(Moniteur belge n°48, du 17 février 1844)
(Présidence de M. Liedts.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et quart.
M. Dedecker lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Jean-Martin Linde, fabricant d’allumettes chimiques à Molenbeek-St.-Jean, né à Weimar (Saxe), demande la naturalisation. »
« Le sieur Antoine Dekers, tisserand à Lille-St.-Hubert, né à Hellemont (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Les bourgmestre et échevins de Jemmapes demandent que la chambre déclare à la charge de l’Etat la créance qu’a cette commune du chef de l’emprise d’une partie de ses biens pour la construction du canal de Mons à Condé. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.
« Les fabricants et débitants de tabacs, cultivateurs et propriétaires de Beveren, présentent des observations contre le projet de loi sur les tabacs. »
« Mêmes observations des sieurs Gebruers, fabricants de tabacs à Gheel, des fabricants débitants de tabacs et cultivateurs de Ronsbrugge. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet.
« Les habitants de St.-Trond présentent des observations contre le projet de loi sur les céréales. »
« Mêmes observations des habitants de Sery, Soheit-Tinlot, Vyle, Strée, Werin, Bomal, Tehagne, Rothem, Horion-Hozémont, Jodoigne et communes environnantes. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet.
« La dame Deltenre, de Mons, réclame l’intervention de la chambre pour être indemnisée des dégâts causés à ses propriétés par suite des inondations tendues en 1815 pour la défense de la ville de Mons. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le budget de la guerre.
« Les maîtres de poste de la province de Liége prient la chambre de s’occuper du projet de loi sur la poste aux chevaux. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.
« Le sieur Levêque, administrateur délégué de la société anonyme de Couvin, demande une majoration des droits d’entrée sur les fils de fer et sur les aciers. »
M. de Baillet-Latour. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission d’industrie avec prière de faire un prompt rapport, et son insertion au Moniteur.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Vander Elst demande que son fils Jean-Baptiste soit exempté du service militaire. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
Par divers messages en date des 13 et 14 février, le sénat informe la chambre qu’il a adopté :
Le projet de loi ouvrant un crédit supplémentaire au département des finances, pour l’acquit d’une créance due à la maison Van Daehne et cie ;
Le projet de loi ouvrant au département de la guerre un crédit provisoire de 5,000,000 de fr. ;
Le projet de loi autorisant un transfert au budget de la dette publique de l’exercice 1842 ;
Le projet de loi allouant un crédit supplémentaire au budget de la dette publique de l’exercice 1842 ;
Le projet de loi ouvrant un crédit de 700,000 fr. au département des travaux publics pour la continuation des travaux du canal de Zelzaete à la mer du Nord.
- Pris pour notification.
Par divers messages en date du 15 février, le sénat informe la chambre :
1° Qu’il a pris en considération trois demandes en grande naturalisation et 18 demandes en naturalisation ordinaire ;
2° Qu’il a rejeté six demandes en naturalisation ordinaire.
- Pris pour notification et renvoi à la commission des naturalisations.
M. de Villegas demande un congé de cinq jours.
- Ce congé est accordé.
M. Cogels présente le rapport de la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif à une rectification de limites entre les communes d’Heckeren et Cappelen.
M. Osy présente un supplément de rapport au nom de la section centrale chargée de l’examen du projet de loi ouvrant au budget du département des finances pour l’exercice 1843 un crédit applicable au paiement des créances restant à liquider.
- Ces rapports seront imprimés et distribués. La chambre fixe la discussion de ces deux projets après celle du budget des travaux publics.
M. Verhaegen. - Je crois que M. le ministre des finances avait promis de donner à la section centrale les noms et les qualités des personnes qui font partie de la commission de liquidation, et qui, comme tels, jouissent d’indemnités.
M. Osy. - M. le ministre des finances nous a envoyé non pas des noms, mais des qualités de ces personnes, et j’ai pensé que c’était tout ce qu’il fallait.
Nous ferons imprimer ce tableau à la suite du rapport.
M. Mast de Vries, rapporteur. - Messieurs, vous avez renvoyé à la section centrale chargée de l’examen du budget des travaux publics une pétition les bateliers de la Meuse qui demandent que la chambre alloue des fonds nécessaires pour l’exécution des travaux à la Meuse, que M. le ministre des travaux publics a promis de proposer et qui se trouvent indiqués à l’un des annexes du rapport.
La section centrale vous propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Mast de Vries, rapporteur. - Vous avez renvoyé à la même section centrale une pétition des habitants de Beeringen qui demandent l’achèvement de la route de Hasselt à Beeringen. Les entraves qui ont fait surseoir à cette construction ne paraissent plus exister depuis la séparation du Limbourg ; cette route mérite toute l’attention du gouvernement.
La section centrale vous propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. d’Hoffschmidt. - Je demande la parole, pour une motion d’ordre.
Messieurs, au rapport de la section centrale pour le budget en discussion, il est dit à la page 26 :
« Le ministre a fait parvenir à la section centrale :
« 8° Onze relevés statistiques pour les 11 premiers mois de 1843, indiquant le mouvement par station de départs et destination des transports effectués par le chemin de fer ;
« 9° Onze relevés de même nature pour les recettes correspondantes au mouvement ci-dessus. »
Ces relevés statistiques sont déposés sur le bureau.
Dans la journée d’hier, j’ai reçu, en ma qualité de président de la section centrale, les relevés statistiques, pour le douzième mois. En conséquence, les renseignements qui ont été demandés pour l’année précédente sont complets. Je dépose sur le bureau ces renseignements statistiques pour le mois de décembre.
M. le président. - Ces pièces resteront déposées sur le bureau pendant la discussion du budget.
M. de Nef. - Convaincu, comme je le suis, que le moyen le plus efficace pour favoriser l’agriculture et rendre le commerce plus actif est d’augmenter les divers genres de communications, j’ai saisi les occasions qui se sont successivement présentées pour parler en faveur des chemins de fer autant qu’en faveur des routes pavées et canaux.
Maintenant que notre attention est de nouveau appelée sur cet objet par l’examen du budget des travaux publics, je crois devoir répéter ce que j’ai déjà dit maintes fois, que ce besoin de nouvelles communications ne se fait nulle part sentir aussi vivement que dans la Campine anversoise et limbourgeoise.
Je veux bien convenir que le canal de Bocholt à Herenthals et la route provinciale projetée de Gheel vers le Limbourg, pourrait procurer aux communes de Meerhout, Moll et Baelen un bien-être réel, mais ce résultat est encore bien peu de chose, alors que l’on songe qu’il existe presqu’entièrement dans le nord de la Campine anversoise 73,913 hectares de bruyères, qui sont d’une qualité on ne peut plus favorable pour être converties en terres productives et fertiles.
Eh bien, messieurs, cette étendue immense de terrain, qui forme un véritable trésor perdu, est menacée de rester dans cet état d’inertie, ou du moins de ne faire dans l’agriculture que des progrès d’une lenteur désespérante, si l’on ne décide pas d’ajouter un embranchement de canal depuis Dixschel près de la Pierre-Bleue jusqu’à St-Job-in-het-Goor.
Cet embranchement, qui, d’après le projet de M. Kummer et autres, serait creusé entre Turnhout et Merxplas vers Braschaet jusqu’à St-Job, sans aucune écluse et avec peu de travaux d’art, n’exigerait donc pas une dépense bien considérable, et encore celle-ci serait beaucoup allégée par le concours des communes et propriétaires riverains sur le pied réglé par la loi.
Quant aux avantages, cet embranchement, suivant presque sur toute sa longueur la limite de la ligne des douanes, serait un nouvel obstacle à la fraude qui désole notre industrie et porte au trésor un si grand préjudice ; une énorme augmentation de recettes se ferait bientôt sentir aussi sur la contribution ; la Belgique, qui reçoit maintenant de l’étranger une quantité très considérable de céréales, ne tarderait pas à en trouver assez sur son propre sol, de manière à se soustraire bientôt à ce lourd sacrifice ; enfin, d’un autre côté , il n’est malheureusement que trop notoire que, par la stagnation des fabriques de coutils, un grand nombre de tisserands se trouve actuellement sans ouvrage ; eh bien, la construction de cet embranchement commencerait par occuper un grand nombre de bras ; les ouvriers aujourd’hui inoccupés se familiariseraient insensiblement aux travaux rudes de l’agriculture, et lorsque le temps du défrichement des bruyères serait arrivé, ces mêmes ouvriers et même tous ceux sans ouvrage qui pourraient arriver d’autres contrées du pays, seraient certains de trouver des moyens de subsistance en venant concourir au grand œuvre de la fertilisation des Campines. Sans vouloir critiquer les projets de colonisation en Amérique, et tout en les approuvant, je pense, messieurs, que notre propre pays est en quelque sorte encore susceptible de colonisation, et que celle-ci surtout ne saurait être assez protégée. Je ne possède pas assez de connaissances locales pour pouvoir m’exprimer avec la même assurance au sujet du Limbourg, toutefois, je pense que l’on pourrait aussi espérer de très bons résultats d’un embranchement vers Hasselt et la rivière du Demer.
Avant de terminer mes observations, je dois réitérer les regrets que j’ai déjà précédemment exprimés au sujet des retards qu’éprouve la prolongation de la route de Diest à Turnhout vers Tilbourg ; cependant, ainsi que dans le temps je crois vous l’avoir démontré, cet ouvrage serait peu coûteux, tandis que, d’un autre côté, le produit des barrières serait considérablement augmenté et le pays jouirait bientôt des avantages à en résulter incontestablement et dont il est actuellement privé sans aucune compensation.
Finalement, je fais des vœux pour que le gouvernement soit bien convaincu que le moyen le plus efficace pour fertiliser les campines est celui d’établir des voies de communication partout où les transports des engrais sont jugés nécessaires et qu’en le négligeant, son but sera manqué.
J’espère que M. le ministre des travaux publics répondra à mes observations d’une manière satisfaisante, et que je pourrai ainsi m’abstenir de revenir sur mes trop justes réclamations
M. de Corswarem. - J’ai appris qu’une compagnie anglaise offre de construire, par concession, sous garantie d’un intérêt modéré, différents embranchements du chemin de fer, et entre autres, le prolongement, jusqu’au centre du Limbourg, de celui de Landen à St-Trond.
Soit que M. le ministre penche à en accorder la concession, soit qu’il préfère en réserver la construction à l’Etat, je le prie bien instamment de ne vouloir pas perdre de vue que cette nouvelle voie produira des recettes assez élevées pour couvrir les frais d’exploitation, fournir les intérêts de son capital d’établissement et amortir tous les ans une partie de ce dernier. S’il n’est pas intimement convaincu de l’inévitabilité de ce résultat avantageux, qu’il veuille soumettre ses doutes à la régence de Hasselt, ou me les communiquer, et dès ce moment je lui donne l’assurance formelle qu’il obtiendra les preuves les plus convaincantes de la réalité de mes assertions.
Déjà les Limbourgeois ont vu deux fois faire sur le terrain l’étude du projet de ce prolongement, deux fois ils ont espéré l’obtenir et deux fois ils ont été trompes dans leur attente. En ce moment on fait cette étude pour la troisième fois et plus sérieusement que les fois précédentes.
Que M. le ministre des travaux publics reçoive mes remerciements bien sincères, pour le témoignage de bon vouloir qu’il donne, par là, au Limbourg. De toutes les provinces, hormis celle de Luxembourg, qui a renoncé à cet avantage, moyennant compensation, c’est la seule dont le chef-lieu ne soit pas relié à la voie ferrée. Ce n’est cependant pas celle qui en a le moins besoin : loin de là, c’est chez elle où la nécessité s’en fait le plus vivement sentir.
Agricole par dessus tout, son agriculture ne peut vivre qu’au moyen de l’engrais fourni par le bétail que nourrissent ses distilleries, et ses distilleries ne peuvent continuer à exister si elles n’obtiennent une voie de transport qui les place dans une position à peu près égale à celle des autres villes.
Il est inutile de vous dire combien les frais de transport sont plus élevés par le roulage que par le chemin de fer. Il est inutile aussi de vous démontrer combien le commerce du Limbourg central, auquel le bout de rail jusqu’à St-Trond n’est d’aucune utilité, à cause de son excentricité et de l’obligation de rompre charge, combien le commerce, dis-je, est près de succomber sous le poids des énormes frais de transport qu’il doit supporter.
Hasselt est la seule ville du Limbourg qui ait une importance industrielle considérable, et cette industrie ne profite pas seulement à ceux qui l’exercent, mais aussi à l’Etat, dans les caisses duquel elle verse même encore aujourd’hui plus de 300,000 fr. par an, malgré la déchéance de sa prospérité depuis que le chemin de fer l’a courbé devant les avantages dont il a doté d’autres localités.
Hasselt est la seule ville du Limbourg qui puisse exercer une influence efficace sur le défrichement des immenses bruyères de cette province. Mais, pour qu’elle le puisse, elle doit pouvoir disposer de l’engrais fourni par les 1200 bœufs de ses distilleries, lesquelles seront inévitablement anéanties sans le prolongement du chemin de fer. Si ces fabriques étaient encore ce qu’elles ont été jusqu’en 1840, elles produiraient, non pas 300,000 fr. d’impôts. mais plus de 600,000 fr,, car jusqu’alors elles ont constamment employés plus de 600,000 hectolitres de matières imposables, tandis qu’aujourd’hui elles n’en emploient plus la moitié. Il n’y a donc pas de doutes que si elles restent plus longtemps privées des faveurs du chemin de fer, elles continueront tellement à décliner que bientôt, loin de rapporter des centaines de 1,000 francs tous les ans, elles ne rapporteront plus rien et viendront même demander des subsides pour les nombreux ouvriers qu’elles laisseront sans ouvrages et sans pain.
L’anéantissement de ces fabriques serait la mort du commerce au centre de la province, ainsi que de l’agriculture aujourd’hui si florissante de cette contrée ! Cet anéantissement supprimerait l’agent indispensable au défrichement des bruyères et tarirait la source de revenus très importants pour le trésor.
Ces considérations, et surtout la certitude, acquise dès à présent que cet embranchement, loin d’exiger un sacrifice quelconque, rapportera, au contraire, un bénéfice notable, doivent faire désirer sa prompte construction, non seulement par ceux qui en profiteront directement, mais aussi par tous ceux à qui le bien public est cher.
Je finirai donc par prier M. le ministre des travaux publics de vouloir donner à cette question tous les soins que mérite son importance, surtout de vouloir examiner avec la plus grande attention si les propositions de la compagnie qui présente de faire la construction par concession sont admissibles, et si ce système est préférable à celui de la construction par l’Etat.
M. David. - Nous lisons dans le rapport de la section centrale, page 19, le paragraphe suivant
« Le chemin de fer a atteint, dans le courant de l’année qui vient de s’écouler, les derniers points extrêmes indiqués par les lois. Sa jonction avec le chemin de fer rhénan donne des résultats si remarquables qu’ils surpassent tout ce qu’on était en droit d’en attendre et qu’on peut espérer que dans quelques temps notre railway tiendra toutes les promesses qui ont été faites en son nom. »
Messieurs, sans cette révélation de notre honorable rapporteur, découragé que j’étais après avoir été si longtemps le défenseur des prix modérés pour le transport des marchandises, je vous avoue que j’eusse hésité à prendre cette fois la parole dans la discussion du budget du chemin de fer.
Je me suis mis en quête de trouver où l’honorable rapporteur avait remarqué que la jonction de notre chemin de fer avec le chemin de fer rhénan avait donné des résultats si remarquables qu’ils surpassent tout ce qu’on était en droit d’en attendre.
Ces résultats, messieurs, ne peuvent être appréciés que par les derniers tableaux donnés par M. le ministre des travaux publics, sous les chiffres 9(1) à 9(10)
Or, si nous consultons le tableau des voyageurs 9(1), nous remarquons que la colonne des voyageurs partis de tous les points du chemin de fer sur Herbesthal, est peu importante. Son chiffre total est 51, l’unité représentant 100 voyageurs. Verviers seule en a donné 475. Par conséquent, ce ne sont pas les voyageurs, qui passent la frontière qui feront la fortune du chemin de fer.
Le tableau 9(2), pour les bagages, - même insignifiance.
Le tableau 9(3), pour les fonds et valeurs, même insignifiance et cela par de très bonnes raisons ; c’est parce que l’ancienne locomotion transporte à meilleur compte le numéraire que le chemin de fer.
Le tableau 9(4), transport des équipages, - insignifiant ; car Verriers en compte 180 et Herbesthal 28.
Le tableau 9(5), transport des chevaux, - même insignifiance.
Le tableau 9(6), transport du gros bétail, - même insignifiance.
Le tableau 9(7), transport du petit bétail, - 0,0,0
Le tableau 9(8), transport des petites marchandises, - insignifiant.
Le tableau 9(9), Transport des grosses marchandises.
Ici, messieurs, la thèse change, mars pour les transports de Liége vers l’Allemagne seulement. C’est dans cette masse de transports que l’honorable M. Mast de Vries a pu seul remarquer ces résultats si étonnants.
Car, s’il est réellement remarquable que l’on ait transporté, depuis l’ouverture du chemin de fer de la Vesdre, 16,661 tonneaux au-delà de la frontière par le point de Herbesthal, il ne vous échappera pas que, dans ces 16,661 tonneaux, Liège seule figure pour un chiffre de 12,912 tonneaux, Sans ce colossal mouvement d’expédition de Liége vers l’Allemagne, le transport des grosses marchandises aurait été tout aussi insignifiant que celui que je viens de signaler pour les tableaux n°9(1) à 9(8).
Mais comment a-t-on obtenu ces transports, messieurs ? Par le bas prix. Je dirai même, si je suis bien renseigné, par des prix de faveur, accordés exceptionnellement à certains établissements. Et cependant, messieurs, il ne devrait point exister de prix de faveur au chemin de fer, car du prix de faveur au pot de vin il n’y a qu’un pas. Il ne doit y avoir qu’un tarif, messieurs. D’après la loi, c’est un tarif royal, en attendant qu’une vraie loi nous donne un tarif réel. Si nous condamnons ici les prix de faveur, ce n’est pas, gardez-vous de le croire, comme prix trop peu élevés, mais c’est comme abus, j’oserais dire comme injustice ; car si le chemin de fer a pu transporter les fontes au-delà de la frontière prussienne à des prix exceptionnels, pourquoi ne transporterait-on pas nos houilles, à Anvers, à Gand, pour l’exportation, aux mêmes conditions ? Je prie M. le ministre des travaux publics de vouloir nous faire connaître à quel prix et à quelles conditions ces transports de Liège à Herbesthal ont été effectués. Si donc, messieurs, il y a eu des résultats surprenants, à quoi les devez-vous ? Aux bas prix seuls, aux prix exceptionnels, au transport des marchandises pondéreuses, de Liège sur Verviers, 8,802 tonneaux, de Liége à Herbesthal 12,912 tonneaux.
Quant au transport des marchandises expédiées d’Anvers seulement pour Herbesthal, pour lesquelles on voit figurer un total de 1,759 tonneaux, ce n’est pas là un nouveau transport acquis à notre railway par l’ouverture du chemin de fer rhénan. Ces expéditions pour l’Allemagne avaient lieu l’année dernière tout comme cette année, mais elles s’arrêtaient à Liége, notre chemin de fer ne s’étendant pas encore alors au-delà de cette vile. Car, messieurs, consultez le tableau n°XV du dernier compte-rendu de l’honorable M. Desmaisières. pages 86 et 87, vous y voyez qu’Anvers avait expédié sur Liége en 1842, 8,841 tonneaux de grosse marchandise, tandis que les transports en 1843, d’Anvers sur Liége, ne figurent plus que pour 5,721 tonneaux ; mais si vous ajoutez à ces 5,124 tonneaux, les expéditions directes d’Anvers pour Verviers, 1,008 tonneaux, et les expéditions directes d’Anvers sur l’Allemagne, 2,759 tonneaux, vous aurez pour résultat total des expéditions réunies d’Anvers pour Liége, Verviers et l’Allemagne, un total de 9,491 tonneaux, d’où seulement une augmentation (sur 1842) de 650 tonneaux !
Ainsi donc, messieurs, il est maintenant prouvé jusqu’à l’évidence que la jonction de notre chemin de fer avec le railway rhénan n’a été d’aucune utilité pour le commerce d’Anvers, pour le commerce d’outre-mer avec l’Allemagne.
Un résultat aussi malheureux n’ouvrira t-il donc pas enfin les yeux du pays, les yeux du gouvernement, sur les errements vicieux de l’administration, de la direction actuelle du chemin de fer, qui pèse aujourd’hui si fatalement sur notre commerce.
Enfin, messieurs, la statistique du mouvement des transports se termine par le tableau 9(10), transport par waggons. Eh bien, messieurs, les transports sur Herbesthal y sont encore, 0.
Où donc, je le demande de nouveau à notre honorable rapporteur, a-t-il pu trouver que la jonction de notre chemin de fer avec le chemin de fer rhénan avait donné des résultats tellement remarquables qu’on ne pouvait même pas s’y attendre, si, encore une fois ce n’est dû aux transports de fontes à des prix exceptionnels, inférieurs à ceux de la première classe ?
Je termine, messieurs, en demandant l’impression des pièces déposées sur le bureau (hilarité), mais dont le volume vous effrayera peut-être. Je crois cependant cette impression nécessaire, et surtout en ce qui concerne le magasin central de Malines. Je crois qu’une fois que vous serez au courant de cette publication mensuelle du chemin de fer, que vous connaîtrez la situation de l’arsenal de Malines, et des dépôts particuliers des stations, vous ne vous apercevrez plus du volume énorme de ces documents, dont nous avons dû demander l’impression pour connaître quel est réellement l’actif du chemin de fer, quelle est la fortune que le pays a engagée dans une affaire aussi importante, dans un entrepôt que l’on cite aujourd’hui dans tout le pays comme un gouffre.
Messieurs, jusqu’à présent on n’a pas paru reculer devant l’impression de nombreux documents. L’honorable ministre des travaux publics s’est exécuté cette année de manière à satisfaire à toutes les exigences. L honorable ministre de l’intérieur nous a présenté un rapport sur l’instruction publique qui certes représente à lui seul tous les documents que nous avons sous les yeux.
M. Mast de Vries. - Et qui a coûté 11,000 francs.
M. David. - Je suis persuadé que si ces documents étaient imprimés, vous devriez reconnaître qu’ils ne forment pas un volume aussi considérable que celui qui nous a été fourni par M. le ministre de l’intérieur.
Chaque année on nous distribue aussi un volume très considérable sur la statistique commerciale, volume extrêmement incorrect, qui coûte tant à l’Etat. De quelle utilité nous est la plupart du temps ce document ? Il ne sert qu’à nous entraîner dans des erreurs commerciales. Je sais, du reste, qu’il est question de rectifier le rapport sur notre statistique commerciale et je pense que désormais elle sera plus exacte qu’elle ne l’a été jusqu’aujourd’hui.
Je persiste donc, à réclamer l’impression des documents fournis tels que je les tiens en main et pour Malines et pour les stations de 2ème et 3ème ordre. Remarquez bien, messieurs, que ce qui vous effraie ici, c’est que vous avez, je le répète, les comptes des cinq ou six années antérieures.
Je remercie M. le ministre de l’étendue et du mérite des renseignements qu’il nous a fournis dans ses derniers développements. C’est à l’aide de ses tableaux que j’ai pu établir les calculs que je viens de soumettre à la chambre. Malgré toute l’étendue de ces renseignements, ceux néanmoins qui s’occupent sérieusement de la question de l’économie des chemins de fer, verront qu’il manque un renseignement indispensable dans ces tableaux ; c’est le nombre de convois, qui ont servi à transporter ces masses de marchandises. Il ne faut pas perdre de vue, messieurs, que c’est dans la marche utile des convois qu’est tout le secret des bénéfices au chemin de fer, Or, de quelle importance n’est-il pas alors, vous le reconnaîtrez, de connaître le nombre de ces convois de station à station, pour les voyageurs, les marchandises de diverses catégories, les convois particuliers pour l’Etat, comme pour le transport des sables, des rails, en y faisant même entrer les convois spéciaux pour les grands, etc.
M. le président. - L’honorable M. David demande l’impression des pièces déposées sur le bureau.
M. Verhaegen. - Il me semble, messieurs, qu’il ne faut pas faire imprimer toutes les pièces qui sont sur le bureau, mais qu’il faut en faire un tableau synoptique. Il est impossible qu’aucun membre de la chambre se forme une opinion par les documents qui sont là.
Le gouvernement doit faire ici ce que fait tout négociant mettant de l’ordre dans ses affaires ; le négociant fait tous les ans son bilan, comprenant entre autres l’évaluation de son actif. Le gouvernement doit faire la même chose ; qu’il nous dise donc dans un tableau synoptique, qui sera le résumé de toutes les pièces déposées sur le bureau, ce que nous possédons ; alors seulement nous pourrons nous former une opinion sur une des principales propriétés de l’Etat.
Je ne pense pas que ce soit sérieusement que notre honorable collègue a demandé l’impression de toutes les pièces déposées ; selon moi, on imprime déjà beaucoup trop, cela nous entraîne à des dépenses beaucoup trop considérables.
Je demanderai donc, et c’est dans ce sens que je modifie la proposition de l’honorable M. David, que le gouvernement fasse un résumé de toutes ces pièces et qu’il nous le soumette pendant la discussion.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Je pense que l’honorable M. Verhaegen ne se rend pas compte des documents qui sont déposés sur le bureau.
L’année dernière, au commencement de la discussion du budget des travaux publics, l’honorable M. David avait demandé des renseignements assez nombreux au ministre des travaux publics d’alors. Ces renseignements, messieurs, je les ai donnés, non pas d’une manière éparpillée et confuse, mais dans le compte-rendu et dans les documents récapitulatifs que j’ai fournis à la chambre. Ainsi les documents les plus nombreux qui se trouvent déposés, consistent dans le mouvement par mois, des transports des voyageurs, des bagages et des marchandises, ainsi que les tableaux correspondants par mois, pour les recettes. Mais, messieurs, les tableaux récapitulatifs se trouvent insérés dans le compte-rendu, de manière que la chambre peut les apprécier d’un seul coup d’œil.
Les documents résumés que demandait l’honorable M. Verhaegen, sont donnés dans le compte-rendu. J’y ai inséré la récapitulation de l’état du magasin central, dont tous les détails se trouvent aussi déposés sur le bureau ; de manière que, le bilan que demande l’honorable membre, vous l’avez aussi complet que possible ; vous l’avez dans le compte-rendu et dans le premier cahier de développements que j’ai fournis antérieurement à la chambre
L’honorable M. David, en section centrale, avait demandé les détails même de ces documents dont vous avez le résumé dans le compte-rendu ; j’ai cru de mon devoir de les lui fournir.
Du reste, messieurs, l’honorable M. David l’a reconnu lui-même, il a bien voulu me remercier d’avoir, avant la discussion du budget, recueilli un très grand nombre de documents. Veuillez remarquer, messieurs, que vous êtes saisis de quatre cents pages de documents sur les travaux publics. Je pense qu’aucun autre département ne fournit des renseignements aussi nombreux, aussi détaillés. Ce serait céder véritablement à un préjugé, de croire que le département des travaux publics ne donne pas les mains d’avance aux demandes de renseignements qui lui sont faites. Je me hâte d’ajouter cependant que la situation que j’ai fournie à la chambre n’est pas un compte-rendu complet.
Je ne regarde pas cette situation comme me dispensant de présenter plus tard le compte-rendu. Je le reconnais, pour l’année 1844, qui est celle qui suit l’achèvement de toutes les lignes du chemin de fer décrétées, le compte-rendu devra revêtir un caractère plus général que les autres ; il devra coordonner dans un seul cadre les divers renseignements fournis par les divers ministres des travaux publics, de manière à présenter en quelque sorte l’histoire et le bilan de cette première période du chemin de fer belge.
Mais, messieurs, vous conviendrez qu’il m’était impossible de présenter un tel compte-rendu avant la discussion de mon budget. Je pense avoir livré à la chambre tous les documents nécessaires pour servir de base à une discussion approfondie.
Je le répète, messieurs, vous avez les documents essentiels dans les développements imprimés à l’appui du budget et les pièces déposées sur le bureau ne sont véritablement que le sous-détail des renseignements réclamés dans le compte-rendu.
M. Manilius. - Messieurs, j’ai demandé la parole pour appuyer la motion de l’honorable M. Verhaegen ; je pense aussi qu’il serait superflu de faire imprimer toutes les pièces déposées sur le bureau et qui ne forment, ainsi que vient de le dire M. le ministre, que le sous-détail des renseignements imprimés qu’il a fournis à la chambre ; mais ce que nous avons intérêt à connaître, c’est le résumé de ce sous-détail ; ce que nous avons intérêt à connaître, c’est la situation de ce que possède aujourd’hui le chemin de fer ; c’est ce qu’il vaut, c’est sa fortune, c’est, en un mot, son bilan, comme l’a dit l’honorable M. Verhaegen. Il faut que nous sachons ce que sont encore nos rails, quel est le degré d’usure qu’a subi le matériel ; quelle est la valeur actuelle des rails, du matériel des terrains, enfin de tout ce qui tient au chemin de fer. Voila, messieurs, ce qu’on pourrait nous dire en très peu de développements ; une page d’impression suffirait pour nous faire connaître l’actif et le passif de cette immense entreprise.
Vous êtes, messieurs, (le gouvernement) les entrepreneurs généraux des transports de la Belgique ; eh bien, tout entrepreneur de transports fait annuellement son bilan, établit la valeur de ses chevaux, de ses voitures, de tout ce qui se rattache à son entreprise ; tout entrepreneur de transports constate chaque année de combien sa fortune s’est accrue ou combien il a perdu. Eh bien, nous demandons que le gouvernement fasse la même chose et qu’il nous dispense de cette immense quantité de documents où nous n’avons rien à voir, pas même de l’histoire, car l’histoire du chemin de fer nous est parfaitement connue. Que le gouvernement nous donne donc un résumé comme l’a demandé l’honorable M. Verhaegen ; c’est tout ce qui nous est nécessaire et je me rallie entièrement à la proposition de cet honorable membre.
M. David. - Je crois, messieurs, que nous parviendrons à nous entendre. Voici ce que je demande ; les documents déposés sur le bureau sont, en effet, très volumineux, mais il ne faut pas perdre de vue qu’ils concernent 5 ou 6 années. Parmi ces documents se trouve un état présentant le mouvement du magasin central pendant l’année 1843 et sa situation au 1er janvier 1844 ; eh bien, messieurs, c’est là que se trouve réellement engagée la fortune du chemin de fer ; je voudrais que ce document, que je tiens en main, qui n’est nullement, volumineux, comme vous le voyez, fût imprimé ; mais là, cependant ne s’arrête pas ma demande : il y a aussi sur le bureau des documents qui constatent l’entrée et la sortie des marchandises aux magasins des stations ; si on ne nous présentait que l’état du magasin central et si l’administration pouvait vouloir tromper le pays auquel appartient l’énorme capital placé dans le matériel du chemin de fer, si l’on avait l’intention de tromper le pays…
M. le président. - Je ne puis laisser passer de semblables expressions ; cela n’est pas parlementaire.
M. David. - Cela ne s’applique en aucune façon à M. le ministre ; je ne parle que de l’administration ; c’est, du reste, une simple éventualité que je pose.
M. le président. - Cette explication suffit.
M. David. - Je dis donc que si l’on voulait induire le pays en erreur, du jour au lendemain on pourrait faire sortir du magasin central une masse de marchandises que l’on déposerait dans les magasins particuliers des stations, de cette manière le magasin central serait appauvri ou présenterait des besoins qui n’existeraient pas en réalité, on justifierait en apparence des demandes de fonds qui ne seraient pas nécessaires et l’on pourrait multiplier et augmenter le matériel du chemin de fer au-delà de toute proportion avec les besoins réels du railway. Je demande donc, messieurs, que l’on fasse imprimer la situation du magasin central de Malines et celle des magasins particuliers des stations. Voilà ma pensée, la chambre prendra maintenant telle résolution qu’elle jugera convenable.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Je crois, messieurs, qu’il y a beaucoup de confusion dans ce que vient de dire l’honorable préopinant. L’année dernière, l’honorable membre avait formulé une série de demandes de renseignements très détaillés et qui paraissaient devoir suffire ; il reconnaîtra que, dans la situation soumise à la chambre, j’ai scrupuleusement suivi les indications que lui-même avait données. L’honorable membre demande un document nouveau ; il parle de la situation du magasin central, et, effectivement, comme il l’a très bien remarqué, il importe beaucoup à la chambre de connaître la situation du magasin central.
Sans les connaître il est difficile d’avoir une idée claire de la comptabilité du chemin de fer. Mais probablement l’honorable membre a oublié que ce qu’il demande se trouve renseigné dans le tableau n° 13, qui indique la valeur des objets se trouvant au magasin central de Malines au 1er janvier 1843 et au 1er janvier 1844. Tous les détails dont ce document n’est que le résumé se trouvent déposés sur le bureau.
Je vous avoue, messieurs, que je m’ingénie pour découvrir quels autres renseignements pourraient encore être demandés. Quant à l’état des magasins des stations, vous le savez, messieurs, ce n’est qu’à partir de 1840 et 1841 qu’une comptabilité régulière existe pour ces magasins ; j’ai donc déposé les cahiers de l’état des magasins des stations qui en définitive correspondent avec l’état de situation du magasin central. Ainsi, messieurs, je le répète, j’aurais cru, avant la discussion, avoir prévenu tous les désirs de l’honorable membre car il en conviendra lui-même tous les renseignements que l’année dernière il avait demandés avec tant d’instance, ont été fournis sans aucune exception, et vous reconnaîtrez que sur ces prémisses une discussion sur la situation du chemin de fer peut très bien s’établir. J’ajouterai, messieurs, que le premier cahier de développements fournis à la chambre, et que j’ai appelé documents administratifs, est entré dans des détails qu’aucun de mes prédécesseurs n’avait cru devoir présenter.
M. Rogier. - Je pense, messieurs, que l’honorable M. David n’a pas été compris. M. le ministre des travaux publics a trouvé la proposition de l’honorable membre confuse ; je l’ai trouvée, moi, très précise. Je parle de sa dernière proposition. L’honorable M. David demande que l’on fasse imprimer l’état de situation du magasin central de Malines, et comme cet état serait incomplet si l’on n’y joignait celui des magasins particuliers des stations, il demande que l’on fasse imprimer également la situation de ces divers magasins. En effet, pour connaître au juste l’état du matériel du chemin de fer, il faut nécessairement avoir sous les yeux cette double situation. Ce ne sera pas là une impression considérable ni quant aux frais, ni quant au volume. M. le ministre des travaux publics, qui nous a fourni d’ailleurs beaucoup de documents, a placé à la fin de son rapport un résumé très succinct de l’état des magasins, mais ce résumé ne jette pas beaucoup de lumières sur la situation réelle de nos approvisionnements.
Au lieu de se borner à publier en 14 lignes l’état sommaire de 14 catégories d’objets en approvisionnement, il faudrait que l’on publiât l’inventaire détaillé et complet des divers objets compris dans ces 14 catégories.
Je crois qu’il a été imprimé beaucoup de documents qui n’avaient ni le même intérêt ni la même importance que ceux dont l’impression est réclamée par M. David. J’appuie donc la demande de cet honorable membre.
Je pense que M. le ministre des travaux publics, qui a déjà fait preuve de bon vouloir sous ce rapport, n’aura pas de motif de se refuser à publier l’état de nos magasins ; il le faut pour la chambre, il le faut aussi pour l’administration. Il est certain qu’à tort ou à raison, l’état du magasin central de Malines, et celui des magasins particuliers, donnent lieu à des critiques. On se plaint que les opérations qui concernent cette branche d’administration ne soient pas suffisamment contrôlées. M. le ministre ne peut pas ignorer que de très graves abus se sont passés dans l’administration du magasin central de Malines, abus dont j’engage fortement M. le ministre à tâcher de prévenir le retour. Il importe qu’un contrôle sévère s’exerce sur les magasins particuliers des stations, et surtout sur le magasin central.
Je n’en dirai pas davantage sur ce point, mais j’insiste pour que les documents dont on a parlé en dernier lieu, soient imprimés. J’ajouterai que l’impression des pièces qui concernent les magasins particuliers, par cela seul que ces magasins ne sont pas très importants, ne devra pas prendre beaucoup de volume, ni donner lieu à de grands frais.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Messieurs, je suis très loin de m’opposer à l’impression de ces documents qui, en effet, ont un caractère d’une très grande importance pour l’appréciation exacte de la comptabilité du chemin de fer. La récapitulation présentée dans le compte-rendu me paraissait devoir suffire ; si l’on veut plus, j’y consens, je n’ai aucun intérêt à m’y opposer. Cependant, je ferai une observation, c’est que la comptabilité des magasins particuliers des stations n’a été régularisée que depuis quelques années. Je pense qu’il serait presqu’inutile de faire imprimer l’état des magasins pendant les années précédentes, et qu’il faudrait se borner à ordonner l’impression des documents, depuis l’époque où la comptabilité a été régularisée.
M. Verhaegen. - Messieurs, vous voyez qu’on finit par accorder ce que j’avais l’honneur de proposer tantôt. M. le ministre des travaux publics vient de vous dire qu’il n’est pas nécessaire de faire imprimer tous les documents qu’il a communiqués à la chambre, mais qu’il suffit d’en extraire et de reproduire dans un tableau ce qui constitue la position actuelle du chemin de fer. C’est là un véritable bilan, tel que je le demandais tout à l’heure. Or, un bilan se compose de deux inventaires distincts, l’inventaire de l’actif et l’inventaire du passif. A l’aide de ces deux inventaires mis en regard l’un de l’autre, nous pouvons apprécier la valeur, la situation actuelle du chemin de fer.
Que M. le ministre, dans le premier tableau, fasse figurer la valeur des rails nouveaux qui sont encore la disposition de l’Etat dans les magasins ; la valeur des rails hors de service ; la valeur des rails qui se trouvent actuellement sur le chemin de fer ; la valeur des locomotives, des diligences, des chars à bancs, des waggons, et généralement toutes les valeurs actives.
D’autre part, qu’il mentionne les améliorations qu’il sera nécessaire de faire dans un temps prochain. Ainsi, par exemple, le gouvernement doit savoir quelles sont les billes et les rails à remplacer par des billes et des rails nouveaux, et il doit indiquer les dépenses nécessaires pour mettre le chemin de fer dans l’état où il doit être. Ce sont là les charges qu’il doit faire figurer dans le second tableau. Je voudrais, en un mot, un état normal.
Au moyen d’un tableau, comprenant, d’un côté, les valeurs actives, de l’autre l’indication du passif ; j’aurais ce qu’a tout négociant qui veut connaître sa position ; j’aurais la véritable situation des chemins de fer, il importe à celui qui se livre à une exploitation, et ici le gouvernement n’est qu’un exploitant, de connaître sa position jour par jour ; il doit pouvoir se rendre compte, à chaque instant, des valeurs qu’il possède et des charges dont il est grevé.
Ainsi, ce que je demandais et ce que M. le ministre des travaux publics s’offre à nous donner, c’est un bilan. Alors seulement nous pourrons apprécier notre position et prendre les mesures qu’elle réclame.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, l’honorable M. David a demandé l’impression des volumineux documents qui sont déposés au pied du bureau. L’honorable M. Verhaegen veut qu’on en fasse d’abord le dépouillement, afin de ne livrer qu’un choix de ces documents à l’impression.
On a demandé de plus que la chambre ait à sa disposition un état de situation des magasins des chemins de fer.
Les pièces qui sont déposées concernant les dépenses des chemins de fer, ce sont des pièces de comptabilité, si je ne me trompe.
Sommes-nous appelés à examiner aujourd’hui les détails de la comptabilité des chemins de fer ? Je ne le pense pas, car cet examen serait impossible pour le moment.
Je pense que cet examen ne sera possible que lors de la discussion de nos comptes arriérés.
Cette discussion ne sera possible que lorsque la cour des comptes aura fait le travail préparatoire qu’elle aura à nous soumettre.
On nous demande de plus un état de situation des magasins du matériel. Cette demande me semble très motivée ; un état de situation semblable est fourni tous les ans aux chambres de France, et j’espère que notre loi de comptabilité imposera le même devoir au gouvernement. Si notre loi de comptabilité consacre le principe d’une comptabilité matière, toutes les difficultés, qui entravent aujourd’hui la discussion, auront disparu pour l’avenir.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, il me semble qu’on est à peu près d’accord pour restreindre l’impression des pièces à l’état du magasin central au 1er janvier 1844, ainsi qu’à celui des magasins particuliers à la même époque. Dès lors, on ne doit plus s’effrayer de l’impression de ces pièces. Ce qui avait d’abord surpris, c’est que l’honorable M. David, en formulant sa première proposition, avait demandé l’impression de toutes les pièces qui ont été déposées sur le bureau et qui comprennent au moins 30 à 40 volumes. On conçoit qu’il devait répugner à la chambre de s’engager dans une dépense assez considérable. En effet, les impressions de la chambre deviennent d’année en année plus dispendieuses. Dernièrement encore on a fait imprimer un document, émané du ministère de l’intérieur, lequel a coûté 11,000 fr.
Quant à l’utilité des documents dont il s’agit en ce moment, elle est incontestable. Ce que vient de dire l’honorable M. Rogier suffirait seul pour que l’on se déterminât à l’instant même à demander l’impression de cette pièce. D’ailleurs, M. le ministre des travaux publics n’y fait aucune objection. On doit, d’un autre côté, reconnaître que jamais nous n’avons entamé la discussion d’un budget des travaux publics, avec des documents aussi complets que ceux qui nous ont été distribués.
M. le président. - La parole est à M. David.
M. David. - J’y renonce ; je formule ma proposition, que je vais déposer sur le bureau.
M. de Brouckere et M. Verhaegen. - M. le ministre des travaux publics consent à l’impression ?
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - J’ai déclaré que je ne m’opposais nullement à l’impression.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la question de savoir si l’on imprimera les documents dont il s’agit.
Des membres. - On s’en rapporte au ministre.
M. le président. - Dès lors il n’y a rien à mettre aux voix. (Non, non.) Nous allons donc rentrer dans la discussion générale. La parole est à M. Desmet.
M. Desmet. - Je ne pense pas que le pays ait lieu de se plaindre que l’on ne discute pas suffisamment dans la chambre la question du chemin de fer, je crois qu’il n’y a pas de branche d’administration qui attire plus l’attention de quelques membres de cette chambre, et dont on s’occupe plus, et nonobstant on n’a pas pu trouver un moyen pour que ce chemin ne continuât pas à rester une lourde charge pour le trésor.
Il y a deux objets à voir dans le chemin de fer. Je veux parler de la comptabilité et de la gestion. Pour ce qui concerne le détail de la comptabilité, certainement cela ne peut pas être de la compétence d’une chambre, c’est la cour des comptes. En ce qui concerne la gestion du chemin de fer, on devrait, selon moi, entrer dans les vues de l’honorable M. de Theux qui a demandé, l’année dernière, qu’on nommât une commission auprès du ministère des travaux publics. Mais tout n’est pas dans cette surveillance qu’on réclame, le tout est dans le système que l’on a voulu suivre ; quand l’Etat exploite par lui-même, quand l’Etat se fait roulier et messager, cela ne peut être autrement, on l’a voulu ainsi, on doit le subir.
Si l’on s’occupe beaucoup du chemin de fer, et que le pays n’ait pas à s’en plaindre, je crois, d’un autre côté, qu’on s’occupe trop peu des autres voies de transport, des routes et des canaux.
J’ai demandé la parole, lorsque l’honorable M. de Corswarem nous a appris qu’une société étrangère s’offrait à exécuter par concession la quantité des travaux publics qui restaient encore à faire dans le pays et que l’Etat ne pourrait jamais entreprendre aux frais du trésor, et que cette société s’annonçait avec de grands capitaux. Je désire savoir si réellement il y a quelque chose de vrai dans ce fait : et, en cas d’affirmative, quelle est l’opinion du gouvernement à cet égard.
Messieurs, on ne peut pas le méconnaître, les travaux publics sont d’une grande importance pour le pays ; ils contribuent beaucoup à sa prospérité ou à sa ruine ; d’après que les projets sont bien ou mal conçus, l’exécution bien ou mal faite, il y gagne ou il perd.
Les travaux publics ont une grande influence sur l’agriculture, le commerce, l’industrie, la tranquillité et sur la sécurité même de l’intérieur, en un mot d’eux dépendent en grande partie le bien-être matériel d’une nation ; il faut quelquefois le dire et surtout dans un pays où on croit depuis quelque temps que ce bien-être dépend entièrement de l’œuvre des chemins de fer.
Par exemple, si l’on avait conçu un bon système de communication à travers la Campine, cette immense contrée, qui est encore à l’état de bruyère, ne serait-elle pas cultivée ? L’élève du bétail, objet pour lequel nous sommes encore tributaires envers la Hollande, ne serait-il pas exploité dans la Campine ?
Maintenant si j’envisage la question au point de vue industriel, je dirai que, si l’intéressante province du Luxembourg, avait eu quelques voies de communication, le pays, ainsi que la province, en aurait retiré de grands avantages ; vous n’auriez pas perdu une bonne fabrication du fer, fabrication que vous aviez dans le Luxembourg et dont vous avez besoin. Vous perdez encore l’extraction des ardoises dont vous devez maintenant aller vous approvisionner en France ; et les produits agricoles de cette province, qui y sont ordinairement à meilleur compte que dans l’intérieur du pays, ne peuvent en sortir ni en faire jouir les autres parties du royaume ; on pourrait citer encore mille cas pareils. Et quand j’envisage cette question sons le rapport de la tranquillité publique, n’est-il pas vrai de dire que, quand toutes les dépenses des travaux publics sont absorbées pour un seul ouvrage, n’y a-t-il pas beaucoup d’autres intérêts qui souffrent et n’est-ce pas là une matière de plainte et de mécontentement ? Car, ne peut-on pas dire qu’on parle constamment des chemins de fer, et qu’on ne s’occupe pas assez des autres voies de communications ?
Je demanderai à présent si les recettes du chemin de fer ne compenseront jamais les dépenses qu’il a occasionnées et qu’il occasionne. Messieurs, on ne peut se le dissimuler, le chemin de fer a causé de grandes pertes au pays. Il a provoqué une révolution totale dans le pays ; il a donné naissance à un monopole de messageries, à un monopole de roulage aux mains du gouvernement. Voyons maintenant le bien-être qu’il procure au pays, et surtout aux classes peu aisées. Que laisse le chemin de fer en route ? Un peu de cendre. Il passe sur le pays, comme un ballon dans l’air. Et cependant vous vous trouvez dans un moment de grand malaise. A quoi tient ce grand malaise ? Il ne peut être attribué au manque de capitaux.
Cela vient du monopole, et telle doit être la conséquence de tous les monopoles. Toujours la Belgique a été heureuse quand il n’y avait pas de monopole. On a commencé par l’établir par le chemin de fer pour le transport des voyageurs, et ensuite pour le transport des marchandises de roulage. Si encore il en résultait quelque avantage pour le trésor ; mais il nous conduit de déficit en déficit qui bientôt absorbera en intérêts 10 à 12 millions par an, sans espoir de voir diminuer cette charge, car un chemin de fer nécessite toujours de nouvelles dépenses. Ce n’est pas comme un canal, qui une fois le capital de construction dépensé, n’exige que des frais d’entretien assez minimes et produit beaucoup. D’un autre côte, quand un canal est creusé, les populations viennent s’établir à sa proximité et en profitent. Il n’en est pas de même du chemin de fer.
Quand on fait tant de dépenses pour une seule voie de communication, peut-on abandonner les autres intérêts du pays ? Si vous agissez ainsi, on criera, on sera mécontent. Car il y a des intérêts immenses qui sont négligés. Ce n’est pas moi qui vous le dis, mais le ministre des travaux publics, quand, il y a deux ans, il vous a fait son rapport sur les travaux publics à exécuter par les particuliers. Il vous a dit : « « Il y a encore d’immenses travaux que l’Etat ne pourra pas entreprendre, que les particuliers devront faire. Quand on considère les dépenses déjà faites on doit reconnaître qu’il est impossible que l’Etat en entreprenne encore, et qu’il faut que les particuliers s’en chargent. »
Je vous citerai ce que disait l’honorable M. Dechamps dans le beau rapport qu’il nous présenta sur la proposition de MM. Seron, Zoude et Puissant, rapport qui fut fait le 13 juin 1842, et ici je partage entièrement l’opinion bien clairement établie de M. Dechamps :
« D’immenses travaux restent à faire... C’est à l’industrie privée qu’il faut les confier, à l’association, cette autre puissance si grande, si forte quand elle est produite par la prudence et la probité, et que ses efforts tendent vers la prospérité et le bien-être du pays.
« Mais pour arriver à ce but, il faut rendre à l’esprit d’association les forces qu’il a perdues par les fautes de l’imprudence, les crises financières et les embarras de la situation. Il faut lui rendre la confiance, et avec elle les capitaux lui seront rendus.
« Cette confiance, c’est le concours et l’aide de l’Etat qui doivent la donner ; c’est appuyé sur cette force morale que les forces matérielles et intelligentes des compagnies effectueront de nouveau des prodiges et rempliront la mission qui leur est dévolue dans la construction des grands travaux, de canaux, de routes et de chemins de fer... »
Messieurs, à cette occasion, j’énumérerai les travaux qui resteraient à faire et que je crains que l’Etat ne puisse pas exécuter.
Vous avez lu le rapport de M. Vifquain, qui vous indique les travaux d’utilité agricole, commerciale et industrielle qui restent à faire. Il cite d’abord le canal du Luxembourg. On ne peut pas méconnaître qu’il faut un jour tirer ce pays de la situation où il se trouve. Il cite ensuite le canal de la Campine, que Napoléon avait décrété, qui serait d’une très grande utilité, non seulement pour la Campine, mais pour tout le pays, car par le canal du Nord il se liait à l’Escaut et à la mer.
Voilà un travail important qui aurait remplacé tous les chemins de fer, pour le commerce surtout. Il cite ensuite un canal de jonction de la Haine avec la Sambre, qui établirait une communication de la plus haute importance.
Vient ensuite le canal de Jemmapes à Termonde, qui est de même d’une très grande importance, en ce qu’il pourrait nous rouvrir le commerce de la Hollande, ouvrira une nouvelle voie de commerce avec ce pays, fera vivre une contrée riche en productions et qui est comme morte aujourd’hui, par défaut de voies de communication et qui obtiendrait quelque compensation des pertes qu’il a dû supporter par le chemin de fer, pour lequel elle paie grassement et par lequel elle se ruine.
Il vous a cité maints autres objets, mais quand tout est absorbé par le chemin de fer, il est impossible d’entreprendre d’autres travaux.
Messieurs, je crois que le gouvernement doit entrer dans la voie des concessions. Il n’y a pas d’autre moyen pour contenter le pays et exécuter les travaux dont il a besoin. Je ne connais pas encore son opinion à cet égard. L’honorable M. Dechamps a fait en 1842 un rapport remarquable sur cet objet, il a même présenté un projet de loi mais ce projet n’a reçu aucune suite, il est resté à l’état de rapport. Je désirerais savoir l’intention du gouvernement, s’il se propose de laisser exécuter des travaux par concession. Pour moi je voudrais que le gouvernement portât son attention sur ce moyen d’exécution de travaux publics. Je connais l’opinion de M. Dechamps, rapporteur en 1842, mais je ne connais pas l’opinion de M. Dechamps, ministre des travaux publics en 1844. J’espère que l’honorable ministre n’aura pas modifié sa manière de voir ; qu’il aura toujours la conviction que l’Etat ne peut pas exécuter tous les travaux que l’utilité publique des différentes parties du pays réclame, et qu’il pensera, comme alors, que le seul moyen est celui de laisser agir les sociétés particulières et de prendre des moyens efficaces pour qu’elles aient l’aide du gouvernement ; qu’il partagera encore l’opinion que le meilleur moyen est celui de la garantie par le gouvernement d’un minimum d’intérêt.
Je crois que le seul et bon moyen, le moyen le plus profitable à l’Etat, pour l’exécution des travaux encore à faire, est la garantie d’un minimum d’intérêt.
Cette garantie n’est pas une exigence capricieuse de l’industrie, ce n’est pas une charge gratuite qu’on voudrait imposer au trésor public ; c’est presqu’un droit qu’on peut réclamer comme résultant d’un pacte tacite, où il a communauté d’avantages en présence d’une inégalité dans les obligations réciproques.
En effet, si l’on examine le fond des choses, sans s’arrêter aux dénominations, on reconnaît que les résultats utiles de la concession à temps sont tous pour le gouvernement ou plutôt pour le pays ; le concessionnaire en retire, il est vrai, un bénéfice actuel, mais non sans risques de perdre son temps et son argent ; mais l’Etat en retire indirectement beaucoup d’avantages d’abord, et de plus il reste propriétaire de l’ouvrage construit, puisqu’à l’expiration du bail cet ouvrage doit lui être remis en bon état et gratuitement, c’est-à-dire que, d’un côté, le concessionnaire en nom a les chances de pertes et que, d’un autre côté le gouvernement est véritablement le concessionnaire à perpétuité.
Dans cette manière d’envisager la question, le gouvernement qui garantirait un minimum d’intérêt au concessionnaire, n’accorderait pas une faveur, il remplirait une obligation en indemnité des avantages qui lui sont faits.
Ainsi, par une espèce de fiction, la confiance qu’aurait inspirée une concession perpétuelle, se trouve acquise à la concession temporaire ; la sécurité des capitaux, résultant de la propriété incommutable du canal, au lieu d’émaner du concessionnaire, émanera du gouvernement par cela seul qu’il est propriétaire.
Une telle combinaison de moyens d’action nous semble devoir amener des conséquences immenses pour le pays, car les résultats, toujours bons, ne pourraient dans aucun cas être mauvais. Parmi ces résultats sans nombre, nous en signalons quelques-uns d’immédiats.
Les travaux publics seront exécutés avec le soin et l’économie qu’y apportera la clairvoyance de l’intérêt privé.
Les capitaux improductifs seront attirés vers les entreprises d’utilité nationale, et leur emploi direct à l’exécution des canaux et autres ouvrages de communications intérieures, entraînera, par la force des choses, leur emploi à des opérations accessoires de diverses natures. On ne fait pas de routes nouvelles sans donner naissance à une multitude d’établissements, sans perfectionner l’agriculture et l’industrie, sans agrandir le champ du commerce ; une fois les capitaux mis en mouvement par cette impulsion première, le discrédit qui pèse encore sur les entreprises industrielles cessera.
Cependant nous savons qu’à côté des bienfaits les plus évidents d’un principe sagement appliqué, se trouvent les inconvénients de l’abus qu’on en peut faire. Ainsi le principe de la garantie d’un intérêt par le gouvernement, dans le but de favoriser des entreprises utiles fera naître, nous n’en doutons pas, des propositions plus ou moins nombreuses, parmi lesquelles il s’en rencontrera d’extravagantes.
Mais c’est au législateur à neutraliser ces tendances par des mesures qu’il est très possible de déterminer à l’avance.
Indépendamment des formes prescrites par la loi de concession pour constater l’utilité publique, on peut, lorsqu’il y a demande de garantie, soumettre les projets à une enquête spéciale pour constater l’exactitude des données et des calculs.
On peut exiger qu’aucun avant-projet servant à fonder une demande de concession avec garantie, soit préalablement examiné par le conseil des ponts et chaussées, et que les études du projet définitif soient faites sous le contrôle d’un ingénieur de l’Etat, détaché à cet effet auprès de la compagnie concessionnaire.
Ne peut-on donc pas dire que le mode de concession par la garantie d’un minimum d’intérêt est tout en faveur de l’état du pays ?
Avec peu de fonds publics on aura beaucoup d’ouvrages faits et d’ouvrages utiles, on peut affirmer avec des observations pratiques, positives, que l’Etat regagnerait par l’impôt, par l’accroissement nécessaire des recettes publiques, l’argent qu’il aura placé en garantie d’intérêt. En définitive, l’Etat ferait des recettes et aurait de nouvelles voies de communication sans avoir délié la bourse.
En fait, ce système, dans la plus défavorable hypothèse, n’imposerait à l’Etat aucune dépense, il ne lui procurerait que des bénéfices.
Au point de vue administratif, ce système a un avantage très marqué. Dans les autres, les sommes prêtées ou données par l’Etat doivent être versées avant que la ligne de communication ne soit ouverte au public. L’Etat est toujours en avance. Mais pour les garanties d’intérêt, l’Etat n’est tenu qu’au moment de l’exploitation et lorsque déjà les travaux garantis commencent à enrichir le pays et à rapporter par là au trésor.
On ne sait pas encore positivement comment la garantie sera accordée, si ce sera par un arrêté royal ou par une loi. D’après le rapport qui vous a été fait, une loi spéciale serait présentée chaque fois que le cas se présenterait. On sait que l’adoption dépend un peu de la manière dont on veut présenter les objets, c’est-à-dire que le gouvernement aura toujours une grande part dans ces décisions.
Je serais bien aise d’avoir des explications de M. le ministre sur la question de savoir si nous aurons à discuter le projet de loi sur lequel il a fait un rapport, si nous adopterons une loi de principe ou si, pour chaque objet, on nous présentera une loi spéciale. Je crois qu’il faut une loi spéciale sur chaque objet, mais je crois qu’il faut auparavant porter une loi de principe, dont les lois spéciales seront l’application.
Je prendrai aussi la liberté de demander à M. le ministre s’il a daigné proroger le terme dans lequel était limité le commencement des travaux de creusement du canal de Jemmapes à Alost. M. le ministre sait bien que le soumissionnaire n’a pas pu mettre la main à son entreprise avant qu’il ait pu connaître l’opinion de la législature sur la garantie du minimum de l’intérêt, mais je ne doute pas que, vu cette circonstance, M. le ministre ne fera la moindre difficulté d’accorder cette faveur. Nous la lui demandons en faveur d’un district qui perd si considérablement par le chemin de fer.
M. Rodenbach. - Messieurs, en 1834, j’ai voté la loi du chemin de fer, mais je n’ai jamais eu l’intention que mon vote pût contribuer à augmenter les impôts de la nation. Quand il a été question pour la première fois d’établir des chemins de fer, il ne s’agissait que d’une dépense de 6 millions, il s’agissait uniquement d’un chemin de fer d’Anvers à Maestricht. Plus tard, on a parlé d’un chemin de fer allant de Bruxelles à la frontière hollandaise. Il était question alors d’une somme de 15 millions. En 1834 on a été jusqu’à porter le chiffre à 33 millions et avec les embranchements des Flandres, la dépense devait s’élever à 38 millions. C’était là le chiffre que ne devait pas dépasser le réseau qu’on se proposait d’établir. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Au lieu de 38 millions la dépense s’élève a trois fois plus, à 172 millions ; d’abord 154 millions dépensés en constructions, non compris les intérêts, auxquels il faut ajouter un déficit de 17 millions, car depuis longtemps il y a un déficit de 17 millions dans le chemin de fer, cela fait une somme de 172 millions.
Dans une brochure qui nous a été distribuée hier, on parle d’étendre le chemin jusqu’à la Hollande avec les rails de la double voie que l’on ajouterait, cela porterait la dépense à 200 millions, tandis qu’il n’était question dans le principe que de 38 millions. C’est vraiment effrayant.
Nous avons un déficit de 3 à 4 millions, et je pense que le chemin de fer y a puissamment contribué. Puisque l’intention de la législature était que les péages pussent couvrir les frais du chemin de fer, du moins c’était la mienne, et ne fût point une source de sacrifices pour les contribuables, M. le ministre doit songer à faire rapporter au chemin de fer plus qu’il ne rapporte aujourd’hui. Il ne rapporte que 11 millions, il faudrait qu’il en rapportât 15 ou 16, pour qu’il n’y eût pas de déficit.
Une brochure très remarquable de M. de Laveleye dit, entre autres choses, que changer le tarif des voyageurs ne donnerait pas grand avantage. Si, dit il, vous diminuez le tarif, vous aurez un peu plus de voyageurs, si vous l’augmentez, vous en aurez un peu moins, mais, en définitive, la somme perçue sera à peu près la même. Il pense que, pour le transport des voyageurs, le tarif doit rester dans le statu quo. Pour le transport des marchandises, il est d’avis qu’il faut baisser le tarif de la moitié. Voici l’argument qu’il apporte pour prouver que le transport des marchandises, au lieu de 32 mille francs par lieue de 5 kilomètres, produirait 80 mille fr. Si le produit par lieue était de 80 mille fr. au lieu de 32, le produit total, au lieu de 3 millions 500 mille fr., serait de 9 millions. Si ce vœu pouvait se réaliser, il n’y aurait plus de déficit, puisqu’il y aurait une augmentation de revenus de 4 à 5 millions sur le transport des marchandises.
Son système est, comme je viens de le dire, de baisser de moitié. Terme moyen, le gouvernement reçoit par tonneau et par lieue, 50, 75 centimes et 1 fr., en moyenne 80 centimes. M. de Laveleye baisserait le prix de moitié ; le prix du transport par tonneau et par lieue serait de 40 centimes. On pourrait objecter à cet auteur que ce serait prendre d’une poche pour mettre dans, une autre, que les canaux n’auraient plus rien à faire ; car il voudrait, comme l’honorable M. David, que le chemin de fer transportât le charbon, la chaux, les engrais, les pierres bleues ; il prétend qu’ainsi on quintuplerait le transport des marchandises, qu’il serait de 200,000 au lieu de 40,000 tonneaux. Il soutient que la Meuse et la Sambre canalisée qui sont perpendiculaires au chemin de fer, augmenteraient le mouvement commercial, que le chemin de fer et les canaux augmenteraient mutuellement leurs transports.
Le canal de Charleroi, où il y a encombrement, ne souffrirait pas d’une réduction dans le prix des transports sur les chemins de fer. Il dit qu’il y a assez de marchandises dans l’arrondissement de Charleroy pour alimenter le chemin de fer et le canal de Charleroy.
Quant aux canaux des Flandres, le transport est à trop bon marché pour que d’une réduction de prix dans les transports du chemin de fer il puisse résulter une diminution dans les transports sur ces canaux.
Je pense que cette opinion doit être mûrement examinée par le ministre, Je lui demanderai s’il n’y aurait pas moyen de combler ainsi le déficit qui est de 17 millions. Tous les ans, nous perdons de 4 à 5 millions. C’est une charge que le pays ne doit pas supporter. Le chemin de fer doit couvrir ses frais. La brochure que je viens d’indiquer en offre le moyen. Je désirerai savoir quelle est, à cet égard, l’opinion de M. le ministre.
M. Mast de Vries, rapporteur. - J’ai dit dans le rapport que « la jonction avec le chemin de fer rhénan donne des résultats si remarquables qu’ils surpassent tout ce qu’on était en droit d’en attendre, et qu’on peut espérer que, dans quelques temps, notre railway tiendra toutes les promesses qui ont été faites en son nom. » Je regrette que l’honorable M. David soit venu critiquer cette assertion dans cette enceinte. L’honorable membre faisait partie de la section centrale ; il eût été plus convenable qu’il présentât ses observations sur ce point dans le sein de cette section. Je lui aurais répondu, et peut-être eût-il partagé mon avis.
Quoi qu’il en soit, je maintiens ma manière de voir. A l’appui de mon opinion, j’invoquerai les calculs de l’honorable M. David lui-même. Il a fait l’énumération des milliers de tonneaux transportés, et nous a dit que l’augmentation des transports était due à la réduction de prix pour le transport des fontes. Sur cette question, vous sentez que c’est à M. le ministre des travaux publics qu’il appartient en partie de répondre. C’est à lui à justifier du motif pour lequel il aurait réduit le prix du transport des fontes.
Mais s’il a fait cette réduction, je l’approuve, en ce sens que, si les fontes sont transportées, c’est dans les pays étrangers ; ce qui représente une main-d’œuvre qui laisse un bénéfice au pays.
En critiquant cette manière de voir, l’honorable M. David laisse percer ce qu’il désire voir établir dans l’intérêt de sa province ; il critique le ministre d’avoir réduit le prix du transport pour les fontes ; et lui-même demande de jouir de pareil avantages dans l’intérêt des produits que sa province a à transporter dans les autres provinces. Mais remarquez la différence. Ainsi, si l’on favorise le transport des houilles de Liège dans la province d’Anvers, on agit au détriment du Hainaut qui l’approvisionne aujourd’hui, ce serait une concurrence non plus chez l’étranger, comme pour les fontes, mais dans le pays même.
Sous le rapport de la question des houilles, la position de la province de Liége s’est beaucoup améliorée. Le canal de la Campine fournira une quantité considérable de houille à toute la contrée qui se trouve entre la Meuse et l’Escaut ; la Campine anversoise approvisionnée aujourd’hui par le canal de Charleroi, pourrait bien l’être par le canal de la Campine ; que le Hainaut y regarde à deux fois, ce marché peut lui échapper.
Une autre question, que l’honorable M. David voudrait voir résolue en faveur de sa province, c’est celle du transport des minerais. Mais il faudrait que ce transport eût lieu à un prix tellement bas, qu’il ne rapporterait pour ainsi dire rien au trésor. En effet le chemin de fer ne devrait pas seulement transporter au même prix que le charroi, mais il devrait même tenir compte encore de ce qu’il en coûterait de frais pour conduire le minerai aux stations et de celles-ci aux fabriques. Ce n’est sans doute pas là le système que nous voulons adopter.
L’honorable membre a critiqué mon observation sur les avantages qu’on doit se promettre de la jonction avec le chemin de fer rhénan. Mais mon observation n’est-elle pas justifiée par les faits, cités par M. David lui-même, lorsqu’il est établi qu’il a été exporté d’Anvers vers l’Allemagne, 1250 tonneaux de plus, dans une saison où il n’y a presque pas d’expéditions, le chemin de fer s’étant ouvert le 17 octobre ? N’est-ce pas un résultat magnifique, d’autant plus qu’il était impossible de prévoir à l’étranger que la jonction avec le chemin de fer rhénan aurait eu lieu aussi tôt ? Comment, n’est-ce pas un beau résultat que de voir le chargement de navires entiers de sucre, de cargaisons entières de marchandises, transiter vers l’Allemagne ? Et il ne nous serait pas permis d’espérer, en présence de pareils résultats ?
Nous voulons ce que l’honorable M. Rodenbach désire, que le chemin de fer, couvre indépendamment de ses frais, les intérêts et les frais d’amortissement du capital employé, qu’il ne soit point une charge pour le peuple. Lorsqu’on songe aux économies, aux améliorations qui se font tous les jours, à une autre jonction qui aussi une grande importance et qui aura lieu quand la France sera liée aux chemins de fer belge, je dis qu’il nous est permis d’avoir des espérances. J’ai eu tort peut-être d’employer cette expression dans le rapport : C’est une certitude que j’aurais pu énoncer.
J’ai demandé la parole pour répondre à l’objection de l’honorable membre, parce que dans une discussion aussi longue elle se serait égarée. Elle m’a paru fondamentale et devait être réfutée.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - J’ai été étonné d’entendre l’honorable M. David, l’un des plus ardents défenseurs du chemin de fer, unir sa voix, en cette occasion, à celle de l’honorable M. Desmet, qui s’est toujours posé comme l’adversaire du chemin de fer.
M. David. - C’est que je n’ai pas été compris ; car j’ai dit tout le contraire.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - M. David a été d’accord avec M. Desmet, en ce sens qu’il n’a eu que des paroles de découragement à l’égard de cette œuvre glorieuse.
Il est de mon devoir de ne pas laisser la chambre et le pays sous l’impression que ces discours auraient pu produire.
Je suis ainsi entraîné sur le terrain des observations générales relatives au chemin de fer, terrain que je n’ai pas choisi moi-même.
Chose étrange, quand l’exploitation du chemin de fer était restreinte à quelques sections, tout le monde accordait des éloges à l’exploitation du railway, on cédait à un véritable enthousiasme. Maintenant que le réseau du chemin de fer est le plus étendu de tous ceux du continent, que son exploitation rencontre par cela même des difficultés pour la solution desquelles il faut toute l’expérience, toute l’intelligente activité dont l’administration fait preuve, on se laisse aller à une réaction provoquée par l’élévation du chiffre des dépenses, on se décourage et l’on devient injuste.
Messieurs, il ne faut pas légèrement céder à cette réaction irréfléchie. A l’étranger notre chemin de fer est un objet d’admiration. Non seulement en France, mais en Angleterre, pays que l’on considère comme le pays des chemins de fer, en Angleterre on regarde notre voie ferrée comme un modèle, non seulement sous le rapport de la sûreté des voyageurs, de la régularité introduite dans les transports, mais même sous le rapport financier.
L’honorable M. Desmet veut bien des routes et des canaux ; il ne regarde pas les dépenses qu’on fait pour construire une route, pour creuser un canal comme des dépenses improductives ; il conçoit que les intérêts de l’agriculture, du commerce, de l’industrie sont attachés à l’ouverture de ces fécondes communications. Mais, pour le chemin de fer, il raisonne d’une toute autre manière ; et cependant, messieurs, ses conditions de supériorité sont incontestables.
La voirie vicinale coûte aux communes, aux provinces et à l’Etat, annuellement un million cinq cent mille francs pour son entretien et son amélioration ; et cependant la voirie vicinale ne donne aucun produit direct au trésor.
Mais elle donne un revenu indirect, elle augmente la richesse agricole.
Nous possédons, messieurs, en Belgique, environ 1,100 lieues de routes pavées, qui ont coûté un capital de 150,000,000 de fr. Rien de ce capital n’a été amorti et le produit des barrières n’est pas assez élevé, vous le savez, pour couvrir et les frais d’entretien et les frais du personnel des ponts et chaussées.
Evaluez la dépense énorme que notre système de canalisation a nécessité, et calculez le revenu ; vous verrez que ce revenu ne s’élève pas à 1 p. c. d’intérêt du capital engagé.
Et cependant, messieurs, personne dans cette enceinte n’oserait élever la voix contre la voirie vicinale, contre la construction des routes et des canaux. Chacun comprend que le gouvernement, par les revenus indirects qu’il perçoit, que le pays tout entier, par l’augmentation de la richesse publique, doivent être satisfaits et ne pas exiger que ces constructions, outre ces bienfaits connus, produisent un intérêt et un amortissement des capitaux employés.
Messieurs, à l’égard du chemin de fer, il faut le dire, on est parti en 1834 d’une idée toute différente. Dans l’entraînement auquel on a cédé, on a voulu que le chemin de fer fût, non seulement la voie de communication la plus perfectionnée sous le rapport de la rapidité et de la régularité, mais on voulu qu’il fût dans des conditions de construction toutes autres que les autres voies de communication, qu’il rapportât et l’intérêt et l’amortissement des capitaux engagés.
Messieurs, le chemin de fer belge qui rapporte 3 p. c., aujourd’hui qu’il est à peine achevé, aujourd’hui que nous ne touchons ni aux chemins de fer de la France, ni à l’Angleterre par des lignes de bateaux à vapeur, et depuis peu seulement à l’Allemagne dont le réseau n’est pas encore complété, le chemin de fer, dis-je, réalisera peut-être ces espérances, mais ne les réalisât-il pas toutes, encore faut-il reconnaître qu’il est le seul système de communication que l’on puisse présenter comme favorable au point de vue fiscal ; c’est ce qu’on a trop oublié.
Messieurs, il existe trois systèmes relativement à la construction des chemins de fer ; le système anglais qui consiste dans la construction et l’exploitation par des compagnies et qui consacre la non-intervention de l’Etat ; le système français, qui repose sur le principe d’une association entre les compagnies et l’Etat, celui-ci intervenant par des subventions ou par une participation dans les travaux, et les compagnies exploitant ; et le système belge qui consiste dans la construction et l’exploitation par l’Etat.
Messieurs, on n’a jamais nié les avantages politiques, les avantages, au point de vue de l’utilité générale, qui résultent du système belge, de l’exploitation par l’Etat ; mais on a dit que ces avantages, considérables à la vérité, étaient achetés par d’énormes sacrifices. Cependant, il ne me sera pas difficile de prouver qu’au point de vue de ces sacrifices que l’Etat doit faire ou a fait, la Belgique se trouve dans une position supérieure à l’Angleterre et à la France.
Il est vrai, messieurs, qu’en Angleterre les chemins de fer n’ont rien coûté à l’Etat. Mais une réaction, vous le savez tous, se généralise dans ce pays conne le système de l’exploitation absolue par les compagnies. Un ouvrage remarquable, qui a fait une révolution en Angleterre, a paru il y a quelques mois et on l’attribue à un personnage influent. Or, que lisez-vous dans le Railway-reform ? Vous voyez que l’Angleterre n’a obtenu par ces chemins de fer qu’une exploitation qu’il a appelée désastreuse ; que les compagnies anglaises ont baissé leurs tarifs jusqu’au moment où toute concurrence était détruite sur les anciennes voies de communication, et après avoir ruiné toute concurrence, on a vu les compagnies maîtresses de la position, en possession d’un monopole absolu ; on les a vu élever les tarifs à des taux usuraires, à des taux plus élevés que les anciens tarifs des routes. Le Railway-reform nous apprend que l’exploitation avait lieu de telle manière qu’on repoussait des chemins de fer les classes inférieures de la société qui se trouvent maintenant dans une situation pire que celle qui existait pour elles avant la construction des railways.
Aussi, comme je vous l’ai dit, une réaction se généralise en Angleterre contre le système de l’exploitation par les compagnies. On propose formellement (et ce sont des hommes d’Etat), le rachat par l’Etat des chemins de fer exploités par les compagnies, et j’ai la conviction que cette proposition devra tôt ou tard prévaloir.
Messieurs, en Angleterre où les compagnies ont eu à choisir les bonnes lignes, les lignes fructueuses, au point de vue fiscal, quel est le résultat général obtenu ? Les deux tiers des chemins de fer anglais ne rapportent que 2 à 3 p. c. du capital engagé ; un tiers seulement donne une exploitation productive. Ainsi l’Etat est amené, comme je n’en doute nullement, à racheter la plupart des lignes de chemin de fer, il devra dépenser un capital énorme pour cette acquisition, et il n’aura entre les mains qu’une exploitation qui sera moins productive que l’exploitation actuelle des chemins de fer belges.
Relativement à la France, messieurs, j’entends dire souvent : mais comment se fait-il que le chemin de fer belge ne rapporte pas des intérêts élèves, tandis que nous voyons des compagnies dans d’autres pays, en France nommément, qui perçoivent de tels intérêts ? Mais, messieurs, la différence est grande. Je prends pour exemple la loi du 11 juin 1842 qui semble devoir former la base du système qui sera adopté en France. Dans ce système, messieurs, l’Etat et les communes fournissent les terrains ; l’Etat fait les terrassements et les ouvrages d’art, et l’industrie privée pose les rails et exploite.
D’après le calcul auquel est arrive l’honorable M. Teste, l’Etat entrerait pour les 3/5 dans la dépense qu’il évalue à 150,000 fr. par kilomètre, et les compagnies pour les deux autres cinquièmes. L’Etat aurait à sa charge, dans le système français, la dépense la plus considérable, et, remarquez-le bien, la plus chanceuse, la plus soumise aux éventualités et à l’imprévu. Les 3/5 de la dépense auxquels on croit s’arrêter, ne forment peut-être encore qu’une espérance. Eh bien ! l’Etat, en entrant dans cette dépense énorme, consacrerait un capital mort et directement improductif. Le trésor ne recevrait rien directement. Si donc les compagnies perçoivent 5 ou 6 p. c. d’intérêt, c’est parce que l’Etat aura fait cadeau de plus de la moitié des revenus à l’industrie privée.
Ainsi, si le système du 11 janvier 1842 est adopté en France, j’affirme que le gouvernement sera entraîné à des dépenses relativement presque aussi considérables qu’en Belgique et n’aura pas les avantages immenses de l’exploitation par l’Etat. Il aura les charges, il n’aura ni les bénéfices politiques ni les bénéfices financiers.
Ainsi, messieurs, je le soutiens, le système belge, la construction et l’exploitation des chemins de fer par l’Etat, est non seulement supérieur au système anglais et au système français sous le rapport de l’utilité générale, mais même sous celui des revenus du trésor.
Vous le savez, messieurs, on s’est habitue à considérer la dépense de construction de nos chemins de fer comme de beaucoup exagérée. On a cru que la Belgique avait jeté avec légèreté, sans aucune espèce de prudence, des capitaux à l’aventure. Cependant lorsqu’on compare ce qui s’est fait dans les autres pays, on arrive à une toute autre appréciation.
La moyenne du coût des chemins de fer en Angleterre, est de 500,000 fr. par kilomètre ; et n oubliez pas qu’en Angleterre les chemins de fer ont des rampes de 6, 7, 8 et jusqu’à 15 millimètres par mètre, ce qui rend la dépense beaucoup moins considérable.
En France, la moyenne de la dépense de construction des chemins de fer de Paris à Orléans et à Rouen, de Strasbourg à Bâle, de Rouen au Havre, est de 380,000 fr. par kilomètre. Pour les nouvelles lignes du Nord, d’après les espérances conçues par le gouvernement français, on pense faire descendre la dépense à 300,000 fr. par kilomètre.
En Allemagne, messieurs, où les terrains sont à des prix inférieurs, où la main-d’œuvre est moins chère, et pour des chemins de fer généralement à petite vitesse, le coût moyen est de 232,000 fr. par kilomètre.
Et en Belgique, messieurs, la dépense moyenne actuelle n’est que de 226 mille fr. par kilomètre. Cependant le chemin de fer belge, remarquez-le bien, est un chemin de fer presque de niveau, sauf quelques points exceptionnels ; or, un chemin de fer de niveau, d’après les calculs auxquels s’est livré M. Tesserene, élève notablement la dépense de construction.
Ainsi, sous le rapport de la dépense de construction, je dis que le chemin de fer belge peut soutenir une comparaison avantageuse avec tous les chemins de fer qui ont été construits jusqu’à présent.
Quant à l’exploitation, messieurs, il faut bien se rendre compte des conditions exceptionnelles d’exploitation dans lesquelles se trouvent le chemin de fer belge.
Le chemin de fer n’est pas ligne droite reliant Paris à Rouen ou à Orléans, Londres à Birmingham ou à Bristol, Aix-la-Chapelle à Cologne ; mais le chemin de fer belge est un réseau d’un développement de 112 lieues, dont 44 seulement ont une double voie, interrompue, étranglée par le tunnel de Cumptich qui n’est qu’à simple voie. Les routes du nord et du midi sont séparées, ce qui rend l’exploitation évidemment plus coûteuse.
Il y a un double centre : Malines qui est le centre physique et Bruxelles qui tend à le devenir. Le chemin de fer belge a des bifurcations à Malines, à Landen, à Gand, à Mouscron, à Braine-le Comte. C’est là une exploitation divisée, une exploitation difficile et coûteuse ; c’est un obstacle au parcours prolongé des locomotives ; cela entraîne un temps considérable pour les stationnements et la nécessité d’un grand nombre de locomotives de réserve. Le chemin de fer belge est exploité de la même manière que s’il était dirigé par six compagnies. Il faut six services de convois ayant chacun un matériel et un personnel indépendants et distincts l’un de l’autre.
Messieurs, pour vous rendre compte des difficultés dont est entourée l’exploitation du chemin de fer belge, permettez-moi de citer un exemple frappant.
Cet exemple, je le prends dans l’exploitation de la ligne du Midi. Le chemin de fer du Midi est très fréquenté et il n’est qu’à simple voie. Les convois parcourent par jour 327 lieues ; ils circulent pendant 82 heures et ce temps doit être trouvé en opérant 19 croisements, depuis 5 heures 15 minutes du matin jusqu’à 9 heures 15 minutes du soir, c’est à dire en 15 heures et 1/2. Eh bien, cette exploitation est on ne peut plus difficile ; la ligne du Midi fait quotidiennement, permettez-moi cette expression, un véritable tour de force d’exploitation.
En Belgique on a suivi aussi, pour la construction, une marche toute différente de celle qui a été suivie dans les autres pays par suite de l’impatience du pays et, il faut ajouter, de l’impatience des chambres qui doivent prendre une part de cette responsabilité ; car vous vous rappelez sans doute, messieurs, que la chambre a été, il y a quelques années, jusqu’à se plaindre, dans des adresses, de la lenteur que l’on mettait à construire le chemin de fer,
Eh bien, cette impatience qu’on éprouvait de voir le réseau des chemins de fer belge achevé a entraîné le gouvernement à ouvrir les lignes bien souvent à une époque trop rapprochée, à une époque où ces lignes n’étaient pas réellement exploitables, où l’on manquait et de stations et de hangars et de magasins. Dans les autres pays, les entrepreneurs doivent fournir eux-mêmes les billes et les rails qui sont considérés comme provisoires et qui ne servent qu’à la construction.
D’autres billes et d’autres rails complètent la voie quand elle est mise à l’état d’entretien. Ici, messieurs, on a opéré d’une manière différente ; le gouvernement a prêté aux entrepreneurs les billes et les rails. Vous comprenez parfaitement que les transports du sable et des matériaux destinés à la construction même, doivent amener une grande détérioration. Il est arrivé souvent, messieurs, que lorsque la route était livrée à l’exploitation elle était déjà vieille, et quelques mois après il fallait pourvoir à des renouvellements de ces objets.
On a employé au début de la construction des billes de toute essence, et l’on a peut-être bien fait, puisqu’en employant des billes de bois blanc on a empêché le renchérissement du prix du chêne, mais il n’en résulte pas moins que ce système a dû amener et amène, en effet, le renouvellement anormal des billes.
Quant aux résultats de l’exploitation du chemin de fer, je vous ai de déjà dit tout à l’heure, messieurs, qu’en Angleterre, où les compagnies ont choisi les bonnes lignes sous le rapport financier, on est arrivé à ce résultat que les deux tiers des chemins de fer ne rapportent pas 3 p. c. de leur capital. J ai reçu, il y a peu de temps, un rapport sur un chemin de fer qui se trouve dans ces conditions à peu près analogues à celles du chemin de fer belge, je veux parler du chemin de fer de Strasbourg à Bale. Eh bien, messieurs, j’ai comparé les résultats obtenus sur ce chemin de fer à ceux que nous avons obtenus sur les nôtres, et cette comparaison est tout à l’avantage du chemin de fer belge, aussi bien sous le rapport de la dépense que sous celui des recettes. Le chemin de fer de l’Alsace dépense par lieue exploitée ouvrages 53,000 francs ; en Belgique, nous serons au-dessous de ce chiffre en 1844 ; en Alsace, la dépense par lieue parcourue est de 14 francs ; c’est le résultat obtenu en Belgique.
Les dépenses de matériel et de locomotion s’élèvent en Alsace à 6 fr. 19 centimes par lieue parcouru ; en Belgique elles ne sont que de 3 fr. 42 centimes ; la différence est considérable en faveur de l’exploitation belge. Quant aux recettes, messieurs, la lieue exploitée en Alsace donne 68,300 fr ; en Belgique la lieue exploitée donne 94,400 fr ; la recette par lieue parcourue, s’élève, en Alsace, à 20 fr. et en Belgique à 25 fr.
Messieurs, en défendant l’exploitation du chemin de fer, je ne veux pas arriver à cette conclusion qu’il ne reste rien a faire, qu’aucune amélioration ne peut être apportée, qu’aucun abus ne reste à détruire ; loin de moi cette pensée ; je crois, au contraire, que l’exploitation véritable du chemin de fer va seulement commencer. Jusqu’à présent, il ne faut pas le perdre de vue, il a fallu s’occuper en même temps de la construction et de l’exploitation ; l’exploitation dès lors était embarrassée ; maintenant, au contraire, l’attention du gouvernement sera portée exclusivement sur les améliorations à introduire dans le système d’exploitation, et dès lors nous arriverons nécessairement à des résultats plus économiques.
Généralement, messieurs, on désespère de voir le chemin de fer produire un intérêt plus élevé que celui qu’il atteint actuellement. Messieurs, si le chemin de fer ne rapportait que 3 p. c., nous ne devrions pas encore nous repentir de l’avoir créé, car si vous pouviez évaluer les revenus indirects qu’il donne à l’Etat, l’accroissement de la richesse publique, le résultat de cette évaluation serait inappréciable. Mais, messieurs, j’ai cette conviction que le chemin de fer belge est arrivé bien près du maximum des dépenses ordinaires d’exploitation et qu’il est loin d’être arrivé au maximum des recettes. Je ne crois pas, pour ma part, que la dépense de l’exploitation du chemin de fer puisse désormais dépasser de beaucoup 6 millions de francs ; or, nous serons près d’atteindre cette année une recette de 11,000,000 de francs.
Veuillez remarquer, messieurs, que l’influence de la jonction d’Anvers et Cologne ne se fait sentir qu’imparfaitement sur les produits de cette année ; nous ne touchons pas encore au chemin de fer français qui n’est pas achevé ; lorsque nous serons rattaches aux réseaux qui se forment chez les nations voisines, lorsqu’une ligne de paquebots à vapeur reliera votre chemin de fer aux chemins de fer anglais, ce qui sera indispensable et productif, j’affirme que personne ne pourrait évaluer ce que ces jonctions de chemins de fer pourront produire à la Belgique. A mesure que les chemins de fer de nos voisins s’étendent, c’est votre propre chemin de fer qui s’étend.
L’honorable M. David nous a parlé surtout du chemin de fer de l’Est, qui relie l’Escaut au Rhin ; il s’est étonné des résultats obtenus et qui n’étaient pas en rapport avec les espérances conçues. Messieurs, l’honorable rapporteur de la section centrale vous l’a dit, le chemin de fer de l’Escaut au Rhin a été ouvert le 17 octobre, à la veille de la saison d’hiver, la plus mauvaise de toutes pour les transports des voyageurs. L’honorable M. David a reconnu qu’un mouvement colossal (ce sont ses expressions) a lieu pour le transport des marchandises, mais l’honorable membre ignorait probablement qu’en présence de ce grand mouvement de marchandises, le gouvernement s’est souvenu que la ligne entre Anvers et Cologne est avant tout commerciale. Dès lors, il a dû sacrifier pendant cette saison d’hiver les convois de voyageurs pour multiplier ceux des marchandises. Voilà pourquoi l’on en est arrivé au chiffre signalé par M. David ; sur la ligne de la Vesdre, les convois de voyageurs n’ont existé que d’une manière restreinte.
Il y avait un très grand problème à résoudre ; il s’agissait de savoir si un chemin de fer qui avait tant coûté, qui avait pour objet de faire au Rhin hollandais une concurrence sérieuse, il s’agissait de savoir si ce résultat serait atteint, si réellement les péages du chemin de fer belge pourraient descendre au taux du fret sur le Rhin.
Eh bien, messieurs, ce problème est résolu ; il y a quelques années, beaucoup de personnes sérieuses n’y croyaient pas ; dès maintenant, les tarifs sont connus, et le tarif belge-rhénan fait une concurrence réelle aux tarifs d’été du Rhin.
Messieurs, veuillez remarquer que le mouvement des marchandises est monté de 194,000 tonnes (chiffre de 1842), à 350,000 tonnes (chiffre de 1843) ; et certainement, l’ouverture de la ligne de la Vesdre a été pour beaucoup dans cet accroissement du mouvement commercial.
L’honorable M. David a reconnu que, pour Liége, l’ouverture de ce chemin de fer avait eu d’énormes résultats. En effet, l’on sait que 15 à 20 millions de kilogrammes de fontes ont trouvé en Allemagne un nouveau débouché, et que ce dégorgement a fait cesser en partie la crise qui pesait sur l’industrie métallurgique. Et ici je dois relever une assertion qui a été émise par l’honorable M. David. L’honorable membre a parlé des prix de faveur qui auraient été accordés pour des transports de fonte. Il n’en est rien, messieurs, c’est le tarif rhénan qui a été appliqué entre Anvers et Cologne, à tous les transports de fonte. Plusieurs réclamations me sont parvenues, mais je les ai toutes rejetées.
Pour Verviers, dont l’honorable M. David n’a pas parlé, l’ouverture de la ligne de la Vesdre a été un immense bienfait. La draperie de Verviers économise sur le prix du combustible 60 p. c. ; c’est une véritable prime d’exportation de 60 p. c. que nous avons accordée à l’industrie drapière de Verviers.
Pour Anvers, évidemment le résultat actuel n’est pas aussi considérable que celui sur lequel on a compté. Mais veuillez ne pas perdre de vue que ce chemin de fer vient de s’ouvrir ; que les habitudes commerciales existaient, qu’elles avaient été créées en faveur de Rotterdam. Ces habitudes, il faut les déplacer, et on ne les déplace pas en un jour. Dès maintenant, consultez la chambre de commerce d’Anvers, consultez la chambre de commerce de Cologne, elles vous diront quelles sont les espérances qu’elles conçoivent ; aucune espèce de doute n’existe plus pour elles. Il est presque évident dès aujourd’hui qu’une partie des transports de sucres, de cuirs, de cotons filés que Rotterdam monopolisait, est acquise au commerce d’Anvers. Sont-ce là de minces résultats ?
Je bornerai là pour le moment mes observations. J’attendrai que d’autres orateurs aient pris la parole, pour répondre aux points plus spéciaux qui ont été traités par quelques membres de la chambre.
M. Osy. - Messieurs, je crois avec M. le ministre des travaux publics, que nous avons atteint les frontières du midi et de l’est, nous entrons dans une ère nouvelle pour le chemin de fer, je crois que d’ici à un temps assez long, nous ne devons plus rien faire de nouveau, que nous devons nous borner à achever ce que nous avons commencé.
Sous ce dernier rapport il y a encore beaucoup à faire, puisque toutes les stations qui ont été faites jusqu’ici ne sont que des stations provisoires. J’engage M. le ministre des travaux publics à les achever ; je l’engage à faire exécuter ces travaux avec le plus d’économie possible, à en bannir le luxe. J’ai parcouru l’année dernière toutes les lignes ferrées de l’Allemagne, et j’ai remarqué que partout les stations sont parfaitement bien faites, sans qu’on y ait mis le moindre luxe. C’est un bon exemple que nous devons suivre.
Je crois encore que, pour ce qui concerne les ligues principales, il faudra achever le plus tôt possible les doubles voies.
Il est vrai que le chemin de fer coûte beaucoup à l’Etat. D’après les calculs qui ont été fait, par M. le ministre des travaux publics, nous aurons une recette de 10,600,000 fr. Cette évaluation ne me paraît pas exagérée, car je crois avec M. le ministre des travaux publics que le commerce qui se faisait auparavant par le Rhin prendra la voie de notre territoire. Cependant ce résultat avantageux ne pourra être obtenu qu’au prix de tarifs qui nous permettent la concurrence avec le Rhin. Je ne puis qu’approuver les tarifs actuels. Cependant il y aurait lieu à introduire quelques changements dans les classifications, parce qu’en effet il existe là quelques erreurs.
Ces erreurs ayant été signalées, si je ne me trompe, M. le ministre des travaux publics, je ne m’étendrai pas davantage sur ce point. Je dirai seulement que dans l’intérêt même du chemin de fer, le gouvernement fera bien d’effectuer les changements qu’on lui a indiqués.
Je disais donc que, dans mon opinion, nous obtiendrons une recette de 10,600,000 fr ; les dépenses sont environ de 6,000,000 fr., de manière que la recette effective sera de 4,600,000 fr.
Faisons maintenant le calcul des sommes qui ont été dépensées jusqu’ici pour la construction du chemin de fer. J’en fixe le montant à 160 millions ; on a évalué cette dépense à une somme plus considérable, parce qu’on a souvent confondu les frais du matériel avec les frais de construction, Or, les 160 millions vous coûtent annuellement, à raison de 6 p. c., une somme de 5 millions, l’excédant annuel des recettes sur les dépenses n’étant que de 4,600,000 fr.
Messieurs, je suis grand partisan des chemins de fer, et j’espère qu’on pourra réaliser plus tard une grande économie sur cet objet important, en introduisant des améliorations successives dans le transport, et en réduisant les dépenses qui peuvent être réduites sans inconvénients. Nous ne devons pas perdre de vue non plus que la dépense s’est faite à un taux d’intérêt très élevé. Nous avons emprunté tout l’argent, à raison de 5 p. c., et nous donnons 1 p. c. pour l’amortissement.
J’ai déjà engagé à plusieurs reprises le gouvernement à profiter du moment opportun à proposer un projet de loi pour la réduction de la rente. Je renouvelle cette invitation ; jamais moment n’a été plus favorable. Sur les 200 millions 5 p. c. que nous avons levés, nous ferions d’ici à peu d’années une économie de plus de 2 millions et demi. Dans cette hypothèse, le chemin de fer qui aujourd’hui nous coûte annuellement 5 millions ne nous coûterait plus que 2 millions et demi.
Je crois donc que M. le ministre des finances devrait venir en aide à M. le ministre des travaux publics, pour faire en sorte que le chemin de fer coûte par an 2 millions et demi de moins à l’Etat.
Un pareil résultat ramènerait sans doute à notre opinion la plupart des adversaires actuels du chemin de fer.
Messieurs, tout en reconnaissant que les résultats futurs du chemin de fer seront avantageux au pays, je crois qu’il y a encore beaucoup à faire, et qu’il y a surtout une réforme à opérer dans les dépenses. J’ai parcouru à la hâte un cahier qui a été déposé sur le bureau, et j’ai été effrayé, je dois le dire, des dépenses qui y sont mentionnées. Nous avons une commission des tarifs qui existe encore, si je ne me trompe. Je partage l’avis qui a été émis l’année dernière par l’honorable M. de Theux ; l’honorable membre pensait que l’examen des dépenses des chemins de fer, ainsi que des traitements, devait être déféré à cette commission.
Maintenant que nous entrons dans une voie nouvelle, il faut régler définitivement tous ces objets, et surtout les traitements, car je ne pense pas que les traitements actuels puissent être réclamés par les titulaires comme un droit acquis. Tout ce qui a été fait à cet égard jusqu’ici, je le considère comme provisoire, et le moment est venu de faire du définitif. Et à propos de traitements, je dirai que j’ai parcouru entre autres la partie du cahier où l’on indique les traitements du personnel affecté au service d’entretien. Ces traitements sont fort élevés, mais ce qui m’étonne davantage, c’est que les traitements variables et les indemnités accordés aux employés qui ont de gros appointements sont presque aussi considérables que les appointements fixes.
Je crois, messieurs, que si l’on veut réellement que le chemin de fer soit un bienfait pour le pays, il est indispensable de réaliser des économies ; je crois que M. le ministre des travaux publics ferait bien, soit de nommer une autre commission, soit de réunir la commission des tarifs, si elle existe encore, pour examiner si nous ne pouvons pas faire de diminutions sur nos dépenses, que je crois exagérées. Pour ma part, je ne considère pas les traitements des employés comme un droit acquis ; jamais la législature n’en a eu connaissance ; ce n’est que cette année que le ministre nous a fait distribuer un rapport détaillé des traitements des employés. Je crois qu’il n’y a pas là de droit acquis, que nous pouvons introduire des réformes dans ces traitements pour les réduire au taux des traitements analogues des autres départements, qu’il n’y a pas lieu de dépasser. Je prie M. le ministre de prendre ceci en sérieuse considération.
J’ai trouvé dans le même cahier que M. le ministre a fait un essai de donner à un chef de station 40 p. c. de remise sur le revenu pour le service de la station, je pense qu’il a fait cela comme un essai, pour voir si cela serait ou non suffisant pour faire le service. Je crois que c’est la deuxième année que ce service se fait de cette manière ; et il me semble qu’on peut juger s’il y a économie et appliquer ce mode aux autres stations ; ou s’il y a augmentation de dépenses, et revenir à ce qu’on paye aux autres employés.
Je vois à la page 31 : « Service de locomotives dans les stations. » Vous savez, messieurs, qu’à Malines est l’atelier principal où se font et se réparent les locomotives. Je crois que dans les autres stations, vous avez également des chefs d’ateliers, des chefs ajusteurs, des aides ; je crois qu’a Anvers, rien que pour raccommoder les voitures, l’atelier coûte 43 mille fr., cependant, quand une locomotive est dérangée on l’envoie à Malines. Je ne vois pas pourquoi on fait de pareilles dépenses, quand le chef d’atelier de Malines coûte déjà si cher. Je crois qu’on ne doit avoir des ateliers dans les stations que pour raccommoder les bagatelles pour lesquelles il est inutile d’envoyer à Malines. Si une commission était nommée, il faudrait appeler son attention sur cet objet.
M. Lesoinne. - Messieurs, je pense que le chemin de fer tiendra les promesses qu’on a faites en son nom. Je considère la ligne d’Anvers à Cologne, comme la plus belle ligne de chemin de fer du continent. Je pense que le temps est venu de faire produire au chemin de fer le plus possible. Je pense que si on modifiait le tarif, en le réduisant selon les besoins industriels et commerciaux du pays, j’entends qu’on le réduise également pour toutes les provinces, car jamais je ne me laisserai guider par l’esprit étroit de localité, beaucoup de marchandises pourraient profiter du chemin de fer ; l’industrie y trouverait ainsi que le chemin de fer lui-même un grand avantage. Ou a accordé une remise de 30 p. c. sur le tarif, pour favoriser les exportations qui se font vers la France ou par mer. Les exportations que nous faisons du café de l’Allemagne ne jouissent pas de cette réduction.
Je demanderai s’il ne serait pas juste de favoriser également les exportations qui se font du côté de l’Allemagne, de leur accorder la remise de 30 p. c. ; si on a exporté des fontes par la frontière d’Allemagne, cela tenait à une cause qui n’existe plus. Les droits d’entrée devaient être élevés au mois de janvier, la mesure n’a pas été prise par le Zollverein, mais les envois ont cessé ou sont devenus insignifiants.
Pour rendre le chemin de fer plus productif, il serait nécessaire de le relier avec plusieurs grands établissements industriels, cela aurait pour résultat de fournir au chemin de fer les marchandises et les denrées dont il a besoin, et d’activer le service des transports. On devrait le relier à la Meuse. Diverses sollicitations ont été adressées au gouvernement, pour qu’il mît ce projet à exécution.
A ce propos, j’appellerai l’attention de M. le ministre sur la nécessité d’adopter un plan général pour la Meuse. J’ai vu dans les explications consignées hier dans le rapport de la section centrale, qu’on avait l’intention, avant de prendre une résolution, d’attendre les résultats d’essais qu’on se propose de faire en aval du pont de Huy, au moyen d’une passe artificielle. Mais je ferai observer que plus on attend, plus les rives de la Meuse se dégradent. Plusieurs hectares de terre disparaissent tous les ans dans la rivière au grand préjudice, non seulement des propriétaires, mais du pays. La navigation du canal de la Campine se trouverait une grande partie de l’année interrompue, si on n’améliorait pas les chemins de halage de la Meuse, car il se trouve que, par suite de la dégradation de ces chemins, quand l’eau permet encore de naviguer, les bateliers ne peuvent plus remonter la Meuse avec leurs bateaux. Je prie donc M. le ministre d’activer autant que possible l’exécution de ce plan général, car c’est en améliorant les voies de communication que le gouvernement peut venir d’une manière efficace au secours de notre industrie.
M. de Theux. - Je ne chercherai pas à démontrer l’utilité des travaux publics. Vos opinions sont assez formées à cet égard, les discussions qui ont eu lieu dans cette enceinte les années précédentes, les votes mêmes de la chambre en font foi. D’autre part les demandes incessantes des diverses localités prouvent l’intérêt que le pays attache à l’ouverture de nouvelles communications et au perfectionnement des anciennes. Malheureusement nos finances ne sont pas dans un état assez prospère pour qu’on puisse compter exclusivement sur l’action du gouvernement. Il faut donc chercher à créer d’autres ressources. Trois moyens se présentent en première ligne : en première ligne, il a été décidé par la loi en vertu de laquelle nous avons fait l’acquisition de la forêt de Soignes qu’une partie des domaines improductifs serait aliénée.
Je demande si l’intention de M. le ministre est de présenter prochainement à la chambre la loi d’exécution pour la vente de ces domaines, surtout des parties qui ne donnent presque aucun revenu et que l’Etat n’a pas intérêt à conserver, car je fais une réserve en ce qui concerne les biens qui produisent les bois de haute futaie qui sont d’une grande utilité pour les constructions ; pour ces parties-là, je ne désire pas les voir passer dans le domaine privé, et exposées à être défrichées. Mais il est une quantité de propriétés domaniales dont la conservation n’importe en aucune manière a la prospérité du pays, et même dont l’administration est coûteuse et le revenu insignifiant.
Indépendamment de l’avantage qu’aura l’Etat, de réaliser un capital, ces propriétés ainsi mises en circulation, donneraient un revenu considérable, et par l’impôt foncier et par les droits de mutation, et la plus-value qu’elles recevraient pour les travaux que les propriétaires ne manqueraient pas d’y faire.
(Erratum Moniteur belge n°49, du 18 février 1844 :) Un autre moyen, c’est la concession des travaux publics susceptibles d’être renouvelés. Je demande que l’Etat adopte le principe d’exécuter les travaux, que les provinces, les communes et les particuliers ne peuvent pas exécuter, mais qu’il adopte en même temps celui d’abandonner aux provinces, aux communes et aux concessionnaires tous les travaux qu’ils peuvent exécuter.
Je demanderai ensuite à M. le ministre des travaux publics si son intention n’est pas d’élargir l’application du principe de concours qui a été malheureusement appliqué à l’ouverture du canal de Zelzaete et de celui de la Campine. Il est notoire que, par l’ouverture de nouvelles voies de communications les propriétaires reçoivent un accroissement de valeur très considérable. C’est à ce point que. si, les propriétés dans certaines provinces ont éprouvé en général une augmentation de valeur de 50 p. c., celles qui ont eu le bonheur d’être dotées de communications ont doublé et même triplé de valeur. Il est donc évident que les propriétaires auraient plus d’avantage à concourir aux travaux qu’à courir la chance de n’avoir aucune communication dans leur localité.
Messieurs, j’ai aussi quelques observations à faire sur le chemin de fer. La première, et à mon avis la chose la plus importante à faire, c’est la tarification légale. En effet, le chemin de fer jusqu’à présent, a été peu utile aux transports des marchandises, car si une certaine quantité de marchandises est transportée annuellement par le chemin de fer, il est incontestable qu’il y a une grande perturbation dans le service du roulage. Cette perturbation se reproduira d’époque en époque, aussi longtemps qu’il n’y aura pas de tarif fixe invariable, réglé par la loi, la stabilité est la chose la plus importante pour le commerce et l’industrie. Aussi longtemps qu’il n’y aura pas de tarif légal, de moment en moment on est exposé à voir jeter la perturbation la plus complète dans la branche la plus importante du service du commerce. A mon avis, il n’y a pas de mesure plus urgente, plus importante à prendre dans l’intérêt de la prospérité du commerce et de la prospérité du chemin de fer, que celle relative à la tarification.
D’autre part Je désirerais (je renouvelle l’observation que j’ai faite à la session dernière) que le gouvernement instituât une commission d’hommes spéciaux, chargée d’examiner toutes les améliorations dont l’exploitation de notre chemin de fer est susceptible.
J’ai vu avec plaisir que M. le ministre des travaux publics a présenté une quantité de documents qui sont d’une haute importance, et qui sont le préliminaire indispensable pour les travaux d’une telle commission. En effet, une commission aurait été instituée inutilement, aussi longtemps que le gouvernement n’aurait pas dressé la situation, l’inventaire exact du chemin de fer et de son exploitation ; mais aujourd’hui que ces documents sont réunis il me semble indispensable qu’il soit créé une commission d’hommes spéciaux, qui n’aient pas, soit à raison de fonctions publiques, soit à raison de leurs intérêts privés, des occupations trop nombreuses pour s’occuper avec zèle et activité, sans autre préoccupation, de l’examen de toutes les questions qui se rattachent à la construction du chemin de fer ; car on à souvent parlé de l’inutilité des commissions ; je réponds à cela que tout dépend de leur composition. Si elles sont composées d’hommes qui ne réunissent pas les connaissances nécessaires, ou ce qui arrive plus fréquemment, d’hommes qui sont distraits de leur mission par les soins de fonctions publiques, ou d’intérêts privés, il est évident qu’elles ne peuvent rien produire d’utile. Mais une commission bien composée serait de la plus haute importance. D’abord composée d’hommes complètement désintéressés, n’ayant pas à ménager des précédents posés par eux ou par l’administration, des intérêts de personnes, ou de localités, elle devrait nécessairement produire des très bons résultats,
Il est une foule d’améliorations qui peuvent être apportées à l’exploitation dia chemin de fer.
Pour moi, j’appelle l’attention du gouvernement sur un point très important ; je veux parler de la convenance d’établir des caisses mobiles qui pourraient être adaptées au train soit des wagons du chemin de fer, soit des voitures ordinaires. J’ai signalé cela à l’attention du gouvernement dans une autre discussion. Ce système est maintenant pratiqué sur le chemin le fer de Paris à Orléans ; là les caisses contenant les voyageurs et les bagages passent, sans aucun déchargement, du train d’une voiture ordinaire sur le train d’un waggon.
Tant que ce mode ne sera pas introduit, il est évident qu’une foule de marchandises seront détériorées par la manutention fréquente résultant du chargement et du déchargement. Cela donne lieu d’ailleurs à des frais d’autant plus considérables que la distance est moindre. Il est constant que le transport à courtes distances ne peut comporter des frais trop fréquents de chargement et de déchargement.
Ce qui se pratique en France pour les caisses de diligences devrait également se pratiquer ici pour le transport des marchandises.
Je bornerai là mes observations, me réservant de prendre la parole dans la discussion sur les articles.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - L’honorable membre qui vient de prendre la parole a indiqué comme moyen de créer des ressources disponibles, l’aliénation d’une partie des forêts domaniales ; il a demandé si le gouvernement ne présenterait pas un projet de loi pour la désignation des parcelles à aliéner ; je répondrai que pour remplir le vœu de la loi de février 1843, le gouvernement a recherché quelles parties de nos forêts domaniales il convenait le plus d’aliéner dans l’intérêt de nos finances. Ce travail n’est pas encore complètement achevé. Cependant, en attendant, le gouvernement se propose de donner un commencement d’exécution à la loi. Sous peu de jours je présenterai à la chambre un projet relatif à l’aliénation de biens domaniaux pour une valeur d’un million de francs. On terminera ensuite le travail dont je viens de parler, qui exige quelques recherches ; des propositions plus complètes seront soumises ultérieurement à la chambre.
M. d’Hoffschmidt. - La discussion générale du budget des travaux publics a pris une extension à laquelle je ne m’attendais pas. Je croyais que l’on renverrait la discussion de ce qui a trait au chemin de fer au chapitre qui le concerne. Mais puisqu’on a présenté plusieurs observations à cet égard, je dirai aussi quelques mots sur cette branche importante de l’administration.
L’honorable ministre des travaux publics est entré dans la discussion des meilleurs systèmes suivis pour la construction des chemins de fer. Il a passé en revue les systèmes adoptés en Angleterre et en France et celui que nous avons suivi en Belgique. Je partage son opinion que le système de la construction des grandes lignes de chemins de fer par l’Etat est juge favorablement par l’expérience. Je crois que ce mode de construction est le plus avantageux.
En Angleterre, où le système des concessions a prévalu, il y a maintenant une réaction en sens contraire.
Lorsqu’on pense qu’en Angleterre les concessions sont perpétuelles, et qu’aucune condition de rachat n’est stipulée en faveur de l’Etat, il n’est pas étonnant qu’on soit effrayé de l’avenir qui se prépare ; en effet, il est évident que le monopole des transports va passer dans les mains des sociétés qui ont construit les chemins de fer. Pour les routes et canaux, il n’en était pas de même ; il pouvait y avoir concurrence ; d’autres routes et canaux pouvaient s’établir ; mais pour le chemin de fer le monopole est de leur essence et ne peut manquer de dominer les autres voies de communication.
En France, le système mixte adopté ne peut être jugé définitivement ; mais au moins il présente un grand avantage. La France a à créer pour un milliard et demi de chemins de fer ; il n’est pas étonnant que le gouvernement et les chambres aient été effrayés d’une si énorme dépense qu’on ait cherché à faire concourir l’industrie privée à une mise de fonds qui eût été trop onéreuse pour le trésor. Il y a donc dans ce système mixte cet avantage que le trésor public ne doit subvenir qu’à la moitié de ce qu’il eût payé sans cela. Mais en France, si le gouvernement n’a pas l’exploitation immédiatement, il l’obtiendra à l’expiration du terme fixé aux sociétés concessionnaires,
Du reste, d’après l’expérience, il m’est démontré que la Belgique, malgré les sacrifices énormes qu’elle a faits pour la construction de son chemin de fer, doit se féliciter d’avoir adopté le système de l’exécution par l’Etat. Si elle avait adopté le système des concessions ou le système mixte, notre réseau de chemins de fer, qui est un de nos titres de gloire aux yeux de l’étranger, ne serait pas achevé maintenant,
On réclame encore, dans beaucoup de parties du pays, l’exécution de lignes du chemin de fer. Pour moi, je crois que le gouvernement a déjà assez fait par lui-même pour ces sortes de voies de communication, et qu’il ne doit plus dorénavant ou d’ici à longtemps du moins, entreprendre par ses seuls moyens l’exécution de quelque ligne que ce soit du railway. Car si l’exécution par l’Etat a été réellement un avantage, il ne faut pas en conclure que l’Etat doive tout construire par lui-même. Je crois donc qu’on pourrait abandonner à des compagnies l’exécution des lignes secondaires, nécessaires pour compléter notre grand réseau.
Un honorable préopinant, l’honorable M. de Corswarem, nous a parlé d’une société de capitalistes anglais qui s’est offerte pour construire à ses frais, moyennant la garantie d un minimum d’intérêt, diverses lignes du chemin de fer, dont l’utilité est reconnue. Je crois qu’une telle proposition mérite d’être examinée sérieusement.
Vous vous rappelez qu’en 1840 plusieurs de nos honorables collègues ont présente une proposition tendant à faire établir le principe de la garantie d’un minimum d’intérêt par l’Etat. Cette proposition a fait l’objet d’un rapport extrêmement remarquable de M. le ministre des travaux publics actuel.
J’avais pensé, je l’avoue, que l’honorable M. Dechamps aurait profité de son entrée au ministère, pour presser la discussion de cette proposition ; mais il paraît qu’il n’en est pas ainsi. Je crois cependant qu’on devrait s’occuper de cette discussion, et qu’on ne doit pas s’effrayer de la dépense où l’on serait entraîné, car le gouvernement et les chambres seraient toujours là pour maintenir cette dépense dans les limites qu’ils jugeraient convenables.
Dans tous les cas, le principe de la garantie d’un minimum d’intérêt mérite au moins l’honneur d’une discussion ; car, adopté dans presque tous les Etats de l’Allemagne, il a produit de grands résultats : c’est par ce mode que les diverses lignes de chemins de fer y ont été exécutées. Il a été également adopté en France ; ainsi le chemin de fer de Paris à Orléans a été construit avec cette garantie, et jusqu’à présent, l’Etat n’a pas eu à intervenir en faveur de la société. La France est ainsi dotée, sans aucun sacrifice de la part du trésor, d’une ligne de chemin de fer très importante.
Toutes ces considérations prouvent qu’il est nécessaire de discuter le principe de la loi, avant de discuter un projet quelconque relatif à ce principe.
J’ai parlé, messieurs, de ce projet, parce qu’il me paraît qu’il aurait le mérite de l’actualité pour la Belgique, d’après ce que nous a dit du moins tout à l’heure un honorable préopinant.
En effet d’après la révélation que nous a faite l’honorable M. de Corswarem, il paraîtrait qu’une société de capitalistes anglais s’offre à faire plusieurs lignes de chemin de fer en Belgique, moyennant la garantie d’un minimum d’intérêt. Leur proposition mérite d’être sérieusement examinée. Je serais bien aise, du reste, d’avoir l’opinion de M. le ministre des travaux publics sur ce point.
Sous le rapport de l’exploitation, je crois, que le chemin de fer belge laisse peu à désirer, quant à la régularité, à la ponctualité qui y règnent et au peu d accidents qui y ont lieu. Mais je pense aussi, que l’on peut y faire de très grandes économies. Toutefois, l’initiative de ces économies doit venir principalement du gouvernement, ou bien peut-être d’une commission, comme le disait tout à l’heure l’honorable M. de Theux. Il est fort difficile que les chambres législatives puissent prendre l’initiative de semblables économies dans une matière aussi compliquée. Si elles voulaient directement entrer elles-mêmes largement dans cette voie, elles risqueraient grandement de compromettre le service tout entier.
Messieurs, nous ne devons pas cependant
Messieurs, nous ne devons pas cependant nous laisser absorber entièrement par le chemin de fer. Nous devons aussi songer d’autres voies de communication.
Il est extrêmement fâcheux que les fonds mis à la disposition du gouvernement pour la construction de routes nouvelles, et qui proviennent de l’excédant du produit des barrières, diminuent en quelque sorte chaque année, car ces voies de communication ne sont pas les moins utiles ; ce sont même celles qui méritent peut-être la préférence pour le bien-être de cette grande branche de la richesse nationale, l’agriculture. La preuve qu’il y a encore beaucoup de besoins à satisfaire à cet égard dans le pays, ce sont les réclamations nombreuses qui surgissent chaque année de toutes parts dans les conseils provinciaux, dans le sein même de cette chambre. Or, en présence de la diminution continuelle du crédit mis à la disposition du gouvernement, d’ici à quelques années il sera impossible, si l’on ne l’augmente, d’exécuter des routes nouvelles.
Il faudrait donc, songer aux moyens de l’augmenter. Je sais bien que, pour le moment, et en présence de notre état financier, cela est impossible. Je sais bien que toutes nos préoccupations, que toutes nos idées doivent tendre maintenant vers l’accroissement des revenus du trésor. Mais en votant les voies et moyens qu’on nous a présentés et ceux qui vont nous être présentés encore, je crois que nous nous trouverons dans une situation meilleure à la session prochaine et j’engage alors M. le ministre des travaux publics à aviser sérieusement au moyens d’accroître le crédit destine à la construction de routes nouvelles.
M. le ministre a déjà signalé, dans les documents qui nous ont été distribués, plusieurs moyens qui se présentent, et il paraît être porté pour le moyen le plus facile à la vérité, mais aussi le plus sur, c’est d’augmenter le chiffre du crédit qui est destiné à ces constructions et de le porter à 3 mitions, ce qui ferait une majoration de 300,000 fr. sur le chiffre de cette année.
Pour les canaux, messieurs, il nous reste aussi beaucoup à faire ; c’est encore une partie de nos voies de communication qui ne doit pas être négligée. Pour y parvenir, il faut encore, à la vérité, se résigner à des dépenses fort considérables. Une proposition nous a été faite dans le rapport si remarquable de M. l’inspecteur Vifquain, proposition basée, je crois, sur celle qui avait été formulée par un de nos anciens collègues, M. de Puydt, et qui tendrait à employer le même système pour la construction des canaux que pour la construction des routes, c’est-à-dire à appliquer à la construction de voies de navigation nouvelles l’excédant du produit des canaux. Ce serait là aussi le moyen le plus sûr, mais qui trouve encore son inconvénient dans la diminution, momentanée du moins, des revenus du trésor.
Veuillez remarquer cependant que l’Etat entreprend déjà successivement la construction de ces voies de communication, telles, par exemple, que celle du canal de Zelzaete que nous avons votée dans une session précédente et telles que la canalisation si éminemment utile de la Campine. Bientôt nous serons aussi obligés, à cause de la grande utilité de cette voie de communication, de voter des fonds pour améliorer la navigation défectueuse, et il s’agit là d’une dépense de huit millions. Il serait peut-être préférable d’adopter un système général pour tout le pays, système qu’on exécuterait du reste dans un avenir plus ou moins éloigné en cherchant à établir les moyens de faire face à toutes ces dépenses, que de marcher ainsi à l’aventure, de construction en construction, sans s’inquiéter comment on parviendra à payer plus tard ces charges nouvelles pour le trésor.
Messieurs, je ne terminerai pas sans demander à M. le ministre des travaux publics ce qu’il compte faire quant à une voie de navigation extrêmement utile pour, je ne dirai pas une province, mais pour plusieurs provinces du pays. Je veux parler du canal de Meuse et Moselle. Les difficultés élevées entre le gouvernement et la société concessionnaire sont entièrement aplanies ; la cour d’appel a décidé en faveur du gouvernement dans l’action qu’il avait intentée à la société.
Ainsi, messieurs, le temps est arrivé de s’occuper sérieusement de l’achèvement de ce canal. J’engage M. le ministre des travaux publics a y porter toute son attention, et je suis persuadé qu’il est disposé à le faire ; car dans son court passage à la tête de l’administration de notre province, où il a laisse de si bons souvenirs, il a montré tout l’intérêt qu’il porte à cette partie du pays.
Il me semble qu’on pourrait maintenant parvenir facilement à une solution définitive sur ce point. Tous les intérêts engages dans la question doivent être portes au prompt achèvement du canal : l’intérêt du pays d’abord ; l’intérêt de la société elle-même qui laisse enfouis dans les travaux déjà exécutés, plusieurs millions de francs improductifs ; l’intérêt du grand-duché de Luxembourg, et l’administration de ce pays a déjà montré combien elle était favorable à l’achèvement du canal qui doit joindre la Meuse à la Moselle, lorsqu’elle a passé la convention que vous avez approuvée l’année dernière.
Ainsi tous les intérêts concourent en quelque sorte pour le plus prompt achèvement possible de cette voie de navigation. J’espère donc que les difficultés qui pourraient exister encore seront facilement aplanies par le gouvernement.
Dans tous les cas, l’on ne peut obtenir l’exécution du canal dans tout son parcours, on pourrait le construire tout au moins jusqu’à La Roche ou Houffalize.
Des projets particuliers ont déjà été présentés à cet égard et je ne pense pas, que la dépense puisse être fort considérable, en ne donnant au canal que les proportions qui sont indispensables.
Je n’en dirai pas d’avantage sur ce point, mais je serais obligé à M. le ministre des travaux publics de nous donner à cet égard quelques explications.
M. de Roo. - Messieurs, je désire présenter quelques observations en réponse à ce qui vous a été dit.
Ce n’est pas, messieurs, le gouvernement seul qui exploite le chemin de fer, ce sont aussi les sociétés particulières, et cela au détriment du gouvernement. Pour en avoir la preuve, il n’y a qu’à jeter les yeux sur les produits énormes que rapporte le transport des grosses marchandises. D’après un des rapports qui nous ont été distribués, ces produits s’élèveraient à 2,217,617 fr, tandis que ceux des petites marchandises ne seraient que de 28,463 fr.
Il y a donc une énorme différence entre ces deux chiffres. Quelle en est la cause ? Elle provient uniquement de ce que le tarif est trop élevé d’un côté et qu’il est peut-être trop bas de l’autre. Il est certain qu’il établit des prix de transport pour les petites marchandises, au quadruple et peut être plus encore, que les prix pour le transport des grosses marchandises.
Qui est-ce qui profite de cet état de choses ? Ce sont des sociétés particulières qui transportent les marchandises à un prix moitié moindre que le chemin de fer. C’est ainsi qu’un objet qui coûte 2 fr. de port au chemin de fer, est transporté par les compagnies et remis à domicile pour 1 fr., et celles-ci gagnent encore cent pour cent.
Et qui est-ce qui effectue ces transports ? C’est le chemin de fer lui-même ; et cela par un moyen bien simple : les sociétés accaparent tous les objets de petites marchandises, et elles en font des ballots qui, transportés comme grosses marchandises, ne paient que le quart de ce que paieraient les marchandises de diligence. C’est donc tout à fait au détriment du chemin de fer que de pareilles opérations s’exécutent.
Ce n’est pas seulement sur le principal du produit que le chemin de fer est frustré, c’est encore sur les accessoires. Ainsi, le chemin de fer ne reçoit rien sur le camionnage qui est encore au profit des sociétés particulières.
J’ai donc raison de dire que le chemin de fer n’est pas exploité seulement par le gouvernement, mais qu’il l’est aussi par des sociétés particulières, qui y font de gros bénéfices.
Il est dans les tarifs qui, je le sais, doivent être révisés, encore d’autres dispositions qui ne sont nullement en harmonie. C’est ainsi qu’un objet, je suppose, de la valeur de 10 fr, qui est transporté par le chemin de fer, payera 1 fr. 50 c. de port, tandis qu’une valeur réelle de cent francs est transportée à domicile pour un franc.
Cela prouve, messieurs, qu’il faut en venir à la révision générale du tarif.
Depuis plusieurs années, messieurs, j’ai demandé et la chambre a ordonné un rapport sur le changement du chemin de fer des Flandres ; des études ont été faites à cet égard, et je crois que M. le ministre doit être à même de faire son rapport. Il se présente maintenant une société qui offre de construire un chemin de fer passant par le centre des Flandres et qui raccorderait le chemin de fer de l’Etat au chemin de fer français ; il est évident que ce chemin de fer apporterait des produits considérables au chemin de fer de l’Etat, et qu’il est de l’intérêt du pays que cette société obtienne la concession qu’elle demande, pourvu toutefois que les conditions qu’elle offre soient raisonnables.
Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s’il est à même de nous donner quelques explications à cet égard.
M. Cogels. - Je ne me proposais pas, messieurs, de prendre part à la discussion générale du budget des travaux publics ; je m’étais seulement réservé de présenter quelques observations sur ce qui concerne les tarifs du chemin de fer, mais je pense que ces observations trouveront mieux leur place dans la discussion de l’article auquel elles se rapportent. Si donc je prends la parole en ce moment c’est simplement pour répondre à une observation qui a été faite par l’honorable M. Desmet et reproduite par l’honorable M. d’Hoffschmidt relativement à une proposition soumise à la chambre en 1840 par quelques-uns de ses membres et sur laquelle l’honorable ministre des travaux publics a fait un rapport. Je veux parler de la garantie d’un minimum d’intérêt.
La proposition primitive avait pour objet d’accorder au gouvernement la faculté de garantir ce minimum d’intérêt jusqu’à concurrence de 600,000 fr., mais la commission chargée d’examiner cette proposition a senti fort bien tout ce qu’il y avait de dangereux dans l’adoption d’un semblable principe, car naturellement il y aurait eu une concurrence et une concurrence extraordinaire pour tâcher d’avoir le plus tôt possible sa part au gâteau. La proposition primitive a donc être remplacée par une proposition qui se résume en une position de principe mais, messieurs, c’est précisément pour cela que, dans mon opinion, la loi et la discussion même de la loi seraient complètement oiseuses.
En effet, messieurs, ce principe nous ne devons pas le poser : il se trouve posé de fait, la chambre ne doit pas déclarer qu’elle a la faculté de garantir un minimum d’intérêt, et c’est à cela que se borne véritablement toute la proposition telle qu’elle se trouve formulée maintenant ; la chambre a cette faculté ; elle a le pouvoir de voter des fonds et de les voter sous telle forme qu’elle juge convenable.
L’honorable M. d’Hoffschmidt, à l’appui du vœu qu’il a exprimé de voir la question débattue, a cité ce qui s’est passe en France, c’est précisément ce que je veux citer à mon tour pour faire voir combien il est inutile de discuter la proposition.
Il est vrai, messieurs, qu’en France le gouvernement a accordé la garantie d’un minimum d’intérêt. Mais chaque garantie de cette espèce a toujours fait l’objet d’une discussion spéciale. Ainsi pour le chemin de fer d’Orléans il y a eu tout à la fois près d’un capital de 10 millions et garantie d’un minimum d’intérêt sur la totalité du capital engagé. On n’a pas fait cela avant de décréter la construction du chemin de fer : le capital était formé, mais il était insuffisant ; les actionnaires étaient là, seulement il y avait encore plusieurs versements à faire, et par suite de la grande défaveur jetée sur toutes les actions industrielles, on craignait que les actionnaires ne restassent en retard.
L’entreprise était extrêmement utile ; elle devait être extrêmement productive ; c’est ce qui a été reconnu par le gouvernement et par les chambres, et dès lors le gouvernement n’a vu aucun danger, il a vu au contraire un grand avantage à faire le prêt de 10 millions de francs et à accorder la garantie d’un minimum d’intérêt sur les 40 millions du capital primitif ; il n’a pas agi de la même manière à l’égard de toutes les entreprises ; ainsi, pour le chemin de fer de Versailles, rive gauche, il a fait un prêt sans intérêt ; pour le chemin de fer de Strasbourg à Bâle, de Paris à Rouen, de Rouen au Havre.
Il est encore intervenu d’une autre manière ; il est intervenu tantôt par une prise d’actions, tantôt par le prêt d’un capital avec ou sans intérêt, tantôt par la garantie d’un minimum d’intérêt, chaque fois selon que les besoins de l’entreprise l’exigeaient et selon que le gouvernement jugeait le moins s’exposer à une dépense improductive,
Vous voyez, dès lors, messieurs, que si cette garantie d’un minimum d’intérêt, que je regarde comme très utile dans certaines circonstances, que si ce principe doit être appliqué en Belgique, nous devons ne le faire qu’après une discussion spéciale pour chaque entreprise en faveur de laquelle cette application pourra être demandée.
Je bornerai là, messieurs, mes observations en ce qui concerne la garantie d’un minimum d’intérêt. J’ajouterai seulement quelques mots en réponse aux observations faites par l’honorable M. de Roo, quoique ces observations se rattachent à l’exploitation du chemin de fer. L’honorable M. de Roo a trouvé que le tarif des grosses marchandises était peut-être trop bas et que celui des articles qu’on nomme articles de diligences, était trop élevé. Je ne saurais partager cette opinion, car les articles de diligence ne présentent pas un intérêt vraiment commercial.
Réduire considérablement le prix de transport de ces articles, ce serait porter aux entreprises de messageries un coup plus fatal encore que celui qui leur a déjà été porté par l’établissement du chemin de fer. Je trouve que le gouvernement a bien fait de laisser, sous ce rapport, les entreprises de messageries profiter elles-mêmes du chemin de fer ; c’est adoucir en quelque sorte le tort qui leur a été fait, sans porter un préjudice notable aux revenus du trésor. Il y aurait d’ailleurs cette considération encore à ne pas perdre de vue, c’est que si le gouvernement se chargeait du transport à domicile de tous les articles de diligence dont se chargent maintenant les messageries, il aurait une responsabilité beaucoup plus grande et il lui faudrait aussi un personnel beaucoup plus nombreux pour la remise à domicile de ces articles dans les villes auxquelles ils sont destinés.
M. Lys présente le rapport de la section centrale sur un projet de loi qui a été présenté par M. le ministre des finances, relativement à une importation de sucre effectuée postérieurement à la mise à exécution de la loi du 4 avril 1843.
- La chambre ordonne l’impression de ce rapport et fixe la discussion du projet à la suite des objets qui se trouvent déjà à l’ordre du jour.
La séance est levée à 4 heures et 1/4.