(Moniteur belge n°24, du 24 janvier 1844)
(Présidence de M. Liedts)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et un quart.
M. Dedecker lit le procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur François Perroux, pâtissier-traiteur à Bouillon, né à Châteaudun (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
Le sieur Ch Joosten, portier aux salles d’attente de la station d’Anvers, né à Weert, partie cédée du Limbourg, demande la naturalisation. »
- Même renvoi.
« Le sieur de Bast de Hert, administrateur-gérant de la société du Phénix, à Gand, présente des observations contre l’arrêté royal du 15 avril 1843, relatif aux droits d’entrée sur les fontes. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux droits d’entrée sur les fontes.
« Plusieurs fabricants et débitants de tabacs, à Bruges, présentent des observations contre le projet de loi sur les tabacs. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée de l’examen du projet de loi.
M. David, au nom d’une section centrale, dépose le rapport sur le projet de loi relatif à l’abolition du droit de transit et de sortie des laines en masses.
(Moniteur belge n°25, du 25 janvier 1844) M. David. - Il y a déjà quelque temps, messieurs, que je vous eusse soumis le présent rapport sur la question de l’abolition du droit au transit des laines en masse traversant notre royaume, si une circonstance indépendante de ma volonté n’y eût apporté quelque retard. Cette circonstance, c’était l’omission involontaire de la consultation de la chambre de commerce de Liége qu’un membre avait signalée en section.
M. le ministre s’étant empressé de faire réparer l’omission en consultant la chambre de commerce de Liége, vient de me faire remettre la réponse de ce corps, qui est on ne peut plus favorable au projet de loi qui nous est présenté. Cette réponse de la chambre de commerce de Liége, je demande à la chambre la permission de la faire imprimer à la suite des annexes déjà données par M. le ministre de l’intérieur ou à la suite de mon rapport.
Je ferai observer que la petite loi dont il est question étant utile au pays, il convient de la discuter et de la voter dans le plus court délai possible.
(Moniteur belge n°24, du 24 janvier 1844) - Ce rapport sera imprimé et distribué en même temps que l’avis de la chambre de commerce de Liége.
La discussion du rapport sera fixée ultérieurement.
M. de Villegas. - Messieurs, j’ai demandé la parole pour adresser une interpellation à M. le ministre des finances.
Messieurs, le gouvernement nous a distribué, il y a quelques jours, un projet de loi tendant à établir un droit sur la fabrication et le débit des tabacs. Je demande à M. le ministre des finances s’il a consulté les chambres de commerce et les commissions d’agriculture sur un projet de loi aussi important, et qui, soit dit en passant, a excité une sensation douloureuse dans le pays.
La section que j’ai l’honneur de présider s’est occupée ce matin de l’examen de ce projet de loi, et c’est au nom de cette section que j’adresse mon interpellation à M. le ministre des finances. Je remplis cette mission avec d’autant plus d’empressement que la section à laquelle j’appartiens a suspendu le cours de ses délibérations, jusqu’à ce que M. le ministre des finances ait donné les explications que je suis chargé de lui demander.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, j’ai déjà fait remarquer à la chambre, dans d’autres occasions, que les lois d’impôt doivent nécessairement froisser ou le commerce ou l’industrie, ou même le commerce et l’industrie à la fois.
Les avis des chambres de commerce et des commissions d’agriculture n’ont pas été demandés. La question est parfaitement connue. Depuis très longtemps, des membres de la chambre et du sénat ont conseillé au gouvernement d’imposer le tabac et même d’établir le monopole. Envoyer de pareils projets aux chambres de commerce et aux commissions d’agriculture, c’est soulever une inévitable opposition. Il est impossible que les chambres de commerce de nos ports de mer approuvent un semblable projet. Nous savons très bien, tout en le regrettant, que ces projets sont fâcheux pour le commerce, nous savons que c’est là malheureusement l’effet de toutes les lois d’impôt.
Le renvoi du projet de loi aux chambres de commerce et aux commissions d’agriculture aura donc uniquement pour résultat d’apporter un grave préjudice au trésor, de favoriser des importations considérables de tabac fabriqué qu’on soustraira aux droits, d’empêcher très probablement la discussion du projet de loi pendant la session ; de continuer enfin les déficits que nous avons trouvés chaque année dans les caisses du trésor.
Je m’oppose donc à ce que le projet de loi soit renvoyé aux commissions d’agriculture et aux chambres de commerce.
M. Osy. - J’appuie, pour ma part, le renvoi du projet aux chambres de commerce et aux commissions d’agriculture. Il y a dans le pays beaucoup d’autres chambres de commerce que celles de nos ports de mer ; nous consultons ces corps pour des objets moins importants que celui dont il s’agit, et je ne sais pourquoi l’on ne demanderait pas leur avis sur un objet qui présente un si grave intérêt.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, nous avons voté, il n’y a pas longtemps, une loi sur les sucres. Eh bien, nous savons très bien que la plupart des chambres de commerce se sont opposées à la loi. Si cependant l’avis de ces corps avait été suivi, nous serions privés aujourd’hui d’une ressource considérable, et le déficit dans les caisses de l’Etat ne serait pas de trois millions, mais de six millions.
S’il ne s’agit que de s’éclairer de l’opinion des chambres de commerce, soyez persuadés, messieurs, qu’elles nous adresseront leurs observations. Le projet de loi a été publié dans tous les journaux du pays ; les chambres de commerce le connaissent parfaitement, et il n’est pas douteux que des observations de leur part parviennent au gouvernement et à la chambre dans un bref délai.
Messieurs, je pense que nous devons avoir le courage d’aborder des lois d’impôt ; on ne manque jamais de très bonnes raisons pour les repousser. Quand les observations ne portent que sur l’impôt lui-même elles paraissent toujours fort justes, mais il faut qu’elles s’étendent plus loin, il faut qu’on envisage notre situation financière dans son entier, qu’on envisage nos besoins. Plus tard on sollicitera du gouvernement, soit la construction de nouvelles routes, de canaux, d’un embranchement du chemin de fer, le rendiguement du poldre de Lillo, soit d’autres dépenses utiles ; si le gouvernement ne possède pas les ressources nécessaires, il ne pourra pas acquiescer à aucune de ces demandes.
Je désire donc que la chambre aborde le projet de loi qui lui a été présenté. Je ne me dissimule pas que ce projet offre bien des inconvénients sous plus d’un rapport. Il a cela de commun, je le répète, avec toutes les lois d’impôt.
Nous avons, depuis quelques années, touché successivement à tous les objets imposables. J’ai rappelé, dans l’exposé des motifs, que la chambre s’était montrée peu disposée à augmenter l’accise sur les bières ; que nous avions déjà augmenté trois fois l’accise sur les eaux-de-vie indigènes ; que nous avions également augmenté la contribution foncière en la grevant de trois nouveaux centimes additionnels, ainsi que les droits d’enregistrement ; qu’il ne reste plus guère que deux objets susceptibles de créer des ressources quelque peu considérables, le café et le tabac. J’ai cru qu’il était préférable de demander un peu plus au tabac que de les frapper tous deux en les soumettant l’un et l’autre à des droits moins élevés.
M. le président. - Je ne comprends pas très bien sur quel objet nous discutons.
M. de Villegas. - Je désire que la chambre s’explique sur la nécessité de faire consulter les chambres de commerce et les commissions d’agriculture.
M. de Brouckere. - Si j’ai bien compris la motion de l’honorable M. de Villegas, il s’est borné à faire une interpellation. Il a demandé à M. le ministre des finances s’il entrait dans ses intentions de consulter les chambres de commerce et les commissions d’agriculture. M. le ministre des finances a répondu négativement. La motion de l’honorable préopinant est donc épuisée.
Pour que la discussion continuât d’une manière régulière, il faudrait qu’un membre proposât à la chambre de renvoyer le projet aux corps dont il s’agit.
M. le président (M. Liedts). - Messieurs, je dois rappeler un antécédent à la chambre, c’est celui que nous fournit le budget de la guerre pour l’année 1844. Il a été convenu d’attendre que toutes les sections eussent nommé leurs rapporteurs, et qu’alors la section centrale viendra proposer l’ajournement à la chambre, si la majorité des sections en faisait la proposition. La motion dont il a été question dans la section présidée par M. de Villegas, à propos du projet de loi sur les tabacs, ne s’est pas produite dans d’autres.
M. de Mérode. - Messieurs, il me semble que les chambres de commerce auront des organes très capables dans cette assemblée. Il est bien certain que l’avis des chambres de commerce sera contraire au projet de loi, parce que les chambres de commerce ne sont pas chargées d’équilibrer les recettes et les dépenses. Ce n’est pas leur mission. S’il s’agissait d’un objet purement commercial, je concevrais l’intervention des chambres de commerce, mais ici il ne s’agit que de l’intérêt du trésor, et c’est à nous de voir s’il ne vaut pas mieux subir les inconvénients de telle ou telle loi que de ne pas la voter du tout.
M. le président. - Je dois faire observer que cette discussion ne peut amener aucun résultat, si l’on ne fait pas une motion positive.
M. Delehaye. - Messieurs, l’honorable M. de Villegas a exprimé l’opinion à laquelle il appartient ; mais si je l’ai bien compris, la motion qu’il a faite doit avoir une solution. Dans une section, nous avons été arrêtés pour cette considération, que nous ne connaissions pas l’avis des chambres de commerce, et nous nous sommes dit que, si on réclamait l’avis de ces corps, il devait nous être communiqué avant l’examen en sections ; que sinon on se livrerait à un travail inutile ; c’est cette considération qui a motivé la proposition qui vous est faite.
Il faudrait d’abord savoir si le gouvernement a pris ces renseignements, et s’il ne les a pas pris, que la chambre déclarât que ces renseignements seront demandés. Voilà la proposition de M. de Villegas. C’est dans ce sens qu’elle avait été formulée dans la section.
M. de Brouckere. - M. de Villegas n’a pas fait de proposition.
M. Delehaye. - Dans ce cas, j’en fais la proposition formelle, conformément au vœu exprimé dans la section dont nous faisons partie.
Il me reste à répondre à M. le ministre des finances. M. le ministre a dit que si vous demandiez l’opinion des chambres de commerce, comme il en résulterait un long délai, la recette qu’on se promet de la loi serait perdue pour le trésor, parce qu’on introduirait beaucoup de tabacs. Je ferai observer que ce cas est prévu, dans le projet, puisque le ministre demande la faculté de faire le recensement des tabacs qui se trouveront dans le pays.
M. le ministre a opposé à la proposition ce qui s’est fait pour la loi sur les sucres. Je conçois que, pour cette loi on en ait agi ainsi, parce que cette loi concernant des intérêts différents, devait provoquer des renseignements différents, car elle concernait le sucre exotique d’un côté, et le sucre indigène de l’autre. Sur un projet pareil, on devait s’attendre à voir surgir des opinions divergentes de nature à jeter la chambre dans un grand embarras, Ici le cas n’est pas le même, car la loi dont il s’agit, était la même pour tout le pays, doit atteindre tout le monde. Alors pourquoi ne pas consulter les chambres de commerce et les commissions d’agriculture ? Parce que, dit M. le ministre, elles seront contraires à tout impôt. C’est là une supposition gratuite. Je suis persuadé qu’elles déclareront que le tabac est imposable. Mais on peut varier sur le mode d’exécution. Je vous avoue que, dans des cas donnés, je ne reculerais pas devant la proposition de M. le ministre des finances.
Les chambres de commerce non seulement vous répondront que le tabac est imposable, mais vous diront qu’en l’imposant de telle manière, vous pourrez trouver de grands avantages dans les relations diplomatiques. Si vous ne les consultez pas maintenant, il arrivera que vous serez obligés de les consulter plus tard, et il en résultera une plus grande perte le temps que si vous les consultiez dès à présent, parce que ces avis seraient soumis aux sections, qui pourraient alors s’occuper du projet en pleine connaissance de cause.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le gouvernement vous a dit : Les chambres de commerce et les commissions d’agriculture n’ont pas été consultées. Faut-il ordonner que le projet dont il s’agit leur soit renvoyé ? Je ne le pense pas. Les chambres de commerce et les commissions d’agriculture sont mises en demeure par la présentation du projet. Soyez-en convaincus, elles ne garderont pas le silence devant vos discussions. J’ose vous prédire que dès demain peut-être les observations de tout genre afflueront à votre bureau. Vous pourriez même, au fur et à mesure qu’on annoncera les pétitions, en demandant l’impression au Moniteur.
Votre but est atteint par la présentation du projet, par la fixation à l’avance d’une époque assez éloignée pour la discussion publique. Les autorités et les particuliers mettront cet intervalle à profit pour vous adresser leurs réclamations. Ce serait donc entraver inutilement la marche des sections, que d’ordonner aujourd’hui le renvoi demandé. Cet examen n’est d’ailleurs que préparatoire ; en sections, on ne va pas même toujours aux voix, on n’y prend aucun engagement. Le projet de loi qui vous est présenté soulève deux questions. En premier lieu, frappera-t-on le tabac de droits nouveaux ? Si cette question était présentée isolément en principe, je dis qu’il y aurait une grande majorité en faveur du principe. La seconde question est celle-ci : quel droit établira-t-on ? Quel sera le mode d’impôt ? Je vous prédis que ce n’est pas sur ce terrain que se placeront les autorités et les intéressés qui vous adresseront des réclamations ; on cherchera à échapper à tout impôt nouveau. Au fond, vous n’avez plus à rechercher que le mode nouveau et plus productif d’impôt ; la nécessité de cet impôt nouveau est incontestable.
La question de principe n’est pas douteuse, à moins que la chambre veuille tomber dans une véritable inconséquence. Comment, on demande de nouveaux voies et moyens, le déficit est constaté, on ne veut pas le combler ! vous avez encore une seule matière qui soit légèrement imposée et qui puisse l’être davantage, et vous la laisseriez hors de toute atteinte nouvelle !
C’est pour vous dire que le renvoi qu’on demande est complètement inutile ; car les renseignements vous arriveront spontanément. S’agit-il, messieurs, de discuter ce projet demain ? Pas du tout, comme je l’ai déjà dit, il s’agit de faire un travail préparatoire en sections, et quand la section centrale sera formée, les avis des autorités et des intéressés lui parviendront. Sont-ce là les avis que vous demandez ? Ils vous seront adressés ; le projet a été inséré au Moniteur avec l’exposé des motifs ; il se trouve donc porté à la connaissance des chambres de commerce. Si la chambre le désire, on peut directement leur donner l’éveil par une lettre adressée par le ministre de l’intérieur aux différentes autorités, pour les informer que si elles ont des avis à donner, ou des réclamations à faire, elles aient à les adresser à la chambre soit directement, soit par l’intermédiaire du ministre de l’intérieur.
On peut leur donner cet avis, mais cela est-il nécessaire ? Je l’ai fait pour la loi sur les céréales, j’ai adressé une lettre aux gouverneurs pour les prier de mettre d’une manière positive les chambres et les commissions provinciales en demeure de se prononcer ; prochainement j’enverrai les réponses que j’ai reçues à la section centrale.
Plusieurs membres. - Faites-le.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je trouve que c’est un avertissement assez étrange, car c’est apprendre aux chambres de commerce et aux commissions d’agriculture une chose que tout le monde sait. Cependant nous voulons bien donner cet avis.
M. Desmet. - Si je ne me trompe, déjà l’avis des chambres de commerce et des commissions d’agriculture a été demandé sur la question de savoir s’il faut imposer le tabac. Mais aujourd’hui, ce n’est pas sur le principe, mais sur le mode d’exécution qu’on demande leur avis. Si j’appuie la demande de renvoi, c’est en faveur du gouvernement. Si on avait consenti à demander l’avis des chambres de commerce sur la loi relative aux céréales, vous auriez eu les avis pour et contre, tandis que vous n’avez reçu que les avis qui lui sont contraires. Si le renvoi proposé n’est pas ordonné, la même chose arrivera pour la loi sur les tabacs. Nous apprenons que les intéressés se réunissent à Malines, pour envoyer à la chambre une pétition contre le projet. Si les chambres de commerce et les commissions d’agriculture étaient consultées, vous auriez des avis sous le rapport agricole comme sous le rapport commercial. Les avis favorables au projet aussi bien que ceux qui lui sont contraires.
M. le président. - La clôture est demandée, je vais la mettre aux voix.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je demande que l’examen préparatoire continue en sections. Le gouvernement donnera avis aux chambres de commerce et aux autorités que le projet est présenté, et que les observations à faire peuvent être adressées soit directement au président de la chambre, soit à la chambre, par l’intermédiaire du ministre de l’intérieur. Je regardais cet avis comme inutile, parce que c’est supposer que les autorités et les particuliers ne savent pas ce qui se passe dans le pays, ne lisent pas les journaux.
M. Delehaye. - D’après les explications que vient de donner M. le ministre de l’intérieur, je retire ma proposition.
M. de Theux. - Les observations que vient de faire M. le ministre de l’intérieur suffisent quant aux chambres de commerce ; mais quant aux commissions d’agriculture, on sait qu’elles ne peuvent se réunir qu’à époques déterminées. Il faudrait qu’elles fussent convoquées extraordinairement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On les convoquera.
M. Rogier. - M. le ministre vient de dire que les chambres de commerce et les commissions d’agriculture seront invitées à donner leur avis. Je désirerais qu’il les engageât à envoyer leurs observations dans le plus bref délai possible. Pour les adversaires aussi bien que pour les partisans du projet, il importe que la discussion arrive le plus promptement possible.
Un très grand nombre d’intéressés sont menacés par cette loi, il faut qu’ils sachent à quoi s’en tenir. Il ne faut pas que la menace résultant du projet de loi sur les tabacs reste suspendue sur les intéressés, comme cela est arrivé pour la loi sur les sucres. C’est un objet important pour l’agriculture et l’industrie ; il est à désirer que la discussion en soit abordée franchement et le plus tôt possible.
M. de Brouckere. - Je viens déclarer que j’adhère à ce que vient de dire l’honorable préopinant. Je désire aussi que l’examen continue en sections, mais je demande que la section centrale attende un temps moral avant de commencer son travail, afin que les avis des chambres de commerce et des commissions d’agriculture puissent lui arriver avant et que son rapport soit complet. Ces avis ne tarderont pas à lui arriver.
M. le président. - La proposition étant retirée, il n’y a rien à mettre aux voix.
M. Osy. - Dans la discussion générale, M. le ministre de l’intérieur a dit qu’on n’avait pas demandé le tableau des fonds accordés, en 1843, pour les lettres et sciences. Si je suis bien informé, plusieurs sections l’avaient demandé, et il avait même été demandé la section centrale. Je me suis rendu à la cour des comptes, mais il m’a été impossible de sortir des pièces qu’on m’a remises avec les renseignements que je cherchais, parce que les parties prenantes sont presque toujours des employés du ministère de l’intérieur. Je demande que M. le ministre veuille bien nous donner ce tableau.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Pour que le renseignement fût complet, il faudrait demander aussi le tableau de l’emploi de l’allocation pendant toutes les années précédentes. J’ignore, du reste, le but de cette interpellation ; veut-on faire une guerre aux noms propres ? Je n’ai aucun intérêt à refuser le renseignement demande. Je déposerai sur le bureau le tableau de l’emploi du crédit pendant l’année 1843 ; mais ce document sera incomplet ; il faudrait exposer tout ce qui s’est fait avant moi. Je ne veux pas opposer à la demande de l’honorable préopinant une fin de non-recevoir.
M. le président. - La chambre est parvenue au chap. VI « Service de santé et Académie royale de médecine : fr. 45,000 »
La section centrale propose de diviser cet article comme suit :
« Art. 1er. Service de santé : fr. 27,000 »
« Art. 2. Académie royale de médecine : fr. 18,000 »
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je puis me rallier à cette formule nouvelle, mais en faisant deux observations, ou plutôt deux réserves.
Les 18,000 fr. demandés pour l’Académie de médecine sont suffisants pour les travaux ordinaires de l’Académie ; mais cette compagnie est chargée en ce montent d’un travail extraordinaire, la rédaction de la pharmacopée belge, c’est un travail extraordinaire qui se terminera cette année ; il exigera une somme d’environ ou 4 mille fr. Il doit donc être entendu que cette somme pourrait être prise sur le chapitre des dépenses imprévues de mon département.
J’ai une deuxième observation a faire relativement aux commissions médicales provinciales. La situation de ces commissions n’est pas assez connue de la chambre ; elles sont instituées par arrêté royal, en vertu de la loi du 18 mars 1818 ; elles délivrent des diplômes dans certains cas ; les recettes résultant de la délivrance de ces diplômes ne sont pas versées au trésor public, mais dans une caisse particulière. C’est une irrégularité. Les frais de diplômes universitaires, de diplômes vétérinaires, toutes ces recettes sont versées dans le trésor public. Je me propose de présenter dans le cours de cette session une loi à la chambre, pour régulariser la position des commissions provinciales médicales, sous deux rapports ; d’abord sous le rapport que je viens d’indiquer (il faut que toutes les recettes provenant de la délivrance des diplômes soient versées au trésor public), puis sous le rapport des attributions. Il faut que les attributions de ces commissions soient mises en rapport avec la loi sur l’enseignement supérieur, et avec la loi qui devra vous être présentée sur l’art de guérir.
Moyennant ces deux observations, je puis adhérer à la division proposée.
J’ai saisi cette occasion de faire connaitre la chambre la position irrégulière des commissions médicales provinciales.
En général, il y a beaucoup à faire pour la santé publique. Je crois encore ici que le gouvernement central ne s’est pas assez occupé de cette importante question. Je crois qu’il y a beaucoup à faire, non pas que je veuille céder à des doctrines trop absolues de centralisation. Mais je crois que le gouvernement peut encore ici, sans excès de pouvoir, exercer une utile intervention, une utile et légitime influence. Il m’arrive, par exemple, presque chaque semaine, de proposer au Roi des remises de peine pour condamnation du chef de l’exercice illégal de la médecine et de l’art des accouchements ; je dois demander ces remises de peines par le motif qu’il n’y a dans la contrée personne à qui l’on puisse recourir, même pour l’art des accouchements. Il y a des districts très importants où il n’existe qu’une seule pharmacie de campagne.
Le gouvernement précédent s’était occupé de cette organisation, que j’appellerai médicale ; par exemple, par un arrêté royal de 1818, on avait cherché à instituer des médecins des pauvres, qui auraient été en quelque sorte des médecins de canton ; un autre arrêté avait aussi institué des médecins judiciaires.
Ces arrêtés sont tombés en désuétude ou sont restés sans exécution.
Vous voyez qu’encore ici tout est à faire.
Le projet que j’ai annoncé a pour but d’organiser jusqu’à un certain point la santé publique, de pourvoir à ce qu’il y a d’insuffisant dans beaucoup de contrées pauvres, sous le rapport de la médecine ; c’est une idée, et rien de plus.
M. David. - M. le ministre de l’intérieur vient de dire qu’il y a des districts entiers où il n’y a qu’une seule pharmacie de campagne.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) Et même pas une.
M. David. - Je le conçois aisément ; comment pourrait-il s’établir des pharmacies de campagne, quand depuis dix ans on réclame vainement en faveur des pharmaciens la séparation entre la pharmacie et la médecine.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cela est vrai.
M. David. - Le corps médical doit avoir mis une lenteur extraordinaire à formuler la loi qui doit nous être présentée sur la médecine ; car voilà plusieurs années qu’on la promet, et cette promesse ne s’exécute pas.
Pour moi, je suis porteur d’un grand nombre de pétitions de pharmaciens. Je n’ose pas les déposer, parce qu’à la fin on se fatigue de réclamer vainement sur le même objet. Je les remettrai cependant ; car il faut bien que je m’acquitte de mon mandat.
M. Dedecker. - Le subside de 2,000 fr. accordé à la société de médecine de Gand avait été prélevé par M. le ministre de l’intérieur sur le crédit des sciences et arts. La section centrale propose de le reporter sur l’article en discussion. Je voudrais savoir quelles sont à cet égard les intentions de M. le ministre de l’intérieur. Pour moi, je crois que la société de médecine de Gand, s’occupant de questions purement théoriques, le crédit qui la concerne devrait être imputé sur l’allocation relative aux sciences et arts.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je crois que si le subside doit encore être accordé à la société de médecine de Gand, il faudra l’imputer sur le crédit des sciences et arts. Il faut voir la question scientifique. C’est de cette manière que l’imputation se faisait, il y a quelques années. Ce que j’ai fait l’an dernier n’est qu’un retour aux anciens précédents.
Je reconnais, avec l’honorable M. David, que la législation actuelle (j’entends par là la loi de 1818 et les arrêtés) sur l’exercice de l’art de guérir est défectueuse. L’académie s’en occupe. Je me propose de saisir prochainement les chambres de plusieurs projets de loi tendant à réorganiser l’exercice de l’art de guérir, et à régler la position des commissions provinciales médicales. Cette organisation est défectueuse, parce que beaucoup d’arrêtés sont tombés en désuétude. Un arrêté de 1828 avait organisé l’institution de médecins des pauvres ; comme je l’ai dit, il n’a pas été exécute. Un autre arrêté du 15 juillet 1818 avait institué des médecins judiciaires ; il est également tombe en désuétude.
Je crois qu’on peut, sans usurpation, faire une sorte d’organisation de l’exercice de l’art de guérir, surtout au profit des classes inférieures de la société. Du reste, ce ne sont que des idées que j’émets. Je veux donner l’éveil aux esprits, pour qu’on sache que le gouvernement s’occupe de cette question.
M. Maertens, rapporteur. - Je dois un mot de réponse à l’honorable M. Dedecker.
Il est vrai que la section centrale avait trouvé préférable d’imputer le crédit concernant la société de médecine de Gand sur le fonds du service de santé ; mais au fond, il est indifférent à la section centrale sur quelle somme ce crédit sera imputé. Tout ce que la section centrale a voulu, c’est qu’il n’y eût pas, de ce chef, d’augmentation de crédit. A l’article des sciences et lettres, on a demandé une augmentation de crédit de 6,000 fr. Dans les explications données par le gouvernement, la société de médecine de Gand figure pour 2,000 fr. Il a été dit que cette somme était imputée précédemment sur le fonds du service de santé. La section centrale, ne voulant pas admettre de majoration de ce chef, a demande que la somme fût encore prélevée sur le fonds du service de santé.
En résumé, tout ce que veut la section centrale, c’est qu’il n’y ait pas d’augmentation. Libre au gouvernement d’imputer la dépense sur le fonds du service de sante, ou sur celui des sciences et arts.
- Le chapitre est adopté avec la division proposée par la section centrale.
« Article unique. Frais de célébration des fêtes nationales : fr. 30,000 »
- Cet article est adopté sans discussion.
« Art. 1er. Traitement du contrôleur des jeux et autres dépenses : fr. 2,220 »
« Art. 2. Frais de réparation des monuments de la commune de Spa : fr.. 20,000 »
- Ces articles sont adoptés sans discussion.
« Article unique. Subside aux provinces de Luxembourg et de Limbourg pour la construction de deux nouvelles casernes de gendarmerie, l’une à St.-Hubert et l’autre à Tongres : fr. 20,000 »
- Cet article est adopté sans discussion.
« Art. 1er. Ecole de médecine vétérinaire et d’agriculture de l’Etat. Jury d’examens : fr. 153,500 »
M. Rogier. - Cet article concernant une branche de l’instruction publique, je demanderai à M. le ministre de l’intérieur s’il ne trouverait pas plus régulier d’en renvoyer la discussion au chapitre « Instruction publique. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne m’y oppose pas. L’honorable membre lui-même remarquera que, cette année, pour la première fois, on n’a pas réuni l’objet de l’article à ce qu’on appelle le fonds d’agriculture.
J’ai fait un article distinct : j’ai pensé que l’on devait assigner une position spéciale à l’école de médecine vétérinaire.
- La chambre consultée renvoie cet article à la discussion du chapitre « Instruction publique ».
« Art. 2. Subside à la société d’horticulture de Bruxelles. : fr. 24,000 »
M. Delehaye. - Messieurs, l’horticulture a fait en Belgique de très grands progrès ; ce n’est donc pas sans raison que chacun de nous désire qu’il y ait la Bruxelles un jardin botanique qui réponde à toutes les exigences. Aussi, messieurs, si le jardin botanique de Bruxelles nous présentait une collection de toutes les plantes utiles et nécessaires à la science, je serais le premier à lui accorder un subside que l’on nous demande ; mais, comme j’ai eu l’honneur de le dire dans une précédente session, le jardin botanique de Bruxelles ne répond à aucune des exigences de la science. Bien loin de présenter une collection des plantes que la science médicale réclame, nous n’y trouvons que des plantes que l’on destine à livrer au commerce. C’est ainsi que la plupart de ses serres ne présentent à ceux qui les visitent, que des collections de camélias et de rododendrums, c’est-à-dire, de plantes destinées à embellir les fêtes que l’on donne à Bruxelles et les salons des particuliers. Si des serres vous passez dans le jardin modèle de pépinière, au lieu d’y trouver un type de chaque arbre, comme cela devrait être, vous n’y voyez que quelques pommiers, quelques poiriers et quelques rosiers, qui ne peuvent être de la moindre utilité pour les recherches des savants.
Messieurs, il se trouve dans le pays beaucoup de jardins botaniques qui sont plus riches en plantes utiles à la science que celui de Bruxelles, qui cependant se trouve très richement doté par le pays.
Je le répète, je serais le premier à voter le subside, si cet établissement répondait aux exigences et était administré de manière à attirer l’attention de l’étranger. Mais il n’en est malheureusement pas ainsi ; le jardin botanique de Bruxelles a été formé par quelques riches spéculateurs qui n’ont en vue qu’une seule chose, c’est d’améliorer leur position financière. Je dis qu’une société ainsi composée ne mérite nullement les subsides que nous lui accordons. Car, composée comme elle est, elle ne tend qu’à faire concurrence aux horticulteurs du pays, à les obliger à donner leurs produits à vil prix, car à l’aide des sommes que le pays et la ville de Bruxelles lui accordent, il est évident qu’elle peut vendre à des prix plus bas que tous les autres horticulteurs.
Messieurs, lorsque vous votez un subside pour une industrie, ordinairement il est réparti entre tous ceux qui se livrent à cette industrie. Je ne comprends donc pas que pour l’horticulture on accorde un subside considérable à ceux qui se trouvent dans la position la plus favorable sous le rapport de la fortune ; que ceux qui pourraient faire le plus de sacrifices soient richement dotés, alors qu’une infinité de petits horticulteurs n’obtiennent rien.
Je voudrais donc que le subside que vous accordez à la société d’horticulture de Bruxelles, fût retiré.
Le gouvernement ne manquera pas de me répondre que ce subside est accordé en vertu d’une loi. Je sais que tant que la convention qui a été conclue existera, il y aura peu de moyens de porter remède à l’état de choses actuel. Mais je voudrais que le gouvernement fît cesser cet état de choses. Il pourrait nous demander un subside pour faire un jardin botanique qui répondît à toutes les exigences.
Je ferai remarquer, en finissant, que l’emplacement occupé par le jardin botanique actuel ne répond aucunement à sa destination. Il est exposé à tous les vents les plus défavorables qui détruisent la plupart des plantes qu’on y expose.
Je crois d’ailleurs que la formation d’un jardin botanique qui répondrait à tous les besoins de la science, n’entraînerait pas le pays dans des frais très considérables, parce que chaque horticulteur s’empresserait de l’enrichir de plantes. Il n’y aurait, pour les exciter à agir ainsi, qu’à accorder une mention honorable à ceux qui feraient des dons au jardin botanique.
J’appelle l’attention du gouvernement sur ce point. Je demande qu’il fasse cesser les réclamations qui se sont élevées dans toutes les parties du pays sur la concurrence, que le jardin botanique de Bruxelles fait aux horticulteurs. Car vous savez que l’été dernier, l’horticulture de tout le pays a été représentée à Malines par des délégués qui ont réclamé vivement contre le subside que le gouvernement alloué au jardin botanique de Bruxelles.
Quant à moi, je déclare que, si l’on ne veut pas nous donner un jardin botanique digne de la capitale, je me verrai obligé de voter contre le subside qui est demandé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je remarque avec plaisir que l’honorable M. Delehaye n’est pas contraire à l’existence d’un jardin botanique dans la capitale, avec un subside du gouvernement. Pour lui il ne s’agit plus que d’une question de fait. Il soutient que le jardin botanique actuel est mal placé, qu’il est mal administré. Nous prétendons le contraire ; nous prétendons que ce jardin est bien situé, qu’il est très bien administré.
Je dois supposer que l’honorable membre n’a pas pris connaissance des renseignements qui se trouvent dans le rapport de la section centrale.
J’ose prédire à l’honorable membre que du moment qu’il y a à Bruxelles un jardin botanique recevant un subside quelconque du gouvernement, cet établissement sera l’objet de toutes les jalousies particulières d’abord, et qu’il me soit permis d’ajouter, sans entendre blesser personne, de toutes les jalousies provinciales. Ce subside du gouvernement attirera toutes les réclamations que vous avez aujourd’hui et qui se renouvellent tous les ans, malgré les explications qui sont données par le gouvernement.
Le jardin botanique actuel, messieurs, est très bien situé, c’est un des ornements de la capitale. Rien ne serait plus agréable aux actionnaires que de voir retirer les subsides.
Les actionnaires sont aujourd’hui liés, ils sont obligés de maintenir le jardin botanique. Si au contraire les subsides leur étaient retirés, ils rentreraient dans leurs droits, et pourraient vendre le terrain qui aujourd’hui produirait une somme énorme, Eh bien ! je n’hésite pas à le dire, ce serait un acte de vandalisme que de détruire le jardin botanique de Bruxelles.
La ville de Bruxelles donne un subside de 12,000 fr. ; l’Etat en donne un de 24,000. La société reçoit donc 36,000 fr., et d’après les comptes qui ont été produits, ce subside ne donne pas un véritable bénéfice aux actionnaires ; ils ne reçoivent que 4 p. c. de l’intérêt de leur capital ; et encore ne touchent-ils cet intérêt que depuis peu de temps.
J’insiste donc pour que le subside soit conservé ; je le répète, j’ai vu avec plaisir que l’honorable membre n’est pas contraire à l’existence d’un jardin botanique dans la capitale, avec un subside du gouvernement. Il ne s’agit que d’une question de bonne administration. Le gouvernement, je le promets, y veillera et prendra de nouveaux moyens pour que cette institution atteigne son but.
M. Rodenbach. - M. le ministre vient de dire qu’il veillera à la bonne administration du jardin botanique de Bruxelles. li faut avouer qu’il est triste de voir les riches actionnaires de cet établissement rabaisser jusqu’à tenir boutique de bouquets de fleurs. Car c’est ce qu’ils font ; ils vendent de bouquets pour les bals, louent leurs arbrisseaux pour les fêtes, et se font payer comme de pauvres jardiniers.
Je dis qu’une société qui reçoit un subside de 24,000 fr. du gouvernement, un subside de 12,000 fr. de la ville, et qui retire 4 p. c. de son argent, ne devrait pas en agir ainsi. Le gouvernement devrait y veiller ; il devrait montrer plus de sollicitude pour le commerce des fleurs.
M. Delehaye. - Non seulement j’ai connaissance des observations du gouvernement, qui sont consignées dans le rapport de la section centrale, mais j’ai moi-même visité le jardin botanique de Bruxelles. Je ne prétends pas avoir assez de connaissances pour apprécier la valeur des plantes qui s’y trouvent ; mais il n’est pas difficile de reconnaître qu’il ne renferme pas une collection convenable.
Je vous ai dit que lorsque vous auriez un jardin botanique qui répondît à sa destination, qui contînt les plantes nécessaires à la science, je serais prêt à voter des subsides.
On nous dit que la société d’horticulture de Bruxelles est bien administrée. Je n’ai pas entendu contester la bonne administration de la société ; je sais que, sous le rapport pécuniaire, elle est très bien administrée. Mais en est-il de même sous le rapport de la science ? Visitez, par exemple, l’école forestière modèle qui devrait contenir une plante de chaque espèce ; vous n’y trouverez que des pommiers et des rosiers.
On a dit qu’un jardin botanique subsidié par l’Etat exciterait toujours la jalousie des provinces. Il n’en est rien. Le jardin botanique de Paris n’excite pas la jalousie des autres départements de la France. Au contraire, tout le monde s’empresse de l’enrichir de tout ce qu’il y a de plus rare. Il en serait de même si vous aviez un jardin botanique à Bruxelles. Tous les horticulteurs s’empresseraient à le doter des plantes les plus rares car ils feraient ainsi connaître leur nom, et leur réputation s’agrandirait.
Je le répète, c’est une chose inconcevable de voir donner un subside à des personnes riches, à des personnes haut placées, pour faire un commerce en concurrence avec des personnes auxquelles on n’accorde aucun avantage, et qui cependant doivent vivre de leur industrie.
D’après le rapport de la section centrale, il paraît que le commerce des fleurs rapporte à la société d’horticulture de Bruxelles un bénéfice de 8,000 fr. Quant à moi, je préférerais qu’on lui défendît de vendre et qu’on augmentât le subside qu’on lui accorde, d’une somme pareille. De cette manière du moins, elle ne porterait pas les plus grands préjudices à une foule de petits horticulteurs, qui vivent du commerce des plantes.
M. le ministre de l’intérieur nous dit que le jardin botanique actuel est bien placé. Je dis au contraire qu’il est très mal placé ; et je ne suis pas le seul qui le pense ainsi ; beaucoup d’horticulteurs partagent cet avis. Aussi, s’il laisse peu à désirer sous le rapport du point de vue, il n’est, sous le rapport de la science, d’aucune utilité.
M. de Brouckere. - Le chiffre porté au budget n’étant pas contesté, je ne chercherai pas à prolonger la discussion. Je ferai seulement une remarque à l’honorable M. Delehaye. Il reconnaît qu’il est convenable qu’il y ait dans la capitale un jardin botanique subsidié par le gouvernement. Mais, selon lui, celui qui existe ne répond pas à ce qu’on aurait droit d’exiger, et il faudrait que le gouvernement en établît et en organisât un autre.
Mais je ne crains pas de dire que si le gouvernement voulait substituer au jardin botanique actuel un autre jardin botanique qui répondît à ce qu’on a droit d’exiger dans la capitale, ce n’est pas un subside de 24,000 francs qu’il faudrait, mais un subside plus que quadruple.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il faudrait un million.
M. de Brouckere. - Je vous le demande, que dirait la chambre, si, au lieu d’un subside de 24,000 francs, on venait lui demander une somme annuelle de 100,000 francs pour l’érection d’un jardin botanique à Bruxelles. La chambre refuserait.
Du reste, le chiffre que l’on demande est le résultat d’une convention ; cette convention a été débattue dans la chambre, et c’est en connaissance de cause qu’elle a voté pour la première fois la somme de 24,000 qui vous est demandée.
On dit qu’on a le droit de vendre des fleurs au jardin botanique. Mais à un jardin botanique je ne sais pas ce qu’on pourrait vendre d’autre que des plantes et des fleurs.
Un membre. - On ne vend pas de fleurs à Paris.
M. de Brouckere. - Mais nous ne sommes pas à Paris ; à Paris, le jardin botanique est organisé sur un tout autre pied ; il coûte des sommes considérables. Je ne pense pas que l’honorable M. Delehaye fût disposé à voter les fonds qui seraient nécessaires pour organiser à Bruxelles un jardin botanique qui pût être comparé à celui de Paris.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il faudrait un million.
M. de Brouckere. - M. le ministre de l’intérieur nous a promis de prendre des renseignements sur ce qui se passe au jardin botanique de Bruxelles, et si l’administration laissait à désirer, ce dont je doute, il a pris l’engagement de prendre dans ce cas des mesures qui satisferaient l’honorable orateur.
M. Manilius. - Je n’entrerai pas dans l’examen de l’utilité ou de l’inutilité du jardin botanique de Bruxelles ; je parlerai seulement de la concurrence que cet établissement fait aux horticulteurs particuliers. J’appuie, sous ce rapport, tout ce que nous a dit l’honorable M. Delehaye. M. le ministre de l’intérieur a promis d’examiner la question ; j’espère qu’il fera spécialement attention à ce point. Je ne m’occupe pas de la bonne ou de la mauvaise administration ; je crois que la société n’est que trop bien administrée, au point de vue de ses intérêts ; mais j’appelle l’attention particulière de M. le ministre sur la concurrence qu’elle fait aux horticulteurs patentables qui ont droit à la protection du gouvernement tout aussi bien que la société.
- L’article est adopté.
« Article unique. Encouragement à l’agriculture : fr. 393,000 »
- Ce chapitre est adopté sans discussion.
« Article unique. Frais d’impression des listes alphabétiques : fr. 1,600 »
- Ce chapitre est adopté sans discussion.
« Article unique. Frais de voyage de l’inspecteur-général de la garde civique, des aides-de-camp qui l’accompagnent, et frais de bureau de l’état-major ; achats, séparation et entretien des armes et équipement de la garde civique : fr. 20,000 »
- Ce chapitre est adopté sans discussion.
« Article unique. Médailles et récompenses pécuniaires pour actes de dévouement et de courage : fr. 5,000 »
- Ce chapitre est adopté sans discussion.
« Article unique. Dotation en faveur des légionnaires et veuves de légionnaires peu favorisés de la fortune, et pensions de 100 francs par personne aux décorée de la croix de fer, non pensionnés d’autre chef, qui sont dans le besoin : fr. 76,000 »
M. Delfosse. - Messieurs, je ne viens pas aborder en ce moment la question soulevée par les légionnaires de l’empire. Cette question est trop importante pour être discutée à l’occasion des budgets, elle doit faire l’objet d’une discussion toute spéciale ; mais je pense que la chambre devrait mettre à l’ordre du jour le rapport qui a été fait sur cette question par l’honorable M. Fallon. Cette question ne peut pas toujours rester pendante. Les légionnaires ne réclament pas à titre de faveur, ils prétendent ne réclamer que ce qui leur est dû. La question est de nature à être portée devant les tribunaux mais elle ne peut être portée devant les tribunaux avant que la chambre ait pris une décision ; si la décision de la chambre est favorable aux légionnaires, alors tout procès deviendrait inutile. Je pense, messieurs, qu’on ne peut pas faire attendre perpétuellement les légionnaires. Ce serait une espèce de déni de justice ; la chambre leur doit, elle se doit à elle-même de mettre la question à l’ordre du jour.
M. Lange. - Je viens appuyer la proposition de l’honorable M. Delfosse. Aux motifs qu’il a fait valoir, je me permettrai d’ajouter qu’en 1833 l’honorable M. Corbisier reproduisit une proposition qu’il avait déjà faite en 1832, en faveur des légionnaires. Cette proposition, après avoir été développée par son auteur, fut prise en considération et renvoyé à l’examen d’une commission spéciale. En 1835, l’honorable M. Fallon fit un rapport sur cette proposition, mais la discussion de ce rapport fut successivement ajournée. On espérait que dans les négociations avec la Hollande, le gouvernement pourrait parvenir à amener un résultat favorable pour les légionnaires, mais cet espoir paraît être déçu, d’après les explications qui ont été données à la chambre lors de la discussion du traite du 5 novembre. Je le répète donc, messieurs, je m’associe à la demande de l’honorable M. Delfosse et j’espère que la chambre mettra le rapport de M. Fallon à l’ordre du jour afin que nous ayons enfin une décision sur cette question importante.
M. Fallon. - Je crois, messieurs, devoir prendre la parole, parce que les explications données par mon honorable voisin ne sont pas parfaitement exactes.
M. Corbisier a fait une proposition qui avait pour objet de rétablir au budget les anciens membres belges de la Légion d’honneur. Cette proposition a été prise en considération et renvoyée à une commission. Lorsque cette commission eut fait son rapport, le projet de loi fut mis en discussion ; la discussion fut très longue, beaucoup d’amendements furent présentés. L’un de ces amendements, proposé par l’honorable M. de Brouckere, tendait à faire porter seulement au budget le traitement de simples membres et de le réduire, je pense, à 250 fr. par an. Un autre amendement présenté par M. de Robiano, tendait à peu près au même but. Un troisième amendement présente par M. Donny, tendait à faire porter au budget seulement le traitement des anciens membres militaires de la Légion d’honneur.
Après une longue discussion sur ces divers amendements, la chambre finit par se trouver assez embarrassée. Elle était assez disposée à porter au budget une somme pour venir au secours des membres de la Légion d’honneur ; mais ceux qui défendaient les intérêts des légionnaires ne voulaient pas qu’on votât une somme à titre de gratification ; ils soutenaient que les légionnaires avaient des droits acquis à la charge de la Belgique et qu’en conséquence il fallait voter, non seulement les traitements des membres militaires, non seulement les traitements des simples membres mais aussi ceux des officiers et des grands officiers. La chambre voulut donc s’éclairer d’abord sur le point de droit, sur la question de savoir si en effet les anciens membres de la Légion d’honneur avaient des droits acquis à charge de la Belgique, et elle renvoya l’examen de ce point de droit à une commission spéciale. J’ai été chargé de présenter le rapport de cette commission. Elle a été d’avis que les légionnaires n’avaient aucun droit à exercer contre la Belgique.
Vous voyez donc, messieurs, que si l’on met quelque chose à l’ordre du jour, ce ne peut pas être mon rapport, puisqu’il ne renferme aucune espèce de conclusion, qu’il se borne à émettre un avis sur un point de droit.
J’appuierai volontiers toute proposition qui aura pour objet de venir au secours des légionnaires de l’empire, mais je pense que si la chambre veut mettre quelque chose a l’ordre du jour, ce doit être la proposition même de M. Corbisier, c’est-à-dire, le projet de loi dont la chambre est saisie.
D’un autre côté, depuis 1835, l’état des choses doit nécessairement être changé, on avait demandé alors divers renseignements sur la question de savoir jusqu’à quel point le pays pourrait se trouver engagé, si l’on décidait que les traitements des légionnaires seront portés au budget. D’après des calculs faits à cette époque, il paraissait qu’il devait en résulter une charge de 60,000 florins. Depuis lors un certain nombre de légionnaires sont décédés et, par conséquent, la somme ne serait plus aussi élevée. Je pense qu’avant de mettre le projet de loi à l’ordre du jour, il conviendrait de demander à M. le ministre de nous fournir un nouveau tableau des chevaliers et officiers de la Légion d’honneur qui existent encore. La chambre verrait par là jusqu’à quel point son vote peut engager le pays.
M. Delfosse. - Messieurs, lorsque la pétition des légionnaires de l’empire a été adressée à la chambre, j’ai demandé qu’elle fût renvoyée à la section centrale chargée d’examiner le budget de l’intérieur, pour que cette section centrale nous fît un rapport. M. le ministre de l’intérieur fit observer alors qu’un rapport sur la même question avait été fait par l’honorable M. Fallon, et qu’à l’occasion de la discussion du budget de l’intérieur, on pourrait demander la mise à l’ordre du jour de ce rapport. Je n’ai donc fait que suivre la marche indiquée par M. le ministre de l’intérieur.
L’honorable M. Fallon nous dit que son rapport ne contient point de conclusions. Eh bien, je ne tiens pas à ce que la chambre mette à l’ordre du jour plutôt le rapport de M. Fallon que telle ou telle proposition, maie je tiens à ce que la chambre mette à l’ordre du jour la question soulevée par la réclamation des légionnaires. C’est là le but des observations que j’ai eu l’honneur d’adresser à la chambre.
L’honorable M. Fallon a fait remarquer que la position n’est plus la même qu’à l’époque où son rapport a été fait, que de nouveaux renseignements pourraient être fournis à la chambre par M. le ministre de l’intérieur. Cette observation de M. Fallon n’est pas un obstacle à ce que la question soit mise à l’ordre du jour. Lorsque la chambre aura mis la question à l’ordre du jour, rien n’empêchera M. le ministre de l’intérieur de lui procurer les documents dont elle aura besoin pour s’éclairer. C’est même à l’approche de la discussion que la production de ces documents pourra être utile.
Je persiste donc dans la proposition que j’ai faite. Je le répète, la question ne peut pas éternellement rester pendante. Je sais que la chambre a à s’occuper de travaux très importants, et je ne voudrais pas interrompre la discussion des budgets ni d’autres questions d’une grande importance, mais je pense que vous pourriez fort bien mettre cet objet à l’ordre du jour à la suite des conclusions de la commission d’enquête.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je consens très volontiers à recueillir les nouveaux renseignements demandés par l’honorable M. Fallon. Je ferai mon possible pour transmettre dans un bref délai ces renseignements à la chambre, et je pense qu’alors on pourrait renouveler la motion tendant à faire mettre la question à l’ordre du jour. Les renseignements que je fournirai seraient imprimés avec les anciennes pièces, car il devient indispensable de réimprimer la proposition de M. Corbisier et le rapport de M. Fallon. Je pense, messieurs, que c’est la marche que nous devons suivre.
M. de Garcia. - Il me semble que la marche à suivre serait de renvoyer la pétition à la commission ; si le rapport de la commission est favorable, M. le ministre pourra, sur les conclusions de ce rapport, présenter les explications qui lui sont demandées. Il me semble que si la chambre s’occupait de la pétition sans avoir un rapport de la commission, ce ne serait pas suivre la marche ordinaire.
Quand la chambre veut s’occuper d’une pétition, elle commence par la renvoyer à la commission des pétitions ; la commission fait ensuite un rapport, et conclut au renvoi de la pétition à tel ou tel ministère, avec demande d’explications dans certains cas ; je crois que dans le cas actuel il y aura lieu de proposer le renvoi, avec demande d’explications.
Il me semble, en conséquence, qu’il y a lieu de renvoyer la pétition à la commission, en invitant celle-ci à faire un rapport dans le plus bref délai. C’est la seule marche que nous puissions suivre d’après les antécédents de la chambre.
M. Fallon. - Je dois faire observer que, l’année dernière, on a réimprimé toutes les pièces relatives a cette question, et que depuis lors aucune pièce nouvelle n’a été produite.
M. Delfosse. - Messieurs, l’honorable M. de Garcia vient de dire que je propose à la chambre de s’écarter de la marche qu’elle a suivie jusqu’à présent ; que la chambre ne peut s’occuper d’une pétition que lorsqu’il y a un rapport. Je prie l’honorable membre de remarquer que c’est précisément ce que j’avais demandé, il y a quelques jours ; mais lorsque j’ai proposé qu’un rapport fût fait, M. le ministre de l’intérieur fit observer qu’un rapport avait déjà été fait, qu’un nouveau rapport était inutile, que ce serait enter un rapport sur un autre. C’est par suite de cette observation de M. le ministre de l’intérieur que je n’ai pas insisté pour qu’un nouveau rapport fût fait.
M. de Garcia. - Messieurs, ce que vient de dire l’honorable M. Delfosse n’établit en aucune manière qu’il y ait contradiction entre ce que je propose aujourd’hui et ce que je demandais dans une séance précédente, en appuyant alors le dépôt sur le bureau de la pétition des membres de la Légion d’honneur de l’empire. Je pouvais penser qu’à l’occasion du crédit en discussion, en regard de la pétition qui a été adressée à la chambre ; je pouvais penser, dis-je, que l’honorable M. Delfosse ferait une proposition directe au budget de l’intérieur, ce qui aurait pu avoir lieu, puisqu’il s’agissait d’un subside. C’est dans ce but que j’ai provoqué le dépôt de la pétition sur le bureau. Or, maintenant que le budget de l’intérieur est à l’ordre du jour, l’honorable M. Delfosse ne fait aucune proposition de subside ; il demande seulement qu’on examine isolément les réclamations des légionnaires. Dans cet état exact des faits, il n’y a nulle inconséquence dans ma conduite, et je suis fondé à demander qu’on suive la marche ordinaire, et qu’on renvoie la pétition, à la commission des pétitions, afin d’avoir sur cet objet, comme sur tous les autres, un rapport complet.
M. Delfosse. - L’honorable M. de Garcia oublie qu’il y a un projet de loi, et que la pétition peut être considérée comme une pièce à consulter.
M. Rogier. - Messieurs, la somme de 76,000 francs est destinée, entre autres, à accorder une pension de 100 francs par personne, aux décorés de la croix de fer, non pensionnés d’autre chef qui sont dans le besoin.
Il paraît que cet article n’est pas encore entièrement appliqué à toutes les personnes de cette catégorie qui sont dans une position nécessiteuse.
Je voudrais savoir de M. le ministre de l’intérieur, si ce renseignement est exact. Si effectivement le chiffre est insuffisant, je prierai M. le ministre de vouloir bien proposer à la chambre de l’augmenter.
Je ferai remarquer que cette augmentation de dépenses serait susceptible d’être admise par la chambre, d’abord parce qu’elle est peu considérable en elle-même, et qu’ensuite elle doit s’éteindre d’année en année. Je crois qu’il est convenable de faire pour les décorés de la croix de fer ce que l’on fait pour les décorés de la Légion d’honneur. Or, à ceux-ci, on accorde une pension avec une certaine libéralité. Je n’en fais pas un reproche au gouvernement, il a raison d’être très large dans la répartition de ce crédit ; je demande qu’il se montre aussi libéral pour les décorés de la croix de fer.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, lorsque j’ai demandé, l’année dernière, le chiffre de 76,00 fr., et lorsqu’en juin dernier, époque où le budget de 1844 a été rédigé, j’ai porte la même allocation à ce budget, j’avais lieu de croire que la somme de 76,000 francs suffirait. On avait aussi fait un calcul des chances de mortalité. Depuis lors, 55 autres décorés de la croix de fer ont réclamé, et il a été constaté qu’ils se trouvent dans une position nécessiteuse ; or, ils ne pourraient pas prendre part à l’allocation, si elle n’était pas augmentée. 55 réclamants, à raison de 100 fr. par personne, cela ferait 5,500 fr. ; mais je compte qu’il y aura une réduction de 1,400 francs sur l’ensemble de l’allocation, par l’effet de la mortalité. Il y aurait donc à porter 4,000 fr, de plus, c’est-à-dire, à voter une allocation de 80,000 fr. Moyennant cette allocation, on pourra admettre au bénéfice de la disposition les 55 nouveaux réclamants. Je crois, du reste, que nous sommes arrivés au maximum de cette munificence nationale ; je pense qu’à partir de l’année prochaine, le chiffre ira déjà peut-être en décroissant.
- Le chiffre de 80,000, proposé le gouvernement, est mis aux voix et adopté.
« Art. 1er. Ecoles de navigation : fr. 16,000 »
« Art. 2. Chambres de commerce : fr. 12,000 »
« Art. 3. Portion imputable sur l’exercice 1844 de la garantie accordée par le gouvernement pour l’exportation des produits de l’industrie cotonnière : fr. 65,000 »
- Ces trois articles sont adoptés sans discussion.
« Art. 4. Frais divers et frais de rédaction et de publication de la statistique industrielle et agricole : fr. 45,500 »
M. Castiau. - Messieurs, à l’occasion de cet article, je tiens à faire observer à M. le ministre de l’intérieur qu’il est en contradiction avec ses doctrines, et qu’il viole de la manière la plus outrageante, non pas cette centralisation envahissante dont j’ai combattu la tendance, mais même cette centralisation administrative que j’ai reconnue le premier, être dans les attributions du gouvernement.
Voici, en effet, un article spécial pour la statistique industrielle et commerciale. Les frais de rédaction de cette statistique ne s’élèvent pas à moins d’une somme de 45,500 fr. Eh bien, si vous voulez revenir un moment sur vos pas, et consulter un article antérieur du budget, vous verrez qu’il y existe aussi un chapitre exclusivement consacré à la statistique. Je veux parler du chap. IlI, intitulé Statistique générale, et composé d’un article unique : « Frais de publication des travaux de la direction de la statistique générale et de la commission centrale, ainsi que des commissions provinciales. »
Je reconnais ici l’idée favorite de M. le ministre. Voilà bien l’application la plus radicale de la centralisation à la statistique.
Maintenant, je demande à M. le ministre de l’intérieur, comment, en présence de cette commission centrale, il vient détacher des attributions de cette commission la statistique agricole et la statistique industrielle ? Est-ce que la commission centrale ne doit pas porter ses investigations et ses lumières sur la statistique agricole et industrielle ? Est-ce que la statistique industrielle et agricole ne forme pas la partie principale de la statistique générale ?
Et voyez, messieurs, comment s’aggrave encore la contradiction ministérielle ; c’est que, quand il s’agit de la statistique générale, de la commission centrale, on propose seulement une somme de 25,000 fr. ; s’agit-il, au contraire, de la statistique industrielle et agricole, on se montre alors plus généreux, et l’on arrive à une somme de 45,000 fr., de sorte que les branches qu’on a détachées de la statistique générale coûtent plus, pour la rédaction, que la statistique générale elle-même.
Et savez-vous à quel travail a été consacrée, pour l’année 1843, une allocation considérable de 45,000 ? Vous allez penser sans doute qu’elle a été affectée à recueillir des renseignements et des documents de toute nature ; détrompez-vous ; la commission spéciale de statistique industrielle et agricole se serait bornée, d’après les explications qui ont été fournies par M. le ministre de l’intérieur, à préparer un plan général de cette statistique ; c’est donc uniquement pour arriver à la préparation d’un plan, c’est-à-dire, à la préparation de simples cadres, que l’allocation a été employée. Là s’est borné tout le travail de la commission spéciale.
il y a donc une nécessité à mettre quelque ordre, quelque unité dans ce travail si important de la statistique, travail qui prend, chaque jour, plus d’étendue et qui augmente en dépense.
Je désirerais donc savoir pourquoi M. ministre de l’intérieur a détaché du chapitre de la statistique générale ce qui est relatif à la statistique agricole et industrielle ? pourquoi il propose deux chiffres ? pourquoi il demande un chiffre plus considérable pour la statistique agricole et industrielle que pour la statistique centrale elle-même ? Il y a là une véritable anomalie administrative.
Je demande que M. le ministre de l’intérieur veuille bien y mettre un terme, et rende à la commission centrale la rédaction de la statistique industrielle et agricole qui est une des attributions principales de cette commission.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, vous voudrez bien vous rappeler ce que l’honorable préopinant ne peut savoir, qu’autrefois 60,000 fr. figuraient au budget pour la statistique commerciale et industrielle c’est le chiffre le plus ancien. Un de mes prédécesseurs a institué la commission centrale de statistique ; cette commission a un caractère plus scientifique que ne l’ont les travaux du bureau de statistique industrielle et commerciale. Le chiffre de 60,000 fr. a alors été réduit à la somme de 45,000 fr.
Quant à la question de savoir s’il ne fallait pas supprimer le bureau de statistique industrielle et agricole, le fondre dans la commission centrale, c’est une question que l’on pourra examiner, toutefois en tenant compte des faits, parce qu’il est impossible de ne pas tenir compte des faits, et par faits j’entends ici certaines positions personnelles.
Une statistique industrielle et agricole, qui se prépare aujourd’hui dans ce bureau spécial et qui peut être aussi aurait pu se préparer dans la commission centrale ; une statistique de ce genre serait de la plus haute utilité, entre autres, pour nos discussions. Nous sommes saisis dans ce moment d’un projet de loi sur le tabac ; il nous serait extrêmement utile d’avoir des renseignements, d’abord sur la culture et en second lieu sur la fabrication du tabac. Ces renseignements nous manquent complètement. A chaque instant, nous rencontrons des lacunes de ce genre. Nous n’avons de renseignements que sur le mouvement du commerce extérieur, nous n’en avons pas sur la position de l’agriculture et de l’industrie à l’intérieur. Voilà le but de la statistique industrielle et agricole. Quant à l’autre, c’est une question d’administration que j’examinerai. Du reste, la centralisation existe par cela même que la commission centrale et le bureau de statistique se trouvent sous la main du même ministre.
M. Castiau. - Je crois devoir revenir sur ce que j’ai dit, et je prétends de nouveau, malgré l’assertion contraire de M. le ministre de l’intérieur qu’il n’existe véritablement pas de centralisation administrative pour la statistique. Ainsi, il peut y avoir un désaccord entre la commission de statistique industrielle et agricole et la commission centrale. La commission de statistique industrielle et agricole est chargée de recueillir elle-même des renseignements spéciaux ; devant faire porter ses recherches sur l’industrie et l’agriculture, il doit nécessairement y avoir double emploi avec le travail de la commission centrale, dont les recherches devraient également porter sur les mêmes matières.
Je ne pense pas qu’on doive s’arrêter devant les considérations personnelles invoquées par M. le ministre. C’est ici une question d’unité administrative et en même temps une question d’économie. Nous devons voir l’intérêt du service et non la convenance des personnes.
M. le ministre a prétendu que l’unité existait, parce que les deux commissions, quoique divisées, ressortissaient à son département.
Mais je dois faire remarquer à M. le ministre qu’indépendamment de la contradiction qu’offre, dans le même ministère, l’institution d’une commission centrale et une commission spéciale pour le même objet, il y a encore d’autres travaux statistiques qui devraient dépendre du bureau central et qui ne s’y rattachent en rien. Ainsi l’administration des finances a aussi sa statistique qui souvent doit former double emploi avec la statistique centrale de l’intérieur. Il en est de même du département de la justice. C’est un véritable dédale de statistique. Il est temps de mettre un terme à cette confusion et de soumettre les statistiques ministérielles à une pensée d’ensemble. Il est vraiment étrange que ce soit un homme à la tête duquel on jette avec une sorte d’affection le reproche de décentralisation, qui doive indiquer au ministère l’anarchie qui existe dans ses bureaux et le moyen de la faire disparaître.
(Moniteur belge n°25, du 25 janvier 1844) M. Malou. - J’ai l’honneur de faire partie de la commission centrale de statistique. Elle a été instituée dans des vues de centralisation administrative ; et ces vues que l’honorable membre vient d’exposer, la commission centrale s’attache par tous ses actes à les réaliser. On a établi un centre pour qu’il y eût de l’unité dans le travail ; mais il ne fallait pas que ce centre, établi au ministère de l’intérieur, absorbât toutes les opérations des autres ministères pour prévenir tout double emploi dans les publications. On aurait exagéré un principe très bon si on avait concentré au ministère de l’intérieur toutes les publications qui peuvent se faire aux différents départements ministériels. Je trouve très bon qu’il y ait au département de la justice un bureau de statistique judiciaire.
Il serait impossible de faire une bonne statistique judiciaire au ministère de l’intérieur. Je dis la même chose pour la statistique financière et pour celle des travaux publics, pour tous les départements ministériels, en un mot. Mais ce qu’on a voulu, c’est que toutes les publications fussent faites sous le contrôle d’un corps unique, de la commission centrale, qui prévient tout double emploi dans les publications, donne de l’unité au travail, revoit les modèles des tableaux de statistique et les renseignements qui sont demandés par les diverses administrations. Cette commission se rattache au ministère de l’intérieur ; des délégués des différents départements ministériels en font partie, entre autres le président de la commission de statistique agricole et industrielle. Les modèles des tableaux de statistique agricole vont être soumis à la commission centrale.
- L’article est mis aux voix et adopté.
« Art. 5. Encouragement pour la navigation à vapeur entre les ports belges et ceux d’Europe, ainsi que pour la navigation à voiles, sans que, dans l’un ni l’autre cas, les engagements puissent obliger l’Etat au-delà du crédit alloué pour 1844, et sans que les subsides puissent excéder fr. 40,000 par service : fr. 115,000. »
La section centrale propose une réduction de 15,000 fr.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je ne puis admettre cette réduction. La seule modification à laquelle je pourrais me rallier serait de faire figurer les 15 mille francs à la colonne des crédits extraordinaires. Voici pourquoi ces 15 mille francs sont demandés pour une éventualité : L’année dernière, un service s’est fait gratuitement, en acceptant certaines conditions du gouvernement ; si cela continue cette année, les 15 mille francs ne seront pas employés, ou du moins ne le seront pas intégralement. Je ne veux rien préjuger pour la somme qui devra être portée au budget futur, mais par suite de cette circonstance extraordinaire, je consentirai à ce qu’on fasse figurer les 100 mille francs aux crédits ordinaires, et les 15 mille fr. aux crédits extraordinaires.
M. de Brouckere. - Messieurs, je viens appuyer la proposition du gouvernement et je ne crains pas de dire que l’allocation de cent mille francs votés en 1842 et 1843, pour encouragements à accorder à la navigation transatlantique à voiles est une de celles qui ont produit les meilleurs résultats. Messieurs, ainsi que vous le voyez dans les explications données à la section centrale, par M. le ministre de l’intérieur, l’allocation des primes par le gouvernement, au moyen du crédit dont nous nous occupons, a amené une exportation très considérable de nos produits. Vingt et un départs ont eu lieu en 1843 et aucun n’a quitté nos ports sans emporter une certaine quantité de nos draps, de nos armes, de nos verres à vitre, de nos clous et de nos genièvres.
Messieurs, l’établissement régulier de services de navigation à voiles a eu et doit continuer à avoir des résultats très avantageux pour notre commerce. Depuis que ces correspondances particulières ont été établies, le fret a successivement diminué, et notre concurrence sur les marchés étrangers est devenue plus facile ; d’un autre côté, on conçoit que les industriels se livrent plus facilement à des opérations quand il y a certitude qu’il y aura, à certaines époques, des départs assurés, qu’aucune circonstance ne peut retarder, car quand un bâtiment a été accepté pour départ fixe, il y a une amende très forte que le propriétaire du navire doit payer pour chaque jour de retard.
Messieurs, je puis dire avec certitude qu’il n’y a pas un seul point du globe vers lequel le gouvernement a établi un service de navigation régulier, qui n’ait été à l’instant même l’objet d’études spéciales de la part du commerce. A chaque départ, il y a eu des envois d’échantillons de nos fabricats et des essais d’expéditions. Il en doit nécessairement résulter à la longue, l’établissement de relations commerciales importantes et suivies. D’un autre côté, le crédit mis à la disposition du gouvernement l’a mis à même de favoriser quelque peu la navigation nationale. Vingt-trois navires ont été présentés en 1843 pour participer aux faveurs du gouvernement, et 15 ont obtenu les primes allouées et trouvé de cette manière un emploi avantageux ; si vous n’admettiez pas le chiffre demandé par le gouvernement, vous l’exposeriez, dans un cas, qui peut-être ne se réalisera pas, à devoir suspendre un service qui peut être d’une très grande utilité pour le pays. Il est possible que les 15 mille francs demandés ne seront pas dépensés. J’insiste donc pour que la proposition du ministre de l’intérieur soit adoptée. Après le consentement qu’il a donné à ce que le chiffre soit divisé en deux et que 100,000 fr. soient portés aux crédits ordinaires, et 15,000 fr. aux crédits extraordinaires, pour n’être employés qu’en cas de nécessité, je pense que la chambre ne peut pas hésiter à allouer la somme demandée.
M. Maertens, rapporteur. - La section centrale n’a pas contesté les avantages qui résultaient, pour la navigation, du subside voté précédemment et qui pourraient résulter du subside demandé. Voici ce qui a arrêté la section centrale : tout subside doit être justifié avant que la section centrale puisse l’admettre. Voici les motifs donnés par le gouvernement pour justifier l’augmentation de 15 mille francs demandée :
« Les services réguliers de la navigation à voiles, actuellement existants, entraîneront, pour 1843, une dépense totale de 78,000 fr. environ, ce qui, joint à un subside de 22,000 francs alloué pour le soutien de la navigation à vapeur entre la Belgique et l’Angleterre par navires belges, absorbera le crédit tout entier. Parmi les services réguliers à voiles, il en est un, celui vers Rio, qui subsiste sans subside. C’est une économie de 20 à 30,000 francs par an pour le gouvernement ; mais dans l’éventualité où il deviendrait nécessaire de le subsidier comme les autres, afin d’en assurer le maintien, et peut-être même de donner au besoin plus d’extension aux autres services en 1844, il convient d’allouer au gouvernement une augmentation de crédit de 15,000 francs. »
Des sections et la section centrale ont cru voir dans cette note un appel à la demande d’un subside dont ce service s’était passé jusqu’à présent. Elles ont cru qu’il était imprudent d’agir ainsi, que c’était dire aux armateurs : « Vous n’avez qu’à demander un subside pour l’avoir ; les fonds sont disponibles. » Voilà pourquoi quatre membres de la section centrale ont cru ne pas devoir admettre ce crédit de 15,000 francs. Trois autres (je suis de ce nombre) se sont abstenus, en attendant des explications.
Maintenant que l’appel est fait à cette société, il est probable qu’elle va demander ce subside, ainsi qu’on l’y a, pour ainsi dire, conviée. Je pense donc que la chambre ne peut faire autrement que d’allouer les 15,000 fr, sauf à les voTer comme dépenses extraordinaires. Si elle est réclamée, on l’accordera. Mais il n’y aura rien de décidé pour l’exercice prochain. Malheureusement il est très probable que la somme sera réclamée.
(Moniteur belge n°24, du 24 janvier 1844) M. Desmet. - On ne peut s’empêcher de reconnaître qu’il faut agir de manière à exporter nos produits et à leur ouvrir des débouchés. Si le subside est employé, c’est dans ce but. S’il ne l’est pas, il n’y a pas de plaintes faire sur la dépense.
J’ai demandé la parole pour attirer l’attention de M. le ministre de l’intérieur sur un nouveau débouché. Nous voyons l’Angleterre, la France et l’Allemagne envoyer des expéditions en Chine. C’est un marché considérable, mais qui sera perdu pour l’industrie de notre pays, si l’on ne prend aucune mesure. Vous avez envoyé un consul, direz-vous. Mais qu’a-t-on fait ? On a envoyé le consul de Syngapore, qui est un envoyé secondaire. J’aurais désiré que le gouvernement portât son attention sur cet important marché. J’aurais désiré qu’il y envoyât un homme considérable.
Je voudrais aussi que le poste vacant à Syngapore fût rempli.
Mais je ne saurais trop recommander au gouvernement le marché de la Chine, ce débouché important qui vient d’être ouvert à l’industrie européenne et dont déjà l’Angleterre et la France cherchent à profiler.
M. Lesoinne. - Je viens appuyer le chiffre demandé par le gouvernement.
J’appuie les observations de l’honorable préopinant sur le commerce avec la Chine. C’est un marché nouveau. Je crois qu’il est nécessaire que nous ne nous laissions pas devancer par les autres nations, quant à l’exportation des produits de l’industrie. Je demanderai à M. le ministre de l’intérieur s’il ne se propose pas d’envoyer une expédition dans ce pays. Je crois qu’il serait nécessaire d’y envoyer une ambassade, comme les autres nations ; car c’est un pays avec lequel il est nécessaire d’établir des relations qui offrent de la stabilité.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cette question n’a pas pu échapper à l’attention du gouvernement. L’ouverture de l’empire chinois au commerce européen est certes un des événements contemporains les plus remarquables. Fallait-il envoyer en Chine une grande ambassade qui eût un caractère diplomatique ? C’est une question que le gouvernement a examinée. Aucune somme ne vous a été demandée à ce titre au budget des affaires étrangères. Il faut en conclure que le gouvernement a résolu la question négativement.
Ce n’est pas à dire pour cela que le gouvernement ait renoncé à toute mesure qui tendrait à faire admettre le commerce belge sur le marché de la Chine. Quant à ces mesures, je ne crois pas devoir m’en expliquer maintenant devant la chambre.
M. de Foere. - Eu égard à la situation déplorable de notre navigation commerciale, je n’ai pas contesté l’utilité des subsides accordés, depuis quelques années, pour l’établissement d’une navigation régulière vers quelques ports désignés par le gouvernement ; mais ces subsides ne produisent pas les avantages qu’on semble leur attribuer.
Ils sont absorbés par des armateurs qui acceptent la condition de diriger leurs navires à dates fixes vers les ports indiqués par le gouvernement.
Ils leur donnent la faculté de charger les marchandises du pays et de l’étranger à un fret inférieur de moitié au fret ordinaire. Il en résulte que les autres armateurs-négociants, lorsqu’ils font des exportations vers les mêmes ports, ou vers les ports voisins, sont obligés de charger à 40 francs le tonneau, tandis que les navires subsidiés chargent à 20 francs le tonneau. Si donc ce subside est utile aux uns, il est nuisible aux autres.
Il serait plus rationnel qu’un subside fût aussi accordé aux armateurs-négociants qui exportent nos produits et qui sont aujourd’hui exclus des faveurs du gouvernement. Il en est qui exportent vers les mêmes ports ; il en est d’autres qui exportent vers d autres ports ; il en est même qui cherchent des débouchés nouveaux. Remarquez, en outre, que quelques-uns exportent, non pour compte de l’industrie mais pour leur propre compte, ce qui est beaucoup plus avantageux pour l’industrie. Je demanderai donc si l’intérêt du pays n’exigerait pas qu’une part du subside fût appliquée aux entreprises ou aux expéditions de ces armateurs-négociants
Si l’honorable ministre de l’intérieur partageait cette opinion, je lui proposerai d’accorder à ces armateurs une part du subside d’après le nombre de tonneaux de marchandises belges qu’ils exportent, Aujourd’hui, ce n’est pas seulement l’industrie belge qui profite du subside ; c’est, en outre, l’industrie étrangère ; car elle profite aussi de la modicité du prix du fret. Sous ce rapport, le mode de répartition que je viens d’indiquer serait plus juste et en même temps plus avantageux au pays.
On conçoit que l’industrie étrangère, profitant du subside, lutte avec plus d’avantage avec notre industrie sur les marchés lointains.
Je propose donc à M. le ministre de l’intérieur d’accorder également un subside à ces armateurs-négociants et de le répartir de la manière que je viens d’indiquer.
M. Osy. - Je pourrais partager l’opinion de l’honorable préopinant, si notre marine marchande était plus considérable. Mais aujourd’hui qu’il y a peu de navires, et qu’on ne peut en construire, avant de savoir quel système commercial sera adopté, je crois que la marche qu’on suit est celle qui convient le mieux.
Nous avons si peu de navires que, pour faire partir des navires régulièrement, on est obligé de prendre des navires qui ne sont pas encore de retour et en calculer le retour probable.
Il ne faut rien changer maintenant au système adopté. Si nos constructions de navires prennent un plus grand développement, le gouvernement pourra peut-être changer de système.
Il est vrai que l’industrie étrangère profite du taux peu élevé du fret ; mais le pays gagne ; car vous avez le transit et le retour des marchandises venant des colonies.
Deux honorables préopinants nous ont parlé de la Chine. Il serait inutile d’y envoyer une ambassade, de faire à cet égard de grands frais. Nous avons à Manille un consul sur les soins duquel, d’après les conversations que j’ai eues avec lui, je pense que nous pouvons nous reposer. Je suis convaincu qu’il nous donnera un rapport exact et étendu sur le commerce avec ce pays. Déjà un navire, favorisé d’un subside et d’un équipage de l’Etat, est parti pour Batavia et Syngapore. Un navire est en charge à Anvers pour la Chine. Avant de faire d’autres frais, nous devons attendre le rapport du consul dont tout le monde fait le plus grand éloge.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je me proposais, en réponse à l’honorable M. de Foere, de présenter une partie des observations qui vous ont été soumises par l’honorable M. Osy.
Vous savez comment s’organisent ces services de navigation transatlantiques. Un appel est fait dans le Moniteur ; le programme du service y est publié. Les observations de l’honorable M. de Foere tendraient à faire modifier ce programme. La question a été examinée. Ces observations ont fixé l’attention du gouvernement. Mais on a pensé qu’il était maintenant impossible d’admettre les modifications indiquées par l’honorable M. de Foere. La question se présentera sous une toute autre face, quand la chambre aura statué sur les conclusions de la commission d’enquête.
Aujourd’hui, messieurs, je pense qu’il faut rester dans cette position, que je regarde toutefois comme provisoire et transitoire.
- Le chiffre de 115,000 fr., proposé par le gouvernement, est mis aux voix et adopté.
« Art. 6. Primes pour construction de navires : fr. 40,000 »
- Adopté.
Art. 7. Pêche nationale : fr. 95,000 »
La section centrale propose une réduction de 5,000 fr.
M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il à cette réduction.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non, M. le président. L’honorable M. Donny va vous donner quelques explications sur la majoration demandée.
M. Donny. - Je regrette, messieurs, que la section centrale ait cru devoir repousser la faible majoration de 5,000 fr. demandée par le gouvernement pour encouragements à la pêche. J’espère que la chambre se montrera moins rigoureuse, et je l’espère parce que la demande de M. le ministre me paraît parfaitement justifiée.
Les années précédentes, nous avons voté 90,000 fr. pour encouragements de la pêche. De ces 90,000 fr., 10,000 étaient destinés à favoriser l’établissement d’une industrie nouvelle, la préparation de la morue sèche pour l’exportation. Restaient donc 80,000 fr, qui, d’après les intentions de la chambre, devaient être distribués à la pêche sous forme de primes. Or, messieurs, le gouvernement nous a appris par une note qui se trouve annexée au rapport de la section centrale, que les intentions de la législature n’ont pu recevoir leur exécution d’une manière intégrale, parce qu’il a fallu déduire sur la somme de 80,000 fr allouée pour primes, celle de 7 à 8,000 fr. pour faire face à des dépenses qui concernent la police de la pêche ; il y a eu insuffisance de 7 à 8,000 fr.
Pour remplir complètement les vues que nous avons eues à l’égard des primes, le gouvernement aurait donc dû vous demander une augmentation de 7 à 8,000 francs ; il se borne à vous en demander une de 5,000. Cette demande n’est donc pas trop forte ; si l’on peut lui faire un reproche, c’est d’être trop faible. J’espère dès lors que la chambre votera cette majoration.
Mais si je tiens à ce que la majoration de 5,000 fr. soit votée, je tiens tout autant, messieurs, à rectifier une idée erronée qui paraît s’être glissée dans l’esprit de tous les membres de la section centrale ou de quelques-uns d’entre eux.
Je lis dans le rapport une observation conçue en ces termes : « On remarque que depuis que la morue de Hollande ne nous arrive plus, La Belgique est privée de la bonne morue dite landorium. »
Ainsi, vous le voyez, dans l’opinion de la section centrale ou de quelques-uns de ses membres, on ne préparerait pas en Belgique de cette espèce de morue connue sous le nom de landorium, et d’un autre côté, il ne nous arriverait plus de morue de la Hollande.
Messieurs, ce sont là deux faits erronés. Les auteurs de l’observation de la section centrale ont été induits en erreur par des rapports qui ne sont pas exacts.
D’abord, en ce qui concerne la morue landorium, je dirai qu’on en prépare dans ce pays tout aussi bien qu’en Hollande. Je tiens en main la preuve de ce fait. C’est un certain nombre d’exemplaires de la feuille d’annonce d’Ostende où se trouvent cotés les prix de la morue vendue en vente publique, et dans toutes ces ventes, je trouve la morue landorium cotée à part. C’est ainsi qu’à la vente du 18 septembre dernier (j’ai cru inutile de remonter plus haut), la morue landorium s’est vendue de 37 à 39 fr. la tonne, tandis que l’autre morue se vendait de 30 à 36 12 fr. ; à la vente du 2 octobre, la morue landorium s’est vendue de 43 50 à 45 fr. ; dans celle du 23 du même mois, elle s’est vendue à 44 fr. Enfin, pour ne pas abuser inutilement de l’attention de la chambre, je ne citerai plus que la dernière vente qui a été faite, celle qui a eu lieu le 13 de ce mois, dans laquelle la morue landorium s’est vendue de 56 à 60 fr.
Vous le voyez, sur ce premier point, la section centrale est dans l’erreur.
Elle n’est pas moins dans l’erreur, messieurs, lorsqu’elle croit que la morue de Hollande n’arrive plus en Belgique.
Il y a cinq ou six ans, la Hollande nous envoyait 4,000 tonnes de morue par an ; c’était là la provision, année commune. Cet état de choses causait un grand préjudice à l’industrie nationale et pour y remédier nous avons voté la loi du 10 avril 1841 qui a augmenté les droits d’entrée sur la morue étrangère de 15 fr. par tonne. Cette loi a produit des résultats ; elle a diminué l’importation de la morue ; mais c’est se tromper que de croire qu’elle a empêché complètement cette importation.
Dans l’année 1841, année qui a été partiellement soumise à l’influence de cette loi, il est encore entré 1992 tonnes de morue ; et dans l’année 1842, qui a été soumise tout entière au régime de cette loi, il en est encore entré 1172 tonnes. J’ai pris tous ces chiffres dans les tableaux statistiques officiels.
On peut donc admettre que, sous l’influence de la loi de 1841, il entre encore en Belgique mille tonnes de morue étrangère par an.
Je pense qu’en présence de ces explications, les auteurs de l’observation qui se trouve consignée dans le rapport de la section centrale reconnaîtront qu’ils ont été induits en erreur, et j’espère qu’ils se joindront à moi pour voter la majoration de fr. 5,000 demandée par le ministre.
M. Cogels. - Je ne m’opposerai pas au chiffre pétitionné par le gouvernement ; je crois qu’il est très utile d’encourager notre pêche nationale ; mais je voudrais que les règlements municipaux ne vinssent pas mettre obstacle aux résultats utiles de ces encouragements, et que les populations ne se trouvassent pas ainsi privées de poisson bien plus qu’elles ne l’étaient autrefois. Si mes renseignements sont exacts, des poissonniers armateurs n’auraient pas la faculté de vendre eux-mêmes le produit de leur pêche. Ils seraient forcés de porter ce produit à la minque, et de subir tous les frais et toutes les conséquences de cette minque.
Que résulte-t-il de cet état de choses ? C’est que si, d’une part, vous avez des encouragements, d’une autre part vous avez des mesures vexatoires qui ne peuvent tendre qu’à décourager l’industrie que le gouvernement protège.
Je ne prétends pas indiquer ici au gouvernement quels sont les moyens pour mettre un frein à cet état de choses ; je pense qu’il pourra les trouver. J’ai cru utile de signaler les circonstances afin que les sacrifices nous faisons ne soient pas au moins infructueux.
Le chiffre de 95,000 fr., demandé par le gouvernement, est mis aux voix et adopté.
« Art. 1er. Encouragement à l’industrie : fr. 105,000 fr. »
La section centrale propose de porter ce chiffre à 100,000 fr.
M. le président. - Le bureau a reçu un amendement à cet article. Il est ainsi conçu :
« Nous avons l’honneur de proposer à la chambre de porter à 200,000 fr. le subside proposé pour l’industrie linière.
« M. d’Elhoungne, Desmaisières, Delehaye, de Foere, Angillis, Van Cutsem, Manilius, de Villegas, de Muelenaere, Maertens, Coppieters, Deprey, de Meester, Verwilghen, Malou, Rodenbach, Donny, Desmet, Dedecker, de Roo. »
M. Van Cutsem. - Messieurs, l’industrie pour laquelle nous demandons un subside supérieur à celui qui figure au budget de l’intérieur, souffre beaucoup, et avec elle trois ou quatre cent mille personnes que nous devons secourir et empêcher de mourir de faim, quelles que soient les causes de l’état malheureux dans lequel se trouve la fabrication des anciennes toiles de Flandres.
Qu’on attribue la souffrance de l’industrie linière aux progrès immenses qu’a faits depuis le commencement de ce siècle la fabrication des tissus de coton, au système prohibitif qui a gagné de plus en plus les Etats étrangers, à la triste situation de l’Espagne, qui, avec ses colonies, était depuis des siècles un débouché capital pour la Belgique, en grande partie perdue aujourd’hui, au perfectionnement des machines à filer le lin ou enfin à nos tisserands qui ont fait mal à leur propre industrie en ayant recours à de déplorables moyens pour obtenir à meilleur marché leurs fabricats et soutenir ainsi plus facilement la concurrence des toiles mécaniques, toujours est-il qu’il y a dans les Flandres une misère telle que nous devons songer sérieusement à y porter remède.
Il importe à la sécurité du pays de secourir les Flandres qui, jusqu’à ce moment ont supporté leurs malheur avec résignation, et ont repoussé loin d’elles les malveillants qui voulaient exploiter leur dénouement, parce qu’elles n’auront peut-être pas toujours assez de vertu pour souffrir avec la même résignation ; oui, messieurs, les Flandres ont montré beaucoup de résignation depuis plusieurs années, mais elles ne pousseront peut-être pas cette vertu jusqu’à imiter ces sauvages dont nous parle le capitaine Buck, dans son voyage dans les régions arctiques, à la recherche du capitaine Ross, qui, placés sur une terre placée, sur un sol de neige durcie, lorsque la chasse et la pêche leur avaient fait défaut, mouraient patiemment de faim sans faire entendre une plainte, comme si elles n’eussent fait qu’accomplir ainsi une fonction pénible mais naturelle, à laquelle elles se seraient depuis longtemps attendues ; il y a un terme à tout, nous devons aller à leur secours et leur donner des moyens de travailler, en attendant que leur industrie reprenne un peu de son antique vigueur, ou qu’elles puissent trouver une existence en se livrant à d’autres travaux.
Nous vous prions d’augmenter le subside demandé pour l’industrie linière, pour que nos populations des Flandres ne manquent plus des choses nécessaires à l’existence ; nous vous demandons encore cette augmentation avec instance pour empêcher le nombre des misérables de s’accroître de jour en jour ; il en est, en effet, dans les Flandres comme en Irlande, comme partout ailleurs, la population des misérables y croit avec leur misère : cela est tellement vrai qu’avec un peu d’observation, on est forcé d’admettre que c’est à la limite extrême du dénouement, que les êtres humains se pressent en plus grand nombre pour se disputer le droit de souffrir, car comment expliquerions-nous encore l’augmentation de la population dans les Flandres où dans certaines localités les individus manquent presque de tout ce qui est nécessaire à la vie, si nous ne l’attribuions à cette cause ?
Nous ne voulons pas d’aumône pour les populations des Flandres, nous désirons autre chose pour ces hommes qui peuvent être utiles à la société, et qui ne réclament qu’une chose : c’est de pouvoir lui rendre des services en échange du pain dont ils ont besoin pour vivre : la charité est une vertu privée, un devoir religieux que chacun est tenu de remplir selon sa mesure, mais que nous croyons incapable de réparer le mal qui existe dans Les Flandres ; le subside demandé par le gouvernement ne peut servir qu’à faire l’aumône, celui que nous réclamons, sans mettre le pouvoir à même de faire tout le bien que nous avons le droit d’attendre de lui, mettra cependant les pauvres de nos contrées à même de s’affranchir, en partie, de leur excessive misère, par le travail. Nous ne voulons pas, en Belgique, de la taxe des pauvres, nous demandons du travail pour nos Flamands, nous ne voulons pas qu’en Belgique, comme il l’était en Angleterre avant la loi de reforme de 1834, le principe chrétien qui fait un devoir de la charité, soit écrit dans la loi, nous demandons seulement que les communes puissent fournir du travail aux indigents valides, et que le gouvernement fasse fout ce qui est en lui pour diminuer par le travail le paupérisme en Belgique ; nous ne prierons pas l’honorable M. Nothomb de faire cesser endéans le mois le paupérisme dans les Flandres , comme Napoléon l’ordonnait pour toute la France à son ministre de l’intérieur Cretet en 1808, nous lui dirons seulement de faire diminuer le nombre des pauvres par de sages mesures qui, en rendant un peu de prospérité à notre commerce et à notre industrie, leur permettent d’occuper ces masses d’ouvriers qui ne sont sans pain que parce qu’ils manquent d’ouvrage et non pas parce qu’ils ne veulent pas travailler.
Ne doit-on pas déplorer que dans une partie du pays, comme les Flandres, on compte à la campagne dans la plupart des communes un pauvre sur quatre habitants, tandis qu’en Russie on n’en trouve qu’un sur cent hors des villes. Je sais que la Belgique n’est pas la seule contrée où il y a des pauvres à secourir, que la Hollande est celui de tous les pays qui n’ont pas de charité légale où la misère fait les plus rapides progrès. Depuis douze ans le soulagement de la misère officielle en Hollande dans les établissements spéciaux de mendicité, a coûté annuellement 6,000,000 de florins, en Belgique elle coûte seulement environ 10,000,000 de francs pour une population à peu près double.
On me répondra peut-être qu’il y a des pauvres dans les Flandres et dans toute la Belgique, et qu’il y en a toujours eu, qu’il y a eu des pauvres dans tous les âges, dans tous les pays, autrefois à Rome et à Athènes, aujourd’hui à Londres et à Paris, que la question du bien-être matériel doit nous occuper aujourd’hui comme jadis ; mais ce dire peut-il donc dispenser de donner des moyens d’existence à des malheureux qui, chaque jour, nous en demandent et comptent sur nous pour en avoir ?
Y aurait-il, par hasard, parmi nous, quelqu’un qui voulût admettre la doctrine de Malthus, cet économiste anglais, qui osait, dans la dernière année du dix-huitième siècle, dire qu’un homme qui naît dans un monde déjà occupé, si sa famille n’a pas les moyens de le nourrir, que si la société n’a pas besoin de son travail, cet homme n’a pas le moindre droit à réclamer une portion quelconque de nourriture, et qu’il est réellement de trop sur la terre, qu’au grand banquet de la nature, il n’y a point de couvert mis pour lui, que la nature lui commande de s’en aller et qu’elle ne tarde pas à mettre cet ordre à exécution ?
Devrions-nous, pour détruire la misère, empêcher, comme le demandait encore cet économiste, les malheureux de se marier, refuser tout secours aux enfants nés de liens légitimes ou de liaisons passagères contractées après une défense par laquelle l’administration interdirait le mariage aux pauvres, et attribuer ainsi avec lui les malheurs d’une partie du pays à la trop grande multiplication de l’espèce humaine ?
Cette mesure, quelque odieuse qu’elle puisse vous paraître et que je repousse de toutes mes forces comme injuste et immorale, existe en Bavière, Dans ce pays, les gens qui ne possèdent pas de capital ne peuvent pas se marier sans la permission de l’administration des pauvres, et les directeurs des pauvres qui ne suivent pas les règles prescrites relativement au mariage des indigents, sont condamnés à les avoir à leur charge si les nouveaux ménages réclament jamais l’assistance publique.
La loi restrictive qui soumet le mariage des pauvres à l’autorisation de la commune, existe aussi en Suisse, et notamment à Berne. Aucun pauvre secouru ne peut se marier sans le consentement de la commune, et à moins qu’il n’ait remboursé les sommes qu’il a reçues.
L’instruction morale, religieuse et industrielle donnée gratuitement et avec obligation d’en profiter au moyen d’écoles charitables aux frais des communes, des caisses d’épargne et de prévoyance établies aux frais des villes et communes manufacturières et des associations de charité avec obligation des ouvriers d’y placer une portion de leur salaire lorsque le taux de ce salaire le permettra, l’institution de corporations d’ouvriers qui, sans gêner l’industrie et avoir les fâcheuses conséquences des anciennes maîtrises et jurandes, favoriseraient l’esprit d’association et de secours mutuels, donneraient des garanties d’instruction et de bonne conduite et remplaceraient l’institution du compagnonnage, peuvent être utiles pour empêcher la misère de se produire, mais quand elle existe comme dans les Flandres ou dans la plupart des communes, un quart de la population et à la charge des trois autres quarts ; il faut des moyens plus immédiats, plus énergiques, il faut des secours du gouvernement qui mettent les communes à même de faire des magasins de lin, qui leur permettent d’acheter le métier perfectionné du sieur Parent, et le rouet de l’abbé Dehaerne : c’est pour que le gouvernement puisse donner ces secours que mes honorables collègues et moi vous demandons de porter de 75,000 à 200,000 fr. le subside pétitionné par le gouvernement pour l’industrie linière.
Faisons donc sortir le malheureux ouvrier des Flandres de la position affreuse dans laquelle il se trouve ; n’oublions pas qu’une fois que la misère s’est appesantie sur un homme, elle le déprime peu à peu, elle dégrade son caractère, elle lui enlève les uns après les autres tous les bienfaits de la vie civilisée et lui impose les vices de l’esclave et du barbare ; ne regardons pas l’indigence qui n’existe que parce que le travail manque, comme un crime, et sans dire avec Barrère que les malheureux sont les puissances de la terre, qu’ils ont droit de parler en maîtres aux gouvernements qui les négligent, améliorons leur position autant dans leur intérêt que dans celui de la sécurité de l’Etat et donnons aux Flandres le subside que mes honorables collèges et moi sollicitons pour elles.
M. Cogels. - Messieurs je ne suis pas du tout insensible à la situation malheureuse des populations des Flandres. Je contribuerai de tous mes moyens à améliorer cette situation : mais je crois que la mesure proposée par les honorables signataires de l’amendement n’aurait pas pour résultat une amélioration quelconque pour la généralité de ces populations. Le secours n’est pas accordé vraiment aux populations ; il est accordé à une industrie que nous voyons aller déclinant depuis quelques années. Ce que nous devons rechercher, ce sont les causes de ce déclin, c’est de voir si effectivement il y un remède à y apporter.
M. Delehaye. - Je demande la parole.
M. Cogels. - L’industrie linière, depuis l’invention de la filature à la mécanique, s’est déplacée et tend constamment à se déplacer encore ; elle tend à se centraliser dans les grandes villes ou dans les endroits où l’on a établi de grandes fabriques.
M. Desmaisières. - Je demande la parole.
M. Cogels. - C’est un mal, je le reconnais ; mais c’est un mal inévitable, et que nous devons subir comme les autres pays, si nous voulons lutter avec eux.
Je me rappelle, messieurs, d’avoir vu dans ma première jeunesse, la même chose pour l’industrie cotonnière. Je me rappelle fort bien avoir vu, dans nos quartiers pauvres, à Anvers, tous les devants des maisons garnis de rouets à filer le coton. Mais ces rouets ont disparu peu à peu, parce qu’il leur était impossible de lutter contre les nouvelles machines.
Que l’industrie linière ancienne, que la filature à la main, doive complètement disparaître, c’est ce que je n’entreprendrai pas de soutenir ; mais que la filature mécanique doive nécessairement diminuer la filature à la main, c’est une chose incontestable.
Quel sera donc, messieurs, le résultat de vos encouragements ? Ce sera de faire persister dans l’exercice d’un métier improductif des populations qui pourraient se livrer bien plus utilement à une autre occupation ; c’est leur dire : vous êtes nées dans la misère et vous mourrez dans la misère. C’est à cela que vous les condamnez. Les secours de 75,000 fr, que nous avons accordés ont été insuffisants, dit-on. Mais les secours de 200,000 fr. qu’on vous propose seront insuffisants l’année prochaine. On vous en demandera de 300,000, de 400,000, de 500,000 francs, et toujours ils seront insuffisants ; car on nous dit que dans les Flandres il y a un pauvre sur quatre habitants ; la population des deux Flandres est de 1,500,000 habitants, voilà donc 375,000 pauvres ; répartissez 200,000 francs entre 375,000 pauvres, vous aurez 55 centimes par individu, et cela pour une année. Ce n’est certainement pas là ce qui les nourrira, le secours ne pourra donc profiter qu’à un petit nombre, comparativement aux maux à secourir.
Nous avons déjà fait un sacrifice considérable pour l’industrie linière ; nous avons signé une convention avec la France. Il est bien vrai que ce n’est pas la un sacrifice direct, mais c’en est un cependant, en ce sens que le trésor a renoncé à un revenu considérable, à un impôt sur un des articles qui sont le plus susceptibles de payer un impôt élevé. Cependant on ne paraît tenir aucun compte de ce sacrifice. Mais, messieurs, si nous ne nous arrêtons pas dans cette voie, je ne sais pas réellement où nous arriverons. D’autres industries pourront réclamer le même privilège, et que feront-nous, messieurs ?
Au lieu d’encourager des industries qui ont de la vitalité, qui sont nées viables, nous ne ferons que nourrir des moribonds. Nous n’obtiendrons donc aucun résultat. Au contraire, tandis que nous marcherons dans cette voie désastreuse, les pays qui nous entourent verront fleurir la nouvelle industrie. Ce que la Belgique devrait faire, c’est non pas de se laisser devancer par ses rivaux, mais de prendre les devants elle-même, c’est de tâcher d’être la première. Elle a pour cela tout ce qu’il lui faut ; elle a l’esprit industriel, les capitaux, la matière première ; nous ne devons pas contribuer à amortir la puissance que ces ressources lui donnent, et la mesure proposée ne peut avoir, selon moi, d’autre résultat. Elle ne peut tendre qu’à affaiblir la confiance que nous devrions avoir en nous-mêmes.
M. David. - Messieurs, parmi les arguments que je voulais faire valoir contre la proposition, il en est une quantité qui ont été présentés par l’honorable M. Cogels. Cet honorable membre me semble avoir singulièrement simplifié la question. Je ferai seulement remarquer que l’industrie lainière a dû subir, il y a une quarantaine d’années, une transformation semblable à celle que subit en ce moment l’industrie linière ; il en est résulté aussi une crise très forte. A cette époque, on ne pouvait pas venir se plaindre à cette tribune, il fallait supporter les revers et tâcher de les surmonter. C’est ce que nous avons fait et nous sommes arrivés au point de nous affranchir ; aujourd’hui l’industrie drapière est au moins viable.
Quand on considère les plaintes que les Flandres font entendre, il faut, pour ainsi dire, désespérer de la viabilité de leur industrie. C’est là une chose extrêmement fâcheuse. Les sacrifices que nous avons déjà faits pour l’industrie linière, ces sacrifices nous sont connus, messieurs, si nous allons plus avant dans cette voie nous ferons surgir une quantité considérable de réclamations de même nature de la part d’autres industries. Certainement j’éprouve une véritable sympathie pour le malheur des industries qui souffrent, mais il me semble que le remède proposé, dans cette circonstance, n’en est pas un. Ce sera tout simplement un moyen d’organiser le paupérisme, de même que les loteries dont l’honorable M. Orts a parlé dernièrement. Quand les pauvres apprennent, par les affiches apposées aux coins des rues, le bien qu’on va leur faire, ils s’empressent de quitter le dépôt de mendicité de la Cambre pour venir inonder les rues de la capitale. Il en sera de même du subside qu’on nous demande en ce moment. Messieurs, en définitive, et c’est par là que je conclus, il est assez naturel de penser que la moitié du pays ne peut pas faire la charité à l’autre moitié.
M. Delehaye. - Messieurs, si une nation avait pu espérer le monopole d’une industrie quelconque, c’était incontestablement la Belgique pour l’industrie linière. En effet, nous avons la main-d’œuvre à bas prix, nous avions des relations de commerce établies dans toutes les parties du globe ; indépendamment de cela nous avons la matière première. Comment se fait-il qu’avec des avantages aussi immenses nous soyons tombés dans un état de décadence tel que beaucoup de membres de la chambre considèrent déjà les Flandres comme étant sur le point d’être livrées complètement au fléau du paupérisme ?
L’expérience de ce qui a eu lieu pour d’autres industries prouvera à l’évidence, messieurs, que si le subside demandé nous est accordé, nous pourrons éviter les malheurs dont ces autres industries ont été frappées.
Il y a quelque temps, messieurs, la Belgique était en possession de la plupart des marchés, je ne dirai pas de l’Europe, mais du monde entier, car elle approvisionnait aussi les marchés transatlantiques. Aucune industrie similaire ne venait faire concurrence aux toiles des Flandres. Depuis quelque temps, la concurrence est venue, et il en est malheureusement résulté que beaucoup de nos tisserands, ne pouvant pas se décider à faire des sacrifices, et incapables de prévoir les exigences du lendemain, ont travaillé avec moins de soin, ont employé des matières premières moins bonnes et de plus ont introduit la fraude dans la fabrication. C’est ainsi que l’on a vu souvent des pièces de tuiles très bien fabriquées, d’un côté, et très mal faites, de l’autre ; qu’est-il arrivé de là, messieurs, c’est que nous avons perdu en partie notre réputation.
Aujourd’hui il s’agit de rétablir cette réputation. Jusqu’à présent, le tisserand achetait son lin et vendait sa toile, il était à la fois fabricant, ouvrier et marchand. Ce système est vicieux ; il faut que le tisserand reçoive l’impulsion d’un maître intelligent, qui connaisse les besoins du consommateur, les exigences de la mode. C’est là le seul moyen de remettre l’industrie linière dans une position convenable, de lui rendre son antique renommée. En France, on nous dit : faites telle et telle espèce de toile ; donnez à vos produits telle et telle qualité. Vous sentez, messieurs, que ce langage peut être compris par quelques hommes intelligents, mais qu’il ne peut pas l’être par trois ou quatre cent mille individus.
Nos fileuses travaillent comme elles sont habituées de travailler, sans se soucier jamais du moindre perfectionnement. Aujourd’hui ou est parvenu à se mettre au niveau des principaux besoins ; grâce aux comités qui ont été établis, grâce au zèle de quelques hommes, de grandes améliorations ont été introduites ; c’est ainsi que le numérotage a été adopté dans un grand nombre de communes des deux Flandres ; beaucoup d’autres améliorations ont été apportées la fabrication, et je saisis cette occasion pour en témoigner ma reconnaissance aux députations permanentes des deux Flandres. Nous sommes déjà parvenus au point que nous n’avons plus à craindre la filature à la mécanique. Je citerai à cet égard un exemple, et je suis même autorisé à nommer les personnes.
Il y a une quinzaine de jours, j’ai eu un entretien avec le président de la chambre de commerce du Mans ; c’est le principal industriel de France pour le blanchissage des toiles ; il m’a dit que, pour certaines espèces de toiles, on ne veut plus en France que du lin fait à la main ; il m’a dit que les toiles faites de fil à la main résistent mieux aux opérations que nécessite le blanchissage ; cela se conçoit parfaitement. On sait, en effet, que le fil filé à la main conserve toute sa longueur tandis que le lin filé à la mécanique est coupé en filaments très courts ; il en résulte nécessairement que le fil à la main, est beaucoup plus solide que le fil à la mécanique.
Du reste, messieurs, que l’on ne s’imagine pas que l’industrie ancienne soit destinée à être anéantie par la concurrence de l’industrie nouvelle ; les deux industries peuvent très bien parcourir l’une et l’autre une carrière très brillante.
Le besoin le plus pressant, messieurs, c’est de changer le mode de fabrication. Il faut que l’ouvrier ne soit plus qu’ouvrier ; il ne faut plus qu’il aille lui-même vendre sa toile au marché ; il faut qu’il travaille sous une direction éclairée. C’est à obtenir cet heureux résultat que les autorités des deux Flandres se sont surtout attachées, et c’est aux mesures prises jusqu’à présent que nous devons déjà des améliorations considérables.
« Mais, dira-t-on, si déjà vous êtes en progrès, pourquoi demandez-vous une augmentation de subside ? » La réponse est facile, Jusqu’ici un grand nombre de nos ouvriers de campagne apprécient la mauvaise position dans laquelle ils se trouvent et reçoivent avec plaisir l’impulsion qu’on leur donne.
C’est ainsi, par exemple, que l’on a adopté des rouets au moyen desquels une blouse peut faire par jour du n°40, comme terme moyen, 7000 mètres de fil ; or, messieurs, une fileuse représente dans le filage à la main ce qu’est une broche dans le filage à la mécanique, et je dis que dans aucun établissement, quelque perfectionnées que soient les machines dont il dispose, il n’existe des broches qui puissent fournir 7,000 mètres de fil par jour au prix que pourrait le produire la fileuse. Eh bien, messieurs, si vous adoptez notre proposition, vous nous permettrez d’introduire ce nouveau rouet dans toutes les communes, vous nous permettrez un même temps de généraliser touts les améliorations qui ont été introduites jusqu’à présent ; j’ai la persuasion intime que si vous adoptez notre proposition, dans peu de temps nous serons à même d’éviter toute nouvelle demande de subside ; vous aurez rendu à l’industrie linière, sinon son ancienne prospérité, au moins une position telle que je puisse occuper nos populations qui sont maintenant dans la misère.
M. Desmaisières. - Messieurs, l’industrie linière est la plus ancienne et sans contredit la plus importante de nos industries. C’est le rang que lui ont assigné toutes les commissions directrices, ces expositions successives des produits de l’industrie nationale.
Elle a su de tout temps maintenir à son profit le marché intérieur, ses produits sont aussi entrés de tout temps pour la plus large part dans nos exportations, et aujourd’hui encore, malgré la crise qui pèse sur elle, elle forme encore l’article le plus important de ces exportations.
Si donc il existe une industrie qui ait droit à toute la sollicitude de la chambre, c’est sans aucun doute l’industrie linière.
Messieurs, il y a dix ans, lorsque j’ai été chargé du rapport de la section centrale sur la loi des toiles, j’ai déjà émis l’opinion que l’industrie linière à la main, quoique placée sous la menace d’une concurrence que l’on annonçait devoir être très redoutable, de la concurrence de l’industrie linière à la mécanique, n’était pas destinée à périr, comme on le croyait assez généralement. J’avais surtout basé cette opinion sur ce fait, qu’elle n’avait pas cessé d’exister, lorsque parut l’industrie cotonnière, industrie qui était venue lui faire, dans le principe, une concurrence très forte.
Tout le monde se rappelle, en effet, que lorsque l’industrie cotonnière à la mécanique a été mise en pratique, elle a fait dans les commencements un tort considérable à l’industrie linière, pourquoi ? parce que les consommateurs étaient séduits par le bon marché, et que, par conséquent, on remplaçait, pour les divers usages, la toile de lin par la toile de coton ; mais l’expérience n’a pas tardé à éclairer les consommateurs, et ils sont revenus, pour certains usages, à la toile de lin, la toile de coton leur coûtant, en définitive, plus cher, en ce sens qu’ils devaient la renouveler plus souvent.
M. Fleussu. - Je demande la parole.
M. Desmaisières. - Il en est résulté toutefois que l’industrie cotonnière a pris un très grand développement, parce que, produisant des fabricats d’espèce différente, elle a conservé une partie de la consommation qu’elle avait enlevée à la toile de lin, et qu’ensuite elle a créé, comme toutes les industries qui s’implantent quelque part, de nouveaux et nombreux consommateurs. Il en est résulté encore que l’industrie linière, quoiqu’elle ait perdu une partie de sa consommation, relativement à certaines espèces de ses produits, a regagné et au-delà pour d’autres ce que lui avait enlevé l’industrie cotonnière.
J’ai donc dit, il y a dix ans, que l’industrie linière à la mécanique, produisant des toiles d’espèce différente de celles tissées avec du fil à la main, viendrait, dans les premiers moments, porter un coup terrible à l’industrie linière à la main, mais que bientôt, renouvelant l’exemple qu’il avait déjà donné après l’établissement de l’industrie cotonnière, le consommateur s’éclairerait et en reviendrait, pour certains usages, à l’industrie linière à la main. Les faits sont venus donner raison à mes prévisions. déjà même l’étranger demande nos toiles à la main ; mais il ne s’ensuit pas pourtant que l’industrie linière à la mécanique ne soit pas destinée à prendre un plus grand développement qu’elle n’a déjà pris jusqu’aujourd’hui.
Heureusement donc pour nos nombreuses populations des Flandres, l’industrie linière à la main, qui depuis des siècles a fait la principale source de la prospérité de ces provinces, est destinée à donner longtemps encore des moyens de subsistance à ces populations si intéressantes.
Mais il ne suit pas de là qu’il ne soit pas de notre devoir de faire tout ce qu’il est possible de faire pour aider les travailleurs de l’ancienne industrie linière à traverser la crise qui les frappe si cruellement dans ce moment.
Messieurs, il est de fait que l’ancienne organisation de cette industrie ne peut plus subsister ; lorsque les Flandres avaient le monopole de la fabrication des toiles, l’ancienne organisation de cette industrie constituait sa force, sa toute-puissance, si je puis m’exprimer ainsi ; quelle que fût la manière dont les toiles se fabriquaient, quelle que fût l’espèce de fabricats, le tisserand trouvait toujours à la vendre ; il ne s’inquiétait de rien, il faisait sa toile dans les conditions conformes à ses habitudes et allait ensuite au marché où il la vendait, car encore une fois, nous avions le monopole de cette fabrication et nous vendions facilement tout ce que nous produisions. Mais l’apparition de l’industrie linière à la mécanique est venue permettre aux autres peuples de concourir avec nous sur les marchés de l’industrie linière, et par conséquent il faut que nos tisserands et nos fileuses aient aujourd’hui une direction.
Si nous voulons continuer à leur donner du travail, non seulement il faut une direction pour la fabrication, mais il en faut une aussi pour le commerce.
Voici comment les choses se sont passées jusqu’ici, en ce qui concerne cette industrie et le commerce de ses produits.
Le tisserand était en même temps ouvrier et fabricant. Chaque famille formait, pour ainsi dire, une petite fabrique dans laquelle les femmes filaient et les hommes tissaient ; les tisserands allaient au marché avec leurs toiles, et comme je le disais tout à l’heure, à raison du monopole qui était alors entre leurs mains, ils trouvaient toujours à vendre avantageusement les toiles de toute espèce. Nos négociants en toiles n’étaient pas véritablement des commerçants ; ils recevaient des ordres de leurs correspondants, et parcouraient alors les marchés pour trouver les pièces de toile dont ils avaient besoin, pour satisfaire aux ordres de leurs commettants.
On comprend fort bien que les choses ne peuvent plus se passer ainsi aujourd’hui. Il faut organiser la fabrication dans les conditions requises, pour obtenir la vente et pour l’obtenir au meilleur prix possible, et il faut que les négociants ne se bornent pas au simple rôle de commissionnaires.
Il n’y a pas longtemps encore qu’un négociant en toiles m’a dit avoir reçu une commande de plusieurs centaines de pièces de toile d’une trentaine espèce, et avoir parcouru nos divers marchés sans avoir pu trouver de quoi satisfaire à cette commande.
Il arrive donc que dans l’organisation actuelle, d’un côté le tisserand ne sait pas vendre sa toile, parce qu’il se trouve qu’ayant travaillé au hasard, il a fabriqué une espèce de toile qui n’est pas demandée, et que, d’un autre côté, le marchand de toile ne sait pas satisfaire aux ordres qu’il a reçus de ses correspondants. Il faut donc non seulement réorganiser la fabrication de la toile, mais aussi réorganiser le commerce, et c’est pour cela, messieurs, qu’un subside est nécessaire. Ce subside ne sera que temporaire ; quand vous aurez aidé le commerce privé ainsi que les tisserands et fileuses à organiser leurs opérations et leur fabrication de manière à obtenir le facile écoulement de leurs toiles, et il ne faudra pas un temps considérable pour cela, vous pourrez alors biffer ce subside de vos budgets, et ici je réponds à l’objection de l’honorable M. Cogels, qui vous disait : on vous demande maintenant, 200,000 francs ; plus tard on viendra vous demander 400,000 fr. ou 500,000 fr. Il n’en est rien, messieurs, dans quelques années, l’industrie linière à la main n’aura plus besoin de demander aide au pays car alors aura eu lieu la réorganisation de la fabrication et du commerce dans les conditions telles que l’écoulement des produits de cette industrie pourra se faire d’une manière facile.
D’ailleurs, quand bien même l’opinion que j’ai émise ne serait pas juste, quand bien même l’industrie linière à la main devrait faire place à l’industrie mécanique, encore faudrait-il venir au secours de cette industrie, pour ménager la transition, pour s’efforcer de substituer un autre travail au travail linier qui manquerait aux nombreuses populations agricoles des deux Flandres ; car ces populations ont toujours été sobres et extrêmement laborieuses et morales ; aussi elles se trouvent aujourd’hui extrêmement peinées d’en être réduites, faute de travail qui leur donne un salaire pour subvenir à leurs besoins, à tendre la main aux hommes charitables qui veulent bien venir à leur secours.
Mais ce n’est pas l’aumône que nous venons demander quand nous proposons de porter à 200,000 fr. au lieu de 75,000 fr. la somme accordée pour la principale industrie des Flandres, pour la première de nos industries nationales ; nous venons demander, ce qui vaut infiniment mieux, le moyen de leur procurer du travail et le moyen de leur faire continuer à gagner des millions pour le pays.
J’ai visité pendant cet été les principales communes linières de la province que j’ai l’honneur d’administrer ; je puis dire que j’y ai remarqué la plus grande misère. J’ai vu des fermes qui reçoivent jusqu’à mille individus par semaine demandant l’aumône. Je vous demande si, quand à l’aide d’un subside de 200 mille francs vous pouvez substituer le travail à l’aumône et conserver ainsi au pays la première de vos industries, qui malgré la crise qui existe, conserve encore la plus grande part de nos exportations ; je vous demande, messieurs, si, la main sur la conscience, vous pouvez vous refuser à accorder ces 200 mille francs. Je ne vous ferai pas l’injure de le penser.
M. Desmet. - Messieurs, j’ai demandé la parole quand j’ai entendu l’honorable M. Cogels engager à abandonner le filage à la main comme une industrie déclinante qu’on ne devait plus soutenir. Je regrette de devoir engager devant la chambre une discussion industrielle, une discussion sur une question de fabrication. Mais je suis forcé de le faire, pour répondre à l’honorable membre, pour démontrer qu’il est dans l’erreur. Sans doute, quand une industrie se modifie, qu’il y a progrès, on doit abandonner cette industrie. Mais quand il n’y a pas progrès, la prudence dit qu’il faut la conserver. Quand y a-t-il progrès ? Quand on fabrique mieux et à meilleur compte. Or c’est le contraire qui existe ici : par le filage ancien, on fabrique mieux, on fait de meilleurs produits et on travaille à meilleur compte.
Il y a trois ans j’aurais pu comprendre l’argumentation, on croyait qu’il y avait progrès, on pouvait engager à abandonner l’ancienne industrie, mais aujourd’hui il y a jugement prononcé ; les deux industries sont jugées, et on ne peut dire que le filage à la main a conserve sa primauté.
Je citerai l’Irlande, le berceau de la filature à la mécanique ; les belles fabriques de Belfast et de ses environs ont conservé et conservent toujours le filage à la main. Etant aux environs de Belfast, au nord de l’Irlande, je visitai un des plus importants ateliers de tissage de toiles de lin, je m’informai de quel fil on se servait : le chef me répondu que l’on se servait toujours du fil à la main, qu’il lui donnait la préférence. C’était il y a deux ans, justement au moment qu’il y avait à Belfast encombrement de fils mécaniques, que les fabricants ne savaient vendre. En Allemagne et en Westphalie on n’a pas abandonné non plus le filage à la main ; pour faire de bonnes toiles, il faut avoir du fil à la main, on ne peut pas en faire avec du fil à la mécanique.
En France, deux régiments, en garnison dans le département du Nord, avaient demandé qu’on leur livrât des toiles faites à la mécanique.
Ces régiments ont fait l’essai. Après le premier essai, ils ont déclaré qu’il fallait s’en tenir aux toiles de fil fait à la main. Que voit-on sur nos marchés de toile, dans ceux où les deux espèces se présentent ? Eh bien, qu’y voit-on ? que les toiles faites avec du fil à la main se vendent facilement, tandis que les toiles faites avec du fil à la mécanique ne se vendent presque pas. Aussi on a été obligé de faire des démarcations sur le marché entre les deux espèces de toiles, afin que les négociants n’abandonnent point ce marché.
Aujourd’hui, dans l’univers entier, on file à la mécanique. Partout il y a des machines, partout il y a du lin. A une époque comme la nôtre on ne doit pas être heureux de faire ce que d’autres ne font pas, surtout quand on travaille à meilleur compte et qu’on fabrique mieux, et qu’on place mieux ses produits.
Nous avons le bonheur d’avoir un bon filage que personne ne peut imiter, il est de notre intérêt de le conserver. Qu’est-il arrivé en Espagne ? L’Angleterre nous avait exclus du marché et s’en était emparé. Depuis trois ans, ce marché nous revient. Que dit-on ? Donnez-nous de bonnes toiles faites avec du fil à la main. Demandez cela aux négociants de Courtrai et de Gand, ils vous le diront. La même question a été agitée en France ; quel a été l’avis de la chambre de commerce de Paris. Elle a dit à la Belgique : vous ne perdrez pas une partie de notre ancien commerce, si vous continuez à faire de bonnes toiles de fil à la main.
Je n’en dirai pas davantage sur ce point, parce que la chambre ne doit pas discuter des questions de fabrication. J’ai été obligé de le faire pour repousser les attaques de M. Cogels contre notre ancienne industrie linière.
Messieurs, à présent j’arrive à la question qui est en discussion, c’est l’amendement pour majorer le chiffre de l’allocation pour le subside à accorder au travail dans les campagnes, et particulièrement pour celui de l’industrie linière. Je savais bien qu’en demandant 200 mille francs, on allait effrayer la chambre, surtout quand cette demande ne concerne qu’une portion du territoire et n’a en vue qu’une classe du peuple, que la plus intéressante, la classe ouvrière, la classe indigente. Dans un moment où non seulement dans les Flandres, mais dans tout le pays le manque de travail se fait sentir, il ne peut cependant pas paraître étrange qu’on fasse des résistances pour procurer du travail. En France, en Prusse, la même chose se fait. On vient de voir que le roi de Prusse vient de faire renaitre l’ordre du Cygne et organiser une association pour donner du travail à la classe ouvrière.
Pourquoi demandons-nous cette somme ? c’est pour ne pas laisser tomber une certaine classe d’ouvriers entièrement dans la misère et arrêter les progrès de la mendicité. Nous ne devons pas assombrir le tableau. Mais j’ose déclarer qu’il y a beaucoup de misère, et j’ose le dire, parce que chez nous on peut trouver un remède à cet état de choses. La mesure ne serait-elle pas grande et progressive, quand on voit aujourd’hui dans les campagnes du pays d’Alost jusqu’à mille mendiants dans un jour. Je ne parlerai pas seulement du pays d’Alost, je pourrais dire la même chose du district d’Ath, d’une partie du Hainaut et même du Brabant. Ce qu’on vous demande, c’est du travail. Si le jour arrive où l’on vous demande, au lieu du travail, du pain, vous tomberez à l’état de l’Espagne, du Portugal et de l’Irlande. Donnez du travail, vous n’aurez plus la mendicité à craindre, tout le monde se taira.
La politique aussi doit vous déterminer à donner le travail qu’on vous demande. Car vous ne pouvez pas ignorer que les turbulents et les mécontents tirent parti du malaise qui règne dans nos campagnes, ils y puisent leurs motifs de clameurs, et quand avec un subside on peut arrêter ces manœuvres et assister des travailleurs qui, comme je le dis, ne demandent que du travail, pouvons-nous le refuser ? Je ne doute pas que M. le ministre appuiera ce raisonnement !
Messieurs, il y a deux ans une association s’est faite pour donner du travail aux ouvriers des Flandres, on a senti réellement le besoin de procurer du travail aux communes rurales, que les administrations provinciales des deux Flandres ont organisé des comités de travail pour chaque commune. Avec une somme de 75 mille fr, il est impossible que ces comités puissent suffire, tandis qu’avec 200 mille fr. on pourra arrêter la mendicité. Il y aura moyen de donner du travail et du pain à toute la population occupée à l’industrie linière. On voit les membres du clergé, les curés de paroisse organiser des listes de souscription et établir des ateliers de travail. Ainsi ce n’est pas le cas de dire que le clergé soit rétrograde C’est lui qui a donné l’exemple et les conseils pour améliorer le travail, et il est ainsi venu en aide à la classe pauvre. Si le gouvernement veut l’imiter, qu’on alloue les 200 mille fr. que nous demandons, on ne trouvera pas que c’est trop si on considère qu’avec cette somme on rétablira le travail dans les deux Flandres. Ce n’est pas seulement la classe pauvre qui est intéressée à ce que ce subside soit accordé, le commerce l’est aussi car au moyen de l’établissement des comités, la fabrication donnera de bons produits et quand on a de bons produits il est facile de les placer. J’ai dit.
M. Fleussu. - Messieurs, il faut du courage pour combattre une proposition qui se produit sous la forme de la charité. Mais ce n’est pas votre sensibilité, c’est l’intérêt général que nous devons consulter. Si le gouvernement avait fait la proposition de donner à l’industrie linière une somme de 200,000 francs, elle aurait dû retourner dans les sections, et avant de l’examiner, on aurait demandé que le gouvernement rendît compte de l’emploi des sommes allouées précédemment. Rien de tout cela ne s’est fait. C’est incidemment, à l’occasion d’un chiffre du budget que des membres demandent pour ces ouvriers de leur pays une charité de 200,000 francs !
Plusieurs membres. - Ce n’est pas l’aumône que l’on demande.
M. Fleussu. - M. Van Cutsem a dit que c’était une charité.
M. Van Cutsem. - Je n’ai pas dit cela.
M. Fleussu. - M. Desmaisières s’est servi du même mot.
M. Desmaisières. - J’ai dit, au contraire, que ce n’était pas une la charité.
M. Fleussu. - Le dernier préopinant s’est servi du mot aumône. C’est sous le prétexte d’éviter le paupérisme qu’on vous demande une allocation de 200,000 fr. Mais c’est précisément le moyen de l’établir. Croyez-vous que quand nous aurons voté 200,000 fr. pour les ouvriers des Flandres, ceux des autres provinces resteront tranquilles ? Croyez-vous que l’industrie y soit florissante ? Croyez-vous que les ouvriers houillers, dont le travail est réduit à quelques jours par semaine, ne viendront pas aussi demander qu’on leur alloue un secours de 200,000 fr. ? La quincaillerie, la clouterie, toute l’industrie métallurgique est en souffrance dans nos provinces. Votez-vous 200,000 fr. pour chaque province si elles les réclament ? Voilà pourtant où nous conduiront les réclamations des députés des Flandres. Vous me répondez que oui ! Quoi, vous marchez de déficit en déficit, et vous voterez 200,000 fr. pour chaque province ? Votez alors des voies et moyens.
C’est avec répugnance, je le répète, que je combats cette proposition. Si je le fais, c’est pour ne pas laisser renouveler des antécédents. Il y a deux ans, on a voté 200 mille francs pour les fileuses de Flandres ; maintenant on y joint les tisserands, et l’on demande deux cent mille francs.
Je conçois très bien que quand une industrie est en souffrance, par suite d’une crise momentanée, le gouvernement puisse venir à son secours. Mais je ne suis nullement rassuré sur les souffrances des Flandres, quant à leur durée. Je crois, au contraire, que c’est une industrie qui se meurt. Je n’ai qu’à voir ce qui s’est passé depuis que je siège à la chambre. Depuis la révolution, j’ai toujours entendu les Flandres demander des secours pour l’industrie linière ; jamais ce n’était pour donner de l’argent aux ouvriers, mais pour donner aux ouvriers un moyen de gagner de l’argent. C’était toujours ce prétexte qu’on faisait valoir. Des sommes ont été accordées. Sous le ministère de M. Liedts une somme de 30,000, je crois, a été accordée pour l’achat d’outils nouveaux qui devaient perfectionner la filature à la main. Maintenant on demande 200,000 fr. qui doivent ressusciter à coup sûr la filature à la main ; ils doivent opérer un prodige ; c’est un miracle qu’on attend de ces 200,000 fr ; car ils doivent ressusciter une industrie qui se meurt. (Réclamations.) Je dis qu’elle se meurt, et que, quoi que vous fassiez, elle mourra. Je maintiens mon dire, parce que depuis dix ans vous tenez le même langage. Toujours les subsides accordés devaient rendre à l’industrie linière l’activité et la vie. Vous teniez naguère ce langage ; vous le tenez aujourd’hui : vous le tiendrez encore quand vous aurez obtenu le subside de 200,000 fr. Je pense même avec l’honorable M. Cogels que, forts de la facilité avec laquelle vous l’auriez obtenu, vous demanderiez une somme plus forte.
Savez-vous pourquoi je compte cette industrie comme une industrie qui se meurt, pourquoi je ne veux pas que le gouvernement vienne à son secours ? c’est qu’elle est en concurrence d’une industrie jeune, active, de l’industrie à la mécanique.
J’entends dire que la filature à la main peut lutter avec avantage avec la filature à la mécanique ; mais alors elle ne souffre donc pas.
Il y a une contradiction flagrante entre les divers discours : on nous parle de misère, on dit que cette industrie est en souffrance. D’un autre côté, on nous dit qu’elle est prospère, que le consommateur, alléché par le bon marché, s’est laissé aller à prendre d autres toiles, mais que détrompé il revient aux toiles de Flandres.
S’il en est ainsi, qu’avez-vous besoin de protection ! Si l’expérience a prouvé que les toiles des autres pays ne valent pas celles des Flandres, votre prospérité est assumée ; vous n’avez pas besoin de protection.
Songez qu’il est toujours dangereux de protéger une industrie, qu’on le fait rarement sans nuire à une industrie rivale.
Dans l’espèce particulière dont il s’agit maintenant, si le gouvernement tend une main secourable à la filature à la main, il nuit à la concurrence de la filature à la main. Vous voyez donc que vous ne pouvez secourir une branche d’industrie sans nuire à une autre branche.
J’ai entendu avec étonnement l’honorable M. Desmet nous dire que la filature à la main vaut beaucoup mieux que l’autre, produit mieux et à meilleur compte, qu’elle a obtenu et qu’elle conserve une priorité sur la filature à la mécanique. Mais si vous produisez mieux et à meilleur compte, vous ne pouvez manquer de l’emporter sur la concurrence ; ou votre allégation est mensongère, ou vos plaintes ne sont pas fondées.
J’ai entendu l’honorable M. Desmaisières nous dire qu’un négociant avait reçu une commande de plusieurs centaines de pièces de toile, que ce négociant s’était présenté sur tous les marché des Flandres, et qu’il n’y a pas trouvé les toiles pour lesquelles il avait reçu commission. Qu’est-ce que cela prouve ? Que vous n’avez pas de toiles en magasin. C’est un grand avantage pour une industrie que de ne pas avoir des magasins encombrés.
D’après ces considérations, où vous êtes entrés pour défendre votre système, il n’y a pas lieu d’accorder la somme demandée.
Nous avons déjà fait assez de sacrifices pour l’industrie linière ; nous avons dû chercher la base d’une nouvelle imposition dans l’’intérêt de cette industrie. Si nous nous laissons entraîner par toutes les demandes de cette industrie, où nous arrêterons-nous ? N’est-ce pas cette industrie qui vous demandait de prohiber la sortie des lins ? Mais tout en favorisant cette industrie, vous auriez nui à l’industrie agricole des Flandres. Je me rappelle que des propriétaires des environs de Saint-Nicolas nous ont adressé une pétition pour que la demande de l’industrie linière ne fût pas admise.
Tandis que vous demandez la prohibition de la sortie des lins, vous demandez la prohibition de l’entrée des fils. C’est vraiment trop à la fois.
Vos doléances ne sont pas propres à vous faire sortir de la position où vous êtes placés. Craignez que la France, qui assiste de loin à nos débats, ne se montre plus exigeante et ne réclame de vous de nouveaux sacrifices.
Je ne crois pas pouvoir accorder la somme demandée.
M. Cogels renonce à la parole.
M. d’Elhoungne. - En prenant la parole dans cette discussion, je commencerai par m’étonner du silence que garde M. le ministre de l’intérieur. Je pensais qu’après avoir, dans une séance précédente, exposé sur l’action gouvernementale, un programme emprunté, en quelque sorte, à l’école socialiste, il se serait empressé de saisir ici l’occasion de mettre en pratique ces nouvelles théories.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je demande la parole.
M. d’Elhoungne. - M. le ministre de l’intérieur ne s’étant pas expliqué, je me crois d’autant plus obligé de ramener la question sur son véritable terrain. Toutefois je réclamerai l’indulgence de la chambre, car je suis souffrant, et je ne comptais pas prendre part au débat,
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si j’avais été interpellé, j’aurais pris la parole immédiatement.
M. d’Elhoungne. - Il ne s’agit pas, messieurs, de décider en théorie, si l’industrie linière ancienne, si l’industrie linière à la mécanique doit obtenir de préférence nos encouragements ; si l’une est fatalement condamnée à être tuée par l’autre. Si cette question devait être discutée dans cette enceinte, les arguments et les faits ne manqueraient pas pour établir que l’industrie à la main peut très bien soutenir la concurrence avec l’industrie à la mécanique ; que ces industries répondent à des besoins différents, que leurs produits ne conviennent pas aux mêmes consommateurs.
Mais là n’est pas la question aujourd’hui.
Le gouvernement, frappé de la détresse des 300,000 fileuses et tisserands de nos Flandres, a ordonné la création de comités industriels, comités dont la mission n’est pas de ressusciter une industrie qui se meurt, mais de procurer du travail à des malheureux qu’une crise industrielle laisse sans ouvrage et sans pain. En cela, il faut le reconnaître, le gouvernement a obéi à l’un de ses devoirs les plus impérieux ; car, assurément, les populations qui se trouvent dans cette position déplorable ont droit à la sollicitude du gouvernement et des chambres,
Qu’on ne dise donc pas que nous mendions une aumône pour les ouvriers des Flandres. Je proteste de toutes mes forces contre cette expression outrageante. Les Flamands n’ont l’habitude ni de demander, ni d’accepter l’aumône. Une aumône, messieurs ! nous la repousserions, Tous les Flamands la repousseraient avec l’indignation légitime d’hommes de cœur, qui ne veulent d’autre pain que celui du travail ! Ainsi, nous ne faisons pas un appel à la charité ; nous ne voulons que du travail pour cette population des Flandres, la plus laborieuse, la plus sobre, la plus admirablement résignée peut-être qui soit au monde !
Mais si le gouvernement a décrété l’organisation de comités industriels pour atteindre ce but, il est impossible cependant de réaliser cette mesure sans un subside sérieux. Déjà, en effet, on s’est aperçu que les ressources provenant soit de la charité privée, soit des provinces, soit de l’Etat, étaient jusqu’ici insuffisantes. Or, c’est par ce motif que nous vous proposons, messieurs, d’élever pour cette année le subside à 200,000 fr. De cette façon, il sera possible d’accorder aux comités industriels un capital roulant, dont l’absence les a empêchés et les empêcherait toujours de réaliser les bons résultats qu’on s’en est promis.
Voyez comme cet objet a d’importance sous un autre aspect. C’est seulement lorsque vous aurez organisé les comités industriels avec un capital suffisant, que vous serez à même d’examiner, à la lueur des faits et de l’expérience, la question de la concurrence entre les deux industries.
Que se passe-t-il en effet ?
Vous avez d’une part l’industrie linière à la main, isolée, privée de capital, ne pouvant acheter dès lors de matière première que de mauvaise qualité.
D’un autre côté vous avez, pour la filature mécanique, des sociétés puissantes avec un capital important, qui peuvent accaparer la matière première, qui l’achètent d’ailleurs au moment et aux prix les plus favorables, et qui l’ont toujours de la meilleure qualité. Ainsi, c’est la lutte engagée entre le travail isolé, le petit capital d’une part, et les grands capitaux, les grandes associations d’autre part. C’est-à-dire, le fait le plus déplorable qui se puisse passer dans toutes les sociétés où l’industrialisme a fait invasion. Les comités industriels pourront, en grande partie, rétablir l’égalité entre les deux industries, ils formeront comme une vaste association qui, sous la tutelle du gouvernement, réunira en un faisceau les forces maintenant éparses des travailleurs isolés ; et certes, pour arriver à de tels résultats, j’espère bien trouver aide et appui dans les voix éloquentes qui ont fait souvent retentir cette enceinte des mots d’humanité et de progrès.
J’ai donc dit avec raison, messieurs, qu’en décrétant l’organisation des comités industriels, le gouvernement avait eu un but élevé, avait réalisé un progrès réel. J’ai donc eu raison de réclamer l’adoption de l’amendement qui fournit les moyens d’atteindre ce but, de faire passer ce progrès de la théorie à l’application.
Messieurs, quelles sont les objections qu’on vient de soulever contre cet amendement ? L’honorable M. Cogels vous a dit que la crise qui se produit dans l’industrie linière s’est autrefois présentée dans l’industrie cotonnière ; qu’elle doit, dans l’une et l’autre industrie, amener les mêmes résultats, à savoir le remplacement du travail de l’homme par le travail des machines. Mais d’abord je dirai à l’honorable M. Cogels qu’il tranche ainsi, par une simple affirmation, une question que nous n’avons en ce moment ni à examiner, ni à résoudre, et qui mérite, dans tous les cas et des méditations sérieuses et une discussion approfondie.
Ensuite l’honorable M. Cogels aurait dû au moins nous prouver que les deux industries se trouvent dans les mêmes conditions ; que la matière première n’est pas dans l’une et dans l’autre d’une nature complètement différente ; que si le travail mécanique sur le coton est aussi efficace que le travail à la main, il en est de même pour le lin ; que dans la nature même du lin il n’y a pas un obstacle insurmontable à ce que l’industrie mécanique atteigne jamais la perfection du travail à la main.
L’honorable M. Cogels vous a dit aussi qu’il y avait 375,000 pauvres dans les Flandres et qu’une somme de 200,000 fr, c’était 75 c. à distribuer à chacun. Je répondrai à l’honorable M. Cogels qu’il ne s’agit pas de faire une aumône de 75 c. à chacun des tisserands ou des fileurs de la Flandre, mais qu’il s’agit d’empêcher que ces tisserands et ces fileurs ne soient réduits à subir l’humiliation de l’aumône pour ne pas mourir de faim ; qu’il ne s’agit pas de galvaniser une industrie moribonde, mais de venir en aide à une population qu’une assistance intelligente doit préserver de la misère et de la démoralisation.
L’honorable M. Cogels a dit ensuite que déjà des sacrifices considérables avaient été arrachés au pays par les Flandres, que notamment dans la dernière convention conclue avec la France pour procurer le débouché de ce pays à nos toiles, le trésor avait dû faire un sacrifice considérable. Mais les Flandres regrettent elles-mêmes les sacrifices que le trésor a fait dans cette occurrence, parce que le traité, exécutés comme il est, a fini par être stérile pour les Flandres ; c’est à ce point, messieurs, que si demain la France, comme on nous en a menacés, refusait de ratifier le traité, les Flandres, les premières, encourageraient le gouvernement à ne plus acheter des avantages aussi minces à des conditions aussi onéreuses.
Par ces considérations, messieurs, je pense avoir démontré d’une manière suffisante que l’amendement présenté par nos honorables collègues et moi doit être admis ; j’ajouterai que l’avance que nous demandons, rentrera en grande partie au trésor, sous la forme d’impôt ; car le trésor, tout le premier, a intérêt à ce que des populations nombreuses ne tombent pas dans le dénuement, dans l’extrême misère ; tant il est vrai que même au point de vue financier, il est de l’intérêt de tous que tous puissent trouver dans leur travail le pain nécessaire à leur existence.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je dirai franchement que je regrette que cette proposition vous ait été faite. Je regrette qu’on ne se soit pas borné à interpeller le gouvernement. La législature et le gouvernement n’ont pas pensé qu’on pouvait rester spectateur impassible de la crise au milieu de laquelle se débat en ce moment une partie de la population flamande. Le principe, que l’honorable préopinant qualifie de socialiste, de l’intervention du gouvernement dans une crise de ce genre, ce principe a été admis par des votes précédents. La question de principe est donc hors de cause ; l’allocation de l’année dernière a été reproduite. Depuis la rédaction du budget qui nous est soumis en ce moment, des comités industriels locaux ont été institués dans les deux Flandres.
Si. après avoir rappelé ces faits, on se fût adressé au gouvernement pour lui demander s’il pensait que l’ancienne allocation était suffisante, j’aurais répondu que je ne pouvais pas encore me déclarer positivement sur la suffisance de l’allocation, que les comités industriels locaux venaient seulement d’être organisés, que d’autres mesures sont encore projetées et que, si l’insuffisance de l’allocation était reconnue, j’aurais de nouveau recours à la législature. Voilà, messieurs, quelle eût été ma réponse.
Les orateurs, messieurs, qui ont combattu la proposition, ont semblé croire, et même ceux qui l’ont défendue, ont fait croire à plusieurs reprises qu’il s’agissait de faire une aumône en quelque sorte directe aux ouvriers des Flandres. (Réclamation.) Le mot a même été prononcé et à tort.
Il s’agit de savoir, messieurs, si le gouvernement doit intervenir pour aider au perfectionnement de l’industrie, et à l’introduction d’industries nouvelles. Voilà, messieurs, comment la question est posée en Flandre même, et c’est ainsi que le gouvernement l’a acceptée.
En autorisant l’institution des comités industriels, il ne s’agit pas d’aumônes directes à faire, il s’agit de faire connaître les procédés nouveaux, il s’agit de distribuer de nouveaux métiers ; il s’agit aussi, messieurs, de procurer la matière première ; enfin, il est un autre projet que l’on examine, c’est de savoir si l’on ne peut pas favoriser l’exportation sur certains points. Des comités industriels sont organisés ; le projet existe d’instituer une société de bienfaisance commerciale qui se chargerait d’exportations. Une souscription serait ouverte et le gouvernement y contribuerait à l’aide d’un subside. Cette seconde question n’est pas encore décidée.
Enfin, messieurs, il s’agit aussi d’en revenir à une police de la fabrication de la toile ; il s’agit de savoir s’il faut rétablir les anciens règlements qui remontent jusqu’à Marie-Thérèse, ou s’il faut présenter à la chambre une loi nouvelle.
Voilà, messieurs, les différentes questions que le gouvernement examine avec le concours des autorités provinciales et locales.
Faut-il maintenant porter immédiatement, en vue de la solution de ces questions, et parce que les comités industriels locaux existent, le chiffre de 75,000 à 200,000 fr ? Si, messieurs, l’on s’était borné à me faire l’interpellation que j’ai supposée tout à l’heure, j’aurais demandé un ajournement ; j’aurais déclaré à la chambre que le gouvernement examinait ces différentes questions, et que si la somme de 75,000 fr. était insuffisante, un subside spécial vous serait ultérieurement demandé.
Maintenant une proposition est faite ; je ne pense pas que l’on soit disposé à voter aujourd’hui, et je demande pour me prononcer définitivement sur le chiffre en lui-même que la discussion soit remise à demain. (Interruption.)
Ainsi, messieurs, vous ne faites rien de nouveau. Je ne puis assez le répéter, vous avez consacré, pour une industrie que vous avez considérée comme étant dans une position exceptionnelle, le principe de l’intervention du gouvernement, non pas pour faire une aumône, mais pour aider à la réorganisation, au perfectionnement de cette industrie.
Il faut que cette observation ne soit pas perdue de vue , parce qu’il importe qu’on ne consacre pas ici un précédent ; il faut qu’il soit bien reconnu que l’industrie linière dans les Flandres se trouve dans une position tout à fait exceptionnelle.
Je ne puis donc me prononcer aujourd’hui sur l’augmentation du chiffre ; j’ai des renseignements à recueillir.
M. le président. - La parole est à M. Pirmez.
Plusieurs membres. - A demain.
M. de Villegas (pour une motion d’ordre) - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
Tout à l’heure l’organe du gouvernement nous a dit qu’il avait des renseignements à recueillir, et qu’il ne pouvait se prononcé que demain sur l’amendement présenté par quelques députés des Flandres. Je pense que pour donner une direction utile et efficace à nos débats, il faut renvoyer la discussion à demain.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, il y a ici deux questions : la question de fait et la question de principe. J’ai demandé l’ajournement sur la question de fait. On pourrait continuer à discuter la question de principe ; je suis persuadé que l’honorable M. Pirmez se placera sur le terrain de la question de principe, en se refusant à toute allocation quelconque ; on pourrait l’entendre.
Un membre. - La question est très grave, et on n’écoute plus.
M. de Mérode. - Mais c’est précisément parce que la question est grave, qu’il est bon d’accorder la parole à ceux qui veulent parler. Je serais charmé, quant à moi, d’entendre l’honorable M. Pirmez ; ses observations m’en suggéreraient d’autres à moi-même. Je demande donc qu’il soit entendu.
La question dont il s’agit ici est une des plus graves dont on puisse s’occuper. Il s’agit de l’existence de plusieurs centaines de milliers d’individus. On peut, me paraît-il, passer encore un quart d’heure à entendre les orateurs qui peuvent nous donner des éclaircissements.
M. Delfosse. - Je demande que la séance soit levée et remise à demain. Nous avons travaillé en sections, nous avons eu quatre heures de séance, et après six heurts de travail, l’attention est fatiguée. Je remarque que lorsque les séances se prolongent au-delà de quatre heures, on n’écoute plus. J’avoue que la question est importante ; j’appuie à cet égard ce que vient de dire l’honorable M. de Mérode, mais c’est parce qu’elle est importante, qu’il faut qu’elle obtienne toute l’attention de la chambre.
- La chambre consultée renvoie la discussion à demain.
La séance est levée à quatre heures et quart.