(Moniteur belge n°237, du 25 août 1842)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi un quart.
M. Dedecker lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Abas, ancien commis aux écritures du corps des ambulances, demande une indemnité du chef de suppression d’emploi par suite du traité de paix. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres de la chambre des avoués près le tribunal de première instance de Liége, demandent que le tarif des dépens en matière civile, établi pour le tribunal de première instance de Bruxelles, soit rendu commun à celui de Liége. »
- Même décision.
M. Delfosse dépose le rapport de la commission qui a été chargée de l’examen du projet de loi relatif au personnel de la cour d’appel de Bruxelles et du tribunal de première instance de Charleroy.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. Verhaegen. - Je profiterai de la présence de M. le ministre de la guerre pour lui faire une observation,
Le gouvernement a établi un dépôt de poudre à la porte de Hal ; ce qui donne aux habitants de ce quartier considérable de Bruxelles les plus graves inquiétudes, qu’on a déjà révélées dans des pétitions nombreuses, et ce qui peut donner lieu aussi aux plus graves inconvénients. J’engage M. le ministre de la guerre à fixer son attention sur ce point très important.
M. le ministre de la guerre. (M. de Liem) - Messieurs, il n’existe pas de dépôt de poudres à la porte de Hal ; il ne s’y trouve qu’une petite quantité de cartouches, et cette quantité est tellement minime qu’elle ne se porte pas même à la quantité de poudre qu’un débitant de poudre a dans son magasin. Ainsi les inquiétudes qu’on peut avoir à cet égard ne sont pas fondées.
M. Verhaegen. - Je remercie M. le ministre de la guerre de son observation, et j’ose espérer que d’après les assurances qu’il vient de donner, les habitants du quartier de Hal ne doivent pas avoir des motifs d’inquiétude.
M. Mast de Vries. - Messieurs, dans la localité que j’habite, on a construit un magasin à poudre, qui en contient des quantités considérables.
J’ai l’honneur de fixer l’attention de M. le ministre de la guerre sur la question de savoir s’il n’y aurait pas possibilité de mettre ces poudres dans quelques localités spéciales.
M. Mast de Vries (au nom de la commission des finances), dépose un projet de loi ayant pour objet d’allouer un crédit de 10,000 fr. à répartir à titre de secours temporaires entre les anciens employés de l’administration des ambulances, supprimés à la suite du traité de paix.
M. le président. - Nous revenons à l’art. 28.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - M. le président, je vous prierai de rétablir la dénomination d’école primaire supérieure dans toutes les dispositions du nouvel art. 28 où je me suis servi des mots : écoles bourgeoises.
M. le président. - La parole est à M. Verhaegen.
M. Verhaegen. - Messieurs, la question sur laquelle nous sommes appelés à nous prononcer en ce moment est beaucoup plus importante qu’on ne pourrait le croire au premier abord. Ce n’est pas seulement une question de finances, c’est encore une question de principe, et je puis le dire, de la plus haute importance.
L’honorable rapporteur de la section centrale vous a mis à même d’apprécier la portée de la disposition, telle qu’il la comprend.
L’honorable M. Dechamps vous a dit, messieurs, qu’il n’admettait pas des écoles primaires supérieures telles que voulait les établir M. le ministre de l’intérieur, telles qu’elles étaient conçues dans le projet de loi de 1834. L’honorable membre a ajouté que si ces écoles étaient établies dans le sens de l’un ou de l’autre des deux projets, ce serait pour lui un motif de voter contre la disposition.
Messieurs, je tiens beaucoup aux écoles primaires modèles, telles qu’elles existent aujourd’hui, telles que les créent, et le projet de 1834 et le projet actuel, sauf toutefois quelques changements accessoires. Je dirai à mon tour, que si les écoles dont nous nous occupons en ce moment ne sont pas maintenues telles qu’on les a proposées d’abord, je voterai et contre les dispositions et contre toute la loi, n’eussé-je pas même d’autres motifs pour émettre un vote négatif sur l’ensemble.
D’après M. le rapporteur, les écoles primaires supérieures seraient des écoles bourgeoises, telles qu’il en existe en Prusse et en Autriche, c’est-à-dire des écoles usuelles, des écoles où les enfants de la bourgeoisie vont puiser l’enseignement moyen, on n’en exclurait que l’enseignement des langues anciennes.
Nous, au contraire, nous ne voulons que des écoles modèles dans lesquelles on enseigne uniquement les matières énoncées à l’article 17 du projet de 1834, et maintenues par le projet nouveau.
Messieurs, c’est probablement par suite des conférences que M. le ministre de l’intérieur a eues avec M. le rapporteur, qu’il a apporté à sa première disposition un changement qui, d’après lui, n’est qu’un changement de rédaction.
M. le ministre de l’intérieur avait pensé que l’expression d’écoles primaires supérieures était impropre, et il y a substitué la dénomination d’écoles bourgeoises, ce n’était là d’après lui qu’un changement de rédaction. S’il en est ainsi, je l’en félicite, mais il n’en est pas moins vrai que la dénomination nouvelle est malencontreuse. Je comprends qu’il y ait des écoles bourgeoises en Prusse et en Autriche où les trois ordres existent encore ; mats je ne comprenais pas qu’en Belgique, où il n’y a que des citoyens, des bourgeois, on vienne faire des distinctions qui constituent un contre-sens, un anachronisme. S’il n’y a donc au fond qu’un changement de mots, dans l’amendement de M. le ministre, je l’aurais encore combattu, mais il y a plus : pour M. le rapporteur de la section centrale, ce n’est pas seulement un changement de mots, mais c’est véritablement un changement de choses ; l’honorable M. Dechamps est parfaitement d’accord avec lui-même, il maintient sa pensée première, qu’il a, je crois, développée dans le sein de la section centrale.
On m’annonce à l’instant que M. le ministre retire son changement de rédaction et qu’il revient à son premier amendement ; aussi M. le ministre avait présenté d’abord un changement à sa première opinion, mais bientôt il a proposé un changement au changement, et il en est revenu au point de départ. L’honorable M. Dechamps, au contraire, d’accord avec lui-même, maintient son système ; lui repousse les écoles primaires supérieures, mais il veut des écoles d’enseignement moyen pour une certaine classe de la société.
Quant à moi, messieurs, je ne veux pas que par la loi actuelle on touche à l’enseignement moyen, je ne veux pas que par la loi actuelle on fasse tort aux établissements actuellement existants d’enseignement moyen. Ce sont ces deux considérations que je vais avoir l’honneur de développer, qui m’engagent à combattre les observations faites par l’honorable rapporteur de la section centrale.
Messieurs, ne nous y trompons pas, nous ne faisons ici, ou du moins nous ne voulons faire qu’une loi sur l’instruction primaire, C’est dans cette instruction primaire que la majorité de cette chambre, contrairement à notre opinion, a voulu donner au clergé le droit d’intervenir en disant qu’il fallait avant tout soigner l’éducation des enfants en bas-âge et qu’ainsi l’instruction devait être morale et religieuse.
Nous avons reconnu, nous, que l’intervention du clergé dans les écoles primaires pouvait être utile ; nous avons dit que le gouvernement pouvait admettre ses services, mais seulement en établissant bien ses conditions et en conservant une entière indépendance. Nos adversaires, au contraire, réclamaient pour le clergé un droit et même un droit absolu d’intervention. Telle était la divergence d’opinions, toutefois en restant dans l’objet de la discussion qui était l’instruction primaire ; mais il semble maintenant qu’on veuille encore aller plus loin en posant un jalon pour le futur et en faisant déjà une excursion sur les terrain de l’enseignement moyen. D’après les observations présentées par M. le rapporteur, j’ai lieu de croire que telle est son intention.
Il n’y a plus à équivoquer. Le rapporteur de la section centrale veut que les écoles primaires supérieures soient des écoles d’enseignement moyen pour tous ceux qui se destinent à l’agronomie, au commerce ou à l’industrie. Ainsi dans ces écoles, on donnerait même des cours de tenue de livres, d’algèbre, de chimie, de mécanique, etc. etc., qui, d’après l’honorable membre concernent l’instruction qu’il appelle usuelle, ce qui veut dire en d’autres termes qu’on permettrait au clergé de s’emparer de la direction de tout le commerce et de toute l’industrie.
Vous voyez, messieurs, que la portée de ce système est immense. Ce n’est plus seulement à l’enfance qu’on s’attache. Les exigences ont bien grandi, et nos craintes se justifient déjà. L’on veut dès à présent s’emparer de la branche principale d’instruction moyenne ; je dis de la branche principale, car, messieurs, si ce que veut M. le rapporteur de la section centrale, venait à être sanctionné par la chambre, la plus grande partie de l’instruction moyenne, serait déjà réglée par la loi, c’est-à-dire, que l’instruction moyenne pour tout ce qui concerne l’agronomie, le commerce et l’industrie, en d’autres termes, toute l’instruction moyenne, sauf l’enseignement des langues anciennes, serait réglée par la loi sur l’instruction primaire ! Il est heureux que nous ayons compris l’intention de l’honorable M. Dechamps, cachée sous la dénomination d’écoles bourgeoises, qu’il aurait donnée, d’accord avec M. le ministre, aux écoles modèles, il est heureux que nous ne nous soyons pas laissé aller à trop de confiance.
Certes, personne dans cette assemblée ne pourra admettre que dans un projet de loi sur l’instruction primaire on puisse s’occupe de l’instruction moyenne ; c’est un véritable contre-sens, et qu’on ne se le dissimule point, le but que l’on a en faisant cette tentative, c’est de faire tomber certains établissements d’enseignement moyens dans la disposition générale de la loi, qui admet comme un droit l’intervention du clergé.
Dans tous les cas, ce qui me paraît évident, c’est qu’on veut poser un jalon pour le futur, c’est qu’on veut se préparer des arguments pour la discussion prochaine de la loi sur l’enseignement moyen ; on dira alors que le principe de l’intervention du clergé, quant à cet enseignement, a déjà été admis.
Je dois le dire, messieurs, moi qui n’ai pu admettre l’intervention du clergé dans l’enseignement primaire que comme utile et moyennant de bonnes garanties je ne l’admettrai jamais pour l’enseignement moyen. Je dirai plus : je vois une tendance à écrire un premier principe dans la loi sur l’instruction primaire pour en raisonner dans la discussion de la loi sur l’enseignement moyen ; quand il s’agira de cette seconde loi on posera encore un principe comme jalon pour l’instruction supérieure, et de cette manière on s’emparera de tout l’enseignement primaire, moyen et supérieur. Vous voyez qu’il n’état pas inutile de fixer, et tout d’abord votre attention sur cette tendance qui, d’après moi, apparaît menaçante.
Je vois, par la déclaration que vient de faire M. le ministre, qu’il ne partage pas l’opinion de M. Dechamps. C’est fort heureux, et sur ce point je le félicite ; il admet le principe du projet de 1834 ; il ne s’agit plus que de s’entendre sur le mode d’exécution, l’idée d’écoles bourgeoises est abandonnée, on en revient aux écoles modèles si utiles, je dirai même si nécessaires ; reste à savoir si on en voudra sérieusement.
Les observations qui ont été développées par M. le rapporteur doivent avoir été soumises par lui à M. le ministre de l’intérieur, et les conférences qui ont eu lieu entre eux paraissent avoir exercé quelque influence sur l’esprit de M. Nothomb ; et je ne sais, si d’après la déclaration qui vient d’être faite, cette influence disparaîtra entièrement.
Je vous disais, messieurs, qu’indépendamment de l’inconvénient que je vous avais déjà signalé, il y en avait encore un autre, à savoir le tort considérable qu’allait faire aux collèges et athénées actuellement existants le projet dont on méditait l’exécution ; les craintes que j’avais conçues par suite des observations de M. Dechamps se sont confirmées par l’explication que vient de donner M. le ministre de l’intérieur.
Répondant à l’honorable M. Rogier, M. le ministre a dit qu’il n’avait pas grande difficulté à établir une école modèle par arrondissement judiciaire. Nous avons, a-t-il dit, 26 arrondissements judiciaires en Belgique. Huit sont pourvus d’écoles ; dans six autres arrondissements, il y a des collèges qui bientôt demanderont à être convertis en écoles modèles. Il ne restera plus que 12 établissements à créer. C’est précisément là ce que je redoutais. Je désire conserver les collèges communaux qui existent. Mes adversaires, au contraire, veulent les détruire, et tous les moyens sont bons pour atteindre ce résultat.
Il y a, a-t-il dit, des localités dans lesquelles on demandera à changer les collèges en écoles modèles. Serait-ce peut-être Ath ? Si cela était, qu’arriverait-t-il ? Ath a un bon collège communal, on a déjà fait beaucoup de tentative pour la mettre de côté, on n’y est pas parvenu jusqu’à présent. Mais si au moyen du projet tel qu’on le formule, on parvenait à engager Ath à changer son collège en école modèle, savez-vous quel en serait le résultat ? Le collège disparaîtrait au profit de Brugelette, le sacrifice serait consommé ! Ce qui peut arriver à Ath, peut arriver ailleurs ; quant à moi, je le répète, je tiens beaucoup à conserver les collèges communaux. Je suis étonné que, par une loi d’instruction primaire, on cherche à les détruire.
M. le ministre, qui n’adopte pas l’opinion de M. le rapporteur, est cependant arrivé droit à ce résultat ; il a fait son compte de telle manière que dans plusieurs arrondissements de bons collèges seront changés en écoles modèles. C’est détruire, au grand détriment de l’enseignement moyen, des établissements qui existent, c’est encourager certaine tendance, et n’y eût-il que cette tendance, je ne pourrais pas donner mon assentiment à la disposition qu’on propose. Il y a encore un autre inconvénient et très grave, c’est que dans la plupart des collèges et athénées, il y a des branches d’enseignement telle qu’on veut les attribuer aux écoles supérieures dans le sens de l’honorable M. Dechamps. Ce sont ces branches d’enseignement qui viennent en aide à nos collèges et athénées et augmentent leurs ressources.
Ainsi, d’un côté on travaille à la perte des collèges et athénées actuellement existants ; d’un autre côté on veut régler déjà la plus grande partie de l’enseignement moyen par la loi sur l’enseignement primaire ; on veut dans l’un comme dans l’autre l’intervention du clergé. Si on veut y procéder avec bonne foi, il faut rejeter l’opinion de M. Dechamps et condamner les observations de M. le ministre, quant à la transformation de certains collèges communaux en écoles modèles. D’après moi, pour rester dans le vrai, il n’y qu’un moyen, c’est d’adopter l’amendement de l’honorable M. Rogier, avec quelques changements de rédaction. Maintenez les écoles modèles telles qu’elles existent, créez-en de nouvelles, toutes seront très utiles, alors que vous restreignez dans les limites de l’article 17 ; mais n’empiétez pas sur l’enseignement moyen, dont il n’est pas question jusqu’à présent.
Voilà les observations que j’ai cru devoir soumettre à la chambre ; je ne m’occuperai pas de la question financière ; elle a été suffisamment traitée par les honorables préopinants.
- La chambre, sur la proposition de M. Devaux, avec l’assentiment de M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb), ajourne la discussion du dernier paragraphe de l’art. 28 relatif aux cours normaux, après la discussion de l’art. 30 relatif aux écoles normales.
M. de Theux. - Après la motion d’ordre qui vient d’être adoptée, je n’aurais que peu d’observations à présenter à la chambre.
Je voterai pour l’amendement de M. le ministre de l’intérieur. Mais je tiens à déclarer que dans mon opinion les écoles primaires supérieures ne seront pas limitées au nombre des 27 écoles à ériger par le gouvernement, car dans un grand nombre de communes, il y a des écoles primaires supérieures. Dans la plupart des écoles communales urbaines et dans les pensionnats existants au nombre de 642, il se donne un enseignement primaire assez élevé ; je tenais à faire cette observation pour qu’on ne croie pas à l’étranger que l’enseignement primaire est réduit en Belgique à l’enseignement de la lecture, de l’écriture, et du calcul. Cela est bon pour les petites classes. Mais il est constant que l’enseignement primaire supérieur est très répandu dans le pays. Je dirai même que, dans la plupart des communes, les écoles primaires proprement dites indépendantes de tout pensionnat, sont beaucoup plus élevées que ne le comportent les dispositions déjà votées du projet de loi. Ainsi dans beaucoup d’écoles des provinces flamandes on enseigne la langue française : dans un bon nombre d’écoles modèles on enseigne le dessin linéaire.
J’ajouterai que les écoles normales libres et celles que le gouvernement créera, contribueront à former des instituteurs de plus en plus instruits, qui, après avoir satisfait aux prescriptions de la loi, pourront donner des cours spéciaux, aux frais de ceux qui désireront acquérir plus de connaissance ; de sorte que l’instruction sera aussi avancée en Belgique que dans aucun autre pays.
il me reste un mot à dire de la dépense. On a soutenu que les charges de l’Etat seraient très faibles d’après le projet. C’est une erreur. Les charges de l’Etat, d’après le projet de loi, seront considérables. Notez que, par la fixation du minimum à 200 fr., il y aura pour l’Etat obligation de suppléer dans un grand nombre de communes. Il y aura les inspections cantonales et provinciales, les réunions cantonales et les concours. De toutes ces circonstances, il résultera des dépenses considérables. Dès lors, je ne vois pas la nécessité de mettre à la charge de l’Etat la plus grande partie des dépenses des écoles primaires supérieures. Il me paraît juste que quand une commune obtiendra une école primaire de cette catégorie, elle se contente du concours le l’Etat jusqu’à concurrence de 3,000 fr. Cela constituera un avantage assez grand pour les villes, celles-ci pourront suffire à la dépense, tandis que d’autres communes moins riches ne demanderaient pas mieux que d’avoir des écoles plus élevées si l’Etat leur donnait un subside.
Par ces motifs, je voterai pour la limitation du chiffre proposée par M. le ministre de l’intérieur. Je désire que dans aucun cas l’Etat ne concoure à la dépense pour plus d’un tiers.
M. Dechamps, rapporteur. - L’honorable M. Verhaegen a donné aux paroles que j’ai prononcées dans une autre séance une portée tout autre que celle que j’ai eu l’intention d’y donner. Mais cet honorable membre, lorsqu’il s’agit d’un article du projet de loi pousse la défiance à tel point qu’il veut y voir non ce que l’article dit, mais ce qu’il pense que l’article veut cacher. L’honorable membre a l’air de se cacher derrière chacun des articles du projet de loi pour épier les intentions de ses adversaires. Lorsque nous soutenons ou que nous combattons une proposition, il se demande quel but caché nous pouvons avoir pour la soutenir ou la combattre. Comme si nous n’avions pas le même intérêt que lui à faire une bonne loi de l’instruction primaire dans l’intérêt seul de l’instruction primaire ! comme si nous n’avions pas le même intérêt que lui à ce que les populations inférieures soient morales, religieuses, instruites et soumises aux lois. Si nous avons le même intérêt que lui, notre but doit être le même que le sien.
Je vous ai dit que l’honorable préopinant a donné à mes paroles une portée qu’elles n’avaient pas. En effet, mon intention a été de défendre le même fond d’idées qu’à défendues avant moi l’honorable M. Rogier. Les observations du préopinant, M. Rogier en conviendra, s’appliquent aussi bien au discours de M. Rogier qu’au mien. En effet, M. Rogier vous a dit une chose très juste. Il s’agit de ce qu’on appelle en France l’enseignement intermédiaire. J’ai ajouté une réflexion, et en cela je n’ai pas voulu dire une nouveauté ; j’ai dit ce que tout le monde dit, je me suis exprimé ainsi : l’enseignement qu’il s’agit de fonder aura un caractère usuel. Il ne s’agit pas là du tout des collèges.
L’honorable M. Rogier a dit et l’on a souvent soutenu qu’il y avait du danger à trop pousser aux professions libérales ; qu’il fallait donner ouverture à la carrière professionnelle. C’est la même idée que j’ai voulu développer. M. Rogier, avant moi, avait approuvé cette dénomination d’école bourgeoise, en disant qu’elle indiquait bien l’enseignement qui convient à ceux qui ne se destinent ni à la profession d’avocat, ni à celle de médecin, ni à aucune profession libérale. Je pense aussi que cette dénomination d’école bourgeoise était plus claire que celle d’école primaire supérieure, car il y a une espèce de contradiction entre ces mots primaire et supérieure ; mais je ne tiens nullement pour mon compte à l’expression.
L’honorable M. Verhaegen vous a dit : Ma crainte, ce que je prévois, c’est que dans la loi d’instruction primaire, vous voulez poser un antécédent pour l’enseignement moyen, vous voulez transformer les collèges communaux en établissements d’instruction intermédiaire.
Eh bien ! messieurs, si telle est l’intention de M. le ministre, je l’en félicite ; car je pense qu’il ferait ici acte de progrès ; je considérerais cela comme une véritable idée progressive, et l’honorable M. Rogier vous a dit que sous son administration tel avait été le principe qui l’avait guidé.
Messieurs, mon opinion est qu’en Belgique on a donné trop d’extension à l’enseignement purement littéraire ; c’est là un principe que je professe. Chaque petite localité a la prétention d’avoir un collège grec et latin. Il en est résulté un véritable encombrement de professions libérales. Je dis, messieurs, qu’il y a une lacune dans l’enseignement en Belgique : c’est l’enseignement usuel.
Je conviens que l’école qu’il s’agit de fonder n’est pas tout à fait l’école bourgeoise de la Prusse, le gymnase ; car le gymnase possède aussi des classes latines et a une extension beaucoup plus grande que celle que nous voulons donner aux écoles dont nous nous occupons. Mais il ne faut pas perdre de vue un fait : c’est que les écoles modèles actuellement existantes, au moins les mieux organisées, ont précisément le caractère que je veux donner aux écoles d’enseignement primaire supérieur. Je citerai, par exemple, l’école modèle d’Anvers. Les cours de cet établissement renferment non seulement les matières détaillées à l’art. 17, mais on y enseigne, si je ne me trompe, les langues modernes, les mathématiques d’une manière plus ou moins développée ; il y a des cours de commerce et d’industrie, des cours de mécanique jusqu’à un certain degré. Mais enfin le fait est que les matières d’enseignement sont beaucoup plus étendues que celles indiquées dans le projet.
Or, qu’ai-je voulu dire, et je n’ai pas voulu soutenir autre chose. C’est que s’il est sage dans la loi de restreindre les matières d’enseignement dans un certain cercle, le gouvernement doit rester libre d’étendre ces matières lorsqu’il le jugera nécessaire. Et je pense qu’il sera souvent nécessaire de les étendre et de donner à ces écoles le caractère d’écoles bourgeoises, d’écoles usuelles. Je crois qu’en fait on en arrivera là. Je n’ai pas voulu poser un principe ; j’ai seulement voulu montrer à quels résultats nous parviendrions.
L’honorable M. Verhaegen a dit qu’il voyait où l’on voulait en venir, et il a cité pour exemple la ville d’Ath, dont je suis le représentant. Il a dit : Mais dans la ville d’Ath il se trouve un collège à l’égard duquel il y a eu des négociations entre la régence et l’évêque. On n’est pas parvenu à s’entendre ; eh bien ! qu’arrivera-t-il ? C’est qu’on transformera le collège d’Ath en école d’enseignement primaire supérieur.
Mais je ferai remarquer à l’honorable membre que si ce fait se réalisait, ce serait du consentement de la commune ; c’est que la commune le voudrait bien, et je ne pense pas qu’il veuille aller jusqu’à interdire à une régence la faculté de transformer son collège en école primaire supérieure.
Mais en second lieu, veuillez remarquer que l’exemple de la ville d’Ath est fait mal choisi ; car d’après la loi on ne pourrait créer qu’une école d’enseignement supérieur par arrondissement. Or vous savez qu’il existe à Tournay une école modèle ; ainsi il serait impossible d’en créer une seconde à Ath.
Je ne m’étendrai pas davantage sur cette question, qui paraît incidente ; je ne reviendrai pas non plus sur les observations faites dans une séance précédente relativement à la question financière. Seulement il me paraît que d’après les observations qui vous ont été soumises par l’honorable M. Devaux, il y a dans la rédaction du 2ème § de l’article en discussion une complication que l’on pourrait éviter. On dit d’un côté que la part de l’Etat ne dépassera pas le tiers de la dépense, et d’un autre côté on dit que cette part de l’Etat ne pourra excéder 3,000 fr. Je crois que l’une de ces garanties serait suffisante. Le gouvernement a cru faire chose utile en prenant une double garantie ; mais selon moi, une seule limite suffirait : on pourrait dire que la dépense à la charge de l’Etat ne pourra excéder 3.000 fr. sans parler de la part de la dépense, ce qui pourrait compliquer la question.
M. Cools. - Messieurs, l’art. 28 nous a saisis de plusieurs propositions. Nous avons d’abord la proposition première du gouvernement ; nous avons ensuite sa proposition subséquence. Nous avons la proposition de l’honorable M. Devaux et celle de l’honorable M. Dechamps. Il me semble qu’il résulte de toutes ces propositions et des discours qui ont été entendus dans les séances précédentes, qu’il y a beaucoup d’incertitude dans les esprits sur ce qu’il faut faire. Déjà dans la section centrale, M. le rapporteur en conviendra, on a reconnu qu’il n’y avait pas de partie de la loi sur laquelle les opinions fussent plus divisées.
Quant à moi, dans l’état actuel des choses, je partage l’opinion de l’honorable M. Devaux. Je crois qu’il faut faire établir des écoles primaires modèles et pas autre chose, c’est le caractère qui leur a été donné en 1817 ; je crois qu’il faut le leur conserver.
Je m’oppose donc à la proposition du gouvernement qui a pour objet de créer des écoles d’un ordre supérieur. Toutefois je conçois l’ordre d’idées qui a amené le gouvernement à faire sa proposition.
Beaucoup d’orateurs ont été frappés d’une lacune très grande qui existe dans l’enseignement en Belgique ; nous n’avons pas jusqu’à présent de système légal d’écoles qui s’adressent à la grande partie des habitants ; d’écoles plus que primaires pour ces populations nombreuses qui ne peuvent se créer un état scientifique, ni une position littéraire, des écoles enfin pour les artisans et pour la bourgeoisie. Il faut organiser ces écoles ; seulement en quoi mon opinion diffère de celle du gouvernement, c’est que ce n’est pas par la loi d’enseignement primaire qu’il faut combler cette lacune, mais bien par la loi d’enseignement moyen. Je crois que si à propos d’enseignement primaire, vous organisiez des écoles bourgeoises ou des écoles supérieures, le nom n’y fait rien, que si en d’autres ternes vous organisez d’autres écoles que des écoles d’enseignement primaire qui puissent servir de point de mire, dont les écoles communales puissent se rapprocher, il faut renoncer à l’idée d’en faire des écoles modèles. Vous ne pouvez également créer des cours de pédagogie auprès de ces écoles, et je désire beaucoup qu’on établisse de ces cours, Je le répète, je voudrais qu’on établît des écoles primaires modèles et pas autre chose.
On vous l’a déjà dit avant moi : les écoles primaires supérieures que le gouvernement veut établir, peuvent être envisagées aussi bien comme des écoles d’enseignement moyen que comme des écoles d’enseignement primaire. Ces écoles sont bien la dernière limite, ou la limite supérieure de l’enseignement primaire et la limite inférieure de l’enseignement moyen. Ce sont en quelque sorte des écoles transitoires. Dés lors examinons s’il faut créer ou organiser les écoles que le gouvernement a en vue dans la loi d’enseignement primaire ou dans la loi encore à faire d’enseignement moyen.
Je suis forcé, messieurs, de faire une excursion sur le terrain de l’enseignement moyen ; mais comme la matière est assez importante, on me pardonnera cette petite digression.
Il y a une vingtaine d’années, on ne reconnaissait que trois espèces d’écoles : les universités, les collèges et les écoles primaires. Il n’y avait, en parlant comme législateur, comme homme d’Etat que ces trois espèces d’écoles. Vers la fin du gouvernement hollandais on a fait un pas de plus ; on a senti que la marche de la civilisation exigeait qu’à côté des collèges, on créât des établissements qui s’adresseraient davantage à la généralité des habitants, et on a transformé quelques-uns de nos athénées en écoles mixtes, en écoles où, à côté de l’enseignement littéraire, se donnait l’enseignement des arts et du commerce. C’était un premier pas.
Cependant ceci ne suffisait pas encore, parce que ces écoles qu’on créait près des athénées établis dans les grands centres de population, exigeaient de très grands déplacements d’élèves. Les frais s’en ressentaient. Les cours inférieurs qu’on créait auprès des athénées devaient d’ailleurs plutôt servir d’introduction aux écoles supérieures. Ce n’était pas une organisation complète. Le grand nombre ne pouvait en profiter.
Aujourd’hui on sent qu’il y a une lacune plus grande encore, et qu’il faut créer ce qu’on appelle des écoles usuelles. Je partage sur ce point l’opinion de plusieurs honorables membres ; il y a une lacune dans notre enseignement. Pour la petite bourgeoisie, si je puis me servir de cette expression générique, pour les fils de détaillants, de petits rentiers surtout dans les campagnes, pour ceux qui se destinent à devenir secrétaires de communes, clercs de notaire, chefs d’ateliers, il n’existe pas d’établissements organisés par la loi, d’un degré supérieur aux écoles primaires.
Je reconnais que nous devons créer une organisation complète et voilà pourquoi je ne pense pas qu’au moyen de deux ou trois articles glissés dans une loi d’enseignement primaire nous parviendrons à faire quelque chose de bon. Nous devons créer une organisation large ; et je pose en fait que lorsque nous aborderons la loi d’enseignement moyen, on reconnaîtra qu’il y a des dispositions bien plus nombreuses à prendre pour des établissements qui n’existent pas encore que pour les écoles auxquelles on a songé jusqu’à ce jour et qui comprennent les collèges et les athénées.
Mais si vous voulez créer aujourd’hui de ces écoles primaires supérieures, vous ne pouvez en faire des écoles modèles, ce seraient de très mauvais modèles à proposer aux écoles communales. Il y aurait là un danger réel pour l’enseignement primaire. Il faut maintenir les écoles primaires dans une situation humble et ne pas les stimuler même indirectement à prendre des développements qui ne répondent pas aux besoins des élèves qui les fréquentent. Les inspecteurs qui existaient sous le gouvernement précédent vous attesteraient ce danger : presque toujours lorsqu’ils se présentaient dans une école, ce que l’instituteur cherchait surtout, c’était à faire valoir la science. Il y avait deux ou trois élèves à qui il enseignait l’histoire, la géographie, et c’était ceux-là qu’il cherchait à faire briller. Il faut tenir les écoles communales dans une situation humble, dans la situation qui convient pour la première éducation des enfants de la bourgeoisie, aux enfants pauvres, aux enfants d’artisans. Une tendance à s’élever trop haut sera celle qu’on aura le plus communément à combattre près des instituteurs primaires.
Vous voulez créer des cours de pédagogie ; mais bien certainement votre intention n’est pas que les instituteurs qui s’occupent de cet enseignement humble, dont je viens de parler, aillent se former dans des établissements destinés à une tout autre classe d’enfants, ne faisant plus que perfectionner l’éducation qu’ils avaient reçues précédemment dans les écoles primaires.
Il faut donc que les écoles que nous créons soient des écoles primaires, rien de plus, mais des écoles primaires destinées aux villes, et devant être fréquentées par des enfants d’une classe plus aisée ; dès lors on trouverait moyen de couvrir une plus grande partie des frais que nécessiteraient ces écoles ; les enfants appartenant à des parents plus riches paieraient des rétributions plus considérables ; les cours s’y donneraient avec plus de soin, et les instituteurs sortis des écoles normales pourraient observer les mêmes cours qui se donnent dans les écoles communales, mais des cours se donnant d’une manière plus perfectionnée.
Ainsi renonçons à faire des écoles modèles supérieures ; je ne m’oppose pas à ce qu’on ajoute aux matières d’enseignement une couple de cours de plus pour ces écoles, puisqu’elles sont destinées à une classe plus élevée ; mais il faut en ajouter le moins possible. Conservez-leur ce caractère que leur a donné le gouvernement précédent et n’en faites pas autre chose que des écoles primaires modèles.
M. Cogels. - Messieurs, je m’étais d’abord proposé de renoncer à la parole, parce que l’honorable M. Dechamps avait complètement répondu aux observations de M. Verhaegen ; mais ce que je viens d’entendre m’engage à dire quelques mots ; je ne serai pas long.
Les écoles que l’honorable M. Cools voudrait instituer seraient véritablement des écoles primaires modèles, et alors il s’agirait ou de supprimer les écoles d’enseignement moyen qui existent maintenant, ou bien d’en établir à côté d’elles d’autres qui atteindraient le but que l’honorable membre se propose. Quant à moi, une école primaire, telle que celle qui existe à Anvers et qui y existait déjà sous l’ancien gouvernement, me semble devoir être prise pour modèle. Cette école est extrêmement utile, et j’en verrais la suppression avec beaucoup de peine. Cette école comprend essentiellement l’instruction primaire ; les enfants y sont admis depuis l’âge de 3 ou 4 ans ; cela n’empêche pas l’instruction d’être suffisante pour les rendre plus tard parfaitement aptes à remplir l’une ou l’autre profession, à entrer dans un bureau de commerce, dans un bureau d’administration, et à compléter ainsi par la pratique une instruction qu’à défaut de semblables écoles ils ne pourraient recevoir que dans les collèges où l’on enseigne les langues anciennes.
Eh bien, messieurs, il est bien difficile aux élèves qui fréquentent les collèges de ne pas suivre ces cours, et cela fait naître des idées d’ambition dangereuses, cela engage les jeunes gens à se lancer dans des carrières où ils croient trouver un avenir brillant et où ils ne trouvent souvent que déception et misère.
Il faut former les élèves à tel point qu’ils n’aient plus besoin d’aller au collège, qu’ils puissent immédiatement passer à la pratique, c’est-à-dire, qu’il faut former de bons commis, ou des hommes qui puissent exercer telle ou telle profession, par exemple, celle de leur père. En général, en Belgique, les enfants méprisent la profession, le métier dans lequel leur père à fait sa fortune ; cela n’existe pas en Angleterre, mais en Belgique vous verrez rarement le fils d’un tailleur devenir tailleur, vous verrez rarement le fils embrasser le métier de son père.
Si un homme a fait sa fortune dans l’exercice d’un métier quelconque, ordinairement son fils veut pousser son ambition plus loin. Eh ben, je crois qu’il faut donner aux jeunes gens l’instruction nécessaire pour embrasser avec espoir de succès la profession dans laquelle leur père a fait sa fortune ; il ne faut pas les pousser vers des carrières où tout en voulant s’élever ils ne feraient peut-être que tomber.
M. Orts. - Je considère, messieurs, les écoles modèles comme extrêmement importantes surtout lorsque je réfléchis à ce que, d’après le projet de loi, il n’y a que deux espèces d’écoles primaires : les écoles primaires proprement dites dont l’enseignement est réglé par l’art. 6, et les écoles primaires modèles dont l’enseignement est réglé par l’art. 17. Quand je réfléchis à ce qu’il y a au moins 3,000 écoles primaires en Belgique, je pense que 26 écoles primaires modèles seraient un nombre extrêmement limité. Il ne faut pas se dissimuler que l’enseignement à donner dans une commune rurale de 3 à 4 ou 500 habitants est nécessairement inférieur à celui que l’on donnera dans une ville qui sera le chef-lieu d’un arrondissement judiciaire.
On nous propose, messieurs, dans l’art. 28, de décider qu’il pourra être une école modèle dans chaque arrondissement judiciaire ; eh bien, je proposerai de remplacer les expressions : il pourra en être établi une, par celles-ci : Il en sera établi au moins une. Je ne puis concevoir que le chef-lieu d’un arrondissement judiciaire pourrait, tant sous le rapport des matières d’enseignement, que sous le rapport des connaissances des instituteurs, être mis sur la même ligne que les moindres villages.
Je pense qu’il est indispensable d’établir au moins dans chaque chef-lieu d’arrondissement judiciaire une école primaire modèle.
Aux termes du projet que nous discutons, dans les écoles primaires proprement dites, l’enseignement comprend nécessairement l’instruction morale et religieuse, la lecture, l’écriture, le système légal des poids et mesures, les éléments du calcul, et, suivant les localités, les éléments de la langue française, flamande ou allemande. Maintenant que devra-t-on enseigner dans les écoles primaires modèles ? D’après l’art. 17, on devra y enseigner, non pas seulement la lecture, mais aussi la grammaire, les langues française et flamande, et, au lieu de celle-ci, dans la province du Luxembourg, on devra y enseigner la langue allemande ; on devra y enseigner l’arithmétique dans toutes ses parties, le dessin, principalement le dessin linéaire ; l’arpentage et les autres applications de la géométrie pratique ; des notions des sciences naturelles applicables aux usages de la vie ; la musique et la gymnastique, les éléments de la géographie et de l’histoire, et surtout de la géographie et de l’histoire de la Belgique.
Eh bien, messieurs, je le demande, est-ce là un programme trop chargé pour une école à établir dans les chefs-lieux d’arrondissement judiciaire, est-ce trop que d’établir dans chacun de ces chefs-lieux une école où l’on enseignera ces matières ?
Il y a encore une considération, messieurs, qui ne doit pas vous échapper. Je regrette beaucoup de n’avoir vu dans le projet qui nous est soumis, ni dans le projet de 1834 une classification non seulement des écoles, mais aussi des instituteurs. Sous le gouvernement des Pays-Bas, il y avait différents rangs parmi les instituteurs et pour être nommé dans telle ville, il fallait avoir tel rang, pour être nommé dans telle autre ville il fallait avoir tel autre rang. Pourquoi, messieurs, avait-on établi une semblable classification ? Parce que l’on avait compris que la capacité de l’instituteur doit être en rapport avec l’importance de la localité où il est appelé à donner l’enseignement.
Sous un autre rapport cette idée était encore assez heureuse. Je m’expliquerai tout à l’heure sur les écoles normales et sur les cours normaux à annexer aux écoles primaires supérieures ; mais je dis que vous avez souvent des instituteurs qui seront sortis des écoles normales et qui étant placés dans de petites communes sans espoir de voir leur sort s’améliorer, se négligeront, ne chercheront pas à se perfectionner. Certes les instituteurs qui sortiront des écoles normales seront capables, mais s’ils ne s’exercent pas, s ils ne se tiennent pas à la hauteur de l’enseignement, ils se perdront, et c’est ce que beaucoup d’entre eux feront s’il n’y pas une espèce de hiérarchie parmi eux, s’ils n’ont pas l’espoir d’obtenir un rang supérieur.
Le projet de loi n’admet qu’une seule différence, elle n’admet de différence qu’entre les écoles primaires proprement dites et les écoles primaires modèles. Je pense donc qu’il fait rendre ces dernières aussi nombreuses que possible, et c’est pour cela que je propose de changer en obligation formelle la faculté que le projet donne au gouvernement d’établir une école primaire modèle dans chaque chef-lieu d’arrondissement.
Remarquez bien, messieurs, que ce ne seront pas, comme on semble le dire, de petites universités, que ces écoles primaires modèles ; ce ne sera que ce qui est indispensable dans tout ville qui est chef-lieu d’un arrondissement judiciaire. Je crois même que de semblables écoles seraient nécessaires dans beaucoup de villes qui ne sont pas chefs-lieux, aussi l’amendement que je propose permettra d’étendre le nombre de ces écoles, puisque je dis : « Il sera établi au moins une école, etc. »
Quant à la dénomination que l’on donnera aux écoles dont il s’agit. Je ne vois pas pourquoi on reculerait devant la dénomination d’école modèle. Cette dénomination a été établie sous l’ancien gouvernement, elle a été conservée jusqu’ici, et je ne sais pas pourquoi l’on irait la remplacer par le nom d’école bourgeoise.
Je ne parlerai pas maintenant de ce qui concerne les cours normaux ; j’aurai aussi un changement à proposer sous ce rapport, mais puisque cette question a été ajournée, je le ferai plus tard.
M. Devaux. - L’honorable M. Orts propose de dire : « Une école primaire modèle sera établie dans chaque arrondissement judiciaire, » au lieu de dire : « Une école primaire supérieure pourra être établie, etc. » Quant à moi, je ne m’oppose pas à ces deux changements. Je dois cependant faire remarquer que s’ils n’étaient pas adoptés, il n’en résulterait pas que la disposition aurait le sens limité que semble lui donner l’honorable M. Orts ; la disposition n’est limitative qu’en ce qui concerne les pouvoirs donnés au gouvernement ; la disposition n’interdit pas aux communes ni aux provinces de créer des écoles primaires supérieures.
Ainsi, comme l’a dit l’honorable M. de Theux, on ne peut pas inférer de la loi qu’il n’y aura que 26 écoles primaires supérieures en Belgique. Dans l’état actuel des choses, il existe de ces écoles dans la plupart des villes ; elles sont plus ou moins bien organisées. Mais enfin il en existe dans la plupart des villes et des grandes communes. Il ne s’agit donc que de limiter le nombre des écoles primaires supérieurs dont le gouvernement aura la direction absolue.
Ce qui avait fait interpréter l’article autrement par l’honorable M. Orts, c’est qu’il était dit dans le premier paragraphe : Il pourra en être établi une dans chaque arrondissement judiciaire.
L’honorable M. Orts avait conclu de là, sans doute, qu’il ne pourrait en être établi plus d’une dans chaque arrondissement, cela est vrai, par le gouvernement, mais il pourra en être établi d’autres par les communes et par les provinces. Peut-être pour plus de clarté, vaudrait-il mieux dire par la loi : Il (le gouvernement) pourra en établir une dans chaque arrondissement judiciaire.
Messieurs, ainsi que l’a dit l’honorable M. Orts une école primaire supérieure est une école primaire ordinaire, où l’on envoie les enfants dès l’âge auxquels ils vont à l’école ; c’est une école un peu meilleure qu’une école de village ; ce n’est pas une école moyenne ; ce qui le prouve, ce sont les branches qu’on y enseigne. Ainsi les mathématiques s’y bornent à l’enseignement de l’arithmétique ; on n’y enseigne pas les langues étrangères ; les matières d’instruction y sont réduites au strict nécessaire de l’enseignement des communes un peu peuplées.
Je dirai qu’une école primaire supérieure ne peut pas remplacer un collège. Cela est impossible, c’est comme si vous vouliez remplacer une université par un collège. Si l’on voulait remplacer avantageusement les collèges qui existent dans plusieurs petites villes, et où l’enseignement classique est trop faible ; si on voulait en faire des institutions destinées aux jeunes gens qui se vouent aux carrières industrielles, il faudrait des écoles où l’enseignement fût plus élevé que dans les écoles primaires supérieures, il faudrait des écoles où l’on enseignât la géométrie, les éléments de chimie et de physique et les langues étrangères ; où l’on donnât des leçons de commerce, et d’autres leçons analogues.
Ce serait donc une erreur de croire qu’on peut remplacer un petit collège par une école primaire supérieure. Ces écoles primaires supérieures sont destinées à la première enfance ; elles viennent immédiatement après les salles d’asile, comme toute autre école primaire. En créant des écoles primaires supérieures, nous n’aurons pas tout fait pour les enfants qui ne se destinent pas aux professions libérales. Il y a une lacune.
Je dirai en passant qu’il existe déjà dans plusieurs localités des écoles qui ont pour but de combler cette lacune ; je veux parler des écoles industrielles, et des sections industrielles annexées à certains collèges communaux. Ce sont des institutions fort utiles, que nous pourrons peut-être améliore ou étendre, quand nous nous occuperons de l’enseignement moyen.
Mon opinion diffère très peu de la rédaction présentée par M. le ministre de l'intérieur, et modifiée par l’amendement de l’honorable M. Dechamps, qui consiste à retrancher quelques mots au second paragraphe ; il est bien entendu partant que c’est au gouvernement qu’appartient la nomination des professeurs de ces écoles. Je préférerais la dénomination d’école modèle ; je trouve que cette dénomination est plus claire et donnera aux professeurs une idée plus élevée de leurs fonctions ; ce sont en réalité des points de comparaison que nous voulons donner aux autres écoles.
Si l’on adopte l’amendement du gouvernement, je propose de dire au second paragraphe : « La part contributive de l’Etat ne pourra dépasser annuellement l’allocation moyenne de 3,000 fr. par école. »
Je mets allocation moyenne, car je crois que cela facilitera beaucoup l’administration dans ce qu’elle trouvera convenable de faire pour ces écoles. Il y a telle de ces écoles à laquelle il faudra donner quelques centaines de francs de plus, tandis qu’on pourra sans inconvénient allouer quelques centaines de francs de moins à une autre.
Je remarque que si on laissait subsister l’amendement du gouvernement, il y aurait une équivoque ; on dit : indépendamment du local à fournir par la commune, la part contributive de l’Etat ne pourra excéder le tiers de la dépense totale sans toutefois dépasser par école trois mille francs annuellement.
Je suppose que les traitements des professeurs d’une école modèle s’élèvent ensemble à une somme de 6,000 francs, et que les rétributions des élèves sont de 3,000 fr. La dépense totale de l’école sera-t-elle dans ce cas de 3,000 ou de 6,000 fr. ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - De 6,000 francs.
M. Devaux. - Cela n’est pas clair. Dans plus d’une commune, on pensera que dans ce cas le gouvernement ne peut intervenir que pour mille francs, puisqu’en réalité l’école ne coûte à la commune que 3,000 fr.
- L’amendement de M. Devaux est appuyé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je préfère l’expression : écoles primaires supérieures. L’expression écoles modèles fait naître d’autres idées ; selon moi, elle fait croire qu’il s’agit d’écoles principalement normales ; et cependant ce n’est pas le caractère essentiel de ces institutions ; elles peuvent devenir accessoirement des institutions normales. Ce sont là les motifs qui m’ont engagé à ne pas maintenir la dénomination d’école modèle, et d’y substituer la dénomination adoptée en France, celle d’école primaire supérieure.
Messieurs, je ne m’opposera pas à l’amendement qui a été proposé par M. Dechamps. L’honorable rapporteur veut que le gouvernement ne puisse pas accorder par école plus de 3,000 fr.
L’honorable M. Devaux veut au contraire que le gouvernement ne puisse pas accorder plus de 3,000 fr. en moyenne. L’arbitraire que je vous ai signalé hier avec une grande franchise existera toujours de la part du gouvernement dans une certaine limite avec la rédaction proposée par l’honorable M. Devaux ; le gouvernement pourra accorder très peu de chose, 1,000 fr. par exemple, à une école, et allouer 4, 5 ou 6,000 fr. à une autre école.
Je pense que nous pourrions nous contenter du chiffre de 3,000 francs ; car dans l’état actuel de l’organisation des écoles modèles, il n’en est aucune qui reçoive plus de 3,000 fr.
J’ai encore une autre observation à faire, c’est que des cours normaux, d’après ma proposition, seront annexés à l’une des écoles par province, il sera encore payé une certaine somme, à titre d’indemnité, pour ces cours normaux.
On peut donc adopter l’amendement de l’honorable M. Dechamps qui coupe court à tout arbitraire.
Des membres. - La clôture.
M. Cools (contre la clôture). - Je veux uniquement demander à M. le ministre de l'intérieur s’il verrait de l’inconvénient à donner la dénomination d’écoles primaires royales aux écoles primaires supérieures.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - Nous procéderons au vote par paragraphe.
Au premier paragraphe, M. Orts a proposé de dire : « Il en sera établi au moins une dans chaque arrondissement judiciaire. »
Au second paragraphe, M. le rapporteur a proposé de substituer aux mots : la part contributive de l’Etat ne pourra excéder le tiers de la dépense totale, sans toutefois dépasser par école, trois mille francs annuellement, ceux-ci : la part contributive de l’Etat ne pourra excéder, par école, trois mile francs annuellement.
M. Devaux a proposé de rédiger ainsi qu’il suit cette partie du paragraphe : la part contributive de l’Etat ne pourra excéder par école l’allocation moyenne de 3,000 francs annuellement.
- Cet amendement n’est pas adopté.
La substitution du mot école primaire royale est mise aux voix et rejetée.
L’art. 28 est adopté dans les termes suivants :
« Des écoles primaires supérieures seront fondées par le gouvernement et entretenues avec le concours des communes dans toutes les provinces ; il pourra en établir une dans chaque arrondissement judiciaire.
« Indépendamment du local à fournir par la commune, la part contributive de l’Etat ne pourra excéder la somme de trois mille francs annuellement.
« Les écoles modèles du gouvernement actuellement existantes, sont maintenues, et prendront le titre d’écoles primaires supérieures. »
« Art. (17) 29. Outre les objets énoncés dans l’art. 2, l’enseignement dans ces écoles comprend :
« 1° Les langues française et flamande, et, au lieu de celle-ci, la langue allemande dans la province de Luxembourg ;
« 2° L’arithmétique ;
« 3° Le dessin, principalement le dessin linéaire, l’arpentage et les autres applications de la géométrie pratique ;
« 4° Des notions des sciences naturelles applicables aux usages de la vie ;
« 5° La musique et la gymnastique ;
« 6° Les éléments de la géographie et de l’histoire, surtout de la géographie et de l’histoire de la Belgique. »
M. Dumortier. - Je ne suis pas grand amateur de voir enseigner la gymnastique dans les écoles primaire supérieures. Je conçois cela dans les pensionnats pour occuper les élèves pendant les récréations, mais là où vous n’avez que des externes, les élèves s’en allant pendant les récréations, je trouve cela inutile.
M. Devaux. - Si M. Dumortier fait une proposition formelle pour exclure la gymnastique, je serai obligé de défendre cette partie de la loi. Il s’agit des écoles exceptionnelles que vous organisez au nombre de neuf dans les provinces et qui pourront facultativement s’élever jusqu’à 27. Quand le gouvernement institue des écoles modèles qu’il désire que d’autres établissements prennent pour exemples, il est bon d’y introduire ce qu’il y a de plus utile pour les enfants. Je connais peu de choses plus avantageuses que la gymnastique pour les enfants qui fréquentent les écoles. Elle a été introduite dans presque tous les pays d’Europe avec un très grand succès. Car c’était une très grande erreur de ne pas exercer le cours en même temps que l’esprit. C’est la cause de tant d’existences frêles, de maladies qui ont leur source dans l’école même. A mesure que les écoles se multiplient, que les jeunes gens étudient davantage, il faut craindre d’affaiblir la constitution physique en développant l’intelligence ; il n’y a pas de meilleur moyen de rétablir l’équilibre entre les forces physiques et les forces intellectuelles, que la gymnastique. Quand un enfant s’applique beaucoup, il dérange cet équilibre. Il suffit d’observer la figure des enfants qui étudient pourvoir qu’après certaines heures d’application ils ont besoin d’exercice. Il y a des enfants qu’on ne peut pas forcer à jouer. La gymnastique est excellente pour eux. Il ne s’agit pas de faire faire aux enfants des tours de force périlleux ; je tiens beaucoup, dans l’intérêt de la jeune génération, à ce que le gouvernement introduise la gymnastique dans ses écoles, en l’entourant toutefois de certaines précautions. L’abâtardissement des classes instruites serait un grand malheur pour un pays.
M. Dumortier. - Je ne reconnais pas à la gymnastique les avantages que lui attribue l’honorable préopinant. Je ne crois pas que les hommes instruits soient abâtardis.
M. Devaux. - M. Dumortier conviendra que si nous avions fait de la gymnastique, lui et moi, nous aurions une plus forte constitution.
M. de Mérode. - Il faudra des locaux spacieux. Je concevrais cela dans les internats, mais quand les enfants sortent de l’école, ils vont jouer, chacun d’eux s’amuse comme il l’entend. Si c’est facultatif, à la bonne heure. Je ne voudrais pas que la gymnastique fût obligatoire. Cela ne doit pas être imposé par la loi.
- L’amendement de M. Dumortier n’est pas adopté.
L’article (17) 29 est ensuite mis aux voix et adopté.
« Art. 30. Il sera établi par les soins du gouvernement deux écoles normales pour l’enseignement primaire, l’une dans les provinces flamandes, l’autre dans les provinces wallonnes.
« Dans chaque province des cours normaux pourront être adjoints par le gouvernement à l’une des écoles primaires supérieures. »
M. le président. - M. Rogier propose à cet article un amendement ainsi conçu :
« Il sera immédiatement établi, par les soins du gouvernement, deux écoles normales pour l’enseignement primaire ; l’une dans les provinces flamandes, l’autre dans les provinces wallonnes.
« Le gouvernement pourra créer successivement d’autres écoles normales ; toutefois, les dispositions à intervenir ne recevront leur exécution qu’après le vote législatif du crédit nécessaire à cet effet. »
M. Rogier. - Messieurs, l’amendement que j’ai l’honneur de présenter diffère de la proposition du ministre. D’abord en ce que j’ajoute le mot immédiatement. C’est une expression empruntée au projet de 1834. Je crois qu’en même temps que nous organisons l’enseignement primaire, ce qu’il y a de plus pressé, c’est de créer les établissements destinés à former les instituteurs. Par ce mot, la loi indique au gouvernement l’importance qu’on attache aux écoles normales et l’urgence de procéder à leur organisation. Je ne pense pas qu’il puisse y avoir de discussion sur ce point.
En second lieu, je voudrais donner au gouvernement la faculté d’établir plus de deux écoles normales, si le besoin s’en fait sentir. Immédiatement il en établirait deux et si la nécessité d’un plus grand nombre lui était démontrée, il pourrait en établir d’autres. Je subordonne cette faculté au vote de la législature, c’est le but de mon dernier paragraphe. Ce paragraphe, je l’ai emprunté au projet de M. le ministre de l’intérieur. Il n’appliquait cette disposition qu’aux écoles primaires modèles, je l’applique aux écoles normales. Vu l’importance de l’institution je fais intervenir la législature. Je pense que mon amendement n’accorde rien de trop à l’Etat, et qu’il ne doit exciter la défiance de personne.
Le projet de 1834 autorisait l’établissement de trois écoles normales sans le concours de la législature. D’après le projet actuel, le gouvernement ne peut en établir que deux ; avec mon amendement il lui resterait la faculté, avec le concours de la législature, d’en établir trois, quatre on cinq, si le besoin s’en fait sentir. En France, aux termes de la loi de 1833, une école normale est attribuée à chaque département ; seulement il est permis à plusieurs départements de se réunir pour fonder une école normale. En Autriche, il y en a une par province ; en Prusse, il y avait en 1831 33 grandes écoles normales : c’est plus d’une par province.
Nous sommes, comme on le voit, loin de ces divers pays.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’amendement présenté par l’honorable M. Rogier est une précaution extraordinaire que nous prendrions pour l’avenir. Cette précaution, faut-il la prendre ? C’est ce qu’il faut examiner, il faut nous demander jusqu’à quel point les deux écoles normales et les institutions existantes, qui ont plus ou moins le même but, suffiront pour ce qu’on peut appeler le recrutement des écoles primaires. C’est, messieurs, une question de fait, une question de chiffre, j’ai proposé la formation de deux écoles normales du gouvernement, et de plus j’ai demandé pour le gouvernement l’autorisation d’annexer à l’une des écoles primaires supérieures, par province, des cours normaux.
Il faut faire une distinction importante, quand il s’agit des candidats à former pour l’instruction primaire. Il faut distinguer entre les écoles rurales et les écoles urbaines. Rarement et très difficilement on pourra former des candidats, dans le même établissement, pour ces deux espèces d’écoles. Je considère les deux écoles normales dont on vous demande l’établissement comme destinées non exclusivement, mais principalement à la formation des instituteurs des campagnes et des villes d’un ordre très secondaire. Les instituteurs urbains se formeront et se perfectionneront ailleurs, dans les cours qui seront annexés aux écoles primaires supérieures. Vous voyez comment je suis amené à demander à la fois la création de deux écoles normales et l’autorisation d’annexer des cours normaux à l’une des écoles primaires supérieures, par province. D’honorables membres ont cru qu’il y avait une espèce de double emploi dans ces deux propositions ; il n’en est rien. Ces deux propositions ont deux buts différents.
Le projet de loi de 1834 autorisait le gouvernement à établir immédiatement une école normale, et successivement deux autres. Il pouvait donc y avoir trois écoles normales au bout d’un certain temps. Je dis que dans le système du projet de loi de 1834 deux écoles normales étaient plus que suffisantes, et j’avoue que j’ai peine à me rendre compte du motif pour lequel on allait jusqu’à supposer la création de trois écoles normales. En effet, je vois que d’après ce projet de loi le gouvernement n’avait d’action que sur les établissements subventionnés par l’Etat, au nombre de 793. Ajoutez-y les établissements qui auraient reçu des subsides provinciaux d’après le projet de loi, et vous auriez pu avoir un millier d’écoles communales sur lesquelles le gouvernement aurait exercé une action.
Il me faut maintenant vous présenter une série de chiffres dont nous aurons besoin par la suite dans cette discussion. Quel est par année le nombre des vacatures sur un certain nombre d’écoles, sur le nombre 100, par exemple ? il est constaté par les statistiques française et belge que les vacatures sont de 5 p. c., c’est-à-dire que sur 100 instituteurs, il y a 5 places vacantes par an. M. Villemain le dit encore dans son dernier rapport, page 30.
Je vous rappelais tout à l’heure que d’après le projet de loi de 1834, le gouvernement aurait eu une action plus ou moins directe sur 1,000 établissements ; ce qui fait 50 vacatures par an. Les écoles normales de l’Etat n’auraient donc eu à présenter que 50 candidats par an ; or, pour cela un seul établissement eût été, selon moi, suffisant
Du reste, le projet de loi de 1834 n’existe plus ; c’est de la loi actuelle qu’il faut nous occuper, et je me hâte d’y arriver.
Il résulte du rapport que j’ai en l’honneur de présenter à la chambre, qu’il y a dans le pays :
5,320 instituteurs des deux sexes :
3,028 communaux et mixtes, dont 284 institutrices et 2,744 instituteurs
2,292 privés, dont 1,143 institutrices et 1,149 instituteurs et 1149 institutrices.
Soit 5,320 instituteurs des deux sexes, dont 1,427 institutrices et 3,893 instituteurs.
2,744 inst. comm. et mixtes, dont 2,489 ruraux et 255 urbains.
1,149 inst. privés, dont 793 ruraux et 356 urbains.
Soit 3,893 instituteurs dont 3,282 ruraux et 611 urbains.
Les places vacantes d’instituteurs étant annuellement de 5 p.c., il peut tout au plus y avoir de vacances annuellement en Belgique 164 places d’instituteurs ruraux disponibles, soit dans les écoles communales, soit dans les écoles mixtes, soit dans les écoles privées. Pour y pourvoir, nous avons : deux écoles de l’Etat, les écoles du clergé et neuf écoles primaires supérieures avec des cours normaux, et de plus tous les autres établissements.
Je dis que sur ce nombre de 164, c’est beaucoup que de supposer que le gouvernement en fournira les deux tiers pour être très large, c’est-à-dire 120. Il y aura donc pour chacune des deux écoles de l’Etat à fournir annuellement 60 instituteurs. Supposons que ce soit un peu plus du double des élèves fréquentants. C’est supposer que l’école ait 100 ou 120 élèves. Nous supposons donc que le tiers restant des instituteurs sera fourni par tous les autres établissements du pays, ecclésiastiques ou laïques, les collèges mêmes, enfin tous les établissements qui peuvent en former.
Voilà les raisons qui me font croire que 2 écoles normales seront pour le moment suffisantes. Nous ne devons pourvoir qu’au présent, et ce serait trop nous préoccuper de l’avenir qu’admettre la précaution extraordinaire résultant de l’amendement de M. Rogier. D’ailleurs cet amendement fait trop, ou trop peu. Il fait trop s’il suppose la création des écoles normales très prochaine ; il fait trop peu s’il admet avec moi que cette éventualité est très éloignée.
Je persiste à penser qu’on pourra suffire à tous les besoins avec les 2 écoles normales primaires et avec les cours normaux annexés aux 9 écoles modèles. Nous aurons en troisième lieu les écoles normales ecclésiastiques ou autres, existant en vertu de la liberté d’enseignement, et dont nous nous occuperons plus spécialement, quand il s’agira de la question de nomination.
Il y aura en quatrième lieu toutes les écoles quelconques. Il y a un grand nombre de personnes dont la vocation se trouve manquée, qui se destinaient à des carrières plus élevées et qui, arrêtées par des causes diverses, se trouvent réduits à la condition d’instituteur.
Enfin nous avons introduit dans la loi un grand moyen de perfectionnement pour les instituteurs : ce sont les conférences cantonales qui doivent se tenir quatre fois par an, et qui sont de véritables cours de pédagogie. Les instituteurs s’y instruiront mutuellement sous la direction de l’inspecteur cantonal, et même de l’inspecteur provincial qui doit présider l’une de ces conférences une fois par an. C’est là une institution toute nouvelle qui donnera, je n’en doute pas, les meilleurs résultats.
Je pense, messieurs, avoir établi par des chiffres que nous faisions assez en autorisant le gouvernement, d’une part, à créer deux écoles normales spéciales, et, d’autre part, à annexer des cours normaux, à neuf écoles d’enseignement primaire supérieur.
M. Orts. - Messieurs, l’établissement de cours normaux près d’une école primaire supérieure dans chaque province me paraît nécessaire et même indispensable ; et au lieu d’abandonner au ministère, chose toujours chanceuse et qui dépend de l’opinion des hommes qui sont à la tête des affaires, le soin de décider s’il pourra en être établi, je voudrais formuler le dernier paragraphe de cet article dans ce sens que dans chaque province des cours normaux devront être adjoints à l’une des écoles primaires supérieures.
Messieurs, l’utilité de ces cours normaux près des écoles modèles a été appréciée sous le gouvernement des Pays-Bas et sous le gouvernement de la Belgique ; c’est à tel point qu’à Anvers, et je crois dans toutes nos écoles modèles, ces cours normaux existent. C’est en effet le seul moyen de donner aux instituteurs la faculté de se procurer les connaissances nécessaires pour exercer leur profession.
Ces cours peuvent encore avoir un autre degré d’utilité. On a décidé qu’il serait établi une école normale pour les provinces wallonnes, et une école normale pour les provinces flamandes. Et bien ! il ne serait pas impossible que des jeunes gens qui n’auraient pas le moyen d’aller se fixer dans l’endroit où sont établies ces écoles normales, pussent obtenir les mêmes avantages en fréquentant les cours normaux établis près des écoles modèles supérieures.
Il me semble donc que l’idée d’abandonner simplement au gouvernement la faculté d’établir ou de ne pas établir des cours normaux près d’une école primaire supérieure par province, pourrait inspirer des craintes ; je pense qu’il faut absolument qu’une école primaire supérieure par province possède ces cours, pour faciliter à tous les habitants de cette province qui se destinent à l’instruction, le moyen de devenir de bons instituteurs.
M. le président. - M. Orts propose par amendement de substituer aux mots pourront être établis ceux-ci : seront établis.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable M. Rogier m’a demandé pourquoi j’avais supprimé dans l’article le mot immédiatement. Il m’a semblé que le mot immédiatement n’était nécessaire dans le premier paragraphe que pour autant que, dans le paragraphe suivant, on admettait l’établissement éventuel d’autres écoles. Voilà pourquoi j’ai supprimé ce mot ; parce que d’après ma proposition, cette éventualité d’avoir successivement d’autres écoles n’existait pas. C’était une simple raison de rédaction.
Néanmoins, pour qu’il soit bien constaté que ces écoles normales s’établiront aussitôt après le vote de la loi, Je consens à ce qu’on ajoute le mot immédiatement dans la proposition telle que je l’ai faite, de concert avec la section centrale. Je propose de dire « Il sera immédiatement établi par le gouvernement deux écoles normales. » Je supprime les mots : par les soins du gouvernement, pour qu’on sache bien que c’est par le gouvernement que seront établies ces écoles. Car on aurait pu épiloguer sur les mots : par les soins. C’est pour cela que je les fais disparaître.
M. Dumortier. - Messieurs, je vois que dans la loi qui nous occupe, il est question de former des écoles normales. Mais je ne vois pas comment seront formées ces écoles, et à cet égard il me semble qu’on a déposé dans la loi actuelle comme dans celle de 1834 un germe, mais rien qu’un germe. Je voudrais savoir de M. le ministre comment il entend constituer ces écoles. Sera-ce des internats ou des externats, et je crois que dans des établissements où il s’agit de former des instituteurs cela est nécessaire.
D’un autre côté, si ce sont des internats, comme je présume que tout le monde l’entend, je demande comment seront organisés ces internats ; il n’y a aucune règle à cet égard dans la loi. Qui fournira le local, qui fournira la nourriture, qui touchera les bénéfices de l’internat ? Que payera-t-on pour aller dans ces écoles ? Tout cela est dans le vague, la loi n’en dit rien.
Messieurs, cette réflexion est d’autant plus importante, que l’institution d’écoles normales est une chose absolument nouvelle en Belgique. A aucune époque de notre existence politique nous n’avons eu d’écoles normales. Sous le gouvernement des Pays-Bas sous le gouvernement du monopole, il n’y avait pas d’écoles normales.
Un membre. - Il y en avait une à Lierre.
M. Dumortier. - Il est possible qu’il y en avait une à Lierre ; mais dans ce cas, son effet ne s’est guère faut sentir ; pour moi, je n’en ai jamais entendu parler.
Messieurs, je conçois le système des écoles normales sous le régime du monopole ; je les conçois en France sous le régime universitaire, en Prusse sous un régime aussi monopolisant. Mais en Belgique, j’avoue que si l’on voulait créer un grand nombre d’écoles normales, je n’en comprendrais pas la destination. Je ne puis donc donner mon assentiment à l’opinion de l’honorable M. Rogier qui voudrait les multiplier.
Je voudrais donc avoir d’abord des renseignements sur ce que seront ces écoles normales. D’un autre côté, je désire savoir si elles présenteront des garanties morales et religieuses.
Un membre. - Voyez l’art. 31.
M. Dumortier. - Si vous formez des instituteurs, probablement que vous avez l’intention que ces instituteurs soient des hommes moraux et religieux, et auxquels on aura inculqué les principes que vous voulez qu’ils inculquent à la jeunesse. Je voudrais savoir où sont dans la loi les garanties à cet égard.
Je vois à l’art. suivant, que les écoles normales seront soumises à une inspection.
M. Pirson. - A une inspection ecclésiastique.
M. Dumortier. - Ce sont des garanties d’inspection, et rien de plus ; mais je ne crois pas que cela puisse suffire.
En résumé il me paraît que tout cela n’a pas été suffisamment médité. Je ne vois, je le répète, dans la loi qu’un germe. Je demanderai à cet égard des explications à M. le ministre de l’intérieur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On a plusieurs fois interrompu l’honorable préopinant pour lui signaler l’art. 31. Cet article renferme une garantie que ne présentait pas le projet de 1834. Nous avons admis pour l’enseignement primaire une double direction, une double surveillance. Cette double direction, cette double surveillance, nous devons l’appliquer à tous les degrés de l’enseignement primaire ; nous devons donc aussi l’appliquer aux écoles normales.
Néanmoins on peut faire une addition à cet art. 31.
M. Dumortier. - Les écoles normales seront-elles des internats ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Certainement, il y aura un internat. D’ailleurs, il sera fait un règlement d’administration générale qui organisera les écoles normales en respectant les grands principes poses dans cette loi. Mais on ne va pas s’occuper dans la loi des conditions d’un internat, de la somme qu’on payera, etc. Tous ces détails doivent être abandonnés à l’exécution.
Nous avons dit pour les écoles primaires que l’enseignement moral et religieux serait donné par le ministre du culte ou sous sa direction pour l’instituteur. Dans les écoles normales nous ne trouvons plus un seul homme chargé de tous les cours ; ici il y aura une personne spécialement chargée de l’enseignement de la morale et de la religion, et cette personne ne peut être qu’un ministre du culte ; de sorte que quand nous arriverons à l’art. 31, je proposerai un nouveau §, ainsi conçu :
« Il y aura dans chaque école normale un ministre du culte chargé de l’enseignement de la morale et de la religion. »
Cela ne doit étonner personne ; car dans les écoles modèles il y a déjà un ecclésiastique chargé de l’enseignement de la morale et de la religion.
M. Dumortier. - Je voudrais faire une observation sur une question dont j’ai déjà parlé, la question des locaux. Ne conviendrait-il pas de dire dans la loi que les locaux devront être fournis par les communes où elles seront établies ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je crois qu’il serait dangereux de dire cela dans la loi. Il n’y a guère que les villes très riches qui puissent fournir des locaux, et je ne sais pas si les écoles normales peuvent être placées dans ces villes très riches. Si l’honorable M. Dumortier a lu l’ouvrage de M. Barrau, il comprendra l’importance qu’il faut attacher au choix du siège de ce genre d’écoles.
M. Devaux. - Je ne m’occuperai en ce moment que de l’article 30.
M. le ministre de l’intérieur s’est étonné que le projet de 1834 ait voulu plus de deux écoles normales ; et comme je me trouve malheureusement le seul membre de la commission qui défende le projet de 1834, j’en expliquerai les motifs.
Je crois, messieurs, que le nombre de 3 écoles normales fixé par la loi de 1834, était loin d’être trop élevé. M. le ministre de l’intérieur dit que la loi de 1834 ne donnait une action directe au gouvernement que sur un très petit nombre d’écoles. Mais en établissant des écoles normales, on a eu en vue de former des instituteurs, non pas seulement pour les écoles du gouvernement, mais pour toutes les écoles du pays ; les écoles qui ne dépendent pas directement du gouvernement, les écoles provinciales, communales ou privées, ne sont-elles pas libres de prendre leurs instituteurs parmi les élèves des écoles normales de l’Etat ? N’est il pas à désirer que ces élèves inspirent assez de confiance pour pouvoir être employés même par les écoles privées ?
M. le ministre de l’intérieur a combattu en même temps et la loi de 1834 et l’amendement de M. Rogier. L’honorable M. Rogier est cependant d’accord avec M. le ministre sur ce point qu’il n’établit immédiatement que deux écoles normales seulement ; il laisse une espèce d’ouverture pour en établir d’autres si les circonstances en démontrent la nécessité. Je crois, messieurs, que cela est très prudent et que l’expérience peut démontrer cette nécessité.
Les calculs présentés par M. le ministre ne m’ont pas convaincu, ces calculs je ne les admets pas. Quel est d’abord le nombre de places d’instituteurs vacantes tous les ans dans le pays ? En France, messieurs, il y a 40,000 instituteurs, et les places vacantes annuellement s’élèvent à 2,300 ; dans notre pays d’après les tableaux de M. le ministre de l’intérieur nous avons 4,000 instituteurs du sexe masculin. Si en France 40,000 instituteurs donnent 2,300 places vacantes par an, en Belgique 4,000 instituteurs donneront 230 places vacantes par an. Voilà donc déjà un des chiffres de M. le ministre de l’intérieur notablement changé.
Maintenant M. le ministre suppose que l’Etat doit intervenir pour les deux tiers dans la formation de ces instituteurs ; cela ferait 150 à 160, si je ne me trompe. Pour fournir 150 ou 160 instituteurs aux écoles il faut en former davantage, car il ne faut pas croire que tous les élèves qui sortiront des écoles normales entreront dans les écoles primaires ; il y en a qui deviendront précepteurs ; il y en a qui chercheront à entrer dans les collèges ; il y en a enfin qui renonceront à la carrière de l’enseignement ou seront incapables de sorte que pour fournir chaque année 150 ou 160 instituteurs aux écoles primaires, il faudra au moins en former 180. Or, combien faut-il d’écoles normales pour former chaque année 180 instituteurs ? En France il y a 76 écoles normales qui fournissent 7 ou 800 instituteurs ; c’est-à-dire que chaque école normale, en France, fournit annuellement 10 ou 12 instituteurs. En Prusse d’après le rapport de M. Cousin, il y a 33 grandes écoles normales et une quarantaine de petites, disons ensemble 70. Ces écoles fournissent aussi 7 ou 800 instituteurs par an. Ainsi, dans ces deux pays, une école normale fournit annuellement 10 ou 12 instituteurs.
M. le ministre de l’intérieur a d’autres idées ; il veut qu’une école normale fournisse 70 à 80 instituteurs par an. L’expérience est contre lui, et je ne sais pas s’il est possible qu’une bonne école normale fournisse un aussi grand nombre d’instituteurs, car il faut bien que ces instituteurs restent au moins pendant deux ou trois ans dans l’école, et dès lors, pour fournir 70 à 80 instituteurs par an, une école normale devrait avoir de 150 à 250 élèves. Je ne sais pas si une école normale pourrait marcher avec un aussi grand nombre d’élèves, car il faut dans de semblables écoles une grande surveillance ; il y faut non seulement conduire convenablement les classes, mais encore diriger les individus.
Peut-être ferait-on sagement de limiter les écoles normales à 30 ou 40 élèves ; dans ce cas chaque école ne fournirait guère que 10 ou 20 instituteurs par an. Vous voyez donc, messieurs, que le projet de 1834, en proposant la création de trois écoles normales, n’allait pas trop loin mais que bien au contraire, il restait en deçà de ce qui était nécessaire. Cette opinion semble partagée dans le pays par des personnes qui doivent bien étudier les besoins. L’autorité ecclésiastique a fondé des écoles normales, mais elle ne s’est pas contentée d’en établir deux ; je ne me rappelle pas exactement le nombre de celles qu’elle a fondées, je crois qu’il y eu a 6 ou 8. Voilà, messieurs, une autorité qui s’occupe beaucoup d’instruction et qui ne croit pas qu’il suffise de deux écoles normales pour tout le pays. Je voudrais au moins ne pas rendre impossible l’établissement d’un certain équilibre entre les écoles du gouvernement et celles dont je viens de parler. Si les écoles normales ne peuvent fournir que 15 ou 20 instituteurs par an, je ne voudrais pas en borner le nombre à 2 ; je ne voudrais pas interdire à l’Etat de former plus de 30 ou 40 instituteurs annuellement ; je voudrais au moins que la question restât ouverte jusqu’à ce que l’expérience eût prononcé. Le seul moyen de laisser la question ouverte, c’est d’adopter l’amendement de M. Rogier.
Vous voyez que les chiffres présentés par M. le ministre de l’intérieur sont loin d’être assez certains pour que l’on puisse dire que deux écoles normales suffiront aux besoins de l’instruction. Il n’est pas certain non plus que vous puissiez former de bons instituteurs avec 2 ou 300 élèves dans chaque école ; l’expérience d’autres pays semble prouver, au contraire, qu’on ne peut pas obtenir de bons résultats avec des écoles normales où il y a un nombre aussi considérable d’élèves. Il ne faut donc pas trancher la question d’une manière absolue ; c’est pour cela que j’adopterai l’amendement de M. Rogier.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable M. Devaux a supposé, messieurs, que les 2 écoles normales spéciales formeraient seules des instituteurs. Mais le gouvernement possédera 9 écoles primaires supérieures auxquelles peuvent être annexés des cours normaux ; en outre, il est dans le pays beaucoup d’établissements libres qui forment aussi les instituteurs ; les collèges en fournissent également, et comme je l’ai dit tout à l’heure, bien des jeunes gens sont arrêtés au milieu de leur carrière et rentrent dans une condition plus modeste que celle qu’ils ambitionnaient, beaucoup de ces jeunes gens deviennent instituteurs.
L’honorable M. Devaux a admis avec moi que les places vacantes seraient au nombre de 200 à 230 par an pour tout le pays, j’ai dit qu’il faut déduire de ce nombre les instituteurs urbains, qui se formeront généralement dans les écoles primaires supérieures ; il faut également en déduire beaucoup de jeunes gens qui sortent des collèges après y avoir suivi pendant quelques années les premiers cours. Je ne parle pas, messieurs, des établissements ecclésiastiques, dont cependant nous devons tenir compte puisqu’ils existent en vertu de la liberté d’enseignement, et que, certes, vous n’interdirez pas aux communes de choisir des instituteurs parmi les élèves de ces établissements. Telle n’est pas, messieurs, votre intention, et telle n’était pas non plus l’intention de la commission qui a proposé le projet de 1834.
Je dis donc qu’il faut défalquer des 200 ou 230 places vacantes annuellement, celles auxquelles il sera pourvu par les cours normaux annexés aux 9 écoles primaires supérieures et celles auxquelles il sera pourvu par les collèges ou par les établissements libres. Si donc nous portons à 100 ou 120 le nombre des instituteurs qui devront être fournis par les écoles normales dont il s’agit en ce moment, je crois que nous comptons les choses très largement ; eh bien, je dis qu’une école normale peut très bien fournir 50 à 60 instituteurs par an ; 60 instituteurs par an ne supposent pas une aussi grande agglomération d’élèves.
On dit qu’il faut laisser la question ouverte ; mais, messieurs, c’est précisément nous qui proposons de laisser la question ouverte, surtout depuis que j’ai proposé d’ajouter le mot : immédiatement. Evidemment si vous autorisez le gouvernement à établir immédiatement deux écoles normales, vous laissez la question ouverte, car c’est dire implicitement que si l’expérience démontre que deux écoles normales ne suffisent pas, il en sera établi un plus grand nombre, c’est donc nous qui laissons véritablement la question ouverte, sans rien préjuger dans aucun sens.
M. de Theux. - En 1834, messieurs, on avait proposé d’établir immédiatement une école normale et d’autoriser le gouvernement à en établir plus tard deux autres. Il s’agit de savoir si cette proposition donnait plus de garanties quant au nombre d’instituteurs qui seraient formés par l’Etat, que ce que l’on propose aujourd’hui, c’est-à-dire de créer immédiatement deux écoles normales, sauf, dans le cas où la nécessité d’un plus grand nombre de ces écoles viendrait à être démontrée, à présenter un projet de loi pour en créer de nouvelles. Je ne sais pas, messieurs, si une assurée et deux facultatives valaient mieux que deux assurées.
Du reste, messieurs, là n’est pas la question : en 1834, il n’existait aucune école normale dans le pays ; depuis lors il en a été créé plusieurs, et l’on doit reconnaître que la plupart de celles qui existent aujourd’hui sont parfaitement organisées. Je conçois qu’en présence des écoles normales qui existent, quelque bonne qu’en soit d’ailleurs l’organisation, l’on désire que le gouvernement en établisse deux qui puissent rivaliser de zèle avec celles-là, sous le rapport de la formation des instituteurs ; mais je crois que c’est tout ce que l’on peut demander. J’admets avec plaisir la rivalité de zèle pour l’enseignement dans les écoles normales, mais je demande aussi une autre rivalité, celle de la moralité des élèves, et j’espère que sous ce rapport le gouvernement donnera des garanties complètes ; j’espère que le gouvernement donnera tous ses soins à assurer que les élèves de ses écoles normales reçoivent des principes religieux et moraux.
Si nous faisions plus, messieurs, que ce que je viens d’indiquer, l’on pourrait croire que le but de la loi serait de faire tomber les écoles libres qui existent aujourd’hui ; et ici je ne crains pas de dire que ces écoles sont, pour la plupart, des écoles épiscopales ; cette circonstance est une garantie de plus pour la bonne éducation des élèves. Du moment que l’enseignement littéraire dans ces écoles normales ne laisse rien à désirer, je considère ces établissements comme un bienfait. Qu’avons-nous voulu en définitive ? Nous avons voulu suppléer à l’action des pères de famille, qui ne peuvent pas, par eux-mêmes, faire l’éducation de leurs enfants. Il est évident que plus les écoles normales offrent de garanties, plus il est satisfait aux besoins des pères de famille.
Une autre considération, c’est que les dépenses des écoles normales seront nécessairement considérables ; or, les charges de l’Etat s’aggravent de jour en jour. Je ne reculerais cependant pas devant les dépenses, si l’établissement d’un plus grand nombre d’écoles normales était nécessaire, mais il est reconnu qu’un plus grand nombre serait tout à fait superflu. Je ne vois dès lors aucun motif plausible pour en créer davantage maintenant. Commençons par établir deux écoles normales, et nous attendrons les résultats de l’expérience.
La loi donne d’ailleurs au gouvernement le moyen de faire fréquenter les deux écoles normales, en accordant des subsides et des bourses à des jeunes gens, non seulement pour faire leurs études, mais aussi pour entrer dans la carrière de l’enseignement ; je crois que ces bourses ne sont pas exclusivement destinées aux 2 écoles normales de l’Etat, car d’après le principe admis dans la discussion, ces bourses pourront être accordées aux élèves d’autres écoles normales. Ce n’en est pas moins une garantie pour celles de l’Etat et surtout pour l’enseignement normal en général.
M. Rogier. - Messieurs, il est à regretter que la discussion de cet article arrive si tard, alors que l’attention de la chambre est naturellement déjà fatiguée par plusieurs semaines de discussion. La disposition que nous discutons est à nos yeux la plus importante de la loi, il s’agit de savoir jusqu’à quel point l’Etat interviendra dans la formation des instituteurs en qui, on ne peut trop le répéter, résident la vie et le succès de l’école. Il s’agit de créer des écoles normales, c’est-à-dire le séminaire des instituteurs ; de la même manière que le clergé se recrute dans les séminaires épiscopaux, de la même manière le corps enseignant primaire doit venir se recruter dans les écoles normales.
A ce point de vue, vous comprendrez, messieurs, combien il est important pour l’Etat qui doit désirer de voir répandre une instruction à la fois morale et religieuse constitutionnelle et nationale ; combien il est important pour l’Etat que ces institutions ne soient pas entièrement abandonnées à la liberté, à la concurrence. Non que je veuille jeter la moindre défaveur sur les établissements existants ; il ne m’a pas été donné de pénétrer dans les établissements fondés par MM. les évêques ; je ne connais pas non plus les conditions d’existence des écoles normales fondées par les provinces ; j’aime à croire que l’enseignement y est à la fois religieux et moral, constitutionnel et national. Mais est-ce à dire que le gouvernement doive abandonner entièrement la part d’intervention qui lui revient en première ligne dans la formation des instituteurs ? Je ne le crois pas.
Le projet de loi donne au gouvernement le droit, on plutôt lui impose le devoir d’établir immédiatement deux écoles normales ; nous sommes d’accord sur ce point. Qu’est-ce que je demande ? C’est qu’il soit laissé par la loi la faculté éventuelle d’ouvrir de nouveaux établissements, si la nécessité en était démontrée, à qui ? d’abord au gouvernement, et ensuite aux deux chambres. Je demande s’il y a rien de moins exigeant qu’une semblable proposition.
M. le ministre de l’intérieur vient de dire que nous avions tort de préjuger l’insuffisance de deux écoles normales, que deux écoles normales suffisaient. Comment M. le ministre justifie-t-il son opinion ? Il dit que le nombre des vacatures est annuellement de 230 parmi les instituteurs, mais qu’il faut défalquer de ce nombre les instituteurs qui pourraient sortir des cours normaux, annexés aux écoles supérieures des établissements libres des collèges, de telle manière qu’il ne suppose plus que 100 vacatures par an à remplir pour les instituteurs qui sortiraient des deux écoles normales du gouvernement.
Eh bien, messieurs, il est impossible, de quelque manière que vous constituiez vos deux écoles normales, il est physiquement impossible qu’elles puissent suffire à 100 vacatures, et je crois pouvoir le démontrer facilement.
D’abord, messieurs, il ne peut tomber dans l’idée d’un bon administrateur d’avoir des écoles normales renfermant un trop grand nombre d’élèves. Si vous voulez que ces écoles fournissent des instituteurs capables, moraux, dont l’éducation ait été surveillée tous les jours, à toute heure, il faut restreindre nécessairement le nombre des élèves. Ce ne sera pas dans la réunion de 2 à 300 jeunes gens que nous parviendrez à introduire toutes les qualités morales et intellectuelles que vous devez exiger des instituteurs. C’est lorsque la surveillance pourra s’exercer dans un petit cercle sur un nombre restreint d’élèves qu’il vous sera permis d’espérer d’atteindre ce résultat.
En Prusse, messieurs, le nombre des élèves qui peuvent fréquenter les écoles normales est limité ; il ne peut aller que de 60 à 70. Je ne vois pas pourquoi on pourrait s’abstenir de faire en Belgique ce qui se fait à cet égard en Prusse.
On me dit que la liberté d’enseignement n’existe pas en Prusse, C’est vrai, mais il y a pour chaque province une grande école normale ; il y en a en tout 33. Or je vous n’en demande que deux, et la faculté d’en établir d’autres avec le concours de la législature, si le besoin s’en fait sentir.
En donnant à chacune des deux écoles normales 60 élèves, et en supposant le cours de 3 ans, ce sera 20 élèves qui sortiront annuellement de chaque école normale. Mais les écoles primaires ne pourraient pas recevoir indistinctement tous les élèves qui sortiraient des écoles normales, elles ne pourraient recevoir que les bons. Or, dans les écoles normales, vous ne formerez pas toujours des sujets excellents. Il s’en trouvera qui ne voudront pas poursuivre la carrière ; d’autres n’auront pas fait de bonnes études ; il y en aura d’autres dont le caractère ne conviendra pas ; il faudra peut-être en défalquer la moitié. Il resterait donc 10 élèves sortant chaque année de chacune des deux écoles normales de l’Etat. N’est-il pas dès lors évident que ces deux écoles seront insuffisantes pour desservir les vacatures, non pas la totalité des vacatures qui s’élèvent à 230, mais la moitié de ces vacatures que nous avons réduit à 100.
L’on semble croire que la proposition si modérée que je fais porte un cachet d’hostilité ou au moins de défiance envers les établissements libres. Eh bien, à ce point de vue, si le gouvernement, reconnaissant plus tard l’insuffisance de deux écoles normales, venait demander la création d’écoles normales nouvelles ne pensez-vous pas qu’une semblable proposition n’aurait pas plus ce caractère hostile qu’une simple faculté conférée dès maintenant au gouvernement est introduite dans une loi d’organisation ?
Si ces deux écoles normales, qu’on propose d’établir, suffisent, le gouvernement ne viendra faire aux chambres aucune proposition ; si elles ne suffisent pas, le gouvernement viendra exposer à la législature les besoins de l’instruction primaire sous le rapport des instituteurs ; et si la chambre partage alors l’avis du gouvernement, on votera au budget les sommes nécessaires pour l’établissement de nouvelles écoles normales. Si vous ne procédez pas de cette manière, ce ne sera pas par un article du budget que vous pourrez créer de nouvelles écoles normales ; il faudra pour cela, et c’est l’opinion de M. de Theux, une nouvelle loi ; dans mon système, le vote législatif du crédit nécessaire suffira. Voilà la différence pratique, administrative, qui existe entre les deux systèmes.
Je vois encore un avantage dans mon amendement ; c’est qu’il pose dès maintenant, sur des bases plus larges, l’influence du gouvernement ; il élargit en même temps la carrière de ceux qui se destinent à l’instruction primaire ; or on ne peut accorder trop d’encouragement à cette carrière. Aujourd’hui, elle n’a pas d’encouragements assurés, au moins par la loi. Il existe des établissements fondés par la liberté, mais ces établissements peuvent cesser d’exister. Aussitôt que vous aurez créé des établissements par la loi, il y aura une carrière assurée pour un grand nombre de jeunes gens. Dans l’état actuel de la société, nous ne pouvons trop multiplier le nombre des carrières ; il faut en offrir autant que possible à toutes les aptitudes ; il faut surtout que la carrière de l’enseignement primaire, qui peut avoir tant d’influence sur la marche de la société, sur les mœurs publiques et privées ; il faut surtout, dis-je, que cette carrière soit suivie par des hommes qui la comprennent et qui l’aiment, il faut qu’elle leur offre une perspective ; il faut qu’elle leur présente une position honorable et respectable. Eh bien, plus vous ferez dans la loi pour les écoles normales, plus cette carrière sera recherchée, plus elle deviendra respectable, mieux elle sera garantie.
Je ne sais si le clergé se bornera à ces huit écoles. Supposé qu’il en augmente le nombre et que le gouvernement trouve des garanties suffisantes dans les élèves sortant des écoles du clergé, il ne viendra pas vous demander l’autorisation de créer de nouvelles écoles normales. Si au contraire les écoles du clergé jointes à celles du gouvernement étaient jugées insuffisantes, laissez au gouvernement la faculté de venir vous demander l’autorisation d’en créer de nouvelles. Je ne pense pas qu’il soit possible de pousser plus loin l’esprit de conciliation.
M. Verhaegen. - Messieurs, il y a quelque chose d’extraordinaire dans la discussion actuelle, c’est qu’à chaque pas que nous faisons à chaque disposition que nous discutons, on trouve moyen d’enlever ce qui a été présenté comme garanties dans des dispositions précédemment adoptées.
M. de Mérode disait, il y a quelques jours, que les écoles normales constituaient la racine de l’instruction primaire. Je suis parfaitement de son avis. Sans de bonnes écoles normales, l’instruction primaire, telle que nous la voulons, n’existera pas ; ce ne sera qu’une chimère.
Nous avons fait successivement nos observations sur les diverses dispositions du projet, à quelques-unes il a été fait droit, d’autres ont été repoussées mais si le système de nos adversaires est admis, quant aux écoles normales, tout est encore bouleversé, et les seules petites garanties que nous avions obtenues sont rendues illusoires.
Ce qui m’a péniblement affecté, c’est que le ministre de l’intérieur nous a fait des calculs qui, ni plus ni moins, doivent donner pour résultat que l’établissement d’écoles normales est en quelque sorte inutile dans notre pays. Ne nous occupons que du présent, nous a-t-il dit, ne nous inquiétons pas de l’avenir. Pour moi, je crains fort que le présent n’absorbe l’avenir. Aussi, je tiens plus que jamais à lier l’avenir au présent.
Depuis plusieurs années, j’ai signalé la plaie qui de jour en jour devient plus grande ; on a taxé d’exagérées mes observations et cependant ce que j’ai dit se réalise maintenant ; quoiqu’il en soit je dirai encore au gouvernement : Etablissez vos écoles normales tout de suite, ne perdez pas une minute, n’attendez pas qu’une expérience ultérieure vienne vous en démontrer la nécessité ; d’autres en établiront, ils vous devanceront ; les écoles qui existent déjà et celles qui seront établies ultérieurement ne vous permettront plus de soutenir la concurrence.
Veuillez vous rappeler que quand il s’est agi au budget de la justice d’une allocation demandée pour le petit séminaire de St-Trond, je vous ai dit qu’il ne s’agissait pas seulement de petit séminaire, mais d’une école normale déjà établie à Rolduc et qu’on voulait agrandir ; alors je vous ai démontré que toutes les écoles normales étaient déjà dans les mains du clergé et que le temps ne pouvait que confirmer les avantages qu’il en retirait au détriment de l’Etat.
Je disais au gouvernement : Vous n’avez pas d’écoles normales, et vous favorisez celles du clergé. Annuellement vous demandez 100 mille fr. pour St-Trond ; ces 100 mille fr. déjà répétés trois fois sont destinés à établir une école normale sur une large échelle ; vous donnez des subsides pour tuer votre propre enseignement.
Il existe déjà maintenant huit écoles normales du clergé. Cinq sont subsidiés par le gouvernement, lui qui trouve que deux sont plus que suffisantes : il y a plus, la presse nous a fait connaître dernièrement une circulaire qui a été envoyée à tous les instituteurs du diocèse de Tournay, au nom de l’évêque, pour assister aux exercices publics de l’école de Bonne-Espérance, et le ministre a donné à cela son concours. Les frais ont été faits en partie par le trésor de l’Etat. Je tiens ici une de ces circulaires. Elle porte :
« Circulaire aux instituteurs.
« Bonne-Espérance, le 22 juillet 1842
« Monsieur,
« Monsieur,
« J’ai l’honneur de vous informer que monseigneur l’évêque de Tournay, dans l’intérêt de l’enseignement primaire et pour le plus grand bien des instituteurs établis dans son diocèse, a résolu d’ouvrir chaque année, à l’école normale de Bonne-Espérance, des réunions où les maîtres pourront venir se fortifier dans l’esprit et les vertus de leur état et se perfectionner dans les connaissances qu’il exige. Elles dureront 12 jours pendant lesquels on donnera, avec des instructions religieuses, des leçons suivies sur les différentes branches de l’enseignement : il y aura des cours spéciaux pour les instituteurs plus avancés. La première réunion commencera le 29 août et durera jusqu’au 9 septembre inclusivement.
« Je ne doute pas, monsieur, qu’appréciant tous les avantages que vous pouvez retirer de cette nouvelle institution, vous n’accueilliez avec empressement et avec reconnaissance cette nouvelle preuve de l’amour et de la sollicitude de notre premier Pasteur envers vous et envers les enfants confies à vos soins.
« Dans l’espoir que vous répondrez à mon invitation, je vous préviens que vous devez vous faire inscrire chez monsieur le doyen du canton, avant le 10 août. Vous devrez vous munir pour votre usage d’une paire de draps, de deux essuie-mains, d’une serviette, d’une grammaire française, d’un Télémaque, d’une Histoire sainte, et des autres livres dont vous croiriez avoir besoin.
« M. le ministre de l'intérieur, voulant montrer tout le prix qu’il attache à la nouvelle institution, a bien voulu, de concert avec monseigneur l’évêque de Tournay, se charger d’une partie des frais que les réunions doivent occasionner à l’établissement, de sorte que la rétribution que chaque instituteur devra payer a pu être réduite à 5 francs pour les douze jours de présence.
« La liste des instituteurs qui prendront part aux réunions sera envoyée, au début de la session, à monsieur le ministre et à l’évêché, et je ne doute pas que ce sera pour ceux qui y seront mentionnés un titre de plus à la bienveillance des autorités civile et ecclésiastique.
« Recevez entre-temps l’assurance de mon estime et de mon parfait dévouement.
« Votre très-humble serviteur, J.-B. PONCEAU, directeur. »
Ainsi, cent mille francs pendant trois ans à une seule école normale du clergé, subsides annuels à cinq autres, concours aux frais de l’Etat pour favoriser les exercices publics, et vous voulez attendre encore pour créer les écoles normales de l’Etat, vous ne voulez que vous occuper du présent, sans vous inquiéter de l’avenir. Mais si vous voulez réellement une instruction primaire donnée par les soins de l’Etat, créez tout de suite des écoles normales et en nombre suffisant. Voulez-vous, oui ou non, une instruction primaire ? Expliquez-vous avec franchise ; dans mon opinion, la tendance évidente est de n’en pas avoir ; l’on ne crée une instruction primaire gouvernementale ou communale que de nom ; mais au fond, on n’en veut point. Cette tendance s’est reproduite dans toute la discussion, à commencer par les premières dispositions du projet. On dit à l’article 1er qu’il y aurait des écoles communales, et dans les articles suivants, on a fait qu’il pourrait ne pas y avoir d’écoles communales. Dans les articles 7 et suivants, on établit des inspecteurs civils, mais en fait, il n’y aura pas d’inspection. L’inspection cléricale est tout ; car la précaution et prise dans l’intérêt du clergé. Le sort de l’instruction lui est confié. Arrivé à l’article des instituteurs, on voulait à peine les rétribuer ; aujourd’hui, il s’agit de la racine de l’enseignement, des écoles normales, on veut bien les décréter de nom, mais de fait on les condamne, on n’en veut pas. Le ministre donne toutes les garanties imaginables au clergé ; il va jusqu’à dire qu’il y aura un professeur spécial ecclésiastique pour enseigner dans ces écoles la religion et la morale, et ce, indépendamment du contrôle et de la libre inspection du clergé ; on n’est pas encore content ; pour moi, il est évident, je ne m’en cache pas, que tout cela se réduit à des mots, et rien de plus. Vous n’aurez fait qu’un simulacre d’instruction primaire. Puisqu’on a parlé encore de monopole, je dis qu’il restera dans les mains du clergé. C’est une conviction que j’ai eue dès le principe et qui se vérifie à chaque pas. C’est une conviction qu’on ne m’ôtera pas, dût-on appeler cela de l’idéologie.
Je répète, et je termine par là si le gouvernement veut franchement une instruction primaire, si la chambre la veut de son côté, il y aurait lieu de créer tout le suite, et sans perdre une minute, toutes les écoles normales dont on a besoin. Si on n’avait que deux écoles normales, elles seraient, pour ainsi dire, ignorées pour la plupart des provinces. Je suppose qu’on en mette une dans la province d’Anvers et une dans le Limbourg ou dans le Luxembourg, les Flandres ignoreront leur existence, tandis que celles du clergé on les connaît partout, dans toutes les provinces. Cela est si vrai que M. Dumortier ne savait pas tantôt que, sous le gouvernement précédent, il en existait une à Lierre.
Si vous voulez réellement des écoles normales, établissez-les d’une manière efficace ; si vous ne les voulez pas, c’est que vous ne voulez pas de l’instruction primaire de l’Etat, et que vous voulez abandonner l’enseignement entièrement à ceux qui l’on déjà en grande partie.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - D’après l’honorable préopinant, à chaque pas que nous faisons, nous affaiblissons la part que nous voulons donner au gouvernement dans l’instruction primaire. Je ne veux pas revenir sur le passé. Lorsque nous en serons au second vote, je répondrai à ce qu’a dit pour la deuxième et troisième fois l’honorable préopinant, en ce qui concerne les frais de l’inspection. Je dis au contraire que nous avons continuellement renforcé l’action du gouvernement central et que prochainement nous trouverons encore une nouvelle occasion de renforcer cette action. Je compte sur l’honorable préopinant quand il s’agira de la nomination des instituteurs.
M. Verhaegen. - Certainement
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Comment ! d’après cette disposition, il n’y aurait d’exemptés de l’agréation du gouvernement que les élèves sortants soit des établissements de l’Etat, soit des établissements qui auraient accepté le régime de la présente loi. A l’avenir les écoles normales ecclésiastiques devraient se soumettre au régime de la présente loi, c’est-à-dire à l’inspection civile ; ou bien les élèves devraient obtenir l’agréation du gouvernement si les conseils communaux les nommaient. Si les établissements ecclésiastiques sont à craindre comme vous le supposez, je dis qu’il y a dans cette disposition une garantie suffisante, sur laquelle, je n’hésite pas à le dire, personne n’aurait osé compter dans ces derniers temps.
Je ne rentrerai pas dans la discussion même. J’avais principalement demandé la parole pour expliquer un fait qui me concerne, fait fort simple et que vous approuverez tous, je n’en doute pas.
Les cours des écoles normales se terminent chaque année par des conférences, sortes de répétitions générales. J’ai appris que l’école normale de Bonne-Espérance devait avoir des conférences de ce genre. Je me suis adressé à l’évêque. J’ignore qui a pris l’initiative de cette correspondance ; je ne me le rappelle pas ; mais enfin j’ai demandé à l’évêque de faire admettre à ces conférences tous les instituteurs libres ou communaux. Dès lors j’ai offert à l’évêque un subside à la condition qu’on exigerait très peu de chose de ces instituteurs. En effet, les conférences ont duré 12 jours, et pour ces 12 jours on a demandé 5 fr. à chaque instituteur. Y a-t-il rien de plus simple, rien de plus sage ? J’entends qu’on parle de monopole. Mais s’il y avait un monopole ; l’évêque aurait dit : Je veux le monopole pour moi ; je ne veux pas que vos instituteurs prennent part aux conférences qui vont terminer l’année.
Voilà les faits dans toute leur simplicité. Je crois qu’il n’y a là rien à reprocher.
L’honorable M. Verhaegen me dit que l’évêque aurait admis les instituteurs sans subside ; mais il y avait équité à l’accorder. L’évêque, sans doute, m’aurait fait la charité, je n’en doute pas ; mais je trouve que le subside était dû, et je suis très content d’en avoir fait l’offre à l’évêque.
J’ai dit que j’aurais l’approbation de tous les membres de la chambre. J’apprends que non ; je m’en consolerai. Je le croyais ; cela prouve que j’étais de très bonne foi.
Je ne reviendrai pas dans la discussion du fond, je dis que l’établissement immédiat de deux écoles normales suffira pour les besoins du pays. Suis-je dans l’erreur ? l’avenir le démontrera.
M. Dechamps, rapporteur. - Je demande la parole.
Plusieurs membres. - La clôture.
M. Dechamps, rapporteur. - Je renoncerai à la parole, si la chambre veut clore la discussion.
M. Lebeau. - Je crois qu’il est sans exemple qu’on ait interdit à un membre de la chambre de répondre à un membre du gouvernement. La chambre sait que je n’ai pas l’habitude d’abuser de ses moments. J’ai une seule observation à présenter sur l’objet dont M. le ministre de l'intérieur vient de parler. (Parlez ! parlez !)
Je déclare que, dans l’état provisoire où se trouve l’instruction primaire, je ne fait pas au ministre un grief d’avoir accordé à l’école normale de Bonne-Espérance un subside moyennant lequel il a eu la faculté de faire admettre les instituteurs aux conférences ouvertes dans cet établissement ; je ne lui en fais pas un grief ; je crois même qu’on peut lui en savoir gré dans l’intérêt de l’instruction primaire. Mais je ne puis m’empêcher d’exprimer quelques scrupules sur la forme dans laquelle cette mesure a été prise. Qu’on ait offert un subside à l’évêque, pour faire admettre les instituteurs aux conférences qui allaient s’ouvrir, fort bien. Mais le ministre devait, me semble-t-il, ou convoquer directement les instituteurs, ou prescrire soit au gouverneur, soit au commissaire de district de les convoquer ; et je ne puis comprendre que ce soin ait été laissé au directeur de l’établissement de Bonne-espérance.
Je ne puis comprendre surtout que ce personnage ait cru pouvoir éveiler leur attention sur les avantages qui devaient résulter pour eux de la participation à ces conférences, non seulement sous le rapport de l’instruction, mais encore sous le rapport des fonctions publiques. Il y a là quelque vice de forme, quelque confusion d’attributions, que j’ai cru devoir soumettre à la chambre et au ministre lui-même. On a parlé dans cette circulaire des droits que la participation à ces conférences pourrait donner à la protection du gouvernement. Je crois que ce langage n’était pas convenable de la part de celui qui le tenait. Je crois que ce langage a été une imprudence, qu’il pouvait donner lieu à des interprétations plus ou moins fâcheuses sur une mesure dictée peut-être dans des intentions irréprochables de la part de l’évêché et par le gouvernement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Voici le passage qui concerne le fait dans la circulaire adressée aux instituteurs par le directeur de l’établissement de Bonne-Espérance :
« La liste des instituteurs qui prendront part aux réunions sera envoyée, au début de la session, à M. le ministre et à l’évêque, et je ne doute pas que ce sera pour ceux qui y seront mentionnés un titre de plus à la bienveillance des autorités civile et ecclésiastiques. »
Je vous demande si l’autorité civile se trouve là rabaissée. On dit que le ministre de l’intérieur aurait dû écrire directement. Moi, je trouve que cet appel pouvait très bien être fait par le directeur de l’établissement au nom des deux autorités qui agissaient. Le ministre est nommé partout le premier, et dans les termes les plus convenables. Le ministre devait-il adresser directement la circulaire aux instituteurs, au lieu qu’elle fût faite en son nom par le directeur de l’établissement ? Je trouve, moi, que c’était assez indifférent. Si je n’ai pas d’autres griefs à ma charge, je n’ai pas de quoi m’inquiéter.
- La chambre prononce la clôture sur l’art. 30.
L’amendement de M. Rogier est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
L’art. 30 est mis aux voix et adopté.
La chambre passe à la disposition suivante : ( dernier § de l’art. 28).
« Dans chaque province des cours normaux pourront être adjoints, par le gouvernement, à l’une des écoles primaires supérieures. »
M. Devaux. - Je reprends et je présente comme amendement la rédaction primitive ainsi conçue :
« Le gouvernement veillera à ce que des cours de pédagogie y soient donnés spécialement aux époques des vacances. »
Je demande que le gouvernement puisse établir des cours normaux dans toutes les écoles primaires supérieures. Le gouvernement demande à en établir seulement dans une école par province.
Comme le gouvernement a le droit d’établir une école primaire supérieure dans chaque arrondissement, je demande qu’il puisse établir les cours normaux près chacune de ces écoles. Je vais messieurs, vous en donner les raisons ; je ne serai pas long.
Ces cours sont destinés principalement, a-t-on dit, aux instituteurs urbains, que ne formeront pas, à ce qu’il paraît, les écoles normales que vous venez de décréter. Ils ont un autre but encore ; c’est de perfectionner les instituteurs tout formés déjà, mais dont l’instruction n’est pas complète, et qui dans la pratique s’aperçoivent que leur manière d’enseigner pourrait s’améliorer. Ainsi, tel instituteur ne s’est servi jusqu’à présent que de la méthode individuelle ; il voudrait se servir d’une autre méthode, soit de la méthode mutuelle, soit de la méthode simultanée. Eh bien ! il n’a pas besoin pour cela de passer deux ou trois ans dans une école normale ; mais il se rend pendant les vacances, pendant quelques semaines, dans une école primaire modèle où l’on donne des cours normaux.
Ainsi encore on voudrait établir dans une école de village un cours de dessin linéaire. L’instituteur est tout disposé à donner ce cours, mais il ne sait comment s’y prendre. Il se rend dans une école modèle et va y apprendre à enseigner le dessin linéaire.
Mais une chose qui est nécessaire pour ces écoles, c’est le voisinage. Si vous vous bornez à établir des cours normaux dans une seule ville par province, les instituteurs de l’autre partie de la province ne se rendront pas à ces cours. Ils seront trop éloignés ; il fait que ces cours normaux soient établis dans le voisinage de l’instituteur pour qu’il s’y rende ; il n’entreprendra pas un voyage de huit ou dix lieues pour y assister. Ainsi, si vous voulez que cette institution soit utile, si vous le voulez réellement, il faut l’établir là où il y a utilité de l’établir. Il est possible que dans telle province une école de ce genre suffise mais il est possible aussi que dans telle autre province, il en faille deux ou trois. Les instituteurs ne sont pas voyageurs de leur nature et si vous ne leur mettez pas à proximité des ressources dont ils ont besoin, la plupart du temps ils n’en useront point.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il faut distinguer entre les cours de pédagogie et les cours d’instruction proprement dite. Les cours d’instruction proprement dite sont donnés toute l’année dans des établissements qualifiés d’écoles primaires supérieures. Ainsi l’honorable membre a supposé qu’un instituteur voulût apprendre le dessin linéaire ; mais le dessin s’enseigne toute l’année dans les écoles primaires supérieures.
Les cours normaux qu’on annexera à ces écoles ne seront guère que des cours de pédagogie, et encore ces cours-là ne sont-ils plus aussi nécessaires qu’ils l’eussent été en l’absence des conférences cantonales. L’honorable membre ne tient aucun compte des conférences cantonales où seront particulièrement discutées les méthodes. Il y aura quatre conférences par année, et je dis qu’en règle générale ces conférences seront plus utiles aux instituteurs que la fréquentation pendant six semaines, pendant les vacances, des cours normaux qui se donneraient accidentellement en quelque sorte près de certains établissements.
Néanmoins, je crois qu’il faut maintenir les cours normaux, mais qu’il faut les maintenir dans les termes que j’ai proposés.
Il me serait impossible de dire qu’il y aura nécessité d’avoir dans chaque province des cours normaux annexés à une école primaire supérieures, comme le veut l’honorable M. Orts ; par exemple, je me demande si cela sera nécessaire dans les provinces où l’on établira les écoles normales. Voilà un premier doute que j’ai à cet égard.
Je conçois que ces cours normaux soient annexés à une école primaire supérieure dans le Luxembourg, par exemple, parce que les instituteurs de cette province seront très éloignés de l’une et l’autre école normale spéciale. Mais il est impossible de dire dans la loi qu’on annexera des cours normaux dans chaque province à une des écoles primaires supérieures ; je crois qu’il fait laisser ceci dans le vague.
Quant à en établir près de chaque école primaire supérieure, j’ai dit que ce serait nuire d’une part aux conférences cantonales, et de l’autre la fréquentation des écoles proprement dites, et véritablement dignes de ce nom.
M. Dechamps, rapporteur. - J’aurai peu de chose à ajouter à ce que vient de dire l’honorable ministre de l’intérieur ; mais effectivement, M. Devaux ne tient pas assez compte de l’institution nouvelle que la loi renferme, des conférences des instituteurs.
Messieurs, je l’ai déjà dit : en général, je suis assez contraire à ce qu’on nomme des cours de pédagogie isolés. Je pourrais développer longuement cette opinion ; mais nous avons tous lu l’ouvrage de M. Barrau, qui regarde comme mauvaise cette institution des cours de pédagogie isolés.
Les études normales ont pour but principal de former des instituteurs, et non pas de les instruire ; de leur enseigner les matières de l’instruction ; il ne faut pas pour cela des études normales. Aussi je me serais opposé à ces cours de pédagogie, si je n’avais été frappé des réflexions de M. le ministre de l'intérieur relativement aux instituteurs urbains. Je conviens que ces cours de pédagogie annexés à des écoles d’enseignement primaire supérieures pourront être utiles et quelquefois nécessaires pour ces instituteurs urbains. Mais je crois que ce sont les écoles normales qui doivent former les instituteurs et surtout les instituteurs pour les campagnes.
L’honorable M. Devaux vous a dit : Ces cours ont un autre but, c’est de perfectionner les méthodes, de perfectionner l’instruction des instituteurs de campagne qui ne connaissent pas les bonnes manières d’enseignement. Pour moi j’avais cru que les conférences d’instituteurs remplaçaient largement ce but, et que cette institution valait cent fois mieux que des cours de pédagogie isolés. Vous conviendrez que lorsque tous les instituteurs d’un canton seront réunis sous la présidence de l’inspecteur cantonal, ou de l’inspecteur provincial, ils se communiqueront les améliorations à introduire dans l’enseignement, et qu’il en résultera bien plus d’avantages que des cours normaux isolés.
J’aurai une seconde remarque à faire. Je regarde comme chose dangereuse d’attirer dans les villes où se donnent les cours normaux les instituteurs des campagnes ; je crois qu’il faut le moins possible mettre les instituteurs de campagne en contact avec des habitudes de luxe qui ne s’accordent pas avec leur position et qui leur feraient naître des goûts qu’ils ne pourraient satisfaire dans leurs localités.
Messieurs, je n’ai pas besoin de m’appesantir sur ce point ; vous comprendrez le danger que je vous signale. Je crois qu’il faut laisser les instituteurs dans le cercle où ils se trouvent, qu’il y aurait danger à les mettre en contact avec d’autres mœurs, d’autres habitudes. Je crois qu’il vaut mieux favoriser les conférences qui laissent l’instituteur chez lui, que les cours de pédagogie qui l’attirent ailleurs.
M. Devaux. - Supprimez ces cours.
M. Dechamps. - Non, je ne voterai pas contre la proposition, par suite des observations de M. le ministre de l'intérieur ; je conviens que pour les instituteurs urbains qui sera utile en plusieurs cas d’annexer des cours de pédagogie à une école primaire supérieure. Mais ma conviction, c’est qu’en général c’est un mauvais système ; et je ne suis pas le seul à professer cette théorie ; M. Barrau l’a longuement développée. Vous connaissez ses principes.
M. Devaux. - Messieurs, nous sommes destinés à rencontrer sur notre chemin M. le ministre là où peut être nous ne devions pas nous attendre à l’avoir pour adversaire. Nous proposons de déclarer que le gouvernement a la faculté d’annexer des cours normaux à ses 26 écoles primaires supérieures, et le gouvernement ne veut pas de cette faculté. Il propose, il demande que vous vouliez bien le lier, de manière qu’il ne puisse établir des cours normaux que dans neuf écoles.
On dit : Vous êtes absolu. Je ne le suis en aucune manière, puisque ce n’est qu’une faculté que je demande. Mais ce qui est absolu, c’est le gouvernement qui se lie lui-même, qui demande qu’on lui mette des entraves, qu’on le restreigne à ne faire que dans neuf écoles, ce que je voudrais qu’il eût la faculté de faire dans 26, sans cependant y être formellement obligé.
Voilà ce qui ne vaut rien ; voilà ce que le gouvernement ne devait pas proposer seulement contre son propre droit, mais parce qu’il ne sait pas s’il ne peut pas y avoir de plus grands besoins.
On dit qu’il y aura des conférences cantonales d’instituteurs tous les trimestres. Ces conférences peuvent être très utiles, sous certains rapports. On y discutera, on y fera de la théorie, mais ce qui y manque, ce sont les élèves, c’est la pratique ; les instituteurs ne peuvent y voir l’enseignement.
L’honorable M. Dechamps craint que les instituteurs des campagnes soient attirés aux cours normaux des grandes villes. S’il concluait par la suppression de ces cours, je concevrais mieux la logique de son argumentation. Mais que veut l’honorable membre ? Qu’il y ait des cours normaux seulement dans les grandes villes. Car dire que les cours normaux ne seront annexés qu’à une seule école par province, c’est dire qu’il n’y en aura que dans les chefs-lieux de province. Moi, j’en veux dans les petites villes, j’en veux dans tous les arrondissements, et de cette manière ce contact que vous redoutez n’existe plus ; car je ne crois pas que vous voyiez du danger à mettre l’instituteur ce contact avec les habitants d’une ville du second ou du troisième ordre.
Messieurs, c’est précisément la nécessité de mettre dans les petites villes ces cours normaux, si vous voulez qu’ils soient utiles, qui m’a fait proposer mon amendement.
Je dis donc que si l’on pense que ces cours normaux sont inutiles, il faut les supprimer ; mais à moins de vouloir les rendre inaccessibles, il faut les mettre à la proximité des instituteurs.
Vraiment, messieurs, je m’étonne du genre d’arguments que nous rencontrons à chaque instant sur notre route. Le gouvernement subsidie quatre ou cinq écoles normales des évêques ; il croit donc que cinq écoles normales sont utiles dans le pays ; cependant, quand on veut lui donner la faculté d’en établir plus de deux, il soutient que deux écoles normales sont suffisantes ; à l’entendre une suffirait.
Maintenant, il s’agit d’établir des cours de pédagogie auprès des écoles primaires supérieures ; on exprime la crainte des danger qu’il y a à attirer les instituteurs des campagnes dans les villes, et cependant on veut précisément n’établir ces cours que dans les plus grandes villes, dans les chefs-lieux des provinces ; on veut les établir loin des campagnes. Après cela on veut que nous n’ayons point de défiance ; on veut que nous croyions à la sincérité parfaite de pareilles raisons. Mais si vous voulez réellement un bon enseignement, si vous voulez établir des cours normaux, placez-les là où ils peuvent être utiles ; si vous n’en établissez que dans une seule école par province, c’est dire que vous n’en voulez que pour les grandes villes ; c’est vouloir que les autres instituteurs soient formés par d’autres que le gouvernement.
M. de Theux. - Indépendamment des cours normaux à établir auprès des écoles primaires supérieures et qui seront principalement des cours de répétition à donner aux époques des vacances, rien n’empêche, ce me semble, qu’on établisse aussi des cours de répétition auprès des écoles normales proprement dites, tant celles du gouvernement que celles qu’il croira devoir subsidier.
Je crois, messieurs, devoir préférer les écoles normales proprement dites aux cours normaux à établir auprès des écoles primaires supérieures ; c’est principalement dans les écoles normales que l’on s’occupera convenablement de la formation des instituteurs, c’est là que ceux-ci pourront le mieux se perfectionner.
Du reste j’appuierai volontiers la proposition de M. le ministre de l'intérieur qui tend à autoriser le gouvernement à établir des cours normaux auprès d’une école primaire supérieure dans chaque province.
M. Verhaegen. - Je dois, messieurs, répondre un dernier mot à l’honorable M. Dechamps. Il a constamment parlé de M. Barrau ; et il vient encore de citer cet auteur, à propos de la disposition que nous discutons, mais il a bien soin de ne pas citer les paroles de M. Barrau, qui ne conviennent pas à l’opinion qu’il défend. Je vais, moi, compléter la citation, et en complétant cette citation, j’en dirai beaucoup plus que je ne pourrais en dire dans un long discours :
« Tel est le danger, dit M. Barrau, page 22, qui menace le gouvernement, s’il ne réforme ses écoles normales, cette redoutable concurrence (l’établissement des écoles du clergé) les fera périr. L’éducation donné à l’enfance sera morale, sans doute, mais elle ne sera plus nationale.
« Il faut donc se hâter d’entrer dans une autre voie, si l’on ne veut pas que la direction de l’instruction primaire échappe bientôt à l’Etat et appartienne désormais à une influence ennemie. » L’influence ennemie, l’entendez-vous, messieurs !
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il sera difficile, messieurs, que l’influence que l’on signale puisse être une influence ennemie, du moment où vous admettez la proposition que je vous ai faite relativement à la nomination des instituteurs. Les instituteurs devront être pris dans les écoles normales du gouvernement ou dans les écoles normales qui se soumettent au régime de la présente loi, c’est-à-dire qui acceptent l’inspection civile. Je crois que M. Barrau s’empresserait d’accepter une proposition de ce genre, qui soumettrait toutes les écoles normales ecclésiastiques françaises à l’inspection de l’autorité civile.
Un membre. - En leur accordant des subsides,
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable membre qui m’interrompt croit que pour que les écoles se soumettent à l’inspection civile, il faudra nécessairement qu’il leur soit accordé des subsides ; c’est là une erreur ; d’après la proposition que j’ai faite, tous les établissements quelconques, qu’ils reçoivent ou qu’ils ne reçoivent pas de subsides, devront se soumettre à l’inspection civile, s’ils veulent que leurs élèves puissent être nommés instituteurs communaux dans l’agréation du gouvernement.
La proposition que j’ai faite change la position du tout au tout. Quand, probablement demain, nous discuterons cette proposition, nous verrons que les écoles normales ecclésiastiques, qui refuseraient de se soumettre complètement au régime de la présente loi, comme ils en ont le droit, se trouveront dans cette condition exceptionnelle, que les instituteurs qui seraient choisis parmi leurs élèves maîtres, par les conseils communaux, seraient soumis à l’agréation du gouvernement. Je n’hésite pas à dire que pour ne pas voir leurs écoles normales dans cette position, les évêques s’empresseront d’accepter l’inspection civile pour ces établissements.
Un membre. - A quoi servira cette inspection ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je suis étonné que ceux qui trouvaient que l’inspection était beaucoup, qui reprochaient au clergé de ne pas vouloir cette inspection, je suis étonné que ceux-là trouvent que l’inspection ne signifie rien, maintenant que le clergé paraît consentir à l’accepter.
Quant aux cours normaux qu’il s’agit d’annexer aux écoles primaires, je les regarde comme une nécessité, mais n’en suis pas grand partisan, parce qu’il n’y a pas ici d’internat, et dès lors pas de surveillance suffisante. J’accepte donc ces cours comme une nécessité, mais je n’en veux tout au plus annexer qu’à neuf établissements de l’Etat. Alors le gouvernement fera en sorte que ces cours normaux soient convenablement donnés, et qu’il soit suppléé autant que possible au défaut de surveillance qui résulterait de l’absence d’un internat.
M. Dechamps, rapporteur. - Messieurs, l’honorable M. Verhaegen a cité un passage de l’opinion de M. Barrau. M. Barrau dit que si le gouvernement français n’entre pas dans une autre voie, il verra succomber ses écoles normales sous la concurrence des établissements du clergé. Mais quel est, messieurs, le remède que propose M. Barrau ? Dans tout le cours de son ouvrage M. Barrau demande que les écoles normales soient profondément religieuses, qu’on y laisse entrer les prêtres sans aucune défiance ; il dit qu’il faut que les écoles normales soient acceptées par le clergé, que sinon elles périront. Voilà, messieurs, quelle est l’opinion de M. Barrau. En France, les écoles normales de l’Etat ont été établies d’après les théories que l’on voudrait faire prévaloir ici ; qu’en est-il résulté ? Il en est résulté ce fait, cité par M. Barrau, que sur 70 directeurs d’écoles normales, M. Guizot a dû en destituer 50 sur 70 écoles normales, il n’y en a que 10 qu’il n’a pas fallu profondément modifier. Eh bien, parmi ces dernières, il y en avait 4 ou 5 dirigées par des ecclésiastiques et qui avaient été adoptées par le gouvernement, chose que M. Verhaegen aurait regardée comme exorbitante.
Puisque j’ai la parole, messieurs, je citerai encore un fait qui concerne la Prusse, et sur lequel beaucoup de personnes versent dans une erreur complète. Il y a en Prusse 33 écoles normales, mais ce ne sont pas des écoles normales de l’Etat, comme M. Devaux l’entend, ce sont des écoles normales fondées et dirigées par les ministres du culte, et sur lesquelles l’Etat exerce seulement sa haute action, sa haute surveillance. Les écoles normales prussiennes sont ce que seraient en Belgique des écoles normales fondées par les évêques, et qui se soumettraient à la haute surveillance de l’Etat ; toutes les écoles normales prussiennes, soit protestantes, soit catholiques, sont fondées et dirigées exclusivement par les ministres du culte de chaque communion religieuse, seulement l’Etat a sur ces écoles une haute action de surveillance, qui n’est certes pas une direction absolue.
Je sais que M. Devaux va m’opposer probablement un passage de M. Cousin où cet écrivain prétend qu’en Allemagne les établissements d’instruction sont sous la main de l’Etat. Eh bien, messieurs, je soutiens que dans ce passage M. Cousin s’est complètement trompé et que tout son ouvrage le démontre. Tous les faits cités par lui protestent contre cette allégation.
M. Lebeau. - Je crois, messieurs, que l’on a un peu anticipé sur l’ordre de cette discussion ; nous en sommes à l’art. 28, et M. le ministre de l'intérieur a parlé d’un article nouveau, qu’il a proposé et qui doit trouver sa place plus loin. A cette occasion, M. le ministre a beaucoup insisté sur l’importance de l’inspection qui sera accordée au gouvernement sur les écoles normales fondées par les particuliers et par le clergé. Messieurs, il ne fait pas se payer de mots ; il y a inspection et inspection. Quand le gouvernement fait inspecter les instituteurs sur lesquels il a une action directe, soit au moyen de la suspension et de la révocation, soit au moyen du retrait des subsides, quand il exerce ainsi une influence puissante sur la position financière des instituteurs, alors je comprends que l’inspection ait une grande valeur si elle est exercée convenablement. Mais l’inspection à laquelle M. le ministre a fait allusion, j’avoue que je la regarde comme quelque chose de presque nominal, comme une sorte de formalité sans importance. Le clergé aujourd’hui ne refuse pas en fait cette inspection. Il y aurait d’ailleurs quelque chose de peu honorable dans le huis-clos où il se renfermerait, et s’il demande un subside, l’inspection est de droit.
Mais que signifiera une inspection de ce genre, lorsque celui qui inspectera et celui au nom duquel on inspectera, n’ont pas le droit d’observation ; ils ont le droit de regarder, de prendre des notes et puis de s’en aller ; s’ils s’avisent de faire la moindre observation, on leur dira qu’on n’a à recevoir aucun ordre du gouvernement, qu’on est parfaitement indépendant de lui ; que l’on veut bien accorder au gouvernement le droit d’entrer dans l’école, mais que là sa mission expire. Voilà la situation dans laquelle le gouvernement se trouvera placé. Voilà cependant un inspecteur qui, au dire de M. le ministre de l'intérieur, doit assimiler les écoles du clergé aux écoles des communes et des provinces.
Messieurs, j’en reviens à l’amendement en discussion. Mon expérience personnelle que je prie la chambre de me permettre d’invoquer, me fait penser qu’il est extrêmement regrettable qu’on veuille restreindre les cours de pédagogie au chef-lieu de chaque province, car c’est, en définitive, aux chefs-lieux des provinces qu’on est dans l’intention d’instituer les cours normaux.
Lorsque des cours de pédagogie étaient donnés dans la province de Namur que j’ai eu l’honneur d’administrer assez longtemps, j’ai vu le conseil provincial tellement pénétré de l’importance de ces cours que, voulant en faciliter l’accès aux instituteurs qui ne pouvaient pas se déplacer, faute de ressources pécuniaires, il a voté plusieurs fois un subside annuel de 3,000 francs pour aider ces instituteurs ruraux à venir, pendant les vacances, se retremper en quelque sorte aux sources de l’instruction donnée dans l’une ou l’autre des deux écoles normales du chef-lieu. Dans le conseil provincial, on ne s’est pas borné là, on y a plus d’une fois exprimé le regret que, manquant en quelque façon à la justice distributive, on n’eût pas institué des cours normaux dans les autres chefs-lieux d’arrondissements administratifs ; on disait qu’il y avait privilège au profit des instituteurs établis à proximité du chef-lieu, et au détriment de ceux qui en étaient éloignés et qui ne pouvaient obtenir de subsides pour s’y rendre. On demandait généralement que les cours normaux fussent rendus communs, à tous les chefs-lieux d’arrondissements administratifs.
Le grand avantage qui résulterait de l’établissement de l’instituteur comme du soldat. Un soldat peut avoir parfaitement appris son métier ; mais il n’en est pas moins vrai que pendant un certain nombre d’années on le fait venir participer pendant quelques semaines aux manœuvres, pour prouver que dans l’isolement de la campagne, il n’a pas oublié ce qu’il a appris sous les drapeaux ; qu’il ne s’est pas laissé aller à une sorte de torpeur. Or, je regarde les cours de pédagogie comme étant destinés à empêcher les instituteurs de se rouiller, de se décourager, de se laisser aller à la routine, comme un moyen de le faire participer aux améliorations dont l’enseignement primaire, come les autres branches d’instruction, peut être continuellement l’objet. Il est donc très regrettable que M. le ministre de l'intérieur ne se soit pas réservé la faculté d’établir des cours normaux dans chaque arrondissement administratif.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ferai remarquer qu’on perd de vue les conférences cantonales. Ces conférences empêcheraient les instituteurs de se rouiller, pour me servir de l’expression de l’honorable préopinant ; de trois mois et trois mois, ; ils se retremperont. Du reste, ce ne sera pas toujours nécessairement au chef-lieu que les cours normaux seront institués.
M. Devaux. - Mais si ce n’est pas au chef-lieu de chaque province qu’on instituera les cours de pédagogie, le chef-lieu étant généralement le point le plus central de la province, les cours normaux seront relégués à l’une ou à l’autre extrémité de la province et seront encore rendus plus inaccessibles.
M. Dumortier. - Les instituteurs ne seront pas sans doute nécessairement obligés d’assister aux conférences cantonales. (Non !)
- Personne ne demandant plus la parole, l’amendement proposé par M. Devaux est mis aux voix et n’est pas adopté.
L’amendement de M. Orts, tendant à substituer dans le paragraphe premier le mot seront à ceux-ci pourront être est ensuite mis aux voix et n’est pas adopté.
M. Dechamps déclare retirer son amendement.
- La proposition de M. le ministre de l'intérieur est mise aux voix et est adoptée.
« Art. 31. Indépendamment de la direction et de la surveillance particulière que le gouvernement exerce sur les écoles primaires supérieures et sur les écoles normales, ces institutions sont soumises au mode d’inspection établi par l’article 7 du titre premier et par le titre II de la présente loi.
« Il y aura dans chaque école normale ou supérieure un ecclésiastique chargé de l’enseignement de la morale et de la religion. »
M. de Mérode. - Je demande qu’on remplace les mots : chargé de l’enseignement de la morale et de la religion par ceux-ci : chargé de l’éducation morale et religieuse.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). - Messieurs, les mots l’enseignement de la morale et de la religion ont été employés jusqu’ici dans toutes les dispositions de la loi. J’ai voulu maintenir le langage de la loi ; j’ai cru que si je m’écartais du langage de la loi, je donnerais lieu à de nouvelles discussions.
Voici, je pense, les motifs qui ont dicté la proposition de l’honorable M. de Mérode ; il craint que si l’on se borne à l’expression de l’enseignement de la morale et de la religion, il n’y ait un enseignement moral et religieux donné à une certaine heure, hors de laquelle on ne pourra plus s’occuper de morale et de religion.
Je ferai remarquer qu’outre l’enseignement de la morale et de la religion, il y a inspection ecclésiastique en général. Maintenant il y aura un directeur nommé par le gouvernement pour les écoles normales, et le gouvernement choisira des directeurs tels qu’ils offriront toutes les garanties nécessaires. Il est impossible de prévoir davantage dans la loi.
M. le président. - M. de Mérode persiste-t-il dans sa proposition ?
M. de Mérode. - Oui, M. le président ; la chose me paraît trop importante.
- L’amendement est appuyé.
M. Dumortier. - Messieurs, je conçois les scrupules de M. le ministre de l'intérieur, mais je crois que rien ne s’oppose à l’adoption de l’amendement de l’honorable M. de Mérode.
Dans les dispositions qui ont été votées jusqu’ici il s’agit d’écoles d’externes et non pas d’internats ; dès lors l’enseignement de la morale et de la religion était la seule chose qu’on pût exiger des instituteurs. Mais ici il s’agit d’internats, dès lors l’éducation est à former ; cette éducation doit être basée sur la morale et la religion. L’éducation est une partie considérable dans la formation de la personne à laquelle vous confierez plus tard le soin de donner l’instruction primaire à vos enfants. Il est dès lors tout à fait indispensable que cette éducation figure dans le programme que nous rédigeons aujourd’hui. S’il en était autrement, s’il n’était pas question de donner dans les écoles normales une éducation morale et religieuse, cela me suffirait pour rejeter la loi entière. J’appuie donc de toutes mes forces l’amendement de l’honorable M. de Mérode.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, il faut aller franchement au fond de la question. De deux choses l’une : ou l’amendement de l’honorable M. de Mérode n’a pas un autre sens que ma proposition, et alors il est inutile, ou il a un autre sens, et alors voici ce qu’il signifie : c’est que le directeur sera nécessairement un ecclésiastique. Eh bien, je dis que vous ne pouvez pas mettre cela dans la loi, ce serait un acte de défiance envers l’administration en général. Restons, messieurs, dans le système que nous avons adopté jusqu’à présent, quant à l’intervention à accorder nécessairement de droit au clergé ; ce système, nous avons eu tant de peine à l’élaborer.
L’intervention nécessaire, légale du clergé consiste dans l’enseignement de la morale et de la religion ; je maintiens ce principe pour les écoles normales. Je conserve le langage de la loi. Y aura-t-il administrativement quelque chose de plus à faire ? Je le crois, mais je dis que si vous adoptez l’amendement de l’honorable M. de Mérode, ou cette disposition ne signifie pas autre chose que celle que j’ai proposée, ou bien elle signifie que le directeur de l’établissement sera nécessairement, forcément, impérieusement un ecclésiastique.
Je le répète, vous ne pouvez pas insérer ceci d’une manière formelle dans la loi, vous devez sur ce point vous en référer au gouvernement. Il y a bien d’autres dispositions où vous avez confiance dans le gouvernement. N’avez-vous pas encore confiance en lui si vous adoptez le nouveau mode de nomination et de révocation des instituteurs ? il y a plus ; il pourrait y avoir deux prêtres dans l’établissement, l’un directeur de l’école, en général, l’autre spécialement chargé de l’enseignement de la morale et de la religion. Je dis qu’il faut laisser tout ceci à l’exécution, sinon ce serait se défier du gouvernement, et dès lors il faut étendre cette défiance à toute la loi.
M. Dumortier. - Je ne partage pas la pensée qu’il s’agit de défiance du gouvernement. Je pourrais dire au reste que les lois ne sont autre chose que des actes de défiance du gouvernement. Quand nous faisons une loi, nous devons prévoir tous les ministres qui peuvent arriver au pouvoir et être chargés de l’exécuter. De même qu’il peut en arriver qui comprennent l’importance des garanties religieuses dont on doit entourer l’enseignement, il peut en arriver qui n’en tiennent aucun compte. Nous devons faire les lois pour ces ministres possibles.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). - Le clergé se retirera.
M. Dumortier. - Vous n’en aurez pas moins une loi organique, et ce qui fait que je tremble, c’est que cette loi met le monopole de l’instruction publique entre les mains du gouvernement. Et je le prouve. C’est que par la loi actuelle, vous donnez au gouvernement la nomination et la révocation des instituteurs, vous les mettez sous sa dépendance, vous établissez le monopole au profit du gouvernement, monopole contre lequel on protestait sous le précédent gouvernement et dans les premières années de la révolution, et tous les premiers ceux que je vois rire. Vous avez aussi établi dans la loi, par une disposition corrélative une interventions salutaire, une intervention religieuse pour donner des garanties religieuses à l’instruction. D’une part, monopole cent fois plus grand que celui qu’établissait le projet de 1834, de l’autre disposition corrélative prescrivant l’enseignement de la religion et de la morale dans l’instruction primaire.
Vous avez parfaitement établi, et vous établissez d’une manière très facile l’action du gouvernement ; quant à l’action de l’élément religieux, il est beaucoup plus difficile de l’établir. Je n’énumérerai pas mes motifs, la discussion a déjà été longue, et elle se renouvellera à l’article 21.
Il n’en est pas moins vrai que si, par une circonstance quelconque, l’élément religieux cessait de faire partie de l’instruction primaire, vous auriez voté une loi qui constituerait un monopole absolu dans les mains du gouvernement ; cette loi serait un immense malheur.
Voilà des faits dans toute leur crudité. C’est contre cette possibilité que je m’élève ; je ne veux pas qu’un ministre passager puisse corrompre toute une génération. Je dis que dans un tel état de choses, il importe de poser dans la loi toutes les garanties nécessaires pour l’élément religieux, après les avoir établies pour l’élément civil. Si les écoles normales peuvent offrir une garantie c’est dans l’éducation morale et religieuse. Mais, dit-on, exiger cette éducation religieuse, c’est dire que le directeur de l’école serait ecclésiastique. Quand cela serait, quel mal y aurait-il que le régent fût un ecclésiastique ? Est-ce que l’instruction serait moins bonne ? Est-ce que vous auriez moins de garanties ? Sous tous les rapports, je crois que vous en auriez davantage. Ce serait là un moyen de conciliation ; vous avez fait de la part de l’élément civil. Sur huit ou dix professeurs laïques, vous auriez un homme qui surveillerait la religion et la morale. Pourquoi voulez-vous vous opposer à ce qu’une personne soit chargée de l’enseignement de la religion et de l’éducation. Je ne conçois pas l’éducation si elle n’a pas pour base la religion.
Ainsi, je le répète, en supposant qu’il résulte de la proposition de M. de Mérode que le directeur fût un ecclésiastique, je n’y verrais aucun mal. Beaucoup de membres de cette assemblée conviendraient avec moi qu’il n’y aurait pas de mal qu’il en fût ainsi. Je dis qu’il n’est ici qu’indirectement chargé non seulement de l’enseignement de la religion, mais de l’éducation religieuse, que vous le nommiez ou non directeur. Mais je dis qu’il faut qu’il soigne l’élève, non seulement pendant les cours des classes, mais aussi pendant les récréations ; il doit s’occuper de la morale d’une manière permanente, s’assurer si les exercices religieux sont pratiqués le matin et le soir, comme cela se fait dans tous les collèges bien établis.
Remarquez-le bien, l’observation que je fais ici est toute rationnelle, car il n’est pas une seule ville en Belgique qui n’ait désiré d’avoir dans son collège un directeur religieux, c’est par un événement que je déplore amèrement qu’il n’en a pas été ainsi, mais pour tous les collèges des villes, que les régences fussent libérales ou catholiques, l’opinion a toujours été qu’il devait y avoir un régent ecclésiastique. Ainsi nous ne ferions que suivre une opinion bien établie dans le pays. Pourquoi reculerions-nous quand partout on demandait des régents ecclésiastiques, et que c’est par un malentendu déplorable que les intentions des communes n’ont pas été remplies ? Pourquoi refuser de proclamer dans la loi ce que tout le monde avoue dans le pays ?
Si vous ne voulez dans les écoles normales qu’un enseignement de la religion et de la morale, vous vous exposez à bouleverser toutes les générations futures, à avoir de jeunes instituteurs qui ne répondront pas aux besoins du pays, aux besoins manifestés par toutes les communes, par tous les pères de famille.
M. de Mérode. - C’est précisément pour avoir confiance au gouvernement, que j’ai besoin d’expressions très formelles dans l’article qui concerne l’élément moral et religieux de l’école normale primaire. Messieurs, il est clair que l’esprit de notre constitution n’est pas de remettre l’éducation au gouvernement ; c’est l’esprit contraire qui la domine. Aussi est-ce déjà pour moi une grande concession faite à la conciliation dont on nous a parlé plusieurs fois, que d’accorder l’établissement de deux écoles gouvernementales. Je vous ai suffisamment expliqué pourquoi, et comme les motifs que j’ai fait valoir n’ont pas perdu de leur force dans la discussion, je m’abstiendrai de les reproduire de nouveau. Je rappellerai seulement que l’article de la constitution qui traite de l’enseignement est ainsi conçu : « L’enseignement donné aux frais de l’Etat est réglé par la loi. » Nulle part la constitution ne parle d’un enseignement dirigé par le ministère, gouverné par le gouvernement, parce que rien, en effet, n’était plus antipathique en 1830 que le monopole gouvernemental de l’éducation ; cela est si vrai, que l’on n’a songé alors qu’à l’enseignement supérieur en promulguant l’article, et nullement à l’enseignement primaire qu’on voulait abandonner au zèle privé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le but de l’honorable comte de Mérode, celui de M. Dumortier et le mien sont le même, c’est ce qui arrivera dans la pratique ; mais je dis que vous ne pouvez pas aller aussi loin dans les termes de votre loi. On m’a demandé si je nommerais un ecclésiastique principal. Je n’hésite pas à dire : oui, si, comme gouvernement, je le faisais librement ; non, si on me l’imposait. Je ne veux pas que cela me soit imposé par la loi. Je veux, en un mot, que le gouvernement conserve sa liberté d’action. Je demande que dans les termes de la loi on n’aille pas plus loin que n’exige le système de la loi. Que d’ailleurs on veuille bien m’expliquer les expressions :
« Un ministre du culte sera chargé de l’éducation morale et religieuse. »
Si vous écrivez cela dans la loi, le clergé aura, en vertu de la loi seule, l’établissement tout entier dans la main ; c’est ce qui en résultera. Il peut en être ainsi en vertu du libre choix, mais le gouvernement saura s’il doit laisser subsister cet état de choses ou le faire cesser. C’est ce que je veux. Il est très possible, très probable que si je suis appelé à exécuter cette loi, je propose au Roi de nommer deux prêtres directeurs des deux écoles normales ; mais le gouvernement restera libre dans son action, il saura s’il doit maintenir ou faire cesser cet état de choses.
Voilà ce que vous n’auriez pas avec vos termes vagues, très élastiques que vous voulez introduire dans la loi.
M. Verhaegen. - Je me félicite qu’on ait proposé cet amendement ; la tendance est évidente, et le pays pourra apprécier si ce que j’ai dit dans le principe vient de se vérifier. Je répète, dût l’honorable M. Dumortier le trouver mauvais, que je ne suis pas fâché qu’on ai présenté cet amendement. Il est évident que tout ce que nous avons dit manque complètement de base. Vous avez voulu rester dans les principes. Vous avez voulu maintenir la disposition constitutionnelle qui admet la liberté des cultes, vous n’avez voulu violenter aucune conscience ; en un mot, vous avez voulu que tout le monde restât libre.
Dans mon opinion, vous avez déjà porté atteinte à tout cela par les dispositions que vous avez admises, mais vous y porteriez de nouveau atteinte par l’amendement de M. de Mérode, s’il était admis.
Il ne suffit pas, d’après lui, qu’un ministre du culte enseigne la religion et la morale ; il faut qu’il fasse l’éducation morale et religieuse, ce qui veut dire que la direction de l’école normale doit appartenir à un ministre du culte. Tel est le principe de M. de Mérode, que je vois répondre par un signe affirmatif. On est donc parfaitement d’accord ; les deux écoles normales qu’on a bien voulu concéder au gouvernement doivent être dirigées par des ecclésiastiques.
Où donc, encore une fois, marchons-nous ? Je voudrais savoir si vous excluez de ces écoles normales les protestants ; si vous en excluez tous les dissidents ; et je demanderai, en définitive, car nous allons d’exigence en exigence, si bientôt il restera encore en Belgique un petit coin de terre où pourra se reposer un protestant, un dissident ? La liberté des cultes est écrite dans la constitution ; mais c’est un vain mot. Les protestants, les dissidents n’auront plus aucun droit, aucune garantie.
M. Dechamps, rapporteur. - Il n’y a pas de pays au monde où ils aient plus de droits.
M. Verhaegen. - Eh bien, il doit y avoir des professeurs protestants, des professeurs dissidents ; qui veut la fin, veut les moyens ; c’est la racine. Vous voulez qu’un ministre du culte catholique dirige l’école normale, que l’éducation soit morale et religieuse au point de vue catholique. Mais ce mot de morale a soulevé de graves discussions, et l’on a eu parfaitement raison, car il faut bien que je le dise, plusieurs d’entre vous dussent-ils le trouver mauvais, la morale au point de vue catholique et la morale au point de vue social sont deux morales tout à fait distinctes.
M. Dechamps, rapporteur. - Je demande la parole.
M. Verhaegen. - Ainsi la morale catholique peut-elle mettre de côté ce principe fondamental que la religion catholique est seule vraie, peut seule conduire au salut ?
M. de Foere. - Je demande la parole.
M. Verhaegen. - Je sais que l’honorable M. de Foere va me répondre par l’opinion de Dens, et je me réserve la réplique ; toutefois je maintiens que les obligations imposées aux ministres de la religion catholique, quant à l’enseignement de la morale religieuse, sont destructives du pacte fondamental.
Notre constitution a décrété (art. 14) la liberté des cultes, et la morale catholique n’admet point cette liberté. Nous irions bien loin, messieurs, si l’amendement de M. de Mérode était admis. L’honorable M. Dumortier nous disait, il y a quelques jours, que c’était le système de Joseph II qui avait amène avec ses conséquences la révolution brabançonne. Eh bien, depuis 1830 nous recommençons toutes les phases de la révolution brabançonne. Il n’y manque plus que le dénouement ; ce dénouement ne se fera pas attendre ; mais je le crains, et vous pourriez bien le craindre comme moi.
M. Dumortier. - Je suis peiné d’entendre le préopinant prétendre que nous avons une tendance que nous ne voulons pas avouer. Vous avez souvent entendu l’honorable préopinant nous reprocher d’avoir fait un procès de tendance au dernier ministère, et maintenant c’est lui qui nous fait un procès de tendance. Je repousse ses accusations. Nos tendances sont celles de tout le pays, de tous ceux qui veulent pour le peuple une éducation morale et religieuse. Si l’honorable préopinant ne veut pas d’une éducation morale et religieuse, vous n’admettrez pas de telles tendances dans la loi, parce qu’elles ne consacreraient pas le bonheur du peuple, qu’elles ne donneraient aucune consolation au malheur, qu’elles ne mettraient aucun frein aux mauvaises passions.
M. le président. - M. Dumortier, je ne puis vous continuer la parole. Vous ne l’avez obtenue que pour un fait personnel. La parole est à M. Rogier.
M. Rogier. - L’expression consacrée jusqu’ici dans la loi est l’enseignement de la religion et de la morale ; ou veut tout à coup y substituer les mots l’éducation morale et religieuse. Il faut que par ces expressions on comprenne quelque chose de plus que l’enseignement de la morale et de la religion. S’il en est ainsi, je demande pourquoi l’on n’a pas proposé ces expressions dès le principe de la loi, alors qu’il s’agissait de régler l’instruction dans les écoles primaires. Là il importe que l’éducation soit morale et religieuse, aussi bien que dans les écoles normales
L’amendement proposé, expliqué comme il l’a été par son auteur, tend à remettre la direction des écoles normales au clergé, Alors je ne vois pas pourquoi l’on créerait des écoles normales de l’Etat.
Je pense avec M. le ministre de l’intérieur qu’il ne faut pas exclure le clergé de la direction de l’école, quand on trouve des ecclésiastiques capables de bien diriger une école normale. Mais il ne faut pas imposer, de par la loi, au gouvernement une catégorie de citoyens à l’exclusion de toute autre.
On a singulièrement abusé des mots, lorsqu’on est venu nous dire que nous faisions une loi de monopole en faveur de l’Etat. On dit que nous voulons revenir au système antérieur à 1830. Il y a une immense différence à faite entre le gouvernement qui a précédé et celui qui a suivi 1830. Le gouvernement qui a précédé 1830 était imposé par l’étranger ; c’était un gouvernement antinational, et hostile au pays. Pourquoi, avons-nous changé ? Pour y substituer un gouvernement national, le gouvernement représentatif, le gouvernement du pays par le pays. C’est lorsque vous êtes parvenus à l’établir que vous vous montrez constamment en défiance d’un tel gouvernement, d’un gouvernement qui n’est que l’émanation de la majorité des chambres, lesquelles ne sont que l’émanation de la majorité du pays.
On reproche à quelques membres de cette chambre d’être en défiance continuelle vis-à-vis du clergé. Cette défiance n’existe pas d’une manière absolue. Mais ne pourrait-on vous adresser le même reproche, au sujet de votre défiance continuelle vis-à-vis du gouvernement qui est votre œuvre, qui n’existe qu’autant que vous le voulez ; car s’il ne se fait pas tous les jours des révolutions, vous pouvez tous les jours faire opérer des modifications ministérielles, renverser le ministère. Je ne comprends donc pas votre défiance continuelle du gouvernement dans ce projet de loi.
M. de Mérode. - Je demande à réfléchir jusqu’à demain ; je ne puis retirer mon amendement sans y avoir réfléchi.
M. Fleussu. - Vous auriez dû réfléchir avant de le présenter.
M. de Mérode. - J’y ai réfléchi avant de le présenter. Quand M. Fleussu intervient dans une discussion, tout ce qu’on dit n’y fait rien, il ne veut pas en démordre ; moi je ne suis pas comme M. Fleussu, je ne dis pas que je veux en démordre, peut-être retirerai-je mon amendement demain ; je ne puis pas le retirer aujourd’hui.
Plusieurs membres. - La clôture.
M. Dumortier s’oppose à la clôture.
M. Dechamps, rapporteur. - Je demande à dire un mot pour qu’il n’y ait pas d’amphibologie. Je voterai pour l’amendement de M. le ministre de l’intérieur dans ce sens que par ces mots : de la morale et de la religion, on n’entendra pas des leçons à des heures déterminées, mais que l’on comprendra cet enseignement comme nous l’avons compris dans toute la loi.
- La clôture est mise aux voix ; l’épreuve est douteuse.
La discussion est continuée à demain,
La séance est levée à 5 heures.