(Moniteur belge n°134, du 14 mai 1842)
(Présidence de M. Dubus (aîné))
M. Kervyn procède à l'appel nominal à 1 heures et 1/4.
- Entre l’appel et le réappel il est procédé au tirage au sort pour la composition des sections du moi de mai.
M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est approuvée.
M. de Renesse fait connaître l'analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur Jean-Baptiste-Martial, Augustin Jouhaud, né à Limoges (France) et demeurant à Bruxelles, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Quelques habitants de la commune de Fronville demandent que, dans la nouvelle circonscription cantonale, cette commune continue à faire partie du canton de Rochefort. »
- Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet de loi sur la circonscription cantonale.
« La chambre de commerce et des fabriques de Verviers demande que le projet de loi sur la répression de la fraude soit prochainement mis à l'ordre du jour. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet.
M. le président. - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi apportant des modifications à la loi communale, en ce qui concerne la nomination des bourgmestres.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, au commencement de la discussion, j'ai annoncé que je proposerais des dispositions additionnelles, entre autres en ce qui concerne la révocation des bourgmestres. Je crois qu'il convient que je dépose ces amendements.
Il y aurait deux articles nouveaux, portant :
« Art. 2. Le n° 4 de l'art. 90 est supprimé.
« Il sera inséré en tête de cet article une disposition ainsi conçue :
« Le bourgmestre est chargé de l'exécution des lois et des règlements de police.
« Le bourgmestre est substitué au collège des bourgmestre et échevins, dans l'art. 94, où l'on retranchera, en outre, les paragraphes suivants :
« Dans les cas mentionnés au présent article, le collège des bourgmestre et échevins pourra délibérer, quel que soit le nombre des membres présents. En cas de partage, la voix du président est prépondérante, dans les art 123, 126 et 127. »
Art. 3. La mention du bourgmestre est retranchée de l'art. 56, et il est placé en tête de cet article la disposition suivante :
« Le Roi peut suspendre ou révoquer le bourgmestre »
Je regarde, messieurs, le second de ces articles comme une conséquence de l'adoption du principe de la nomination du bourgmestre par le Roi.
Je pense qu'il convient de donner, en peu de mots, connaissance à la chambre de la discussion à laquelle cette question a donné lieu, lorsqu'il s'est agi de décider les différentes questions qui se rattachent à l'organisation communale. J'ai donc fait un résumé de la discussion par rapport à cette question.
REVOCATION DU BOURGMESTRE
L'art. 7 du projet de 1833 portait :
Le Roi nomme et révoque les bourgmestres.
La section centrale, dans son projet, a maintenu cette disposition, en la reportant à son art. 10, sous cette forme :
Les bourgmestres et échevins sont révoqués par le Roi.
Le rapport de la section centrale s'exprime à cet égard en ces termes :
« Ce droit a été vivement combattu dans le sein de plusieurs sections et de la section centrale, spécialement quant aux échevins.
« La révocation des bourgmestres a été admise par quatre sections contre deux. »
La discussion s'engagea d'abord sur la nomination,
Dans la séance du 28 juillet 1834, M. le ministre de l'intérieur s'exprimait en ces termes :
« L'art. 10 du gouvernement demande pour le Roi la faculté de révoquer les bourgmestres et échevins. Il semble que l'on est à peu près d'accord pour attribuer cette faculté au pouvoir, faculté qui n'est que la conséquence du droit de nomination que vient' de lui conférer la chambre.
« Jusqu'à présent l'honorable M. Doignon est le seul qui ait combattu cette disposition. »
M. le ministre de la justice (séance du 29 juillet) s'exprimait à son tour dans le même sens :
« Mais, messieurs, si le bourgmestre est agent du pouvoir exécutif, il me semble, avec la section centrale, que le pouvoir exécutif doit avoir la faculté de démettre cet agent, si ses actes sont de nature à l'entraîner dans une voie où le gouvernement ne saurait le suivre. »
L'art. 10 amendé par M. de Theux est adopté par 52 voix contre 15 et trois abstentions, il se terminait par ces mots :
« Les bourgmestres peuvent être révoqués de leurs fonctions par le Roi. »
Au second vote de la loi, le ministre de l'intérieur s'exprima ainsi (séance du 17 mars 1834) :
« Je pense que ce qu'elle (la chambre) a dit relativement à la nomination de ces magistrats (bourgmestres), elle doit encore le décider relativement à leur révocation. C'est de la même manière que le gouvernement s'était réservé la nomination des bourgmestres et que vous la lui avez accordée, qu'il s'est réservé la révocation des bourgmestres et que vous la lui avez donnée. »
Au sénat, pas de discussion sur cet article.
Le projet, amendé de nouveau par la chambre, fut retiré ; on lui substitua un autre qui parlait de la révocation du bourgmestre à l'art. 2.
Cette disposition a été reportée à l'art. 56, et celle fois elle a donné lieu à une discussion plus directe.
M. le ministre de l'intérieur (séance du 17 février 1836) pense qu'il y a une distinction à faire entre la révocation des échevins et celle du bourgmestre.
Ce dernier est par ses attributions le chef du collège, et doit par suite présenter plus de garantie au gouvernement ; l'exercice même de ses attributions ne peut, dans certains cas, se trouver entre les mains d'un homme qui n'aurait pas l'entière confiance du gouvernement.
Anciennement le gouvernement ne révoquait pas ; mais c'est que les bourgmestres étaient annuels ; cette mesure était donc inutile.
Enlever le droit de révocation au gouvernement, ce serait porter préjudice à la commune et à l'administration supérieure.
D'après un amendement de M. Gendebien, la révocation devait avoir lieu sur l'avis conforme et motivé de la députation provinciale et par le gouvernement.
Cet amendement a été adopté (séance du 17 février), et est devenu l'art. 56 actuel.
Voilà, messieurs, ce qu'on peut appeler l'historique de cette question.
J'ai dit, messieurs, dans la séance d'hier, que l'on ne portait aucune atteinte au système de transaction qui avait été adopté en 1836. J'ai expliqué en quoi consistait ce système.
Je désire cependant qu'on ne se méprenne pas sur mes paroles, et sur ce qui m'engage à proposer une seconde addition que je m'étais réservé de faire.
Le système de transaction est celui-ci : Le pouvoir exécutif est aujourd'hui complexe ; il est exercé par le collège des bourgmestre et échevins ; on n'a rien défalqué du pouvoir exécutif, pas même la police. Je crois que, sans changer ce système de transaction, on peut en défalquer la police, et c'est là l'objet de la seconde addition que je propose à la chambre.
C'est le n° 4 de l'art. 90 qui place la police dans les attributions du collège des bourgmestre et échevins :
« Art. 90. Le collège des bourgmestre et échevins est chargé :
« … 4° De l'exécution des lois et règlements de police. »
Je propose, messieurs, de supprimer ce numéro et d'insérer en tête de cet article une disposition ainsi conçue :
« Le bourgmestre est chargé de l'exécution des lois et règlements de police. »
Le pouvoir exécutif, sous tous les autres rapports, reste au collège des bourgmestre et échevins, c'est-à-dire que le 1° de l'art. 90 est maintenu.
Ceci, messieurs, nécessite des changements dans quatre articles de la loi : l'art. 94 qui concerne les émeutes. En cas d'émeutes, on fait agir le collège des bourgmestre et échevins ; il faut substituer, comme conséquence de l'admission du principe, le bourgmestre au collège des bourgmestre et échevins.
Il faut ensuite faire la même substitution dans trois articles relatifs à la nomination et à l'action de commissaires de police, c'est-à-dire dans les art. 123, 125 et 126. D'après l'art. 126, ce sera le bourgmestre seul qui présentera un troisième candidat pour la place vacante de commissaire de police, C'est aussi lui qui, dans le cas de l'art. 126, désignera annuellement, sous l'approbation du Roi, celui entre les commissaires de police auquel les autres doivent être subordonnés. Enfin il serait dit dans l'art. 127 que les commissaires de police et les adjoints sont chargés, non plus sous la direction du collège des bourgmestre et échevins, mais sous la direction du bourgmestre, d'assurer l'exécution des règlements de police locale.
L'admission du principe que la police sera confiée au bourgmestre seul, nécessite donc les changements que je viens de vous indiquer.
M. le président. - Les amendements présentés par M. le ministre seront imprimés et distribués.
M. Delehaye (pour une motion d'ordre). - Messieurs, nous avons été appelés ici à examiner la première proposition du gouvernement, qui tendait uniquement à laisser au Roi la nomination du bourgmestre même en dehors du conseil. Les attributions des conseils communaux, qui se trouvent détaillées dans la loi communale, restaient intactes. Le bourgmestre seulement trouvait sa position un peu modifiée, mais ses attributions demeuraient, sur tous les points, telles que les avait définies la loi communale.
Par le projet que vient de vous soumettre M. le ministre, il ne s'agit plus de laisser au Roi la nomination du bourgmestre, même en dehors du conseil, il ne s'agit plus non plus de donner au Roi le droit de suspendre et de révoquer les bourgmestres, faculté que, pour ma part, je ne refuserais pas au gouvernement, si tant est qu'il obtienne le droit de nommer ce fonctionnaire hors du conseil ; mais il s'agit de donner au bourgmestre une faculté tout autre que celles que lui attribue la loi. On veut, en un mot, changer entièrement les attributions du bourgmestre et des collèges échevinaux. On veut changer une des dispositions les plus formelles de la loi communale.
Nul de nous, messieurs, n'a examiné cette question, et cependant la faculté qu'on veut accorder au bourgmestre présente une question tout aussi grave que celle que soulève sa nomination hors du conseil. Pour moi, si j'ai pu croire un instant que le gouvernement voulait dans certains cas abuser d'une arme qu'il nous demandait, je crois qu'il le pourra à plus forte raison, alors que vous accorderez au bourgmestre une faculté qu'il partageait avec les échevins. Vous voyez donc que la proposition nouvelle du gouvernement est tout aussi importante que celle qu'il nous a faite en premier lieu.
Comme je viens de le dire, nul de vous n'a examiné cette proposition, car vous n'étiez pas dans le secret de ce que voulait faire le gouvernement. Je proposerai donc qu'elle soit renvoyée, sinon à l'examen des sections, du moins à l'examen de la section centrale.
Il est de toute nécessité que nous soyons mis à même d'examiner quelles sont les attributions que le gouvernement propose d'accorder au bourgmestre seul, et s'il y a nécessité de modifier à cette occasion une loi qui jusqu’à présent, sous le rapport de la police, n'a donné lieu à aucun abus.
Si vous avez examiné l'enquête administrative qui a été faite, vous aurez remarqué que les faits en très petit nombre, qui y sont signalés, sont des faits administratifs. Quelques commissaires de district ont aussi signalé ces faits, également très peu nombreux, sur la négligence apportée dans la tenue des livres de l'état-civil, mais aucun n'a signalé des faits purement de police, si ce n'est ce qui concerne la fermeture des cabarets. Nous ne connaissons donc pas les motifs que peuvent exiger une modification aussi complète, aussi importante que celle que l'on propose, et c'est ce qui me fait demander le renvoi de la proposition de M. le ministre à la section centrale. J'aurais demandé le renvoi aux sections si je ne croyais que, vu l’époque avancée de la session, la discussion du projet de loi ne doit pas subir de longs retards.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je ne dissimule pas l'importance de la disposition que je présente ; mais néanmoins elle me paraît extrêmement simple, en ce sens qu'elle se rattache à une question très connue.
Il ne s'agit pas de changer entièrement les attributions ; il s'agit simplement de distraire du pouvoir exécutif confié aujourd'hui au collège des bourgmestre et échevins collectivement, les attributions concernant la police, que nous devons tous considérer comme le premier, le principal devoir du gouvernement considéré comme pouvoir exécutif dans le pays.
Voilà, messieurs, à quoi se réduit la proposition, dont néanmoins je ne dissimule nullement l'importance ni la portée.
L'honorable préopinant demande le renvoi à la section centrale. Ce renvoi me paraît sans inconvénient, du moment qu'il est entendu que la discussion générale continue.
Cette marche a été suivie dans beaucoup de discussions et notamment dans la longue discussion de la loi communale. Ainsi, messieurs, avec cette réserve, que la discussion continue, je ne vois aucun inconvénient au renvoi à la section centrale.
M. Dumortier. - Messieurs, dès que j'ai connu les propositions du gouvernement relativement aux modifications à apporter à la loi communale, j'ai eu la conviction qu'il était impossible d'en rester là ; je suis encore convaincu que les propositions faites aujourd'hui ne sont pas les dernières qui nous seront soumises .Si vous voulez faire marcher le pays dans la voie ou on veut le faire entrer, il faudra encore introduire une foule de dispositions nouvelles dans la loi communale. Ce n'est pas le moment maintenant de m'étendre sur ce point ; mais je ferai remarquer à l'assemblée qu'il est nécessaire de réunir en une seule loi les diverses propositions qui nous sont faites ; on reconnaît maintenant combien les dispositions relatives aux attributions sont corrélatives à celles qui concernent le mode de nomination ; je pense donc qu'il faudrait ouvrir une discussion sur l'ensemble des trois ou quatre lois qui nous sont soumises et n'en faire qu'une seule loi ; c'est là le seul moyen de faire marcher la discussion, Pour mon compte, quand je prendrai la parole, je devrai parler autant des attributions que du mode de nomination.
Lorsque la chambre examine les budgets, d'un seul budget elle en fait 5 ou 6 ; pourquoi n'agirions-nous pas ici en sens inverse, pourquoi ne réunirions-nous pas les diverses lois qui nous sont soumises en une seule ?
Je ferai remarquer, messieurs, que la moitié des membres de la chambre ne siégeaient pas dans cette enceinte lors des discussions si longues de 1834, de 1835 et de 1836, relatives à l'organisation communale ; la plupart des membres n'ont pas ces discussions présentes à leur esprit et ne peuvent, par conséquent, se rendre un compte exact de l'importance des modifications proposées. Je crois donc qu'il conviendrait, pour faciliter l'intelligence des propositions qui nous sont faites, de faire imprimer la loi communale en regard de ces propositions ; de cette manière chacun de nous pourrait bien mieux comprendre la portée des modifications qu’il s'agit d'introduire dans cette loi.
J'appuie du reste ce qui a été dit par d'honorables préopinants sur la nécessité de soumettre à un nouvel examen les dernières propositions de M. le ministre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce que demande l'honorable préopinant, de faire imprimer le texte de la loi actuelle en regard des modifications proposées, est une chose extrêmement facile et à laquelle je ne vois aucun inconvénient.
M. Verhaegen. - Messieurs, comme j'avais l'honneur de faire partie de la section centrale, je ne puis me dispenser de dire quelques mots sur l'incident qui vient de surgir ; pour moi il est évident que M. le ministre de l'intérieur commence à désespérer du succès qu'il s'était promis, et que sous prétexte d'amender ou plutôt de mutiler la loi communale tout entière, il ne serait pas fâché pour éviter un rejet direct, qui serait un échec, d'arriver à un rejet indirect, c'est-à-dire de voir ajourner la loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Pas le moins du monde.
M. Verhaegen. - C'est au moins là la seule manière d'expliquer la conduite de M. le ministre.
Il ne s'agit plus seulement aujourd'hui de la question déjà si grave, de la nomination du bourgmestre en dehors du conseil, question sur laquelle les sections se sont bornées de donner leur avis, il s'agit maintenant de toucher non seulement au mode de nomination des bourgmestres, mais encore à ce qui est relatif à leur révocation, et de plus à leurs attributions ; de telle manière que, comme l'a fort bien fait observer l'honorable M. Dumortier, c'est du sort de la loi communale tout entière qu'il s'agit en ce moment, car cette loi se compose de ce qui concerne le mode de nomination et de ce qui touche aux attributions.
Messieurs, lorsque la section centrale fut constituée, ce qui tout d'abord a fixé l'attention de plusieurs membres, c'est qu'il fallait changer diverses dispositions de la loi communale pour les coordonner avec la disposition relative à la nomination des bourgmestres, telle qu'elle était proposée par le gouvernement ; déjà dans la section centrale quelques honorables membres se proposaient de présenter des dispositions additionnelles en ce sens. Quand je me suis aperçu de cette intention, j’ai proposé une question préjudicielle, et j'en appelle, à cet égard, au souvenir de mes honorables collègues de la section centrale, cette question préjudicielle était celle-ci : Je disais à la section centrale : Les sections ne se sont occupées que d'une seule question très grave, celle de la nomination des bourgmestres en dehors du conseil ; les sections ne nous ont donné mandat que pour nous expliquer à section centrale sur cette seule question ; quant à moi, je ne crois pas avoir le pouvoir d'entrer dans l'examen d'autres questions, et notamment, je ne crois pas avoir le pouvoir d'entrer dans l'examen de propositions qui seraient de nature à changer complètement la loi communale. Nous discutâmes assez longtemps sur cette question préjudicielle et elle fut résolue contre moi ; je restai seul de mon opinion ; tous mes collègues pensèrent que la section centrale était saisie de tout l'ensemble de la loi communale, en ce sens au moins qu'elle pourrait apporter à chacune des dispositions de cette loi tel changement que l'un ou l'autre membre jugerait convenable de proposer. Force me fut, messieurs, de respecter cette décision, car la majorité fait toujours la loi à la minorité ; mais je déclarai que, dans cet état de choses, je n'avais plus rien à faire dans la section centrale, et que par conséquent j'étals résolu à me retirer.
Je demandai acte de cette déclaration ; acte m'en fut donné, et je me retirai. La section centrale délibéra pendant plusieurs jours au moins d'après ce que j'ai appris, sur divers changements que quelques-uns de ses membres voulaient faire apporter à la loi communale, mais elle s'aperçut bientôt que cette besogne était trop lourde et elle revint alors de sa première opinion ; alors elle me fit connaître cette résolution nouvelle et je revins au sein de la section centrale.
On s'occupa alors du fond de la question, et vous connaissez, messieurs, le rapport de la section centrale de qui n'est pas long, pour un objet de cette importance ; l'exposé des motifs de M. le ministre de l'intérieur n'est pas long non plus, et une loi de cette gravité, qui aurait dû s'élaborer avec tant de soin, M. le ministre vient maintenant l'ébrécher par de nouvelles propositions ; les amendements pleuvent et ceux qui nous sont soumis ne seront probablement pas les seuls ; il nous en sera, sans doute, encore présenté bien d'autres avant la fin de la discussion.
Je crois, messieurs, que l’on aurait dû mûrir le projet avant de le présenter à la chambre et qu’on ne devrait pas venir nous soumettre, sous forme d’amendement, des propositions qui tendent à changer toute l’économie, tout le système de la loi communale.
Je crois, messieurs, qu’il ne suffit pas de renvoyer ces propositions à la section centrale ; car que fera la section centrale qui a déjà examiné la question de savoir si elle pouvait s’occuper d’autres modifications que de celles qui sont relatives à la nomination et qui, après avoir rejeté d’abord la question préjudicielle que j’avais eu l’honneur de lui faire à cet égard a fini par l’adopter, et par reconnaître qu’il lui était impossible de faire porter son examen sur des propositions qui ne concernent pas le mode de nomination des bourgmestres.
D’ailleurs, messieurs, l’objet n’est-il pas assez important pour que toutes les sections soient appelées à s’en occuper, alors surtout que peu de membres se sont rendus dans les sections lors de l’examen du projet primitif ? Il me semble, en effet, que l’impulsion donnée par M. le ministre de l’intérieur, qui, dans son exposé des motifs, attachait si peu d’importance à la question ; il semble, dis-je, que cette impulsion a été suivie par la plupart des membres de la chambre, car il y a eu bien peu de zèle à suivre les travaux des sections ; alors qu’il s’agissait d’un objet aussi important, il y a eu, si je ne me trompe, 36 ou 37 membres présent dans toutes les sections réunies.
Un membre. - Il n’y en a eu que 34.
M. Verhaegen. - Je dis donc, messieurs, que la loi n’a pas été mûrie ; elle ne l’a pas été par le ministère, elle ne l’a pas par les sections, qui se trouvaient si nombreuses, elle ne l’a pas été par la section centrale, comme il est facile de le voir par le rapport.
Et c’est après cela, messieurs, que l’on vient nous proposer, sous la forme d’amendement, des dispositions tout aussi graves, si pas plus graves que la première ; et l’on veut que la discussion continue ! Mais, messieurs, le champ de la discussion peut devenir tout autre lorsque la section centrale vous aura fait son rapport ; continuer en attendant la discussion, ce serait perdre notre temps, car lorsque nous aurons discuté, pendant 8 ou 10 jours, il faudra peut-être bouleverser complètement les propositions sur lesquelles nous aurons parlé, par suite de l’examen qui aura été fait de propositions nouvelles.
Quant à moi, fidèle à l’opinion que j’ai émise dans le sein de la section centrale, je demande le renvoi aux sections, des proposions faites aujourd’hui par M. le ministre de l’intérieur et je demande que ces propositions soient formulées en un projet de loi spécial. Si cette proposition n’est pas admise, je me consolerai en songeant que j’ai fait mon devoir ; je me résignerai comme je le dis toujours lorsque je suis en minorité, comme je l’ai fait lorsque la section centrale a repoussé la question préjudicielle que je lui avais soumise et qu’elle a fini par adopter.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, en commençant ses observations, l’honorable membre a dit qu’il supposait qu’il entrait dans mes intentions d’échapper à une défaite, selon lui inévitable, et que je voulais en venir à un ajournement. Si cela était vrai, je devrais remercier l’honorable membre, car il vient de demander l’ajournement en mon nom (on rit). Mais, messieurs, je ne veux pas l’ajournement, il n’entre pas dans les intentions du ministère de fuir cette discussion.
La nature de la discussion n’est pas changée. Quel est l’objet de la loi ? c’est de rechercher jusqu’à quel point il y a lieu de modifier la position du bourgmestre, telle que l’a faite la loi de 1836. Cette position peut être modifiée sous plusieurs rapports ; elle peut l’être par rapport à la nomination, elle peut l’être encore et en même temps par rapport aux attributions.
Dans le projet de loi, tel qu’il a été présenté, tel qu’il a été ensuite proposé par la section centrale, il ne s’agissait de modifier la position du bourgmestre que par rapport à sa nomination Mais il était impossible de se livrer à cet examen, sans rechercher également s’il n’y avait pas lieu de modifier la position du bourgmestre, par rapport aux attributions. C’est même ce qu’ont fait les orateurs qui ont parlé contre le projet dans la séance d’hier et d’avant-hier ; ils ont eu soin de dire que le gouvernement serait amené à toucher également aux attributions.
Eh bien, le projet est maintenant complet, en ce sens qu’on modifie la position du bourgmestre, et par rapport à sa nomination, et par rapport à certaines attributions. Quand même cette addition n’eût pas été présentée, je dis que, la discussion continuant, on aurait suivi l’exemple donné dans la séance d’hier et celle d’avant-hier, et l’on aurait embrassé dans cette discussion générale les deux questions qui se trouvent maintenant comprises dans le projet de loi.
Ceci n’est pas une chose inusitée ; dans un grand nombre de discussions, surtout dans toutes les grandes discussions importantes, il y a eu des amendements proposés ; cela a été fait par tous les ministères. Ce que je fais en ce moment n’est donc pas nouveau. J’aurais dû ne présenter ces additions qu’à l’ouverture de la discussion partielle ; eh bien, je n’en ai rien fait : j’ai cru donner un exemple de bonne foi et de franchise, en présentant ces nouvelles dispositions dès à présent.
D’ici à la clôture de la discussion générale, la section centrale pourra faire son rapport sur les additions, ainsi que sur tous les autres amendements qui pourront être présentés. Et à mon tour, je demanderai que les honorables membres qui voudront proposer des amendements, les déposent avant la clôture de la discussion générale ; de cette manière, la discussion sera mieux éclaircie à l’avance.
Je regarde donc le renvoi aux sections comme équivalent à un véritable ajournement. Or, je ne puis pas consentir à un ajournement ; cet ajournement n’est pas nécessaire. L’on fera maintenant ce que l’on a fait dans toutes les discussions de ce genre. Lorsque des amendements ont été proposés, on les a renvoyés à la section centrale, qui a fait son rapport dans un bref délai ; eh bien, la section centrale pourra faire son rapport en temps utile, puisque, encore une fois, on n’a pas attendu la discussion des articles pour saisir la chambre des nouvelles dispositions ; c’est au troisième jour de la discussion générale, discussion qui n’est pas sur le point de se clore, que les amendements ont été déposés.
M. Doignon. - Messieurs, je pense aussi que la proposition actuelle de M. le ministre est réellement un nouveau projet de loi. Jusqu’ici il n’était question que de modifier la nomination des magistrats communaux, et aujourd’hui c’est une question d’attributions qu’on soulève.
Il n’est pas exact de dire qu’il ne s’agit que de changer la position du bourgmestre dans la commune. En changeant la position du bourgmestre, comme le propose M. le ministre, vous changez en même temps la position du collège échevinal, vous changez même la position du conseil. Telle est la portée de la proposition du gouvernement, s’il voulait donner aux bourgmestres seuls l’exécution de toutes les lois.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Mais non !
M. Doignon. - Vous supprimez, je crois, le n° 4, où il est question de toutes les lois et des règlements de police.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il ne s’agit dans ce numéro que des lois de police et des règlements de police ; il ne s’agit pas de toutes les lois.
J’ai eu soin de faire ressortir la différence entre le n°1 et le n° 4 ; j’ai dit que le n°1 renfermait le pouvoir exécutif en général ; que le n°4 indiquait la police comme attribution spéciale, qu’on se bornerait à distraire le n° 4 pour le donner comme attribution spéciale au bourgmestre, que le n°1 serait maintenu, c’est-à-dire que le collège échevinal conserverait le pouvoir exécutif en général, hors la police.
M. Doignon. - Messieurs, d’après ces explications, je pense que l’amendement de M. le ministre n’a pas la portée que je lui donnais au premier abord ; mais dans tous les cas, la disposition est assez importante, pour être examinée par les sections et au moins par la section centrale.
M. Verhaegen. - Messieurs, l’honorable M. Doignon n’avait pas tort, il avait raison dans ses conséquences ; il pouvait avoir tort, quant à l’une des prémisses, en ce sens que le pouvoir exécutif était donné en partie au bourgmestre pour les lois de police. Mais il n’en est pas moins vrai que le nouveau projet a toute l’importance qu’il croit y voir.
Ce projet est d’abord important, quant à la révocation : jusqu’à présent il ne s’agissait pas de cela ; ensuite il est important, quant à une partie du pouvoir exécutif qui est donné au bourgmestre seul. Ce n’est pas parce qu’une autre partie reste au collège, que l’argument de l’honorable préopinant avait moins de force ; d’après moi, il en a d’autant plus de force ; car vous verrez dans le courant de la discussion, que le ministre reviendra sur ses pas, et qu’il viendra proposer de donner tout le pouvoir exécutif au bourgmestre. S’il distrait une partie du pouvoir exécutif, pour le donner au bourgmestre, c’est qu’il a compris que les choses étaient arrangées par le premier projet, il y aurait constamment opposition entre le bourgmestre, c’est-à-dire, l’homme du gouvernement, et les échevins, c’est-à-dire, les hommes du peuple. Eh bien, les inconvénients qu’il redoutait pour une partie du pouvoir exécutif existeront pour les autres parties ; et il y aura désunion complète entre les diverses fractions du pouvoir exécutif.
M. le ministre de l’intérieur a présenté trois projets qui ont entre eux une corrélation directe ; et si chacune de ces dispositions ne constituait pas l’objet d’une loi spéciale, le ministre les aurait réunies. J’en conclus que les dispositions qu’il nous propose aujourd’hui doivent être également considérées comme des projets nouveaux. La conduite que le ministre a tenue, en nous présentant ses premiers projets, est obstative au système qu’il veut faire prévaloir aujourd’hui, et d’après lesquels on continuerait à discuter ses nouvelles propositions, sans que les sections en eussent préalablement délibéré.
Quant à moi, je persiste à demander le renvoi aux sections.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, il n’y a aucune contradiction entre la présentation de quatre projets de loi concernant chacun un objet spécial, et la présentation de quelques articles additionnels au premier de ces projets.
J’ai déjà dit quel était l’objet du premier projet, c’est de savoir si l’on modifiera la position du bourgmestre oui ou non.
Cette modification peut se faire sous plusieurs rapports, par rapport aux attributions et par rapport à la nomination.
Ceci est tellement vrai que, dans la séance d’hier et dans celle d’avant-hier, tout en combattant le projet, d’honorables orateurs ont considéré la question sous ces deux rapports.
Pour être conséquent, dit-on, il faudrait faire deux nouveaux projets de loi des deux articles proposés. Je réponds, moi, que ce ne serait pas être conséquent avec ce qui a été fait. Les deux articles proposés se lient intimement avec la question de la position du bourgmestre.
La position du bourgmestre peut, je le répète, être considérée sous un double rapport, sons le rapport des attributions et sous celui des nominations et par conséquent aussi de la révocation. Ainsi, messieurs, en ajournant la discussion, en renvoyant le premier projet avec les articles aux sections ou à la section centrale, on maintiendrait toutes ces dispositions, quoique formant un seul et même article.
Je ne sais pas pourquoi l’honorable membre se récrie tant contre l’extrême nouveauté de cette proposition. Je le répète, je n’en dissimule pas l’importance. Mais quant à la nouveauté, quant à l’imprévu, je ne le reconnais pas. Il n’y a rien d’imprévu dans une question qu’on discute depuis deux jours. Sous le rapport des additions proposées, il y a eu par anticipation discussion sur les questions qu’elles soulèvent. Je ne pense pas qu’il entre dans les intentions de l’honorable préopinant et de la chambre de changer les précédents. Dans une infinité de cas, quand des amendements ou des articles additionnels étaient proposés, on se bornait au renvoi à la section centrale et la discussion générale continuait. On a fait plus, on n’a pas hésité à renvoyer à la section centrale des amendements présentés tardivement pendant la discussion des articles.
M. de Brouckere. - Sans vouloir examiner en ce moment jusqu’à quel point la proposition de M. le ministre est bonne, je dois déclarer que je regrette que cette proposition ait été faite à la chambre, par forme d’amendement. Nous étions saisis d’un projet de loi qui n’avait pour objet que de modifier la loi communale en ce qui concerne le mode de nomination des bourgmestres et rien autre chose. Maintenant on présente à la chambre par amendement une disposition qui a pour objet de modifier la loi communale en ce qui concerne les attributions de l’autorité communale. Remarquez que c’est à dessein que je me sers de l’expression : l’autorité communale.
Je dis que cette proposition n’a rien de commun avec celle contenue dans le projet de loi primitif.
M. le ministre répond à cela : c’est une erreur, car le projet primitif contient des modifications relativement à la position du bourgmestre, et l’amendement que je présente concerne aussi la position du bourgmestre.
Eh bien, moi je dis que c’est le raisonnement de M. le ministre qui est erroné. Le projet principal n’avait pas d’autre objet que le mode de nomination du bourgmestre. Ici il s’agit non pas de changer les attributions du bourgmestre, mais de changer les attributions de l’autorité communale et des échevins en particulier.
En d’autres termes la question soulevée par M. le ministre de l’intérieur est une question de principe qui modifie la loi communale dans son esprit.
Il résulte, messieurs, de la loi communale, que le pouvoir exécutif dans la commune appartient au collège échevinal ou comme on dit au collège des bourgmestre et échevins. Eh bien, si l’amendement de M. le ministre est mis en discussion, on met en discussion le point de savoir si le pouvoir exécutif dans la commune sera ou non scindé, si une partie de ce pouvoir sera conservée au collège échevinal et une partie donnée exclusivement au bourgmestre.
L’amendement ou plutôt la proposition de M. le Ministre ne tend, il est vrai, à donner au bourgmestre des attributions spéciales qu’en ce qui concerne la police.
Mais je demanderai qui pourra empêcher un membre d’étendre la proposition ? Personne.
Vous voyez que de votre propre aveu la loi communale entière est mise en question, et en cela vous êtes dans votre droit. Vous pouvez modifier toute la loi communale, soit ; mais ne le faites pas par voie d’amendement.
Nous avons déjà une discussion très difficile, très pénible, en ce qui concerne la nomination des bourgmestres. Vous avez pu le voir par la discussion de ces trois jours, et vous venez, par un amendement qui au premier abord paraît de peu d’importance, modifier la loi communale dans son principe ; vous allez tellement compliquer la discussion, que je prévois difficilement comment nous pourrons en sortir.
Si j’avais un conseil à donner à M. le ministre, ce serait de retirer son amendement, parce que, je le répète, cet amendement est tellement important, et nous entraînera dans des discussions si difficiles, si ardues, que le projet primitif ne paraîtra plus qu’un accessoire. Je dis que le projet primitif ne paraîtra plus qu’un accessoire à l’amendement, parce que sur cet amendement viendront se greffer une foule de propositions nouvelles. Cela est un fait incontestable, parce que du moment où vous touchez à une question de principe, vous faites un appel à toutes les opinions.
Tout le monde sait que nous avons discuté la loi communale pendant plusieurs jours et que les discussions ont été difficiles, ardues ; eh bien, nous allons avoir une discussion tout aussi importante que celles de 1834 et de 1835, si M. le ministre persiste à maintenir son amendement.
Je le répète donc. Je désire ardemment que M. le ministre ne persiste pas dans la proposition qu’il a faite. S’il ne la retire pus maintenant, quand il sera appelé à la section centrale, à laquelle on propose de renvoyer cette proposition, j’espère qu’on lui donnera le même conseil que je lui donne aujourd’hui.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne pense pas qu’on puisse limiter ainsi une discussion. Je suppose que je n’aie pas fait d’amendement, pensez-vous qu’on aurait proposé une fin de non-recevoir à l’un ou l’autre membre de cette chambre qui aurait jugé à propos de présenter les amendements que j’ai proposés ? Evidemment non ! Il est incontestable que du moment qu’on soumettait à la chambre la question de la nomination de bourgmestre, on ouvrait une discussion dans laquelle devaient trouver place toutes les propositions connexes avec cette question. Limiter la discussion, dire à chacun des orateurs : Vous vous tiendrez à la question de la nomination des bourgmestres, vous n’irez-pas au-delà, c’est faire une tentative vaine, absolument vaine.
Ainsi, messieurs, je n’aurais rien empêché en ne faisant pas ma proposition et je n’empêcherai rien encore en la retirant, parce que le champ reste libre et que chacun présentera les amendements qu’il jugera convenables, sur toutes les questions connexes avec celle de la nomination des bourgmestres.
Je répète donc que je regrette de ne pouvoir suivre le conseil que me donne M. de Brouckere.
Je ne crois pas avoir compliqué la question, l’avoir agrandie. Elle se complique, elle s’agrandit d’elle-même, car il est impossible de la discuter sans y comprendre toutes les questions connexes à la nomination des bourgmestres.
M. de Brouckere. - Je prétends qu’il n’existe aucune connexité entre le projet primitif de M. le ministre et l’amendement qu’il vient de présenter, et cependant, messieurs, je n’ai pas opposé la question préalable, je déclare même que je n’en ai pas eu la pensée ; si elle m’était venue, savez vous comment j’aurais étayé ma proposition ? J’aurais dit : dans une discussion récente, dans la discussion des indemnités, on a voulu rattacher à cette discussion celle des indemnités réclamées par la ville de Bruxelles, M. le ministre a répondu à ceux qui faisaient cette proposition c’est une matière nouvelle qui n’a pas de connexité avec le projet présenté, je demande la question préalable ; et la chambre a adopté la question préalable ; et la chambre, selon moi, a bien fait. Cependant vous savez que je serai un des plus zélés défenseurs du projet de loi concernant la ville de Bruxelles.
Je dis que la chambre a bien fait, parce qu’on doit toujours éviter de compliquer les discussions et d’y introduire incidentellement des questions nouvelles et surtout des questions de principe.
Mais, dit M. le ministre, à quoi avancerais-je les choses si je retirais ma proposition ; chacun sera toujours libre de la représenter. Comme je ne serais pas arrêté alors par les égards qu’on doit avoir pour les propositions du gouvernement, je déclare que si un membre de la chambre qui n’est pas un organe du gouvernement venait présenter une proposition de principe, quelle qu’elle soit, je demanderais la question préalable. Je crois même que l’initiative ne n’appartiendrait pas, car je serais devancé par beaucoup de membres qui penseraient qu’il y a lieu de la demander.
Mais que M. le ministre daigne en faire l’essai, qu’il retire son amendement, je doute fort que quelque membre de la chambre essaye de le représenter. Ce que je n’hésite pas à dire, c’est que si tout autre que le ministre l’eût proposé, il n’aurait eu aucune chance de succès et qu’une grande majorité eût déclaré que, la proposition fût-elle bonne en elle-même, ce n’était pas le moment de la discuter.
Je ne puis assez le répéter, l’amendement de M. le ministre remet en question la loi communale entière, il dépendra de chacun de nous, non pas de présenter un sous-amendement à l’amendement du ministre, mais de proposer un amendement sur quelque disposition que ce soit de la loi communale, en disant : Vous êtes saisis d’un projet de loi modifiant des dispositions de la loi communale ; les articles auxquels je vous propose des amendements leur sont connexes ; et voilà la loi communale entière mise en question, pouvant être bouleversée de fond en comble, par des amendement accidentels, sans que la chambre en soit prévenue, par un projet de loi, qui, je dois le dire, n’a pas, selon moi, une très haute importance, car je ne partage pas l’opinion de mes collègues et amis sur l’importance et la haute portée qu’ils attachent au projet primitif. Mais il n’en est pas de même de l’amendement qui contient une question de principe qui scinde les attributions du collège échevinal. Cette question à laquelle s’en attachent une foule d’autres, est d’une haute importance et d’une portée immense.
M. Orts. - Ce que vient de dire mon honorable ami, M. de Brouckere, est tellement vrai, que si la proposition de M. le ministre présentée sous forme d’amendement en tant qu’elle concerne le § 4 placé sous les attributions du collage des bourgmestre et échevins devait passer, je demanderai s’il n’y aurait pas lieu d’examiner et peut-être de modifier toutes les autres dispositions de l’article 90, car il ne suffit pas de vouloir soustraire au collège échevinal tout entier l’exécution des lois et règlements de police. Mais je pose une autre question. L’art. 90 contient autre chose que ce qui peut concerner le pouvoir exécutif. Il charge le collège des bourgmestre et échevins de l’administration des intérêts communaux et c’est précisément parce que le premier projet du ministre, qui n’est relatif qu’au mode de nomination du bourgmestre, est incompatible avec les diverses dispositions de l’art. 90 qui détermine les attributions du bourgmestre et de ses échevins, que je pense qu’il est impossible de considérer comme un simple amendement une proposition qui n’est relative qu’à un seul des 12 numéros de l’art. 90, lesquels constituent autant d’attributions distinctes.
J’aurais une autre proposition à faire, mais je me garderai de la faire par amendement, parce que je partage l’opinion de l’honorable M. de Brouckere. Voici quelle serait cette proposition. Puisque votre projet de loi ne tend qu’à assurer l’exécution des lois et l’exécution des règlements de l’autorité provinciale et communale, bornez-vous à donner ces attributions aux bourgmestres ; faites-en un agent comme celui qu’on appelait autrefois l’amman à Bruxelles et dans d’autres localités, l’officier du Roi ; mais ne faites pas participer cet étranger à la commune, ce simple commissaire royal aux actes d’administration de la commune.
Je le répète, je ne puis considérer la nouvelle proposition du ministre comme un amendement, d’autant plus que dans l’exposé des motifs on déclare qu’on ne devait toucher qu’à la nomination des bourgmestres, et maintenant on veut toucher aux attributions. Je crois que le conseil que M. de Brouckere a donné au ministre de retirer sa proposition est très sage.
M. de Mérode. - Jusqu’à présent vous n’avez pas circonscrit la discussion comme on voudrait le faire en cette occasion. Lorsqu’il s’est agi de lois quelconques on a toujours traité toutes les questions qui s’y rattachaient ; or, ici il est évident que les attributions et la nomination du bourgmestre se rattachent directement l’une à l’autre.
On a rappelé que vous n’avez pas voulu comprendre l’affaire de Bruxelles dans la loi des indemnités, mais il n’y avait aucune connexité ; cette loi a été discutée en comité secret, la convention relative à la ville de Bruxelles sera discutée en séance publique, il n’y a aucune raison pour qu’il n’en soit pas ainsi ; la comparaison que l’on a faite ne repose sur rien. Je ne vois pas pourquoi on ne discuterait pas à propos de la loi qui nous est soumise toutes les questions qui s’y rattachent, pourquoi l’on circonscrirait la discussion comme on ne l’a jamais fait.
M. Doignon. - Je pense que la proposition du ministre est réellement un nouveau système. Aujourd’hui, comment la question de la nomination du bourgmestre se présente-t-elle ? Nous devons examiner cette question, en considérant les attributions telles que la loi communale les a réglées et c’est là notre point de départ. Mais maintenant M. le ministre a un tout autre système ; il touche en outre aux attributions mêmes du bourgmestre, attributions qui se lient à celles du conseil et du collège échevinal. C’est là tout à fait un nouveau système, puisque la question de nomination doit être à présent envisagée sous un autre point de vue, par suite des modifications qu’on veut même apporter aux attributions et nous ne voyons même pas en ce moment, jusqu’où pourraient s’étendre ces modifications, car on annonce encore d’autres propositions.
Quant à moi, je pense qu’on ne peut procéder comme on prétend le faire. Dans toutes les discussions antérieures, on a traité d’un seul jet les questions de nomination et d’attributions. Aujourd’hui on veut scinder ces questions tout à fait connexes ; on veut changer d’abord le mode de nomination et ensuite les attributions ; ce qui n’est pas possible : puisque ces questions doivent nécessairement être examinées et discutées ensemble, je propose que la discussion actuelle cesse jusqu’à ce que les sections ou la section centrale ait examiné la proposition du gouvernement et fait son rapport.
Hier, M. le ministre a proposé encore un autre changement, mais, que dis-je, bien moins un changement qu’un nouveau projet de loi. L’art. 56 règle ce qui concerne la révocation des bourgmestres, et l’on nous propose à peu près l’abrogation de cet article. Voilà donc encore un nouveau projet de loi. Mais évidemment tout cela doit se lier ; sans cela nous ferons une véritable bigarrure. Je demande que la discussion soit suspendue jusqu’à l’examen de toutes les dispositions additionnelles présentées par M. le ministre de l’intérieur,
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La chambre voudra bien se rappeler de quelle manière on a procédé pour arriver à un résultat dans la longue discussion sur la loi communale. Dans la 3ème session, en 1836, lorsqu’on s’est occupé de cette loi, pour en finir, on a pensé qu’avant de statuer sur les questions de nomination, il fallait s’occuper des attributions, et l’on a posé à la chambre la question générale de savoir quelles seront les attributions des bourgmestres et des échevins : Le bourgmestre aura-t-il seul le pouvoir exécutif ? ou bien l’exercera-t-il concurremment avec les échevins ? On a répondu affirmativement dans le dernier sens. C’est alors qu’on a abordé les deux questions spéciales de la nomination du bourgmestre et de la nomination des échevins. C’est ainsi qu’on a procédé. Ceci démontre que la question d’attributions domine la question de nomination. Poser la question de nomination, c’est poser la question d’attributions. Vous ne pouvez faire autrement. (Mouvement dans une partie de la chambre.)
Je suis étonné du mouvement que cela cause, d’autant plus que ce mouvement vient de la part de membres qui ne voient aucun rapport entre la question de nomination et la question d’attributions. Je vous rappelle les précédents, je vous démontre que quand on s’est occupe de la question de nomination, on a été invinciblement amené à examiner la question d’attributions. Ainsi ce que je fais n’est ni insolite ni illogique. On l’aurait fait par le cours naturel des choses. Vous n’auriez empêché personne de présenter des amendements. Aucune fin de non-recevoir n’y eût été opposée, la question préalable n’eût pas été admissible. Il sera libre à tous les membres de la chambre d’user du droit de présenter des amendements et de proposer l’un ou l’autre changement relatif aux attributions. Ainsi la question de nomination a soulevé en même temps les différentes questions d’attributions, cela est inévitable.
Il n’y a aucune raison de suspendre la discussion, car après que vous l’aurez suspendue, après que la section centrale aura fait son rapport, rien n’empêchera qu’un membre ne fasse une nouvelle proposition. Ainsi vous auriez une nouvelle suspension, un nouvel ajournement, ce serait vous engager dans une voie où vous n’arriveriez à aucun résultat. J’insiste pour que la chambre se conforme à ses précédents, pour qu’elle continue la discussion générale, tout en renvoyant à la section centrale les amendements qui ont été présentés et tous ceux qui pourront l’être.
M. Fleussu. - J’avoue franchement que je ne puis pénétrer le motif qui empêche M. le ministre de consentir à ce que les dispositions qu’il a présentées et qu’il considère connue des amendements, soient renvoyées à l’examen des sections. Pour moi, je ne conçois pas comment vous ne renverriez pas aux sections un objet de cette importance qui se présente pour la première fois à l’attention de la chambre ; car dans toutes les discussions antérieures cet objet, ne s’est pas fait jour. Il y a eu beaucoup de combinaisons ; celle-ci n’a été discutée ni dans les sections, ni en séance publique, c’est un point nouveau ; c’est une idée que M. le ministre de l’intérieur a pu mûrir très longtemps, mais dont nous sommes saisis pour la première fois.
M. le ministre dit que c’est une modification à sa proposition première ; mais non, c’est une autre proposition. S’il avait posé cette question de principe : « Modifiera-t-on la position du bourgmestre ? » et si elle avait été résolue affirmativement, je comprendrais que par suite il proposât un amendement tendant à changer les attributions. Mais il n’en est pas ainsi, il n’a proposé une modification sur un seul point, sur la nomination par le Roi en dehors du conseil. Voilà la seule proposition dont vous ayez été saisi, dont les sections aient été saisies, et sur laquelle la section centrale ait fait son rapport.
Je conviens, messieurs, qu’il y a une grande corrélation entre la nomination du bourgmestre et les attributions. Mais c’est précisément parce que, comme vient de le dire M. le ministre de l'intérieur, la question des attributions domine nécessairement celle de la nomination, que vous devez attacher à la première la plus grande importance. Or, c’est sur les attributions que portent maintenant les nouvelles propositions de M. le ministre ; par conséquent, il ne s’agit pas d’une modification de son premier projet, mais d’un projet tout nouveau.
Car qu’est-ce qu’une modification ? C’est ce qui modifie une proposition ; c’est ce qui, tout en modifiant une proposition, s’y rattache entièrement. Eh bien, ici, il ne s’agit plus d’une modification relative à la nomination des bourgmestres, il s’agit d’une modification relative aux attributions. Or, il me semble que, comme vient de le dire M. le ministre de l'intérieur, la question des attributions domine tout.
M. le ministre de l'intérieur a mauvaise grâce de ne pas vouloir que les sections examinent la question avec toute l’attention qu’elle comporte. Vous avez discuté pendant trois ans la loi communale ; pendant trois sessions vous vous en êtes occupés. Maintenant se présente une question sous un point de vue tout nouveau, et M. le ministre ne vent pas du renvoi en section. Ne croiriez-vous pas qu’on craint d’attirer l’attention de la chambre sur cette question ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La chambre tout entière est ici.
M. Fleussu. - La chambre tout entière est ici, c’est vrai ; mais on peut en dire autant pour toutes les propositions. Dès lors, vous n’avez qu’à prétendre qu’on doit supprimer le travail des sections et que la chambre peut en séance publique se former une opinion sur un projet quelconque.
Messieurs, il est évident que la question n’est plus la même, que le cercle de la discussion est considérablement élargi. Nous n’avons pas été préparés à la discussion qu’on veut nous faire continuer, et l’honorable M. Doignon a eu parfaitement raison de demander, non seulement le renvoi aux sections, mais aussi la suspension de la discussion sur la première proposition, parce que, comme vient de le dire M. le ministre de l’intérieur, il y a une corrélation nécessaire entre ces deux propositions.
Messieurs, on vous a dit que lorsqu’on avait discuté la loi communale, on avait bien discuté la question d’attributions avant la question de nomination. Mais je vous ferai observer que vous discutiez alors une loi d’ensemble, une loi qui avait été examinée dans son entier par toutes les sections ; tandis que maintenant vous discutez des propositions qui ont pour objet de détruire cet ensemble. Or, chaque proposition qui détruit l’ensemble d’une loi forme l’objet d’un projet spécial ; ce sont donc toutes lois spéciales que vous faites et que vous incorporez à la loi communale, et par conséquent, il faut que chaque proposition soit soumise à l’examen des sections et par suite à celui de la section centrale.
Mais, dit l’honorable M. de Mérode, on n’a jamais circonscrit ainsi la discussion, et c’est pour la première fois qu’on veut renvoyer des amendements aux sections particulières. L’honorable M. de Brouckere vous avait cité un exemple qui me semblait frappant de vérité ; c’est l’exemple de ce qui est arrivé lorsqu’on a discuté la loi des indemnités. Quelques honorables députés avaient demandé qu’on joignît à cette discussion celle du projet de loi relatif à la convention avec la ville de Bruxelles. D’autres, messieurs, avaient été beaucoup plus loin et j’étais de ce nombre. Nous avions demandé qu’on rattachât à la loi des indemnités toutes les pertes qui avaient été subies par les localités quelconques par suite de la révolution ; nous disions que le moment était venu d’en agir ainsi, puisqu’on discutait une loi qui avait pour but de réparer les pertes causées par la révolution.
Eh bien que nous a-t-on répondu ? On nous a dit que c’étaient là des projets de lois spéciaux, qui devaient être examinés séparément. Et cependant la cause était bien la même, car ce que vous avez nommé la convention avec la ville de Bruxelles, n’est qu’un projet d’indemnités déguisées. Ce que nous demandions, c’était d’indemniser les localités des pertes que leur avaient fait subir les pillages. La cause de tout cela venait toujours des événements de la révolution, de même que l’inondation des poldres, que de l’incendie de l’entrepôt d’Anvers. On pouvait rattacher toutes ces affaires, en faire un ensemble ; vous ne l’avez pas voulu. Et maintenant qu’il s’agit d’une loi des plus importantes, d’une loi qui peut compromettre toutes nos libertés communales, on veut que nous la discutions immédiatement, alors qu’on la présente sous un jour tout nouveau, et que la chambre n’est pas préparée.
J’appuie le renvoi aux sections proposé M. Doignon.
M. de Brouckere. - Messieurs, M. le ministre de l’intérieur vous a rappelé ce qui s’était passé lors de la discussion de la loi communale ; il vous a dit qu’alors on avait très bien senti que la partie la plus importante de la loi était celle qui concernait les attributions, et que par suite, on avait commencé par traiter la question d’attributions avant celle du mode de nomination des autorités communales. Dans le moment où le ministre prononçait ces paroles, un mouvement s’est manifesté dans toute la chambre et M. le ministre en a témoigné son étonnement. Eh bien ! je lui dirai la cause de ce mouvement. C’est que par suite de cette déclaration, il donnait gain de cause à ses contradicteurs ; c’est qu’il prouvait que nous avions raison de dire, parlant avant lui, que l’amendement qu’il présentait était si peu un amendement, que son objet était plus important que le projet primitif.
Mais si M. le ministre convient lui-même que la question des attributions est plus importante que celle du mode de nomination, pourquoi n’a-t-il pas suivi la marche rationnelle et logique qu’il vient d’indiquer ? Pourquoi n’a-t-il pas présenté le projet relatif aux attributions avant celui relatif au mode de nomination ? Cela eût été rationnel et logique, tandis que la marche qu’il suit est, quoi qu’il en dise, irrationnelle, illogique.
Mais voulez-vous une nouvelle preuve, preuve que je vous ferai voir sous un double rapport, que l’amendement de M. le ministre ne se rattache pas au projet en discussion et qu’il est plus important que le projet lui-même ? Eh bien ! veuillez écouter ceci.
Le projet primitif tend à moduler le mode de nomination des bourgmestres, mais seulement pour quelques cas exceptionnels. Règle générale, la loi communale s’exécutera comme elle s’est toujours exécutée ; et seulement dans quelques cas bien rares, tout à fait exceptionnelles, on fera usage du projet de loi qu’on vous propose aujourd’hui.
Eh bien ! messieurs, l’amendement de M. le ministre tend à modifier la loi communale, non pas pour certains cas bien rares et tout à fait exceptionnels, mais pour tous les cas et pour toujours. C’est-à-dire que si vous adoptiez l’amendement de M. le ministre, à tout jamais les échevins seraient privés du droit qu’ils ont aujourd’hui de traiter les affaires de police comme toutes les autres affaires de la commune.
Vous voyez donc, messieurs, que cette proposition ne se rattache pas au projet primitif ; mais vous voyez surtout par l’argument que je viens de faire valoir, qu’elle est bien plus importante que le projet primitif. Je vous déclare, quant à moi, que je la regarde comme telle.
Mais si on persiste à vouloir mettre en discussion l’amendement de M. le ministre, je vous déclare, moi, que je présenterai aussi un amendement à la loi communale. Car M. le ministre le sait fort bien, il y a plusieurs dispositions de la loi communale que je ne trouve pas satisfaisantes, et que je voudrais voir modifier, et entre autres je vais en citer une tout de suite, c’est la disposition concernant les secrétaires des commines.
Les secrétaires communaux sont, d’après la loi, entièrement indépendants de l’autorité supérieure, indépendants de l’autorité provinciale, indépendant de l’autorité centrale. Eh bien ! cela est contraire à ma manière de voir, et si l’amendement de M. le ministre est soumis à vos délibérations, si par conséquent la loi communale tout entière est mise en discussion, je présenterai un amendement qui tendra à modifier la position des secrétaires communaux. Et je ne dis pas que je n’en présenterai pas d’autres. J’ai cité celui-ci parce que, à mes yeux, il remédiera à un des vices principaux de la loi communale.
Messieurs, permettez-moi de vous le dire : le projet en discussion, projet que je suis, moi, disposé à accepter, a malheureusement fait naître dans la chambre une assez grande irritation. On a pu le voir par les premières discussions et on le verra encore par celles qui suivront. J’aurais voulu que le gouvernement, cherchât à atténuer cette irritation, à la diminuer autant que cela était en son pouvoir. Eh bien ! l’amendement présenté est un véritable moyen homéopathique (on rit) ; c’est-à-dire qu’au lieu de faire cesser l’irritation, on va l’augmenter. Mais je crains fort que ce moyen ne conduise pas à bien.
M. Dechamps. - Messieurs, je concevrais parfaitement l’argumentation des honorables membres, si effectivement il n’y avait pas une connexité intime entre l’amendement proposé par le gouvernement et le projet primitif relatif à la nomination des bourgmestres. Mais, messieurs, cette connexité est tellement intime, que de la décision que nous prendrons sur l’amendement de M. le ministre peut dépendre le vote que beaucoup de membres émettront sur l’ensemble de la loi. Je ne veux pour preuve de ce que j’avance que ce que l’honorable M. Orts vous a dit tout à l’heure.
Le système de l’honorable M. Orts, le système qu’il croirait préférable, et dans l’intérêt du gouvernement, et dans l’intérêt de la commune, ce serait que le bourgmestre fût nommé directement par le Roi en dehors du conseil communal, mais à la condition de lui attribuer exclusivement l’exécution des lois d’intérêt général. Ainsi, dans la pensée de l’honorable M. Orts, pour que la chambre adopte le système le plus utile, le plus rationnel, selon lui, il faut qu’elle commence par toucher aux attributions. Or, d’après le système qu’il défend et qui consiste à dire qu’on ne peut toucher à aucune autre disposition de la loi communale, qu’à la question pure et simple de la nomination des bourgmestres, le mode de nomination qu’il croit préférable serait impossible.
Messieurs, il est un autre système de nomination : c’est celui qui consiste à faire nommer le bourgmestre par le roi en dehors du conseil, mais à la condition que les échevins soient choisis par le conseil ou par les électeurs : c’est le second système qui probablement sera discuté dans la controverse qui nous occupe.
Eh bien, d’après l’honorable M. de Brouckere qui soutient, lui, que l’on peut raisonnablement demander la question préalable sur toute proposition, sur tout système qui ne consiste pas purement et simplement à parler de la nomination des bourgmestres, il serait défendu de toucher à la question de la nomination des échevins. Voilà un second système de nomination des bourgmestres qui devient dès lors impossible. -
M. de Brouckere. - Je n’ai pas dit un mot de cela.
M. Dechamps. - Je dis que si vous soutenez que la question préalable peut être présentée sur tout ce qui n’est pas la question pure et simple de la nomination des bourgmestres, vous ne pouvez pas davantage toucher à la question de la nomination des échevins.
M. de Brouckere. - C’est vous qui dites cela ; ce n’est pas moi.
M. Dechamps. - Je vais plus loin, messieurs, il est un troisième système qui consiste à faire nommer le bourgmestre au dehors du conseil, mais à la condition que le bourgmestre ne soit pas éligible ; eh bien, comme la question de l’éligibilité n’est pas la question du mode de nomination, il sera donc défendu de traiter la question de l’éligibilité ! C’est-à-dire, encore une fois que les différents systèmes de nomination que divers membres pourraient proposer, devraient être écartés par la question préalable. Eh bien alors la discussion devient complètement impossible. Mais par exemple, je voudrais tel ou tel mode de nomination du bourgmestre, mais à la condition de toucher à ce qui concerne les échevins, à la condition peut-être de toucher aux attributions, à la condition peut-être de toucher à l’éligibilité. Eh bien, je ne pourrais pas proposer le système que je croirais le meilleur.
Mais, messieurs, il faut au moins laisser la discussion libre, il faut laisser les votes complètement libres, et pour que les votes soient complètement libres, il ne faut pas que l’on puisse écarter par la question préalable telle ou telle proposition, qui, sans se rattacher d’une manière directe à la question du mode de nomination, serait connexe à cette question.
Ainsi, messieurs, je pense qu’il y a connexité intime entre les propositions faites aujourd’hui par M. le ministre et la proposition primitive, et que dès lors ces propositions sont bien réellement des amendements, mais non pas des propositions spéciales. Si nous en étions arrivés à la discussion de l’art. 1er, si nous en étions au point d’émettre un vote sur cet article, je comprendrais qu’on proposât de suspendre le vote jusqu’au moment où la section centrale aurait présenté son rapport ; mais nous en sommes seulement à la discussion générale, et je ne vois aucun obstacle à ce que cette discussion continue. Elle embrassera tous les systèmes, chacun parlera des inconvénients de la loi actuelle, des avantages de tel ou tel système que l’on pourrait proposer, mais le vote n’aura lieu qu’après le rapport de la section centrale.
M. de Muelenaere. - Messieurs, un honorable député de Bruxelles a dit tout à l’heure que d’après lui la dernière proposition de M. le ministre de l’intérieur ne se rattache pas au projet primitif. Je ne saurais partager cette opinion : la proposition de M. le ministre peut avoir une haute importance mais il n’en est pas moins vrai que cette proposition constitue un véritable amendement au projet de loi dont nous sommes saisis. Il y a connexité intime, connexité nécessaire entre le mode de nomination des bourgmestres et les attributions des bourgmestres. Cela est tellement vrai que pendant toute la discussion cette connexité a été invoquée par tous les orateurs qui ont pris la parole. L’honorable M. Orts a fait observer tout à l’heure que lui-même, quoiqu’il soit opposé au projet de loi, consentirait à la nomination du bourgmestre en dehors du conseil si les attributions du bourgmestre étaient modifiées dans le sens qu’il a indiqué.
Je ferai remarquer encore, messieurs, que vous avez sous les yeux les rapports des gouverneurs des provinces qui demandent que le mode de nomination des bourgmestres soit modifié ; et quel est le motif qu’ils allèguent ? C’est que le bourgmestre, en raison du mode actuel de nomination est placé vis-à-vis des électeurs de la commune dans une fausse position, lorsqu’il est chargé de l’exécution des lois générales et surtout de l’exécution des lois et règlements de police. Voilà ce qu’ont indiqué tous les gouverneurs. Il y a donc une corrélation évidente, nécessaire entre le mode de nomination et les attributions. Dès lors, si vous changez le mode de nomination, vous serez amenés par la force des choses à changer quelque peu les attributions, et par conséquent tout ce qui est relatif aux attributions doit être considéré comme amendement au projet qui nous est présenté.
Maintenant, messieurs, que la proposition de M. le ministre soit renvoyée à la section centrale, qu’elle soit même renvoyée aux sections, c’est à M. le ministre de se prononcer à cet égard. Je crois que la proposition a une certaine importance, mais il n’en est pas moins vrai qu’on ne peut pas la séparer du projet de loi primitif. Il faut nécessairement réunir ce qui est relatif au mode de nomination et ce qui concerne les attributions.
M. Orts. - Je désire, messieurs, que l’on ne donne pas à ce que j’ai dit une portée autre que celle que j’y ai donnée moi-même. J’ai dit que si vous voulez placer auprès des administrations communales un agent du gouvernement, chargé de surveiller l’exécution des lois et des arrêtés du pouvoir central, des règlements provinciaux et des règlements communaux, sans donner à cet agent que j’ai comparé aux anciens amman de Bruxelles, et auquel vous donneriez soit le nom de bourgmestre soit tout autre nom, sans lui donner aucune participation à l’administration purement communale, soit sous le rapport de la disposition, soit sous le rapport de l’administration, j’ai dit que si vous vouliez, dans l’intérêt du pouvoir central, placer un semblable fonctionnaire auprès des administrations communales, je n’y verrais aucun inconvénient. J’ai eu bien soin de dire, je le répète, que ce fonctionnaire ne devrait prendre aucune part à l’administration purement communale, qu’il ne devrait pas intervenir dans les affaires qui concernent exclusivement la commune, et que j’appellerai des affaires de famille.
Voilà, messieurs, dans quel sens je me suis expliqué, et je ne pense pas que ce système puisse jamais être accepté par le ministère actuel.
Dans le discours que je me proposais de prononcer aujourd’hui sur l’ensemble de la loi, mon but était de faire voir que la loi proposée relativement à la nomination des bourgmestres serait inexécutable, à moins que l’on apportât des changements aux attributions, que cette loi est incompatible avec les attributions telles qu’elles ont été réglées par la loi du 30 mars 1836.
Maintenant, messieurs, que propose-t-on ? on propose sous forme d’amendement à un projet qui ne concerne que le mode de nomination, on propose une modification qui a trait à une des attributions des bourgmestres ; et que veut-on faire ? On veut priver les échevins de leur participation à certains actes qui appartenaient jusqu’ici au collège des bourgmestre et échevins ; on veut donc aussi toucher aux attributions de ces derniers. Est-ce là l’exécution des promesses solennelles formulées dans l’exposé des motifs en ces termes :
« Dans cet état de choses, nous avons pensé, pour ne pas remanier tout le système, qu’il suffirait d’admettre la possibilité d’une exception à la règle absolue posée dans l’art. 2 de la loi organique. »
Voilà, messieurs, tout ce que l’on demandait. Cependant aujourd’hui l’on propose des modifications d’une totale autre nature, on fait une proposition qui pourra être suivie d’autant de propositions nouvelles qu’il y a d’attributions diverses, confiées au collège des bourgmestre et échevins ; l’on en viendra ainsi à changer complètement la loi communale, à soustraire aux échevins leurs attributions les plus importantes. Je crois, messieurs, que c’est là une proposition trop sérieuse pour qu’on en fasse pas un projet de loi spécial, comme M. le ministre l’a fait lui-même pour les projets relatifs aux finances des communes.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dois bien regretter, messieurs, de ne pas avoir attendu pour présenter mes articles additionnels que l’honorable préopinant eût pris la parole. Il vient de dire qu’il aurait discuté la question des attributions en même temps que la question du mode de nomination, qu’il vous aurait démontré que la loi, telle qu’elle était proposée, aurait été inexécutable à moins que l’on ne voulût toucher aux attributions. (Interruption.) Je vous avoue, messieurs, que si j’avais laissé parler l’honorable membre, il m’aurait singulièrement préparé les voies et qu’il nous aurait probablement épargné cette discussion. Je regrette donc qu’il n’ait pas pris la parole avant moi.
Je n’ai jamais nié l’importance de la question des attributions, j’ai reconnu, au moment même où je faisais la proposition, que la question des attributions était importante ; mais ce que j’ai nié, c’est qu’il n’y eut pas connexité entre les deux questions, celle de la nomination et celle des attributions ; cette connexité est tellement intime qu’il est impossible d’examiner la question de la nomination sans examiner en même temps la question des attributions. Voilà ce que j’ai soutenu, et ce que je continuerai à soutenir. J’ai rappelé les précédents de la chambre ; j’ai rappelé qu’en 1836 il a été impossible d’arriver à la solution de la question de nomination sans examiner la question des attributions.
On dit, messieurs, que j’ai ouvert la voie aux amendements. Je suis le premier qui ai proposé des amendements mais je n’ai pas pour cela ouvert la voie ; la voie est ouverte par la constitution et par le règlement qui vous accordent le droit d’amender les propositions faites. La voie était donc ouverte sans moi. Si je n’avais pas proposé ces articles additionnels ou si je les retirais, la voie n’en resterait pas moins ouverte après le retrait comme elle l’était avant la présentation.
J’insiste donc, messieurs, pour le renvoi à la section centrale ; je dis à la section centrale, parce qu’il n’y a rien d’imprévu dans les propositions, parce que quiconque a examiné le projet, devait s’attendre à ce que la question des attributions fût soulevée, cela était inévitable. Il n’y a donc rien d’imprévu dans ma proposition, et c’est pour cela que je demande simplement le renvoi à la section centrale.
Ainsi, messieurs, il y a connexité entre les deux questions, et dès lors il est impossible de faire pour chacune de ces questions un projet spécial ; il n’y rien d’imprévu, d’inattendu dans la proposition, et dès lors je suis fondé à demander que l’on se borne au renvoi à la section centrale, la discussion générale et publique continuant.
M. Verhaegen. - Messieurs, il est toujours très facile de trouver de la contradiction dans les paroles d’un orateur, puisqu’on est toujours maître de supposer la question sur un terrain où cet orateur ne s’est pas placé. C’est ce qui est arrivé à M. le ministre de l’intérieur en parlant du discours que l’honorable M. Orts annonçait vouloir prononcer. -
L’honorable M. Orts se proposait de démontrer que la loi telle qu’elle est conçue, est inexécutable, et pour arriver à ce résultat, il nous aurait parlé des attributions auxquelles vous auriez dû toucher et auxquelles vous n’auriez pas touché, et M. Orts aurait conclu que la loi, telle que vous l’avez proposée, était inacceptable.
Quelle contradiction trouvez-vous dans ces paroles ? N’êtes-vous pas plutôt venu confirmer l’opinion que l’honorable M. Orts se proposait de développer puisque vous faites aujourd’hui ce que vous auriez dû faire tout d’abord ; j’ai tout lieu de croire que vous n’aviez pas examiné l’affaire à fond. Votre premier travail était donc incomplet, et la chambre dès lors ne pouvait pas l’accepter.
M. le ministre nous dit que nous devions nous attendre à cette nouvelle disposition.
Il n’en est rien, messieurs, et la preuve que la chambre n’était appelée qu’à examiner la question de la nomination des bourgmestres, je la trouve dans l’exposé des motifs du projet de loi, où je lis ce qui suit :
« Dans cet état de choses, nous avons pensé, pour ne pas remanier tout le système, qu’il suffisait d’admettre la possibilité d’une exception à la règle absolue posée dans l’article 2 de la loi organique. »
Messieurs, d’après le système qu’on présente aujourd’hui, ce n’est plus un seul point sur lequel M. le ministre veut fixer l’attention de la chambre ; il s’agit maintenant de mettre en question toute la loi communale, il s’agit en effet de la nomination des attributions, de la révocation et des finances ; mais c’est là toute la loi communale.
L’honorable M. de Muelenaere, en répondant, je crois, aux observations que j’avais faites…
M. de Muelenaere. - Je répondais à l’honorable M. de Brouckere.
M. Verhaegen. - Soit ; l’honorable M. de Muelenaere, tout en combattant l’honorable M. de Brouckere, est d’accord avec lui et avec nous. La question, dit-il, est excessivement grave ; d’accord ; les deux questions d’attributions et de nomination doivent être traitées simultanément d’après l’honorable membre ; encore une fois, d’accord ; l’honorable M. de Muelenaere ne voit pas d’inconvénient à renvoyer la disposition à l’examen soit des sections, soit de la section centrale ; or, ce renvoi ne peu avoir lieu qu’en donnant lieu à une suspension ; donc l’honorable M. de Muelenaere est d’accord avec moi pour le renvoi aux sections ; et avec l’honorable M. Doignon pour la suspension ; donc l’honorable M. du Muelenaere est d’accord avec tout le monde. Je crois donc, messieurs, que rien ne s’oppose à l’adoption de ma proposition et de celle de l’honorable M. Doignon.
M. de Theux, rapporteur. - Messieurs, il me paraît évident qu’avant de voter sur la question d’ajournement, et même avant de clore la discussion sur cette question, il faut que la nouvelle proposition faite par M. le ministre de l'intérieur soit examinée.
Mais faut-il renvoyer immédiatement cette proposition à un nouvel examen, et suspendre ainsi la discussion, ou bien, faut-il laisser encore continuer la discussion, et avant de la fermer, renvoyer la proposition la section centrale ? C’est une question que j’adresse à la chambre. Elle mérite, messieurs, toute votre attention, car je ne sais réellement pas dans quelle position on placera la section centrale par un renvoi immédiat.
L’honorable M. Verhaegen nous a fait part de ce qui s’est passé dans le sein de la section centrale lorsque divers amendements y ont été mis en avant ; ce qu’il vous a dit est parfaitement exact. Mais, messieurs, la nouvelle proposition peut donner lieu à d’autres propositions dans le sein de cette chambre. Déjà l’honorable M. Orts a annoncé un système nouveau. D’autres membres ont peut-être à proposer d’autres systèmes. Il me paraît qu’il serait désirable que tous les orateurs qui sont dans l’intention de fournir de nouveaux projets voulussent bien s’expliquer avant que la section centrale fût appelée à faire un examen ; sinon, après que la section centrale aura présenté son rapport sur l’amendement présenté par M. le ministre de l’intérieur, de nouveaux amendements pourront être présentés dans la discussion générale qui sera reprise, et il faudra de nouveau les renvoyer à la section centrale. Ainsi, la section centrale tournerait dans un cercle vicieux, dont elle ne pourrait pas sortir. Sa position serait véritablement embarrassante.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il me semblait qu’il était entendu que le renvoi ne serait pas immédiat, en ce sens que la section centrale ne ferait pas dès à présent son rapport. On lui renverra toutes les propositions que la discussion générale va inévitablement amener. Ainsi la section centrale ne sera pas mise en demeure de faire dès à présent un rapport.
Je me bornerai à répondre à l’honorable M. Verhaegen, que s’il avait raison dans les observations qu’il avait présentées, il en résulterait que, du moment que le gouvernement a déposé un projet de loi, il doit considérer ce projet comme immuable, sans avoir le droit de l’améliorer ou de l’amender (Aux voix ! aux voix !)
M. le président. - D’un côté, on a demandé le renvoi aux sections, de l’autre, à la section centrale, par analogie avec ce qui a lieu pour les votes sur les questions d’analogie, je mettrai d’abord aux voix le renvoi aux sections, et si ce renvoi n’est pas adopté, le renvoi à la section centrale.
M. de Brouckere. - M. le président, je demande la parole.
L’honorable M. de Theux vient de faire des observations extrêmement justes. Vous allez renvoyer aujourd’hui la proposition de M. le ministre à la section centrale ; mais plusieurs membres de la chambre ont d’autres amendements à présenter à la loi communale ; moi, entre autres, je compte en déposer un. Mais il est impossible d’improviser des amendements.
La loi communale contient un système dont il est très difficile de saisir l’ensemble et qui même quelquefois est un peu confus. Vous comprenez, messieurs, que les membres qui, comme moi, ont cru qu’on ne pouvait pas présenter des amendements au projet de loi du gouvernement, lorsque ces amendements concernaient les attributions des fonctionnaires communaux ; vous comprenez que ces membres ne sont pas prêts ; pour moi je déclare que le mien n’est pas élaboré et que je ne pourrai le présenter que plus tard. Eh bien, si successivement et tous les jours, un membre arrive avec un nouvel amendement, il en résultera que cette discussion sera interminable.
Messieurs, puisque j’ai la parole, j’ajouterai encore quelques mots à ce que j’ai dit tout à l‘heure.
L’honorable M. de Muelenaere, en commençant son discours, a dit qu’il répondait à un honorable député de Bruxelles ; j’avoue que je croyais que ce député n’était pas moi, car l’honorable M. de Muelenaere n’a pas répondu du tout, il n’a rencontré aucun de mes arguments. Voici en quatre mots le discours de l’honorable M. de Muelenaere.
Il vous a dit que tous les gouverneurs sont d’accord sur ce point, que l’état actuel des choses, administrativement parlant, présente des inconvénients ; qu’en ce qui concerne le bourgmestre, tout prouve que le bourgmestre n’a pas assez de liberté d’action, particulièrement en ce qui touche l’exécution des lois et des règlements.
Cela est vrai, je suis, moi, personnellement de cet avis, et j’ai toujours été de cet avis, même en 1834 : Ainsi, je n’ai changé en rien. Mais quelle conséquence tirent de là les gouverneurs ? Qu’il faut changer le mode de nomination, qu’il faut en certains cas rendre le bourgmestre indépendant des électeurs ; mais ils n’en tirent pas la conséquence, qu’il faut changer toutes les attributions.
Je conclus donc que l’honorable M. de Muelenaere ne m’a pas du tout répondu.
Messieurs, l’honorable M. Orts a préconisé un nouveau système, système qui était en vigueur à Bruxelles avant la première révolution. Moi, je vous déclare, messieurs, que je ne suis pas partisan de l’amman de M. Orts. (On rit.)
Je conçois, messieurs, qu’un pareil fonctionnaire pourrait convenir très bien à la ville de Bruxelles, et à toutes les grandes localités, mais je demande à tous ceux qui connaissent ce qui se passe dans la campagne, comment on ferait pour trouver dans des communes de 150 individus un amman, en d’autres termes un commissaire du Roi chargé de surveiller l’exécution des lois et règlements, sans avoir aucune part à l’action administrative ? Je le répète, cela pourrait être bon dans les grandes communes, car vous ne trouveriez d’amman que dans les grandes communes.
M. de Muelenaere. - D’après ce que viennent de dire MM. Verhaegen et de Brouckere, la discussion a complètement changé de face. Vous vous rappelez que, quand M. le ministre a fait sa proposition, elle a été attaquée, parce qu’elle ne paraissait avoir aucune corrélation nécessaire avec le projet en discussion. On a prétendu qu’elle ne constituait pas un amendement à ce projet de loi, que c’était une proposition toute spéciale, particulière, et que pour cela elle devait être renvoyée aux sections.
Je crois avoir établi qu’il y a une corrélation nécessaire entre les attributions des bourgmestres et le mode de nomination, que dès lors la question des attributions doit nécessairement être traitée en même temps que la question du mode de nomination, puisque l’un est nécessairement subordonné à l’autre, voilà l’observation que j’ai présentée ; je crois avoir prouvé ce fait à l’évidence.
M. Vandenbossche. - La proposition de M. le ministre et la discussion qu’elle vient de provoquer nous annonce un changement complet de toute la loi communale. Je crois qu’il serait préférable de prier M. le ministre de nous présenter un projet de toi tout à fait nouveau. Il ne demanderait pas tant de temps à discuter que les amendements proposés qui changeront également la loi communale, et nous aurions un système complet. Je crois que ce serait ce qu’on petit faire de mieux dans la position où nous nous trouvons.
M. de Theux, rapporteur. - Je voudrais savoir, si en prononçant le renvoi des amendements de M. le ministre à la section centrale, on entend suspendre la discussion générale ou si elle pourra continuer jusqu’à ce qu’il plaise à la chambre de la suspendre, en attendant le rapport et en renvoyant également à la section centrale les autres amendements qui pourront se présenter dans la discussion.
M. le président. - Je vais mettre les diverses propositions aux voix : D’abord le renvoi aux sections, qui doit avoir la priorité comme ajournement plus long, ensuite, s’il y a lieu, le renvoi à la section centrale et en troisième lieu la suspension de la discussion.
- Le renvoi aux sections est mis aux voix. Il n’est pas adopté.
Le renvoi à la section centrale est ensuite adopté.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la suspension de la discussion générale jusqu’après le rapport de la section centrale.
M. de Theux, rapporteur. - Je demande la parole sur la position de la question.
Il me semble que cette proposition est complexe. Les uns sont d’avis qu’avant de continuer la discussion générale on attende le rapport de la section centrale, d’autres conviendrait de continuer la discussion général, sauf à la suspension lorsque les amendements auraient été formulés. Ainsi, M. de Brouckere en a annoncé un, je désirerais qu’il voulût le déposer et le développer. Je ne sais si M. Orts n’a pas l’intention d’en présenter aussi un, du moins il se propose de développer un système nouveau. Il serait bon que la section centrale pût se prononcer sur les différents systèmes qu’on jugera à propos de présenter.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). – Messieurs, il me semble évident que prononcer la suspension, ce serait priver les membres qui se proposent de déposer des amendements du droit qu’ils ont d’amender.
M. Verhaegen. – Ils le feront après.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ils le feront après, mais ce ne sera plus utilement. Je sais qu’on devra suspendre la discussion générale, mais je demande que la suspension n’ait lieu que quand les orateurs qui veulent présenter des amendements les auront développés. Ce serait une injustice que de les priver de leur droit de présenter des amendements. Que ceux qui veulent prendre part à la discussion sans proposer d’amendements présentent leurs observations, que ceux qui veulent y prendre part et proposer des amendements les développent, la discussion suivra son cours.
Il y aura une suspension, mais cette suspension n’aura lieu que quand tous les amendements auront été proposés. Ils seront renvoyés alors à la section centrale qui pourra examiner le projet dans son ensemble. Si vous procédez autrement, la section centrale fera un rapport sur mon amendement, alors un autre député présentera un nouvel amendement dont on demandera encore le renvoi à la section centrale, et de renvoi en renvoi, de suspension en suspension, je ne sais où on ira et quand on finira.
Je demande donc que la discussion générale continue, principalement dans le but de permettre à chacun de déposer ses amendements
Je pense que la plupart déposeraient leurs amendements demain. La discussion pourrait être suspendue après la séance de demain.
Je sais qu’on pourra en présenter après le rapport de la section centrale, mais ceux-ci ne lui seront plus renvoyés.
M. de Brouckere. - Je ne vois aucun inconvénient à ce que, selon la motion de M. le ministre de l’intérieur, la discussion continue, pourvu qu’il soit bien entendu que la discussion ne sera pas fermée avant la présentation du rapport de la section centrale, et qu’après ce rapport elle continuera. Mais je dois manifester une crainte, c’est que peu d’orateurs veuillent parler avant ce rapport. Je désire, n’habitant pas Bruxelles, que la discussion aille aussi vite que possible mais s’il est décidé que la discussion générale sera continuée après le rapport de la section centrale, les orateurs inscrits ne voudront pas parler maintenant.
J’ai annoncé la présentation d’un amendement. Je suis persuadé que le ministre l’approuve, que toutes les personnes qui ont été à la tête d’un arrondissement ou d’une province seront de mon avis. Je ne puis improviser cet amendement, je ne puis pas promettre de le présenter pour demain ; mais si j’ai le temps, je le formulerai pour lundi. S’il n’y a pas séance, comme je n’y mets pas d’amour-propre, je l’enverrai directement à la section centrale.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Les orateurs qui renonceront pour le moment à la parole useront de leur droit, que je respecte. Mais je demande que l’on respecte aussi le droit qu’ont ceux qui veulent présenter des amendements.
Vous renoncez à la parole ; c’est un droit, usez-en, sauf à reprendre la parole après le rapport. Mais, je le répète, respectez le droit qu’a chacun de nous de présenter un amendement soit aujourd’hui, soit demain. Je dis que ce droit serait non pas violé, mais un peu restreint, si dès présent on prononçait la suspension de la discussion générale. Toujours, quand on a ordonné un renvoi a la section centrale, on a laissé le temps à chaque membre de présenter les amendements qu’il jugeait convenables.
M. Doignon. - C’est moi qui ai fait la proposition de suspendre la discussion, mais je n’ai entendu interdire à aucun des orateurs inscrits de prendre la parole s’ils le désirent, et de présenter des amendements. Je me rallierai donc à la proposition de M. de Brouckere, de continuer la discussion générale jusqu’après le rapport de la section centrale. De cette manière mon but est atteint. Comme il y a connexité entre le mode de nomination et les attributions du bourgmestre, ces deux questions doivent être discutées en même temps et elles ne le seront effectivement qu’après qu’on aura examiné le rapport de la section centrale sur les nouvelles propositions.
M. de Theux, rapporteur. - Dans tous les cas, il serait à désirer que demain on pût encore s’occuper de cette question, parce qu’aujourd’hui beaucoup de membres ont été pris à l’improviste par ce qui vient de se passer : il faut le temps de la réflexion ; d’ici à demain chacun pourra examiner la proposition nouvelle du ministre et présenter les amendements qu’il croira convenables.
Il serait à désirer qu’on adoptât ici l’usage établi en Angleterre, et qui a été quelquefois suivi en Belgique, de discuter quelques questions de principe. Si la chambre résolvait une question de principe, la section centrale aurait alors un canevas sur lequel elle pourrait travailler et vous présenter quelque chose de complet. Mais, quant à présent, son travail serait nécessairement un travail superficiel.
M. le président. - La motion est modifiée en ce sens que la discussion générale ne sera point close avant que la chambre n’ait reçu le rapport de la section centrale ; étant bien entendu que la discussion pourra alors s’établir sur ce rapport en même tempe que sur le projet actuellement en discussion.
S’il n’y a pas d’opposition, je déclare cette proposition adoptée.
Discussion générale
M. le président. - Nous continuons la discussion générale.
La parole est à M. de Mérode.
M. de Mérode. - Messieurs, malgré les amendements qu’on annonce, je continuerai à présenter des observations générales sur les institutions qui régissent les communes, puisque nous sommes dans la discussion de l’ensemble. De toutes les lois qui demandent à être modifiées, par suite d’une expérience de plusieurs années de pratiques, aucune n’est plus pressante à redresser dans quelques-unes de ses dispositions, que la loi communale. Le dommage qu’elle porte à la liberté et à l’ordre public n’est pas, il est vrai, d’une nature saillante comme ces catastrophes dont le récit vient récemment de remuer nos cœurs, mais ces un de ces maux sourds qui rongent et affaiblissent sans bruit et sans retentissement le corps social. Pour s’en convaincre, il suffit de remarquer avec quelle ardeur le génie du désordre s’oppose, par tous les organes qu’il possède en Belgique, au changement que réclament instamment la concorde et la paix. Dis-moi qui tu hantes, dit le proverbe, et je te dirai qui tu es ; dis-moi qui tu protèges, peut-on dire également, et je connaîtrai ton essence bonne ou mauvaise. Ce n’est pas, messieurs, que j’attribue à mes collègues, champions de la loi telle qu’elle existe des intentions perverses ; cette pensée n’est pas la mienne ; elle serait injuste ; je le proclame hautement ; mais il est de palpable notoriété que la presse entière amie de la licence, toute cette partie du journalisme qui, systématiquement et avec plus ou moins de violence ou d’adresse, cherche à démoraliser le pays, soutient avec non moins d’acharnement ce qu’on appelle les franchises communales, c’est-à-dire, l’occasion de remuer partout les esprits et de les mettre en état de lutte aussi général, aussi fréquent que possible.
En effet, messieurs, nulle tactique n’est plus propre à fatiguer les citoyens qui craignent l’antagonisme et le bruit que celle qui multiplie et augmente indéfiniment le pouvoir de l’élection. L’homme remuant, intrigant, ambitieux du pouvoir, ne manque jamais au rendez-vous du combat. Le particulier livré à ses affaires, à son travail, qui ne désire ni emploi, ni autorité sur les autres, et qui, par cela même, l’exerce avec modération quand elle lui incombe malgré lui, est bien moins empressé de paraître sur le champ de bataille, où la cabale déploie toute espèce d’armes et ne ménage rien. En théorie, rien de plus beau que l’élection, c’est-à-dire, l’investissement du pouvoir public par la confiance publique, mais en pratique, hélas ! quel désappointement ! Je ne comprenais pas, il y a quelques années, comment, dans tous les siècles et presque partout, l’humanité était livrée à l’absolutisme d’un empereur, d’un sultan, d’un roi, de chefs, maîtres et seigneurs, sous des qualifications diverses, je le conçois maintenant avec tristesse car la liberté vraie est un bien si noble et si précieux qu’elle mérite tout notre amour, et que, d’en voir le monde généralement privé, est pour les cœurs généreux un sujet de douleur et de profonds regrets.
Ne croyez pas, messieurs, que je vienne ici vous exprimer des sentiments de parade, et cacher sous des paroles libérales des intentions contraires. J’ai fait partie du gouvernement provisoire, aux risques et périls de ma famille, qui, pour son compte propre, n’avait rien à gagner à un changement politique. J’ai perdu un frère dans les combats de la révolution. Personne, dans cette enceinte, n’a dû subir un tel sacrifice, et ces antécédents ne sauraient s’effacer de la mémoire d’un homme qui n’était pas dans l’adolescence quand ils se sont réalisés. En 1830, j’avais près de quarante ans, et d’ailleurs est-ce à l’égard de mes compatriotes seuls que j’ai montré du zèle pour les martyrs du bon droit livrés à la violence d’un abusif pouvoir. Non, messieurs, toujours j’ai cordialement soutenu les intérêts des nobles défenseurs de la Pologne opprimée ; plus leur cause a été malheureuse, plus elle semble sans espérance, plus elle m’a paru sainte, moins je me suis disposé à oublier ceux qui lui restent dévoués. Pardonnez-moi cette courte justification personnelle : à entendre les adversaires du projet de réforme si nécessaire qui vous est soumis, ceux qui la désire vivement, et je suis de ce nombre, et je m’honore d’être de ce nombre, ne nourrissent que des projets liberticides, ils priveront le peuple de ses garanties, favoriseront la corruption électorale ; que sais-je ? ; ne vont-ils pas immoler la Belgique entière au bon plaisir, parce qu’ils ne reconnaissent pas comme franchise utile, un désordre flagrant que j’appelle sans détour et sans gêne le gâchis communal, le fléau de la paix publique, l’arme la plus dangereuse des artisans de discorde contre la liberté des citoyens inoffensifs et amis de la paix intérieure : tu n’apprécies pas ses bienfaits, donc tu abandonnes les droits du peuple que tu représentes ; donc tu vas le corrompue, l’avilir, le courber sous le joug.
Le premier orateur qui vous a parlé contre le projet a caractérisé en somme, par ce peu de mots, ses désastreux résultats intestins. « On n’en peut, vous a-t-il dit, douter un instant (ainsi le doute n’est pas même permis un moment), qu’avec le droit de le nommer hors du conseil, le bourgmestre serait dans tous les cas, comme on l’a déjà vu, à la merci de l’arbitraire, des erreurs et des faiblesses du gouvernement, à la merci de l’esprit de parti et des passions des hommes du pouvoir ; avec ce système toute ombre de liberté et d’indépendance doit s’anéantir chez ce magistrat. »
Ainsi, tout fonctionnaire nommé et révocable par le gouvernement voit toute ombre de liberté et d’indépendance s’évanouir chez lui. Qu’en dites-vous, gouverneurs de provinces, commissaires de districts, procureurs du Roi, qui siégez sur ces bancs où les électeurs vous ont appelés ? qu’en dit M. Van Cutsem, qui pourtant s’est exprimé comme la proposition du gouvernement avec un courage que l’on doit croire héroïque, si M. Doignon dit vrai.
Messieurs, l’indépendance louable (toute indépendance ne l’est pas) disparaît chez les fonctionnaires par bien des causes diverses en Belgique. Jusqu’à présent, ce n’est pas la crainte du gouvernement qui les inquiète, celui-ci se trouve surveillé, contenu de toutes parts, il a une responsabilité morale parce que ses actes sont des actes de personnes connues par leur nom, obligées de l’apposer au bas de leurs arrêtés.
Mais le pouvoir qui confère les places par élection, en est-il saisissable ? Où est la responsabilité de l’intrigue, de la cabale, qui joue un si grand rôle dans les élections, comme cela est de toute évidence ?
Elle n’est nulle part, et le citoyen vexé par un pouvoir exécutif élu, ne sait à qui s’en prendre. C’est là le grand vice du système de la loi communale actuelle, elle met le pouvoir exécutif à la merci de l’élection, et qu’est-ce que les résultats de l’élection partout où il y a deux opinions contraires ? C’est le triomphe de la majorité sur la minorité : cinquante votants sont dominés par 51 votants.
Est-il bon que les 51 votants aient le dessus non seulement pour la création du pouvoir délibérant de la commune, qui les représentera, mais aussi pour la nomination du pouvoir exécutif qui doit être chargé, et de faire obéir aux règlements communaux et aux lois générales bien plus importantes, émanées de l’autorité nationale, du Roi et des chambres législatives ; et croyez-vous que 40 électeurs communaux qui contre 60, par exemple, forment une minorité de deux cinquièmes n’ont pas droit à quelque garantie, à quelque protection contre leurs adversaires ? On la trouveront-ils cette garantie, cette protection, si tout dans la commune est livré à la majorité du conseil des bourgmestre et échevins, c’est-à-dire le pouvoir entier. Dans l’Etat constitutionnel, les individus qui appartiennent aux ministères subissent sans doute la loi de la majorité, mais ce n’est que, sous des rapports généraux ; les personnes ne sont pas en perpétuel contact comme dans la commune ; là, chaque jour, il faut supporter le vae victis, là il faut payer des centimes additionnels, des droits d’octrois pour des institutions que l’on regarde comme nuisibles et que le parti dominateur impose au parti dompté. Si un pouvoir exécutif, modérateur, venu d’une autre source ne peut changer le fond des choses, il en adoucit la forme, il exécute avec impartialité, il protège les uns comme les autres parce qu’après tout le pouvoir central, d’où émane cette autorité locale, désire être respecté de tous autant que possible et ne peut être aussi étroit que les coteries de ville ou de village.
Je ne parle pas ici dans l’intérêt de l’ordre administratif ; le produit de l’enquête, dont les détails sont consignés au Moniteur, est sous vos yeux. Mais je soutiens l’intérêt de la liberté, qui ne se conserve que par la division des pouvoirs. Or, il n’y a pas division et véritable équilibre des pouvoirs dans la commune sous le régime actuel, comme il y a division des pouvoirs dans l’Etat.
Le sénat et la chambre des représentants ne présentent pas au Roi un certain nombre de candidats ministres, dans lequel il est forcé de limiter son choix ; il prend les agents supérieurs dans les chambres, mais il les prend aussi au-dehors, dans tout le royaume, si le besoin l’exige. Les ministres ainsi nommés n’ont pas offusqué la représentation nationale, et cependant il est plus facile de trouver des ministres dans les deux chambres qu’un bourgmestre convenable dans beaucoup de conseils communaux ; Pourquoi donc les habitants d’une commune, membres du conseil communal, seraient-ils blessés de ne pas voir toujours choisi dans son sein le délégué du pouvoir exécutif ? Pourquoi les membres des états provinciaux ne sont-ils pas blessés de voir un gouverneur placé à la tète de la province sans même appartenir à la province ? Pourquoi ? Parce qu’heureusement on n’a pas imaginé cette combinaison restrictive du pouvoir royal. Si l’on eût admis, pendant quelques années, comme coutume obligatoire la nécessité de choisir le gouverneur de la province dans le conseil provincial, et qu’on jugeât bien entendu de revenir sur cette limite, les accusations de tendance à la corruption au pouvoir absolu se feraient entendre arec autant d’éclat sonore qu’à propos de l’abaissement d’une barrière funeste à la paix des communes, où c’est l’électeur qui maintenait jouit d’un empire abusif. Nous sommes ici dans la capitale du royaume, dans une ville de plus de cent mille âmes. Le Roi est censé posséder le droit de choisir un bourgmestre dans le conseil communal. Eh bien ! le droit est complètement illusoire, non point seulement parce que l’état des finances urbaines est embarrassé, mais parce que la plupart des conseillers communaux de Bruxelles ne peuvent être bourgmestres, soit à cause de leurs affaires propres, soit à cause de leurs fonctions judiciaires ou autres. J’honore infiniment M. le chevalier Wyns de Raucourt. Le gouvernement le voit sans doute avec plaisir au poste qu’il occupe ; mais, grâce au système exclusif de la loi communale, il est quasi indispensable, et cependant, qui croira que Bruxelles ne renferme plus d’hommes libres, capables de jouir aussi, comme bourgmestres, de la confiance des habitants. Ces hommes, sans doute, ne sont pas en grand nombre, mais on doit espérer qu’il en existe plus d’un ou deux dans toute la cité.
L’imperfection humaine entraîne, je le répète, pour assurer la plus grande liberté possible combinée avec l’ordre, la division des pouvoirs.
Dans l’ordre judicaire, celui qui fait la loi ne l’applique ni peu ni beaucoup. Que dirait-on d’un parlement qui prendrait une part quelconque au jugement des causes ? L’élection est bonne à produire un pouvoir délibérant ; elle est mauvaise quand elle produit un pouvoir d’exécution. C’est ce qui chez nous annule la garde civique. Des soldats qui nomment des officiers leur obéissent mal. Des administrés qui nomment leur administrateur deviennent des maîtres, et leur chef apparent subit leur influence, au lieu de leur imposer l’autorité des lois. Et comme celles-ci sont, après tout, destinées à protéger le faible contre le fort, le premier est toujours le plus exposé à souffrir quand elles n’ont point de tuteur indépendant de l’esprit factieux. Celui qui ressent davantage l’absence de police, c’est n’est pas à coup sûr le turbulent, car il en profite ; et si le pouvoir est quelque peu sous le coup de la turbulence, certes, c’est au détriment des gens tranquilles. Turbulence et élection sont malheureusement liées plus ou moins, comme arbitraire et autorité monarchique le sont également plus ou moins.
L’art gouvernemental consiste à combiner leur action réciproque, de laisser à l’élection l’autorité législative, la surveillance des actes du pouvoir agissant ; mais ne lui donnez jamais l’exécution des lois parce qu’elle y est impropre, elle lui est impropre parce qu’elle est sans responsabilité. En Amérique, on est assurément moins libre qu’en Belgique, à cause de l’absence de la royauté et de l’omnipotence de l’élection. Quand vous y déplairez aux masses, elles vous pillent, brûlent vos maisons et vous tuent quelquefois sans aucune répression. Un journal n’ose pas leur dire la vérité qui les choque, nul n’est assuré d’y conserver un emploi public pendant plusieurs années successives, comme chez nous. Faire de l’élection la panacée libérale par excellence, c’est vraiment tomber dans l’erreur la plus grossière ; elle a son rôle nécessaire dans un gouvernement modéré ; elle en est comme le sel si bien placé dans les aliments quand on n’en outre pas la dose, mais qui les rend insupportables quand on l’y jette à pleines mains. C’est ce que fait la loi communale actuelle, elle livre dans la commune presque tout à l’élection, la part de l’autorité royale n’y est pas nulle tout à fait, mais bien peu s’en faut.
Aussi est-ce dans la commune que règne le plus de désordre relatif. Partout ailleurs vous trouverez davantage aide et protection de l’autorité. Mais le pire de tous les résultats de l’élection, quand elle sort de ses limites, c’est l’antagonisme qu’elle porte avec elle, c’est son action dissolvante et le mépris croissant de l’autorité centrale ? Si les Américains du Nord n’ont pas de roi, ils n’ont pas davantage de nationalité compacte. Là où on voit un ancien président, appuyé par beaucoup de membres de la représentation, solliciter la rupture du lien national entre les provinces, peut-on croire qu’il existe un grand peuple devant fournir une longue carrière ?
Messieurs, pour intimider par la crainte de se contredire plusieurs d’entre vous, on a reproduit par la presse à satiété des opinions émises, il y a cinq ans, avant que l’expérience n’eût fait connaître les résultats des franchises communales. Ce procédé exige peu de logique et de raisons. Des fragments de journaux, des typographes qui en reproduisent parfois, en les tronquant, quelques colonnes, voilà tous les frais d’une polémique de pures personnalités, dont le but est de gêner les votes, en mettant les consciences en lutte avec les amours-propres.
Je ne connais, quant à moi, que deux espèces d’êtres dont les idées peuvent être immuables : les génies transcendants et les cerveaux sans intelligence. Les premiers savent tout d’avance, ou aveuglés par l’orgueil, les seconds ne veulent rien apprendre. Je n’ai pas la prétention d’appartenir à la première catégorie. Je tiens beaucoup à ne pas me ranger dans la seconde ; j’ai signé l’arrêté du gouvernement provisoire relatif aux administrateurs communaux en des circonstances différentes de celles où nous sommes. Eussé-je pensé, ce qui n’est point, qu’il contenait toute perfection gouvernementale sur la matière, j’aurais par la pratique reconnu mon erreur. Ma première ambition n’était pas de paraître infaillible, mais de servir le pays en conscience. Je voterai pour toutes les modifications qui tendront à rendre au pouvoir central le plus possible d’autorité exécutive dans la commune, voulant d’ailleurs conserver pleinement à l’élection ce qui concerne le pouvoir communal délibérant selon les vrais principes constitutionnels d’ordre et de liberté.
Plusieurs membres. - Bien ! Très bien
M. le président. - La parole est à M. Orts.
M. Orts. - Je renonce à la parole jusqu’à ce que la section centrale ait fait son rapport.
- La séance est levée à 4 heures un quart.