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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 24 mai 1842

(Moniteur belge n°145 du 25 mai 1842)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn procède à l'appel nominal à 2 heures un quart.

M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance de vendredi, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Des fermiers et cultivateurs des commnnes de St.-Vaast, Strepy et Trivières demandent qu'il soit pris des mesures pour la répression du braconnage. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Broglia, père, ex-capitaine, renouvelle sa réclamation tendant à obtenir le remboursement de ce que lui ont coûté l'armement et l'équipement d'une compagnie de volontaires, qu'il a formée en novembre 1830. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Corneille Jansé, entrepreneur à Anvers, né à Guineken (Hollande), demande la naturalisation ordinaire. »

« Même demande du Sieur Antoine-Jean Paeps, boutiquier à Pappel, né à Driel (Hollande). »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Les commis-greffiers des tribunaux de Bruges, de Gand et de Verviers, présentent des observations concernant le projet de loi sur les traitements de l'ordre judiciaire. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet.


« Les secrétaires communaux de Moll, Meerhaut, Baelen, Olmen et Gheel, demandent que des dispositions de nature à améliorer la position des secrétaires communaux soient introduites dans les projets de loi apportant des modifications à la loi communale. »

« Même demande des secrétaires de diverses communes du canton de Landen. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de loi.


« Les bourgmestre, échevins et fonctionnaires du canton de Daelhem demandent que le chef-lieu du canton soit transféré de Daelhem à Visé. »

- Renvoi à la commission de circonscription cantonale.


« Le chevalier Wadrin de Villers au Tertre, prie la chambre de lui accorder la naturalisation ordinaire au lieu de la grande naturalisation qu'il a demandée. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le sieur Retsin, armateur à Anvers, se plaint des droits que la douane des Etats-Unis a imposés à son navire, commandé par le capitaine Verstockt, partant de Buénos-Ayres. »

- Sur la proposition de M. Osy, renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Le sieur Blavier, militaire congédié pour cause d'infirmités, demande une pension. »

- Sur la proposition de M. de Garcia, renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


Par dépêche en date du 24 mai, M. le ministre des finances (M. Smits) transmet à la chambre les explications qu'elle a demandées sur une pétition des fabricants de vinaigre artificiel.

- Pris pour notification.

Projet de loi modifiant la loi sur l'enseignement supérieur

Rapport de la section centrale

M. Dubus (aîné), au nom de la section centrale, dépose le rapport sur le projet de loi tendant à apporter des modifications à la loi sur l'enseignement supérieur.

La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.

M. Dubus (aîné). - Je dépose également diverses pétitions qui avaient été renvoyées à la section centrale. La section centrale a pris ces pétitions en considération dans son rapport. Je propose le dépôt de ces pétitions sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.

Cette proposition est adoptée.

M. Rogier. - Je demanderai où en est l'instruction des projets de loi relatifs à l'enseignement moyen et à l'enseignement primaire.

M. le président. - Quant à l'instruction primaire, les travaux de la section centrale sont fort avancés ; elle se réunira demain pour s'occuper de ce projet de loi. Quant à l'enseignement moyen, le bureau n'en a aucune connaissance.

Rapport sur une pétition

Explications du gouvernement

M. le ministre de la guerre (M. de Liem). - Messieurs, dans la séance du 20 de ce mois, l'honorable M. Lys a demandé des explications sur l'offre du sieur De Lens, entrepreneur de casernement à Liége, de faire l'entreprise des lits militaires avec une réduction annuelle de 300,000 fr.

Le pétitionnaire s'est adressé au département de la guerre, pour demander l'entretien des fournitures de la compagnie des lits militaires, dans la citadelle et le fort de la Chartreuse à Liège. Cette demande n'ayant pu lui être accordée, il sollicita l'intervention du ministère pour le faire entrer, comme employé, au service de ladite compagnie, et dès lors il annonça que, si cette dernière demande ne lui était pas accordée, il s'adresserait aux chambres législatives.

La pétition du sieur De Lens suppose que le gouvernement s’est réservé, dans son contrat avec la compagnie des lits militaires, la faculté de racheter ces lits avec tous leurs accessoires. Cette supposition est tout à fait inexacte : le contrat dont il s’agit a été passé pour un terme de vingt ans, échéant le 31 décembre 1855, et ce n'est qu'à l'expiration de ce terme que le gouvernement pourra, d'après l'art. 32 du contrat, reprendre, sur estimation, le matériel de l'entreprise, et faire le service pour son propre compte. La pétition du sieur De Lens est donc tout au moins prématurée, et ne peut donner lieu, pour le moment, à aucune mesure.

Projet de loi qui fixe la limite séparative des communes de Limbourg et de Jalhay

Dépôt

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) présente un projet de loi relatif à la délimitation des deux communes de Limbourg et Jalhay (province de Liége).

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet de loi, et le renvoie à l'examen d'une commission qui sera nommée par le bureau.

Projet de loi apportant des modifications à la loi communale, en ce qui concerne les bourgmestres

Discussion générale

M. le président. - Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur s'il se rallie aux projets présentés par la section centrale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je maintiens le projet du gouvernement, tel qu'il est imprimé, p. 8 et 10 de l'exposé des motifs, tout en me réservant de défendre les propositions de la section centrale comme amendements. Le projet du gouvernement reste donc pour que la chambre statue sur ce projet, si les amendements qui ont la priorité n'étaient pas adoptés.

M. le président. - La parole est à M. de Brouckere pour développer son amendement.

M. de Brouckere. - Messieurs, depuis longtemps j'ai pu me convaincre que notre régime communal, qui, du reste, n'a jamais eu mon entière approbation, réclamait quelques modifications. J'eusse voulu que le gouvernement eût réuni en un seul projet les modifications reconnues urgentes, et qu'il eût été entendu que l'on ne discuterait que les amendements qui se rattacheraient aux dispositions du projet ministériel. De cette manière, le cadre de la discussion eût été limité, et nous n'eussions pas vu la loi communale tout entière remise en question.

Au lieu de cela, le gouvernement a proposé quatre projets de loi, et, à l'occasion du premier, il a présenté un amendement d'une haute importance, et qui, à mon avis, ne se rattachait pas directement au projet primitif. C'était reconnaître que la chambre, bien que n'étant saisie en ce moment que d'un projet ayant pour but simplement de modifier une disposition de la loi communale, pouvait introduire dans ce projet des modifications à toutes les autres dispositions de la loi communale. Aussi a-t-on bientôt vu surgir de toute part de nombreux amendements, des systèmes entiers, et il est vrai de dire qu'aujourd'hui la discussion porte sur toute la loi communale.

Cela est fâcheux : mais puisqu'il en est ainsi, j'ai cru devoir présenter à la chambre un amendement à l'article de la loi qui réclame le plus impérieusement une modification. Je veux parler de l'art. 109 : il est de la teneur suivante :

« Art. 109. Le secrétaire est nommé, suspendu ou révoqué par le conseil communal.

« Ces nominations, suspensions et révocations devront être approuvées par la députation permanente du conseil provincial.

« La suspension sera exécutée provisoirement ; elle ne pourra avoir lieu pour plus de trois mois.

« La première nomination des secrétaires est laissée au gouvernement. »

Il en résulte que l'administration supérieure n'a qu'une part tout à fait insignifiante dans la nomination des secrétaires communaux, et que ceux-ci, une fois nommés, sont absolument indépendants et du gouvernement et de l'autorité provinciale. Cet état de choses, il n'est pas, je crois, un administrateur qui ne le reconnaisse mauvais.

Voici, messieurs, comment j'ai rédigé mon amendement :

« Art. 109. Le secrétaire est nommé, suspendu ou révoqué par le conseil communal.

« Ces nominations, suspensions et révocations devront être approuvées par la députation permanente du conseil provincial.

« Si le candidat nommé n'obtient pas l'assentiment de la députation, le conseil communal sera tenu de faire un autre choix dans les 30 jours, à partir de celui de la réception, constatée par la correspondance, d'une invitation faite par le gouverneur.

« Si le conseil refuse, ou si son nouveau choix n'est pas approuvé par la députation, celle-ci motive sa résolution et nomme le secrétaire d'office.

« Le gouverneur peut, sur l'avis conforme et motivé de la députation, suspendre et révoquer, pour inconduite notoire ou négligence grave, le secrétaire qui sera préalablement entendu.

« La suspension prononcée par le conseil sera exécutée provisoirement et ne pourra avoir lieu pour plus de trois mois. »

J'en ai puisé les principales dispositions dans les art. 56 et 124, qui concernent, le premier les bourgmestres et échevins, le second les commissaires de police. Je me réserve de le faire quand il sera mis en discussion ; alors aussi je m'expliquerai sur le paragraphe additionnel proposé par la section centrale.

Cette section a cru devoir faire de ma proposition, que j'avais présentée comme un article additionnel au projet du gouvernement, un projet de loi spécial. Je ne m'y opposerai pas, bien qu'il me paraisse assez bizarre et qu'il soit sans exemple, qu'en voulant améliorer une loi, on fasse autant de lois nouvelles que l'on adopte de modifications. La chambre en décidera.

M. Cools. - Je désirerais, avant que la discussion s'ouvre, donner une explication sur mes amendements renvoyés à la section centrale.

M. le président. - La parole est à M. Cools.

M. Cools. - Ma proposition, qui tendait à faire dépendre l'existence du bourgmestre exclusivement du pouvoir central, et qui est du reste conforme à celle de l'honorable député d'Ypres, a été admise par la section centrale. Comme corollaire de ce veto, qui serait opposé à l’intervention de la commune dans le choix du chef de l'administration communale, j'avais proposé d'attribuer la nomination des échevins au conseil communal. Cette proposition a été rejetée.

Déférant aux observations qui m'ont été faites dans le sein de la section centrale et sur lesquelles je m'expliquerai plus tard, je consens conditionnellement à faire disparaître cette partie de mon amendement. Après ce rejet j'ai proposé de laisser la nomination des échevins au Roi, sur une double liste de candidats formée par le conseil. La section centrale a également repoussé ce système. A cette dernière décision, je ne puis souscrire, je dois en appeler à la chambre, Je maintiens donc mon système de faire nommer les échevins par le Roi, sur une liste double de candidats, avec cette seule restriction que pareille liste ne sera pas nécessaire dans les communes d'une population inférieure à mille habitants.

J'ai encore demandé que le bourgmestre fût exclusivement chargé de l'exécution d'abord de toutes les lois d'intérêt général, ensuite de tout ce qui a rapport à la voirie vicinale et aux cours d'eau. Je maintiens également cette proposition toujours comme conséquence du mode que je propose pour la nomination du bourgmestre et des échevins.

J'ai voulu donner dès à présent cette explication pour que les opinions aient te temps de se former. J'appelle du reste toute l'attention de la chambre sur la relation qui existe entre mes différentes propositions. En résumé, je maintiens mes deux amendements, sauf qu'aux mots « les échevins sont nommés par le conseil », qui se trouvent dans la première, je substitue le § suivant : « Les échevins sont nommés par le Roi dans le sein du conseil. Dans les communes de mille habitants et au-dessus, le Roi choisit sur une liste double de candidats formée par le conseil. »

M. le président. - La parole est à M. Orts pour une motion d'ordre.

M. Orts. - Je présente une motion d'ordre qui a pour objet le renvoi de tous les projets de loi présentés par le ministère, ainsi que des changements proposés sous le nom d'amendements, aux conseils provinciaux du royaume, pour obtenir l'avis de ces conseils sur les résultats qu'a présentés la loi du 30 mars 1836 dans son exécution, Je demande que la discussion soit ajournée et tout vote suspendu jusqu'a ce que nous ayons reçu l'avis des conseils provinciaux.

Il ne me sera pas bien difficile d'établir que la mesure que je propose est non seulement opportune, mais même indispensable dans l'état de choses actuel résultant de la présentation successive de projets de loi sur lesquels nous avons à délibérer. Lorsque le ministère s'est présenté dans cette enceinte, avec le projet de modification à la loi communale, vous n'aviez à délibérer que sur un projet. C'était une exception proposée à l'art. 2, en ce sens que cet article ayant décidé que le Roi devra nommer le bourgmestre dans le conseil, le ministère, vous proposait une loi qui, par exception, aurait autorisé le Roi à prendre le bourgmestre en dehors du conseil.

Le texte de ce projet de loi était clair. Mais comme si le ministère eût craint que l'on s'y méprit, il avait inscrit au frontispice de la loi : Il ne s'agit pas du remaniement de la loi communale ; vous n'avez à délibérer que sur cette question : « Le Roi sera-t-il autorisé à nommer le bourgmestre hors du conseil ? » La preuve que l'intention primitive du ministère ne portait que sur cette seule modification, je la puise dans ce fait, que l'enquête administrative n'a eu que ce seul point pour objet.

Le rapport des agents du ministère, que vous a-t-il présenté ? Disons-le franchement.

Plutôt un examen des avantages et des inconvénients à résulter d'un système, qu'un tableau de faits dont la gravité eût été telle que l'enquête aurait justifié la nécessité d'un changement. Sur plus de 2500 communes dont se compose la Belgique, on vous a signalé tout au plus 15 faits qu’on impute à quelques agents de l'administration communale. Non seulement il y a dans ces rapports des agents du gouvernement une grande pénurie de faits qui provoqueraient des changements, mais en outre il est digne de remarque que les gouverneurs ne sont pas d'accord entre eux. Il y a à peu près autant de systèmes différents qu’il y a de gouverneurs de province. Quelques-uns même n'entrevoient pas du tout la nécessité de changements et ils motivent cette opinion.

Le gouverneur de la Flandre orientale, par exemple, a consigné dans son rapport, un paragraphe remarquable. Ce rapport est du 31 mars 1841 et voici ce que j'y lis :

« Je ne me souviens d'aucun fait marquant arrivé sous mon administration, c'est-à-dire à partir du commencement de l'année 1837, que je puisse vous citer comme une preuve des dangers du système admis par la loi communale. Mais à partir du moment actuel je prêterai à cet objet une attention toute spéciale, et si je parviens à découvrir quelque fait de cette nature, soit ancien, soit récent, je me ferai un devoir de vous le signaler aussitôt dans toutes ses circonstances. »

C'est vous dire en propres termes que dans une des provinces les plus considérables du royaume, aucun fait n'a surgi.

Le gouverneur de la province du Luxembourg déclare plus. Il dit dans sa dépêche d'Arlon du 12 mai 1841 :

« Monsieur le ministre, par sa dépêche du 9 mars dernier, M. votre prédécesseur a demande à M. le gouverneur, si depuis l'introduction de la loi communale l'expérience n'avait pas signale des inconvénients dans le mode déterminé par cette loi, pour la nomination des bourgmestres et échevins, soumis à l'élection directe, ils ne subissaient pas dans l'accomplissement de leurs fonctions l’influence des électeurs, et si cette influence n'est pas de nature à paralyser leur indépendance et à compromettre l'action administrative.

« Je puis répondre à cette dépêche qu'il n'existe dans les bureaux du gouvernement provincial aucun acte qui puisse porter à conclure que l'influence des électeurs ait produit sur les fonctionnaires municipaux des effets nuisibles à l’accomplissement de leurs devoirs. Tout en subissant cette influence, car il faut bien reconnaître qu'elle existe, le fonctionnaire tient à ce que ses actes, ne portent point le cachet de la dépendance et à ce qu'on ne puisse les apprécier autrement que par la loi de la raison et de la morale publique.

« Cette loi servant ainsi de contrepoids à l'influence des électeurs, l'on peut conclure que, du moins dans cette province, le mode de nomination des bourgmestres et des échevins est jusqu'ici sans inconvénient. »

Pour ne pas abuser de vos moments, je ne parcourrai pas les rapports des commissaires de districts. Mais dans plusieurs de ces rapports, vous verrez qu'il y a absence de faits concluants, de faits graves ; et certes il faut des faits présentant ce caractère, pour qu'on puisse ainsi bouleverser tout un ordre de choses établi.

Il est tellement vrai que les rapports des gouverneurs de province ne roulent que sur le seul projet de loi modificatif de la nomination des bourgmestres, et qu'il n'est entré dans la pensée d'aucun des fonctionnaires que jamais on put donner l'extension dont il s'agit maintenant au remaniement de la loi communale, qu'un honorable membre de cette chambre, gouverneur de la province d'Anvers, a en quelque sorte protesté contre les propositions ultérieures de M. le ministre de l'intérieur, lorsqu'il a été question de la modification à introduire aux attributions du collège des bourgmestres et échevins en soustrayant à ce collège l'exécution des lois et règlements de police pour la confier au bourgmestre seul. L'honorable M. de Brouckere a adjuré M. le ministre de renoncer à ces modifications. Ce qui vous prouve que dans le premier rapport, il ne peut avoir été question que de ce seul et unique point : la nomination du bourgmestre.

Mais il y a plus : Non seulement les rapports des gouverneurs de province, n'ont pas atteint le but que se proposait le ministère en établissant cette enquête ; mais ils sont en opposition avec les rapports des députations permanentes. Ils sont contredits par le rapport que l'honorable ministre de l'intérieur, M. Liedts, a adressé au Roi sous la date du 18 mars 1841. Dans ce rapport l'honorable M. .Liedts consigne en propres termes la satisfaction que le gouvernement avait éprouvée du chef de l'accomplissement de la part des fonctionnaires chargés de l'administration de la commune, des attributions que leur avait données la loi du 30 mars 1836.

Maintenant, messieurs, si vous mettez en parallèle le rapport fait par M. Liedts au Roi, le 18 mars 1841, avec les rapports des gouverneurs et des commissaires de district formant l'espèce d'enquête administrative dont on a parlé, ne devez-vous pas vous dire que, quelque respectable que soit le caractère de ces agents (et je suis le premier à rendre justice à leur patriotisme, à leurs lumières), que quelque respectable que soit ce caractère, vous ne pouvez pas mettre en comparaison les rapports des députations permanentes avec ceux des agents du gouvernement ?

En effet, la députation permanente, en raison de la nature même de son mandat, présente un caractère d'indépendance qui doit nous inspirer toute espèce de confiance. Or, les députations permanentes elles-mêmes n'ont jamais été consultées sur les diverses modifications que l'on se propose d'introduire à la loi communale.

Ainsi, quant au premier projet du ministère, absence totale de faits pour nous éclairer sur la nécessité du changement qu'il veut introduire dans la loi communale.

Mais depuis le premier projet, ce n'est plus la simple modification d'un article de cette loi, ce sont des changements radicaux, si je puis m'exprimer ainsi, que l'on vous propose, et ces changements, on les voile sous le pseudonyme d'amendements.

Un coup d'œil rétrospectif sur le point de départ de cette discussion et sur son état actuel, va vous faire voir, messieurs, qu'il est impossible, avant d'avoir pris des renseignements auprès des autorités qui peuvent vous les donner les plus complets, les plus satisfaisants, de passer soit à la discussion, soit au vote de ces différents amendements.

En effet, quelle a été la marche du ministère ? Il vous a proposé une première modification à l'art. 56 de la loi communale relativement à la révocation des bourgmestres. Mais ici le ministère, me paraît-il, commettait déjà une espèce d'inconséquence assez grave pour être signalée.

Je conçois que lorsque le roi nommerait le bourgmestre en dehors du conseil dans l'hypothèse présentée par M. le ministre de l'intérieur, il aurait le droit de révocation, parce qu'il est naturel que celui qui nomme directement et sans l'intervention de qui que ce soit, ait aussi le droit de révocation.

Mais lorsque le roi prendra le bourgmestre dans le sein même du conseil (et d'après le projet ministériel il a ce droit), alors, messieurs, n'oublions pas que ce bourgmestre sera revêtu d'un double mandat : le mandat de ses concitoyens, des électeurs de la commune, comme membre du conseil communal, et en même temps le mandat du pouvoir exécutif, du roi, qui le place à la tête de l'administration communale.

N'était-il pas conséquent alors, que, puisque l'art. 56 de la loi communale avait voulu, en termes exprès, que le bourgmestre, lorsqu'il s'agirait, de sa révocation ou de sa suspension, ne pût subir cette révocation ou cette suspension que la députation des états entendue et de son avis, n'était-il pas conséquent que, dans l'hypothèse même du nouveau projet ministériel, lorsque le Roi aurait nommé le bourgmestre dans le sein du conseil, ce fonctionnaire ne pût être révoqué, que la députation des états entendue et de son avis conforme ?

Je vous ai signalé cette inconséquence. Mais il y en a bien d'autres ; et l'état de la question devient bien plus grave, lorsque l'on examine les autres modifications que le ministère veut apporter à la loi communale. Lui qui d'abord n'entendait toucher qu'à un seul point de ce que j'appellerai le personnel de l'administration communale, il s’écarte immédiatement du principe qu'il a proclamé, et oubliant son programme, il vous propose de modifier les attributions ; il vous propose d'enlever au collège échevinal le concours avec le bourgmestre à l'exécution des lois et règlements de police.

Mais il est évident, messieurs, que cette modification est d'un ordre tellement grave, et peut entraîner des conséquences tellement sérieuses, que l'on ne conçoit pas comment, avant de vous proposer une pareille mesure, le ministère n'ait pas cru devoir consulter ceux qu'il avait consultés sur la simple question de savoir si le Roi pourrait, dans quelques cas, nommer le bourgmestre en dehors du conseil. Mais ni les agents du pouvoir exécutif près des communes, ni les députations des états, personne, en un mot, n'a été entendu sur cette question.

Ce n'était pas tout.

Le bourgmestre pouvait, d'après le projet ministériel, être pris en dehors du conseil. Bientôt un amendement surgit ; il émane d'un honorable membre, M. Malou, qui demande que le bourgmestre soit toujours pris en dehors du conseil.

La section centrale a adopté cet amendement, avec une modification en ce sens qu'elle établit que le bourgmestre pourra être choisi par le Roi, soit dans le sein du conseil, soit parmi les électeurs communaux ; mais que du moment où il sera nommé, il perdra sa qualité de membre du conseil communal.

Enfin, pour renchérir sur tout cela, M. le ministre de l'intérieur lui-même, au sein de la section centrale, propose un amendement plus exorbitant que tous ceux qui l'ont précédé. Il propose que le bourgmestre sera nommé sans aucune fixation de terme, Voilà donc le bourgmestre nommé à vie, mais révocable du jour au lendemain.

Les changements à introduire à la loi communale vont plus loin. On attaque la partie relative à la nomination des échevins. Ils étaient nommés pour quatre ans ; on vous propose de les nommer pour huit ans, et d'assigner le même terme au mandat des conseillers communaux.

Enfin, pour couronner l'œuvre, on nous propose le fractionnement des collèges électoraux. Messieurs, si cet amendement devait être discuté, si ma motion d’ordre n'était pas accueillie et qu'il fallût entrer dans l'examen successif de tous ces amendements, ce serait aux vétérans de cette assemblée législative, ce serait à ces défenseurs éloquents des intérêts et des franchises de la commune, à une époque bien peu éloignée, de vous démontrer combien la dernière de ces propositions est en dehors de toutes les prévisions, combien elle froisse toute l'économie de la loi communale, combien elle l'attaque dans son principe. Qu'il me suffise, à moi, messieurs, de signaler cette proposition comme un coup d'essai politique. Il n'y a là plus rien d'administratif. C'est un prélude à des changements plus importants à introduire peut-être bientôt dans les élections générales. Faire une semblable proposition c'est vouloir propager cet esprit de clocher toujours dangereux, mais surtout préjudiciable lorsqu'il s'agit des intérêts d'une commune ; c'est vouloir substituer à l'unité d'action dans la famille municipale, les oppositions égoïstes et tracassières d'une fraction de cette famille ; c'est mettre en pratique cette funeste maxime, souvent trop caressée par le pouvoir fort : diviser pour régner ; enfin c'est planter l'étendard du fédéralisme au sein de la commune ! Et sur de pareilles propositions qui embrassent toute l'économie de la loi, qui la sapent par sa base, qui en attaquent tous les détails, nous irions discuter, nous irions voter sans même que ces propositions aient été soumises aux sections, lorsque des lois de la moindre importance sont renvoyées à leur examen.

Non seulement, messieurs, les sections devaient être entendues, mais il aurait tout au moins fallu que le ministère fît porter l'enquête sur ces points bien plus importants que celui qui était touché dans le projet primitif. Ni les conseils provinciaux, ni les députations permanentes n'ont pu émettre leur opinion sur les questions qui nous sont soumises ; et cependant, messieurs, quelle est l'autorité qui, dans la hiérarchie administrative, est immédiatement au-dessus des conseils communaux ? Mais c'est le conseil provincial. Non seulement c'est là l'autorité placée par la loi au-dessus des conseils communaux pour contrôler leurs actes, mais dans une foule de dispositions et même dans celles qui forment l'objet des changements proposés, les conseils provinciaux sont désignés comme devant être entendus par leurs députations permanentes. C'est ainsi que l'article 56 accordait aux députations le droit d'intervenir lorsqu'il s'agirait de suspendre ou de révoquer les bourgmestres ; dans ces cas les députations devaient donner leur avis et cet avis devait même être conforme. Eh bien, ce droit on veut l'enlever aux députations provinciales.

Le ministère dira peut-être : « Mais cette demande de renvoi aux conseils provinciaux ne peut pas tomber sur ma proposition, qui n'a d'autre objet que d’autoriser le pouvoir exécutif à choisir le bourgmestre, par voie d'exception, en dehors du conseil communal. » Mais, messieurs, dans l'état actuel des choses, cette proposition, de principale qu'elle était, devient réellement subsidiaire ; ce n'est en effet que lorsque la chambre aura voté sur tous les amendements qu'elle pourra s'occuper de la proposition primitive du gouvernement. Il est de principe qu'il faut toujours commencer par l'amendement qui s'écarte le plus de la proposition principale, et si l'amendement de M. Malou, d'après lequel le bourgmestre serait toujours nommé en dehors du conseil, venait à être adopté, je ne vois plus comment la chambre pourrait voter sur la proposition ministérielle, qui tend à autoriser le gouvernement à nommer le bourgmestre soit dans le sein du conseil, soit en dehors du conseil. La même observation s'applique à tous les autres amendements qui sont relatifs à la nomination du bourgmestre. Eh bien, messieurs, ni l'amendement de M. Malou, ni 1’amendement de M. de Theux, ni les amendements de la section centrale n'ont été examinés ni par les sections ni par les députations permanentes. Je pense donc qu'il y a nécessité de renvoyer toute cette affaire à l'examen des conseils provinciaux.

Messieurs, ce que je propose en ce moment, où il s'agit d'une loi organique la plus importante de toutes, trouve des précédents dans cette chambre. Dans plusieurs cas où il s'agissait de projets de lois bien moins importants, la chambre a renvoyé ces projets aux autorités compétentes pour les examiner. C'est ainsi que la loi relative à la circonscription cantonale a été renvoyée à l'examen des conseils provinciaux ; c'est ainsi que le projet relatif à la voirie vicinale a été renvoyé également aux conseils provinciaux. Pour les lois concernant l'ordre judiciaire, la loi sur l'organisation de cet ordre, la loi relative au code pénal ont été renvoyées à l'examen des cours de justice ; une foule de lois concernant les intérêts commerciaux et industriels du pays ont été soumises à l'examen des chambres de commerce avant que la chambre ne s'occupât de leur discussion ; et lorsqu'il s'agit, je ne puis assez le répéter, de la loi la plus importante qui existe en fait d'organisation des corps constitués, lorsqu'il s'agit de la loi communale, on sauterait à pieds joints sur toutes ces formalités si essentielles !

« Mais, dira le ministère, le retard que vous apporteriez à la discussion de la loi pourrait être préjudiciable aux intérêts de la commune ; il m'importe de faire voter immédiatement toutes les modifications qu'il s'agit d'apporter à la loi communale. »

Messieurs, je me servirai ici d'un terme de palais, qui exprime bien ma pensée ; il n'y a pas, j'ose le dire, péril en la demeure. D’ailleurs les séances des conseils provinciaux vont s'ouvrir ; le renouvellement partiel des conseils communaux n'aura lieu que dans le courant d'octobre ; les nouveaux conseillers n'entreront en fonctions qu'au 1er janvier 1843. Eh bien, les élections éclaireront le ministère ; qu'il attende les élections, je suis persuadé qu'elles le satisferont et qu'il trouvera parmi les élus des hommes qui auront toutes les qualités nécessaires pour bien administrer les communes. Mais enfin, en fût-il autrement, le ministère pourrait nous présenter son projet de loi, tel qu'il le formule maintenant, ou bien tout autre projet, dès l'ouverture de la session prochaine, il pourrait ensuite nommer les bourgmestres d'après la loi que nous aurions votée.

Il ne me semble pas, messieurs, qu'il y ait une telle urgence, qu'il faille voter sans avoir été éclairés suffisamment, sur des matières aussi graves. Je pense que le ministère aura tout le temps de nous proposer les modifications dans la prochaine session, si toutefois mieux avisé par le résultat de l'enquête administrative que je propose, il ne juge plus convenable de renoncer à son projet.

Enfin, messieurs, dans le tourbillon où nous entraîne le pouvoir fort, je crois qu'il convient de faire une halte, la prudence la plus vulgaire nous fait un devoir de recueillir des renseignements auprès des autorités qui sont le plus à même d'en donner de précis, d'exacts, de nous en donner de tels, en un mot, que nous puissions prendre une décision conforme à ce qu'exigent les intérêts du pays.

Il s'agit, comme je l'ai déjà dit, de la loi organique la plus importante de toutes, celle de la commune.

Les municipalités, disait Mirabeau, sont la base de l'état social, le salut de tous les jours, la sécurité de tous les foyers, le seul moyen d'intéresser le peuple entier au gouvernement et de garantir tous les individus,

C'est dans la situation où nous nous trouvons, messieurs, que plus que jamais la prudence nous conseille de suivre ce précepte :

« Hâtez-vous lentement.»

M. le président. - Voici la proposition de M. Orts :

« Je demande le renvoi des divers projets de loi et des modifications présentées sous le nom d'amendement, aux députations des conseils provinciaux, pour avoir leur avis sur les résultats qu'a présentés la loi du 30 mars 1836 dans toute son exécution.

« Je demande que toute discussion des projets et des amendements actuellement soumis soit suspendue, et le vote ajourné jusqu'après les rapports et avis des conseils provinciaux. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je croirais anticiper sur le fond de la discussion, si je rencontrais en détail les différentes observations qui ont été présentées par l'honorable préopinant.

En résumé, il pense que l'instruction qui a été faite est incomplète, et que même en la renfermant dans les limites qu'elle a eues, elle est insuffisante, quant à l'objet sur lequel elle a porté.

Elle est incomplète, dit l'honorable membre, parce qu'on n'a pas pu comprendre dans l’enquête administrative qui a été faite, les amendements des honorables membres de Theux, Malou et de Brouckere. Elle est insuffisante, peu concluante, parce que, selon l'honorable membre, elle ne prouve pas la nécessité d'apporter des changements à la loi communale, en ce qui concerne les bourgmestres.

Je répondrai, messieurs, en peu de mots à ces objections. Le gouvernement a consulté les autorités qu’il devait consulter ; il les a consultées sur la question qu'il prévoyait être dans le cas de porter tôt ou tard devant les chambres ; il les a consultées sur la question de savoir s’il y avait lieu ou non de changer le mode de nomination des bourgmestres en exprimant le désir de connaître jusqu'à quel point les fonctions dévolues aux bourgmestres étaient convenablement remplies, notamment en ce qui concerne la police.

L'enquête administrative a porté sur tous ces points, et plusieurs gouverneurs se sont occupés, entre autres, de l'examen des questions qui se rattachent à l'exercice de la police. Ainsi l'enquête a été complète, quant au gouvernement ; il la considère comme complète et c'est en s'appuyant sur cette enquête qu'il se présente devant vous.

Vous pouvez juger jusqu'à quel point les divers faits exposés dans l'enquête sont concluants ou non. Je ne veux pas rechercher en ce moment si les avis des gouverneurs et des commissaires d'arrondissement ne prouvent rien ou prouvent quelque chose ; ceci est réservé à la discussion du fond et je crois qu'ici l'honorable membre a anticipé.

Ainsi, l'on aurait dû se borner à demander tout au plus le renvoi à l'examen des autorités provinciales, des amendements qui n'ont pas été compris dans l'enquête administrative. Mais ce serait faire encore là une chose des plus insolites. Il est très vrai que dans beaucoup de circonstances on a renvoyé des projets de loi à l'avis soit des chambres de commerce, soit des autorités administratives ou judiciaires ; mais ce n'était pas après le dépôt du rapport de la section centrale, c’était après la présentation du projet lui-même.

Mais j’aurais pu laisser de côté toutes ces observations, en me bornant à une seule réflexion que voici : On demande le renvoi aux conseils provinciaux, mais il aurait fallu avant tout prouver la compétence des conseils provinciaux ; or, je nie la compétence des conseils provinciaux, je dis qu'ils seraient incompétents pour donner un avis sur la matière qu'on voudrait leur renvoyer.

M. Pirson. - Qu'on renvoie aux députations permanentes.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je prends la motion d'ordre telle qu'elle a été proposée : on demande le renvoi aux conseils provinciaux ; je dis que les conseils provinciaux ont dans leur session prochaine à s'occuper d’autres matières, et, dans tous les cas, les conseils sont incompétents.

L'instruction est faite, je le répète ; le gouvernement la considère comme complète ; Ceux qui la considèrent comme insuffisante, comme peu concluante, trouveront, dans toutes ces circonstances, des motifs pour voter contre le projet. C'est ainsi qu'il faut accepter la discussion.

Je regarde donc le renvoi demandé comme étant sans objet, comme contraire aux précédents de la chambre, et comme étant de nature à ne rien apporter de nouveau à la discussion. Je demande que la discussion ait son cours ; la chambre est saisie des questions ; il faut qu’elle se prononce soit par oui soit par non ; il faut que ces questions disparaissent.

M. Pirson. - Messieurs, j'ai demandé la parole sur la motion d'ordre, non seulement pour l'appuyer, mais pour y ajouter quelque chose. J’étais précisément à formuler une motion d’ordre, lorsque l’honorable M. Orts a demande la parole ; mais je vous avoue que mon intention n'était pas de la proposer, en ce moment ; je voulais laisser aller la discussion pendant un jour ou deux, et peut-être me serais-je décidé à présenter ma motion ; mais puisqu'il y en a une et que la mienne s'y rattache jusqu'à un certain point, je vais en donner connaissance à la chambre. Je n'entrerai point dans la discussion du fond, l’honorable M. Orts y est entré suffisamment, en proposant sa motion ; mais si la discussion continue, je demanderai la parole sur l'ensemble.

L’honorable M. Orts s'est trompé en indiquant les conseils provinciaux comme devant être consultés : les conseils provinciaux ne sont nullement en contact avec les administrations communales, mais les députations permanentes et les gouverneurs ont des rapports journaliers avec ces administrations. Je suppose que l'honorable membre est disposé à rectifier sa proposition dans ce sens que ce serait aux députations permanentes qu'on renverrait les projets.

Messieurs, d'après tout ce qui se passe, à voir tous les amendements qui ont surgi inopinément, il est de fait qu'il y a quelque chose à faire quant à la loi communale, car il n'y aurait pas eu certainement dans cette assemblée autant de propositions différentes et divergentes s'il n'y avait eu rien à faire à cet égard.

M. le ministre de l'intérieur a débuté par un tout petit article qui paraîtrait, jusqu'à un certain point, insignifiant et qui ne l'est pas, car du moment que l’on prend le bourgmestre en dehors du conseil, il faut bien décider s'il y aura voix délibérative ou non. Voilà donc un changement à la loi communale. Eh bien, puisqu'il est à peu près reconnu unanimement par les gouverneurs, par les administrateurs, par presque tous les membres de cette chambre qu'il y a quelque chose à faire, quant à la loi communale, eh bien, voici ce que je voulais : je voulais proposer l'ajournement de toute discussion relative à des modifications à la loi communale jusqu'à la session prochaine, en invitant le gouvernement à élaborer un projet qui puisse être accepté ; naturellement, si le ministre croit devoir consulter les députations provinciales, il pourrait le faire, mais ce n'est pas encore à nous à le lui ordonner ; c'est au gouvernement à savoir ce qu'il doit faire pour nous instruire ; si le gouvernement ne fait pas tout ce qu'il doit faire pour rendre cette instruction complète, nous pourrions faire nos observations.

Je voulais donc proposer de remettre à la session prochaine toute discussion relative aux modifications à apporter à la loi communale ; mais attendu que M. le ministre de l'intérieur a une peur si grande des résultats des élections prochaines et cette grande épouvante m'a frappé, lorsque j'ai lu son discours que je n'ai pas entendu dans cette enceinte, ne m'y étant pas trouvé alors ; mais puisqu'à une simple lecture, j'ai vu M. le ministre si effaré, à plus forte raison m'eût-il paru effaré, si j'avais été présent ; eh bien, dis-je, pour tranquilliser M. le ministre, je demande que, par une loi spéciale, il soit sursis au renouvellement partiel des conseils communaux qui doit avoir lieu au mois d'octobre prochain, et ce pour le terme d'un an.

M. le président. - Voici la proposition de M. Pirson :

« Je propose d’ajourner à la session prochaine toute discussion relative à des modifications à introduire à la loi communale afin que le gouvernement puisse présenter un ensemble satisfaisant. »

Voici le projet de loi proposé par le même membre :

« LEOPOLD, etc.

« Il est sursis pour une année au renouvellement partiel des membres des conseils communaux qui devait avoir lieu au mois d'octobre prochain. »

M. Orts. - M. le ministre de l'intérieur a fait à ma proposition une objection tirée de l'incompétence des conseils provinciaux Je doute que cette incompétence puisse être établie aux termes de nos lois, car les conseils provinciaux invités à donner des avis ou des renseignements sur des faits qui concernent les intérêts des communes devraient répondre au gouvernement comme tout corps constitué. Cependant, pour éviter toute contestation ultérieure sur cette question de compétence, je substituerai dans ma proposition les députations permanentes aux conseils provinciaux. Je serai alors strictement dans les termes de la loi ; j'aurai pour moi l'art. 106 de la loi provinciale, dont le 1er § est ainsi conçu : « La députation donne son avis sur toutes les affaires qui lui sont soumises à cet effet en vertu des lois ou par le gouvernement. »

J'ajouterai que si jamais au cas s'est présenté d'en faire usage c'est celui-ci, car il s'agit de la loi la plus importante que nous puissions discuter.

On m'a reproché d'être sorti de la motion d’ordre, parce que j'ai présenté quelques réflexions sur les rapports des gouverneurs et des commissaires de district. Je le demande, comment aurais-je pu établir la thèse qu'une information ultérieure était nécessaire à moins de présenter très brièvement quelques exemples de l'insuffisance de ces rapports ? Je me suis gardé de les parcourir en entier, car il m'aurait fallu pour cela deux ou trois heures. J'ai argumenté non seulement des rapports des gouverneurs, mais encore de ceux des commissaires de district.

Je ne faisais pas partie de cette chambre, quand les projets de loi, dont j'ai parlé comme d'un précédent, ont été renvoyés aux députations provinciales. Mais depuis que je suis membre de la commission chargée de l'examen du projet de loi sur la circonscription cantonale, j'ai été dans le cas de remarquer que sur le tableau se trouve en marge des propositions du gouvernement et de celles de la section centrale, les avis de la députation permanente. Comme ces avis sont placés à la suite du rapport de la section centrale, j'ai lieu de croire, malgré mon peu d'expérience des usages parlementaires, que la section centrale avait déjà fait son rapport quand on a demandé l'avis des députations permanentes. Si cela est exact, rien n'empêche de faire pour la réorganisation de la commune ce qui a été fait pour la circonscription cantonale.

M. le président. - M. Orts remplace dans sa proposition les conseils provinciaux par les députations provinciales.

M. de Theux. - Je ferai remarquer qu'il y a décision relativement aux motions qui viennent d'être faites. Vous vous rappelez que, quand M. le ministre a proposé quelques amendements qui devaient former des articles additionnels au projet de la section centrale auquel il s'était rallié, on fit la proposition de renvoyer ces amendements à l'examen des sections. Mais la chambre a considéré que ce renvoi était une espèce d'ajournement, et que, surtout à l’époque avancée de la session, il importait d'éviter une semblable mesure. C'est pourquoi la chambre a décidé que non seulement les amendements de M. le ministre de l'intérieur seraient renvoyés, ainsi que cela est d'usage, à la section centrale, mais elle a décidé aussi que les membres pourraient déposer des amendements et que la discussion continuerait encore dans les séances de vendredi et de samedi, qu'ensuite la section centrale serait saisie non seulement des amendements de M. le ministre de l'intérieur, mais de tous les autres amendements qui pourraient être déposés.

En effet, quand les amendements out été développés, samedi, la chambre, se conformant à la décision qu'elle avait prise la veille, a renvoyé ces amendements à la section centrale. Elle n'a donc pas voulu d'autre examen que celui de la section centrale. Sous ce rapport, il y a donc chose jugée.

Vous aurez remarqué que la motion de M. Pirson tend à un ajournement de la loi, car, pour parer aux éventualités signalées par M. le ministre de l'intérieur relativement aux élections prochaines, il propose de proroger d'une année le mandat des conseillers municipaux. Il n'a pas fait attention que c'était une atteinte à la constitution. Du moment que la constitution prescrit l'élection directe des conseils communaux, proroger leur mandat au delà du terme pour lequel ils ont été élus, c'est violer la constitution. On peut décider que les élections futures auront lieu pour un terme plus long, mais on ne peut pas par une loi décider que le mandat des conseillers élus sera prorogé.

Je pense que la chambre, demeurant conséquente avec ses décisions précédentes, doit rejeter les motions qui viennent d'être présentées.

(Moniteur belge n°146, du 26 mai 1842) M. Verhaegen. - Messieurs, la chambre des représentants, depuis quelques jours, offre au pays un spectacle bien inquiétant. Une loi organique sur les communes a été faite en 1836, elle avait été élaborée pendant plusieurs années, le gouvernement, comme les chambres, s'étaient entourés de toutes les lumières qu'exigeait une œuvre si importante, et en 1842, sans avoir pris aucun renseignement nouveau, sans avoir consulté les autorités compétentes, on veut renverser tout d'un coup ce qui a été construit avec tant de soins, il y a à peine six ans !

Alors que plusieurs honorables membres qui, au fond cependant ne partagent pas nos opinions, ont signalé les dangers de toucher à des lois organiques qui se rattachent intimement à la constitution et à l'existence nationale, on a hâte de réviser la plus importante de toutes la loi communale, quoi qu'aucun inconvénient réel n'ait été signalé !

C’est, messieurs, ce qui nous donne, à nous, la conviction qu'il s'agit ici non pas d'une question administrative, mais d'une question politique.

L’ajournement qui vous a été proposé par l'honorable M. Orts et le résultat de la conduite même du ministère et de ses amis.

Ainsi qu'on vous l'a dit, le gouvernement avait présenté d'abord, quant aux bourgmestres, un très petit projet de loi. Il s'agissait uniquement de laisser au Roi la nomination de ces magistrats municipaux dans le conseil ou hors du conseil pour des motifs graves et sur l'avis de la députation des états. L'exposé des motifs était insignifiant. Un rapport fait sur ce premier projet, par la section centrale, était aussi insignifiant que l'exposé des motifs ; à peine y avait-elle sacrifié quelques lignes.

Arrivé devant la chambre, M. le ministre de l'intérieur se trouva débordé par ceux qu'il appelle ses amis, il céda à des conseils intéressés, il retrancha, puis il ajouta, puis encore il modifia, et il arriva ainsi à changer la loi communale tout entière. Car l'honorable M. de Brouckere disait, il n'y a qu'un instant, que toute la loi communale est remise en discussion, et quoiqu'agent du gouvernement, il exprimait ses regrets à cet égard.

Tous ces changements, additions et modifications, résultat des exigences qui avaient surgi de toutes parts furent, sous le nom d'amendements, renvoyés à la section centrale, et quoiqu'ils résumassent la révision de toute la loi organique sur les communes on s'en occupa à peine pendant une séance et le rapport fut bientôt arrêté.

Qu'il me soit permis de répondre d'abord quelques mots à l'honorable M. de Theux, auteur de ce rapport, sur la fin de non recevoir qu'il paraît vouloir opposer à la motion de mon honorable ami M. Orts.

Il y a, dit M. le rapporteur, chose jugée quant à la question soulevée par M. Orts ; et pourquoi donc y aurait-il chose jugée ? Serait-ce parce que, contrairement à ce que j'avais eu l’honneur de soutenir, il y a huit jours, on n'a pas envoyé ces diverses propositions à l'examen des sections, et qu'on s'est borné à les renvoyer directement à la section centrale ? Mais l’honorable rapporteur n'est pas heureux dans son observation, car, s'il y avait eu chose jugée dans le sens qu'il l'entend, la section centrale, où cependant son opinion a prévalu, aurait singulièrement violé cette chose jugée ! Quoi ! il y aurait eu chose jugée, et quand les diverses propositions qui avaient surgi dans cette enceinte ont été renvoyées à la section centrale comme amendements, quand il s'agissait de ne faire de toutes ces propositions qu'un seul projet de loi, la section en a fait autant de projets distincts ; et cela dans la crainte que l'une ou l’autre opinion venant à ne pas être accueillie par la majorité, l'idée dominante, celle qui se rattache à la nomination du bourgmestre hors du sein du conseil, ne fût également compromise.

J'ai fait mes observations au sein de la section centrale, et nonobstant tous mes efforts, j'ai succombé et sur la forme et sur le fond. Toutefois, l'opinion de la majorité qui se trouve résumée dans le rapport, n'est pas à l'abri du contrôle de la chambre, et certes personne n’osera soutenir qu'on puisse en faire résulter un préjugé contre l'un ou l'autre système. J'en ai dit assez sur la fin de non recevoir opposée contre la motion d'ajournement, je me hâte de l’examiner quant au fond.

Nous demandons aujourd'hui que la chambre s'entoure de renseignements, alors que la section centrale ne lui en a fourni aucun.

Il faut changer fa loi communale ; il faut la changer d'un bout à l'autre, nous dit la section centrale, et c'est aussi l'opinion personnelle de l'honorable M. de Theux, qui, dans une des séances précédentes, répondant à une interpellation de l'honorable M. Rogier, lui dit en ces termes : « Oui, toute la loi communale est remise en discussion... » On veut réviser toute la loi communale, cette œuvre de 1836, qui a demandé tant de soins et de travaux extraordinaires, et la section centrale n'a donné à cet important objet qu'une seule séance ! !

Il faut changer la loi et pourquoi ? Je résume en deux mots tout le système des réformateurs : parce qu'il y a des inconvénients, des inconvénients graves dans le système actuel.

Comment donc a-t-on établi cette assertion ? A-t-on signalé aucun inconvénient grave ? et à défaut de preuves ne nous est-il pas permis de répondre par une dénégation formelle ?

La conduite du ministre est inconcevable, j'ai fait une enquête administrative, nous dit-il, cette enquête me suffit ; il n'en faut pas d'autre. Mais la chambre doit-elle s'en contenter, la chambre qui est appelée à détruire de fond en comble l'œuvre de 1836 n'a-t-elle pas le droit de s'éclairer et de demander des renseignements ? Si certains honorables membres qui étaient naguère les plus chauds partisans de nos franchises communales veulent aujourd'hui se retrancher derrière une prétendue expérience, au moins cette expérience doit-t-elle apparaître dans tout son jour et ne pas servir uniquement de prétexte à des revirements d'opinion. Personne n'a mieux défini que l'honorable M. Dechamps les conditions de l'expérience et si cet honorable membre venait à contester mes principes, je répondrais au représentant de 1842, par le représentant de 1836, c'est ce que je me réserve de faire plus tard si les circonstances l'exigent, pour ne pas abuser aujourd'hui des moments de la chambre. A l'appui de ses assertions, le gouvernement n’invoque d'autre preuve que la prétendue enquête administrative, qui est son ouvrage ou celui de ses agents.

A cet égard, messieurs, je vais me permettre d'entrer dans quelques détails et je compléterai ainsi ce qui a été dit par mes honorables amis.

Quelles sont donc les autorités qu'on a consultées ? Comment, à quelle époque et dans quelle intention leur a-t-on demandé des renseignements ?

Les autorités que l'on a consultées, sont MM. les gouverneurs de provinces et les commissaires d'arrondissement. Et ce sont les rapports de ces fonctionnaires qui constituent ce que M. le ministre appelle l'enquête administrative !

Mais les gouverneurs et les commissaires d'arrondissement sont les agents immédiats du gouvernement central, et ils n'ont fait que répondre à une circulaire de M. le ministre de l'intérieur, qui laissait entrevoir son opinion et le désir qu'il avait de la voir appuyée de l'opinion de ses subalternes ; il m'importe de bien fixer l'attention de la chambre sur ce point.

Il est vrai, et je me hâte de le dire, c'était l'honorable M. Liedts qui avait alors le portefeuille de l'intérieur ; mais ce n'est pas ici une question de personne, et d'ailleurs je n'ai pas d'amis politiques à ménager, mes antécédents ne laissent à cet égard une entière liberté.

D'un autre côté, il y a aussi une circulaire de M. Nothomb, ministre actuel ; car je vois dans les lettres des gouverneurs qu'ils répondent à une missive qui leur a été adressée par M. le ministre de l'intérieur de 1842 ; nous ne connaissons pas le contenu de cette missive, peut-être jugera-t-on à propos de nous le faire connaître. Mais en attendant, voici la circulaire de l'honorable M. Liedts :

« Monsieur le Gouverneur,

« L'exécution de la loi communale du 30 mars 1836, date déjà d'une époque assez ancienne pour qu'il soit permis de sonder les conséquences de quelques-unes des dispositions les plus importantes de cet acte législatif, notamment du mode de nomination des bourgmestre et échevins.

« L’expérience doit vous avoir appris avec précision et par des circonstances matérielles, si ce mode de nomination consacré par la loi laisse aux bourgmestres et échevins la faculté de remplir avec tout le zèle désirable leurs fonctions en ce qui concerne la police ou s'il n'est point de nature à paralyser l'indépendance de ces fonctions.

« Plusieurs circonstances, d'une nature assez grave, ont déjà été portées à ma connaissance quant à ce point. Dans différentes communes des bourgmestres et échevins n'ont refusé ou plutôt ont osé délivrer certains certificats de milice.

« Je n'ai pas besoin d'insister sur les dangers d'une législation sous l'empire de laquelle des faits de l'espèce peuvent s'accomplir ; vous me seconderez donc, monsieur le gouverneur, dans mon vif désir de réunir en faisceau, à partir de 1836, tous les cas dans lesquels la mollesse ou l'inertie des bourgmestres et échevins aura pu être attribuée à la crainte de mécontenter les électeurs. Ces cas devront être soigneusement analysés et former l'objet d'un rapport que vous m'adresserez aussitôt que faire se pourra. Vous aurez soin de continuer ce travail en enregistrant successivement les événements propres à éclairer le gouvernement sur la nécessité de modifier dans l'intérêt de l'ordre public et d'une bonne administration, le mode de nomination des bourgmestres et échevins particulièrement dans les communes rurales.

« Le ministre de l'intérieur,

« (Signé) LIEDTS. »

Le but de cette circulaire est patent, on voulait atteindre un but, on voulait une réponse qui confirmât l'opinion du ministre ! MM. les gouverneurs pouvaient-ils ne pas suivre l'impulsion de leur chef ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C'est un peu fort.

M. Verhaegen**.** - Pour autant qu'il vous plaira, je remplis un devoir et je le remplirai jusqu'au bout.

Mais ce qui est plus fort, c'est que le gouvernement central qui éveillait l'attention de ses agents, n'avait aucun inconvénient grave à leur signaler, et dans la réalité, il n'en existait aucun ; en effet, d'après un rapport présenté par l'honorable M. Liedts, à une autre époque, sur un nombre d'au-delà 2,500 bourgmestres, il n'en a révoqué qu'un seul dans la période du 1er juin 1839 au 1er juin 1840 ; tandis que parmi les secrétaires qui jusque-là étaient à la nomination du gouvernement, il en a été révoqué cinq ; preuve irrécusable que le choix des électeurs est préférable au choix du gouvernement et qu'il est inutile de changer la loi actuelle.

Mais, messieurs, examinons les rapports de MM. les gouverneurs, et voyons si ces rapports sur la question importante qui nous est soumise, ne méritent pas d'être contrôlés par une autorité impartiale, et qui puisse inspirer par son origine une entière confiance au pays ; J'avais pensé d'abord qu'il convenait de consulter les conseils provinciaux, et je me proposais d'appuyer la motion première de l'honorable M. Orts, mais puisque par amendement on a proposé le renvoi aux députations permanentes, voulant marcher d'accord avec mes honorables amis, je me rallie à cette modification, les députations permanentes au moins qui ne sont que des émanations des conseils provinciaux ne se trouvent pas placées sous l'influence immédiate du gouvernement ; leur opinion sera considérée comme impartiale et le pays par leur organe aura été entendu.

Messieurs, ce qu'on a oublié de vous dire, et ce qui est cependant fort important, c'est que déjà il existe un commencement de contrôle quant aux rapports de MM. les gouverneurs de province ; il se trouve dans les comptes-rendus annuellement par les diverses députations permanentes du royaume.

Qu'il me soit permis de réclamer ici quelques instants votre attention, car la question est très grave ; je vais faire quelques comparaisons entre les avis de MM. les gouverneurs et les rapports des députations permanentes dont MM. les gouverneurs néanmoins sont membres et présidents, et vous verrez que ces hauts fonctionnaires, répondant à la circulaire de l'honorable M. Liedts, ont dit justement le contraire de ce qu'ils disaient avec leurs collègues des députations dans les rapports annuels. Cette comparaison est des plus curieuses.

La députation permanente du conseil provincial d'Anvers, dans le rapport de 1840, prouve que la comptabilité communale continue à laisser peu à désirer. Dans son rapport de 1841, on lit : « Les administrations communales, à peu d'exceptions près, secondent des vues. » Ainsi, dans la province d'Anvers, pas d'inconvénients graves, tout au contraire marche bien.

M. de Brouckere. - A peu d'exceptions près.

M. Verhaegen. - A peu d'exceptions près ; mais ces exceptions n'ont pas été signalées. Et qu'il me soit permis de dire à l'honorable M. de Brouckere que, dans son avis d'ailleurs qui est déposé sur le bureau, tout en énonçant une opinion conforme à celle du gouvernement, il n’indique plus aucun inconvénient, et c'est pour cela que je n'insisterai pas davantage en ce qui concerne la province d'Anvers.

Messieurs, vous connaissez la lettre de l'honorable gouverneur de Namur ; elle est jointe au dossier ; elle fait partie de l'enquête administrative sur laquelle s'appuie le ministère. Eh bien ! voici ce que dit la députation du conseil provincial de Namur dans son rapport de 1841 :

« La plupart des administrations communales s'acquittent convenablement de leurs obligations, et nous n'avons qu'à nous féliciter de la bonne volonté qu'elles apportent en général dans l'exercice de leurs fonctions, ainsi que de l'harmonie qui règne entre elles et leurs administrés. »

Mais ce qui est le plus remarquable, et ici surtout je réclame l'attention de la chambre, c'est le rapport de la députation permanente du Brabant. Il n'y a peut-être pas d'avis plus incisif, et je dois dire à cet égard toute ma pensée, que celui du gouverneur du Brabant.

Vous voudrez bien, messieurs, vous convaincre vous-même en prenant lecture de la missive adressée à M. le ministre de l'intérieur par M. le baron de Viron. M. le gouverneur du Brabant attaque les bases de la loi de 1836, « cette loi, d'après lui, donne lieu aux plus graves inconvénients ; avec cette loi tout gouvernement est impossible, l'anarchie bientôt prendrait la place de l'ordre et de la légalité. » Eh bien, messieurs, voici les rapports de la députation permanente du Brabant de 1840 et de 1841 :

« 1840. L'ordre et l'exactitude commencent à régner dans les différentes parties de la comptabilité communale où tout se régularise. »

« 1841. Le gouvernement n'a eu à annuler aucune des résolutions prises, soit par les collèges, soit par les conseils communaux de la province, comme sortant de leurs attributions et blessant l'intérêt général. Cet état de choses constate une application plus approfondie des dispositions de la loi organique. » Nous ajouterons : « Qu'en général ces corps s'occupent avec un zèle louable du bien-être et de la prospérité des localités dont ils soignent les intérêts.

« L'activité que l'on se plaît à remarquer chez les administrateurs communaux est d'autant plus satisfaisante que les citoyens en ressentent directement l'heureuse influence, et qu'il a fallu beaucoup de dévouement à une partie des hommes nouveaux arrivés au timon des affaires municipales, depuis la loi du 30 mars 1836, pour suppléer au manque de connaissances administratives »

Peut-on rencontrer un démenti plus formel ? Y a-t-il le moindre inconvénient signalé par la députation permanente du Brabant dont M. le gouverneur faisait partie ? Non, ce corps n'avait que des louanges à donner aux administrations communales du Brabant.

Et ces louanges méritent de fixer notre attention. Il est étonnant, dit la députation, que depuis la mise en vigueur de la loi de 1836, il y ait eu tant d'ordre, tant d'activité dans l'administration des communes ; que des hommes nouveaux aient déployé un zèle auquel on ne pouvait pas s'entendre.» Et c’est le moment où ces hommes ont acquis des connaissances plus étendues, résultat de l'expérience, c'est le moment où la loi de 1836 allait porter de meilleurs fruits encore, que l'on choisit pour la bouleverser. Si le ministère voulait se dégager de toute préoccupation, l'avis de la députation du Brabant qui ferait faire d'utiles réflexions, et peut-être abandonnerait-il son œuvre de destruction et de réaction.

A Liége, c'est encore la même chose. Dans le rapport de la députation permanente, je trouve :

« Les élections communales, en amenant de nouveaux membres dans le sein du conseil, ont fait cesser dans plusieurs communes la désunion que nous avons signalée dans nos exposés précédents, et ont rendu la marche de l'administration régulière. »

La députation énumère ensuite les diverses obligations dans l’intérêt des communes et puis elle ajoute :

« Telles sont les obligations que l'intérêt des communes nous impose les règles qu'il nous trace et dont nous nous faisons une loi de ne pas nous départir. Il nous est agréable de voir que les administrations savent reconnaître la nécessité de s'y soumettre, et apprécier les avantages qui résultent de leur accomplissement. »

Ainsi, dans la province de Liège, toutes les administrations communales se soumettent aux obligations qui leur sont imposées ; elles savent apprécier les avantages qui résultent de leur accomplissement.

Lisez maintenant l'avis du gouverneur de cette province, en réponse à la circulaire ministérielle, et comparez-le avec l'avis de la députation permanente.

Passons au rapport de la députation permanente du Limbourg, il porte en termes :

« Nous n'avons que des éloges à donner de la manière dont la plupart s'acquittent des devoirs que la loi leur impose dans l'intérêt de l'Etat, aussi bien que dans celui des administrés.

« Messieurs les commissaires d'arrondissements se louent aussi en général de leurs relations avec les administrations communales.

« L'administration des quatre villes de la province, emporte à meilleur titre encore, l'approbation de l'autorité supérieure (le rapport loue hautement toutes les relations avec ces administrations).

« En applaudissant au zèle et au dévouement dont les administrateurs de la commune donnent aussi des preuves, nous ne pouvons que les engager à persévérer dans la voie de progrès où ils sont entrés. »

Peut-on dire quelque chose de plus fort pour donner un démenti à ce qu'on appelle l'enquête administrative : « Messieurs les commissaires d'arrondissement se louent aussi en général de leurs relations avec les administrations communales.» Et ce sont les chefs de ces administrations qu'on veut mettre de côté, parce que leur origine aurait donné lieu à des inconvénients, ou plutôt parce qu'il plaît à M. le ministre de l'intérieur de dire qu'elle a donné lieu à des inconvénients.

Enfin nous lisons dans le rapport de la députation permanente du Luxembourg :

« On doit, en général, rendre hommage au zèle et au dévouement des administrateurs de la commune ; l'expédition journalière des affaires a témoigné de l'activité qu'ils ont déployée malgré l'encombrement de leur besogne.

« Les hommes placés à la tête des communes, jouissent de l'estime et de la confiance des administrés. »

Et c'est parce que des hommes jouissent de l'estime et de la confiance de leurs administrés que le gouvernement veut les déplacer !

Comparez encore une fois ce rapport avec les documents qui constituent l'enquête administrative, et les réflexions se présentent en foule. Je ne parle pas des rapports des députations permanentes des deux Flandres, parce que M. de Muelenaere, gouverneur de la Flandre occidentale, faisant partie du cabinet, n'a pas été appelé à donner son avis, et que M. de Schiervel, gouverneur de la Flandre orientale, a dit que jusqu'à présent il n'avait aucun inconvénient à signaler, et qu'ainsi je n'avais pas à combattre l'opinion de ces deux fonctionnaires.

Maintenant, messieurs, y a-t-il quelque chose d'extraordinaire à venir demander que non seulement la proposition première de M. le ministre de l'intérieur, mais toutes les propositions nouvelles qui ont surgi dans cette enceinte, soient envoyées à l'avis de ces députations permanentes, qui, indépendantes dans leurs relations avec l'autorité centrale, donnent un démenti formel à MM. les gouverneurs, dont les seuls avis constituent l'enquête administrative que M. le ministre de l'intérieur invoque. Y a-t-il quelque chose d'insolite à vouloir rechercher la vérité et à chercher de mettre d'accord entre elles des autorités qui, jusqu'à présent, se combattent mutuellement ?

Il y a les agents du gouvernement ; MM. les gouverneurs répondant à la circulaire de M. le ministre de l'intérieur, se sont expliqués de manière à faire croire à la nécessité de changer la loi de 1836. Les députations permanentes se sont prononcées dans un sens tout à fait opposé.

A laquelle de ces autorités donnerez-vous la préférence ? Direz-vous que les députations permanentes ont tort, et que les gouverneurs ont raison ? Mais les gouverneurs font partie intégrante des députations ! ! Et d'ailleurs, quand il s'agit d'un objet où non seulement les droits du gouvernement, mais aussi les droits des communes sont mis en jeu, il convient de consulter aussi ceux auxquels sont confiés, dans une hiérarchie supérieure, les intérêts communaux.

Je n'entends, messieurs, incriminer les intentions de personne, mais l'honorable M. de Mérode, lui-même, n'a-t-il pas dit dans une circonstance grave que l'opinion des agents du gouvernement doit toujours être d'accord avec l'opinion du gouvernement central ? N'a-t-il pas fait naguère un reproche à des gouverneurs de province parce qu'en acquit de leur conscience ils avaient voté contre le ministère ?

Alors qu'on a proclamé de tels principes dans cette enceinte il importe au moins que les opinions de MM. les gouverneurs agents passifs du gouvernement central, d'après M. de Mérode, soient contrôlés par les opinions des députations permanentes, et il importe d'autant plus d'avoir ce contrôle, qu'en suspectant l'opinion de MM. les gouverneurs, je ne me borne pas à des suppositions, mais que je produis un commencement de preuve dans les rapports annuels des députations.

Mais il y a plus : ce ne sont pas seulement les avis des députations permanentes que j'invoque à l'appui de mon assertion ; ce ne sont plus les députations permanentes que vous allez compromettre par votre loi, mais vous allez encore compromettre le Roi lui-même ; vous allez compromettre la chambre ; vous allez compromettre le sénat.

Voici ce qu'on faisait dire au Roi dans le discours du trône du 12 novembre 1836 :

« L'élection des conseillers municipaux et provinciaux s'est faite régulièrement. Nous sommes persuadés qu'ils répondront aux vœux de leurs commettants et à la juste attente du pays en apportant toujours dans leurs travaux cet esprit de sagesse, de prudence et de modération digne d'un peuple qui sait apprécier les institutions qu'il s'est données. »

La chambre a répondu :

« Nous partageons la persuasion que le gouvernement de V. M. nous exprime de voir les conseils communaux et provinciaux se guider toujours par cet esprit de sagesse et de modération, si nécessaire à l'intérêt de leurs commettant et au maintien de l'ordre public. »

Le sénat a répondu :

« Les lois sur l'organisation provinciale et communale promises par la constitution sont maintenant exécutées, et l'ordre qui a présidé aux élections, le bon esprit, qui les a généralement dirigées promettent au pays une administration prudente et éclairée qui justifiera la sagesse de ses actes et le caractère de modération dont ils sont empreints, le témoignage de haute confiance qu'elle a reçu du libre choix de ses concitoyens. »

Voilà, messieurs, de quelle manière s'exprimaient après l’exécution de la loi de 1836, et le Roi et la chambre et le sénat. Le ministère voudrait-il donner aujourd'hui un démenti au chef de l'Etat et aux deux chambres ?

Ainsi, il faut mettre de côté l'avis des députations permanentes qui sont unanimes ; il faut mettre de côté le discours du Trône et les réponses des chambres, et il faut renverser la plus importante de nos lois organiques, parce que sans le prouver, on vous aura dit que cette loi présente de graves inconvénients.

Mais, messieurs, de graves inconvénients ! J'ai déjà demandé à M. le ministre de l'intérieur où est la preuve de cette assertion. Serait-ce au point de vue politique que ces inconvénients se seraient révélés ? M. le ministre se garderait bien de se placer sur ce terrain, qui est beaucoup trop glissant pour lui. Il ne désire vous soumettre les questions importantes qui ont surgi à la suite de sa proposition qu'au point de vue administratif ; mais, quoi qu’il en dise, et quelque soit le voile dont il veuille couvrir ses intentions, tout pour lui se résume dans une question politique, il veut se rendre maître des élections prochaines et placer ses créatures dans les 2,500 communes de la Belgique. C'est la guerre faite à tous les bourgmestres actuellement en place et à leurs opinions.

Certains amis du ministère voudraient que l'on revînt sur ce qui a été fait depuis quelques jours et que l'on s'arrêtât au projet primitif, celui de prendre les bourgmestres dans le conseil ou en dehors. Ils sont eux-mêmes effrayés des divers amendements dirigés contre la loi communale, ils reculent devant une réaction contre-révolutionnaire.

Mais la mesure de donner au Roi la faculté de prendre les bourgmestres en dehors du conseil leur paraît urgente, indispensable. « L’organisation actuelle, disent-ils, des administrations communales ne peut être maintenue, c'est là une vérité que personne ne peut méconnaître. »

Nous nions cette proposition, et la meilleure preuve que nous puissions donner de l'erreur de ceux qui soutiennent le projet du ministère, c'est que la loi qu'on dit impossible de conserver en Belgique existe depuis 12 ans en France, où pas une personne sur aucun banc des chambres, pas un journal, quelle que soit sa couleur, ne demande et n'a jamais demandé le changement.

Nous prions M. Nothomb et ses amis de nous dire pourquoi les Belges sont inaptes à supporter une liberté, à jouir de droits qu'en France nul ne songe à contester, à contredire ? Pourquoi et comment une loi qui s'exécute facilement en France est impossible en Belgique.

Pour établir cette impossibilité, il faudrait prouver de trois choses l'une :

Ou que l'esprit de parti est plus fort en Belgique qu'en France, que la liberté y est plus dangereuse et qu'elle rend le pays moins gouvernable. C'est un mensonge évident contre lequel tout le monde et les faits protestent hautement. Si certaines libertés étaient à craindre en France, elles ne le seraient jamais en Belgique. M. Nothomb a-t il oublié que, dans une belle page, en parlant de la sagesse du peuple belge, il a écrit que le congrès national n'avait pas hésité de donner au pays des principes républicains avec des formes monarchiques ? M. Nothomb désapprouverait-il aujourd'hui ce qu'il approuvait alors ?

Ou que les Belges sont d'un caractère plus dépendant, moins moral qu'en France, et que les bourgmestres belges, pour obtenir une réélection, transigent avec leur conscience et ne remplissent pas leur devoir, là où les maires français agissent avec indépendance et désintéressement : c'est une attaque contre l'honneur national, c'est un mensonge encore. Il y a, de l'aveu général, en Belgique au moins autant de moralité, de loyauté et de franchise que chez nos voisins et nous ne craignons pas la comparaison.

Ou enfin, qu'il y a en Belgique moins de capacités qu'en France dans les conseils communaux, et que Léopold ne trouve pas à choisir un bourgmestre là où Louis-Philippe a du choix. Ainsi selon M. Nothomb et ses amis, les Belges sont au-dessous des Bas-Bretons, des Champenois, des Limousins : dans toutes les Provinces de France, le gouvernement trouve un maire au sein de chaque conseil communal ; en Belgique on n'en trouverait pas ?

Hélas, il y a longtemps que les écrivains d'outre-Quévrain trouvent les Belges incapables, ignorants, dépourvus d'intelligence, mais jamais on n'a eu l'audace de l'imprimer à Bruxelles, jamais un ministre belge n'a osé soutenir une telle accusation ! !

Encore une fois, ou les Belges sont moins amis de l'ordre, moins moraux, moins indépendants, moins intelligents que les parties les moins éclairées des provinces françaises, ou une loi possible et facile à exécuter en France, n'est pas impossible en Belgique.

Mais j'ai entendu M. le ministre de l'intérieur et quelques autres membres du centre, me faire l'objection qu'en France il y a au moins quelques garanties données au gouvernement et qui n'existent pas en Belgique, qu'en France il y a la faculté laissée au gouvernement de dissoudre les conseils communaux et que c'est là un tempérament à l'excès de la liberté. Un de mes honorables amis a déjà dit dans son premier discours, que si le gouvernement voulait de la dissolution, on aurait moins d'inconvénients à lui accorder cette mesure que celle qu'il sollicite en ce moment, mais le gouvernement se garderait bien de proposer cette mesure, qui pourrait singulièrement le gêner, comme elle a gêné le gouvernement français dans une circonstance qui n'est pas encore bien éloignée. Quand le gouvernement a entre les mains un moyen extrême, il faut qu'il s'en serve sous peine de s'exposer a perdre toute son autorité, toute son influence.

N'est-il pas arrivé en France qu'il a fallu dissoudre un conseil communal, celui de Toulouse ? Vous connaissez les motifs qui ont porté le gouvernement à faire cette dissolution, et vous savez qu'en cas de dissolution une commission provisoire est nommée pour remplacer le bourgmestre et les échevins qui se trouvent compris dans la mesure.

Eh bien dans la commission qui devait remplacer le maire et les adjoints de Toulouse, le gouvernement français avait placé les hommes les plus honorables, et entre autres le général Lejeune, que toute la France estime et révère. Les élections arrivent ; croyez-vous que le choix du gouvernement ait été approuvé par les électeurs de Toulouse ? Non, messieurs, aucun membre de la commission n'est entré au conseil municipal.

Eh, après cela on me dira que la dissolution des conseils communaux peut être utile au gouvernement ! ne voyez-vous pas au contraire que c'est là un moyen qui tourne contre lui ?

Qu'on ne vienne donc pas nous représenter la dissolution comme un avantage que la loi française donne au gouvernement, pour contrebalancer les libertés rendues au peuple ; c'est là un avantage dont vous ne pourriez faire aucun emploi, car si vous craignez les électeurs (et c'est bien là votre crainte ; c'est surtout celle de l'honorable M. de Mérode), si vous craignez les électeurs, vous craindrez bien plus encore d'en appeler à eux par une dissolution.

Mais vous voulez le pouvoir fort, vous voulez, dites-vous, la centralisation.

Chose étrange, on veut la centralisation, et l'on va jusqu'à vouloir diviser les communes en sections et les villes en rues ; singulière centralisation que celle là !... Encore une fois on veut un pouvoir fort ; et nous aussi, nous voulons un pouvoir fort, et nous sommes dans les circonstances actuelles les vrais conservateurs, nous sommes les amis du trône et de nos institutions, nous voulons prévenir les graves inconvénients qui doivent résulter de la démarche dans laquelle le ministère s'est engagé. Nous pensons que les choses en sont arrivées au point où une réaction peut amener des catastrophes, nous qui figurons ordinairement dans les rangs de l'opposition, nous y figurons encore aujourd'hui, mais pour soutenir ce qui est, pour combattre les réformes qu'on veut introduire dans une loi organique ; certes, les contre-révolutionnaires ne siégent pas sur nos bancs.

Vous voulez du pouvoir fort, nous en voulons comme vous, mais ce n'est pas du pouvoir fort comme vous l'entendez. Dans notre manière de voir, vous ferez du pouvoir fort quand la moralité sera la base de votre administration ; vous ferez du pouvoir fort quand vous aurez pour but les intérêts de la généralité, les intérêts du peuple bien entendus ; votre pouvoir sera fort quand il s'appuiera sur la confiance et l'affection des masses.

L'honorable comte de Mérode m'interrompt, je lui dois une réponse et je la lui donnerai à l'instant même.

Messieurs, il est une famille dont le nom est révéré en Belgique, parce que ce nom rappelle de beaux souvenirs. La Belgique doit de la reconnaissance à une famille qui s'est franchement posée l'amie des libertés et de la révolution, à une famille qui a scellé de son sang la nationalité belge ; oui, je le proclame du haut de cette tribune, la famille de Mérode avait bien mérité de la patrie, et la révolution belge avait ajouté de nouveaux quartiers à ses armoiries ; mais si nous devons de la reconnaissance à cette famille, ce n'est pas une raison pour que nous lui permettions de détruire l'oeuvre de 1830 ; aussi avons-nous été péniblement frappés en entendant un membre de cette famille venir renier ses antécédents.

L'honorable comte de Mérode a-t-il donc oublié, non pas les arrêtés qu'il a signés lorsqu'il siégeait au gouvernement provisoire, mais le beau discours qu'il a prononcé ou qui a été prononcé pour lui et ses collègues au congrès national, car le discours porte son nom ainsi que celui de M. Rogier ; l'honorable comte énumérait à cette époque les griefs de la nation contre le gouvernement déchu. Or, messieurs, l'un de ces griefs, et qu'on ne l'oublie pas, c'était la confiscation des pouvoirs, c'était l'atteinte portée aux franchises communales, dans lesquelles il fallait réintégrer le peuple. Voilà ce qui est écrit en toutes lettres dans le discours du 12 novembre 1830 dont je viens de vous parler.

L’honorable comte de Mérode, oubliant ses antécédents de 1830, vous a dit, il y a quelques jours, que les libertés que le peuple avait conquises donnaient lieu aux plus graves inconvénients ; il vous a représenté que la liberté de la presse est un dévergondage ; d'après lui, le principe électif n'est qu'une source de désordre et de confusion, il conduit à l'anarchie, comme si les mots anarchie et liberté étaient synonymes ! Je comprends fort bien, du reste, qu'en 1842 l'honorable comte de Mérode ne soit plus partisan du système électif, comme il l'était en 1830 ; je comprends fort bien que les voix et demi-voix aient fixé l'attention de cet honorable membre.

Quant aux franchises communales, à en croire l'honorable comte de Mérode, c'est du gâchis !

Si nous respections le nom de Mérode, parce qu'il a contribué à nous faire conquérir l'indépendance, la nationalité, nous avons le droit d'arrêter le noble comte, alors qu'il veut rétrograder, alors qu'il veut nous arracher les libertés qu'il nous a aidés à obtenir. Oui, M. le comte de Mérode, devant ce palais même où nous siégeons, vous avez encouragé le peuple à planter l'arbre de la liberté ; cet arbre étendait déjà ses rameaux, mais bientôt vous avez tâché d'en comprimer la sève. Aujourd'hui qu'il a jeté de profondes racines, vous voulez le faire tomber à coup de hache ; prenez garde, M. le comte, que cet arbre de la liberté ne renverse dans sa chute ce que vous et moi avons la ferme intention de conserver.

Vous avez peur aujourd'hui de ce peuple qui, en 1830, était votre idole, vous craignez, en 1842, les libertés que vous et les hommes de la révolution lui avez données ; cependant il en a usé arec sagesse et modération ! Ce peuple, au jour des combats, était le peuple souverain, on le caressait, on le choyait ; bientôt après on le traita d'égal à égal, et aujourd'hui on le méprise et on lui arrache brutalement toutes les libertés qu'il a conquises, qui constituent cependant le prix de tant de sacrifices !

Je suis charmé que l'honorable comte de Mérode m'ait fourni l'occasion de lui dire, au sujet de son discours, toute ma pensée, et de lui faire part de l'impression pénible qu'elle avait laissée dans mon esprit.

En résumé, messieurs, vous voyez que les questions qui vous sont soumises, sont graves. Les diverses propositions qui ont surgi dans cette enceinte, ont jeté l'inquiétude dans tout le pays, et les hommes les plus modérés dans toutes les nuances d'opinion redoutent les conséquences de la démarche dans laquelle s'engage le ministère.

N'est-il pas convenable, dans des circonstances aussi solennelles, de consulter au moins d'une manière régulière l'opinion du pays ? Nous voulons, nous, rester dans la légalité, et ce sont ceux que nous combattons qui s'en écartent, car encore une fois nous sommes sur les bancs de l'opposition, les vrais conservateurs ; nous voulons rester dans la légalité, et c'est pour cela que nous demandons que l'opinion du pays puisse se manifester d'une manière régulière. Mieux vaut sans doute que ce soient les députations permanentes, et non le peuple en masse, qui donnent leur opinion sur les projets de loi quelle que soit la sagesse du peuple : ses représentations en masse présentent des dangers, mais le peuple a ses représentants par l'intermédiaire desquels il peut donner au gouvernement d'utiles leçons.

Que le gouvernement y songe bien, que M. le ministre de l'intérieur surtout ne se fasse pas illusion ; par les préoccupations qui s'attachent ordinairement à la position des hommes au pouvoir, M. le ministre de l'intérieur ne voit pas le danger qui est imminent ; qu'il y réfléchisse avant de consommer cette oeuvre que j'appellerai liberticide, avant de dépouiller le peuple de toutes les garanties qu'on lui a données en 1830, qu'il consulte au moins l'opinion du pays dans ses représentants légaux ; de cette manière il ne sortira pas de la légalité et il diminuerait sa responsabilité, qui jusque-là pèsera sur lui de tout son poids.

(Moniteur belge n°145 du 25 mai 1842) M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je m'attendais aux réflexions par lesquelles l'honorable député vient de terminer son discours, je m'y attendais et je m'en empare, car c'est un des arguments les plus forts, les plus décisifs contre tout ajournement.

Messieurs, on a donné une portée extraordinaire aux propositions qui vous ont été faites par le gouvernement ; ces propositions, dit-on, ont jeté l'inquiétude dans le pays. Et que veut l'honorable préopinant ? Il veut perpétuer cette inquiétude par des renvois inutiles, par un ajournement sans objet.

Une voix. - Il ne fallait pas provoquer une discussion.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous voulons que les questions une fois portées disparaissent, n'importe de quelle manière ; c'est ce que nous demandons, et c'est ce que nous demanderons avec l'honorable préopinant, au nom de cette paix publique qu'il veut comme nous....

On m'interrompt pour me dire qu'il ne fallait pas provoquer cette discussion ; la question est posée, et nous venons dans le cours de la discussion, quels sont ceux qui ont donné à cette question la portée qu'elle n'avait pas, au moins dans la pensée du ministère. (Interruption.)

La question est posée, il faut qu'elle soit résolue ; et ceux qui l'ont posée ont usé de leur droit en la posant. (Nouvelle interruption.)

On me dit qu'il y a une vingtaine de questions posées, raison de plus pour ne pas jeter aux passions du pays vingt questions que nous pouvons résoudre et qu'il est de notre devoir de résoudre.

Une chose étrange se passe dans cette discussion, dit l'honorable préopinant ; je dirai à mon tour qu'en effet, le rôle qu'occupe l'honorable député est étrange ; il vient au secours de la loi.

D'après l'honorable M. Orts, auteur de la motion, l'enquête est insuffisante ; d'après l'honorable M. Verhaegen, l'enquête est suspecte, de plus, elle est détruite par les rapports annuels des députations permanentes.

Mais félicitez-vous, dirai-je aux membres de l'opposition ; félicitez-vous de cet état de chose. Si l'enquête est insuffisante, comme le pense l'honorable M. Orts, tant mieux pour vous qui voulez le rejet de la loi ; vous demanderez le rejet de la loi, en disant au ministère que l'enquête est insuffisante ; pourquoi donc voulez-vous la faire compléter ?

L'enquête est suspecte, d'après l'honorable M. Verhaegen, elle est détruite par les rapports des députations permanentes… Mais je dirai de nouveau à l'honorable membre : tant mieux pour vous, membre de l'opposition, qui voulez le rejet de la loi. Pourquoi donc un nouveau renvoi ? Pourquoi refaire une enquête insuffisante et suspecte ? Pourquoi compléter ce qui, fort heureusement d'après vous, est incomplet ?

Un renvoi est donc non seulement contraire à tous les précédents de la chambre, mais sans objet dans l'esprit même de ceux qui demandent ce renvoi, s'ils veulent sincèrement se rendre compte de la situation et du but qu'ils veulent atteindre.

Nous voulons avec l’honorable préopinant le calme dans le pays, c'est pour cela que nous ne voulons pas en appeler des gouverneurs, par exemple, aux députations ; nous ne voulons pas, pour me servir des expressions fort singulières de l'honorable membre, en appeler aux députations et donner un démenti aux gouvernements ; nous ne voulons pas de cet appel ; nous ne voulons pas, comme nous le reprochait l'honorable M. Orts, diviser pour régner.

C'est à lui que j'adresserai ce reproche. Nous avons consulté les autorités que le gouvernement devait consulter, leurs avis sont là ; la chambre les examinera, les appréciera ; elle verra si l'enquête est insuffisante, si elle est suspecte, ou si elle est détruite par d'autres documents, comme le prétend l'honorable M. Verhaegen.

Je m'attendais à une discussion d'un tout autre genre, je m'attendais à voir commencer l'examen véritable des questions très graves qui vous sont soumises. Je dois exprimer mes regrets de ce que, sous le prétexte de motion d'ordre, toute la discussion se trouve bouleversée. En effet, M. Verhaegen a été, je ne sais combien de fois, bien loin de la motion d'ordre. Je désire donc qu'on statue sur cette motion d'ordre. Je pense qu'il ne faut pas de nouveaux efforts pour la faire écarter. Nous aborderons ensuite la discussion et nous verrons ceux des arguments produits par anticipation qu'il convient de réfuter.

M. de Mérode. - M. Verhaegen m'a adressé un sermon composé de hauts compliments d'abord, puis de haute censure. Selon lui, j'ai attaqué toutes les libertés communales et autres. Messieurs, je me suis suffisamment expliqué par le discours qu'a singulièrement interprété le préopinant auquel je réponds, et je défie qui que ce soit d'y trouver rien de ce qu'il vient d'alléguer à ma charge.

- La séance est levée à 5 heures.