(Moniteur belge n°87 du 28 mars 1843)
(Présidence de M. Raikem)
M. de Renesse fait l’appel nominal à 2 heures.
M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse communique les pièces de la correspondance.
« Le sieur d’Hinne, ancien médecin militaire, prie la chambre de s’occuper de la position des médecins militaires qui ont été privés de leur emploi par suite de la mise de l’armée sur le pied de paix. »
- Renvoi à la commission des pétitions et dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre.
« Les directeurs du service des barques d’Ostende à Bruges et de Bruges à Gand demandent une indemnité pour les pertes qu’ils ont essuyées par suite de l’établissement du chemin de fer. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Martelteur et la veuve Goset réclament l’intervention de la chambre pour obtenir le remboursement des prestations militaires qu’ils ont fournis de 1813 à 1816, en acquit de la commune de Gourieux. »
- Même renvoi.
Par message du 25 mars, le sénat informe la chambre qu’il a adopté le projet de loi prorogeant la loi du 18 juin 1842, relatif au transit.
- Pris pour notification.
M. le ministre de la guerre adresse à la chambre 100 exemplaires d’une publication contenant la composition organique de l’armée, avec les rapports au Roi qui l’ont motivée, ainsi que des états comparatifs des cadres de diverses armées.
- Ces exemplaires seront distribués à MM. les membres de la chambre.
M. le président. - L’ordre du jour appelle en premier lien la discussion du projet de loi suivant :
« Art. unique. Il est ouvert, à l’article unique du chap. IlI, titre II du budget de la dette publique et des dotations pour 1842, un crédit supplémentaire de neuf mille cent francs, destiné à couvrir les dépenses de la chambre des représentants pendant ledit exercice.»
- Personne ne demandant la parole, il est procédé au vote par appel nominal sur l’article unique du projet, qui est adopté à l’unanimité par les 50 membres présents.
Ce sont : MM. Coghen, Cools, David, de Behr, de Foere, de La Coste, Delfosse, de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, Deprey, de Renesse, de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dubus (Bernard), Dumortier, Duvivier, Fleussu, Huveners, Jadot, Jouet, Kervyn, Lange, Lebeau, Liedts, Malou, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Peeters, Pirmez Rodenbach, Scheyven, Savart-Martel, Sigart, Simons, Trentesaux, Vandenbossche, Vanden Eynde, Vanderbelen, Van Volxem, Wallaert, Zoude et Raikem.
M. le président. - L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi suivant :
« Art. unique. L’art. 1er de la loi du 12 avril 1833 (Bulletin officiel, n’ 186), concernant les péages du chemin de fer, est prorogé au 1er juillet 1844. »
La section centrale du budget des travaux publics, qui a examiné le projet de loi, en qualité de commission spéciale, en propose l’adoption.
M. David. - Messieurs, lors de la discussion des allocations à porter au budget de 1843, pour l’exploitation du chemin de fer, n’ayant pu obtenir les pièces probantes des dépenses et des recettes de l’exercice 1842, par le motif qu’on alléguait alors que nous étions encore trop près de la fin de cet exercice, je terminais les observations que j’avais eu l’honneur de vous présenter dans la séance du 18 janvier dernier, en disant à M. le ministre :
« Je demande que les pièces qui ont été déposées sur le bureau par M. le ministre soient complétées par lui, pour l’exercice 1842, et imprimées pour être distribuées à chacun des membres de la chambre, et je recommande de nouveau à M. le ministre les états de mouvement des transports récapitulés pour l’exercice entier tels que je les ai demandés, savoir :
« A. Pour les voyageurs ;
« B. Pour les grosses marchandises ;
« C. Pour les marchandises de diligence
« et les états correspondant de recettes, séparément. - Tous ces états par bureau de départ et par destination. »
Et je disais : « Toutes les pièces seront du plus grand intérêt pour la chambre lorsqu’il s’agira de la loi sur la prorogation des péages. »
Vous le voyez, messieurs, nous sommes arrivés à la discussion de la loi sur la prorogation des péages, et aucune de ces pièces ne nous a été fournie. C’est cependant de leur examen que devait résulter pour nous la conviction que les tarifs actuels sont bien ou mal basés. Ainsi, il en sera des tarifs connue du budget : on ne nous demande plus que vote de confiance sur vote de confiance.
Dans la séance du 19 janvier, je demandais encore à M. le ministre des travaux publics si, avant la proposition de prorogation de la loi des péages du chemin de fer, il ne publierait pas un nouveau tarif dans lequel chacun puisse trouver, sans être tenu à aucun calcul, le prix des expéditions qu’il veut confier au chemin de fer, prix que personne ne connaît, prix que personne ne saurait deviner.
Je réclamais, dans le même moment, contre l’injuste taxe qui pèse sur tous les produits du bassin de la Meuse au passage du plan incliné de Liége, taxe triple de ce qu’elle devrait être, de ce qu’elle est partout ailleurs.
« Puisqu’en attendant que l’administration des chemins de fer soit devenue plus sage, plus éclairée, et surtout plus juste, il faut que le plan incliné pèse comme un cauchemar, comme une montagne sur le cœur de l’industrielle ville de Liége, n’y aurait- il pas moyen de changer de système quant à la manière d’imposer le parcours de ce fatal plan incliné ? Je crois pouvoir prouver victorieusement ceci : qu’il n’y aurait qu’à déplacer l’impôt du triple parcours, de l’appliquer aux voyageurs, au lieu de l’appliquer aux marchandises. En l’appliquant aux voyageurs, M. le ministre, vous faites cela de juste et de bien pensé, que vous appelez le Belge de toutes les contrées du royaume, le Français, l’Anglais, l’Allemand et les autres nations qui parcourent notre territoire, à concourir à l’acquittement du droit exceptionnel du plan incliné.
« En continuant dans le système actuel, M. .le ministre, que faites-vous ? un acte d’injustice, involontairement sans doute, car il est probable que vous n’avez pas encore pensé à faire rapporter, par la contribution des voyageurs, la taxe du plan incliné qui ne pèse que sur les marchandises.
« Oui, messieurs, faire payer triple plus longtemps le parcours du plan incliné pour les produits de notre province, et non par les voyageurs, serait un acte d’injustice. C’est ma province seule alors qui est condamnée à payer pour tout le monde : elle paie cher, elle paie beaucoup alors, mais il serait bien plus équitable que tout le monde payât pour ma province, qui n’en peut, elle, si sa surface est accidentée, et le transit, messieurs, peut-on donc le repousser par le maintien d’une mesure aussi vexatoire ?
« Je livre cette réflexion aux méditations de M. le ministre des travaux publics, afin que si nous n’avons ni Meuse, ni canaux, nous ayons au moins un chemin de fer, qui tende en toute saison les bras à nos produits, à notre industrie, à notre commerce. »
Il est évident, messieurs, que le plan incliné est pour Liége, pour la province tout entière, un vrai fléau. Et malgré cela je me crois entendre faire cette objection par plusieurs de me compatriotes : « Vous voulez nous faire payer nos voyages par le chemin de fer plus cher encore que nous ne le payons. » Mais, que les personnes qui raisonnent ainsi veuillent donc bien réfléchir combien est grande, combien est immense la différence d’imposer les produits ou d’imposer les personnes. Quant au nombre d’individus voyageant, dans quelle proportion Liége fournira-t-elle ? Quand le chemin de fer sera achevé, elle n’apportera, peut-être, pas un voyageur sur 25, et ce voyageur aura payé sa place quelques centimes de plus, qu’il est bien facile de lui faire regagner par le bon marché du transport des objets pondéreux, comme clous, fer, houilles, etc., etc. Ah ! messieurs, respectons les provinces à montagnes. Le chemin de fer y a énormément coûté, cela est vrai, mais reconnaissez donc que ce sont ces parties qui alimentent et alimenteront toujours davantage votre railway. Que donnent et que donneront donc vos railways dans les Flandres dans les parties qui se sont construites à bon compte ? Rien, ou presque rien.
M. le ministre, que la chambre veuille bien l’observer, n’a absolument tenu aucun compte des observations qui lui ont été faites à l’occasion de la discussion du budget ; il n’a fait disparaître aucun des griefs que j’ai signalés.
La loi que l’on vient vous demander de proroger, messieurs, a pour but d’autoriser le Roi à fixer les péages du chemin de fer. Ce droit, messieurs, je suis tout prêt à l’accorder, si M. le ministre nous présente un tarif approuvé par arrêté royal ; un tarif qui rende possible, au ministre, à la cour des comptes, aux chambres, la vérification des recettes du chemin de fer, en appliquant aux transports effectués les prix du tarif ; mais s’il s’agit de continuer à marcher sans tarif, au jour le jour, d’après la volonté du ministre, d’après le bon plaisir de l’administration, je refuserai mon vote à cette anomalie, dussé-je encore être seul de mon avis.
Je demande donc pertinemment à M. le ministre, si le projet en discussion a pour but d’établir les prix des transports du chemin de fer d’après un tarif approuvé par le Roi, et si ce tarif sera publié prochainement, puisqu’il ne l’a pas été jusqu’à ce jour.
De sa réponse catégorique dépendra mon vote ; car je ne veux pas qu’une nouvelle loi soit un nouveau mensonge.
Puisque nous sommes à la veille de l’ouverture du chemin de fer entre Liége et Verviers, j’adresserai encore quelques interpellations à M. le ministre. Je le prierai surtout d’avoir les yeux ouverts sur la nécessité d’établir, au plus tôt, des quais, tant aux stations de Liège qu’à la station de Verviers, pour le chargement et le déchargement des marchandises pondéreuses. La ville de Verviers a le plus grand intérêt à recevoir les houilles à bas prix. Evidemment l’exportation de Liége sera augmentée par cette nouvelle communication ; et il est à désirer que la ville de Verviers soit admise à en profiter le plus tôt possible. Selon moi, les quais sont la construction la plus urgente qu’il y ait à faire. Cependant je ne vois encore aucun indice, aucune apparence de cette construction qui doit être faite de toute nécessité lorsque les premiers convois arriveront à Verviers. Il me semble que les dépouilles des anciennes stations provisoires pourraient très bien servir à établir des locaux à la station de Verviers, en attendant que les bâtiments définitifs soient construits. Je prie M. le ministre de faire la plus sérieuse attention à ce que les quais dont je viens de parler soient promptement établis et à ce que le transport des marchandises soit organisé en même temps que celui des voyageurs, c’est-à-dire, à l’époque de l’ouverture du chemin de fer, qui est fixé au 15 juillet.
J’hésitais, messieurs, à vous signaler un fait bien significatif à propos d’une révélation que nous trouvons dans le journal le Chemin de fer belge, en date du 12 février. J’eusse attendu pour cela le compte-rendu de M. le ministre, si, par la tournure que je vois prendre aux affaires, il ne me semblait que nous n’aurons pas le temps de le discuter dans cette session et que d’ailleurs il est possible que je ne reparaisse plus dans cette chambre. Cette dernière considération me fait lever le voile et vous allez être juges de la portée de ce que je vais vous communiquer : je réclame un moment d’attention.
Je prends le journal en question du 12 février. Je lis :
(Le texte de cet article du journal, non repris dans cette version numérisée, reprend le rapport d’une commission française sur les performances des locomotives confectionnées dans les ateliers de MM. J.-J. Meyer et Cie à Mulhouse.)
L’insertion textuelle de la lettre de MM. Meyer et du procès-verbal qu’ils invoquent montrera, croyons-nous, et notre impartialité, et les égards que méritent, à nos yeux, les signataires de cette pièce.
Toutefois, puisque l’on paraît attacher aux expériences de Mulhouse une certaine importance, nous ferons observer, à notre tour, qu’elles nous semblent avoir laissé à désirer, et qu’elles auraient pu offrir plus de précision dans leurs détails.
Ainsi, par exemple, on eût obtenu peut-être des résultats plus concluants, si l’on avait fait marcher la même locomotive avec ou sans expansion ; car tous les ingénieurs savent que deux machines exactement semblables et du même modèle peuvent, dans les mêmes conditions, produire des effets bien différents.
Puis la surface du chauffe, si importante au point de vue de l’économie, était-elle bien la même de deux côtés ? Il est permis d’en douter.
A-t-on tenu compte aussi des conditions atmosphériques, qui, à six jours d’intervalle, peuvent varier considérablement ?
Enfin, pourquoi n’avoir pas constaté le poids relatif de chaque locomotive et de son tender ? C’était là, selon nous, une précaution indispensable.
Loin de nous la pensée d’infirmer le jugement porté par des hommes qui doivent sans doute être compétents ; mais nous aurions regretté que MM. Meyer pussent croire que nous attachons moins d’importance qu’eux-mêmes à des expériences aussi intéressantes. Voilà pourquoi nous avons formulé les observations qui précédent.
Eh bien, messieurs, vous venez d’entendre cette pièce. Voici maintenant la manière dont il faut appliquer le chiffre de la consommation du combustible par les Français à notre consommation belge. Je prends la plus forte consommation française, la plus favorable à l’énorme, à la fabuleuse consommation belge.
La locomotive la Comète, du chemin de fer de Mulhouse à Koenigshoffen (Strasbourg), a consommé, pour aller de Mulhouse à Koenigshoffen et retour, ensemble 215 kilom. de parcours, 8 kil. 0,3 gr. par kil,, y compris les allumages et les stationnements d’ensemble 56 minutes, ou pour le parcours entier, allumages et stationnement compris, 1710 39/100 de kilog.
Cette machine transportait 78 tonnes de houille de 1000 kilog. et a fait ce trajet de 213 kilom. en 6 h. 49 m., y compris 56 minutes de stationnement. Et ici, je prie l’assemblée de le remarquer, M. le ministre n’aura plus le prétexte de me dire, comme à la discussion du budget : « Vos comparaisons clochent en cela que la France n’a eu que des convois de promeneurs, etc. » » Ce sont ici de belles et bonnes houilles et des convois de 78 tonnes.
Si on applique à ce parcours les données de l’arrêt ministériel qui fixe le coke accordé aux machinistes belges, on trouve qu’en employant une locomotive de 14 pouces de cylindre :
1° On aurait accordé aux machinistes, pour deux allumages de locomotives, 16 hectolitres de coke, kil. 560
2° Pour une heure de stationnement, kil. 66 25
3’ Pour 213 kilom. à 15,75 par kilom. Kil. 3354 75
Ensemble : kilog. 3941 00
Tandis que les Français n’ont employé que kil. 1710 39/100, pour le même parcours. !!!
Supposons que ce transport, de 78 tonnes de houille, ait pu s’opérer par des machines de 11 à 13 pouces de cylindre, et alors la comparaison est encore plus effrayante, alors vous trouverez :
Pour 2 allumages, kilog. 550 00
Pour 1 heure de stationnement, kilog. 26 25
Pour 213 kilom. à 11,66 par kilom. Kilog. 2483 58
Ensemble : kilog. 3069 83/100
Et les Français, avec la locomotive l’Espérance, qui, sans doute est une de 14 pouces, ont transporté à 5 kil. 38/100 par kilom.
Les 213 kilom. ont donc été parcourus avec kil. 1145 94/100.
Un arrêté de M. le ministre des travaux publics vient de décider que les quantités maxima de coak allouées pour le service des locomotives des chemins de fer en exploitation sont fixées, pour le premier trimestre 1843, de la manière suivante :
« 1° Par lieue de parcours de 5 kilomètres, 1 1/2 hectolitres de coak, pour les locomotives de 11 à 13 pouces de cylindre ; - 2-1/4 hectolitres de coak, pour les locomotives de 14 pouces de cylindre.
« Ces quantités seront réduites de 25 p. c., pour les locomotives à expansion ;
« 2° Par heure de stationnement avec une locomotive allumée, 3/4 hectolitres de coak ;
« 3° Pour l’allumage d’une locomotive, 8 hectolitres de coak.
« Pendant les mois de février et mars, il sera alloué, pour les locomotives de réserve dans les stations, 1/2 hectolitre de coak pour chaque heure pendant laquelle une locomotive sera allumée. »
Il est vrai qu’à cette dernière locomotive, il y avait application de l’appareil Cabry, mais pourquoi ne pas généraliser cet appareil dès qu’il est reconnu par l’arrêté ministériel lui-même qu’il apporte 25 p. c. d’économie ? Savez-vous ce que c’est, messieurs, que 25 p. c. d’économie sur le coke dans notre pays, c’est 250 mille fr., soit le quart d’un million que nous coûte le coke aujourd’hui. Comprenez-vous ensuite l’importance de l’application du système Cabry à toutes les locomotives ? C’est une dépense de 300 fr. par locomotive.
Supposez 100 locomotives à en revêtir : dépense pour l’Etat 30 millions fr., et économie de 250,000 de charbon, faut-il hésiter un instant ? Et cette dépense de 50 millions, observez-le bien, messieurs, ne se renouvelle pas toutes les années, c’est une dépense une fois à faire à chaque locomotive. La dépense du charbon, au contraire, est incessante, elle est donc bien plus à prendre en considération. Eh, messieurs, on est bien modeste quand on n’évalue l’économie par le système à expansion qu’à 25 p.c. Le rapport de M. Masui lui-même qui nous a été distribué il y a quelques mois, l’évalue d’une manière beaucoup plus large. Que serait-ce ensuite si nous marchions comme les Français ? le coke, au lieu d’un million, coûterait au plus 500 mille fr. à l’Etat.
Messieurs, je me dis qu’il a fallu que le journal ou l’administration du chemin de fer se fût trouvé serré de près pour inscrire dans ses colonnes, à la suite d’une réclame par l’administration Meyer et compagnie, une accusation aussi accablante sous le rapport de la dépense du coke en Belgique, dépense, vous le savez, messieurs, qui entre pour les 2/3 dans les fiais de locomotion ! Cette dépense est presque l’âme de la locomotion.
Oui, messieurs, vous en jugerez, vous verrez à la suite de cette réclame qu’il n’y a point d’issue à ce dilemme : ou les ingénieurs distingués de France, des ingénieurs de l’école polytechnique, qui ont signé la pièce que nous avons sous les yeux, ont perdu la vue, sont devenus des finis téméraires en exigeant l’insertion de leur réclame, ou l’administration des chemins de fer belges tolère des dilapidations sans exemple ! Que l’on se souvienne de ces paroles, et la presse, le bon sens du public feront bientôt justice d’un état de choses aussi déplorable.
Oui, messieurs, que l’on se souvienne de ces paroles : elles pourront un jour peut-être éveiller l’attention de ceux qui me succéderont dans cette chambre. Le temps de l’inconnu dans la dépense des chemins de fer devrait être déjà passé, grâce à de pareilles révélations qui nous viennent d’une manière si providentielle des voisins. Mais ce n’est pas assez de convaincre, il faudrait obtenir justice, et cela n’est pas facile. Il y a longtemps que je m’en aperçois.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - L’honorable M. David nous a beaucoup entretenus des économies à faire sur la consommation du coak. Tout en croyant devoir faire mes réserves à cet égard, je n’entrerai pas dans les calculs de comparaison avec un des chemins de fer français qu’il a cherché à établir ; je me bornerai à lui faire remarquer que tous les chemins de fer ne sont pas dans les mêmes conditions, et que, par conséquent, de pareils calculs peuvent conduire à des résultats plus ou moins erronés, lorsqu’on ne tient pas compte des différences qui existent entre ces conditions. J’ajouterai qu’il semble vraiment que ce n’est que depuis que l’honorable M. David a porté son attention sur ce point qu’il est question en Belgique d’économie sur la consommation du coak. C’est là un honneur que j’ai le droit de revendiquer pour moi ; c’est moi qui, le premier, ai porté mon attention sur ce point, et je l’ai fait bien longtemps avant que l’honorable membre soit venu en entretenir la chambre. Il est donc étonnant que ce soit à moi que l’honorable membre vienne faire des reproches à cet égard.
M. David. - C’est à l’administration en général qu’ils s’adressent.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Journellement encore mon attention est fixée sur ce point. Je ne cesse d’introduire dans l’administration aussi bien en ce qui concerne la dépense de coak que pour toutes les autres dépenses toutes les mesures que je crois susceptibles de produire les plus grandes économies possibles.
L’honorable membre s’est plaint de ce qu’on ne généralisait pas assez l’invention de l’ingénieur Cabry. Eh bien, messieurs, qu’ai-je fait pour arriver à généraliser le plus vite possible cette invention qui est bonne, qui donne de l’économie, mais à l’égard de laquelle cependant il y a encore un point sur lequel nous n’avons pas encore tous les apaisements désirables (c’est sur la diminution de puissance qui peut résulter de l’emploi de ce moyen) ; qu’ai-je fait, dis-je, pour arriver le plus tôt possible à l’emploi général du système Cabry ? J’ai chargé de l’exécution l’ingénieur Cabry lui-même. Je crois que c’était le meilleur moyen à employer ; c’est lui qui est chargé de faire faire les changements nécessaires aux locomotives pour l’emploi de son système.
L’honorable préopinant s’est de nouveau plaint de l’absence de renseignements à l’appui du projet de loi. Je dois m’étonner de ce que ce soit en séance publique qu’il vienne encore une fois élever des plaintes de cette nature, quand il a fait partie de la commission qui a examiné le projet de loi et que le rapport ne contient aucune espèce d’observation sur ce point.
M. David. - Je n’ai donc pas mon libre arbitre à la chambre.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Je ne conteste pas à l’honorable membre son libre arbitre, mais il ne me contestera pas le droit de m’étonner de ce qu’il n’a pas fait ses observations dans le sein de la commission. Quand on a des renseignements à demander, ils trouvent là mieux leur place, surtout lorsqu’il s’agit de questions de chiffres, car le ministre est en position de les fournir et de les discuter dans le sein de la commission.
L’honorable membre a renouvelé une plainte qu’il a faite, dit-il, plusieurs fois, mais à laquelle, je me permettrai de lui en faire l’observation, il a déjà été répondu aussi plusieurs fois. Cette plainte consiste en ce qu’on ne connaîtrait pas suffisamment les tarifs qui règlent les péages des chemins de fer. Les péages des chemins de fer ont été arrêtés par le Roi le 22 mars, des modifications ont été apportées à ces péages en vertu de l’arrêté royal du 2 septembre 1840 qui accorde au ministre les pouvoirs nécessaires pour cet objet. Les tarifs et ces modifications sont également connus du commerce. J’ai fait plus. Lors de la mise à exécution des tarifs du 22 mars, j’ai fait ce qui n’avait pas encore eu lieu jusque-là, j’ai fait insérer dans un livret, non seulement un tarif général, mais toutes les dispositions réglementaires concernant le tarif des transports. Ce livret a été imprimé et envoyé à toutes les chambres de commerce et distribué gratuitement à tous les négociants qui en ont demandé. Ces tarifs sont tellement connus que, depuis un an qu’ils existent, je n’ai pas reçu dix réclamations sur les interprétations données par les agents de l’administration pour leur application.
Maintenant, depuis un peu plus d’un mois que la discussion du budget de mon département a été terminée au sénat, je me suis occupé activement, avec la commission des tarifs, d’examiner quelles sont les modifications qui devraient être introduites dans les tarifs existants et surtout à l’égard de la ligne du Midi. Ce travail est à peu près terminé ; en attendant, j’ai fait procéder à la réimpression des livrets et j’ai fait insérer des tarifs spéciaux, particuliers pour chacune des stations, afin qu’on puisse, dans chaque localité où se trouve une station, connaître, au moyen d’un simple bulletin, tous les prix de transport pour toute espèce de marchandises et les places des voyageurs, toutes les indications réglementaires pour que le négociant qui a des transports à faire puisse choisir entre les différents modes usités au chemin de fer. Ce travail sera complet avant très peu de temps, et je compte l’envoyer aux chambres de commerce et le distribuer gratuitement aux négociants qui désireraient en avoir.
Je crois pouvoir borner là mes observations.
M. Pirmez. - L’honorable M. David nous a donné des détails intéressants sur ce qui se passe à l’étranger, je ne sais quel intérêt avaient ceux qui écrivaient dans les journaux ce qu’il nous a cité. Avant d’admettre des chiffres, j’aime à savoir quel intérêt on peut avoir à les poser. Cependant je les admets pour vrais. L’honorable membre en conclut que nous pourrions faire aussi bon marché qu’en Alsace, comme si le gouvernement pouvait exploiter à aussi bon marché qu’une société. Quand un gouvernement voudra faire de ces opérations-là, quelque bonne volonté qu’il y mette, quelque soin qu’apporte une administration, il y aura toujours des dilapidations. Il ne faut pas vous attendre à ce qu’un gouvernement fasse avec autant d’économie qu’une société, ni qu’une société fasse avec autant d’économie qu’un particulier. Un particulier consommerait moins de houille qu’une société et une société en consommerait moins qu’un gouvernement, et je ne sais quelle conséquence M. David veut tirer de ses citations ; si c’est pour en venir aux tarifs, nous devons prendre les choses telles qu’elles sont chez nous, prendre le chemin de fer avec ses dilapidations ; pour baser nos calculs, nous devons voir ce qui se passe ici et non pas ce qui se passe en Alsace.
Je crois que c’est la loi qui devra fixer les péages des chemins de fer ; quant aux réclamations faites pour obtenir des diminutions sur le tarif, soit sur le plan incliné, soit sur tout autre point, je ne puis qu’engager M. le ministre à attendre que toutes les lignes du chemin de fer soient mises en exploitation ; ce n’est qu’alors qu’on pourra voir s’il faut les baisser ou les hausser, soit sur les plans inclinés, soit sur toute la ligne ; on ne doit pas toucher au tarif avant que toute la ligne soit faite ; et ce ne sera pas bien long, puisqu’elle doit être terminée dans deux ou trois mois. Il existe une concurrence entre les diverses parties du pays et M. le ministre sait qu’il a reçu de réclamations de Mons et de Charleroy dont les intérêts ont été fortement lésés par les diminutions de prix des tarifs.
M. David. - Messieurs, il est évident que mon but dans toute cette discussion est d’arriver à amener les prix des péages sur le chemin de fer au taux le plus bas possible, afin d’obtenir le bénéfice du chemin de fer lui-même et le bénéfice du commerce. C’est là mon seul but, et en signalant des économies, je vois un moyen d’y arriver. Si nous suivions ici les avis de l’honorable M. Pirmez, nous resterions stationnaires ; il veut qu’on accepte le chemin de fer, tel qu’il est avec ses dilapidateurs ; ce sont les paroles qu’il a prononcées tout à l’heure ; ce n’est pas ainsi que je l’entends ; nous fera-t-il croire, par exemple, que les locomotives d’un gouvernement ont plus d’appétit que les locomotives d’une société ? Je crois que la quantité du combustible doit être invariablement la même, quand il y a surveillance ; c’est sans doute une plaisanterie échappée de la bouche de l’honorable M. Pirmez. Vous avez vu, messieurs, ce qui s’est passé en Angleterre à l’occasion du Penny-Post ; eh bien, je ne vous demande pas des changements aussi brusques, mais je demande que vous fassiez un essai. Vous avez fait un essai à haut prix ; ensuite vous avez essayé des prix modérés ; essayez maintenant des bas prix, et vous en verrez le résultat. Faisons un essai sérieux, un essai complet, un essai d’une année, et vous verrez arriver le transport du commerce ; les affluents du railway seront d’abord des ruisseaux et deviendront bientôt des rivières.
Mais il faut pour cela de la persistance. Vous pouvez observer que dans tous les pays de l’Europe, on a procédé avec une grande timidité ; en Allemagne, en Angleterre, dans les premiers temps de l’établissement des railways, on n’avait pas même songé au transport des marchandises ; on repoussait cette idée ; aujourd’hui, on transporte des marchandises partout ; mais les prix des tarifs vont incessamment se modifiant vers la baisse ; partout ils tendent à diminution et non à augmentation.
M. le ministre n’a aucunement répondu à la véritable question d’économie du combustible ; lorsque j’oppose la consommation française à la consommation belge, il se contente de me dire qu’il a fait tous ses efforts pour améliorer la consommation et la rendre plus faible ; mais si les efforts de M. le ministre (auquel, du reste, je rends justice, je sais qu’il s’est occupé de cet objet), si, dis-je, ses efforts sont impuissants, il ne faut pas cependant que nous soyons condamnés éternellement à d’impuissants efforts. Il y a quelque chose de très vrai dans ce que je vous démontre ; j’ajouterai que nous devons pouvoir faire avec des houilles de première qualité mieux que les Français avec des éléments inférieurs.
M. le ministre revendique l’honneur de l’application des moyens auxquels l’économie du charbon pouvait être due ; c’est me répéter encore ce qu’il disait dernièrement à l’occasion du système Cabry : « C’est moi, dit-il, qui suis la cause que ce système est bien ; seul, il ne valait rien ; j’ai eu l’heureuse idée de fixer pour les machinistes un maximum de charbon par distance, et je bonifie ensuite aux ouvriers qui ont fait des économies, 25 centimes par hectolitre. » Mais ; messieurs, est-ce bien cela qui améliore le système Cabry, en donnant une prime pour l’économie faite ? Mais il n’y a pas besoin de payer les économies, les ouvriers doivent les faire sans être payés ; autrement vous prenez l’argent d’une poche pour le mettre dans l’autre, et je ne vois pas à quoi cela peut vous mener.
M. le ministre a dit que si on n’a pas généralisé le système à expansion, cela a tenu à une incertitude qui subsisterait encore relativement à une prétendue diminution de puissance de la machine ; mais, messieurs, il ne faut que cinq minutes pour décider une question de cette espèce ; vous avez sous vos ordres d’excellents ingénieurs-mécaniciens, vous avez tous les moyens possibles pour vérifier la prise ou l’accroissement de puissance d’une machine ; il n’est besoin que de la soumettre aux opérations les plus simples du dynamomètre par exemple, un enfant pourrait faire l’opération et la ferait juste. Si donc vous reconnaissez que l’application du système sera bonne, et qu’il n’y ait que ce doute de la diminution de puissance qui vous arrête, vous n’avez qu’à consulter vos ingénieurs, qui à l’instant lèveront vos incertitudes.
M. le ministre a fait observer que je n’avais rien dit dans le sein de la section centrale, relativement aux documents dont j’ai parlé. Effectivement, je ne me rappelle pas y avoir fait d’observation sur l’absence des documents qu’il devait produire et qu’il avait promis de produire ; j’avais compté sur sa parole ; je ne m’étais pas attendu à arriver jusqu’aujourd’hui sans documents ; c’est donc M. le ministre qui n’a pas tenu sa promesse ; et qui d’ailleurs, je pense, n’est guère disposé à nous fournir les pièces au moyen desquelles on pourrait exercer un contrôle sévère, un contrôle qui arrêtât enfin les dilapidations.
M. Demonceau. - Nous devons et nous pouvons faire ce que font les Français, dit l’honorable préopinant, d’après les documents dont il vient de vous donner lecture. Quant à moi, je ne crois pas que les ingénieurs français seront plus capables, que les ingénieurs ou constructeurs belges. Or, c’est M. Cabry qui est chargé de faire l’application de son système : si donc il y avait un reproche à faire, ce ne serait pas à l’administration, mais à l’ingénieur inventeur du système. Je n’y connais rien, je n’en parle que d’après ce que j’ai entendu dire, et je pense que l’on peut avoir quelque confiance dans M. Cabry et l’administration.
On a parlé des tarifs, on a demandé si le gouvernement avait l’intention d’y faire des changements ; membre de la commission des tarifs, j’ai dit au gouvernement d’opérer le moins de changements possibles, avant la mise en exploitation de la totalité des lignes en construction ; je le déclare ici, c’est l’opinion que j’ai émise dans le sein de la commission des tarifs.
Les tarifs qui ont été établis par arrêté royal du mois de mars 1842, avaient été arrêtés en partie sur le rapport de la commission des tarifs, en partie sur le rapport de l’administration des chemins de fer. Ces tarifs étaient faciles à comprendre, et j’ai pu m’apercevoir que le commerce les avait parfaitement compris. Ainsi, par exemple, l’idée fondamentale, dominante de ces tarifs était de laisser au commerce la liberté d’action, la faculté de conduire ses marchandises aux stations, et de les y venir prendre. Voici une note que j’ai prise dans les documents qui nous ont été communiqués ; il en résulte que sur 147,000 tonneaux de grosses marchandises transportés par le chemin de fer, 141,000 tonneaux seulement ont été remis à domicile, c’est-à-dire qu’un douzième seulement a été demandé pour le transport à domicile, le reste a été transporté de station en station.
La manière dont les transports se sont opérés a eu pour résultat une augmentation de recettes assez considérable ; ainsi en 1841 les recettes avaient été de 1,400,000 francs ; elles se sont élevées à 1,700,000 fr. en 1842, et il y a eu 26,000 tonneaux de plus de transportés en 1842 qu’en 1841. Mais où je pense, et où j’ai toujours pensé qu’il y avait des économies à opérer, c’est en obtenant des changements complets. Ainsi, si vous vous souvenez des documents qui vous ont été fournis à la suite du rapport de la commission des tarifs, il a été constaté que les waggons avaient voyagé sur les chemins de fer avec une charge moyenne de 2,500 kil. Quand vous aurez pris communication des documents que nous mettons en ordre en ce moment, vous verrez que les waggons ont voyagé depuis, avec une charge de 3.625 k. en moyenne, tandis qu’en 1841, cette moyenne de 2,500 k. donnait en recette par waggon 24 fr. 36 c. ; en 1842, elle a été de 32 fr. 52 c., ce qui fait une différence en plus d’environ 30 c.
Quant aux frais de camionnage, il a été constaté que, pendant le premier trimestre de 1842, ces frais s’étaient élevés à 98,800 fr. ; eh bien, les documents qui vous seront soumis, constateront que, pour les trois derniers trimestres ils se sont élevés à 72,000 fr., ce qui fait par trimestre 24,000 fr., et ainsi une différence en moins, par chaque trimestre de 74,800 fr. N’allez pas croire pour cela qu’il y avait eu diminution dans les recettes, car elles ont donné, au contraire, 315,000 fr. de plus environ ; quoiqu’il n’y ait eu que 26,000 tonneaux de transport en plus.
Ainsi, messieurs, se sont réalisées les paroles que je prononçais dans cette enceinte, quand je disais à mes honorables collègues qui attaquaient le tarif : « Attendez, et vous verrez les résultats ; car vous ne l’avez pas oublié, messieurs, ici, comme en dehors de cette enceinte, la commission des tarifs pas plus que le gouvernement ne furent ménagés par l’opposition ; nous avions conseillé la ruine du commerce et du chemin de fer. C’était de l’exagération. »
Voyons maintenant ce qui a rapport au transport des voyageurs. Messieurs, vous n’avez pas perdu le souvenir des rapports de la commission ; les changements conseillés par elle et adoptés par le gouvernement ont eu des résultats non moins avantageux pour le trésor.
Pendant l’année 1842, il a été transporté sur le chemin de fer 80,000 voyageurs de plus, y compris environ 10,000 militaires ; eh bien, l’augmentation des recettes de 1842 sur 1841, bien qu’il n’y ait eu que 80,000 voyageurs de plus, a été de 565,000 fr. environ. Cet énoncé suffit pour justifier le tarif.
Il y a messieurs, un moyen facile d’obtenir beaucoup d’économies sur le chemin de fer, c’est d’être moins exigeant pour son parcours, c’est-à-dire pour les départs et les arrivées, c’est qu’il y ait moins de convois. J’ai fait le calcul de ce que coûte un convoi et j’ai trouvé qu’un convoi coûte 300 fr. pour un parcours de dix lieues. Or, savez-vous quel a été le résultat obtenu en 1842 ? C’est que, malgré la quantité considérable de voyageurs transportés, il n’y aura, terme moyen, que 80 voyageurs environ par convoi. Ce n’est pas seulement en économisant quelques kilog. de coak par kilomètre que nous parviendrons à diminuer réellement les dépenses, c’est en voyageant peu, mais en transportant beaucoup.
L’honorable M. David vous a parlé de quais à établir aux stations du chemin de fer. Cette idée a été signalée depuis longtemps. Quel est le grand avantage d’un commissionnaire ? C’est de réunir des chargements complets. Eh bien ! quand l’administration aura des magasins dans chaque station, elle pourra réunir des chargements complets. Et c’est ce qu’on fait déjà maintenant, autant toutefois que la chose est possible.
L’honorable M. David vous a parlé de la ligne de Liége à Verviers, où il y aura des transports considérables de houille. D’après les renseignements que j’ai obtenus de l’administration des chemins de fer en exploitation, toutes les dispositions sont prises pour que ces transports se fassent avec la plus grande célérité et la plus grande économie possibles. Je puis en donner l’assurance à l’honorable M. David.
L’honorable membre doit savoir que moi aussi je porte beaucoup d’intérêt au district de Verviers. Le tarif, tel qu’il a été proposé par la commission et adopté par le gouvernement, est sans doute avantageux pour ce district, mais en ceci encore je n’ai fait que servir les intérêts du trésor public ; car, selon moi, lorsque cette ligne sera entièrement en exploitation, les transports sur toute la ligne produiront peut-être le double de ce qu’ils produisent aujourd’hui. J’en ai souvent donné la raison : c’est que tout chemin de fer qui remplace un transport par terre produit une grande économie pour ceux qui en profitent et avantage pour ceux qui exploitent l’entreprise pour un chemin de fer parallèle à un canal ; c’est le contraire, le chemin de fer ne pourra jamais tenir la concurrence contre un canal.
M. David. - C’est votre opinion.
M. Demonceau. - C’est une opinion contre laquelle il n’y a rien de plausible à opposer. Et cela se conçoit : vous chargez beaucoup plus sur un bateau de Charleroy que sur un convoi du chemin de fer, et vous transportez avec beaucoup plus d’économie.
M. David. - En trois jours.
M. Demonceau. - Et qu’importe, dès que la marchandise arrive assez tôt ? Qu’est-ce que cela fait de transporter lentement, la houille surtout, pourvu que ce soit à bon marché ? Je conçois que le voyageur veuille aller vite ; mais le négociant doit avant tout vouloir des transports de marchandises économiquement, il ne tient que rarement à la vitesse, pourvu qu’il y ait exactitude.
Je bornerai là mes observations ; je vous avouerai, en terminant, que, pour mon compte, j’espère encore que d’ici à un an, époque à laquelle je pense que la chambre pourra arrêter un tarif définitivement, il sera réalisé beaucoup d’économies sur le chemin de fer, et je crois que l’administration a les meilleures dispositions pour y arriver, du moins tel m’a paru toujours être l’intention formelle de tous les chefs avec qui je me suis rencontré depuis plusieurs années.
M. Pirmez. - Je dois un mot de réponse à l’honorable M. David, qui a prétendu que je voulais qu’on restât stationnaire : je ne veux nullement qu’on reste stationnaire, et je désire aussi que le gouvernement cherche la plus grande économie possible ; mais je répète qu’il ne peut lutter sur ce point avec l’intérêt particulier, et nous devons tenir compte de cette circonstance dans l’établissement des tarifs.
M. David. - L’honorable M. Demonceau vient de me répondre (ce n’est pourtant pas lui que j’avais interpellé). Je le remercie, du reste, de ses observations et de m’avoir appris qu’il m’avait rendu service à propos du chemin de fer, bien que je ne sache sur quel point.
M. Demonceau. - Je n’ai pas parlé de cela. Je demande la parole.
M. David. - J’avais aussi appelé l’attention de M. le ministre des travaux publics sur la nécessité du prompt établissement des quais ; il ne m’a rien répondu à cet égard. Je voudrais au moins recevoir de sa bouche, sur ce point, quelques paroles encourageantes. Les quais ne sont pas une si grande dépense, et ils sont d’une si réelle utilité.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - On concevra qu’il m’est impossible de répondre à tous les points de détails que soulèvent les discours des honorables membres de la chambre, et qu’il peut quelquefois m’échapper l’un ou l’autre de ces points. C’est ce qui explique que je n’ai pas répondu aux observations de l’honorable M. David relativement à la construction de quais qu’il voudrait voir établir à proximité des stations du chemin de fer.
Je dois lui répondre à cet égard que, comme l’a dit l’honorable M. Demonceau, il y a longtemps que je m’occupe très activement de cette question, mais qu’elle présente assez de difficultés, et que les constructions que l’on demande exigeraient encore de nouvelles dépenses. L’honorable M. David n’ignore pas que le chiffre que j’avais demandé pour l’achèvement des chemins de fer a été considérablement réduit, et que par conséquent il me devient beaucoup plus difficile de satisfaire à toutes les exigences. Cependant déjà depuis assez longtemps je me suis mis en rapport avec des exploitants de houille, ainsi qu’avec des chambres de commerce et des négociants, pour arriver à organiser des dépôts aux environs des stations, et même dans les stations quand leur étendue le permet, afin de pouvoir toujours utiliser les waggons.
On conçoit fort bien, messieurs, que lorsqu’il y a, par exemple des retours à vide, si un exploitant a à livrer des houilles dans telle ou telle localité, et a un temps assez long devant lui, il pourra établir un dépôt à la station la plus voisine de la houillère, et l’administration fera charger au fur et à mesure qu’il y aura des retours à vide. De cette manière, les waggons seraient toujours utilisés ; les convois pourraient marcher plus souvent à charge complète et on aurait ainsi moyen d’arriver à une réduction dans les prix des transports pour cette espèce de marchandises. Mais ce sont des questions qu’il faut élaborer soigneusement et sur lesquelles il faut entendre les divers intérêts.
Je crois, du reste, que bientôt nous arriverons à une solution. Je dois aussi dire que dès à présent il est presque certain que de très grands transports de marchandises du pays auront lieu vers l’Allemagne aussitôt après l’ouverture du chemin de fer à la frontière prussienne qui, je crois pouvoir maintenant l’assurer d’une manière définitive, aura lieu dans le courant d’octobre.
M. de Mérode. - Messieurs, nous avons un chemin de fer en rapport direct avec le nôtre ; c’est le chemin de fer rhénan qui est exploité par une compagnie. Je crois que le tarif pour les voyageurs est beaucoup plus élevé sur ce railway que sur le nôtre. Quant aux marchandises, l’exploitation est très peu active sur ce point, parce que les relations ne sont encore établies qu’entre Aix-la-Chapelle et Cologne.
Quant aux chemins de fer anglais, ils rapportent beaucoup plus aux compagnies qui les exploitent que le nôtre ne rapporte au gouvernement.
Il est important, messieurs, que M. le ministre des travaux publics n’abaisse pas les prix du tarif ; car les prix une fois diminués, on a beaucoup de peine à les rétablir. Il est vrai que nous avons voté une loi qui doit rapporter 3 à 4 millions au trésor public ; c’est la loi des sucres ; mais cette loi n’est pas encore votée par le sénat ; nous n’avons pas la certitude qu’elle sera adoptée ; et lors même qu’elle le serait, nous aurions encore un déficit. On nous a proposé plusieurs autres lois de finances, mais malheureusement, à cause de la longueur de nos discussions précédentes, elles ne pourront être votées dans cette session. Il importe donc qu’on ne diminue pas nos revenus par des abaissements de tarif.
M. Demonceau. - Messieurs, je ne crois pas avoir dit à l’honorable M. David que je lui aurais rendu service personnellement ; si je l’avais dit, je retirerais mes paroles sur ce point. Mais je crois que l’honorable membre s’est trompé ; ce que j’ai dit, c’est que tout en servant les intérêts généraux, je crois avoir rendu service au district de Verviers et même à la province de Liége, mais non à M. David. Je sais que l’honorable membre n’a pas besoin de mes services ; j’aurais plutôt besoin des siens.
M. Rodenbach. - Messieurs, lorsque nous avons voté la dépense pour l’établissement du chemin de fer, tous nous avons dit que les produits devaient payer les capitaux engagés. Pour cela, messieurs, il faut mettre le plus d’économies possibles dans les dépenses. Cependant j’ai entendu tout à l’heure un honorable député de Verviers demander que M. le ministre des travaux publics fasse ériger des quais dans cette localité pour l’avantage de son commerce. Messieurs, le chemin de fer de la Vesdre aura coûté 3 à 4 millions par lieue, tandis que dans d’autres localités, la dépense pour une lieue de railway ne se monte qu’à 6 à 700 mille francs ; Je citerai la ligne de Gand, celle de Courtray. Si l’on réclame l’établissement de quais pour des localités où l’on a dépensé 3 ou 4 millions par lieue, nous aurions certes aussi le droit d en réclamer pour le Brabant, pour les Flandres, pour Courtray. Mais nous arriverions de cette manière à dépenser encore ainsi des millions.
Je crois que M. le ministre des travaux publics doit y penser à deux fois, avant d’accorder les faveurs que l’on réclame pour une localité. Si Verviers a besoin de quais, qu’elle les établisse à ses frais ; c’est à elle et non au gouvernement que la dépense doit incomber.
Messieurs, notre chemin de fer est une entreprise immense, colossale, dans laquelle il faut apporter la plus grande économie, si on ne veut le voir devenir une charge pour le pays. Or, messieurs, le peuple paie déjà assez d’impôts ; st vous deviez les augmenter, vous entendriez bientôt les plaintes s’élever de toutes parts. Je prie donc M. le ministre de ne pas s’engager dans de nouveaux travaux ; nous en avons fait d’assez grands, d’assez gigantesques.
M. Demonceau. - Je dois faire remarquer, messieurs, que l’honorable M. Rodenbach ne m’a pas du tout compris. Je ne crois pas demander pour Verriers des avantages extraordinaires ; il ne s’agit pas de privilège, il s’agit tout simplement d’établir dans toutes les stations, du moins les principales, des locaux pouvant contenir une quantité suffisante de marchandises pour que l’on puisse compléter les chargements et faciliter les déchargements et expéditions. Il ne s’agit donc pas de grever le trésor, mais il s’agit, au contraire, de faire des économies de temps et de matériel d’exploitation, et par conséquent, d’augmenter les produits nets du chemin de fer. Nous ne demandons pas des magasins magnifiques comme ceux qui existent à Anvers, à Malines, à Louvain, à Gand, Bruges, Ostende.
M. Rodenbach. - Ce ne sont pas des quais.
M. Demonceau. - Ce sont des magasins fermés et couverts ; c’est bien mieux.
Nous ne demandons pas du luxe, messieurs, nous demandons une chose indispensable et qu’il est tout à fait dans l’intérêt du trésor d’établir.
M. David. - L’honorable M. Rodenbach voudrait que la ville de Verviers établît elle-même les quais dont il s’agit ; mais le gouvernement irait-il permettre à la ville de Verviers d’établir des quais au milieu du chemin de fer ? (Aux voix ! aux voix !)
Il est procédé au vote par appel nominal sur l’article unique du projet qui est adopté à l’unanimité par les 51 membres présents.
Ce sont : MM. Coghen, Cools, David, de Behr, Dedecker, de Foere, de Garcia de la Vega, de La Coste, Delfosse, de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, Deprey, de Renesse, de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Huveners, Jonet, Kervyn, Lange, Lebeau, Liedts, Malou, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Pirmez, Rodenbach, Scheyven, Savart-Martel, Sigart, Simons, Trentesaux, Vandenbossche, Vanden Eynde, Vanderbelen, van Volxem, Wallaert, Zoude et Raikem.
M. le président. - L’ordre du jour appelle en troisième lieu la discussion du projet de loi sur la police du chemin de fer,
M. le ministre de la justice (M. Nothomb) et M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) déclarent se rallier au projet de la section centrale,
- Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la chambre passe à l’examen des articles.
« Art. 1er. Il n’est permis de planter à l’avenir, sans autorisation du gouvernement, qu’à la distance de 20 mètres du franc-bord des chemins de fer, pour les arbres à haute tige, et à la distance de 6 mètres pour les tétards et autres arbres.
« Il en sera de même des bâtisses et autres constructions, dans une distance de huit mètres.
« Néanmoins, lorsque la disposition des localités le permettra, le gouvernement pourra, par arrêté royal, réduire les distances ci-dessus fixées. »
M. Sigart. - Messieurs, la section centrale a introduit dans le 2ème paragraphe de cet article les mots : et autres constructions, je pense qu’il serait nécessaire d’y ajouter encore quelque chose. Je crois qu’il faudrait dire : « bâtisses et autres constructions ou amas de matières sujettes à s’ébouler ou à se renverser. »
M. Liedts, rapporteur. - Je crois, messieurs, que l’observation qui vient d’être faite par l’honorable membre, lui aura été suggérée parce qui se passe dans le Hainaut ; dans le Hainaut, le chemin de fer traverse une partie du pays où il se trouve des minières, des sablières, des carrières ; les maîtres de carrières placent très souvent des débris de leurs carrières le long du chemin de fer et font des amas qui pourraient, dans certaines circonstances, occasionner des malheurs. Je pense que ce sont ces amas que l’honorable membre a eu en vue et il y a en effet, sous ce rapport, dans la disposition, une lacune qu’il importe de combler. Je proposerai donc de rédiger le paragraphe 2 en ces termes :
« La même autorisation est requise pour les amas ou dépôts de pierres pour les bâtisses et autres constructions, dans une distance de huit mètres. »
Je pense que cette rédaction ferait droit à l’observation de l’honorable M. Sigart, car il ne peut avoir en vue que les dépôts mentionnés dans mon amendement. En effet, les dépôts de bois de construction, par exemple, tombent dans la catégorie des objets qui sont susceptibles d’être incendiés et sont comme tels prévus par un autre article du projet. Quant aux amas de terre ou de sable, je crois qu’il ne faut pas les interdire il s’agit d’imposer une restriction au droit de propriété, et dès lors il faut se renfermer dans les limites de la stricte nécessité.
M. Sigart déclare se rallier à l’amendement de M. Liedts.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) déclare également se rallier à cet amendement.
- L’amendement est mis aux voix et adopté.
M. de Villegas. - J’ai besoin d’une explication avant de donner mon assentiment à la rédaction de l’art. 1er ; il y est dit qu’il est défendu d’élever des constructions dans une distance de 8 mètres. Je suppose qu’un bâtiment se trouve aujourd’hui dans la zone déterminée, le propriétaire pourra-t-il reconstruire, réparer, ou améliorer l’édifice, sans autorisation préalable. Il est bon qu’à cet égard il n’y ait aucun doute.
M. Liedts, rapporteur. - Je vous avoue, messieurs, que cette question n’a pas été soulevée dans la section centrale, je vous prie donc de ne voir dans mes paroles que mon opinion personnelle. Je pense, pour ma part, que les bâtiments que l’on voudrait reconstruire de fond en comble tombent dans l’application du § 2, de telle sorte que si quelqu’un voulait démolir une maison et en bâtir une nouvelle, dans la distance de 8 mètres du chemin de fer, il faudrait l’autorisation du gouvernement. Du reste, le gouvernement pourra accorder l’autorisation chaque fois qu’il n’en résultera aucun danger pour le chemin de fer, car il ne s’agit ici que d’une faculté dont le gouvernement pourra faire usage selon les localités ; il est des circonstances où des maisons peuvent sans dangers se trouver à une distance de moins de 8 mètres du chemin de fer ; il est d’autres circonstances où il y aurait danger à le permettre.
- L’ensemble de l’art. 1er est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Dans les localités où le chemin de fer se trouve en remblai de plus de trois mètres sur le terrain naturel, les riverains ne pourront, sans autorisation du gouvernement, pratiquer des excavations dans une zone égale en profondeur à la hauteur verticale du remblai et mesurée à partir du pied du remblai.
M. Liedts, rapporteur. - Messieurs, l’observation faite par l’honorable M. Sigart sur l’art. 1er m’a fait apercevoir qu’il y a une lacune dans l’art. 2. En effet, l’art. 2 prévoit le cas où le chemin de fer se trouve en remblai et où l’on voudrait faire dans le voisinage des excavations qui pourraient causer des éboulements et mettre le chemin de fer en danger, mais il ne prévoit pas le cas ou des personnes qui ont déjà obtenu l’autorisation d’exploiter des carrières à ciel ouvert ou des minières, continueraient à faire des excavations jusqu’à très près du chemin de fer. Je proposerai de faire précéder l’article d’un paragraphe ainsi conçu :
« Il est défendu d’ouvrir sans autorisation du gouvernement des sablières ou des carrières et minières à ciel ouvert, le long des chemins de fer, dans la distance de 20 mètres. »
Au 2ème alinéa on dirait alors : « pratiquer d’autres excavations» au lieu de : « pratiquer des excavations. »
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) déclare se rallier à l’amendement de M. Liedts.
M. Demonceau. - Je pense qu’il est important d’adopter l’amendement proposé par l’honorable M. Liedts. S’il n’y a pas de carrières ouvertes en ce moment, il peut s’en ouvrir. Dans la direction de Liége vers la frontière prussienne, le chemin de fer traverse des montagnes de pierres, et l’exploitation de carrières, dans le voisinage des tunnels, pourrait nuire à ces travaux d’art.
- L’amendement est mis aux voix et adopté.
L’ensemble de l’articlé, ainsi amendé, est adopté.
(Manque l'article 3 : le texte défintif de cet article est ainsi conçu : Il est défendu d'établir dans la distance de vingt mètres de franc bord des chemins de fer, des toitures en chaume ou autre matière combustible, ainsi que des meules de grains ou dépôts de matières combustibles.)
« Art. 4(5). Toute contravention aux articles 1er, 2 et 3, ou aux arrêtés d’autorisation rendus en vertu des articles 1 et 2, sera punie d’une amende de fr. 16 à 200. Les contrevenants seront, en outre, condamnés, sur la réquisition du ministère public, à supprimer, dans un délai à déterminer par le jugement, les plantations, bâtisses ou autres constructions et amas de pierres, les excavations, toitures ou dépôts illicitement établis.
« Passé ce délai, le jugement sera exécuté par l’administration, aux frais du contrevenant ; ce dernier sera contraint au remboursement de la dépense, comme en matière de contributions publiques, sur simple état dressé par le fonctionnaire qui aura pris les mesures d’exécution. »
« Art. 5(6). Le gouvernement pourra, lorsque la sûreté des convois ou la conservation du chemin de fer lui paraîtra l’exiger, faire supprimer, moyennant indemnité préalable, à fixer de gré à gré ou par justice, les plantations, bâtisses, constructions, excavations ou dépôts, qui existent actuellement dans les zones déterminées par les articles 1er, 2 et 3. »
- Ces deux articles sont adoptés sans discussion.
« Art. 6 (7). Quiconque aura entravé volontairement ou tenté d’entraver la circulation sur un chemin de fer, en y déposant des objets quelconques, en dérangeant les rails ou leurs supports, en enlevant les chevilles ou clavettes, ou en employant tout autre moyen de nature à arrêter le convoi ou à le faire sortir des rails, sera puni d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 50 fr. à 200 fr.
« Le délinquant pourra, en outre, être placé sous la surveillance spéciale de la police, conformément à la loi du 31 décembre 1836 (Bulletin officiel, n°651) pendant deux ans au moins et cinq ans au plus.
« Si le fait a occasionné la mort, le coupable sera puni des peines prononcées au titre II, chap. 1, section 1, § 1er du code pénal, selon les distinctions qui y sont établies ;
« Si le fait a occasionné des coups ou blessures, le coupable sera puni conformément aux art. 309 et 310 du code pénal, s’il en est résulte une maladie ou incapacité de travail personnel pendant plus de 20 jours. Lorsque les blessures n’auront occasionné aucune maladie ni incapacité de travail personnel de cette espèce, le coupable sera puni conformément à l’art. 311, § 2 du même code. »
M. Savart-Martel. - Messieurs, je pense que le fait de celui qui méchamment a mis quelque entrave à la circulation du chemin de fer est d’une gravité telle que, s’il n’y a pas lieu de l’assimiler au crime, nous devons au moins l’envisager comme un délit considérable. Il ne faut pas seulement avoir égard à ce qui est résulté du fait, mais encore en ce qui pourrait en résulter. Il me semble qu’il faudrait au moins laisser aux tribunaux la faculté de punir un fait aussi méchant, d’un emprisonnement d’un an à 4 ans. Nous devons être d’autant plus sévères que ces faits, que je qualifierai d’atroces, peuvent se commettre très facilement.
Des faits de ce genre sont de nature à entraîner les plus grands malheurs ; nous en avons en dernièrement un exemple en France. Je le répète, si je ne veux pas assimiler des faits de cette espèce au crime, c’est que quelquefois, lorsque la peine est trop forte, le jury acquitte avec beaucoup de facilité ; ainsi au moins, il faut appliquer a ces délits toute l’étendue des peines que correctionnellement on peut prononcer.
M. Raikem. - Messieurs, je crois que les observations de l’honorable préopinant, et surtout celle par laquelle il a terminé son discours, dérogeraient à tout le système du projet.
Les peines y sont graduées suivant la gravité des faits qu’il s’agit de punir.
L’honorable préopinant voudrait qu’on établît une peine plus forte que celle de six mois à deux ans d’emprisonnement pour le fait qui y est prévu, lorsque ce fait n’a occasionné ni mort d’homme ni blessures.
Je conçois toute la méchanceté du fait ; je partage, à cet égard, l’opinion de l’honorable préopinant. Mais on sait que d’après les dispositions du code pénal actuel, on a aussi égard, pour établir la peine, aux résultats du fait. Or, remarquez quelle est la gradation des peines.
Si le fait n’a occasionné ni blessures ni mort d’homme, l’emprisonnement est de 6 mois à 2 ans. Lorsqu’il en est résulté des blessures qui n’ont pas occasionné aux personnes blessées une incapacité de travail pendant plus de 20 jours, alors le fait est puni conformément à l’art. 311, § 2, du code pénal, c’est-à-dire, d’un emprisonnement de 2 ans à 5 ans, comme les blessures qui sont faites avec préméditation et guet-apens, lorsqu’il n’y a eu ni incapacité ni maladie qui ait duré pendant plus de 20 jours. En assimilant ce cas à celui des blessures faites avec préméditation et guet-apens, je crois que c’est le punir véritablement, selon que le comporte la méchanceté d’un pareil fait.
Lorsque les blessures ont occasionné une incapacité de travail ou une maladie pendant plus de 20 jours, vient une peine criminelle, la peine de la réclusion ou celle des travaux à temps, suivant qu’il y ait eu ou non préméditation et guet-apens, d’après les distinctions établies dans les art. 309 et 310 du code pénal.
S’il est résulté du fait, mort d’homme, il est assimilé alors à l’homicide volontaire, suivant les distinctions déterminées par le même code.
Or, si pour le fait qui n’a occasionné ni mort d’hommes ni blessures, l’on établissait une peine plus forte que celle qui est proposée dans le projet, alors toute l’économie du projet serait dérangée. Je ne pense pas que l’intention de l’honorable préopinant soit de punir de la même peine le fait qui n’a occasionné aucune blessure, et le fait qui a donné lieu à des blessures.
D’après ces considérations, je pense que la chambre ne doit pas s’arrêter aux observations de l’honorable préopinant, en tant qu’elles aient pour objet de changer les dispositions du projet,
M. Savart-Martel. - Je ferai remarquer à l’honorable préopinant, que mon intention était de demander, que tous les autres faits méchants de l’espèce, fussent punis d’une peine plus sévère.
Du reste, comme la chambre paraît disposée à adopter la proposition du gouvernement amendée par la section centrale, je ne présenterai pas d’amendement,
M. Liedts, rapporteur. - Il ne me reste rien à ajouter aux observations présentées par l’honorable M. Raikem. Je ferai seulement remarquer à l’honorable préopinant qu’il aurait été nécessairement arrêté dans la gradation des peines dont il demandait l’aggravation ; arrivé à la peine des travaux forcés à perpétuité, il y aurait substitué la mort ; mais qu’aurait-il substitué à la mort ?
- Personne ne demandant plus la parole, l’art. 6 est mis aux voix et adopté.
« Art. 7 (8). Lorsqu’un convoi du chemin de fer aura éprouvé un accident par l’imprudence, la négligence, l’inattention, la maladresse ou l’inobservation soit des lois et règlements, soit des prescriptions ou défenses de l’autorité, le coupable sera puni d’une amende de fr. 16 à 200.
S’il est résulté de l’accident, des coups ou blessures, la peine sera de quinze jours à six mois d’emprisonnement et l’amende de 50 à 500 fr. ; en cas d’homicide, l’emprisonnement sera de six mois à quatre ans et l’amende de 500 à 1,000 fr.
M. Raikem. - Messieurs, je n’ai pas demandé la parole pour combattre l’article, je me suis levé pour faire seulement une observation sur la dernière disposition.
« En cas d’homicide (commis par imprudence, etc.), l’emprisonnement sera de 6 mois à 4 ans, et l’amende de fr. 500 à 1000. »
Je n’ai rien à dire quant au minimum de la peine, mais il me semble qu’il serait convenable que le juge eût une plus grande latitude, car il peut arriver que la faute soit tellement grave qu’elle approche du dol, et qu’elle vienne, pour ainsi dire, se confondre avec lui.
Ne faudrait-il pas donner au juge toute latitude pour condamner au maximum de l’emprisonnement en matière correctionnelle ?
Si ces observations sont adoptées par la chambre, cela n’empêchera pas le juge d’appliquer le minimum, mais il pourra appliquer un maximum plus fort.
Je proposerai de fixer le maximum à 5 ans au lieu de 4.
Cela, je le répète, n’empêche en aucune manière d’appliquer le minimum. Ce n’est que dans le cas de faute tellement grave qu’on pourrait la comparer à un méfait que le maximum serait appliqué.
M. Liedts, rapporteur. - Je déclare que je suis disposé à admettre les modifications proposées. Il est très vrai que 4 ans c’est le maximum de la peine pour homicide par imprudence, mais il peut se présenter des cas de négligence tellement graves, qui s’approchent tellement de l’homicide volontaire, que le maximum de 4 ans me paraîtrait trop peu élevé. Je citerai un exemple : si à l’approche d’un convoi du soir un roulier venait à laisser sur le chemin de fer sa voiture pour aller boire, que le convoi arrivât, culbutât la voiture et que des accidents graves en résultassent, je dis que le charretier coupable d’une aussi grave négligence mériterait une forte pénalité et que dans ce cas 5 années d’emprisonnement ne me paraissent pas disproportionnés au délit.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Je ne m’oppose pas à l’amendement, je m’y rallie même. Mais il est entendu que toute latitude est laissée au juge. (Oui ! Oui !)
- L’amendement proposé par M. Raikem est adopté. L’article ainsi amendé est également adopté.
La discussion est renvoyée à demain.
La séance est levée à 5 heures.