(Moniteur belge n°19, du 19 janvier 1842)
(Présidence de M. Raikem)
M. Kervyn fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.
M. Kervyn présente l’analyse des pièces de la correspondance.
« Le sieur Jean-Joseph Timmermans, commis-négociant à Anvers, né à Zevenaar (Pays-Bas), demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Les membres du tribunal de première instance de Fumes, demandent la suppression de la quatrième classe des tribunaux de première instance. »
- Sur la proposition de M. Deprey, la chambre ordonne le renvoi de cette pétition à la section centrale, qui a été chargée de l’examen du projet de loi concernant les traitements des membres de l’ordre judiciaire, considérée comme commission spéciale.
« Le sieur Corbisier, secrétaire, du parquet du tribunal de première instance à Huy, prie la chambre d’augmenter les traitements des secrétaires de parquet. »
- Même décision.
« Plusieurs propriétaires de troupeaux de moutons demandent que l’on soumette à un droit d’entrée les laines étrangères. »
- Dépôt sur le bureau, pendant la discussion du projet de loi sur les droits d’entrée et renvoi à la section centrale chargée, en qualité de commission spéciale, d’en faite rapport avant cette discussion.
« Les distillateurs et détaillants de boissons spiritueuses des communes de Ruesselaere, Aeltre, Oedelen, Bernem, Wyngene, Ruysselede et St-Jooris, présentent des observations contre le projet de loi établissant un droit de consommation sur les boissons distillées. »
« Mêmes observations des distillateurs et détaillants de boissons distillées de la ville de Gand. »
M. Delehaye. - Messieurs, parmi les nombreux signatures des pétitions que l’on vient d’analyser, il en est qui, envisageant les distilleries comme la source la plus certaine de la prospérité agricole, se sont associés à l’élan général, quoique n’étant pas directement intéressés dans le débit des boissons distillées.
Les auteurs de la pétition sont des personnes de connaissances pratiques et théoriques fort étendues. Les vues qu’ils ont développées et les arguments qu’ils invoquent à l’appui de leurs opinions seront consultées avec fruit par tous ceux qui s’occupent de la grave question que soulève le projet de loi.
Ils prouvent que la loi qui nous régit aujourd’hui et que l’on veut encore aggraver, est contraire au but que s’était proposé le législateur ; la morale qui semblait en être la base, paraît aujourd’hui n’en avoir été que le prétexte, le revenu du trésor a seul pu l’inspirer. C’est sous ce rapport que les pétitionnaires envisagent le nouveau projet, et ils prouvent sans difficulté qu’en frappant successivement de droits élevés la même industrie, on s’expose à la détruire complètement ; j’engage donc mes collègues à examiner cette pétition, et en conséquence je demande que cette pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi dont il s’agit, qu’elle soit renvoyée à la section centrale chargée d’examiner ce projet...
M. Mast de Vries. - Elle a déjà fait son rapport.
M. Delehaye. - Alors je renoncerai au renvoi. Mais, outre le dépôt sur le bureau, comme la pétition renferme des renseignements très utiles et très importants, je demanderai l’insertion au Moniteur. La pétition paraît volumineuse, mais cela tient d’abord à ce qu’il y en a une qui est rédigée en flamand et une qui est écrite en français, ensuite un grand nombre de signatures, qui s’élève à plus de 1,200 ; or, je crois qu’on peut se dispenser d’imprimer le texte flamand et les signatures, et je demande seulement l’insertion du texte français sans les signatures.
- La proposition de M. Delehaye est mise aux voix et adoptée.
« Le sieur Vandenplas réclame l’intervention de la chambre pour obtenir l’indemnité accordée aux blessés de la révolution. »
« Le sieur Selderslaghs, blessé de septembre, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir la pension de 100 fr. votée par la législature en faveur des décorés de la croix de fer qui sont dans le besoin. »
« L’administration du bureau de bienfaisance de la ville de Gand demande la révision de la loi sur le domicile de secours. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. le président. - L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à la canalisation de la Campine. La chambre en est arrivée à l’art. 8, qui est ainsi conçu :
« Art, 8. Il est également autorisé à rendre les art. 2, 3, 4, 5, 6 et 7 applicables aux canaux et canalisations à exécuter, par voie de concession, dans la Campine. Ces concessions pourront être accordées par le gouvernement, après enquête, mais sans que l’adjudication publique soit de rigueur ; elles pourront excéder le terme de 90 ans ; elles pourront être perpétuelles. »
La section centrale propose l’adoption de cet article.
M. Malou. - Messieurs, l’art. 8 du projet du gouvernement, dont la section centrale propose l’adoption, a été rejeté par deux sections, et il n’a été admis par une troisième qu’avec une restriction tendant à interdire les concessions perpétuelles. Le motif du rejet intégral ou partiel est qu’on ne voulait pas abandonner au gouvernement des pouvoirs aussi étendus, qu’on voulait qu’une loi spéciale fût présentée si la nécessité d’une dérogation à la loi générale sur les concessions de péages était reconnue quant à la Campine.
La loi de 1832, qui a été successivement prorogée, exige trois conditions pour que le gouvernement puisse accorder non pas toutes les concessions, mais certaines concessions. Elle établit d’abord une limite, quant à la durée, qui ne peut excéder 90 ans ; elle veut en outre qu’il y ait une enquête et elle exige, en troisième lieu, qu’il y ait adjudication publique. Si l’art. 8, qui nous est proposé, était admis, de ces trois conditions il n’en resterait qu’une seule, l’enquête.
Je me demande d’abord, messieurs, où s’arrêterait cette exception. L’on a beaucoup parlé de la Campine, mais nul n’a encore indiqué quelles sont ses limites. Si les dérogations à la loi générale étaient admises, quel serait le territoire dans lequel le gouvernement pourrait ainsi accorder des concessions exceptionnelles et quelles seraient les parties des provinces d’Anvers et de Limbourg où il ne le pourrait pas ?
La première dérogation proposée est relative à la durée des concessions. En 1832, on était unanime pour reconnaître que les concessions perpétuelles, si tant est quelles fussent admissibles, ne devaient être accordées que par une loi. Il y a plus : à cette époque on paraît avoir repoussé le principe même de ces concessions, car un article proposé par le gouvernement et amendé par la section centrale n’est point passé dans la loi.
Le motif principal pour lequel on exige que des concessions perpétuelles ne puissent être accordées que par une loi spéciale, c’est qu’elles constituent non pas, comme les concessions temporaires, un droit de jouissance sur une portion du domaine public, mais une aliénation réelle.
Au point de vue de l’économie politique, au point des principes de législation, il y a beaucoup à dire contre les concessions perpétuelles. Tout change, tout se renouvelle dans le cours de quelques années, à plus forte raison dans le cours d’un siècle. Si vous donnez à des individus un droit perpétuel, ce droit peut causer un grand préjudice aux intérêts publics, lorsque tout est changé.
Quoi qu’il en soit, sans prétendre résoudre ici cette question, qui est très importante, je crois que l’on doit unanimement reconnaître que cette aliénation du domaine public opérée par concessions perpétuelles, ne peut avoir lieu que par une loi spéciale pour chaque cas, c’est ainsi que l’on agit en France et en Angleterre. En France les concessions perpétuelles doivent être autorisées par une loi spéciale, et il en est de même de celles qui sont faites sans concurrence ni publicité. En Angleterre, si je ne me trompe, aucune concession n’est accordée, si ce n’est en vertu d’un acte du parlement.
La suppression proposée par une section, des mots : « Les concessions pourront être perpétuelles » ne suffirait évidemment pas, car une très longue durée équivaudrait à la perpétuité ; il faut donc rester sous ce rapport dans les termes de la loi de 1832, c’est-à-dire limiter la durée des concessions à 90 ans.
La deuxième dérogation que l’on propose consiste à dispenser le gouvernement de faire des adjudications publiques ; s’il est possible d’alléguer quelques motifs en faveur de la prolongation de la durée des concessions pour les canaux à construire dans la Campine, il ne me paraît pas qu’il soit possible d’en indiquer un seul pour dispenser des adjudications publiques. Quel est, en effet, le but des adjudications publiques en matière de concession ? C’est de voir si les concessions proposées par les demandeurs en concession sont les meilleures qu’il soit possible d’obtenir, soit sous le rapport du taux des péages, soit sous le rapport de la durée de la concession. S’il est vrai que les produits immédiats des canaux à construire dans la Campine, doivent être peu considérables, s’il est vrai que des associations de propriétaires puissent seules entreprendre ces canaux, il n’est pas moins vrai que les adjudications publiques ne peuvent nuire à aucun intérêt ; en effet, les demandeurs primitifs, s’ils offrent les meilleures conditions, conserveront le droit de construire le canal.
Cette dispense de l’adjudication publique, qui a été repoussée en 1832, on la propose aujourd’hui non pas pour des concessions ordinaires où il ne s’agit que de faire payer celui qui se sert de l’objet d’utilité publique, mais pour des concessions tout exceptionnelles qui donneraient aux concessionnaires non pas seulement le droit de percevoir un péage, mais le droit de percevoir une espèce d’impôt à raison de l’exécution même des travaux. On en viendrait ainsi à établir une dette d’un fonds envers un autre, à imposer la propriété, non pas au profit de l’Etat, mais au profit d’une autre propriété.
Il me paraît évident que les dispositions prises pour assurer le concours des propriétaires à des travaux publics que le gouvernement exécute lui-même, ne sont pas susceptibles d’application lorsque les travaux s’exécutent par des particuliers. Pour citer un exemple, je rappellerai le texte de l’art. 5, adopté dans la séance d’hier. L’art. 8 renvoie à cet article qui porte que les annuités seront recouvrables par les mêmes moyens que les contributions directes. Appliquez cette disposition à une concession particulière, et le concessionnaire fera recouvrer par le receveur des contributions et par la voie de contrainte l’annuité qui lui est due par un autre propriétaire ; ce serait là une chose tellement exorbitante que je ne pense pas qu’elle puisse être admise.
Ces dérogations sont-elles au moins utiles à la Campine ? Je ne puis le croire, car s’il était établi que des dérogations partielles sont nécessaires, des lois spéciales pourraient les introduire ; mais alors du moins l’on se restreindrait à un objet déterminé, l’on connaîtrait les motifs qui peuvent autoriser telle ou telle dérogation. Aujourd’hui, c’est un pouvoir illimité qu’on veut accorder au gouvernement sans aucune utilité pour la Campine.
Par suite de ces considérations, je pense que l’article 8 ne peut pas être adopté par la chambre, sauf au gouvernement à présenter les lois spéciales, si la nécessité en est démontrée.
(M. de Behr remplace M. Raikem au fauteuil.)
M. Peeters. - Messieurs, en prenant acte des promesses faites par M. le ministre des travaux publics dans la discussion d’hier, je crois que nous n’avons plus besoin de l’art. 8 qui nous occupe actuellement.
M. le ministre nous disait hier :
« La situation actuelle de la Campine n’est pas heureuse, il faut améliorer autant que possible cette situation, il faut arriver à l’exécution complète du système général de canalisation qui doit donner à cette partie du pays de la vie et de la prospérité » ; partant de là, le ministre nous demande a maintenir le chiffre de la section centrale ; « aller plus loin, dit M. le ministre, serait agir contrairement aux intérêts de la Campine qui a le plus grand intérêt à ce que le système de canalisation se complète. » Sur une interpellation de mon honorable ami M. de Nef, M. le ministre nous a fait les mêmes promesses.
Je prends acte de ces paroles de M. le ministre, qui ont dû certainement influer sur le vote de hier. Vous avez voulu la rétribution la plus forte, maintenant vous devez vouloir les conséquences que M. le ministre a fait pressentir, c’est-à-dire l’exécution complète du système de canalisation de la Campine. Au reste, si vous pouviez l’oublier plu tard, je me charge de vous le rappeler, comme j’aurai soin de vous rappeler également le principe de concours posé par le vote de hier, lorsqu’il s’agira de décréter de nouveaux travaux d’utilité publique dans cette enceinte, le gouvernement dût-il même l’oublier.
Je viens encore m’opposer à l’art. 8, parce que j’ai la conviction intime que le gouvernement seul peut compléter cette canalisation ; lui seul en recueillera aussi tous les avantages ; car, ainsi que j’ai eu soin de vous le prouver hier, il sera déjà suffisamment récompensé pour les dépenses qu’ils pourraient faire à ce sujet, par l’augmentation des revenus de droit d’enregistrement, mutation et succession, augmentation dont une société particulière ne pourra jamais jouir.
Je ne puis donc admettre l’art. 8 comme un avantage pour la Campine ; car je suis persuadé qu’aucune société ne se présentera, c’est au gouvernement seul à compléter cette canalisation, il en a pris l’engagement en vous engageant à voter hier le subside le plus élevé ; j’espère qu’il saura le remplir ; quant à moi, je me charge de le lui rappeler et j’ai assez de confiance dans le gouvernement et dans les chambres pour être rassuré sur le sort de la canalisation complète de la Campine.
Je ne puis assez le répéter, les avantages de cette canalisation seront immenses pour les revenus du trésor, les droits de mutations doubleront ; les avantages des propriétaires ne sont pas si assurés ; eux devront faire de grandes dépenses pour fertiliser ces bruyères et terres stériles de la Campine et ils ne sont pas toujours sûrs de réussir. Plusieurs d’entre eux ne connaissant pas assez les meilleurs moyens à fertiliser les bruyères de la Campine se ruineront par des essais malheureux, et autres mauvaises entreprises et spéculations : Les malheurs de ces propriétaires augmenteront encore les avantages du gouvernement, car des ventes nombreuses en seront la conséquence ; en un mot, les avantages du gouvernement, comme je viens de le prouver, sont beaucoup plus assurés que ceux des propriétaires.
Ainsi que je l’ai dit dans une discussion précédente, de bons calculateurs ont établi qu’au moyen de nos forts droits de successions, mutations et autres contributions, l’Etat, au bout de 26 années reçoit la valeur de toute la propriété foncière. La valeur de la Campine va donc rentrer dans les caisses du gouvernement dans une époque bien rapprochée, et comme la canalisation va créer pour ainsi dire une province de plus, les avantages que le gouvernement en retirera sont immenses. C’est, par conséquent, à lui à compléter dans le plus bref délai possible cette canalisation ; en agir autrement et vouloir donner cette canalisation à une société, serait vouloir spéculer sur la Campine, et enrichir l’Etat au détriment de cette partie du pays, qui n’a d’autres torts, que d’avoir été oubliée trop longtemps ; car, remarquez-le bien, messieurs, si une société se présentait, elle imposerait des conditions bien dures aux habitants et l’Etat, qui n’aurait rien donné dans ce cas, n’en recevrait pas moins l’augmentation de droits de mutations, enregistrements.
J’aurais beaucoup désiré hier encore dire quelques mots avant vote sur l’art. 4 ; la chambre en a décidé autrement, j’ai dû me résigner, je tenais surtout à parler afin de pouvoir faire comprendre que ce n’était pas moi qui avais nié les avantages qui résulteraient de ce canal pour la Campine, j’ai dit, pendant cette discussion comme dans le mois de septembre dernier, qu’il en résulterait un grand avantage, mais que contrairement aux antécédents du gouvernement et des chambres, l’on nous faisait payer un peu cher cet avantage.
L’honorable M. Dubus, au contraire, nous disait hier que le paiement de 2 fr. 50 c. par hectare, pendant 25 années, était une rétribution très modique, « il me semble, a dit l’honorable membre, que c’est payer bien peu un si immense avantage : si quelque chose m’étonne, c’est l’exiguïté du prix qu’on demande pour un avantage si considérable. »
Répondant plus loin à l’honorable M. Huveners, l’honorable membre ajoute que les cultivateurs du Hainaut ne se plaindraient pas d’être surtaxés en contribution foncière, s’ils ne payaient pas davantage que la Campine
Je ferai d’abord remarquer à l’honorable membre, qu’en proportion de ce que nous payons actuellement, l’augmentation est immense ; car l’Etat, tout en disant que quelques propriétés décupleront de valeur, a eu soin, pour avoir assez, de vingtupler les contributions ; en effet, les bruyères qui ne paient aujourd’hui qu’un décime de contribution par hectare, en payeront vingt par la suite.
Je dois donc observer à l’honorable membre, qu’une rétribution qui augmente 25 fois les contributions actuelles de quelques propriétés, est bien quelque chose. Quant à l’idée de comparer les contributions du Hainaut avec celles de la Campine, elle n’est pas heureuse. Le Hainaut, comme tout le monde le sait, a été fortement avantagé en contributions foncières avant la péréquation cadastrale, il en est résulté un avantage de plusieurs millions pour cette localité, je pense qu’il est encore favorisé aujourd’hui, comparativement à la Campine, et je m’explique :
Le cadastre a fixé la contribution sur les prix des baux ; dans le Hainaut, où il y a de très grandes fermes, le prix des baux est beaucoup inférieur, proportion gardée, que dans la Campine, où tout se loue par petite exploitation, et par conséquent à des prix beaucoup plus élevés ; de là la conséquence que dans la Campine, les fermiers sont pauvres, et dans le Hainaut ils sont riches et ne paient pas des contributions sur les bénéfices énormes que leur procurent leurs exploitations.
Il va très mal aux députés du Hainaut d’attaquer la Campine ; ces honorables membres se trouvent dans un pays riche, doté de tous les avantages, favorisés par la bonté de leur sol, ils le sont encore par le gouvernement et par les contributions.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, ainsi que l’a très bien compris la section centrale, le gouvernement, en vous présentant l’art. 8, n’a été préoccupé que des intérêts de la Campine ; il a voulu poser par cet article les moyens d’arriver à l’exécution complète du système entier de la canalisation de la Campine. En effet, messieurs, remarquez-le bien, la loi du 29 septembre dernier ne parle que d’un canal à construire du Ruppel au canal de Bois-le-Duc ; elle se tait sur tout le reste de la canalisation de la Campine. C’est donc dans l’intérêt de la Campine, dans l’intérêt de l’exécution complète du système de canalisation, que le gouvernement s’est décidé à vous proposer l’article que nous discutons en ce moment.
Je dois en conséquence m’étonner que l’honorable préopinant s’oppose à l’adoption de cet article...
M. de Garcia et M. Peeters demandent la parole.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, avant de discuter l’article 8 il est utile de le relire : que porte-t-il ?
« Art. 8. Il est également autorisé à rendre les articles 2, 3, 4, 5, 6 et 7 applicables aux canaux et canalisations à exécuter, par voie de concession, dans la Campine. Ces concessions pourront être accordées par le gouvernement, après enquête, mais sans que l’adjudication publique soit de rigueur ; elles pourront excéder le terme de 99 ans ; elles pourront être perpétuelles. »
Vous voyez, messieurs, que l’article pose d’abord le principe d’exécution, dans un temps plus ou moins rapproché, des embranchements secondaires de la canalisation de la Campine ; il donne à ces voies secondaires des chances d’exécution qui ne constituent pas, à la vérité, de certitude absolue, mais qui du moins constituent de légitimes et fortes espérances.
Messieurs, ces voies secondaires, si elles devaient être exécutées entièrement par l’Etat, comme semble le demander l’honorable préopinant, lui constitueraient une dépense de trois à quatre millions au moins ; et le gouvernement a pensé que tout en posant dès à présent dans la loi le principe de l’exécution, ces embranchements secondaires, dans un avenir qu’il s’est efforcé de rendre aussi prochain que possible, il ne pouvait pas non plus dès à présent poser le principe d’exécution aux frais de l’Etat, parce que notre situation, quant à la balance actuelle des budgets, ne le lui permettait absolument pas.
Tous ceux, messieurs, qui veulent un fonds spécial pour les canaux doivent aussi vouloir que, dès à présent, le principe d’exécution des embranchements secondaires de la canalisation de la Campine soit posé dans la loi, en astreignant cette exécution aux règles posées par les articles 2, 3, 4, 5, 6 et 7 du projet de loi que nous discutons ; car évidemment, s’il n’en était pas ainsi, il faudrait plus tard que cette exécution des embranchements secondaires devînt une charge de ce fonds spécial. Dès lors, ce fonds spécial ne pourrait plus fournir aux autres travaux de canalisation et d’amélioration des voies navigables des sommes aussi fortes, puisqu’une partie des fonds disponibles devrait aller aux voies secondaires de la canalisation de la Campine.
On a fait des objections contre les droits qu’accorde au gouvernement l’art. 8 tel qu’il est proposé, droits que je veux bien admettre être pour ainsi dire exorbitants.
Mais, messieurs, encore une fois, si le gouvernement vous a demandé à être investi de ces droits, c’est uniquement dans l’intérêt de l’exécution des embranchements secondaires de la canalisation de la Campine ; car, en ce qui touche le gouvernement en lui-même, si vous lui accordez ces droits, qu’on trouve exorbitants et qui sont consignés dans l’art. 8 du projet, il assume sur lui une grande responsabilité qu’il n’aurait pas dans le cas contraire, Ainsi, quant au gouvernement, à considérer ses intérêts propres, il devrait consentir à la suppression de cet article, contre lequel un honorable membre s’est élevé tout à l’heure.
Ces droits que l’on trouve exorbitants sont d’abord que le gouvernement serait autorisé par l’art. 8 du projet tel qu’il est rédigé à accorder des concessions pour l’exécution des embranchements secondaires de la canalisation de la Campine, après enquête, mais sans que l’adjudication publique fût de rigueur. On voudrait absolument que l’adjudication publique fût de rigueur. Voici pourquoi le gouvernement a pensé que dans certains cas l’adjudication publique ne devait pas être ici de rigueur. D’abord il est de fait qu’il ne s’agit pas ici de construction de canaux comme le canal de Charleroi ou d’autres qui donnent de gros revenus et qui par conséquent pouvaient exciter la spéculation. Il s’agit, au contraire, d’embranchements secondaires d’une canalisation qui ne sont guère susceptibles de produire de revenu, et même qui dans les premières années ne peuvent pas donner de quoi fournir à l’entretien. Il a donc fallu chercher, non pas à exciter la spéculation, ce qui n’est pas possible, ainsi que je viens de le démontrer, mais exciter le zèle des intéressés à l’exécution de ces embranchements secondaires par des encouragements tels qu’ils puissent se charger eux-mêmes de cette exécution. Mais pour atteindre ce but, messieurs, il faut bien que l’adjudication publique ne soit pas de rigueur, parce qu’évidemment ce n’est pas pousser à l’étude des projets de concession, que de vouloir absolument que l’adjudication soit publique lorsqu’il s’agit de concessions peu profitables et qui ne peuvent être prises que par ceux qui sont plus particulièrement intéressés à l’exécution du canal, attendu qu’eux seuls peuvent vouloir risquer de devoir faire des sacrifices.
Maintenant je viens à la seconde objection ; elle consiste en ce que, si l’art. 8 est adopté tel qu’il a été présenté, les concessions pourraient excéder le terme de 90 ans et, que même elles pourraient être perpétuelles. Les mêmes motifs que je viens de donner pour que l’adjudication publique ne fût pas de rigueur, militent en faveur de cette seconde stipulation. Il faut considérer de nouveau ici qu’il s’agit de l’exécution d’embranchements secondaires de la canalisation de la Campine, qui ne peuvent pas donner par la perception des péages qui devront être modérés, des revenus suffisants pour l’entretien pendant un grand nombre des premières années. Dès lors il faut nécessairement donner l’appât d’un long terme de concession et même d’une concession a perpétuité pour arriver à rendre possible l’exécution de ces embranchements. Il faut que, si le concessionnaire est obligé de dépenser plus pour l’entretien qu’il ne peut percevoir des péages pendant les premières aunées, il puisse espérer se rembourser par les années postérieures, alors que le mouvement sur le canal qu’il aura construit deviendra plus considérable.
Le gouvernement, messieurs, ne verrait pas de difficulté qu’en ce qui concerne ces deux dernières stipulations du projet de loi, il fût dit que le gouvernement serait tenu de soumettre à la législature les concessions qu’il aurait accordées.
L’honorable M. Peeters a parlé au nom de tous les intérêts de la Campine ; il a dit qu’il était plus dans l’intérêt de la Campine que l’art. 8 fût retiré que maintenu. J’ai démontré que le gouvernement n’avait eu en vue que les intérêts de la Campine, quand il s’est décidé à vous proposer cet article. J’attendrai que d’autres membres se soient prononcés avant de prendre une détermination relativement à cet article.
M. Rogier. - Messieurs, l’art. 8, suivant moi, ne peut être maintenu dans la loi. Cet article introduit, en fait de concession, un régime tout à fait nouveau et qu’on peut appeler exorbitant en Belgique. La chambre se rappellera peut-être les discussions très longues et très laborieuses qui ont eu lieu en 1832 sous le ministère de l’honorable M. de Theux, sur la loi de concession de péages. Des débats très approfondis, qui durèrent plusieurs jours, aboutirent à la loi du 19 juillet 1832, que, d’année en année, la législature a renouvelée sans y rien changer. Cette loi consacre plusieurs principes essentiels d’ordre public qui se trouvent entièrement bouleversés par l’art. 8 du projet dont il s’agit. Par la loi de 1832, les concessions ne pouvaient pas être perpétuelles, elles ne pouvaient avoir lieu qu’après enquête sur l’utilité des travaux, la hauteur des péages, la durée de la concession, elle ne pouvait avoir lieu que par voie d’adjudication publique.
Eh bien, d’après l’art. 8, l’adjudication publique ne serait pas de rigueur ; la concession pourrait être perpétuelle ; l’objet de l’enquête n’est plus déterminé ; et ce régime ne serait pas appliqué au pays en général mais à une partie du pays. Tandis que le pays resterait soumis à la législation de 1832, il y aurait pour la Campine un régime nouveau et spécial. Remarquez en outre que les concessionnaires jouiraient, dans la Campine, d’avantages extraordinaires. Ainsi ce droit attribué à l’Etat de faire contribuer dans une proportion assez forte les propriétaires riverains aux frais des travaux serait étendu aux concessionnaires.
Si l’on jugeait utile une telle modification à la législation, il faudrait procéder par voie générale et après une discussion approfondie. Cette discussion serait mieux à sa place lorsque nous nous occuperons de la loi de concessions de péages. A l’heure qu’il est, il n’y a plus de loi. La loi votée l’an dernier a cessé ses effets, le premier de ce mois. Je ne pense pas que la chambre ait encore statué sur le projet de loi de prorogation, présenté par M. le ministre des travaux publics. Je crois même que le rapport sur ce projet de loi n’est pas encore déposé. Cette loi devra être discutée dans un bref délai. Ce sera le moment d’examiner les principes mis en avant dans le projet actuel. Je ne dis pas que ces principes ne peuvent renfermer du bon ; mais je dis qu’ils méritent un examen spécial. Dans tous les cas, ils ne devraient pas être appliqués à une seule localité.
M. le ministre déclare qu’il a présenté l’article dans le seul intérêt de la Campine. Je veux le croire ; mais si ce système est utile, il doit être appliqué à tout le pays. L’utilité de la disposition appliquée spécialement à la Campine ne m’est pas démontrée.
Je vois bien que par tous ces avantages nouveaux, assurés à la concession, on veut exciter la spéculation. Peut-être des spéculateurs, offrant en perspective le concours des propriétaires riverains, une concession perpétuelle, une adjudication sans publicité, et d’autres avantages, trouveront-ils moyen de réunir des actionnaires, et se précipiteront-ils sur la Campine ; et la Campine a été représentée ici comme un pays malheureux, mais le ciel la préserve de certains spéculateurs et de certaines spéculations. Pour ma part, à raison de l’intérêt que je porte à la Campine, je verrais avec beaucoup de peine les spéculateurs s’abattre sur cette contrée. Si par l’art. 8, on favorisait impudemment des spéculateurs qui n’auraient en vue que leurs avantages particuliers, d’abord on pourrait compromettre les intérêts de beaucoup d’actionnaires de bonne foi, ensuite et surtout ceux de la Campine ; car une fois bornée à la spéculation, elle ne sortirait pas facilement de ses mains.
Mieux vaut pour elle attendre des améliorations successives du concours de l’Etat, des provinces, des communes que de voir ses intérêts compromis dans des spéculations qui n’auraient pour but que l’intérêt des particuliers et nullement celui du public.
Du reste je me réserve l’examen des questions que soulève l’article 8. Je dis que le moment n’est pas venu de les discuter. Je demande l’ajournement de ces questions à la discussion du projet de loi concernant les péages.
M. Peeters. - M. le ministre vous disait hier, afin de vous engager à voter le concours le plus élevé, et de faire rejeter l’amendement que j’ai eu l’honneur de vous présenter avec mes honorables collègues : « Le sort de la Campine dépend du montant du concours ; avec un concours raisonnable le système complet de canalisation est assuré ». Aujourd’hui, M. le ministre ne tient plus le même langage ; d’après lui, tout dépendrait maintenant de l’article 8.
Je ne partage pas son opinion ; s’il en était ainsi, je désespérerais du sort de la Campine car j’ai la conviction intime, pour des motifs que j’ai déjà fait connaître assez souvent, qu’aucune société ne pourra se présenter.
M. le ministre vient de vous dire lui-même que le péage de ces canaux ne rapporteront pas grand’chose. Comment peut-ii donc raisonnablement espérer qu’une société particulière, qui n’aura jamais en vue que son intérêt privé, puisse s’en charger ?
Si j’ai bien compris M. le ministre, il voudrait que les propriétaires de la Campine se formassent en société pour canaliser ce pays, de manière que ce que je n’osais pas proposer tout à l’heure, devrait se réaliser ; le gouvernement voudrait donc s’enrichir aux dépens de la Campine ; il aurait lui seul tous les avantages de la canalisation de la Campine, et les habitants de cette malheureuse contrée devraient, par la suite, supporter toutes les charges ultérieures devenues nécessaires pour compléter cette canalisation ; ils devraient s’associer et s’imposer des charges considérables pour décupler les revenus de l’Etat. Non, messieurs, il n’en sera pas ainsi ; c’est au gouvernement et au gouvernement seul, de compléter cette grande œuvre.
D’ailleurs peut-on prévoir que, par la suite, il ne sera pas dans l’intérêt général du pays de faire quelque changement soit au tarif soit aux rétributions des propriétaires, et le pourrait-on si cette canalisation était abandonnée à une société particulière ?
Qui peut prédire quelle sera la position de la canalisation de la Campine et de sa navigation dans vingt ou trente ans ? L’on a dû racheter le canal de Charleroy à une société (et l’on a bien fait, selon moi), afin de pouvoir diminuer les droits de navigation. Ce qu’on a fait pour d’autres localités, dans l’intérêt général, l’on ne voudrait pas le faire pour la Campine.
D’ailleurs, placer un pareil principe dans une loi, me paraît dangereux, l’on ne sait pas même qui sera chargé de l’exécution ; si une société se présente avec des conditions favorables, le gouvernement pourra nous en faire un projet de loi séparé, que la chambre s’empressera d’examiner.
Quant à moi, j’ai la conviction intime qu’aucune société ne se présentera ; c’est au gouvernement, je le répète, à parachever la grande canalisation de la Campine et j’aurai soin de le lui rappeler à toute occasion.
M. le ministre vient de dire que le système complet de navigation coûterait plus de 4 millions à l’Etat. Après avoir dépensé plus de 160 millions pour le chemin de fer, refuserez- vous 4 millions pour canaliser la Campine ?
Je voterai donc contre l’art. 8, et, tout en votant contre cet article, je ferai tous mes efforts pour obtenir le grand système de canalisation de la Campine. J’ai assez de confiance dans la justice du gouvernement et de mes honorables collègues pour croire que je l’obtiendrai.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - J’ai dit tout à l’heure que quand j’aurais entendu quelques-uns des membres qui prennent la défense des intérêts de la Campine, je prendrais une résolution définitive au sujet de l’art. 8.
L’honorable préopinant vous dit qu’il a confiance dans les paroles que j’ai prononcées hier, et qu’il en prend acte. Mais je crois devoir lui faire observer que j’ai voulu donner par l’article en discussion à ceux qui s’intéressent à la canalisation de la Campine plus que les paroles d’un ministre qui peut changer, sortir du ministère, et qui par conséquent n’engage pas sous ce rapport ses successeurs. Mais puisque l’honorable membre qui défend chaleureusement les intérêts de la Campine croit voir dans cet article un obstacle à la réalisation de nos vœux, à lui et à moi, plutôt qu’un moyen d’y pourvoir ; ainsi que le gouvernement a cru le faire, en présentant l’art. 8, je dois croire que la question n’est pas bien comprise en ce moment. Par conséquent, je crois devoir me rallier à la proposition de l’honorable M. Rogier, de représenter l’article dans la discussion de la loi sur les concessions de péages, si le gouvernement le juge utile ou nécessaire, et sauf à y faire les modifications qu’il croira devoir y proposer, par suite des diverses opinions émises dans cette enceinte. Je propose donc d’ajourner jusqu’à la discussion du projet de loi relatif aux concessions de péages, l’art. 8 ou l’article nouveau que le gouvernement croira devoir présenter. Le rapport de la section centrale sur ce projet de loi n’est pas encore déposé sur le bureau de la chambre. Je crois donc qu’il n’y a aucun inconvénient à renvoyer cette discussion à la loi des péages, qu’il est désirable de voir discuter le plus tôt possible. A cet égard je dois prier les membres de la section centrale de hâter leur travail le plus que le leur permettront leurs autres travaux législatifs.
M. de Theux. - D’après la déclaration de M. le ministre des travaux publics, je renonce à la parole ; je considère l’art. 8 comme retiré.
M. de Garcia. - J’avais l’intention de combattre l’art. 8, non seulement à raison de son inopportunité, mais encore à raison des principes qu’il contient. D’après la déclaration de M. le ministre, je me réserve de le combattre, lorsqu’il sera mis en discussion.
M. Cogels, rapporteur. - Il faut considérer l’art. 8 comme retiré. La section centrale s’était réunie, elle avait changé d’avis au sujet de cet article ; elle voulait aussi en proposer le retrait à la chambre.
Avant de passer au vote sur l’ensemble, je proposerai un changement de rédaction dans la disposition additionnelle à l’art. 7, adopté hier ; je pense qu’il faudrait dire dans cette disposition applicable au lieu de appliquée.
- Ce changement de rédaction est mis aux voix et adopté.
M. d’Hoffschmidt. - Le projet de loi de concession de péages a été renvoyé à la section centrale du budget des travaux publics. Probablement qu’elle pourra faire incessamment son rapport. Nous aurons plusieurs questions très importantes à examiner à propos de ce projet de loi. Nous pourrons d’abord examiner celles qu’on vient avec raison d’ajourner. De plus, la loi de concessions de péages accorde au gouvernement un pouvoir que je considère comme très étendu, c’est celui de pouvoir accorder des concessions pour la construction du chemin de fer. C’est là, messieurs, un pouvoir que le gouvernement ne possède, je crois, dans aucun pays. Je n’en dirai pas davantage, je voulais seulement attirer l’attention de la chambre sur ce point.
M. Peeters. - Messieurs, j’ai toujours eu la conviction qu’il ne se présenterait aucune société pour la canalisation de la Campine, pour les motifs que j’ai eu soin de vous développer. Si donc je me suis autant opposé à l’art. 8, c’est parce que, s’il avait été adopté, lorsque j’aurais demandé l’achèvement de la canalisation de la Campine, on n’aurait pas manqué de me dire : Attendez, une société se présentera, on est en négociation, etc. Mais maintenant c’est au gouvernement, c’est aux chambres que je m’adresse pour obtenir cette œuvre utile et je suis persuadé que je l’obtiendrai. Ma cause est si bonne, que je ne puis pas douter un seul instant du succès. Je me repose entièrement sur les promesses formelles de M. le ministre qui m’inspire plus de confiance qu’une société particulière qui ne connaîtrait que ses propres intérêts.
M. le président. - L’art. 8 étant retiré il n’y a pas lieu de le mettre aux voix.
La chambre décide qu’elle passera immédiatement au vote définitif du projet de loi.
Il est procédé à l’appel nominal
62 membres prennent part au vote ;
61 adoptent.
1 rejette.
En conséquence le projet de loi est adopté ; il sera transmis au sénat.
Ont voté l’adoption : MM. Brabant, Cogels, Coghen, Cools, Coppieters, David, de Behr, Dechamps, de Florisone, de Foere, de Garcia de la Vega, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Nef, de Potter, Deprey, de Renesse, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dolez, Dubus aîné, Dumont, Eloy de Burdinne, Fleussu, Henot, Hye-Hoys, Jadot, Kervyn, Lange, Lebeau, Liedts, Lys, Malou, Mast de Vries, Morel-Danheel, Orts, Osy, Peeters, Pirmez, Raikem, Raymaeckers, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Savart, Sigart, Simons, Troye, Van Cutsem, Vandenbossche, Vandensteen, Van Hoobrouck et Vilain XIIII.
A voté le rejet : M. Huveners.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je désire adresser une interpellation à M. le ministre des travaux publics.
J’ai reçu ces jours derniers, plusieurs lettres de la province de Luxembourg qui signalent la détresse où se trouve la classe pauvre de cette contrée. Cette situation malheureuse n’est pas tant causée par les rigueurs de la saison et l’abondance des neiges que parce que la récolte a presqu’entièrement manqué l’année dernière dans cette contrée, surtout celle des pommes de terre.
Le meilleur moyen de venir en aide à ces populations, c’est de leur donner du travail. Or, il y a pour cela un moyen très facile par suite des deux millions que la législature accordés pour la construction de routes dans ce pays. Je sais que plusieurs lots de route ont déjà été adjugés mais ces adjudications ne sont pas encore approuvées par le gouvernement.
Je désirerais donc que l’on pût mettre la main à l’œuvre le plus promptement possible. C’est pour cela que j’ai pris la parole ; c’est pour prier M. le ministre des travaux publics de porter une sérieuse attention sur ce point, et d’engager es entrepreneurs à travailler le plus tôt qu’ils le pourront. Je désirerais que M. le ministre voulût bien nous donner quelques explications à cet égard.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, j’ai’ reçu hier les derniers renseignements que j’avais demandés sur les adjudications des routes dans le Luxembourg ; d’ici à peu de jours je prendrai une décision sur ce point.
M. Rodenbach. - Messieurs, lorsqu’on a voté dans cette chambre la concession du canal de l’Espierre, le ministère nous a promis que ce canal serait promptement exécuté. Dans la longue discussion qui eut lieu alors, nous avons fait observer que le combustible était excessivement cher dans la Flandre occidentale, plus cher même que dans le département du Nord, ce qui est très préjudiciable à nos industries à plusieurs desquelles la France fait concurrence. Je demanderai donc à M. le ministre où en sont les travaux du canal de l’Espierre ; il paraît qu’ils n’avancent pas et que nous pourrions attendre encore plusieurs années avant de voir la Flandre occidentale dotée de cette voie.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs ; les travaux du canal de l’Espierre sont très avancés en ce qui concerne la partie belge. Il est vrai que pour la partie française l’entrepreneur éprouve quelques retards ; mais il m’a demandé de vouloir faire des instances auprès du gouvernement français pour faire lever les causes de ces retards, et je me suis empressé de satisfaire à sa demande. Je ne doute donc pas que dans très peu de temps l’exécution de ce canal ne soit complétée.
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de l’art. du budget des travaux publics relatif au chemin de fer
M. David. - J’ai examiné avec attention les pièces déposées sur le bureau par M. le ministre des travaux publics, dans la séance de samedi dernier et dans celle du 16 janvier courant. Je dois dire à regret qu’ainsi que je m’y attendais, on n’a répondu que pour la forme à mes demandes.
Les pièces déposées sur le bureau de la chambre consistent en un premier supplément aux annexes du rapport de la section centrale contenant :
1° huit cahiers d’états mensuels pour les 8 premiers mois de 1842 seulement, donnant pour chacun de ces mois le mouvement des transports des marchandises, fonds, valeurs, bétail, etc., etc., d’après les catégories du tarif, par bureau de départ et par destination, mais la recette seulement par station de destination, globalement,
2° Un cahier de 39 états de situation des magasins particuliers des stations, au premier décembre 1842 ;
3° Un relevé des objets existants au magasin central de Malines, au premier décembre 1841 et au premier décembre 1842 ;
4° Un état de service des locomotives depuis leur entrée en service et y compris les 11 premiers mois de 1842 ;
5° Un projet d’arrêté royal organique pour l’administration des chemins de fer en exploitation ;
Enfin, un deuxième supplément aux annexes du même rapport de la section centrale, contenant :
6° Un état des recettes effectuées pendant l’année 1842 pour les lignes du Nord, de l’Est et de l’Ouest, et pour la ligne du Midi séparément.
7° Un état indiquant, par mois et par service, le nombre de lieues parcourues par les locomotives, pendant l’année 1842.
De toutes ces pièces, une seule, le cahier des 39 états de situation des magasins particuliers de stations, répond parfaitement au but qu’on en attendait, ces états forment un document probant, complet, revêtu de la signature des employés responsables. Toutes les autres pièces sont incomplètes, et les réponses à plusieurs de mes demandes continuent à manquer, ne nous sont pas fournies.
Au lieu d’un état récapitulatif du mouvement des transports pour l’exercice écoule, et d’un état correspondant pour les recettes :
A. Pour les voyageurs,
B. Pour les grosses marchandises,
C. Pour les marchandises de diligences,
M. le ministre a déposé, dans la séance du 14 de ce mois, huit cahiers d’états mensuels pour les huit premiers mois de 1842, s’arrêtant ainsi à la fin d’août, et ne donnant les recettes que d’une manière globale.
Vous comprendrez, messieurs, à la vue seule de ces énormes cahiers qui n’ont été déposés sur le bureau que pour nous effrayer, nous faire reculer devant toute vérification, devant tout examen, surtout qu’ils n’ont été déposés qu’au moment de la discussion, vous comprendrez, dis-je, qu’ils ne peuvent remplacer les états récapitulatifs réclamés à M. le ministre, et qu’ils ne sauraient servir à éclairer la question qui nous occupe : aucun de nous n’aurait ni le temps nécessaire ni la volonté de compulser, de dépouiller et encore bien moins de réunir et de récapituler cette masse d’états. D’ailleurs il serait peu convenant que les membres de la législature fussent obligés de se charger de la besogne des commis du chemin de fer, ou du ministère des travaux publics. Ces états, du reste, s’arrêtaient au mois d’août, comme je viens de le dire, et ne pouvaient rien nous apprendre quant au montant de la recette de l’exercice, et rien quant à l’application des tarifs aux diverses catégories des transports, puisque la recette y est donnée globalement pour toutes les catégories réunies, toujours probablement pour dérouter tout contrôle des recettes, pour que les tarifs. restassent éternellement une énigme pour nous, pour le public ; c’est vraiment désolant.
M. le ministre, ayant bien compris que ces huit cahiers ne nous apprenaient absolument rien, quant à la recette de l’exercice, a déposé dans la journée du 16 un état global du montant de cette recette par mois et par service, mais n’ayant aucun rapport avec le mouvement des transports, n’indiquant ni les recettes par bureau de départ et encore bien moins par destination. C’est un parti pris par M. Desmaisières de ressusciter pour le chemin de fer la marche ténébreuse de l’ancien syndicat d’amortissement, dont les fils artistement tressés, lui ont toujours fourni le moyen d’échapper à l’investigation des chambres législatives.
Quant aux dépenses détaillées de 1842, nous n’avons rien, absolument rien, ni état complet, ni incomplet. Néant ; cependant je vous ai montre, messieurs, que cet état des dépenses détaillées réclamé à M. le ministre a été fourni à l’occasion de chaque demande de budget sans exception aucune. Sur quoi, à la fin du compte, veut-on que nous basions le vote de confiance de 5 millions 400 mille francs que l’on nous demande pour l’exercice de 1843 ?
L’absence seule de ce document important, indispensable, devrait suffire pour engager M. le ministre à demander de son propre mouvement un crédit provisoire pour les premiers mois de 1843, jusqu’à ce que l’administration de l’exploitation l’eût mis en mesure de produire ce document.
En ce qui concerne les fournitures en magasin, je viens de vous dire que les états de situation des magasins particuliers des stations, étaient très satisfaisants et prouvent que dans les stations la comptabilité des objets de consommation s’y tient régulièrement ; aussi pouvons-nous y voir que le restant dans ces magasins particuliers est beaucoup plus considérable que la consommation du mois précédent écoulé. Que pour une masse d’articles et les plus importants, comme ceux des fers, des métaux, des huiles, etc., le restant équivaut à plus de 5 à 6 fois la consommation du mois y indiquée.
Mais pour le relevé du magasin central de Malines, bien autrement important que les magasins particuliers des stations, qui ne sont que ses succursales, le relevé de sa situation est tout à fait incomplet. Ce relevé laisse ignorer le mouvement du magasin, c’est-à-dire, les entrées en magasin pendant l’exercice 1842, qui doivent s’ajouter au restant en magasin au 31 décembre 1841, et enfin les délivrances du magasin central pendant l’exercice 1842, colonnes laissées en blanc dans le relevé du magasin central et que je prie M. le ministre de vouloir bien nous faire remplir.
Il serait aussi à désirer que cet état du magasin central fût également une pièce probante, signée par le conservateur responsable du magasin, comme le sont les états des succursales signés par chefs de station et visés par l’un des employés supérieurs de l’administration.
Alors ces états seront précieux et fourniront à la chambre le moyen d’apprécier avec exactitude si les fonds demandés pour fournitures de 1843 sont ou non exagérés. Enfin, je désirerais que l’on ajoutât une nouvelle colonne indiquant la valeur des objets, des quantités restant en magasin, ce qui exprimera nette l’avoir, la richesse du magasin. Si la comptabilité du magasin central de Malines est tenue aussi régulièrement que celle de ses succursales, les renseignements que je sollicite, sont l’affaire de deux heures de travail, au plus.
Il ne saurait vous échapper, messieurs, que les états de situation des magasins particuliers des stations et celui du magasin central sont des documents destinés à se contrôler mutuellement, mais que pour cela ils doivent être complets.
Quant au tableau du nombre de lieues parcourues par ligne, au lieu de nous fournir l’état demandé, qui avait pour but de nous connaître la circulation réelle pour 1842 et la circulation présumée pour 1843 sur chacune des sections du chemin de fer, circulation qui nécessairement devait être en harmonie avec les transports effectués et à effectuer, M. le ministre a déposé dans la séance du 14, un état du service individuel de chaque locomotive qui ne répond nullement au but tout de contrôle qui est indiqué ci-dessus. Evidemment cet état, pour être utile, devait revêtir la forme et présenter les renseignements de celui que j’ai soumis à la chambre pour le mouvement présumé de 1843 et qui se trouve au Moniteur du 15 courant. Si dans le tableau que j’ai fourni, il se trouve des chiffres trop faibles selon M. le ministre, qu’il veuille bien les redresser en indiquant les sections où le nombre de convois ne serait pas suffisant.
M. le ministre a fait distribuer, dans la journée du 16, un état indiquant, par mois et par service, le nombre de lieues parcourues par les locomotives pendant l’année 1842. Cet état revêt encore une forme qui empêche tout contrôle, tout rapprochement avec le mouvement des transports. Je prie M. le ministre, puisqu’il connaît maintenant les lieues parcourues en 1842 et qu’il a pu les diviser en service de voyageurs, de marchandises et de transport de sable, de vouloir bien nous donner le même renseignement sous la forme du tableau que j’ai fait imprimer au Moniteur, et indiquant le nombre de convois par ligne.
Enfin, M. le ministre a déposé, de son propre mouvement, sur le bureau, un projet d’une nouvelle organisation pour l’administration de l’exploitation du chemin de fer, qui, selon lui, devrait amener de nouvelles économies dans le service. J’ai bien examiné ce projet et j’avoue naïvement que je n’y puise que des motifs de crainte, de voir s’empirer encore ce que l’on appelle, à bon droit, le cancer rongeur du chemin de fer, c’est-à-dire la multiplication du personnel, et surtout en ce qui concerne son « luxe d’état-major ». Si les compagnies étrangères, si économes, si modestes, voyaient ce nouveau projet d’organisation, elles refuseraient d’y croire !
Prenons-y garde, messieurs, jusqu’à présent, excepté un ingénieur en chef, mécanicien étranger, dont on avait voulu récompenser le dévouement et qui a rendu des services signalés, au chemin de fer, il n’y a eu d’autre ingénieur en chef que le directeur de l’administration.
Pendant longtemps l’administration des recettes était confiée à un simple contrôleur et alors on obtenait pour les recettes tous les renseignements possibles, sans même les demander. Aujourd’hui il n’existe encore que deux inspecteurs et quelques contrôleurs. Demain et pour les seules sections aujourd’hui exploitées, vous aurez en sus du personnel actif, d’entretien de locomotion, de perception et de stations, un état-major composé d’un ingénieur en chef directeur, probablement directeur-général, qui aura sous ses ordres des ingénieurs en chef de 1ère classe, des ingénieurs en chef de deuxième classe, des ingénieurs de 1ère classe, de 2ème classe, de 3ème classe, etc., des inspecteurs en chef, des inspecteurs ordinaires, des contrôleurs en chef, des contrôleurs, des adjoints contrôleurs, etc., etc., et tout cela avec des traitements suffisants, et que l’on se propose d’augmenter encore sans limite déterminée, à titre de frais de bureau, de voyage, de séjour et même d’une certaine part dans les recettes. Croyez-vous, messieurs, que ce projet d’organisation renferme le germe d’économies dont on fait savourer à l’avance les douceurs ? C’est peut-être à cette prévision d’augmentation de personnel, que l’on doit le déplorable entêtement des hauts tarifs du chemin de fer, tandis que si l’on avait la vue plus longue, on s’apercevrait que ce n’est que dans les bas prix des transports qu’on pourrait puiser les éléments d’une dépense aussi immodérée.
Je pense, messieurs, vous avoir surabondamment démontré que le dépôt des pièces que nous devons à M. le ministre, n’est qu’un simulacre de condescendance envers la chambre ; que ces pièces ne renferment pas les réponses demandées et ne peuvent justifier le vote de confiance de cinq millions 400 mille francs qu’on exige de nous. Du reste, je n’entraverai pas davantage la décision de la chambre sur ma motion d’ordre et j’abandonne à sa sagesse de décider si dans cet état de choses nous pouvons passer à la discussion des articles du budget du chemin de fer.
Dans tous les cas, je demande que les pièces qui ont été déposées sur le bureau par M. le ministre, soient complétées par lui pour l’exercice entier de 1842 et imprimées pour être distribuées à chacun des membres de la chambre.
Et je recommande de nouveau à M. le ministre les états de mouvement des transports récapitulés pour l’exercice entier, tels que je les ai demandés :
A pour les voyageurs,
B pour les grosses marchandises,
C pour les marchandises de diligence.
Et les états correspondants des recettes séparément. Tous ces états par bureaux de départs et par destination. Toutes ces pièces seront du plus grand intérêt pour la chambre lorsqu’il s’agira de la loi sur la prorogation des péages, ou à l’occasion de la discussion qui s’élèvera probablement lors du compte- rendu de 1842.
M. de Theux. - Messieurs, j’attache beaucoup moins d’importance à des demandes très détaillées de renseignements dans l’état actuel des choses, parce que je pense qu’il nous serait impossible d’en tirer bon parti. Nous ne pourrions pas suffisamment apprécier les conséquences de ces renseignements pour nous former une idée juste des sommes nécessaires pour l’exploitation du chemin de fer.
Mais je reproduirai une observation que j’ai faite lors de la discussion du budget de l’année dernière : c’est qu’il me paraît qu’il serait d’une haute importance, que M. le ministre des travaux publics instituât une commission d’enquête relativement à l’exploitation du chemin de fer. Cette commission prendrait tous ses renseignements, non seulement au ministère, mais aussi auprès des employés, et au besoin, dans les stations. Si cette commission était bien composée, je pense qu’elle pourrait amener des résultats très satisfaisants. Dans tous les cas, si cette commission était nommée, je désirerais que le gouvernement fît part aux chambres du résultat de ses investigations.
Je désirerais, d’autre part, que pour la discussion du budget de l’année prochaine, M. le ministre nous fournît longtemps à l’avance et avant même l’examen du budget dans les sections, tous les renseignements qui pourraient éclairer la discussion relativement à la dépense d’exploitation du chemin de fer. Car il faut bien en convenir : de la manière dont les choses se passent depuis quelques années, les sections sont exposées à faire un travail inutile, puisque beaucoup de renseignements, non seulement relatifs à l’exploitation du chemin de fer, mais aussi relatifs à divers travaux compris dans le budget n’arrivent qu’après l’examen des sections et au moment de la réunion de la section centrale.
Je désirerais aussi qu’a l’avenir le chapitre du chemin de fer contînt tous les détails nécessaires, qu’il fût subdivisé en articles et paragraphes ainsi que le sont les chapitres des autres dépenses des divers ministères, alors, messieurs, munie de tous les renseignements que je viens d’indiquer, la chambre serait à même de se prononcer en connaissance de cause, ce qui n’existe pas aujourd’hui, il faut bien en convenir. Je conçois qu’à une époque de transition comme celle que nous avons passée relativement à l’exploitation du chemin de fer, il était difficile de suivre la marche régulière que je viens d’indiquer, aussi j’en fais moins un grief que l’objet d’une demande pour l’avenir.
En songeant aux économies qu’il serait possible d’introduire dans l’exploitation du chemin de fer, j’ai porté mon attention sur ce qui se pratique dans diverses branches d’administration du département des finances ; là, nous voyons des surnuméraires qui, pendant un grand nombre d’années, rendent des services à l’administration, sans toucher un traitement, seulement ils font preuve d’aptitude dans les diverses branches du service ; ils acquièrent des connaissances et se créent ainsi un titre à une promotion. Je conçois que ce système n’est pas applicable à toutes les branches du service du chemin de fer, mais au moins est-il quelques branches de ce service, auxquelles le système admis par le département des finances pourrait être utilement appliqué. Dans tous les cas il y aurait peut-être encore une autre mesure à prendre : il existe des milliers de solliciteurs pour les moindres emplois vacants au chemin de fer ; pour quel motif ne pourrait-on pas, pendant 5 ou 10 ans, par exemple, fixer pour ces emplois un traitement peu élevé, qui au bout de ce temps serait porté au taux normal. Ce serait encore là une source d’économies, et je crois que ceux qui obtiendraient des emplois à cette condition, en seraient également très heureux.
Il est aussi diverses observations à faire relativement à l’augmentation des recettes du chemin de fer. Nous avons remarqué que le transport des marchandises n’est pas aussi considérable qu’il devrait l’être ; je crois que cela tient en grande partie à l’obligation où l’on est le décharger constamment les marchandises, de les transborder des voitures ordinaires sur les wagons et des wagons sur les voitures ordinaires ; si l’on pouvait adapter aux wagons du chemin de fer, des caisses mobiles que l’on pourrait transporter avec facilité, il en résulterait que l’on ne devrait pas décharger et recharger sans cesse les marchandises, et que l’on opérerait ainsi une grande économie. Je crois qu’alors on pourrait transporter par le chemin de fer de grandes quantités de diverses marchandises, telles que la chaux, les pierres à bâtir, les pavés et beaucoup d’autres objets que l’on ne transporte guères maintenant, parce que les frais de chargement et de déchargement sont trop considérables.
Je bornerai là, pour le moment, mes observations, car il me paraîtrait inutile d’entrer dans trop de détails ; si M. le ministre des travaux publics veut sérieusement introduire toutes les économies possibles dans l’exploitation du chemin de fer, je crois que le meilleur moyen serait de recourir à l’institution d’une commission d’enquête qui serait composée d’hommes d’élite ; cela amènerait nécessairement les meilleurs résultats.
M. de Mérode. - Je demande la parole.
M. le président. – Est-ce sur la motion d’ordre ?
M. de Mérode. - Non, M. le président.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Je ne sais pas si nous devons nous en tenir purement et simplement à la motion d’ordre, car M. David a lui-même abordé le fond de la question.
M. David. – J’ai déclaré à la fin de mon discours que je n’insistais pas sur la continuation de la discussion de ma motion d’ordre, que je m’en rapportais sous ce rapport à l’opinion de la chambre.
M. Sigart. - Je dois d’abord remercier M. le ministre de la réponse qu’il a faite à la section centrale relativement à la police du chemin de fer, cependant je crois qu’il se trompe lorsqu’il pense qu’il doit se borner aux deux points dont il a parlé. Il est vrai qu’il n’y a que ces deux points que j’aie agités dans ma section, mais je pense qu’il en est d’autres qui devraient être examinés. Toutefois, je ne veux pas en ce moment engager une discussion à ce sujet ; cette discussion trouvera mieux sa place lorsqu’il s’agira du projet de loi qui nous sera soumis par le gouvernement. Je dirai seulement à M. le ministre qu’il trouvera des indications utiles sur cette matière dans les législations de l’Amérique et de l’Angleterre, relatives aux chemins de fer.
Je ne veux pas, messieurs, agiter la grande question des tarifs du chemin de fer, mais je ne puis me dispenser de dire que sur la ligne du Midi, il doit exister un vice grave, car au-delà de Mons, il n’y a que les grandes messageries qui aient cessé leur service, toutes les petites entreprises continuent à marcher et tous les jours devant ma porte, sur une route parallèle au chemin de fer, il passe au moins dix diligences. Je ne veux pas rechercher toutes les causes de cet état de choses, je sais très bien que quelques-unes d’entre elles sont indépendantes de l’administration du chemin de fer, mais il en est d’autres qui dépendent du gouvernement, comme, par exemple, l’élévation des tarifs et plusieurs mesures relatives aux voyageurs, qui ont été prises d’une manière tout à fait inopinée et qui dégoûtent le public du chemin de fer. Je dois aussi citer l’absence des wagons à certains convois et le tarif qui règle le transport des marchandises de grande station à grande station en laissant de côté toutes les stations intermédiaires.
Je demanderai à M. le ministre des renseignements sur les fours à coak à établir sur les lignes du Midi ; l’année dernière, il nous été fait à cet égard quelques promesses qui sont restées jusqu’ici sans résultat. C’est une espèce de scandale de voir transporter la houille du Borinage aux fours à coak qui sont situés à une distance extrêmement grande, et de voir ensuite revenir le coak à peu près au point d’où il était part. Cela occasionne de grandes dépenses qui sont complètement inutiles. Cette observation s’applique également à Tournay ; les houilles passent à Tournay pour se rendre à Gand où on les convertit en coak pour revenir ensuite à Tournay. J’espère que l’on ne tardera pas à faire cesser un semblable état de choses.
Je demanderai aussi des nouvelles de la station de Mons. Il paraît qu’il y a, à cet égard, des contestations entre le département des travaux publics et celui de la guerre, on dit même que la gendarmerie requise par le département des travaux publics, aurait été sur le point de se trouver en collision avec la garnison de la place de Mons, requise par le génie militaire ; je crois que c’est là une exagération, mais ce qui me semble extrêmement probable, c’est que l’administration communale de Mons va intenter une action au gouvernement pour obtenir l’exécution d’un contrat qui a été signé. Le gouvernement offrirait là un spectacle assez peu édifiant.
Je demanderai enfin des explications sur l’arrêté du mois d’octobre dernier, qui réduit de 20 p. c. le prix du transport par charge complète d’un convoi transportée à une distance de 20 lieues. Je demanderai au profit de qui cet arrêté a été porté ; il est certain que les exploitants de Mons s’en plaignent de la manière la plus vive, et j’ai vu par quelques journaux que l’on s’en plaint également ailleurs.
M. Lange. - En présence, messieurs, des brillants avantages dont jouit la ligne du Midi, tels que l’absence de wagons dans certains convois, la lenteur désolante d’autres convois, et d’autres inconvénients qui ont déjà été énumérés, force m’est de revenir, souvent au moins, sur le point capital (je veux parler du tarif des voyageurs). Je ne cesserai de vous répéter, M. le ministre, que vous n’avez pas adopté en entier le tarif de la commission qui fixait pour moyenne proportionnelle, par lieue kilométrique de 6,000 mètres, 20 centimes pour les wagons, 30 centimes pour les chars-à-bancs et 40 centimes pour les diligences. Votre tarif à vous, M. le ministre, du 17 août 1841 fixait la moyenne, par wagons, de 17 à 18 centimes, par chars-à-bancs à 30 centimes, comme le proposait la commission, et par diligences, de 37 à 38 c. Ce tarif, vous en êtes resté esclave sur les lignes du Nord, de l’Est et de l’Ouest, mais vous l’avez répudié pour la ligne du Midi. Déjà, par des calculs dont vous avez bien voulu reconnaître l’exactitude, je vous ai démontré que, sur la ligne principale d’Anvers, la moyenne par lieue kilométrique était de 17 centimes 4 centièmes pour les wagons, de 28 centimes 40 centièmes pour les chars-à-bancs, et de 36 centimes 93 centièmes pour les diligences.
Sur la ligne de Bruxelles vers Liége, la moyenne par wagons est de 17 centimes 36 centièmes ; pour les chars-à-bancs, de 26 centimes 62 centièmes, et pour les diligences, de 34 centimes 72 centièmes.
Aujourd’hui que la ligne vers Gand s’est prolongée jusqu’à Tournay, procédons à un nouveau calcul. Toutefois, je rappellerai d’abord ce que disait M. le ministre des travaux publics, lors de la discussion du dernier projet d’emprunt.
« Il faut, disait M. le ministre, toujours avoir égard, lorsqu’on compare le prix des tarifs sur diverses lignes, aux détours que les tracés eux-mêmes forcent les voyageurs de faire. »
En cela, j’ai toujours été d’accord avec le ministre ; j’ai toujours opéré en tenant compte des détours.
« C’est ainsi, continuait M. le ministre, que bientôt la section de Courtray à Mouscron, et celle de Mouscron à Tournay vont être mises en exploitation ; eh bien, on reconnaîtra qu’on ne peut pas appliquer lieue par lieue les bases de tarification aux voyageurs qui iront de Tournay à Bruxelles, car ils auront deux détours, le détour de Tournay par Mouscron sur Courtray, et ensuite le détour par Malines de Courtray à Bruxelles. »
La ligne de Bruxelles à Tournay compte 151 kilom. ; de Bruxelles vers Courtray, par Malines, il y a un détour de 20 kilom. ; de Courtray vers Tournay, par Mouscron, si mes renseignements sont exacts, le détour doit être calculé au maximum à 6 kil. En conséquence, si l’on déduit ces 26 kilomètres de détour réunis, de la ligne de Bruxelles à Tournay, il reste pour première base de mon calcul, 125 kilom....
M. Dubus (aîné). - Je demande la parole.
M. Lange. - Le prix des wagons de Bruxelles à Tournay, est de 4 fr. 50 c. ; en conséquence, la moyenne par lieue kilométrique pour les wagons est de 18 centimes sans fraction. Le prix des chars-à-bancs est de 7 francs ; la moyenne est donc de 28 centimes sans fraction. Le prix des diligences est de 9 francs ; la moyenne est de 36 centimes sans fraction.
J’avais donc raison de vous dire, M. le ministre, que vous étiez resté dans les bornes de votre tarif du 17 août 1841, en ce qui concerne les lignes du Nord, de l’Est et de l’Ouest.
Abordons maintenant la ligne du Midi.
La distance de Bruxelles à Quiévrain est de 80 kilom. Le prix des wagons est de 3 fr. 75 c. ; la moyenne est donc par lieue kilométrique de 23 centimes 43 centièmes, au lieu de 18 cent., maximum du tarif du 17 août ; Le prix des chars-à-banc est de 5 fr. 25 centimes ; la moyenne est de 32 centimes 81 centièmes, au lieu de 30 centimes, maximum du tarif du 17 août ; Le prix des diligences est de 7 fr. ; la moyenne est de 45 centimes 75 centièmes, au lieu de 38 centimes, maximum du tarif du 17 août, et ce toujours par lieue kilométrique de 5000 mètres.
J’avais donc aussi raison de dire, M. le ministre, que vous aviez répudié votre propre tarif pour la ligne du Midi.
Quels que soient les raisonnements qu’on puisse faire valoir, que M. le ministre a déjà fait valoir et que j’ai déjà réfutés, ne doivent-ils pas venir se briser contre ces chiffres qui parlent d’eux-mêmes ?
Messieurs, je n’entrerai pas dans d’autres calculs, je craindrais de devenir fastidieux ; je me hâte de terminer, et je terminerai, M. le ministre, en vous disant avec regret que si vous persistez dans votre système d’exclusion pour la ligne du Midi, deux conséquences nécessaires doivent en découler : la première, toute morale : absence de justice distributive ; la seconde, toute matérielle : préjudice pour le trésor. La ligne de Bruxelles vers Quiévrain ne tardera pas à être totalement abandonnée ; elle l’est déjà en partie.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, en appuyant il y a peu de jours, l’ajournement du chapitre concernant le chemin de fer dans le but d’obtenir des renseignements importants, J’’avais demandé que le chapitre du chemin de fer fît l’objet d’un budget détaillé semblable à ceux des autres services de l’Etat. Si je n’ai pas insisté davantage sur cette demande, c’est que je n’ignorais pas que les habitudes de la chambre ne me permettraient pas d’espérer qu’une proposition introduite d’une manière aussi incidente eût une chance de succès immédiate. Mais j’espère, messieurs, que cette proposition portera ses fruits pour l’année prochaine, car la nécessité de ce système me semble incontestable, si nous voulons la régularité dans la comptabilité de l’exploitation du chemin de fer, et faire exercer sur ce service un contrôle salutaire par la cour des comptes. Si l’exploitation faisait l’objet d’un budget détaillé, nous nous éviterions la peine de nombreuses demandes de renseignements, qui restent insuffisants même avec la meilleure volonté du ministre, et nous gagnerions un temps précieux. J’aime donc à compter pour l’exercice prochain sur un budget détaillé du chemin de fer, et, je le déclare avec franchise, je me déciderais difficilement à accorder mon vote approbatif l’année prochaine au chapitre du chemin de fer formulé comme il l’est cette année.
Je voterai les dépenses de l’exploitation telles qu’elles nous sont proposées, persuadé qu’il est difficile de contester la justesse des propositions du gouvernement formulées comme elles le sont cette année. Il s’agit donc d’un vote de confiance, et je ne crois pas pouvoir le refuser à l’honorable ministre des travaux publics, qui, après tout, n’a fait que suivre les errements de ses prédécesseurs
Je bornerai donc là mes observations quant au service de l’exploitation, mais vous voudrez bien me permettre de me livrer à quelques réflexions sur les dépenses d’établissement.
Une section frappée, sans doute, de la gravité et de la justesse des observations de la cour des comptes sur la comptabilité des chemins de fer, a appelé l’attention de la section centrale sur cette important objet. La section centrale a cru devoir appeler l’attention du ministre sur cette question par une note insérée dans son rapport.
Le chef du département des travaux publics s’est borné à répondre à la note de la section centrale concernant la comptabilité par le renseignement suivant, annexé au rapport de la section centrale.
« Il est exact, comme le dit la cour des comptes, que les travaux dits de parachèvement ont pris une grande extension et que les dépenses s’étendent à presque toutes les sections en exploitation et s’imputent sur le fonds spécial, mais on ne doit pas perdre de vue que l’administration a cru devoir, toujours dans l’intérêt du trésor, n’exiger, par ses adjudications, que l’exécution de tout ce qui était rigoureusement nécessaire pour pouvoir commencer l’exploitation et rendre ainsi plus tôt productives les diverses parties du railway ; l’exploitation n’étant jamais fort étendue dans les premières années, permet le parachèvement successif en apportant au trésor des recettes plus on moins considérables, etc.
D’après les explications de M. le ministre, c’est par intérêt pour le trésor que les prévisions des travaux compris aux cahiers des charges et aux adjudications sont si incomplètes, que le tiers de la dépense est abandonnée à l’imprévu, à des travaux supplémentaires dits de parachèvement.
C’est par intérêt pour le trésor, afin de pouvoir plus tôt ouvrir les sections en construction à l’exploitation.
Eh bien, je dis, moi, sans crainte d’être contredit, que ce système, s’il mérite ce nom, que cette manière de servir les intérêts du pays coûte des millions au trésor.
Je ferai d’abord remarquer que le résultat de la condition d’une grande précipitation dans les travaux, insérée au cahier des charges, c’est de faire de mauvais travaux, sans durée dans l’avenir, des travaux fort dispendieux ; je ferai ensuite observer que ces travaux, dits de parachèvement, coûtent aussi infiniment plus, parce qu’ils ne sont pas mis en adjudication, qu’ils sont abandonnés en main ferme aux entrepreneurs ; que quelquefois, ce qui pis est, ils sont exécutés sans règlement préalable de prix, sans même l’autorisation du ministre, et que, ce qui ne vaut pas mieux, ils sont abandonnés en partie à la régie, qui a pris un développement démesuré au ministère des travaux publics.
Quel intérêt pour le trésor peut-il y avoir, par exemple, d’étrangler les travaux, de se préparer de grands travaux supplémentaires, mis en partie en régie pour ouvrir le 26 décembre, en plein hiver, la section de Braine à Manage, section qui ne mène vers aucun centre de population, qui ne mène, je pourrais le dire, nulle part ?
Je conçois que cela peut convenir à MM. les entrepreneurs, qui, dès que la première locomotive a passé avec des voyageurs, se retirent au plus vite sans réclamer, comme on peut bien le penser, avec tous leurs ustensiles, les travaux terminés ou non ; ils savent qu’ils pourront les reprendre plus tard à des conditions excellentes pour eux ou plutôt sans conditions, et la régie fera le reste ensuite.
Je conçois encore que cela peut convenir à 2 ou 3 grands propriétaires voisins, qui pressent l’ouverture de toute leur influence, mais je pense que des exploitations de ce genre ne sont d’aucun intérêt pour le trésor, et il serait curieux de comparer le rapport de l’exploitation d’une section comme celle de Braine à Manage, avec les frais de l’exploitation combinés avec les frais que nous occasionnent des travaux trop précipités et une ouverture prématurée.
Quand un railway est décrété, quand le tracé est arrêté, l’exécution se fait au moyen de plans bien conçus, d’estimations aussi exactes que possible, de cahiers de charges bien conçus, d’adjudications et de réceptions intègres. Ce sont là les garanties du bon emploi de nos fonds dans une entreprise aussi colossale.
Nous allons examiner avec la cour des comptes quelle garantie nous offrent encore ces opérations préliminaires, ces contrats, qui sont la base de toute bonne comptabilité en fait de travaux publics. Ces contrats qui tendent aussi à mettre à couvert la responsabilité énorme qui pèse sur le ministre, responsabilité immense, puisqu’elle est unique ; ces contrats, qui seuls peuvent prévenir de grands abus, de funestes effets pour nos finances ; ces contrats, je le dis à regret, ne sont plus que d’une valeur très restreinte dans les énormes dépenses occasionnées par l’établissement des chemins de fer.
Les prévisions des ingénieurs sont si défectueuses, si incomplètes ; les modifications aux projets primitifs sont si fréquentes, si considérables ; l’imprévu dans les dépenses est si important ; les cahiers des charges sont si souvent violés, que les adjudications deviennent illusoires. On pourrait en quelque sorte s’en passer, d’après ce qui a lieu aux travaux d’établissement dû chemin de fer.
Le passage suivant des observations de la cour des comptes sur le compte définitif de l’exercice de 1836, inséré au cahier qui nous a été distribué cette année, vient à l’appui de ce que je viens d’avancer ; voici ces paroles :
« Dans son cahier d’observations sur le compte définitif de l’exercice 1836, la cour s’exprime à ce sujet de la manière suivante à la page 36 de son rapport :
« L’on doit dire, quant à l’économie qui peut résulter du mode de procéder aux constructions nécessitées par l’établissement du chemin de fer, qu’elle dépend presque tout entière du degré de perfection des études préliminaires, et ainsi de la bonne rédaction des cahiers des charges qui en sont la conséquence. Plus ces études sont complètes, plus elles restreignent le cercle de l’imprévu ; or, c’est l’imprévu qui rend si souvent les dépenses effectives disproportionnées non seulement avec les évaluations primitives, mais quelquefois même avec la valeur réelle de l’objet construit. C’est l’imprévu, quand il existe, qui devient l’occasion et le prétexte de réclamations exagérées… Lorsque l’étude préliminaire des travaux d’une même construction n’a pas été suffisamment mûrie, voici ce qui arrive : la construction à effectuer se divise en travaux de l’entreprise principale, travaux supplémentaires, travaux d’achèvement, travaux de force majeure ; de telle sorte qu’avant que tout soit terminé, la même entreprise donne lieu à deux, trois et quatre devis estimatifs différents, tous avec le même entrepreneur, et dont le premier seulement est présenté à l’adjudication publique.
« Or, il devient évident que cette manière d’agir, qui fait de l’adjudication publique une chose imparfaite, tend aussi à rendre l’adjudication une chose illusoire, en donnant d’avance ouverture à des majorations de prix de revient qui ne représentent pas toujours des augmentations équivalentes de travaux ; elle fait payer des prix dont l’adjudication publique n’est point venue garantir la réalité. »
La construction se partage donc, remarquez-le, messieurs, en travaux de l’entreprise dite principale, qui seuls sont présentés en adjudication publique ; en travaux supplémentaires, en travaux d’achèvement, en travaux de force majeure, et même en travaux de parachèvement. Les dénominations ne manquent pas. Elles sont des plus variées. Nous verrons tout à l’heure quelle importance immense on donne à ces travaux, qui échappent à la garantie de l’adjudication sans doute dans le soi-disant intérêt du trésor. En attendant, voici ce qu’a répondu M. le ministre aux observations de la cour dés comptes :
« Il résulte même de l’élévation du chiffre des travaux supplémentaires, que l’administration s’efforce d’apporter toute l’économie possible dans les travaux, puisqu’en effet rien ne serait aussi simple, que de ne jamais dépasser le chiffre des prévisions en les établissant sur des données excessivement larges, etc. »
C’est donc toujours par économie, que l’on évite des prévisions complètes ; on a une telle crainte, semble-t-il, que les prévisions ne dépassent le nécessaire, qu’on abandonne le tiers à l’imprévu. Ce motif n’est cependant d’aucun fondement ; car, comme le remarque la cour des comptes, le ministre se réserve toujours le droit de prescrire des diminutions, de sorte qu’il est toujours facile de ne point exécuter ceux des travaux qui seraient juges inutiles.
Serait-ce par hasard dans l’intérêt du trésor, que les plans sont si incomplets, si mal conçus, qu’il en résulte que les cahiers des charges sont inobservables, que les contrats sont annulés par la force des choses, et que le gouvernement se trouve livré à la merci des entrepreneurs, comme cela se passe sur la fameuse section de la Vesdre.
Certes, le trésor ne peut éprouver que des pertes à l’occasion de ces immenses travaux imprévus, abandonnés aux entrepreneurs sans règlement de prix, car leurs exigences s’accroissent en raison de l’importance des travaux ; il ne reste alors à l’administration qu’à composer avec eux à des prix élevés pour éviter les procès et le bruit, et je ne pense pas que le trésor soit très ménagé dans des arrangements semblables.
Si donc les conditions sont inobservables, si les contrats sont annulés, si l’Etat est livré à l’avidité des entrepreneurs, la faute en est aux ingénieurs qui font des avant-projets incomplets et mal conçus.
Croirait-on que la plupart des prévisions des ponts et chaussées ne se réalisent pas ? lls se trompent pour la plupart des gisements ; les sondages permettraient cependant de s’en assurer, ils se sont de plusieurs 100 mètres, quant à leurs prévisions pour la longueur des tunnels ; s’ils donnent la dimension d’un pont, elle sera insuffisante pour l’écoulement des eaux ; s’ils font un viaduc, un pont, les chariots chargés n’y pourront passer, parce qu’il sera trop peu élevé, trop étroit, que la pente sera trop forte. C’est au pays à payer ensuite toutes ces erreurs pour ne pas me servir d’un mot peu parlementaire.
Si l’imprévu est immense, c’est encore la même cause, et si ces immenses travaux imprévus ne sont pas mis en adjudication, au grand détriment du trésor, cela ne peut s’attribuer qu’à la faiblesse du ministre.
C’est à ces causes, je dirai plutôt c’est à ces abus qu’on doit attribuer le développement immodéré qu’ont pris les paiements en régie.
Cette régie forme un bureau chargé de payer directement les ouvriers du chemin de fer avec des espèces sonnantes, sans engagements, sans conditions préalables, sans contrôle aucun de la cour des comptes. Le chef de ce bureau s’appelle régisseur-comptable ; ce régisseur a quelquefois à sa disposition des sommes énormes et il ne paye pas un centime de cautionnement. Le personnel de ce bureau nous coûte au-delà de 27,000 fr. sans les dépenses du loyer et du matériel, et la cour des comptes observe qu’en octobre dernier il lui restait encore à lui faire la justification de payements faits en régie pour prés de 6 millions de francs.
Les travaux exécutés en régie sans aucun contrôle se sont élevés en 1838, à environ 8 millions de francs. L’importance des travaux de ce genre a été toujours en augmentant, et on peut estimer d’après des renseignements très sérieux, à 15 millions les sommes dépensées d’une manière aussi irrégulière en 1842.
Ces sommes sont visées à la cour des comptes sous le nom de travaux urgents. Ces dépenses ne sont pas qualifiées.
Et quelles sont ces immenses dépenses non qualifiées ? La cour des comptes ne le sait pas elle-même, car il est impossible que les ouvriers, qui ratissent les chemins de fer ou entretiennent le niveau du railway, absorbent ces sommes. On les emploie, si je ne me trompe, en partie au payement des emprises.
Je puis vous donner ici un petit exemple historique de la manière dont se paient les emprises.
La voie ferrée devait traverser un jardin potager à la campagne ; le propriétaire fut indemnisé à raison de 18,000 fr. l’hectare, on lui paya 1 fr. pour la transplantation de chaque arbre, on lui accorda 150 fr. pour les espérances d’un jeune arbre fruitier, on lui accorda 2,000 fr. pour une masure, mauvaise étable, qui n’en valait pas 200 ; mais il est à noter que l’ingénieur chargé de ces travaux avait été largement traité chez le propriétaire. A côte de ce précieux jardin s’en trouvait un autre de la même valeur, l’emprise ne fut estimée qu’à raison de 11,000 fr., et à quelques pas de là se trouvait une chaumière, à moitié enterrée par le remblais ; 150 fr furent accordés pour la reconstruire plus loin ! Voilà un emploi des sommes livrées à la régie que je puis garantir.
Il résulte de ce système de dépenses en régie sans contrôle de la cour des comptes bien d’autres abus, et notamment la confusion complète entre les allocations pour l’entretien des roules en exploitation et pour l’établissement de celles en construction. Nous savons déjà qu’on prélève les traitements d’un personnel nombreux sur le fonds des emprunts, dit fonds spécial. Que signifient donc nos discussions sur le chiffre de l’exploitation s’il est si facile de transférer les fonds de l’établissement à l’entretien !
Je pense avec la cour des comptes que, si l’intérêt du trésor était bien entendu, la régie serait de peu d’importance ; un chef de division devrait suffire pour la diriger.
On m’a assuré qu’en France on ne peut se passer de la garantie de l’adjudication pour une dépense qui dépasse 10,000 francs. En Belgique aussi on est dans l’usage d’exiger des adjudications pour les moindres travaux communaux et provinciaux ; et pendant qu’on en agit ainsi pour les autorités administratives, pour des travaux d’une importance minime, on met à la disposition du corps des ponts et chaussées, qui n’a aucun caractère administratif, des millions pour établir le chemin de fer.
Maintenant on se demandera naturellement la cause du manque de projets bien étudiés, des devis bien arrêtés, d’estimations suffisantes, origine de tous les abus ? Cette cause, je ne veux pas la rechercher ici ; dire mon opinion, ce serait m’engager dans une voie trop délicate : je n’ai eu ni les moyens ni le temps de m’en enquérir. Il faudrait une instruction, des preuves pour émettre une opinion sur cette grave question qui mériterait bien une enquête.
Je vous demanderai maintenant, messieurs, de justifier ce que je viens de dire par des faits. Je vois à la page 23 des observations de la cour des comptes, que :
« Les travaux de terrassements et ouvrages d’art de la section d’Hennuyère à Braine-le- Comte ont été adjugés publiquement pour une somme de 1,008,000 fr., y compris un rabais de 12-46 p. c. Il est à remarquer que dans la somme de 1,008,000, la part de l’imprévu avait été faite, puisque cette somme en contient une de 50,000 fr, pour cet objet.
« Les travaux compris dans la somme de 172,000 fr. comportent des terrassements exécutés par suite d’éboulements dans les tranchées, et des travaux de rechargement des perrés, pour donner aux éboulements un profil régulier ; ils comportent aussi des terrassements à effectuer pour la reconstruction de la partie de perrés éboulée entre le piquet n°6 et la tête aval de la galerie souterraine, etc., etc.
« Cependant, aux termes des art. 69, 73 et 74 du cahier des charges approuvé le 28 mars 1840, une partie des travaux d’éboulement parut à la cour incomber à l’entrepreneur, l’exécution en ayant eu lieu pendant le délai endéans lequel l’entrepreneur reste responsable de l’entretien des travaux. »
Voilà donc une section dont les travaux prévus se sont élevés à 1,008,000 fr., y compris 50,000 fr. d’imprévu et les travaux imprévus supplémentaires abandonnés aux entrepreneurs sans adjudication se sont élevés au prix de 422,040,92. Et remarquez-le, messieurs, on accorde des indemnités aux entrepreneurs pour le renouvellement de travaux dont ils devaient répondre par le cahier des charges, de sorte que lorsqu’une adjudication est favorable au gouvernement, on neutralise cet avantage en indemnisant les entrepreneurs ; je voudrais savoir si les entrepreneurs sont aussi délicats pour les intérêts du trésor, que leurs gains sont immodérés.
Je poursuis mes citations dans le cahier de la cour des comptes.
« Les mêmes observations que ci-dessus se présentent pour les travaux imprévus exécutés sur la section de Mons à la frontière de France.
« Les terrassements et ouvrages d’art de cette section ont été adjugés moyennant un rabais de 15 fr. 75 c. p. c. sur le montant du détail estimatif, qui fut ainsi réduit à 674,000 francs, y compris une somme de cinquante-six mille quatre cent dix-huit francs pour travaux imprévus, et à régler pendant l’exécution, ci : fr. 56,418
« Cette somme n’ayant pu suffire pour couvrir les frais occasionnés par les travaux imprévus, un décompte général des terrassements et ouvrages d’art supplémentaires a été dressé le 18 avril 1842, qui ne reçut l’approbation du ministre que le 20 de mai suivant, époque à laquelle la plus grande partie des travaux était déjà exécutée. Ces travaux supplémentaires se sont élevés à fr. 305,274 28
Total : fr. 361,692 28 »
Les travaux supplémentaires se sont encore élevés à la moitié de l’adjudication ; et notez que ces travaux ont été exécutés avant l’approbation du ministre, qui ne l’a donnée que lorsque les travaux étaient terminés.
Presque toutes les sections sont dans le même cas ; les travaux imprévus exécutés sans adjudication se sont élevés à une somme équivalente au moins à la moitie de celle de l’adjudication.
Je passe à la section de Soignies à Jurbise ; on y a dépensé 50,000 fr. en journées d’ouvriers de la part de la régie, sans adjudications, sans conditions, sans règlement de prix, et cela pour travaux dits de parachèvement.
Maintenant voilà ce que la cour nous dit des travaux de la Vesdre, travaux dont la stagnation ont fait naguère l’objet d’une motion d’ordre, d’une demande d’explications qui n’a abouti à rien.
Voici les paroles de la cour :
« La cour croit devoir entrer dans quelques détails plus circonstanciés au sujet du mode qui a été suivi pour les ouvrages d’art et de terrassements sur la section de Chènée à Pépinster ; car elle ne pense point que même l’importance et la grandeur des travaux puissent devenir une raison pour s’écarter des mesures ordinaires de prévoyance commandées par les intérêts du trésor ; elle ne croit pas non plus que ce soit la pensée nationale d’obtenir uns célérité dans l’exécution, qui ne pourrait être acquise qu’en faisant abandon de ces intérêts.
« La cour fera donc observer qu’en procédant aux travaux dont il s’agit, non seulement on n’est point demeuré dans les termes de l’adjudication et du cahier des charges relativement à la description des travaux, mais que ceux-ci, complètement modifiés, ont été poursuivis sans contrat préalable ; de sorte qu’aujourd’hui encore les prix des travaux extraordinaires doivent être réglés entre l’administration et les entrepreneurs, circonstance d’autant plus digne de remarque et d’autant plus grave, qu’il s’agit de travaux considérables du chef desquels les entrepreneurs élèvent une prétention de près de 3,032,388 fr., qui, si elle devait dire admise, porterait l’entreprise à 7,590,110 francs 87 centimes, chiffre hors de toute proportion avec celui de 4,158,000 francs, qui en formait l’évaluation primitive. »
Nous pouvons voir plus loin que le ministre n’ayant plus de fonds pour continuer les travaux, ceux des adjudications étant épuisés, M. le ministre des travaux publics demanda à la cour de lui ouvrir à lui-même, dans la personne du régisseur comptable, un crédit à concurrence d’un million, crédit qui devait le mettre en position de continuer les payements, sous l’obligation d’en justifier l’emploi après l’arrangement définitif avec les entrepreneurs.
La conclusion de l’exposé qui précède, il faut bien le dire, c’est d’abord que l’adjudication du 22 novembre 1839 doit être considérée comme n’ayant point présenté de réalité, ensuite, que les travaux ont été conduits sans les mesures qui peuvent seules mettre le trésor de l’Etat à l’abri des réclamations de toute nature.
Sur cette section les abus sont bien plus criants que sur les autres, on ne s’y borne pas a de grands travaux supplémentaires abandonnés à main ferme ou mis en régie ; le gouvernement viole sans façon l’adjudication et le cahier des charges, et l’on poursuit les travaux sans contrat préalable ; maintenant s’il s agissait de régler le prix des travaux entre le gouvernement et les entrepreneurs, voilà la cause du procès, dont l’honorable M. Lys nous a entretenus, il y a quelques jours, et qui, en faisant cesser les travaux, a jeté dans les campagnes en plein hiver une masse d’ouvriers sans ressources, et doivent y avoir répandu de justes craintes, car l’homme dénué de ressources, loin de chez lui, court bientôt le risque de cesser d’être honnête homme.
Des travaux aussi gigantesques abandonnés sans la garantie de l’adjudication, sont de nature à m’alarmer sur la situation du trésor. Je suis convaincu que ce système ou plutôt cette absence de système, d’ordre, de régularité, doit amener le gouvernement à nous proposer un nouvel emprunt pour terminer le chemin de fer. On en fait déjà circuler le bruit, afin sans doute de nous y accoutumer petit à petit. Le manque d’ordre dans des travaux semblables ne peut que vous occasionner d’immenses pertes.
En France, où l’administration est mieux comprise, parce que ce pays a des traditions et une vieille expérience, que notre jeune Belgique n’a pas encore, on n’a pas permis au corps des ponts et chaussées de prendre un caractère administratif, qui ne lui appartient pas. Pour mettre un frein aux prétentions de ce corps puissant, qui ne voit que des béotiens en dehors de son sein, on a constitué près du ministre charge des travaux des chemins de fer, un comité composé de six pairs de France, de six députés, de plusieurs membres de la haute administration, de maîtres de requêtes, d’auditeurs au conseil d’Etat. Le ministre administre fort de l’appui et du concours de ce comité, composé d’hommes spéciaux, éminents et intègres.
Ici, le ministre lutte péniblement contre les exigences des ingénieurs, et je dirai plus, il est livré complètement à leur merci ; il est cependant le seul défenseur des intérêts du trésor ; il lutte d’autant plus péniblement, que si, comme en France, il n’a pas un comité sur lequel il puisse s’appuyer, il n’a pas même de loi de comptabilité pour régler celle de son département. Il lui faudrait donc une fermeté, une intelligence, une prévoyance surhumaine pour surmonter les abus si graves que l’intérêt multiplie autour de lui !
Ainsi, pendant que nous délibérons péniblement sur les moyens de procurer des ressources au trésor, que nous passons en revue toutes les bases de production, et que toutes récusent leurs concours en prétextant leur ruine, on gaspille les produits de nos emprunts, et je crains fort qu’on vienne nous en demander un nouveau.
Quant à moi, il me semble que tout en songeant à nous créer de nouvelles ressources, nous ferions sagement de penser à mettre de l’ordre dans les dépenses faites pour les travaux publics et dans notre comptabilité ; si nous ne votons pas bientôt une loi de comptabilité, le chemin de fer finira par être pour nous une espèce de tonneau des Danaïdes. Je demanderai donc encore une fois, quand apparaîtra le projet de loi de comptabilité, qui nous est promis depuis si longtemps, et que nous n’obtenons pas malgré nos vives réclamations. Il importe que nous nous livrions ici à autre chose qu’à des paroles ; si une proposition d’enquête parlementaire sur ce qui se passe à la comptabilité du chemin de fer pouvait trouver quelque appui dans cette chambre, je ne reculerais pas devant cette proposition, car je crois que les faits qui nous sont révélés sont assez graves pour la motiver. Si nous nous bornons à des paroles, les abus se perpétueront, et le corps éminent que nous avons chargé de veiller au bon emploi des fonds que nous votons, et qui s’acquitte avec tant de vigilance de cette tâche, finira, je le crains, par se rebuter à nous signaler inutilement tous les ans les mêmes abus, ou au moins, il mettra peut-être moins de zèle à lutter contre eux, si la législature continue à ne pas lui donner les moyens légaux de les faire cesser.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, le mode de comptabilité suivi par l’administration des travaux publics à l’égard des dépenses de construction et d’établissement du chemin de fer, le système de comptabilité que vient de critiquer l’honorable préopinant, n’est pas nouveau. Certainement mes honorables prédécesseurs et moi, nous aurions voulu pouvoir l’éviter ; car, messieurs, on doit concevoir que ce mode de comptabilité est une très grande gêne pour un ministre des travaux publics qui a, en cette circonstance, à assumer une responsabilité que lui éviterait le contrôle préalable ; la cour des comptes elle-même, malgré ses observations répétées dans chacun de ses cahiers annuels, n’a pas pu s’empêcher de donner les mains à ce système de comptabilité. Il est vrai que l’année dernière et pendant l’année 1841, on a dépensé de très fortes sommes sur le crédit ouvert par la cour des comptes à la régie, et par conséquent avec contrôle préalable quant à l’ouverture des crédits, mais sans contrôle préalable quant aux détails des dépenses.
Mais remarquez-le bien, messieurs, le contrôle doit venir ensuite ; et c’est là où est la position fâcheuse du ministre, car il serait beaucoup plus commode pour le ministre que le contrôle fût préalable aux dépenses ; il aurait beaucoup plus de certitude alors de ne pas avoir plus tard à subir des conséquences plus ou moins fâcheuses pour lui.
Si de plus fortes sommes ont dû être dépensées de cette manière, cela a tenu surtout au procès de la Vesdre ; et dans cette circonstance le système de comptabilité dont il s’agit a été éminemment favorable aux intérêts publics ; car, messieurs, s’il n’avait pas été possible de recourir à ce système de comptabilité, l’achèvement du chemin de fer de la Vesdre, achèvement que tout le pays désire avec tant d’ardeur, parce que ce n’est qu’alors qu’on saura d’une manière positive ce que le chemin de fer pourra rapporter et de quelle utilité il est réellement pour les intérêts généraux du pays. Sans l’emploi de ce système de comptabilité, cet achèvement, messieurs, aurait été reculé de longtemps.
M. de Man d’Attenrode. - Les travaux sont statés, voilà ce qui résulte de ce système.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Nous n’aurions pas pu non plus, sans avoir ajourné depuis longtemps la continuation des travaux, arriver à la solution favorable que nous avons obtenue récemment des tribunaux pour le procès de la Vesdre, car pour tous les points principaux nous avons eu gain de cause.
Vous voyez, messieurs que ce système de comptabilité, quelque irrégulier qu’il soit, a cependant, dans cette circonstance, produit un grand bien, puisqu’il a assuré l’exécution dans le laps de temps le plus rapproché possible de la section la plus importante de nos chemins de fer.
L’honorable M. de Man, dont tout à l’heure je n’avais pas compris l’interruption, a dit que les travaux étaient statés sur la ligne de la Vesdre. Messieurs, comme je l’ai déjà déclaré à la chambre, il y a quelque temps, les travaux ont été statés un instant sur certaines sections ; mais ils n’ont pas tardé à être repris, et aujourd’hui, ils sont de nouveau en pleine exécution.
Des mesures ont été prises pour qu’il n’en résulte pas de retard pour l’époque annoncée comme probable de la mise en exploitation de cette partie de nos chemins de fer.
Messieurs, plusieurs honorables membres ont pris la parole dans cette discussion. Deux honorables députés du Hainaut se sont plaints de nouveau de ce que la ligne du Midi serait moins favorisée que les autres sous le rapport des tarifs. Plusieurs fois déjà dans cette enceinte, j’ai expliqué comment il se trouvait que certaines anomalies s’étaient en effet introduites dans le tarif du chemin de fer du Midi. Plusieurs même ont déjà été rectifiées et dans le moment actuel on termine un travail général de révision que j’ai ordonné en même temps que la confection des tarifs portatifs qui pourront être distribués au commerce, soit gratuitement, soit moyennant paiement. Ces tarifs seront établis par station et contiendront tous les renseignements désirables sur les tarifs et le mode d’expédition des marchandises par les chemins de fer. Il y en aura également pour les voyageurs. Ces tarifs qui seront soumis à ma signature pour recevoir mon approbation, contiendront aussi à l’égard de la ligne du Midi quelques rectifications qui doivent encore avoir lieu.
Quant à la lenteur des convois sur la ligne du midi, il est d’abord à remarquer que sur cette ligne les stations intermédiaires sont beaucoup plus nombreuses que sur les autres lignes ; et, je dois le dire, il m’est même extrêmement difficile de résister à des demandes qui me sont constamment faites pour en augmenter encore le nombre.
C’est même parce qu’il n’est pas possible de satisfaire à ce grand nombre de demandes de stations intermédiaires qu’il faut attribuer l’existence, dont a parlé l’honorable M. Sigart, de petites voitures publiques qui ne parcourent que de petites distances. Elles existent malgré le chemin de fer, parce que véritablement on ne peut pas aller au-delà du nombre de stations qui existe actuellement. Cela ne pourra avoir lieu que lorsqu’on pourra compter sur un mouvement à petites distances assez grand pour établir des convois spéciaux. En attendant, si l’on voulait obtenir une plus grande vitesse de la marche des convois sur cette ligne, il y aurait lieu d’en supprimer un certain nombre.
Messieurs, l’honorable M. David a demandé que je voulusse bien m’expliquer sur le tableau qu’il a présenté et fait insérer au Moniteur, relativement au nombre de lieues à parcourir en 1843.
L’honorable membre a dû voir par les documents que j’ai produits que sur le nombre de lieues à parcourir qu’il y avait dans son tableau erreur en moins dans le nombre de lieues qu’il indique comme devant être parcourues en 1843, en les comparant seulement à celles qui ont été parcourues en 1842.
Aussi, lorsque l’honorable membre vous a fait part de ses calculs à cet égard, quand, dans une autre séance il nous a dit que, d’après son tableau, le nombre de lieues a parcourir en 1843, serait de 330 mille, que par conséquent il était d’accord avec moi, puisque j’avais annoncé que ce nombre dépasserait 300 mille, je l’ai interrompu à l’instant même pour lui dire que le chiffre de 300 mille dont j’avais parlé, était pour 1842 et non 1843.
Maintenant, dans son tableau, l’honorable membre vous a fait le calcul du nombre de lieues à parcourir en 1843, sur les sections qui ont été en exploitation en 1842, et il est arrivé au chiffre de 287,620 lieues. Déjà ce chiffre diffère d’une manière assez notable de celui de 318 mille qui a été parcouru en 1842. Ainsi, puisqu’en 1843 on exploitera, terme moyen, 23 lieues de plus qu’en 1842, année pendant laquelle on a exploité, terme moyen, 79 lieues, il est évident que l’honorable membre est au-dessous de la réalité probable. Il est encore à remarquer qu’il a pris les sections comme il devait les prendre, puisqu’il calculait pour 1843, il a pris toutes les sections exploitées en 1842, comme devant être exploitées en 1842 pendant l’année entière. Cependant plusieurs de ces sections n’ont été exploitées en 1842 que pendant une partie de l’année, et malgré cette circonstance que plusieurs de ces sections qui seront exploitées pendant toute l’année de 1843, ne l’ont été que pendant une partie de l’année 1842, les renseignements que je vous ai fournis font arriver le nombre total de lieues parcourues, en 1842, au chiffre de 318 mille, ce qui dépasse de beaucoup le chiffre de 287 mille trouvé par l’honorable M. David pour 1843. Ainsi, nous aurons beaucoup plus de lieues exploitées pendant l’année entière en 1843 qu’en 1842, et cependant l’honorable membre arrive, pour 1843, à un nombre de lieues parcourues beaucoup moindre.
Ici, messieurs, j’ai encore une remarque à faire : elle concerne maintenant les sections nouvelles à mettre en exploitation en 1843. Les prévisions de l’honorable M. David se trouvent encore là au-dessous de la réalité probable. C’est ainsi, par exemple, que de Liège à Verviers et de Verviers à Liége, il ne compte que sur cinq convois, cinq trajets aller et retour.
M. David. - J’ai supposé quatre et six convois ; quatre d’abord et six quand le chemin sera tassé ; ce qui fait une moyenne de 5 convois.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Je tiens ici à la main une pétition que m’ont adressée le 3 de ce mois la chambre de commerce et le conseil communal de Verviers qui va nous démontrer que l’honorable M. David est resté de beaucoup au-dessous de la réalité probable. Cette pétition de la chambre de commerce et du conseil communal de Verviers a pour but de demander que le gouvernement fasse tous ses efforts pour arriver à mettre en exploitation la section de Verviers à l’époque que j’ai annoncée dans un discours que j’ai prononcé à l’inauguration de la section de Tournay.
Pour démontrer de quelle importance il est pour Verviers et pour son industrie surtout que cette mise en exploitation ait lieu le plus tôt possible, voici ce que disent la chambre de commerce et le conseil communal de cette ville :
« Pour Verviers chaque mois de retard occasionne au commerce une perte de plus de 30,000 francs seulement pour le transport des houilles. En effet, Verviers consomme annuellement 50,000 tonneaux de houille, dont le transport de Liége ici coûte 10 fr. par tonneau, au lieu de 2 fr. 50 qu’il coûtera par le chemin de fer, différence 375,000 fr, par an, donc plus de 30,000 fr. par mois. »
Vous voyez donc, messieurs, que du chef de la houille seulement il y aura là de nombreux convois pour Verviers, et je crois qu’on ne soutiendra pas que cela se rencontre sur aucune des lignes actuellement en exploitation.
Maintenant, voulez-vous savoir combien de trajets il faudra faire pour transporter ces 50,000 tonneaux de houille ? La section de Verviers comprend des parties à rampes continues assez fortes, puisqu’elles s’élèvent jusqu’a 8 millimètres par mètre, et l’on sait que sur de pareilles rampes, pour remonter des matières aussi pondéreuses que la houille, les convois devront être beaucoup moins chargés que sur d’autres sections. Ici je répondrai en même temps à une objection qui m’a été faite par un honorable député sur la marche plus ou moins lente des convois sur la ligne du Midi.
Il existe, sur cette ligne, une simple rampe de 5 millimètres aux environs de Hennuyères. Eh bien, il est arrivé déjà plusieurs fois que les convois de marchandises ont été obligés de laisser une partie de leurs voitures en route ; ce qui a retardé la marche de tous les autres convois, et cela malgré que l’on avait pris la précaution de faire remorquer les convois par deux locomotives. S’il en est ainsi pour une simple rampe de 5 millimètres, que devrait-il arriver pour la section de Verviers si l’on ne réduisait pas le nombre des voitures par convois ou trajets ? On ne pourra donc mettre que 10 voitures par convoi ; ce qui fait 40 tonneaux. Divisez le chiffre de 50,000 tonneaux par 40 et vous obtiendrez 1,250 convois ; mais comme il faut aussi le retour, cela fait 2,500 convois ou trajets. Ainsi, en comptant 300 jours de l’année consacrés à ce transport, cela vous donnera 8 transports par jour. Cependant l’honorable M. David n’en compte que cinq, et pour les voyageurs et pour la houille et pour toutes les marchandises en général. Vous voyez donc qu’on ne peut baser un calcul sur les chiffres de l’honorable M. David.
M. Duvivier. - Je prierai l’honorable ministre des travaux publics de répondre à la question de l’honorable M. Sigart, concernant le procès relatif à la station.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Cela m’avait échappé.
Il est vrai qu’une convention a eu lieu au sujet de la station de Mons entre le département de la guerre et celui des travaux publics et entre ce dernier département et la régence de Mons. Les départements de la guerre et des travaux publics, ont commencé à exécuter la convention qui existait entre eux. Mais lorsqu’on en est venu aux liquidations à faire par la cour des comptes, des difficultés se sont élevées. Il en est résulté un retard dans l’exécution de ce qui concernait le département de la guerre dans la convention conclue entre les deux départements. Mais la cour des comptes a fini par reconnaître qu’il y avait lieu de liquider ; et c’est ce qu’elle a fait. Les difficultés sont donc maintenant aplanies entre les deux départements ; et je puis assurer que les travaux ne tarderont pas à reprendre leur cours.
M. d’Hoffschmidt. - Je ne me proposais d’abord que de parler sur les dépenses d’exploitation du chemin de fer. Mais un honorable préopinant, M. Lange, nous a entretenus de l’inégalité choquante qui existe entre les tarifs concernant le transport des voyageurs.
Comme c’est là une anomalie qui m’a constamment frappé, j’ajouterai quelques détails à ceux qu’a donnés l’honorable préopinant.
M. le ministre des travaux publics nous a dit qu’il s’occupait d’une rectification du tarif en ce qui concerne la ligne du Midi. Les détails qu’on lui donnera sur ce point pourront donc lui servir pour le travail qu’il projette. Toutefois je pense qu’il ne devrait pas se borner à une simple rectification, que c’est un changement total qu’il doit opérer.
Dans mon opinion, messieurs, sauf quelques détours dont il faut peut-être tenir compte, le tarif des voyageurs doit être uniforme. Je ne vois pas, en effet, pourquoi soit les habitants du Hainaut, soit ceux d’une autre province devraient payer plus cher que d’autres le bienfait de cette grande communication, qui est une œuvre toute nationale. Or, vous venez de l’entendre, il existe une grande inégalité dont la défaveur pèse sur la ligue du Midi. Quelques nouveaux détails feront mieux sentir encore cette inégalité.
Le tarif du 19 août 1841, en vigueur sur les lignes du Nord de l’Est et de l’Ouest, est établi sur les bases suivantes, par lieues de 5,000 mètres :
Diligences : 37 centimes.
Chars-à-bancs : 30 centimes.
Waggons : 17 à18 centimes.
Sur la ligne du Midi, de Bruxelles à Tubize (4 lieues), on paie (par lieue) à raison de
Diligence : 50 c.
Char-à-bancs : 37 ½ c.
Waggon : 25 c.
De Soignies à Mons (5 lieues), le même prix que de Bruxelles à Tubize, malgré qu’il y ait une lieue de plus. Cela revient à (par lieue) :
Diligence : 40 c.
Char-à-banc : 30 c.
Wagon : 20 c.
De Bruxelles à Mons (12 2/5 lieues), par lieue :
Diligence : 41 c.
Char-à bancs : 31 c.
Waggon : 21 c.
De Mons à Quiévrain (4 lieues). Cela s’élève par lieue) jusqu’à :
Diligence : 50 c.
Char-à-banc : 37 ½ c.
Wagon : 31 c.
Il résulte de là que, sur la ligne du Midi, on paie pour 80 kilomètres autant que pour 100 kilomètres sur d’autres lignes. Il en résulte aussi toutes les conséquences que l’honorable M. Lange vous a déjà développées.
Or cette disproportion me paraît impossible à expliquer.
Aussi j’ai toujours pensé qu’il ne pouvait entrer dans la pensée de l’honorable ministre des travaux publics de maintenir longtemps une inégalité aussi choquante, aussi inexplicable. J’ai toujours cru que son but était uniquement de faire un essai sur la ligne du Midi, pour juger s’il n’y aurait pas lieu d’élever avec fruit le tarif des voyageurs. Mais il est essentiel de ne pas se tromper dans un pareil système, surtout de ne pas maintenir trop longtemps une pareille inégalité aussi désavantageuse.
M. le ministre des travaux publics a toujours montré une tendance à élever le tarif dans le but très louable d’augmenter les revenus du chemin de fer. Avant de se décider pour une nouvelle majoration, il a voulu sans doute examiner les résultats qu’elle produirait sur une ligne séparée. Tout à l’heure nous verrons quels ont été ces résultats.
Beaucoup de personnes pensent qu’il suffit d’élever le prix des places du chemin de fer, pour obtenir une augmentation de revenu pour le trésor. Elévation du tarif est pour elle synonyme d’accroissement de revenu. Mais ces personnes peuvent fort bien être trompées dans leur attente ; car il y a une limite qu’on ne peut impunément dépasser c’est cette limite qu’il faut chercher avec soin, il pourrait donc résulter d’une élévation nouvelle du prix des places de wagons une diminution de recettes, en même temps qu’une diminution dans le nombre des personnes de la classe ouvrière appelées à jouir des bienfaits de ce mode ce locomotion. Or, ce serait, dans ce cas, une bien mauvaise combinaison, dans un temps surtout où le sort de la classe ouvrière doit plus que jamais exciter la sympathie et attirer l’attention de tous les hommes éclairés et de tous les amis de l’humanité ; dans un temps où l’organisation du travail et la distribution souvent vicieuse des richesses exposent cette classe à de vives souffrances.
Avant d’augmenter le prix des places des wagons, sur tout notre railway, il importe donc de bien peser l’effet que cette augmentation produit sur la ligne du Midi.
J’ai fait cet égard une comparaison entre les résultats obtenus, pendant les sept premiers mois de 1839, sur cette ligne et sur les autres lignes où l’ancienne tarification est en vigueur. Je ne lirai pas tous les chiffres que j’ai sous les yeux ; car il serait impossible à la chambre de les saisir à une simple lecture. Je me bornerai à mentionner les chiffres indiquant le résumé de la comparaison, les autres seront insérés au Moniteur.
(Le détail de ces chiffres, insérés au Moniteur du 19 janvier 1843, n’est pas repris dans cette version numérisée.)
Comparant les résultats obtenus sur ces deux lignes, par lieue de 5,000 mètres, nous trouvons (successivement : ligne du Midi - autres lignes)
Voyageurs
Diligences : 1,780 - 1,800
Chars-à-bancs : 4,530 - 4,770
Wagons : 13,030 - 13,100
Total : 19,345 voy. - 19,675 voy.
Recettes
Diligences : 6,640 fr. - 7,435 fr.
Chars-à-bancs : 8,890 fr. - 11,490 fr.
Wagons : 12,975 fr. - 14,630 fr.
Total : 28,505 fr. - 35,525 fr.
Vous voyez donc que la comparaison est tout à fait à l’avantage du tarif le moins élevé, du tarif du 19 août 1841.
Dans un discours, que j’ai prononcé l’année dernière, pendant la discussion du budget des droits publics, j’avais engagé l’honorable M. Desmaisières à maintenir son tarif, quant au prix des wagons. Je voyais déjà chez lui une tendance, malgré l’avantage qu’il tirait de ce tarif, à le porter jusqu’au point proposé par la commission qu’il a instituée.
Les résultats dont je viens de rendre compte me fortifient dans ma première opinion, et j’espère bien que tout en faisant cesser l’anomalie que nous avons signalée tout à l’heure, on y réfléchira mûrement avant d’élever le prix des places sur les wagons. Je ne parle pas du prix pour les autres classes de voitures, parce que le prix des places pour les wagons est la base essentielle de la tarification. Quant au prix qui existe maintenant pour les chars-à-bancs et les diligences, il est possible qu’en les modifiant, on trouve une meilleure combinaison. J’aborderai, maintenant, messieurs, les dépenses d’exploitation.
Les observations que j’aurai l’honneur de vous présenter, vous paraîtront peut-être incomplètes, mais cela tient (et ce n’est pas un reproche que je veux renouveler ici) à ce que les renseignements que nous avons tous entre les mains sont, comme vous le savez, fort insuffisantes. D’abord, nous n’avons aucun détail sur ce qui concerne l’exercice 1842 ; force nous est donc de comparer les sommes qui nous sont demandées avec les détails des dépenses de l’exercice de 1841.
En 1841, les dépenses d’exploitation se sont élevées à 1,273,000 francs. Mais pour les comparer à la somme qui nous est demandée pour l’exercice 1843, il convient de défalquer de part et d’autre les frais de camionnage qui n’entrent pas dans les frais d’exploitation proprement dits, et ont varié avec les systèmes.
Les frais de camionnage sont portés pour l’exercice 1841 à la somme de 254,226 fr., au tableau n°26 du dernier compte rendu-rendu. En les déduisant des dépenses totales, il reste 4,018,774 fr. pour les dépenses d’exploitation proprement dites de l’année 1841. Déduisant de même 130,000 fr. portés pour frais de camionnage dans la somme pétitionnée pour 1843, il reste 5,270,000 francs ou 1,250,226 fr. de plus qu’en 1841.
C’est là, messieurs, une augmentation très considérable et qui est de nature à exciter chez nous un premier sentiment de surprise, lorsque nous nous rappelons que quand M. le ministre des travaux publics a présenté le budget de 1842, il nous disait, dans une note jointe au budget, qu’il espérait, avec à peu près la même somme que celle qui avait été dépensée dans l’exercice précédent, satisfaire aux dépenses de l’exercice 1842, malgré l’ouverture de plusieurs sections nouvelles. Il est fâcheux que l’on ne puisse plus tenir le même langage et qu’il faille à présent une augmentation de 1,251,226 fr. sur l’exercice 1841.
Passons maintenant à l’examen des détails.
La nouvelle division en quatre articles rend plus difficile l’appréciation des allocations demandées pour les traitements ; cependant il me semble que l’augmentation est très notable.
Dans sa réponse à la section centrale, M. le ministre s’est appuyé sur l’extension de l’exploitation ; mais alors j’ai peine à m’expliquer une note que j’ai vu figurer, il y a quelques mois, dans le Moniteur, par laquelle on repoussait toutes demandes d’emploi, en se fondant sur ce que, par suite d’une nouvelle organisation, par suite d’économies introduites dans le service et dans le personnel, on pouvait satisfaire aux nouvelles exigences sans prendre un plus grand nombre d’employés.
Il figure aussi, aux différents litteras, des allocations pour des traitements variables et des frais de routes, sur lesquelles il serait à désirer que M. le ministre voulût bien nous donner quelques explications.
Les dépenses pour fournitures de bureau et impressions se sont considérablement accrues en 1842.
En 1841, elles s’étaient élevées à 92,339 fr. ; pour 1843, on demande, rien que pour l’administration centrale, 130,000 fr.
Il est encore une observation à faire ici. Lorsqu’on a examiné le système établi pour le camionnage par l’honorable M. Rogier et les tarifs du 10 avril 1841, on a dit que ce système entraînait des dépenses considérables et pour les bureaux et pour le personnel des employés. Dès lors, ce système étant modifié maintenant, il doit donc en résulter des économies, ou bien l’on s’est exagéré ces dépenses.
D’un autre côté on nous a signalé une énorme consommation d’imprimés et de registres. Je ne puis pas juger si tous ces registres, si cette énorme quantité d’imprimés sont indispensables ; mais cela mériterait d’attirer l’attention de l’administration, pour qu’elle vît s’il n’y a pas moyen de faire quelque réforme à cet égard.
Au littera B qui concerne le service et l’entretien des routes et des stations, il est demandé 1,443,000 fr.
En 1841, la dépense ne s’était élevée qu’à 759,946 fr.
Ainsi il y a majoration de 683,054 fr., indépendamment de la partie des dépenses portée au littera A, qui était imputée autrefois sur le service et l’entretien de la route, Voilà certes une augmentation très importante. Elle provient des travaux à exécuter pour remplacement de rails, de billes, de clavettes, etc., sur certaines sections. Mais si cette dépense est tout à fait indispensable, elle est assez inquiétante pour l’avenir.
Ce serait une preuve d’abord que l’exécution de notre railway n’a pas été complètement satisfaisante, puisqu’au bout de si peu d’années, il faut déjà une dépense d’entretien aussi considérable.
Pour la justifier on nous dit qu’il est indispensable de faire ces travaux pour la sécurité des voyageurs. C’est là, messieurs, un argument qui doit naturellement faire impression et auquel il est difficile de répondre. Quel est celui d’entre nous qui voudrait refuser une allocation sur laquelle repose, dit-on, la sûreté des millions de voyageurs qui circulent sur notre chemin de fer ? Quel est celui d’entre nous qui peut, d’un autre côté, s’assurer de la nécessité des réparations ? C’est donc là un argument sans réplique ; mais j’espère bien que l’administration n’en abusera jamais auprès de la législature, qu’elle entraînerait très facilement sans doute par des raisons pareilles.
Mais, il est une autre dépense qui s’est aussi accrue démesurément dans le littera B, c’est celle dont il est question au numéro 8, travaux et main-d’œuvre d’entretien des routes, etc. En 1841, on a dépensé pour ces objets 555,715 fr. ; pour l’exercice actuel on demande 870,000 !
De tout cela il résulte, en définitive, que l’entretien de la route et des stations qui n’a coûté par lieue de parcours de 500 mètres : en 1840 que 2 fr. 76, et 1841 que 2 fr. 63, coûtera en 1843, 4 fr. 57, si le nombre de lieues indiqué par l’honorable M. David est exact. Mais en ajoutant nième à ses calculs une vingtaine de mille lieues, ce qui ferait un chiffre total de 350,000 lieues, la dépense de l’entretien de la route serait encore de 4 fr. 12 par lieue. Je ne vois pas là jusqu’à présent l’économie de 3,000 fr.. par lieue, qu’on nous a signalée.
Le service de locomotive et l’entretien du matériel présentent un total de 2,570,700 fr. En 1841, il a coûté 2,369,617 fr.
Ici l’augmentation est beaucoup plus modérée. Pour plusieurs articles on a même marché dans la voie des économies, particulièrement pour le graissage, le nettoyage, et surtout pour le coak, qui est, comme on le sait, un des éléments de dépense les plus considérables de l’exploitation. En 1841, ce dernier article a coûté 799,660 fr. ; on demande, pour 1843, 810,000 fr. Ainsi ; en 1843, on compte exploiter 102 lieues de railway avec la somme qu’il avait fallu pour en exploiter 70 en 1841.
Malgré ce progrès notable, dont il faut savoir gré à l’administration, cet article est un de ceux sur lesquels on peut réaliser encore le plus d’économies. En effet, dans le dernier compte rendu, nous voyons que, pendant la première quinzaine de janvier de l’année dernière, la consommation s’élevait à 102 kilog. par lieue de parcours, mais qu’on est parvenu à la réduire à 88 kilog., et qu’enfin la consommation moyenne n’était plus que de 75 kilog. à la fin de mai. Ce résultat est dû, paraît-il, à un règlement établi pour les marchandises, et qui les fait participer aux économies sur le combustible.
Je crois que ce règlement, sous ce rapport, ne peut produire que de bons effets ; mais il faut prendre garde cependant que ce ne soit un motif pour les machinistes de ralentir la marche des convois. Comme ils sont intéressés dans l’économie du combustible et que la vitesse dans la marche des convois est une des grandes causes de consommation, il est à craindre que la vitesse de locomotion ne soit ralentie. Déjà j’ai entendu formuler plusieurs plaintes à cet égard, j’ai entendu dire que les convois ne marchaient plus aussi vite actuellement que dans le commencement.
Messieurs, les réductions apportées pour le coak ne doivent pas être les dernières à beaucoup près. D’après des auteurs qui ont étudié la matière, la consommation du coak par kilomètre, avec les locomotives telles qu’elles étaient construites l’année dernière, ne devraient pas dépasser par kilomètre 10 à 13 kilog., c’est-à-dire 50 à 65 par lieue de parcours. Or, avec du bon coak comme nous en avons en Belgique, on doit restreindre facilement la consommation à ce chiffre.
D’un autre côté, les ingénieurs les plus distingués s’appliquent continuellement à perfectionner les locomotives et à diminuer la consommation du combustible ; et qui peut dès lors assigner la limite où s’arrêteront ces perfectionnements ? Déjà l’honorable M. Rogier vous a signalé une invention nouvelle faite par un ingénieur distingué, M. Cabry. Le système inventé par cet ingénieur, qui a subi les essais les plus longs, les plus minutieux, amènera une économie de combustible de 30 p. c.
Un honorable orateur, M. Mast de Vries, a semblé douter de la chose, mais je me suis procuré depuis lois le rapport de M. Masui sur cette question et le fait annoncé par M. Rogier est positif. D’après le rapport de M. Masui, ce système va s’appliquer à toutes nos locomotives et il a d’abord cela de bon que l’application n’en entraînera que des frais insignifiants. Ainsi pour l’exercice de 1843, voilà une économie sur la consommation de coak, de 30 p. c. Or, en portant à 50 kilog. par lieue parcourue la quantité de coak consommée, (et je crois qu’en disant 50 kilog. j’exagère) il faudra pour les 330,000 lieues à parcourir en 1843, 16,500,000 kilog. de coak. Or, en 1842 le prix moyen de 1,000 kilog, coak était de 29 fr, 3 c. (et il est probablement diminué maintenant) ; la dépense totale sera donc de 479,000 francs.
Au lieu de 810,000 fr., somme demandée pour 1843, non compris le salaire des ouvriers employés à la formation du coak, cette diminution de dépense, messieurs, est fort notable, elle doit attirer toute notre attention.
D’un autre côté la section centrale a demandé à M. le ministre, s’il ne conviendrait pas de fabriquer le coak sur les lieux de production du charbon. M. le ministre a répondu que le service pourrait en souffrir, que la fabrication pourrait laisser à désirer, mais il me semble que l’on pourrait s’assurer d’une bonne fabrication en plaçant, par exemple, un employé sur les lieux. Il est certain que le transport de la houille sur les endroits où on l’a réduit en coak est une source de dépenses que l’on pourrait faire disparaître ; ce qui prouve la hauteur de cette dépense c’est que mille kilog. de coak fabriqué dans la plaine de Monplaisir, par exemple, coûtaient, en 1841 35 fr. 02 c. ; tandis que le coak fabriqué à Ans ne coûtait que 23 fr. 68 c.
Nous avons encore à ce littera d’autres augmentations très considérables.
A l’art. 4, salaire des chefs d’atelier, etc., on a dépensé en 1841 564,945 fr.
Pour 1843 l’on demande 705,000 fr.
En plus, 140,000 Fr.
Il en est de même de l’entretien du matériel.
Ainsi, messieurs, augmentation considérable pour plusieurs articles, demandes trop élevées pour d’autres, tel est le bilan du littera C.
Si nous passons au littera D, qui concerne le service des transports nous trouvons à la vérité que le chiffre proposé n’est que de 1,094,800 fr., tandis qu’en 1841, la dépense s’est élevée à 1,143,435 fr. ; mais il faut tenir compte des sommes portées au littera A, qui tombaient autrefois presque entièrement à la charge du service de transport et de la perception.
Il faut tenir compte également de la diminution qu’ont éprouvée les frais de camionnage. Ces deux objets équivalent au moins à 350,000 fr. Il y a donc aussi augmentation considérable sur ce littera. Pour le service des stations on trouve, par exemple, qu’en 1841 la dépense a été de 325,000 fr. En 1843 on demande 506,000 francs (numéros 3, 4, 5, 11, 12, 13 et 14 du littera), majoration 181,000 francs.
En résumé, messieurs, je vois presque partout, malgré les économies qu’on nous avait annoncées, des majorations considérables et qui me paraissent dépasser de beaucoup les besoins que peuvent faire naître l’ouverture des nouvelles sections, ouverture qui très probablement n’aura même pas lieu à des époques aussi rapprochées qu’on l’annonce. Je crois donc que la somme de 5,400,000 fr. dépasse les besoins de l’exploitation. Cependant j’écouterai attentivement les explications que donnera M. le ministre et je désire, avant de me prononcer définitivement, profiter de toutes les lumières de la discussion.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb), chargé par intérim du portefeuille de la justice, présente un projet de loi tendant à allouer un crédit supplémentaire au département de la justice pour l’exercice 1841.
- La chambre ordonne l’impression de ce projet, et le renvoie, sur la proposition de M. le ministre, à la section centrale, qui a examiné le budget de la justice.
La séance est levée à 4 heures et demie.