’imaginant que le directeur de la régie avait une manipulation de fonds considérables. L’honorable M. de Man, reproduisant l’observation de la cour des comptes, nous a dit qu’au mois de janvier, le directeur de la régie avait à justifier d’une somme de 6 à 7 millions. D après les observations que je vais vous soumettre, vous serez convaincus que le directeur de la régie est complètement étranger aux retards qui auraient été apportés dans la justification à faire.
La somme totale dont il restait à justifier au 1er janvier courant sur les divers crédits ouverts au directeur de la régie ne s’élevait plus, ainsi qu’il résulte des états de situation transmis à la cour par ma dépêche du 22 janvier courant, division construction n’ 5285 qu’à fr. 6,120,390 11, savoir :
Sur le fonds spécial, fr. 5,065,493 59
Sur les fonds du budget, fr. 1,019,593 54
Sur des crédits spéciaux, fr. 35,302 98
Cette somme de fr. 6,120,390 11 c. dont la justification reste à fournir à la cour se décompose comme suit :
1° Les dépenses pour lesquelles le directeur de la régie avait remis des demandes en régularisation au département, au 1er janvier, et de la vérification desquelles on s’occupe en ce moment, savoir :
Sur le fonds spécial, fr. 983,371 96
Sur le budget, fr. 586,112 94
Ensemble, fr. 1,569,484 90
Le directeur de la régie est donc en règle sur ce fait.
2° Les paiements extraordinaires effectués par le directeur de la régie pour les travaux imprévus du chemin de fer de la Vesdre, ci fr. 2,853,809 96
Le décompte de ces travaux est dressé et se trouve en ce moment soumis à l’examen de M. l’inspecteur Vifquain ; la liquidation de ces paiements extraordinaires, effectués par la régie, pourra donc être soumise à la cour prochainement ; ce décompte, il ne dépend pas du directeur de la régie qu’il soit vérifié.
3° Du restant de l’avance faite à la maison Cockerill, ci fr. 83,747 21
4° De diverses avances pour paiement de travaux urgents faites par le directeur de la régie ensuite d’ordres émanés de mon département dont je hâterai la régularisation autant qu’il me sera possible, ci fr. 801,115 70
5° Des sommes restant disponibles au 1er janvier dans les caisses de l’Etat sur les divers crédits ouverts au directeur de la régie et s’élevant à fr. 551,121 31
La cour considère à tort cette somme comme dépensée.
6° Enfin des pièces de dépenses restant à fournir au département par le directeur de la régie pour justification complète de ses dispositions.
(a) Sur le fonds spécial, fr. 181,940 16
(b) Sur le budget, fr. 355,567 95
(c) Sur les crédits extraordinaires, fr. 13,613 20
Soit 551,121 51
Total égal à fr. 6,120,390 11
Mais depuis cette époque, depuis le 1er janvier, le directeur de la régie a justifié devant le département de tous les crédits qui lui étaient ouverts, tant pour la construction que pour l’exploitation.
Messieurs, si nous sommes en désaccord avec la cour des comptes dans cette appréciation de chiffres, cela résulte d’un fait, c’est que la cour des comptes regarde comme non avenues les demandes en régularisation sur lesquelles elle n’a pas statué, tandis que le département des travaux publics se croit parfaitement en règle, lorsqu’il a envoyé à la cour des comptes toutes les pièces justificatives des dépenses.
J’attendrai les nouvelles observations qui pourront être encore présentées avant d’aborder les questions relatives à l’exploitation et aux tarifs.
M. Lesoinne. - Messieurs, je ne suivrai pas M. Dumortier dans tous les arguments qu’il a fait valoir en faveur de l’élévation des tarifs. Je pense qu’il est généralement reconnu que l’économie de temps et l’économie d’argent sont la cause principale du mouvement tant pour les marchandises que pour les industriels.
Je pense, messieurs, que l’élévation du tarif, dont parle l’honorable M. Dumortier, aurait pour résultat de diminuer les recettes plutôt que de les augmenter.
Le tarif du chemin de fer, tel qu’il est établi aujourd’hui, doit nécessairement subir des modifications, il doit se plier aux nécessités du commerce et de l’industrie. Ce n’est pas comme spéculation que nous devons considérer le chemin de fer ; mais c’est comme un travail d’utilité générale dont on retire des bénéfices d’ailleurs.
Je ne pense pas que l’on soit arrivé au minimum auquel il peut transporter les marchandises et les voyageurs. Quant à ces derniers, l’élévation du tarif n’aurait pas non plus, je pense, les résultats qu’en attendent l’honorable M. Dumortier et l’honorable M. Osy ; il résulterait de cette élévation qu’on abandonnerait les voitures de première classe, pour se rejeter sur celles de seconde et troisième classe. C’est ce qui est arrivé dans le temps lorsqu’il y avait quatre classes de voitures. On avait des berlines qu’on a été obligé d’abandonner, parce que personne ne les prenait. Pour forcer alors à prendre les voitures de première classe, on devrait rendre les voitures de la seconde, très incommodes, comme on l’a déjà fait pour les waggons, sur lesquels on ne peut aller sans être muni d’un grand parapluie pour se garantir du soleil et de la pluie.
Il y a deux ans, je pense, le gouvernement, dans le but de favoriser les transports sur les chemins de fer, avait accordé une remise de 20 p. c. sur les prix des tarifs ; mais il avait mis pour condition que la distance à parcourir devrait être de 20 lieues. Il s’est trouve que pour le bassin de Liège cette faveur a été tout à fait illusoire. En effet, les principales localités qui doivent être approvisionnées par les houillères du pays de Liége, ne se trouvent pas à la distance voulue. Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s’il ne pourrait réduire cette distance à dix lieues.
Il faut remarquer qu’il est une charge qui pèse extrêmement sur le commerce de charbons de Liége. Je veux parler des plans inclinés. (Erratum Moniteur belge, n°59 du 28 février 1844 : ) On fait payer pour la remonte de ces plans, on paie 15 centimes par 100 kilomètres, ce qui fait 1 fr. 50 c. par mille kil. pour un parcoiurs de 6,000 mètres, distance de la station des Guiilemins à Ans. Cette charge est énorme, et je pense que l’on pourrait la réduire sans porter préjudice au chemin de fer.
J’ai dit tantôt que le tarif des marchandises devait se plier aux exigences du commerce et de l’industrie. Je crois qu’un moyen d’arriver à ce résultat, ce serait de faire comme on fait pour les voyageurs ; ce serait de déposer dans chaque station un registre, où les personnes qui auraient quelque réclamation à adresser au gouvernement, consigneraient cette réclamation. J’ai entendu des plaintes contre la manière dont les marchandises sont transportées, soit à cause des retards, soit à cause des retards dans la remise à domicile.
Je pense, comme l’honorable M. Osy, que l’on pourrait introduire de l’économie dans les ateliers de réparation. Ces ateliers sont très nombreux, ils occupent un personnel très considérable et très rétribué. Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s’il n’y a pas moyen d’en diminuer le nombre.
Il est aussi un point assez important sur lequel j’appellerai l’attention de M. le ministre. Il paraît que l’on emploie maintenant en Allemagne des locomotives d’un nouveau système, des locomotives à l’américaine. Il paraît qu’elles présentent plus de sûreté que les nôtres, qu’en outre elles sont d’une surveillante plus facile et exigent moins de réparations. Je demanderai à M. le ministre s’il a commandé de ces locomotives pour en faire l’essai. Il me semble que la Belgique qui, la première sur le continent, a eu le courage d’exécuter un système complet de chemins de fer, ne doit pas rester en arrière quand il s’agit d apporter à ce grand travail les améliorations dont il est susceptible.
M. Mast de Vries, rapporteur. - Messieurs, je crois que jamais, dans la discussion du budget des travaux publics, le chemin de fer n’a été sujet à d’aussi nombreuses attaques. C’est principalement l’honorable M. de Man qui, dans la séance de samedi, l’a attaqué avec le plus de violence. Cet honorable membre n’a rien laissé debout de mode de construction, mode d’exploitation, tout a été passé chez lui au fil de l’épée. Selon lui, rien n’a été bien fait.
Je ne partage pas, messieurs, cette manière de voir, et je suis convaincu que si l’honorable M. de Man voulait y réfléchir, il reconnaîtrait qu’il était impossible d’adopter un autre mode de construction que celui auquel on a eu recours. M. le ministre des travaux publics vient déjà d’en fournir des preuves. J’ajouterai que si le mode de construction que l’honorable M. de Man a si vivement blâmé, était si mauvais, les autres peuples qui ont construit après nous auraient dû certainement tirer parti des fautes que nous avons commises. Cependant voyons ce qui est arrivé dans d’autres pays, voyons si notre mode de construction est plus mauvais que celui qui a été adopté dans d’autres contrées.
En jetant les yeux sur un ouvrage qui nous a été distribué, il y a quelques jours, celui de M. Perrot sur les chemins de fer, je remarque que le kilomètre de chemin de fer belge revient à 226,284 fr. En Angleterre ce même kilomètre, sur toutes les routes qui ont été concédées et qui ont été construites par les intérêts particuliers, c’est-à-dire, sur 1260 kilomètres, revient en moyenne à 684,000 fr. C’est presque trois fois le prix du kilomètre de chemin de fer belge. En France, où les chemins de fer sont encore les entreprises particulières, et où on a eu recours, autant que possible, à l’économie, les 650 kilomètres de chemin de fer de Strasbourg à Bâle, de Paris à Orléans, de Paris à Rouen, de Rouen au Havre et d’Avignon à Marseille reviennent en moyenne à 383,842 fr. chacun.
En Allemagne les chemins de fer reviennent encore de 250 à 300,000 fr. par kilomètre. En Hollande ils reviennent à 300,000 fr.
Ainsi, malgré le mauvais système que, selon M. de Man, nous avons employé, notre chemin de fer ne revient qu’à 226,000 fr. par kilomètre, tandis que tous les chemins de fer étrangers reviennent au double, ou à 50 p. c. en plus. C’est la meilleure preuve que je puisse donner que notre système de construction n’a pas été aussi mauvais qu’on le dit. Nous sommes d’ailleurs les premiers qui ont construit un système de chemin de fer sur le continent. Tout était à faire, tout était à créer, et je rends hommage aux hommes qui ont exécuté et qui sont arrivés à de pareils résultats.
L’honorable M. de Man s’est livré à des calculs dont plusieurs viennent déjà d’être détruits par M. le ministre des travaux publics. Il en est d’autres auxquels il s’est livré, qui pourraient avoir fait une certaine impression sur vous. Il est, vous a-t-il dit, tel premier commis recevant tel traitement ; des employés de deuxième, de troisième classe reçoivent plus que les employés de première classe, il a cité pour exemple le timbreur des imprimés, qui reçoit 900 fr., tandis que l’aide timbreur reçoit 1,140 fr. Mais l’honorable M. de Man a commis une erreur ; le chiffre de 1,440 fr. se trouve à la page qu’il a indiquée, mais il s’applique à deux aides timbreurs et non à un seul. Il en est de même pour les commis ; l’honorable membre a appliqué à une personne ce qui se rapportait à deux.
Messieurs, vous avez remarqué dans le rapport de la section centrale que nous aussi, nous engagions le gouvernement à faire des économies, et entre autres en ce qui concerne le coke ; d’après les indications qui nous ont été données, je crois que M. le ministre des travaux publics doit être convaincu qu’il y a effectivement des améliorations à introduire. Mais pour parvenir à faire des économies, il faut que le gouvernement soit à même de transporter le coak des endroits de fabrication par des convois qui reviennent à vide. Car s’il doit envoyer des waggons à vide pour revenir ensuite avec du coak, il est évident qu’il y aura perte pour l’Etat. Il faut, pour qu’il y ait bénéfice, que des marchandises puissent être transportées vers les lieux de production, et que les waggons reviennent avec du combustible.
De cette manière ou pourrait faire des économies. Mais le gouvernement ne pourrait entièrement renoncer à la fabrication du coke, car il pourrait arriver des moments où il n’y en aurait pas dans les magasins particuliers. Le magasin et les fours de Malines devraient être conservés en tout état de choses ; mais les points intermédiaires pourraient être supprimés ; ils pourraient s’approvisionner auprès des fours d’Ans ou du Hainaut.
Du reste il ne faut pas aller non plus trop loin dans cette circonstance. Ainsi, l’honorable M. Lys a commis une erreur en parlant des fours à coke de Gand ; il vous a dit que ces fours fournissaient le combustible à Courtray, tandis que le charbon revenait dans cette dernière ville de 15 à 25 p. c. meilleur marché. L’honorable membre s’est trompé ; car le charbon coûte 25 p.c. plus cher à Courtray, bien que cette ville soit plus près des lieux de production. Cela provient de ce que le charbon, pour arriver à Courtrai, doit remonter la Lys et par conséquent passer par Gand.
M. le ministre des travaux publics vient de répondre à l’honorable M. de Man en ce qui concerne les ateliers de construction. J’aurai aussi l’honneur de faire observer à la chambre que les ateliers de construction sont simplement des ateliers de réparation, et que je pense que, dans l’intérêt de l’Etat, il faut continuer le système qui existe aujourd’hui. Voici pourquoi : La vie des voyageurs dépend de la bonne construction des voitures. Si les voitures sont livrées par l’industrie particulière, il peut arriver qu’elles ne soient pas d’une construction parfaite, et lorsqu’une voiture manque, la vie des voyageurs peut être compromise. Or, ce n’est pas dans l’espoir d’obtenir une légère économie que l’on peut s’exposer à une semblable éventualité.
Toutefois, messieurs, il faut bien s’entendre sur les travaux qui se font dans les ateliers du gouvernement ; à Malines on ne construit pas de voitures, ou y ajuste seulement les voitures dont les diverses parties sont fournies par l’industrie particulière ; c’est donc plutôt là un atelier d’ajustement qu’un atelier de construction. Je pense qu’il faut maintenir ces ateliers dans l’intérêt de la sécurité des voyageurs.
L’honorable M. Osy, en parlant du tarif rhénan, a engagé le gouvernement à diminuer encore ce tarif. Messieurs, en examinant le tarif rhénan, et en examinant avec quelque attention ce qui se passe, je ne pense pas que nous puissions diminuer notre tarif. En effet, messieurs, nous voulons concourir avec la Hollande, et l’honorable membre reconnaît qu’avec le tarif actuel ce résultat est atteint pour certains objets. Eh bien, messieurs, par ce fait seul nous devons gagner de jour en jour plus de terrain, car pour les transports qui viennent de la Hollande par le Rhin, le fret est à très bon compte parce que les navires qui faisaient ce transport trouvaient sur le Rhin des retours, et aujourd’hui que nous allons jusqu’à Cologne, c’est nous qui prenons une partie de ces retours.
Les navires hollandais ne pourront donc plus trouver une charge complète, dès lors ils devront nécessairement augmenter leurs prix de transport. Cela doit venir insensiblement, mais il est certain qu’aujourd’hui les prix du transport que font les navires hollandais sur le Rhin, que ces prix sont les plus bas possibles et qu’ils doivent augmenter, par la raison que je viens de citer.
On beaucoup parlé, messieurs, du prix de transport des voyageurs et des marchandises. L’année dernière on s’est encore occupé de cette question. J’ai dit alors quelle était ma manière de voir à cet égard et je dois ici accuser le gouvernement d’une espèce de faiblesse, dont il fait preuve aussitôt qu’il s’agit d’accroître les revenus du chemin de fer : l’année dernière il existait une ligne sur laquelle les prix indiqués par la commission des tarifs étaient dépassés, c’était la ligne du Hainaut. Le gouvernement a diminué les prix sur cette ligne, il les a réduits jusqu’à 20, 30 et 40 centimes, chiffre proposé par la commission ; mais nous avions dit en même temps que sur d’autres lignes les prix de la commission n’étaient pas atteints, que sur ces autres lignes les prix ne s’élevaient qu’à 16, 26 et 36 centimes ; jusqu’à présent le gouvernement n’a pas eu égard à cette observation ; je lui demanderai que dans l’intérêt du trésor il élève les prix sur ces lignes, au niveau de ceux qui sont maintenant établies sur la ligne du midi et qui sont les prix indiqués par la commission des tarifs. Tous nous demandons que le chemin de fer produise ; je ne veux pas que l’on exagère les prix, car alors, nous pourrions perdre au lieu de gagner, mais il est évident que l’on peut admettre sur toutes les lignes les chiffres de 20, 30 et 40 centimes, sans craindre le moins du monde, de diminuer le nombre des voyageurs.
Or, l’augmentation de recettes qui en résulterait, serait de 4 à 500,000 fr., et une grande partie de cette somme serait payée par l’étranger ; le chemin de fer joignant aujourd’hui à l’Angleterre, à la France et à l’Allemagne, une foule d’étrangers traversent la Belgique ; tous ces étrangers, après avoir admiré la beauté de notre chemin de fer, disent que les prix sont tellement bas qu’ils ne connaissent pas comment le gouvernement peut y trouver son compte.
Je pense donc, messieurs, qu’il faut appliquer d’une manière générale les prix indiqués par la commission des tarifs ; ces prix existent aujourd’hui sur la ligne du Hainaut, mais sur d’autres lignes les prix sont beaucoup plus bas : nous faisons tout ce qui est possible pour trouver de l’argent ; or, il y a ici des centaines de mille francs à obtenir et cela en rendant justice à tout le monde.
Je bornerai là mes observations pour le moment.
M. Desmaisières. - Un honorable préopinant a cru devoir se livrer à une revue rétrospective en ce qui concerne la comptabilité et la construction du chemin de fer. M. le ministre des travaux publics a répondu trop complètement à l’honorable membre pour que je veuille ajouter quelque chose à ce qu’il a dit. Personne, messieurs, plus que moi ne rend hommage au zèle que cet honorable membre a déployé depuis quelques années dans ses investigations sur la comptabilité de l’Etat personne ne rend plus hommage que moi à la récompense que vous avez cru devoir accorder a son zèle en le nommant récemment membre de la commission permanente des finances ; cependant, il me permettra aussi de lui faire une observation, c’est que les discussions auxquelles il se livre sont plus on moins intempestives, et rien n’est plus pernicieux que des discussions intempestives de cette matière. Lorsque de pareilles discussions ont lieu régulièrement sur la présentation des comptes réguliers, appuyés par des pièces de comptabilité, alors, messieurs, ces discussions peuvent amener un bon résultat, et ne peuvent nuire à personne ; mais elles ne peuvent être que nuisibles lorsqu’elles se présentent incidentellement, lorsque, sous forme d’attaques assez graves contre des administrateurs honorables, contre des ingénieurs et des administrateurs tellement honorables et capables, que leur réputation est européenne, que même la France, cette grande nation, cette nation si éclairée, si avancée, ne dédaigne pas de venir demander leurs conseils.
Il faut donc, avant tout, ce me semble, lorsqu’on veut se livrer à des attaques de ce genre, les présenter régulièrement et en temps opportun, lorsque la chambre est réellement saisie des questions auxquelles elles se rapportent. Or, messieurs, en ce moment nous ne discutons pas les comptes, nous discutons le budget.
L’honorable membre peut être persuadé que mes honorables prédécesseurs et moi nous saurons justifier le passé ; quand le moment de faire cette justification sera venu, nous la ferons d’une manière claire et complète.
L’honorable orateur a cru devoir critiquer aussi un arrêté royal que j’ai contresigné et qui porte la date du 8 avril de l’année dernière, arrêté qui est relatif à l’organisation du personnel de l’exploitation du chemin de fer. Il vous a dit, messieurs, que cet arrête était prématuré. Mais vous savez tous que cet arrêté n’a été pris que pour satisfaire aux justes exigences, manifestées dans cette enceinte et dans le sénat, lors de la discussion du budget des travaux publics ; le projet de cet arrête a été déposé sur le bureau pendant la discussion du budget de l’année dernière ; chacun de nous a pu alors en prendre connaissance, il a même donné lieu, de la part de quelques membres, à des observations auxquelles je me suis empresse de faire droit, lorsque j’ai soumis l’arrêté à la signature du roi.
Qu’il me soit permis, messieurs, de vous citer quelques articles de cet arrêté, pour vous démontrer qu’il n’a été pris que pour arriver à établir dans le service de l’exploitation du chemin de fer, précisément cet ordre de comptabilité et ces économies que beaucoup de membres de cette chambre réclament avec raison, et quel honorable M. de Man lui-même réclame avec la plus vive instance.
Cet arrêté, messieurs, a été publié depuis longtemps dans le Moniteur, et il se trouve imprimé à la page 209 de mon compte-rendu pour l’exercice de 1842. En voici d’abord les considérants :
« Considérant que l’état d’avancement des travaux de construction des chemins de fer permet d’espérer que toutes les lignes décrétées seront livrées à la circulation pour la fin de 1843 ;
« Considérant que, dans l’intérêt de l’économie et de la bonne exécution du service, l’on doit chercher, autant que possible, à assurer le service des sections nouvelles avec le personnel actuel de l’exploitation, et qu’à cet effet il est indispensable d’arrêter les cadres de ce personnel.»
Vous voyez déjà, messieurs, que l’idée première sur laquelle repose cet arrêté est celle-ci : qu’il faut s’efforcer de ne pas augmenter le personnel de l’exploitation. Cependant, en 1843 25 lieues nouvelles de chemin de fer devaient être exploitées. Vous voyez donc que c’est une idée d’économie qui forme la base de cet arrête. Le dernier paragraphe des considérants est ainsi conçu :
« Voulant d’ailleurs fixer les traitements et poser certaines règles sur l’admission aux emplois vacants, ainsi que sur l’avancement. »
Viennent ensuite les dispositions de l’arrêté et entre d’autres l’article 6 que voici :
« Art. 6. Indépendamment de la surveillance exercée par le directeur et par les agents sous ses ordres, le ministre des travaux publics fait surveiller tous les travaux, tant d’entretien et de renouvellement que de premier établissement, par l’inspecteur général et les inspecteurs divisionnaires des ponts et chaussées.
« Ces fonctionnaires rendent compte au ministre de leurs inspections et lui font telles propositions qu’ils jugent convenir ; mais ils ne donnent pas d’ordre et n’interviennent en aucune façon dans l’exécution du service.
« Toute proposition du directeur, pour constructions nouvelles ou travaux de renouvellement, est soumise à l’examen du conseil ou de la commission permanente des ponts et chaussées ; dans ce cas, le directeur fait de droit partie du conseil ou de la commission. »
Vous voyez donc, messieurs, que cet arrêté contre lequel l’honorable M. de Man s’est élevé, a fait droit à l’une des principales observations de l’honorable membre, je veux parler de la création d’une commission, car les inspecteurs des ponts et chaussées forment une véritable commission, commission que l’arrêté a chargée de surveiller, sous la direction immédiate du ministre, toutes les opérations de l’administration du chemin de fer relatives à la construction et à l’entretien de la route ainsi qu’au renouvellement du matériel.
L’art. 20 fixe les traitements pour chaque grade ; cet article se trouve à la page 212 de mon compte-rendu, et il me suffira, messieurs, de vous citer quelques chiffres pour vous faire voir que les traitements ont été fixés à des taux très modérés.
(Note du webmaster : Le Moniteur reprend ensuite cet article, comprenant une liste exhaustive des traitements de l’ensemble du personnel affecté à l’administration du chemin de fer. Cet article n’est pas repris dans la présente version numérisée.)
Ne perdons pas de vue, messieurs, que dans l’administration des chemins de fer, les employés doivent tout leur temps à leurs travaux administratifs, depuis le matin à cinq heures jusqu’à une heure avancée de la nuit ; qu’il n’y a pour eux ni dimanche ni fêtes, parce que l’exploitation doit continuellement marcher.
On a parlé des indemnités et des frais de déplacement. Voici ce que dit l’arrête à cet égard :
« Art. 21. Les indemnités pour frais de déplacement, de séjour et de bureau sont régies par dispositions ministérielles, d’après l’importance des services. »
Messieurs, ainsi que vous l’a déjà expliqué M. le ministre des travaux publics, ces traitements variables ont été successivement diminués au fur et à mesure qu’on en a reconnu la possibilité, et moi-même j’ai, par un arrêté du 6 juin 1842, réduit au quart du traitement fixe, ces indemnités qui s’élevaient auparavant à la moitié du traitement.
L’art. 21 a été formulé dans la vue d’arriver à de nouvelles réductions et dans la vue aussi de pouvoir rétribuer les emplois, de manière à ce qu’ils soient convenablement remplis.
Un honorable membre vous a cité l’art. 22. Cet article est ainsi conçu :
« Art. 22. Outre leur traitement fixe, les fonctionnaires et employés qui sont dans le cas d’exercer une influence marquée sur la balance des recettes et dépenses, toucheront un tantième du produit net, conformément aux bases que nous nous réservons de fixer ultérieurement, sur la proposition de notre ministre des travaux publics. »
Vous savez, messieurs, que, dans l’administration des finances, on pratique depuis longtemps un mode très efficace pour exciter le zèle des receveurs à percevoir toutes les recettes qui sont dues à l’Etat ; on leur accorde un tantième de remise sur toutes les recettes qu’ils font.
J’ai pensé qu’au chemin de fer, il y avait des employés qui, par leur zèle, pouvaient avoir une influence marquée, non seulement sur les recettes, mais aussi sur les économies à faire dans les dépenses. J’ai donc cru utile d’insérer dans l’arrêté du 8 avril une disposition de principe dans ce sens, et je crois que lorsque cette disposition aura reçu son application, on obtiendra ce double résultat, diminution dans les dépenses d’exploitation, et augmentation des recettes, déduction faite des primes, ou tantièmes accordés au marc le franc de leur traitement, aux employés dont le zèle plus ou moins grand exerce une influence en plus ou en moins sur les recettes et les dépenses de l’exploitation.
Vous voyez, messieurs, que cet arrêté, loin d’être prématuré, était tout à fait nécessaire, alors que nous étions arrivés au moment où l’exploitation du chemin de fer allait se faire sur toutes les lignes décrétées.
En ce qui concerne le coak, tout le monde sait que des économies ont été apportées dans la consommation de ce combustible, par suite du règlement de police sur cette branche de service (règlement qui accorde aussi des primes aux machinistes), et par suite des perfectionnements que nos ingénieurs sont parvenus à introduire dans la construction des locomotives. Ces économies sont telles que pour les 112 lieues 1/2 de chemin de fer que nous avons à exploiter, M. le ministre des travaux publics ne vous demande au budget de 1844 que 700,000 fr., tandis que lorsque nous n’avions qu’une bonne soixantaine de lieues en exploitation, nous consommions du coak pour une valeur d’au-delà 800,000 fr.
En fait de coak, la première condition à remplir pour une bonne exploitation est, sans aucun doute, celle de la qualité ; tout le service de l’exploitation en dépend, en quelque sorte, la qualité du coak ayant une action directe et très prononcée sur la vitesse des convois. La qualité du coak a, en outre, une grande influence sur la question d’économie elle-même, car lorsqu’on a du mauvais coak, on doit en consommer infiniment plus, bien qu’on n’obtienne pas la même vitesse, ni la même régularité dans la marche des convois.
Ce n’est donc pas sans raison que nos honorables prédécesseur ont cru devoir établir le système de fabrication du coak, par l’administration elle-même ; et que j’ai cru devoir continuer ce système.
Messieurs, on a aussi critiqué les emplacements choisis par mes honorables prédécesseurs pour l’établissement des fours à coak ; mais on ne s’est pas rendu compte des circonstances qui ont motivé ces choix ; si l’on s’en était rendu compte, on aurait bientôt vu que ces choix s’expliquaient d’une manière très satisfaisante.
Messieurs, il y a deux considérations essentielles à envisager, lorsqu’il s’agit de la fabrication du coak. Il faut le fabriquer autant que possible dans des localités voisines des houillères qui produisent le charbon propre à faire le coak parce qu’il faut éviter les plus grands frais de transport du charbon et parce que le charbon perd de sa valeur en rendement de l’influence par l’air. Il faut encore ne pas trop s’éloigner des lieux de consommation, parce que le coak perd beaucoup de sa valeur et de sa puissance par le transport. Eh bien, messieurs, dans quel ordre avons-nous commencé la construction et l’exploitation de nos chemins de fer. La première section que nous avons faite et exploitée, a été celle de Bruxelles à Malines ; pour ne pas avoir à transporter le coak à de trop grandes distances, on a donc établi un four à coak entre Bruxelles et Malines, nous sommes allé ensuite jusqu’à Anvers et jusqu’à Termonde, et dès lors on a trouvé avantageux de placer des fours à coak à Malines. Je ne pousserai pas plus loin cette énumération ; vous comprenez déjà, messieurs, que les motifs qui ont guidé l’administration dans le choix des emplacements successifs des fours à coak, sont tout à fait fondés.
Mais maintenant que nous sommes arrivés à pousser les divers embranchements de nos chemins de fer jusque dans les localités où se trouvent les houilles propres à fabriquer le coak, je crois que nous devons successivement abandonner les anciens emplacements et nous mettre le plus près possible de ces houillères. Il y aurait peut-être à cet égard une exception à faire, ce serait pour le four d’Ostende, à cause du grand trajet qu’il faudrait faire parcourir au coak pour y arriver, et de la perte considérable que l’on risquerait d’avoir sur la quantité du coak.
Messieurs, dans cette discussion, on a émis quelques considérations sur les tarifs. En fait de tarifs de transports, il n’y a, il ne peut y avoir rien d’absolu. Tout doit être relatif aux conditions dans lesquelles se trouve la voie sur laquelle doivent s’opérer les transports qu’il s’agit de tarifer. Les conditions principales, celles dont la loi de 1834 a voulu qu’on tînt compte, ce sont les frais de construction et d’établissement ; ensuite, d’autres conditions essentielles dont il faut tenir compte, ce sont les frais d’exploitation et d’entretien. Quand on a bien tenu compte de ces diverses conditions, dans lesquelles se trouve placée la voie de communication sur laquelle il s’agit de tarifer les transports, alors, messieurs, il y a possibilité d’arriver à satisfaire les intérêts du commerce, de l’industrie et de l’agriculture ; alors, messieurs, des modérations de taxe peuvent être accordées au transis et au commerce en général, à l’importation des matières premières nécessaires à l’industrie nationale, à l’exportation des produits agricoles et industriels du pays.
D’autres modérations peuvent être accordées en raison de la concurrence que la voie de communication qu’il s’agit de tarifer a à subir contre d’autres voies de communication située sur le territoire étranger, Ainsi, pour notre chemin de fer, nous avons à soutenir, depuis que nous touchons à Cologne, la concurrence avec la voie du Rhin. Eh bien, aujourd’hui que nos tarifs produisent, il nous est possible d’accorder des modérations de taxe de manière pouvoir soutenir cette concurrence. Des modérations de taxe peuvent encore et doivent même être accordées pour provoquer des chargements plus complets dans les waggons et dans les convois ; car, messieurs, les abaissements de tarif à l’aide desquels on peut arriver à compléter la charge des wagons et des convois ne peuvent être que profitables au trésor, car ils diminuent considérablement la dépense. Toutefois il faut, pour les accorder, être bien certain que l’on complétera la charge des convois et des wagons dans la proportion de l’abaissement des tarifs.
On peut aussi accorder des modérations de taxes pour obtenir un plus grand mouvement des transports, mais ici encore, il faut bien prendre garde à ce que cet abaissement ne puisse pas rester au-dessus de la proportion dont augmente la quantité de transports. On peut enfin encore accorder des modérations de taxe, pour favoriser les transports à grande distance et diminuer ainsi les dépenses d’exploitation, car les transports à grande distance sont infiniment moins coûteux que les transports à petite distance. Mais encore une fois, quand on accorde ces diverses modérations de taxe, il faut agir avec prudence, avec circonspection. Il faut, autant que possible, se fonder sur l’expérience, il faut que les effets que vous voulez produire puissent être réalisés. Si vous voulez obtenir un plus grand transport et vous récupérer ainsi de la perte de l’abaissement du tarif, pour un plus grand mouvement, il faut, si vous abaissez le tarif de moitié, que vous arriviez par là à doubler les transports, pour rester dans les mêmes conditions en ce qui concerne les intérêts du trésor.
A l’appui de cette opinion, qu’il faut beaucoup de prudence et de circonspection dans les modérations de taxe qu’on accorde dans l’intérêt du commerce et de l’industrie, de l’agriculture ou dans l’intérêt du trésor lui-même, je citerai un fait. Le canal de Charleroi est encore aujourd’hui régi par le même tarif que lorsqu’il a été livré à la navigation. Eh bien, dans les premières années de la navigation sur le canal de Charleroy, ce canal produisait 7 à 800 mille francs moins qu’à présent, et cependant le mouvement est tel que le canal ne suffit pas ; s’il n’avait pas trouvé dans le chemin de fer un auxiliaire puissant, il faudrait élargir les écluses du canal de Charleroy, il faudrait donner à ce canal de plus grandes dimensions.
Messieurs, on est généralement d’accord aujourd’hui sur ce que le tarif des voyageurs ne peut plus être abaissé ; et même beaucoup de membres dans cette chambre et tout à l’heure encore l’honorable M. Osy le disait, beaucoup de membres pensent qu’il peut être augmenté, sans diminuer en rien la circulation, de manière à produire des recettes plus fortes. A en juger par la proportion qui s’est établie entre les recettes des voyageurs et celles des marchandises, nous devons supposer que sur le chiffre de 10 millions 600 mille fr. porté au budget des voies et moyens pour les recettes totales du chemin de fer, les voyageurs y figurent environ pour 5 à 6 millions. Si l’on augmentait de 10 p. c., comme le proposait M. Osy, le tarif des voyageurs, ce serait donc une augmentation de recettes qui irait à environ de 5 à 600 mille fr. Ce seraient 5 à 600 mille fr. qui pourraient profiter au tarif des marchandises là où des abaissements sont jugés nécessaires, ou servir à diminuer le déficit que présente la balance des budgets de l’Etat. Ce serait donc, si l’on se décidait à en faire profiter la balance de nos budgets, à 600 mille fr. de moins qu’il faudrait demander à l’impôt pour couvrir le déficit.
Messieurs, la recette du chemin de fer n’a produit en 1845 que 9 millions, bien qu’on l’ait évaluée dans le budget des voies et moyens à 10 millions, mais cela provient de ce que les lieues nouvelles n’ont pu être ouvertes à la circulation qu’à des époques beaucoup plus reculées qu’on n’avait pensé pouvoir le faire. Mais, messieurs, pour vous faire juger de ce que déjà actuellement nous pouvons espérer pour les recettes de 1844, je me permettrai de vous citer les chiffres que je me suis procurés à l’égard des recettes du mois de janvier dernier.
Les 10 millions 600 mille fr. qui forment les prévisions du budget des voies et moyens pour 1844, dépassent de 1,600 mille fr. les recettes effectuées en 1843 qui s’élèvent à 9 millions. Donc on a prévu au budget de cette année une recette dépassant de 17 à 18 p. c. environ les recettes de 1843.
Pour les voyageurs, en janvier 1843, on n’avait perçu que 290,715 francs 40 c. En janvier 1844, on a perçu 344,136 fr. 10 c. Donc on a perçu de plus en 1844 qu’en 1843, 53,412 fr. 31 c., c’est-à-dire 18 et 1/2 p.c. de plus pour les voyageurs.
Pour les bagages, on n’a perçu que 6 p. c. en plus ; mais les sommes perçues pour les bagages sont insignifiantes relativement aux autres recettes du chemin de fer.
Pour les marchandises, on a perçu en janvier 1843, fr. 181,344 fr., et en janvier 1844, fr. 287,107 90 c., c’est-à-dire 58 p. c. en plus.
Ainsi, vous le voyez, pour atteindre les prévisions du budget, les recettes de 1844 ne doivent dépasser celles de 1843 que de 18 p. c. environ. Elles les dépassent sur les marchandises de 38 p. c. et sur les voyageurs de 18 1/2 p. c., en moyenne de 30 à 35 p. c. environ.
Vous voyez donc, messieurs, qu’en continuant, comme on l’a fait jusqu’ici, à apporter le plus d’économie possible dans les dépenses d’exploitation et à chercher les meilleures bases du tarif, dans l’intérêt du trésor, comme dans celui du commerce, de l’industrie et de l’agriculture, le chemin de fer répondra aux espérances que nous en avons conçues.
M. le président. - Les sections seront convoquées après-demain pour l’examen du projet de loi relatif au mode définitif de nomination du jury d’examen.
Je proposerai la chambre de fixer la séance de demain, à 2 heures, afin que la section centrale, chargés de l’examen du projet de loi relatif aux tabacs puisse avancer son travail. (Adhésion.)
- La séance est levée à 4 heures et demie.