(Moniteur belge n°223, du 11 août 1842)
(Présidence de M. Fallon.)
M. Kervyn procède à l’appel nominal à midi un quart,
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.
M. Kervyn présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les habitants du hameau de Engsbergs dépendant de Tessenderloo demandent que ce hameau soit érigé en commune séparée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La députation permanente du conseil provincial de Hainaut présente des observations concernant le traitement des inspecteurs cantonaux pour l’instruction primaire.
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l’instruction primaire.
« Le sieur J.B, Dubois réclame les arriérés de sa pension militaire. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Claesmans et Fremy, héritiers de la dame de Wael, réclament l’intervention de la chambre pour que le testament fait en leur faveur reçoive son exécution. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Rogier. - Messieurs, le projet de loi présenté en 1834 par le ministère dont j’avais l’honneur de faire partie, a été attaqué dans cette enceinte par M. le ministre de l'intérieur et par M. le rapporteur de la section centrale, de plusieurs chefs.
On l’a considéré comme incomplet et comme imparfait. On l’a attaqué comme ne donnant pas au pouvoir civil une part assez large dans l’instruction primaire, on l’a attaqué aussi comme ne donnant pas au clergé une part assez large, comme présentant plusieurs dispositions non susceptibles d’exécution, et dépourvues de toute sanction. Enfin on l’a encore attaqué comme n’étant qu’une imitation de la loi française, loi qui, au dire du rapporteur de la section centrale, serait aujourd’hui l’objet d’une réprobation unanime en France.
Messieurs, j’ai à cœur de défendre le projet de loi de l834 contre ces diverses attaques. Et ici, messieurs, je me hâte de le déclarer, il ne s’agit pas pour moi d’une question d’amour-propre ; je n’avais à défendre que sous ce rapport cette œuvre qui n’est pas mienne, mais que j’ai acceptée comme mienne en la présentant à la chambre, je laisserais là la discussion. Mais en défendant cette œuvre, je défendrai les questions de principe, je démontrerai que, telle qu’elle est cette œuvre est préférable à celle qu’on lui a substituée. En défendant le projet de loi de 1834, je démontrerai que le projet de 1842 est beaucoup plus incomplet, plus imparfait que n’était celui de 1834, et que si le ministre avait fait sagement il se serait renfermé dans ce projet primitif. D’ailleurs, la commission qui était composée d’hommes si honorables, d’hommes si éminents par leur esprit de sagesse et de tolérance, n’a pas cru faire œuvre parfaite, elle l’a déclaré avec sincérité et modestie dans son rapport au Roi : « Nous n’avons pas eu la prétention de tout prévoir, dit-elle, mais nous n’avons reculé devant aucune difficulté. »
Elle offrait donc à la législature une œuvre susceptible d’être perfectionnée, d’abord par la discussion et ensuite par la pratique. Il s’agissait de poser les principes. Les principes une fois posés, c’était à l’administration de les organiser, à la pratique de faire le reste. Une seule année de pratique de la loi de 1834 eût été beaucoup plus utile que les huit années de méditations auxquelles elle a été soumise et qui sont venues aboutir au projet sur lequel vos débats sont appelés et que vous avez pu déjà apprécier dans quelques-unes de ses dispositions.
Ce projet, messieurs, médité avec tant de soin, si longuement élaboré, à peine a-t-il vu le jour dans cette enceinte, a peine a-t-il subi l’épreuve d’une première discussion, que force est au gouvernement de le modifier dans une de ses dispositions les plus essentielles, Ainsi donc. il me semble que ce n’était pas à ceux qui sont venus apporter à la chambre une œuvre tellement incomplète, tellement imparfaite que dès le premier jour de la discussion, ils sont forcés de la modifier dans une de ses dispositions essentielles, ce n’était pas à eux qu’il pouvait appartenir en bonne justice d attaquer comme incomplet, comme imparfait, un projet de loi auquel jusqu’ici on n’a pu adresser de pareils reproches, un projet auquel on n’aurait pas eu une pareille modification à faire subir.
Messieurs, les objections principales présentées contre le projet de 1834, je les ai résumées ; je les reprendrai successivement et j’aurai soin de rencontrer les dispositions du projet en discussion qui s’en rapprochent plus on moins.
On prétend que le projet de 1834 ne fait pas au pouvoir civil une part assez large. Voyons, sous ce rapport, quelle part nouvelle le projet de 1842 a faite au pouvoir civil.
La loi sur l’instruction primaire, proposée en 1834, donnait un pouvoir plus étendu que celui de 1842 à l’autorité civile, non seulement à l’autorité civile centrale, mais à l’autorité civile représentée dans la province par l’administration provinciale.
Le rôle de l administration provinciale qui aujourd’hui se trouve réduit presque à rien, était alors puissant et efficace ; le conseil provincial nommait une commission. Cette commission était chargée de faire les règlements organiques de la loi et d’en surveiller l’exécution. A cette commission appartenait ce pouvoir si important qui a disparu aujourd’hui, le pouvoir d’intervenir de la manière la plus efficace dans la nomination des instituteurs. Cette commission qui, par son origine, par sa composition, donnait toute espèce de garantie à l’opinion publique, présentait à l’autorité communale trois candidats parmi lesquels elle devait choisir l’instituteur.
Aujourd’hui l’autorité communale, si humble qu’elle soit, si dépourvue de lumières qu’on la suppose, nomme souverainement son instituteur. Il y a là une différence radicale entre les deux systèmes ; car, qu’on le remarque bien, l’école c’est l’instituteur. Le maître est l’âme de l’école, tout dépend du choix qu’on fera. Le maître est-il bon, quels que soient les règlements, l’école sera bonne ; le maître est-il mauvais, quels que soient les règlements, l’école sera mauvaise.
Aujourd’hui vous n’avez plus la garantie de la bonté du choix pour le personnel des instituteurs ; dès lors plus de garantie pour la bonté de l’enseignement dans l’école.
La députation permanente, messieurs, avait aussi un rôle dans le système de 1834 ; de la même manière que la commission provinciale, nommée par le conseil, intervenait dans la nomination et la révocation de l’instituteur, la députation provinciale intervenait dans la composition du comité local. Les écoles primaires étaient assujetties à un double contrôle, à une double surveillance ; surveillance de la part d’un comité local dont le curé de la paroisse faisait partie, surveillance d’un comité provincial, émanant du conseil provincial.
Aujourd’hui, messieurs dans le projet actuel, l’administration provinciale a disparu ; je me trompe, elle apparaît, mais voici pour quel office.
Elle apparaît pour allouer des fonds, lorsque les ressources de la commune sont insuffisantes ; elle apparaît encore pour régler les conditions du concours, après qu’elles ont été préparées par l’inspecteur provincial. Enfin, la députation permanente a encore cette énorme attribution : elle désigne deux des membres du jury chargé d’examiner les élèves concurrents.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous ne parlez pas de l’attribution qui lui est conférée par les articles 4 et 11.
M. Rogier. - Aux termes de l’art. 4, la députation permanente peut encore statuer sur les demandes qui lui sont faites par des communes, à l’effet d’être dispensées d’avoir une école à elles. Je ne vois pas quelle part d’intervention cet article donne à la province dans l’institution elle-même.
Enfin, messieurs, aux termes de l’art. 11, un règlement, arrêté par le conseil communal et approuvé par la députation du conseil provincial, déterminera dans chaque commune le taux des rétributions des élèves, les jours et les heures de travail, les vacances, les punitions et les récompenses. Ceci, messieurs, est un règlement de ménage, d’ordre intérieur, qui ne touche en rien au mode d’enseignement ; c’est un règlement qui, dans tous les cas, devait être soumis à la députation permanente, en vertu de la loi communale et de la loi provinciale.
Mais, ces dispositions rapprochées de celles que j’ai citées tout à l’heure, et qui forment le fond du système de 1834 ; ces dispositions, je le répète, sont équivalentes à zéro ; on doit dire qu’en réalité l’influence provinciale a disparu du nouveau système, ou qu’elle n’y figure que pour des attributions tout à fait secondaires, tout à fait illusoires qui ne lui donnent aucune influence réelle, efficace, sur la marche de l’instruction primaire.
Je sais, messieurs, que M. le ministre de l’intérieur a fait une objection contre le système de 1834 ; il a dit : « La commission provinciale intervenait dans la nomination des instituteurs, et prenez-y garde, depuis 1834 on a voté la loi communale, qui a attribué au conseil communal la nomination de l’instituteur ; n’allez pas toucher encore une fois à la loi communale.
Je ne sais pas si une pareille objection devait venir de M. le ministre de l'intérieur, car enfin on pourrait lui répondre que comme il avait déjà touché à un très grand nombre de dispositions essentielles de cette loi, une modification de plus ou de moins n’aurait rien fait à l’affaire.
En second lieu, je crois que le projet de loi de 1834 ne portait atteinte ni au texte, ni surtout à l’esprit de la loi communale car dans le système du projet de 1834, toutes les écoles communales non subsidiées conservaient une entière liberté, une complète indépendance. Les écoles communales ne tombaient jamais sous la surveillance, sous la dépendance de l’autorité supérieure, qu’alors qu’elles recevaient un subside ; et, dans ce cas, la province ou l’Etat, accordant un subside, était parfaitement maître d’en régler les conditions,
Enfin, si même il avait fallu changer la loi communale, ce changement, il n’aurait pas fallu craindre de l’aborder. Ici il ne s’agissait pas de modifier directement et sans motif la loi communale ; ces modifications découlaient naturellement d’une loi postérieure, non moins importante. Les reproches qui ont été adressés à bon droit, selon moi, à M. le ministre de l‘intérieur, pour avoir, sans raisons suffisantes, bouleversé la loi communale, ne lui auraient pas été adressées cette fois avec fondement. S’ils lui avaient été adressés, il aurait dû les braver, comme il l’a déjà fait dans une autre circonstance, où les changements étaient beaucoup moins indispensables.
Dans tous les cas, le principe était sauvé, puisque le conseil communal restait chargé de la nomination des instituteurs ; la commission provinciale présentait seulement des candidats.
Mais, dit M. le ministre, la part du pouvoir central, je l’ai singulièrement agrandie. Votre projet de loi se taisait quant à la mission du gouvernement ; le gouvernement y était entièrement effacé. Moi, au contraire, je relève singulièrement la mission du pouvoir civil ; je lui donne de grandes attributions. Le pouvoir civil aura à nommer des inspecteurs cantonaux, des inspecteurs provinciaux.
Je reconnais que cette disposition de la loi est nouvelle, que dans le système du projet de 1834 le gouvernement ne nommait pas d’inspecteurs, que ces fonctionnaires n’existaient pas, qu’on croyait l’instruction primaire suffisamment garantie par les commissions provinciales et par les comités locaux. Avant de m’expliquer sur l’existence des inspecteurs cantonaux et provinciaux, j’attendrai que la mission de ces nouveaux personnages soit clairement établie. Avant de les estimer à leur valeur, je veux savoir ce qu’ils seront, ce qu’ils auront à faire, quelle part d’attributions ils exerceront dans les matières d’instruction.
Quoi qu’il en soit, je reconnais volontiers que cette espèce de fonctionnaires n’existait pas dans la loi de 1834. Mais il y avait pour le pouvoir civil central autre chose qui ne se retrouve plus dans le projet de 1842. Il y avait dans le projet de 1834 trois écoles normales dépendant du gouvernement. Dans le projet de 1842, il n’y a plus que deux écoles normales. Je vois l’honorable M. Dechamps faire un signe pour dire : Qu’importe une école normale de plus ou de moins ! Pour moi, je pense que cela importe beaucoup, en 1842, en présence d’écoles normales qui n’existaient pas en 1834. L’honorable M. Dechamps sait mieux que moi que depuis 1834 les évêques (je ne songe pas à les en blâmer ; je crois qu’ils ont très bien fait à leur point de vue), ont créé des écoles normales. D’après le rapport de M. le ministre de l’intérieur, le nombre de ces écoles subsidiées par l’Etat (je ne sais s’il y en a d’autres) est de cinq ; ce sont les écoles de Rolduc, St.-Roch (Liège), Bonne-Esperance, St.-Nicolas et Namur.
D’après cela, loin de diminuer le nombre des écoles normales qu’on proposait d’établir en 1834, il aurait fallu l’augmenter, pour se mettre sur la même ligne que le clergé. Réduire de 3 à 2, on dira que c’est peu de chose. Je ne présume pas que les évêques, après avoir obtenu la loi faite en grande partie pour eux, selon moi, ferment leurs écoles normales. Je pense qu’ils continueront de faire une grande concurrence au pouvoir civil, qu’ils auront à l’avenir, en vertu de la loi, le droit de surveiller. Pour ces deux écoles que vous aurez, ils en auront 5, 6, 7, 8, je ne sais combien. Ils pourront en avoir davantage. Je ne les blâme pas ; ils ont raison, à leur point de vue. Je crois qu’il peut en résulter du bien. Mais je voudrais que le gouvernement se mît sur la même ligne que les évêques.
Cc n’est pas encore tout. Voici qui est bien plus fort. Le projet de loi de 1834 ne fait pas, dit-on, au pouvoir civil une part assez large. M. le ministre de l’intérieur pénétré des devoirs et de la dignité du pouvoir civil, veut porter remède à cet abus. D’après le projet de 1834, le gouvernement avait une école primaire modèle par arrondissement judiciaire. La section centrale, dit M. le ministre de l’intérieur, n’a pas voulu s’écarter de ce qui existe ; elle a jugé à propos de conserver les écoles primaires modèles actuellement existantes ; or le nombre de ces écoles est de 8, si les renseignements du rapport sont exacts. Une école primaire modèle par arrondissement donnerait 26 ou 27 écoles primaires modèles. Je crois que c’est le nombre des arrondissements judiciaires. Voici donc une différence profonde entre les deux projets. D’après le projet de 1834, il y avait 27 écoles primaires modèles aux mains du gouvernement. D’après le projet de 1842, il y aura 8 écoles primaires modèles aux mains du gouvernement.
A la vérité, ou aura la faculté d’en augmenter le nombre ; mais il faudra pour cela un vote spécial de la législature ; et, je le crains on ne sera pas pressé de se soumettre à cette formalité : au lieu de se contenter de 8 écoles existantes, il fallait insister pour conserver les 27 écoles accordées par le projet de 1834. Mais il y avait à cela un grave obstacle ; un obstacle financier. La proposition était financièrement impossible, a dit M. le ministre de l’intérieur et c’est le même ministre qui, dans son rapport, nous donne le détail de ce que coûtent les 8 écoles primaires modèles d’aujourd’hui. A quelle somme s’élèvent leurs dépenses ? à 18,660 fr., soit 2335 par école. Je porte la dépense à 3,000 fr. par école. 27 écoles à 3000 fr. cela fait 81,000 fr. Voilà cette somme immense ; voilà cet obstacle financier, cette impossibilité financière à créer 27 écoles primaires modèles aux mains du gouvernement. Je double la somme. Je porte la dépense à 6000 fr. pour avoir des écoles primaires modèles parfaitement organisées, cela fera une somme de 162,000 fr. Un pareil crédit, comme dotation de l’enseignement primaire, peut-il paraître exagéré ? Le crédit voté pour l’instruction primaire dépasse de beaucoup cette somme. Il est de plus de 200,000 fr. pour le personnel de l’instruction primaire proprement dit. Il est de 300,000 fr. si vous y joignez les subsides pour les constructions d’écoles. Ainsi, cette raison donnée par M. le ministre de l'intérieur contre la disposition du projet de 1834, relative aux écoles primaires modèles est des plus mauvaises, elle n’est pas soutenable. Il n’y a pas d’obstacle financier. Je l’ai démontré, je crois, de la manière la plus évidente.
Il était d’autant plus facile de créer ces 27 écoles primaires modèles que, d’après le système proposé par la section centrale, la dotation à la charge de l’Etat va être restreinte. La dotation est d’environ 3 cent mille francs, Mais on enlève les subsides à un grand nombre d’institutions communales. A l’avenir c’est à la commune à couvrir les frais de l’école primaire,
Le projet de loi (prenez-y garde ; cela offre un grand danger) met à la charge de la commune l’entretien des écoles et des instituteurs. Si les ressources sont insuffisantes, on établira 2 centimes additionnels.
Il est vrai qu’à côté des 2 centimes additionnels vous avez l’art. 2 du projet de loi qui offre un palliatif. D’un côté, si dans une commune les ressources sont insuffisantes pour entretenir l’école, il faudra que le conseil communal impose la commune à 2 centimes additionnels. Mais d’un autre côté l’art. 2 porte :
« Art. 2. Lorsque dans une localité il est suffisamment pourvu aux besoins de l’enseignement primaire par les écoles privées, la commune peut être dispensée de l’obligation d’établir elle-même une école. »
M. Brabant. - Qui en sera juge ?
M. Rogier. - J’y viens tout à l’heure.
La commune pourra être dispensée de l’obligation d’établir une école ; c’est-à-dire qu’elle pourra être dispensée de s’imposer à 2 centimes additionnels. Or, les conseillers communaux seront souvent charmés d’être débarrassés de cette charge. Ce n’est pas de gaîté de cœur qu’on l’impose 2 centimes additionnels. Si quelques conseillers plus dévoués à l’instruction primaire veulent établir cette imposition, on leur dira : Vous êtes une administration dépensière, libérale, qui ne sait pas ménager l’argent du peuple. Et alors la députation permanente fera le même raisonnement que le conseil communal ; au moins on lui adressera le même raisonnement ; on lui dira : Mais à quoi bon grever le budget provincial de centimes additionnels, il y a, dans la plupart des communes que vous subsidiez d’excellentes écoles ; contentez-vous en ; pourquoi dilapider les deniers publics ? Vous êtes une députation composée de libéraux, d’hommes épris de la gloriole administrative, qui ne savez pas soigner les intérêts de la province.
Voilà ce qui arrivera dans les provinces où la députation sera composée d’éléments libéraux ; mais si je suppose, et cela arrivera souvent, des députations composées d’éléments catholiques, ces députations trouveront que l’enseignement primaire est parfaitement garanti dans la commune. Messieurs, cela est clair comme le jour et il est évident que dans le système de la loi, avec ces deux centimes additionnels, vous assurez l’enseignement primaire dans toutes les communes aux écoles privées, c’est-à-dire aux écoles du clergé. Car je ne connais aujourd’hui que deux concurrents vraiment sérieux en matière d’instruction primaire : il y a le pouvoir civil, et ce que nous appelons ici le pouvoir religieux. Eh bien ! là où le pouvoir civil fait défaut, c’est le pouvoir religieux qui dirige l’instruction.
Ainsi, messieurs, comme les communes vont être chargées de la dépense de l’enseignement primaire, et que les provinces, à leur défaut, auront la même charge, il s’ensuit que le budget de l’Etat va être dégrevé, et de ce chef on pouvait améliorer encore la position des écoles primaires. On pouvait les doter très convenablement avec les ressources qu’on va retirer des communes qui auront, à l’avenir, des écoles subsidiées par elles et par la province.
Mais déjà, avec une prévoyance qui fait honneur à l’honorable rapporteur de la section centrale, on a disposé par la loi d’une partie de la dotation du budget de l’Etat. Une partie de cette dotation va s’écouler vers des établissements fort utiles, je le reconnais, mais vers des établissements qui sont dans la main du clergé.
D’après le projet de loi, la dotation du budget de l’Etat devra être consacrée, en partie, aux salles d’asile, aux ateliers de charité, aux écoles dominicales. Ce sont, je le répète, des établissements très utiles ; j’ai l’honneur d’être un des principaux souscripteurs d’une institution anversoise qui a établi des salles d’asile ; j’ai concouru plusieurs fois au soutien des écoles dominicales ; je reconnais ces établissements comme fort avantageux, mais ils sont presque partout dans les mains du clergé.
Ceci, messieurs est loin d’être un reproche, je crois même que ces sortes d’établissements leur reviennent, en quelque sorte, de droit. Je suis, à cet égard, très impartial, très sincère. Mais enfin ce n’en sont pas moins des établissements qui sont administrés par le clergé, qui sont sous l’influence du cierge. Eh bien ! une partie de la dotation de l’Etat devra, aux termes de la loi, être consacrée à ces établissements. Je ne sais pas si c’est ainsi qu’on a entendu relever et agrandir les attributions du pouvoir civil. Quant à moi, je préférais de beaucoup la manière de procéder des hommes de 1834.
On nous dit : ce projet de 1834 pouvait renfermer quelques bons principes ; mais vos principes n’avaient pas de sanction ; votre loi était impuissante et stérile, vous aviez oublié le mode d’exécution. Eh bien ! messieurs, comparons encore les deux systèmes de cet égard.
Un des principes fondamentaux de la loi de 1834 était celui-ci : il y aura, dans chaque commune du royaume une école primaire au moins. Voilà le principal. On me demandera mais où est la sanction de ce principe ? Hier, on l’a demandé et on n’a pas vu que la sanction se trouvait très expressément formulée dans les articles suivants.
D’après la loi, obligation pour la commune d’avoir une école fondée par elle ou adoptée par elle. Si une commune n’a pas d’école ou n’adopte pas d’école, voici les moyens de l’y forcer
« Art. 6. S’il n’existe pas d’école communale ou d’école privée adoptée par la commune, réunissant les conditions prescrites par les art. 1, 2 et 3, la commission provinciale requerra le conseil communal d’en créer une dans un délai prescrit, en l’informant qu’en cas d’insuffisance de ses ressources, des subsides seront accordés sur les fonds provinciaux. »
On ne dit pas ici que ces communes auront à supporter deux centimes additionnels, mais que des subsides seront accordes sur les fonds provinciaux
« Art. 7. Si le conseil ne défère pas à cette injonction, la députation permanente, sur le rapport de la commission, portera d’office au budget communal une somme pour l’érection de l’école et déterminera le subside provincial, s’il y a lieu.
« En cas de contestation entre le conseil municipal et la commission, la députation permanente décidera. »
Voilà, messieurs, quels étaient les moyens d’action que la loi réservait à l’autorité provinciale pour forcer une commune à établir une école. Et ici cet article était d’autant plus efficace qu’il ne plaçait pas la commune entre son devoir et son intérêt, qu’il ne disait pas : Vous avez des centimes additionnels à imposer pour établir l’école ; la loi lui disait : Vous aurez à établir l’école ; la loi lui disait : Vous aurez à établit l’école à l’aide des subsides provinciaux ; et alors toute excuse, tout prétexte disparaissait, de la part de la commune, contre l’établissement d’écoles communales.
Voilà les garanties du projet, sa sanction, son mode d’exécution ; et cette sanction, ce mode d’exécution, je ne les retrouve pas dans le projet de M. le ministre de l’intérieur. Le projet de M. le ministre de l’intérieur dit bien que les communes devront être imposées à 2 centimes additionnels, et qu’à défaut d’un revenu suffisant les provinces devront les aider. Mais remarquez, et je dois insister sur ce point, l’échappatoire que lui offre l’art. 2. Par l’art. 2, là où il y aura une école privée jugée suffisante, il n’y aura pas obligation pour la commune d’établir la sienne. De telle sorte, messieurs, que par l’art. 1er il est dit : Il y aura dans chaque commune au moins une école primaire ; et par l’art. 2 : Il n’y aura pas d’école primaire, si cela convient à la commune. L’art. 2 détruit l’art. 1er ; voilà un art. 1er singulièrement garanti.
Je ne m’attacherai pas, messieurs, aux autres articles du projet de 1834. Je veux bien admettre que tous n’étaient pas aussi solidement garantis dans leur exécution que l’art. 1er. Mais, messieurs, la loi devait être discutée ; la loi pouvait être complétée si elle offrait des lacunes ; elle pouvait être perfectionnée par l’usage, par la discussion, et, dès lors, l’objection que la loi n’avait pas sa sanction vient à tomber.
Mais je voudrais bien savoir où est la sanction des principes nouveaux introduits par M. le ministre de l’intérieur dans son projet de loi. M. le ministre de l’intérieur dispose que les évêques inspecteront les écoles par leurs délégués. Mais s’il ne leur convient pas d’inspecter les écoles, comment les forcera-t-on ? où est la sanction de cet article ? Vous disposez librement d’un pouvoir indépendant. Mais si ce pouvoir se refuse à faire ce que la loi lui commande, vous aurez mis une mesure dérisoire dans la loi ; vous aurez porté atteinte à la dignité de la loi, à la dignité du gouvernement.
Eh bien ! cette circonstance peut très bien se présenter ; il peut arriver que tel évêque, s’il reste conséquent avec son système, dise au gouvernement : Si je n’ai pas ma part d’autorité dans la nomination des instituteurs, il ne me convient pas de prêter mon concours à de telles conditions, il ne me convient pas d’inspecter vos écoles, de donner mon imprimatur à vos livres. Ce sont, cependant, là des obligations prescrites dans la loi, mais prescrites à une autorité sur laquelle vous n’avez aucun pouvoir. Et l’on viendra dire que le projet de 1834 était un projet illusoire, un projet incomplet, qu’il n’avait pas de sanction ; et l’on vient présenter un nouveau projet rempli de dispositions qui n’ont pour sanction que la bonne volonté de ceux à qui on donne des ordres.
À mon avis, messieurs, la loi de 1834 avait été très sage en ne faisant pas intervenir directement, officiellement le clergé, ou du moins en ne le faisant intervenir que d’une manière telle que son refus de concours n’aurait pas eu les mêmes inconvénients qu’il aura dans le système proposé par l’honorable M. Nothomb.
D’après le projet de 1834, messieurs (et c’est ici que, je dois le reconnaître, je suis resté au-dessous de M. le ministre de l’intérieur. j’avoue franchement que dans ce projet, la part qui est faite au clergé, n’est pas aussi grande que celle que lui a faite M. le ministre de l’intérieur, aidé de l’honorable M. Dechamps, mais j’ai l’avantage de soutenir le système d’hommes dont l’orthodoxie ne doit pas être plus suspecte que celle de l’honorable M. Dechamps, et même que celle de l’honorable M. Nothomb) ; dans le projet de 1834, l’enseignement religieux fait nécessairement partie de l’enseignement primaire ; il est donné sous la direction du clergé ; le curé de la paroisse fait de droit partie du comité local de surveillance. Voilà, messieurs, les dispositions du projet de 1834, en ce qui concerne le clergé. Etait-ce assez ? Quant à moi, je le crois. Trouve-t-on cependant que les dispositions nouvelles peuvent être utilement introduites dans la loi, je l’ai déjà dit, je m’y associerai pour autant qu’on demeure fidele au système de 1834.
Mais je pense que les mesures proposées alors à cet égard étaient suffisantes ; que l’usage, la pratique, les rapports administratifs auraient complété les lacunes que pouvait présenter la loi de 1834.
Aujourd’hui, messieurs, en l’absence de toute prescription légale, les rapports entre l’administration civile et le clergé sont généralement établis sur un bon pied. On entend bien parler (et vous n’échapperez jamais à cet inconvénient), on entend bien parler de temps à autre de certains conflits qui s’élèvent soit entre un évêque et l’administration communale d’une ville , soit entre le curé d’une paroisse et l’instituteur de la commune ; mais ce sont là des exceptions ; les rapports entre l’autorité civile et le clergé sont, en général, satisfaisants. Eh bien ! ce qui existe aujourd’hui, en l’absence de toute loi, aurait continué à exister sous l’empire de loi de 1834.
Mais la loi nouvelle pourra être une source perpétuelle de conflit, parce qu’elle sera une source perpétuelle d’énigmes. Aujourd’hui le prêtre se présente à l’école, en quelque sorte à titre officieux ; il sait fort bien qu’il n’en sera pas exclu, il sait fort bien que l’administration civile a tout intérêt à ce que l’école soit couverte par le prestige du prêtre, mais il sait fort bien aussi qu’il ne se présente pas en vertu d’un droit absolu ; de là il résulte que, presque partout, il y a intelligence entre l’autorité communale et le curé, en ce qui concerne l’instruction primaire ; mais quand le curé viendra inspecter l’école en vertu de la loi, il sera bien autrement exigeant ; d’un autre côté, l’inspecteur civil, quand il sera pénétré de l’importance de ses fonctions, aura aussi des exigences ; l’instituteur se trouvera donc placé entre les exigences souvent contraires de l’inspecteur religieux et celles de l’inspecteur civil ; il ne saura auquel des deux entendre ; l’un donnera raison à l’instituteur, l’autre lui donnera tort. Je crois, messieurs, qu’à un état de choses régulier, satisfaisant, qui n’excite pas de réclamations, vous courez risque de substituer un état de choses qui donnera lieu à des conflits de toute espèce.
Voyez, messieurs, quelle sera la position d’un instituteur primaire qui aura pour inspecteur un curé ou un vicaire, ayant dans la même commune une école à lui et qui sera, par conséquent le concurrent de cet instituteur. Il est probable que l’inspecteur qui se trouvera dans ce cas sera d’avis que l’école de son concurrent ne vaut pas la sienne. Ne sera-ce pas là une position bien humiliante, bien désagréable, au moins pour l’instituteur civil ? S’il y avait réciprocité, si l’instituteur civil pouvait aller inspecter l’école de son inspecteur, alors il y aurait égalité de position ; mais c’est ce que vous ne voulez pas ; vous ne voulez pas que les écoles du clergé soient inspectées par le pouvoir civil. On dit que le clergé est dans un état de suspicion, mais c’est le pouvoir civil qui est en état de suspicion ; le pouvoir civil ouvre les écoles au clergé ; il lui dit : « Entrez, venez voir, censurez, je n’ai pas de confiance en ma propre morale, dans mes propres lumières ; je m’en remets à vous du soin de censurer les livres destinés à mes élèves ; de surveiller tout ce qui touche à la religion et à la morale dans l’enseignement de mes écoles. » J’aime à croire que le clergé ne sortira jamais de ce cercle, susceptible de plus ou moins d’extension. Il surveille le pouvoir civil au point de vue de la foi. Pourquoi le gouvernement ne pourrait-il pas examiner les livres du clergé, inspecter les écoles du clergé, au point de vue de la loi ? vous venez inspecter mes écoles au point de vue de la religion ; eh bien laissez-moi inspecter les vôtres au point de vue de la constitution ; que je sache si dans vos écoles vous n’enseignez rien qui soit contraire aux lois fondamentales du pays. La religion, messieurs, est beaucoup dans la société, c’est une grande, utile et belle chose ; niais la constitution civile n’a-t-elle pas aussi son importance ? Eh bien qui garantira le pouvoir civil contre les abus qui peuvent se commettre dans l’enseignement privé, en ce qui concerne la constitution ? Ne serait-il pas au moins équitable que de la même manière que le clergé inspecte les écoles du gouvernement sous le rapport de la religion, le gouvernement inspectât les autres écoles au point de vue de la constitution ? C’est ce qui existe partout ailleurs qu’en Belgique. On a cité hier beaucoup de pays, mais nulle part les écoles privées ne jouissent d’une indépendance aussi absolue qu’en Belgique ; partout on a reconnu, toutes les opinions ont reconnu que le pouvoir civil a le droit de surveiller l’enseignement privé.
Du reste, messieurs, nous ne demandons pas cela, nous ne demandons pas pour le pouvoir civil cette prérogative ; l’esprit de la constitution s’y oppose, pour autant toutefois que le gouvernement n’achète pas en quelque sorte ce droit par des subsides ; car du moment où il accorde un subside à un établissement, il a le droit de surveiller cet établissement, il a le droit de s’enquérir de quelle manière son subside est dépensé. Je crois que ce principe, auquel je me flatte d’avoir concouru à donner vie, commence à être compris et même accepté par le clergé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il est dans la loi.
M. Rogier. - Ainsi, messieurs, je le reconnais, la part donnée au clergé par le projet de loi en discussion est beaucoup plus grande que celle qui lui était faite par le projet de 1834 ; mais je ne pense pas que le clergé y gagne en influence solide, je ne pense pas que l’ordre public, l’ordre administratif y gagne en progrès, je crains au contraire que de cette immixtion légale du clergé dans les écoles il ne naisse des conflits perpétuels et de graves embarras.
On a reproché au projet de 1834 d’être une imitation de la loi française. Quand cela serait, messieurs, il n’y aurait pas là un motif pour rejeter le projet da 1834 ; on a cite hier un grand nombre d’autorités auxquelles, pour ma part, je rends hommage ; je crois que ces hommes étaient très capables de faire une bonne loi sur l’instruction primaire. Si donc la commission de 1834 avait puisé ses inspirations dans le travail des hommes distingues qui ont rédigé la loi française, je crois qu’on ne pourrait pas leur en faire un reproche. Dernièrement on a importé de France une modification à la loi communale, qui, à mon avis, ne vaut pas la loi française sur l’enseignement primaire. Je veux parler du fractionnement des communes.
Nous aurions eu tort, dit-on, de reproduire la loi française, parce que cette loi serait aujourd’hui l’objet d’une réprobation unanime ; j’ai cherché dans les ouvrages écrits par des hommes très impartiaux, par des hommes très compétents, sur les effets de la loi française de 1833, j’ai parcouru les discussions qui ont eu lieu encore dernièrement aux deux chambres, et je n’ai pas vu que la loi de 1833 fût l’objet d’une réprobation unanime ; au contraire, je vois que cette loi a produit les plus heureux résultats.
J’ai parcouru le rapport présenté par l’honorable M. Villemain, ministre, qui avait eu l’avantage de se concilier les sympathies d’une partie du clergé, même légitimiste, au moins avant qu’il eût prononcé son discours à la chambre des pairs. Eh bien, dans ce rapport, M. Villemain se félicite des heureux effets de la loi de 1833. Voici, messieurs, quelques-uns des passages de ce rapport :
« La loi du 28 juin 1833, et les diverses ordonnances ou règlements qui l’ont suivie, ont produit, au contraire, des résultats très étendus, qui s’accroissent sans cesse, et qui, dans un terme facile à prévoir seront universels en France. L’instruction primaire est aujourd’hui classée parmi nos grands services publics ; elle a son budget dans chaque commune, dans chaque département, dans la loi annuelle de finances.»
« Ce relevé statistique, de même que les précédents, constate d’importants et d’heureux progrès. Les écoles ont continué à se multiplier ; et si, pour des causes indiquées plus loin, l’accroissement de leur nombre a été moins rapide que dans les premières années qui ont suivi l’application de la loi, j’ai à signaler d’autre part, dans l’organisation et dans la tenue de ces établissements, une amélioration générale qui ressort de l’examen des faits, sous quelque point de vue qu’on les envisage. »
Je crois, messieurs, que cette manière d’apprécier les effets de la loi de 1833 ne ressemble pas du tout à une réprobation générale, et je ne sais pas dans quels livres, dans quels journaux, dans quelle discussion, l’honorable rapporteur de la section centrale a trouvé qu’on ne voulait plus en France de la loi de 1833. Je sais fort bien que dans ces derniers temps quelques journaux légitimistes, quelques évêques français ont essayé une levée de boucliers contre l’université française. Mais pour apprécier toute la différence qu’il y a entre la Belgique et la France, pour mesurer toute l’étendue des avantages dont jouit le clergé belge sous le rapport de l’instruction publique, il suffirait de parcourir les discussions qui ont eu lieu dans ces derniers temps aux chambres françaises. Savez-vous, messieurs, où s’arrêtent les prétentions des catholiques les plus fougueux en France ? Aucun d’eux ne va jusqu’à réclamer l’inspection des écoles primaires par le clergé, aucun d’eux ne veut soustraire les établissements du clergé à la surveillance du gouvernement.
On a cité plusieurs fois MM. Cousin, Guizot, Villemain, Dubois, et d’autres noms encore. J’ai l’honneur de connaître personnellement quelques-uns de ces hommes, je n’ai pas lu tout ce qu’ils ont écrit, mais j’ai eu des entretiens avec quelques-uns d’entre eux.
Eh bien, ils ne revenaient pas de leur surprise, quand on leur exposait le véritable état des choses en Belgique.
Je crois, messieurs, que si l’honorable M. Dechamps avait eu l’occasion (peut-être l’a-t-il eue) de s’entretenir avec M. Cousin et de lui exposer son système d’instruction publique ; je crois que M. Cousin aurait considéré l’honorable M. Dechamps comme singulièrement exagéré, comme extraordinairement exigeant.
Quand on dit aux hommes de France que le clergé belge est entièrement indépendant de l’autorité civile, que le Roi n’a rien à voir dans la nomination des évêques ; rien à voir dans la nomination des curés ; rien à voir dans la correspondance des évêques avec Rome ; rien à voir dans leurs séminaires, dans leurs écoles ; quand on dit à ces hommes que le clergé belge a une université à lui, des établissements d’enseignement moyen à lui, des écoles normales à lui, des écoles primaires à lui, et que tous ces établissements ne sont en aucune manière contrôlés par l’Etat ; qu’au contraire, ils sont subsidiés en grand nombre par l’Etat, cela leur paraît déjà une chose tout à fait extraordinaire.
Mais si l’on disait à ces messieurs que le clergé belge ne se contente pas de ce sort, que le clergé belge, veut exercer l’inspection dans les écoles du gouvernement, et que le gouvernement le lui accorde ; que le clergé belge veut exercer la censure sur les livres employés dans les écoles du gouvernement, et que le gouvernement le lui accorde, bien certainement alors l’incrédulité commencerait à naître ; mais si on lui disait enfin que même ces concessions du gouvernement ne suffisent pas au clergé belge ; qu’outre l’indépendance absolue dont il jouit comme corps religieux et corps enseignant, outre l’inspection des écoles, outre la censure des livres, il lui faut encore la nomination et révocation des instituteurs ; oh, alors, l’incrédulité de ces messieurs serait à son comble.
Voilà, messieurs, quelle serait probablement la manière de voir de ces grandes autorités qu’on vous a citées. Je voudrais bien voir qu’on parlât à MM. Villemain, Guizot, Cousin, Dubois, de pareilles prétentions ; je voudrais bien voir qu’on vînt leur parler de la prétention de mettre la main sut l’arche sainte de l’université de France ; je voudrais bien voir que les doctrines qui ont été émises dans cette enceinte, osassent se produire au sein de la législature française. Il y aurait un cri unanime de réprobation dans les chambres françaises contre de semblables doctrines.
Les catholiques français les plus fervents, M. le comte de Montalembert, entre autres, se sont toujours tenus à cent lieues des doctrines du clergé belge ; M. le comte de Montalembert a déclaré qu’il professait le plus grand respect pour l’université ; il attaque le système français parce qu’il ne consacre pas assez de liberté ; mais jamais M. de Montalembert n’a été jusqu’à vouloir interdire l’enseignement au gouvernement et à réserver au clergé la nomination et la révocation des maîtres. Cette doctrine n’a jamais été professée en France par aucune opinion. J’ai parlé d’une levée de boucliers qui avait eu lieu de la part de quelques évêques et de quelques journaux légitimistes, mais à l’instant le cri de la France à étouffé cette prétention. Il n’en est plus, pour ainsi dire, question.
La France cependant, quoi qu’on en dise, est un pays catholique, un pays religieux. Il faut, messieurs, ne pas juger la France par les excès de quelques livres réimprimés en Belgique et qui peuvent à bon droit jeter l’alarme dans les familles. Dans le plus grand nombre de ses départements, la France est aussi religieuse, aussi catholique que la Belgique.
Ainsi, messieurs, la loi française, que je n’ai pas d’ailleurs à défendre, n’a pas produit les mauvais effets qu’on a supposés. Il y a dans le projet de loi de 1834 plusieurs dispositions extraite de la loi française, mais le système n’est pas le même ; l’honorable M. Devaux a montré hier en quoi consistaient les différences. Je n’y reviendrai pas aujourd’hui.
Messieurs, d’après ce que je viens de dire, vous comprendrez facilement que si la loi devait rester rédigée dans les termes où elle a été présentée, il me serait très difficile de m’associer à un vote approbatif. Je n’ai rien dit de l’art. 21 et des débats auxquels il donné lieu. D’après les explications fournies hier par M. le ministre de l’intérieur, cet article ne présenterait plus les mêmes dangers qu’il présentait d’abord, commenté comme il l’avait été le premier jour. Toutefois, je crois que l’amendement nouveau ne suffira pas encore pour donner apaisement à tout le monde, effrayé qu’on a été des premières révélations ou des premières interprétations.
Mais, messieurs, la loi n’est pas tout entière dans cet article ; je vous ai déjà signalé d’autres dispositions qui sont également très graves, et j’aurai sans doute occasion d’y revenir. La loi sur l’instruction primaire est une des lois les plus importantes que nous puissions faire pour le pays ; si la discussion actuelle pouvait être un terrain neutre où les partis puissent se donner la main et opérer une réconciliation, je ne demanderais pas mieux que de choisir ce terrain ; mais je crains fort que les conditions qui seront faites pour la réconciliation ne soient pas égales ; je crains fort que ceux qui soutiennent ici les prérogatives du pouvoir civil ne se trouvent de nouveau en minorité, et par conséquent, dans l’impossibilité de s’associer à une réconciliation que je désire, mais que pour le moment je n’espère pas encore.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je désire que dans la comparaison qu’on établit entre le projet de 1834 et le projet qui vous est actuellement soumis par le gouvernement, les discussions ne dégénèrent pas en questions d’amour-propre. Pour ma part, je crois avoir parlé du projet de 1834 avec toute la réserve possible ; j’ai considéré ce projet comme généralement bon dans les principes qu’il pose, mais je crois avoir démontré que ces principes ne renferment pas tons les développements nécessaires. La discussion spéciale nous offrira encore l’occasion de revenir sur une partie de cette démonstration que je ne veux pas renouveler maintenant.
Je vais passer rapidement en revue les objections que vient de présenter l’honorable préopinant ; je vais rechercher jusqu’à quel point ces objections sont fondées.
En premier lieu, l’honorable préopinant nous reproche d’avoir presque complètement dépouillé la députation.
Messieurs, je pense que l’honorable préopinant n’a pas lu très attentivement le projet de loi, qu’il n’en a pas mis les dispositions en rapport avec la députation permanente.
Il est presque impossible de faire un pas, sans que la députation permanente intervienne ; c’est la députation permanente qui constate s’il y a lieu de dispenser une commune d’avoir des établissements propres ; c’est elle qui constate sil est pourvu aux besoins de l’enseignement par les établissements privés (art. 4 du projet), c’est elle qui constate s’il y a lieu d’autoriser la commune à adopter des établissements (art. 5).C’est la députation permanente qui présente les candidats aux places d’inspecteurs cantonaux (art. 9). C’est la députation permanente qui approuve les règlements de chaque école (art. 11). La députation permanente intervient pour les subsides (art. 18). La députation permanente concourt à l’établissement des caisses de prévoyance (art. 22). La députation permanente accorde des bourses (art. 24). La députation règle ce qui concerne les concours et nomme une partie du jury (art. 25 et 27). La députation permanente intervient dans l’établissement des écoles primaires supérieures (art. 28).
Voilà les articles dont je viens de faire le relevé en relisant le projet aussi rapidement que me le permettait l’obligation où j’étais d’écouter.
Je n’hésite pas à dire que la députation permanente se retrouve à peu près partout.
En second lieu, l’honorable préopinant nous a reproché d’avoir passé sous silence le droit de nomination des instituteurs. J’ai dit hier pourquoi on ne s’est pas occupé de cette question. C’est qu’elle nous a semblé résolue ; nous avons considéré cette solution comme relativement tranchée par l’art. 84 de la loi communale.
J’ai aujourd’hui un deuxième argument à présenter. Sans doute rien ne s’opposerait à ce qu’on examinât la question de savoir s’il n’y a pas lieu d’introduire dans la loi spéciale, que nous faisons, des restrictions au droit de nommer les instituteurs, conféré d’une manière générale, par la loi de 1836, aux autorités communales. Par exemple, ne pourrait-en pas donner le droit de présentation des candidats à la députation permanente ?
Si cet amendement vous est présenté, il y aura lieu d’examiner, je prie l’honorable préopinant d’y penser, s’il est conciliable avec d’autres dispositions de la loi, s’il ne créerait pas de nouveaux conflits. En effet, ne croyez pas, comme le suppose le préopinant, que ce droit de nommer et de maintenir ses instituteurs soit aussi absolu pour la commune qu’on pourrait le croire. Le conseil communal nomme ; mais le gouvernement, usant des pouvoirs qui lui sont accordés par la présente loi, peut amener un conseil communal à révoquer son instituteur ; par exemple, par la suppression des subsides. Je demande donc qu’on concilie ce pouvoir extraordinaire nouveau donné au gouvernement, qu’on en concilie l’usage avec l’amendement que j’ai supposé tout à l’heure.
Ainsi, d’une part l’instituteur serait nommé par la commune, sur la présentation de l’autorité provinciale, d’un autre côte le gouvernement serait amené à en demander la révocation. Il vaut mieux que la députation reste en dehors de la nomination. Ce serait créer une nouvelle occasion de conflits. Je m’en réfère du reste aux explications que j’ai données hier. C’est par un respect peut-être exagéré de la loi communale que nous n’avons pas voulu y toucher de nouveau. Les restrictions au droit de nomination entraveraient probablement l’exercice du pouvoir nouveau qui se trouve dans la loi.
En troisième lieu, l’honorable préopinant nous a reproché d’avoir affaibli la part du gouvernement central, loin de l’avoir augmentée, comme nous l’avions supposé. Il trouve une différence énorme dans la réduction des écoles normales de trois à deux. J’avoue que je n’attache pas à cette différence numérique une importance aussi grande que le préopinant. J’ai pensé que deux écoles pouvaient suffire pour le moment, une pour les provinces flamandes et une autre pour les provinces wallonnes. Si deux écoles sont suffisantes, je crois que trois l’auraient été également et que le reproche qu’on adresse au projet nouveau, qui propose l’établissement de deux écoles normales, peut aussi bien s’adresser au projet de 1834, qui en proposait trois.
Le préopinant a trouvé que c’était affaiblir la part du gouvernement central que de ne plus attribuer au gouvernement le droit d’établir une école modèle par arrondissement judiciaire ou vingt-six écoles modèles pour le royaume.
J’ai fait hier une objection ; l’honorable membre l’a passée sous silence. C’est qu’une école primaire modèle par arrondissement judiciaire est généralement trop peu et quelquefois trop. Je citerai l’arrondissement de Louvain, qui compte plusieurs villes assez importantes pour qu’une école modèle soit insuffisante pour cet arrondissement.
Le projet de 1834 supposait que des écoles primaires supérieures seraient établies aux frais du gouvernement seul. Si on admet ce précédent, il faut aussi que les collèges et les athénées soient établis aux frais du gouvernement seul. C’est un système que nous n’adopterons pas. Les écoles modèles sont un intermédiaire entre les écoles primaires et l’enseignement moyen proprement dit. Beaucoup d’établissements décorés du nom de collèges ne sont au fond que des écoles primaires supérieures.
Nous croyons que les communes doivent intervenir, non seulement en fournissant les locaux des écoles, mais en supportant une partie des dépenses nécessaires ; les dépenses des 26 écoles supérieures atteindraient une somme considérable, beaucoup plus considérable que celle qu’a indiquée l’honorable préopinant. Du reste, c’est encore la une question à discuter ultérieurement ; je ne m’y refuse point. Il ne faut pas rattacher cette différence qui existe entre le projet de 1834 et le projet nouveau à des soupçons, à un système de suspicion politique envers le ministère.
Nous verrons s’il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat les écoles primaires modèles. Pour moi, je soutiendrai que non, qu’il faut au moins les considérer comme établissements mixtes, et les mettre sur la même ligne que les établissements d’enseignement moyen ; je soutiendrai que ces écoles doivent être fondées par le concours du trésor public et de la caisse communale. Si l’opinion insérée dans la loi de 1834 prévaut, je me conformerai à la décision de la chambre. (Interruption.)
Une voix. - La loi de 1834 exige que la commune fournisse le local.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Oui, d’après le projet de 1834 la commune fournit le local seul, toutes les autres dépenses sont à la charge de l’Etat. Si on admet que les frais des écoles primaires supérieures doivent être faits par le trésor seul, il faut en faire autant pour les athénées et les collèges. C’est une question à examiner. Je veux bien qu’on l’examine ; mais je supplie mes adversaires de considérer en elles-mêmes les différences qui existent entre les deux projets et de ne pas les rattacher, je le répète, à un système de suspicion politique envers le ministère.
M. Rogier. - Vous m’avez accusé de n’avoir pas fait une part assez large au pouvoir au pouvoir central, j’ai dû me défendre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Mais en disant que vous aviez fait moins pour le pouvoir central, je ne me suis permis aucun soupçon à votre égard. J’ai gardé dans mes paroles toute la réserve possible, et je conserverai cette réserve malgré les attaques qui pourraient me venir de votre part.
Nous venons d’expliquer pourquoi les dispositions du projet actuel différaient de celles du projet de 1834, quant au nombre des écoles normales, et quant au nombre et à la répartition des dépenses des écoles primaires modèles ou supérieures. Nous avons expliqué pourquoi cette partie du projet de 1834 n’a pas été conservée. Nous croyons, du reste, que malgré la différence qui existe sous ce rapport entre les deux projets, la part du pouvoir central est la même ou à peu près.
Un quatrième reproche nous a été adressé par le préopinant. C’est celui d’avoir aggravé la position des communes sous le rapport des obligations financières. En effet le projet de 1834 se bornait à dire, art. 7 : en cas d’insuffisance des ressources communales, la province accordera un subside, et en cas d’insuffisance des ressources provinciales, art. 15, l’Etat accordera des subsides.
Nous trouvons que rien n’est plus vague que ces expressions : « En cas d’insuffisance des ressources communales, en cas d’insuffisance des ressources provinciales. » Il vaut mieux, autant que possible, dire dans la loi quand il y a insuffisance. D’après quels principes sera constatée cette insuffisance ? Aujourd’hui il y a un véritable arbitraire. Vous votez chaque année au budget une somme de deux à trois cent mille francs, et le ministre en a en quelque sorte la libre disposition. C’est le ministre de l’intérieur qui, en vertu d’un pouvoir discrétionnaire, décide s’il y a insuffisance des revenus communaux ou provinciaux.
Il nous a semblé que cet arbitraire était trop grand, qu’il fallait y mettre un terme, que si on ne le faisait pas, les charges de l’Etat pourraient devenir trop considérables et que tous les frais de l’inspection primaire, sous prétexte d’insuffisance des revenus communaux et provinciaux, finiraient par passer au budget de l’Etat.
Ici la question qui se présente est celle de savoir s’il faut inscrire dans la loi une règle pour reconnaître s’il y a insuffisance de revenus communaux ou provinciaux. Nous croyons qu’il faut une règle pour limiter l’arbitraire du pouvoir central. Maintenant trouve-t-on que la limite est trop restreinte, qu’il ne faut pas imposer deux centimes additionnels ? C’est une deuxième question à examiner. Mais dans l’intérêt des finances de l’Etat, ce sont là deux questions dignes de toute notre attention. Je crois que les dépenses du trésor ne diminueront pas, que la somme votée au budget sera insuffisante à la suite du vote du projet que nous discutons ; mais si elle est suffisante, je m’en féliciterai dans l’état actuel de nos finances.
En cinquième lieu l’honorable préopinant a trouvé que le projet de loi qui vous est présenté manque de sanction, et qu’entre autres points, en ce qui concerne l’intervention du clergé, il n’existe en faveur du pouvoir civil aucune sanction. Mais voyons s’il y avait une sanction plus grande dans le projet de 1834 ? Peut-il y avoir à cet égard une sorte de moyen de coercition ? Je ne pense pas, et sous ce rapport je soutiens que le projet de 1834 encourt le même reproche que celui qui vous est en ce moment soumis.
Si les évêques, a dit l’honorable préopinant, refusent d’inspecter les écoles, que ferez-vous ? Je demanderai au préopinant si le curé qui, aux termes de l’art. 2 du projet de 1834, devait diriger l’enseignement de la religion dans l’école communale, avait refusé de le faire, avait refusé de siéger au comité local, qu’auriez-vous fait ? Vous voyez que, sous ce rapport, dans le projet de 1834 comme dans le projet actuel, il n’y a pas autre chose qu’une sanction morale. Il n’y a pas de moyen de coercition sur le clergé, il ne pouvait pas y en avoir.
J’allais arriver (et les observations qui parviennent jusqu’à moi devraient d’ailleurs m’y engager) à l’objection capitale que l’on fait. D’après le projet de 1834, dit-on, vous pouviez vous passer de l’intervention du clergé. D’après le projet actuel, vous ne pouvez plus vous en passer. Examinons cette objection. Je crois que le projet de 1834 est sincère, qu’il a été mûrement élaboré, qu’en insérant dans ce projet de loi que l’instruction religieuse serait obligatoire, on a voulu sérieusement que ce principe reçût dans la pratique son exécution. Or, dans le projet de 1834, comme dans le projet actuel, le droit d’abstention pour le clergé subsiste et a dû subsister. Quelles sont les conséquences légales de l’abstention du clergé ? Nous avons dit que, dans certains cas, l’abstention du clergé pourrait amener la suppression du subside, le renvoi de l’instituteur et la fermeture momentanée de l’école. Eh bien, il en eût été de même d’après le projet de 1834, et mon honorable prédécesseur, qui a présenté ce projet, sera je crois forcé d’en convenir. Si par les rapports de l’autorité ecclésiastique et l’enquête faite sur l’enseignement par le ministre, il avait été constaté qu’il y a des abus tels qu’ils constituent la non-exécution des conditions religieuses, je dis que le ministre aurait supprimé le subside, demandé la révocation de l’instituteur, et ordonné la fermeture momentanée de l’école. Je dis que d’après la loi de 1834, si elle avait été votée, on aurait été force d’agir ainsi
M. Demonceau. - Ou bien l’on n’aurait pas exécuté la loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Oui, ou l’on n’aurait pas exécuté la disposition fondamentale qui prescrit formellement l’incorporation de l’enseignement religieux dans l’instruction primaire. Ainsi, si le projet de 1834 avait été converti en loi, et s’il avait été constaté que l’instituteur ne donnait pas l’enseignement religieux, je dis que le ministre de l’intérieur, se conformant à l’article de la loi qui déclare obligatoire l’enseignement religieux, aurait refusé le subside, il aurait agi comme si la loi avait été votée avec l’art. 21 du projet nouveau. Ce que le ministre de l’intérieur aurait fait, d’après la loi de 1834, en procédant d’une manière plus ou moins arbitraire, en agissant sans procédure régulière, nous proposons que ce ne soit fait qu’avec une procédure régulière, avec des garanties qui manquaient dans la loi de 1834.
Le curé chargé de donner l’instruction religieuse, autorisé à faire partie du comité local, n’était, d’après le projet de 1834, soumis à aucune surveillance supérieure. Il n’en est pas de même dans la loi nouvelle. L’instituteur n’a plus affaire au curé seul, au vicaire peut-être son concurrent.
Il peut au besoin recourir à l’inspecteur ecclésiastique, à l’évêque, à l’inspecteur civil même, qui doit le connaître, qui doit avoir appris à l’apprécier.
Je n’hésite donc pas à dire que la position d’instituteur est aujourd’hui plus assurée qu’elle ne l’eût été d’après la loi de 1834. Ceci n’est pas une supposition, je le sais par des entretiens que j’ai eus avec des instituteurs, ce qui effraient les instituteurs ce sont les refus non motivés et par caprice. Ils ne s’effrayeront pas si les refus ne sont que motivés, s’il n’y est pas procédé d’une manière arbitraire, occulte, et peut-être dans un intérêt privé.
Vous allez, nous dit-on, livrer l’école civile communale à l’arbitraire d’un inspecteur ecclésiastique qui aura peut-être une école privée concurrente. C’est un reproche qu’on peut adresser à bien plus juste titre à la loi de 1834. D’après la loi de 1834, le curé dirige l’enseignement religieux de l’école communale. Mais il peut lui-même avoir une école privée concurrente. Ainsi, vous prêtez vous-même à ce reproche, présenté comme une objection formidable. Mais la différence entre le projet de 1834 et le projet actuel est que dans le projet de 1834 le refus était absolu, que l’abstention n’était pas motivée. Aujourd’hui l’abstention est motivée ; le refus n’est plus absolu. (Réclamations.)
Vous ne pouvez le forcer, dit-on près de moi, mais qu’on m’indique un moyen de forcer le clergé, un moyen de coercition directe (interruption). On répète : Vous ne pouvez le forcer. Mais le pouvez-vous d’après le projet de 1834 ?
Le clergé aura l’inspection de l’enseignement religieux ; le pouvoir civil, l’inspection de l’instruction proprement dite. Pourquoi, dit l’honorable préopinant, le gouvernement n’a-t-il pas à son tour l’inspection de l’enseignement civil dans les écoles privées du clergé. Il a lui-même répondu à l’objection. Mais il y a une autre réponse à donner : c’est le pouvoir civil qui, dans un intérêt social, réclame l’accession de l’enseignement religieux à l’instruction proprement dite. Il se reconnaît incompétent pour remplir l’obligation de l’enseignement religieux ; il demande au clergé d’intervenir ; le clergé est-il dans la même position ? A-t-il besoin de l’intervention du gouvernement pour donner l’inspection proprement dite ? Non. Vous l’en avez dispensé, en consacrant dans votre constitution la liberté d’enseignement.
L’honorable préopinant n’est pas encore revenu de la frayeur que lui a causé l’art. 21, soit dans sa nouvelle, soit dans son ancienne rédaction. Je crois donc à mon tour devoir insister sur une observation que j’ai déjà faite. Je suppose le projet de 1834 voté et l’art. 2 admis sans changement, l’art. 2 qui porte que l’enseignement religieux sera donné dans les écoles par le curé de l’endroit. Je suppose après cela qu’il y ait refus de la part du conseil communal de faire donner l’enseignement religieux, je dis que mon prédécesseur aurait refusé le subside. Il aurait dû le faire d’après cette loi. Il aurait dit au conseil communal : Vous vous êtes placé par votre refus en-dehors de la loi ; dès lors je ne puis vous continuer le subside ; voilà ce qu’il aurait dû dire. Du moment que vous exécutiez la loi de 1834, il y avait un article 21 sous-entendu. Nous n’avons pas voulu d’équivoque. Nous avons poussé la loyauté plus loin. Nous avons voulu que la sanction fût exprimée dans la loi. Après cela les instituteurs savent de quelle mesure ils peuvent être frappés. Je ne puis donc assez le répéter, cet art. 21, qui a tant effrayé, était sous-entendu dans la loi de 1834 ; on aurait dû agir comme s’il y était.
M. Devaux. - Cela n’est pas.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si cela n’est pas, comment la disposition de l’art. serait-elle sincère ?
D’après l’art. 2, il y avait obligation légale de donner l’instruction religieuse (je demande pardon à la chambre de ces répétitions ; j’y suis forcé parce qu’on m’a interrompu) ; s’il y avait eu refus de donner cette instruction, je demande ce qu’on aurait fait. Le gouvernement aurait refusé son subside. Voilà ce qu’on aurait fait. Ce qui prouve que je ne m’aventure pas dans cette supposition, ce sont les paroles de M. Lebeau à la fin de la séance d’hier. Il vous a dit que s’il était ministre de l’intérieur, et s’il lui était constaté que dans une école communale il y a eu refus de donner l’instruction religieuse, il refuserait les subsides ; que comme gouverneur il l’aurait proposé, que peut-être il l’a proposé.
M. Lebeau. - Je demande la parole.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le projet actuel et le projet de 1834 ont donc une base commune : C’est l’obligation légale, 1° de donner l’enseignement religieux dans les écoles primaires ; 2° de faire diriger cet enseignement par les soins du curé.
Je dis que par la force des choses le gouvernement eût été amené à donner pour sanction, dans certains cas, la suppression du subside. Cette sanction, il vaut mieux l’inscrire d’une manière formelle dans la loi.
M. Lebeau. - Messieurs, je n’ai pas du tout la prétention d’être plus moral et plus religieux qu’aucun membre de cette chambre ; je suis parfaitement convaincu que ce que j’ai déclaré hier que je ferais, chacun de mes collègues, s’il était membre du gouvernement, le ferait comme moi ; c’est-à-dire que si l’enseignement moral et religieux n’était pas donné dans une école primaire, et que ce fût, ou par la faute de l’administration communale, ou par la faute de l’instituteur, il y aurait lieu de proposer le retrait des subsides. Je pense qu’il n’y a personne ici qui, dans de pareilles circonstances, n’en ferait autant.
Mais M. le ministre de l’intérieur n’a rappelé qu’une partie de mes paroles, et je tiens à rectifier l’application inexacte qu’il en a faite.
J’ai dit que dans l’hypothèse où, soit par la faute de l’autorité locale, soit par la faute de l’instituteur, il y aurait une lacune aussi importante dans l’école que le manque d’enseignement moral et religieux, il y aurait lieu à proposer le retrait des subsides. Mais j ai ajouté que lorsque l’autorité locale et l’instituteur se seraient prêtés à ce que cet enseignement moral et religieux fût laissé en pleine liberté au clergé et qu’il plût à celui-ci, soit par caprice personnel, soit par influence supérieure, de se croiser les bras et de faire tomber l’école par la force d’inertie, je maintiendrais cette école aux risques et périls de l’abstention imprudente du clergé.
Voilà ce que j’ai dit ! voilà ce qui était dans la pensée des auteurs du projet de 1834. Mais voilà aussi ce que M. le ministre de l’intérieur n’a point dit en expliquant la portée de l’art. 21, et sur quoi je le prie de compléter sa réponse.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’avais cru citer très exactement les paroles de l’honorable préopinant, je pourrais lui renvoyer le même reproche et lui dire qu’il a oublié à son tour les explications que j’ai données hier.
Le clergé s’abstient. Supposons deux cas, pour être très clair, très précis. Il est constaté que le clergé a eu raison de s’abstenir ; il est constaté par l’enquête subséquente, faite commise l’exige l’art. 21, que l’enseignement religieux n’est pas donné dans une école soit par la faute de l’instituteur, soit par le refus de l’autorité communale. L’honorable préopinant est d’avis comme moi, que dans ce cas il y a lieu de retirer les subsides ; sur ce point, nous voilà d’accord.
Second cas : Un membre du clergé s’abstient parce qu’il pense que la loi que nous allons faire n’est pas suffisante. Il voudrait, par exemple, que le droit de nomination de l’instituteur fût attribué aux curés ; ou bien, il s’abstient sans donner des motifs. Que ferez-vous dans ce cas ? Supprimerez-vous les subsides ? Non. J’ai dit hier non, et je répète aujourd’hui non.
Maintenant, messieurs, à mon tour une question.
Nous voilà d accord sur la manière d’appliquer l’art. 2 du projet de 1834, devenu l’art. 6 du projet nouveau ; cet article est le même dans les deux projets ; la base fondamentale est restée la même : obligation de donner l’enseignement religieux dans l’école. Nous sommes d’accord sur la manière d’appliquer le principe dans les deux cas différents que nous avons posés : dans l’un le gouvernement supprime, dans l’autre il ne supprime pas les subsides.
Mais si nous sommes d’accord sur le principe, veuillez me dire pourquoi on ne veut pas écrire sa sanction dans la loi, pourquoi tant s’effrayer de ce malheureux art. 21 ? (Interruption.)
On dit : Mais cet article, même dans la nouvelle rédaction comprend bien plus qu’on ne suppose ; eh bien, dans ce cas, proposez une nouvelle rédaction. Mais soyons au moins d’accord sur la nécessite de la sanction du principe. (Rumeurs.) Nous voulons l’enseignement religieux dans l’école. Mais que ferez-vous, continuerez-vous les subsides lorsqu’il sera constaté que c’est soit par la faute de l’instituteur devenu aussi indigne, soit par la faute de la commune devenue ainsi rebelle à la loi, que l’enseignement moral et religieux n’est pas donné ? Maintiendrez-vous les subsides ? Vous dites non ; écrivez-le dans la loi. Si vous trouvez que ma rédaction est imparfaite, dangereuse, que mes expressions peuvent donner lieu à une autre interprétation, modifiez-les, mais au moins convenons que nous sommes d’accord sur le principe et sur la nécessité de la sanction du principe.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Il semble que le moment soit venu de se mettre complètement d’accord sur le sens et sur la portée de l’art. 21 du projet de loi.
Le gouvernement ne doit pas regretter que M. Dolez le premier ait porté la discussion sur ce point. La question qu’il soulève est la plus importante de toutes celles contenues dans la loi qui vous est soumise.
A quoi bon discuter sur les détails, si l’on ne doit pas s’entendre sur le fonds ?
C’est donc l’art. 21 qu’il faut d’abord clairement définir. Cette chambre à si bien compris cette nécessité que, sans projet avoué, par la seule force des choses, la question soulevée avant-hier, abandonnée dans le début de la dernière séance, a été relevée à la fin de la même séance par plusieurs orateurs, et qu’elle vient encore de d’être remise sur le tapis par d’honorables préopinants.
C’est donc un devoir d’en finir et de chercher à reconnaître nettement les attributions de l’Etat et celles du clergé dans l’enseignement primaire.
Les limites précises une fois reconnues par tous, il est permis d’espérer que les défiances se calmeront et que la discussion du reste de la loi sera dépouillée de ce caractère d’amertume et de défiance qui s’est montré dès l’origine.
La question est d’ailleurs asses lourde des difficultés qui lui sont propres sans y mêler des intérêts de parti ou de personnes ; y recourir serait reconnaître la faiblesse des doctrines que l’on défend.
Il s’agit, messieurs, de savoir si l’abstention du pouvoir religieux pourra arrêter le subside donné à l’école par l’Etat, la province et la commune, et dans quelles limites ce refus de concours pourra s’exercer.
Je crois que l’on peut définir ces limites en formulant quelques principes généraux ; ces principes ont été presque tous avoués dans les séances précédentes et ne sont en quelque sorte que le résumé des arguments avancés. Ils pourront encore servir de guide pour résoudre d’autres points.
Il me semble, messieurs, que divisés sur la forme, la plupart des orateurs étaient près de s’entendre sur le fond, je crois que l’honorable M. Verhaegen, lorsqu’il disait que l’instruction devait être religieuse, mais que l’intervention des prêtres ne devait pas être obligatoire, lorsqu’il craignait que le gouvernement ne fût traîné à la remorque par le clergé, était bien près de s’entendre avec l’honorable rapporteur de la section centrale.
Je crois que M. Lebeau n’était séparé que par des mots de M. le ministre de l'intérieur, lorsqu’il disait que le gouvernement qui ne compterait pas avec le clergé, en matière d’enseignement, manquerait aux lois du bon sens, mais que le gouvernement ne pouvait abdiquer et que, quant à lui, il avait toujours voulu que l’enseignement fût moral et religieux.
Ces principes généraux que je propose et que je soutiens, les voici :
L’enseignement primaire ne peut être complet, avantageux et sans danger pour la société, qu’autant qu’il est accompagné de l’éducation morale et religieuse.
L’Etat doit donc faire tous ses efforts pour que la religion représentée par ses ministres, concoure à l’enseignement. Il ne doit passer outre que lorsqu’il a épuisé tous les moyens honorables d’amener ce concours.
Par l’éducation religieuse on entend l’enseignement d’une religion positive, c’est-à-dire, le dogme catholique romain enseigné par le clergé pour les catholiques, le dogme israélite pour les juifs, etc.
Le gouvernement est incompétent pour juger le dogme, pour décider sur des questions purement religieuses.
Le clergé est incompétent dans toutes les questions qui ne se rattachent ni à la morale, ni à la religion.
Ces principes admis, la discussion de toutes les difficultés relatives au concours du clergé dans l’enseignement me semble avoir fait un grand pas.
Ainsi, on a demandé, si le refus non motivé, de la part du clergé, de concourir à l’enseignement d’une commune entrainerait la suspension du subside de l’Etat, de la province ou de la commune.
Evidemment non, car toute garantie étant d’ailleurs donnée au clergé dans la direction de l’enseignement religieux, un refus non motivé est en quelque sorte un fait de force majeure. Il faut passer outre, car les moyens d’amener ce concours auront été épuises.
Il en serait de même pour toute opposition du clergé qui s’appuierait sur des motifs en dehors de l’enseignement moral et religieux. Telles seraient les considérations tirées de la mauvaise tenue de l’établissement, en tant que les mœurs n’en souffrent pas, ignorance des professeurs en matières scientifiques qui ne se rattachent pas à la religion, insalubrité des locaux, etc., car le clergé est incompétent sur toutes les questions en dehors de l’éducation religieuse et morale.
Mais que, dans leurs rapports annuels et détaillés, les inspecteurs ecclésiastiques approuvés par les évêques, établissent des faits contraires à la morale et au dogme religieux ; ainsi, par exemple, que de mauvais livres aient été tolérés ou mis par les professeurs entre les mains de leurs élèves, que des exemples ou des préceptes pernicieux leur aient été donnés, qu’on leur ait prêché l’indifférence ou l’aversion pour le dogme religieux ou pour certaines parties du dogme ; que le professeur, même hors de l’école, ait prouve par sa conduite, ses discours, ses habitudes, absence de sentiments moraux et religieux ; que le dogme religieux ait été souvent l’objet de ses railleries et de son mépris, qu’il l’ait expliqué d’une manière contraire à l’orthodoxie ; je dis, que dans ce cas, les rapports motivés et détaillés des inspecteurs, et la garantie des évêques sont suffisantes pour faire retirer le subside si la commune se refuse à faire disparaître les causes du mal.
Car le gouvernement est incompétent pour juger le dogme, pour décider des questions purement religieuses, ou dans lesquelles la religion se trouve le plus directement intéressée. Sa compétence se borne à la constatation des faits.
Ainsi donc, messieurs, admettez les cinq points suivants, et je pense qu’une partie des difficultés qui nous divisent seront aplanies :
1° Dangers de l’enseignement sans éducation religieuse ;
2° Reconnaissance que l’éducation religieuse ne peut être donnée que par les ministres des cultes reconnus ;
3° Devoir pour l’Etat de réunir, autant que faire se pourra, l’instruction et l’éducation religieuse ;
4° Incompétence de l’Etat en matière de dogme et sur les questions où la morale et la religion sont le plus directement intéressées ;
5° Incompétence du clergé en dehors des questions de dogme, de religion et de morale.
Examinons maintenant si ces principes et leurs conséquences seraient de nature à amener de fréquentes perturbations dans l’enseignement, parce que le clergé n’aurait pas le même intérêt que la commune a ce que l’enseignement soit florissant.
Ce refus de concours entraînant le retrait du subside, rendra, dira-t-on, l’enseignement souvent impossible et toujours précaire, et les avantages qu’il donnera ne seront plus en rapport avec les inconvénients que vous allez créer. Car la commune, après tout, a un intérêt direct à ce que l’instruction soit religieuse. indépendamment des convictions et des croyances religieuses des pères de famille qui sont représentés dans le conseil communal, la direction ecclésiastique ne devient-elle pas un moyen matériel nécessaire pour assurer la prospérité de l’établissement, et de plus, la crainte du refus du subside n’amènera-t-elle pas le conseil, en cas de conflit, à faire toutes les concessions humainement possibles ?
Le danger est donc nul de ce côté, mais l’est-il de l’autre ? Qui nous assure que les rancunes particulières, des motifs en dehors de la religion ne suffiront pas pour engager le curé à refuser sa coopération et à chercher des motifs d’abstention ? Qu’a-t-il à perdre ? La constitution ne lui a-t-elle pas fait une position indépendante, et votre projet de loi ne reconnaît-il pas encore son libre arbitre en matière d’enseignement ? Ainsi donc, vous allez faire dépendre l’enseignement du pays de personnes en quelque sorte désintéressées, ne donnant aucune garantie constitutionnelle et légale et pouvant impunément faire concourir leur abstention au triomphe de l’esprit de parti ou d’intérêts personnels. Le curé dirigera l’école à condition de diriger l’élection.
Voilà les objections que l’on a faites : on me rendra la justice que je ne cherche pas à en atténuer l’importance.
Je reconnais, messieurs, qu’un grand mal pourrait être produit par l’abstention du clergé, s’il était reconnu que son refus de concours est suspensif de subside ipso facto, et que le clergé donnât moins de garanties, sous le rapport de l’enseignement, que le conseil communal lui-même. Mais je ne puis admettre qu’il soit plus désintéressé dans la question que le conseil communal, et qu’il ait moins à perdre en refusant son concours.
Nul ne contestera que, dans la position qui lui est faite par la constitution, l’influence du clergé ne soit toute morale. Il ne peut rien que par la persuasion, rien que par la confiance que les populations placeront en lui. Il ne peut garder cette confiance qu’à condition de la mériter, et je ne crains pas de dire que le curé qui arrêterait l’enseignement de la paroisse pour obéir à de misérables passions d’intérêt personnel ou politique, perdrait à jamais la confiance et l’estime sans lesquelles il ne peut plus rien. Ainsi donc l’intérêt seul du maintien de sa position, de sa vie matérielle et de son influence, lui fait une loi impérieuse de se montrer conciliant, autant que la conciliation peut s’arranger avec sa conscience et ses devoirs, dans tout ce qui touchera l’instruction primaire ; il y regardera d’autant plus, que son refus aura plus de puissance et que les conséquences en seraient plus redoutables pour sa conscience. Un curé, qui, pour des motifs insuffisants, aurait arrêté l’enseignement dans la commune et enlevé les droits au subside, ne pourrait continuer longtemps les fonctions de son ministère.
Je n’ai pas besoin de rappeler ici que l’inspecteur ecclésiastique, et l’évêque lui-même, en pareil cas, sera toujours à donner son approbation, et que, placés plus haut, ils ne peuvent céder à aucune des considérations qui auraient prise dans une sphère moins élevée.
Ce serait donc supposer au clergé, je ne dis pas bien peu de sens politique, mais même bien peu d’intérêt de conservation, que de croire qu’il refusera, sans les motifs les plus graves, son appui à un établissement communal, que de supposer qu’un intérêt de parti, un intérêt électoral, pourrait le porter à une extrémité dont le résultat le plus inévitable serait la perte complète de son influence sur les électeurs et les pères de famille qui composent la commune et même la province à laquelle le subside serait retiré.
Ainsi donc les intérêts matériels du clergé, sa position, le maintien de son influence, enfin tout ce qui a prise matériellement sur l’esprit de l’homme, lui feront une loi de concourir à l’enseignement autant que la chose lui sera possible.
Mais ces garanties, les plus fortes qu’on puisse exiger, ne sont pas encore les seules qui le retiendront ; indépendamment de ses devoirs envers le pays, il est pour le prêtre des devoirs envers la religion qui l’obligent à ne pas abandonner, sans nécessité absolue, la direction des âmes confiées à sa garde, et ces devoirs font peser sur sa conscience la plus terrible des responsabilités.
N’est-ce pas là encore une garantie et où en trouverez-vous une plus puissante ? N’est-ce pas là aussi une réponse suffisante aux orateurs qui viennent d’exprimer le doute que le clergé voulût prendre part à l’exécution de la loi. Sa bonne volonté ne fera pas faute : elle est pour lui une obligation de conscience, et ce n’est pas trop préjuger que d’être certain qu’il saura la remplir.
Mais au moins, dira-t-on, le refus de concours devrait être fondé sur les motifs les plus graves et les plus saisissables, et le gouvernement doit rester seul juge de la validité des motifs allégués pour la suspension du subside.
Je ne pense pas, messieurs, qu’il en puisse être ainsi. Le gouvernement ne peut décider, selon moi, que de la réalité du fait, et l’on ne serait fondé a soutenir une opinion contraire qu’en allant contre un autre point acquis. C’est qu’on matière de dogme et de question religieuse le gouvernement est un juge incompétent et que la constitution récuse aussi bien que la raison. C’est donc au clergé qu’il appartient surtout de reconnaître si l’instruction religieuse est bien ou mal donnée à la jeunesse, si l’instituteur a l’instruction et les convictions religieuses qui peuvent seules rendre ses leçons profitables. Pour convaincre, messieurs, il faut d’abord être convaincu ; pour enseigner la religion, il faut y croire et, quant à moi, je ne crains pas de le dire, j’aimerais mieux voir l’enseignement religieux confié à des instituteurs qui, après avoir commis des grands écarts, auraient donné des gages de leur retour à la morale et à des convictions religieuses qu’à ceux dont la conduite eût été peut-être constamment irréprochable devant la loi, mais qui aborderaient l’enseignement religieux sans croyance, sans convictions et pour l’acquit, je ne dirai pas de leur conscience, mais de leur salaire. L’instruction religieuse donnée par de tels hommes est bien plus dangereuse que l’absence complète d’enseignement religieux. Celle-ci ne produit que l’ignorance, celle-là amène l’athéisme, l’indifférence et toutes ces creuses théories qui tourmentent et souvent abrègent l’existence de l’homme qui ne croit à rien.
C’est donc au clergé surtout qu’il appartient de signaler ce danger et de le constater, et je pense que lorsqu’un instituteur sera désigné par le clergé comme incapable de donner l’instruction religieuse, lorsque l’évêque aura détaillé les motifs et les faits à l’appui de la demande et les preuves sur lesquelles est fondée sa conviction, l’instituteur devra être écarté ou avec le concours de la commune, si on peut l’obtenir, ou sans ce concours, si elle s’y refuse obstinément.
Un inconvénient grave pourrait résulter du retrait trop brusque du subside donné par le gouvernement. Ce serait celui de la suspension immédiate de l’établissement auquel le clergé aurait refusé son concours. Cette suspension trop brusque pourrait compromettre l’existence de l’école.
Il y avait ici, il faut le reconnaître, une lacune dans l’art. 21 présenté par le gouvernement, mais l’amendement proposé hier par M. le ministre de l’intérieur la comblera. Il donne toute garantie non seulement de la manière scrupuleuse dont les formalités doivent être remplies, mais encore des ménagements que le ministre apportera pour concilier, autant que possible, les intérêts de la morale et de la religion avec ceux de la commune et de l’avenir de l’enseignement.
M. Cogels. - Vous aurez remarqué, messieurs, que le Moniteur ne contient pas un mot de la séance d’hier. Je serai dès lors forcé de m’en rapporter à ma mémoire et aux notes que j’ai prises pour répondre aux divers orateurs qui ont pris la parole dans cette séance. Si je me trompais sur le sens, sur la portée de ces paroles, je prierais ces messieurs d’excuser cette erreur.
Je commencerai par répondre à un reproche adressé à la section centrale ; ce reproche lui a été adressé avec assez d’amertume par un honorable membre qui siège à mes côtés.
La section centrale, s’il faut en croire nos adversaires, se composerait de membres appartenant tous à une même opinion. Je n’entreprendrai pas de discuter ici jusqu’à quel point cela est vrai ; mais ce que je ne puis admettre, c’est que la section centrale aurait profité de sa position pour opposer à la discussion de la loi une force d’inertie.
Non, messieurs, il n’y a guère plus de deux ans et demi que j’ai eu l’honneur d’être admis dans cette enceinte ; j’ai remplacé dans la section centrale un honorable députe d’Anvers, dont j’occupe la place dans la représentation nationale. Eh bien ! je sais que depuis lors la discussion a été impossible et que cette impossibilité résulte non pas du mauvais vouloir de la section centrale, mais des circonstances dans lesquelles nous nous sommes trouvés.
A peine étais-je admis dans cette enceinte qu’une crise ministérielle s’est manifestée et que le ministère de M. de Theux a été renversé. Ses successeurs, à leur entrée aux affaires et vers la fin de la session, nous ont présenté des lois d’intérêt matériel, dont la discussion était des plus urgentes, et ils ont bien fait. La session a été close.
A la session suivante, à peine en étions-nous au terme de la discussion des budgets, nouvelle crise ministérielle ; nouveau ministère ; élection imminente, dès lors clôture prématurée, mais obligée de la session.
Qu’a-t-on reproché au ministère actuel ? On lui a reproché, dès le début de la session, de ne pas oser provoquer la discussion de la loi sur l’instruction. On a dit qu’il n’oserait pas s’y aventurer. Eh bien ! je puis le dire, c’est le ministère, de concert avec la section centrale, qui a pressé l’examen de la loi ; c’est lui qui en provoqué la discussion, et il n’a pas dépendu de lui que cette discussion n’ait commencé que lundi.
J’aborderai maintenant la discussion de la loi. Je ne m’attacherai qu’aux considérations générales pour ne pas abuser de l’attention de la chambre. Car je pense que cette discussion générale a déjà assez duré.
Il est un point sur lequel nous sommes tous d’accord , c’est la nécessité d’une instruction morale et religieuse. Cette nécessité contestée par personne, elle se trouve consacrée et par le projet de 1834 et par celui de 1842. Il y a seulement une différence assez essentielle entre ces deux projets, et à laquelle peut-être on n’a pas fait assez attention. Dans le projet de 1842, 2° § de l’art. 6, il est dit l’enseignement de la religion et de la morale est donné sous la direction des ministres du culte professé par la majorité des habitants de la commune. Dans le 2ème § de l’art. 2 du projet de 1834, il est dit seulement : « L’enseignement de la religion est donné sous la direction de ses ministres. »
Je ne sais pas, messieurs, s’il y a ici une omission, ou bien si cette distinction y a été introduite avec intention. Je ne puis pas le croire. Car malgré ce qui a été dit dans la séance d’hier par un honorable membre, malgré les prétentions du conseil communal de Liége, je ne puis pas concevoir une instruction religieuse qui ne soit pas en même temps morale. Pour moi, je ne connais pas de religion sans morale.
Je sais bien qu’on nous a dit hier, qu’il ne faudrait pas empêcher à un instituteur d’enseigner à un enfant, comme complément de l’instruction religieuse sans doute, qu’il doit respecter ses parents, qu’il ne doit pas mentir. Pour moi, à moins que depuis que j’ai fait mon instruction religieuse, on n’ait fait un amendement au décalogue, je crois que dans la première leçon du catéchisme que l’enfant aura reçue, il aura appris ce principe. Il ne faut pas un enseignement moral ; cet enseignement résulte de toute religion.
Je le répète, messieurs, il est impossible de séparer l’enseignement moral de l’enseignement religieux. Il n’y a pas de religion sans morale. Je dirai plus : c’est que les préceptes de notre religion, dans leur noble simplicité, renferment un code de moral, plus parfait, plus complet que tous les ouvrages réunis des philosophie anciens et modernes, et je défie de trouver dans les ouvrages des philosophes un précepte de vraie morale qui ne se trouve pas renfermé dans le décalogue et dans l’évangile.
Ainsi, messieurs, vous voyez que dépouiller l’enseignement religieux de sa partie morale, est le dépouiller de son plus bel ornement ; c’est le mutiler, c’est l’anéantir. Il vaudrait mieux dire alors que nous ne voulons pas d’enseignement religieux, que nous voulons que les enfants ne connaissent d’autre culte que celui de la raison, qu’ils ne reçoivent que l’enseignement d’une philosophie qui n’est pas à la portée de leur intelligence, qui ne parle qu’à l’esprit, tandis qu’avec les enfants c’est au cœur qu’il faut parler.
Encore un point sur lequel nous sommes tout d’accord, c’est l’utilité de l’intervention du clergé dans l’enseignement ; la plupart des membres de cette assemblée qui ont pris la parole ont même reconnu la nécessité de cette intervention ; on n’en a contesté que le droit. Ce droit, messieurs, je conviens qu’il n’existe pas, ni en vertu de la constitution ni en vertu d’aucune de nos lois. Mais alors qu’il y a nécessité, c’est un droit qu’il faut consacrer, qu’il est notre intérêt de consacrer. Seulement il est en même temps de notre intérêt d’en régler l’exercice.
Voilà, messieurs, en quoi le projet de 1834 diffère essentiellement du projet actuel. Le projet de 1834 disait, dans l’art, 2 : L’enseignement de la religion est donné sous la direction de ses ministres. Mais je demande en quoi consiste cette direction ? Consistera-t-elle dans de simples conseils, de simples avis ? Mais alors c’est une lettre morte, car l’instituteur, ou l’autorité communale, sera libre de ne pas se conformer à ces avis, à ces conseils. Consistera-t-elle dans la faculté donnée aux ministres du culte de surveiller journellement l’instruction religieuse, d’indiquer au professeur les doctrines qu’il aura a enseigner, d’interdire au professeur la continuation de son enseignement s’il s’écarte de ces doctrines, d’interdire aux enfants l’accès de l’école, de faire de l’éclat ? Si c’est ainsi que vous entendez la direction, alors vous allez bien plus loin que nous.
Ainsi, messieurs, la direction de l’enseignement religieux par le clergé était bien proclamée, mais elle n’était définie en aucune manière. Sous ce rapport, donc, ainsi que l’a déjà fait remarquer M. le ministre de l’intérieur le projet de 1842 est bien plus complet que celui de 1834 ; car l’art. 6 du premier de ces projets consacre l’intervention du clergé ; les premiers paragraphes de l’art. 7 règlent le mode de surveillance ; le dernier paragraphe du même article et l’art. 8 règlent les rapports de l’autorité ecclésiastique avec le gouvernement central. L’art. 21, ainsi que cela a été suffisamment développé, assure l’exécution de la loi. Les art. 25 et 26 règlent le concours des autorités ecclésiastiques dans les examens en ce qui concerne la partie religieuse de l’enseignement.
Vous voyez donc, messieurs, que le projet de loi de 1842 prévoit beaucoup plus que ce qu’avait prévu le projet de 1834.
Il est fâcheux, messieurs, de devoir le dire, mais tous nos dissentiments résultent d’une suspicion qui existe malheureusement contre le clergé, auquel on veut donner, dans notre pays, un caractère politique beaucoup plus prononcé qu’il ne l’a réellement. Cette suspicion, je voudrais la voir détruite, parce que je ne vois pas qu’il y ait des motifs aussi généraux, aussi graves qu’on vent bien le dire, pour la maintenir.
Il est possible que dans quelques circonstances des membres du clergé, animés d’un zèle outré, se soient écartés momentanément des devoirs de leur mission ; aient favorisé les dissensions avec les autorités communales. Mais si, de notre côté nous voulions avoir les mêmes suspicions, ne pourrions-nous pas citer des autorités communales et provinciales qui non seulement ont suscité injustement des difficultés au clergé, mais qui par tous leurs actes, par toute leur conduite ont cherche à jeter la déconsidération sur les ministres d’une religion que cependant elles disent vénérer, pour laquelle elles disent professer le plus profond attachement. Vous voyez donc, messieurs, que si nous voulions avoir les mêmes suspicions, ces suspicions seraient bien légitimes.
Loin de moi, messieurs, de vouloir adresser ceci à toute une opinion, à tout un parti ; ce que je viens de dire s’applique seulement à quelques individus, à quelques cas isolés.
Non, messieurs, nous ne voulons pas la domination politique du clergé ; nous voulons que le clergé se renferme dans la mission divine qui lui est conférée ; mais nous voulons faciliter l’accomplissement de cette mission autant qu’il dépendra de nous, et cela nous le voulons dans l’intérêt de la société.
On nous a cité la France ; mais si l’on avait parcouru les divers ouvrages qui ont été publies par MM. Villemain, Barrau, Cousin, si l’on avait consulté les discussions qui ont eu lieu dans les deux chambres, on aurait remarqué qu’en France on sent un vide affreux, qu’on y déplore amèrement l’absence des principes religieux, qui ont disparu de plusieurs départements, qui n’existent que très faiblement dans les grandes villes. Le gouvernement en France fait maintenant tout ce qu’il peut pour ranimer cet esprit religieux. Ainsi à Paris plus de la moitié des écoles communales sont maintenant dirigées par les frères des écoles chrétiennes, contre lesquels, en 1827 et en 1828, il n’y avait pas assez d’anathèmes. C’est que depuis lors on a reconnu leur excellent enseignement, les garanties qu’ils offrent pour le repos des familles, pour le bonheur des enfants qui leur sont confies. Et nous, messieurs, nous qui n’avons qu’à conserver ce qu’en France on se donne tant de peine à rétablir, nous voudrions le détruire ! Non, messieurs, nous devrions être tous d’accord pour conserver chez nous le sentiment religieux et nous ne devons pas le faire dans l’intérêt de telle ou telle opinion, mais dans l’intérêt de la société en général, dans l’intérêt du peuple dont nous devons assurer le bien-être. (Très bien, très bien.)
M. Brabant. - Jusqu’à présent, messieurs, la discussion n’a porté que sur deux points ; l’on a blâmé la section centrale de s’être écartée du projet de 1834, d’y avoir substitué un projet nouveau. Dans ce nouveau projet, l’on a surtout attaqué l’art. 21 que l’on a considéré comme n’étant rédigé que dans un seul intérêt, dans l’intérêt religieux. Le caractère des auteurs du projet de 1834 est trop honorable pour qu’ils attachent une grande importance à un projet qui ne différait de celui dont nous nous occupons que dans les termes. Je croyais, moi, que la section centrale n’aurait reçu que des éloges de la part de deux nouveaux membres qui ont particulièrement attaqué son travail. Dans la discussion de la loi communale, j’ai éprouvé un certain plaisir lorsque l’honorable M. Lebeau a, pour ainsi dire, provoqué la section centrale, lorsque je l’ai entendu dire : Nous verrons ce que feront dans la loi sur l’instruction les partisans du pouvoir central.
Eh bien, messieurs, il y a eu des conversions, et ce ne sont pas ces messieurs qui se sont rapprochés de nous, c’est nous qui nous sommes rapprochés d’eux. Le projet de 1834 peut être divisé en 3 parties ; il traite de 3 matières : les obligations des communes, quant à l’établissement des écoles ; l’autorité chargée de procurer l’accomplissement de ces obligations ; ensuite la part du gouvernement pour l’établissement d’écoles modèles, pour l’établissement d’écoles normales.
Je dis d’abord que dans la partie essentielle, dans la partie constitutive de l’enseignement, le projet de la section centrale diffère très peu du projet de 1834, et je crois que la seule différence qu’il y ait entre les deux projets ne consiste qu’en ce que la section centrale dispense la commune d’établir une école officielle, lorsque la députation du conseil provincial reconnaît qu’il est complètement satisfait aux besoins de l’enseignement par les écoles privées.
Maintenant, en ce qui concerne les autorités chargées de veiller à l’exécution de la loi, on nous a accusés d’annuler la province ; nous verrons tout à l’heure si nous avons fait à la province une part moins large que les auteurs du projet de 1834 ; mais à coup sûr, nous n’avons pas annulé le pouvoir royal, car il a une part assez belle dans le projet de la section centrale.
Le projet de 1834, sur ses 23 articles qui étaient consacrés à l’instruction primaire, en avait 8 où il était parlé d une commission nommée par le conseil provincial ; 3 articles parlaient de la députation permanente, et un article attribuait des pouvoirs au conseil provincial lui-même. Quoique vous ayez le projet sous les yeux, je vous demanderai la permission de lire ces articles
« Art. 4. Une commission d’instruction publique, composée de six membres et nommée par le conseil provincial, veille à l’exécution des articles précédents et remplit les autres fonctions déterminées ci-après.
« La commission choisit son président et son secrétaire ; ce dernier peut être pris hors de son sein : elle est renouvelée par tiers tous les deux ans ; les membre sortants sont rééligibles. »
« Art. 6. S’il n’existe pas d’école communale ou d’école privée adoptée par la commune, réunissant les conditions prescrites par les art. 1, 2 et 3, la commission provinciale requerra le conseil communal d’en créer une dans un délai prescrit, en l’informant qu’en cas d’insuffisance de ses ressources, des subsides seront accordés sur les fonds provinciaux. »
« Art. 8. Il y aura près des écoles communales qui reçoivent des subsides de la province, un comité local de surveillance, composé du bourgmestre et de trois citoyens notables choisis par la commission provinciale dans liste double de candidats, présentée par le conseil communal.
« Le curé dans la paroisse duquel l’école est établie, ou le ministre du culte professé par la majorité des habitants de la commune, sera de droit membre du comité. »
« Art, 10. La commission provinciale, après avoir pris l’avis du comité local, présente au moins trois candidats, de la capacité et de la moralité desquels elle s’est assurée ; l’instituteur est choisi par le conseil communal, parmi ces candidats. »
« Art. 12. La commission provinciale pourra révoquer l’instituteur, soit d’office, soit sur la proposition du conseil municipal ou du comité local. Dans tous les cas, le conseil et le comité sont consultés, et l’instituteur entendu ou appelé. »
« Art. 14. Un règlement arrêté par le conseil municipal, sur la proposition du comité local, et approuvé par la commission provinciale, déterminera la rétribution des élèves, les heures du travail, les vacances, le mode de punition et de récompense. »
L’intervention de la commission dans les écoles modèles était déterminée par les articles 21 et 23.
C’était une autorité qu’aurait créée le projet de 1834, s’il avait été adopté. Voici la part qu’on faisait à une autorité déjà existante, qui a reçu, sinon une organisation bien différente, mais du moins un caractère de stabilité par la loi de 1836, je veux parler de la députation du conseil.
Comme j’ai déjà eu l’honneur de le dire, ce pouvoir se trouve indiqué dans les articles 7, 13 et 22. Ces articles sont ainsi conçus :
« Art. 7. Si le conseil ne défère pas à cette injonction, la députation permanente, sur le rapport de la commission, portera d’office au budget communal une somme pour l’érection de l’école, et déterminera le subside provincial, s’il y a lieu.
« En cas de contestation entre le conseil municipal et la commission, la députation permanente décidera. »
« Art. 13. Le traitement de l’instituteur est fixé par le conseil municipal sous l’approbation de la députation permanente. Ce traitement ne peut être moindre de fr. 300. L’instituteur a droit, en outre, une habitation ou à une indemnité de logement. »
« Art. 22. Un règlement du conseil provincial déterminera l’indemnité à accorder à la commission provinciale, pour frais de déplacement, de présence, de bureaux et pour le traitement du secrétaire.
« Le traitement ne sera pas au-dessous de fr. 1,000. »
Vous voyez, messieurs, qu’on ne faisait pas un part bien large aux pouvoirs alors existants. Le conseil provincial nommait les six membres composant la commission ; c’était cette commission qui était véritablement le pouvoir souverain en matière d’instruction primaire ; il n’y avait pas de recours contre ses décisions auprès du pouvoir central.
Ces attributions, à l’exception de la présentation des candidats à faire au conseil communal pour la nomination de l’instituteur, ont été conférées en partie au pouvoir central, et le droit de surveillance, le droit d’information a été déféré aux inspecteurs cantonaux et provinciaux.
Messieurs, j’ai longtemps hésité sur le système qui était alors proposé. Dans mes idées d’alors, je n’aurais pas voulu de cette commission. Il existait à cette époque un corps qui, à mes yeux, n’était pas tellement surchargé de travail qu’il n’aurait très bien pu exercer la surveillance des écoles ; ce corps l’aurait pu d’autant plus facilement qu’en vertu des lois de l’époque dont les dispositions ont été en grande partie conservées par les lois organiques de 1836, il était en rapport constant avec les communes, il approuvait leurs budgets, il arrêtait leurs comptes, il connaissait leur situation financière, et il se trouvait beaucoup mieux informé, pour statuer sur les difficultés pécuniaires qui pouvaient se présenter dans l’exécution du projet.
Eh bien, j’ai pensé qu’il valait mieux en arriver à l’action centrale ; inutile de développer ici les motifs de cette opinion ; ce n’est pas parce que le ministère a changé ; j’aurais manifesté cette opinion sous l’administration de M. de Theux ; je l’aurais conservée sous le ministère de M. Lebeau, et je la conserverais encore si une administration à laquelle je ne pourrais pas donner mon concours politique venait à s’établir ; du reste les ministères étant changeants, et le caractère de la loi étant permanents, je sais bien que ce que nous faisons sous M. Nothomb durera longtemps après que M. Nothomb ne sera plus au pouvoir, ne sera plus de ce monde (hilarité) ; s’il en est ainsi, cela prouvera que nous avons fait une bonne loi.
Ainsi donc, j’ai été fort étonné de l’opposition qu’a rencontrée chez les honorables MM. Devaux et Rogier, la part que nous avons faite au pouvoir central, pouvoir que ces honorable membres nous reprochent ailleurs d’avoir eu en défiance, d’avoir déclarer incapable d’intervenir dans la matière dont nous nous occupons.
Maintenant la section centrale a-t-elle enlevé au pouvoir central la part qui lui avait été faite dans le projet de 1834 ? Ici je réponds avec la plus grande assurance : non, nous ne lui avons pas enlevée ; nous lui avons donné au moins ce qu’il demandait en 1834, et nous lui avons laisse la réalité de ce qu’on lui accordait alors.
L’honorable M. Rogier nous a dit il y avait trois écoles normales dans le projet de 1834, et vous n’en avez plus que deux.
Messieurs, il n’y avait dans le projet de 1834 qu’une seule école normale prescrite, et aujourd’hui il y eu a deux ; je ne veux pas ici faire une mauvaise plaisanterie, mais cette différence de 2 à 3 ne nous donnait qu’une école normale, et une que nous avons maintenant en sus, vaut mieux que deux tu l’auras.
D’ailleurs, aurions-nous eu besoin à cette époque de trois écoles normales ? Il est possible que le principe dont la section centrale est partie pour proposer une école normale pour chaque subdivision du royaume ou l’on parle un idiome différent, fût appliqué à trois écoles normales en 1834, parce qu’alors il y avait une partie du pays où l’on parlait un troisième idiome, je veux parler de la partie du Luxembourg qui a été malheureusement cédée. Les habitants qui parlent encore l’allemand dans le Luxembourg belge actuel forment, si je suis bien informé, une fraction si infime qu’il devient inutile d’établir pour eux une école normale.
La section centrale propose donc, dans son projet, d’établir immédiatement deux écoles normales, l’une pour les provinces flamandes, l’autre pour les provinces wallonnes.
Quant aux écoles modèles, les établissements de ce genre existants sont maintenus, et l’on autorise le gouvernement dans l’art. 18 à en créer d’autres, avec le concours des communes, là où le besoin s’en fera sentir. Voici cet article 28 :
« Art. 28. Les écoles modèles du gouvernement actuellement existantes sont maintenues.
« Elles porteront te titre d’écoles primaires supérieures.
« Le gouvernement veillera à ce que des cours de pédagogie y soient donnés, spécialement aux époques des vacances.
« Le gouvernement pourra, avec le concours des communes, sur l’avis de la députation permanente du conseil provincial, créer des écoles primaires supérieures dans les localités où le besoin s’en fera sentir.
« Toutefois, les arrangements à intervenir à cet effet, ne recevront leur exécution qu’après le vote législatif de la part contributive de l’Etat. »
Eh bien, c’est identiquement la même chose que le projet de 1834, car il n’y avait pas obligation pécuniaire ; il était toujours libre à la législature de dire au gouvernement : ce n’était pas une prescription, mais simplement une faculté qui était accordée au gouvernement ; et toutes les facultés de ce genre données au gouvernement se résolvent en une question d’allocation.
Une chose que l’honorable député de Bruges paraît avoir beaucoup regrettée, c’est une suppression réelle faite par la section centrale dans le projet de 1831. C’est la suppression du comité local.
M. Devaux. - J’ai principalement attaché de l’importance au comité provincial.
M. Brabant. - Vous avez aussi, je pense, parlé du comité local. Eh bien, quant au comité local, je crois que l’honorable membre, comme il me le confirme lui-même en ce moment, ne pouvait pas tenir à ce comité. Si c’est une commune éclairée, il y a quasi toujours une commission du conseil communal qui s’occupe particulièrement des écoles, et elle en a le droit, aux termes de la loi communale, qui autorise le conseil à faire un règlement d’ordre et à conférer certaines attributions particulières à une commission prise dans son sein. Si c’est une petite commune, une commune pauvre, peu éclairée ; eh bien, l’honorable membre lui a fait son procès, et certainement ce n’est pas quand un conseil communal est incapable qu’il fera de bons choix on qu’il trouvera matière à en faire.
Quant au comité provincial, il était composé de six membres. Je suppose qu’en général, outre les attributions qui sont dans la loi, ils auraient exercé une certaine inspection. Eh bien, aujourd’hui, nous avons créé des inspecteurs pour dire ainsi dans la localité, dans le canton ; j’ai la confiance que le gouvernement nommera dans chaque localité à ces fonctions un homme considéré par ses lumières, lequel exercera une grande influence sur l’instituteur avec qui le voisinage lui permettra d’avoir des relations beaucoup plus fréquentes et plus efficaces, que n’en auraient eu des personnes résidant habituellement au chef-lieu de la province.
Messieurs, on a vu des garanties dans le projet de 1834, mais on n’a pas voulu en voir dans le nôtre. L’on a, par exemple, demandé comment l’on pourrait contraindre la commune à faire les frais de son école. Mais messieurs, indépendamment de la disposition qui autorise la députation du conseil provincial à fixer la dépense à faire dans l’école, l’art. 16 porte :
« Art. 16. Les frais de l’instruction primaire sont à la charge des communes. La somme nécessaire à cet objet sera portée annuellement au budget communal parmi les dépenses obligatoires dont il est parlé à l’art. 131 le la loi communale. »
Si l’on n’a pas été plus loin, c’est que cela était parfaitement inutile : la loi communale y avait pourvu. Déjà dans le paragraphe 10 de l’article 131 de cette loi, on rangeait dans les dépenses obligatoires les frais que la loi de l’instruction publique met à la charge des communes.
Le conseil communal décidera là-dessus. Mais l’art. 18 vient à répondre que c’est à la députation provinciale à prononcer. Les frais de l’instruction primaire, dit cet article, sont à la charge des communes. La somme nécessaire à cet objet sera portée annuellement au budget communal parmi les dépenses obligatoires dont il est parlé à l’art. 131 de la loi communale. Mais est-ce la commune, aux termes de la loi communale, qui est juge du montant de ces dépenses obligatoires ? Mais l’art. 135 dit :
« Art. 135. Dans tous les cas où les conseils communaux chercheraient à éluder le paiement des dépenses obligatoires que la loi met à leur charge, en refusant leur allocation en tout ou en partie, la députation permanente du conseil provincial, après avoir entendu le conseil communal, portera d’office la dépense au budget dans la proportion du besoin. »
Vous voyez qu’en vertu de cette disposition la députation permanente est autorisée à régler les frais de l’école, et que si le conseil communal, par mauvaise volonté, ne portait pas à son budget une somme suffisante, la députation permanente du conseil provincial, après avoir entendu le conseil communal porterait cette somme d’office.
Mais, nous a-t-on dit, croyez-vous que le conseil fera cela, en présence de l’obligation que vous avez créée pour lui d’établir deux centimes additionnels sur ses contributions directes pour pourvoir à l’insuffisance des fonds communaux ? Pour cela on a partagé les conseils provinciaux en deux fractions qui divisent le pays, et comme de raison, le côté libéral a eu les honneurs. C’est ce conseil provincial dont l’action est si vivement regrettée par l’honorable député de Bruges, c’est ce conseil provincial qui a l’esprit assez étroit qui comprend assez mal son mandat pour refuser les deux centimes additionnels, à qui on voulait donner toute la direction de l’enseignement primaire. Il y a là contradiction.
Messieurs, j’arrive maintenant à ce que je ne peux considérer que comme un malentendu. C’est la disposition qui nous a occupés le plus. Sauf le déplacement d’autorité, je vois dans le projet de 1834 ce que nous avons dans l’art. 21 du projet actuel.
L’article 6 portait : « S’il n’existe pas d’école communale ou d’école privée adoptée par la commune réunissant les conditions prescrites par les art. 1, 2 et 3, la commission provinciale requerra le conseil communal d’en créer une dans un délai prescrit, en l’informant qu’en cas d’insuffisance de ses ressources, des subsides seraient accordés sur les fonds provinciaux. »
L’art. 7 statuait qu’à défaut par la commune de satisfaire à cette injonction, il y serait pourvu d’office par la députation permanente. Eh bien, dans l’art. 21 on n’a vu que l’absence de l’instruction religieuse. Il fallait y voir les dispositions obligatoires de la loi. Mais l’absence de l’instruction religieuse plaçait l’école qui se serait refusée à la donner, dans la situation où l’art. 21 la placera aujourd’hui, car l’art. 2 du projet de 1834, comme l’art. 6 du projet de la section centrale, rangeait parmi les matières obligatoires l’instruction morale et religieuse.
« Art. 2. L’instruction primaire comprend nécessairement l’instruction morale et religieuse, la lecture, etc.
« L’enseignement de la religion est donnée sous la direction de ses membres. »
Ainsi, si l’école communale ou l’école privée adoptée par la commune, veut satisfaire à cette obligation de donner l’enseignement religieux et de le donner sous la direction du ministre du culte, si elle ne le faisait pas, elle était placée hors des conditions que la loi avait voulu établir ; et la commission, à moins de manquer à son devoir, devait en provoquer la suppression, requérir le conseil communal d’en créer une et à défaut par le conseil de satisfaire à cette injonction la députation du conseil provincial l’y contraignait.
Messieurs, l’honorable M. Rogier a témoigné contre le clergé une défiance que ses rapports nombreux avec lui pendant une longue administration n’avaient pas dû établir. Je suis persuadé que ces résistances, ces mauvaises volontés dont il a parlé, il les a très rarement rencontrées, Mais il voit un intérêt de la part du clergé à venir contrarier, à venir décrier, anéantir, si possible, les écoles qui seront fondées en vertu de la loi que nous discutons.
Messieurs, ne vous trompez pas à cet égard. Le clergé a établi les écoles, elles sont nombreuses, mais il ne demanderait pas mieux que de voir l’autorité publique en établir de si bonnes que les siennes devinssent inutiles. Toutes les écoles établies sous le patronage du clergé sont entretenues avec les deniers provenant de la charité des fidèles. L’autorité publique se montre si parcimonieuse quelquefois, si avare, je dirai quasi si injuste vis-à-vis des établissements libres, que c’est une charge qui est devenue presque intolérable.
Il y a des communes, je citerai celle à laquelle j’appartiens, nous n’avions pas eu depuis la révolution française d’école primaire rétribuée par l’autorité, et cela jusqu’en 1818. C’est alors qu’on a fondé les écoles des frères des écoles chrétiennes. Si le roi Guillaume les a supprimées en 1825, il les a remplacées. Elles avaient produit de si bons effets pendant les sept ans qu’elles avaient dirigé l’enseignement à Namur, qu’on s’est empressé de les rappeler quand les événements l’ont permis. Depuis lors ces pauvres frères ne reçoivent pas un denier de la commune pour l’enseignement. Aujourd’hui, j’ai vu que le conseil communal avait été rigoureusement blâmé pour avoir accordé une allocation une fois donnée de 500 francs pour bâtir une maison.
Messieurs, la question de l’enseignement primaire est une question irritante en Belgique. Mais pourquoi ? De quel côté les plaintes seraient-elles fondées ? Dire votre situation, c’est provoquer de la part de chacun de vous une réparation, car tous vous êtes loyaux et d’honnêtes gens, c’est vous prouver que nous aurions droit de vous plaindre. Ainsi pour la commune dont je parlais tout à l’heure, il y a trois écoles qui reçoivent des pauvres. Une est largement payée par la commune et reçoit encore un subside du gouvernement ; une école dominicale uniquement destinée à enseignement le catéchisme aux enfants a changé de caractère et est devenue quotidienne ; nous avons en troisième lieu les frères des écoles chrétiennes.
On ne donne rien pour l’école des frères, et cependant ils ont de neuf cent à mille enfants. Dans les autres il n’y en a à l’école communale que deux cents et à l’école dominicale que cent vingt.
Nous sommes obligés de faire à nos frais, à la décharge d’une obligation de la commune, la dépense de l’instruction de ces neuf cents à mille enfants. Si on comptait l’instruction due aux filles, on verrait que cette instruction n’est donnée à peu près que par les corporations religieuses dans les villes de la Belgique. Je n’attaque pas les administrations qui n’ont pas cru devoir accorder de subsides à ces établissements. C’est une prévention ; on en reviendra, les passions vives ne peuvent guère durer. La vivacité de nos dissentiments politiques existants aujourd’hui s’amoindrira. Noirs reconnaîtrons qu’il y a une obligation essentielle à laquelle nous ne pouvons nous soustraire, celle de respecter l’égalité de tous les Belges devant la loi, celle de ne pas permettre à une seule opinion de profiter des deniers qui se perçoivent sur tous les contribuables.
J’ai tâché de justifier le projet de la section centrale. Je crois l’avoir fait sans amertume. J’ai exposé ce que je crois les justes griefs de mon opinion. Je l’ai fait avec douleur, mais non avec amertume.
J’espère, car j’ai trop de confiance dans le caractère honorable, dans les hautes lumières des auteurs du projet de 1834 pour ne pas croire qu’ils persisteront dans le désir d’un changement auquel on paraissait attacher une assez grande importance, dans le désir d’une conversion qui nous rapproche ; je ne sais trop cependant si nous pourrons les atteindre, car ils paraissent fuir...
M. Devaux. - Vous ne vous rapprochez qu’en apparence.
M. Brabant. – Démontrez-le.
J’espère que quand nous aurons bien examiné le projet de la section centrale, car je ne suis pas persuadé qu’on l’ait étudié, on s’entendra. Si on parvient à s’entendre, cette malheureuse division politique, qui a pris naissance dans la loi sur l’instruction, s’effacera, pour le bonheur de notre pays.
M. Orts. - M. le ministre de l’intérieur est revenu aujourd’hui sur l’explication qu’il a donnée au dernier paragraphe de l’art. 21 qui m’avait hier satisfait. Mais j’ai encore entendu élever des doutes sur le véritable sens de ce paragraphe, et comme je pense qu’on ne peut jamais être assez clair et qu’un (erratum Moniteur belge n°224 du 12 août 1842) mot exprime souvent la pensée de tout le monde, j’ai cru pouvoir formuler un sous-amendement qui se rapproche, à un mot près, de l’amendement de M. le ministre de l’intérieur, car je n’ajoute qu’un mot.
Le dernier paragraphe de l’amendement présenté par M. le ministre de l’intérieur est ainsi conçu :
« Lorsque les abus constatés constituent la non exécution de l’une des conditions essentielles de la loi, et que l’autorité dirigeant l’école se refuse à les faire cesser, les subsides communaux, provinciaux et de l’Etat sont retirés par un arrêté royal motivé et inséré au Moniteur. »
Je propose de rédiger ainsi le commencement de ce paragraphe :
« Lorsque les abus sont constatés et reconnus par le gouvernement constituent, etc.
(Moniteur belge n°224, du 12 août 1842) M. Verhaegen. - J’ai demandé la parole à la fin du discours de M. le ministre des affaires étrangères, parce que je ne voulais pas laisser clore la séance sans vous en faire apprécier la portée.
Je trouve dans le discours de l’honorable M. de Briey un démenti à toutes les assertions de son collègue de l’intérieur, et il ne sera pas inutile, en définitive, de demander une réponse catégorique au cabinet, à cet être moral qu’on appelle gouvernement, à moins toutefois qu’on ne soit convenu d’admettre que l’honorable M. Nothomb résume en lui tout le ministère, et que, quand il parle, il parle au nom du gouvernement, ce qui effacerait complètement M. le ministre des affaires étrangères.
M. Nothomb a donné beaucoup d’explications, quant à l’art. 21 ; et par suite quelques-uns de mes honorables amis ont eu leurs apaisements, bien entendu sur cette question spéciale seulement. Mais M. le ministre des affaires étrangères est venu faire, contrairement à ses habitudes, un assez long discours (on rit), dans lequel se trouve complètement détruit ce qui a dit et répété sur ce point M. le ministre de l'intérieur. Nous nous étions déjà aperçu qu’il n’y avait pas, quant à la question vitale qui s’agite, accord entre ces deux membres du cabinet. Noua avions eu l’occasion de remarquer que les explications données par l’honorable M. Nothomb ne convenaient aucunement à M. le ministre des affaires étrangères ; et c’est probablement pour suivre son plan personnel que ce dernier a juge à propos dans le discours qu’il vient de prononcer, de formuler un programme. Il s’est dit sans doute qu’en agissant ainsi et en faisant insérer ses explications au Moniteur, on pourrait, en cas de silence de notre part, donner à la loi, si elle était adoptée, une autre portée que celle que comportent les déclarations de M. Nothomb. Il est bon de savoir ce qui en est.
Je ne pense pas que le gouvernement veuille procéder par surprise. Je dois reconnaître, sans prendre toutefois aucun engagement sur l’art. 21, ni même sur sa nouvelle rédaction, que des explications catégoriques ont été données par l’honorable M. Nothomb. Ces explications restent-elles ? ou bien sont-elles considérées comme non avenues par suite du programme de M. de Briey ? Voilà ce que je désire savoir ; et c’est pour cela que je demande au ministère ce qu’il veut. Je le demande à l’être moral appelé gouvernement, car jusqu’à présent j’ignore si messieurs les ministres de la justice, des travaux publics et des finances adoptent l’opinion de leur collègue de l’intérieur ou s’ils admettent le programme de leur autre collègue M. de Briey.
M. le ministre des affaires étrangères m’interrompt et me demande en quoi consiste cette différence entre son opinion et celle de M. Nothomb. Je vais le lui dire à l’instant même. Cette différence porte sur le point culminant de la discussion, sur la question vitale qui nous occupe. L’opinion émise par M. le ministre des affaires étrangères est relative à l’art. 21. Il n’est pas partisan du changement qu’y avait apporté son collègue de l’intérieur. Sa conduite d’hier nous le faisait croire déjà et la rédaction de son programme en est aujourd’hui la preuve irréfragable.
M. Nothomb nous a dit d’une manière explicite que si le clergé s’abstenait sous aucun motif, c’est-à-dire que si, sans pouvoir inculper l’instituteur sous le rapport de l’enseignement religieux, il ne voulait pas intervenir dans les écoles communales, et dit que cela fût prouvé par une enquête à faire par l’autorité civile, le gouvernement ne retirerait pas le subside. M. le ministre des affaires étrangères, au contraire, prétend dans son programme que le clergé seul est compétent pour constater tout ce qui a rapport directement ou indirectement à l’enseignement religieux, d’où il tire la conséquence que si de mauvais livres étaient mis entre les mains des élèves, quels qu’ils fussent…
M. Eloy de Burdinne. - Il faudrait les brûler.
M. Verhaegen. - C’est une opinion comme une autre ; mais toujours est-il que dans le système de M. le ministre des affaires étrangères, ces livres concernassent-ils l’instruction religieuse ou l’instruction proprement dite, celle des langues de l’arithmétique, de la géographie ou de l’histoire, une fois que le curé, seul compétent, les aurait trouvés mauvais, contraires à la religion ou à la morale, il faudrait retirer le subside. N’est-ce pas rendre le clergé souverain maître de toute l’instruction primaire ?
M. le ministre des affaires étrangères a ajouté que si dans l’école ou hors de l’école l’instituteur, par ses actes ou par ses paroles, donnait de mauvais exemples, le subside serait également retiré et ce serait encore une fois le clergé qui, à cet égard, exercerait seul son contrôle. (Dénégation de la part de M. le ministre des affaires étrangères.)
À moins que d’ici à demain M. le ministre des affaires étrangères ne retouche son discours, vous lirez dans le prochain numéro du il tout ce que j’ai eu l’honneur de vous rappeler. Dans l’opinion de M. de Briey, c’est sur le rapport des membres du clergé, qu’il considère comme seuls compétents, que le subside doit être retiré, et s’il plaît un jour (ce n’est qu’un exemple entre mille que je cite), s’il plaît au clergé qui dirigera les écoles communales, de décider que les élèves sont tenus d’aller tous les jours à la messe et que l’instituteur juge à propos de ne pas déférer à cet ordre, et se borne à les y conduire les dimanches et fêtes en observant d’ailleurs tous les principes de la religion…
M. Dumortier. - Quel mal y aurait-il à une telle décision ?
M. Verhaegen. - C’est encore une opinion comme une autre ; mais à laquelle je ne répondrai pas pour le moment. J’ai fait une supposition et je dis que dans ce cas, sur le rapport du clergé, seule autorité compétente, si l’on a adopte le programme de M. le ministre des affaires étrangères, le subside devrait être retiré.
M. Dubus (aîné). - Pas du tout.
M. Verhaegen. - D’après les explications de M. le ministre des affaires étrangères, cela est évident. Il est certain que nous retombons dans la position où nous étions avant la nouvelle rédaction de l’art. 21 et que ce qu’a dit l’honorable M. Nothomb se trouve annulé par les prétentions de M. de Briey que je qualifie d’exorbitantes. Je désire que ces messieurs s’entendent, et que nous ayons une réponse catégorique du gouvernement ou du membre du cabinet qui le représente ; un honorable préopinant nous a dit que la discussion actuelle était de nature à jeter de l’irritation dans la chambre et dans le pays. Il a fait de nouveau un appel à la conciliation. Il ne s’agit, a-t-il dit, que de s’entendre, de mettre de côté toute suspicion injuste contre le clergé. Naguère encore, un journal, organe de son opinion, faisait, mais un peu tard, un appel à l’ancienne union. Certes tous, nous donnerions les mains à une réconciliation, mais nous ne voulons pas une seconde fois être dupes, nous voulons, avant tout, avoir l’assurance qu’on respectera sans arrière-pensée le pacte de 1831. Il faudrait qu’une bonne fois on se décidât à subir toutes les conséquences de la constitution ; il faudrait qu’on renonçât à ces prétentions injustes de tout avoir et de ne rien donner ; il faudrait qu’en profitant largement des libertés que la loi fondamentale a octroyées, on se soumît aussi aux obligations qu’elle impose ; mais entendons-nous bien : Ce ne sont pas des mots qu’il nous faut ce sont des faits.
Je vous disais hier que l’indépendance de l’Eglise était proclamée dans la constitution et que nous voulions en subir toutes les conséquences et à cet égard il n’y a pas, de notre part, la moindre arrière-pensée ; mais alors admettez aussi avec nous la complète indépendance du pouvoir civil ; admettez-la en fait et ne vous bornez pas à ses paroles.
Encore une fois vous portez atteinte à l’indépendance du pouvoir civil par les prétentions que vous élevez au sujet de la loi sur l’instruction primaire. En effet si vous considérez l’intervention du clergé, soit comme un droit préexistant, soit comme un droit nouveau que vous allez lui donner par la loi, vous absorbez le gouvernement central au profit de l’Eglise.
Voici, messieurs, où nous différons complètement d’opinion. Et M. le ministre des affaires étrangères a eu tort de vous dire que je n’étais pas bien loin de m’entendre avec l’honorable M. Dechamps. Nous différons d’opinion du tout au tout.
Je veux que l’instruction soit religieuse, et je trouve que l’intervention du clergé peut être utile. Mais je n’admets pas l’intervention du clergé comme un droit. Je pense que le gouvernement fait bien d’user de son influence, s’il écrit dans la convention, qui doit être bilatérale, de bonnes garanties, et autrement pas.
Messieurs, aux observations que je me suis permis de vous soumettre, je crois devoir encore en ajouter quelques autres. Je sais bien que le terrain sur lequel je me place, est glissant ; je sais que ceux auxquels je réponds, se mettent dans une position bien plus avantageuse, et qu’il est désagréable peut-être pour nous de devoir dire toute notre pensée. Mais comme député j’ai un devoir à remplir, et ce devoir, je suis décidé à le remplir jusqu’au bout. Je suis donc obligé à dire, sur cette question comme sur toutes celles qui pourraient se présenter encore, mon opinion tout entière.
Vous donnez au clergé une entière indépendance, et vous voulez le soustraire à tout contrôle, soit ; vous ne voulez pas qu’une autorité quelconque puisse s’immiscer en aucune manière dans tout ce qui peut concerner l’exercice du culte, soit encore ; mais vous voulez plus, vous voulez que le clergé puisse s’immiscer dans les affaires de l’Etat, et voilà ce que moi, je lui refuse obstinément. Ce que je soutiens entre autres, c’est que, quand le gouvernement a créé des écoles publiques et y donne l’entrée au clergé, il doit stipuler des conditions, des garanties. Je soutiens que ces garanties doivent être appréciées par nous, législateurs, et que si elles ne nous paraissent pas suffisantes, nous devons subir la nécessité, c’est-à-dire nous passer de l’intervention cléricale, tout utile qu’elle puisse être. Voilà en deux mots toute mon opinion.
C’est déjà ce qui est arrivé avant qu’il ne fut question de la loi actuelle. Dans certaines localités, à Liége, si je ne me trompe, on avait demandé l’intervention au clergé dans les écoles communales. Le clergé s’est abstenu ; qu’a fait le conseil communal ? Par une délibération motivée, il a déclaré qu’il se passerait de l’intervention du clergé. Eh bien ! le gouvernement en pareille circonstance ne peut que suivre cette ligne de conduite et c’est ce que je voudrais voir formuler dans le projet de loi.
M. le ministre de l'intérieur nous dit constamment : « Vous voulez trouver un moyen coercitif contre le clergé et il n’y en a pas ; la constitution y porte obstacle. »
Je suis d’accord à cet égard avec M. le ministre, car la constitution établit l’indépendance complète de l’Eglise, mas c’est justement parce qu’elle établit cette indépendance que le projet de 1842, aussi bien que celui de 1834 est inacceptable, je dirai même que ces projets sont en contradiction avec les principes du pacte de 1831, à moins de doubler et de tripler l’autorité de l’Eglise.
Messieurs, ne nous y trompons pas, et je le dirai au risque de déplaire à certaine opinion, le clergé n’a aucun pouvoir, d’après la constitution, dans l’Etat ; il se trouve complètement effacé ; son influence peut être utile ; son pouvoir moral peut être grand ; mais s’en servent ceux qui veulent, et ceux qui n’en veulent pas s’en passent. Voilà les principes qui nous régissent en Belgique, il n’y en a pas d’autres.
Et cependant, d’après la loi que vous allez faire, vous donnez au clergé l’entrée des écoles communales ; vous lui donnez la plus grande part dans l’enseignement primaire. Vous ne pouvez exercer, quant à son enseignement, aucun contrôle ; lui, au contraire, exerce sur le vôtre une surveillance de tous les jours, il y a plus : l’existence de votre enseignement se trouve entre ses mains ! !
Et ce n’est pas encore tant le veto du clergé sur lequel on a fixé votre attention depuis plusieurs séances, qui doit amener de graves conséquences, c’est bien plus son action directe, et cette action directe, vous ne pourrez pas l’éviter.
N’est-il pas absurde de soutenir que, sous prétexte de l’enseignement religieux, le clergé pourra, quant à sa conduite dans les écoles publiques, où l’entrée lui est accordée, se soustraire à tout contrôle du gouvernement ?
Messieurs, tout est possible, et ce qui n’est pas possible aujourd’hui, peut l’être dans quelques années. Je suppose que dans une école, sous prétexte d’instruction religieuse, on enseigne des principes subversifs du gouvernement civil (et la chose est assez sérieuse pour que M. le ministre de l'intérieur veuille à donner toute son attention) ; je suppose qu’on touche aux principes de la constitution, qu’on décrie le gouvernement, qu’on attaque la liberté de la presse, la liberté d’association, qu’on conteste même les droits et prérogatives du monarque ; enfin, qu’on attaque l’édifice que nous avons construit en 1830 ? Quels moyens aura le gouvernement d’y porter remède ? Empêchera-t-il le curé de continuer son instruction ? Mais il ne le pourra pas, car c’est un droit que le curé aura d’après la loi. On lui dira : « Votre enseignement ne convient pas ; votre enseignement est subversif de l’ordre établi en Belgique ; » il répondra : : « Mon enseignement ne regarde personne, personne n’est compétent pour apprécier mon enseignement religieux. »
Messieurs, je suis ici pour dire toute ma pensée, et je n’userai d’aucun ménagement. Il est écrit quelque part qu’on ne peut se sauver que dans la religion catholique, et vous ne pourrez pas empêcher d’enseigner ce principe. Eh bien si, à une certaine époque (ce n’est qu’une supposition et j’espère que cela n’arrivera jamais), on allait, comme conséquence de ce principe, enseigner dans les écoles communales, que le roi d’un peuple catholique doit être nécessairement catholique ?
Cela fait rire ; mais cela n’est pas risible. Les prétentions vont toujours en augmentant et dans un temps plus ou moins éloigné, on pourrait bien en arriver là. Au reste, ce n’est qu’une supposition. Dieu veuille qu’elle ne se réalise pas.
M. Dumortier. - On ne peut pas nommer le roi dans cette enceinte.
M. Verhaegen. - J’ai fait une supposition, j’ai parlé par abstraction.
M. Dumortier. - C’est une supposition bien gratuite.
M. Verhaegen. - Dans votre opinion, soit ; dans la mienne peut-être.
Eh bien ! je suppose que dans une école communale on enseigne de pareils principes, y a-t-il un homme gouvernemental quelconque qui puisse admettre une pareille position ?
Et cependant vous n’auriez aucun moyen d’empêcher de semblables abus !
Un membre. - L’art. 21.
M. Verhaegen. - L’art. 21 ne s’applique point à l’espèce, vous ne pourriez appliquer qu’une disposition légale qui viendrait à votre aide, et une semblable disposition vous ne l’avez pas. L’art. 21 vous donne dans certains cas le droit de faire fermer l’école en retirant les subsides ; mais il n’y a aucun article en vertu duquel vous puissiez fermer la porte à un membre du clergé alors que son enseignement serait subversif de l’ordre établi dans le pays.
En France, messieurs, la position est bien différente ; en France, comme je le disais hier, il existe un conseil d’Etat auquel on peut appeler comme d’abus ; là le pouvoir civil exerce un contrôle sur le pouvoir ecclésiastique, tandis qu’ici le pouvoir ecclésiastique est tout à fait indépendant, et c’est précisément là ce qui sera un obstacle constant en Belgique à la confection d’une bonne loi sur l’instruction primaire, si à côté de ce pouvoir indépendant que possède le clergé, vous ne donnez pas à l’autorité civile l’influence qui lui est nécessaire, et que lui accorde la constitution. Si vous admettez le système monstrueux qui vous est proposé, vous ne faites ni plus ni moins qu’abandonner l’existence du gouvernement au bon plaisir du clergé ; si vous donnez au clergé le droit absolu d’entrer dans vos écoles sans qu’il soit contrôlé d’une manière quelconque ; si vous lui permettez d’y enseigner tout ce qu’il voudra, sans que vous ayez même le droit de faire la moindre observation, le pouvoir civil, je le répète de nouveau, est absorbé par le pouvoir ecclésiastique.
Et que serait-ce encore si dans cette instruction l’on venait rappeler ce que mes adversaires, dans d’autres circonstances, ont appelé des vieilleries ; si l’on exhumait de nouveau des anciennes éditions de catéchismes et d’autres ouvrages (interruption) ; je ne veux point effaroucher vos oreilles, mais je dois dire tout ma pensée ; si n’importe quelles doctrines contraires aux lois venaient à être enseignées dans les écoles communales sous le nom de doctrines religieuses, vous n’auriez aucun moyen de l’empêcher ! car si la loi passe, le clergé enseignera dans vos écoles, tout ce qu’il voudra sous le nom de religion et surtout de morale !
L’honorable M. Cogels disait tout à l’heure que la morale est inséparable de la religion : en effet, la religion catholique, c’est la morale et la morale pure ; mais pourquoi donc dans votre projet établissez-vous une distinction entre la religion et la morale ? Pourquoi avez-vous ajouté le mot morale au mot religion, qui se trouvait seul dans le projet de 1834 ? C’est parce que vous voulez rester dans le vague et donner au clergé un pouvoir encore plus exorbitant que celui que comporte la seule instruction religieuse.
Ensuite, vous avez défini dans la religion, mais vous n’avez pas défini la morale. Il me sera permis dès lors de demander quelle est cette morale ? Il est des morales que vous n’admettrez point, je pense ; en sincères et francs catholiques, vous n’admettrez point, par exemple, la morale de certains jésuites, et cependant les jésuites pullulent en Belgique.
Un membre. - Quelle est cette morale ?
M. Verhaegen. - Vous devez bien la connaître ; je ne vous rappellerai pas entre autre la maxime épouvantable : Justum est necare reges impios, etc. Je vous renverrai à cet effet à Pascal et à d’autres écrivains que vous connaissez comme moi.
Eh bien, si une morale telle que celle-là, ou une autre tout aussi exécrable, venait un jour à être enseignée dans nos écoles, je ne dis pas demain ou après-demain, mais à une époque plus ou moins éloignée, et pour un motif que nous ne pouvons pas prévoir, s’il plaisais un jour au clergé d’enseigner, par exemple, qu’en Belgique où la majorité des habitants est catholique, il est ridicule de voir à la tête du gouvernement un roi protestant…
M. le président. - Je vous ferai observer que la personne du Roi ne peut point être mis en cause dans nos débats.
M. Verhaegen. - Cela ne se rattache pas à la personne du Roi ; c’est une abstraction. Dans l’intérêt de la royauté même, j’ai le droit de faire apprécier tous les dangers possibles d’un projet de loi, par lequel le gouvernement civil se donne pieds et poings liés au clergé, et en cela je suis plus gouvernemental que qui que ce suit. Quand les ministres de la couronne laissent porter atteinte aux droits et prérogatives royaux, il importe aux membres de l’opposition de remplir leur tâche.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je demande la parole.
M. Dubus (aîné). - Lisez la liste de ceux qui ont élu le Roi ; vous n’y verrez pas votre nom, mais vous y verrez les noms d’honorables ecclésiastiques qui siégeaient au congrès.
M. Verhaegen. - Les temps et les circonstances peuvent changer les hommes. (Interruption). Si M. Dumortier se permet des personnalités, je demanderai à M. le président que, dans son impartialité, il fasse pour M. Dumortier ce qu’il a fait pour d’autres.
M. le président. - Je n’ai pas entendu les paroles de M. Dumortier.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. Verhaegen. - Je répète, messieurs, que si des doctrines semblables à celles que j’ai signalées venaient à être enseignées dans les écoles communales, vous n’auriez aucun moyen de l’empêcher.
M. Brabant. - Lisez le code pénal.
M. Verhaegen. - J’allais y venir, au code pénal. C’est sans doute à l’art. 201 que l’on fait allusion. Cet article qui est encore applicable aujourd’hui, punit d’une peine corporelle les ministres du culte qui, dans l’exercice de leurs fonctions et en assemblée publique se permettraient de critiquer une loi, de toucher aux bases fondamentales du gouvernement, etc., etc. Appliquerez-vous cette disposition à un ministre du culte qui, dans une école donnant l’instruction religieuse à des enfants, aurait professé des principes subversifs de l’ordre établi ou aurait exposé le gouvernement au mépris des habitants ?
M. Brabant. - J’appliquerais l’art. 201.
M. Verhaegen. - Quoi qu’il en soit, M. Brabant, je ne pense pas qu’il soit jamais disposé à faire appliquer l’art. 201 du code pénal. Je suis convaincu qu’il déclinerait cette application en soutenant qu’une école n’est pas une assemblée publique.
M. Brabant. - Si j’étais ministère public, je poursuivrais et si j’étais juge je condamnerais.
M. Verhaegen. - Comme il est probable que M. Brabant ne serait ni ministère public ni juge, ce que cet honorable membre a dit aujourd’hui serait perdu de vue ; et ses paroles resteraient sans résultat ; mais puisqu’on a parlé de l’article 201, je rétorque l’argument : on a jugé à propos de soumettre au contrôle du pouvoir civil les discours prononcés en assemblées publiques, et l’on a donné une sanction à ce contrôle. Eh bien, ne comprenez-vous pas que c’est là un argument qui vient à l’appui de mon système ? Si dans le cas de l’art. 201 du code pénal le législateur commine des peines corporelles contre les ministres du cultes, pourquoi donc refuseriez-vous d’établir des garanties et des sanctions dans des cas identiques, quant aux résultats, alors surtout que vous allez donner au clergé un pouvoir qui est non pas un droit, mais une conséquence d’une transaction que vous faites avec lui ? Je voudrais, moi, voir écrit dans la loi que si les ministres du culte sortaient des bornes de leur saint ministère, si dans l’école, ils commettaient un de ces faits dont parle le code pénal pour les discours prononcés en assemblées publiques, le gouvernement eût le droit non seulement de les poursuivre devant la justice répressive, mais aussi d’empêcher dorénavant leur intervention dans l’instruction.
J’aurais, messieurs, beaucoup d’autres cas à citer. J’ai parlé dans l’intérêt du gouvernement, je pourrais parler également dans l’intérêt des pères de famille qu’il m’importe aussi de ne pas négliger. Certainement les pères de famille trouvent une grande garantie dans l’instruction morale et religieuse, et moi-même je suis de cet avis.
Mais quelles que soient les bonnes intentions du clergé, je suppose qu’un jour dans une école communale, on enseigne aux enfants que l’obéissance qu’ils doivent à leurs parents n’est pas absolue ; que s’il s’agit, par exemple, pour une demoiselle de prendre le voile, pour un jeune homme de prononcer des vœux religieux contre le gré de ses parents, il n’y a pas à balancer entre l’ascendant des parents et l’ascendant du clergé, que le clergé doit être obéi, eh bien, pour ces cas, il faudrait encore des garanties et ces garanties, je ne les trouve pas dans la loi.
Je bornerai là mes réflexions. Je répéterai ce que j’ai dit en commençant, qu’il est nécessaire que le gouvernement, comme être moral, s’explique sur la différence qui existe entre les paroles de M. Nothomb et celles de M. de Briey.
(Moniteur belge n°223, du 11 août 1842) M. Dumortier. - M. le président, j’ai demandé la parole pour un fait personnel.
Un membre. - Il n’y arien de personnel dans ce que vous a dit l’honorable M. Verhaegen.
M. Dumortier. - Si ! si ! M. Verhaegen a demandé mon rappel à l’ordre, j’ai le droit de lui répondre et j’use de ce droit.
Messieurs, dès l’origine de cette discussion, j’ai été au nombre de ceux qui ont déclaré que la loi dont nous étions saisis, devait être une loi de conciliation entre les hommes modérés de toutes les opinions. Je n’ai cessé d’exprimer cette pensée dans tout le cours de la discussion, et je la proclame encore maintenant ; mais vous avouerez tous avec moi que le discours que vous venez d’entendre, n’est pas de nature à amener cette réconciliation que nous devons vivement désirer.
Et en effet, messieurs, vous avez tous été surpris d’entendre le préopinant nous dire, à propos de la loi qui nous occupe, que nos opinions à nous étaient changées sur un fait. Et sur quel fait ? Sur le fait le plus grave qui puisse intéresser ceux qui siègent dans cette enceinte, sur l’opinion que nous avons eue et que nous avons encore, relativement à la personne auguste qui régit l’Etat.
M. Verhaegen. - Je n’ai rien dit de semblable, j’ai parlé hypothétiquement.
M. Dumortier. - Je vous demande pardon, monsieur, vous avez commencé par dire que dans un collège, on pourrait enseigner que le Roi n’étant pas catholique, ne peut pas régner sur une nation catholique ; nous avons alors réclamé de toutes parts contre cette insinuation, et c’est à l’occasion de nos vives réclamations que vous avez dit ensuite que nos opinions à nous étaient changées.
M. Verhaegen. - Je répète que je n’ai rien dit de semblable.
M. Dumortier. - J’en appelle à tous les membres qui siègent sur ces bancs, ils vous ont tous entendus comme moi. Un honorable membre vous avait rappelé ce qui s’était passé au congrès, et vous lui avez répondu que nos opinions étaient contraires.
M. Verhaegen. - Je répète, pour la troisième fois, que je n’ai pas dit cela.
M. Dumortier. -Vous l’avez dit, tout le monde l’a entendu.
Messieurs, j’étais certainement dans mon droit, en repoussant de toutes mes forces une semblable insinuation. Comment les choses se sont-elles passées au congrès ? Au congrès, où l’opinion catholique était en immense majorité, vous avez vu tous les membres de cette opinion, et parmi eux des ecclésiastiques, voter pour le Roi qui gouverne aujourd’hui le pays et qui le gouverne avec tant de sagesse. Après cela, je vous le demande, messieurs, n’est ce pas une chose déplorable que d’entendre dire maintenant que ces mêmes hommes, que ces membres du clergé qui ont voté en 1831 pour le roi Léopold, pourraient chercher maintenant à le renverser ?
Messieurs, pendant qu’on s’occupait au congrès, à constituer le pays, au sortir d’une révolution, je voudrais bien savoir dans quels rangs, sous quel drapeau figurait l’homme qui nous adresse aujourd’hui le reproche d’avoir change d’opinion. Quand il a pris la première fois la parole dans cette enceinte, il nous a dit qu’il avait sacrifié ses opinions sur l’autel de la patrie ; eh bien, il m’est permis de dire que ces opinions, dont il a fait le sacrifice sur l’autel de la patrie étaient telles que très probablement le roi Léopold n’aurait pas eu son vote au congrès.
Pouvions-nous, messieurs, laisser passer, sans les repousser avec énergie, les insinuations qu’a dirigées contre nous le préopinant ? Pouvions-nous ne pas nous émouvoir, lorsqu’il est venu prétendre qu’on pourrait enseigner et enseigner impunément aux jeunes gens dans des collèges des maximes provoquant à l’assassinat des rois, des maximes tendant à établir que le souverain que nous vous choisi ne peut plus régner sur nous ?
Je n’irai pas plus loin, mais je dirai en terminant, que lorsque M. Verhaegen venait ici nous interpeller, venait nous assimiler à des hommes qui n’ont aucun respect pour ce qu’il y a de plus auguste dans le pays, nous avions sans doute le droit de l’interrompre.
Messieurs, si c’est avec de pareils moyens qu’on cherche à ramener l’union et la réconciliation dans le pays, on ne peut guère espérer d’y parvenir, on ne fera que rendre les divisions dans le pays de jour en jour plus profondes. Mais les hommes sages, les hommes modérés de toutes les opinions blâmeront énergiquement un semblable système de débats ; ce n’est pas ainsi que nous avancerons dans la discussion de cette loi, que nous ferons le bien du pays. Je ferai d’ailleurs remarquer la différence qui existe entre l’opinion de notre adversaire et la nôtre. M. Verhaegen commence par dire que la religion doit être la base de l’enseignement ; il dit ensuite que l’intervention du clergé dans l’enseignement peut être utile ; eh bien, nous, nous ne croyons pas seulement cette intervention utile, nous la croyons nécessaire et indispensable ; armés que nous sommes du texte de la constitution qui établit la liberté des cultes, et qui défend au gouvernement d’intervenir datas les doctrines religieuses.
(Moniteur belge n°224, du 12 août 1842) M. Verhaegen. – Je n’imiterai pas l’honorable préopinant, je ne parlerai que sur le fait personnel.
L’honorable M. . Dumortier m’a fait dire autre chose que ce que j’ai dit ; pas un mot de ce qu’il m’a fait dire n’est sorti de ma bouche, j’ai fait des suppositions, je suis resté dans les abstractions ; j’ai dit que si l’on donnait une indépendance complète au clergé, dans l’intérieur des écoles communales, il pourrait en résulter certains inconvénients. J’ai signalé ces inconvénients possibles. Je n’ai pas fait intervenir la personne du Roi qui doit rester étrangère à nos débats, j’ai parlé de la royauté d’une manière abstraire. Quand d’honorables collègues m’ont interpellé et m’ont dit que la majorité catholique du congrès avait par le choix qu’elle avait fait de sanctionner le principe contraire à celui auquel je faisais allusion, j’ai répondu, sans m’adresser personnellement à aucune membre, que les temps et les circonstances pouvaient faire changer les hommes et leurs opinions. Voilà ce que j’ai dit, et ce que j’ai dit je le maintiens.
(Moniteur belge n°223, du 11 août 1842) M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je regrette que l’honorable préopinant ait noyé l’interpellation qu’il a adressée au ministère dans cette immense quantité de suppositions. (Rumeurs.) Je me permettrai cependant, avant de répondre à l’interpellation de dire quelques mots sur ce point.
« Prenez garde, vous a dit l’honorable préopinant aux inconvénients possibles de l’intervention sans limites du clergé dans l’instruction publique. »
Il y a une première erreur chez l’honorable préopinant : nous n’admettons pas l’intervention sans limites du clergé dans l’instruction publique, nous admettons l’intervention du clergé dans l’instruction publique pour l’enseignement moral et religieux.
L’honorable préopinant a fait à cette occasion deux suppositions ; il a suppose que le clergé irait au-delà de l’enseignement moral et religieux ; il faut supposer que le clergé n’ira pas au delà de l’enseignement moral et religieux qui constitue son intervention, et s’il va au-delà, c’est qu’il ne veut pas de la loi.
L’honorable membre a supposé ensuite que, sous prétexte d’enseigner la morale et la religion, le clergé ferait enseigner je ne sais quelles doctrines extravagantes, qu’il ferait enseigner le régicide, le rétablissement de la dîme ; qu’il ferait enseigner qu’il n’y a pas lieu de respecter l’inviolabilité des biens nationaux. Je vais maintenant dire d’une manière très nette ce que moi, ministre de l’intérieur, je ferais en pareille circonstance.
J’examinerais si ce singulier enseignement moral et religieux constitue l’une ou l’autre des infractions aux lois pénales, et je ferais poursuivre.
En second lieu, après m’être assuré que ces extravagances ne sont pas le fait d’un individu, d’un curé obscur, mais qu’elles sont le résultat d’un concert en quelque sorte entre les membres du clergé, j’en conclurais qu’il y a de la part du clergé parti pris de refuser systématiquement son concours à l’exécution de la loi.
Ainsi répression des délits et présomption que le clergé a résolu systématiquement de ne pas accorder son concours. Voila ma réponse, voilà ce que je ferais, et je crois que l’honorable M. Brabant a dit qu’il en ferait autant à ma place. M. Verhaegen agirait de même.
Voici encore ce que moi je ferais ; je ne supposerais jamais que le clergé puisse enseigner de semblables extravagances, puisse enseigner le régicide, puisse demander le rétablissement de la dîme ; je ne ferais pas ces suppositions, à moins qu’il ne me fût démontré, à moi, comme honnête homme, comme homme loyal, que le clergé partage ces doctrines extravagantes. (Mouvement.)
En France, le clergé a obtenu une part très restreinte, on vous a déjà dit pourquoi ; c’est qu’en France on a supposé que le clergé, ayant vu de mauvais œil la révolution de juillet, ne s’y étant pas associé, pourrait faire enseigner des principes contraires à l’ordre de chose fondé par la révolution de 1830, pourrait faire enseigner le légitimisme et le carlisme, voilà ce qu’on a supposé, et l’on a hautement déclaré dans la discussion on aurait voulu faire une plus large part à l’intervention du clergé.
Maintenant je suppose que le clergé belge, qui a si fortement contribué à la révolution de 1830, qui a adhéré à la nationalité belge, à l’établissement de la dynastie belge ; je suppose que le clergé belge prenne la position qu’on dit avoir été prise par le clergé français après la révolution de 1830, que ferions-nous ? Le gouvernement belge ferait ce qui a été fait par le gouvernement français ; il supposerait qu’il est impossible de compter sur le concours loyal d’un clergé qui prend une position antinationale, antidynastique.
Un membre. - Il a le droit d’intervenir.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). - Il a le droit d’intervenir, oui, en tant qu’il se conforme à la loi.
M. Verhaegen. - Qui sera juge ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). - Vous, monsieur, vous serez juge, en siégeant ici comme député, vous saurez chaque jour comment la loi est exécutée.
Il existe des écoles privées dans le royaume, la liberté d’enseignement le permet, l’on pourrait se livrer également à des suppositions.
Que feriez-vous si, dans telle école privée, on enseignait des principes contraires à la nationalité, à la dynastie, au droit de propriété, à l’état de famille, que feriez-vous ? Nous examinerions s’il y a moyen de poursuivre. Voilà ce que nous ferions. Les écoles communales restent des écoles publiques, ce qui permet une répression qui n’existe pas au même point pour les établissements privés. Là, l’enseignement se donne à huis clos ; dans les établissements communaux, la publicité existe.
J’arrive enfin à l’interpellation que l’honorable préopinant a cru devoir adresser au ministère. Il croit qu’il y a dissentiment entre le ministre des affaires étrangères et le ministre de l’intérieur. Il n’y a aucun dissentiment entre les paroles de mon honorable collègue et les miennes. J’ose en constituer juge M. Verhaegen lui-même.
L’art. 21 étant rédigé comme il l’est maintenant, même comme le suppose l’honorable M. Orts, dont cependant je n’ai encore pu examiner le sous-amendement, il y aura des cas où les choses seront évidentes, et il y en aura d’autres qui présenteront des questions plus ou moins délicates. Je suppose que le gouvernement reçoive un rapport où se trouvent des faits comme ceux constatés en France et que vous avez pu voir dans l’ouvrage de M. Lorrain, qui contient des documents extrêmement curieux.
Par exemple, un inspecteur ira visiter une école et demandera à l’instituteur : Monsieur, où en êtes-vous en fait d’instruction religieuse ? Réponse : Je n’enseigne pas ces bêtises-là.
Je trouve cela à la page 31 de l’ouvrage de M. Lorrain.
Ce fait étant signalé, il est permis au ministre, d’après la nouvelle rédaction, de ne pas s’en rapporter au rapport ; il peut ordonner et ordonnera une enquête ; mais le fait étant constaté, nous savons comment nous appliquerons l’art. 21.
Ailleurs, une école mutuelle, conduite par son instituteur, se promène an son du tambour en chantant la Marseillaise, et arrivée devant le presbytère, elle s’interrompt pour crier : A bas la calotte ! A bas les jésuites ! (lbid, p. 31.)
Voilà des faits qui ne se rattachent pas directement à l’enseignement donné dans l’école même. Cependant, si le rapport civil ou même ecclésiastique me signalait des faits semblables, je les ferais vérifier, et je saurais comment appliquer l’art 21.
Beaucoup de faits de cette nature sont signalés dans cet ouvrage.
Arrivons maintenant à un autre cas.
L’enseignement religieux se donne d’après un catéchisme approuvé par l’épiscopal beige ; s’il plaisait à un instituteur de donner l’enseignement religieux d’après un catéchisme autre que celui approuvé par l’épiscopat belge, le ministre serait-il compétent pour dire : Je trouve que ce catéchisme non adopté par l’épiscopat belge est aussi bon que celui approuvé par l’épiscopat ? M. Verhaegen pense-t-il que je suis compétent pour décider cette question, que je puis dire que moi ministre de l’intérieur, je trouve que ce catéchisme qu’il a plu à un instituteur de suivre est à tout prendre aussi bon que celui qu’a approuvé le cardinal archevêque de Malines. Selon moi, tout ce que je pourrais faire, c’est d’intervenir pour amener l’exécution de la loi, de faire des remontrances à cet instituteur ; j’ai le droit de faire constater le fait de l’enseignement religieux et de la persistance de l’instituteur à donner l’enseignement religieux d’après un catéchisme autre que celui approuvé par l’épiscopat belge. Je n’ai pas, je le répète, le droit de dire : ce catéchisme est aussi bon que celui approuvé par Mgr. de Malines.
Je demande maintenant à M. Verhaegen, sommes-nous d’accord que je n’ai pas le droit de déclarer que ce catéchisme est aussi bon que celui approuvé par l’épiscopat belge ?
Mon honorable collègue n’a pas dit autre chose, que le ministre est incompétent pour dire que ce catéchisme est aussi bon que celui approuvé par le cardinal de Malines. Je suis convaincu que si on posait des cas, nous serions tous d’accord.
M. Cogels. - L’honorable M. Verhaegen m’a demandé comment je considérerais la morale qui a été enseignée par certains jésuites. Je ne sais quels souvenirs il a entendu ici évoquer, mais je pense qu’il aura voulu parler de quelques doctrines professées par Sanchez, Escobar ou Mariana. Je lui répondrai que ces doctrines ont été condamnées par l’Eglise et par les jésuites eux-mêmes ; je lui répondrai en un mot que je ne considérerai jamais comme morale une doctrine immorale.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). - Toutes les discussions de principe se reproduiront sur les articles Je demanderai s’il n’y plus d’orateurs inscrits, car alors nous pourrions clore la discussion générale.
M. Wallaert. - Si notre Roi n’a jamais d’ennemis plus dangereux que les membres du clergé belge, il règnera en paix sur la Belgique, il n’aura pas à craindre les attentais auxquels ont été exposés le roi de Français et d’autres augustes personnages.
Quant à la doctrine dont a parlé un honorable membre : « Justum est necare reges impios, » L’Eglise l’a condamnée, et elle n’a jamais trouvé d’écho dans le clergé belge surtout. L’Eglise a condamné le serment de haine à la royauté qui a été demandé autrefois ; plusieurs honorables ecclésiastiques ont subi des déportations pour avoir refusé ce serment. Ceci est de toute notoriété en Belgique et en France
J’ai voté pour l’élection du Roi Léopold, et si l’élection du Roi était encore à faire, je le déclare hautement, je voterai encore aujourd’hui dans le même sens ; et je me féliciterai toute ma vie de ce vote consciencieux comme je me félicite de celui que j’ai émis en 1831.
Je ne parle pas de la dîme, parce que la dîme est un véritable fantôme, et rien de plus.
M. Hye-Hoys. - M. le ministre des finances étant présent, je demanderai s’il n’est pas prêt à faire son rapport sur la réclamation des marchands de vin.
M. le ministre des finances (M. Smits) - J’adresserai mon rapport demain.
M. de Theux. - J’aurais quelques mots dire au sujet d’une sorte d’interpellation indirecte qui m’a été adressée, mais je consens volontiers à remettre mes observations à la discussion de l’art. 1er.
M. Demonceau. - J’avais demandé la parole pour présenter quelques observations en réponse à M. Verhaegen, mais je crois qu’il convient de ne pas répondre davantage à ses attaques. La discussion des articles permettra de revenir sur les questions que soulève le projet.
M. Devaux. - Dans le courant de cette discussion, j’ai été invité par M. Brabant et le ministre de l’intérieur, j’ai été sommé de répondre à leurs argumentations ; plusieurs fois M. le ministre de l’intérieur a dit en frappant sur son banc : répondez à mon argumentation.
Le moyen d’avoir raison, c’est de ne pas me laisser répondre.
Je demanderai à répondre dans la discussion générale. Mon intention est de porter la discussion sur un terrain dont on ne s’est pas occupé, sur le terrain administratif, sur le terrain pratique. Je veux envisager les articles de la loi sous leur rapport pratique, je demande donc de ne pas clore aujourd’hui. Demain on pourra clore si l’on veut.
M. de Theux. - Il vaut mieux continuer la discussion générale jusqu’à ce que nous nous soyons expliqués, que de la recommencer à propos de l’article premier.
(Moniteur belge n°224, du 12 août 1842) M. Verhaegen. - Je pensais que M. le ministre de l'intérieur allait concilier son opinion avec celle de son collègue des affaires étrangères ; mais il n’en a rien fait. Le il de demain publiera, je pense, le discours de M. le ministre des affaires étrangères tel qu’il a été prononcé, et il nous mettra à même d’apprécier la différence entre les deux systèmes.
M. le ministre de l'intérieur, pour tourner la difficulté, m’a fait cette interpellation : Que feriez-vous, m’a-t-il demandé, s’il vous fallait opter entre tel ou tel catéchisme ? Seriez-vous compétent ? Sans hésiter, je réponds non. Mais ce n’est pas la question. Dans les diverses hypothèses de M. le ministre des affaires étrangères, il s’agit de tout autre chose que de catéchismes, et cependant, dans ces hypothèses, le clergé, d’après lui, serait seul compétent pour décider du sort du subside.
- La séance est levée à 5 heures.