(Moniteur belge n°147, du 27 mai 1842)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Renesse fait l'appel nominal à 1 heure.
M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction est approuvée.
M. Kervyn présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Des maîtres de forges, exploitants de mines de fer, commerçants et propriétaires dans l'entre-Sambre-et-Meuse, et exploitants de charbon dans le bassin de la Meuse, présentent des observations contre le projet d'exécution du chemin de fer projeté de Marchiennes à Vireux, par la vallée de Léau d'Heure. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les sieurs Lequeux, Lalance, Rozet et Ard'huin, ex-directeurs d'hôpitaux, demandent qu'on leur accorde une partie des fonds dont M. le ministre de la guerre, dans les explications qu'il a transmises à la chambre sur leur demande, propose de majorer l’art. 5 du chap. I du budget de son département, pour l'exercice 1842. »
- Même renvoi.
« Les secrétaires communaux du canton d'Eecloo demandent que des dispositions de nature à améliorer la position des secrétaires communaux soient introduites dans les projets de loi apportant des modifications à la loi communale. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de loi et après renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
« Le conseil communal de Sprimont demande que cette commune soit déclarée le chef-lieu du canton dont elle fait partie. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur la circonscription cantonale.
« Plusieurs propriétaires et cultivateurs de diverses communes de la province de Hainaut demandent qu'il soit pris des mesures pour empêcher le braconnage. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les commis-greffiers du tribunal de Bruxelles présentent des observations contre le projet de lot sur les traitements de l'ordre judiciaire. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée de l'examen de ce projet de loi.
M. Orts. - Messieurs, étranger à la chambre, lors des mémorables discussions, qui ont précédé l'adoption du système consacré par la loi du 30 mars 1836, je n'ai ni à défendre une opinion antérieurement émise, ni à justifier une palinodie.
Si je crois devoir énoncer les motifs de mon vote, c'est moins dans l'espoir de dire du neuf dans une matière méditée par tous, d'ébranler des convictions déjà acquises, que parce que je sens le besoin d'éviter jusqu'au soupçon d'une opposition systématique.
Je repousse le projet de loi 1° parce qu'il détruit l'harmonie qui, d'après la loi du 30 mars 1836, existe entre la composition du personnel de l'administration communale et le système des attributions des fonctionnaires placés à la tête de cette administration, parce qu'il bouleverse ainsi toute l'économie de notre organisation communale ; 2° Parce que je n'y trouve ni franchise ni loyauté politique ; 3° Parce qu'il présente tous les caractères d'un coup d'essai dans l'intérêt d'un pouvoir fort ; 4° Parce qu'enfin les résultats de son adoption me paraissent devoir être tels, que par la force des choses, ils amèneront de nouvelles atteintes aux garanties que la loi de 1836 assure à la commune contre l'usurpation du pouvoir.
Le système de la loi du 30 mars 1836 est le résultat d'une sage et judicieuse combinaison du mode d'élection des magistrats municipaux et des attributions qui leur sont conférées.
Cette combinaison elle-même a pour base les principes consacrés par notre pacte fondamental, modifiés quelque peu par la transaction intervenue à la suite du premier vote du sénat.
Peu de mots suffiront pour démontrer qu'au péril de fausser l'esprit de la constitution, et de saper dans ses fondements toute notre organisation communale, force nous est de maintenir intacte la transaction de 1836.
Principe dominant de notre constitution :
« Art. 25. Tous les pouvoirs émanent de la NATION, ils sont exercés de la manière établie par la constitution. »
« Art. 31. Les intérêts communaux sont réglés par les conseils communaux d'après les principes établis par la constitution. »
La conséquence nécessaire de ces deux prémisses devait être le droit de la nation d'élire ses mandataires au sein de la commune comme dans les chambres législatives. ,
L'élection directe proclamée comme règle fondamentale de l'organisation de la commune, par l'art. 108, n'est donc en réalité que l'application nécessaire du principe qui sert de base à l'édifice social élevé en 1830, la souveraineté de la nation.
Plus le système de l'élection directe se rattache à ce dogme politique de notre constitution, plus faut-il être réservé dans l'interprétation des exceptions formulées par la partie sociale à l'élection directe.
Or, l'art. 108 n'autorise le pouvoir législatif à soustraire au choix direct et immédiat de la nation que les chefs des administrations communales.
Par le mot chef des administrations communales dont se sert cet article, il faut entendre le premier entre les égaux, celui qui précède les élus de la nation pour le conseil communal. Il est investi d'un double mandat, l'un émanant des électeurs, l'autre, du pouvoir central. Cela résulte de l'opposition des expressions chefs des administrations communales et commissaire du gouvernement près des conseils provinciaux,
Ni selon le texte de la constitution ni d'après l'esprit qui a présidé à la rédaction de cette partie, le mot chef ne peut s'appliquer aux échevins. C'est dans ce sens que la chose a été entendue au congrès.
Ainsi qu'on l'a entendu au congrès, M. de Foere, dans la séance de la chambre du 10 février 1836, disait : « Membre du congrès, je déclare n'avoir jamais eu dans ma pensée que l'expression de chefs pût se rapporter à autre chose qu'au bourgmestre, et tel me paraît avoir dû être la pensée de tous mes collègues, car la question n'a pas même été discutée. .
« Je ne crois pas possible que l'interprétation du mot chefs puisse aller jusqu'à comprendre tout un corps communal. »
Aussi le système du premier projet de loi adopté par la chambre des représentants, conservait l'élection du bourgmestre seul par le Roi, soit dans le conseil, soit hors du conseil.
Renvoyé au sénat, le projet fut modifié. Ce corps posa d'autres bases. Sa commission spéciale, chargée de l'examen du projet de loi, formula le nouveau système de la manière suivante :
« Le système du projet qui est soumis au sénat, par lequel la nomination des échevins serait abandonnée aux électeurs, a paru inconciliable avec la nomination du bourgmestre par le Roi, les échevins participant à la plupart des attributions qui sont dévolues à celui-ci par la loi.
« La nécessité de leur donner une origine commune, a paru incontestable. Votre commission a pensé que, pour établir cette homogénéité indispensable, pour assurer l'action régulière des corps délibérants, la nomination des échevins dans le sein du conseil devait appartenir au Roi sans aucune limitation. »
Ainsi, c'est pour harmoniser le système de l'élection avec celui des attributions, c'est pour assurer la régularité dans l'action du collège échevinal, que le sénat a cru devoir indiquer comme moyen le système de l'origine commune, le principe de l'homogénéité.
C'est là une véritable transaction entre le texte précis de l'article 108 de la constitution et le système adopté quant aux attributions.
Le principe établi par la constitution a fléchi devant une interprétation élastique, toute en faveur de cette conciliation du système des attributions avec celui de l'élection des administrateurs de la commune, formant le collège échevinal.
Le ministre ne veut plus de cette transaction.
Il méconnaît le principe d'homogénéité qui l'a amenée. Il brise le lien entre deux choses corrélatives.
Qu'il remette donc le tout dans son premier état.
Mais non, il laisse subsister le système des attributions contradictoires, non-sens politique.
Nous allons le démontrer.
Il est inexact de n'envisager le collège que comme simple pouvoir exécutif : Il est pouvoir exécutif sous le rapport :
a. De l'exécution à donner dans la commune aux lois, arrêtés et ordonnances de l'administration générale ou provinciale ;
b. De la publication et de l'exécution des résolutions du conseil communal (n° 1 et 2 de l'art. 90) ;
c. De l'exécution des lois et règlements de police (n° 4, art. 90)
Mais il est administrateur au nom et dans l'intérêt de la commune, sous le rapport de toutes les autres fonctions qui lui sont attribuées par le même article 90.
Messieurs, l'art. 90 de la loi communale contient les différentes attributions données au collège échevinal ;
Une première réflexion se présente, elle résulte du texte de l'article, c’est que s'il est vrai que parfois le collège échevinal soit un pouvoir exécutif (car on a fait un grand usage de ce mot), il est autre chose encore que pouvoir exécutif, il est administrateur, dans toute la force du mot, des biens et des propriétés de la commune. Il est pour la commune ce que dans les relations civiles, un tuteur est à l'égard de ses pupilles, un mari à l'égard des biens de sa femme.
Cet article, j'en conviens, s'occupe, dans les paragraphes 1, 2 et 4, de l'exécution des lois, arrêtés et ordonnances de l'administration générale ou provinciale ; de la publication et de l'exécution des résolutions du conseil communal ; de l'exécution des lois et règlements de police.
Voilà les attributions qui donnent au collège échevinal le caractère de pouvoir exécutif ; mais ce caractère résulte-t-il des autres attributions ? Mille fois non.
Le 3e § de l'article charge le collège échevinal de l'administration des établissements communaux.
Les établissements communaux, vous le savez comme moi, ce sont les athénées, les collèges, les institutions d’enseignement primaire, les musées, les académies des beaux-arts. Voilà ce que le collège échevinal doit administrer.
Prenons d'abord les établissements d'instruction publique.
A la vérité, au conseil seul appartient la nomination des professeurs et instituteurs ; mais les règlements d'ordre intérieur, mais la fixation des méthodes, celle des cours d'étude et des programmes, en un mot, tout ce qui concerne et l'enseignement et l'ordre des établissements, tout cela est-il confié au collège échevinal, en qualité d'agent du pouvoir ? Non, mais en qualité de bon et loyal administrateur d'un établissement qui est la propriété de la commune.
Le § 5 porte :
« De la gestion des revenus, de l'ordonnancement des dépenses de la commune et de la surveillance de la comptabilité. »
Gérer les revenus d'un corps moral, d'une personnification civile, de la commune, est-ce autre chose, dans la famille municipale, que ce que fait un tuteur ou un mari dans la famille privée ?
Le collège doit gérer les revenus, il doit ordonnancer les dépenses. A la vérité, il ne peut pas dépasser le budget, il ne peut pas opérer de transfert ; mais il a un pouvoir discrétionnaire pour employer les revenus de la commune dans les limites du budget, comme il l'entend, et sous sa responsabilité vis-à-vis du conseil et des autorités supérieures.
Est-ce là le pouvoir exécutif ? Messieurs, c'est un véritable acte d'administration.
Le collège est chargé par le § 6 de la direction des travaux communaux.
Prétendra-t-on que diriger les travaux de la commune c'est faire un acte du pouvoir exécutif ?
« § 7. Des alignements de la grande et petite voirie, en se conformant, lorsqu'il en existe, aux plans généraux adoptés par l'autorité supérieure, et sauf recours à cette autorité et aux tribunaux, s'il y a lieu, par les personnes qui se croiraient lésées par les décisions de l'autorité communale... »
Ceci est plus sérieux encore ; vous le savez, messieurs, lorsqu'il s'agit de semblables alignements, il est presque toujours question d'une espèce d'échange entre le propriétaire qui doit se mettre sur l'alignement et la commune elle-même.
Un alignement est irrégulier, on le redresse ; la commune cède quelques pieds de terrain, pour en obtenir à la vérité d'autres ; mais jamais, à moins qu'il ne s'agisse d'une véritable aliénation, il n'est pas nécessaire d'occuper le conseil ou toute autre autorité de ce changement d'alignement ; cet alignement par sa nature intéresse uniquement la commune ; l’agent du pouvoir exécutif n'a rien à faire là ; c'est un intérêt qui concerne tous les citoyens faisant partie de la famille municipale.
Je vous dirai la même chose du § 8. L'on y attribue au collège l'approbation des plans de bâtisse a exécuter par les particuliers, etc.
Le § 9 charge le collège échevinal de tout ce qui concerne les actions judiciaires de la commune, soit en demandant, soit en défendant.
Il est vrai que, pour intenter des procès ou pour y défendre, le collège a besoin de l’autorisation du conseil ; mais pour suivre les instances, pour faire des actes conservatoires dans l'intérêt de la commune, l'intervention du collège échevinal seule est nécessaire.
Le paragraphe 10 est plus fort encore. Dans le paragraphe 3, il n'était question que de l'administration des établissements communaux ; le paragraphe 10 parle de l'administration des propriétés de la commune, ainsi que de la conservation de ses droits ; de manière que tout ce qui n'est pas acte d'aliénation, tout ce qui n'est pas changeant dans le mode de jouissance des biens communaux, est du ressort du collège échevinal.
Les deux derniers paragraphes de l'article chargent le collège de la surveillance des employés salariés par la commune et agents de la police locale ; et enfin de faire entretenir les chemins vicinaux et les cours d'eau, conformément aux lois et aux règlements de l'autorité provinciale.
Ce sont là encore des objets qui concernent spécialement la commune.
L'on conçoit qu'un mandataire élu par le peuple pour gérer au sein de la commune ses intérêts puisse être désigné par le Roi, parmi ses égaux d'origine, pour ADMINISTRER, mais qu'un simple commissaire royal puisse être appelé à faire tous les actes d’administration d'intérêt communal, c'est là évidemment méconnaître l'esprit de nos institutions. Voilà pour ce qui concerne les intérêts matériels, l'administration des choses.
Voyons les attributions sous le point de vue du personnel. Quant aux nominations, voici ce que porte l'art. 84 : « Ici ce n’est plus la loi qui délègue directement au collège certaines nominations à faire ; C'est au conseil qu’elle accorde la faculté de déléguer, si bon lui semble, au collège, composé de membres TOUS pris dans son sein, le droit de nommer à certaines places. Cette démonstration résulte des numéros 1 et 6 de l'art. 84.
A Bruxelles, leur faculté que le conseil a d'attribuer au collège la nomination d'un nombre assez remarquable de fonctionnaires, on n'en use jamais qu'à terme. Le conseil ne fait cette délégation que pour un terme triennal et deux fois quand il a été question de la renouveler, le conseil a eu soin de bien faire apprécier que ce n'était qu'une délégation temporaire et même révocable par le conseil, seule autorité à laquelle la loi a déféré le droit de nomination.
Conçoit-on, 1° qu'il puisse être conforme à l'esprit de la loi de conférer cette immense portion d'attributions à un simple commissaire royal, à un homme qui ne tient pas son mandat des électeurs mêmes ?
2° Conçoit-on qu'un conseil communal voudrait encore user de ce droit de délégation dans l'hypothèse d'un collège composé d'un bourgmestre étranger au conseil, ou même dans l'éventualité d'un choix à faire par le Roi en dehors du conseil ?
Le conseil ne devrait-il pas se dire : Avant l'expiration du terme de la délégation, un bourgmestre pourra être nommé en dehors du conseil ; je me garderai bien, dans cette éventualité, de faire usage de la faculté que la loi m'accorde ; je me garderai bien de déléguer au collège le droit de nommer les fonctionnaires à ma nomination, ainsi que m'y autorisent les paragraphes 1er et 6 de l’article 84.
Ainsi, vous voyez que pour la nomination même du personnel de l'administration, il ne peut pas être entré dans l'esprit du législateur qu'il pourrait survenir une éventualité où le bourgmestre serait pris en dehors du conseil.
Mais il y a plus ; lisez l'art. 91 et vous verrez une énormité plus forte encore.
Cet article porte :
« Art. 91, Le collège des bourgmestres et échevins a la surveillance des hospices, bureaux de bienfaisance et monts-de-piété.
« A cet effet, il visite lesdits établissements chaque fois qu'il le juge convenable, veille à ce qu'ils ne s'écartent pas de la volonté des donateurs et testateurs, et fait rapport au conseil des améliorations à y introduire et des abus qu'il y a découverts.
« Le bourgmestre assiste, lorsqu'il le juge convenable, aux réunions des administrations des hospices et des bureaux de bienfaisance, et prend part à leurs délibérations. Dans ce cas, il préside l'assemblée et il y a voix délibérative. »
Pour bien saisir la portée que je veux donner à cette disposition, il est indispensable de rapprocher cet article des articles 79, 84 et 91 de la loi communale. En effet, ces articles fixent parfaitement la position des administrations, des hospices et des bureaux de bienfaisance vis-à-vis de l'administration communale.
L'art. 79 veut que les budgets et les comptes des administrations des hospices et bureaux de bienfaisance soient soumis à l'approbation du conseil communal.
L'art. 84 confère au conseil la nomination des membres des administrations des hospices et bureaux de bienfaisance.
Enfin l'art. 91 confère au collège la surveillance des hospices et bureaux de bienfaisance, il le charge de les visiter, de veiller à ce qu'ils ne s'écartent de la volonté des testateurs et de faire rapport au CONSEIL des améliorations à y introduire et des abus qu'il y a découverts.
C'est à la suite de ces dispositions que la loi confère au bourgmestre, mais à celui qui est pris au sein du conseil, le droit de présider les conseils des hospices et des bureaux de bienfaisance, non seulement de se mettre à leur tête pour diriger leurs délibérations, mais il lui accorde VOIX DÉLIBÉRATIVE.
Ainsi, dans le système du nouveau projet, le bourgmestre qui n'a aucun mandat de la commune, tutrice née des administrations des hospices et bureaux de bienfaisance et qui n'est que l'agent de l'autorité supérieure, présidera le conseil des hospices.
Et ce commissaire royal, étranger à la commune sous le rapport de son élection, aura voix délibérative au sein du conseil des hospices, lui auquel le projet de loi refuse voix délibérative au sein du conseil communal.
C'est là une inconséquence, je dis plus, c'est une véritable contradiction qui vous fait voir qu'il est impossible de concilier les attributions du collège échevinal avec ce système d'après lequel le Roi pourra nommer le bourgmestre en dehors du conseil.
L'article 89 mérite aussi de fixer notre attention, car dans cet article vous verrez que le bourgmestre pris hors du conseil non seulement aura voix délibérative dans les conseils d'administration des hospices et des bureaux de bienfaisance, mais encore voix prépondérante en cas de partage.
En effet l'art. 89 porte :
« Art. 89. Le collège des bourgmestres et échevins se réunit aux jours et heures fixés par le règlement et aussi souvent que l'exige la prompte expédition des affaires ; il ne peut délibérer si plus de la moitié de ses membres n'est présente.
« Les résolutions sont prises à la majorité des voix ; en cas de partage le collège remet l'affaire à une autre séance, à moins qu'il ne préfère appeler un membre du conseil, d'après l'ordre d'inscription au tableau.
« Si cependant la majorité du collège a préalablement à la discussion, reconnu l'urgence, la voix du président est décisive. »
Vous le savez comme moi, dans les communes de 20,000 âmes et au dessous, le collège est composé d'un bourgmestre et de deux échevins, et dans celles d'une population supérieure, il est composé d'un bourgmestre et de quatre échevins. Si le collège siège en nombre pair et qu'il reconnaisse l'urgence, il peut être procédé séance tenante à la délibération du fond, et en cas de partage, c'est-à dire, si deux membres se prononcent pour la négative et deux pour l'affirmative, qui emportera la balance ? Le bourgmestre qui est précisément celui des membres du collège qui n'a pas reçu le mandat populaire. De sorte que l'homme étranger aux électeurs, le commissaire royal, aura deux voix, tandis que l'élu, le mandataire de la commune, n'en aura qu'une.
Cela résulte évidemment de l'art. 89. N'est-il pas extraordinaire, cela ne résiste-t-il pas à toute espèce d'idée saine que celui qui n'a aucun mandat de la commune puisse faire pencher la balance dans un intérêt peut-être diamétralement opposé à celui de la commune ?
Il me paraît donc établi par ces considérations, et plusieurs membres de cette assemblée vous en feront sans doute valoir d'autres encore, il me paraît donc établi que proposer la nomination du bourgmestre en dehors du conseil en maintenant d'une part la nomination des échevins dans le sein du conseil et de l'autre part, le système des attributions tel qu'il est fixé par la loi du 30 mars 1836, c'est bouleverser toute l'économie de notre organisation communale, c'est substituer l'incohérence, le défaut d'ensemble et de liaison, à l'harmonie, à l'ordre.
Vous voyez donc que le ministère vous propose trop ou trop peu ; selon moi, il propose trop.
Mais force lui sera de revenir au système d'homogénéité ou bien de changer les attributions du collège.
Voyez les rapports des gouverneurs et des commissaires de district ; ils enveloppent dans une seule pensée ce qui concerne les bourgmestres et ce qui concerne les échevins. Ces deux classes de fonctionnaires semblent n'en former qu'une seule, qu'il est impossible de séparer. Voyez tous les rapports, il en est très peu qui ne soient conçus dans ce sens. Et cependant le ministre vous propose la nomination des bourgmestres en dehors du conseil et celle des échevins dans le sein du conseil, et de plus, il vous propose le maintien des attributions. Voilà ce que je ne crains pas d'appeler une inconséquence, une véritable anomalie.
Ou bien le pouvoir sera amené un jour à vous demander aussi la nomination des échevins en dehors du conseil et de donner à ces nouveaux commissaires royaux, comme à leur chef le bourgmestre, voix délibérative au conseil, et alors vous aurez dans le sein du conseil des fonctionnaires délibérant qui ne participeront en rien du mandat populaire. Ou bien, pour conserver ce système d'homogénéité, en viendrait-on à réduire les bourgmestres et échevins au simple rôle d'agents du pouvoir exécutif chargés uniquement de tenir la main à ce que les lois, arrêtés et règlements de l'administration centrale, et de l'administration provinciale ainsi que les ordonnances du conseil communal soient exécutés. Ce projet vaudrait mieux que celui présenté.
Je répondrai ici à ce qu'a dit M. le ministre de l'intérieur, dans une précédente séance, qu'en Belgique la nomination des magistrats municipaux appartenait au souverain. J'avais signalé ce qui se passait dans ma ville natale, à Bruxelles, et j'avais dit qu'il n'était pas exact de présenter la chose sous ce point de vue, qu'à Bruxelles le chef de l'administration communale n'était pas nommé par le souverain en dehors de toute classe de citoyens, mais parmi les anciennes familles qu'on appelait les Geslachten**.
Le souverain avait auprès de l'administration communale un agent, un officier. Celui-là ne relevait que du prince ; il était chargé de l'exécution des lois, et défendait les intérêts du souverain auprès de l'administration communale ; mais nos magistrats municipaux étaient nommes par le souverain sur une liste de présentation de candidats.
Je ne pense pas que le ministère actuel songeât jamais à en revenir purement et simplement à l'état de choses qui nous régit, à la loi de 1836. A la veille des élections de 1842, le ministère pourra se flatter d'avoir enlevé la clef de la voûte ; lorsque la nouvelle époque électorale arrivera, il lui sera facile de faire tomber tout ce qui restera de pierres à l’édifice. C'est alors qu'une voix s'adressera à ceux qui suivent le ministère dans cette nouvelle carrière. Elle leur dira : Marchez toujours ; et ils marcheront, parce qu'une première atteinte à ce qui constitue les libertés publiques enhardit le pouvoir, le projet de loi, une fois adopté, il sera proposé de nouvelles dispositions pour diminuer la somme de nos libertés. Combien de fois en effet, n'est-il pas arrivé en Belgique, que lorsque vous avez remis au ministère une arme pour qu'il s'en servît dans l'intérêt de la tranquillité publique et de l'ordre, il ne s'en est pas contenté et a provoqué une extension au pouvoir qui lui avait été donné ? Il me suffira d'en citer un seul exemple. En 1835, vous avez cru devoir accorder au ministère le droit d'expulser les étrangers lorsqu'ils troubleraient la tranquillité publique. C’était un immense pouvoir que vous lui accordiez, vous aviez eu soin de formuler des exceptions pour limiter ce pouvoir. Ces exceptions étaient en faveur « 1° de l’étranger autorisé à établir son domicile dans le royaume ; 2° de l'étranger marié avec une femme belge dont il a des enfants nés en Belgique pendant sa résidence dans le pays ; 3° de l'étranger décoré de la croix de fer. » Cette loi fut renouvelée par celle du 22 mars 1838. Aucune atteinte ne fut portée alors aux trois exceptions. En 1841, le terme de la loi étant expiré, il s'agit de la renouveler encore, cette loi qui ne devait être que temporaire, qui ne devait durer que jusqu'à la paix. En 1841, la paix était faite. Que demanda alors le ministère ? Qu'on fît disparaître l'exception consacrée par la loi en faveur de l'étranger marié avec une femme belge dont il a des enfants nés en Belgique pendant sa résidence dans le pays, et qui a reçu ainsi une naturalisation, si pas de droit, au moins en quelque sorte de fait. Cette exception, on l'a rayée de la loi. C'était au début de ma carrière parlementaire que je fus appelé à voter sur cette loi. Je me suis demandé pourquoi faire disparaître cette exception plutôt que les deux autres. Je me suis dit, ce doit être une loi d’expédient. Le ministère savait sans doute pourquoi il demandait la suppression de cette exception ; si cette loi doit être renouvelée une troisième fois, le ministère demandera qu'on fasse disparaître les deux autres exceptions, et qu'on agrandisse encore ce pouvoir déjà si exorbitant. Je désire, du reste, que cela ne soit pas. Je vous ai cité cet exemple pour établir que lorsque le ministère se donne carrière, il est bien difficile de l'arrêter.
Mais, me dit-on, le projet de loi modificatif de celle du 30 mars 1836 est nécessaire, ou tout au moins utile. Dans tout ce que j'ai entendu jusqu'à ce jour, je n’ai pu me rendre compte de cette nécessité, ni même de cette utilité.
La loi communale a accordé à l'autorité supérieure des moyens efficaces pour atteindre, non seulement les personnes, mais encore les choses. L'art. 87 accorde le droit d'annulation des actes pour incompétence, illégalité, parce qu'ils blessent l'intérêt général. L'art. 88 permet d'envoyer des commissaires spéciaux à l'effet de recueillir les renseignements ou observations demandées, ou de mettre à exécution les mesures prescrites par les lois et règlements généraux, par les ordonnances du conseil provincial, ou de la députation permanente. Maintenant pour les personnes, voyons l'art. 56. Il donne au gouverneur le pouvoir de suspendre et de révoquer les bourgmestres et les échevins pour les motifs y indiqués. Pourquoi n'a-t-on pas fait usage de cette disposition, ou pour mieux dire pourquoi en a-t-on si peu usé ? Je ne vous répéterai pas ce qui résulte du rapport de M. Liedts, mais pourquoi n'a-t-on pas cherché à rappeler à leur devoir les bourgmestres et les échevins qui s'en seraient écartés, d'autant mieux que l'art. 56 autorise la suspension ou la révocation, non seulement pour inconduite, mais même pour négligence grave. Je crois en avoir trouvé le motif, je le pense, dans une considération bien forte.
En présence de l'art. 21 de la constitution qui donne aux autorités constituées le droit d'adresser des pétitions en nom collectif, le ministère a considéré comme des actes illégaux les pétitions de cette nature émanées des conseils communaux. Il a même donné le nom de junte aux conseils qui ont fait usage du droit écrit dans cet article de notre pacte fondamental. De tous côtés, après le fameux programme du ministère actuel, on s'est écrié, si ce sont là des actes illégaux, s'ils sont émanés d’autorités qualifiées en quelque sorte de révolutionnaires, pourquoi ne les faites-vous pas annuler. Disons-le franchement, c'est parce que le ministère ne croyait pas en avoir le droit ; car s'il eût cru avoir ce droit, il eût manqué à son devoir en n'en usant pas. Eh bien vous proposez de changer tout le système de l'organisation communale, plutôt que d'user d'un droit que donne la loi ; n'est-ce pas ressembler à celui qui couperait l'arbre par la racine plutôt que d'enlever une branche parasite ?
Si les moyens actuels ne suffisaient pas, il y avait le droit de dissolution. Ici le ministère a montré une grande méfiance de la droiture du bon sens et du patriotisme du peuple belge. Je ferai un appel au passé. Lorsque le lendemain de la bataille, après avoir reconquis votre indépendance, vous avez jugé à propos de réédifier sur ce qui avait été détruit, vous avez fait un appel au peuple pour qu'il désignât les hommes qui devaient poser les bases de l'édifice social qui devait former la première assemblée constituante. Comment le peuple a-t-il usé de ce pouvoir ? D'une manière qui prouve son bon droit, son instinct de conservation et de patriotisme. Il a envoyé au congrès, sans distinction d'ordre, des membres du clergé, de la noblesse, du commerce, de l'industrie. Tout a été représenté. Pourquoi ? parce que le peuple avait confiance dans la manière dont tous les Belges, à quelque classe qu'ils appartinssent, concourraient à doter la Belgique de ces libertés qui font sa gloire et son espérance. Voilà le peuple qui vous inspire de la méfiance !
On ne saurait le nier ; deux opinions divisent les esprits, la presse, les collèges électoraux, les chambres, etc.
Le ministère qui s'appuierait sur une opinion extrême et exclusive, n'est pas viable.
Il faut qu'il tienne la balance.
Si vous lui donnez le moyen de dominer la commune, vous lui mettez en main un instrument d'oppression de l’une ou de l'autre opinion.
En effet toute la force morale du pays est dans la commune.
« La commune, dit M. Dupin aîné dans la préface de l'Histoire de l'administration locale, la commune, c'est la patrie en bref et pour ainsi dire au petit pied, c'est là plus particulièrement ce qu'on appelle SON PAYS. »
C'est au nom de cette patrie qui nous a confié ses plus chers intérêts. c'est en invoquant la devise nationale : l'union fait la force, que j'abjure tous les hommes prudents de ne point se lancer dans le tourbillon du pouvoir fort. A un projet de loi menaçant pour les libertés communales, plus encore par ses inévitables conséquences que par son principe considéré en pure théorie, opposons cette sage temporisation qui doit toujours être notre règle de conduite lorsqu'il s'agit d'intérêts d'un ordre aussi élevé.
Si l'état des choses, tel que nous l'a fait la loi du 30 mars 1836, présente quelques inconvénients, attendons, pour y porter remède, que le ministère nous présente un projet de loi qui, mettant en harmonie les attributions du conseil communal et du collège échevinal, avec le système de la composition du personnel de l'administration, respecte avant tout ce principe vital d'une bonne organisation : là où il s'agit de gérer et d'administrer des intérêts communaux, il faut l'intervention, sinon exclusive, au moins toujours directe des électeurs dans le choix de ses mandataires.
M. Vandensteen. - Messieurs, les projets de loi soumis à vos délibérations ont fait naître dans le sein de cette chambre une vive opposition ; il ne pouvait en être autrement, l'importance du sujet est assez grave pour donner lieu a des opinions divergentes.
Avant de discuter sur le principe de modification, je commence par dire que nous devons nous livrer à cet examen avec un esprit dégagé de toute opinion de parti ; avec cet esprit qui est le propre du législateur, qui examine les choses pour les choses mêmes, en vue du pays, sans s’inquiéter quels sont les hommes qui sont au pouvoir. S'il en était autrement, nous travaillerions dans l'intérêt de nos opinions sans faire les affaires de la nation ; l'actualité viendrait empiéter sur les besoins réels de l’avenir ; en procédant de la sorte, nous ne ferions rien d’utile ni de stable pour le pays.
On peut réduire, suivant moi, à trois objections principales les motifs émis par ceux des honorables membres qui combattent tout projet de modification.
La première consiste à dire qu'introduire dans l'administration communale l'action gouvernementale, c’est anéantir les libertés de nos communes. La seconde, que c'est à tort que l'on veut trouver des vices dans l'application de la loi, puisqu'elle n'a point encore été appliquée quant au bourgmestres, et enfin que les modifications proposées donneraient lieu à de graves inconvénients.
Je dis donc d'abord qu'on a cherché à établir qu'introduire dans la commune l'action gouvernementale, c'était contraire à tous les principes reçus en Belgique, et pour prouver ce fait, où a-t-on cherché la démonstration d'une telle proposition ? On a eu recours aux chartes, aux octrois, aux édits des temps les plus reculés. Sans vouloir récuser ces documents historiques qui ont servi dans le cours de cette discussion pour prouver le pour et le contre, je me demande si c'est bien dans ces documents très précieux, je l'avoue, que l'on doit trouver le principe, de nos lois actuelles ? Si c'est aux institutions anglaises, françaises ou autres qu'il faut s'adresser en 1842, pour voir s'il est nécessaire, après l'application qui en a été faite depuis plusieurs années, d'apporter ou non des modifications à la loi de 1836. Evidemment non, messieurs, car ces institutions, qui pouvaient être bonnes et très bonnes à ces différentes époques, s'harmoniseraient fort mal avec nos mœurs, nos habitudes et seraient loin de répondre aux besoins actuels. Laissons donc, messieurs, à l'histoire ses souvenirs, respectons-les, et si parfois le législateur est obligé de jeter un regard sur le passé, qu'il le fasse, mais avec prudence et modération ; sans cela, il se verra exposé à formuler des systèmes, des théories que la pratique viendrait bientôt détruire.
Si nous nous trouvions encore à l'époque de 1831, je comprendrais toute la portée de semblables citations, car alors il s'agirait de poser les bases de notre système communal. Un retour sur le passé, dans un tel état de choses, ne serait point un hors-d'œuvre, mais aujourd'hui que notre système est formulé, je ne conçois point comment on invoque encore, dans cette discussion, les anciens souvenirs, et je suis peu touché, je vous l'avoue, des arguments que l'on veut en tirer. Le congrès, qui comptait dans son sein des hommes très profonds, tant sous le rapport des connaissances historiques que législatives, n'a point perdu de vue qu'à une certaine époque, nos communes avaient joui d'une liberté d'action très grande. C'est aussi en souvenir de ce passé qu'il a voulu consacrer le pouvoir communal comme garantie des libertés qu'il reconnaissait appartenir au peuple. C'est donc à cette même constitution que nous devons nous adresser, pour voir si elle s'oppose aux modifications qui nous sont demandées.
Il a été démontré à l'évidence, dans les nombreuses discussions qui eurent lieu à l'occasion de la loi qui nous occupe, et inutile de s'y arrêter longtemps, que la constitution, en établissant le principe de l'élection directe, admet l'exception pour les chefs des administrations communales, et que ce chef peut aussi bien être un individu qu'un être moral, comme, par exemple, lorsqu'on laisse le pouvoir exécutif au collège des bourgmestre et échevins, alors le collège devient évidemment le chef du pouvoir exécutif, et c'est ce qui a été établi par le législateur de 1836. Ce législateur, en stipulant que le bourgmestre serait pris dans le sein du conseil, qu'il exercerait son pouvoir concurremment avec les échevins, a usé du droit qui lui était conféré par l'art. 108 de la constitution. Ce système mixte a été adopté de préférence à tout autre parce qu'il fut envisagé comme le plus propre à concilier, d'une part, l'intérêt général et, de l'autre, l'intérêt communal. Mais qu'est-il arrivé ? C'est que les inconvénients que le temps seul constate, sont venus démontrer combien le système actuel est imparfait et qu'il y a nécessité de le modifier.
Il est reconnu et admis qu'à la loi avait été laissé, par le législateur constituant, le soin d'organiser le pouvoir exécutif de la commune. Est-ce après la manifestation si claire et si expresse de cette volonté que l'on viendrait accuser le gouvernement d'aspirer au despotisme et d'aviser à l'anéantissement des franchises communales, lorsqu’il demande, au nom de l'ordre et dans l'intérêt des administrés mêmes, des mesures que la constitution envisage comme pouvant se concilier parfaitement avec ces mêmes franchises communales ? Il n'en est rien, messieurs, car, si comme je le disais tout à l’heure, on recourt à la constitution, qui, en définitive, est votre guide dans cette question, et non aux anciennes institutions des temps les plus reculés, on conviendra que ce qu'on appelle envahissement n'est que l'exercice d'un droit, pour ne pas dire d'un devoir, imposé au législateur d'organiser le pouvoir exécutif dans la commune, dans l'intérêt de l'ordre et du bien-être public.
C'est donc en vue de satisfaire au vœu de la constitution que le gouvernement a proposé le projet de modification qui a d'abord fait l'objet de nos premières discussions. Ce projet a donné naissance à un système qui a paru, en dernier lieu, à la section centrale plus complet et plus à même de parer aux abus qui ont été signalés. Par ce système, les luttes communales cesseront d'être ce que parfois elles ont été ; elles se feront pour la commune et dans le seul intérêt de la commune. Sans restreindre en rien le pouvoir délibérant de la commune, ce pouvoir, dans lequel résident les vrais intérêts communaux, le pouvoir exécutif trouve un appui qui tournera au profit de l’ordre, de la tranquillité et de l'exécution de toutes les lois et règlements d'intérêt général. Ce système est appelé à apporter une amélioration notable à la loi de 1836, et me paraît, s'il était adopté, le plus propre à répandre dans toutes les localités les bienfaits que peut procurer une bonne loi communale ; car je ne suis point du nombre de ceux qui, ne voulant pas reconnaître les vices de la loi de 1836, prétendent que le système en vigueur dans le moment ne peut révéler les abus signalés, puisqu'il n'a point encore été mis en pratique, quant à ce qui regarde le bourgmestre, et qu’il faut attendre jusqu'au mois d'octobre pour voir si le jeu de la loi a été convenable. .
Je vous avoue, messieurs, qu'il est difficile de répondre à une telle objection, lorsqu'on veut, de prime abord, nier l'existence des faits, comme s'il fallait attendre le résultat de la lutte probable du mois d'octobre, pour avouer qu'il existe dans le pays certaines localités où la marche salutaire et efficace de l'administration est devenue impossible ! Peut-on nier de bonne foi l'existence de semblables inconvénients, lorsqu'ils sont relatés par tout ce que le pays renferme de plus respectable et de plus élevé dans l'ordre administratif ? En effet, messieurs, que vous dit M. le ministre à la fin de son exposé (il nous suffira d'ajouter que les administrations provinciales frappées de ces abus réclament presque unanimement une mesure propre à rendre moins dépendant le principal agent du pouvoir exécutif de la commune) ? Je sais qu'on va même jusqu’à récuser dans cette question, l'opinion des autorités provinciales, de ces autorités qui, par l'ordre de choses établi, sont instituées pour examiner et suivre la marche des administrations communales dans leur moindre détail ; de ces autorités qui exercent un contrôle actif et vigilant, sans lequel nulle administration n'est possible. On refuse même à ses juges, qui font une application consciencieuse de la loi, les qualités suffisantes pour signaler les vices de la loi dans ses rapports avec les membres de la société.
Je vous avoue, messieurs, que, pour moi, je n'ai pas la force, comme certains de nos honorables collègues, de mettre ma propre conviction, quelque bien établie qu’elle puisse être, en opposition avec cette étude scrupuleuse et journalière à laquelle se livrent les autorités instituées dans l'intérêt d'une bonne administration.
Je ne puis, dis-je, récuser ce témoignage impartial et vrai que la vue de l'intérêt public a pu seul dicter, de ce témoignage qu'on est venu dénaturer d'une si étrange manière dans cette enceinte.
Se refuser à l'examen de semblables propositions ne serait point le propre du législateur, ses fonctions ne se bornent point seulement à faire des lois, mais il doit aussi suivre la loi dans ses rapports avec ceux qu'elle oblige, pour voir si elle cadre avec les besoins réclamés et si elle remplit les conditions de son existence. S'il en était autrement, la loi, bien loin d'être un bienfait pour les citoyens, deviendrait une calamité, protégeant par son existence les abus qu'elle engendre.
Mais, dit-on, l'on ne signale que des exceptions, et la loi ne doit s'appliquer qu'aux faits généraux. A cette objection je réponds que, tout en établissant la règle, on doit, autant que faire se peut, prévoir l'exception, et qu'il est d'un législateur prudent et sage de prendre des dispositions qui préviennent des abus, surtout lorsqu’il est connu que ces abus tendent à se généraliser. Dans ce cas, de tels faits ne sont plus des exceptions, et le législateur doit, dans l'intérêt de la société, prévenir le retour à de semblables actes.
On ne peut, en effet, nier qu'il ne se présente des circonstances où l'intérêt bien entendu des habitants de certaines localités n'exige l’emploi d'une mesure exceptionnelle. Eh bien, pourquoi priver ces mêmes localités des bienfaits qu'une semblable disposition pourrait leur procurer, surtout lorsqu'il est démontré, par l’application de plusieurs années, qu’il arrive que l'homme modéré, qui serait à même d’imprimer à l’administration une marche salutaire, réclamée dans l'intérêt de tous, se trouve souvent écarté du sein du conseil pour les motifs les plus futiles et les plus mesquins. Dans ce cas, dis-je, une modification au principe rigoureux est devenue une nécessité.
Quant à la troisième objection, qui consiste à dire que les modifications proposées peuvent très bien amener des inconvénients plus graves que ceux qui existent aujourd'hui, et que cet état de choses n'est que le résultat de toutes les institutions humaines qui ne sont jamais parfaites, ce raisonnement ne me paraît point très solide ; il suffit, pour le détruire, de voir dans quelle position sont placés les opposants à toute modification, et les partisans des mesures proposées.
D'un côté, je vois le doute ; de l'autre, des faits accomplis, une pratique de plusieurs années, des abus signalés, reconnus et avoués, même par les opposants aux modifications, et ceci ne suffirait point pour justifier la demande de certaines modifications, qu'il est utile d'apporter à une loi aussi importante et d'une application aussi journalière, surtout lorsque ni principes constitutionnels ne s'y opposent, ni impossibilité d'application ne s'y refuse ? Autant vaudrait récuser à tout jamais les enseignements de la pratique, et dire à priori : Ce qui est fait est bien fait, et déclarer la loi infaillible. Quant à moi, je ne crains point de dire ma façon de penser à cet égard ; refuser toutes les propositions qui sont faites, c'est vouloir, à mon avis, sous les motifs les plus mal fondés, priver les localités où semblables modifications sont réclamées des bienfaits d'une loi qui est faite en vue de l'intérêt général et du bien-être que tout citoyen a droit d'en attendre ; c'est vouloir perpétuer des abus qui sont connus de tous, et qui finiront infailliblement par se généraliser.
Sans vouloir, pour le moment, discuter les différentes propositions qui nous sont faites, j'ai voulu démontrer que certaines modifications pourraient très bien être apportées à la loi communale sans froisser les principes constitutionnels, et qu'il se présente, dans la pratique, des circonstances telles que l'application rigoureuse du principe déposée dans l'art. 2 de la loi de 1836 engendre le plus grand mal dans bon nombre de localités.
Persuadé, comme je le suis, que des modifications sont devenues nécessaires et réclamées dans l'intérêt du bien-être général, je croirais manquer à ma conscience si je n'accordais mon concours à toutes mesures qui me paraîtraient devoir amener ce résultat. De toutes les propositions qui nous sont faites jusqu'aujourd’hui, celle qui ont été admises par la section centrale me paraissent jusqu'à ce moment préférables, parce que, d'une part, elles semblent atteindre plus directement le but commun que nous avons tous, qui est de faire jouir nos populations des bienfaits d'une loi faite dans l’intérêt de la généralité, et qu'en outre elles ne gênent en rien le libre exercice du pouvoir délibérant de la commune, exercice qui lui est octroyé par la constitution même.
M. Delehaye. - L’attachement aux libertés communales a toujours été pour les Belges un sentiment très vif. Si nous consultons l'histoire, nous voyons que souvent ils ont sacrifié à ce sentiment leur fortune et même leur existence. Il est vrai qu'à certaines époques, comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur, des souverains, ne tenant aucun compte des libertés communales, ont substitué leur volonté à celle du pays. Nous avons vu plus d'une fois les franchises communales disparaître à la suite de luttes sanglantes. Mais ne perdez pas de vue que quand les communes en trouvaient l'occasion, elles ne manquaient pas de reprendre les libertés dont on les avait dépouillées. Ce qui est force n'est pas droit. Si des souverains ont abusé de la force, ce n'est pas là ce qui constitue la loi du pays. Si nous consultons ce qui s'est passé dans les Flandres, nous voyons qu'un droit que nul n'a jamais contesté, c'est que les chefs communaux étaient nommés par les notaires ou par les états. Consultez l'ouvrage de M. Raepsaet, qui a consacré une bonne partie de sa vie à étudier l'histoire de son pays, et vous verrez que, dans les communes des Flandres, les chefs communaux étaient nommés par les électeurs, car les états étaient eux-mêmes nommés par les notables.
Messieurs, l'histoire nous apprend combien le peuple belge a toujours tenu à la faculté de pouvoir choisir lui-même ses chefs communaux ; aussi, à la révolution, le gouvernement provisoire a si bien senti, a si bien compris la force de ce sentiment, qu'un des premiers actes qu'il a posés, était l'émancipation des communes.
Messieurs, j'appartiens à une province où la révolution n’a pas été bien accueillie dès le principe. Cette province est éminemment industrielle, éminemment commerciale, et on y avait la persuasion que la révolution devait apporter à l’industrie, comme au commerce, un coup funeste ; mais du moment que le gouvernement provisoire avait proclamé l'émancipation des communes, tout le monde s'est rallié à cet acte, alors que beaucoup d'actes portés par le gouvernement provisoire n'avaient rencontré que du dédain, celui qui déclarait l'émancipation des communes mérita les sympathies de tous les électeurs.
Messieurs, cet ordre de choses établi par le gouvernement provisoire que le congrès national et la législature, qui l'a suivi, avaient respecté en 1836, n'avait donné lieu à aucun abus. L'administration commune marchait très régulièrement. Aussi le congrès appelé à donner son avis sur les bases de la loi communale, n’avait pas pensé qu'on pût proposer d'apporter à l'administration des communes les modifications qui vous sont aujourd'hui soumises.
En 1836 on ne voulait déjà plus de ce chef communal, de cet homme qui recevait son autorité, qui recevait son pouvoir des électeurs, un pouvoir conféré de cette manière paraissait déjà trop bourgeois, trop démocratique. On voulait substituer l'homme du gouvernement, l'homme du pouvoir au mandataire de la commune, à l'homme investi de la confiance de la commune. On voulait que ce fût le gouvernement qui intervînt dans la nomination des chefs communaux.
Eh bien ! qu'en est-il résulté ? Je me permettrai encore ici de vous parler de la localité à laquelle j'appartiens, parce que comme habitant de cette localité, et comme magistrat, j'ai pu apprécier les faits qui s'y sont passés.
Avant la loi de 1836, alors que les autorités communales, chargées de maintenir la police, avaient été nommées par les électeurs, et étaient dès lors investies de leur confiance, la ville de Gand, cette ville où pourtant la révolution avait été accueillie si peu favorablement, n'avait présente aucun signe de trouble ni de discorde. Et alors qu'en 1834 dans tant de localités il n'y avait que discorde, qu'anarchie, la ville de Gand présentait le spectacle d'une ville tranquillement soumise aux lois.
A quoi faut-il attribuer cet état de choses ? Nul mieux que moi ne peut répondre à cette question. Vous remarquerez, messieurs, que j'étais à même de bien apprécier les événements. Il faut l'attribuer à la confiance illimitée qu'avait le peuple de Gand dans son bourgmestre et dans ses échevins chargés de la police. L'autorité de ces chefs, la popularité de ces fonctionnaires avaient suffi pour obtenir dans la ville de Gand l'ordre et la tranquillité qui, partout ailleurs, n’existaient plus.
Messieurs, lorsque la loi de 1836 a été mise à exécution, qu’a fait le gouvernement ?
Et ici je ne fais pas précisément un reproche aux ministres d'alors. Je sais que les ministres sont presque toujours poussés par des hommes qui ne sont guidés que par leurs propres intérêts ; par des hommes qui craignent de voir leurs amis ou eux-mêmes, tantôt éliminés des conseils communaux, tantôt dans l'impossibilité d'arriver aux conseils provinciaux ou à la chambre. Je sais que ces hommes circonviennent le pouvoir et que celui-ci a souvent bien de la peine à s'en débarrasser.
Mais enfin, qu'est-il arrivé en 1836 ? Et les faits dont je vais parler sont arrivés non seulement dans la ville de Gand, mais dans beaucoup de communes de la Flandre orientale. Il fallait tout changer ; le gouvernement ayant le droit de nommer le bourgmestre dans le conseil, il fallait profiter de cette latitude.
A Gand, un homme dont je puis parler ici, car il ne nous reste plus qu’à pleureur sur sa tombe, un homme était parvenu à se faire aimer de tous les partis. Il avait obtenu de ses concitoyens un mandat que nul n'avait osé disputer ; chacun trouvait chez lui un accueil facile. Eh bien ! je ne sais par quelle sorte de caprice cet homme déplut au pouvoir, le gouvernement mal informé, la repoussa. Il en appela un antre aux fonctions de bourgmestre.
Certes, le choix qu'avait fait le gouvernement aurait pu obtenir l'approbation générale. Le successeur de M. Vancrombrugghe était un homme énergique, doué de grandes capacités, jouissant, à cette époque, de beaucoup de popularité. C'était peut-être le seul homme qui aurait pu faire oublier l'administration de M. Vancrombrugghe.
Mais qu'est-il arrivé ? C'est que le vice de l'origine de son pouvoir l'a rendu impossible ; malgré son énergie, malgré ses capacités, malgré sa popularité, force lui a été de se retirer.
Et c'est là ce que vous voulez voir encore se renouveler aujourd'hui ! Vous croyez que les administrations communales, que les conseils communaux recevront facilement dans leur sein des hommes qui n'ont pas leur confiance. Détrompez-vous, l'exemple frappant que je viens de citer prouve le contraire.
Messieurs, il me semblait qu'un argument de cette nature aurait dû suffire au gouvernement pour ne pas présenter le projet qui vous est soumis.
Mais on a jugé à propos de faire une enquête administrative. L'orateur qui a parlé avant moi a trouvé que, dans cette enquête, il y avait des faits tellement graves, que c'était se refuser à la lumière que de nier la nécessité de modifier la loi communale. Hier, l'honorable M. Fleussu a évalué à douze ou quinze le nombre des griefs qu'on pourrait signaler contre les administrations communales telles qu'elles sont organisées aujourd'hui. Mais cet honorable membre a réellement commis une exagération. J'ai lu aussi les rapports de MM. les gouverneurs et commissaires de district, et je puis dire que les faits qui pourraient soit directement, soit indirectement s'adresser aux bourgmestres, ne sont qu'au nombre de cinq.
Car enfin, vous ne prétendrez pas que, pour des conseillers communaux, c'est travailler par préoccupation électorale que de déposer leur démission. Nous avons vu des conseils communaux renoncer à leurs pouvoirs ; mais, je le répète, on ne peut prétendre que ceux qui déposent leurs pouvoirs soient préoccupés du désir de se faire réélire. Direz-vous que ce sont des séditieux ; mais M. le ministre de la justice est là pour répondre, lui qui a aussi déposé ses pouvoirs. Vous ne direz donc pas que ce sont des séditieux. Et, en effet, il peut arriver que l'intérêt de la commune, que la dignité du fonctionnaire lui-même demandent qu'il renonce à son mandat.
Que le gouvernement d'ailleurs y prenne garde, en envisageant comme un acte de sédition la renonciation à ses pouvoirs de la part d'un conseiller communal ; je crains que, lorsque vous aurez organisé vos nouvelles communes, beaucoup de mandats ne soient déposés.
Messieurs, j'ai rempli pendant quelque temps la place de bourgmestre ; j'ai reçu un mandat du gouvernement provisoire, et j'ai été confirmé dans ces fonctions par les électeurs ; j'ai, par conséquent, aussi quelque expérience. Je vous assure, et tous ceux qui ont eu des relations avec l'administration communale vous le diront, comme moi, que rien n'est plus propre à assurer la réélection d'un bourgmestre que l'accomplissement fidèle de ses devoirs.
Aussi, quels sont les griefs qu'on fait valoir contre le mode actuel de nomination des bourgmestres ?
On dit que l'entretien des chemins vicinaux a été négligé par certains bourgmestres, et cela par préoccupation électorale. Mais rien n'est plus propre à nuire à un bourgmestre que la négligence à faire respecter la loi sur les chemins vicinaux. Sans doute, il pourrait arriver qu’un électeur puissant cherche à se soustraire aux obligations qu'impose cette loi. Mais, vous remarquerez que s'il y a négligence de la part du bourgmestre à faire respecter la loi par un électeur, vingt autres électeurs en souffriront. Ainsi, pour s'assurer la voix d'un électeur, le bourgmestre se mettrait en opposition avec vingt autres.
Un autre grief qu'on a encore articulé, ce sont les délits de chasse. Mais encore une fois je suis étonné que des administrateurs d'un grand mérite puissent citer ces faits comme pouvant provenir de préoccupations électorales. Les délits de chasse ne sont pas dans les attributions des bourgmestres. Les délits de chasse sont constatés à la demande des parties intéressées, des propriétaires ; ils sont constatés par les gendarmes, par les gardes-champêtres, et il faut que ces derniers soient assistés de témoins. Or, comment peut-on trouver qu'un bourgmestre, par préoccupation électorale, n'ait pas fait exécuter les règlements sur la chasse, alors que ce n'est pas lui qui doit constater le fait ? On dit aussi : le curage des rivières n'a pas été surveillé par un bourgmestre qui cherchait à conserver son mandat.
Messieurs, vous avez tous vu souvent ce qui se passe dans les campagnes. Vous savez que le curage des cours d'eau a été ordonné dans l'intérêt général ; si une partie d'une rivière n'était pas bien entretenue, parce que le bourgmestre négligerait de remplir ses devoirs, vous auriez une réclamation générale. Il n’est rien dans les campagnes qui excite plus de réclamations de la part des électeurs, des propriétaires que la négligence dans le curage des cours d'eau. Tout le monde est d'accord que si un bourgmestre s'avisait de ne pas faire nettoyer un cours d'eau, il y aurait contre lui réprobation générale.
D'ailleurs, ici on ne fait pas seulement le procès aux bourgmestres, mais aux commissaires de district. Les commissaires de district sont obligés de faire annuellement deux visites dans chaque commune. Ils doivent s'y rendre pour examiner si les chemins vicinaux, si les cours d’eau sont bien entretenus. Si donc un bourgmestre négligeait ses devoirs, le commissaire de district saurait l'y rappeler. De sorte, messieurs, que si des négligences sur ce point existaient réellement, il faudrait modifier la loi, non seulement à l'égard des bourgmestres, mais aussi à l'égard des commissaires de district.
Messieurs, le dernier des cinq faits que je vous ai signalés, c'est que des certificats de milice auraient été délivrés à tort. Je suis réellement surpris qu'un fait pareil soit signalé. D'abord, ce n'est pas le bourgmestre seul qui délivre les certificats de milice. Les conseils de milice sont là pour réparer le mal, s'il y a lieu. Mais il n'y a pas de point sur lequel les bourgmestres soient plus sévères que sur la délivrance des certificats de milice. Et, en effet, pourquoi un bourgmestre donnerait-il un certificat de milice à un homme qui n’y a pas droit ? Par préoccupation électorale ? mais pour un individu qu’il favoriseraient, il s’attirerait la haine de tous les miliciens, de tous les parents des miliciens qui viendraient après celui qu'il aurait favorisé, et qui se trouveraient lésés. Cela est évident pour quiconque sait ce qui se passe à cet égard.
Vous voyez, messieurs, à quoi se réduisent tous ces faits signalés par l'enquête et que l'honorable M. Vandensteen trouve si concluant.
On objecte toujours à ceux qui demandent le maintien de la législation actuelle, que les bourgmestres nommés dans le sein du conseil négligent souvent de remplir leurs devoirs par la crainte qu’ils ont de déplaire aux électeurs. Eh bien, messieurs, je suis heureux de pouvoir invoquer ici le témoignage de l'honorable gouverneur de la Flandre orientale, qui dit dans son rapport au ministre que, depuis 1836 jusqu'à la date de son rapport, il ne s'est produit dans sa province aucun fait qui donnerait lieu de croire que les bourgmestres se préoccupent de leur réélection ; il ajoute que si dans la suite, des faits de cette nature se présentent il aura soin de les signaler ; voilà certes une déclaration positive qui répond d'avance à tout ce que l'on vient nous dire du soin que prennent les bourgmestres de ne pas déplaire aux électeurs.
L'honorable M. de Theux a dit hier que si les modifications proposées sont adoptées, notre loi communale sera encore la plus libérale de l’Europe. J'ai été étonné d'entendre une pareille déclaration sortir de la bouche de l'honorable rapporteur. Je vois, dans un pays voisin, un homme qui tous les jours attaque le gouvernement avec une violence extrême ; qui proclame sans cesse la nécessité de rompre l'union des trois royaumes ; et qui cependant remplit ses fonctions de maire dans la seconde ville de l'empire britannique ; a-t-on jamais songé, messieurs, à répondre à l'opposition d'Occonnel par des modifications à la loi communale ; on me dira peut-être qu'en Angleterre l'organisation communale tient à la constitution même du pays. Cela est très exact, mais il n'en est pas moins vrai que si l'on peut en Angleterre maintenir sans danger à la tête de l'administration d'une des villes les plus importantes du pays, un homme qui fait au gouvernement une opposition constante, qui demande tous les jours la rupture du lien qui unit les trois royaumes, il ne peut pas y avoir d'inconvénients à consentir en Belgique un état de choses auquel on n'a rien à reprocher, si ce n'est que de temps en temps un bourgmestre n'a pas rempli ses devoirs avec tout le zèle nécessaire.
Si, de ce qui concerne le chef de l'administration municipale nous passons aux prérogatives de la commune elle-même, nous serons encore bien plus étonnés d'entendre dire que notre loi, même avec les changements proposés, sera la plus libérale du monde. Quel est donc, messieurs, même dans l'état actuel des choses, l’acte que la commune peut poser sans l’intervention du pouvoir central ? La commune ne peut pas dépenser un centime sans l'approbation soit du gouvernement, soit de la députation permanente du conseil provincial ; à peine laissez-vous à la commune l'administration de ses propres biens, pour laquelle elle est encore obligée, dans certains cas, d'avoir l'assentiment de l'autorité supérieure. La loi actuelle est donc loin d'être libérale. Cependant nous nous en contentons, parce que nous croyons que pour le moment elle suffit aux besoins du pays.
Messieurs, lorsque les modifications qui vous sont soumises seront votées par les chambres, les bourgmestres se trouveront à peu près dans la même position où ils se trouvaient avant 1830. Alors, le gouvernement nommait aussi les bourgmestres en dehors du conseil. Que s'est-il passé à cette époque ? Les communes étaient-elles mieux administrées qu'aujourd'hui ?
Permettez-moi, messieurs, de vous citer des faits, qu'en vertu de mes fonctions de procureur du roi, j'ai pu constater les actes les plus importants des administrations communales ; les actes qui intéressent au plus haut degré les individus et qui demandent une certaine capacité de la part de ceux qui les dressent ; ce sont les actes de l'état-civil, j'ai trouvé que depuis1824 jusqu'en 1830, les actes de l'étal-civil avaient été tenus, dans certaines communes avec une irrégularité choquante ; j'ai vu des actes de décès inscrits sur des actes de naissance ; des actes de mariage laissés en blanc ; j'ai eu aussi l'occasion de voir les actes de cette nature dressés depuis la révolution, sous l'empire d'une législation qui permettait aux électeurs de nommer directement les bourgmestres ; eh bien, je suis heureux de dire que les actes dressés sous l'empire de cette législation étaient tenus avec une régularité admirable ; que j'ai trouvé partout l'ordre et l’harmonie. Qu'on ne dise donc pas que les électeurs font de plus mauvais choix que le gouvernement.
Si maintenant nous passons aux actes politiques, ce qui s'est passé sous l'empire de la législation de 1824 est bien plus effrayant encore. Savez-vous, messieurs, quel usage le gouvernement faisait du droit qu’il avait de nommer les bourgmestres en dehors du conseil ? Les gouverneurs parvenaient à introduire dans les conseils provinciaux une foule de bourgmestres tous plus dévoués au pouvoir qu’à leurs administrés, et comme c’était les conseils provinciaux qui nommaient les membres des états-généraux, l’on parvenait ainsi à éliminer de la représentation nationale tous les hommes qui faisaient ombrage au gouvernement. C’est ainsi qu’un homme qui avait rendu les plus grands services au pays, un homme dont la voix éloquente avait repoussé avec énergie les mesures nuisibles à son pays, a été éliminé des états-généraux.
Quoi qu’on en dise, messieurs, le projet n’a d’autre but qu’un but politique.
Si vous admettez que le bourgmestre soit nommé en-dehors du conseil et ne doive, par conséquent, aucun compte de sa conduite aux électeurs, si, en un mot, vous établissez des bourgmestres qui n’aient d’autres titres que d’être des agents dévoués au pouvoir ; si vous admettez, en second lieu, la proposition de l’honorable M. de Theux, d’après laquelle une ville, comme Bruxelles, par exemple, pourra, comme l’a fort bien dit l’honorable M. Dolez, être divisée en vingt collèges électoraux, vous donnerez au gouvernement la faculté, non seulement d’imposer aux communes un homme de son choix, mais encore d’introduire dans le collège une majorité que repousserait la majorité des électeurs. Il en résultera que des 5 membres dont se composera le collège dans les villes et des 3 dont sont composés ceux des communes rurales, il ne sera pas difficile d’y obtenir la majorité. Là où les collèges électoraux sont peu nombreux, dans des quartiers écartés, le gouvernement pourra, par promesses, faire passer quelques-uns de ses dévoués, auxquels le mandat d’échevins conféré dans la suite lui assurera une majorité toujours disposée à recevoir son impulsion.
Eh bien, messieurs, quels dangers ne peuvent pas résulter d’un semblable état de choses, en ce qui concerne notamment la confection des listes électorales, surtout après que vous avez, au commencement de cette session, admis le principe de la permanence des listes ?
Je ne veux pas, messieurs, attaquer le gouvernement : j’aime à croire qu’il ne se laisse guider que par des principes d’intérêt général ; mais le gouvernement est souvent poussé plus loin qu’il ne veut aller, et nous en avons eu un exemple dans cette discussion même, le gouvernement a été conduit à appuyer des propositions beaucoup plus graves que celles qu’il avait présentées.
Messieurs, comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire (et vous me permettrez cette observation, puisque je suis aussi un homme de la révolution), comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire, et comme nous en sommes d'ailleurs tous convenus, la révolution.de 1830 n'a pas été faite dans un intérêt matériel, elle n'a point été faite parce que le pays gémissait sous de lourds fardeaux ; elle a été faite à une époque où la ville d'Anvers faisait ombrage à Rotterdam et à Amsterdam, où Gand excitait la jalousie des villes les plus industrielles de l'Europe, où le pays jouissait de la plus grande prospérité, où, comme l'a dit alors un écrivain français, il y avait presque indigestion de bonheur en Belgique, On a fait la révolution parce que l’on tenait compte d'autre chose que de la prospérité matérielle, parce que l'on savait que l'homme ne vit pas seulement d'écus et de pain, mais qu'il a aussi des besoins moraux à satisfaire. C'est au nom des intérêts moraux et non pas des intérêts matériels que la révolution a été faite.
Eh bien, messieurs, les franchises communales étaient une des promesses de la révolution ; cependant aujourd'hui vous voulez manquer à cette promesse, vous voulez enlever au pays ces franchises dont il n'a joui que pendant quelques années, et dont il n'a jamais abusé.
Voyez, messieurs, ce qui se passe en Hollande. En Hollande, il n'y a pas de dédommagement à accorder pour la perte de la prospérité matérielle ; la Hollande jouit d'un bien-être presque général ; cependant le gouvernement propose de modifier ses institutions communales dans un sens tout à fait favorable à la liberté. En Belgique, au contraire, le commerce est anéanti, l'industrie végète, nos ouvriers émigrent en grand nombre, parce qu'ils ne peuvent plus trouver de pain dans leur patrie, et, alors que nous avons fait une révolution au nom des intérêts moraux, alors que nous, hommes de la révolution, nous ne pouvons nous justifier d'avoir pris part à cette révolution, qu'en invoquant le bien moral qui devait en résulter, vous viendrez nous proposer de porter la hache à des institutions qui sont pour le pays le prix des plus grands sacrifices ! Pour ma part, messieurs, je n'y adhérerai jamais.
M. le président. - La parole est à M. Angillis.
M. Angillis. - Messieurs, ayant fait aujourd'hui 28 lieues pour me rendre à mon poste, je me trouve si fatigué qu'il me serait difficile de prononcer le discours que j'avais conçu contre le projet primitif et contre tous les amendements. Je suis donc forcé de renoncer à la parole.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, après 6 années d'application de la loi communale, le gouvernement a cru devoir proposer des modifications. D'après les uns, l'expérience est suffisante, d'après les autres, rien ne motive un changement quelconque.
Tous les hommes qui ont acquis quelqu'expérience des affaires administratives sont, à peu d'exceptions près, de l'avis des premiers.
Leur opinion se fonde sur ce que le gouvernement n'a pas une action suffisante sur l'autorité communale, pour l'exécution des lois et règlements d'intérêt général ; et cette action n'est pas suffisante, parce que l'élément gouvernemental de l'autorité exécutive dans la commune se trouve, en quelque sorte, effacé, anéanti par l'élément électoral.
D'après d'autres opinions, il faut maintenir l'organisation communale telle qu'elle existe, aux dépens même des intérêts généraux. Comme on se méfie du pouvoir central, il faut, autant que possible, limiter son action. Les libertés publiques consistent surtout dans ce qu'on est convenu d'appeler les franchises communales. La nation est dans la commune, la commune est seule l'être réel. Le gouvernement a d'ailleurs admis implicitement qu'il n'y avait pas lieu de modifier la loi, puisqu'il a fait un si rare usage de son droit de révoquer les bourgmestres.
Le but du gouvernement, celui de la section centrale, en nous proposant quelques modifications à la loi communale, est donc d'assurer au pouvoir central une action entière et indépendante pour l'exécution des lois et règlements d'intérêt général ; ce but a été de le dégager d'entraves incompatibles avec sa responsabilité. Quant à l'indépendance de la commune, on n'y porte aucune atteinte. Le conseil communal conserve ses attributions si étendues, le pouvoir exécutif de la commune s'exerce par un collège, dont 2 membres sur 3, 4 ou 5 dans les grandes communes font partie du conseil communal ; le pouvoir gouvernemental n’y est représenté que pour un tiers ou un cinquième. La section centrale a même admis, à mon regret, que le collège ainsi composé continuerait à exécuter les lois d'intérêt général ; on n'en excepte que les lois et règlements de police. Enfin le représentant du pouvoir central n’a pas même voix délibérative au conseil.
Et c'est la proposition d'un système aussi franc, aussi loyal, d'un système qui fait une aussi large part à la commune, qui ne tend qu’à prévenir les empiétements du pouvoir communal sur l’action gouvernemental, qui provoque de la part de quelques-uns de nos collègues un lugubre tocsin ! comme s'ils étaient convaincus que l'indépendance de la commune est en danger ! Non, j'ai trop bonne opinion de l'intelligence de nos collègues de Bruxelles pour croire au sérieux de toutes ces phrases sinistres. Ce que j'y vois de plus réel, c'est qu'on fait de cette question un objet d'opposition politique. La matière s'y prête, j'en conviens d'ailleurs si bien, il est si avantageux de se poser en défenseurs des libertés publiques ! Libertés qui d'ailleurs ne sont nullement attaquées.
L'honorable M. Verhaegen s'est étonné, dans une autre séance que l'on demande des modifications à la loi communale en Belgique, tandis qu'aucune voix ne s'élève pour modifier la loi municipale en France. Je n’ai rien compris à la portée de cette comparaison, car notre loi communale, avec les modifications qui provoquent tant de clameurs, sera encore infiniment plus libérale que la loi française. En effet, en France le conseil municipal est dissoluble, ses attributions sont, comparativement à celles de nos conseils communaux, très restreintes : il ne s'assemble de droit que 4 fois l'an, le maire agit seul, non seulement pour les intérêts généraux, mais même pour les intérêts communaux ; il n'est pas, comme en Belgique, une espèce de machine exécutive, mais il administre sérieusement.
Enfin, un sous-préfet dont le ressort comprend les villes comme les communes avec des attributions incomparablement plus étendues que celles de nos commissaires d'arrondissement, et un préfet qui administre seul, sans le contrôle d'une députation, veillent à ce que les municipalités ne sortent pas des limites tracées par la loi. Si la loi communale belge ressemblait à la loi municipale française, je ne crains pas d’un contredit par le ministère, en disant qu'il ne demanderait pas de pouvoir choisir le bourgmestre hors du conseil. Cette comparaison est toute en faveur des propositions qui nous sont faites. Elle prouve leur extrême modération. On a ensuite vanté la moralité, l'esprit d'ordre, qui règnent en Belgique ; il est heureusement vrai que le peuple belge est plus moral, plus modéré que bien d’autres peuples ; et la preuve la plus frappante en est que l'ordre n'a pas été gravement compromis avec une organisation comme la nôtre, organisation qui relâche tellement l'élément gouvernemental, que je n'hésite pas d'émettre l'opinion que la France ne marcherait pas 6 mois en paix avec nos lois communale et provinciale. Mais parce qu'il n'y a pas eu de désordres très graves fréquents, est-ce à dire qu’il ne faille rien faire ? Faut-il attendre que le désordre s’introduise ? je ne le pense pas car notre mission est de doter le pays de lois qui le préviennent.
Après tout, je ne pense pas que nos libertés publiques consistent dans les franchises communales ; cela était exact sous un gouvernement absolu ; on tâchait alors de contrebalancer le despotisme central par la plus grande somme de libertés communales possible. Les libertés municipales ont peu d'importance quand on possède une constitution qui consacre toutes les libertés possibles, un gouvernement responsable, un parlement élu directement, et que ce contrôle des actes de l'administration se fait par une presse libre. Sous un régime pareil, les libertés communales ne peuvent plus consister que dans la gestion libre, dans certaines limites, des revenus communaux et la nomination de quelques agents.
La tactique des hommes d'opposition qui se posent en défenseurs des libertés communales, qui, je le répète, ne sont nullement menacées, est de parler comme si le gouvernement était un élément ennemi, intéressé à nous nuire ; il semblerait que le gouvernement n'est pas l'expression de la majorité de la représentation du pays ; il semblerait que le gouvernement n'est pas le pays lui-même. Quant à moi, je ne puis avoir cette méfiance du gouvernement responsable du pays. Le gouvernement, organisé comme il l'est, peut le bien, il peut difficilement le mal. Je veux donc que son action soit indépendante, pour l'exécution des lois et règlements d'intérêt général, jusque dans la commune ; car, d'après moi, la nation n'est pas dans la commune, mais c'est la commune qui est dans la nation. La partie est dans le tout. Le tout ne peut être dans la partie. Ne pas vouloir la libre intervention du gouvernement dans la commune, pour assurer l'intérêt général, c'est vouloir le retour des communes du moyen-âge.
Dès lors l'unité devient impossible et l'indépendance nationale est en danger Je ne fais un grief à personne de ces idées, elles sont en quelque sorte inhérentes à notre sol ; ce sont elles qui nous ont fait manquer plusieurs fois l'occasion de nous constituer politiquement ; ce sont elles qui ont fait ajourner à 1830 notre indépendance nationale, après nous être laissé enlever, dans les siècles passés, par suite de notre égoïsme provincial et communal, une bonne partie de notre territoire.
Si les hommes étaient parfaits, on pourrait se passer de tous les rouages administratifs, parce qu’ils n'ont été créés que pour faire prévaloir le bien et prévenir le mal ; mais d'après notre honorable collègue, M. Doignon, l'esprit d'individualisme, d'intérêt personnel s'accroît, et l'esprit de soumission à l'autorité s'affaiblit.
Cette tendance qui, je le crains, n'est que trop réelle, ne me semble pas faite pour nous permettre de laisser le pouvoir sans une force suffisante pour maintenir l'unité nationale.
Le despotisme n'est plus aux mains du pouvoir central, il s'est déplacé, il a passé à celles de l'élément électoral. Le gouvernement ne destitue ses agents qu'avec une réserve extrême, rarement, trop rarement peut-être ; l'élément électoral destitue, sans avoir à en dire les motifs, d'après son caprice. Aussi les flatteries ont-elles changé de direction ; ce n'est plus vers le haut qu'on s'incline, c'est dans un sens opposé.
Si le chef d'une province veut être puissant, il flattera sa députation et son conseil provincial ; il affectera même peu de déférence pour l'autorité dont il dépend ; et le gouvernement, au lieu d'un appui, finira par rencontrer en lui un élément d'embarras.
Les membres de la députation, qui administrent la province, n'ont à ménager que les bonnes grâces des électeurs.
Le commissaire d'arrondissement, qui voudra arriver à la chambre, sera souvent tenté de ménager un intérêt électoral, au lieu de faire son devoir.
Quant aux bourgmestres et échevins, ils savent que leur sort repose surtout dans l’urne électorale, et ils ne cherchent nullement à déguiser leur préférence pour l'électeur. S'agit-il d'une mesure de la plus mince importance, mais désagréable pour les administrés, l'on demande un ordre supérieur afin de pouvoir dire que l'on agit malgré soi. S'agit-il d'un certificat d'exemption de milice, sollicité par un électeur, on a la faiblesse de l’accorder. Mais comme il y a encore de la conscience à côté de cette faiblesse, l'on prévient le commissaire de milice de la circonstance et on le prie de faire des questions aux miliciens, afin d'arriver à l'attribution du certificat. S'agit-il de la délivrance d'un certificat de bonne conduite, sollicité par un sujet qui n'en est pas digne, on n'ose le refuser. S'agit-il de faire entretenir les communications, des ouvriers incapables de travailler sont admis, parce que l'on craint d'indisposer l'électeur. Un grand cultivateur empiète-t-il sur la voie publique, de manière à embarrasser les communications, on ne verbalise pas, on laisse prescrire l'action publique, parce que ce serait mécontenter un homme influent. La voie publique se trouve-t-elle embarrassée d'obstacles qui compromettent la sûreté du passage, on répond aux réclamants : Cela ferait tant crier. Enfin, les procès-verbaux de contraventions en matière de police sont des plus rares. Mais quand on voit arriver l'époque des élections, qu'on n'en est plus séparé que d'une année, c'est alors que l'action administrative, dans les communes, est complètement enrayée. Les autorités communales tâchent de démontrer aux autorités supérieures, qui insistent pour introduire des améliorations urgentes, que l'époque est intempestive, qu'il faut ajourner après les élections.
L'honorable M. Delehaye vient de nous dire que c'était aux commissaires d'arrondissement qu'il fallait s'en prendre de cette négligence, de cette faiblesse. Mais M. Delehaye devrait savoir que le pouvoir des commissaires d'arrondissement est très limité, que leur pouvoir se résume en une influence qui se borne à des invitations amicales ; car on ne leur a pas même accordé le pouvoir d'envoyer des commissaires spéciaux.
Enfin les bourgmestre et échevins réuniront sans cesse le conseil communal et lui soumettront souvent des questions qui ne sont pas de sa compétence, afin de se décharger de toute responsabilité. Aussi beaucoup de conseils communaux ont-ils demandé des indemnités, tant leurs réunions sont fréquentes. Dans d'autres communes, le conseil communal se rassemble souvent de lui-même ; je connais une commune, où il se réunit chaque fois que le collège échevinal est convoqué, afin de prendre connaissance de la correspondance, de manière à ce qu’aucune circonstance ne puisse lui échapper ; le collège exécutif n’eût jamais osé engager ce conseil à se borner à ses attributions déjà si nombreuses. On est d'ailleurs dans presque toutes les communes rurales dans la croyance que le conseil non seulement administre, mais qu'il est l'être agissant ; aussi les conseils sont presque partout en permanence. Le pouvoir est aux mains des corps collectifs sans responsabilité, capables de délibérer, mais incapables d'agir, comme le disait naguère un de nos honorables collègues. Leur action dans les communes, où les ressources communales consistent en taxes personnelles, n'est remarquable que pour refuser des dépenses souvent indispensables ; leur administration est toute d'économie. Il n'en est pas de même dans les villes à octroi ; là, comme les impositions se perçoivent d'une manière imperceptible et affectent moins directement l'électeur, l'on vote avec facilité de grandes dépenses, qui ont jeté plusieurs villes dans des embarras financiers très sérieux.
Cet état de choses est pour moi, et sera, j'espère, pour cette chambre, suffisant pour démontrer qu'il y a lieu de modifier la loi communale. J'accueillerai donc favorablement tous les amendements, qui tendront à dégager l'autorité exécutive de la dépendance de l'élément électoral ; je trouve des garanties suffisantes contre la partialité de ses actes dans sa responsabilité devant la représentation soit communale, soit provinciale, soit parlementaire, j'en trouve dans la liberté qu'a la presse de contrôler ses actes, En effet, messieurs, un abus de pouvoir d'une autorité administrative personnellement responsable, dénoncé à cette chambre, ne serait-il pas aussitôt réprimé que connu ? Mais en serait-il de même d'un acte d'un corps collectif, qui doit son origine en partie à l'élection, et dont aucun des membres n'est personnellement responsable ? N'avons-nous pas vu le collège échevinal de Liége éliminer illégalement un de ses membres ? Cet acte fut dénoncé au parlement et au ministère ; quel en fut le résultat ? L'abus fut toléré. J'ai entendu d'honorables collègues, qui sont nos adversaires dans cette question, admettre la réalité de ces inconvénients, mais se refuser à toute modification. Il faudrait, d'après eux, trouver des moyens de contrainte et des pénalités. Mais qui voudrait remplir des fonctions à peu près gratuites à ce prix, au risque d'encourir des amendes et autres peines ? Je pense que personne ne s'en soucierait.
Peut-être serait-on tenté de nous citer l'Angleterre ; on nous dira, que l’ordre s'y soutient, que la police y est bonne, meilleure qu'en Belgique, et que cependant les corporations ont une origine électorale, tandis que l'administration, telle que nous l'entendons ici, n'existe en quelque sorte pas.
Je ne pense pas que notre Belgique s'accommode du régime en usage dans ce pays. L'administration, le pouvoir qui prévient le mal, y est sans force, en effet, mais un système de procédure des plus actives, des lois pénales de fer y suppléent. On laisse faire, mais après les faits, arrivent des peines promptes et sévères. On ne doit pas oublier, que si les corporations sont élues, le juge de paix anglais, qui ne ressemble en rien aux nôtres, est un magistrat nommé et révoqué par la commune, qui jouit d'une haute position, exerce une grande autorité, et réunit à lui seul, des attributions administratives et judiciaires de police. Je le répète, je ne crois pas que notre Belgique veuille d'un genre de liberté aussi peu paternel.
Je voterai pour les amendements qui tendent à dégager le plus possible le pouvoir exécutif de l'élément électoral, et à assurer sa responsabilité.
M. Dumortier. - Messieurs, depuis plusieurs années, je n'ai pas abordé de discussion avec une anxiété telle que celle dans laquelle je me trouve aujourd'hui. C'est que la loi dont il s'agit en ce moment a, à mes yeux, une toute autre portée que celle que lui assigne l'honorable préopinant. Je crois voir dans cette loi bien moins une modification administrative qu'un bouleversement total de nos institutions, une mesure réactionnaire contre la révolution elle-même.
Vous comprenez. messieurs, qu'en envisageant la question de ce point de vue, il est impossible de rester froid, en présence de la discussion d'une loi de cette portée.
Messieurs, pour apprécier convenablement l'objet important qui nous occupe, il est nécessaire de se rappeler d'abord comment les choses se sont passées quand nous discutâmes pour la première fois la loi communale. Lorsque nous nous livrâmes à cette première discussion, je prie la chambre de bien s'en souvenir, tous les sacrifices imaginables ont été faits, pour amener ce résultat : l'administration du pays par des collèges... J'entends un honorable membre dire que ce système est détestable ; je lui répondrai tout à l'heure.
Je le répète, la chambre n'a reculé devant aucun sacrifice pour obtenir ce résultat : l'administration du pays par des collèges.
C'est dans cette vue que, lorsque le projet de loi primitif fut revenu du sénat, retiré par le gouvernement, et remplacé par un autre projet à peu près analogue à celui que M. le ministre de l'intérieur présente aujourd'hui, c'est dans cette vue, dis-je, que la chambre fit des concessions, pour avoir un collège échevinal convenable.
Et pourquoi la chambre tenait-elle à ce collège ? Parce que chacun de nous avait pu comparer dans sa pensée les mauvais effets de l'administration d'un seul administrateur que nous avions subie pendant les 25 années de notre réunion à la France, avec les bons effets de l'administration des collèges pendant toute la durée du gouvernement hollandais : C'était, en outre, parce que l'administration par collège est éminemment nationale. Jamais, quoi qu'on puisse dire, jamais la Belgique n'a été gouvernée par le régime d'un seul. Toujours, depuis la plus haute antiquité, notre patrie a été administrée par des collèges d'hommes qui ne permettaient pas à la tyrannie d'un seul de venir s'impatroniser dans les communes.
Ouvrez toutes les pages de notre histoire, et vous verrez que toutes les communes de notre pays jouissaient des libertés communales, que partout l'administration était aux mains d'un collège ; dans aucune localité il n'existait un homme qui fût revêtu seul du pouvoir d'administrer la commune, comme nous l'avons vu sous l'empire.
Messieurs, je n'entrerai pas dans tous les détails sur lesquels M. le ministre de l'intérieur s'est appesanti dans l'exposé des motifs de son premier projet de loi. Cependant, il y avait beaucoup à répondre aux assertions qu'il a émises, et il me serait très facile de montrer toutes les erreurs qu'il a pu commettre dans cette circonstance ; toutefois, je m'abstiendrai d'entrer à cet égard dans des considérations qui m'éloigneraient trop de l'objet principal de la discussion actuelle.
Je me bornerai à faire remarquer qu'anciennement, en Belgique, avant que le pouvoir eût porté la main sur les libertés communales, la part la plus active était partout accordée au peuple dans la nomination de ses magistrats communaux ; qu'à toutes les époques, le peuple a vivement déploré l'envahissement de ses libertés par le pouvoir, et que chaque fois qu'il est parvenu à secouer le joug de ceux qui lui avaient ravi ses franchises, le premier droit qu'il revendiquait avant toute chose, c'était la nomination de ses magistrats communaux.
C'est là un fait irrécusable, attesté à toutes les pages de notre histoire.
A la suite des grandes commotions qui suivirent la mort du Téméraire, l'on voit toutes les communes revendiquer avec énergie leurs franchises communales. A la suite des troubles causés par l'administration de Philippe II, les mêmes réclamations surgissent ; elles se renouvellent sous Joseph Il. A la chute de Napoléon, n'a-t-on pas vu le roi Guillaume rendre aux communes belges une partie de leurs droits ? Enfin, lorsque la révolution de 1830 a éclaté, après que, par les seconds règlements, le roi Guillaume eut vicié nos institutions, quel a été un des premiers actes posés par le gouvernement provisoire ? Ce fut de rendre à nos communes des libertés qui leur sont chères, et qui sans doute ne leur seront plus ravies.
Ce n'est pas que je veuille prétendre, ainsi que le fait dire l'honorable préopinant, que l'Etat doit être dans la commune. A Dieu ne plaise que j'adopte jamais un pareil système ; mais si je veux que la commune soit dans l'Etat, je ne veux pas que le gouvernement soit mis dans la commune ; si vous mettez le gouvernement dans la commune, vous arriverez à des résultats que vous ne tarderez pas à déplorer et dont vous-mêmes serez les premiers à être frappés.
Messieurs, à entendre certains orateurs, il semblerait que la Belgique est dans un état d'effervescence, d'ébullition qui menace de troubler profondément la tranquillité publique. Il semblerait qu'il n'y a que désordre et anarchie dans toutes les communes ; il semblerait que l'Etat lui-même est près d'être renversé par cette anarchie communale.
Eh bien, j'ai bien regardé autour de moi, je ne vois nulle part les grands abus qu'on signale. Je ne me dissimule pas cependant qu'il existe aujourd'hui quelques abus, et à mon avis le fractionnement proposé que j'approuve suffit pour y porter remède. Mais d'ailleurs il existera toujours des abus, quoi que vous fassiez ; les abus sont inséparables de l'espèce humaine ; pour supprimer les abus, il faudrait supprimer l'espèce humaine elle-même.
Sous le roi Guillaume, et surtout sous l'empire, au régime municipal duquel on veut nous ramener, n'existait-il donc pas d'abus ? Sous l’empire, il y avait un maire dans chaque commune ; qui oserait prétendre que l'administration des maires fût parfaite ? Placés comme ils l'étaient sous la dépendance exclusive du pouvoir, on vit ces agents pressurer les citoyens dans le désir de plaire au gouvernement et ces vexations réagissant contre le gouvernement finirent par désaffectionner les habitants du régime impérial,
Messieurs, quand j'entends l'honorable préopinant se récrier ici contre la gestion des communes, il me semble un moment que je suis transporté dans la malheureuse Espagne, et que j'y vive sous le régime de ces bouleversements déplorables dont ce pays ne cesse d'être le théâtre. En effet, si la Belgique se trouvait dans une position semblable à celle dans laquelle se trouve l'Espagne, on ne pourrait pas se servir d'expressions plus fortes que celles qu'on emploie aujourd'hui, pour calomnier nos communes qui jouissent d'un calme profond et qui vivent dans la meilleure harmonie avec le gouvernement. Voilà cependant où l'esprit de passion mène les hommes ! L'on ne parle pas de la paix, de l'ordre qui existe dans toutes les communes, on ne parle pas de la tranquillité qui règne dans la Belgique entière ; on oublie tout cela ; on présente tout sous des couleurs lugubres,et pourquoi ? Pour arriver au but qu'on s'est proposé, celui de sacrifier les libertés auxquelles la nation attache le plus grand prix.
Et cependant peut-on soutenir qu'à aucune autre époque, la Belgique ait été plus tranquille ? Ne doit-on pas être certain que cette tranquillité sera durable, alors que nous avons vu la Belgique, calme et paisible pendant les mois où elle était sans gouvernement ? Si, comme on le prétend, les communes sont un foyer de discorde, quel bouleversement total n'aurait pas dû éclater à cette époque ! et cependant jamais peut-être le pays n’a été plus tranquille qu'alors.
Messieurs, dans les premiers temps de la révolution, alors que nous avions au timon des affaires des hommes dévoués, auxquels le congrès reconnut le pouvoir dont ils avaient bien fait de s'emparer pour sauver le pays, il se commettait très peu de délits en Belgique. Je puis à cet égard vous rappeler un fait bien remarquable qui s'est passé à cette époque.
Les membres de la cour d'assises d'une de nos provinces s'étant assis sur leurs siéges, et le président ayant appelé les causes, l'huissier répondit : Il n'y en a aucune, - En ce cas, dit le président, la session est terminée, Voilà comment les choses marchent en Belgique, même en l'absence de gouvernement.
Ainsi, qu'on ne vienne pas dire que les libertés communales sont une source de désordre. L'amour de l'ordre est inné dans le cœur des Belges. L'ordre qu'ils apportent dans la gestion de leurs affaires particulières les guide aussi dans l'administration des intérêts matériels des communes. L'amour de l'ordre chez les Belges, marche de front avec l'amour de la liberté.
On signalera quelques abus. C'est ainsi qu'un bourgmestre aura voulu marcher dans tel ou tel sens contraire aux vues d'un commissaire de district, et dès lors il y aura eu résistance ; mais pensez-vous que vous ferez cesser les résistances par l'adoption du système tel qu'on vous le propose ? Non seulement vous ne ferez pas cesser ces résistances, mais vous créerez de nouveaux motifs de résistance ; l'honorable M. Orts vous a énuméré d'une manière lucide tous les embarras auxquels ce système donnera nécessairement naissance.
Messieurs, je puis encore, à la rigueur, concevoir le système du gouvernement, quoique je ne lui donne pas mon approbation, car, pour moi, la question capitale ici est la question politique ; mais enfin, je puis concevoir ce système ; on pouvait prétendre que dans des cas graves et des circonstances extraordinaires, il fût désirable que le gouvernement fût investi d'un pouvoir extraordinaire ; mais ce que je ne puis concevoir, c'est qu'il se soit trouvé une majorité dans une section centrale, pour nous proposer un système tel que celui sur lequel nous sommes aujourd'hui appelés à nous prononcer, système qui n'est autre chose que le rétablissement des maires de l'empire.
Le rétablissement des maires de l'empire !.... Y pensez-vous ? Oublie-t-on que ce sont ces maires, véritables despotes dans nos communes, qui ont rendu l'empire odieux à la Belgique ? Oublie-t-on que c'est cet anéantissement de nos libertés communales qui a fait détester le pouvoir de l’empereur en Belgique ? Et ce pouvoir est tombé ! Je le déclare encore, je ne puis comprendre comment une majorité dans une section centrale a pu venir nous proposer le rétablissement des maires de l’empire. Rappelez-vous qu'il y a 5 ans nous avons fait tous les sacrifices imaginables pour échapper au régime des maires et pour être en possession de l'administration des collèges. Et maintenant l'on veut détruire l'administration des collèges, pour en revenir aux maires de l'empire.
On vient nous parler de la responsabilité ministérielle ; il faut, nous dit-on, de la responsabilité dans les communes.
D'abord, je demanderai comment la responsabilité ministérielle peut-elle, être engagée par le fait d’un maire de commune ? Supposez, messieurs, la loi sur la responsabilité votée, supposez la comme vous voudriez l'avoir, eh bien ! il n'entrera dans l'esprit de personne d'aller rendre un ministre responsable des actes d'autrui. Un ministre ne peut être rendu responsable que des actes qu'il a exécutés ou qu'il a ordonné d'exécuter, ou bien encore des actes qu'il a pu empêcher et qu'il a laissé commettre ; mais certainement jamais on ne le rendra responsable d'actes commis par autrui et qu'il n'a pas pu empêcher.
Ainsi, qu'on ne fasse pas intervenir la responsabilité ministérielle. Si dans des communes on venait à poser des actes contraires à l'intérêt public, vous êtes armés par la loi des moyens nécessaires pour les réprimer, et cette action sur les actes est infiniment plus forte que celle qu'obtint jamais gouvernement dans ce pays.
Mais, dit l'honorable préopinant, le maire doit être responsable.
Je vous le demande, messieurs, le maire qui sera devenu étranger à l'élection communale, devant qui sera-t-il responsable ? sera-t-il responsable devant le conseil de régence ? Mais non ; il pourra se moquer du conseil de régence. Au moins, dans le parlement, quand vous croyez la responsabilité d'un ministère compromise pour un fait quelconque, vous avez le pouvoir de le faire poursuivre et de le faire tomber ; vous pouvez en tout état de cause, rejeter les subsides ; vous pouvez voter une adresse au trône pour demander le renvoi du cabinet.
Mais quel moyen la commune posséderait-elle pour renverser le bourgmestre ? Elle n'en posséderait aucun, La responsabilité du bourgmestre envers qui serait-elle donc engagée ? envers le commissaire de district qui se servira de ce moyen d'influence pour se faire élire membre de la chambre et pour assurer sa réélection.
Messieurs, il existe dans notre législation une grande lacune, en ce qui concerne les commissaires de district, lacune dont ces fonctionnaires profitent pour se faire élire dans le district même qu'ils administrent. Eh bien, dès que vous aurez admis le système de la section centrale, vous mettrez à la disposition du gouvernement tous les bourgmestres du pays, et à celle des commissaires du district tous les électeurs des arrondissements.
Messieurs, il existe un fait sur lequel on ne pourrait assez insister. En France, pays d'antique despotisme, sous le gouvernement de la restauration, même le régime des maires a continué à exister. Mais sous le régime actuel, le gouvernement français a été obligé de prendre le maire dans le sein du conseil communal, et jamais dans le parlement français, aucune voix ne s'est élevée pour demander la surpression de cette source de libertés publiques. En Belgique, pays d’antiques libertés, où nous n'avions rien à réformer on nous propose le régime des maires de l'empire, on veut nous faire regretter le système qui existe aujourd'hui en France, Eh bien, je vous le demande, le maire en France est pris dans le sein du conseil ; mais fût-il pris en dehors du conseil d'administration serait encore possible, car les conseils communaux en France ne jouissent pas des libertés dont ils sont investis en Belgique.
En France, les conseils ne sont pas permanents, ils ne peuvent se réunir qu'à des époques déterminées par le gouvernement ou par les maires eux-mêmes, En Belgique, au contraire, les conseils communaux sont de véritables corps délibérants qui se réunissent toujours à toute heure, et, peuvent toujours délibérer. C'est là une grande différence sur laquelle j'appelle toute votre attention.
Le régime des maires a pu exister en France, avec des conseils non délibérants. Ce système ne pouvait exister en Belgique avec des conseils pouvant se réunir chaque jour pour délibérer, parce qu’à chaque réunion, le conseil aurait pu mettre des entraves à l'administration. Voici maintenant les conséquences inévitables de la loi qu'on vous présente.
Dans une grande partie des petites communes de la Belgique l'administration est laissée au bourgmestre. Le conseil s'assemble une ou deux fois par an pour voter le budget et régler les dépenses. Dans d'autres communes, au contraire, dans toutes les grandes communes notamment, le conseil s'assemble fréquemment ; il s'assemble au moins une fois toutes les semaines, pour délibérer. Voici quel sera l'effet de la loi sur ses deux existences.
Dans les communes où le conseil ne s'assemble qu'une ou deux fois par an, c'est de concentrer entre les mains des maires le pouvoir communal, ils prononceront seuls absolument dans toutes les affaires de la commune et vous aurez ainsi établi le despotisme légal dans ces communes. Dans les autres, dans celles où le conseil se réunit fréquemment pour délibérer, à chaque réunion il y aura collision entre le conseil et le bourgmestre que lui aura imposé le gouvernement et par conséquent anarchie. Anarchie chez les uns, despotisme chez les autres, voilà quel sera le résultat de votre loi. Là où toute l'autorité est abandonnée au collège, le bourgmestre sera despote et là où est l'agent du conseil, il sera ballotté, bafoué par le conseil, et l’administration sera impossible. Mais n'est-ce pas une monstruosité que l'homme qui sera dépositaire des intérêts des secrets de la commune, puisse être l'adversaire de la commune elle-même ? Quelle garantie auront le collège, le conseil, de la bonne administration du bourgmestre. Les conseils communaux, par votre loi, sont investis de grands pouvoirs. Ces pouvoirs ils peuvent toujours les déléguer. Eh bien, en haine du bourgmestre, cette délégation pourra être faite à l'échevin qui jouira de la faveur du conseil. C'est encore là une source de collisions incessantes, d'anarchie. Vous avez voulu ajouter aux garanties d'ordre, et vous serez arrivé à un résultat inverse.
Messieurs, le système communal doit être mis en harmonie avec le système du pays. En Belgique, tout a été établi d'après le système de liberté, d'après le système d'élection, et vous enlever au pays l'élection qui lui tient de plus près, l'élection de son magistrat municipal !
Voyez l'inconséquence du système présenté. Que veut-on faire du bourgmestre ? On lui attribue l’exécution des lois de police. Mais si vous vous bornez à lui attribuer l'exécution des lois de police, vous le dégradez de ses fonctions ; au lieu de chef de la commune, vous en faites le chef des commissaires de police. Si c’est l'exécution des lois en général que vous lui attribuez, mais, dites-nous où s'arrêteront ses attributions ?
Dans un pays comme le nôtre, tout est réglé par des lois ou par des arrêtés pris en vertu des lois ; de manière que si vous ne donnez au bourgmestre que l'exécution des lois de police, comme je viens de le dire, vous en faites le chef des commissaires de police, et si, au contraire, vous lui donnez l'exécution des lois, vous lui donnez l'exécution de tout le pouvoir de la commune, vous anéantissez toutes les libertés communales au profit d'un seul homme, sans responsabilité envers la commune, sans responsabilité envers la province, sans responsabilité même envers l'Etat ! En effet, comment pourrez-vous accuser un ministre pour le fait d'un bourgmestre qui lui est si étranger ! Ferez-vous comparaître le bourgmestre à votre banc, vous qui n'avez le pouvoir de faire comparaître personne à votre barre ?
Il est, messieurs, une chose manifeste à mes yeux, c'est que le système qu'on propose n'est que le premier pas dans une voie sur laquelle on ne pourra pas s'arrêter, c'est une pente rapide sur laquelle on sera entraîné ; quoi qu'on fasse, il faudra aller plus loin qu'on ne se l'était d'abord proposé, Dans quelques années le résultat du régime que vous voulez établir vous amènera à devoir empêcher les conseils communaux de se réunir à leur volontés. Les résistances que votre système va faire naître arriveront au point que pour sanctionner cette loi inique, vous serez forcés de voter d'autres lois plus iniques encore.
Voyez comme les choses marchent déjà. Dans l'origine il était question de la faculté de nommer le bourgmestre hors du sein du conseil, dans des circonstances graves et de l'avis de la députation du conseil provincial, Aujourd'hui on vous demande la suspension et la révocation des bourgmestres. Mais y pense-t-on sérieusement ? Ce sont là des mesures extrêmes que la chambre a toujours cherché à écarter. Lors de la discussion de la loi communale, le gouvernement avait demandé la suspension et la révocation des bourgmestres. Nous nous y sommes opposés de la manière la plus vive, notre voix a été entendue et vous avez décidé que les agents communaux ne pourraient être révoqués ou suspendus que dans les cas indiqués par la loi et de l'avis conforme des états provinciaux, La chambre a voulu stipuler des garanties, afin que les bourgmestres et les échevins ne devinssent pas les agents électoraux du gouvernement comme on voudra les faire un jour.
Messieurs, ce qui me touche le plus dans la loi qui nous occupe, c'est le sort funeste qui, je l’entrevois, doit nécessairement tomber un jour sur le gouvernement. En faisant la loi communale, nous ne nous sommes pas dissimulé que ce n'était pas une œuvre parfaite.
Il n'est pas dans la nature de l'homme de pouvoir produire la perfection. De Dieu seul peut émaner une œuvre parfaite ; elle ne peut sortir que de ses mains.
Nous ne nous sommes pas dissimulé que de petits inconvénients seraient nés de la loi que nous avons votée. Mais nous avons voulu, en la faisant, respecter les grands principes de tout gouvernement représentatif, nous avons voulu que les bourgmestres et échevins ne pussent pas devenir pour le gouvernement des agents électoraux qui contribuassent à fausser le système représentatif. Voilà, messieurs, quel a été tout le mobile de notre conduite dans la loi communale. ,
La conduite de l'opposition contre le premier projet a reposé exclusivement sur cette pensée qu'il fallait empêcher que le gouvernement ne pût faire de la loi communale une véritable modification aux lois électorales et que le ministre de l'intérieur ne devint le grand électeur de la Belgique.
Remarqua ceci : Il existe en Belgique trois mille communes environ, à la tête de chaque commune, vous allez mettre un homme du gouvernement, de sorte que vous allez donner au gouvernement trois mille agents électoraux. Ne tremblez vous pas en présence d'un pareil résultat, alors surtout que le cens électoral est si abaissé chez nous ! Ne voyez vous pas que vous vous exposez à fausser la représentation nationale ? Vainement viendrez-vous dire : les chambres seront là et elles feront entendre leur voix. Si vous mettez le gouvernement à même de fausser la représentation nationale, à quoi servira d'avoir une chambre élue par le peuple, si le gouvernement peut faire entrer qui bon lui semble ? Pour mon compte, j'aime mieux un gouvernement monarchique, responsable devant Dieu et devant sa conscience et ne devant compte à personne de ses actes, qu'un gouvernement bâtard qui rejetterait la responsabilité sur des hommes qu'il fait élire par une majorité factice !
Voilà cependant où vous voulez aller, voilà où votre loi va vous conduire. Du jour où vous aurez donné la nomination des bourgmestres au gouvernement, vous aurez mis les élections générales entre ses mains. C'est la crainte de ce résultat qui nous a toujours dirigés dans l'opposition que nous avons faite à la première loi, c'est celle qui nous dirige encore. Une pensée aussi élevée est digne de la méditation des hommes d'Etat, et nous avons pour nous le témoignage du premier pays constitutionnel du monde.
En Angleterre on a aussi discuté une loi sur les municipalités. Eh bien, là, comment les choses se sont elles passées ? On a vu les deux hommes les plus éminents de l'empire britannique, le chef de l'opposition et le chef du cabinet se réunir pour empêcher qu'en aucune circonstance les élections pussent être faussées par le gouvernement. Lord John Russell et S. R. Peel sont venus tous deux déclarer qu'ils n'entendaient pas que dans aucune circonstance le pouvoir exécutif eût la moindre intervention dans la nomination des municipalités, de crainte, ont-ils dit, de crainte que, par l'influence que cette intention leur eût donnée, les élections générales ne pussent être faussées et le parlement vicié à sa base. – Voilà ce que ces deux grands hommes d’Etat vous ont appris ! Et quand je vois des hommes aussi éloignés que ceux que je viens de citer préparer un système aussi fallacieux que celui que je viens de faire voir dans les propositions qui vous sont soumises, je dis qu'il faudrait déplorer l'époque où nous vivons, si une majorité avait le malheur de les adopter. Mais il ne sera pas perdu pour vous le grand enseignement que vous ont donné les deux hommes les plus éminents de l'Angleterre, le chef de l'opposition et le chef du ministère. Ces deux grands hommes d'Etat, je vous le répète, sont venus déclarer dans le parlement qu’il ne fallait donner au gouvernement aucune intervention dans la nomination des municipalités, de crainte que le parlement ne pût être faussé. Pourquoi cet accord entre le chef du cabinet et le chef de l’opposition ? C’est qu’en Angleterre, au-dessus des questions de parti, les hommes d’Etat placent toujours la question du pays ; c’est qu’en Angleterre on comprend le gouvernement représentatif et qu’on le met au-dessus des ambitions personnelles , c’est qu’en Angleterre on a accepté franchement le régime du gouvernement constitutionnel, et que l’on a compris que fausser la majorité était le plus grand de tous les maux, celui qui prépare les plus terribles catastrophes
La loi qu'on vous présente, je vous l’ai démontré, aura pour résultat de mettre les élections entre les mains du ministère. Je ne dis pas qu'il en fera cet usage, mais il suffit qu'il puisse le faire, pour que je la repousse.
Je le répète, nous n'avons jamais regardé la loi communale comme parfaite ; on se plaint de quelques abus, mais y en eût-il de plus grands, que je ne consentirais pas à un bouleversement de nos institutions communales, alors surtout, que ce bouleversement doit nécessairement traîner à sa suite la décomposition du régime représentatif et la corruption parlementaire qui en est la suite, en exposant le pays à se voir dominer par les minorités.
Et songez-y bien, messieurs, exposer le parlement à devenir l'œuvre de la minorité, c'est compromettre la nationalité ; c'est une révolution terrible qu'on vous propose, révolution d'autant plus funeste, qu'elle se fait sous l'apparence de la légalité. Il n'y a pas, messieurs, à hésiter du moment, que sous le frivole prétexte de remédier à quelques légers abus le parlement peut être vicié ; rappelez-vous ces paroles d'un orateur français : Il ne faut jamais sacrifier la grande moralité à la petite moralité ; ce serait sacrifier la grande moralité à la petite moralité que s'exposer à voir le parlement faussé, la représentation nationale ne plus être l'organe des vœux de la majorité du pays.
Il est encore, messieurs, un autre point de vue sous lequel la loi me parait éminemment dangereuse. Vous avez pu voir dans les grandes discussions d'un pays voisin, dans le cours de l'hiver dernier, des paroles qui nous ont révélé un esprit d'envahissement dont nous devons nous méfier. Notre vœu le plus cher doit être notre nationalité belge, la conservation de notre drapeau et de notre dynastie ; mais, ne vous y trompez pas, sur quoi repose la nationalité belge ? ne croyez pas que ce soit sur les intérêts matériels ; car sous le rapport des intérêts matériels la Belgique aurait les plus grands avantages à la réunion avec le pays auquel je viens de faire allusion. Pourquoi la Belgique veut-elle rester elle-même ?
C'est sous le rapport des intérêts moraux ; et ce sont des intérêts moraux que l'on veut sacrifier. Messieurs, les intérêts moraux ne consistent pas dans telle ou telle opinion, Je respecte l'opinion que je professe ; mais ce que je veux par-dessus tout c'est que les opinions que les autres professent soient aussi respectées et qu'ainsi la loi soit l'expression de l'opinion nationale. Or, une des opinions les plus enracinées dans le pays, c'est la conservation des libertés communales. Et maintenant, qu'allez-vous faire ? Détruire ces libertés et faciliter ainsi les chances de réunion au pays dont je parlais tout à l'heure. Loin de chercher à faire jouir le pays de moins de libertés, vous devez tâcher d'augmenter le plus possible la somme de ces libertés, afin de le rattacher de plus en plus à la cause de notre révolution et de notre nationalité. Nous avons fait une révolution : elle nous a réussi ; mais évitons de nouveaux bouleversements, car il nous serait impossible de savoir où nous allons. Un tel système ne peut jamais avoir de bons résultats, l'expérience de tous les temps l'a démontré.
Messieurs., ce qui surtout m'a péniblement frappé, c'est que c'est vous-mêmes, c'est une fraction de la chambre qui propose le sacrifice des libertés publiques. Sincèrement attaché à l'opinion catholique, je ne puis voir sans une vive douleur des députés de cette opinion proposer le sacrifice de libertés auxquelles le pays attache la plus grande importance. .
Messieurs, lorsque Philippe dit le Bon voulut arracher à la Flandre ses libertés publiques, il fit venir les députés de cette province la corde au cou et fit lacérer en leur présence la charte de leurs libertés communales ; voilà ce que l'on a vu, mais jamais on n'avait vu des députés, envoyés par le peuple pour le défendre, lacérer eux-mêmes la charte des libertés du pays. (Nombreuses approbations.)
M. de Mérode. - J'ai entendu dire dans les séances précédentes que nous venions bouleverser toute la loi communale : c'est vraiment là une singulière exagération. Tout le chapitre 1er du titre 1er, qui traite de la composition du corps communal, en 6 articles, n'est pas modifié. Tout le chapitre II, en 12 articles, des électeurs communaux et des listes électorales ; le chapitre III, des assemblées des électeurs communaux, en 27 articles ; le chapitre IV, des éligibles ; le chapitre V, des incompatibilités, en 6 articles ; le chapitre VII, concernant les réunions et les délibérations des conseils communaux, en 14 articles (ici se trouve ce qui regarde la publicité des séances) tout le chapitre 1er du titre II, concernant les attributions du conseil communal, en 14 articles, sont maintenus et plusieurs autres encore. Il est donc très inexact de prétendre que l'on propose une refonte générale de la loi communale. Celle-ci demeure dans son ensemble. Seulement on rend au pouvoir exécutif l'influence qui doit lui appartenir pour l'application des lois dans la commune. Ce changement est essentiel, je le sais, mais il n'en est pas moins évident que le grand travail d'une loi en 150 articles n'est pas remis en question.
M. Fleussu vous a cité des paroles de M. Beyts, qui disait : Pendant que vous avez la main dans le sac des libertés publiques, prenez-en tant que vous pourrez. Eh bien, messieurs, si on avait suivi le conseil de M. Beyts, on aurait agi avec grande imprudence, car il ne suffit pas de prendre des libertés en aveugles dans un sac pour assurer l'avenir libre d'un pays. Des libertés prises à poignée de cette manière conduisent au régime de l'empire, quand il se trouve un homme fort et habile qui remplace l'indigeste liberté par la force militaire et qui pis est à la situation de toutes ces républiques américaines, Equateur, bande orientale ou occidentale, etc., lesquelles se fractionnent sans cesse et déroutent le géographe le plus assidu, après avoir puisé dans le sac de M. Beyts à pleines mains.
Cependant, malgré l'entraînement de l’époque, le congrès décrétant beaucoup de libertés sans doute, mais aussi l'article de la constitution, qui permet la révision de ce que l'expérience démontrerait mauvais en pratique, n'établit point le régime communal sur le pied où il est maintenant. Le congrès a réservé le pouvoir exécutif au Roi, il a établi comme règle la formation des conseils communaux par élection, en exceptant même de cette règle les chefs des administrations communales, qui pourraient très constitutionnellement faire partie du conseil sans y être appelé par élection. Il est donc de toute fausseté que ceux qui veulent rendre au pouvoir royal un droit qu'il n'aurait jamais dû perdre, selon moi, dans la commune, renient l'œuvre du congrès national. Ils adoptent une idée fort raisonnable, au contraire, celle qu'il ne faut pas outrer les institutions libérales fondées en l'absence de la royauté, lorsqu'elles ont, comme le chapitre IV de la constitution belge, réservé tous ces droits naturels en termes exprès que voici (chapitre IV des institutions provinciales et communales) :
« Art. 108. Les institutions provinciales et communales sont réglées par des lois. Ces lois consacrent l'application des principes suivants : 1° L'élection directe, sauf les exceptions que la loi peut établir à l'égard des chefs des administrations communales et des commissaires du gouvernement près des conseils provinciaux. Et au paragraphe 5 du même article, la constitution réserve expressément l'intervention du roi comme du pouvoir législatif, pour empêcher que les conseils provinciaux et communaux ne sortent de leurs attributions et ne blessent l'intérêt général.
Or l'intérêt général est que les lois soient obéies partout, qu'il ne se donne pas dans un certain nombre de communes l'exemple de leur infraction, et pour cela il faut l'action bien assurée et non pas une action douteuse du pouvoir central du Roi, action qui se trouve évidemment paralysée dans les circonstances présentes. Je n'ignore pas que des abus pourront résulter de cette action exercée par l'intermédiaire de fonctionnaires faillibles. J'ai dit dans mon précédent discours, qu'arbitraire et pouvoir monarchique se touchaient comme turbulence et élection. On peut ajouter comme injustice et tribunaux, comme partialité et collation des places et emplois dont les plus méritants n'obtiennent pas toujours les meilleurs, tant s'en faut. Il n'y a rien de parfait sous le soleil dans les œuvres humaines ; mais l'homme, en organisant la société ne doit point, pour des abus inévitables, créer des institutions qui se contredisent, établir par exemple, d'une part la responsabilité du pouvoir exécutif et ne pas lui laisser les moyens d'exécution. Les tribunaux jugent les causes, on souffre leurs erreurs et on ne rend pas leurs attributions nulles parce que bien des arrêts sont blâmables. L'élection souvent est capricieuse, on respecte ses choix parce que mieux vaut son intervention dans les affaires publiques que le pouvoir monarchique sans contrôle. Mais certainement de tous les pouvoirs le dernier est encore celui dont l'action est la plus régulière et la plus nécessaire. Une grande nation n'a jamais vécu sans lui, à moins d'être livrée au pouvoir d'un puissant patriciat, et les idées du jour ne se rapprochent pas de ce dernier.
On vient constamment nous présenter comme voulant un pouvoir fort, nous ne demandons pas de pouvoir fort, mais une autorité responsable, libre et capable de remplir sa mission dans l'intérêt social. Quand le Roi pourra, en face d'un conseil communal entièrement électif, nommer librement un bourgmestre, chargé de l'exécution des lois dans sa commune, son pouvoir ne sera jamais un pouvoir fort, mais simplement un pouvoir établi dans le système monarchique constitutionnel, tout à la fois rationnel et pratique. Les pouvoirs exécutifs émanés d'une source mixte, sont théoriquement une anomalie, parce que la responsabilité incomplète de l'autorité supérieure, gênée dans le choix de l'autorité inférieure, n'est pas une véritable responsabilité. C'est l'objection que nos adversaires n'abordent jamais sérieusement.
On a rappelé certains compliments adressés aux communes dans quelques discours ou rapports des autorités. Ces compliments toujours forcés, si on les prenait à la lettre, sont motivés, je le sais, par la conduite de la partie la plus considérable des habitants du pays, que le bon sens dirige à défaut de lois, mais il n'en est pas moins très fâcheux de voir beaucoup de communes mal régies, et cela presque sans remède.
En France, la loi municipale produit de même de très mauvais effets particuliers, ce qui s'est passé à Toulouse l'a démontré du reste, et l'exemple tiré de la position du général Lejeune, dans une grande ville du midi de la France, prouve précisément combien il est dangereux de mettre l'autorité exécutive locale à la merci des factions. Certes, le gouvernement ne pouvait faiblir à Toulouse, en face de la violence, Il a trouvé un citoyen, brave militaire, aussi décidé à tenir tête au désordre qu'à l'ennemi. Le général Lejeune s'est peu soucié d'encourir la disgrâce des anarchistes blancs joints à ceux d'une autre couleur. Plus tard, leur suffrage lui a manqué, il n'en pouvait être autrement, et l'exclusion de cet homme honorable, n'a été qu'un soufflet donné à la loi communale française actuelle.
J'ai vu de mes yeux, en France, des communes administrées en sens inverse de leurs intérêts évidents par suite de l'omnipotence élective qui ôte au gouvernement le moyen de choisir le maire le plus capable, Tel homme remuant s'y empare des élections de cabarets au moyen d'une largesse de quelques tonneaux de vin. Il dispose de la majorité des voix acquises à ses créatures par ce procédé et par suite des ressources communales mises en œuvre à son profit de la manière la plus abusive.
Mais en France on s'occupe moins qu'ici des objets de détail. On y songe peu quand il s'agit d'affaires locales, du ménage intérieur. On traite aux chambres, tantôt des questions d'Orient, tantôt des questions de visite. On vit beaucoup de politique extérieure, et on y est bien moins soucieux du malaise des communes qu'ici, où l'on voit de plus près les misères locales. Tel est le motif pour lequel les chambres françaises ne traitent pas maintenant la question qui nous occupe. D'ailleurs, dans un immense pays où domine une capitale d'un million d'habitants à laquelle tout se rallie sans hésitation, la faiblesse de l'autorité centrale dans la commune n'est point aussi dissolvante que chez nous, où la capitale n'est point un centre vigoureusement constitué.
Malgré ces différences, si une armée française, bien organisée, de 400 mille hommes n'avait pas jusqu'ici prêté partout force à l'autorité légale du gouvernement, la France, aux yeux de beaucoup d'esprits clairvoyants, ne serait plus qu'un chaos ; et pour mon compte, je suis persuadé que, sans le dévouement inaltérable de l'armée à l'autorité constitutionnelle du roi, les libertés répandues dans plusieurs lois de 1830 et 1831, selon le conseil de M. Beyts, ne formeraient plus que des ruines.
Il est une circonstance qui ne doit pas, messieurs, échapper à votre attention : c'est le zèle libéral, brûlant, qui dévore maintenant certaines personnes qui, sous le gouvernement déchu, trouvaient le pays très suffisamment libre, tandis qu'il était complètement asservi à la suprématie de la Hollande.
En guerre, il ne faut pas toujours rester sur la défensive. Dans les luttes d'un autre genre, accepter le rôle de prévenu qui se justifie devant des accusateurs et s'abstient d'interroger leur conduite, est également une bonhomie déplacée et malentendue. Avant-hier, messieurs, M. Verhaegen donnait des conseils de moralité au gouvernement, et s'adressait particulièrement à M. Nothomb, ministre de l'intérieur. Je me permis d'interrompre cette morale, en disant à l'orateur que, pour la suivre, il ne fallait pas mettre en dehors des inventions comme le rétablissement de la dîme. Chacun sait que M. Verhaegen a écrit publiquement qu'il s'était opposé dans cette chambre au rétablissement d'un fantôme dont personne n'avait jamais entendu parler dans cette enceinte, N'importe, n'y a-t-il pas des sots à exploiter ailleurs, en dépit de la droiture bonne à invoquer en d'autres occasions, afin de faire flèche de tout bois, Quoi qu'il en soit de cette savante tactique, mon interruption fut l'occasion ou le prétexte d'une mercuriale qui est enfin aujourd'hui au Moniteur, et pendant laquelle M. Verhaegen me fit d'abord monter au pinacle du dévouement, pour me précipiter ensuite, malheureux que j'étais, sur le dur pavé de l'absolutisme, sous lequel je n'aurais plus qu'à me faire ensevelir après une si terrible chute, si j'étais véritablement tombé de si haut.
Quant à lui, il a pris la direction contraire à celle qu’il m'attribue. Il ne saute pas de la cime au pied de l'arbre de la liberté, il y monte avec ardeur de branche en branche, taudis qu'il se tenait caché loin de ses racines à l'époque de la révolution, mais je le demanderai à tout homme sincère : à qui faut-il attribuer plus de confiance pour la conservation d'un édifice, à celui qui a contribué à le bâtir ou à celui qui n'y a pas apporté une seule pierre et qui, venant après coup s'y introduire, s'oppose à toutes les réparations que l'expérience et le temps rendent nécessaires aux yeux de ceux qui l'ont élevé. Vous sentez, messieurs, que je ne parle pas aux constructeurs qui ne seraient pas de mon avis. Ceux-là ne m'adressent pas d'apostrophe ridicule, et s'ils ne se rangent pas à mon opinion, ils ne la défigurent point contrairement à la bonne foi.
Messieurs, l'honorable M. Dumortier,après l'énumération de tous les gouvernements qui avaient trouvé dans les anciennes provinces belgiques un attachement obstiné aux franchises communales, Charles le Téméraire, Joseph II et autres, a rappelé l'acte du gouvernement provisoire qui remettait entièrement aux communes le choix des autorités locales. J'ai déjà eu l'occasion d'expliquer, et personne n'a pu me contredire, que le gouvernement provisoire envahi par une foule de plaintes bien ou mal fondées contre la résistance qu'opposaient au changement politique de 1830, les bourgmestres établis par le gouvernement des Pays-Bas, ne voulant et ne pouvant point juger de la valeur de chacune de ces plaintes, résolut de s'affranchir d'une si grande sollicitude en abandonnant jusqu'à décision ultérieure du congrès le régime communal à l'élection. Tel fut son but, il n'en eut point d'autre.
L'honorable M. Dumortier vient de vous dire encore que son opposition à la loi présentée venait de la crainte de l'immense influence qu'elle donnerait au gouvernement dans les élections. Messieurs, plusieurs fonctionnaires révocables par le gouvernement siégent parmi vous. Ont-ils montré plus de complaisance que leurs autres collègues envers le ministère ? Vous savez que non. Il en est de même des employés de l'Etat qui sont répandus dans le pays. Je crois même qu'en général, lors des élections, ils se montrent plus souvent dans l'opposition que dans l'opinion gouvernementale. Telle est leur tendance assez générale en Belgique. Pourquoi donc des bourgmestres qui remplissent des fonctions sans avancement, livreraient-ils leur vote aux ministres, tandis que ce vote est secret et ne pourrait être que très difficilement connu ? C'est donc là, messieurs, une crainte mal fondée,et lui sacrifier la bonne administration des communes serait demeurer dans un mal-être certain pour éviter des inconvénients qui ne sont point à redouter.
La séance est levée à 4 1/2 heures.