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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 21 mars 1843

(Moniteur belge n°81, du 22 mars 1843)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn fait l’appel nominal à 11 heures et 1/4.

M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn communique l’analyse des pièces de la correspondance.

« Le sieur Jean-Mathias Meurice, sergent-major au 9 régiment de ligne, né à Groningue (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Plusieurs habitants d’Anvers demandent qu’on exécute immédiatement les travaux nécessaires au réendiguemeut de Lillo. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. Osy. - Messieurs, voilà plus de trois mois que nous avons renvoyé à M. le ministre des travaux publics des pétitions de plusieurs propriétaires du poldre et habitants de Lillo, sur laquelle nous avons demandé un prompt rapport. Aujourd’hui nous recevons une pétition du commerce d’Anvers qui nous signale qu’il se forme depuis longtemps, dans l’Escaut, un banc de sable qui pourrait entraver la navigation. Je demanderai que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport sur cette pétition, et je demanderai en même temps que M. le ministre des travaux publics, lorsqu’il sera présent, veuille bien nous dire pourquoi il ne nous a pas encore fourni les renseignements demandés sur les pétitions qui lui ont été renvoyées.

Je prierai, en outre, la chambre de vouloir ordonner l’insertion au Moniteur, de la pétition dont on vient de nous présenter l’analyse, ainsi que le certificat de M. le capitaine du port.

M. Cogels. - Messieurs, j’appuie la proposition de l’honorable M. Osy, mais je demanderai de plus que M. le ministre de l’intérieur veuille bien prendre des renseignements sur les faits signalés dans la pétition et de l’exactitude desquels je n’ai aucun motif de douter. Or, si ces faits sont exacts, il y aurait une triple urgence à opérer le rendiguement, cette triple urgence existe dans l’intérêt des polders, dans l’intérêt de la défense du port et dans l’intérêt de la navigation qui pourrait se trouver gravement compromise si l’on tardait encore à faire le rendiguement ; car tous les jours la passe navigable se rétrécit.

- La proposition de M. Osy est mise aux voix et adoptée.

Projet de loi qui proroge la loi sur les concessions de péages

Rapport de la section centrale

M. d’Hoffschmidt présente le rapport de la section centrale sur le projet de loi tendant à proroger la loi relative aux péages. Il annonce que la section centrale propose d’introduire dans le projet un amendement ainsi conçu :

« Néanmoins aucune ligne de chemin de fer destiné au transport des voyageurs et des marchandises ne pourra être concédée qu’en vertu d’une loi. »

- La chambre ordonne l’impression de ce rapport. Le jour de la discussion sera ultérieurement fixé.

Rapport sur une pétition

M. de Villegas, rapporteur. - Messieurs, dans une séance précédente vous avez ordonné le renvoi à M. le ministre de l’intérieur, d’une pétition de quelques négociants et agents de change de Bruxelles, qui demandaient la suppression des lignes télégraphiques établies entre Bruxelles et Anvers ; vous avez renvoyé plus tard à la commission des pétitions une requête de quelques négociants et agents de change d’Anvers,, qui présentent des observations contre la première pétition et qui demandent, au contraire, le maintien des lignes télégraphiques dont il s’agit, ils considèrent ces lignes télégraphiques comme présentant plusieurs avantages, ils pensent qu’elles aident puissamment à activer les relations entre les deux places.

La section pense qu’il y a lieu de renvoyer également cette pétition à M. le ministre de l’intérieur et en outre à M. le ministre des travaux publics.

- Les conclusions de la section centrale sont mises aux voix et adoptées.

Projet de loi ayant pour but d'assurer l'exécution régulière et uniforme de la loi électorale du 3 mars 1831

Discussion des articles

Article 2

M. le président. - L’ordre du jour appelle la suite de la discussion des articles du projet de loi tendant à assurer l’exécution régulière et uniforme de la loi électorale. La discussion continue sur l’art. 2.

M. Savart a présenté, dans la séance d’hier, divers amendements à cet article. Voici ces amendements

Ajouter un § 5 ainsi conçu : « Dans tous les cas, il faut posséder les bases de l’impôt constitutif du cens électoral. »

Ajouter un 6, ainsi conçu : « Le possesseur, à titre successif, justifiera de son droit, par la déclaration faite au bureau des droits de succession, indépendamment des autres moyens de preuve. »

La parole est à M. Savart pour développer cet amendement.

M. Savart-Martel. - En ouvrant la discussion sur l’ensemble de la loi, je n’ai fait que poser le pied sur le terrain brûlant de la politique.

A d’autres, ai-je dit, à d’autres, les enquêtes, les faits et leurs conséquences ! je n’ai fait du projet, qui nous occupe, qu’une question de bonne foi, de théorie et de pratique.

Lorsque l’honorable ministre de l’intérieur rencontrait simultanément les discours des trois premiers orateurs, j’ai demandé et obtenu de lui répondre. Je n’ai point profité de ce droit jusqu’ici, car, sous la main d’hommes habitués aux stratégies parlementaires, les questions ont grandi et ont eu leur apogée ; il ne m’appartient point d’arrêter de grands débats.

Maintenant la question est revenue au point où je l’avais laissée. Pour ne pas fatiguer la chambre par de fréquentes répétitions, j’userai de la réplique en rencontrant plusieurs dispositions.

L’art. 2, tel qu’il est rédigé, ne me paraît point admissible ; cet article c’est toute la loi.

Qu’il y ait eu des erreurs, des abus, des fraudes même, ce n’est plus un doute ; le nombre seulement paraît incertain.

Je l’ai dit dès le principe, et l’on n’a pas détruit cette assertion.

Cet article ne pourvoit pas au mal ; loin de réprimer la fraude, il l’a couvre de son égide. Il accorde pour le présent un bill d’indemnité ; pour la suite, il encourage le mensonge et le récompense.

Pouvons-nous faire une loi qui, en couvrant l’erreur, protégerait même le vol et la fraude ? Poser cette question, c’est la résoudre.

Je suis loin de vouloir refuser au gouvernement des dispositions simplement régulatrices de la loi du 3 mars 1831 ; mais sous deux conditions : 1° Qu’il soit nécessaire de posséder les bases du cens électoral ; 2° Que la loi, au lieu de valider la fraude quelle qu’elle soit, la proscrive impitoyablement.

Je fais la part de la fausse position du gouvernement, je sais qu’il est pressé, pris à la gorge, par les délais qui vont échoir, mais, sous aucun prétexte, la législature ne peut consacrer la démoralisation ; sous aucun prétexte elle ne peut valider l’intrigue, la ruse, le dol et la fraude.

J’aime a croire que je me suis trompé, mais il me semblait avoir entendu dans cette enceinte une voix qui nous disait à peu près ce qui suit : « Messieurs les députés qui siégez à gauche, vous avez eu l’imprudence de vous plaindre et d’exiger la répression de la fraude. Acceptez une loi qui récompense le mensonge, qui validera ce que la conscience repousse, une loi qui sème l’irritation entre l’Etat et les électeurs, sinon il ne sera pas fait droit à vos griefs. Ce n’est pas tout, vous serez responsables de ce qui adviendra. »

Cette position faite à la législature ne serait point tenable ; et, comme on vient de nous le dire, nous serions sous le poids d’une contrainte morale.

Pour mon compte, je n’accepte aucune responsabilité des événements. J’aimerais mieux qu’il n’y eût pas de loi nouvelle, qu’une mauvaise loi.

Je ne recule point devant ce que j’ai dit en décembre. Comme d’honorables amis, et en affectant même de n’imputer les fraudes à qui que ce soit, pour ne blesser aucune opinion, j’ai demandé qu’on les fasse cesser, si elles existaient ; j’ai retracé les conséquences déplorables qui pourraient en résulter, et j’ai indiqué entre autres exemples l’histoire du bas empire.

Mais une loi répressive de la fraude, et une loi qui couvre la fraude, ce sont deux choses opposées. Nous avons demandé une loi en faveur de la vérité ; et vous nous en offrez une qui consacre le mensonge.

Qu’en face du refus de diviser le projet, la chambre reconnaisse son impuissance pour arrêter la fraude électorale, je le concevrais ; mais qu’elle valide ce que nous avons reconnu dangereux, immoral, intolérable même, cela ne peut être.

La nécessité de posséder la base de l’impôt pour être électeur n’est pas une question. N’en déplaise à quelques rares dissidents, cette question, toute de conscience, a été décidée par la presse et le pays.

Si, dans ses œuvres immortelles, le congrès n’a point écrit cette vérité morale, c’est par la raison qu’elle était la conséquence nécessaire et immuable de ses principes.

L’assemblée constituante a craint l’anarchie, A son désir d’ordre et de paix, elle a dû sacrifier le vote général ; dans la propriété mobilière, elle a vu une garantie d’ordre ; elle y a vu un attachement intéressé même à nos institutions.

Aujourd’hui il est devenu d’autant plus nécessaire d’écrire cette vérité, que le doute a été élevé dans le parlement même, et qu’en matière électorale surtout, il faut autant que possible avoir des règles certaines, invariables.

Tel est le but de mon amendement qui repousse tous les genres de fraude, qui fera cesser des abus, des erreurs même.

Dans tous les cas, il faut posséder les bases de l’impôt constitutif du cens électoral.

L’autre adjonction que j’ai proposée, et dont je réserve la justification lors de la discussion, a pour but d’obtenir qu’on admette comme pièce probante, sauf contredit, en cas d’hérédité, la déclaration qui doit être faite au bureau du préposé chargé de recevoir le droit de succession.

- L’amendement de M. Savart est appuyé.

M. Delehaye. - Messieurs, la plupart des orateurs qui ont pris part jusqu’ici à cette discussion ont été d’accord sur deux points ; le premier de ces points, c’est que, pour être électeur, il faut posséder les bases de l’impôt ; le second, qu’il faut proscrire les fraudes électorales. Sur ces deux points, il n’a été fait de la part de la chambre aucune opposition. Le gouvernement lui-même a reconnu que tel était son avis.

Je me demande comment il se fait qu’après avoir admis d’une part qu’il fallait être possesseur des bases de l’impôt, et d’autre part, que le projet de loi en discussion n’avait d’autre but que de proscrire la fraude ; je me demande, dis-je, comment il se fait qu’on veuille légaliser la fraude, et que loin d’exiger que désormais les électeurs soient possesseurs des bases de l’impôt, on accorde à chacun le droit électoral, pourvu qu’il veuille payer le cens indiqué par la loi, alors même qu’il déclarerait ne pas posséder les bases. Les fraudes qui ont été commises, il y a un an, ne pourront pas servir à leurs auteurs, pour venir prendre part aux élections de cette année.

Mais vous remarquerez que, pour les élections de 1843, il sera permis à tout le monde, à ceux même qui ne possèdent exactement rien, qui ne paient aucun droit de patente ; il leur sera permis de prendre part aux élections, par cela seul qu’ils paieront deux années consécutives le cens indiqué par la loi.

Je demande si ce n’est pas là une contradiction évidente. D’un côté vous voulez atteindre la fraude, et de l’autre vous la légalisez ; d’un côté, vous déclarez que les citoyens, pour être électeurs doivent posséder les bases de l’impôt, et de l’autre, vous permettez à tous ceux qui versent le cens dans le trésor public, de venir participer aux opérations électorales.

Je puis donc dire que le projet de loi en discussion est précisément le contraire des principes que vous avez reconnus et proclamés.

Messieurs, ce qui a donné lieu au projet de loi en discussion, ce sont les fraudes qui ont été signalées il y a quelques jours par un honorable membre de cette assemblée. A cette époque, on ne voulait qu’une chose, la répression de la fraude. Or, remarquez qu’il y avait des provinces où l’on n’a découvert aucune trace de fraude ; dans les Flandres, par exemple, on n’a signalé aucun de ces abus ; il n’y a été présenté aucune déclaration basée sur le mensonge, à l’effet de conquérir le droit électoral. Comment se fait-il, dès lors, que vous preniez une mesure qui tende cependant à restreindre le nombre des électeurs, même dans les provinces où aucune fraude n’a été commise.

Par l’art. 2 du projet de loi, vous déclarez qu’en ce qui concerne l’impôt de patente, il faut que cet impôt ait été payé deux années consécutives avant les élections, pour que le contribuable puisse de ce chef devenir électeur. Vous remarquerez, messieurs, que les électeurs qui le sont, à raison de cet impôt, demeurent généralement dans les villes ; eh bien, pour punir les fraudeurs, pour atteindre ceux qui ont fait des déclarations fausses, vous voulez porter un coup à des droits généralement acquis, droits invoqués par la plupart des électeurs des villes.

Pour vous faire comprendre la singulière contradiction qui se trouve dans votre projet de loi, je suppose que nous ayons simultanément des élections pour les chambres et pour le sénat ; si le projet est formulé en loi, il pourra se faire qu’un même individu éligible au sénat, pourrait ne pas être électeur. Ne croyez pas que cette supposition ne puisse pas se réaliser. J’ai examiné la liste des éligibles au sénat, et j’ai trouvé que dans certaines provinces il y avait des individus sur la liste, qui ne paient que cinq à six cents francs d’impôt. A Gand, par exemple, nous avons beaucoup de personnes, payant huit cents, neuf cents ou mille francs, du chef de la patente et de la contribution personnelle ; de sorte que vous auriez cette anomalie que je puis qualifier de ridicule, que le même individu, qui serait apte à siéger au sénat, à concourir à la formation des listes, serait inhabile à concourir à la composition du sénat et de la chambre des représentants. Il me semble qu’il suffit de signaler de pareils faits, pour en faire justice.

Vous exigez un cens assez élevé de la part des sénateurs, je le conçois ; mais il serait absurde que le cens qui suffirait à un individu pour être sénateur, ne fût pas suffisant pour qu’il fût électeur.

Messieurs, dans la discussion générale on s’est longuement appesanti sur les pétitions qui ont été adressées à la chambre, et par lesquelles on réclamait une réforme électorale. Je ne m’étendrai pas sur l’opportunité ou sur l’inopportunité de cette réforme, mais si je considère de qui émanaient ces pétitions, je crois que nous allons rendre plus graves encore les griefs contre lesquels on réclamait. Dans la plupart des pétitions, c’étaient les villes qui réclamaient contre les campagnes. Les villes prétendaient que les campagnes avaient trop de faveurs qu’elles exerçaient à leur préjudice. J’ai vu aussi plusieurs pétitions qui émanaient de communes rurales. Les signataires reconnaissaient ce grief, et protestaient précisément parce que ce système tendait à fausser la représentation nationale. Que faites-vous maintenant par votre loi ? Vous allez restreindre considérablement le nombre des électeurs des villes car dans les campagnes il y a très peu d’électeurs du chef de patentes ; c’est donc sur les villes que le grief nouveau va tomber. Mais, dit-on, de quoi se plaignent les villes ? Elles ont un électeur sur cinquante habitants, et les campagnes n’ont qu’un électeur sur cent habitants. Messieurs, je me suis fait remettre les documents constatant ce qui s’est passé dans ma province, n’aimant à mettre sous les yeux de la chambre que des documents officiels. Savez-vous quelle était en 1841 la proportion des électeurs dans les villes et dans les communes rurales ? A Gand, il y a 10 électeurs sur 1000 habitants, et dans les communes rurales il y a 10 1/3 d’électeurs sur le même nombre d’habitants. Ainsi la seule différence, bien loin d’être un sur cinquante, et un sur cent, n’est que de deux tiers sur 1000 habitants ; mais admettons que la différence soit réellement de un sur cent et de un sur cinquante, qu’en résultera-t-il si les électeurs sont plus nombreux dans les campagnes que dans les villes ?

M. Malou. - C’est la réforme électorale.

M. Delehaye. - Je ne demande pas de réforme électorale mais je vous fais voir que vous allez porter atteinte aux droits des électeurs des villes, et que vous allez empirer leur position. Comme je suis ami de la concorde, je veux combattre les mesures qui détruiraient cette union que je désire entre les villes et les campagnes. Si le projet passe, les villes réclameront avec plus de fondement ; car, en admettant même, comme l’a dit l’honorable rapporteur, que les électeurs soient plus nombreux, eu égard à la population, dans les villes que dans les campagnes ce qui n’existe pas, comme le prouvent mes calculs extraits du Mémorial administratif de la province pour l’année 1841, il en résulterait toujours que les intérêts les villes seront méconnus. Gand a mille électeurs, les communes rurales en ont quinze ou seize cents, qui toujours pourraient paralyser les réclamations de la ville.

M. Malou. - Cela dépend des populations.

M. Delehaye. - Ce sont donc les populations qui feront la représentation nationale ; mais qu’est-ce que c’est que la représentation nationale ? C’est la réunion des intérêts du pays. Or, il peut se faire que les intérêts des villes soient en opposition avec les intérêts des campagnes. Eh bien, les villes n’ayant que mille électeurs et les campagnes en ayant seize cents, les villes seront sacrifiées, vous ne pouvez le méconnaître.

Je ne plaide pas pour la réforme électorale, j’ai eu occasion de dire mon opinion à cet égard dans le conseil provincial de ma province. Mais si votre projet passe, sil est formulé en loi, vous donnez aux villes un grief nouveau, vous leur donnez le droit de se plaindre, puisque vous rétrécissez le nombre de leurs électeurs.

J’aurais voulu qu’on atteignît les fraudes, et qu’on les empêchât de se reproduire ; mais je regrette de voir que vous accordiez une faveur au mensonge, car vous engagez les faux électeurs à persister dans leur mensonge. Mais non seulement vous accordez une faveur, mais encore vous détruisez des droits légalement acquis ; vous ne voulez pas que l’individu qui, l’année dernière, aura payé le cens du chef de sa patente, et a eu le droit d’être électeur, continue à être électeur du même chef ; mais les électeurs du chef de patentes sont en grande partie des habitants des villes ; n’est-ce donc pas indubitablement donner aux villes un nouveau sujet de grief ?

C’est au nom de la concorde que j’émets cette opinion ; je ne désire pas que les villes s’emparent de ce que je viens de dire, je ne voudrais pas leur donner un motif de se plaindre ; mais je voudrais que l’on respectât des droits acquis ; je désire que ceux qui, conformément à l’article 3 de la loi électorale ont fait des déclarations qui leur ont donné l’année dernière le droit d’être électeur, aient encore le même droit cette année, et votre loi, bien loin de respecter les droits acquis, légalise la fraude ; bien loin de proclamer la nécessité de la possession des bases de l’impôt, elle décide que l’on peut acheter le droit électoral. Si vous êtes sincères, c’est ce que vous n’avez pas voulu ; vous avez déclaré qu’il fallait la possession des bases de l’impôt et la loi ne prescrit pas cette possession ; il suffit, en effet, du payement du cens pendant deux années pour acheter le droit électoral.

Si l’article 2 ne subit pas de grandes modifications, je voterai non seulement contre cet article, mais contre toute la loi.

M. le président. - La parole est à M. Verhaegen.

M. Lebeau (pour un fait personnel). - Je demande à dire quelques mots pour un fait personnel.

Je viens de lire le discours que l’honorable comte de Mérode a prononcé hier, pendant que je n’étais pas à la séance, circonstance dont je n’entends nullement faire un grief à l’honorable membre.

L’honorable M. Rogier a déjà répondu pour moi, que tout au moins la mémoire de l’honorable comte était en défaut, lorsqu’il m’a attribué la pensée d’avoir voulu soustraire au jury les délits de la presse ; j’ai eu beaucoup de conversations avec l’honorable M. de Mérode, ayant eu l’honneur de siéger avec lui dans le conseil des ministres ; j’ai pu parler du jury comme d’une foule de choses et dire peut-être qu’en matière de presse, cette institution était excellente, mais qu’elle pouvait, dans son organisation d’alors, présenter, comme toutes les institutions, quelques inconvénients ; mais je n’ai jamais eu le dessein insensé de vouloir porter la hache dans la constitution, et de changer la condition de la presse, lorsque quelques années auparavant j’avais moi-même signé une pétition aux états-généraux pour demander l’introduction du jury dans le jugement des délits qui la concernent.

La mémoire de l’honorable comte lui a fait complètement défaut ; jamais je n’ai eu l’opinion qu’il m’a attribuée.

M. Dumortier. - Personne ne veut changer la constitution. Je demande à dire quelques mots au nom de l’honorable M. de Mérode ; on a mal interprété ses paroles ; je crois qu’on doit considérer ce qu’il a dit comme une question de théorie et de doctrine, plutôt que comme une question de modification de la constitution.

M. Verhaegen. - Dans la discussion générale, nous avons recherché les tendances que décèle le projet de loi dans son ensemble ; aujourd’hui, à l’occasion de l’art. 2, nous allons examiner d’abord quelle est l’importance et surtout quelle est la source des fraudes que, dans l’opinion du gouvernement, cet article est destiné à réprimer, on apprécie mieux les faits quand on remonte aux causes.

Le ministère a ouvert une enquête dont l’insuffisance est démontrée ; il n’a pas voulu que la vérité fût connue, et le rapport de M. le gouverneur de Liége est là pour prouver notre assertion. Nous avons demandé la publication des détails relatifs aux fraudes, nous avons demandé qu’on nous fît connaître les noms des faux électeurs.

Le ministère nous a refusé ces renseignements ; mais tout en s’efforçant d’étouffer la vérité, il a lancé contre l’opinion libérale une double accusation, il nous a accusés d’abord d’avoir voulu induire le pays en erreur en lui faisant accroire qu’on avait organisé systématiquement une vaste conspiration pour détruire les bases de notre système électoral ; il a dit ensuite, et ses paroles ont été imprudentes, que la majeure partie des déclarations suspectes sont dues à l’opinion libérale.

Après nous avoir accuses d’une manière arbitraire et déloyale, après avoir voulu disculper les vrais coupables, il présente une disposition qui, au lieu d’atteindre le but annoncé, va jusqu’à légitimer la fraude ; et cette disposition, toute inefficace qu’elle soit, il nous la fait payer par d’énormes sacrifices.

Il semble messieurs, que l’honorable M. Nothomb se soit entendu avec l’honorable M. Dumortier, car lui aussi s’est permis des accusations graves contre l’opinion libérale. Ces accusations ne peuvent pas rester sans réponse, et la chambre, en clôturant la discussion générale, m’a réservé mes droits à cet égard. Je réponds d’abord à M. le ministre de l’intérieur : « Le gouvernement, a dit M. le ministre, veut rester impartial ; il n’entend accuser aucun parti ; la publication des noms présenterait de graves inconvénients, et ne nous apprendrait rien. On a voulu faire beaucoup de bruit et le gouvernement ne s’est pas associé à ces manœuvres. » Jusque-là la conduite du gouvernement pouvait être approuvée par les uns et désapprouvée par les autres. Mais après avoir dit qu’il n’entendait accuser aucun parti, il a imputé des faits graves à notre opinion, et dès lors, il ne peut plus garder le silence, il faut nécessairement qu’il le rompe. L’opinion qu’il accuse doit avoir le moyen de se justifier ; et le seul moyen c’est la publication des noms !

Pour qu’on ne se méprenne pas sur les paroles de M. le ministre de l’intérieur, j’ai extrait du il ce qu’il disait dans la séance du 18 mars :

« Troisième grief : On ne publie pas les noms. Toujours la publication des noms, mais que vous apprendraient donc les noms ? Ce qu’il vous appartient à vous, législateurs, de savoir, ce sont les faits. Que vous importe à quels noms se rapportent les faits. Ce n’est pas le nom, c’est le fait qui constate la nécessité de la répression de la fraude.

« M. Devaux. - Le nom fait le fait.

« M. le ministre de l'intérieur - Le nom ne fait pas le fait ; c’est la fraude constatée qui exige la mesure répressive, de quelque part que vienne la fraude.

« Le véritable grief contre le ministère, je vous l’ai dit, le voici : On a voulu faire croire au pays qu’on avait organisé systématiquement une espèce de conspiration pour détruire les bases de notre système électoral, on l’avait supposé ; c’est là ce qu’on désirait et le gouvernement ne s’est pas associé à cette imputation. Désormais il est constaté pour tout homme impartial, qu’il n’y a eu que tentatives partielles, locales.

« Ces tentatives ne sont pas moins blâmables ; je les ai blâmées lorsque l’honorable M. Mercier vous les a signalées ; ces tentatives sont dues à toutes les opinions, et je n’hésite pas à dire que les 393 déclarations pour les patentes sur le total de 635 déclarations suspectes sont dues, en majeure partie, à l’opinion qu’on voudrait vous présenter comme complètement hors de cause. »

Voilà donc, comme je le disais à l’instant, deux accusations graves contre notre opinion, et cependant elles sont dénues de tout fondement : D’abord il est faux que nous ayons voulu induire le public en erreur. Qu’avons-nous fait ? Nous avons signalé des faits, nous avons demandé une enquête, nous voulions la vérité et rien de plus. L’enquête que le ministère a faite n’est pas une enquête sérieuse, et, encore une fois, le rapport du gouverneur de Liége est là pour l’établir. Ce haut fonctionnaire n’a pas répondu aux demandes qui lui étaient adressées, il s’est occupé, dans son rapport, de tout autre chose, et ce rapport ne lui a pas été renvoyé et de nouveaux renseignements ne lui ont pas été demandés ! La première accusation est donc calomnieuse, la deuxième ne l’est pas moins : Il est faux que la majeure partie des déclarations suspectes soit due à notre opinion. Et nous sommons ceux qui se permettent ces assertions calomnieuses de faire connaître les détails et surtout les noms des faux électeurs ; ce ne sera pas parce qu’un gouverneur ou un commissaire de district aura donné à un citoyen la qualification de libéral, que le pays le croira sur parole.

Nous avons les premiers dénoncé les fraudes, nous les avons flétries comme elles méritaient de l’être, nous avons soutenu qu’il fallait, pour être électeur, possédés les bases du cens. L’initiative, en un mot, est venu de nos bancs ; ce sont d’autres que nous qui ont cherché des excuses, ou qui ont voulu diminuer l’importance des accusations ; ce sont d’autres que nous qui ont été jusqu’à refuser le nom de fraude à des faits auxquels ils ne voulaient donner que la qualification d’abus. Nous, nous voulons sincèrement la répression de la fraude. Nous la voulons gratuitement pour toutes les opinions, d’autres ne veulent de cette répression qu’au moyen de sacrifices énormes qu’ils imposent à l’opinion libérale. La discussion d’hier l’a assez prouvé.

Mais, messieurs, allons au fond des choses, et je fais ici un appel à vos consciences ; qui donc avait intérêt à fausser les élections ? car l’intérêt est la mesure des actions humaines ? qui avait intérêt à préparer le terrain pour 1843 ? Les élections de 1841 et les dernières élections communales ne sont-elles pas là pour démontrer qui avait intérêt à changer la face des choses ? Ces dernières élections, ainsi que je l’ai dit déjà, avaient donné l’éveil, le péril était imminent ; il fallait tout risquer, dût-on être culbuté un peu plus tôt.

Ceux qui ont organisé le plan et qui en même temps se sont chargés de l’exécuter ne peuvent pas rester inconnus ; une association a été formée sur une vaste échelle, des listes de souscription pour couvrir les dépenses ont circulé. Que le gouvernement fasse son devoir et le pays connaîtra les vrais coupables.

Messieurs, je vous ai dit, dans la discussion générale, et j’en avais la preuve à côté de moi, que, dans l’arrondissement de Tournay entr’autres, une grande quantité de fausses déclarations avaient été faites par des curés et si on avait consenti à entrer dans des détails, j’aurais indiqué des villages, j’aurais cité des noms propres.

M. Dumortier. - Citez, nous en citerons d’autres.

M. Verhaegen. - Qu’on s’engage à me suivre sur ce terrain, et je consens à prendre l’initiative. Alors seulement on montrera de l’impartialité.

Tout le monde sait ce qui s’est passé dans la province de Liége ; on connaît l’auteur des manœuvres et ceux qu’il a traînés à sa suite voudraient en vain se cacher, la voix publique proclame leurs noms. Encore une fois, que le gouvernement ait le courage de faire son devoir.

D’ailleurs, pour faire des faux électeurs, il fallait de l’argent, beaucoup d’argent ; le parti libéral avait-il la ressource des quêtes, des collectes ? Pouvait-il imposer une contribution de deux francs sur chacun de ses membres, comme vient de le faire le chef d’un diocèse par un mandement de carême ?

Voilà, messieurs, la réponse que devait amener l’accusation de l’honorable M. Nothomb : Et si mes paroles renferment, à leur tour, une accusation, il y a donc accusation réciproque, et le gouvernement doit mettre le pays à même de juger l’une et l’autre en lui faisant connaître les faits.

Mais l’accusation de M. le ministre de l’intérieur a été, comme je l’ai fait remarquer d’abord, combinée avec celle de l’honorable M. Dumortier ; il fallait rendre le parti libéral odieux au pays, il fallait tâcher de ressaisir une autorité qu’on avait perdue, il fallait mettre tout en œuvre pour atteindre le but électoral. L’honorable M. Dumortier, qui a parlé avant M. le ministre de l’intérieur, a commencé l’attaque et l’honorable M. Nothomb l’a suivi dans l’arène pour porter les derniers coups. C’est à cette partie du discours de l’honorable M. Dumortier que, d’après, les réserves que j’ai faites samedi, la chambre me permettra de répondre.

M. Dumortier qui repousse la qualification de parti clérical et qui revendique celle de parti catholique a attaqué l’opinion libérale avec une violence qui dépasse toutes les bornes. Nous sommes aussi catholiques et peut-être plus catholiques que lui et ses amis. La qualification que s’arroge le parti que nous combattons et dont il a abusé aux yeux des masses est impropre. La seule qui lui convienne est celle de parti clérical, surtout dans la troisième phase où nous a placés M. Dumortier lui-même.

Trois questions, a dit cet honorable membre, étaient à l’ordre du jour en Belgique à la suite de la révolution de 1830. La première était la question extérieure ; la seconde, l’organisation intérieure et la troisième la question religieuse, ou, pour mieux dire, la question de liberté civile et religieuse.

Nous adoptons volontiers cette division et elle servira de réponse à tout ce que M. le ministre de l’intérieur nous a dit sur sa majorité mixte.

Oui, la première question qui se présentait à décider à la suite de la révolution était celle de l’extérieur ; l’union des catholiques et des libéraux avait été formée pour renverser le gouvernement du roi Guillaume, contre lequel il existait des griefs communs, et pour constituer un gouvernement nouveau ; il y avait là un grand but politique.

L’honorable M. Dumortier m’a fait le reproche de ne pas avoir pris une part active au mouvement de 1830. Déjà et plus d’une fois je me suis expliqué sur ce reproche. Non, je n’ai pas pris de part active à la révolution, et je m’en félicite. J’appréciais dès cette époque, les tendances du clergé, je voyais quels devaient être les résultats d’une union composée d’éléments hétérogènes ; je n’ai rien fait en faveur du mouvement, mais aussi je n’ai rien fait contre, je suis resté neutre. Lorsque la révolution s’est traduite en fait accompli, ami de mon pays, ennemi des commotions, je m’y suis franchement rallié, et je m’en félicite encore ; en agissant ainsi, je crois avoir mérité la confiance de mes concitoyens, et je défie l’honorable M. Dumortier de m’imputer un fait quelconque qui soit de nature à faire suspecter mon patriotisme.

Le grand but politique, messieurs, que l’on se proposait en 1830, n’a été atteint qu’en 1839. C’est alors seulement que la première question mise à l’ordre du jour a reçu une solution, c’est alors aussi que l’union, qui avait rempli sa mission, est venue à se dissoudre.

Il est vrai que, dans l’intervalle, nous avons eu à combattre certaines tendances, à nous opposer à certains empiétements ; souvent nous nous sommes trouvés sur la brèche pour défendre les libertés qui déjà étaient attaquées, mais ce n’étaient là que des combats partiels ; la question de liberté civile et religieuse n’était pas encore réellement à l’ordre du jour.

Après la question extérieure s’est présentée la deuxième question, concernant l’organisation intérieure dans la discussion des lois qui se rattachent à cette organisation ; nous avons encore, mais accessoirement jusque-là, combattu les tendances, les empiétements même du clergé.

M. de Theux. - Je demande la parole pour un rappel à la question.

M. Verhaegen. - Vous oubliez ce que vous m’avez accordé.

M. de Theux. - Je reconnais qu’il a été promis quelque chose à l’honorable M. Verhaegen ; j’ai moi-même donné mon assentiment à la demande qu’il nous a faite de pouvoir parler ; mais il s’agissait uniquement d’un fait personnel. Tout ce qui était fait personnel pouvait être l’objet d’un discours à prononcer dans cette séance. Mais il est évident pour tous que dans ce que dit l’honorable M. Verhaegen, il ne s’agit plus d’un fait personnel, mais d’un discours de discussion générale.

Si l’honorable membre veut se renfermer dans le fait personnel je ne m’oppose pas à ce qu’il continue, mais j’invite M. le président à engager l’orateur à se renfermer dans le fait personnel. Sans cela il n’y aura pas de raison pour refuser la parole à un orateur qui voudrait répondre, et nous recommencerons ainsi la discussion générale.

M. le président. - Je ferai remarquer que l’honorable M. Verhaegen a fait ses réserves et que la chambre a adopté ces réserves. Si l’honorable M. Verhaegen avait demandé la parole pour un fait personnel, il l’aurait obtenue immédiatement.

M. Verhaegen. - M. le président seul peut me rappeler à la question.

M. de Theux. - Un membre peut provoquer le rappel.

M. le président. - Si on l’exige, je consulterai la chambre.

M. de Theux. - Je désire ajouter quelques mots pour faire voir que les paroles que j’ai prononcées ne l’ont pas été à la légère.

A la vérité l’honorable préopinant aurait pu obtenir la parole pour un fait personnel dans la séance de samedi ; mais on sait qu’il était déjà cinq heures lorsqu’il a demandé la parole, et que la séance était trop avancée pour que l’honorable membre pût s’expliquer sur ce fait personnel. C’est alors que la discussion générale a été close sous la réserve que l’honorable membre pourrait, à l’occasion des articles, répondre à ce qui lui était personnel.

D’ailleurs j’en appelle à ce que disait hier l’honorable membre, Il nous parlait de l’urgence de l’adoption de la loi. Il faut convenir que sa conduite ne correspond pas avec ses paroles d’hier.

M. Verhaegen. - Je rappellerai ici ce qui s’est passé dans la séance de samedi. Voici ce qui se trouve dans le Moniteur.

On veut clore ; M. de Theux fait une observation, et je dis : « Messieurs, quand j’ai demandé la parole, c’est que je voulais répondre à une attaque que M. Dumortier a faite d’une manière très inconvenante contre l’opinion à laquelle j’appartiens ; je n’ai pas voulu demander la parole pour un fait personnel ; je comptais lui répondre à mon tour ; je désire pouvoir le faire, car je ne puis laisser passer sous silence ce qu’il a avancé. Je m’opposerai donc à la clôture, à moins qu’en clôturant on ne décide qu’il me sera permis, à l’occasion de l’art. 2, de revenir sur ce point. (Oui, oui.) En ce cas, je ne m’oppose plus à la clôture. »

Je demande maintenant s’il serait juste de m’empêcher de parler.

On a attaqué d’une manière violente l’opinion libérale, et il ne me serait pas permis de répondre ! Hier on a bien permis à l’honorable comte de Mérode de rentrer dans la discussion générale.

D’ailleurs, il y aune observation qui est décisive, c’est que M. le président seul a le droit de me rappeler à la question, et après la lecture que je viens de donner du compte rendu de la séance de samedi, j’ai trop de confiance dans l’impartialité et dans la justice de M. le président pour croire qu’il veuille me rappeler à la question.

M. Dumortier. - Je ne viens pas m’opposer ce que la parole soit continuée à l’honorable M. Verhaegen et je déclare que je suis prêt à lui répondre. J’annonce que je lui répondrai, et ce ne sera pas pour parler dans huit jours.

Il y a huit jours que j’ai prononcé mon discours, je regrette que l’honorable membre n’y ait pas répondu dans la discussion générale.

M. Verhaegen. - Je n’ai pu obtenir la parole.

M. Dumortier. - Si vous aviez demandé la parole pour un fait personnel, vous auriez pu me répondre sur-le-champ ; si ce n’était pas pour un fait personnel que vous demandiez la parole, vous n’aviez pas de réserve à faire. Quand vous avez demandé à la chambre de pouvoir être entendu, après la clôture de la discussion générale, c’était pour un fait personnel, et rien que pour un fait personnel. Jamais aucun député n’a été admis dans cette chambre à faire des réserves, on fait des réserves au barreau, mais on n’en fait pas contre la majorité du parlement. Le jour où le parlement a décidé la clôture, et quant à moi je n’en étais pas partisan, il l’a décidée pour tout le monde, sauf à entendre M. le rapporteur et l’honorable M. Verhaegen pour le fait personnel.

L’honorable M. Verhaegen avait donc le droit de parler pour un fait personnel, mais uniquement pour cela ; mais il eût été convenable qu’il parlât avant la discussion des articles, car venir prétendre que, quand on est occupé à la discussion les articles, l’honorable membre peut venir prononcer un discours de discussion générale, autant vaut dire qu’on ne veut pas en finir.

Du reste, j’aurais mauvaise grâce à vouloir empêcher l’honorable M. Verhaegen de parler. Je ne veux que deux choses : faire voir combien sa conduite est insolite et me réserver le droit de lui répondre.

On dit que j’ai attaqué avec violence le parti libéral. Je proteste contre cette allégation ; mais j’ai attaqué avec justice les exagérations des hommes qui, comme l’honorable M. Verhaegen, sont venus dire qu’ils avaient combattu, dans cette enceinte, la dîme et la mainmorte lorsqu’il n’en avait jamais été question ; et je ne confonds pas ces hommes avec le parti libéral sincère qui veut la liberté pour tous les citoyens.

M. de Theux. - Je déclare que je retire ma motion. Mais je fais un appel à l’honorable M. Verhaegen lui-même ; il a déjà reconnu qu’il était urgent de terminer cette discussion.

M. le président. - La parole est continuée à M. Verhaegen.

M. Verhaegen. - J’ai dit, messieurs, qu’en 1839 la première grande question à l’ordre du jour avait reçu sa solution, et que, dès ce moment, le but de l’union était venu à cesser. J’ai dit encore qu’il était vrai que la discussion des lois organiques à l’intérieur avait révélé des tendances et provoqué des craintes, mais que les combats livrés à l’occasion de cette deuxième question n’avaient pas encore définitivement dessiné les partis. Il y avait eu, messieurs, changement de personnes sur les bancs ministériels ; mais de véritables luttes de principe, quant à la troisième et dernière question, je n’en avais pas aperçu jusque-là. Les partis attendaient leur qualification ; tout était encore dans le vague, et la preuve, c’est l’affaire Vandersmissen dont on vous a parlé et sur laquelle les uns ont voté de telle manière, les autres de telle autre manière, quels que fussent les bancs auxquels ils appartinssent.

Les hommes qui étaient alors au banc ministériel ont cédé leur place à d’autres. M. Lebeau et ses amis ont pris les rênes du gouvernement ; c’est alors, mais alors seulement qu’a été mis à l’ordre du jour la question religieuse qui, d’après M. Dumortier, devait se présenter la dernière. La proposition Dubus-Brabant fut le signal du combat. Jusque- là, il n’y avait eu que des tendances, des attaques partielles, mais 1841 devait changer la face du parlement.

Nous avions accordé notre appui au cabinet de 1841, parce que son programme nous donnait des garanties, surtout contre la confusion des pouvoirs. Notre appui a servi de prétexte à sa chute ; il été renversé, et par qui ? Par ceux qui voulaient donner la prééminence au clergé au détriment du pouvoir temporel, et que nous avons dès lors le droit de classer dans le parti clérical, car ceux-là seuls qui veulent franchement la liberté civile et religieuse appartiennent au parti libéral.

En 1841 donc, la lutte est devenue sérieuse ; les partis qui avaient attendu une qualification, ils l’ont reçue, et il est de l’essence du gouvernement représentatif qu’il en soit ainsi ; dès ce moment, il s’est opéré une division bien nette entre les deux opinions auxquelles doivent rester désormais les dénominations d’opinion cléricale et d’opinion libérale.

M. Dumortier. - C’est une injure.

M. Verhaegen. - Je vais prouver que ce n’est pas une injure. Je vais prouver que cette dénomination est la seule qui vous convienne, vous avez abusé de la dénomination de parti catholique, pour faire impression sur les masses, et cette dénomination nous appartient aussi bien qu’à vous.

Ce n’est pas nous qui vous avons donné la dénomination de parti clérical, ce sont vos actes et vous l’avez justifiée encore par vos récentes explications : relativement à la troisième question actuellement à l’ordre du jour, celle qui concerne les libertés civiles et religieuses, que demandons-nous, que voulons-nous et à quoi s’oppose votre parti ? Notre programme n’est pas bien difficile à rédiger ; nous voulons l’indépendance du pouvoir temporel avec toutes les libertés que nous assure la constitution. Nous ne voulons pas, comme le veut votre parti, la confusion des pouvoirs.

M. Dumortier. - Ni nous non plus.

M. Verhaegen. - Mais l’honorable M. Lebeau vous a cité divers passages d’un livre, vous a rappelé des écrits, des discours qui tendent directement à la confusion des pouvoirs. Eh bien, c’est ce que nous ne voulons pas ; nous voulons, je le répète, la séparation des pouvoirs....

M. Demonceau. - Nous voulons la constitution.....

M. Verhaegen. - On veut égarer l’opinion publique au moyen de protestations banales, et M. le ministre de l’intérieur concourt avec sa majorité mixte, à donner le change au pays.

M. Demonceau. - Nous voulons la constitution, toute la constitution et rien que la constitution.

M. Verhaegen. - Ce sont là des mots ; et rien de plus ; on est allé jusqu’à évoquer 89. Eh bien, je parlerai tout à l’heure de 89, non pas du 89 français, mais du 89 brabançon ; alors aussi on voulait prétendument la constitution, alors aussi le parti des abbés se posait comme le soutien exclusif du pacte fondamental, et nous savons tous où ce parti nous a conduits. Messieurs, nous voulons, nous, la constitution, mais nous la voulons franchement : Nous voulons la liberté pour tous, nous voulons la séparation des pouvoirs que la constitution consacre de la manière la plus formelle. Voilà, en deux mots, nos exigences, et le programme qui vous a été présenté sous ce rapport, avec tant de lucidité par un de nos amis, l’honorable M. Lebeau, ce programme nous l’adoptons dans son entier. La question concernant la séparation des pouvoirs est, d’après M. Dumortier lui-même, la véritable question à l’ordre du jour ; c’est celle-là qui maintiendra la dénomination des partis, car je crains fort qu’elle ne soit permanente.

Nous voulons, nous (et il n’y aurait point de partis sans cela) nous voulons ce que plusieurs de vous ne veulent point ; nous voulons nous ce que voulait l’évêque de Liège en 1830 et ce qu’il ne veut plus aujourd’hui.

Un membre. - Quoi donc ?

M. Verhaegen. - On me demande quoi. Je vais vous le dire : ce qui est écrit dans sa lettre pastorale de 1830, et la voici :

« Il ne faut jamais confondre, nos très chers frères, ce que Dieu a séparé, il ne faut jamais perdre de vue ce que disaient les évêques de France en 1765 : « Que l’établissement des deux puissances temporelle et spirituelle est un des plus grands bienfaits de la Providence envers les hommes ; que l’une a pour objet leur bonheur dans la vie présente et que l’autre le prépare pour l’éternité ; que les intérêts du ciel et ceux de la terre n’ont pas été réunis dans les mêmes mains ; que Dieu a établi deux ministères différents, l’un pour faire passer aux citoyens des jours doux et tranquilles, l’autre pour former des enfants de Dieu, les héritiers et les cohéritiers de Jésus-Christ ; » et c’est cette lumineuse distinction, bien saisie dans tous ses rapports, qui est la réponse catégorique à tous les sophismes de nos faux docteurs, comme elle serait, suivie dans toutes ses conséquences, la meilleure garantie de la tranquillité des empires.

« Nous le savons, nos très chers frères, il fut un temps où ces deux puissances s’étaient fait, dans notre patrie, des concessions mutuelles de droits et de privilèges tellement multipliées, que les deux paraissaient n’en faire qu’une, tant elles étaient entièrement liées et comme confondues ensemble. Alors le clergé était riche et puissant, et il avait comme les premiers corps de l’Etat, dans le gouvernement civil, la part la plus active et la plus décisive : alors le souverain, appelé l’évêque extérieur, connaissait de beaucoup d’affaires ecclésiastiques et jouissait de nombreux privilèges, qui lui donnaient une influence marquante sur le gouvernement de l’Eglise. S’il est vrai que cet ordre de choses ait produit de grands biens, on ne peut nier qu’il n’en soit résulté aussi de grands abus. La Providence l’a fait cesser, et tout ce que la Providence fait est bien fait. Bene omnia fecit.

« Nous désirons, très chers frères, qu’avec ces principes se propagent de plus en plus parmi vous, l’amour de l’ordre, la soumission aux lois, le respect envers la majesté royale, et je ne sais quel esprit de modération et de sagesse qui fait, dans les temps difficiles, concilier avec dignité et calme ce que l’on doit à Dieu avec ce que l’on doit au Roi et ce que doit se doit à soi-même : fuyez tout ce qui pourrait fomenter un esprit de haine et d’animosité contre le pouvoir ou ses agents et sous prétexte de conserver intactes quelques parties du corps social que l’on croira menacées rompre le lien qui unit toutes les parties entre elles et entraîner la dissolution du corps entier. « Le Seigneur n’est pas dans le trouble. Non in commotione dominus. 3 reg. C 19, V. 11.

« Ministre d’un Dieu de paix, nous ne craindrions même pas, dans des temps calamiteux, devoir vous exhorter à vaincre par vos souffrances plutôt qu’en sacrifiant le trésor de la paix et de la tranquillité publiques.

« Loin de nous la pensée de vous entretenir ici, nos très chers frères, d’objets étrangers à notre ministère. Engagé an service de Dieu, comme dit le grand apôtre, nous tâcherons toujours de nous appliquer à nous-mêmes l’avis qu’il donnait à l’évêque d’Ephèse :

« Qu’aucun de ceux qui s’enrôlent dans la milice sainte ne s’embarrasse dans les affaires séculières. » 2 ép. ad Tim. C 2, V. 4.

« Avec quel courage, membres du Seigneur, avec quel redoublement de zèle n’allez-vous pas poursuivre paisiblement votre belle carrière ? servir en même temps l’Eglise et l’Etat en vous vouant sans partage aux fonctions, non moins sublimes que modestes, de votre saint ministère. Ah ! quelle belle vie qu’une vie uniquement employée à instruite l’ignorant, à ramener le coupable, à soutenir le faible, à soulager le pauvre, à consoler la veuve et l’orphelin ; à prodiguer vos soins aux moribonds, à prévenir les haines, à rétablir la paix et la concorde dans les familles où elle est troublée et en levant sans cesse des mains pures vers le ciel pour en faire descendre sur ceux qui vous gouvernent tous les dons de la sagesse de Dieu, et sur vous et sur ceux qui vous sont confiés tous les trésors de la miséricorde, car voilà, ministres du Dieu vivant, nos occupations, voilà nos destinées et que nous sommes heureux, lorsque, devenus étrangers et comme morts à tout le reste, nous ne visons qu’à les remplir. »

M. de Man d’Attenrode. - Ce n’est pas la question.

M. Verhaegen. - C’est la question.

M. de Man d’Attenrode. - C’est l’art. 2 qui est la question.

M. Delfosse. - Etait-ce la question quand M. de Mérode demandait la suppression du jury ?

M. Verhaegen. - Nous sommes déjà loin de 1830 ; nous sommes même déjà loin de 1839. Que les temps sont changés ! Que de masques tombés ! Que de beaux semblants démentis ! Mon Dieu ! Quelle différence entre les discours et la conduite d’alors, et les discours et la conduite d’aujourd’hui !

M. Dumortier. - De qui ?

M. Verhaegen. - Vous me demandez de qui ?

On a parlé d’hommes du lendemain. Mais les hommes du lendemain sont aussi purs que les hommes du jour, lorsqu’ils n’agissent que d’après leur conviction.

M. Dumortier. - Je vous somme de vous expliquer. A qui avez-vous voulu faire allusion ?

M. Verhaegen. - Ce que je dis s’adresse à une foule d’individus. Mais si M. Dumortier veut le prendre pour son compte, libre à lui.

M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel. Je vous répondrai ! Je vous répondrai !

M. de Foere. - Je demande que l’orateur soit entendu sans interruption. Il en a le droit. La chambre lui a accordé la parole.

M. Verhaegen. - Il nous a accusé d’une manière dont on ne rencontre pas d’exemple dans les fastes parlementaires, et il ne veut pas qu’on lui réponde. (Interruption). Messieurs, c’est à ne pas y tenir. Je suis fatigué de répondre à tous les interrupteurs. Cependant ils n’atteindront pas leur but, car je ferai tous mes efforts pour ne pas perdre le fil de mes idées.

M. le président. - Je prie ceux qui veulent répondre à l’orateur de se faire inscrire, mais de ne pas l’interrompre.

M. Verhaegen. - Messieurs, ce n’est pas dans nos journaux, mais bien dans ceux d’une autre opinion, que nous avons trouvé, surtout depuis 1839, des attaques incessantes contre plusieurs de nos libertés. N’est-ce pas, en effet, dans les journaux du haut clergé que l’on a commencé l’attaque contre les franchises communales, franchises que nous avons perdues ? N’est-ce pas dans les journaux du haut clergé que l’on a prétendu que le gouvernement est incompétent en matière d’instruction, et n’a-t-on pas fait, en s’appuyant sur cette doctrine, la loi désastreuse sur l’instruction primaire ? N’est-ce pas encore par suite de cette doctrine que nous avons perdu la plupart de nos collèges communaux ? car nous avons eu, il n’y a pas bien longtemps, la nomenclature de ceux qui sont tombés entre les mains du clergé, et il en reste bien peu en Belgique qui ne soient pas dans ce cas. N’est-ce pas dans les journaux du haut clergé que nous avons trouvé des attaques contre la liberté de la presse, qu’ils ont osé appeler une invention infernale, et l’honorable M. de Mérode, dans son discours d’hier, s’est si bien rappelé ces attaques, qu’il les a encore amplifiées. N’est-ce pas les journaux du haut clergé qui ont osé préconiser la politique des Chantelauze et des Polignac ? N’est-ce pas encore dans les journaux du haut clergé que Charles X, qui, après tout, n’était que l’instrument d’un parti qui a violé ses serments et déchiré la charte ; n’est-ce pas dans les journaux du haut clergé que ce monarque a été appelé le meilleur des rois ?

Et l’on osera soutenir qu’il n’y a pas eu de changement opéré, qu’il n’y a pas eu de masques tombés depuis 1839 surtout ! Et on viendra se plaindre de ce que notre opinion attaquée d’une manière si violente, se défende !

Messieurs, je vous ai indiqué l’époque à laquelle s’est montrée dans toute sa force la division des partis. Ceux qui veulent donner au clergé une domination au détriment du pouvoir temporel, ceux-là doivent être rangés dans le parti clérical ; ceux qui veulent la liberté civile et religieuse, ceux-là j’ai le droit de les ranger dans le parti libéral.

Voilà, messieurs, quant à notre pays, la véritable classification des partis ; elle est nette et franche, elle n’admet aucune nuance intermédiaire, pas plus que la classification des partis whigs et tories en Angleterre ; il en est autrement en France où il existe diverses nuances, dans la gauche, dans la droite, et encore dans le centre, et ce sont ces nuances qui amènent les majorités mixtes, résultat des ministères de coalition.

La majorité mixte de M. Nothomb est un contre-sens. Dans notre pays où les partis, d’après ce que je viens de démontrer, sont nettement classés, il ne peut y avoir qu’une majorité, proprement dite, soit qu’elle appartienne à la gauche, soit qu’elle appartienne à la droite. Je voudrais bien que M. le ministre de l’intérieur nous dise de quoi se composera sa majorité mixte dans la dernière grande question mise à l’ordre du jour, savoir, dans la question religieuse ? Y a-t-il dans la droite de cette chambre un seul membre sur lequel M. le ministre ne puisse pas compter ? Dans cette circonstance l’honorable M. Dumortier a assigné au ministère sa véritable position à l’égard de l’opinion qu’il appelle catholique, et qui, d’après lui, ne peut amener qu’une majorité catholique, et en effet, où seraient donc les extrêmes de l’opinion que M. Dumortier appelle catholique ? Je défie M. le ministre d’en indiquer aucun, car il ne donnera certes pas ce nom à l’appoint que tout ministère, quelle que soit sa couleur, trouvera toujours dans les chambres législatives, et qu’on appelle le bagage ministériel.

La majorité mixte de M. Nothomb est donc un contre-sens, c’est une dénomination destinée à induire le pays en erreur.

Je reviens aux accusations de M. Dumortier contre notre opinion, et j’ai le droit de les appeler téméraires ; il nous a imputé à crime d’avoir défendu le bourgmestre de Tilff ; il nous a imputé à crime d’avoir défendu la régence de Liége dans l’affaire de M. Dejaer ; nous ne reviendrons plus sur ce point, car la réponse de mon honorable ami, M. Delfosse, ne laisse rien à désirer, mais après avoir signalé ces deux faits, l’honorable M. Dumortier a parlé d’autres faits encore, qu’il a aussi osé imputer à notre opinion. « Nous avons vu, a-t-il dit, nous avons vu d’autres scandales, nous avons vu dans plusieurs localités des hommes masqués envahir les temples, dans une ville que je pourrais citer, les confessionnaux ont été couverts d’immondices. Et tout cela s’est fait contre le clergé que l’on cherche à peindre sous des couleurs si noires ! Eh bien, je dis qu’avec de telles énormités, vous ne pouvez pas constituer une Belgique, etc. etc. » Et nous devrions laisser cela sans réponse. Il ne serait pas permis à l’opinion libérale de repousser des calomnies atroces !...

M. Dumortier. - La calomnie se prouve.

M. Verhaegen. - C’est à vous, Monsieur, de prouver le fondement de vos accusations. Vous imputez à l’opinion libérale d’avoir couvert d’immondices les confessionnaux de certaines églises.

M. Dumortier. - Je n’ai pas imputé ce fait à l’opinion libérale.

M. Verhaegen. - Votre discours comporte cette accusation et j’y réponds. Il ne manquait que d’ajouter, comme on s’est permis de l’imprimer naguère, que les libéraux veulent la démolition des églises, la chasse aux prêtres ; ce sont là, je le répète, des calomnies dégoûtantes, des calomnies infâmes, l’expression n’est pas trop forte : nous voulons, nous, qu’on respecte le prêtre dans l’exercice de son saint ministère, jamais nous n’avons attaqué le dogme, ni critiqué la discipline. Mais quand le prêtre se pose en homme politique, nous avons le droit de le combattre ; quand nous voyons dans sa marche un empiétement sur le droit du pouvoir temporel, nous avons le droit de l’arrêter. Voilà nos principes, voilà notre programme.

On est allé jusqu’à nous représenter comme des sans-culottes, comme des jacobins, et c’est M. Dumortier qui vient nous dire qu’il ne veut pas plus de 93 que de 89 ; je ne sais de quel 89 l’honorable membre a voulu parler, mais en tout cas il ne ferait pas mal de fixer son attention sur le 89 brabançon ; ce 89 lui donnerait d’utiles et de salutaires enseignements.

C’étaient des haines à peu près semblables à celles qui existaient en 1830, qui ont amené la chute de Joseph II dans nos provinces. Il y eut alors aussi une union entre les libéraux et les abbés pour atteindre un but commun, mais à peine fut-il atteint qu’on vit surgir les exigences du clergé et ses empiétements sur les prérogatives du pouvoir temporel, on se disputa le terrain pendant quelques temps, mais qu’arriva-t-il enfin ? C’est que les vonckistes se découragèrent et que la restauration couronna l’œuvre. Les abbés disaient alors, comme le dit aujourd’hui le parti clérical, qu’ils étaient les premiers soutiens de la constitution, et qu’ils voulaient la liberté en tout et pour tous.

Messieurs, je dois le dire, le cœur navré : si je compare la révolution de 1830 à la révolution brabançonne de 89, j’y trouve une analogie complète. Nous sommes arrivés maintenant à l’une des dernières phases, et je crains bien le dénouement !

Ici je m’arrête et je ne crois pas avoir dépassé les bornes ; j’étais dans le cas de légitime défense j’ai dû répondre à des attaques, et je l’ai fait avec toute la réserve possible.

Messieurs, il me reste maintenant à vous dire quelques mots sur l’art. 2 du projet de loi. Dans l’opinion du gouvernement, cet article doit avoir pour résultat de réprimer la fraude.

Si l’on avait voulu réellement la répression de la fraude, on aurait proposé à la chambre des dispositions pénales, dispositions d’autant plus nécessaires que l’art. 113 pouvait servir de point de départ, puisqu’il prononce une peine contre ceux qui achètent des votes.

Or, n’est-il pas vrai que, si des fraudes sont commises pour agrandir le nombre des électeurs, pour donner à ceux qui ne paient pas le cens, le droit de figurer sur les listes électorales, celui qui se met en avant pour obtenir ce résultat et qui paye se trouve dans une position à peu près semblable à celle où il se serait trouvé s’il avait acheté des votes dans le sens de l’art. 113 du Code pénal.

Le véritable moyen d’atteindre les auteurs de ce que j’appelle, moi, un méfait, n’en déplaise à quelques-uns de mes honorables collègues ; le véritable moyen est de les frapper d’une amende, voile même d’une peine corporelle.

Au lieu d’une disposition pénale on nous présente une disposition transitoire qui n’atteindra pas le but qu’on se propose ostensiblement, qui, tout au contraire, légitimera la fraude et par suite qui fera beaucoup de mal puisqu’elle frappe l’innocent comme le coupable, et qu’elle enlève à notre opinion une foule d’électeurs.

Il faut, messieurs, et c’est ici le moment de dire que, sauf un petit changement, j’appuie l’amendement de l’honorable M. Savart ; il faut que nous sachions une bonne fois à quoi nous en tenir ; il faut que tout doute disparaisse.

Veut-on, oui ou non, que pour être électeur on possède les bases du cens ?

Avec l’honorable M. Savart, je veux qu’on écrive dans la loi que « nul ne sera électeur s’il ne possède pas les bases du cens. » Et il y a un bon moyen pour tous les membres de cette assemblée de prouver leur sincérité. L’honorable M. de Theux me reprochait hier de m’écarter des convenances parlementaires lorsque je supposais qu’il n’y aurait pas unanimité d’opinion sur la nécessité des bases du cens. Eh bien, en posant la question de principe, tous mes honorables collègues pourront prouver au pays qu’ils partagent mes convictions sur ce point.

Je ne dis pas qu’il faille organiser immédiatement ce principe. Aussi je prierai l’honorable M. Savart de me permettre d’ajouter quelque chose à son amendement.

Voici de quelle manière je voudrais que la disposition fût conçue :

« Nul ne peut être électeur s’il ne possède les bases du cens.

« Il sera nécessairement pourvu par la législature à l’organisation de ce principe.

« En attendant, et par mesure transitoire (le reste comme dans l’amendement de M. Mercier ou tout autre.) »

D’après ce qui a été dit jusqu’ici dans la discussion, j’ai l’espoir que personne n’attaquera le principe. Il y avait, il est vrai, un doute dans le discours de l’honorable M. de Foere ; je ne sais pas si l’honorable membre le laissera subsister, mais au moins il sera tenu de s’expliquer, et de cette manière nous saurons à quoi nous en tenir. J’attendrai donc les explications qui pourront surgir, et surtout, j’attendrai l’opinion de M. le ministre pour donner à ma proposition de nouveaux développements.

M. Dumortier (pour un fait personnel). - Messieurs, vous me rendrez cette justice, que pour la seconde fois que je prends part au débat soulevé par l’honorable préopinant, je n’ai pas du moins l’initiative de l’attaque, mais bien l’initiative de la défense. Lorsque j’ai pris la parole, il y a huit jours, je répondais à l’honorable préopinant qui, dans un discours que je ne caractériserai pas, s’était permis de nous représenter comme des bourgmestres modèles ceux de ces fonctionnaires qui traquaient tels ou tels ministres du culte, et les expulsaient de leur commune comme gens sans aveu.

Je ne pouvais pas laisser de pareilles paroles sans réponse ; j’aurais manqué à mon devoir, j’aurais manqué à ma mission, si je ne protestais contre de semblables doctrines professées dans l’assemblée des représentants de la nation. Depuis 8 jours, l’honorable préopinant a eu tout le loisir de me répondre ; il a préféré le faire aujourd’hui. J’accepte volontiers la parole pour lui répliquer de nouveau ; mais, je le répète, vous me rendrez, messieurs, la justice de reconnaître que, ni à la première ni à la seconde fois que ce débat a été soulevé, je n’ai pas eu l’initiative de l’attaque.

Au reste, je ne crains pas de pareilles attaques ; nous ne pouvons que gagner à démasquer les faux libéraux, nous ne pouvons que gagner à ce que la vérité se fasse jour.

Le discours de l’honorable préopinant repose encore sur un fait éminemment faux, c’est que nous, qui formons une notable partie des représentants de la nation, nous ne voulons pas la liberté civile et la liberté religieuse.

Nous ne voulons pas la liberté civile !.... Eh, mon Dieu, n’avons-nous pas prouvé à suffisance jusqu’ici par nos actes que nous voulons la liberté civile ?

Nous ne voulons pas les libertés religieuses !... Je crois que ceux qui, comme le préopinant, se sont opposés de toutes leurs forces à cette liberté, ce sont ceux qui ne veulent pas de la loi de l’instruction primaire.

Dans cette circonstance, on a pu distinguer les libéraux vrais d’avec les libéraux exagérés ; les libéraux vrais étaient ceux qui voulaient la liberté pour tous, qui voulaient la consécration dans la loi des principes religieux sans lesquels il n’y a pas de moralité possible, sans lesquels il n’y a de gouvernement possible dans aucun pays du monde. Et le préopinant s’est trouvé presque seul d’une opinion contraire à ces principes incontestables ; et je rends ici hommage à l’immense majorité de cette chambre, elle a fait preuve, dans cette circonstance importante, d’un vrai libéralisme ; c’est sur ce libéralisme vrai, et non sur les doctrines exagérées professées par le préopinant qu’il faut constituer le pays si nous voulons lui assurer la paix et l’existence.

Maintenant on vient dire que j’ai attaqué avec violence l’opinion libérale. Messieurs, je proteste avec toute l’énergie de mon âme contre cette assertion.

Messieurs, vous avez tous encore présentes à la mémoire les paroles que j’ai prononcées ; j’ai dit, non pas une fois, mais à diverses reprises, et cela dans les termes les plus formels, que je n’entendais pas appliquer les observations que j’allais faire, ni celles que j’avais faites, à l’opinion libérale, opinion que je ne confondrai jamais avec les doctrines exagérées du préopinant. Mais ce que j’ai flétri, et ce que je flétrirai toujours, ce sont les principes de ceux qui sont venus dire que ceux qui traquaient les prêtres faisaient des actes modèles ! Encore une fois, le pays ne veut pas de pareilles doctrines !

Le combat qui est engagé, dit l’honorable préopinant, date véritablement de la conclusion du traité des 24 articles.

Je dis que le véritable combat, le combat qu’on cherche à organiser dans le pays, date de l’arrivée du préopinant dans cette enceinte. C’est depuis lors que nous avons vu s’introduire dans le pays la division qui l’agite, c’est depuis les longs discours que vous avez eu la longanimité de laisser prononcer par l’honorable membre, discours violents, où il cherchait à dénigrer le clergé belge, c’est depuis lors que nous voyons cette funeste division qui est de nature à compromettre la nationalité belge, si elle continue.

Alors, dit l’honorable préopinant, est venu un nouveau principe. Oui, un nouveau principe est venu alors, c’est celui du dénigrement du clergé, principe dont il s’est fait l’organe, car il n’est pas un seul discours prononcé par lui dans cette enceinte qui ne soit empreint de tout le dénigrement imaginable. Si quelques membres du clergé font des fautes, la loi est là pour les réprimer. Si le ministère public ne poursuit pas, déposez un acte d’accusation contre le ministère, nous serons les premiers à vous appuyer. Mais si vous n’avez rien à leur reprocher, si vous ne pouvez pas articuler contre le clergé de fait de violation de la loi, vous calomniez le clergé belge, vous faites violence à l’esprit public de la Belgique. Mais non, vous cherchez à dénigrer le clergé belge, lui qui a le plus travaillé à amener notre émancipation politique, et cela se conçoit ; vous venez de le dire, vous la regrettez.

Oui, c’est le clergé belge qui a pris la plus grande part à ce grand acte, vous n’en avez pas été témoin, car vous n’étiez pas alors dans nos rangs, Nous le verrons tout à l’heure.

Messieurs, l’honorable préopinant vous a dit : Vous parlez du 89 de la France ; jetez les yeux sur le 89 de notre pays, et vous verrez ce qui est arrivé à cette époque. Et moi aussi je jette les yeux sur cette époque, et c’est à cause des funestes résultats amenés alors par la division des citoyens, que je ne veux pas que des divisions nouvelles, qu’une nouvelle guerre civile les amènent une seconde fois pour le pays.

Eh ! quelle a été la cause des funestes résultats de la révolution brabançonne de 89 ? Qu’est-ce qui a fait que notre Belgique, après s’être levée comme un seul homme et avec tant de gloire pour repousser le despotisme autrichien, qu’est-ce qui a fait que la petite Belgique, qui s’était montrée si grande par son élan patriotique, est tombée ? C’est la division des partis, et c’est pour empêcher que cette division ne pût se reproduire en Belgique que le congrès a adopté cette belle devise : l’union fait la force, devise sublime qui doit être la maxime de tout bon citoyen. Tandis que la division que vous voulez établir doit amener la ruine du pays. Qui a fait que la Belgique en 89 n’a pas pu maintenir la révolution si glorieusement commencée ? C’est que le parti des vonquistes, des exagérés d’alors, s’est jeté dans les bras de la France. Alors il n’y eut plus de Belgique, et le cimeterre des Autrichiens vint tuer la nationalité renaissante.

M. Rogier. - Vos généraux étaient des vonquistes.

M. Dumortier. - Ils ont été pendant longtemps patriotes, et quand, s’étant séparés de l’opinion catholique de cette époque, de l’opinion conservatrice, ils ont vu que leur conspiration échouait, ils ont trahi le pays ; ils ont appelé à eux la France. Ce jour-là, c’en a été fait de la Belgique ; et, après tant de gloire et de patriotisme, la Belgique est tombée pour ne se relever qu’en 1830. Et on viendra nous dire que c’est à l’opinion que nous défendons qu’il faut attribuer ce déplorable résultat ! Ah ! consultez l’histoire, elle vous dira ce qu’amenèrent ces funestes divisions.

Messieurs, si les doctrines qu’on préconise aujourd’hui pouvaient prévaloir, si le système de dénigrement du clergé belge pouvait amener le but funeste qu’on se propose, nous devrions nous attendre à voir dans un temps plus ou moins éloigné la chute de notre nationalité. Car chaque nation doit avoir quelque chose qui lui soit propre. Ce qui fait notre caractère à nous Belges, c’est le sentiment religieux. Qu’est-ce que la Belgique sans l’opinion catholique ? Sans elle notre nationalité est non seulement un non-sens, c’est une absurdité. Tous nos intérêts matériels nous poussent vers une autre puissance, si nous n’étions pas dominés par quelque lien plus fort que l’intérêt matériel, si nous n’étions pas dominés par un profond sentiment religieux, la révolution belge serait une absurdité. C’est donc ce caractère religieux que nous devons chercher à conserver dans le peuple, si nous voulons assurer l’avenir de la patrie. Le peuple a été élevé dans ces sentiments ; et quand on cherche à les détruire en dénigrant les membres du clergé, en tâchant de les rendre odieux aux populations, je manquerais à mon devoir de citoyen si je ne faisais tous mes efforts pour l’empêcher.

Depuis 1830, a dit l’honorable membre, bien des masques sont tombés. (Interruption.)

C’est bien à moi que vos paroles s’adressaient, je vais vous répondre.

Que de masques sont tombés, a dit l’honorable membre, que de beaux sentiments ont été démentis depuis cette époque ! Ai-je besoin de vous rappeler ma conduite depuis douze années ?

Personne de vous n’a oublié avec quelle ardeur j’ai toujours défendu les libertés publiques ? L’honorable membre n’était pas avec nous alors. C’est à regret que je rappelle cela ; mais quand vous m’adressez des reproches de la nature de ceux que vous articulez, j’ai bien le droit d’examiner votre conduite, et je le ferai ; j’arracherai le masque qui vous couvre.

Oui, un masque est tombé depuis la révolution, c’est chez vous, c’est le masque de l’orangisme, depuis que vous voulez à toute force introduire dans le pays les divisions qui ont amené sa ruine en 89. Où étiez-vous en 1830 ? Etiez-vous dans les rangs des patriotes qui combattaient pour l’indépendance du pays ? Vous êtes-vous trouvé dans les rangs de ceux qui, par le pétitionnement, protestaient contre le despotisme du roi Guillaume. Où étiez-vous jusqu’au jour où vous êtes entré dans cette enceinte pour y semer la division ? Où étiez-vous, quand en 1835, on faisait courir des souscriptions pour l’achat des chevaux du prince d’Orange ? Vous n’étiez pas dans nos rangs.

M. Verhaegen. - Je demande la parole pour un fait personnel !

C’est une infamie !

M. Dumortier. - Je puis prouver par témoins ce que j’avance. Où étiez-vous en 1839 quand il fallait défendre le Limbourg et le Luxembourg ? Vous étiez parmi ceux qui voulaient les vendre comme un vil troupeau.

Et depuis quand la Belgique est-elle divisée en parti libéral et en parti catholique ? C’est depuis que vous êtes venu par la calomnie chercher à dénigrer le clergé belge, depuis que, par une circulaire, vous êtes venu répandre la calomnie sur les membres de cette chambre de l’opinion catholique. Cette circulaire, la voilà signée de votre propre main ! Je ne la lirai pas, elle est en flamand. Mais, voici la traduction de la première phrase :

« Depuis que j’ai combattu dans la chambre des représentants le rétablissement de la dîme et de la mainmorte, le clergé veut empêcher ma réélection. »

Cette lettre est du 26 mai 1841. Le fait qu’il rapporte, fait grave contre cette assemblée, est entièrement faux. J’en appelle à toute l’assemblée : à cette époque le préopinant avait-il une seule fois prononcé dans cette enceinte les mots de mainmorte et de dîme ?

Plusieurs voix. - Non ! non ! jamais.

M. Dumortier. - Pourtant il venait donc dire une calomnie contre le clergé, un mensonge contre la vérité. Et il savait tellement la calomnie que pour empêcher qu’on ne la découvre, il ajoutait, en post-scriptum de sa main : Veuillez venir me parler et ne dites rien de ceci à M. le curé.

On avait peur qu’une pareille chose soit connue, de crainte que la calomnie ne fût réfutée. Voilà un fait que j’avance pièce en main. La renierez-vous ?

M. Verhaegen. - Je vous répondrai.

M. Dumortier. - Maintenant, messieurs, le préopinant vient de dire que c’est dans nos journaux salariés que l’on a attaqué les libertés publiques. J’ignore s’il existe à la solde de qui que ce soit des journaux salariés, s’il existe, comme il l’a dit, une association fondée sur une vaste échelle et dans le but d’imposer deux francs par personne catholique, mais je sais qu’il existe un vaste système d’association, et l’honorable préopinant doit le savoir mieux que moi, car il en tient les fils, association dont le but est de frapper d’ostracisme un grand nombre de députés qui représentent le pays et qui siègent avec honneur et dignité dans cette enceinte, et ceux-là précisément qui ont le plus contribué à fonder notre indépendance.

M. Delfosse. - C’est le droit de chacun.

M. Dumortier. - L’honorable M. Delfosse dit que c’est le droit de chacun. Pour moi, je déclare que je n’en ai jamais usé. Je suis charmé que M. Delfosse s’associe à ceux qui veulent éloigner un grand nombre de membres de cette chambre. Celui qui a expulsé M. Dejaer du conseil communal de Liége est bien digne de chercher à expulser un grand nombre de députés de cette enceinte.

M. Rogier. - Votre opinion a pris l’initiative.

M. Dumortier. - Je conteste ; vous-même, c’est à notre opinion que vous avez dû votre salut en 1831. Messieurs, j’ai interrogé les faits et il n’est pas une seule élection où l’opinion que l’on attaque n’ait porté sur la même liste un candidat de l’opinion catholique avec un candidat de l’opinion libérale. Vous ne sauriez pas citer une seule élection où vous auriez porté un candidat catholique à côté d’un candidat libéral.

A la vérité, les libéraux que nous portions n’étaient pas des libéraux à la manière de M. Verhaegen, mais des libéraux qui veulent la liberté pour tout le monde, tandis que les libérâtres ont toujours arboré sur leur bannière ; exclusion absolue de tous les catholiques.

C’est dans vos journaux, dit-il, qu’on a attaqué les libertés publiques. C’est un fait que je ne veux pas contester, et que je déplore. Mais, dites-le, voudriez-vous qu’on vous rendît responsable de toutes les attaques absurdes des journaux qui représentent votre opinion ? Non certainement. Et de votre côté, pourquoi rendre vos adversaires responsables des attaques que peuvent renfermer les journaux de leur opinion ?

Puisque vous parlez des attaques faites par la voie de la presse aux libertés publiques, je mettrai sous les yeux de la chambre et du pays ce que disait, dans un journal, un candidat de l’opinion libérâtre que l’on opposait en juillet dernier à l’honorable M. Dechamps. Je ne vous lirai pas cette profession de foi, elle est trop longue. Les prêtres y sont traités d’infâmes ; voici comment il la termine : « On dit que je suis étranger à vos temples ; cela est vrai, et j’attends pour y rentrer qu’un nouveau Messie vienne en chasser à coups de fouet les marchands qui les polluent aujourd’hui. » Voila, messieurs, des doctrines dignes de 93. Et ce candidat avait l’appui de M. Verhaegen ! Voilà, messieurs, le dévergondage de la presse, voilà les hommes que l’on cherche à introduire dans le parlement pour représenter le peuple belge !

Est-ce ainsi, messieurs, que vous constitueriez une Belgique, et n’est-ce pas un devoir pour moi, quand je vois de pareilles monstruosités, de protester de toutes mes forces ? Ou irions-nous avec de pareils choix ? Est-il possible de constituer une Belgique en trompant à ce point l’opinion publique. Et cela se trouve dans un journal même qui appartient à l’opinion de M. Verhaegen, et émane d’un candidat pour lequel il est allé lui-même à Ath.

M. Verhaegen. - Je vous donne le démenti le plus formel.

M. Dumortier. - Je l’accepte ; j’avais lu ce fait dans les journaux ; vous auriez pu le démentir plus tôt.

M. Savart-Martel. - On pourrait croire que ce que vous venez de citer se trouve dans un journal de Tournay.

M. Dumortier. - Non ; c’est l’Echo de la Dendre. Messieurs, quand de pareilles choses se présentent, et quand on cherche à rendre le clergé odieux comme on le fait depuis quelque temps, comme le fut l’honorable préopinant depuis qu’il siège dans cette chambre, lui qui appelle bourgmestres modèles ceux qui expulsent les prêtres ; comme l’honorable M. Delfosse, qui dit que les missionnaires sont des loups cerviers ; et quand une autre personne dit qu’elle attend pour entrer dans le temple qu’un nouveau Messie vienne en chasser les prêtres à coups de fouet ; il n’y a plus de Belgique en présence de pareils faits, pas d’avenir pour la nationalité, de salut pour la patrie.

M. Verhaegen. - Je croirais compromettre la dignité de député, si je me permettais de répondre à toutes les injures de M. Dumortier ; je me bornerai à rencontrer trois accusations principales.

M. Dumortier me reproche de ne pas avoir été l’homme du jour, mais bien l’homme du lendemain, et il me demande où j’étais en 1830. Je voudrais bien que M. Dumortier me dise ce que la révolution de 1830 devait donner à cet homme du lendemain ? Ai-je obtenu ou devais-je obtenir quelque chose des hommes du jour ? je suis resté ce que j’étais, étranger à toutes faveurs. Je l’ai dit plusieurs fois déjà ; je n’ai pas été le partisan de la révolution dans son principe.

M. Dumortier. - Parce qu’on ne tourmentait pas le clergé.

M. Verhaegen. - Non, mais parce que je suis ennemi des commotions. M. Dumortier ose me demander où j’étais en 1830 ? Je veux bien lui répondre que j’étais à ma campagne et que je ne l’ai pas quittée pendant six mois : je ne me suis mêlé en rien des affaires qui se traitaient à Bruxelles ; je suis resté neutre ; je n’ai pas accepté le mandat au congrès national dont m’avaient honoré mes concitoyens, parce que mon opinion ne me permettait pas d’y siéger ; je ne voulais pas trahir mon pays, mais j’avais le droit de faire ce que j’ai fait ; car mon opinion était bien ma propriété, et elle ne pouvait pas m’être imputée à crime aussi longtemps qu’elle ne se traduisait pas en faits.

Comme je l’ai dit, je n’ai posé aucun acte hostile à la révolution quoiqu’elle n’eût pas mes sympathies, et l’observation de M. Dumortier est d’autant plus inconvenante qu’elle s’adresse à plusieurs autres honorables collègues qui siègent dans cette enceinte ; c’est une inconvenance que le pays appréciera.

De quel droit M. Dumortier vient-il attaquer une opinion consciencieuse ? Je redoutais pour mon pays, et surtout pour son industrie et pour son commerce les suites d’une commotion politique ; je redoutais aussi les tendances du clergé que le parti libéral avait accepté comme auxiliaire ; je me suis abstenu, et je m’en félicite ; mais quand la révolution a été un fait accompli, je me suis rallié franchement, décidé que j’étais, de m’opposer à toute commotion nouvelle ; alors, mais alors seulement, j’ai accepté le mandat de député ; je suis venu dans cette enceinte avec la ferme résolution de respecter la volonté exprimée par la nation. J’ai fait le serment exigé par la constitution, et j’y suis resté fidèle.

M. Dumortier a parlé, en deuxième lieu, d’une circulaire électorale, c’est pour la centième fois qu’il y revient.

M. de Mérode. - Elle en vaut bien la peine.

M. Verhaegen. - Mais je ne l’ai jamais niée. Quelle était ma position à cette époque ? J’avais contre moi le parti catholique, le ministère avec ses auxiliaires, toutes les autorités provinciales et communales sans exception, la haute finance enfin. J’étais abandonné aux seules forces du parti libéral, et je ne demandais pas d’autre appui ; mais je voulais éclairer mes amis sur ma véritable position ; je voulais leur faire connaître les motifs de l’animosité qui se manifestait contre moi. Oui, j’ai parlé de la mainmorte, mais est-ce que la mainmorte n’était pas déjà mise à l’ordre du jour dans les sections ?

Est-ce qu’on n’en parlait pas tous les jours dans cette enceinte ? Mes discours de l’époque n’étaient-ils pas empreints d’une opposition chaleureuse à la mainmorte ? et cependant vous et vos journaux vous avez oser m’accuser de mensonge ; j’ai méprisé ces accusations, parce qu’elles n’étaient appuyées que sur un anachronisme.

Troisième accusation : M. Dumortier m’accuse d’avoir organisé une vaste association dont je tiens les rênes ; d’après lui, ce serait à mon influence qu’il faudrait attribuer tout ce qui s’est fait en matière d’élection, et tout ce qui doit se faire encore. En vérité, je ne me croyais pas tant de pouvoir. Je n’ai pas cette vanité-là ; on me donne une influence, et je ne puis pas accepter le compliment. Je concours pour ma faible part avec mes amis à ce que je crois utile à mon pays et je n’en répudie pas la responsabilité. M. Dumortier s’est permis d’avancer que j’aurais été à Ath pour contrarier l’élection de M. Dechamps ; le fait est faux, et l’honorable M. Dechamps qui siège derrière M. Dumortier, vient, par un signe négatif, de confirmer encore ce démenti ; les assertions ne coûtent rien, ab uno disce omnes. M. Dumortier m’accuse d’avoir été à Ath ; je lui donne un démenti, et il l’accepte.

M. Dumortier. - J’ai dit que je l’avais vu dans les journaux ; vous auriez dû démentir les journaux.

M. Verhaegen. - Si vous parlez des journaux, parlez donc du journal d’Ath, où cet avocat, auquel vous avez fait allusion, a été attaqué de la manière la plus odieuse. S’il avait poursuivi l’éditeur en calomnie, il eût été dans son droit.

Ce que je vois de plus clair, c’est que M. Dumortier a voulu tirer une lettre de change sur le mois de juin 1843. Sera-t-elle acceptée ou protestée faute d’acceptation ? C’est ce que le temps nous apprendra. En attendant, je me garderais bien de l’escompter.

M. Delfosse. - Messieurs, je dois quelques mots de réponse à M. Dumortier ; je mettrai dans mes paroles autant de modération qu’il a mis de fougue dans les siennes. J’aurais gardé le silence, si M. Dumortier s’était borné à reproduire les injures qu’il m’a adressées l’autre jour, j’y ai répondu par des paroles sévères, je les maintiens, elles étaient justifiée par la violence de l’attaque.

M. Dumortier. - Je ne vous ai pas dit d’injures.

M. Delfosse. - Vous avez dit qu’un acte auquel j’avais pris part était un de ces actes que l’on ne saurait trop flétrir ; c’était bien là une injure, et c’est vous qui aviez pris l’initiative.

J’ai dit sur l’affaire Dejaer tout ce que j’avais à dire. Je n’ai pas non plus à justifier la qualification de loups-cerviers donnée aux missionnaires. L’expression n’est pas de moi, elle est de M. Barett, grand vicaire du diocèse de Liége, depuis évêque de Namur.

M. Dumortier. - Cela n’est pas.

M. Delfosse. - J’affirme que cela est.

Ce qui m’a engagé à demander la parole, c’est que M. Dumortier vient d’ajouter aux calomnies de l’autre jour une calomnie nouvelle contre laquelle je dois protester.

M. Dumortier voudrait me faire passer pour un homme hostile aux prêtres ; je proteste contre cette calomnie. Si je combats le prêtre dans l’arène politique, je le respecte à l’autel ; je serais le premier à défendre les droits du prêtre s’ils étaient méconnus.

M. Dumortier s’empare de mon vote contre la loi d’instruction primaire. Cette loi a été, selon lui, la pierre de touche du vrai libéralisme. M. Dumortier a-t-il déjà oublié que j’ai admis sans hésitation la compétence du clergé pour l’enseignement religieux ; j’ai même dû faire violence à mes sympathies en me prononçant sur ce point contre une pétition émanée d’un corps où je compte de nombreux et de chauds amis.

Il est vrai que j’ai soutenu en même temps la compétence du pouvoir civil pour l’enseignement de la morale ; je ne m’en repens pas ; si c’était à refaire, ma conduite serait encore la même. Le gouvernement qui abdique le droit de surveiller l’enseignement de la morale, me paraît manquer à l’un de ses premiers devoirs.

Cette opinion était aussi celle d’honorables membres qui ont voté pour la loi ; si leur vote a été affirmatif, c’est qu’ils se sont dit qu’il valait mieux une loi même défectueuse que pas de loi du tout. Je respecte leur vote, mais je demande qu’on respecte aussi le mien ; il m’a été impossible de sanctionner par mon vote la violation d’un principe, sans lequel l’indépendance du pouvoir civil ne me paraît qu’un vain mot ; jamais je ne sanctionnerai la violation de ce principe.

Nous n’avons été que trois contre la loi ; j’aurais été seul, que mon vote eût été le même, quand je vote je ne m’enquiers pas de ce que les autres font, je m’enquiers de ce qu’il faut faire.

Transformer ce vote en un acte hostile à la religion, hostile au clergé, c’est une indigne calomnie.

M. Dumortier a encore flétri de toute son indignation, car que ne flétrit pas M. Dumortier ? les efforts qu’un membre de cette chambre a faits ou pourrait faire pour s’opposer à la réélection de quelques-uns de ses collègues. M. Dumortier ignore, à ce qu’il paraît, les premiers éléments du gouvernement représentatif ; l’une des premières règles du gouvernement représentatif est que toute opinion tende à arriver à l’état de majorité, et comment une opinion peut-elle arriver là, sans chercher à exclure des chambres ceux qu’on y a envoyés pour défendre l’opinion contraire ?

Je soutiens, dussé-je attirer sur moi toutes les foudres de M. Dumortier, que c’est le droit et le devoir de tout homme qui a une opinion consciencieuse, de chercher à la faire prévaloir, de chercher à briser les obstacles qui s’opposent au triomphe de cette opinion.

La doctrine de M. Dumortier me rappelle une déclaration qui a été faite par M. le ministre de l’intérieur dans une séance précédente. M. le ministre a dit que tout député qui consentirait à être porté sur la même liste qu’un député catholique, et qui prendrait l’engagement de ne pas se porter sur une liste exclusive, pourrait compter sur l’appui du gouvernement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai été provoqué à faire cette déclaration.

M. Delfosse. - Soit ; vous ne l’en avez pas moins faite.

Je conçois que cette transaction convienne à M. le ministre de l’intérieur et à la majorité prétendument mixte modérée sur laquelle il s’appuie ; ce serait un moyen d’immobiliser cette majorité et de faire peser longtemps encore le ministère sur le pays. Mais je le déclare hautement, jamais je ne consentirai à accepter cette transaction. Si je consentais, pour assurer ma candidature, à appuyer la réélection d’hommes qui peuvent être honorables, mais dont les opinions me paraissent incompatibles avec le bonheur de mon pays, je me croirais indigne de la confiance de ceux qui m’ont envoyé dans cette enceinte. Je ne tiens à y siéger qu’autant que je puis y être utile à la cause que je défends.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je prends acte des paroles de M. Delfosse.

M. Delfosse. - Soyez tranquille, je ne les rétracterai pas.

M. Jonet. - Messieurs, je regrette de ne m’être pas trouvé parmi vous au commencement de cette séance ; si je m’y étais trouvé, j’aurais entendu les orateurs qui m’ont précédé ; et j’aurais pu profiter de leurs observations, et j’aurais évité des redites, dans lesquelles je vais peut-être tomber.

Quoi qu’il en soit, voici ce que j’avais et ce que j’ai encore à dire :

Un de mes honorables collègues, dont le nom se trouve souvent accolé au mien, dans les votes de cette chambre, vous disait, il y a quelques jours, qu’il n’adopterait pas la loi proposée, si on y maintenait la disposition par laquelle on veut défendre aux électeurs de communiquer les uns avec les autres en ne leur permettant pas d’entrer dans d’autres sections que celles dans laquelle chacun d’eux est appelé à voter.

Je suis de son opinion, mais j’ajouterai que je repousserai la loi encore, si on persiste composer les bureaux de bourgmestres pris dans ou en dehors du conseil. Je la repousserai surtout si l’on ne modifie pas l’art. 2, dont je vais m’occuper exclusivement.

Je ne veux pas de l’art. 2, parce que tel qu’il est conçu, il me paraît à moi injuste, inconstitutionnel, immoral et en dernier lieu dangereux dans son application.

Je vais développer en peu de mots ces quatre raisons qui me déterminent à repousser l’art. 2, tel et de la manière qu’il est présenté à la chambre.

L’art. 2 est injuste. La démonstration en a été faite par d’autres orateurs qui ont parlé avant moi. Il est certain que si vous adoptez l’art. 2, tel qu’il vous est présenté, vous ôtez à d’honnêtes citoyens des droits qu’ils ont légitimement acquis. Vous repoussez des élections des hommes de bonne foi qui ont payé pendant l’année 1842 l’impôt exigé pour être électeur et qui en possèdent les bases, vous les excluez.

Quant à moi, je ne veux pas de cette exclusion ; je dis que ceux qui ont payé le cens pendant une année entière avant l’élection et qui en possèdent les bases, doivent être électeurs. Je ne m’appuierai pas davantage sur ce premier motif ; on l’a, comme je l’ai dit déjà, développé.

J’aborde une autre question. Je pense que le projet, tel qu’il est rédigé, est inconstitutionnel. Que veut la constitution ? Pour le savoir, recourons aux discussions du congrès national. Le congrès national, après avoir déclaré que tous les pouvoirs émanaient de la nation, s’est occupé de la question de savoir qui représenterait la nation dans les élections. Il a discuté divers systèmes ; il en a écarté quelques-uns et il en a admis un seul. C’est ainsi que le congrès a repoussé le suffrage universel, et je crois qu’il a parfaitement bien fait. Je le repousserais également.

Je n’en veux pas, parce que le suffrage universel n’est qu’un mensonge dans les élections. En effet, il est évident qu’avec ce système ce ne sont pas les électeurs, pour une grande partie au moins, qui ont une opinion, ce sont ceux qui les font agir.

Après avoir repoussé le suffrage universel, le congrès eut à examiner une question importante, celle de savoir si les capacités seraient admises sans posséder le cens, nommément, si, ainsi que l’avait déclaré le gouvernement provisoire, les docteurs en droit, les ministres des cultes, les professeurs, les docteurs ès lettres seraient admis aux élections. Le congrès a également décidé cette seconde question négativement.

Messieurs, je respecte la constitution ; je ne dirai rien de cette décision ; je ne veux pas y revenir. J’ai juré de maintenir la constitution, et ce ne sera jamais moi qui demanderai qu’elle soit modifiée.

Mais avoir après examiné ces deux questions, il s’éleva au congrès une discussion sur la question de savoir ce qu’il fallait posséder pour jouir du droit électoral. Une proposition avait été faite par M. Facqz pour le déterminer dans la constitution, et voici ce que disait l’honorable M. de Foere de cette proposition :

« Je suis, comme M. de Facqz, d’avis de déterminer le cens dans la constitution ; mais je voudrais un peu plus de latitude dans la fixation du minimum et du maximum. Les hommes qui exercent des professions scientifiques devraient être admis aux élections avec un cens moindre, et je voudrais que l’amendement contînt une disposition à cet égard. »

Cette proposition de l’honorable M. de Foere fut combattue par M. Forgeur. Il entra dans quelques détails dont je ne vous occuperai pas. Mais enfin M. Le Hon, abordant la question, la décide en ces termes :

« Quant à l’amendement de M. Foere, je le déclare inadmissible ; la source de tous les pouvoirs réside dans les élections. Or, à qui appartient-il de les constituer ? A ceux qui sont intéressés à leur maintien, au bon ordre, à la prospérité et à la tranquillité de l’Etat. Personne n’est aussi intéressés tout cela, que celui qui possède une fortune quelconque et un cens qui la représente. Le savant, quelque savant qu’il soit, appartient à la civilisation, au monde savant, à toutes les nations et non à celle qu’il éclaire momentanément de ses lumières. S’il ne paie pas vingt florins d’impôt, s’il ne prend pas racine dans le sol, j’en conclurai que ce savant n’est pas plus intéressée au bon ordre et à la paix en Belgique, qu’il ne l’est pour la France ou pour tout autre pays ; et du jour où la Belgique ne lui conviendrait plus, ou qu’il n’y trouverait plus la tranquillité nécessaire à ses travaux, il l’abandonnerait, car rien ne l’attacherait à nous. C’est la propriété qui est le fondement du cens ; c’est le paiement du cens qui intéresse à la prospérité du pays ; il faut donc payer ce cens pour exercer le droit le plus précieux de citoyen.

« Mais, dit-on, vous écartez les capacités, vous vous privez de leurs lumières. Oh ! non, messieurs, je n’écarte pas les capacités. Un assez beau rôle leur est réservé, et ils sont encore en possession d’un droit bien précieux, c’est l’éligibilité ; car remarquez que nous ne parlons ici que des électeurs qui doivent, pour nommer le sénat et les représentants de la nation, payer un cens électoral, tandis qu’aucun cens n’est exigé pour l’éligibilité : le savant sera donc éligible, il pourra éclairer les discussions législatives, en apportant le tribut de ses lumières dans la chambre des représentants ; c’est là qu’il arrivera en sa qualité de savant, qualité qui ne suffit pas pour avoir des racines dans le sol. »

Voilà ce qui se disait au congrès national lors de l’examen de l’art. 47 de la constitution. Le congrès, après avoir discuté les divers amendements, les rejeta tous, y compris celui de l’honorable M. de Foere, et l’art. 47 fut adopté tel qu’il est conçu aujourd’hui.

Il me semble résulter de cette discussion au congrès national, que l’esprit de la constitution a été, non pas d’admettre comme électeurs ceux qui paieraient le cens, et qui n’en posséderaient pas les bases, mais d’exiger de tous les électeurs la possession des bases pour lesquelles ils paieraient le cens. Car sans cette possession, on vous l’a dit, vous n’avez pas d’intérêts à conserver ; j’ajouterai : Vous n’avez pas les lumières nécessaires. C’est ce que je démontrerai dans un instant par un autre auteur que je citerai.

Cette discussion au congrès national est confirmée par des autorités dans la matière. L’honorable rapporteur de la section centrale vous disait hier que les commentateurs étaient divisés et qu’un très petit nombre établissait cette doctrine. Je suis d’un avis tout à fait contraire, et je crois que les opinions de la généralité des hommes qui se sont occupés de la loi électorale, sont d’accord sur ce point qu’il faut posséder les bases du cens, que sinon, vous ne pouvez être électeur. Je citerai en premier lieu l’auteur de la Revue des Revues de droit, qui examinait la question avant qu’elle ne fût soumise à la chambre. Si elle avait été traitée postérieurement, je ne m’en occuperais pas.

L’honorable M. Delebecque se demande : « Suffit-il de payer le cens requis pour être électeur ? Faut-il au contraire posséder en outre les bases réelles de l’impôt ? »

Voici ce qu’il dit :

« 253. Lors de la discussion de la loi communale, on a agité la question de savoir si l’acquittement de la contribution conférait le droit électoral, alors que la base du droit n’existerait pas, alors qu’on ne serait ni locataire, ni marchand, etc. Le ministre des finances, M. d’Huart, s’est chargé de la réponse : d’après lui, on ne peut imputer à crime une volonté si favorable au trésor ; aucune juridiction n’aurait le droit de repousser la déclaration d’un contribuable, comme étant trop élevée, (Moniteur du 17 février 1836.) Il suffit, d’après M. d’Huart, de verser au trésor la somme nécessaire...

« 254. Au point de vue fiscal, cette réponse certes est très satisfaisante ; nous la concevons dans la bouche d’un ministre des finances ; mais il n’en est plus ainsi au point de vue constitutionnel. Et d’abord n’équivoquons pas sur la portée de l’expression verser au trésor ; la loi suppose que l’on paie ce que l’on doit payer ; elle dit verser au trésor, pour éviter le doute qui naissait à l’occasion des impôts communaux et provinciaux, à l’occasion des centimes additionnels perçus au profit des provinces et des communes ; on voulait faire entendre que l’impôt seul dont profite le trésor public national devait être ici consulté. On s’est expliqué formellement sur ce point, lors de la discussion de la loi communale. (Discours de M. Delafaille, Moniteur du 1er août 1834.)

« 255. Il faut remonter un peu plus haut. Le droit électoral a été accordé à ceux qui, par leur industrie ou leurs propriétés, donnaient la garantie de l’intérêt qu’ils prenaient au bon ordre. Sous ce rapport l’impôt n’est qu’une manifestation, une preuve de l’existence de la base de cette garantie politique. L’impôt présuppose qu’on exerce une industrie, un commerce en gros ou en détail, qu’on est propriétaire foncier, ou seulement propriétaire d’un mobilier ; mais si cette base n’existe pas, si tout cela n’est que fictif, le droit alors ne repose plus sur rien ; car ce n’est pas parce qu’on paie une certaine somme d’impôt qu’on a la prérogative du droit électoral, c’est parce qu’en payant cet impôt on prouve que l’on a intérêt à la chose publique ; que l’on ne vit pas au jour le jour ; que l’on doit craindre les secousses politiques. Si tout cela fait défaut, il n’y a plus qu’un faux électeur, et toute la difficulté sera peut-être de prouver la fraude ; mais si la fraude est prouvée, le droit électoral s’écroule.

« 256. Le système, improvisé, il est vrai, par le ministre des finances, et qu’il n’a pas eu le temps de mûrir, ce système qui n’a pas été l’objet d’une discussion ou d’un vote, parce qu’il s’est produit incidemment à la chambre des députés, aurait les plus graves inconvénients ; il organiserait en grand la fraude électorale l’homme riche pourrait ainsi faire d’un bon nombre de prolétaires dans sa dépendance, une véritable cohorte électorale à sa dévotion, et l’on aurait en Belgique les bourgs pourris de l’Angleterre.

« Toute loi, et toute loi politique surtout, défend qu’on l’élude et qu’on la fraude. L’illégalité ne peut se convertir en droit, quand l’illégalité est patente avérée. »

D’autres personnes qui n’ont pas écrit sur la constitution, mais qui ont fait connaître leur manière de penser sur le sens que l’on devait donner à l’art. 47 de la constitution, sont aussi de mon opinion. Je citerai, entre autres, l’honorable M. de Muelenaere qui, il y a trois jours, nous a dit franchement que, dans son opinion, l’esprit de la constitution devait être entendu dans ce sens qu’il fallait posséder les bases de l’impôt.

Je citerai encore l’opinion de l’honorable M. Dechamps qui, dans un travail très connu, qui est entre les mains de vous tous, son rapport sur les pétitions relatives la réforme électorale, ne fait qu’effleurer la question, mais cependant la décide. Voici ce que je lis dans ce rapport :

« En y réfléchissant un peu, tout le monde conviendra que les principes fondamentaux d’une bonne loi d’élection sont d’abord la fortune, la propriété, par laquelle les hommes sont attachés au sol de la patrie, par laquelle ils sont intéressés à la paix publique ; or le signe de cette fortune, c’est l’impôt, c’est le cens. »

D’après l’opinion de l’honorable M. Dechamps, il faut encore être propriétaire, propriétaire foncier, propriétaire mobilier, peu importe, mais sans être propriétaire on ne peut exercer le droit électoral.

J’ajouterai à cela, messieurs, une dernière citation ; c’est un passage d’un auteur français, mais je crois pouvoir invoquer cette autorité parce que les principes qui régissent les élections en France sont identiquement les mêmes que ceux qui sont admis en Belgique. Voici ce que dit Benjamin Constant dans son cours de politique constitutionnelle :

« Les droits politiques consistent à être membre des diverses autorités nationales, à être membre des autorités locales des départements, et à concourir à l’élection de ces diverses autorités.

« Sont aptes à exercer les droits politiques tous les Français qui possèdent, soit une propriété foncière, soit une propriété industrielle, payant un impôt déterminé, soit une ferme en vertu d’un bail suffisamment long et non résiliable, et qui, par cette possession, existent sans le secours d’un salaire qui les rende dépendants d’autrui.

« Aucun peuple n’a considéré comme membre de l’Etat tous les individus résidant, de quelque manière que ce fût, sur son territoire. Il n’est pas ici question des distinctions qui, chez les anciens, séparaient les esclaves des hommes libres, et qui, chez les modernes, séparent les nobles des roturiers. La démocratie la plus absolue établit deux classes : dans l’une sont relégués les étrangers et ceux qui n’ont pas atteint l’âge prescrit par la loi pour exercer les droits de cité ; l’autre est composée des hommes parvenus à cet âge et nés dans le pays. Il existe donc un principe d’après lequel, entre les individus rassemblés sur un territoire, il en est qui sont membres de l’Etat et il en est qui ne le sont pas.

« Ce principe est évidemment que, pour être membre d’une association, il faut avoir un certain degré de lumières et un intérêt commun avec les autres membres de cette association. Les hommes au-dessous de l’âge légal ne sont pas censés posséder ce degré de lumières ; les étrangers ne sont pas censés se diriger par cet intérêt. La preuve en est, que les premiers, en arrivant à l’âge déterminé par la loi, deviennent membres de l’association politique, et que les seconds le deviennent par leur résidence, leurs propriétés ou leurs relations. L’on présume que ces choses donnent aux uns les lumières, aux autres l’intérêt requis.

« Mais ce principe a besoin d’une extension ultérieure. Dans nos sociétés actuelles, la naissance dans le pays et la maturité de l’âge ne suffisent point pour conférer aux hommes les qualités propres à l’exercice des droits de cité. Ceux que l’indigence retient dans une éternelle dépendance et qu’elle condamne à des travaux journaliers, ne sont ni plus éclairés que les enfants sur les affaires publiques, ni plus intéressés que des étrangers à une prospérité nationale dont ils ne connaissent pas les éléments et dont ils ne partagent qu’indirectement les avantages ;

« Je ne veux faire aucun tort à la classe laborieuse. Cette classe n’a pas moins de patriotisme que les autres classes. Elle est prête souvent aux sacrifices les plus héroïques, et son dévouement est d’autant plus admirable, qu’il n’est récompensé ni par la fortune ni par la gloire. Mais autre est, je le pense, le patriotisme qui donne le courage de mourir pour son pays, autre est celui qui rend capable de bien connaître ses intérêts. Il faut donc une condition de plus que la naissance et l’âge prescrits par la loi. Cette condition, c’est le loisir indispensable à l’acquisition des lumières, à la rectitude du jugement. La propriété seule assure ce loisir, la propriété seule rend les hommes capables de l’exercice des droits politiques. »

Eh bien, messieurs, ce sont ces principes, exposés par M. Benjamin Constant, qui forment aussi la base du droit électoral belge. En effet, la constitution a-t-elle voulu plus qu’on ne le veut en France, le suffrage universel ? Mais non ; on l’a repoussé, et avec raison, comme je l’ai déjà dit. A-t-on voulu les capacités sans le cens ? Non ; on l’a également repoussé. Qu’a-t-on voulu ? On a voulu la fortune qui rend l’homme indépendant, qui lui donne un intérêt à conserver, qui lui donne le loisir d’examiner quels sont les hommes qui conviennent pour représenter le pays. Il est donc évident que l’on fausserait le principe des élections, si l’on admettait des hommes pour qui d’autres paieraient le cens électoral, ou qui le paieraient eux-mêmes, mais sans posséder les bases de l’impôt. Ce n’est point là ce que le congrès national a voulu ; il a voulu que le droit électoral ne fût exercé que par des hommes ayant quelque chose à conserver, ayant intérêt au maintien de la société. Vous ne pouvez donc adopter, messieurs, l’art. 2 du projet du gouvernement, qui semble admettre le seul paiement du cens comme base du droit électoral.

J’ai déjà répondu à l’argument tiré d’une parole de l’honorable M. d Huart, en citant l’opinion de M. Delebecque. J’ajouterai qu’on ne peut pas opposer ce mot prononcé par l’honorable M. d’Huart dans une discussion incidente, qu’on ne peut pas opposer ce mot à l’autorité des principes constitutionnels. L’explication donnée par M. d’Huart est assez naturelle dans la bouche d’un ministre des finances ; mais cette explication ne peut pas détruire la constitution, qui exige plus que le paiement du cens, qui exige la propriété.

Je ferai remarquer que l’opinion de M. d’Huart n’a pas été adoptée par la chambre ; la chambre n’a pas été appelée à se prononcer sur ce point ; M. Pirmez était en opposition avec M. d’Huart ; il n’y a pas eu de votes ; la chambre n’a pas repoussé l’opinion de l’honorable M. Pirmez, elle n’a pas adopté celle de l’honorable M. d’Huart, cette opinion ne peut donc profiter à personne.

En examinant, dans la discussion générale, l’art 2, qui nous occupe, M. le rapporteur de la section centrale n’a pas contesté la nécessité de la possession des bases de l’impôt, mais il a dit que la vérification de ces bases présente des difficultés.

Ce serait donc parce que l’application d’un principe constitutionnel donnerait lieu à des difficultés que l’on repousserait ce principe. Evidemment c’est ce que la chambre ne peut pas admettre. Mais, messieurs, ces difficultés n’existent pas ou du moins ne sont pas insurmontables. Je suppose que vous disiez dans la loi qu’il faut posséder les bases de l’impôt ; eh bien, les collèges communaux examineront d’abord si ceux qui réclament la qualité d’électeurs, possèdent les bases du cens électoral ; on ne parviendra pas toujours, j’en conviens, à découvrir la vérité, mais on y parviendra souvent, et ce sera déjà un grand avantage, d’abord relativement au fait en lui-même, ensuite parce que, de cette manière, vous restez dans les termes de la constitution. Après le collège communal vous avez la députation permanente. Vous avez institué cette autorité, vous devez donc y avoir confiance. Cependant aujourd’hui vous ne voulez plus rien lui soumettre. Eh bien, si vous n’avez plus confiance dans la députation permanente, attribuez la connaissance des contestations qui pourront s’élever à une autorité qui vous paraisse plus indépendante, aux tribunaux, par exemple.

Vous pourriez aussi établir une pénalité contre ceux qui, dans le dessein de frauder la loi, feraient une fausse déclaration. Je ne demande pas que l’on punisse tous ceux qui feraient une déclaration inexacte, mais ceux qui la feraient dans le dessein de s’attribuer un droit qu’ils n’ont pas ; je ne vois pas pourquoi ceux-là ne seraient pas punis.

Voilà, messieurs, ce que vous pourriez faire si vous le jugiez nécessaire. Quant à moi, je pense qu’il suffirait que la loi électorale fût bien expliquée et bien exécutée pour qu’il soit inutile d’établir des pénalités ; dans tous les cas, je ne voudrais que des peines légères, et je voudrais surtout atteindre les vrais coupables, plutôt que ceux qui ne sont que des instruments, je voudrais surtout atteindre ceux qui paient le cens électoral pour d’autres, à l’effet d’acquérir leur vote dans les élections ; à l’égard de ces derniers je serais plus sévère, et, sous ce rapport, j’appellerai l’attention de M. le ministre de l’intérieur sur l’art. 113 du code pénal. Cet article porte :

« Tout citoyen qui aura, dans les élections, acheté ou vendu un suffrage à un prix quelconque, sera puni d’interdiction des droits de citoyen et de toute fonction ou emploi public pendant cinq ans an moins et dix ans au plus.

« Seront, en outre, le vendeur et l’acheteur du suffrage condamnés chacun à une amende double de la valeur des choses reçues ou promises. »

Eh bien, messieurs, dans plusieurs des fraudes qui ont été signalés dans cette chambre, n’y a-t il pas réellement achat et vente de suffrage ? Un homme qui consent à aller déclarer des objets qu’il ne possède pas, dans le but d’être imposé d’une contribution qu’il ne paiera pas, mais qu’un autre paiera pour lui, cet homme ne vend-il pas réellement son suffrage ? Mais appliquez-lui donc les peines comminées par le code pénal.

Je dis, messieurs, que l’art. 2, tel qu’il est proposé par le gouvernement, légalise la fraude ; il est évident que celui qui fait une chose, pour s’attribuer un droit que la loi ne lui donne pas, fraude la loi ; or s’il commet cette fraude deux années de suite, au lieu de la commettre une seule fois, est-ce un motif pour la légaliser ? Si un homme puissant consent à payer, pour certains individus dont il veut se faire des instruments, des impôts que ces individus ne doivent pas, légaliserez-vous cette fraude par le seul motif qu’elle aura été commise pendant deux années de suite ? Evidemment, messieurs, c’est là un trafic de suffrages, c’est une immoralité que vous ne pouvez pas autoriser par la loi.

La disposition qui nous occupe, messieurs, présente des dangers imminents. Pourquoi a-t-on repoussé le suffrage universel ? Tous les citoyens sont membres de la société politique et, au premier abord, il semble qu’ils doivent tous exercer les mêmes droits. Pourquoi-donc a-t-on repoussé le suffrage universel ? On l’a repoussé comme on l’a repoussé en France, comme on l’a repoussé ailleurs, comme je le repousserais aussi si j’étais appelé à me prononcer sur cette question, on a repoussé le suffrage universel parce que c’est un suffrage menteur.

Vous n’avez que l’opinion d’un seul. Voilà pourquoi je ne veux pas du suffrage universel.

Eh bien, on arriverait aux mêmes résultats, si le projet de loi, tel qu’il nous est présenté, était adopté, et je déclare que si l’art. 2 surtout n’est pas modifié, je voterai et contre cet article et contre la loi entière.

M. le président. - Voici un sous-amendement à l’amendement de M. Mercier que M. Orts a fait parvenir au bureau :

« Je propose d’ajouter au 2ème § de l’amendement de M. Mercier sur l’art. 2 du projet de la section centrale :

« A moins que l’électeur ne justifie d’avoir pendant ce semestre possédé les bases du cens ; cette justification devra être faite dans le délai de quinzaine fixé par l’art. 5 pour la réclamation à adresser au collège des bourgmestre et échevins. »

M. Orts. - Messieurs je me demandais déjà, au mois de décembre dernier, lorsqu’à l’occasion de la motion de mon honorable ami M. Mercier, il fut question de savoir s’il fallait, aux termes de la loi électorale de 1831, posséder les bases du cens, ou s’il suffisait de payer l’impôt. Je me demandais, dis-je, si, en matière électorale, la plus importante peut-être de nos institutions constitutionnelles, il serait vrai qu’on pût dire ce que j’ai lu quelque part dans un poète : « C’est un droit qu’à la porte on achète en entrant. »

Quoi ! vous voulez des garanties dans ceux que vous investissez du droit de concourir à former la représentation nationale ; et il pourra se faire qu’un homme qui ne possède absolument rien, soit transformé en électeur. Mais le suffrage universel, dont a parlé l’honorable M. Jonet, vaudrait mieux que ce système ; il serait au moins plus franc, plus loyal.

Pour moi donc, la nécessité de posséder les bases du cens était une vérité, et je me disais : Est-il concevable que le congrès national, cette élite d’hommes, appelés par la nation à constituer le nouvel Etat européen, ait pu songer à décréter un système contraire. Non ; cela ne pouvait pas être. Du congrès national était émanée la constitution, notre palladium. L’art. 47 de cette loi des lois contient le germe de ce principe, et la loi électorale n’était autre chose que l’application du principe à la loi organique de l’élection.

Maintenant, messieurs, je ne reviendrai pas sur ce qu’a dit mon honorable ami M. Jonet pour prouver que l’art. 47 de la constitution établissait virtuellement le système, qu’il fallait posséder les bases de l’impôt. Mais la loi électorale de 1831, œuvre du congrès même, organise l’application du principe constitutionnel.

L’art. 1er de cette loi porte :

« Art. 1er. Pour être électeur il faut :

« 1° Etre Belge de naissance ou avoir obtenu la grande naturalisation ;

« 2° Etre âgé de 25 ans accomplis ;

« 3° Verser au trésor de l’Etat la quotité de contributions directes, patentes comprises, déterminée dans le tableau annexé à la présente loi. »

Je le demande : Pouvait-on songer que verser au trésor de l’Etat ne signifiât autre chose que d’y déposer la somme nécessaire pour constituer le cens. C’était là donner à cette expression de la loi un sens contre lequel protestait tout l’esprit de la loi.

Il y a plus : le § 3 de l’art. 1er ne doit pas être isolé de l’art. 4 ; car, en vertu de l’art. 4, le cens doit être justifié au moyen d’un des éléments suivants : soit par un extrait des rôles de contributions, soit par les quittances de l’année courante, soit par les avertissements du receveur des contributions.

Est-ce à dire que ces éléments, que le législateur a admis pour établir une justification, puissent être entachés de faux ? Est-ce à dire qu’en cet état ils puissent encore concourir à établir un cens ? Non, le cens ne sera plus justifié, le cens sera faussement établi.

On m’a répondu alors : Prenez-y garde ! votre art. 4 établit une présomption légale, et vous devez savoir que contre une présomption légale aucune preuve n’est admise.

On oublie que le dol et la fraude sont des moyens élusifs de toute espèce de convention ; que là où le dol et la fraude existent, toute présomption, quelle qu’elle soit, doit céder. Je vous dirai que la plus auguste de toutes les présomptions, c’est l’autorité de la chose jugée, et que, contre l’autorité de la chose jugée, il n’y a pas de preuve contraire admissible. Je vous avais dit que le législateur avait introduit contre la présomption légale résultant de la chose jugée, la requête civile fondée sur le dol personnel de la partie, que la requête civile était encore admise lorsque le jugement a été rendu sur des pièces déclarées ou reconnues fausses.

Pour moi, c’est une vérité incontestable, que si l’on établit que la fraude a vicié les rôles de contribution, l’accès des comices électoraux doit rester fermé à celui qui s’est porté sur la liste électorale, grâce à cette fraude.

Mais qui sera juge de la fraude ? Le législateur de 1831 y a encore pourvu ; il ouvre par l’art. 12, à tout individu jouissant de ses droits civils et politiques, le droit de réclamer contre toute inscription indue. L’art. 13 établit la compétence ; il nous apprend à qui appartient le droit de vérifier la fraude. C’est la députation du conseil provincial qui jugera.

D’après cela, messieurs, je m’attendais à voir arriver un projet de loi qui aurait consacré le système de la possession des bases de l’impôt. Mais il n’en est rien. En place d’une semblable loi, on nous a soumis un projet que je puis qualifier d’impuissant pour atteindre et réprimer la fraude. Il suffira de mentir pendant trois années consécutives pour que le mensonge soit légalisé.

Mais, dit-on, le temps nous a manqué pour proposer d’autres moyens.

Le temps vous a manqué ! mais ce n’est pas notre faute ; vous avez laissé écouler deux grands mois, avant de nous présenter votre projet. Si le temps vous manque, eh bien proposez alors une mesure transitoire, faites une loi qui ne contienne qu’un article, et qui se réduise à l’amendement de l’honorable M. Mercier, sous-amendé par moi ; ajoutez-y une disposition ainsi conçue : La présente loi ne sera obligatoire que jusqu’au 3l décembre 1843. Et en 1844, vous nous présenterez un projet que vous aurez eu le temps de mûrir. Eh, ne dites pas que l’organisation d’un pareil système présente des difficultés. Vous pourrez consulter la législation étrangère, et surtout la législation française sur ce point, je pense qu’une nation peut avec honneur faire de semblables emprunts à l’étranger, lorsqu’il s’agit pour elle de s’approprier un système de loi en harmonie avec ses propres institutions.

Je le répète donc, je m’attendais à un autre projet, et je déclare que je ne pourrais donner mon assentiment à celui qui nous est présenté, si l’on n’adopte pas l’amendement de l’honorable M. Mercier, avec le sous-amendement que j’ai proposé ; il faut que le citoyen qui a payé loyalement l’impôt pendant le dernier semestre, qui, pendant ces semestre, a possédé les bases de l’impôt, puisse venir prendre part aux élections. Sans cela, vous frapperiez l’innocent avec le coupable.

En matière politique, plus encore que lorsqu’il s’agit d’intérêt privé, il ne faut pas qu’un seul citoyen soit dépossédé d’un droit qui lui appartient légitimement. Un citoyen ne doit pas tomber dans l’ostracisme si, pendant le dernier semestre de 1842, il remplissait les conditions nécessaires pour être électeur, s’il possédait réellement les bases du cens.

Voilà ce que j’ai à dire pour motiver mon amendement, qui a pour objet d’apporter à l’amendement de M. Mercier cette modification : à moins que l’électeur ne justifie avoir pendant ce semestre possédé les bases du cens. Et comme il fallait prévoir le délai dans lequel la déclaration devait être faite, je l’ai pris dans la disposition de l’art. 5.

Cette justification devra être faire dans le délai de 15 jours fixé pour les réclamations à adresser au collège des bourgmestre et échevins.

Messieurs, je vous en conjure, ne vous hâtez pas d’adopter légèrement ce projet de loi.

S’il m’était permis de faire ici une comparaison vulgaire, je dirais que le ministère me paraît ressembler à ces honnêtes prêteurs auxquels s’adressent les fils de famille qui ont besoin d’argent, et qui, au lieu d’écus, reçoivent pour capital du prêt de mauvaises marchandises dont ces jeunes gens ne peuvent se procurer le placement, ou ne le peuvent qu’en faisant des pertes énormes, de telle manière qu’un emprunt de mille florins se réduit à 150 florins au plus. On veut, à l’aide d’une disposition impuissante à prévenir les fraudes signalées, faire passer d’autres dispositions étrangères à cet objet et sur lesquelles je me réserve de m’expliquer.

Je n’ai pas pris part à la discussion générale ; les intérêts de l’opinion à laquelle je me fais honneur d’appartenir ont été défendus avec ce talent que donne une bonne conscience politique.

On vous a promené à travers les crises ministérielles, de phase en phase ; savez-vous ce qui est résulté pour moi de ces discussions ? c’est qu’on avait l’air de nous faire accroire que les torts appartenaient à ceux-là qui s’étaient refusés à sacrifier la dignité du citoyen, la conviction politique, la conscience de l’homme d’Etat à la conservation d’un portefeuille. J’ai vu aussi qu’on pouvait se dire, en envisageant la conduite tenue par d’autres : Bien heureux sont ceux qui possèdent ! Ainsi, honneur à ceux qui savent se maintenir quand même !... haro sur ceux qui savent sacrifier leurs intérêts personnels, lorsqu’il s’agit de rester fermes dans leurs principes. Ces hommes d’Etat ne répondent aux détracteurs qu’en justifiant, par leur conduite, ce qu’un poète ancien a dit de l’homme de bien : Quand le monde s’écroulerait sur sa tête, il resterait inébranlable au milieu des ruines.

M. de Theux. - Messieurs, je viens à la fois combattre les amendements de MM. Mercier et Savart, et les sous-amendements qui ont été présentés. Je combattrai en même temps les objections qui ont été dirigées contre le projet du gouvernement.

L’amendement de l’honorable M. Mercier renverse le projet du gouvernement par sa base. Cet amendement ne fait pas disparaître les abus pour le présent et laisse subsister pour l’avenir toutes les facilités dont on a joui jusqu’à ce jour.

En effet aux termes de cet amendement, il suffit de s’être abusivement déclaré débiteur envers l’Etat, pour le premier semestre de 1842, pour jouir du droit électoral. Mais les déclarations abusives du second semestre sont répudiées par l’honorable membre. Je ne vois pas pourquoi ce privilège, je ne vois pas pourquoi celui qui a pris l’initiative de la fraude doit jouir de l’immunité, tandis que celui qui, dans le second semestre, n’a pris qu’une mesure défensive, une mesure répressive, doit être seul frappé par la loi.

Veuillez le remarquer, l’observation que je fais est d’autant plus juste, qu’il ne faut pas avoir payé, en faisant la déclaration dans le premier semestre, un centime de plus que n’aurait payé celui qui aurait fait seulement sa déclaration dans le second semestre pour acquérir le droit électoral, car il faut que l’impôt payé, soit que la déclaration ait été faite dans le premier semestre, soit qu’elle ait été faite dans le second, atteigne le cens électoral. Ainsi, peu importe que la déclaration ait été faite dans le premier ou le second semestre ; il ne faut pas dépenser un centime de plus pour acquérir le droit électoral dans le premier cas que dans le second. Il n’y a qu’une chose, c’est que celui qui a fait la déclaration dans le premier semestre a pu plus facilement la déguiser. Vous voyez donc que l’amendement de M. Mercier ne repose sur rien. Le projet du gouvernement, au contraire, repose sur une base vraie.

Cet article, l’art. 2, est fondé uniquement sur la difficulté de s’assurer de l’existence des bases de la patente ou de l’impôt personnel, difficulté qui n’existe en aucune manière pour l’impôt foncier. En effet, on sait que quiconque se fait porter comme propriétaire au rôle des contributions foncières est passible d’un droit de mutation et même d’un double droit, à titre d’amende, s’il ne produit pas un titre de propriété dûment enregistré ; dès lors on comprend que jamais personne ne voudra, pour acquérir un droit électoral, se faire porter aux rôles de la contribution foncière, car il faut ajouter à ce double droit de mutation le nouveau droit pour reporter le véritable propriétaire au rôle des contributions. On s’expose donc à payer trois droits de mutation pour se faire porter abusivement électeur, du chef de la contribution foncière.

Il est donc impossible que l’impôt foncier donne lieu à des déclarations fictives. Il n’en est pas de même de la patente et de la contribution personnelle. Un individu quelconque peut prendre une patente pour une profession qu’il n’exerce pas ou exagérer l’importance de la profession qu’il exerce ; cet individu, de même que celui qui paye une contribution personnelle supérieure à celle qu’il devrait payer, peut faire cesser cette contribution, l’année suivante, en ne renouvelant pas sa déclaration. il peut acquérir le droit électoral par deux payements indus, chose qui peut être peu important quand l’individu atteint à peu près le cens par des contributions réellement dues. Il suffit de majorer un peu la patente ou la contribution personnelle.

La distinction faite par le gouvernement est donc fondée sur la nature même des choses. Le projet du gouvernement n’est pas fondé sur cette présomption, que les déclarations faites dans tel ou tel semestre sont nécessairement frauduleuses. Il n’est fondé que sur la facilité de commettre des abus, du chef de la patente et de l’impôt personnel. On s’est demandé pourquoi on n’a pas adopté la législation existante en France. La réponse est facile. En France, ces déclarations abusives ne peuvent exister que quant à la patente, car, pour l’impôt personnel, il existe en vertu d’une répartition faite d’office. En Belgique, au contraire, la loi de 1822 a introduit un principe nouveau, la contribution personnelle est assise sur la déclaration du contribuable. On conçoit combien ces déclarations personnelles donnent de facilité aux déclarations abusives, en vue d’acquérir le droit électoral.

Mais, dit-on, pourquoi ne pas admettre l’autorité à vérifier l’existence des bases ?

Je vous ferai remarquer, qu’en ce qui concerne les patentes, on admet, pour être électeur, un cens inférieur à celui qui existe en France ; nous dressons les listes à une époque trop rapprochée de l’élection, pour adopter la législation française, qui permet de contester l’existence des bases devant l’autorité judiciaire. Il surgirait une infinité de procès sur l’exercice réel de la profession qui donne ouverture au droit de patente et sur l’importance des affaires du patentable, procès qu’il serait impossible de juger en temps opportun, pour que les intéressés pussent prendre part à l’élection. Il en résulterait beaucoup d’occupation pour les tribunaux, et comme il faudrait prendre des avocats, le cens étant le plus généralement de 20, 25 et 30 florins, beaucoup de citoyens peu fortunés préféreraient renoncer à un droit réel plutôt que de s’exposer à un procès. Voilà pour ce qui concerne la patente.

Mais pour la contribution personnelle, voyez sur quels points devrait porter la justification. Il suffit, aux termes de la loi, d’endosser une fois la selle à son cheval et de le monter. Voilà la contribution personnelle qui est due de ce chef ; mais est-il si facile de prouver que celui qui a déclaré un cheval, comme étant passible de la contribution personnelle, n’ait jamais monté sur ce cheval lorsqu’il était scellé ? Cela n’est pas facile à prouver ; pour les domestiques, il faudrait également faire une enquête pour voir, je ne me rappelle pas maintenant combien de temps il faut qu’une personne soit au service d’une autre pour donner lieu à l’ouverture de l’impôt, mats ce temps est très court ; un travail journalier dans une maison donne également ouverture à l’impôt ; il faudrait donc, dis-je, faire une nouvelle enquête de ce chef. Les portes et fenêtres sont une base d’impôt facile à vérifier ; mais pour les foyers, cela serait fort difficile ; il y a dans les maisons un grand nombre de foyers qui ne payent pas l’impôt, parce que le propriétaire ne fait usage que d’un ou de deux foyers ; si cependant il veut déclarer que tous ses foyers sont en usage, qui viendra fouiller sa maison pour voir si on fait du feu dans telle ou telle cheminée, et si la déclaration de tant de foyers est une fraude ou non ? Mais le mobilier ? c’est bien autre chose. Beaucoup de personnes possèdent un mobilier qui n’équivaut pas au quintuple de la valeur locative, et elles se contentent d’une expertise qui leur est plus avantageuse que la déclaration au quintuple de la valeur locative ; si elles veulent acquérir le droit électoral en déclarant leur mobilier au quintuple, comme la loi les autorise à le faire, enverrez-vous des experts pour constater que leur mobilier n’a pas cette valeur ? Si vous ne faites pas cela, vous laissez une porte ouverte à l’abus le plus facile, surtout qu’il est difficile de constater la valeur réelle d’un mobilier.

Ainsi que je l’ai déjà dit, la contribution personnelle, en France, ne peut jamais donner lieu à des enquêtes. Elle est assise, par les autorités publiques, par voie de répartition. Elle n’est pas assise, comme en Belgique, sur la déclaration du contribuable. D’ailleurs, je dois répéter ce que j’ai dit, c’est que le nombre des électeurs est tellement grand en Belgique que, s’il fallait constater judiciairement la sincérité des déclarations, il en résulterait des procès très nombreux, procès auxquels un grand nombre de contribuables voudraient se soustraire, en renonçant à leur inscription sur les listes électorales. Il serait d’ailleurs toujours facile d’éluder la loi qui exigerait la possession des bases de l’impôt, an moyen d’une possession momentanée ou d’un usage momentané des objets qui donnent lieu à l’impôt, ce qui suffit pour que l’impôt soit réellement dû et pour qu’il repose sur une base vraie.

Je dis, messieurs, que le projet de loi est fondé en raison ; que l’on n’a pas pu implanter en Belgique la législation française, parce que la législation française est essentiellement différente ; le cens est ici beaucoup plus bas qu’en France, et les listes électorales sont dressées en France à une époque plus éloignée de celle de l’élection qu’en Belgique.

J’ajouterai qu’il ne serait pas possible d’anticiper la formation des listes électorales, car vous ne pourriez plus avoir égard aux contributions payées dans l’année où l’élection a lieu ; les élections ont lieu ici au mois de juin ; il faut donc que les listes soient dressées avant le mois le juin, d’après les contributions payées pour l’année même ; or il serait impossible de commencer la formation des listes électorales plus tôt que ne le prescrit la loi électorale, à moins de se contenter des contributions de l’année précédente, ce qui donnerait lieu à d’autres inconvénients, sans exiger le paiement des contributions pour l’année courante, ainsi ceux qui ont perdu leur droit électoral, par suite de la diminution de leur impôt, resteraient électeurs en raison du principe de la permanence des listes. Tontes les raisons se réunissent donc pour adopter le projet du gouvernement, de préférence à toutes les autres propositions qui ont été faites.

L’amendement de l’honorable M. Mercier est encore inadmissible en ce sens qu’il suffirait d’avoir fait une déclaration frauduleuse le 30 juin 1842, pour qu’elle fût bonne, tandis que celle qui aurait été faite le 1er juillet serait nulle ; et cependant celui qui aurait fait cette déclaration le 30 juin ne payerait pas un centime de plus que celui qui ne l’aurait faite que le 1er juillet, et peut-être seulement par représailles. Il n’est donc pas possible d’admettre cette distinction entre les deux semestres. Aux termes de la loi électorale, il faut avoir payé dans l’année le montant du cens. On ne peut faire aucune distinction quant à l’époque de la déclaration.

Si vous adoptiez l’amendement de l’honorable M. Mercier, qu’en résulterait-il ? C’est qu’au lieu d’attendre le deuxième semestre, on ferait des déclarations dans le premier. Cet amendement ne porte donc remède à rien.

Il faut nécessairement le payement des impositions pendant les deux années antérieures à l’élection ; avec cette disposition vous avez une garantie à peu près certaine, car, ainsi que je l’ai dit dans la discussion générale, il y aura bien peu d’individus qui s’exposeront à payer pendant trois années des impôts qu’ils ne doivent pas afin d’exercer un droit électoral qui, peut-être, ne sera d’aucune utilité ; car on sait combien les circonstances viennent à varier dans les Etats constitutionnels, et il y a bien peu d’individus qui voudraient s’astreindre à une pareille charge. Et d’ailleurs, si contre toute prévision on avait plus tard des motifs de croire que de nombreuses déclarations fictives auraient été faites sous l’empire de la loi nouvelle, on pourrait alors prendre des mesures plus énergiques pour réprimer ces déclarations : je ne veux pas, plus que qui que ce soit, que l’on devienne électeur au moyen de déclarations fictives.

Après avoir combattu l’amendement de l’honorable M. Mercier, il est inutile de m’occuper du sous-amendement de l’honorable M. Orts. Cependant j’en dirai un mot. Il veut introduire le principe que nous avons combattu vigoureusement lors de la discussion incidente qui a amené la présentation du projet de loi ; nous avons dit que jamais nous ne consentirions à donner, sans garantie et d’une manière arbitraire des autorités électives, la décision du fait de la possession de la base du cens électoral. Peu importe que les autorités en soient saisies par le déclarant lui-même ou d’office. Je n’admets pas qu’elles aient une impartialité suffisante pour juger de semblables questions de fait ; leur décision pourrait être dictée par quelque préoccupation politique. Nous ne devons pas admettre une telle disposition dans la loi ; car on serait exposé à voir accueillir des déclarations supplémentaires fausses ; on dirait : Le déclarant est un honnête homme, il est de notre bord, nous admettons sa déclaration ; un autre se présenterait, et, s’il était d’une opinion contraire, on ferait des vérifications minutieuses, des visites domiciliaires, de manière que les uns seraient appelés à faire des déclarations supplétives, les autres en seraient éloignés. C’est ce que nous ne voulons pas. Si jamais le système de la possession de la base de l’impôt est admis, il faut des mesures bien organisées qui nous donnent la garantie que les décisions ne seront pas dictées par un sentiment politique plutôt que par celui de la justice, qui doit présider à toutes les décisions.

L’honorable M. Jonet a combattu la disposition de l’art. 2, comme injuste et inconstitutionnelle. Ce sont les observations qu’il me reste à rencontrer. Ce projet, dit-il, est injuste, parce qu’il a un effet rétroactif ; il efface des listes beaucoup de personnes qui possèdent les bases de l’impôt, en même temps qu’il en efface celles qui ont voulu acheter la qualité d’électeur.

Mais on ne peut pas avoir des électeurs, pour une même élection, d’après deux principes différents. Vous ne pouvez pas avoir deux catégories d’électeurs ; une d’après la loi de 1831, et une autre d’après la loi de 1843. C’est impossible, la loi est égale pour tous les citoyens ; il n’y a pas de droits acquis en matière d’élections : le payement du cens pendant deux années antérieures à l’élection est devenu une nécessité pour éviter les abus ; c’est renforcer le principe de la loi de 1831, qui déjà exige le payement pour une année antérieure.

La loi est inconstitutionnelle, dit l’honorable M. Jonet, parce que la constitution veut que le cens électorat ne soit compté qu’autant qu’on possède les bases de l’impôt. C’est là une pure assertion ; nous ne trouvons rien de semblable dans la constitution ; il faut payer une quotité déterminée d’impôt ; mais la constitution a laissé dans le domaine du pouvoir législatif la question de la possession des bases de l’impôt ; et si vous en voulez une preuve, vous la trouverez dans la loi de 1831 elle-même, loi qui a été faite par le congrès immédiatement après la constitution ; or la loi de 1831 n’exige pas la possession des bases de l’impôt ; ceci a été démontré, dans des discussions précédentes, par des raisons qu’on ne peut pas combattre.

A l’appui de ce qui a été dit dans les discussions antérieures, je pourrais citer un fait. Des déclarations de patentes fictives avaient été faites en grand nombre dans une commune de la province de Liége, dans la commune de Romsée, je pense. Un appel fut formé auprès de la députation permanente, et celle-ci décida qu’elle n’avait pas le droit de vérifier si ces déclarations de patente étaient fictives. On se pourvut en cassation. Eh bien, après avoir consulté des jurisconsultes, je dirai même de l’avis d’un membre du parquet de la cour de cassation, le pourvoi fut abandonné, parce qu’on disait : La loi de 1831 est claire ; elle n’exige pas la possession des bases du cens ; donc la députation permanente de la province de Liége a bien jugé, et si vous persistez dans votre pourvoi, vous encourrez des frais et l’amende qui sera la conséquence du rejet de votre pourvoi mal fondé.

On a voulu réduire à rien la discussion qui a eu lieu lors de la confection de la loi communale. Mais il est impossible de réduire cette discussion à rien. Lorsqu’on a discuté la loi communale, la chambre était composée d’un grand nombre de membres du congrès constituant. On savait déjà alors qu’il y avait très souvent des déclarations fictives, du chef de contributions dont on ne possédait pas les bases ; c’était un fait connu, et tellement connu qu’il a donné naissance à la question posée par l’honorable M. Pirmez, qui, après avoir entendu la réponse catégorique de l’honorable M. d’Huart, s’est déclaré satisfait,, et a dit : Il est donc certain qu’aux termes de la loi il n’est pas nécessaire de posséder les bases. Et pas un mot de contradiction dans cette enceinte. Et on croirait que sur une question constitutionnelle, au dire de l’honorable M. Jonet, sur une question qui intéressait aussi éminemment notre ordre politique, personne n’aurait soulevé la moindre objection.

Messieurs, la seule conséquence que l’on puisse tirer de cette discussion, c’est que tout le monde était d’accord que le sens de la loi de 1831 était clair, qu’il n’était pas nécessaire de posséder les bases de l’impôt.

On voudrait établir des pénalités contre les personnes qui ont fait une déclaration de patente ou de contribution personnelle sans posséder les bases de ces impôts. Mais, messieurs, pour faire des poursuites correctionnelles, il faudrait de nouveau avoir recours à toutes les investigations, aux visites domiciliaires ; ce serait encore pis que des discussions purement civiles, qui seraient portées devant les tribunaux ordinaires préalablement à la formation des listes.

Mais quel est le citoyen qui ne tremblerait pas d’avoir été placé sur les listes d’électeurs si, par suite de la déclaration sincère, faite de bonne foi, il se trouvait exposé, peut-être à cause d’une dénonciation malveillante, à être attrait est justice ? Mais ce serait rendre bien difficile l’exercice du droit électoral, un bon nombre d’électeurs reculeraient devant la possibilité de poursuites correctionnelles du chef de leur déclaration et se refuseraient à toute inscription sur les listes électorales.

J’en reviens, messieurs, à l’observation que je vous ai déjà faite et qui est fondamentale.

Le projet du gouvernement pourvoit aux nécessités actuelles, personne ne le conteste. Cette seule considération devrait suffire pour le faire adopter. Ce projet, et je pense que telle doit être l’opinion d’une grande partie de cette assemblée, prévient encore la possibilité des abus dans l’avenir, an moins la possibilité d’abus nombreux. Car personne ne se soumettra à un grand nombre de paiements pour l’exercice d’un droit qui sera probablement sans utilité pour la troisième année. D’après ces diverses considérations, je finirai par où j’ai commencé, en vous déclarant que je voterai pour le projet du gouvernement et contre tous les amendements qui ont été présentés.

M. le président. - Voici un amendement que l’honorable M. Verhaegen vient de faire parvenir au bureau :

« Voulant faire disparaître le doute qui pourrait exister sur le sens de l’art. 1er, § 3 de la loi électorale, j’ai l’honneur de proposer la disposition suivante :

« Nul n’est électeur, s’il ne possède pas les bases du cens :

« Il sera incessamment pourvu par la législature à l’organisation de ce principe.

« En attendant, et par mesure transitoire. »

(Sur l’amendement de M. Mercier ou de tout autre que la chambre pourrait adopter).

La parole est à M. Verhaegen pour développer son amendement.

M. Verhaegen. - Messieurs, je n’ai que quelques mots à dire à l’appui de mon amendement ; je l’avais en quelque sorte développé d’avance. Je dirai qu’au moyen de cet amendement j’enlève tout prétexte, et surtout celui que vient de faire valoir l’honorable M. de Theux.

L’honorable M. de Theux vous a dit qu’il faudrait pouvoir organiser le principe ; il a trouvé des inconvénients à donner compétence aux états députés ou à établir des, pénalités ; il veut seulement une mesure de circonstance. Eh bien, messieurs, je satisfais aux exigences de l’honorable membre ; je me borne à demander que l’on proclame aujourd’hui le principe, et que la législature dise qu’elle l’organisera incessamment. Je ne porte aucun préjudice à l’opinion de ceux qui prétendent que la loi actuelle est claire et qu’elle veut la base du cens ; seulement, comme il peut y avoir divergence d’opinion sur ce point, je demande qu’on interprète la loi électorale de manière qu’elle ne laisse plus de doute. Mon but est d’avoir, par un oui ou par un non, une décision sur cette question capitale.

On ne peut pas dire que le temps manque pour organiser ; je ne demande pas que vous organisiez, je demande que cela fasse l’objet d’une loi dont la législature s’occupera prochainement. La chose reste donc dans l’état où elle est, sauf que nous faisons disparaître un doute.

Il faut une mesure provisoire, je le veux bien ; celle que j’adopte, c’est celle que propose l’honorable M. Mercier. Tout ce que je veux, c’est que l’on exige les bases du cens. Ceux qui voudront de l’article de la section centrale adopteront ma proposition ; le principe qu’il consacre ne contrarie pas celui de la section centrale. Ceux qui veulent de l’amendement de l’honorable M. Mercier adopteront également ma proposition, parce que le principe qu’elle consacre va aussi avec cet amendement, comme elle irait avec tout autre amendement que l’on pourrait présenter.

Je n’ai eu qu’un but, je le répète, c’était d’enlever tout prétexte. J’aime donc à croire que ma proposition, cette fois, ne rencontrera pas d’opposition.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, il ne faut pas, dit-on, les bases du cens, il suffit de payer. C’est, selon moi, une manière très imparfaite de s’exprimer. Il faut les bases du cens, la loi en suppose la réalité ; mais elle se contente d’une présomption.

Voilà, messieurs, si je me rends bien compte des discussions qui ont précédé la loi de 1831 et la loi communale, le système belge. Il faut les bases du cens : le législateur les suppose, mais il se contente d’une présomption. Ce système de présomption, c’est le paiement de l’impôt pendant un an au moins avant l’année de l’élection.

Ajoutons encore qu’on a supposé assez de moralité dans le pays pour croire que cette présomption pouvait être admise. Malheureusement, nous sommes forcés aujourd’hui de reconnaître que ce système de présomption est devenu insuffisant à certains égards. Mais n’allons pas trop loin, n’allons pas au-delà de ce que semble exiger les circonstances qui se sont produites ; n’allons pas au-delà de ce que j’appellerai les nécessités du moment.

Dans le système de présomption de la loi de 1831, le paiement du cens, pendant l’année avant celle de l’élection, est considéré comme suffisant. Nous proposons aujourd’hui une distinction. Nous maintenons le système de présomption de la loi de 1831, mais pour un seul des éléments du cens, pour l’impôt foncier. Et ici la présomption est plus que suffisante ; peut-être la loi de 1831 est-elle même trop rigoureuse. L’impôt foncier est le résultat d’un fait constaté d’une manière authentique, d’un fait d’une vérification facile, et peut-être pourrait-on dire, en s’arrêtant à une première réflexion, que le paiement de l’impôt foncier pendant un temps moindre que celui que suppose la loi de 1831 est suffisant.

Quoi qu’il en soit, nous changeons le système, quant aux autres éléments du cens, Nous trouvons que la présomption résultant du payement pendant une année avant l’élection ne doit plus suffire, lorsqu’il s’agit de la contribution personnelle et des patentes. Ici nous n’avons plus d’acte, en quelque sorte authentique, qui atteste un fait matériel ; nous avons la volonté du déclarant. Pour vérifier le fait, nous aurions besoin de nous livrer à des recherches nombreuses, à des vérifications qui pourraient nous conduire à un système en quelque sorte inquisitorial.

Nous exigeons, pour les contributions personnelles et les patentes, le payement pendant deux années avant l’année de l’élection. Nous supposons qu’en payant pendant deux années avant l’année de l’élection, le citoyen s’est déjà imposé un grand sacrifice.

Nous supposons encore que celui qui a l’intention de frauder ne pourra pas si longtemps d’avance prendre ses précautions. Ce nouveau système de présomption est-il suffisant ? Je l’espère, messieurs ; je l’espère pour l’honneur de mon pays. S’il était démontré que ce système est insuffisant, je n’hésite pas à le dire, il faudrait alors renforcer le système de présomption, montrer une plus grande défiance envers le pays.

Voilà, messieurs, selon moi, le véritable point de vue où il faut se placer pour juger le système électoral belge. Il est inexact de dire que la base de l’impôt ne doit pas exister ; la base doit exister ; supposer que la base ne doit pas exister, ce serait supposer que la loi est vraiment immorale ou dérisoire, mais c’est du système de preuve qu’il s’agit, et le législateur s’est contenté d’un système de présomption. Ce système est devenu insuffisant, les circonstances ont malheureusement démontré qu’il est devenu insuffisant pour certains éléments qui entrent dans la formation du cens, pour l’impôt personnel et la patente. Nous voulons renforcer ce système, les circonstances l’exigent mais s’il est reconnu que les changements que nous faisons aujourd’hui sont insuffisants, nous devrons aller plus loin.

Ce que nous proposons peut donc devenir insuffisant dans l’avenir, mais ce qu’il nous importe de constater, c’est que les changements proposés sont suffisants pour le présent, qu’ils sont suffisants pour détruire le mal qui nous a été signalé, et à cet égard, messieurs, la chose est évidente.

Nous laissons donc intacte la question de savoir si, à l’avenir, nous ferons davantage. Je ne le sais pas, je désire que ce ne soit pas nécessaire ; mais si c’est nécessaire, nous le ferons.

Introduira-t-on dans ce cas ce que j’appellerai le système français ? Je l’ignore. L’admission de ce système présente de très grands inconvénients, inconvénients qui ont été signalés par l’honorable M. de Theux. Du reste, nous ne préjugeons rien à cet égard.

Introduira-t-on un autre système, qui pourrait, par exemple, consister à comminer des pénalités contre ceux qui se feraient porter frauduleusement sur les listes électorales ? Dans ce système, la présomption existerait en faveur de toute personne payant le cens, mais chaque citoyen ou l’autorité publique pourrait intenter un procès, dans le but de détruire la présomption : et si celui qui intente le procès détruisait la présomption, alors l’individu reconnu ainsi indigne de la présomption dont il était l’objet de la part du législateur, reconnu indigne de la confiance que son pays avait en quelque sorte en lui, cet individu serait frappé.

Vous voyez, messieurs, qu’il y aurait une grande différence entre ce système de pénalités et le système français. Dans le système français, il faut en quelque sorte que chaque citoyen justifie de la possession des bases de l’impôt. Dans le système que j’indique, au contraire, et qui peut-être deviendra un jour nécessaire, la présomption serait maintenue, comme elle résulte de la loi de 1831, mais le citoyen qui abuserait de la loi, qui se montrerait indigne de la confiance que son pays a placée en lui, ce citoyen serait effacé de la liste et puni.

Je crois donc, messieurs, que la proposition faite au nom du gouvernement et adoptée par la section centrale rentre complètement dans l’esprit de la loi de 1831, et que les circonstances ne sont pas telles que nous soyons forcés de reconnaître qu’il faut aller plus loin pour le moment. Irons-nous plus loin dans l’avenir ? Je ne préjuge rien sur ce point.

Je n’entrerai point dans d’autres considérations, mais j’ai cru qu’il importait surtout de ne pas laisser s’accréditer dans le pays cette idée que je n’hésite pas à nommer funeste et immorale, cette idée que le législateur ne suppose pas la réalité des bases de l’impôt. Le législateur suppose la réalité des bases de l’impôt, mais il se contente d’un système de présomption. Nous avons à examiner si cette présomption est suffisante ou non et jusqu’à quel point il est nécessaire de la renforcer. (Aux voix ! aux voix !)

M. Mercier. - Messieurs, la loi suppose la possession des bases, dit M. le ministre de l’intérieur ; seulement elle établit une présomption en faveur de celui qui paie une somme de contributions égale au cens électoral. M. le ministre ajoute qu’il espère, pour l’honneur de son pays, que la mesure proposée par lui sera suffisante et qu’elle mettra fin aux abus. Cette mesure consiste à substituer deux années à une seule année avant celle de l’élection pour le paiement du cens électoral. Mats, messieurs, je ne vois pas là une question morale autre que celle qui existe aujourd’hui, je ne vois de changement que dans la question d’argent, car sous le point de vue moral, le fait restera exactement le même ; que l’on fraude la loi en payant le cens pendant une année ou qu’on l’élude en l’acquittant pendant deux années, le côté moral de la question sera, après le vote de la loi, tel qu’il est aujourd’hui ; l’état des choses ne sera modifié qu’en ce que, dans le second cas, on aura acheté plus cher le droit de violer la loi dans son principe ; le projet du gouvernement laisse subsister les moyens de fraude ; il n’établit aucune sanction contre elle ; l’intérêt de la commettre restera le même ; elle ne peut donc manquer de se renouveler.

L’honorable M. de Theux, pour combattre mon amendement, s’est placé à un point de vue tout différent de celui auquel j’avais envisage l’art. 2 du projet du gouvernement. Toute son argumentation porte sur ce que la disposition serait définitive, tandis qu’avec un grand nombre de mes honorables amis avec la section centrale elle-même, je la considère comme ne pouvant être que provisoire ; c’est dans cette hypothèse que j’ai présenté mon amendement. En effet, si la mesure n’est que provisoire, le gouvernement a dépassé de beaucoup le but, en écartant sans que rien en démontre la nécessité, un grand nombre d’électeurs très légitimes et cela pour éloigner ceux qui ont fait des déclarations mensongères. Mon amendement présente cet immense avantage, qu’il conserve la plupart des électeurs qui ont acquis cette quotité à bon droit, et qu’il n’écarte que ceux à l’égard desquels les faits connus établissent une forte présomption de fraude.

Messieurs, hier, lorsque M. le ministre de l’intérieur a combattu pour la première fois cet amendement, il a cherché à puiser des arguments dans les tableaux que présente le rapport formé par le département des finances. Il nous a fait remarquer que les cotisations supplémentaires établies pour l’exercice de 1841 sont tout aussi fortes que celles de 1842, et il en a conclu qu’il y a eu aussi des déclarations mensongères en 1841. Je ferai d’abord observer qu’en 1841 on n’avait pas le moindre intérêt à exagérer les déclarations, en vue des élections générales de 1843 puisqu’aux termes de la loi actuelle il suffit d’avoir payé le cens dans l’année qui précède celle de l’élection. Cet argument donc ne pourrait, dans aucun cas, être admis ; mais il y a plus, il pèche par sa base, car il n’existe aucun indice qu’il ait été fait de fausses déclarations en 1841, tandis que nous avons entre les mains la preuve qu’il en a été fait un nombre considérable dans le second semestre de 1842. Quoi qu’il en soit, je le répète, ces déclarations eussent été sans but comme sans influence pour donner la qualité d’électeur en 1843.

Je ferai remarquer, messieurs, que l’on ne peut, avec fondement, tirer quelque induction des tableaux qui nous ont été présentés. Le gouvernement, dans les instructions qu’il a données à ses agents aurait dû leur prescrire de lui rendre compte des motifs des changements intervenus dans les résultats des différents exercices. Il peut y avoir une foule de circonstances fortuites qui influent sur le nombre des déclarations supplémentaires, et dès lors le seul chiffre de ces déclarations ne prouve pas qu’il y en ait eu de frauduleuses ; à défaut d’explications plus complètes de la part du gouvernement, je me suis basé sur des faits positifs et non pas sur des tableaux dont les résultats peuvent être dus à des circonstances tout à fait étrangères à tout but électoral. Nous avons dénoncé les fraudes commises et nous n’avons parlé que de celles que nous connaissions et qui, toutes, avaient eu lieu dans le 2ème semestre de 1842. Est-ce que les faits sont contraires à ce que nous avons allégué ? Mais non ; les faits prouvent précisément que c’est dans le 2ème semestre de 1842 que les fausses déclarations se sont faites. Nulle part on ne trouve dans l’enquête, faite par le gouvernement, que des fraudes quelque peu considérables aient eu lieu dans le 1er semestre.

Je ne rappellerai que ce qui concerne les provinces dans lesquelles il doit y avoir des élections. Ainsi, dans le Hainaut la plupart de déclarations supplémentaires pour la contribution personnelle, dont l’inexactitude est constatée, ont été faites au mois de septembre 1842, soit qu’elles se rapportent aux chevaux de luxe, soit qu’elles concernent les domestiques. Quant aux patentes, les documents qui nous ont été fournis ne disent pas si les déclarations ont été faites dans le 1er ou dans le 2ème semestre.

Quant à la province de Liège, c’est encore dans le 2ème semestre de 1842 que les déclarations frauduleuses ont été faites ; voici ce que l’enquête du gouvernement nous apprend à cet égard :

« Dans les communes de Soumagne et d’Ayeneux, treize contribuables se sont présentés le même jour (27 septembre 1842) pour faire des déclarations supplémentaires dans le but d’élever le montant de leurs cotisations respectives, aux taux fixé pour être électeur aux chambres. »

« Dans la commune de St-Georges, douze déclarations rédigées dans le même but, par un même individu, an nom de douze contribuables, ont été remises au receveur, le 30 septembre 1842, par un particulier qui ensuite a acquitté lui-même le montant des cotisations y relatives, le 1er décembre suivant.

« Cinq individus de Stavelot ont déclaré vouloir être imposés pour un cheval de luxe, dans le but avoué d’atteindre par ce moyen le cens électoral. »

Quant à ces derniers, la date des déclarations n’est pas indiquée. Toujours est-il que partout où l’on nous donne des renseignements précis, les fraudes appartiennent exclusivement au 2ème semestre de 1842. (Interruption.)

J’ai signalé les fraudes dont j’avais connaissance ; il appartenait au gouvernement de nous apprendre si, par suite de l’enquête, il a découvert des abus qui se rattachent à une époque antérieure ; c’est ce qu’il n’a pas fait.

Si dans cette chambre on fournissait la preuve que des fraudes assez nombreuses ont été commises dans le premier semestre, je n’hésiterais pas à retirer mon amendement ; mais puisque rien ne démontre que de fausses déclarations aient été faites pendant le premier semestre de 1842, quel motif avons-nous d’exclure du droit de prendre part aux prochaines élections, 12 à 15,000 électeurs qui possèdent légalement ce droit ; ce serait une injustice envers les électeurs et un tort fait au pays.

Voilà dans quel sens j’envisage mon amendement.

L’honorable M. de Theux nous a présenté bien des difficultés que présenterait l’adoption d’un système qui exigerait la possession des bases ; je ne pense pas que ces difficultés soient insurmontables et je pourrais indiquer les moyens de les aplanir si la chambre n’était impatiente de mettre fin à cette discussion. M. le ministre de l’intérieur en a d’ailleurs indiqué un autre qui pourrait être admis, c’est celui de pénalités. C’est tout diffèrent du système français dont a parlé l’honorable M. de Theux, et qui, à la vérité, exigerait certaines modifications à nos lois financières, différentes des lois françaises ; mais ce système de pénalités pourrait, entre autres, être introduit si l’on n’en trouvait pas de meilleur. Toujours est-il que pour le moment il serait sage de ne considérer la mesure que comme provisoire, et dès lors l’amendement que je propose écarte les graves inconvénients qui sont inhérents à la disposition du projet de loi.

Voilà les considérations qui me paraissent militer en faveur de l’adoption de ma proposition ; je les livre à l’appréciation de la chambre.

M. Dubus (aîné). - Messieurs, je m’expliquerai en peu de mots sur les divers amendements qui ont été proposés à l’art. 2 du projet et dont aucun ne me paraît pouvoir être adopté.

La section centrale, unanime pour reconnaître le danger qu’il y aurait à ce que la qualité d’électeur pût être acquise par le seul paiement du cens, vous a fait remarquer, quant aux moyens pratiques de conjurer ce danger, que l’on se trouvait en présence de systèmes bien différents, mais entre lesquels il fallait choisir.

L’un de ces systèmes, qui a été adopté par la proposition du gouvernement, c’est d’exiger une plus longue possession du cens.

Un autre système, c’est d’exiger la justification des bases légales de l’impôt.

La section centrale vous a dit elle-même que ce deuxième système serait celui auquel elle aurait donné la préférence, s’il avait été possible de mettre à côté de ce principe une loi organique qui présentât toutes les garanties que nous devons désirer. Or cette loi, vous ne pourriez la faire qu’en modifiant non seulement la loi électorale dans plusieurs de ses dispositions ; mais aussi les lois d’impôt. Indépendamment de la difficulté même de cette organisation, le temps vous a manqué pour élaborer une loi semblable. C’est donc par nécessité qu’elle en est venue à l’autre système, à celui qui exige une plus longue possession du cens.

Mais, dit-on, la loi électorale exige la justification des bases de l’impôt, sinon expressément, au moins virtuellement.

S’il en est ainsi, vous n’avez pas de dispositions à voter pour réprimer les abus qui ont été signalés, et vous ne devez vous occuper de cette matière que pour faire la loi d’organisation dont je vous parlais et dans cette supposition, qui a été admise par plusieurs préopinants, il n’y a qu’une opinion qui me paraisse réellement conséquente, c’est celle de l’honorable M. Jonet, qui repousse tout l’article. En effet, si vous admettez, non pas simplement que la loi électorale suppose la possession des bases de l’impôt, mais qu’elle en exige la justification autrement que par les moyens indiqués à l’art. 4 de cette loi, évidemment vous ne devez adopter aucun des amendements proposés, pas plus que l’article présenté par la section centrale.

Mais examinons quelle est réellement la portée de cette disposition de la loi électorale.

On a remonté à l’art. 47 de la constitution ; mais je vous prie de remarquer que cet article se borne à déterminer que les députés sont « élus directement par les citoyens payant le cens fixé par la loi électorale, lequel... etc. »

Ainsi, la constitution décide simplement qu’il faut que les électeurs paient le cens déterminé par la loi électorale.

Du reste, un autre article, le 50ème, porte que c’est la loi électorale qui détermine les conditions requises pour être électeur, de sorte qu’il sert de réponse à un motif d’inconstitutionnalité qu’on a allégué contre la proposition de la section centrale. La loi électorale peut donc ajouter des conditions à celles qu’exige déjà l’art. 47 de la constitution.

Ainsi, tout ce qui résulte de la constitution, c’est que les électeurs doivent payer le cens déterminé par la loi électorale, et que cette loi fixe les conditions requises pour être électeur, ainsi que la marche des opérations électorales.

J’arrive maintenant à la loi électorale.. Voici comment a été organisé par le congrès lui-même le principe posé dans l’art. 47 de la constitution.

« Pour être électeur, il faut :

« … 3° Verser au trésor de l’Etat la quantité de contribution directes, patentes comprises, déterminée par le tableau annexé à la présenté loi. »

Et dans l’art. 3 est ajoutée une condition à celles qui sont prescrites par l’art. 47 de la constitution :

« Les contributions et patentes ne sont comptées, à l’électeur, que pour autant qu’il a été imposé ou patenté pour l’année antérieure à celle dans laquelle l’élection a lieu. »

Ainsi il résulte de ces articles que, pour être électeur, il faut avoir été imposé ou patenté dans l’année antérieure à celle où les listes sont révisées, et, en second lieu, payer en outre le cens électoral dans l’année de la révision des listes.

Voilà ce qu’exige la loi électorale ; jusqu’ici elle n’exige pas davantage.

Venons maintenant à l’article 4. Il détermine de quelle manière les autorités appelées par lui à former les listes, sont autorisées à reconnaître qu’un Belge paie le cens : « Le cens électoral sera justifié, soit par un extrait des rôles de contribution, soit par les quittances de l’année, soit par les avertissements du receveur des contributions. »

De la manière dont l’article est rédigé, il implique l’idée, que du moment qu’on prouve par l’un des trois modes indiqués qu’on paie l’impôt exigé pour le cens, cette circonstance suppose que l’on est légalement électeur, qu’on possède légalement le cens électoral, qu’on possède, par conséquent, les hases de l’impôt.

Il me paraît impossible de donner un autre sens à l’art. 4 ; s’il devait y avoir un autre sens dans la pensée du législateur, s’il avait estimé que la pleine justification du cens et de tout ce que le cens suppose, ne devait pas se trouver dans les documents que l’article spécifie, il l’aurait dit, et il aurait organisé les moyens de constater ce qui manque à cette preuve.

S’il avait pensé que les peines prérappelées ne supposaient pas la possession des bases de l’impôt, mais qu’il fallait en outre justifier cette possession, non seulement il l’aurait dit, mais il aurait encore indiqué la manière dont cette justification devait se faire. Or, non seulement il n’a pas dit comment cette justification ultérieure devait se faire, mais il a déterminé, si je puis m’exprimer ainsi, une procédure telle que cette justification est absolument impossible.

En effet, quelle est la première autorité appelée à juger ? C’est le collège des bourgmestre et échevins. Combien lui donne-t-on de temps pour la vérification ? pas même 24 heures. Aussitôt après l’expiration du délai pour les réclamations, le collège des bourgmestre et échevins doit arrêter définitivement la liste et l’envoyer immédiatement au commissaire d’arrondissement. Mais cela même suppose qu’il n’a qu’une vérification matérielle à faire sur les pièces dont fait mention à l’art. 4 de la loi électorale ; il a à vérifier si les individus portés sur la liste paient le cens, s’ils doivent y être maintenus ou en être rayés. On comprend que cela se fasse en un instant. Mais si vous supposez qu’on doive, à l’appui de ces pièces, joindre la preuve qu’on possède les bases de l’impôt, si vous supposez que cette preuve n’est pas présumée résulter de ces pièces mêmes, de quoi résultera-t-elle ? Il faudrait des expertises, des enquêtes. Mais puisqu’il faut que le collège échevinal prononce immédiatement, il est important qu’il ait le temps de procéder à ces expertises, à ces enquêtes.

Et d’ailleurs, si l’on avait le temps d’y procéder, croyez-vous que le législateur aurait admis qu’un corps administratif procédât à des expertises et à des enquêtes dont le résultat doit être de faire perdre à des citoyens leurs droits politiques, sans poser la moindre règle à cet égard, sans leur donner aucune garantie ; que l’on aurait ainsi livré les droits politiques des citoyens au plus effrayant arbitraire ? Une administration communale qui voudrait écarter des électeurs, n’aurait qu’à dire : Je sais que tels et tels ne possèdent pas les bases, et sur cela seul les retrancher de la liste. Vous me répondrez qu’il ne se trouvera pas d’administration capable de se porter à une pareille extrémité.

J’ouvre le cahier des pièces assez volumineuses qui forment les annexes du projet de loi, et je lis dans le rapport du gouverneur du Brabant ce qui suit :

« Il est arrivé aussi que des chefs d’administrations communales ont, à dessein, omis de porter sur les listes d’électeurs des individus qu’ils croyaient pouvoir leur être nuisibles, lors des élections ; d’autres ont refusé de fournir les pièces nécessaires pour que les intéressés pussent établir leurs droits à participer aux élections. »

Voilà ce que je lis dans l’un des rapports des gouverneurs. Si l’on a été jusque-là sous la loi actuelle, à plus forte raison le ferait-on si on pouvait contester arbitrairement les bases de l’impôt quand on aurait résolu de faire perdre à un électeur ses droits politiques. Le congrès, je le répète, n’aurait pas abandonné les citoyens, quant à leurs droits politiques, à l’arbitraire des administrations communales, s’il avait voulu qu’on justifiât des bases autrement que par les pièces désignées à l’art. 4, il aurait réglé la procédure de manière à donner des garanties aux citoyens.

Après le premier degré vient l’appel. Il est déféré à la députation du conseil provincial. Elle n’aura pas seulement à prononcer sur les réclamations d’une seule commune, mais de toutes les communes d’une province, et ces réclamations lui arrivent en quelque sorte toutes à la fois, car les délais sont les mêmes pour tous.

Elle aura donc à juger un assez grand nombre de réclamations. Or combien de temps lui donne-t-on pour se prononcer ? Elle doit le faire dans les cinq jours (art. 13). Il faut qu’en cinq jours elle ait prononcé sur toutes ces réclamations. Evidemment, elle n’a guère que le temps de lire les pièces et de prononcer. Et il lui serait manifestement impossible de procéder aux vérifications dont je parlais.

Ainsi, messieurs, non seulement l’article 4 est rédigé de manière qu’on doive en conclure que la production des pièces fait présumer la possession des bases de l’impôt ; mais tout autre entente de la loi, d’après les formes et les délais fixés, conduit a l’absurde et livre les droits politiques des citoyens à l’arbitraire. J’ajouterai que la loi électorale, telle que je viens de l’expliquer, est réellement la loi telle qu’elle a été exécutée jusqu’à ce jour. Quant moi, je n’ai pas remarqué qu’il serait jamais venu dans l’idée de quelqu’administration communale ou provinciale, de faire procéder à des expertises ou à des enquêtes pour vérifier les bases de l’impôt. Non seulement je ne connais aucun exemple d’expertise, mais je n’ai jamais entendu dire qu’aucune de ces administrations ait jamais soulevé une pareille question. Si la question a été soulevée devant la députation provinciale de Liége, il s’agissait de faux électeurs qui avaient été créés tout exprès pour les élections communales de Romsée ; on avait fait une fournée de 50 à 60 électeurs qui, à eux seuls, devaient emporter l’élection ; ils formaient la majorité. Le fait était extrêmement grave. Ces électeurs, d’après les renseignements officiels qui nous ont été communiqués par le gouvernement étaient des insolvables qui ne couraient aucun risque en faisant une fausse déclaration de patente. C’étaient de simples ouvriers qu’on érigeait en maîtres à la tête d’un grand nombre d’ouvriers. Ils ne risquaient pas de payer ; tout ce qui pouvait résulter des poursuites, c’était un procès-verbal de carence, une déclaration d’insolvabilité. Je crois qu’il ne pouvait pas se présenter de circonstance plus propre à déterminer une députation provinciale à appliquer le principe de vérification des bases de l’impôt et à recourir à la loi électorale, ce moyen de faire échouer une manœuvre aussi scandaleuse.

Eh bien, la députation provinciale dé Liége a cru, dans cette espèce-là même, qu’il ne lui était pas permis de faire une enquête pour reconnaître si ce soi-disant maître maçon, etc., était fictif ou réel, s’il exerçait ou non la profession pour laquelle il avait obtenu sa patente.

Le législateur du congrès cependant, comme je vous l’ai dit, a ajouté, par l’art. 3, une condition à celle qu’exigeait la constitution.

C’est dans cette condition qu’il a cru trouver une précaution suffisante contre la supposition de bases d’impôt. D’après la manière dont on s’accorde maintenant à entendre l’art. 3 de la loi électorale, il ne suffit pas de payer le cens dans l’année où se fait l’élection, il faut avoir payé dans l’année qui précède ; et la cour de cassation, qui a reconnu que tel est le sens de cet article, nous en donne ainsi le motif : « Cette interprétation est la seule rationnelle, lorsqu’on envisage le but de la disposition, qui est de prévenir qu’au moment des élections, on ne puisse créer à volonté un certain nombre de nouveaux électeurs pour la circonstance.»

J’appelle, messieurs, toute votre attention sur ce motif.

Pourquoi le législateur, au congrès, ajoutant à ce que prescrit la constitution, a-t-il exigé que celui qui se présente comme électeur ait payé le cens électoral, non seulement dans l’année où se fait l’élection, mais encore une année avant ? C’est pour éviter qu’on ne suppose des bases d’impôt, qu’on ne crée trop facilement des électeurs fictifs. S’il avait fallu, indépendamment de la justification exigée par l’art. 4, prouver qu’on possédait les bases de l’impôt, mais la précaution de l’art. 3 devenait inutile, car je vous prie de remarquer qu’il faut se placer dans l’un ou l’autre système. Si vous vous placez dans le système qui exige la justification des bases, vous devez non seulement rejeter la proposition de la section centrale, mais modifier l’art. 3 de la loi électorale, dès qu’on justifie qu’on paie le cens et qu’on possède les bases, d’après lesquelles on le paie, on doit être électeur, peu importe si on l’a ou non payé dans l’année précédente.

Ce n’est que pour éviter la création d’électeurs fictifs qu’on a exigé le paiement du cens pendant l’année antérieure à l’élection. Cette précaution prouve qu’on ne doit pas faire d’autre preuve que celle indiquée à l’art. 4 ; qu’on ne doit pas faire en outre la justification des bases de l’impôt. Voila comme je comprends la loi électorale. Je ne puis la comprendre autrement. Il y aurait inconséquence à ajouter à l’art. 4 et à maintenir en même temps l’art. 3. Il y aurait inconséquence plus grande encore à adopter la proposition de la section centrale avec l’amendement de M. Savart, car là, outre la justification spéciale des bases, on exigerait qu’on ait payé l’impôt deux ans d’avance ; cela ne se comprendrait plus. Je conçois qu’on exige le paiement du cens électoral deux ans avant les élections pour rendre moralement impossible la création d’électeurs fictifs, mais du moment que vous posez le principe de la justification des bases, vous n’avez pas besoin d’autre chose, toutes les autres précautions doivent être abandonnées.

Ce que je viens de dire, messieurs, vous fait assez comprendre que je repousse l’amendement dont je viens de parler, parce qu’il devient un véritable double emploi. Maintenant conviendrait-il d’en revenir au principe de la justification des bases de l’impôt et de le substituer à ce que nous trouvons dans la loi électorale ? Je répondrai : c’est selon. Oui, si vous pouvez organiser le principe de manière que cela ne présente pas d’inconvénient grave, de manière à donner toute garantie aux citoyens ; mais non, si vous ne parvenez pas à une organisation qui me satisfasse. Je ne pourrais donc pas admettre la proposition de M. Verhaegen, jusqu’à ce qu’il ait ajouté au principe qu’il pose une loi d’organisation qui détermine des formes et des délais en harmonie avec ce système et qui en même temps fasse cesser toutes les craintes qu’on peut avoir sur l’arbitraire dont l’autorité chargée d’appliquer la loi pourrait user.

Il ne serait pas sage de proclamer dans une loi un principe, et de renvoyer à une autre loi d’organisation de ce principe, que nous ne savons pas encore quand et comment nous pourrons alors l’organiser. Il est plus raisonnable d’attendre que ce projet d’organisation soit présenté, et de rallier toutes les opinions, en mettant à côté du principe la loi même d’organisation.

Vous n’avez pas seulement à considérer la législation actuelle en matière électorale, mais aussi la législation actuelle en matière financière ; et remarquez que l’on est ici, en quelque sorte, entre deux principes opposés. Le contribuable est d’abord en présence de la législation financière, qui le pousse à faire sa déclaration au maximum, à péril d’amende et de frais ; et lorsqu’il se trouverait ensuite en présence de la loi électorale, il serait poussé à faire sa déclaration au minimum, à péril d’encourir des frais et d’être réputé faussaire, en quelque sorte. Voilà une position que vous ne pouvez pas faire à tous les citoyens ; il faut absolument, avant de modifier le système, introduire une réforme dans la loi financière, car cette opposition de principes amène une position tellement fausse pour l’électeur, qu’elle n’est pas supportable. Il n’aurait qu’un seul moyen de se tirer d’embarras, ce serait d’estimer sa contribution au plus haut pour satisfaire aux exigences du fisc, et de renoncer à son droit électoral pour éviter les difficultés qu’il rencontrerait d’un autre côté.

Mais, messieurs, il ne suffirait pas de dire qu’il faut justifier de la possession de ces bases de l’impôt ; il faudrait dire quand on doit les avoir possédées ; est-ce pendant toute l’année ou une partie de l’année ? et pendant quelle partie de l’année ? N’est-il pas nécessaire, pour éviter une application différente de la loi, ou une fausse application de ses dispositions, d’entrer dans l’examen de toutes ces questions ? Mais si vous exigiez la justification des bases de l’impôt, de quelle manière se fera-t-elle ? N’est-ce pas encore un point très essentiel à régler, si vous voulez éviter une jurisprudence différente dans les diverses provinces du royaume.

Il ne me paraît donc pas possible d’admettre maintenant le système de la justification des bases de l’impôt ; je défends en cela l’opinion de la section centrale, dont j’ai fait partie et qui a soigneusement examiné la question, son rapport le prouve ; si elle en est revenue du projet du gouvernement, c’est qu’il lui a paru impossible d’entrer dans l’autre système, jusqu’à ce qu’on soit parvenu à rédiger des dispositions organiques qui donnent des garanties aux citoyens, et qu’on ait mis les lois d’impôt en harmonie avec ce système ; nous sommes donc forcément ramenés au projet du gouvernement : c’est ce que la section centrale vous a prouvé, et telle m’a paru être aussi l’opinion de l’honorable M. de Muelenaere, qui a été cité par l’honorable M. Jonet comme ayant reconnu qu’il fallait justifier les bases de l’impôt, Il a seulement appuyé l’opinion de la section centrale, celle qu’il était désirable qu’on pût en venir au système d’exiger cette justification ; mais que ce système était impraticable dans les circonstances actuelles.

J’arrive maintenant à l’amendement proposé par M. Mercier.

L’art. 2, comme le rédige l’honorable M. Mercier, exclurait seulement du cens les déclarations faites dans le dernier semestre de l’année antérieure à l’élection.

Messieurs, je suis d’une opinion tout à fait opposée, soit que l’on adopte l’un ou l’autre des systèmes dont j’ai parlé, on doit l’adopter pour tous et l’appliquer à tous. C’est un système bâtard et essentiellement faux que celui qui n’appliquerait les, dispositions de la loi qu’à une catégorie des contribuables et en exempterait une autre catégorie.

On dit que la chambre doit partir de la supposition qu’il y a eu des déclarations indues dans le second semestre de 1842, mais qu’il n’y en a eu que dans ce second semestre ; messieurs, je trouve que cette supposition est tout à fait gratuite. Ces déclarations indues, qu’avaient-elles pour but ? Au point de vue de toutes les allégations qui ont été produites, elles avaient un double but, celui de créer des électeurs pour les élections communales de 1842, et de créer des électeurs pour les élections générales de 1843. Et je vous prie de remarquer, messieurs, que les mêmes déclarations fictives pouvaient avoir ce double but ; ainsi ceux qui voulaient créer des électeurs pour les élections communales de 1842 ont dû, dès l’année 1841, faire acquérir à ces électeurs fictifs le cens communal, mais cela ne suffisait pas ; il fallait encore payer le cens en 1842 ; eh bien, le double but se présentait alors et tout en faisant acquérir à ces individus le cens communal pour 1842, on trouvait l’occasion de leur faire acquérir le cens électoral, afin qu’ils pussent servir d’électeurs pour les élections de 1843. C’est donc fort mal à propos, selon moi, que l’on a considéré qu’on n’aurait pas eu de but dans le premier semestre de 1842 ; évidemment on pouvait se proposer le même but que dans le second semestre.

Messieurs, voulez-vous apprécier l’amendement de M. Mercier ; lisez-le avec le sous-amendement de M. Orts. Il suffit de la lire ainsi pour se convaincre que cela est véritablement inadmissible.

Ainsi M. Mercier vous dit :

« Les contributions et patentes ne seront comptées à l’électeur que pour autant qu’il a payé le cens l’année antérieure à celle dans laquelle l’élection a lieu.

« Toutefois, il ne sera pas tenu compte de la contribution personnelle et du droit de patente, résultant de déclarations faites dans le dernier semestre de l’année antérieure à celle de l’élection. »

L’honorable M. Orts, ajoute :

« A moins que l’électeur ne justifie avoir, pendant ce semestre, possédé le bases du cens. »

Donc il faut conclure que la loi admet pour électeurs ceux qui ont fait des déclarations dans le premier semestre de 1842, malgré qu’on justifierait peut-être qu’ils n’en possèdent pas les bases. Voilà la portée de l’amendement de M. Mercier, il s’apprécie lorsqu’on y ajoute le sous-amendement de M. Orts, et cependant M. Orts m’a paru soutenir que, dans tous les cas, il faut justifier de la base de l’impôt.

Ainsi l’amendement de M. Mercier couvrirait la fraude, du moment où elle aurait eu lieu dans le 1er semestre de 1842, et cela ne serait pas simplement supposé, cela serait dit en termes formels dans l’article de la loi dès que l’on admettrait le sous-amendement.

Mais, dit-on, c’est précisément le vice de la proposition de la section centrale ; elle couvrirait la fraude du moment où on aurait payé le cens pendant deux ans.

Messieurs, au point de vue auquel s’est placée la section centrale, et qui était principalement de pourvoir aux nécessités du moment, sauf à examiner plus tard si on pourra faire mieux, à ce point de vue, il est évident qu’elle ne protège pas la fraude, car, je vous le demande, dans quel dessein aurait-on fait des déclarations fictives ? comment est-il possible d’admettre la supposition que l’on aurait fait en 1841 des déclarations fictives, dans le but de créer des électeurs fictifs en 1843 ? C’eût été une dépense inutile, car cela n’était pas nécessaire, ce n’était qu’en 1842 qu’on pouvait le faire utilement. Vous voyez que manifestement la proposition de la section centrale ne couvre pas la fraude.

Messieurs, il y a un troisième système, celui de la section centrale, celui des pénalités ; mais la section centrale s’est expliquée sur ce point, elle vous a fait remarquer combien serait fausse la position des électeurs entre la loi pénale financière et la loi pénale électorale, on serait puni en vertu d’une de ces lois, si ou ne déclarait pas assez, et en vertu de l’autre, si on déclarait trop ; il n’était pas possible de faire une bonne loi pénale dans pareilles circonstances.

Mais, dit-on, vous pouvez exprimer dans la loi que la peine ne sera applicable qu’à celui qui a fait ces déclarations à dessein de frauder. Mais qu’est-ce qui constituera la preuve de ce dessein ? Cela paraît être très équivoque. Le dessein de fraude ne doit pas se supposer. Ce sera encore de l’arbitraire auquel vous exposerez tous ceux qui auront voulu jouir de leurs droits de citoyens. Je le répète, avant que l’on ait réformé la législation, il est impossible de faire une bonne loi pénale, telle que celle que l’on a désirée.

Je bornerai là mes observations.

- La clôture est demandée.

M. de Foere (contre la clôture). - Messieurs, je suis inscrit pour parler le premier. J’ai été attaqué, dans la séance de samedi dernier, d’une manière acerbe et peu parlementaire, par l’honorable M. Lebeau. Je ferai remarquer à la chambre que je n’ai point encore parlé dans la discussion actuelle. Tout en discutant au fond l’art. 2 et les amendements, je me proposais de repousser, en même temps, les attaques de mon honorable agresseur, qui est revenu sur l’opinion que j’ai émise dans la séance de décembre dernier, lorsque la question qui nous occupe a été brusquement soulevée par l’honorable M. Mercier. Si cependant la chambre pense que la discussion sur l’art. 2 et sur les amendements est épuisée, et qu’elle n’ait pas besoin d’autres lumières, je lui demanderai, dans ce cas, la parole pour un fait personnel. Dans la séance d’aujourd’hui, la chambre a accordé la parole à M. Lebeau pour répondre à un semblable fait posé dans la séance d’hier par l’honorable comte de Mérode.

- La chambre décide que demain, au commencement de la séance, M. de Foere aura la parole pour un fait personnel.

M. Savart-Martel. - Messieurs, je voudrais établir que j’ai été mal compris dans les développements que j’ai donnés à l’appui de mon amendement. (La clôture !)

M. Malou, rapporteur. - J’étais inscrit, mais je conçois l’impatience de la chambre. Je crois qu’on pourrait voter aujourd’hui, sauf à accorder demain, au commencement de la séance, la parole à l’honorable M. de Foere pour un fait personnel. (Oui ! oui !)

M. Devaux. - Je ne veux pas m’opposer à la clôture ; mais je veux seulement que la clôture qui se prononce après le discours de l’honorable M. Dubus, ne soit pas interprétée comme un assentiment de toutes les doctrines émise par cet honorable membre. (Non ! non !) Je désire qu’il soit constant que si les doctrines de l’honorable M. Dubus ont été émises et n’ont pas été contredites, c’est parce que la clôture a été prononcée.

M. Mercier. - J’aurais désiré ajouter quelques mots pour répondre au seul argument qu’ait pu m’opposer M. Dubus ; cet honorable membre semble croire qu’une déclaration inexacte étant faite pour acquérir le cens nécessaire pour prendre part aux élections communales de 1842, il aurait suffi d’un très léger appoint pour obtenir le droit d’élire aux chambres en 1843 ; c’est là une grave erreur. Le cens communal, dans la plupart des communes rurales n’est que de 15 fr., alors que le cens général est de fr. 63 48 c., et que pour la ville de Liège, par exemple, la différence est de 58 fr.

- La clôture de la discussion est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - S’il n’y a pas d’opposition, je mettrai d’abord aux voix l’amendement de l’honorable M. Verhaegen.

M. Verhaegen. - J’avais demandé une déclaration de principe. J’ai cru comprendre que M. le ministre de l’intérieur y avait fait droit, en déclarant qu’il entendait la loi de cette manière. Dès lors ma proposition n’a plus de but, et je la retire.

M. le président. - En ce cas, je mets d’abord aux voix l’amendement de l’honorable M. Mercier.

- L’appel nominal est demandé.

En voici le résultat :

82 membres prennent part au vote,

29 votent pour l’amendement.

53 votent contre.

En conséquence, l’amendement n’est pas adopté.

Ont voté l’adoption : MM. Coghen. Cools, de Baillet, Delehaye, Delfosse, de Renesse, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dolez, Dumont, Duvivier, Fleussu, Jadot, Jonet, Lange, Lebeau, Lys, Manilius, Mercier, Orts, Osy, Puissant, Rogier, Savart-Martel, Sigart, Troye, Van Cutsem, Verhaegen

Ont voté le rejet : MM. Cogels, Coppieters, de Behr, Dechamps, de Florisone, de Foere, de Garda de la Vega, de La Coste, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Potter, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, d’Huart, Dubus (aîné), Dubus (Bernard), Dumortier, Eloy de Burdinne, Henot, Huveners, Hye-Hoys, Kervyn, Lejeune, Liedts, Maertens, Malou, Mast de Vries, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Raikem, Rodenbach, Scheyven, Simons, Smits, Thienpont, Trentesaux, Vandenbossche, Vanden Eynde, Vandensteen, Vanderbelen, Van Hoobrouck, Van Volxem, Vilain XIIII, Wallaert et Zoude.

M. le président. - Par suite de cette décision, le sous-amendement de M. Orts devient sans objet.

L’art. 2, tel qu’il a été proposé par la section centrale, est ensuite mis aux voix et adopté.

M. le président. - Nous avons maintenant à voter sur les dispositions additionnelles proposées par M. Savart.

M. Savart-Martel. - Si j’ai bien compris M. le ministre de l’intérieur, il vous a dit que la loi devait être entendue dans le sens indiqué par la première disposition que je propose.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai déclaré que les bases devaient exister, mais que la loi se contentait d’un système de présomption.

M. Savart-Martel. - Je retire donc la première disposition que je vous ai présentée ; mais je maintiens la seconde, et je demande à dire quelques mots en réponse aux observations de l’honorable M. Dubus sur cette disposition.

M. le président. - D’abord, M. Savart a développé son amendement et je crois que chacun a pu apprécier ses motifs. Ensuite l’amendement a été appuyé, et l’art. 2, avec tous les amendements qui s’y rapportent, a été mis en discussion ; c’est sur cette discussion que la clôture a été prononcée.

M. Dubus (aîné). - A ce que je comprends, M. Savart retire son amendement, parce qu’il croit être d’accord avec M. le ministre de l’intérieur et avec moi. Alors c’est qu’il admet comme moi qu’on ne peut pas exiger la justification des bases de l’impôt.

M. le président. - M. Savart avait proposé un § 5 et un § 6 ; il a retire le § 5 et il maintient le § 6, qui est ainsi conçu :

« Le possesseur à titre successif justifiera de son droit par la déclaration faite au bureau des droits de succession, indépendamment des autres moyens de preuve. »

Je vais mettre cette disposition aux voix.

- Le § 6 de l’amendement de M. Savart est mis aux voix ; il n’est pas adopté.

M. le président. - Divers amendements ont été déposés sur le bureau ; ils seront imprimés et distribués.

- La séance est levée à 4 heures 3/4.