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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 23 février 1843

(Moniteur belge n°55, du 24 février 1843)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

Le sieur Jacques-François Vogelsangs, fabricant de pianos de la cour à Bruxelles, né à Luyksgostel (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur François Lamenden prie la chambre de statuer sur sa demande en naturalisation. »

- Renvoi à la commission de naturalisation.


« Plusieurs négociants en toiles et fils de lin, et plusieurs cultivateurs de Waereghem demandent qu’on établisse,les droits à la sortie du pays sur le lin et les étoupes et à l’entrée sur les fils et les toiles venant de l’étranger. »

- Renvoi à la section centrale chargée, comme commission spéciale, d’examiner les amendements de MM. Van Cutsem et Vandenbossche.


« Le sieur Cornélis, négociant en cuivre à Malines, présente des observations contre les propositions de la section centrale, concernant les droits d’entrée sur le cuivre. »

M. Scheyven. - Je demande le renvoi à la section centrale, qui a été chargée d’examiner le projet de loi sur les droits d’entrée, comme commission spéciale.

J’ai été déterminé à proposer ce renvoi par une décision semblable que vous avez prise hier à l’égard d’une pétition qui vous était adressée par des négociants de Liége.

Comme cette pétition renferme des renseignements utiles, j’en demanderai l’insertion au Moniteur.

Le renvoi et l’insertion proposés par M. Scheyven sont ordonnés.


M. le ministre de l’intérieur adresse la dépêche suivante :

« Bruxelles, le 21 février 1843.

« A M. le président de la chambre des représentants.

« M. le président,

« Dans sa séance du 10 du courant, la chambre a décidé que les amendements de MM. van Cutsem et Vandenbossche, relatifs au régime de sortie des lins, seraient renvoyés à la section centrale chargée d’examiner la proposition de MM. de Foere, Rodenbach et Desmet, qui les examinera comme commission spéciale. Elle a, en même temps, décidé que cette commission serait complétée par le bureau.

« J’ai l’honneur de vous adresser, M. le président, en vous priant de les remettre à ladite commission, les documents de l’enquête supplémentaire que j’ai faite, en 1842, sur la question de la sortie des lins, avec le concours des chambres de commerce, des commissions d’agriculture et des députations permanentes des conseils provinciaux de Hainaut et des deux Flandres. Je joins à ces documents une analyse des avis exprimés par ces corps et autorités ainsi qu’une ampliation des deux circulaires qui leur ont été adressées.

« Je pense, M. le président, que la chambre pourrait être appelée à décider si ces divers documents doivent être, dès à présent, livrés à l’impression.

« Ainsi que l’a fait observer avec raison un honorable membre, dans la séance du 16 du courant, l’enquête supplémentaire que j’ai ouverte, en 1842, a porté sur la question des lins en général. Elle n’a pu avoir trait au point spécial qui forme la substance de la proposition de M. van Cutsem, relative aux lins fins, ni même à la distinction que veut, en outre, établir M. Vandenbossche entre les lins peignés et ceux non peignés.

« Cette circonstance m’a engagé à demander aux corps et autorités qui déjà ont été consultés un avis complémentaire sur ce double point.

« J’aurai l’honneur de vous transmettre leurs avis aussitôt qu’ils me seront tous parvenus.

« Veuillez recevoir, M. le président, les nouvelles assurances de ma haute considération.

« Le ministre de l’intérieur, Nothomb. »

M. le président. - Je proposerai le renvoi de ces pièces à la section centrale chargée comme commission spéciale de l’examen des amendements de MM. Vandenbossche et van Cutsem.

M. de Villegas. - Je demande l’impression des pièces annexées à la dépêche du ministre de l’intérieur.

M. le président. - M. le ministre a joint aux pièces adressées à la chambre, par sa dépêche, une analyse des avis exprimés par les autorités qu’il a consultées, en annonçant l’envoi d’autres renseignements quand ils lui seront parvenus. Veut-on maintenant seulement l’impression de l’analyse jointe aux pièces ou l’impression de toutes les pièces, qui paraissent assez volumineuses ?

M. Delehaye. - Les pièces déposées sur le bureau font partie de l’enquête ordonnée par le gouvernement dans le temps. C’est une suite de cette enquête. On l’a distribuée aux membres de la chambre. Si maintenant on se bornait à nous distribuer seulement l’analyse des nouvelles pièces déposées par M. le ministre, l’enquête serait incomplète ; il faut donc faire imprimer tous les documents.

Remarquez bien, messieurs, que cette enquête avait été ordonnée par le gouvernement, ce n’était pas une enquête parlementaire mais une enquête administrative. La commission qui a fait cette enquête a présenté des conclusions qui tendaient à frapper d’un droit certaines catégories de lin.

M. Cools. - C’est une erreur !

M. Delehaye. - Je sais que M. Cools n’est pas de cet avis, mais j’ai vu les pièces et j’y ai vu ce qui s’y trouve.

Maintenant, chose étrange, on vient nous remettre de nouvelles pièces venant en partie détruire les faits constatés par la commission qui avait été nommée par le gouvernement. Noue devons consulter ces pièces, pour voir si les nouvelles propositions sont fondées.

Par ces motifs, je me rallierai à la proposition de M. de Villegas, je demanderai que toutes les pièces déposées soient imprimées et distribuées, sans cela nous ne pourrions pas comprendre comment il se fait que des propositions contradictoires émanent du gouvernement,

M. le président. - La question est de savoir s’il y a lieu d’ordonner maintenant l’impression de toutes les pièces ou seulement l’analyse des avis contenus dans ces pièces.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La chose doit m’être assez indifférente. J’ai voulu qu’il n’y eût pas de surprise. M. Desmet m’avait, dans une séance précédente, demandé des explications sur l’enquête supplémentaire. Vers la fin de l’année dernière, j’ai annoncé que j’allais faire une enquête sur les faits nouveaux qui étaient signalés, à savoir la diminution de l’exportation de nos lins. Cette enquête a eu lieu, les pièces sont déposées sur le bureau. M. Desmet a demandé l’impression de cette enquête, mais on n’a pas statué sur sa proposition. J’ai adressé les pièces qui la composent, laissant à la chambre à décider s’il faut dès à présent imprimer ces pièces ou les renvoyer à la commission extraordinaire chargée d’examiner les propositions de MM. Vandenbossche et Van Cutsem, qui les annexerait à son rapport avec les autres pièces que je lui enverrai encore.

C’est à vous de voir si vous voulez ordonner dès à présent l’impression de toutes les pièces, au risque d’en imprimer d’inutiles, ou les renvoyer à la commission en lui laissant le soin de les annexer à son rapport ou même de n’en faire imprimer qu’une partie si elle le juge convenable. Pour moi, la chose m’est assez indifférente ; ce que je voulais, c’est que la chambre eût connaissance des nouveaux documents que j’ai recueillis.

M. Cools. - Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai dit dans une séance précédente de l’opinion des membres de la commission d’enquête sur l’importance d’un droit à la sortie sur les lins. La chambre a les pièces sous les yeux, elle a pu y voir jusqu’à quel point on a exagéré les opinions répandues dans le pays. Maintenant il s’agit de savoir ce qu’il faut décider relativement aux pièces déposées sur le bureau. Je partage l’opinion de MM. Delehaye et Villegas, que ces pièces font partie de l’enquête ordonnée par le gouvernement, que toute publicité doit leur être donnée. Mais ces pièces sont volumineuses, nous ne devons pas les faire imprimer dans le Moniteur ; il faut en ordonner l’impression dans la forme des documents de la chambre qu’on distribue aux membres et se borner à imprimer dans le Moniteur l’analyse du contenu des pièces. De cette manière, nous aurons une idée sommaire du contenu de l’enquête supplémentaire.

M. Desmet. - Comme la question est contestée dans le pays et dans cette chambre, et qu’on a fait une enquête supplémentaire, il faut que l’on connaisse l’enquête tout entière. Pour cela que faut-il imprimer ? Non seulement l’analyse des documents mais les documents eux- mêmes, afin de connaître les questions posées et les réponses qui y ont été faites par les chambres de commerce, les députations permanentes et les commissions d’agriculture, car il importe de connaître comment les questions ont été posées et les réponses faites. Je sais que M. le ministre ne s’oppose pas à l’impression que je demande. Comme les amendements de MM. Van Cutsem et Vandenbossche ne portent que sur les lins fins, je prierai M. le ministre de prendre des renseignements nouveaux pour savoir si ces qualités de lin ne sont pas enlevées de nos marchés par l’étranger.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est déjà fait. Hier j’ai signé les circulaires adressées aux mêmes autorités pour avoir leur avis sur les amendements de MM. Vandenbossche et Van Cutsem.

M. de Villegas. - Je me rallie à la proposition de M. Cools, de faire imprimer les pièces dont il s’agit dans la forme des documents parlementaires, et d’insérer l’analyse dans le Moniteur.

M. Rodenbach. - M. le ministre vient d’annoncer qu’il a envoyé les amendements de MM. Van Cutsem et Vandenbossche aux autorités qu’il a consultées dans son enquête supplémentaire ; il aura un nouveau rapport à faire ; ne vaut-il pas mieux attendre ce rapport avant de rien décider pour imprimer le tout ensemble ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous n’aurez pas ce rapport avant un mois.

M. Rodenbach. - Alors, je me rallie à la proposition de M. Cools.

M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition de M. Cools.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne sais pas s’il est nécessaire d’insérer dans le Moniteur l’analyse jointe aux pièces qui n’est qu’une simple table des matières, il vaudrait mieux la joindre aux pièces.

M. de La Coste. - Je ferai observer que plusieurs membres n’ont pas ces documents. Je demanderai à M. le ministre de l’intérieur ou à la chambre de les leur faire distribuer.

- La proposition de M. Cools, modifiée par M. le ministre de l’intérieur, est adoptée.

Projet de loi sur les sucres

Discussion générale

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, mon intention n’est pas d’examiner sous toutes ses faces l’immense question des sucres. Je désire seulement motiver mon opinion et fixer l’attention de la chambre sur quelques-unes des conséquences du projet pour lequel le ministère s’est prononcé en dernier lieu.

Le système présenté par le gouvernement repose sur deux principes d’une haute gravité et que je considère comme fort dangereux ; d’abord l’égalité des droits pour les deux industries d’où doit résulter nécessairement l’anéantissement de la fabrication du sucre indigène, et, en second lieu, l’indemnité en faveur des entrepreneurs de cette industrie.

D’un autre côté, ce système laisse subsister le régime exagéré des primes, contre lequel on s’est si souvent élevé dans cette enceinte et dans le pays, régime qui entraîne de si graves inconvénients, de si étranges anomalies ; et je signalerai entre autres celle indiquée hier par un orateur, l’honorable M. Dumortier, anomalie qui consiste, par exemple, en ce que la matière première de l’industrie du raffinage, c’est-à-dire le sucre brut exotique, est aussi chère dans les entrepôts que le produit fabriqué lui-même, le sucre raffiné.

Je ne m’étendrai pas, du reste, sur les abus de ce régime exagéré de primes ; on en a déjà parlé si souvent ; on s’est déjà étendu si longuement à cet égard, que je ne pourrais que répéter ce qui a déjà été dit et publié.

Les orateurs favorables au système ministériel soutiennent que les deux industries ne peuvent pas exister ensemble.

D’abord, je dirai que c’est là une opinion qui a surgi tout à coup dans l’esprit du gouvernement ; car naguère, il y a environ deux mois, le ministre avait présenté un projet dont la base était la coexistence des deux industries ; et il espérait que le revenu du trésor ne souffrirait pas de cette coexistence.

D’un autre côté, l’honorable M. Cogels qui fait partie de la section centrale, nous disait également, dans le discours qu’il a prononcé, que lui aussi avait cru très longtemps la coexistence des deux industries possible, et que c’est depuis peu seulement qu’il avait changé d’opinion. Mais, vis-à-vis de cette opinion nous en avons une autre non moins imposante : c’est celle de la presqu’unanimité de la section centrale. La section centrale (qui, certainement a aussi examiné et approfondi la question des sucres, et ce qui en fait foi, ce sont les rapports qu’elle a présentés et que tout le monde s’accorde à trouver remarquables), la section centrale a pensé qu’il y avait moyen de procurer au trésor des revenus considérables, en maintenant les deux industries.

En présence de cette divergence d’opinions, comment veut-on que la majorité de cette chambre soit convaincue dès à présent qu’il faut supprimer l’une des deux industries, Cette question n’a pas même été examinée dans les sections ; elle nous est apparue inopinément en quelque sorte. Il y a une couple de mois à peine que tous, y compris le gouvernement, nous considérions comme possible la coexistence des deux industries, en augmentant les revenus du trésor. Ainsi, ce n’est donc que depuis peu que nous sommes saisis de cette opinion nouvelle qui a été importée de France : l’anéantissement de l’industrie de la betterave avec indemnité pour ses fabricants.

Il me semble cependant qu’avant d’en venir à une mesure aussi grave, aussi inusitée, il faut que nous ayons une conviction bien profonde, que nous soyons bien persuadés qu’il n’y a pas d’autre moyen de sortir des difficultés de la question. Or, comme je le disais tout à l’heure, dans l’état actuel les choses, en présence des opinions divergentes qui se sont manifestées, il est impossible que nous prenions une mesure aussi violente. Je crois qu’en effet ce serait agir avec une grande précipitation, et même avec une excessive légèreté que d’adopter dans l’état actuel de la question, le projet ministériel.

Lorsqu’une industrie s’est établie sur le sol du pays, lorsqu’un grand nombre d’intérêts s’y rattache, lorsqu’elle a beaucoup d’utilité, lorsqu’elle contribue à la prospérité de la principale force, de la principale source de la richesse du pays, l’agriculture, ce n’est pas une chose peu importante que de prononcer volontairement, législativement la suppression de cette industrie. Je sais qu’on a nié son influence bienfaisante sur l’agriculture. Mais je dirai à cet égard que les agronomes les plus distingués de Belgique sont tous d’accord pour proclamer cette influence. Je lisais dernièrement un article remarquable sur ce point, dans un journal consacré à l’agriculture, la Sentinelle des Campagnes. Le rédacteur de ce journal, qui est l’un de nos agronomes les plus distingués, ne met pas en doute l’influence bienfaisante de la culture de la betterave en Belgique. Et quand cette industrie n’aurait d’autre mérite qui de faire vivre 5 ou 6 mille ouvriers (dernièrement un orateur en portait le nombre à 10,000), elle mériterait à ce titre notre considération et notre sympathie. Il est certain que ce qui concerne la classe ouvrière doit attirer surtout l’attention du gouvernement et de la législature.

La plaie du paupérisme appelle toutes les méditations des hommes d’Etat, des économistes modernes ; or, l’industrie de la fabrication de la betterave est un remède au paupérisme. Bien des ouvriers, comme on l’a dit et répété, y trouvent des moyens d’une heureuse existence.

Je dois dire cependant que je ne suis pas un partisan fanatique de cette industrie nouvelle ; je ne suis pas même sans crainte sur son avenir ; elle est en face d’une rivale extrêmement redoutable. Je ne nie pas qu’il soit possible que, dans l’avenir, cette rivale finisse par l’écraser. J’ai même, je le répète, beaucoup de craintes à cet égard. Mais, d’un autre côté, je ne suis pas convaincu qu’il en sera ainsi, que cette industrie ne puisse pas se soutenir, ne puisse pas prospérer. Je crois qu’il y a incertitude à cet égard. Certes, la canne, chimiquement parlant, a un grand avantage sur la betterave ; mais celle-ci, en compensation est placée sur les lieux de consommation ; il faut donc que les produits de sa rivale traversent les mers, pour lutter sur le marché intérieur. Ensuite la betterave ne sert pas seulement à faire du sucre ; ses résidus servent nourrir le bétail. Voilà un avantage encore qu’elle possède sur la canne. Pourquoi dès lors nous hâter de la supprimer ?

Cette industrie, qu’on signale comme si débile, est restée pourtant debout jusqu’à présent sur notre sol ; elle est debout en France, malgré l’antagonisme du sucre de betterave ; elle est florissante en Allemagne. Ainsi, tandis que chez nos voisins elle est dans cet état, nous irions les premiers nous lancer dans une voie nouvelle, nous hâter de la supprimer. ! Je sais qu’elle est à l’abri d’une protection puissante ; mais la protection douanière, on l’accorde dans notre système à toutes les branches d’industrie ; on doit l’accorder surtout à une industrie nouvelle qui n’a que six années d’existence. Dans l’avenir, sans doute, comme je le désire, cette protection pourra être diminuée progressivement. Mais si dans l’état actuel des choses, nous nous hâtions de prononcer l’interdiction de cette branche d’industrie, nous nous préparerions peut-être des regrets amers pour l’avenir.

Je conçois les préoccupations des défenseurs de la canne à sucre ; ils craignent que, si elle ne tue pas sa rivale, elle ne soit tuée par elle ou par la législation qui sera adoptée. C’est une crainte très rationnelle, à laquelle nous devons attacher beaucoup d’importance, ceux surtout qui comme moi désirent concilier les deux intérêts.

Je ne chercherai pas, du reste, à faire ici la part des deux industries dans les intérêts généraux du pays. Si même il fallait décidément prononcer la suppression d’une des deux industries, j’hésiterais ; je serais dans le doute sur celle qu’il faudrait sacrifier.

Je ne nie pas l’influence du sucre de canne sur nos exportations ; mais je trouve qu’on l’a infiniment exagérée ; cependant cette influence existe, elle est bienfaisante. D’autre part, je ne pense pas que l’on doive toujours mettre en opposition les intérêts agricoles et commerciaux. Je ne crois pas qu’on doive sacrifier en holocauste les uns aux autres. Je pense que ces divers intérêts ne doivent pas se combattre, mais s’entraider autant que possible.

Mais quand nous aurons supprimé l’industrie de la betterave, ce ne sera pas tout. Personne certes dans cette chambre ne voudrait l’anéantir par la loi sans indemnité. Si elle vient à tomber d’elle-même plus tard, c’est différent. Mais, dans les circonstances actuelles, passer tout d’un coup de l’absence de tout droit à l’égalité des droits, ce serait dire que nous ne voulons plus cette industrie. Si l’on proposait une gradation, je le concevrais. Mais maintenant le sucre de betterave ne paye aucun droit, et tout à coup vous voudriez l’égalité des droits.

Messieurs, cette mesure est de nature à soulever encore plus de répugnance quand on voit qu’elle entraîne inévitablement à sa suite le principe de l’indemnité.

Le premier résultat de cette loi serait donc d’occasionner une dépense de plusieurs millions au trésor ; et ces millions ne seraient-ils pas suivis de plusieurs autres ? Peut-on calculer les conséquences d’un principe pareil, inséré dans notre législation ? Qui peut vous dire que d’autres industries qui succomberaient, ne viendraient pas, et avec autant de raison que la betterave, réclamer aussi, à chaque mouvement de notre législation, une indemnité ?

D’un autre côté nous avons déjà un amendement de l’honorable M. Rogier, conçu dans des vues d’intérêt pour l’agriculture, mais qui augmente encore les sacrifices à faire par suite de la loi qui nous est proposée.

Remarquez, messieurs, combien ce principe serait dangereux, en présence surtout de l’organisation actuelle de l’industrie de la libre concurrence, lorsque chacun peut élever à côté d’un établissement industriel un établissement rival, lorsque chacun peut se lancer dans les hasards d’une nouvelle invention. A chaque instant il doit donc résulter de cette lutte acharnée entre les producteurs des pertes, des mécomptes, l’abandon d’une branche d’industrie. Et vous iriez écrire dans votre loi que vous indemniserez, qu’il y a des cas du moins ou vous indemnisez de semblables pertes ? Songez-y bien, messieurs, une loi dans ce sens ne serait pas une loi fiscale, mais ce serait peut-être une loi destructive de nos finances.

Je sais bien qu’on nous dit que nous trouverons tout de suite une compensation dans l’augmentation des revenus du trésor ; nous aurons : les uns disent 4, les autres 6 millions par an. J’avoue que j’ai beaucoup de doutes à cet égard ; je ne vois pas la garantie suffisante d’un revenu pareil. Déjà il existe dans les vues des défenseurs du sucre de canne divergence d’opinion, désaccord sur un point. Le projet de M. le ministre des finances propose de réserver 4/10 du montant des prises en charge au trésor ; eh bien, d’autres orateurs vous proposent déjà de n’en réserver que 2/10. Qu’arrivera-t-il donc dans l’avenir, quand cette industrie, étant maîtresse du marché intérieur, appuyant ses intérêts sur ceux du commerce extérieur, viendra vous demander, dans cette enceinte, de modifier des conditions qu’elle dira trop onéreuses ?

L’honorable M. Rogier vous disait hier : Si vous adoptez le système de conciliation, dans un an peut-être on viendra déjà réclamer des changements. Cela est possible, mais quoi que nous fassions, je crois qu’on viendra toujours réclamer ; je crois que nous n’obtiendrons pas une législation telle que l’une ou l’autre industrie ne se plaindra pas ; qu’elle ne viendra pas dire qu’elle n’est pas assez protégée, ou que les impôts sont trop élevés. C’est à quoi nous devons donc tous les ans nous attendre.

Ainsi, messieurs, nous décréterions par la loi une indemnité de plusieurs millions, nous poserions un principe fâcheux, sans avoir de certitude absolue d’un accroissement très notable des revenus du trésor.

D’un autre côté, messieurs, cette indemnité que vous proposez d’accorder, quel effet produira-t-elle ? A quelle somme s’élèvera-t-elle ? De quelle manière sera-t-elle répartie ? Nous sommes dans le doute à cet égard. L’honorable M. Rogier vous disait hier lui-même qu’il ignorait à quelle somme elle pourrait s’élever. Nous ne sommes donc pas suffisamment instruit pour décider une question pareille ; quant à moi je suis dans l’ignorance la plus complète sur tous ces points.

Vous bornerez-vous à indemniser les fabricants ? Négligerez-vous d’indemniser les autres industries qui sont intéressées à l’alimentation des sucreries de betterave, les houillères, par exemple ? Négligerez-vous surtout le sort bien plus intéressant encore de la classe ouvrière qui est attaché à ces établissements ?

Les fabricants, par le régime industriel qui existe, sont exposés à toutes sortes de vicissitudes. Quand ils constituent une industrie nouvelle, ils doivent s’attendre à des revers ; ils peuvent les prévoir, ils savent que des changements de législation peuvent leur être funestes. Mais pour l’ouvrier, il n’en est pas de même. Il est confiant dans cette industrie qui vient de s’établir. Il vient construire des habitations près de l’établissement industriel, il y fixe le siège de son domicile, il ne prévoit ni les changements de législation, ni la concurrence, ni les événements qui peuvent se présenter. Eh bien, ce serait précisément l’ouvrier qui serait abandonné, qui ne recevrait pas d’indemnité, du moins on ne nous en dit rien !

Je sais bien qu’on prétendra que ces ouvriers peuvent aller s’établir ailleurs. Cela est facile à dire, messieurs, mais le classement d’un grand nombre d’ouvriers forcés d’abandonner un établissement, ne se fait pas spontanément ; il y a une grande somme de misère qui les sépare de l’instant où ils quittent cette industrie qui les avait fait vivre, et l’instant où ils retrouvent un autre établissement qui lui donne encore l’existence. C’est là un des grands malheurs de la classe ouvrière actuelle ; c’est que, par, suite de l’organisation de l’industrie, elle est toujours exposée à être victime des vicissitudes qui se présentent.

Ainsi, messieurs, ce système d’indemnité que l’on présente comme un palliatif de la suppression violente d’une industrie qui intéresse un si grand nombre de communes, ne serait qu’insuffisant, inefficace.

Savez-vous ce qu’un des jurisconsultes les plus distingués de la France, M. Dupin, a dit sur ce principe d’indemnité, dans la discussion qui a eu lieu en 1840, en France, sur la question des sucres ?

Voici comment il s’est exprimé : « Messieurs, je n’ai point la prétention, au point où est arrivée la discussion, de la traiter avec toute l’étendue qu’elle a reçue, soit de la part de M. le président du conseil, soit de la part de l’honorable M. Berryer. Beaucoup de choses ont été dites, bien dites et sont suffisamment saisies ; mais pour moi il est une chose qui est plutôt encore un sentiment qu’une opinion ou plutôt qui est l’un et l’autre et que je tiens à exprimer : C’est de combattre cette proposition de tuer une industrie par une industrie.

«Le système d’indemnité est un système que je repousse de toute ma force, comme le principe le plus faux, le plus funeste, le plus désastreux, dont l’exemple puisse être introduit dans notre législation. »

Voulez-vous maintenant savoir ce qu’a dit M. Thiers sur la suppression du sucre de betterave ?

Voici ce qu’il a dit dans la même discussion : « Vous commettriez, dit-il, une faute énorme si vous interdisiez la fabrication du sucre indigène, une de ces fautes qui déconsidèrent les nations. »

Il est vrai que maintenant le système de la suppression du sucre de betterave avec indemnité est de nouveau présenté en France. M. Lacave-Laplagne, qui en est le promoteur, si je ne me trompe, le remet en avant depuis sa rentrée au ministère. Mais il paraît, d’après ce qui s’est passé dans les bureaux de la chambre des députés, que ce système n’a pas beaucoup de chances d’être adopté.

D’ailleurs, messieurs, on vous l’a dit plusieurs fois, en France la question n’est pas la même. Là il s’agit de se prononcer entre deux industries nationales ; en Belgique il s’agit de se prononcer entre la production indigène et la production étrangère. Dans tous les cas je ne vois pas pourquoi ce serait nous qui nous lancerions les premiers dans cette expérience ? Pourquoi nous nous hâterions dès maintenant d’entrer dans cette voie nouvelle ?

Ainsi, messieurs, je suis, quant à moi, pour un système qui, en procurant une augmentation notable de revenus au trésor, maintiendrait l’existence des deux industries. Je sais bien que certains intérêts souffriront de cette augmentation d’impôts ; il est impossible qu’il en soit autrement. Chaque fois qu’on frappe une industrie d’une majoration d’impôts, ses intérêts doivent nécessairement en souffrir. Mais de cette souffrance jusqu’à l’interdiction totale il y a loin.

Je ne me prononcerai pas, du reste, encore maintenant sur le chiffre de rendement. Je verrai si quelque proposition nouvelle n’est pas présentée à cet égard. Mais dès le moment actuel, dans l’état de la question, je me déclare opposé au système fondé sur l’égalité des droits qui entraînerait nécessairement la suppression d’une industrie intéressante pour le pays, et l’adoption d’un principe dangereux dans notre législation.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, il faut bien en convenir, voilà six jours de discussion générale et la question n’a pas beaucoup avancé, les discours se succèdent, mais se rencontrent rarement. Ainsi, l’honorable M. d’Hoffschmidt vient de reproduire un argument employé hier par l’honorable M. Dumortier, et qui avait été immédiatement réfuté par l’honorable M. Cogels. L’honorable M. Dumortier avait soutenu qu’il y avait des primes et des primes exorbitantes pour l’industrie du sucre exotique, et que la preuve de l’existence de ces primes, il la trouvait dans le prix d’entrepôt des sucres raffinés et le prix des sucres bruts.

L’honorable M. Dumortier a pris la valeur du sucre Havane, et il l’a comparé à la valeur du sucre lumps. Mais l’honorable M. Cogels lui a immédiatement fait remarquer que le sucre lumps se fabriquait avec un sucre inférieur, et que, par conséquent, il n’y avait aucune comparaison à établir entre ces deux qualités de sucre.

M. Dumortier. - On peut faire du sucre lumps avec du sucre Havane ; il y a même avantage.

M. le ministre des finances (M. Smits) - On peut en produire, oui, mais cela ne se fait presque jamais.

Messieurs, je tâcherai de rencontrer les principales objections qui ont été présentées contre le système du gouvernement. Toutefois je ne répondrai pas aux insinuations dont j’ai été l’objet de la part de l’honorable M. de La Coste ; je n’y réponds point dans l’intérêt de ma propre dignité.

Ce qui m’étonne dans la bouche de l’honorable membre, c’est qu’ayant été autrefois ministre, il ait perdu de mémoire que l’arme des insinuations personnelles ne s’emploie ordinairement qu’à défaut d’autres raisons. Mais, messieurs, laissons là les insinuations et occupons-nous de la question elle-même.

Ou s’est beaucoup exagéré l’utilité de la culture de la betterave dans ses rapports avec l’agriculture. Je ne conteste pas que cette culture ne soit favorable sous quelques rapports, mais je conteste qu’elle soit utile au point de vue de l’économie sociale, à l’ensemble des intérêts du pays. En effet, messieurs, nous avons 36 raffineries de sucre de betteraves ; supposez qu’elles soient disséminées dans 36 communes différentes ; ces raffineries emploient ensemble 2,500 hectares environ, cela fera donc 69 hectares pour chaque commune qui possédera une fabrique. Vous comprendrez, messieurs, qu’il ne peut pas y avoir dans l’emploi d’un si petit espace de terrain une grande utilité pour l’agriculture, si l’on considère le grand nombre d’hectares que comprend généralement une commune.

Ces hectares de terre employés à la culture de la betterave, sont généralement soustraits d’une manière permanente aux rotations ordinaires de l’agriculture ; et cela, messieurs, par une raison toute simple que la chambre comprendra sans peine, c’est que la betterave est une matière essentiellement pondéreuse, qui ne supporte pas de longs transports, et que dès lors elle doit être cultivée dans les environs des fabriques ; le fabricant est donc obligé d’ensemencer constamment de betteraves les mêmes champs. Je dis donc que ces 2,500 hectares échappent en général aux rotations régulières de l’agriculture. Ce fait, messieurs, a été constaté par beaucoup d’industriels en France, entre autres par M. Crespel ; il m’a été confirmé ici par un industriel respectable, qui m’a avoué que pendant 7 années consécutives il a cultivé des betteraves sur les mêmes terrains. Il est évident, d’après cela, que les 2,500 hectares employés à la culture des betteraves ne produisent plus de céréales.

Maintenant, messieurs, ces 36 fabriques combien d’ouvriers emploient elles ? Ces 36 fabriques emploient chacune 56 ouvriers mâles, et 44 ouvrières et enfants, C’est là un chiffre maximum ; c’est le personnel d’une fabrique travaillant 4 millions de kilog. de betteraves. Ainsi, messieurs, les plus grandes fabriques emploient 100 ouvriers ; je pourrais dire à quoi ces ouvriers sont employés, mais je croirais abuser des moments de la chambre, si j’entrais dans ces détails. Admettant, messieurs, que le même nombre d’ouvriers soit employé dans chacune des 36 fabriques de sucre indigène qui existent dans le pays, nous aurons un total de trois mille six cents personnes, mais qui ne travaillent que pendant une partie de l’année, c’est-à-dire cent vingt-trois journées de vingt-quatre heures Comparez à ce nombre d’ouvriers celui qui est employé aux fabriques de sucre exotique, et certes la balance sera en faveur de cet dernières, car indépendamment des ouvriers qui sont constamment dans les usines, il y en a un grand nombre qui sont chargés de surveiller les entrepôts, le chargement et le déchargement des marchandises. Ensuite, messieurs, il y a cette différence entre la condition des ouvriers des deux espèces de fabriques, c’est que dans le cas où la culture de la betterave viendrait à cesser comme production industrielle, les ouvriers qui y sont employés trouveraient encore du travail dans l’agriculture, tandis que les ouvriers des raffineries de sucre exotique se trouveraient sans pain, sans moyens d’existence.

J’ai dit tantôt, messieurs, que l’agriculture n’est pas intéressée à la conservation de la culture des betteraves, comme élément manufacturier ; mais je pourrais soutenir la même opinion en examinant la question sous le rapport des subsistances. Jusqu’ici, messieurs, nous avons été favorisés par des récoltes abondantes depuis 1830, jusqu’à ce jour, nous n’avons pas eu, que je sache, une année de petite récolte. Eh bien ! S’il arrivait cependant des années calamiteuses, quelle serait notre position ? Aujourd’hui même nous importons déjà une masse de céréales, nous n’en produisons pas en quantité suffisante. Ainsi, messieurs, dans les dix dernières années, nous avons importé au-delà de nos exportations en froment 162 millions de kilog. ; en seigle 51 millions ; en orge 27 millions ; en avoine 160 millions. Voilà, messieurs, pour les céréales ; quant aux graines, nous en avons importé au-delà de nos exportations 64 millions de graines de chanvre, 97 millions de colzas, 60 millions de graines de lin, etc.

Ce sont là, vous le voyez, messieurs, des quantités considérables dont nous sommes en déficit. Veuillez maintenant remarquer la progression que cette importation a suivie dans la période de 1837 à 4842, comparativement à la période de 1831 à 1836. Vous savez, messieurs, que c’est en 1836 que la culture de la betterave a commencé à prendre quelque développement dans notre pays.

Nous avons importé au-delà de nos exportations. En froment, 46 millions de kilogrammes de 1831 à 1836, et 135 millions de kilogrammes de 1837 à 1842 ; en seigle, de 1831 à 1836, 38 millions et de 1837 à 1842, 157 millions ; en orge, de 1831 à 1836, 90 millions et de 1837 à 1842, 147 millions. Pour l’avoine, l’importation de la dernière période a été inférieure à celle de la période précédente.

Je n’attribue pas, messieurs, cet accroissement de nos importations exclusivement à l’introduction de la culture de la betterave, mais toujours est-il que le gouvernement et la législature doivent prendre des précautions pour que les terres qui peuvent produire des céréales ne soient pas distraites de leur destination véritable ; car, messieurs, s’il arrivait une année de mauvaise récolte, quelle serait, je le répète, notre situation ? Veuillez bien remarquer que si une année calamiteuse se présentait pour nous, la même chose aurait lieu pour le nord de la France, pour la Hollande, pour une partie de l’Allemagne, pour l’Angleterre. Or, messieurs, à quelle source ces pays vont-ils puiser ? C’est à celle de la Baltique et de la mer Noire, toutes les nations afflueraient donc à la fois dans ces parages, et conséquemment la Belgique, qui a vu décroître son commerce de céréales, la Belgique dont le commerce de céréales est compromis, pourrait bien arriver la dernière. Certes, nous ne pourrions trouver aucune ressource dans les pays qui nous avoisinent, puisque ces pays seraient eux-mêmes obligés de combler leur déficit, à l’étranger. Et vous savez, messieurs, que le commerce des céréales se fait sans échanges, qu’il se fait presque toujours avec des capitaux. C’est parce que nous ne produisons pas assez de céréales que nous dépensons annuellement 5 millions environ pour en faire venir de l’étranger.

L’honorable M. Eloy de Burdinne a objecté à ceux qui soutiennent que la culture de la betterave n’est pas favorable à l’agriculture, que l’expérience lui avait fourni la preuve qu’un champ ensemencé de betteraves produit ensuite plus de céréales qu’un autre champ. Je crois, messieurs, que l’honorable M. Eloy de Burdinne a raison. En effet la betterave est une plante sarclée qui exige beaucoup de soins et dont la culture purge et meuble la terre ; mais aussi cette plante exige une masse d’engrais. La betterave ne prend pas tout le suc de ces engrais, il en reste une partie dans la terre et lorsque l’année suivante on sème des céréales dans cette terre il n’est pas étonnant qu’elle produise alors plus qu’elle ne donnerait si l’on n’y avait pas mis une aussi grande quantité d’engrais.

Ainsi, messieurs, cela s’explique très naturellement, mais qu’on remarque aussi que si les engrais qu’on a employés à ces terres, avaient été moins répartis, l’agriculture en général s’en serait mieux trouvé.

Il a été constaté par des documents fournis au gouvernement français que les charretées de fumier qui se vendaient autrefois 5 francs dans le département du Nord, s’y vendent aujourd’hui de 15 à 20 francs, or, là où le fumier est cher, il est impossible que l’agriculture en général s’en trouve bien.

Je le répète donc, messieurs, si, d’un côté, l’agriculture n’est pas très fortement intéressée à la culture de la betterave, d’un autre côté, l’industrie, le commerce général du pays, le maintien de sa navigation, l’extension de ses échanges, obligent le gouvernement et les chambres à conserver autant qu’il est en eux l’exploitation du sucre exotique

L’honorable M. Savart-Martel nous a dit : « Votre commerce est extrêmement restreint, vous n’en faites presque plus ; autrefois, la Belgique était assez prospère ; mais une fois que le commerce a abandonné un pays, il n’y revient plus. »

Cela est vrai pour les pays qui se perdent complètement ; cela était vrai pour Carthage, pour Venise, mais cela n’est pas vrai pour la Belgique. La Belgique a été florissante sous le rapport commercial, dans les 15ème et 16ème siècles, mais la Belgique peut redevenir aussi prospère qu’elle l’était à cette époque, et je crois même qu’elle l’est déjà. Quand j’entends parler du grand commerce que la Belgique faisait autrefois, des 900 navires qui sillonnaient l’Escaut par jour, je me demande où sont les vestiges de ce grand commerce, où sont ses entrepôts, ses magasins ? Je ne les découvre nulle part. Il est probable que ces 900 navires qu’on a cités étaient des bâtiments d’un moindre tonnage que ceux que nous avons aujourd’hui.

Quoi qu’il en soit, la Belgique se trouve placée dans la position la plus heureuse pour étendre son commerce, et la chambre l’a tellement reconnu qu’elle n’a pas hésité à consacrer 150 millions à la construction du chemin de fer, à cette communication toute nationale qui doit constituer la Belgique comme l’intermédiaire obligé des échanges des peuples occidentaux.

Maintenant, on veut détruire le commerce de sucre qui est le principal élément de nos échanges ; mais si vous détruisez le commerce du sucre, vous détruisez en même temps ce que vous avez voulu ériger à si grands frais ; si vous n’avez plus de commerce du sucre, vous n’avez pas de navigation ; si vous n’avez pas de navigation, vous ne pouvez espérer de devenir un pays de transit ; si vous n’êtes pas un pays de transit, un intermédiaire entre les nations qui vous avoisinent, le chemin de fer devient inutile, les primes pour construction de navire, les autres mesures que vous avez votées pour établir des relations commerciales, tout cela se réduira en perte pour le pays. Les vérités que je viens d’énoncer ont été admirablement développées hier par l’honorable abbé de Foere.

Mais, nous dit-on, vous plaidez la cause du sucre de canne, comme on la plaide en France, et la différence cependant est du tout au tout ; la France a des colonies ; nous, nous n’en avons pas. En France, c’est une question de puissance maritime, une question politique ; chez nous, c’est une question de minime importance ; nous n’avons pas de colonies ! Mais c’est précisément, messieurs, parce que nous n’avons pas de colonies, que nous devons tâcher de diviser nos produits dans les colonies étrangères, et si nous ne pouvons pas y prendre les sucres, en retour des produits que nous y envoyons, évidemment ces colonies iront s’approvisionner ailleurs.

Remarquez-bien, messieurs, que les pays qui possèdent des colonies peuvent leur faire la loi, mais nous ne pouvons pas faire la loi à des colonies indépendantes ; force nous est de prendre ce qu’elles ont à nous donner en échange de ce que nous leur apportons. La question se réduit toujours à ceci : pour pouvoir vendre, il faut pouvoir acheter.

La France a des colonies, la France peut leur dire : vous ne produirez plus de sucre ; elle peut leur dire encore : vous continuerez à produire du sucre, mais je vous mets dans un état d’indépendance, vous pouvez exporter vos produits partout ailleurs qu’en France, mais sous pavillon français. De cette manière, messieurs, la France retrouverait toujours sa pépinière de marins pour sa force maritime militaire.

Je viens de supposer la déclaration d’indépendance des colonies françaises ; et, messieurs, si la difficulté relative aux sucres n’est pas aplanie, je m’attends à ce que des propositions soient faites à la tribune française, pour que les colonies puissent exporter leurs sucres vers d’autres parages que vers la France.

Messieurs, nous n’avons pas de colonies ! Mais, je le répète encore, car je ne saurais assez insister sur ce point, c’est précisément parce que nous n’avons pas de colonies que nous sommes obligés de conserver nos échanges transatlantiques, et nous sommes, sous ce rapport, veuillez ne pas le perdre de vue, nous sommes dans les meilleures conditions, car l’Angleterre, la France, la Hollande ne chargent pas les sucres des colonies où nous allons déverser nos produits ; nous sommes donc dans une condition plus favorable que ces trois Etats, et c’est précisément pour cela que les colonies sont intéressées à prendre une plus grande partie de produits de nos manufactures.

On a dit plusieurs fois que nos relations, nos échanges étaient insignifiants, et que le commerce des sucres n’avait pas produit de très grands résultats, que la balance était constamment en notre défaveur.

Mais, messieurs, cela ne doit pas étonner. En effet, les relations que nous avons avec les colonies ne datent pas de fort loin. Autrefois, toutes nos opérations étaient dirigées sur Java ; mais depuis la perte de cette colonie, nous avons dû nouer d’autres relations, nous avons été à la recherche de nouveaux débouchés ; nous en avons trouvé, mais ces nouveaux débouchés ne sont pas encore aussi étendus qu’ils le seront un jour.

Quoi qu’il en soit, nous avons cependant déjà au moment où je parle, trouvé à importer 7 à 8 millions de produits manufacturés vers ces colonies où nous ne vendions pas pour 100 francs, il y a quelques années. Ce n’est donc qu’un commencement d’échanges, et ces échanges ne peuvent manquer de grandir si des mesures impolitiques ne viennent pas les compromettre.

Avant 1830, notre pavillon connaissait à peine la Méditerranée, les échelles du Levant et la mer Noire ; aujourd’hui nous avons une navigation presque régulière vers ces parages. Qu’en est-il résulté ? c’est que le fret qui, il y a quelques années, était à 80 francs, est tombé au chiffre de 20 francs. Qui profite de l’avantage de ce fret ? c’est l’industrie du pays, c’est le fabricant de Verviers, c’est l’industriel de Liége ; ce sont les armes, les draps, les verreries, les clouteries, tout ce qui se dirige enfin vers les échelles du Levant ; ce sont ces produits qui profitent de l’abaissement du fret, et ce fret baissera encore, parce que j’espère que la Belgique maintiendra le commerce des sucres, comme élément d’échanges avec les échelles du Levant.

Messieurs, un très grand reproche qu’on a fait au commerce des sucres, c’est qu’il en arrive très peu des lieux de provenance, c’est que la majeure partie en est importée des ports européens. Mais à qui la faute ? La faute en est à la loi de 1832. En effet, cette loi fixe le même droit d’importation pour les sucres qui viennent des colonies directement sous pavillon belge, que pour les sucres qui viennent des ports européens ; or, dans cette situation, il est naturel qu’on aille chercher les sucres dans les entrepôts d’Europe, et qu’on n’aille pas les chercher aux lieux de provenance. Changez la loi de 1832, presque tous vos sucres viendront des lieux de provenance. Nous ne faisons donc que subir les conséquences d’une loi fautive dans son principe.

La balance de nos relations commerciales avec Cuba, Porto-Rico, le Brésil, les Etats-Unis, les Philippines, est très défavorable, nous dit-on, nous avons importé 114 millions, et nous n’avons exporté que 48 millions ; différence de 66 millions en défaveur de la Belgique.

Mais, messieurs, pour apprécier un chiffre, il faut en faire la ventilation. Ainsi, dans ces 114 millions d’importation, nous avons 47 millions de matières premières dont nous avons besoin pour notre industrie : coton en laine, indigo, bois tinctoriaux, etc.

Si nous ne pouvions pas tirer ces matières des colonies, l’industrie belge serait, je crois, fort embarrassée. Ainsi du chiffre de 114 millions, il faut déduire 47 millions d’objets nécessaires pour nos manufactures. Le deuxième chiffre que je rencontre est celui de 52 millions en objets de consommations naturelles, tels que cafés, sucre, poivre, épices. Encore une fois, nous avons besoin de ces denrées pour satisfaire à nos habitudes, à nos besoins ; et fort heureusement, messieurs, que nous sommes assez riches pour payer les objets qui nous sont nécessaires. Enfin, le troisième chiffre qui entre dans ces 114 millions, est 15 millions d’objets fabriqués. Nous aurions pu, en effet, nous dispenser de cette importation, parce que le pays produit probablement des objets similaires que ce chiffre représente ; mais on en conviendra, le mal n’est pas très grand.

Maintenant, messieurs, veuillez examiner avec moi le chiffre de nos exportations. Dans le chiffre de 48 millions de nos exportations figure en première ligne la matière nécessaire pour l’industrie étrangère pour 16 millions ; les objets de consommation naturelle, tels que fruits, etc., pour 5 millions, et en définitive 27 millions d’objets fabriqués, c’est-à-dire d’objets provenant de notre travail, de nos manufactures. C’est là un point important. Quoi qu’il en soit de cette balance commerciale du chiffre des importations comparé au chiffre des exportations, il est incontestable que la différence devait être un sacrifice, la Belgique n’existerait plus, car depuis 30 ans que j’ai examiné annuellement ces balances, l’accumulation des soi-disant différences en notre défaveur serait tellement énorme que tout le numéraire de l’Europe peut-être ne suffirait pas pour la payer.

Ainsi, messieurs, ce serait une faute grave, une faute qui compromettrait l’avenir du pays, que de prendre la moindre mesure qui pourrait paralyser ou atténuer le commerce du sucre qui est la base principale du commerce d’échange, parce que le sucre, encore une fois, forme la matière encombrante des navires et qu’il constitue les retours des pays tropicaux.

Messieurs, indépendamment des considérations que je viens de faire valoir, il y en a d’autres en faveur du projet. La considération qui vient en première ligne, c’est celle qui a rapport à la situation du trésor. Nous avons établi que l’année 1842 ne présenterait pas de déficit. Nous avons supposé que les recettes seraient égales aux dépenses ; nous espérons que ces prévisions se réaliseront ; mais à la fin de 1842 et en dehors des budgets les chambres ont voté 52 millions de dépenses nouvelles et extraordinaires pour lesquelles aucun crédit n’avait été ouvert. Pour améliorer les ressources du trésor, qu’a fait le gouvernement ? Il a présenté une loi de révision de la contribution personnelle, une loi de révision de la contribution des patentes, une loi de révision de la législation sur les sels, une loi de révision de la législation sur les eaux-de-vie étrangères, une loi de révision de la législation sur le débit des boissons distillées. Jusqu’à ce jour aucune de ces lois n’a été votée et je crains bien qu’elles ne le soient pas dans le courant de cet exercice. Cependant il faut des ressources au trésor.

La différence entre les recettes de l’Etat et les dépenses du budget telle qu’elle se présentera probablement en 1844, sera de 7 à 8 millions. Ces 8 millions, il faut les trouver. Les dépenses sont votées ; elles sont faites. Eh bien, c’est dans cette position des choses que le gouvernement s’est vu amené à vous présenter des lois qui puissent en partie couvrir les besoins du trésor. Nous avions dans le courant de l’année dernière proposé une loi sur les sucres, mais une loi tendait à pondérer les intérêts des deux industries, et à maintenir qui leur coexistence.

Permettez-moi de vous rappeler ce que je disais alors. Je disais : le sucre de betterave se vend 74 fr. et le sucre de canne 57. Si vous appliquiez aux deux sucres le même droit de 50 fr., le sucre de betterave ne pourra se vendre que 124 fr. et le sucre de canne 107 fr. Il n’y aurait pas d’égalité, il n’y aurait pas de justice. La section centrale a renvoyé ce système ; au lieu d’un droit variable qui aurait toujours maintenu un parfait équilibre, elle a voulu établir un droit fixe et augmenter le rendement sur le sucre de canne. Or, il devait nécessairement résulter de cette combinaison la destruction du deuxième sucre, du sucre colonial. Le gouvernement ne pouvait pas souscrire à une pareille mesure. Mais dans l’intervalle du rapport de la section centrale est venue la discussion du budget des voies et moyens et le vote de plusieurs lois de dépenses. Tous les orateurs de la chambre ont exprimé l’opinion qu’il fallait faire produire au sucre un impôt de 4 millions. Dans cet état de choses, et nous trouvant d’un côté devant les nécessités du trésor, de l’autre devant les propositions de la section centrale qui amenaient la destruction d’une industrie importante, nous avons été obligés de vous présenter le projet de loi qui fait en ce moment l’objet de vos délibérations.

M. de Man d’Attenrode disait hier : en 1837, M. Smits soutenait que la loi sur les sucres était éminemment commerciale ; M. d’Huart prétendait qu’elle était fiscale. Ce que je disais en 1837, je le dis encore aujourd’hui. Oui, la loi des sucres telle qu’elle a été conçue est une loi éminemment commerciale ; mais aujourd’hui, je fais néanmoins ce que faisait M. d’Huart en 1837, avec cette différence, messieurs, c’est qu’au lieu d’un dixième sur les sucres importés, je demande quatre dixièmes, à la condition toutefois que les deux industries soient mises sur la même ligne. Je suis donc plus fiscal que M. d’Huart.

M. d’Hoffschmidt demandait tout à l’heure : quelle garantie avez-vous que ces quatre dixièmes produiraient 4 millions ?

Messieurs, la garantie la plus sûre : un dixième produit un million ; quatre dixièmes produiront quatre millions, et cette somme sera peut-être dépassée.

Cependant plusieurs membres veulent augmenter le rendement du sucre. C’est là qu’ils veulent trouver des ressources ; ils veulent qu’il soit porté au-delà de celui de la France, de l’Angleterre et de la Hollande. Mais il est à remarquer que ces nations travaillent des qualités de sucre très riches, tandis que nous, nous sommes obligés de travailler tous les sucres des colonies libres avec lesquelles nous faisons des échanges. Ce serait donc une faute, une injustice d’augmenter le rendement. Car qu’auriez-vous avec l’augmentation de rendement ? Une chimère, un fantôme ; bientôt la fraude trouverait peut-être moyen d’éluder la loi, et le trésor ne recevrait pas les recettes que nous devons espérer, tandis qu’avec la retenue des quatre dixièmes, je mets la main du fisc sur l’argent. On saisit la marchandise à l’importation, et il est impossible que le revenu présumé échappe aux caisses de l’Etat. Voilà le motif de la préférence que je donne à la retenue des quatre dixièmes sur l’augmentation du rendement.

Messieurs, j’ai encore à répondre à une objection qui a été présentée contre le système existant aujourd’hui, système que nous cherchons à maintenir, sauf une différence dans le droit et une différence dans la retenue On a prétendu que, d’après le système d’aujourd’hui, il y avait des primes et que le raffineur prélevait au détriment du consommateur la somme de 6 millions. C’est là messieurs, une erreur très grande. Faisons d’abord remarquer que tout droit d’accise est un droit assis non sur l’importation, mais sur la consommation. Le droit sur le sucre de canne est un droit d’accise, conséquemment un droit de consommation. Cc qui ne se consomme pas dans le pays n’est donc pas sujet à cette taxe. Ce principe a été consacré dans toutes nos lois, et tout récemment encore dans la loi sur les genièvres indigènes ; il est écrit dans la loi sur le sel et dans la loi sur les bières. Tout brasseur, distillateur ou raffineur peut exporter en franchise de droits les produits pour lesquels il y a eu prise en charge, mais pas au-delà de la prise en charge. Ainsi dans certains pays, il y a des brasseurs (ici je n’en connais pas qui soient dans ce cas), qui travaillent exclusivement pour l’exportation ; il y en a notamment en Hollande. Ces industriels ne payent jamais un centime au trésor, parce que leurs comptes sont constamment apurés par les exportations ; mais comme nos lois ne permettent d’apurer les comptes que jusqu’à concurrence de la prise en charge, le trésor n’est jamais assujetti à aucun sacrifice.

Maintenant établissons d’après ces principes les comptes des raffineurs, et nous verrons combien il y a à rabattre sur les six millions qu’on dit être prélevés par ces industriels sur le consommateur belge.

La moyenne des quantités de sucres raffinés pendant les années 1838, 1839, 1840 et 1841 (je prends ces années pour base, parce que ce sont celles-là qu’on a citées) est de 19,791,000 kilog. Appliquant à ce chiffre d’impôt de 37,02, nous trouvons qu’il est dû au trésor une somme de fr. 7,300,000.

Il n’a été payé en droits d’accise que fr. 1,067,000.

Différence, fr. 6,233,000.

D’après quelques honorables membres, c’est cette somme qui aurait dû être versée dans les caisses de l’Etat, et qui forme la soi-disant prime qu’ont touchée les raffineurs. Mais il n’en est rien, messieurs.

La moyenne des sucres raffinés en 1838, 1839, 1840 et 1841 est de 19,791,000 fr.

Mais il convient d’en déduire : 1° Pour les cassonades qui ne sont pas soumises à l’accise, 3,733,000 kil. ; 2° Pour le sirop, 2,778,000 kil. ; 3° Pour le déchet ordinaire du sucre que tout le monde reconnaît être de 5 p.c., 791.000 kil.

Total, 7,302,000 kil

Reste, 12,489,000 kil.

D’où à déduire pour la moyenne de nos exportations, 9,933,000 kil.

Reste, 2,556,000 kil.

Mais de cette quantité il y a encore une soustraction à faire ; c’est la quantité qui alimente notre commerce interlope vers les pays voisins, quantité généralement évaluée à 1,000,000 kil.

De sorte qu’il ne reste susceptible du payement des droits que 1,556,000 kil.

Quantité qui, à raison de 70 fr., montant des droits d’accise donne 1,094,000 fr., somme réellement supportée par le consommateur, et qui est aussi réellement encaissé par le trésor.

Ainsi, lorsque vous expliquez la loi par le principe général d’accises, vous voyez qu’il ne s’agit là ni de six millions, ni même d’un million que prélève le raffineur sur le consommateur au détriment du trésor.

M. de La Coste. - C’est avec surprise et chagrin que j’ai entendu les paroles que m’a adressées M. le ministre des finances. Je vais donner lecture à la chambre du passage qui paraît avoir éveillé sa susceptibilité. J’ai dit : « Chacun des intérêts rivaux se grandit et dit qu’il est l’intérêt général, mais l’un d’eux surtout, le plus puissant, celui qui tient, pour ainsi dire, le portefeuille, etc. »

Voilà donc l’expression qui a ému la susceptibilité de M. le ministre, j’ai employé le mot intérêt dans le sens vil que justifierait ces susceptibilités ; il est évident par tout le contexte de ma phrase et de mon discours que j’ai voulu caractériser par le mot intérêt les deux opinions rivales qui divisent actuellement cette chambre. J’ai employé le mot intérêt dans un sens industriel, comme j’aurais pu employer le mot opinion dans un sens politique. Je crois que, le ministère étant composé de telle ou telle manière, si je disais que c’est l’opinion catholique ou l’opinion libérale qui tient le portefeuille, je n’éveillerais les susceptibilités de personne.

Je puis donner cette interprétation à mes paroles, d’autant plus franchement, d’autant plus noblement, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi, que j’y suis autorisé par un fait.

J’espère que mes honorables collègues ne regarderont pas ceci comme une indiscrétion. Au reste, je ne nommerai pas les personnes.

Dans une réunion de membres de cette chambre, un des assistants (je prie mes honorables collègues de recueillir leurs souvenirs à cet égard) mit en doute que M. le ministre des finances eût, par sa position, toute l’indépendance nécessaire pour amener à bien cette question. J’ai repoussé cette observation avec beaucoup de chaleur ; j’ai dit que si, par notre position vis-à-vis des électeurs, vis-à-vis des localités, nous devions être considérés comme n’ayant pas toute l’indépendance nécessaire pour nous prononcer avec impartialité, nous devions nous récuser tous.

Je n’ai donc rien voulu dire qui pût être personnellement désagréable à M. le ministre des finances. J’ai pu me tromper, mais j’ai cru m’être servi de l’une de ces expressions épigrammatiques qui ne font qu’effleurer l’épiderme, qui donnent de la vie à la discussion, sans blesser personne. Si cependant M. le ministre des finances voit dans mes paroles quelque chose qui le blesse comme homme, je les rétracte et je les biffe absolument. Je regretterais alors ces paroles d’autant plus que M. le ministre en a pris occasion pour dire qu’il ne répondrait pas à mon discours, et qu’ainsi il nous a privés sans doute d’excellences choses, qui auraient éclairé la discussion.

M. le ministre des finances (M. Smits) - J’accepte avec beaucoup de plaisir les paroles qui viennent d’être prononcées par l’honorable M. de La Coste. Je les accepte avec reconnaissance. Car, je le déclare, j’ai pour lui la plus profonde, la plus haute estime, et j’ose ajouter la plus sincère amitié. C’est parce que ces deux sentiments m’animent que les paroles de l’honorable membre m’avaient vivement blessé.

Que la chambre le sache bien, si je me sentais capable de sacrifier l’intérêt général à un intérêt de localité, aujourd’hui même j’irais prier Sa Majesté de me retirer son portefeuille. Mais j’en suis incapable. Quand je défends une opinion, je la crois conforme aux intérêts généraux de mon pays. Ici, je dois le reconnaître, l’intérêt général est aussi celui de ma localité. Mais si les intérêts de ma localité étaient contraires à l’intérêt général, je ne les défendrais pas.

M. Mercier, rapporteur. - Les adversaires du projet de la section centrale semblent, dans cette discussion, avoir méconnu entièrement le but qu’elle s’est proposé. Ce but, c’est la coexistence des deux industries, que le gouvernement lui-même déclarait vouloir, en présentant le projet primitif. Alors il disait qu’il ne fallait sacrifier aucune industrie, qu’il fallait assurer leur coexistence.

Aujourd’hui, parce que les besoins du trésor exigent quelques sacrifices, parce que la section centrale vient proposer de réduire dans une certaine proportion les primes d’exportation, on nous représente comme les adversaires du commerce ; on va même jusqu’à prétendre que nous voulons la ruine du commerce de la Belgique. Ce sont des assertions qui se réfutent d’elles-mêmes par leur exagération. Lorsqu’on se tient ainsi aux limites extrêmes d’une question, on n’en avance guère la solution. La section centrale a autant de sollicitude que qui que ce soit pour les intérêts du commerce ; mais elle a dû songer aux exigences du trésor.

Dans une autre occasion, je me suis associé à toutes les mesures qui pouvaient être favorables au commerce. Nous avons voté des primes pour la construction des navires, des encouragements pour la pêche nationale. J’ai appuyé de toutes mes forces le remboursement des péages de l’Escaut ; nous avons accordé d’autres faveurs encore au commerce. Je suis prêt à m’associer à toutes les mesures qui peuvent lui être utiles sans nuire à l’intérêt public. Mais aujourd’hui nous avons une autre tâche à remplir ; nous avons à équilibrer les recettes et les dépenses de l’Etat.

Nous demandons au sucre indigène, jusqu’ici indemne de tout impôt, un droit de 25 fr., alors que, dans les pays voisins, on a procédé par gradation ; lorsque nous imposons ce sacrifice à une industrie indigène, ne pouvons-nous pas en demander un à un produit étranger et alléger le fardeau qui pèse sur les contribuables par les primes d’exportation ? C’est ce que la section centrale a voulu ; elle ne propose pas la suppression, mais la réduction de ces primes.

Lorsque le moment sera venu de discuter spécialement la question du rendement, si l’on propose d’autres chiffres, nous les examinerons. Mais ce qu’a voulu la section centrale, ce qu’elle a manifesté, et qu’on ne peut contester, c’est qu’elle n’a pas entendu supprimer complètement les primes d’exportation.

Messieurs, avant d’entamer la question spéciale, je dirai quelques mots de l’objection faite par l’honorable M. Cogels à une assertion de l’honorable M. Dumortier. L’honorable M. Dumortier nous dit que les lumps se vendaient en entrepôt au même prix que les sucres bruts Havane. J’ajouterai que ce ne sont pas seulement les lumps qui se vendent à peu près au même prix, mais également des mélis de qualité inférieure.

L’honorable M. Cogels vous a dit : Mais ces lumps sont le produit de sucres de qualités plus communes et non de sucres havane. C’est une erreur ; j’ai aussi, de mon côté, des renseignements précis ; je ne suis pas plus que l’honorable M. Cogels, raffineur de sucres, mais j’ai aussi pris des informations qui prouvent, et c’est un fait bien constant qui a été confirmé par plusieurs personnes très expertes, que l’on retire également des lumps des sucres Havane, et en très grande quantité ; je puis d’ailleurs en administrer la preuve à la chambre.

Ou nous dit que l’on ne retire les lumps que des sucres de qualité inférieure ; c’est ce qu’on a objecté à l’honorable M. Dumortier. Eh bien ! messieurs, savez-vous quelle est la proportion des sucre de qualité supérieure importés en Belgique avec ceux de qualité inférieure ? Je trouve dans la statistique de 1841, que nous avons reçu de la Havane, 11063,000 kil. ; que nous avons reçu de Java 1,188,000 kil. ; qu’en outre, il nous a été importé des Pays-Bas, 1,576,000 kil. Je suppose que la plupart des sucres qui nous arrivent des Pays-Bas, proviennent de ses colonies ; mais dans tous les cas, quand il n’y en aurait qu’une partie, ma démonstration n’en serait pas moins évidente. L’Angleterre nous a fourni 2,217,000 kil. ; les îles Philippines, 380,000 kil. ; le Brésil 1,431,000 kil. Je suppose que nous considérions comme étant de qualité inférieure, ce qui n’est pas tous les sucres qui nous viennent de l’Angleterre, des île Philippines et du Brésil, nous n’aurions encore reçu en sucre de cette espèce que 4 millions de kil. Ces 4 millions, au rendement indiqué par nos adversaires, donneraient environ 2 millions de sucres lumps. Eh bien ! nous avons exporté, en 1841, 4 millions kil. de sucres lumps. C’est-à-dire que pour que l’assertion des honorables membres pût être vraie, il faudrait que nous eussions mis en fabrication au moins 8 millions de kil. de sucres de qualités communes.

D’ailleurs, messieurs, pour moi cette preuve était inutile ; je crois fort bien, et tous ceux qui ont quelque connaissance du raffinage savent comme moi, qu’on fabrique des lumps avec des sucres de qualités supérieures.

J’ajouterai encore que les lumps, tels que la loi les exige, pour jouir de la prime d’exportation doivent être plus purs que les sucres Havane ordinaires, qu’ils sont dégagés des substances les moins précieuses du sucre brut, et qu’ils devraient, par suite, se vendre à des prix plus élevés en raison de la main-d’œuvre qu’on y a ajoutée.

Il est constant, et je m’étonne de voir contester ce fait, surtout par l’honorable M. Cogels, qui a étudié la question à fond, que le raffinage des sucres livrés à l’exportation, est une main-d’œuvre improductive ; il est constant que nous livrons à l’étranger nos sucres raffinés sans bénéfice aucun, et que les raffineurs ne pourraient faire le sacrifice d’une heure de leurs travaux et des intérêts de leurs capitaux s’ils n’étaient dédommagés au moyen des primes d’importation.

On nous dit sans cesse que le consommateur n’éprouve aucun préjudice ; non ce n’est pas le consommateur qui éprouve un préjudice, mais c’est le contribuable, c’est la nation tout entière qui doit remplacer, par d’autres charges, les pertes qu’éprouve le trésor par suite de ces primes.

Avant d’entrer dans l’examen de questions plus générales, j’ai cru devoir donner ces explications à la chambre sur l’assertion de l’honorable M. Cogels ; je vais maintenant ajouter quelques considérations à celle que renferment les rapports de la section centrale, pour justifier ses propositions.

Depuis bien des années les chambres n’ont cessé de se plaindre de l’énormité des primes d’exportation, et ces plaintes sont devenues plus vives à mesure que les besoins du trésor se sont accrus. Qu’a fait M. le ministre des finances en présence d’un tel état de choses ? Nous nous attendions que, se conformant dans les principes d’une sage économie, il allait tout au moins restreindre ces largesses accordées à une seule industrie dans notre pays ; c’est ce qu’exigeait impérieusement l’intérêt du trésor public confié à son administration. Quel n’a pas été notre étonnement quand nous avons vu qu’au lieu d’apporter quelque réduction à ces primes d’exportation il est venu nous proposer de les augmenter encore et même d’en doubler la quotité ? Pouvait-on espérer que nous aurions consenti d’abuser à ce point de la fortune publique ?

Vous savez, messieurs, de quoi se compose cette prime : en exportant 58 kilog. et demi de sucre mélis et lumps, le raffineur obtient la décharge du droit de 100 kilog. de sucre brut.

Le raffinage lui a donné un résultat total de 97 kilog. en sucre cristallisé, en vergeoise et en mélasse. Mais, comme il ne doit exporter que 58 1/2 kilog. pour se libérer envers le trésor, il lui reste 38 kilog. 1/2 en sucre cristallisé et en bas produits qu’il livre la consommation, et sur lesquels il prélève les droits à son profit ; c’est ce prélèvement qui constitue la prime d’exportation.

Ce droit payé par le consommateur sans qu’il profite au trésor est remplacé par d’autres impôts à charge du contribuable.

Aujourd’hui le droit nominal qui frappe le sucre est 37 fr. 2 c. ; toutefois, ce droit subit, dans son application à la consommation une réduction de 20, 30 et quelquefois 35 p. c. ; il en résulte qu’il n’est jamais prélevé intégralement et qu’il s’est réduit quelquefois moins de 25 fr. les 100 kil., à la consommation, par suite de ce qu’on appelle dans le commerce la prime de mévente. Cette prime de mévente, nous a dit M. le ministre, a été cotée jusqu’à 5 p. c. sur l’accise de 37 fr. 2 c. exigé à la consommation ; il a ajouté qu’en la ramenant à 33 p. c., on reste dans les limites ordinaires et que le prix du sucre à la consommation est diminué de toute la quotité de la prime de mévente. Sous la loi qui nous été proposée, le droit était porté à 50 fr. les 100 kil., et, selon l’exposé des motifs, les dispositions du projet étaient combinées de telle sorte que la prime de mévente devait disparaître et que le droit de 50 francs les 100 kil, allait être perçu intégralement sur le consommateur.

Cependant, messieurs, on ne touchait pas au rendement actuel de 58 1/2 kil. ; il serait donc resté entre les mains du raffineur qui travaille pour l’exportation la même quantité de sucre qu’il obtient aujourd’hui indemne de tout droit ; mais au lieu de livrer cette quantité à la consommation intérieure, en prélevant sur la consommation un droit d’accise proportionné à 25 fr. seulement, comme aujourd’hui, ce serait en raison d’un droit de 50 fr. que se ferait ce prélèvement, C’est là, messieurs, le système exorbitant, contraire à tout principe économique, onéreux pour le pays, désastreux pour nos finances, que l’on n’a pas craint de présenter aux chambres belges et que M. le ministre se plaint avec quelqu’amertume de ne pas avoir vu accueillir par la section centrale.

Pour adopter un pareil système, messieurs, il eût fallu ne pas le comprendre ; une fois compris, j’en ai la plus profonde conviction, il n’eût pas réuni huit voix dans cette enceinte.

On invoque la législation anglaise.

Oui, l’Angleterre a longtemps accordé des primes d’exportation pour le sucre raffiné. Mais quel avait été le but de cette libéralité ?

Ce but essentiel était l’exportation de ses produits coloniaux. Cela est si vrai qu’il n’y avait pas de prime pour l’exportation des sucres qui ne provenaient pas des plantations anglaises dans les Indes occidentales ou des établissements de cette puissance dans les Indes orientales. S’il ne s’était agi que d’un intérêt commercial et non du placement d’un produit national, elle aurait traité, sous ce rapport, le sucre étranger comme le sucre colonial.

Les enquêtes parlementaires qui ont été faites dans ce pays, prouvent, au surplus, que c’était en quelque sorte à l’insu du gouvernement, et par suite des progrès successifs de l’industrie, que ces primes ont été portées à un taux élevé.

Une expérience chèrement acquise lui a fait renoncer à ce système ruineux.

Depuis 1825, le rendement légal du sucre colonial a été successivement augmenté jusqu’au taux où il se trouve aujourd’hui, taux auquel l’exportation a cessé ; ceux qui ont pris connaissance des documents relatifs aux enquêtes dirigées par le parlement ne peuvent douter, que si les prix des sucres bruts des colonies venaient à diminuer au point de permettre encore l’exportation des sucres raffinés au rendement actuel, le gouvernement anglais, dans l’intérêt du revenu public, ne prenne bientôt des mesures pour le porter à un chiffre encore plus élevé.

Quant au rendement du sucre qui ne provient pas des établissements anglais, il est de 100 p. c., c’est-à-dire que tout le produit du raffinage en sucre cristallisé, en cassonade et en sirop, doit être exporté pour donner lieu à la restitution du droit.

Ainsi l’Angleterre a définitivement renoncé aux primes d’exportation sur le sucre raffiné : c’est donc bien à tort qu’aujourd’hui encore l’on veut s’étayer de la législation de ce pays.

Et cependant, messieurs, quelle nation a plus besoin de débouchés que l’Angleterre ? Quelle nation doit sentir plus qu’elle, la nécessité de donner du travail une population dans la détresse ?

L’abus que préconise M. le ministre des finances est de fait abandonné par toutes les nations, excepté la Hollande. Il existe encore dans la législation française, il est vrai, mais réduit dans de telles proportions que le revenu public ne peut plus en être sensiblement altéré.

Ainsi on nous conseille de persévérer dans un système condamné partout, en maintenant le rendement de 57 et de 60 p. c., alors qu’en Hollande même, il s’élève à 67 1/2 p. c. sur les sucres mélis.

M. le ministre des travaux publics nous a rappelé qu’après dix années d’expérience le rendement a été réduit dans les Pays-Bas. Cela est vrai ; mais il a oublié d’ajouter que 12, 15 et 20 années après l’établissement de la loi de 1819, il a été augmenté et qu’il est aujourd’hui de 67 1/2 sur le sucre mélis.

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - On l’a évalué dans l’intérêt du trésor.

M. Mercier, rapporteur. - L’honorable ministre des travaux publics nous dit qu’il a été augmente dans l’intérêt du trésor ; je lui réponds qu’il a été augmente dans un double but : dans l’intérêt du trésor d’abord et ensuite dans l’intérêt d’un commerce d’exportation plus étendu. Remarquez-le bien, plus le rendement sera élevé, et plus le commerce d’exportation sera considérable ; il restera moins de sucre à livrer à la consommation du pays sur chaque centaine de kilog. dont on obtiendra la décharge du droit. Ainsi, si le rendement était à 50 p. c., chaque fois qu’on exporterait 50 kil. de sucre, il y en aurait aussi 50 à livrer à la consommation, moins le déchet sur le raffinage ; tandis que si le rendement pouvait être de 80, il n’y aurait sur 100 kil, que 20 kil. livrés à la consommation intérieure ; le mouvement du commerce pourrait donc être infiniment plus étendu.

Voilà le double but qu’a eu le législateur hollandais en augmentant le rendement.

On nous dit qu’en France, la chambre de commerce de Marseille demande l’abaissement du rendement.

Mais, messieurs, consultez, en Belgique, les chambres de commerce de Gand et d’Anvers, assurément elles ne vous proposeront pas de l’augmenter.

Ce qui est bien positif, c’est qu’en France, le ministre des finances, il y a un an, a annoncé aux chambres qu’il y avait nécessité d’élever le rendement, qui est de 70 et 73, par la raison qu’il entraîne des primes exagérées.

Voilà en quoi le système des primes d’exportation est si pernicieux ; voilà pourquoi la France et l’Angleterre l’ont supprimé ou restreint dans des limites très étroites ; voilà pourquoi la Belgique, elle aussi, doit enfin s’arrêter dans cette voie qui compromet ses intérêts.

M. le ministre des finances semble même déplorer que la loi de 1838 ait réserve 1/10 des prises en charge au trésor. « Par l’abaissement du rendement, dit-il, comparé à celui fixé en Angleterre, le commerce du sucre fut bientôt acquis aux Pays-Bas, et il serait resté peut-être à la Belgique sans la loi du 8 février 1838 qui, la première année de son exécution, fit tomber un assez grand nombre de raffineries. »

Messieurs, je ferai observer à la chambre que jamais le commerce des sucres n’a été plus étendu qu’aujourd’hui en Belgique ; je lui ferai observer que pendant que nous étions réunis à la Hollande, les exportations des deux parties du royaume n’étaient pas même égales en quantité à celles que nous faisons maintenant.

Je sais bien que M. le ministre des finances a objecté que les documents statistiques du royaume des Pays-Bas n’étaient pas très exacts ; qu’on ne les rédigeait pas alors avec le même soin qu’aujourd’hui, que, par conséquent, on ne pouvait s’en rapporter rigoureusement aux indications de cette statistique. Mais si cela est vrai pour quelques articles de douane, cela ne peut l’être pour des marchandises soumises à l’accise. Pour ces marchandises, on tenait des comptes très réguliers, on savait parfaitement quelle était la décharge de droits que l’on accordait, et quelle était, par conséquent, la quantité de sucre que l’on livrait à l’exportation. Or, le gouvernement des Pays-Bas ne voulait pas, je pense, induire les états-généraux en erreur, lorsqu’il leur fournissait des renseignements. On ne peut supposer qu’il leur ait donné des documents faux. Or, c’est précisément dans les pièces distribuées aux états-généraux que j ai puisé mes renseignements. J’y ai trouvé qu’en 1820, la quantité exportée de sucres raffinés a été de 10 millions, et qu’elle est restée constamment pendant les années suivantes à un chiffre qui a varié de 8 à 10 millions ; en 1828, elle a été de 9, 950,000 kil. Or, la moyenne des années 1840 et 1841, en Belgique, a été de 11,582,000 kil.

Ainsi, messieurs, il n’est pas vrai de dire que nous ayons eu un commerce de sucre plus étendu que celui que nous avons aujourd’hui ; c’est une inexactitude ; et ce commerce si extraordinaire qu’on semble tant regretter, était au-dessous de celui que nous avons aujourd’hui.

Parlerai-je, messieurs, de la seconde base essentielle de la loi, l’échelle mobile établie pour la fixation des droits ? Je crois pouvoir me dispenser de démontrer de nouveau le vice de cette malencontreuse conception qui n’a trouvé de défenseurs ni parmi les adversaires loyaux de l’industrie du sucre indigène, ni parmi ses partisans.

C’est cependant sur ces deux bases, dont l’une est désastreuse pour nos finances et l’autre fausse dans son principe, que repose tout le projet auquel nous avons conseillé à la chambre de refuser son assentiment.

Et c’est parce qu’un semblable projet n’a pas été admis par la section centrale, que le gouvernement, sans plus de façon, vous propose aujourd’hui la suppression d’une industrie nationale, une industrie qu’il déclare aujourd’hui nuisible au pays, alors qu’il y a dix mois, il nous disait qu’elle ne pouvait être sacrifiée, et qu’il fallait assurer son existence.

(erratum, Moniteur belge n°55 du 24 février 1843 : ) M. le ministre des finances prétend que l’industrie du sucre indigène n’exerce aucune influence sur la prospérité du pays ; il s’appuie de nouveau sur l’opinion de M. le comte d’Argout.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Je n’ai jamais invoqué l’opinion de M. le comte d’Argout, j’ai cité des documents qu’il avait puisés dans les archives du département du commerce.

M. Mercier, rapporteur. - M. le ministre des finances a cité 15 à 20 pages du discours de M. le comte d’Argout. M. le comte d’Argout a donné cela comme un exposé de ce qu’on avait allégué pour et contre l’industrie de la betterave. Cela ne prouve-t-il pas que M. le ministre des finances a invoqué l’opinion de M. le comte d’Argout ?

Un membre. - Son rapport.

M. Mercier, rapporteur. - Je crois que généralement un rapport indique l’opinion de son auteur.

Du reste, messieurs, puisque M. le ministre des finances déclare maintenant qu’il ne veut pas s’étayer de l’opinion de M. le comte d’Argout, j’invoquerai, moi, cette opinion qui est favorable au sucre indigène. Et, messieurs, ce personnage qui a été à la tête du département des finances, et qui occupe un rang distingué parmi les hommes d’Etat de la France, mérite qu’on ait quelque confiance dans son opinion, d’autant plus que, comme ministre, il a présenté aux chambres un projet de loi sur les sucre et qu’il s’est occupé plusieurs fois de la même question comme rapporteur à la chambre des pairs.

Eh bien, l’opinion de M. le comte d’Argout, reconnu comme un des hommes les plus compétents sur cette question, est entièrement favorable au maintien de l’industrie du sucre indigène ; il reconnaît que la culture de la betterave est utile dans l’assolement, qu’elle a fait produire une plus grande quantité de céréales, et qu’elle a concouru à la prospérité de la France.

Voici comment il s’est exprimé dans un rapport formé en 1840.

« Une industrie qui remonte à quarante ans, qui a pris une grande extension, qui favorise les assolements, la culture des plantes sarclées, le nourrissage des bestiaux, et qui crée, dans les campagnes, des centres industriels, servant à la fois à l’enseignement manufacturier et à celui des perfectionnements agricoles, ne sera point proscrite. Une pareille mesure n’appartiendrait pas à ce siècle. »

M. le ministre des finances prétend que les droits de consommation ont diminué dans les départements du Nord de la France, où des fabriques de sucre de betteraves ont été érigées.

C’est là une assertion contraire aux faits.

Voici ce que sous trouvons dans un document communiqué à la chambre des députés de France en 1840 :

Industrie du sucre indigène.

Le produit des contributions indirectes dans les départements du Nord, du Pas-de-Calais, de l’Aisne et de la Somme, où sont établies la plupart des fabriques de sucre indigène, était pour l’année 1831 de 14,835,828 fr.

En 1838, il a été de 20,748,974 fr.

Augmentations en sept ans : 5,913,146 fr., environ 40 p. c.

Pour le département du Nord seul, le produit de ces mêmes contributions était pour 1831 de 6,276,970 fr.

En 1838, il a été de 9,634,264 fr.

Augmentation en sept ans, 3,357,293 fr., environ 55 p. c.

Pour les autres départements du royaume, le produit des contributions indirectes de 1831 était de 148,310,890 fr.

En 1838, il a été de 190,521,561 fr.

Augmentation en sept ans, 48,210,671 fr., environ 32 1/2 p. c.

Il est à remarquer encore que, pour établir la comparaison que je viens de citer, on n’a pas tenu compte du produit de l’impôt sur le sucre indigène qui figure pour la première fois dans le compte des finances de 1838.

Ainsi les droits de consommation ont augmenté de 40 et 55 p. c. dans les départements où des fabriques de sucre indigène ont été érigées, et seulement de 32 1/2 p. c. dans les autres départements.

Les chiffres que je viens de citer et les développements que donnent les rapports de la section centrale prouvent suffisamment que la betterave favorise les intérêts agricoles ; c’est là un fait constant démontré par l’expérience ; ceux qui, en France, ont vu d’abord introduire cette culture avec indifférence, en ont bientôt reconnu toute l’utilité.

Il n’appartient qu’aux personnes qui n’ont pris leurs renseignements que dans des ouvrages écrits avec partialité et évidemment hostiles à l’industrie du sucre indigène, et qui ne se sont pas donné la peine de s’assurer personnellement du véritable état des choses, il n’appartient, dis-je, qu’à ceux-là de contester encore qu’après cette culture la production des céréales ne soit de 25 p. c. plus considérable qu’à la suite de toute autre nature de produit.

A ceux-là je dois me borner à répondre qu’une contre-vérité répétée cent fois, mille fois, n’en reste pas moins une contre-vérité,

Il y a vraiment quelque chose de puéril dans la crainte qu’ils expriment avec tant de persistance, que 2,500 hectares cultivés en betteraves ne fassent renchérir le prix des grains, alors qu’ils ne craignent pas d’ôter le pain à 5 à 6,000 ouvriers attachés aux fabriques de sucre indigène qu’ils veulent anéantir et d’autres établissements accessoires. Voilà comment ils entendent la philanthropie.

M. le ministre des finances vient de nous dire que chaque établissement de sucre indigène ne donnait lieu qu’à la culture de 69 hectares par fabrique.

Mais, messieurs, ces 69 hectares entrent dans l’assolement, ils ne produisent la betterave que tous les quatre ou cinq ans.

Je sais bien qu’on nous a cité quelques exemples où l’on aurait ensemencé la betterave sur le même champ pendant plusieurs années de suite. Mais une exception n’infirme pas la règle, Aujourd’hui cette exception devient de plus en plus rare. En général, nos fabriques de sucre indigène se trouvent au milieu de grandes exploitations rurales ; l’inconvénient qu’on a signalé devoir résulter de ce que la terre doit nécessairement se trouver à proximité de l’établissement, n’existe pas dans la réalité ; il est très facile d’obtenir, dans les environs d’une fabrique sans s’éloigner beaucoup, et en maintenant un assolement de 4 ou 5 ans, la quantité de betteraves nécessaire à un établissement de sucre indigène, sans devoir recourir à une culture réitérée de cette plante pendant plusieurs années successives. Cette objection n’a donc pas de valeur ; elle ne peut se rapporter qu’à de rares exceptions, et par conséquent elle est sans portée.

Ou nous a dit que les raffineries emploient aussi un grand nombre d’ouvriers. Je ferai d’abord remarquer que nous ne proposons pas l’anéantissement des raffineries comme vous venez proposer la destruction des fabriques de sucre indigène. D’ailleurs on ne peut mettre en parallèle le nombre d’ouvriers employés à une même quantité de produits dans une raffinerie de sucre exotique et dans une fabrique de sucre indigène. Il est à ma connaissance qu’une raffinerie qui produit 2 millions de sucre exotique emploie 60 ouvriers, tandis qu’une fabrique de sucre indigène, qui produirait une même quantité de sucre, emploierait mille à quinze cents ouvriers.

Le nombre des ouvriers employés par l’industrie du sucre indigène est aujourd’hui de 5 mille environ.

Un membre. - Par jour ?

M. Mercier, rapporteur. - Oui, par jour ; c’est une moyenne des journées de travail.

On ne peut, dit-on, comparer cette industrie à celle des distilleries et brasseries que la section centrale a citées. Non, sans doute, quant à son importance. Mais, s’il était vrai qu’il fût nuisible de cultiver 2,500 hectares en betteraves, par cette raison que cette culture réduirait la quantité de céréales, le mal devrait s’accroître en raison du nombre d’hectares dont la production est distraite de la nourriture de l’homme. Plus l’industrie serait importante, plus le mal serait grand. Les distilleries qui absorbent le produit de 50,000 hectares, les brasseries qui consomment ceux de 120,000 hectares seraient donc bien plus nuisibles à l’intérêt général.

On a dit, que la protection de 600 p.c. ne faisait pas augmenter le prix de la bière. J’admets que ce droit n’occasionne pas une bien forte augmentation du prix de la bière ; mais il n’en est pas de même de l’eau-de-vie étrangère qui jouit d’une protection de 63 p c,, et que nous obtiendrions à des prix bien inférieurs au genièvre produit en Belgique et en qualité que le consommateur préférerait.

On se récrie de ce que la section centrale propose une sur taxe de 50 p. c. en faveur du sucre indigène ou plutôt ne réduit pas davantage encore la protection nominale de 37 fr. dont elle jouit aujourd’hui ; mais l’industrie du raffineur jouit elle-même d’une protection de près de 100 p. c. Le droit sur les sucres raffinés est, d’après notre tarif des douanes, (erratum, Moniteur belge n°55 du 24 février 1843 :) de 36 fl. les 100 kilog. en principal.

Il s’agit ici d’un principe à abandonner ou à maintenir dans notre législation ; si vous sacrifiez aujourd’hui l’industrie du sucre indigène, demain, prenez-y garde, ce sera le tour d’une autre industrie. Songez que nos cotons, nos draps, nos fers, nos toiles, nos houilles, jouissent d’une protection par les droits de douane. Il faut choisir entre le système de liberté commerciale ou celui des droits protecteurs. Dans cette discussion je vois d’honorables députés d’une de nos grandes villes manufacturières combattre avec des armes qui pourraient tourner plus tard contre des intérêts précieux auxquels ils accordent toute leur sollicitude.

A mes yeux, comme à ceux de tous les membres de la section centrale, le premier projet du gouvernement était l’anéantissement de l’industrie du sucre de betterave tout aussi bien que le projet actuel qui a du moins le mérite de la franchise.

Sous le point de vue de l’intérêt du trésor public, la réserve des 4/10 des prises en charge, est un grand pas de fait dans le système de la section centrale,

Ce ne sera pas le dernier, je l’espère, qu’il fera dans cette voie d’amélioration de son projet primitif.

Mais examinons d’abord, si en effet nous en obtiendrons le produit de 4 millions, annoncé par M. le ministre des finances.

D’après ce nouveau projet il serait prélevé, sur 1.000 kilog. de sucre brut importé 4/10, ou 400 kilog. pour être livrés à la consommation intérieure, faisant, après la déduction de 3 p. c. au raffinage 388 kilog. L’exportation pourra se faire à raison d’une prise en charge de 600 kilog. ; mais le rendement réel en sucres de toute espèce étant de 97 p. c.. et le rendement légal n’étant que de 58 1/2 p.c., il entrera encore dans la consommation du pays sur les 600 kilog., une quantité de 251 kilog.

Ainsi sur 1,000 kilog., de sucre importé, il nous restera ;

1° 2/5, 388 kil.

2° l’excédant du produit du raffinage sur le rendement légal de 600 kilog. de sucre brut qui est de 231 kil.

Ensemble, 619 kil.

Or, messieurs, pour que le montant de l’accise s’élevât à 4 millions, comme on nous le dit, il faudrait que notre consommation en cédât 15,000,000 kilog. en sucre brut ; à raison d’une consommation de 15 millions, le produit de l’accise ne serait que de 3,876,000 fr.

Un examen attentif des faits m’a convaincu que notre consommation n’est pas de 15 millions de kilog. de sucre brut ; veuillez vous rappeler que sur les observations de la section centrale, M. le ministre des finances lui a fourni un tableau dont il résultait que cette consommation, y compris un million de kilog., qui était absorbé par le commerce interlope, était de 14,688,000 kilog.

Le commerce interlope ne se fera plus avec un droit de 40 fr. perçu intégralement ; si aujourd’hui ce commerce se pratique, c’est que le droit est réduit de 20 à 33 p. c. à la consommation ; le droit ne se percevant qu’à raison de 25 fr. environ en ce moment, il y a entre ce droit et celui de 49 50 en France, et de 36 15 en Allemagne, une différence de 24 50 et de 11 15, qui laisse à ce genre de commerce un bénéfice suffisant pour qu’il soit praticable ; mais quand le droit s’élèvera à 40 fr., qu’il sera perçu intégralement, je vous le demande, pourra-t-on compter encore sur le commerce interlope ? Pas le moins du monde ; il faudra donc déduire un million de sucre brut de la quantité que nous venons d’indiquer et qui se réduira ainsi à 15,688,000 kil.

Mais, messieurs, si, comme des personnes qui sont en position d’être bien informées le prétendent, la production du sucre indigène ne s’élève pas à plus de 5,500,000 kilog. ; si, d’un autre côté, nous consultons les chiffres de la consommation générale du royaume des Pays-Bas, il devient certain que notre consommation intérieure ne dépasse pas 13 millions de kilog. de sucre brut ; quant à moi, messieurs, je n’oserais prendre sous ma responsabilité d’assumer qu’elle excède 12 à 12 1/2 millions de kilog.

Cependant, messieurs, à raison même d’une consommation de 13 millions de kilog., l’accise, au taux de 40 fr. proposé dans le nouveau projet, ne s’élèverait qu’à 3,360,000 fr,, au lieu de 4 millions qu’on nous promet.

Il est vrai que l’on nous dit : Si ces quatre millions de recettes n’étaient pas réalisés dès la seconde année, on augmenterait successivement les quatre dixièmes réservés par un autre dixième jusqu’à ce que les millions fussent atteints.

Il est certes permis de douter qu’il puisse en être ainsi, quand nous voyons tous les défenseurs du nouveau projet du ministre, protester en quelque sorte unanimement contre la réserve de 4/10 ; les honorables MM. de Brouckere, Osy et Hye-Hoys voudraient la réduire à 3/10 ; l’honorable M. Delehaye propose dès à présent de ne la fixer qu’à 2/10. On le voit donc, ce n’est pas d’une augmentation du nombre de dixièmes réservés qu’il s’agit, mais bien plutôt d’une diminution.

Et d’ailleurs, messieurs, pourquoi attendre une expérience de deux années, alors que dès aujourd’hui, on peut acquérir la conviction que le produit ne s’élèvera pas, ne peut pas s’élever à 4 millions ?

Je ne m’occuperai pas des intentions, mais il est évident que lorsque l’on aura sacrifié une industrie indigène, ce que l’on considère maintenant comme l’intérêt le plus pressant, de vives réclamations se renouvelleront pour rentrer dans la plénitude du privilège des primes d’exportation ; les efforts que l’on dirige actuellement contre cette industrie et contre le trésor public se concentreront alors pour ravir à ce dernier une plus forte part des ressources qui doivent l’alimenter.

Ainsi, messieurs, je viens de le prouver ; le produit de 4 millions qu’on nous annonce est un véritable leurre, il ne sera que de 3,360,000 fr. à raison d’une consommation de 13 millions de kil. que je crois encore exagérée. On nous a dit que jamais on ne pourrait obtenir un produit de 4 millions du sucre indigène ; si la consommation était de 15 millions de kil., comme on l’a prétendu, il suffirait d’un droit effectif de 28 fr. les 100 kil, (erratum, Moniteur belge n°55 du 24 février 1843 :) pour atteindre le chiffre de 4,200,000 fr.

Qu’on ne s’appuie donc plus sur ce que le sucre indigène ne peut fournir des recettes considérables au trésor ; si la section centrale eût voulu adopter un système extrême, comme le fait actuellement le gouvernement, comme le font les honorables défenseurs du projet de loi, elle eût pu aussi vous proposer la proscription du sucre exotique en vous présentant l’appât d’une recette de 4,200,000 fr. assise, quant au chiffre de la consommation, sur la même base que le produit de 3.876,000 que l’on obtiendrait d’une consommation de 15 millions de kil, de sucre exotique.

Et qu’on ne croie pas, messieurs, au danger d’une importation frauduleuse de sucre étranger, alors que le droit, serait ainsi établi à 28 fr. les 400 kil, sur le sucre indigène ; ce droit, comparé à celui de 50 fr. proposé dans le premier projet du gouvernement, n’augmenterait le prix du sucre que de 3 francs les 100 kilog, et ne donnerait donc pas plus d’appât à la fraude.

Nous n’imiterons pas nos adversaires, nous ne demanderons pas la proscription du commerce, ni de l’industrie du sucre exotique ; il faut satisfaire aux exigences du trésor ; c’est une nécessité qu’il faut subir ; mais elle ne nous rendra pas injustes au point de vouloir anéantir une branche de notre industrie et de notre commerce.

Nous persisterons à vouloir ce que nous avons toujours voulu, la coexistence des deux industries concurrentes ; je démontrerai tout à l’heure que les arguments sur lesquels on se fonde pour établir que cette coexistence est impossible, sont tout à fait dénués de fondement. Je dois repousser ici l’allégation d’un honorable membre du cabinet, qui a prétendu que le produit de l’accise sur le sucre n’avait diminué que par suite de la production du sucre indigène. Mais, messieurs, les fabriques de sucre indigène ne se sont établies en très petit nombre que vers la fin de 1836 ; elles n’ont versé leurs produits sur le marché qu’en 1837, et dès 1836, l’accise n’a fourni au trésor qu’un revenu de fr. 186,000.

Mais puisque nous examinons maintenant les résultats financiers des systèmes qui ont été produits ou qui peuvent l’être, j’ajoute qu’avec le système de coexistence, si l’on supprimait les primes d’exportation, qui seules forment le point de difficulté dans la question des sucres, nous obtiendrions, si la consommation était de 15 millions, un produit de 6 millions, savoir sur 6 millions de sucre indigène à raison du droit de 25 fr, 1,500,000 ;

Sur 9 millions de sucre exotique à raison d’un droit de 50 fr. 4,500,000

Formant ensemble, comme je l’ai dit, un produit de fr. 6,000,000

Avec une consommation de 14 millions de kil., le produit serait encore de 5,500,000

Enfin, avec une consommation de 13,000,000 seulement, qui est celle que nous adoptons comme se rapprochant de la vérité, le produit sera encore de 5,000,000.

Vous voyez donc, messieurs, qu’avec un système radical, il est bien facile de créer une ressource considérable pour le trésor,

Et, remarquez-le bien, ces produits, chacun dans leur hypothèse, seraient obtenus sans qu’il y eût la moindre augmentation dans le prix des sucres comparativement aux prix qui devaient résulter du projet primitif du gouvernement.

Remarquez encore qu’au moyen du droit proportionnel, proposé par le second rapport de la section centrale, si en effet la production du sucre indigène venait à augmenter, il en résulterait encore un avantage pour le trésor.

Admettons pour un instant que notre consommation, étant de 13 millions de kil., le sucre indigène y entre pour 7 millions au lieu de 6, le droit sera alors porté, en vertu de nos propositions, à 29 fr. les 100 kil. ; les 7 millions produiront alors fr. 2,030,000

Il restera 6 millions de sucre exotique dont le produit sera de fr. 3,000,00

Le produit total s’élèvera donc à fr. 5,030,000.

Si le sucre indigène entrait dans la consommation pour une quantité de 8 millions de kil., le produit s’élèverait à 5,140,000 fr. au lieu de 5 millions seulement.

Enfin le produit du trésor s’accroîtrait toujours dans ce système à mesure que la production du sucre indigène se développerait. Mais qu’on ne se figure pas qu’il y aurait dans ce cas même quelque crainte à concevoir d’une importation frauduleuse de sucre car ce développement ne peut provenir que de l’augmentation du prix du sucre étranger.

Tels sont, messieurs, les avantages qui résulteraient pour le trésor public du système de la coexistence des deux industries, si nous voulions seulement réserver une part du marché intérieur au sucre exotique en supprimant les primes d’exportation.

Car, remarquez-le bien, messieurs, ces produits ne peuvent être diminués que pour autant que l’on en consacre une partie en primes d’exportation.

Je n’ai pas parlé du droit de douane à ajouter aux différents produits que je viens d’indiquer, attendu que, selon toute vraisemblance, ce droit ne se percevra à l’avenir qu’à raison de 20 centimes les 100 kil., alors que l’on aura augmenté les droits sur les provenances des ports européens.

Je ferai, parlé, observer qu’en ajoutant le droit sur les 3 p.c. de déchet au raffinage qui doivent être remplacés par une quantité équivalente de sucre brut, chacun des produits que je viens d’indiquer serait encore augmenté.

Résumons les effets financiers des différents systèmes :

Une consommation de 15 millions de kilog., d’après le dernier projet du gouvernement qui proscrit l’industrie du sucre indigène, produirait en droit d’accise au trésor fr. 3,876,000

La même consommation en sucre indigène, à raison d’un droit de 28 fr., donnerait un produit de fr. 4,200,000

En plus, 524,000

Une consommation de 13 millions donnerait lieu à un produit, d’après le projet ministériel, de fr. 3,360,000

La même consommation sur le sucre indigène, au droit de 28 fr., donnerait fr. 3,640,000.

En plus, fr. 280,000

La coexistence des deux industries, sans primes d’exportation, assurerait, en supposant une consommation de 15, 14 ou 13 millions, un revenu de 6,000,000, 5,500,000 ou 5,000,000.

Mais, messieurs, des orateurs ont prétendu que la coexistence des deux industries est impossible ; rien ne serait plus facile que d’assurer cette coexistence, si la question n’était compliquée par les primes d’exportation, qui, jusqu’ici, ont permis aux raffineurs de réduire le prix des sucres à la consommation, de telle sorte que la protection de 37 fr., que la législation actuelle semblait assurer au sucre indigène, était purement nominale. Il faut donc que les primes soient réduites de telle manière que ce sacrifice d’une partie du droit ne soit plus possible et que l’accise se prélève intégralement sur le consommateur ; c’est le résultat que la section centrale a cherché à atteindre en fixant le rendement à 68 et à 71 ; ces chiffres ont suffisamment été expliqués dans le rapport de la section centrale ; je ne m’en occuperai pas en ce moment, sauf à revenir sur ce point, lorsque la discussion se portera plus particulièrement sur les mesures spéciales du projet.

Mais, du moment que les droits ne seront plus réduits à la consommation, du moment que ce qu’on est convenu d’appeler prime de mévente aura disparu, et c’est ce qui doit nécessairement résulter de la loi que nous allons faire, rien ne sera plus facile que d’assurer la coexistence des deux industries par une pondération de droits équitable et surtout au moyen du droit proportionnel que la section centrale a proposé. Je dirai, en passant, qu’à l’égard de ce droit proportionnel je diffère en un seul point avec la majorité de la section centrale : c’est que, dans mon opinion, il ne devrait dans aucun cas, descendre au dessous de 21 francs.

Pour prouver que la coexistence est impossible, on nous dit, messieurs, que déjà plusieurs raffineries de sucre indigène ont été obligées de cesser leurs travaux ; que dans une de nos villes commerciales leur nombre a été réduit de 33 à 23.

Que l’on consulte nos documents statistiques, et l’on verra que, loin de diminuer, la quantité de sucre livrée au raffinage n’a fait qu’augmenter considérablement depuis 1830 ; je le répète, nos exportations de sucre raffiné sont aujourd’hui encore aussi considérables que celles de tout le royaume des Pays-Bas avant 1830.

Si donc quelques raffineries chôment, ce ne peut être que par suite de circonstances particulières qui ne tiennent en rien à la diminution de la quantité de sucre mise en fabrication. Il est des fabriques anciennes qui ne peuvent lutter avec les raffineries qui ont suivi les progrès de l’industrie ; et si quelque grand établissement se trouve dans le même cas, cela ne tient qu’à des circonstances tout à fait particulières, qu’il n’y a pas lieu de rechercher ici.

Une seconde raison sur laquelle on s’appuie pour prouver que la coexistence est impossible, c’est que notre marché intérieur n’est que de 14 ou 15 millions de kilogrammes ; je répondrai à argument que le marché est relatif à la population et que la coexistence est tout aussi possible chez un peuple de 4 millions d’habitants avec une consommation de 14 millions de kil, qu’elle le serai chez un peuple de 40 millions d’habitants avec une consommation le 140 millions de kilogrammes.

On nous dit aussi que le droit sur le sucre indigène ne sera pas perçu intégralement ; on ajoute qu’en France le quart ou le tiers du droit échappe à l’impôt ; en effet, messieurs, on a souvent émis l’opinion en France qu’une quotité plus ou moins forte des produits était soustraite au droit de consommation ; les uns la portaient au cinquième, les autres au quart, ou même au tiers.

L’honorable M. de Brouckere va tout d’un coup beaucoup plus loin ; pour rendre sa démonstration plus frappante, il le réduit de près de la moitié ; mais cet honorable collègue, dans cette appréciation, s’est trompé sur plusieurs points.

D’abord il a rapporté au présent ce qui en France ne concerne plus que le passé.

Le gouvernement français, voulant atteindre toute la production, a modifié essentiellement les règlements qui concernaient l’application du droit de consommation ; par une ordonnance du mois d’août 1842, il a pris des dispositions telles que désormais peu de quantités de sucre pourront encore être soustraites aux droits. Je sais fort bien que M. le ministre du commerce de France a pensé que, malgré cette ordonnance, toute la production n’était pas encore atteinte ; mais cette opinion sera contestée, et d’après des informations que je crois exactes, cette ordonnance a déjoué les fraudes de manière à les rendre très considérables.

Or, il se trouve que les dispositions que l’on veut introduit en Belgique sont à peu près les mêmes que celles que renferme la nouvelle ordonnance française ; on peut donc admettre qu’elles seront aussi efficaces dans leur exécution.

Je ferai d’ailleurs observer à l’honorable membre qu’il y a double emploi dans les chiffres qu’il a posés.

Lorsqu’en France on évaluait au quart ou au tiers la quantité de sucre que l’on parvenait à soustraire à l’impôt, on comprenait dans cette quantité la partie qui pouvait provenir de ce que la prise en charge du droit, à raison de 12 hectogrammes par hectolitre et par degré de densité du jus, n’aurait pas été suffisante. Je suis persuadé que l’honorable membre n’hésitera pas à reconnaître cette erreur.

D’un autre côté l’honorable M. de Brouckere semble croire qu’il n’y a pas d’autre contrôle, d’autre base du droit que cette prise en charge ; qu’il veuille jeter les yeux sur le tableau qui est annexé au second rapport de la section centrale, et il verra que la prise en charge sur une quantité de 3,600,000 kilog. de betterave, à raison de 12 hect. par cent litres de jus ne serait que de 103,930 kilog., à la 11ème colonne du tableau, tandis que d’après le contrôle établi au rafraîchissoir et à l’empli, elle serait, sur la même quantité, 121,913 kilog., ce qui équivaut à une prise en charge de 14 hectogrammes par 100 litres de jus.

J’ajouterai à ce que je viens d’avoir l’honneur d’exposer à la chambre, que si dans le principe de l’application du droit quelques produits peuvent encore échapper à son action, l’administration, éclairée par l’expérience, ne tardera pas à découvrir les moyens qui auront été employés pour y parvenir, et qu’il sera facile de porter remède au mal en modifiant la loi.

Nous ne voulons pas que le droit établi soit une fiction, nous voulons qu’il soit réellement perçu, et que l’on prenne les mesures nécessaires pour arriver à ce résultat.

Au surplus, il est bien avéré que, malgré la réduction de la taxe sur certaines espèces de sucre exotique, il y a encore un bénéfice pour le raffineur sur la quantité prise en charge ; on affirme qu’il est de 2 à 3 p. c. sur le sucre de la Havane. C’est aussi un avantage en faveur du sucre exotique dont il n’a pas été tenu compte

Je crois, messieurs, avoir démontre que la coexistence des deux espèces de sucres est chose fort utile, et en même temps fort avantageuse à l’Etat. Et encore, je n’ai pas soumis à une appréciation spéciale l’augmentation du revenu public qui résulte indirectement de l’établissement des sucreries indigènes.

La section centrale est entrée dans plusieurs considérations pour établir que c’est à la concurrence faite au sucre exotique par le sucre de betterave que l’on doit en grande partie attribuer la baisse de prix de cette denrée.

Je ne comprends guère qu’on puisse contester cette influence, alors que les raffineurs eux-mêmes dans leurs réclamations ont attribué la baisse de prix à la concurrence faite par ce sucre, alors que M. le ministre des finances signale aussi la concurrence du sucre indigène comme la cause de l’avilissement des prix ;

Alors qu’en France après chaque mesure qui restreignait la production du sucre de betterave, les prix des sucres des colonies augmentaient ;

Alors que le ministre du commerce, en France, annonce comme l’effet immédiat et certain de l’interdiction de la fabrication du sucre de betterave, une augmentation de 13 fr. par 100 kil, sur le sucre des colonies ;

Alors enfin qu’à la nouvelle d’une proposition qui tendait à supprimer l’industrie du sucre de betterave en France, nous avons vu la presse hollandaise manifester l’espoir de voir le prix des sucres se relever par l’influence de cette mesure.

« Si l’Angleterre, la France et la Hollande, dit M. le ministre des finances, ne reculent devant aucune mesure pour favoriser le commerce des sucres, nous sied-il bien de venir contester les effets heureux qui ce commerce exerce ? »

Mais l’Angleterre et la France repoussent le sucre étranger de leur consommation en faveur du sucre national, soit indigène, soit colonial, l’Angleterre a de fait supprimé les primes d’importation ; la France a établi un rendement de 70 et 73.

Sont-ce là des exemples que M. le ministre nous propose d’imiter ?

Lorsqu’une nation fait des sacrifices pour ses colonies, elle les fait pour elle-même ; d’une part comme de l’autre, c’est l’intérêt, national qui est en cause.

La section centrale a successivement examiné nos relations commerciales avec chaque pays de provenance du sucre exotique ; après une scrupuleuse investigation elle a déduit cette conséquence de tous les faits exposés que les importations de sucre n’ont eu quelqu’influence sur l’exportation de nos produits que dans nos relations avec Cuba et Porto-Rico, que partout ailleurs elle devait être considérée comme à peu près nulle.

Voici ce que la section centrale a dit de notre commerce avec Cuba et Porto-Rico :

« Nous commencerons par les Antilles espagnoles, Cuba et Porto-Rico qui depuis deux ans fournissent à peu près les 2/3 des sucres importés en Belgique ; la valeur moyenne des sucres importés de ces contrées a été, pendant ces deux années, de fr. 8,915,000, tandis que celle de toutes les provenances réunies n’a été que de fr. 14,776,000. L’exportation des produits de notre industrie vers ces mêmes lieux de provenance est-elle en rapport avec les importations de sucre qui ne sont pas les seules qui nous sont faites de ces pays ? Nous regrettons de devoir répondre négativement à cette question. Tandis que la valeur moyenne des importations de sucre seulement s’est élevée à fr. 8,915,000 en 1840 et 1841, celle des marchandises belges de toute espèce exportées vers ces deux îles n’a été que de fr, 1,494,000. »

« Nous avons cru qu’il était important de nous arrêter particulièrement à l’examen de nos relations commerciales avec Cuba et Porto-Rico, qui nous ont fourni pendant ces deux dernières années 2/3 à peu près des sucres importés en Belgique. Leurs importations suffiraient à toute notre consommation intérieure, dans l’hypothèse même où nous ne ferions pas usage de sucre indigène : mais indépendamment des sucres, nous avons reçu des mêmes contrées, en autres produits, pour une valeur moyenne de fr. 497,000, ce qui eût pu donner lieu à un échange d’une valeur égale en produits belges ; les 2/3 environ de toutes les importations de sucre n’auraient donc amené qu’une exportation de un million ou tout au plus de fr. 1,494,000 en produits de notre industrie. La valeur totale de nos exportations vers ces deux îles est dans la proportion de 1 à 6 avec celle des importations directes et dans celle de 3 à 5 avec la valeur des importations directes et sous pavillon belge. C’est là, nous sommes forcés de le reconnaître, un résultat qui n’est aucunement en rapport avec l’immense influence attribuée aux importations de sucre sur la prospérité de notre industrie. Et qu’on ne croie pas que les moyens de transport nous aient manqué pour effectuer des exportations plus considérables de produits belges ; chaque année, plusieurs navires en destination de Cuba et Porto-Rico sont sortis sur lest ou avec cargaison incomplète de nos ports. En 1841, par exemple, 17 navires d’une capacité totale de 4,746 tonneaux ont fait voile pour ces îles, 13 avec demi-cargaison et 4 sur lest ; la capacité restée disponible a été de 2,890 tonneaux, tandis que la capacité employée n’a été que de 1,856 tonneaux. »

Votas remarquerez, messieurs, que, d’après la section centrale, la moyenne des produits belges exportés à Cuba et Porto-Rico a été de 1,494,000

M. le ministre, dans sa réplique, s’est arrêté à nos relations avec Cuba et Porto-Rico, les seules qui, dans l’opinion de la section centrale, se ressentent dans une certaine proportion du commerce du sucre.

Mais il s’exprime de telle sorte qu’on pourrait attribuer au hasard le choix qu’il fait de ces localités, plutôt que de toutes autres contrées transatlantiques ; il n’en est pas ainsi cependant, car je le répète, ce sont les seules avec lesquelles notre commerce de sucre présente quelques avantages réels.

Voici le passage de son mémoire :

« Sans vouloir suivre la section centrale dans l’examen spécial de nos transactions avec chaque pays, je parlerai d’abord de notre mouvement commercial avec Cuba et Porto-Rico. »

Suit un tableau dont il résulte que la moyenne de nos exportations vers ces îles a été de 1,444,000 fr., chiffre un peu inférieur à celui qu’a indiqué la section centrale.

M. le ministre ajoute que si nous n’avions pas employé des sucres bruts de ces colonies, il nous eût été impossible d’y placer nos produits jusqu’à concurrence de 1,444,000 fr, En cela il ne fait que confirmer ce qu’avait dit avant lui la section centrale.

Conçoit-on que dans le discours que M. le ministre a prononcé dans notre séance de samedi dernier, il prétende d’abord qu’il ne s’est pas attaché spécialement à nos relations avec Cuba et Porto-Rico, et ensuite, qu’à leur égard la section centrale a mal apprécié les faits, alors que sur ce seul point peut-être, elle se trouve d’accord avec lui.

Nous répéterons, toutefois, que si les relations que nous avons avec Cuba et Porto-Rico sont les moins défavorables par rapport à l’influence du commerce du sucre, il s’en faut que nous ayons à nous applaudir de leurs résultats, puisque la proportion de nos exportations avec les importations de ces pays n’a été que de 1 à 6 pendant les années 1840 et 1841.

Considérant principalement la question sous le point de vue de l’écoulement de nos produits dans les îles Philippines, nous avions dit que nos relations avec elles étaient insignifiantes, et nous avions ajouté que si, comme M. le ministre nous l’imposait à tort, nous portions en effet préjudice à ces relations, nous ne nous croirions pas très coupables envers le pays. En effet, certes, nous n’avons exporté dans les îles Philippines que pour une valeur moyenne d’environ 14,000 francs par an.

Sur cette simple réflexion, M. le ministre veut bien nous dire que les plus simples notions commerciales détruisent un pareil argument.

Nos navires, dit-il, explorent la côte occidentale de l’Amérique, déposent leurs marchandises au Chili, au Mexique, traversent l’Océan pacifique pour aller vendre et prendre des chargements aux Philippines, à Singapore et à Java.

Ne semblerait-il pas qu’il s’agit ici d’un commerce immense ? Il n’est cependant que trop vrai que dans toutes ces parties de l’Amérique et de l’Asie la moyenne quinquennale de nos exportations, de 1836 à 1840, n’a été que d’environ 800,000 fr.

M. le ministre, après avoir pris un exemple dans les tableaux du commerce de 1841, ajoute : « De ces faits il résulte que nous n’avons placé nos produits que pour une valeur de 301,867 fr. aux Philippines, à Singapore et à Java. Remarquez toutefois que si nous n’avions pu y aller compléter nos chargements, il nous eût été impossible de vendre au Chili et au Mexique pour une valeur de 1,432.903 fr., car c’est dans ces parages que nous avons trouvé la matière encombrante nécessaire pour notre retour en Europe. »

Nous ferons d’abord observer que dans cette valeur de 1,432,000 fr., le Chili ne se trouve compris que pour 83,000 fr.. et que la presque totalité de cette exportation, s’élevant à 1,353,000, s’est faite au Mexique ; que cette exportation s’est faite par navires étrangers, et que ces navires ne sont pas ceux qui ont importé chez nous des marchandises des Philippines.

En effet, les navires étrangers, qui ont exporté nos produits au Mexique, sont :

Un navire anglais, tonnage 207

Un navire espagnol, tonnage 406

Un navire américain, tonnage 524

Tandis que les navires étrangers, qui ont importé chez nous des marchandises des îles Philippines, sont :

Un navire suédois, tonnage 219

Un navire anglais, tonnage 393

Un navire américain, tonnage 326

Il est donc inexact de dire que si nous n’avions pu aller compléter nos chargements aux îles Philippines, il nous eût été impossible de vendre au Chili et au Mexique pour une valeur de 1,463,000 fr.

On nous dit que nous nous fermons le marché des Indes orientales ; voyons quel est notre commerce d’exportation dans cette partie du monde :

Nos exportations dans ces parages ont été, en 1841, d’une valeur de fr. 300,693

De 1836 à 1840, une moyenne de fr. 225,505.

Ici encore on nous dira : Mais il faut envisager l’avenir ; oui, sans doute, espérons une amélioration, mais n’est-il pas déraisonnable de vouloir que nous fassions le sacrifice d’un bien présent pour un avantage éventuel, incertain, pour nous surtout, qui n’avons pas de marine militaire pour faire respecter en tout temps et en toute circonstance le pavillon national ; et puisqu’on a pris des exemples chez les fabulistes, je demanderai si ce n’est pas nous conseiller d’imiter le chien qui laisse sa proie pour l’ombre ?

Et d’ailleurs, encore une fois, nous ne proposons pas de renoncer au commerce de sucre exotique, mais d’en restreindre peut-être les importations dans une certaine proportion.

Et puis, les Indes orientales ne produisent-elles que du sucre ? Ne pouvons-nous y aller chercher d’autres marchandises, telles que les cuirs, le coton, le tabac, le riz, le café ; Java seul exporte annuellement plus de 50,000,000 de kil. de café, de 60,000,000 kil. de riz.

J’appellerai, messieurs, votre attention spéciale sur nos relations avec tous les pays transatlantiques.

Exporterons-nous moins de nos produits vers ces parages, si par exemple, au lieu de 20 millions de kil. de sucre, nous ne recevons plus que 14 ou 15 millions de kil., ou même si la quantité en était réduite à moitié de ce qu’elle est aujourd’hui, c’est-à-dire à 10 millions ?

Pour résoudre cette question, apprécions notre commerce actuel avec ces pays, c’est-à-dire avec les Indes orientales et occidentales réunies.

Constatons d’abord les résultats généraux ; il me sera facile de prouver que notre commerce, du moins en ce qui concerne l’exportation de nos produits, peut être augmenté dans une immense proportion, alors même que nous recevrions moins de sucre exotique.

Voici quels sont ces résultats :

Prenant la moyenne des importations des deux dernières années, je trouve que nous consommons annuellement en marchandises venant des Indes orientales et occidentales pour une valeur de fr. 72,310,000 ;

Nous ne recevons pas toutes ces marchandises directement des lieux de provenance, mais il dépend de nous que cela soit, si nous y avons intérêt.

J’avais, messieurs, d’après un relevé que j’avais fait rapidement, et qui se trouve annexé au 2ème rapport de la section centrale, indiqué un chiffre moins élevé ; mais celui-ci ne comprend même pas encore la valeur de toutes les marchandises transatlantiques que nous consommons.

La moyenne de nos exportations pour ces mêmes contrées n’a été pendant ces deux mêmes années que d’une valeur de fr.7,392,000

La différence entre la valeur des marchandises coloniales que nous consommons et celle des produits de nos manufactures que nous expédions dans ces parages est donc de 64,918,000

M. le ministre des finances nous dira peut-être encore que les valeurs ne sont pas rigoureuses dans nos tableaux statistiques ; une pareille observation pourrait avoir quelque portée, s’il s’agissait d’une faible différence de quelques centaines de mille francs. Mais on conviendra qu’elle est insignifiante, alors qu’on mettra en parallèle 7 millions d’exportation avec 72 millions d importation.

Et ne croyez pas, messieurs, que ces énormes disproportions soient accidentelles ; si nous prenons la moyenne de la valeur des marchandises importées de 1836 à 1840, nous trouvons également qu’elles excèdent de 61,239,000 fr. celles de nos exportations vers les mêmes parages.

La différence à notre préjudice n’a fait que s’accroître.

Aussi, messieurs, parmi les marchandises coloniales autres que le sucre, n’y a-t-il plus d’objets d’encombrement ; le café dont nous consommons pour plus de 20 millions de francs, n’est-il pas un objet d’encombrement ?

On nous objecte que nous ne consommons pas du café de Cuba ; soyez persuadés que le goût du consommateur n’est pas seulement exclusif, qu’il n’accepte ces cafés, que s ils se présentent avec avantage sur le marché belge.

Ne peut-on envisager aussi comme objets d’encombrement les cotons en laine qui nous arrivent pour une valeur de 12 à 13 millions ;

Les cuirs de toute espèce que nous employons aussi pour plusieurs millions ;

Les huiles de poisson, de baleine dont nous recevons plus de 14 mille hectolitres ; le riz, les tabacs qui sont importés en Belgique aussi pour 11 millions environ.

Ne sont-ce pas là, messieurs, des marchandises d’échange et en même temps des objets d’encombrement ?

N’est-ce pas tomber dans la dernière exagération que de prétendre que notre commerce serait anéanti, que nous n’exporterions plus nos produits dans les Indes orientales ou occidentales si les importations de sucre étaient restreintes ?

De pareilles exagérations se réfutent d’elles-mêmes.

Je viens d’établir qu’alors même que les importations de sucre seraient diminuées de moitié, l’excédant de la valeur des marchandises coloniales que nous consommons serait encore de 58 millions environ sur celle de nos exportations que nous pourrions à peu près décupler pour établir l’équilibre entre la valeur des unes et des autres ; je ne pousserai pas plus loin l’examen de nos relations avec les pays transatlantiques.

Voyons si les observations qui ont été faites, en ce qui concerne l’influence des exportations de sucre sur l’écoulement de nos produits, sont plus fondées.

« Dans mon rapport, dit M. le ministre des finances, j’ai aussi parlé de nos relations avec la Suisse, les villes anséatiques et la Turquie ; le silence qu’a gardé la section centrale dénote assez que les détails dans lesquels elle est entrée à leur égard manquent d’exactitude. »

Pour répondre à 89 pages d’impression, il eût fallu en employer le double ; outre que le temps me manquait pour former un pareil travail il était probable qu’un nouveau rapport d’une telle étendue eût fatigué l’attention de la chambre. D’ailleurs, de l’avouer, il y avait dans la réplique ministérielle telles assertions, tels arguments qu’il m’a été impossible de prendre au sérieux ; de ce nombre est ce qui a été dit sur nos relations commerciales avec la Prusse, les villes anséatiques et le Levant ; mais puisqu’on veut absolument une réponse, je vais la donner.

La section centrale a voulu prouver que nos exportations de sucre concouraient très faiblement à l’écoulement des produits de notre industrie.

Les 4/5 de ces exportations, avons-nous dit, se font vers le Nord. Quant à la Prusse, voici le passage du rapport qui y est relatif :

« Occupons-nous d’abord des pays du Nord : Nous ne nous arrêterons guère à nos relations avec la Prusse ; les droits prohibitifs que l’association douanière allemande a établis sur les sucres raffinés ont probablement réduit à presque rien l’exportation déjà peu considérable de ce produit dans tous les pays de l’association ; du reste, nous ne pensons pas que l’exportation des sucres en Prusse ait exercé une influence quelconque sur celle des autres marchandises belges qui se fait généralement par la voie de terre. Nous voyons d’ailleurs, à l’inspection du tableau, que presque toujours la balance commerciale avec la Prusse est désavantageuse à la Belgique. »

Que fait M. le ministre dans sa réplique ? Au lieu de répondre à l’opinion émise sur l’objet en contestation, il s’attache à la réflexion secondaire qui termine le paragraphe relatif à nos relations avec la Prusse. Il nous dit que si la balance est défavorable, du moins nous exportons une forte quantité d’objets manufacturés. Mais ce n’est pas là ce qui est en discussion.

L’objet de la contestation est celui-ci :

L’exportation des sucres a-t-elle concouru au placement d’autres produits de notre industrie en Prusse ?

La section centrale a répondu négativement à cette question, et elle ne pouvait hésiter à le faire,

La valeur des exportations de produits belges en Prusse s’élève à une somme de fr. 12,548,000 ; dans ce chiffre se trouve une valeur de 600 mille fr. en sucres raffinés expédiés par navires étrangers ; tout le restant des 12,548,000 fr. a été transporté par la voie de terre, sauf seulement 6 à 7 cent mille fr. en objets d’encombrement, tels que machines et mécaniques, et ouvrages de fer battu et de fonte, exportés également par navires étrangers.

Qu’on me dise maintenant si 600,000 kil, de sucre expédiés par eau et pour lesquels nous avons accordé d’énormes primes d’exportation, ont pu servir de moyen d’écoulement à nos produits exportés par voie de terre.

Personne ne contestera que dans ce cas l’influence de l’exportation des sucres n’ait été nulle ; c’est ce qu’a dit la section centrale, et cela n’est malheureusement que trop vrai.

A l’égard de nos relations avec les villes anséatiques, M. le ministre suit le même système ; il s’attache à faire ressortir que nos exportations consistent en objets fabriqués, et parce que la section centrale n’a pas dénié ce fait qu’elle n’avait jamais contesté, au lieu d’en tirer la conséquence qu’elle le reconnaît comme vrai, M. le ministre en déduit que le silence gardé par elle, dénote assez que les détails dans lesquels elle est entrée à l’égard de la Prusse et des villes anséatiques, manquent d’exactitude.

C’est là, il faut en convenir, une singulière manière d’argumenter ; j’ai fait observer que les 2/3 de toutes nos exportations de sucre se font vers les villes anséatiques ; que les importations de ces villes en Belgique, pendant les années 1839, 1840 et 1841, ont été en moyenne de 1,514,000 fr,

Que la valeur moyenne de nos exportations de marchandises de toute espèce autres que le sucre, vers les mêmes villes, est de 2,217,000 fr.

Voici les observations que renferme le rapport de la section centrale sur ces faits :

« La valeur moyenne des sucres exportés pendant ces trois années vers ces mêmes villes est de fr 7,869,000 ; cette dernière exportation ne s’est faite qu’à l’aide de fortes primes. Est-elle du moins la cause ou l’occasion du faible résultat que nous venons d’indiquer, l’exportation de produits de notre industrie pour une valeur de fr. 2,217,000 ? Il serait assurément acheté bien cher à ce prix ; mais nous ne pouvons pas même l’attribuer au commerce du sucre. D’abord, il serait rationnel de supposer que la valeur moyenne des importations de ces villes donnât lieu à un échange de produits belges de même valeur ; par suite de cette compensation, il ne resterait qu’un excédant d’exportation de fr. 703.000. Il serait bien insignifiant vis-à-vis du sacrifice qui résulte pour le pays des 2/3 de toutes nos exportations de sucre. Encore n’en est-il pas ainsi ; on sait que c’est en qualité de matière encombrante qu’on nous présente le sucre comme facilitant l’exportation des autres produits de notre industrie. Nous nous demanderons donc si, pour notre commerce du Nord, le sucre a été nécessaire comme objet d’encombrement ; si les occasions de départ de navires nous ont manqué pour effectuer l’exportation des produits de notre industrie dans cette direction ? Nous ne pouvons hésiter à répondre négativement. »

« En 1841, le nombre de navires du Nord sortis de nos port avec chargement a été de 288 ; leur tonnage était de 31,849 tonneaux ; leur chargement de 18,757 : la capacité restée disponible dans les navires sortis avec chargement a donc été de 13,092. En outre, il est sorti de nos ports 474 navires du Nord sur lest d’un tonnage de 70,318 tonneaux. Ainsi la capacité totale restée disponible à bord des navires du Nord a été de 83,410 ; elle dépasse la capacité employée à l’exportation générale de tous les produits belges ou étrangers sortis de nos ports qui, ainsi que nous l’avons vu, n’ont donné lieu qu’à un chargement de 75,344 tonneaux.

« Tels sont les résultats purement négatifs de l’exportation des 2/3 des sucres raffinés expédiés de Belgique. Les faits qui viennent d’être exposés nous semblent prouver à toute évidence que les produits de notre industrie eussent trouvé le même débouché, les mêmes facilités de placement, s’il n’y avait pas eu d’exportation de sucre vers les villes anséatiques. »

Aucune de ces observations n’a été et ne pouvait être contestée ; il reste par conséquent avéré que les 2/3 des primes accordées ou plutôt les 4/5, car il en est de même de celles qui sont relatives aux sucres exportés en Prusse, en Suède et en Norwège, constituent un sacrifice sans compensation aucune pour le pays.

Voyons ce qui advient du dernier cinquième de nos exportations de sucre : Le cinquième s’exporte dans les Etats d’Italie, en Grèce, en Egypte, à Alger et en Turquie.

La section centrale n’a attribué à cette exportation quelqu’influence sur le placement des produits de notre industrie, que dans notre commerce avec la Turquie ; encore devons-nous ajouter que cette influence est problématique, car la plupart des marchandises que nous expédions en Turquie peuvent aussi bien que le sucre raffiné être considérées comme objet d’encombrement ; le doute est d’autant plus permis qu’en 1839 nous n’avons expédié en Turquie que pour 535,000 fr. de sucres raffinés, tandis que la valeur des autres produits de notre industrie qui y ont été exportés s’est élevée à 2,000,000 fr. ; et qu’en 1841, bien que nos exportations de sucres aient été trois fois plus considérables et aient été portées à une valeur de 1,790,000 fi., celles des autres produits de notre industrie n’ont été que de 1,400,000 fr. ; l’importation des marchandises belges a donc été en quelque sorte en raison inverse de celle du sucre raffiné.

Si ces faits et ces appréciations avaient été contestés, j’aurais cru de mon devoir d’insister de nouveau sur leur fondement ; pour la Turquie, comme pour la Prusse et les villes anséatiques, M. le ministre des finances s’est borné à faire ressortir que nos exportations consistent en marchandises fabriquées, ce qui n’était aucunement une réponse à l’argumentation de la section centrale sur le peu d’influence du commerce du sucre.

Je m’arrêterai, quant à présent, aux considérations que je viens d’avoir l’honneur de soumettre à la chambre, pour prouver que l’intérêt bien entendu de la Belgique n’est pas d’avoir recours à des moyens extrêmes en prononçant la destruction d’une industrie qui concourt à la prospérité du pays, mais d’établir une juste pondération dans les sacrifices que l’on exige de deux industries concurrentes.

Je me réserve de traiter plus tard quelques questions spéciales qui se rattachent au projet en discussion.

M. Cogels.- Messieurs, la majorité de la section centrale a eu en vue trois objets ; assurer la coexistence des deux industries, satisfaire aux exigences du trésor, et alléger le fardeau qui pèse sur les contribuables ; voyons si elle est parvenue à obtenir ce triple résultat.

Je commence par la coexistence des deux industries et ici je reconnais la sincérité des intentions de la section centrale, d’autant plus que dans le principe je les avais partagées ; j’avais cru, à tort, je l’avoue, que la coexistence des deux sucres était possible ; c’est seulement par un examen approfondi que j’ai reconnu mon erreur. D’où vient, messieurs, que la section centrale persiste dans cette erreur ? La chose est toute naturelle, c’est qu’elle a écouté ses sympathies (je ne lui en fais pas un grief) et qu’elle a par conséquent ajouté plus de foi aux renseignements qui lui étaient fournis par les intéressés à la fabrication du sucre indigène, qu’à ceux qui lui étaient fournis par les intéresses au raffinage du sucre exotique. Cette assertion, messieurs, je pourrais l’appuyer par des faits, car effectivement l’honorable rapporteur a écouté les intéresses aux deux industries, mais je n’ai trouvé dans son rapport aucune trace de plusieurs observations pleines de justesse qui avalent été faites par les raffineurs.

Peut-être s’est-il défié des exagérations dont le sucre exotique a toujours été accusé et que, je l’avoue, on a pu lui reprocher avec raison à une certaine époque, car il a eu le tort, et c’en est un, selon moi, de ne pas se placer constamment dans les limites de l’exacte vérité. Si l’on veut être fort, on doit être vrai. Mais voyons si les intéressés au sucre indigène se sont toujours défendu de toute espèce d’exagération ? Je n’entrerai pas dans beaucoup de détails, je prendrai seulement le point le plus saillant. Vous avez tous vu, messieurs, les volumineux mémoires qui nous ont été distribués, j’en tiens un ici et c’est le plus curieux. Dans ce mémoire on nous dit que la Belgique exporte bon an, mal an, six millions d’hectolitres de céréales. Or, six millions d’hectolitres, en comptant 15 hectolitres par tonneau, fout un chargement de 40,000 tonneaux, c’est-à-dire de 2,000 navires de 200 tonneaux qui est plus que le double de toute notre navigation. Je ne trouve dans les listes maritimes aucune trace de la sortie d’une semblable quantité de céréales ; il faudrait donc qu’elles fussent sorties par chariots, mais c’est alors que le mouvement serait grand, car je crois qu’il faudrait plus de 40,000 chariots !

Voilà, messieurs, ce qu’on nous dit pour prouver que la culture de la betterave est utile et non pas nuisible à l’agriculture.

Messieurs, ce ne sont pas seulement les considérations commerciales qu’il faut avoir en vue pour apprécier la coexistence des deux industries, ce sont principalement les questions fiscales, surtout la question des charges qui peuvent résulter pour les contribuables, du maintien des deux sucres. Si vous voulez assurer la coexistence des deux sucres, vous devez, ou bien favoriser l’exportation des sucres coloniaux, et, par conséquent, ne pas augmenter le rendement, ou bien permettre aux sucres coloniaux de lutter avec avantage contre le sucre indigène sur le marché intérieur.

Il est d’abord, messieurs, une chose dont on n’a pas tenu assez compte : on a toujours évalué à 9 millions le sucre versé dans la consommation ; mais l’on n’a pas considère de quoi se composeraient ces 9 millions dans l’un ou l’autre des deux systèmes qui sont en présence. Or, voici le parallèle qu’il faut établir : dans le système de la section centrale, en supposant que l’exportation soit possible avec ce système, ce que je n’admets pas, dans le système de la section centrale, les 9 millions que vous pourrez verser dans la consommation se décomposeraient comme suit :

Sucres mélis, lumps et candis, 1,985,000

Cassonade, 3,731,000

Mélasse, 3,464,000

Ainsi 1,985,000 kil, de mélis seulement,

Si maintenant vous limitez la fabrication du sucre exotique aux besoins du marché intérieur, vous aurez 6,509,000 de sucre mélis, 1,300,000 de cassonade et 1,191,000 de sirop.

Vous voyez donc que vous allez plus que tripler la quantité du sucre de qualité supérieure et que vous allez réduire dans la même proportion les qualités inférieures, les arrière-produits, et cela beaucoup au-dessous des besoins réels de la consommation. Eh bien, messieurs, quelle en sera la conséquence ? Ou bien vous établissez pour les premiers produits du sucre de betteraves, les seuls qui se vendent à la consommation intérieure, une lutte que ce sucre ne peut pas soutenir, ou bien, si le droit différentiel que vous établissez est trop élevé pour le sucre exotique, vous bannissez celui-ci de notre marché que vous livrez exclusivement au sucre de betteraves.

Voici, messieurs, un autre motif pour lequel on ne peut pas assurer la coexistence des deux industries ; on a voulu établir un système de pondération ; je partirai des prix sur lesquels on s’est basé : 57 et 74 ; eh bien, messieurs, admettons que dans le système de la section centrale, la pondération existe réellement aussi longtemps que les sucres conservent leurs prix actuels ; mais supposons que les sucres coloniaux reviennent aux prix auxquels ils ont été en moyenne pendant les dix dernières années, c’est-à-dire, au prix de 71 fr. 15 cent., que l’honorable M. de La Coste a cité dans son discours. Dans ce cas, messieurs, la pondération est immédiatement détruite, car la position du sucre de canne est empirée de 14 fr. par 100 kilog. Ceci n’est pas douteux, mais admettons que le contraire ait lieu, admettons que l’accroissement de la production dans les colonies, que les perfectionnements introduits dans l’extraction du sucre de canne, fassent tomber ce sucre au prix de 40 fr., chose qui est dans l’ordre des possibilités, eh bien, messieurs, dans ce cas, la protection donnée au sucre de betterave n’est plus suffisante, et c’est lui qui doit se retirer du marché.

Ainsi, messieurs, la coexistence des deux sucres entraîne la nécessité absolue de révisions périodiques de la législation. Or, je vous le demande, messieurs, si nous étions condamnés à venir ici à chaque session discuter une loi sur les sucres, que nous resterait-il à faire ; il n’y aurait qu’un seul moyen, ce serait de changer la constitution et d’instituer un parlement spécial qui n’eût à s’occuper que des sucres. (On rit.)

Un membre. - C’est de l’exagération.

M. Cogels. - Il est certain, messieurs, que la pondération serait détruite tous les ans et que tous les ans nous aurions à consacrer plusieurs séances aux réclamations qui nous seraient adressées tantôt par les fabricants de sucre indigène, tantôt par les raffineurs de sucre exotique. Quant au parlement spécial dont j’ai parlé, c’est en effet une petite exagération, mais c’est une exagération de la nature de celles qui sont permises dans le discours, parce que tout le monde peut les apprécier.

Examinons maintenant la question sous le rapport des exigences du trésor et voyons si, avec le maintien du sucre de betterave, il est possible de satisfaire à ces exigences. L’honorable M. Mercier nous a donné pour hypothèse d’abord l’augmentation de la fabrication, avec un système où le sucre se trouverait cependant dans des conditions beaucoup moins favorables ; il nous a, d’un autre côté, présenté le chiffre de la consommation, et il nous a ensuite posé un autre système, celui dans lequel il n’y aurait plus d’exportations, dans lequel il faudrait se renfermer dans les limites de notre marché intérieur, circonstance en effet, qui serait la plus favorable au trésor, si l’on assurait le maintien des deux sucres dans cette position, et si par conséquent le trésor était assuré de la perception totale des droits.

Mais vous concevez, messieurs, que dans cette position le sucre exotique verrait diminuer sa fabrication, même au-dessous des 9 millions qu’on lui attribue maintenant et qu’on peut lui attribuer, en effet. Quant à moi, je continue à admettre pour la consommation le chiffre de 15 millions et voici sur quoi je me fonde, c’est que si en France la consommation n’est pas tout à fait de 3 1/2 kil. par tête, elle est certainement beaucoup plus considérable en Belgique, où la classe aisée est plus nombreuse où il y a infiniment plus de bien-être. En Angleterre la consommation du sucre à été évaluée par sir Robert Peel, dans son discours du 11 mars 1842, à 4 millions et demi de quintaux anglais, ce qui fait environ 220 millions de kil, et ce qui établit une consommation de 8 kil. à peu près par individu.

Je crois qu’après cela nous pouvons raisonnablement admettre en Belgique une consommation de 15 millions. Mais voyons maintenant, messieurs, le sucre de betterave envahirait certainement le marché, ce que cette industrie désire ; c’est au reste ce que les deux industries rivales désirent, elles désirent avoir la plus grande part dans la vente du sucre, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, et c’est en cela qu’elles ne peuvent pas s’entendre.

En Belgique, bien plus qu’en France, une grande partie du sucre échapperait à l’impôt, et surtout dans le principe, parce qu’il s’agit d’un exercice nouveau, et que le génie des fabricants sera toujours plus fertile en expédients que celui des employés des accises. Je dis donc qu’on peut supposer qu’en Belgique la fraude sera plus forte dans le principe qu’en France, où les employés sont éclairés par une expérience d’un assez grand nombre d’années. Ce raisonnement me paraît plausible.

Voyons ce que dit M. le ministre français Cunin-Gridaine dans son exposé des motifs du 10 janvier 1843. C’est donc postérieur à l’arrêté d’octobre 1842 :

« Le gouvernement, dit-il, ne saurait se dissimuler que, nonobstant la sévérité des nouvelles mesures prises pour assurer la perception intégrale des droits sur le sucre de betteraves, des quantités plus ou moins considérables de ce sucre échappent encore à l’impôt. »

Plus loin il ajoute :

« Comme la fraude ne s’exerce pas sur le sucre exotique, ces chiffres, rapprochés du montant de la consommation arbitré a 115 millions de kilog., prouvent que les quantités de sucre indigène de toute nature soustraites à l’impôt ne s’élèvent pas annuellement à moins de 13 ou 14 millions.»

Supposons maintenant que 13 ou 14 millions en France fassent le tiers, mais ici j’admets le quart de la fabrication : supposons donc le chiffre de 25 fr., il restera 18 fr. 75 c. Appliquons cela à 6 millions de kilog. et voyons ce que nous aurons : nous aurons 1,130,000 fr. tout au plus.

Si maintenant vous admettez le rendement de la section centrale et son système, et que vous admettiez la possibilité des exportations, il serait extrêmement rationnel de supprimer la retenue du dixième, car élever le rendement au rendement réel, et encore maintenir le dixième, ce serait retomber dans une erreur qu’on a reconnue en 1837, et qui a contribué puissamment à faire rejeter au second vote l’amendement de l’honorable M. Dubus qui, moins exigeant que la section centrale, n’avait proposé que les rendements de 65 et de 70.

Maintenant, messieurs, si vous supposez les exportations possibles, qu’arrivera-t-il ? c’est que sur le sucre exotique le trésor ne percevra presque plus rien. Voilà donc les exigences du trésor qui ne sont pas satisfaites. Supposons l’envahissement complet du marché par le sucre de betterave, et que ce sucre fournisse les 15 millions ; quel sera le revenu sur les 15 millions à 18 francs et autant de centimes ? Mais encore une fois vous n’aurez pas la somme que réclame le trésor.

Ensuite, moins vous favorisez les exportations, plus votre consommation diminuera, car plus vous aurez de sucres des premières qualités à livrer au consommateur. Or, en supposant que le peuple ait une certaine somme à dépenser en sucre, et ce calcul est fort juste, plus le prix en sera élevé, plus les quantités seront restreintes. Il y a d’ailleurs des classes qui ne consomment que les cassonades et les sirops.

On nous a dit que nous excluons le sucre indigène : oui, nous excluons le sucre indigène, nous avons eu la franchise de l’avouer ; mais la section centrale n’a pas voulu avouer qu’elle excluait le sucre exotique, et cette exclusion cependant est aussi réelle que celle que nous prononçons, car nous ne demandons pas l’interdiction réelle ; nous permettons aux fabricants du sucre indigène de continuer à travailler s’ils ont envie de se ruiner. (On rit.)

M. de La Coste. - Vous proposez l’indemnité.

M. Cogels. - Oui, éventuellement. Voilà donc toute la différence entre les intentions des deux industries rivales. Nous, nous proposons d’enterrer le sucre indigène et de payer les frais des funérailles, et le sucre indigène, au contraire, propose de nous immoler, sans nous rendre les moindres honneurs funèbres (on rit). Voilà la question placée sur son véritable terrain ; laquelle des deux industries est la plus généreuse ?

Le troisième objet que la section centrale a en vue, c’est d’alléger le fardeau des contribuables.

Pour moi, je ne connais qu’un moyen d’alléger le fardeau des contribuables, c’est celui de leur faire manger le sucre au meilleur marché possible. Le sucre indigène va être majoré d’un prix de 25 fr., le sucre exotique serait grevé de 13 fr. Quelle en sera la conséquence ? C’est qu’à moins de vouloir se ruiner, l’une et l’autre, les deux industries devront vendre leurs produits proportionnellement plus cher. Singulier allégement pour le contribuable qui devra manger son sucre beaucoup plus cher !

On a dit que par le système de la section centrale la prime sera doublée. Voilà encore une exagération. Ou a voulu nous expliquer ce qui constituait cette prime ; mais savez-vous à quoi se réduit le sacrifice du trésor ? Il se réduit exactement à la différence de ce que le trésor perçoit et de ce qu’il devrait percevoir, s’il avait l’intégralité des droits sur la consommation, et si cette consommation excluait l’exportation.

Ou a porté ce sacrifice jusqu’à 6 millions. Eh bien, d’après nos calculs, sur une recette de 4,267,000 fr. que nous proposons, et toujours en admettant une consommation de 15 millions, ce sacrifice ne serait que de 1,833,000 fr au maximum ; encore faut-il en déduire le droit sur le million du commerce interlope et la dépréciation résultant de la mévente, ce qui réduit la somme à 800,00 francs environ ; car il faut supposer que le fabricant sera encore obligé de faire des sacrifices sur ce qu’il livre à la consommation, pour continuer le commerce d’exportation.

Et cependant l’on nous a dit que notre système doublait la prime ; l’honorable M. Mercier nous a promis des explications, lorsqu’il serait question du rendement ; je me réserve aussi de présenter mes arguments à cet égard, quand on en viendra à cet article spécial.

On a encore préconisé l’influence du sucre de betterave sur la baisse du prix du sucre exotique. J’ai déjà fait voir que cette influence avait été, sinon nulle, du moins de très peu d’importance, et, ce qui le prouve, c’est qu’en France, où la betterave existe depuis de longues années, et où elle fait une grande concurrence au sucre colonial, les sucres de même qualité que ceux que nous fabriquons sont chers ; ainsi, les sucres Martinique, bonne quatrième, se vendent, d’après le dernier prix courant, à 65 fr., tandis que les nôtres se vendent à 58 fr. 50 c.

Quelle est la cause de cette différence ? C’est qu’en France, il existe un monopole du sucre colonial et un monopole du sucre indigène. Comment ce dernier monopole s’est-il établi à côté du premier ? C’est par suite des guerres, par suite de l’insuffisance de la production du sucre colonial pour la consommation de la France, il a fallu suppléer à cette insuffisance par le sucre indigène ou par le sucre étranger ; on a appelé la concurrence du sucre indigène, mais on n’a pas admis la concurrence des sucres étrangers ; et pourquoi ? parce qu’il eût été très difficile de poser les limites dans lesquelles il convient d’admettre les sucres étrangers ; on a continué alors d’autoriser, d’encourager en quelque sorte la fabrication du sucre indigène ; mais quand le gouvernement a constaté l’envahissement progressif du sucre indigène, il s’est dit : « Il faut mettre un terme à cet envahissement ; sinon, le sucre indigène tuera le sucre des colonies. ». Et, comme la production du sucre colonial a pris maintenant une grande extension, le gouvernement français propose aujourd’hui la suppression du sucre indigène.

On nous a parlé encore de la production des céréales, et l’on nous a dit que l’hectare planté de betteraves produisait 25 p. c. de plus qu’un hectare qui est consacré à la culture d’un autre produit agricole. J’ai admis et j’admets encore ce fait, mais il n’en résulte pas pour cela une faveur pour l’agriculture en général. La culture de la betterave absorbe beaucoup d’engrais ; elle empêche les petits cultivateurs qui n’ont pas de terres propres à la culture de la betterave, de s’en occuper, ou bien ils doivent les payer plus cher. Cet état de choses fait également hausser les baux ; la condition du cultivateur qui ne se livre pas à la culture de la betterave est donc rendue par là plus mauvaise qu’elle n’était auparavant, et je suis bien convaincu que, dans quelques communes qui paraissent s’intéresser si vivement à la fabrication du sucre de betterave, il y a un plus ou moins grand nombre de cultivateurs qui s’applaudiraient très fort de voir disparaître cette fabrication,

On a parlé de la classe ouvrière, et des sommes immenses que la betterave répand parmi les gens de cette classe.

Il y a ici une nouvelle exagération. J’ai demandé tout à l’heure et avec intention à l’honorable rapporteur de la section centrale, si c’était pour chaque jour de l’année, c’est-à-dire l’année complète, qu’il calculait un nombre de 5,000 ouvriers. En supposant que chacun de ces ouvriers gagne 1 franc par jour, cela fait pour les 5,000 ouvriers 5,000 fr, ou 1 million 800,000 fr. par an de main-d’œuvre.

Maintenant l’honorable M. Vandensteen nous a donné un calcul des frais par 100 hectares, Il nous a donné 34,500 fr. de main-d’œuvre sur 166,000 fr. de dépense totale, cela ne fait pas même le quart. Qu’en résulte-t-il ?

C’est qu’en multipliant 1800 mille par 4, j’ai une somme de 7,200,000 fr. On a évalué la production à 5 millions 500 mille kil. Que 5 millions 500 mille kil. qui contiennent 7 millions 200 mille francs puissent se vendre à 80 francs les 100 kilog., voilà ce que je ne puis comprendre.

On nous a dit encore, en parlant du mouvement commercial, qu’à Manille nous n’avions exporté que pour 14 mille francs de produits, C’est là une erreur, car je connais à Anvers une société de commerce qui y a des relations très importantes, à tel point qu’elle y a envoyé un agent auquel elle donne un traitement de 15 à 20 mille francs, je crois qu’on n’enverrait pas dans un endroit une personne à qui on donnerait une rétribution plus forte que la somme des exportations qu’on y fait ; ce serait une opération qui ne serait guère lucrative.

On a dit que si le commerce du sucre n’existait plus, les importations laisseraient assez de marge pour les exportations de nos produits, Je me suis demandé : qu’exporterez-vous dans les pays dont vous ne pourrez plus rien importer, tels que la Havane et quelques parties du Brésil ? On me dit : vous prendrez du café, les Belges s’y habitueront ; car, après tout, pourquoi s’est-on habitué au café des Indes hollandaises ? Parce que, nous avons été longtemps réunis a la Hollande. Ce n’est pas là la raison : pourquoi s’habitue-t-on plutôt au café Java qu’au St.-Domingue et au Brésil commun ? par la même raison qu’on s’habitue plus facilement au vin de Champagne qu’au vin de Surène. Il y a le même rapport entre ces vins qu’entre les cafés que je viens de citer.

On nous a parlé encore des Etats-Unis et on nous a dit que nous pourrions en importer des huiles de baleine etc. Les Etats-Unis n’ont rien de commun avec les sucres. Il y a une seule circonstance exceptionnelle dans laquelle nous avons importé des sucres des Etats-Unis : c’est lors de la crise de 1837, quand les Etats-Unis, devant faire des retours sur le continent, n’avaient plus ni argent, ni crédit, ni traites, et se trouvaient dans la nécessité de faire flèche de tout bois. C’est alors qu’ils ont déversé leur trop plein de denrées coloniales de toutes espèces. C’étaient de folles opérations qui avaient amené cette crise qui dure encore et qui a eu les plus graves conséquences.

Quant à la Prusse, on a dit que le sucre exporté n’avait rien fait pour notre commerce. Le fait est que l’exportation du sucre vers la Prusse ne se fait pas seulement par navire, mais par bateaux et même par terre.

Effectivement, pour les pays du continent avec lesquels nous établissons des relations par le petit cabotage, les sucres n’ont pas cette influence qu’ils exercent dans les relations avec les pays plus éloignés. Voilà les réponses que j’avais à faire à l’honorable rapporteur. Je remercie la chambre de l’attention qu’elle a bien voulu me prêter.

J’avais oublié un objet essentiel. L’honorable rapporteur m’a reproché d’avoir commis une erreur dans la réponse que j’ai faite hier à M. Dumortier. J’avais dit que les lumps se faisaient avec les sucres de moindre qualité, et pas avec les sucres de la Havane.

S’il y a là quelque chose d’inexact, c’est qu’ils ne se font pas avec le sucre vierge ; mais ils se font avec les arrière-produits du sucre Havane ; c’est-à-dire que les lumps se font avec le sucre brut, basse qualité, et les sirops provenant de sucres en pain dits couverts, et de sucres candis. Vous savez que le sucre fabriqué ainsi n’a pas la même richesse que le sucre vierge ; avec ces lumps vous ne pourriez pas fabriquer de beaux candis comme avec le sucre vierge bonne qualité. Voilà pourquoi ces sucres lumps se vendent au-dessous du sucre Havane vierge.

- La séance est levée à 5 heures.