(Moniteur belge n°70 du 11 mars 1843)
(Présidence de M. Raikem)
M. de Renesse fait l’appel nominal à 1 heure.
M. Kervyn donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. de Renesse présente l’analyse d’une pétition adressée à la chambre.
« Le sieur Bagées, musicien pensionné, demande une majoration de pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. le président. - Le projet de loi est ainsi conçu
« Article unique. Le terme de la loi de 18 juin 1842 (Bulletin officiel, n°400), qui autorise le gouvernement à modifier le régime d’importation de transit direct et de transit par entrepôt, est prorogé du 18 juin 1843 au 31 décembre 1844. »
- La discussion est ouverte.
M. Hye-Hoys. - Messieurs, la loi du 18 juin 1842, dont on vous demande la prorogation au 31 décembre 1844, a pour but d’apporter telles modifications qui seraient jugées favorables au commerce de transit, compatibles avec les intérêts du trésor et de l’industrie nationale.
J’admets que, depuis sa mise en exécution, le temps a été trop court pour en avoir pu atteindre tout le but ; mais ce que je ne puis admettre, c’est qu’on laisse subsister certaines entraves très faciles à modifier, et qui sont au grand détriment du transit par la Belgique.
Lors de la discussion de cette loi, j’ai pris la parole pour indiquer à M. le ministre des finances les inconvénients vraiment onéreux pour notre pays et, en particulier, pour la ville de Gand. Et en effet, messieurs, peut-on concevoir que, si le législateur a jugé équitable de faire payer une marchandise 15 centimes par 100 francs de la valeur, que les employés de la douane exigent pour émolument, par exemple, sur un hectolitre de graines de chanvre qui vaut 15 francs l’hectolitre, 5 centimes par hectolitre pour mesurage, soit trois fois le montant des droits de transit que perçoit le trésor ; plus pour droit de pesage ou mesurage que le négociant doit faire effectuer à ses frais par des mesureurs jurés de la ville ; outre les frais de convoi et de plombage que les employés exigent, malgré que la loi dise positivement que la marchandise sera convoyée ou plombée.
Voilà comment cela se pratique du moins à Gand, et le résultat en est que le transit nous est enlevé pour toutes les graines grasses de la Baltique, en destination pour les départements du Nord de la France, et que toutes les expéditions se font directement sur Dunkerque pour Lille.
Il en est de même du transit non moins important des huiles d’oeillettes, qui s’expédient en si grandes quantités, de Lille et environs, pour la Hollande et L’Allemagne. La ligne directe était préférée au détour par Dunkerque ; mais, à peine le commerce de Gand avait obtenu, après bien des efforts, la préférence par cette voie en sacrifiant la commission, rogné et réduit tous les frais pour pouvoir procurer à nos capitaines le fret, enlever au port de Dunkerque le monopole, que la douane de Menin, premier bureau frontière en arrivant de Lille, a détruit tous ses efforts, en faisant décharger chaque hectolitre d’huile d’oeillette pour le plomber sur la bonde, opération qui entraîne d’abord les frais de déchargement et rechargement, ainsi que les frais de plombage d’autant plus absurde qu’à mesure qu’un baril a été roulé de 3 pas, le cachet de cire est cassé et en tombe ; ce n’est donc absolument que pour grossir les émoluments des employés, que ces formalités se remplissent, mais qui ont pour effet cependant d’empêcher le transit par la Belgique, qui serait très important pour notre navigation. On nous reproche que le plus grand nombre des navires partent sur lest ; eh bien, voilà encore un article d’encombrement pour le transit qui nous échappe, et qui serait profitable à nos ouvriers par la main-d’œuvre qu’il laisse dans le pays, et que Dunkerque profite à notre détriment, par la fiscalité mal entendue des employés de la douane.
J’appelle donc de nouveau l’attention de M. le ministre des finances sur cet objet qui intéresse particulièrement le commerce de Gand, et j’espère qu’il ne négligera pas de faire prendre des renseignements à cet égard, afin de chercher les moyens de diminuer ces grands frais, pour nous assurer ce transit ; il me serait agréable d’obtenir cette promesse de la part de M. le ministre.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Plusieurs des observations qui viennent d’être soumises à la chambre par l’honorable M. Hye-Hoys me paraissent fondées, et je tâcherai, de concert avec mon honorable collègue le ministre de l’intérieur, d’y faire droit.
M. Hye-Hoys. - Je déclare que la réponse de M. le ministre des finances me satisfait.
- Personne ne réclamant plus la parole, il est procédé au vote par appel nominal ; le projet est adopté à l’unanimité des 52 membres présents.
Ces membres sont :
MM. Cogels, Cools, Coppieters, David, de Behr, Dedecker, de Foere, de Garcia de la Vega, Delehaye, Delfosse, de Meer de Moorsel, de Mérode, Demonceau, Deprey, de Renesse, deTerbecq, de Villegas, Dubus (aîné), Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Hye-Hoys, Jadot, Jonet, Kervyn, Lys, Malou, Manilius, Mast de Vries, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Pirmez, Puissant, Raikem, Raymaeckers, Rodenbach, Rogier, Savart, Sigart, Simons, Smits, Thienpont, Trentesaux, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verhaegen, Zoude.
M. le président. - Le projet de loi est ainsi conçu :
« Article unique. Un crédit supplémentaire de deux cent quarante-sept mille trois cent soixante-dix-sept francs, soixante-dix centimes, (fr. 247,377,70) est ouvert au budget du département des finances de l’exercice 1842, chap. VIII, article unique, destiné à payer :
« 1° Les dommages et intérêts alloués au sieur de Gruyter, en qualité d’ancien commissaire aux recherches des biens domaniaux, par arrêt de la cour d’appel de Bruxelles, du 9 mai 1842, savoir :
« A. Pour pertes essuyées, fr. 106,226 00
« B. Pour gain dont il a été privé, fr. 30,208 40
« C. Intérêt légal de ces sommes, du 28 février 1833 au 28 octobre 1842, époque présumée du paiement, fr. 65,943 30
« Ensemble, fr. 247,377 70
« 2° Le montant du prix d’une transaction avec le sieur Lion, autorisée par décision ministérielle du 26 mai 1842, fr. 45,000 00. »
« Total, fr. 247,377 70. »
La commission des finances propose de rédiger le projet comme suit :
« Article unique. Il est ouvert au budget du département des finances de l’exercice 1842, chap. VIII, article unique un crédit supplémentaire de deux cent cinquante mille deux cent vingt francs, huit centimes, (fr. 250,220 08 c.) destiné à payer :
« 1° Les dommages et intérêts alloués au sieur de Gruyter, par arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 9 mai 1842, s’élevant en principal à fr. 136,434 00
« Et pour intérêts judiciaires, depuis le 28 février 1833 jusqu’au 28 mars 4843, époque présumée du payement, fr. 68,785 68
« Ensemble, fr. 205,110 08
« Le prix d’une transaction avec le sieur Lion, autorisé par décision ministérielle du 26 mai 1842, fr. 45,000
« Total, fr. 250,220 08 »
M. le ministre des finances (M. Smits) déclare se rallier au projet de la commission.
M. le président. - La discussion est ouverte.
M. Dumortier. - Messieurs, la question qui se présente en ce moment, n’est pas seulement une question de chiffres ; sous ce rapport elle n’offrirait que peu d’intérêt ; mais elle soulève une des questions de principe les plus graves, les plus sérieuses, qui puissent occuper la chambre des représentons dans l’exercice de son pouvoir, dans l’exercice de ses attributions,
De quoi s’agit-il, en effet ? Sous le gouvernement précédent, le syndicat d’amortissement, cherchant à s’emparer, au profit de la Hollande, de tous les biens des établissements de bienfaisance et du culte, avait institué en Belgique quelques commissaires, au titre le commissaires aux recherches, afin de s’emparer des biens dont jouissaient les établissements de bienfaisance, de charité et d’église, pour en faire profiter nos frères du Nord.
Messieurs, vous savez les abus sans nombre qui se sont passés à cette époque ; vous vous rappelez encore que ces commissaires allèrent jusqu’à violer le domicile des citoyens ; qu’en un mot, des vexations criantes, qui furent mises au nombre des griefs contre le gouvernement précédent, furent la suite de cette mesure. Beaucoup d’établissements de pauvreté furent spoliés de leurs biens au profit du syndicat néerlandais.
À la suite de la révolution, les commissaires aux recherches, qui jusque-là avaient été payés par le syndicat d’amortissement, remarquez-le bien, et non par le trésor public des Pays- Bas, vinrent engager le gouvernement à porter dans le budget des dépenses un poste pour se faire payer des créances qu’ils avaient obtenues pendant l’existence du royaume des Pays-Bas.
En 1831, une première demande de 10,000 florins fut présentée à la chambre des représentants. Cette demande fut rejetée par le parlement.
En 1833, une nouvelle demande fut présentée à la chambre. Cette demande fut encore rejetée par le parlement.
Plus tard, je crois que c’est en 1835, une pareille demande fut encore présentée à la chambre, et cette demande fut, pour une troisième fois, rejetée par le parlement.
Maintenant, messieurs, c’est cette question qui se représente devant nous. Mais elle a revêtu des formues nouvelles. Elle ne vient plus se représenter dans cette enceinte, humble et suppliante ; elle vient se présenter en commandant, en donnant ordre de payer ; elle vient se présenter armée d’un arrêt par lequel nous devons liquider et ordonnancer ce qui a été voté par les tribunaux.
Ainsi, messieurs, les trois votes successifs de la législature ne sont plus comptés pour rien ; il faut que nous venions renier l’opinion solennellement manifestée par la nation, par l’organe de ses représentants, et que nous nous humilions à voter le crédit que nous avons trois fois rejeté. C’est ainsi qu’on vient nous dire : Brûlez ce que vous avez adoré, adorez ce que vous avec brûlé.
M. David. - Il y a jugement depuis lors.
M. Dumortier. - J’entends qu’on dit : Il y a jugement. D’abord, je pourrai répondre à l’honorable M. David, en lui mettant devant les yeux ce qui vient de se passer il y a peu de jours, en Angleterre. Il y avait aussi un jugement qui avait acquitté l’assassin du secrétaire de sir Robert Peel. Qu’ont fait les membres les plus éminents du parlement ? Qu’a fait l’illustre lord Brougham au sein de la chambre des lords ? Ils sont venus demander au gouvernement s’il n’avait pas un moyen de mettre la vie des citoyens en sûreté, à l’abri des gens qu’on pourrait acquitter comme atteints de folie.
Eh bien ! je viens à mon tour demander au gouvernement s’il n’a pas le moyen de mettre le trésor public en sécurité en présence de jugements plus ou moins fondés qui seraient attentatoires aux droits du trésor public (interruption), je dis qui seraient, je pourrais dire, qui y sont attentatoires.
Messieurs, l’art. 106 de la constitution ordonne qu’une loi soit faite pour régler les confits. Cette loi n’existe pas, et avant d’arriver à l’examen de la question auquel je vais me livrer, je commencerai par demander au gouvernement s’il n’entre pas dans son intention de nous présenter, dans un bref délai, une loi sur les conflits. J’ai déjà eu l’honneur de faire cette demande, il n’y a pas un an, à propos d’un paiement à faire aux communes de Petit-Rechain et de Dison ; je renouvelle aujourd’hui cette interpellation, parce que je regarde une loi sur les conflits comme la chose la plus urgente, la plus sérieuse, dont la législature ait à s’occuper.
Maintenant, messieurs, examinons la question en elle-même. Les tribunaux se sont donc déclares compétents pour condamner le gouvernement à payer des sommes que trois fois la législature avait refusé de voter. Dans un pareil état de choses, je regarde comme un devoir d’examiner jusqu’à quel point les tribunaux avaient le droit de prendre la résolution qu’ils ont prise. Pour résoudre cette question, je prends la constitution la constitution qui est nôtre sauvegarde à tous, à laquelle nous devons toujours nous attacher. Que porte la constitution ? L’art. 92, le premier de ceux qui concernent l’exercice de l’ordre judiciaire, dit :
« Les contestations qui ont pour objet des droits civils, sont exclusivement du ressort des tribunaux. »
C’est sans doute sur cet article que les tribunaux se sont fondés pour se déclarer compétents dans la question qui nous occupe. Eh bien, messieurs, je demanderai ce que c’est que des contestations qui ont pour objet des droits civils ? Evidemment l’Etat n’a point fait ici d’actes civils.
Ainsi, il ne peut être poursuivi devant les tribunaux, que quand il exerce des droits civils. Il reconnaît qu’il peut être poursuivi devant les tribunaux, par exemple, lorsqu’il s’agit de l’exploitation du chemin de fer, lorsque l’Etat agit comme personne civile ; certes, si un entrepreneur de travaux publics avait à se plaindre du gouvernement, il pourrait le poursuivre devant les tribunaux pour obtenir l’exécution de son contrat ; mais quand l’Etat ne fait pas acte civil, quand il s’agit de questions gouvernementales, de questions parlementaires, alors je soutiens que les tribunaux ne sont pas compétents, et que leur intervention est un envahissement sur la prérogative du parlement, car ce ne sont pas là des contestations ayant pour objets des droits civils.
Les chambres exercent-elles donc un droit civil lorsqu’elles votent les budgets, lorsqu’elles votent des lois ? Le gouvernement exerce-t-il un droit civil lorsqu’il accorde des traitements ? Eh bien, messieurs, si la constitution doit être interprétée comme on veut l’interpréter aujourd’hui, il en résultera que tout fonctionnaire public qui se croira lésé sous le rapport de sa pension, viendra poursuivre l’Etat devant les tribunaux ; que tout fonctionnaire public qui se croira lésé relativement à son traitement, viendra intenter une action au gouvernement ; que tout veuve de fonctionnaire qui se croira lésée en ce qui concerne sa position, viendra traîner le gouvernement devant les tribunaux. Et ce que je dis ici, messieurs, n’est point une simple supposition ; je pourrais citer l’exemple de tel fonctionnaire public qui attaque aujourd’hui le gouvernement devant les tribunaux pour obtenir sa pension.
Vous le voyez, messieurs, la question qui s’agite est d’une très haute gravité, Je dis donc que lorsque l’Etat ne pose pas d’acte civil, il ne peut point être poursuivi devant les tribunaux ; si les tribunaux se déclarent compétents pour prononcer sur des actes du gouvernement qui ne sont point des actes de personne civile, c’est un abus et un abus auquel nous ne devons pas nous soumettre. Certes nous devons obéissance aux arrêts des tribunaux lorsque ces arrêts sont rendus dans le cercle des attributions que la constitution et les lois leur assignent ; mais lorsqu’ils sortent de la constitution, lorsqu’ils sortent des lois, alors nous ne devons pas obéissance à leurs arrêts, car obéir à de semblables arrêts, ce serait désobéir à la constitution que nous devons, avant tout, observer et faire respecter.
Vous êtes, messieurs, les gardiens de la constitution ; si les ministres s’en écartaient, vous devriez les forcer d’y rentrer, et vous iriez la violer vous-mêmes en acceptant des décisions qui y sont contraires ! Mais, dira-t-on, vous devez respect aux décisions de la magistrature. Je dis qu’il est de notre devoir de faire rentrer la magistrature dans la légalité lorsqu’elle s’en écarte, lorsqu’elle empiète sur nos prérogatives, en prononçant sur des contestations qui ont pour objet, non pas des droits civils, mais des matières politiques.
Maintenant, messieurs, entrerai-je dans les détails du singulier jugement qui nous occupe ? Ouvrez le rapport de la section centrale ; vous verrez que le gouvernement a offert de mettre à la disposition des intéressés tous les livres et documents quelconques dont de Gruytters s’était dessaisi en 1831 ; de lui communiquer, en outre, tout ce qui s’est fait pour tirer parti des indications qu’ils contenaient, et de payer 10 p. c. de la valeur des biens dont de Gruytter prouverait que la découverte devait être productive pour l’Etat.
Vous verrez encore, messieurs, que, subsidiairement, il a offert de prouver lui-même que presque toutes ces annotations sur les sommiers à titre de découvertes étaient inefficaces et insuffisantes pour faire recouvrer à l’Etat les biens auxquels elles se rapportent.
Eh bien, vous vous attendiez sans doute à ce que l’Etat eût été admis à faire valoir ses droits ? Point du tout : la cour a écarté ces offres et ces conclusions, à prétexte que les choses n’étaient plus entières.
Ainsi, messieurs, l’Etat n’a pas même pu se faire entendre ; on l’a jugé sans l’avoir entendu, et on l’a jugé en violation de la constitution, car encore une fois, il ne s’agissait pas de droits civils, mais d’une affaire toute parlementaire, que trois fois déjà vous aviez décidée, d’une prérogative que la constitution accorde aux chambres seules, celle du vote des dépenses de l’Etat.
Messieurs, nous sommes ici pour voter les lois, les dépenses et les impôts ; la constitution est formelle à cet égard ; aucune dépense n’est valide sans avoir reçu l’assentiment des chambres ; or, dès l’instant que les dépenses doivent être soumises aux chambres, les chambres peuvent non seulement les adopter, mais elles peuvent également les rejeter ; si nous étions forcés d’accepter toutes les dépenses qui nous sont présentées il serait parfaitement inutile de nous les soumettre ; nous pouvons donc adopter ou rejeter les dépenses, comme nous le jugeons convenable.
Eh bien, je dis que, dans l’état de choses dont il s’agit en ce moment, nous ne pouvons accepter le projet qui nous est soumis.
Mais il y a plus, le traité du 19 avril à la main, je puis établir que, le jugement fût-il fondé, sa charge n’incombe pas à la Belgique.
De quoi s’agit-il, messieurs ? Il s’agit de recherches faites pour découvrir des domaines celés, au profit du syndicat néerlandais. Eh bien, l’art. 13 du traité conclu avec les Pays-Bas fixe à 5 millions de florins la part de la Belgique, du chef du partage du passif de l’ancien royaume des Pays-Bas, et le § 4 ajoute que, moyennant cette somme annuelle de 5 millions de florins, la Belgique est déchargée, envers la Hollande, de toute obligation résultant du partage de la dette publique du royaume des Pays-Bas.
Ainsi, messieurs, pourvu que la Belgique paye ces 5 millions, elle se trouve libérée de toute obligation pouvant résulter du partage des anciennes dettes du royaume des Pays-Bas. Or, qu’est-ce que la créance dont il s’agit ? C’est évidemment une dette résultant du partage du passif de l’ancien royaume des Pays-Bas qui l’avait contractée.
Je maintiens donc que, le traité à la main, la Belgique peut refuser de payer la créance qui nous occupe. Voulez-vous reconnaître la validité du jugement ? Eh bien, soit, mais renvoyez les créanciers devant la Hollande qui est leur véritable débiteur. Mais, messieurs, si nous payions cette créance, nous paierions deux fois, puisque c’est une dette comprise dans celle du chef desquelles nous payons une rente annuelle de 5 millions de florins, représentant un capital de 400 millions. Il y aurait donc double emploi évident.
Vous voyez donc, messieurs, que cette question a une très grande portée. Si vous admettez que vous pouvez ainsi être condamné du chef de dettes de la communauté avec la Hollande, il en résultera que tous ceux qui ont des prétentions contre l’ancien royaume des Pays-Bas viendront attraire l’Etat devant les tribunaux et que vous seriez forcés de voter, sans vous dire toutes les sommes qui seraient nécessaires pour satisfaire à ces réclamations. Vous auriez payé, au moyen d’une rente de 5 millions de florins, la part des dettes de l’ancienne communauté, qui a été mise à votre charge ; et vous paieriez une seconde fois ces mêmes dettes pour satisfaire aux jugements que les tribunaux prononceraient contre vous de ce chef !
Je dis donc, messieurs, que dans la supposition même que vous admettiez le jugement comme valide, vous devez renvoyer les créanciers dont il s’agit devant le syndicat hollandais. Nous n’avons point eu à partager l’actif de ce syndicat ; il a conservé tout son boni, ce n’est donc pas à nous de payer les dettes qu’il a contractées.
Vous savez, messieurs, qu’un jugement d’une haute portée a déjà été prononcé ; il s’agissait de savoir si telles routes construites autrefois par les villes devaient être payées par l’Etat qui les avaient reprises. J’ai aussi soutenu alors qu’il ne s’agissait pas là de contestations relatives à des droits civils et que, par conséquent, les tribunaux n’étaient pas compétents. Eh bien, d’après l’interprétation que les tribunaux semblent vouloir donner aujourd’hui à la constitution, les contestations relatives à ces routes seraient aussi du ressort des tribunaux. Il y a plus, toute espèce de contestation entre le gouvernement et des particuliers, des communes ou des institutions quelconques, serait du ressort des tribunaux. Mais bientôt, messieurs, nous verrions des ministres que nous aurions destitués, venir plaider devant les tribunaux pour obtenir de nouveau leurs portefeuilles. (On rit.)
Je dis, messieurs, que si les tribunaux entrent dans une semblable voie, il est de notre devoir de les en faire sortir ; vous ne pouvez permettre que le pouvoir législatif soit ainsi absorbé par le pouvoir judiciaire : vous ne pouvez pas permettre que les tribunaux empiètent sur nos attributions, ce qui serait d’autant plus dangereux que ces corps sont inamovibles, sans responsabilité et entièrement en dehors de votre action. Vous devez donc rejeter le crédit qui vous est demandé et qui a déjà été repoussé trois fois par la législature. Pour mon compte, je n’y donnerai pas mon assentiment.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, nous ne pouvons pas accepter en silence certaines considérations présentées par l’honorable préopinant.
Il s’est placé sans nécessité sur un terrain que je regarde comme extrêmement dangereux.
Je suis étonné de cette discussion, après la lecture du rapport, sage et mesuré, fait au nom de votre commission.
C’est à regret que le gouvernement s’est adressé à la législature pour réclamer des crédits devenus nécessaires ; c’est à regret que la commission les alloue.
On aurait pu s’arrêter là, on aurait pu s’en tenir à l’expression de ces regrets. Nous vivons dans un pays de légalité, et la légalité exige avant tout le respect pour les arrêts rendus...
M. Dumortier. - Bien, lorsqu’ils sont rendus dans les limites de la constitution.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Jusqu’à présent je ne connais pas de pouvoir qui ait le droit d’examiner la légitimité des arrêts rendus. Cela conduirait à l’omnipotence parlementaire la plus effrayante...
M. de Mérode. - Pas du tout !
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable M. de Mérode me dit : Pas du tout ! Je persiste à dire que cela conduirait à l’omnipotence la plus effrayante. Tous les pouvoirs s’attribueraient le même droit, l’un vis-à-vis de l’autre (c’est vrai !) ; les tribunaux jugeraient la légitimité de la loi, le législateur jugerait la légitimité des arrêts, Je vous le demande, messieurs, où en arriverions-nous avec ce système d’omnipotence que chaque pouvoir invoquerait respectivement à son profit ?
Lorsqu’avant 1830 le gouvernement, pour des motifs administratifs, déclinait la compétence du pouvoir judiciaire, il pouvait élever un conflit, c’était le conseil d’Etat qui statuait sur ce conflit, c’est-à-dire, que la question de compétence était décidée par le gouvernement lui-même. Ce pouvoir, laissé au gouvernement, a présenté des inconvénients. Aujourd’hui, lorsque le gouvernement décline la compétence du pouvoir judiciaire, qui statue ? C’est le pouvoir judiciaire lui-même.
Toutefois, on peut trouver une réserve dans la constitution. La constitution parle d’une loi sur les conflits, et un jour, peut-être, nous aurons à rechercher si, dans certains cas où le gouvernement, pour des motifs administratifs décline la compétence du pouvoir judiciaire, il n’y a pas lieu de dessaisir immédiatement le tribunal pour recourir à la cour régulatrice.
Je me borne à indiquer cette considération, sans rien préjuger. C’est là une ressource que laisse la constitution ; mais, je le répète, en l’absence d’une loi sur les conflits, les tribunaux sont aujourd’hui juges de leur propre compétence. Les arrêts rendus se trouvent souverainement rendus. Un jour, on pourra faire une loi sur les conflits.
M. de Mérode. - Cette loi est fort urgente.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On me dit que cette loi est bien urgente ; je ne le conteste pas, mais nous avons encore tant de lois arriérées à voter, qu’en vérité nous n’avancerions pas beaucoup la question, en présentant précipitamment un nouveau projet de loi qui irait probablement se mettre à la queue de tous les autres. (On rit.)
Maintenant, je crois que rien ne serait plus dangereux que de s’engager dans la voie indiquée par l’honorable M. Dumortier. Les arrêts rendus ont été souverainement rendus, surtout en l’absence de toute loi sur les conflits. Les crédits qui sont demandés, le sont de deux chefs : d’abord, pour satisfaire à un arrêt souverainement rendu, et qu’il faut respecter ; ensuite, pour faire droit à une transaction. Je regarde cette transaction comme très équitable. Je crois que le fonctionnaire qui a fait cette transaction avec le gouvernement, aurait pu, après le premier arrêt, s’adresser aux tribunaux, et qu’il aurait eu les plus grandes chances de succès.
Messieurs, je pense que ce qu’il y a de mieux à faire, c’est de ne pas pousser plus loin cette discussion que je regarde comme dangereuse et inutile.
M. de Mérode. - Pourquoi étouffer la discussion ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il ne s’agit pas ici d’étouffer la discussion, il s’agit de ne pas donner, en quelque sorte, un mauvais exemple, en attaquant devant cette chambre, même indirectement, le pouvoir de la chose jugée. C’est là ce qu’il ne faut pas faire légèrement ; ce serait de l’anarchie, comme on le dit à côté de moi.
M. Dumortier. - Messieurs, je ne veux pas que M. le ministre de l’intérieur vienne qualifier de mauvais exemple ce que j’ai dit ; je maintiens que j’ai agi dans les règles de la constitution ; je maintiens que j’ai appuyé une argumentation sur le texte précis de la constitution ; je défie mes honorables contradicteurs de répondre à ceci : Lorsque l’Etat ne fait pas d’acte civil, il n’est pas attrayable devant les tribunaux.
M. de Garcia. - Messieurs, ce que je dirai ne tendra pas à l’anarchie ; j’aime l’ordre avant tout ; j’ai quelques observations à faire, et je demande à pouvoir les soumettre à la chambre.
La question qui nous occupe est fort délicate, et je mettrai toute la réserve possible pour respecter la légitimité des arrêts. Je commence par reconnaître la vérité de ce qui a été dit par M. le ministre de l’intérieur, c’est que les arrêts doivent être respectes, et que leur exécution doit être assurée de la manière la plus absolue.
Mais, messieurs, si les arrêts doivent être respectés, quant à leur exécution, n’appartient-il pas à la chambre, qui représente le pays, le plaideur ; n’appartient-il pas aux membres de la chambre d’examiner les motifs de l’arrêt, d’en apprécier la valeur, de présenter des considérations sur le bien ou le mal jugé ? Je ne puis comprendre le gouvernement représentatif sans le contrôle des actes de tous les pouvoirs, qui sans cela seraient appelés vainement à fonctionner au grand jour.
M. Verhaegen et d’autres membres demandent la parole.
M. de Garcia. - J’ai dit que le plaideur, et j’ajouterai que tout citoyen peut toujours critiquer les motifs d’un jugement, d’un arrêt, et je persiste dans cette opinion. Il n’est ni plaideurs, ni commentateurs qui ne fassent foi de ce que j’avance.
Messieurs, examinons d’abord les faits et les motifs qui ont donné lieu à l’arrêt qui soumet la nation à devoir payer des sommes considérables. Ces faits ont été parfaitement exposés dans le rapport de votre commission ; je demanderai, avant de tirer des conclusions, la permission de donner lecture à la chambre de cette partie du rapport.
« Pour être mise à même de former son opinion sur la légitimité de la créance du sieur de Gruytter, la commission des finances a réclamé la communication de l’arrêt et des pièces de la procédure.
« L’exposé des motifs du projet de loi fait connaître les faits.
« La mission qui avait été donnée, en 1824, à trois employés des domaines, et, entre autres, au sieur de Gruytter, en vertu d’un arrêté royal du 20 septembre 1824, a été considérée, par les tribunaux, comme constituant un véritable contrat, un contrat bilatéral puisque le sieur de Gruytter prenait à sa charge tous les frais de voyages et d’écritures et ceux de son remplacement dans ses fonctions de conservateur des hypothèques à Anvers, et cela en vue d’une rémunération tout à fait incertaine, puisqu’elle consistait dans une part de bénéfices qui pouvaient ne point se réaliser ; contrat dont la résiliation, opérée par arrêté du Régent, en 1831, avait soumis l’Etat à des dommages-intérêts envers de Gruytter.
« Sur cette base, ces dommages-intérêts devaient être l’indemnité de ce que de Gruytter aurait obtenu à raison de 10 p. c. de la valeur des domaines par lui découverts, et dont l’Etat aurait pu être mis en possession et jouissance.
« Or, le sieur de Gruytter avait déjà reçu, à raison de dix pour cent de la valeur de 469 articles de biens dont l’Etat a obtenu la mise en possession, une somme de fr. 38,565 60 c.
« L’arrêt lui alloue en outre :
« 1° 106,226 francs pour l’indemniser les dépenses qu’il a faites,
« 2° 30,208 fr. 40 c. à titre de gain dont il a été privé pour ce qui lui reste dû de ce chef,
« Ensemble, 200,000 francs.
« D’après la somme de ces divers chiffres, on devrait estimer à deux millions la valeur des biens dont les découvertes du sieur de Gruytter devaient assurer la possession à l’Etat.
« La chambre se ferait illusion toutefois si elle comptait sur un semblable résultat.
« M. le ministre des finances a au contraire articulé au procès :
« Que les 469 articles dont l’Etat a obtenu la mise en possession sont la fleur des découvertes du sieur de Gruytter, celles qui étaient le mieux pourvues de documents propres à les faire réaliser ;
« Que les autres découvertes sont généralement dépourvues des documents indispensables pour les rendre fructueuses ; qu’elles consistait pour la plupart en de vaines annotations qui ne font pas même connaître les noms des détenteurs ; que beaucoup se rapportent à des biens pour lesquels il n’y a pas d’action possible, soit parce qu’il y avait prescription, soit parce que les biens ont été vendus, soit parce qu’ils n’appartiennent pas à l’Etat, tels que ceux des bénéfices simples ; qu’enfin, les investigations administratives auxquelles il a fait procéder ont amené cette conclusion, que de tous les articles qui restent consignés sur les sommiers dressés par le sieur de Gruytter, il y a à peine un article sur cent qui présente des chances favorables à l’Etat.
« M. le ministre a en conséquence offert de mettre à la disposition de de Gruytter tous les livres et documents quelconques dont celui-ci s’était dessaisi en 1831 ; de lui communiquer, en outre, tout ce qui s’est fait pour tirer parti des indications qu’ils contenaient, et de payer 10 p. c. de la valeur des biens dont de Gruytter prouverait que la découverte devait être productive pour l’Etat.
« Subsidiairement, il a offert de prouver lui-même que presque toutes ces annotations sur les sommiers à titre de découvertes, étaient inefficaces et insuffisantes pour faire recouvrer à l’Etat les biens auxquels elles se rapportent.
« La Cour a écarté ces offres et ces conclusions, à prétexte que les choses n’étaient plus entières ; considérant toute preuve comme devenue impossible, par suite d’un fait volontaire posé par le gouvernement, et sans vouloir recourir aux sommiers ni aux titres, à l’effet d’apprécier le mérite des faits articulés par M. le ministre, elle a présumé que le contrat aléatoire, intervenu en 1824 entre le syndicat et de Gruytter, avait certainement dû valoir à celui-ci, outre le remboursement de toutes ses mises, un bénéfice net d’au moins dix mille francs par année, pendant les six ans et demi environ qu’ont duré ses travaux. C’est ce que l’arrêt appelle arbitrer es œquo et bono.
« C’est sur cette base, tout à fait conjecturale et appuyée uniquement sur le motif qu’il est équitable que de Gruytter soit indemnisé, non seulement de ses dépenses, mais aussi de son travail, que repose le calcul qui porte à 200,000 francs le montant total du produit présumé des 10 p. c. stipulés en 1824.
« Ainsi, quoique l’Etat soit condamné à payer une indemnité considérable, il n’a pas obtenu, et il n’y a pas lieu d’espérer qu’il obtienne, à beaucoup près, la valeur sur laquelle cette indemnité est calculée. Aucune vérification n’a été faite devant la cour, aucune vérification n’a même été permise des faits qui pouvaient conduire à déterminer l’importance réelle des découvertes utiles du sieur de Gruytter.
« Quelque regrettable que soit ce résultat, et quoiqu’il semble évident à la commission que les intérêts du trésor sont gravement lésés, elle ne peut que proposer à la chambre d’allouer au département des finances le crédit qu’il réclame pour satisfaire à l’arrêt qui a jugé souverainement un point de fait. »
Quand le gouvernement a demandé à établir au procès que les découvertes signalées, comme devant produire au trésor, ne produisaient rien, est-ce que le pouvoir judiciaire l’a admis ? Non. messieurs, à mes yeux, c’est un mal jugé, et un mal jugé en fait qui échappait à la cour de cassation. Je respecte les arrêts de la justice ; ne pas les respecter, ce serait de l’anarchie ; mais faut-il en conclure qu’on ne peut pas critiquer la chose jugée ? Non messieurs.
Pour vous faire voir que je me soumets aux arrêts, je voterai pour le paiement, mais uniquement par respect pour la chose jugée.
Cet ordre de choses qui permet à l’ordre judiciaire de connaître de toutes les affaires où il peut se croire compétent, présente de graves inconvénients. Je me joins à l’honorable M. Dumortier pour demander une loi sur les conflits. On a fait observer à M. le ministre, qui avait dit que le gouvernement devait présenter un projet de loi sur les conflits, que la chose n’était pas mûre, et qu’il pourrait se faire que le jugement des conflits fût déféré au gouvernement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’ai pas dit cela.
M. de Garcia. - Ce serait la cour de cassation qui devrait juger les conflits. Il y aurait toujours une différence énorme avec l’état de choses actuel. Qu’arrive-t-il aujourd’hui ? Un juge de première instance se déclare compétent, il ne viole directement aucune loi ; il se déclare compétent, parce qu’il a la conviction qu’il est compétent. On se pourvoit en appel, la cour confirme la décision de compétence, l’arrêt est déféré à la cour de cassation mais la cour de cassation ne peut pas le réformer, parce qu’il n’est pas établi qu’il y a eu violation manifeste d’une disposition législative. Par une loi de conflit, cet état de chose disparaîtrait ; la cour de cassation directement en face d’une question de conflit, sans décision préalable d’une autorité judiciaire, qu’elle ne peut réformer sans une violation de loi ; dirigée par les principes qui auraient présidé à une mesure législative de cette nature, la cour de cassation, dis-je, conserverait toute son action d’ordre, toute sa puissance régulatrice. Signaler ce fait, cette lacune, c’est démontrer la nécessité de la combler. Je convie le gouvernement de la combler. Je bornerai là mes observations en disant que je voterai dans le sens des arrêts, mais en observant que je critique les motifs de pareilles décisions.
M. Jadot. - Je vous prie de me permettre de vous exposer les faits comme je les connais, et je crois les connaître aussi bien et même mieux que personne ici.
Le syndicat d’amortissement, ou le précédent gouvernement, avait traité aux trois individus qui s’engagèrent à rechercher les propriétés domaniales célées à l’Etat, moyennant qu’on leur accorderait le dixième des valeurs que le trésor réaliserait d’après leur travail.
Veuillez remarquer, messieurs, que ces trois commissaires ne doivent pas être considérés ici comme fonctionnaires publics ; ils étaient, à la vérité, des employés de l’Etat, mais ce n’était pas en cette qualité qu’Ils avaient traité avec lui. On ne peut donc pas les assimiler, comme le fait M. Dumortier, à des fonctionnaires qui attrairaient le gouvernement en justice pour se faire payer des traitements ou des pensions.
En 1831, la chambre refusa, comme le dit M. Dumortier, d’allouer le crédit de 10,000 fl. demandé pour payer aux commissaires les sommes qui leur revenaient.
C’est alors que le Gouvernement prit le parti de révoquer le mandat donné par le précédent gouvernement aux sieurs Delbarre, Lion et de Gruytter ; c’est moi-même qui ai été chargé par le ministre de rédiger l’arrêté du mois d’avril qui réduit les 10 p. c à 5 p. c., et ordonna aux commissaires de remettre les registres et papiers relatifs aux domaines dont ils étaient dépositaires.
M. de Gruytter déclara qu’il ne pouvait accepter les conditions que cet arrêté d’avril lui faisait, et il demanda au gouvernement de lui rembourser les dépenses qu’il avait faites et les pertes qu’il avait essuyées. Le ministre ne put consentir, parce qu’il avait la certitude que la chambre ne lui accorderait pas la somme nécessaire pour remplir l’engagement qu’il aurait pris.
Alors M. de Gruytter demanda à M. le ministre la permission d’attraire le gouvernement en justice pour le faire condamner à lui payer les dommages et intérêts auxquels il avait droit, de l’avis des membres les plus distingués du barreau de Bruxelles et de Liège. Le ministre ne s’y opposa pas. Cependant l’administration des domaines déclina la compétence du tribunal de première instance de Bruxelles, prétendant que c’était à la cour des comptes de prononcer sur cette affaire, comme étant relative à la section des comptables.
L’arrêt de la cour fut réformé, la cause fut renvoyée devant le tribunal de Louvain qui adjugea une provision, mais comme cet arrêt n’était pas exécutoire, nonobstant appel, il fallut continuer à plaider, et c’est ainsi que la dette de l’Etat s’est augmentée d’intérêts considérables.
Dans tout ceci M. de Gruytter n’a rien fait que l’on puisse blâmer. C’est à regret qu’il a dû recourir aux tribunaux, et il y était autorisé par le gouvernement lui-même.
M. Dubus (aîné). - Je n’ajouterai que quelques mots au rapport de votre commission des finances.
On a parlé de la déclaration de compétence comme ayant été faite au préjudice de la compétence même de la chambre, comme si les tribunaux avaient porté atteinte aux prérogatives de la représentation nationale.
Certes, si un arrêt de compétence des tribunaux pouvait être considéré comme attentatoire à votre compétence, nous ne serions pas tenus de nous incliner devant un semblable arrêt. Si les tribunaux sont juges de leur compétence, nous sommes juges de la nôtre, nous n’avons pas de loi à recevoir du pouvoir judiciaire. Mais tel n’est pas le cas qui se présente.
En discutant la question de compétence, on avait agité celle de savoir s’il s’agissait, oui ou non, d’une matière administrative dont les tribunaux n’ont pas à connaître. Cette question a été débattue devant le tribunal de première instance de Bruxelles, qui a accueilli l’exception. L’affaire portée en appel, l’exception a été rejetée et la cour a déclaré la compétence du tribunal en caractérisant le fait. C’est par suite de la manière dont elle l’a caractérisé qu’elle a prouvé que le pouvoir judiciaire était compétent.
Quand on s’est pourvu en cassation contre cet arrêt, la cour de cassation, qui n’a pas à juger des faits, a dû accepter le fait tel qu’il était déclaré constant par la cour d’appel, et se borner à apprécier s’il y avait violation de la loi appliquée au fait tel qu’il était caractérisé. La cour d’appel n’avait pas trouvé que ce fût le cas d’un fonctionnaire de l’Etat qui venait demander le paiement de son traitement devant les tribunaux, mais d’un particulier qui réclamait à charge de l’Etat l’exécution d’un véritable contrat, d’une espèce d’entreprise donnant lieu à une action civile devant les tribunaux ; et la cour de cassation était obligée de se renfermer dans ce fait, ainsi établi par l’arrêt, et d’apprécier en conséquence l’application qui avait été faite à ce fait de l’article 92 de la constitution.
S’il y avait eu une loi de conflits, l’action de la cour de cassation n’eût pas été aussi restreinte. Comme la question de conflit eût été portée directement devant elle, avant que les tribunaux eussent eu à se prononcer sur le fait, la cour eût eu à apprécier ce fait et à y appliquer le droit. Sous ce rapport, il y aurait un véritable avantage à ce qu’on vous présentât une loi sur les conflits, en exécution de l’art. 106 de la constitution. Cet article sera une lettre morte aussi longtemps qu’une loi n’aura pas été portée sur ce point.
Quant au fond, ce n’était plus qu’une question de dommages-intérêts. Les tribunaux ont jugé souverainement sur la hauteur de ces dommages-intérêts, il n’y a plus à délibérer, suivant moi sur ce point. Mais en admettant qu’il y avait dette envers de Gruytter, une observation a été faite sur le point de savoir à qui cette dette incombe.
On a dit qu’aux termes du traité, la Belgique était déchargée de toute obligation semblable, parce qu’il s’agissait d’une dette remontant à une époque antérieure à notre séparation de la Hollande, d’une dette dont nous payons notre part au moyen les cinq millions de florins qui nous ont été imposés. Mais les faits tels que les tribunaux les ont constatés répondent à l’objection. Il en résulte que les dommages-intérêts sont encourus par l’Etat belge, à cause d’un fait posé par le gouvernement belge, fait qui aurait été posé en 1831. On a considéré l’arrêté du Régent comme ayant rompu un contrat bilatéral, qu’on ne pouvait rompre sans donner ouverture à des dommages-intérêts. Ces prémisses étant admises à la rupture du contrat, étant le fait du gouvernement belge, les dommages-intérêts qui en résultent sont la dette de la Belgique.
Voilà les seules observations que j’avais à présenter. (Aux voix ! Aux voix !)
M. de Mérode. - Je n’entrerai pas dans la discussion de la question ; je ne serais pas à même de la traiter ; mais je veux répondre aux cris : aux voix, qu’on a fait entendre dès l’origine de la discussion. Cette discussion a été utile, en ce qu’elle a fait voir qu’il serait à propos de nous présenter une loi sur les conflits. Ce que vient de dire l’honorable préopinant prouve à l’évidence combien cette loi est nécessaire. Il me semble qu’elle ne serait pas très compliquée, et le gouvernement devrait se hâter de la proposer, car il est très fâcheux d’être obligé de payer 2 ou 300,000 francs, quand il est aussi douteux qu’au fond on doive une pareille somme. La discussion aura toujours été utile, et je me félicite d’avoir contribué à faire appeler l’attention de la chambre sur cette question.
M. Verhaegen. - Je suis du nombre de ceux qui ont crié aux voix, et je regrette que cette discussion ait été beaucoup trop longue ; si l’honorable M. Dumortier avait seul pris la parole, nous aurions continué à demander la clôture ; mais l’honorable M. de Garcia a parlé après lui, et je ne puis laisser sans réponse les doctrines qu’il s’est permis de professer. Les paroles sorties de la bouche de cet honorable membre ont, messieurs, un caractère de gravité que n’avaient pas celles proférées par M. Dumortier : l’honorable M. de Garcia est lui-même magistrat, et son attaque n’en est que d’autant plus extraordinaire.
L’honorable membre a dit qu’il faut respecter les arrêts.
M. de Garcia. - La légitimité des arrêts.
M. Verhaegen. - La légitimité des arrêts, soit ; mais il a prétendu en outre que tout membre de la chambre a le droit de critiquer les motifs de l’arrêt qui condamne l’Etat (car d’après lui l’Etat se résume dans la chambre) ; comme tout plaideur a le droit de se plaindre d’un jugement quelconque qui lui fait tort et de maudire ses juges pendant un temps plus ou moins long : c’est vraiment là une belle théorie !!
M. de Garcia croit avoir le droit de critiquer l’arrêt, et cependant il convient qu’il faut payer. Je n’examinerai pas cet arrêt mais, puisqu’il faut donner exécution à la chose jugée, qui doit être tenue pour vérité, puisqu’il faut payer, je demanderai quelle utilité il peut y avoir à critiquer les motifs que la cour a donnés ? Est-ce pour nous mettre en opposition avec l’ordre judiciaire ? Il semblerait qu’il ne suffit pas de ravaler l’ordre judiciaire en refusant de faire droit à ses justes réclamations, mais qu’on veuille encore toucher à la considération dont elle a tant besoin ; est-ce là le but de l’honorable membre ? S’il faut payer, encore une fois, pourquoi critiquer ? Payons et taisons-nous, car nous devons respecter l’ordre judiciaire, comme l’ordre judiciaire doit nous respecter nous-mêmes, comme tous les pouvoirs doivent se respecter mutuellement. Si vous agissez autrement, craignez qu’un jour l’ordre judiciaire n’empiète sur le pouvoir législatif ou sur le pouvoir exécutif, craignez de nous entraîner dans une anarchie complète : si les pouvoirs ne restent pas distincts et indépendants, il n’y a plus rien dans l’Etat. Nous marchons à la dissolution de la société ; je ne conçois pas comment de pareils principes aient pu trouver de l’écho chez l’honorable M. de Garcia, chez lui surtout, dans la position qu’il occupe ?
L’honorable M. de Mérode, qui avait voulu d’abord soutenir l’opinion de l’honorable M. Dumortier, a fini par dire que cette discussion avait au moins quelque chose d’utile, et qu’elle amènerait une loi sur les conflits. Je ne m’oppose pas à une loi sur les conflits, mais je me félicite d’une chose, c’est que ceux qui ont fait la constitution ont voulu que ce fût la cour de cassation qui jugeât les conflits ; je m’en félicite, car, au train dont vont les choses, je craindrais fort, s’il en était autrement, que nous ne fussions ramenés insensiblement dans la voie dont nous avons voulu sortir au moyen de la révolution, et que l’ancien grief ne reparût avec plus de force qu’autrefois.
Quand vous ferez une loi sur les conflits, vous ne pourrez pas vous soustraire à l’empire de la cour de cassation, qui doit être juge souveraine des conflits ; ce sera le pouvoir judiciaire suprême qui, toujours, vous donnera la loi sur ce point, parce que la constitution le veut.
M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel. Je regrette que l’honorable préopinant m’ait fait dire ce que je n’ai pas dit ; il m’a fait dire absolument l’inverse de ce que j’ai dit. M. Verhaegen vous dit : M. Dumortier a dit que la chambre ne doit pas respecter les arrêts. Je ne me suis pas servi de cette expression ; j’ai dit que la chambre avait le droit de les apprécier et de voir s’ils avaient été rendus dans les termes de la légalité et de la constitutionnalité. J’ai dit, et je maintiens, que si les tribunaux avaient à examiner leur compétence, nous avons à examiner la nôtre ; nous devons voir s’ils ont jugé dans les règles de leur compétence ; si un arrêt était rendu en dehors de la compétence des tribunaux, je ne me croirais jamais obligé de l’accepter. Autrement, le pouvoir législatif serait mis au-dessous du pouvoir judiciaire, qui ne pourrait être contrôlé par personne, et nous serions obligés de voter sans réflexion. Ce serait là une véritable confusion des pouvoirs. On parle d’anarchie ; mais dès l’instant qu’un pouvoir empiète sur l’autre, c’est là une véritable anarchie.
M. Fleussu. - La discussion soulevée par l’honorable M. Dumortier aurait certainement le mérite de la nouveauté, si elle n’était une répétition de ce qu’il nous dit, il y a déjà quelque temps ; mais si quelque chose m’étonne, c’est que son opinion ait pu trouver de l’écho dans cette assemblée. Savez-vous à quoi tendrait la doctrine de M. Dumortier ? A faire porter à votre barre la compétence de la magistrature. Et c’est précisément pour que la magistrature fût indépendante de l’action de la législature et de l’action du gouvernement, qu’on a voulu qu’elle fût indépendante et inamovible.
Messieurs, ne craignez pas cette indépendance. Le pouvoir judiciaire n’est pas envahissant, et ne veut pas commettre d’empiètement ; il attend les causes et ne les attire pas ; il faut qu’on vienne à lui, que les cas lui soient soumis, mais jamais il n’empiète. Votes n’avez donc rien à craindre de l’indépendance du pouvoir judiciaire, il ne portera jamais le trouble dans les autres pouvoirs.
Autrefois, et c’était un grand grief reproché au gouvernement, dans toutes les affaires qui concernaient les communes pour des intérêts civils, que paraît ne pas bien comprendre l’honorable M. Dumortier, on élevait des questions d’incompétence et de conflit. Mais aujourd’hui nous irions bien plus loin ; car autrefois c’était avant la décision des tribunaux, et aujourd’hui ce serait après cette décision. Si vous rejetiez le crédit, vous annuleriez la décision du pouvoir judiciaire, tandis que le gouvernement ne faisait que l’arrêter et y mettre obstacle, mais ne l’annulait pas.
Messieurs, j’ai entendu le fait tel qu’il a été raconté par l’honorable M. Jadot. Ce n’est pas du tout la question telle qu’elle a été présentée par M. Dumortier. D’abord il est bon de faire remarquer que ce n’est pas pour ravir aux bureaux de bienfaisance et aux églises les biens qu’ils possédaient, que les commissaires aux recherches ont été institués, mais pour parvenir à la découverte des biens domaniaux d’après la loi, qui avaient été celés à l’Etat. Je ne vous parlerai pas de la mesure, mais je ne veux pas qu’on attaque les instruments.
On a constitué trois commissaires aux recherches, et on leur a dit : Vous aurez le dixième de toutes vos découvertes. Les deux honorables membres auxquels je réponds ne sont pas d’accord ensemble ; tandis que M. Dumortier dit que ces commissaires ont commis des vexations et n’ont rien respecté, voici M. de Garcia qui dit que ces commissaires n’ont rien découvert, et qu’il en sait quelque chose, puisqu’en sa qualité de juge d’instruction, il a dû les accompagner dans leurs recherches. Quant à moi, je soutiens qu’ils ont découvert pour plus d’un million, et si leurs découvertes n’ont pas été plus loin, c’est à cause de la révolution ; on a rompu leur mission, et cependant ils se bornent à demander une somme de 45,000 fr, par transaction.
Je dis donc que c’est l’exécution d’un contrat que ces messieurs ont réclamée devant les tribunaux.
L’honorable M. Dumortier dit que ce ne sont pas là des intérêts civils ; mais qu’entendez-vous par des intérêts civils ?
M. Dumortier. - Lisez le code.
M. Fleussu. - Vous ne les connaissez pas ; car vous avez soutenu, il n’y a pas longtemps, que les propriétés de routes ne constituaient pas des intérêts civils ! Comment ! la propriété n’est pas un intérêt civil ! Alors que je réclame une route qui m’appartient, ce n’est pas un intérêt civil. Avant de professer de pareils principes, vous feriez bien de vous entourer de quelques renseignements.
M. de Mérode. - Il s’agissait d’une question politique.
M. Fleussu. - Comment voulez-vous faire intervenir la politique dans de semblables différends ? Il s’agit d’argent, vous me devez, et ce serait une question politique, parce que je réclame de l’argent du gouvernement.
M. Dumortier. - Vous savez fort bien que les routes ont été réunies....
M. Fleussu. - C’était toujours une question de propriété ; et elle devait être portée devant les tribunaux.
Prenez-y garde, vous dit-on, si vous admettez de semblables réclamations, mais tous les fonctionnaires pourront attraire le gouvernement devant les tribunaux pour le paiement de leur traitement ; les veuves pourront l’attraire pour avoir leurs pensions, si elles ne leur paraissent pas suffisamment liquidées. Mais je ferai observer que si la chose se présentait, s’il s’agissait de savoir si les tribunaux sont, oui ou non, compétents, je pense, moi, que si arbitrairement, sans motif aucun, le gouvernement refusait de donner à un fonctionnaire son traitement, quand il est fixé par une loi, ce fonctionnaire pourrait l’attraire devant les tribunaux. En effet, ne faut-il pas quelqu’un qui juge entre le gouvernement et les fonctionnaires ?
M. Dumortier. - Il y a la chambre.
M. Fleussu. - Mais alors vous feriez du pouvoir judiciaire, et cela vous est défendu.
Je disais donc que si cette question était portée devant les tribunaux, et que le gouvernement voulût soulever une question d’incompétence, ce serait son affaire.
Mais, vous a dit M. de Garcia, les tribunaux auront donc un pouvoir arbitraire, et décideront comme ils voudront, et la cour de cassation ne pourra pas casser leurs arrêts.
M. de Garcia. - S’ils n’ont pas violé la loi.
M. Fleussu. - Si vous vous déclarez compétents, vous le faites conformément à la loi .Si votre décision n’est pas conforme à la loi, la cour de cassation l’annulera.
Je vous avoue, messieurs, que l’honorable M. Jadot et, après lui, l’honorable M. Dubus, ont très bien fait d’éclaircir la question. Je dois dire que je l’avais comprise comme si le gouvernement avait été victime, comme s’il avait été condamné sans être entendu. Mais il semble, d’après ce qu’on nous a dit, que le gouvernement a accepté la lutte ; que, d’abord, il a décliné la compétence des tribunaux ; qu’il a succombé sur ce point, et que, forcé de suivre les intéressés devant les tribunaux, il s’y est constamment défendu.
M. Dumortier. - Lisez le rapport.
M. Fleussu. - Du reste, je dirai que, s’il s’agit d’une décision rendue sans que les deux parties aient été entendues contradictoirement, le gouvernement a à se reprocher de ne pas s’être pourvu, de ne pas avoir usé des facultés que la loi lui donnait pour que l’arrêt ne fut rendu qu’après que les parties contradictoires auraient été entendues.
D’après ces considérations, je voterai pour le crédit demandé.
M. de Garcia (pour un fait personnel). - Messieurs, on a tellement dénaturé tout ce que j’ai dit, que je dois nécessairement rectifier les faits.
L’honorable M. Fleussu a dit d’abord que c’était à tort que j’avais dit que le gouvernement avait été condamné sans être entendu. Je n’ai rien dit de semblable, et si l’honorable membre avait lu le rapport sur lequel j’ai appuyé la critique du mal jugé, et que j’ai lu à l’assemblée il n’aurait pas commis l’erreur dans laquelle il est tombé ; j’ai raisonné d’après les faits constatés dans le rapport ; j’ai raisonné d’après les motifs constatés par la commission, et je n’ai nullement dit que le gouvernement avait été condamné sans être entendu. Tout ce que j’ai dit, en déduction des faits et des considérants établis au procès, c’est que la cour avait refusé la justification des faits que voulait lui donner le gouvernement, et en cela la cour a mal jugé, selon moi. Il faut donc dénaturer mes paroles pour leur donner la portée que M. Fleussu leur attribue.
On a parlé de compétence ; on a prétendu que j’avais dit que lorsque les tribunaux se déclaraient compétents, il n’y avait pas moyen de se pourvoir. Mais je n’ai pas dit cela. J’ai dit que lorsque les tribunaux de première instance ou d’appel n’avaient pas formellement violé la loi, la cour de cassation ne pouvait réformer leurs décisions.
J’ai ajouté qu’il était indispensable d’avoir une loi sur les conflits, parce que cette loi porterait les affaires directement devant la cour de cassation. Dans un ordre de choses semblable, la cour de cassation aurait à connaitre sans jugement préalable de l’attribution des juridictions, tandis que dans l’ordre de choses actuel, elle ne peut réformer un jugement de compétence que pour autant qu’il y ait violation formelle d’une loi. Je n’ai pas l’intention, comme l’a prétendu l’honorable M. Verhaegen, de spolier la cour de cassation d’une prérogative que lui a accordée la constitution ; et la constitution, fût-elle encore à faire, je voudrais que le même principe y fût inséré.
L’honorable M. Fleussu, pour attaquer un autre fait que j’avais signalé, a encore dénaturé mes paroles. Il a supposé que j’avais dit que le gouvernement n’avait rien recouvré du chef des recherches ordonnées.
M. Fleussu. - Presque rien.
M. de Garcia. - Vous avez dit rien du tout. C’est encore une erreur. J’ai dit qu’en comparaison des articles signalés comme des découvertes, le gouvernement n’avait presque rien obtenu. Tout est relatif dans ce que j’ai dit. Si, parmi cent articles, vous n’en avez recouvré qu’un, ne venez pas demander des dommages-intérêts pour les cent articles. Si vous n’avez fait verser au trésor que la centième partie de ce que vous avez découvert, ne demandez que le dixième de cette centième partie.
Mais ce sont des faits dont la cour d’appel n’a pas voulu recevoir la preuve que le gouvernement offrait de lui faire directement. Cependant la portée de cette demande ne pouvait être basée que sur la perte occasionnée, et pour moi, la cour n’a pas bien jugé dans l’espèce.
Je dois donc critiquer la décision de la cour. Et je ne donne pas par là un mauvais exemple. Il n’y a pas de commentateur qui n’ait critiqué un arrêt lorsqu’il était mal motivé. Pourquoi faudrait-il que les décisions judiciaires fussent motivées, si on ne voulait pouvoir par là apprécier si elles sont bien ou mal rendues ? Il n’en est plus aujourd’hui comme sous l’ancien régime.
Les décisions étaient rendues sans motifs ; aujourd’hui elles doivent être motivées. C’est une grande amélioration, et une des garanties les plus importantes pour l’exécution de nos lois.
Vous le voyez donc, messieurs, tous les points de mon discours qu’on a critiqués, n’ont pu l’être qu’en les dénaturant. Je maintiens ce que j’ai dit, et en conséquence je répète que je désire que nous ayons une loi sur les conflits ; je répète que les décisions judiciaires doivent être respectées au point de vue de leur exécution et du pouvoir qui les a rendues, mais je maintiens que tout citoyen, comme tout membre de la législature, peut les critiquer.
- Personne ne réclamant plus la parole, il est procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet ; il est adopté à l’unanimité des 51 membres présents.
Un membre, M. Dumortier, s’est abstenu.
Les membres qui ont voté pour le projet sont : MM. Cogels, Coghen, Cools, Coppieters, David, de Behr, de Garcia de la Vega, Delehaye, Delfosse, de Meer de Moorsel, de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, Deprey, de Renesse, de Terbecq, de Villegas, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dubus (aîné), Dumont, Fallon, Fleussu, Hye- Hoys, Jadot, Jonet, Kervyn, Lange, Lebeau, Lys, Malou, Manilius,, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Pirmez, Puissant, Raikem, Raymaeckers, Rodenbach, Savart. Sigart, Smits, Trentesaux, Troye, Van Cutsem, Van den Eynde, Verhaegen, Zoude.
M. le président. - Ce projet est ainsi conçu :
« Article unique. Il est ouvert au département des finances un crédit de la somme de deux mille cent seize francs et quarante centimes (fr. 2,116 40 c.), applicable au payement des intérêts arriérés des années 1831, 1832, 1833, 1834 et 1835, d’un capital de 8,000 florins des Pays-Bas, inscrit au grand livre auxiliaire de la dette active 2 1/2 p. c. à Bruxelles, au profit de l’administration des pauvres de Waterlandkerkje, en Zélande.
« Ce crédit formera l’article 18 du chapitre 1er du budget de la dette publique, exercice 1842. »
La commission des finances propose l’adoption du projet.
- Personne ne réclamant la parole, il est procédé au vote par appel nominal ; le projet est adopté à l’unanimité des 51 membres présents. Il sera transmis au sénat.
Ces membres sont : MM. Cogels, Coghen, Cools, Coppieters, David, de Behr, de Garcia de la Vega, Delehaye, Delfosse, de Meer de Moorsel, de Mérode Demonceau, de Muelenaere, Deprey, de Renesse, de Terbecq, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dubus (aîné), Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon. Fleussu, Hye-Hoys, Jadot, Jonet, Kervyn, Lange Lebeau, Lys. Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Pirmez, Raikem, Raymaeckers, Rodenbach, Savart, Sigart. Simons, Thienpont, Trentesaux, Troye, Van Cutsem, Van den Eynde, Vandensteen et Zoude.
M. le président. - L’ordre du jour appelle maintenant la discussion d’un projet de loi tendant à accorder un crédit au département de la guerre pour liquider des créances arriérées de ce département.
Le projet présenté par le gouvernement est ainsi conçu
« Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre un crédit de 468.778 fr. 97 c., applicable au paiement des dépenses des années 1830 à 1838, qui restent à liquider, et qui sont détaillées dans le tableau annexé à la présente loi.
« Cette allocation formera le chapitre IX du budget de la guerre, pour l’exercice 1842. »
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
La commission propose le projet suivant :
« Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre un crédit de deux cent neuf mille trois cent quarante-cinq francs trente-six centimes (209,315 fr. 36 c.), applicable au paiement des dépenses des années 1830 à 1838, qui restent à liquider, et qui sont détaillées dans le tableau annexé à la présente loi.
« Cette allocation formera le chap. X du budget de la guerre pour l’exercice 1842. »
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
M. le président. - Je demanderai à M. le ministre s’il se rallie au projet de la section centrale.
M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Oui M. le président.
- Personne n’ayant demandé la parole, la chambre adopte d’abord successivement les divers articles du tableau, qui est ainsi conçu (suit le tableau comprenant les créances individualisées, non repris dans la présente version numérisée).
Les deux articles du projet de la commission sont adoptés sans discussion.
Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l’ensemble du projet, qui est adopté, à l’unanimité, par les 53 membres présents.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) présente un projet de loi tendant à ouvrir à son département, un crédit de 30 mille francs, destiné à couvrir les frais de la police maritime. Il annonce que la nouvelle organisation de la police maritime aura lieu le 1er avril prochain.
- La chambre ordonne l’impression du projet présenté par M. le ministre ainsi que de l’exposé des motifs qui l’accompagne et le renvoie à la section centrale qui a examiné le budget de la marine.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) présente ensuite un projet de loi tendant à ouvrir à son département un crédit de 69.000 fr. pont régulariser les dépenses de l’exploitation de la British-Queen pendant l’exercice de 1842.
M. le président. - Désire-t-on renvoyer ce projet à une commission ou aux sections ?
Plusieurs membres. - Aux sections.
D’autres membres. - A la section centrale.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Je ferai remarquer qu’il se trouve joint au projet une multitude de documents dont l’impression serait très longue. Cependant si le projet était renvoyé aux sections, ces documents devraient nécessairement être imprimés.
M. Malou. - On pourrait renvoyer le projet à la section centrale qui, l’année dernière, a examiné l’affaire de la British-Queen.
- Cette proposition est mise aux voix, elle n’est pas adoptée.
Le renvoi aux sections est mis aux voix et adopté.
M. de Garcia. - Imprimera-t-on les documents qui se rattachent à la question sur laquelle la chambre vient de statuer ? (Oui, oui.)
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) présente un troisième projet de loi portant demande d’un crédit de 30,000 fr. nécessaire à l’entretien de la British-Queen dans le port d’Anvers, pendant l’année 1843.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce projet de loi, et le renvoie également aux sections.
M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition en date du 29 décembre 1842, plusieurs pharmaciens établis dans la province de Luxembourg demandent l’abrogation de la disposition de la loi du 12 mars 1818, qui autorise les médecins des campagnes ou des villes du plat pays à fournir des médicaments aux malades. »
« Par pétition datée le Stavelot, les sieurs Cornesse et Steisel, pharmaciens, demandent la révision de la loi du 12 mars 1818. »
« Par pétition sans date, plusieurs pharmaciens réclament une mesure qui mette un terme au débit de médicaments par des personnes étrangères à la pharmacie. »
M. Zoude. - C’est pour la dixième fois que je viens vous présenter les doléances des pharmaciens des campagnes, qui réclament, avec la plus vive instance la révision de la loi du 12 mars 1818, qui autorise les médecins du plat pays à confectionner eux-mêmes les médicaments qu’ils prescrivent ; quand nous disons « eux-mêmes », nous entendons leurs femmes, enfants et domestiques aussi, que d’erreurs déplorables ont souvent été signalées, et combien ont été ensevelies dans la tombe !
La chambre a toujours renvoyé ces pétitions au département de l’intérieur, et souvent on a répondu qu’une loi s’élaborait sur l’exercice de la médecine et que bientôt elle serait présentée ; mais voilà dix ans que ces promesses nous sont faites, et, bien qu’une académie de médecine soit érigée depuis bientôt deux ans, nous sommes encore à désirer l’œuvre de réparation.
Messieurs, les abus dont nous venons de vous entretenir ne peuvent être redressés que par une loi ; mais il en est d’autres que la loi existante peut réprimer et dont la tolérance compromet gravement, paraît-il, les pharmaciens des villes où se trouvent des hospices. Là, disent les pétitionnaires on exécute les ordonnances et l’on vend toutes espèces de médicaments ; aussi font-ils remarquer que les pharmaciens voisins de ces établissements voient leur pharmacie déserte, et, suivant leur expression, « ils succombent sous les charges de l’impôt, du renouvellement des médicaments et des frais quotidiens de leurs laboratoires. »
Cependant une ordonnance du gouvernement autrichien, du 16 mars 1772 fait défense formelle et expresse à tous couvents, hôpitaux, etc., de vendre ou débiter aucune drogue ou médicament.
En France, le ministre de l’intérieur, par un règlement en date du 31 janvier 1840, a remis en vigueur une délibération de l’école de médecine de Paris, du 9 pluviôse X, qui défend rigoureusement aux sœurs de charité la vente des médicaments et leur distribution au dehors des établissements auxquels elles appartiennent.
Votre commission signale tous ces griefs à M. le ministre de l’intérieur, auquel elle propose le renvoi de ces trois pétitions.
M. David. - Messieurs, j’ai déjà insisté, à plusieurs reprises, pour qu’on modifiât la loi de 1818 en faveur des pharmaciens des campagnes. On nous a répondu, dans ces derniers temps, qu’un projet devait être élaboré par l’Académie royale de médecine. Depuis longtemps déjà cette Académie doit être nantie de tous les documents qui lui sont nécessaires pour l’élaboration de cette loi.
Je prierai M. le ministre de l’intérieur de vouloir bien nous dire à quel point est arrivé le travail de l’Académie ; de toutes parts, on attend le projet de révision de la loi de 1818 avec la plus vive impatience.
M. Vandensteen. - Comme M. le ministre de l’intérieur n’est pas présent, on pourrait lui renvoyer les trois pétitions avec demande d’explications.
M. David. - C’est cela.
- La chambre décide que les trois pétitions seront renvoyées à M. le ministre de l’intérieur, avec demande d’explications.
La séance est levée à 4 1/4 heures.