(Moniteur belge n°47, du 16 février 1842)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Renesse fait l'appel nominal à midi et quart.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse. - Les pétitions suivantes sont adressées à la chambre.
« Le conseil communal et les notables de la commune de Suxi (Luxembourg) demandent que cette commune soit réunie au canton de Neufchâteau. »
« Le conseil communal de Lemberge (Flandre orientale), demande que la commune de Bottelaere soit désignée pour le chef-lieu du canton d'Oosterzeele. »
« Le conseil communal de Harre (Luxembourg) demande que cette commune soit distraite de cette province pour être réunie à celle de Liége. »
« L’administration communale et des habitants notables de la comune de Morialmé demandent le maintien de la justice de paix de Walcourt. »
- Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet de loi sur la circonscription cantonale.
« Le sieur Parfait Pinget demande que les villes interviennent pour une part dans les frais de construction des chemins vicinaux. »
« Le sieur J.-B. Pools, ancien militaire à Woluwe-St.-Pierre, ayant obtenu du gouvernement français une pension de 100 francs en 1815, demande que-celle pension lui soit continuée. »
« Des pharmaciens des cantons de St.-Trond et de Looz (Limbourg) demandent la révision de la législation actuelle sur la pharmacie. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des débitants de boissons distillées de la ville d'Ath demandent l’abrogation de la loi du 18 mars 1838 sur l'abonnement pour la vente de boissons distillées. »
- Renvoi à M. le ministre des finances.
« Des marchandes et boutiquiers du hameau de Slykens, commune de Breedene, se plaignent de ce que le sieur de Clercq, conducteur des ponts et chaussées, y possède le monopole de la vente de toute sorte d’articles, et demandent que cet employé soit contraint à changer de résidence. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des maîtres de carrière à grès de Huppaie-Molembaix demandent la construction de la route décrétée de Wavre à Hannut. »
« Des hôteliers et aubergistes de la ville d'Anvers demandent que la chambre adopte une loi d'interprétation des dispositions des lois relatives à la contribution personnelle et au droit de patente. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Cogels. - Les pétitionnaires se plaignent d'une fausse application de la loi relative à la contribution personnelle et aux patentes. Je crois leurs plaintes fondées. Ils se sont déjà adressés plusieurs fois au gouvernement ; et comme ils ont fait maintenant leur déclaration d’après les principes qu'ils invoquent, et qui sont contraires à ceux que professe l'administration, il va en résulter des contestations entre celle-ci et les pétitionnaires.
Je demanderai donc que la commission des pétitions veuille bien nous faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
M. de Renesse, secrétaire, donne lecture de la lettre suivante :
« A Messieurs les président et membres de la Chambre des Représentants,
« Messieurs,
« Faisant usage du droit que l’art. 21 de la constitution nous donne, nous avons eu l’honneur de vous adresser, ainsi qu’au Roi et au sénat, au mois de janvier de l’année dernière, une pétition afin d’obtenir que la qualité de personne civile fût attribuée par une loi à l’Université catholique de Louvain. Deux honorables membres de la chambre, MM. Dubus aîné et Brabant, mus par l’intérêt qu’ils portent à cet établissement, ont eu la bonté de proposer un projet de loi tendant à nous accorder notre demande. La chambre a décidé que leur proposition sera prise en considération. Envoyée à l’examen des sections, elle y fut adoptée par 36 voix sur 44. La section centrale l’adopta à l’unanimité, avec quelques modifications accidentelles, après avoir, comme elle le dit dans son rapport, consacré plusieurs séances à débattre les principales questions de constitutionnalité et d’économie sociale qui s’y rattachent et après avoir exposé et analysé tous les systèmes, et abordé avec franchise toutes les objections sérieuses.
« Un accueil si favorable nous faisait espérer avec une ferme confiance que la loi proposée serait adoptée par les trois branches de la législature. Cependant notre pétition et la proposition de la loi qui en a été la suite, devinrent l’objet d’interprétations et d’attaques aussi inattendues que peu foncées. On prétendit que nous voulions obtenir un privilège exclusif et faire revivre d’anciens droits qui sont incompatibles avec nos lois ; on chercha même à faire croire que nous voulions entraver la marche du gouvernement… Ces desseins et d’autres plus absurdes encore, qu’on nous a prêtés, étaient loin de notre pensée ; car nous n’eûmes d’autre but que d’obtenir pour l’Université catholique une prérogative dont jouissent déjà les Universités de l’Etat, les séminaires, tous les conseils des hospices, tous les bureaux de bienfaisance, toutes les communes, toutes les églises et un grand nombre d’autres établissements d’utilité publique. Il nous semblait que les garanties d’ordre qu’offre l’Université de Louvain, les services qu’elle rend aux sciences et les avantages qu’elle procure au pays, l’en rendaient digne sur tous les rapports. Les jurisconsultes et des publicistes très distingués nous avaient d’ailleurs assurés que notre demande ne renfermait rien qui fût contraire aux lois ou à la constitution.
Quoique nous restions convaincus de la justice de notre demande, nous nous sommes néanmoins décidés à la retirer, afin d’empêcher qu’on ne continue à s’en servir pour alarmer les esprits, exciter la défiance et troubler l’union qui est si nécessaire au bien-être de la religion et de la patrie. C’est pourquoi nous vous prions, messieurs, de regarder comme non avenue la pétition que nous avons eu l’honneur de vous adresser ; nous nous faisons en même temps un devoir de témoigner à la chambre notre sincère et vive reconnaissance pour le bon accueil qu’elle a bien voulu lui faire.
« Nous sommes avec respect, messieurs,
« Vos très humbles et très et très obéissants serviteurs,
« En février 1842
« ENGLEBERT, cardinal-archevêque de Malines.
« CORNEILLE, évêque de Liége.
« FRANCOIS, évêque de Bruges.
« G.-J., évêque de Tournay.
« N1COLAS-JOSEPH, évêque de Namur.
« LOUS-JOSEPH, évêque de Gand. »
M. le président**.** - La parole est à M. Dubus (aîné).
M. Dubus (aîné). - Messieurs, la proposition que mon honorable ami, M. Brabant et moi, nous avons soumise à la chambre, nous l'avions faite pour satisfaire à la demande qui avait été adressée aux trois branches du pouvoir législatif par les fondateurs de l’université de Louvain.
Cette demande étant retirée, nous considérons notre proposition comme devenue sans objet.
M. le président. - Il est donnée acte de la déclaration de MM. Dubus et Brabant, ainsi que de celle de MM. les évêques.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je m'étais réservé, à la fin de la séance d'hier, d'ajouter quelques observations à celles que j'avais eu l'honneur de vous présenter.
Je crois d'abord devoir protester contre toutes les insinuations plus ou moins malveillantes qu’on a cherché à accréditer en dehors de cette chambre. Je regrette, messieurs, qu'au lieu d'avoir recours à toutes ces insinuations, on ne soit pas venu poser des faits ; je les aurais détruits, et facilement détruits. Je crois que toutes les personnes qui ont pris part à cette grande négociation sont restées pures ; je dois de nouveau exprimer mes regrets de ce que certaines insinuations aient été si facilement accueillies dans le pays.
L'honorable M. Osy m'a signalé hier un fait qui m'était inconnu, et qu'il m'est impossible d'éclaircir pour le moment ; je chercherai à l'éclaircir. Le gouvernement a payé le navire la British Queen 70,000 liv. st. D'après ce que l'honorable M. Osy dit, 65,000 liv. seulement auraient été remises aux actionnaires. Il y a donc ici une différence de 5,000 liv. Que sont-elles devenues ? Je l'ignore ; les 70,000 liv. st. ont été intégralement payées par le gouvernement ; elles l'ont été par ses agents ; les quittances en font foi.
Un deuxième fait qu'on a reproduit hier pour la seconde fois, est celui qui concerne l'indemnité allouée aux administrateurs. On a reconnu que cette indemnité n'est pas fixée à 8000 fr. d'une manière invariable, mais qu'elle peut arriver à un maximum de 8000 fr. On aurait dû encore ajouter que cette indemnité est le résultat d'un arrangement fait avec les administrateurs, arrangement d'après lequel ils jouissent d'un tantième de 2 p. c. Ce tantième, on y a mis une limite, c'est-à-dire qu'il ne peut dépasser 4000 fr. pour chacun.
Une indemnité de 8000 fr. pour les deux administrateurs, à raison de 2 p. c., suppose un fret de 400,000 fr. Eh bien, messieurs, je désire que la première année, surtout après toutes les préventions qu'on a cherché à répandre, le fret puisse s'élever à 400,000 fr. C'est dans cette hypothèse, et dans cette hypothèse seule que l'indemnité des administrateurs pourrait aller à 8,000 fr.
Il existe un troisième fait qui n'a pas été produit dans cette chambre, mais que je crois néanmoins nécessaire de démentir devant vous. On a supposé que la maison Baring et compagnie, à Londres, avait quelque intérêt dans la compagnie anglo-américaine qui vient de liquider. Ce fait est entièrement faux. La maison Baring et compagnie n'a aucun intérêt dans cette compagnie, Les statuts de cette maison de banque lui défendent d'avoir des actions dans une compagnie de ce genre.
Je passe maintenant aux observations que je désire ajouter à celles présentées hier en réponse à mon honorable prédécesseur, M. Liedts.
Dans un discours, très ingénieux sans doute, l'honorable M. Liedts a cherché à enlever à ses actes leur caractère véritable, et à donner aux miens un caractère tout nouveau. Peu de mots me suffiront pour rétablir les faits et les principes.
Le ministère précédent, au point de départ, a eu une grande question à examiner. Il l'a résolue, et la solution qu'il a donnée à cette question a dominé tous les événements subséquents.
Cette question est celle-ci : pouvait-on exécuter la loi du 29 juin 1840, par l'achat de navires ?
Cette question a été résolue par le ministère précédent d'une manière affirmative ; et en conséquence de cette solution, des pleins pouvoirs ont été donnés à notre ministre à Londres, constitué plénipotentiaire, avec adjonction officieuse d'un commissaire, M. Lejeune.
Les instructions renfermaient une réserve, mais cette réserve ne doit pas être prise d'une manière absolue. Il s'agissait d'en référer aux chambres, pour le cas où on achèterait les navires en sortant des calculs que vous connaissez et qui se trouvent à la fin du compte rendu, calculs d'après lesquels les deux navires ne devaient coûter que 3,600,000 francs, de sorte qu'on aurait eu un excédant de 2,000,000, pour suffire aux chances d'exploitation.
La réserve était faite dans une hypothèse, à savoir que le prix excéderait 3,600,000 fr. Les négociateurs ont été assez heureux pour faire l'achat dans les limites de 3,600,000 fr. Dès lors la réserve devenait sans objet ; c'est ainsi, messieurs, que les pleins pouvoirs ont été entendus.
Maintenant deux questions se présentent ; la première : fallait-il ratifier la convention du 17 mars 1841 ? La seconde : le cas échéant, pouvait-on se prévaloir de la clause résolutoire ?
Je réponds à la première question qu'il fallait ratifier la convention du 17 mars 1841, qu'on n'y était pas seulement moralement obligé, mais qu'on y était oblige en strict droit. On y était obligé en droit, parce que qu'une ratification entre parties qui se respectent, qui ont agi par plénipotentiaires investis de pleins pouvoirs, n'est subordonnée qu’à une seule question : le plénipotentiaire était-il investi de pleins pouvoirs, oui, ou non ; ce plénipotentiaire est-il sorti des pouvoirs qu'il avait ? C'est là la seule question à examiner. Or, je dis que le plénipotentiaire, M. Van de Weyer, n’est pas sorti de ses pouvoirs, n'a pas excédé ses instructions, en concluant la convention du 17 mars 1841. Dès lors, la ratification était obligatoire.
M. Rogier. - Et la clause résolutoire ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J'y viendrai. Je n'examine pas en ce moment la clause résolutoire ; j'examine la question de la ratification. Cette ratification était-elle due ? Je dis que oui. Le plénipotentiaire n'avait pas excédé ses pouvoirs ; il s'était renfermé dans ses instructions ; dès lors il y avait lieu de ratifier l'acte qu'il avait posé.
Messieurs, tous les auteurs sont d'accord à cet égard. Je me bornerai à vous donner lecture du commencement de l'article ratification qui se trouve dans le répertoire de Merlin.
« Si j'ai agi pour vous, dit-il, en vertu d'une procuration valable vous êtes obligé comme si vous aviez agi vous-même ; il devient superflu que vous ratifiiez ce que j'ai fait, pourvu que je n'aie point excédé le pouvoir que vous m'aviez donné. »
La ratification était donc devenue une obligation, dès qu'il était établi que le plénipotentiaire n’était pas sorti de ses pouvoirs.
Je sais qu'il y a des gouvernements qui, quoique ne pouvant se retrancher derrière un excès de pouvoirs de leurs plénipotentiaires, ont jugé à propos de ne pas ratifier les actes posés par ces derniers ; mais je dis que c'est là une absence de bonne foi. Nous aurions sans doute pu ne pas ratifier l'acte, mais le principe que je viens de développer ne restait pas moins vrai.
Messieurs, le ministère précédent devait ratifier la convention, et il l'aurait ratifiée s'il en eût eu le temps. Les délais expiraient le 28 avril ; le ministère s'est retiré le 14 avril. S'il était resté quelques jours de plus en fonctions, il eût ratifié l'acte. Cela résulte à l'évidence de la convention qu'il a conclue le 3 avril avec des capitalistes d'Anvers, et qu'il a conclue sans réserve, ce qui suppose la ratification.
Je passe, messieurs, à la seconde question. Pouvait-on, le cas échéant, user de la clause résolutoire ? Ici, messieurs, je conviens qu’en droit on pouvait en user. On pouvait dire : le cas de la résolution est arrivé, et nous voulons nous en prévaloir.
Mais, eu égard aux circonstances, eu égard surtout à la position de l’une des parties, le gouvernement belge, devait-on user de cette clause ? C'est là une question que je livre à votre impartialité ; à votre équité.
D'abord, messieurs, on se trompe sur la manière dont s'opère la résolution : lorsque la clause résolutoire existe, vous n'êtes pas dispensé de vous produire en justice. La partie adverse ayant invoqué les circonstances, vous auriez été forcé de paraître devant les tribunaux anglais, et vous auriez été jugés d'après les lois anglaises. Vous auriez donc eu un procès ; le gouvernement belge aurait paru devant les tribunaux anglais pour faire constater les faits, il est vrai, mais cette constatation aurait été accompagnée de circonstances plus ou moins désagréables pour la Belgique.
Ainsi, messieurs, la clause résolutoire n'opère pas tellement de plein droit qu'il suffise à l'une des parties de déclarer qu'elle s'en prévaut ; si l'autre partie juge convenable d'invoquer certaines circonstances, il faut que la partie qui se prévaut de la clause paraisse devant les tribunaux. Il en est de même dans notre pays.
Maintenant, messieurs, la question est de savoir si la clause résolutoire stipulée dans l'acte opère de plein droit au même point qu'elle opère en Belgique ; d'après le code civil, cette question doit être jugée, en Angleterre, commercialement ; d'après les principes de l'équité, j'ignore, et nul ne peut dire quel jugement aurait été porté ; j'admets même que le gouvernement belge eût obtenu gain de cause ; mais il aurait pu l’obtenir dans des termes tels qu'un gouvernement qui se respecte n'aurait pas accepté un jugement de ce genre. Ainsi, messieurs, en cas de refus de la part de la compagnie d'admettre l'exécution de la clause résolutoire, un procès était inévitable, et un procès avec tous les débats auxquels une semblable affaire devait donner lieu.
Je crois, messieurs, en avoir assez dit pour rétablir les questions telles qu'elles doivent être posées. Je n'ai pas décliné ma part de responsabilité,- mais je n'entends pas qu'on se jette dans cet autre extrême, de faire retomber sur moi toute la responsabilité. J'évite un autre extrême, et je me borne à dire qu'ici la responsabilité est commune entre les deux ministères ; que la part de l'un soit plus grande que la part de l'autre, c'est ce que je ne veux pas examiner ; ce serait me livrer à des récriminations ; mais je persiste à dire que la responsabilité est commune. Le ministère précédent se ferait une position par trop facile ; la British-Queen est acquise ; une expérience va être faite ; si l'essai est heureux, le ministère précédent revendiquerait l'acte ; si l'essai est malheureux, il l'attribuerait tout entier à ses successeurs. Il y aurait peu de générosité à se faire une position semblable ; la mienne deviendrait par trop ingrate.
M. Vandenbossche. - Messieurs, membre de la section centrale chargée de l'achat de la British Queen**,et de l'exploitation de la navigation transatlantique dans leurs rapports avec la loi du 29 juin 1840, je crois devoir développer à la chambre les motifs des votes que j'y ai émis, d'autant plus que je n'y ai pas toujours partagé l'opinion de mes honorables collègues, et que les mêmes motifs me serviront de guide dans cette grave discussion.
Une question préalable à résoudre est, à mon avis, celle de savoir si le ministère, par l'achat de la British Queen et la convention avec messieurs Le Jeune et Cateaux-Wattet, ait pu validement obliger l'Etat ?
A cet effet il s'agit d'examiner la loi, et de voir si elle autorisait le gouvernement à commettre ces actes.
La loi porte : Art. 1er : « Le gouvernement est autorisé à favoriser l'établissement d'un service de bateaux à vapeur entre la Belgique et les Etats-Unis. L'entreprise pourra comprendre d'autres lignes de navigation à vapeur, si l'utilité et la possibilité en sont reconnues. »
Si je ne consulte que la lettre de la loi, je me trouve déjà forcé de dénier au gouvernement l'autorisation d'exploiter ce service par lui-même et pour le compte de l'Etat. A mon avis le terme favoriser exclut toute idée d'ériger par soi-même. Favoriser un établissement et ériger soi-même l'établissement, sont à mes yeux deux propositions contraires qui ne peuvent pas simultanément être vraies.
Si je consulte l'esprit du législateur, il ne peut que me confirmer dans cette première opinion. Dans l'exposé des motifs de la loi, le ministre dit : « Nous venons donc, messieurs, vous demander les moyens d'établir entre la Belgique et les Etats-Unis, une ligne de bateaux à vapeur comme il en existe entre Bristol et la métropole du commerce américain, c'est-à-dire dirigée par une société particulière. »
Il y ajoute : « Toutefois, il ne s'agit pas de faire cette entreprise pour compte direct de l’Etat. »
Il en donne les motifs. « Quoi que bien éloignés, dit-il, d'admettre l'incapacité du gouvernement en fait d'exploitation, il nous a paru qu'il y avait des considérations de plus d'un genre, qui devaient engager à laisser l'entreprise aux soins de l'intérêt particulier ; mais il a été reconnu que les capitaux ne se rencontreraient pas sans le concours du gouvernement. »
Le ministre a répété à la section centrale de 1840, les mêmes sentiments. « Il est à remarquer, y a-t-il dit, que, si les avantages d'une entreprise aussi vaste sont incontestables pour l'industrie, ils sont cependant chanceux pour ceux qui la mettraient à exécution, et que ce n'est pas en Belgique que l'on peut espérer la voir se réaliser sans le concours du gouvernement. Dès lors il ne reste plus à examiner que le mode à préférer pour appliquer ce concours évidemment nécessaire. »
« 1° Prendre un intérêt dans l'entreprise ;
« 2° Garantir l'intérêt, à un certain taux, du capital engagé ;
« 3° Exécuter soi-même l'entreprise ;
« 4° Garantir le remboursement de leur capital aux actionnaires sont les quatre modes qui se présentent.
« Le gouvernement les examinera soigneusement, et il ne préférera définitivement l'un ou l'autre, qu'après les avoir mûrement examinés et appréciés. »
Vu que parmi cette énumération des modes, il se trouvait en 3e ligne l'exploitation directe par le gouvernement, un membre de la section centrale a voulu en conclure que le ministre auteur de la loi avait voulu se réserver ce mode, et que, par suite, le projet ayant été adopté tel qu'il avait été proposé, la loi, dans son esprit, autorisait le gouvernement à exploiter le service directement pour le compte de l'État.
Ces considérations, je n'ai pu les partager. Si le ministre avait pu nourrir la pensée d'exécuter lui-même l'entreprise pour le compte de l'Etat, ce ne pouvait être que moyennant de présenter à l'adoption de la chambre un tout autre projet de loi ; c'est ce qu’il déclare lui-même immédiatement après : « Mais, on le répète, dit-il, le 4e mode paraît, au premier aspect, le seul réalisable, parce que l'on est porté, quant à présent du moins, à considérer les deux premiers comme insuffisants, et le troisième comme trop onéreux et comme trop difficile à réaliser par suite de ce qu'il exige des sacrifices immédiats fort considérables ; et par suite de ce que, pour l'exécuter, il faut au gouvernement tout un personnel administratif et actif fort difficile à réunir, et qui, à l'expiration de l'entreprise, serait pour lui une source d'embarras.
« Il est à remarquer encore que la période de 14 années a été adoptée dans la prévision de la formation d'une société, et pour rendre la dépense moins sensible an trésor en la répartissant sur plusieurs années. »
La loi qu'on proposait était une loi de protection ; tandis que l'exploitation directe par le gouvernement eût exigé une loi de monopole. Le sacrifice qu'on demandait au pays était de 400,000 fr. par an ; suivant le ministre lui-même, l'exploitation directe par le gouvernement demandait des sacrifices immédiats beaucoup plus considérables ; de sorte que l'idée d'une exploitation directe pour le compte de l'Etat ne pouvait jamais se mettre en rapport avec la loi du 29 juin 1840.
Si on consulte le restant du rapport de la section centrale, si on consulte ensuite la discussion de la loi, on, ne trouve nulle part qu'un membre quelconque ait manifesté la pensée d'autoriser le gouvernement à organiser ce service de navigation pour le compte de l'Etat.
Un membre voulait même lui interdire jusqu'à une participation directe dans la société qu'on se proposait d'établir. L'honorable M. Mast de Vries, disait : « Dans tous les cas je refuserai mon vote au projet du gouvernement, s'il est intéressé dans l'entreprise, c'est-à-dire, s'il devient actionnaire. Je suis convaincu, dit-il, qu'une société fera beaucoup mieux ses affaires, si elle les fait pour son compte seulement, que si le gouvernement y intervient. »
D'où j'ai conclu que la lettre ainsi que l'esprit de la loi interdisaient au gouvernement d'exécuter soi-même l'entreprise. Et par suite, j'ai négativement répondu à la première question que la section centrale s'est posée, savoir : « Le gouvernement avait-il, en vertu de la loi du 29 juin 1840, le pouvoir d'exploiter le service de la navigation transatlantique, directement par lui-même, et sans la participation d'une société quelconque ? Et je crois encore devoir me tenir à ma première décision. »
La section centrale a ensuite posé une seconde question, savoir : « Si le gouvernement pouvait au moins intervenir dans la formation d'une société pour le service de la navigation transatlantique et participer aux bénéfices et aux pertes de l'entreprise, sous la condition que l'Etat ne serait pas engagé dans les pertes au-delà de la moyenne fixée par l'article 2 de la loi ? »
Cette question n'a pas rencontré d'opposition ; elle a été affirmativement résolue à l'unanimité des membres, et je ne pense pas devoir en développer les motifs.
Une troisième question, sur laquelle je n'ai pu me rallier à la majorité, a donné lieu à de longues discussions au sein de la section centrale. C'est celle de savoir si le gouvernement pouvait, pour favoriser l'établissement d'un service de bateaux à vapeur entre la Belgique et les Etats-Unis, engager, par anticipation, toutes les annuités des quatorze années, représentant la somme de 5,600,000 francs ?
Avant d'examiner cette question, il s'agit de bien se pénétrer du sens dans lequel elle a été posée.
S'il s'agissait d'un engagement conditionnel, d'engager, par exemple, les quatorze annuités de 400,000 fr. à une société, laquelle, de son côté, se serait engagée à continuer, pendant quatorze années, le service de la navigation, et sauf à cesser les paiements au cas qu'elle cesserait le service, je ne pense pas que la solution affirmative eût pu souffrir le moindre doute ou la moindre difficulté.
Mais tel n'est pas le sens. Il s'agit de savoir si le gouvernement était autorisé à engager, par anticipation et définitivement, toutes les annuités des quatorze années, représentant une somme de 5,600,000 fr., sans être assuré que le service de la navigation se trouverait continué pendant le même terme d'années ; de manière, enfin, que le service de navigation aurait pu cesser et se trouver abandonné la troisième ou la quatrième année de son institution, et que, ce nonobstant, le trésor de l'Etat se trouverait obligé à payer les 400,000 fr. par an, pendant toutes les années subséquentes, jusques et y compris la quatorzième, ensemble la somme de 5,600,000 fr. Voilà le sens que la section centrale a attaché à la question.
La question ainsi entendue, quelle doit être sa solution ?
L'art. 2, qui traite des sacrifices que la législature a bien voulu y consacrer, doit la résoudre. Il porte :
« La dépense à supporter de ce chef par le trésor public ne pourra excéder une somme moyenne de 400,000 fr. par an, pendant 14 années. »
Cet article, au premier aperçu, ne me paraît pas susceptible de doute sur sa portée. Il détermine un sacrifice annuel pour favoriser un service de bateaux à vapeur entre la Belgique et les Etats-Unis. Donc point de service, point de sacrifice ; et le service cessant, devait aussi cesser le sacrifice, tel était à mes yeux le sens naturel de l'art. 2.
Mes honorables collègues de la section centrale ne l'ont point envisagé d'un même œil. L'article autorisant une dépense de 400,000 fr. par an, pendant 14 armées, ils y ont trouvé l'équivalent d'une dépense de 5,600,000 fr. répartis en 14 annuités ; les termes de somme moyenne dont le législateur s'est servi, dans l'art. 2, semblent leur avoir donné un gros argument pour appuyer cette interprétation. Un membre soutenait qu'en matière de commerce les expressions de somme moyenne autorisaient de disposer, par anticipation, de toutes les annuités, sauf à en modérer les termes de paiements. Arrivés ainsi à reconnaître au gouvernement l'autorisation de par la loi, d’engager directement toutes les annuités, soit la somme de 5,600,000 fr., j'ai demandé si au moins, dans cette hypothèse, le gouvernement ne devait pas assurer au pays, que l’établissement et le service de la navigation auraient continué à exister pendant tout le terme des 14 années ; et on m'a répondu que non, attendu que l'art. 1er n'avait pas stipule de terme de durée à l'établissement du service.
Ces arguments n'ont point ébranlé mes primitives convictions. Je persiste à croire que le législateur n'a voulu autoriser qu'une dépense de 400,000 fr. par an, pendant 14 années, mais que par cette disposition, il n’a jamais entendu ni pu entendre d’autoriser une dépense de 5,600,000 fr. répartis en 14 annuités, et ici les termes de somme moyenne ont produit sur mon esprit un tout autre effet ; ils viennent, à mon avis, appuyer mon opinion ; en effet, en vertu de la loi, le ministre se trouvait autorisé à porter au budget pendant 14 années consécutives un crédit de 400,000 fr., affecté à favoriser la navigation transatlantique. Or je supposé que le ministre eût directement et irrévocablement engagé les 5,600,000 fr. ou la totalité des 14 années (comme mes adversaires veulent bien lui en reconnaître le pouvoir :) à quoi, dans cette hypothèse auraient servi les termes de somme moyenne. Ces termes signifient, de l'aveu de tout le monde, que les dépenses annuelles ne doivent pas être strictement uniformes, de manière que si l'une année, on a dépensé moins, on peut dépenser d'avantage l'autre. Or, à quoi servirait de payer tantôt plus, tantôt moins et de ne point payer annuellement toute la somme, si, dès le principe, les 14 annuités se trouvaient irrévocablement engagées ? Dans ce cas les termes de somme moyenne devenaient évidemment sans but et sans cause.
Le but de la loi du 29 juin était d'engager une société particulière à établir, entre la Belgique et les Etats-Unis, un service de navigation régulière par bateaux à vapeur. Cette entreprise toute nouvelle n'offrait point une certitude de succès. Pour déterminer une société à l'entreprendre le gouvernement devait l'encourager par des secours en argent, afin de la rassurer contre toute probabilité de perte et même de lui faire entrevoir des chances de bénéfices. L'entreprise pouvait offrir des pertes, notamment les premières années de son existence ; mais ces pertes devaient nécessairement varier, l'une année elles devaient être plus considérables que l'autre. De là, la dépense du gouvernement devait aussi subir les mêmes variations. Et voilà pourquoi, au lieu d'une somme fixe, la loi a autorisé la dépense d'une somme moyenne, de 400,000 francs par an. Les termes de somme moyenne, supposent que la somme de 400,000fr. ne sera pas tous les ans régulièrement dépensée, mais par contre ils supposent aussi qu'elle pourra être dépassée dans d'autres. Ces termes signifient ainsi que les sommes non dépensées resteront dans les caisses du trésor affectées au même objet, et pourront grossir de tout leur montant le subside ou secours de l'exercice suivant, mais nullement que le gouvernement serait autorisé à engager définitivement et par anticipation toutes les annuités ou même une somme plus considérable que celle qu'il puisse directement payer pendant l'exercice courant ; le gouvernement enfin, d'après la lettre et d'après l'esprit de la loi, ne peut point définitivement engager les exercices futurs ; pas même un seul de ces exercices.
Quant à l'article 1er, on a soutenu que le service de la navigation ne devait pas avoir la même durée que les sacrifices que la législature y a consacrés, par la raison que l'art. 1er n'avait pas déterminé le nombre d'années que l'établissement devait subsister. Mais l'établissement d'un service de bateaux à vapeur était conçue pour une durée indéfinie, l'article ne pouvait donc lui en assigner. En accordant un secours annuel pendant 14 années, le législateur n'a entendu le secourir que pendant les 14 premières années de son existence ; après ce terme, on était en droit de croire que l'établissement pourrait se suffire à lui-même et n'aurait plus besoin du secours du gouvernement. L'argument tiré de l'absence d'un terme de durée dans l'art. 1er n'a donc également pu exercer sur mon esprit la moindre influence.
Les discussions, au surplus, viennent partout confirmer mon opinion. A la chambre, sur l'interpellation de M. Rodenbach, le ministre a dit : « Pour répondre à l'interpellation de l'honorable membre, je dirai, messieurs, comme je l'ai déjà déclaré à la section centrale, que le gouvernement se réserve expressément de stipuler dans l'acte constitutif de la société, quelle qu'elle soit, qui entreprendra le service de bateaux à vapeur, le droit de dissoudre la société, et par conséquent de faire cesser le sacrifice que la nation s'impose dans l'intérêt du commerce et de l'industrie, alors que les résultats ne répondraient pas à notre attente et qu'une partie du fonds social, par exemple, les deux tiers ou la moitié seraient absorbés, sans que l'entreprise pût assurer au pays les avantages que s'en est promis le gouvernement ainsi que la plupart des chambres de commerce.»
Le même ministre avait dit encore : « Quelle que soit la société avec laquelle le gouvernement contracte, il prendra toutes les mesures pour n'engager, quoiqu'il arrive, que 400,000 francs par an. Le gouvernement ne peut, sans se compromettre, dépasser le chiffre accordé par la loi. »
Ces déclarations, le rapport de la section centrale ne peut que les appuyer, et on ne trouve nulle part qu'un membre quelconque ait voulu donner une autre portée à la loi.
Quelle que soit la société, le ministre se réserve le droit de la dissoudre et de faire cesser le sacrifice ; évidemment donc il ne peut engager au-delà de l'exercice présent, car il serait faux de dire qu'il se réserve le droit de faire cesser les sacrifices, lorsqu'il les aurait anticipativement engagés. - D'ailleurs le ministre déclare à un autre endroit que, quoi qu'il arrive, il n’engagera que 400,000 francs par an et il ajoute que ce serait se compromettre que de dépasser ce chiffre.
Tous ces motifs m'ont engage à répondre négativement à la 3° question posée.
Une 4° question fut posée comme suit :
« Le gouvernement a-t-il eu le pouvoir d'acquérir les deux navires, dont il s'agit, pour les mettre à la disposition d'une société ayant pour objet l'exploitation d'un service de navigation transatlantique ? »
Les mêmes motifs m'ont entraîné à donner à cette question une réponse également négative.
Une 5° question était celle-ci : « Le mode de payement tel qu'il a été stipulé dans la convention du 17 mars est-il légal, dans le sens de la loi du 29 juin 1840 ? »
Ce mode chargeait la dépense annuelle accordée par la législature, d'un service d'intérêts. Or, comme j'ai établi que le ministre ne pouvait pas engager les 400,000 francs pour les exercices futurs, j’ai du nécessairement en conclure qu'il ne pouvait pas les charger d'un service d'intérêts. J'y ai donc aussi répondu non.
Une 7° question : « Le gouvernement a-t-il outrepassé les pouvoirs que lui donnait la loi du 29 juin 1840, par la convention conclue avec la société Calcaux-Wattel et consorts, le 3 avril 1841 ? »
Cette convention se trouvant liée avec l'acquisition des deux steamers, j'ai répondu oui, sans entrer dans le mérite de la convention en elle-même.
On a encore posé une autre question relative au cabinet précédent : c'est celle-ci : « Peut-on considérer comme des actes de bonne administration le contrat d'acquisition du 17 mars, et la convention conclue avec MM. Cateaux-Wattel et consorts, du 3 avril, en supposant que le gouvernement eût eu le droit de conclure valablement ces actes ? »
Si le ministre avait agi dans le cercle de ses pouvoirs, si par conséquent il avait pu obliger le trésor public a en supporter les conséquences, et s'il avait définitivement acquis les deux steamers, j'aurais dû désapprouver sa conduite, car l'acquisition, à mes yeux, ne pouvait jamais être que désastreuse pour le pays. La question posée dans cette hypothèse, j'ai, de concert avec les autres membres de la section centrale, dit : non, on ne peut point les considérer comme des actes de bonne administration.
Personnellement, toutefois, la conduite du cabinet précédent au sujet qui nous occupe, me paraissait entièrement indifférente, vu que nous n'avions pas à prononcer sur ces actes.
Je tiens pour principe que la loi n'avait pas autorisé le ministre à acquérir ces deux steamers ni à contracter une convention où ses deux bateaux se trouvaient liés, par conséquent qu'il n'avait pas pu obliger l'État par ces actes. Si donc le ministère précédent était reste au pouvoir, si le Président n'avait pas péri, et si le ministre eût définitivement approuvé l'achat, comme représentant de la nation, je n'y serais en aucune manière intervenu et je les aurais laissés directement pour son compte.
Au reste le Président a péri, les conventions du 17 mars et du 3 avril sont venues à tomber ; nous n'avons donc plus à y prononcer, et par suite je ne crois pas devoir m'en occuper davantage.
C'est l'affaire de la British Queen seule qu'il s'agit d'examiner, soit en elle-même, soit dans ses rapports avec les actes du cabinet précédent.
Cet examen a donné lieu à une première question, savoir : « Le gouvernement a-t-il eu le pouvoir, en exécution de la loi du 29 juin 1840, d'acquérir la British Queen pour l'établissement d'un service de navigation transatlantique ? »
Conséquent avec mes principes que j'ai longuement développés, et que je crois avoir irréfragablement établis, savoir que le gouvernement, d'après la loi, ne pouvait définitivement engager par anticipation ni toutes les annuités, ni même une seule, j'ai dû répondre non à la question posée.
On a posé ensuite la question de savoir : Si dans les circonstances où se trouvait le cabinet actuel, il y avait, pour lui obligation morale de prendre livraison de la British-Queen ? Qu'il n'y avait pas d'obligation formelle, voilà ce dont tous les membres étaient d'accord. Mais encore faut-il connaître le sens dans lequel la question a été posée. Il s'est agi de savoir : Si dans les circonstances où se trouvait le cabinet actuel, à son avènement au pouvoir, et par suite des actes du cabinet précédent, il y avait pour lui obligation de prendre livraison de la British Queen ?
Cette question doit nécessairement se résoudre par les stipulations de la convention du 17 mars, et par les instructions que le cabinet précédent avait données à son ambassadeur à ce sujet.
La stipulation du contrat provisoire qui y a rapport porte : « Est-il par ces présentes de plus convenu que, dans le cas où l'un ou l'autre desdits bateaux à vapeur ne soit pas de retour au port de Londres ou de Liverpool avant ledit 24 mai prochain, ou bien dans le cas où l'un ou l'autre desdits bateaux à vapeur fera naufrage dans l'intervalle d'ici au 24 mai, ou subira des avaries importantes, telles qu'elles ne sauraient être réparées, afin que ledit bateau soit dans l'état ci-dessus stipulé pour être livré le 24 mai, ou dans le délai d'un mois à partir dudit jour, suivant les stipulations de ce contrat ci-dessus mentionnées, alors il sera licite et permis audit sieur Van de Weyer (mais toutefois, ledit sieur Van de Weyer n'y sera pas obligé) de prendre et accepter l'autre desdits bateaux à vapeur, à raison du prix de 71,700 1iv. st. payable en obligations du gouvernement belge, comme ci-dessus spécifiées aux termes (excepté seulement en ce qui regarde le prix) et conditions ci-dessus déclarés touchant celui des deux bateaux à vapeur avec ses accessoires, qui sera ainsi pris et accepté, comme ci-dessus dernièrement mentionné. »
C'est dans ce passage du contrat que le gouvernement dit avoir trouvé un marché quant à la British Queen, qu'il a cru devoir à la bonne foi de maintenir.
J'ai beau lire et relire le passage et tout le contrat, vainement j'y cherche le marché que le nouveau cabinet a cru y trouver. Si d'ailleurs j'examine les instructions du 9 février (et je ne trouve pas que M. Van de Weyer en ait reçu d'autres du cabinet précédent), vainement j'y cherche que le ministre eût jamais donné l'ordre ou insinué la pensée de faire stipuler la réserve de pouvoir prendre et accepter un seul des deux spécimens au cas que l'un ou l'autre serait venu à périr ou à subir des avaries importantes. Je ne trouve donc dans aucun acte posé ou passé sous le cabinet précédent, une obligation morale ni même une simple convenance pour le cabinet actuel d'acquérir ou de prendre livraison de la British Queen. Je me suis donc trouvé encore une fois dans l'obligation de répondre non à la question posée.
Ici je me suis trouvé seul de mon opinion, à la section centrale.
Le contrat du 17 mars, a-t-on dit, avait été indirectement ratifie par l'ancien cabinet. Cette circonstance, quoique délicate, je l'avoue, n'était pas, à mes yeux, pour le cabinet actuel, un motif suffisant pour définitivement le ratifier sans aucun examen préalable. Rien ne prouve, dit-on encore, que notre ministre plénipotentiaire se soit écarté des instructions qu'il avait reçues. Mais quant aux réservés stipulées, rien aussi ne prouve qu'il s'y est conformé. On veut alléguer pour preuve que son rapport du 23 mars n'a été l'objet d'aucune réclamation. Mais ces réserves ne compromettaient en aucune manière le gouvernement, et ainsi, quoiqu'elles eussent été faites à l’insu du gouvernement et contre sa volonté, elles ne pouvaient pas devenir l’objet d’une réclamation. La ratification, par le cabinet actuel, dit-on ensuite, n'était donc plus qu'une simple formalité, qu'il ne pouvait s'empêcher de remplir sans violer les usages reçus, sans blesser les convenances internationales. La ratification était stipulée comme faisant partie intégrante du contrat, le cabinet précédent ne l'avait pas donné, le cabinet actuel pouvait donc la refuser.
La non-ratification, dit-on encore, eût été un caprice indigne d'un gouvernement qui tient à se faire respecter, un désaveu injustifiable en droit et en fait de la conduite de notre ambassadeur, une dérision à l'égard de l'amirauté anglaise... Moi, j'envisage les devoirs du gouvernement d'une manière tout à fait opposée. C'est la ratification qui, à mes yeux, est un caprice indigne d’un gouvernement qui tient a se faire respecter., C'est notre ambassadeur qui paraît avoir insidieusement engagé le gouvernement précédent à acquérir les steamers ; dès lors il eût été de la dignité du gouvernement actuel de le désavouer, de le rappeler même, s'il le fallait, plutôt que de ratifier un achat si généralement désapprouvé, non pas du chef de mauvaise construction, mais notamment du chef de la monstrueuse grandeur de ces deux bâtiments. Et en tout cela je ne trouvais aucune dérision à l'égard de l'amirauté anglaise.
Mais tout ceci ne doit plus nous occuper, depuis la perte du Président. Pour appuyer l'acquisition de la British Queen**, la section centrale a trouvé dans la clause que j'ai rapportée un marché concernant la British Queen seule. Je n'y ai trouvé, moi, que la seule faculté d'en faire un marché, et même une faculté, qu'il n'avait pas été ordonné de stipuler.
La société anglo-américaine était légalement liée, dit-on, et ne pouvait disposer du navire restant avant que le gouvernement belge eût pris une détermination. Le gouvernement belge de son côté, était moralement tenu d'expliquer et d'exécuter la clause d'une manière loyale et rationnelle. Mais le gouvernement belge serait resté dans les termes de la loyauté et de la raison en refusant le navire. Tout ce que la loyauté exigeait, c'est qu'il ne fît point, pendant des semaines sur semaines, attendre sa réponse.
Dans l'incertitude, dit-on encore, la société anglo-américaine avait naturellement renoncé à tous les frais pour la British Queen, qui restait là immobile et sans profit dans le bassin de Liverpool. Cette allégation ne m'a point paru exacte, attendu qu'il était stipulé dans le contrat que la British Queen devait encore faire un voyage pour la société.
Je ne crois pas devoir donner de ma réponse négative de plus amples explications pour l'appuyer ; s'il reste encore un doute, qu'on lise le passage du contrat du 17 mars qui traite de l'objet, et notamment le nouveau contrat fait le 28 avril 1841 sous le cabinet actuel.
Justifier l'acquisition de la British Queen en face de la loi du 29 juin est, à mes yeux, impossible. Il ne s'agit donc, d'après moi, que de voir si la chambre veut décerner au ministère un bill d'indemnité. Pour moi, je ne m'y refuserais pas, sous certaines conditions cependant, et entre autres sous celle qu'il nous promette formellement de présenter à la chambre pendant la session actuelle un projet de loi sur la responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir.
Toutefois, j'attendrai de me prononcer sur ce point, ainsi que sur l’emploi qu’il conviendrait de faire de la British Queen**, au cas qu’on veuille bien l'acquérir au pays.
M. Vandensteen. - Messieurs, la question qui nous occupe est d'un haut enseignement, en ce qu'elle nous montre comment on peut, par l'interprétation forcée d'une loi, venir violenter l'opinion de la législature et entraîner le pays dans un système de dépense qui, dans la suite, peut lui devenir très funeste
Nous ne devons pas nous y tromper, messieurs ; toute cette question doit se résumer dans un vote d'une loi qui, si elle était admise, comme vous le propose la section centrale, pourrait entraîner la chambre au-delà de sa volonté ?
On a parlé beaucoup dans cette enceinte et hors de cette enceinte de la question de la British Queen. - Votre section centrale vous a présenté un long travail sur cette affaire. Après avoir établi les faits et essayé de résoudre les différentes questions qu'elle s'est posées, elle termine par vous avouer qu'après avoir examiné ce qui a été fait, elle a délibéré sur ce qu'il restait à faire.
Le marché est conclu, le prix du navire est payé, ce sont des faits accomplis, vous dit-elle. Aussi dans son opinion la chambre ne doit s'occuper que d'une chose, c'est d'aviser au moyen d'utiliser la British Queen ; elle s'exprime en ces termes : « Mais quant à l'emploi à faire du navire, la liberté de la législature subsiste toute entière, c'est à ce point qu'elle devrait surtout se porter, puisque là ses lumières peuvent être utiles en éclairant le gouvernement sur des dangers à conjurer, sur des améliorations à introduire. »
Vous le voyez donc, messieurs, de l'aveu même de la section centrale, vous devez accepter les faits malgré vous, forcément, quelque désastreux qu'ils puissent être ; aussi, la section voyant l'impossibilité où l'on se trouve placé de rompre le marché, vous propose une loi qui accorderait l'exploitation directe à l'Etat.
On vous demande aujourd’hui l'exécution d'un système qui avait été jugé impraticable, et par la chambre et par le gouvernement lui-même. Etait-ce bien là ce qu'on avait voulu en votant la loi du 29 juin 1840 ?
Evidemment non.
Le ministère, auteur du projet, le désirait-il ? Je ne le pense pas : car que lisons-nous dans l'exposé qui accompagne le projet de loi ? Toutefois, vous dit le gouvernement, « il ne s'agit pas de faire cette entreprise pour compte direct de l'Etat : quoique bien éloigné d'admettre l'incapacité du gouvernement en fait d'exploitation, il nous a paru qu’il y avait des considérations de plus d un genre, qui devaient engager à laisser l’entreprise aux soins de l’intérêt particulier. Mais il a été reconnu que les capitaux ne se rencontreraient pas sans le secours du gouvernement. »
Si nous nous reportons au sein de cette chambre, lors de la discussion de la loi, rencontrons-nous un autre langage ? loin de là.
« Maintenant que vous êtes fixés, vous dit M. le ministre, sur la somme nécessaire pour l'exploitation sérieuse et durable, il y a plusieurs modes d'exploiter et d'organiser le service. Le premier mode, ce serait l'exploitation directe par le gouvernement : mais en supposant que le pays voulût s'imposer d'un seul trait une dépense aussi forte, en supposant que vous voulussiez établir en Amérique et dans ce pays tout le personnel convenable, il y a un élément qui manque au gouvernement, c'est l'élément commercial. Il ne s'agit pas ici, comme pour le chemin de fer, de créer simplement la voie de communication, de créer des bureaux, il faut encore savoir où créer des relations de commerce qui mettent la société en rapport avec les principaux établissements de l'Amérique et de l'Europe. Le gouvernement ne possède pas ces éléments. Il faut donc que ce soient des négociants qui soient à la tête de ces établissements pour les faire prospérer. »
Telles sont les paroles prononcées par M. le ministre.
Si l'on voulait lire les discours prononcés par les différents membres de cette chambre qui ont pris la parole à cette occasion, on trouverait la même pensée.
Vous voyez donc, messieurs, qu'alors ni le gouvernement ni la chambre ne supposèrent la possibilité d'organiser ce service pour compte direct de l'Etat, qu'un tel système était jugé inadmissible, peut-être même dangereux.
Comment se fait-il donc que, quelques mois après le vote de la loi, qui condamnait un tel système, on soit amené à demander votre concours pour autoriser l'exécution de ce même système, qui devait, de l'aveu du gouvernement imposer une dépense si forte et pour la réussite duquel une des conditions essentielles manquait, l'élément commercial.
Toutes ces causes inadmissibles alors sont-elles disparues ? la position de la question est-elle changée ? le but que l'on se propose est-il tout autre ? Evidemment non.
Deux causes, suivant moi, ont produit ce résultat. La première trouve sa source dans le peu d'étude qu'avait subi le projet lors de sa présentation à la législature. Cela est si vrai, messieurs, que telle a été l'opinion de plusieurs de nos honorables collègues, lors de la discussion de la loi.
Qu'il me soit permis, à ce sujet, de vous citer un passage fort remarquable du discours de l'honorable M. Milcamps.
Il avait fait partie de la section centrale ; voici comment il s'exprimait :
« Après avoir lu l'exposé des motifs, les avis des chambres de commerce, assisté à toutes les discussions de la section centrale, entendu les explications de M. le ministre, je ne me suis pas trouve en état de voter dans le sein de cette section. Depuis j'ai vu le rapport de la section centrale, les pétitions et les journaux, et tout me paraît encore dans le vague : propositions vagues, promesses brillantes, discours vagues, raisonnements vagues, rien de fixé, de déterminé : et il ne pourrait en être autrement puisque nous manquons d'éléments. Je regrette, ajoute M. Milcamps, la précipitation que nous mettons dans l'examen de cette entreprise. Il importait que la chambre connût la pensée du gouvernement sur la direction à y donner, la manière de l'exécuter… »
L'honorable M. Dumortier, dans une séance suivante, vous faisant part de son opinion à cet égard, vous disait : « J'ai eu l'honneur de faire remarquer à l'assemblée que le projet qui nous occupe ne me paraît pas avoir été élaboré avec toute la maturité possible. M. le ministre des affaires étrangères a contesté cette assertion ; cependant je n'ai parlé de la sorte, que d'après les déclarations de M. le ministre de l'intérieur. »
Croyez-vous, messieurs, que ces honorables membres étaient si éloignés de la vérité, lorsqu'ils vous disaient que le projet n'avait point été assez élaboré, et que la chambre, dans un désir louable, il est vrai, de faire quelque chose d'utile pour le commerce, avait mis un peu de précipitation dans l'examen de cette question ?
Les faits se sont-ils accomplis, les prévisions de l'honorable M. Milcamps se sont-elles réalisées ? Je livre ces faits à l'appréciation de la chambre. La seconde cause, qui a amené la position dans laquelle nous nous trouvons, est que, selon moi, on a voulu attribuer à la faveur que la loi accordait à l'établissement d'une navigation transatlantique une tout autre portée que celle qui devait lui être donnée suivant l'intention de la chambre. Je viens de vous démontrer par les paroles mêmes du ministre de l'intérieur qu'en employant le mot favoriser on l'a fait à dessein et par opposition au mot créer.
Evidemment la position est différente, pour celui qui contracte l'engagement, de créer une société, ou de celui qui s'engage seulement à favoriser. L'un court les chances heureuses ou malheureuses de son entreprise : l'autre, au contraire, n'est engagé que dans les limites de la protection qu'il entend accorder. Aussi, je vous l'avoue, je crois que la chambre, en écartant l'amendement de la section centrale, qui fixait si nettement la position du gouvernement dans ses rapports avec la société qui aurait eu l'exploitation, a eu plutôt l'intention d'écarter les chiffres de 200,000 fr., que le rejet du système de simple subside.
Je suis d'autant plus fortifié dans cette opinion, lorsque je me reporte au discours prononcé par M. le ministre. Voici ses paroles. « Si je ne puis me rallier à la proposition de la section centrale, je ne m'en félicite pas moins pour mon pays, de ce que cette section centrale ait cru devoir, après un mûr examen, adopter le principe du gouvernement et vous en proposer l'adoption, sauf une modification dans le chiffre nécessaire pour subsidier la société qui se chargeait de l'exploitation. Tout en contestant le chiffre du gouvernement, on reconnaît donc l'utilité d'un service des bateaux à vapeur transatlantique. » Dès le principe de son discours M. le ministre s'attache beaucoup plus à réfuter le chiffre de 200,000 fr. proposé par la section que le système en lui-même. L'amendement de la section centrale n'ayant été examiné que sous un seul point de vue, il en est résulté que les partisans du système de navigation transatlantique, dans la crainte de ne pas voir le projet de loi se réaliser, ont écarté la proposition de la section centrale, la somme de 200,000 fr. répartie sur vingt exercices leur paraissant insuffisante.
Qu'est-il arrivé de ce vote ? qu'on a fait une loi qui ne définit plus quel est le degré de faveur que le gouvernement doit accorder à la société exploitante.
Ceci est si vrai que votre section centrale, du moment où elle veut mettre en rapport l'article 2 de la loi avec l'article 1er, ne peut le faire et se voit obligée de vous détailler fort longuement les différents systèmes d'interprétation qui ont été produits par les membres qui composent la section centrale. Ce résultat se reproduira toutes les fois qu'on voudra en arriver à l'application de la loi telle qu'elle existe aujourd'hui,
L'on ne sortira de cette difficulté que lorsqu'on aura défini d'une manière nette et précise quelle doit être la position du gouvernement vis-à-vis de la société qui se chargera de l'exploitation.
C'est ce que la section avait bien compris, en disant que le gouvernement ne pourrait intervenir que par mode de subside.
Cette difficulté d'application est si réelle que, dans l'espèce on a dû, pour satisfaire au contrat, passé le 17 mars 1841, adopter un mode de paiement irrégulier et violer de la manière la plus flagrante de la loi financière de 1830.
Sans avoir voulu passer en revue les différents actes qui ont précédé le contrat d’acquisition, j’ai cru qu’il était utile de signaler quelles avaient été, suivant moi, les causes qui avaient pu conduire les résultats que nous connaissons. L'une vient du peu d'étude qu'avait subi le projet, l'autre, de ce qu'on a perdu de vue les engagements pris dans cette chambre lors de la présentation du projet de loi,
Deux autres points de la question pourraient encore être traités avec fruit, pour l'avenir. Je me bornerai simplement à les indiquer.
Le premier est relatif à la faute qu'on a commise en ne consultant pas la législature dans une question qui présentait du doute, dès que le doute existait, et ce fait ne peut être nié.
On devait consulter la chambre qui, se trouvant réunie à cette époque, pouvait exprimer sa pensée sur l'interprétation qu'il convenait de donner à la loi. Elle jugeait l'état de la question, se prononçait en connaissance de cause, et non pas en présence de faits accomplis en dehors de sa volonté, comme elle est forcée de le faire aujourd'hui.
L'autre, d'avoir voulu donner un caractère diplomatique à une simple négociation commerciale qui pouvait très bien se traiter par l'intermédiaire d'agents envoyés ad hoc.
Il y a dans ce fait une faute capitale. Je suis loin de dire que l'on ne peut utiliser nos agents à l'étranger dans ces sortes de négociations, pour obtenir les renseignements jugés nécessaires. Telle n'est pas ma pensée : mais autre chose est de prendre leur avis ou de les faire intervenir au nom du pays dans de semblables actes. Sous ce point de vue, le cabinet a commis une faute, car en dernière analyse que sont les résultats pour le pays de ces négociations dirigées de si haut ? La section centrale vous le dit : « C'est d'avoir exercé une violence morale sur l'esprit du gouvernement. » Sommes-nous donc obligés d'accepter les faits tels qu'ils sont ?
Le cabinet vient exposer à la législature l'état de la question, et vous dit : Voilà ce qui s'est passé, voici ce que j'ai fait : Jugez.
De tout ce raisonnement qu'en résulte-t-il ? C'est que le pays seul se trouve victime de cette manière d'agir.
J'arrive, messieurs, à la proposition de la section centrale, qui consiste à accorder pour une année au gouvernement l'exploitation de la British Queen.
Le raisonnement le plus fort qu'elle vous présente est celui qui consiste à dire que puisque le navire a coûte près de 2,000,000 fr., que le prix en est payé, il faut accorder encore 250,000 fr. au gouvernement pour le mettre à même d'utiliser ce navire.
Ces motifs ne me paraissent point très concluants, je vous l'avoue.
Et qui vous dit que l'année prochaine, avant peut-être, le gouvernement ne viendra vous tenir le même langage ? Une telle manière d’agir me paraîtrait d'autant plus rationnelle alors, que vous auriez majoré cette année d'une somme de 250,000 francs, celle de 2,000,000 fr.
Ce n'est qu'un essai, vous dit-on. J'admets que ce ne soit qu'un essai.
Mais croyez-vous que cet essai ne tuera pas notre navigation, bien loin de la favoriser ? Evidemment si l'essai est malheureux, vous ne trouverez pas une société qui se hasardera à pareille entreprise. Que devient alors la promesse de M. le ministre, qui consiste à faire après l'essai un nouvel appel aux capitalistes pour l'exploitation par l'intermédiaire d'une société ?
Cette promesse deviendra par la force des choses illusoire. Que devient alors votre navigation ?
Votre section centrale elle-même condamne d'une manière péremptoire le système d'exploitation pour le compte de l'Etat. Quand il s'agit de discuter vous dit-elle : « Les principes de la loi du 29 juin, le gouvernement lui-même a reconnu qu'il existe en pratique des obstacles sérieux à l'exploitation directe par l'Etat. Or, de la manière dont le service est projeté, il se fera par le gouvernement et pour son compte direct. La section centrale ne saurait approuver au point de vue administratif, ce mode d'exploitation qu'elle a déjà eu occasion de condamner sous le rapport de la légalité. Elle croit qu'il n'est ni prudent ni avantageux que l’Etat se fasse armateur, elle désire que la position du gouvernement soit changée, et qu'il soit fait un appel à des sociétés qui se chargeraient à forfait et à l’aide d'un certain subside de l'exploitation du service de navigation transatlantique. »
Il n'est ni prudent ni avantageux pour l'Etat qu'il se fasse armateur. Voilà l'opinion de votre section centrale, et malgré cette profonde conviction, elle vient proposer l'adoption d'un projet qui donne pour un an la direction de cette exploitation au gouvernement.
Quant à moi, messieurs, je suis de l'opinion de ceux qui pensent que l'essai ne doit point être tenté par le gouvernement ; car,comme je vous l'ai dit, il sera impossible plus tard de trouver une société qui veuille continuer un service que l'Etat aura dû abandonner comme étant reconnu trop onéreux. Dans mon opinion, je crois servir d'une manière beaucoup plus certaine les intérêts du commerce de mon pays, en engageant la chambre à résoudre la question en ces termes, qui ne sont, du reste, que la reproduction de l'opinion formulée par votre section centrale.
La chambre croyant qu'il n'est ni prudent ni avantageux que l'Etat se charge pour son compte de l'exploitation du service des bateaux à vapeur transatlantique, entend qu'il soit fait un appel à des sociétés, qui se chargeraient à forfait et à l'aide d'un certain subside de l'exploitation.
Quant à l'usage qu'il convient de faire du navire British-Queen, si le gouvernement ne peut le faire accepter, pour la somme qu'il croira convenable, par la société exploitante, la chambre veut qu'il soit vendu.
En procédant autrement, nous pouvons nous engager dans une voie qui finira par être très préjudiciable aux intérêts du trésor. Car aujourd'hui on nous demande 250,000 fr. pour un essai. Quelles seront les propositions qui vous seront faites dans un an par le gouvernement ? Je l'ignore.
Si nous autorisons aujourd'hui un essai, nous prenons un engagement pour la suite.
Quant à moi, je ne puis me rallier à la proposition de votre section centrale, qui accorde au gouvernement l'exploitation directe.
Pour ce qui est de la question de légalité, j'attendrai les propositions qui seront faites.
M. Rogier. - Au mois de juin de 1840, la chambre des représentants adopta, à la majorité de 52 voix contre 10, une loi qui avait pour but de favoriser l'établissement d'un service de bateaux à vapeur entre la Belgique et les Etats-Unis. La pensée, messieurs, qui avait présidé à la proposition de cette loi est qualifiée par la section centrale elle-même de pensée de haute utilité pour le pays. A cette époque, personne dans cette enceinte, ou au moins bien peu de membres, révoquaient en doute l'utilité de l'entreprise. Il s'agissait, en effet, d'ouvrir un débouché immense à nos produits ; il s'agissait d'ouvrir des relations directes avec les Etats-Unis, et il s'agissait de jeter chez nous les bases d'un transit considérable, de compléter le système de nos chemins de fer, enfin de créer pour le commerce et l'industrie une ère nouvelle.
Voilà, messieurs, quelles étaient les idées qui dominaient les auteurs de la loi du mois de juin. Ces principes furent admis par les chambres, et telle était l'opinion favorable qui accueillit une semblable entreprise, que cette année encore, tout récemment et malgré l'espèce de défaveur dont on a cherché à entourer depuis l'exploitation des bateaux à vapeur transatlantiques, malgré les préventions de toute espèce qu'on a répandues sur la loi et sur la manière dont elle a été exécutée, malgré tous ces obstacles, la chambre n'a pas hésité à voter un crédit pour donner en quelque sorte des embranchements au système.
Ainsi, messieurs, au budget de l'intérieur de cette année vous avez voté une somme de 100,000 francs pour favoriser, non plus cette fois l'établissement d'une navigation transatlantique à la vapeur, mais une navigation continentale. Vous reconnaissiez vous-mêmes à tel point l'utilité du principe dont il s'agit, que déjà, un peu prématurément suivant moi, vous avez voulu en développer les conséquences.
Pour établir d'une manière efficace et vraiment utile la navigation transatlantique, deux bateaux, au moins, étaient nécessaires ; pour favoriser l'établissement de cette navigation au moyen de deux bateaux à vapeur, la chambre ne craignit pas d'imposer à l'Etat une charge de 5,600,000 francs, à répartir sur 14 années.
Aujourd'hui,on vient proposer de continuer la navigation transatlantique, non plus à l'aide de deux bateaux à vapeur, mais à l'aide d’un seul bateau, et l'on propose de réduire la dépense de 5,600,000 fr. à la moitié de cette somme à peu près. Au prestige dont on avait entouré la loi du 29 juin 1840, on vient substituer les récriminations, les préventions, les calomnies de toute espèce. La section centrale elle-même, tout en faisant cette proposition, la motive de la manière suivante :
« Est-ce à dire que la section centrale ait foi dans l'avenir immédiat du service de navigation qu'il s'agit d'organiser, et qu'elle en espère d'éclatants succès ? Non ; lors des premiers voyages surtout, on doit s'attendre à des résultats peu favorables. D'abord, le transport des lettres et dépêches, dont le produit est si important pour les steamers anglais, sera à peu près nul pour notre navire. - Le transport des passagers, du moins au début de l'entreprise, sera peu productif aussi, parce que nous avons eu, jusqu'à ce jour, peu de relations avec l’Amérique du Nord. Ensuite, les voyageurs de première classe, surtout, aimeront mieux s'embarquer en Angleterre que de s'exposer aux dangers de la navigation dans le Pas-de-Calais et dans la Manche, et d’éprouver les retards occasionnés tant par la navigation sur l’Escaut et par le pilotage devant ce fleuve, que par la relâche projetée dans l'un des ports de l'Angleterre. – Sur le transport des marchandises l’on ne peut fonder non plus de grandes espérances, etc. »
Voilà, messieurs, par quelles idées la section centrale est dominée, quels encouragements elle présente aux essais qu'elle propose de faire. Je ne sais si cette opinion a été inspirée à la section centrale, ou si la section centrale l'a puisée dans ses propres lumières, mais ne devrait-on pas s'étonner de la retrouver dans le discours d'un honorable préopinant qui aime à se poser comme le représentant du commerce anversois ? Voici, messieurs, entre autres paroles singulièrement favorables à l'entreprise, ce qu'a dit l'honorable M. Osy sur la navigation transatlantique par l'Escaut.
« L'homme expérimenté que j'ai consulté m'a encore observé qu'il y a une grande différence de navigation, toutes choses d'ailleurs égales, entre Liverpool et New-York et entre Anvers et New-York.
« En sortant de Liverpool, la traversée de l'Atlantique commence, et il suffit de suivre, autant que possible, la ligne des vents réguliers des diverses époques de l'année, pour tirer le meilleur parti des machines et de la voilure. Il n'en est pas de même pour la navigation de la Belgique ; en partant d'Anvers, il faut d'abord suivre le cours de l'Escaut, franchir tous les dangers des bancs qui l'obstruent sur divers points jusqu'a son embouchure, franchir les bancs de Flandre, faire tout le parcours du chenal de la Manche, pour enfin arriver à la hauteur de Liverpool. Là seulement commence l'égalité de route. Il faut admettre, pour cette première partie du trajet, une suite de temps favorable, ce qu'on ne peut pas toujours se promettre, et il doit en être de même au retour dans les atterrages. Il aura donc de plus grands risques à courir et à couvrir ; ces risques seront en raison de la grandeur des bâtiments et de leur tirant d'eau. »
Voilà, messieurs, de quelle manière on recommande déjà l'entreprise. Je sais fort bien que ceux qui la recommandent de cette manière-là n'en veulent pas du tout ; je sais fort bien que s'ils l'avaient faite eux-mêmes, ils auraient vu disparaître tous les obstacles ; mais comme l'entreprise ne se fait pas par eux, il y a des bancs de sable de tous côtés, la navigation devient impraticable.
Messieurs, on cherche en vain les motifs de ce revirement dans l'opinion, par quelles circonstances une loi qui était d'une haute utilité, au mois de juin 1840, deviendrait aujourd’hui une détestable spéculation ; que s'est-il donc passé depuis le mois de juin 1840 ? Deux cabinets ont pris part à l'exécution de la loi ; l'un, c'était celui dont j'avais l'honneur de faire partie, a cherché à faire exécuter la loi au moyen de deux navires qui devaient être mis à la disposition d'une société d'Anvers. Ce cabinet s'est retiré sans rien conclure ; il a laissé la loi intacte, le crédit intact, le principe intact ; l'autre a fait l'acquisition d'un navire qu'il a cru devoir payer comptant, et parce qu'un ministère a cru devoir faire cette acquisition, toute l'entreprise est devenue détestable, c'est la perte, la ruine du pays, une véritable duperie, de telle manière que si rien n'avait été fait, aucun acte posé par le cabinet actuel, les motifs de réprobation viendraient tout aussi à propos que maintenant ; car, enfin, ce n'est pas parce que le ministère actuel a fait l'acquisition du British Queen, que la navigation à la vapeur vers les Etats-Unis serait devenue une entreprise fatale au pays.
Messieurs, je n'entends point répudier, pour mon compte, la part et la part large qui a été prise par l'ancien ministère à l'exécution de la loi, mais je soutiens que le ministère actuel n'était en aucune manière lié, ni en droit ni en morale, par les actes de l'ancien ministère. L'ancien ministère a procédé avec la plus grande circonspection, et, le dirai-je ? avec une sorte de timidité, dans l'exécution de la loi. Dès le 5 et le 7 juillet il fit un appel aux armateurs, négociants, capitalistes ; il s'agissait d'établir la navigation au moyen de deux bateaux à vapeur, à la condition de dix départs et dix retours au moins par année ; ceux à qui on s'adressait avaient jusqu'au 5 août pour répondre. Trois sociétés avaient fait des propositions, même avant la promulgation de la loi. L'une de ces sociétés était composée de trois négociants notables d'Anvers ; la deuxième était la Société dite Anversoise, dont un honorable député a parlé hier ; la troisième enfin était une société française. Les propositions de ces trois sociétés furent examinées avec le plus grand soin par le cabinet d'alors. L'honorable M. Liedts a fait connaître hier les motifs pour lesquels il n'a pas pu accepter les soumissions de la société Anversoise. Il suffit de prendre connaissance de l'analyse de ces motifs dans le rapport de M. le ministre de l'intérieur, pour se convaincre que le gouvernement aurait été véritablement la risée du public, comme on le disait hier, s'il avait pu tomber dans le piége qu'on lui tendait.
Cependant, comme cette société se présentait sous un aspect tout à fait nouveau et attrayant, il fallait bien examiner ses propositions ; comme on vous l'a dit hier, ces propositions n'auraient eu qu'un but, celui de l'utilité publique ; les hommes qui étaient à la tête de cette société montraient le plus grand désintéressement ; ils ne voulaient, pour ainsi dire, participer à aucun bénéfice.
Comme le plus grand grief que l'honorable M. Osy ait articulé contre les actes de l'ancien et du nouveaux cabinet, semble procéder du refus fait aux propositions de la société Anversoise, il faut bien examiner eu peu de mots en quoi, consistaient ces propositions.
Il s'agissait d'une société anonyme, ayant ce caractère particulier qu'elle annonçait n'avoir d'autre but que l'utilité publique. Cependant nous voyons qu'elle procède absolument comme les sociétés anonymes ordinaires. « Elle se forme (art. 1er) au capital de 6 millions. Ceux qui la proposent en seront les administrateurs fondateurs ;………. »
Ils apportent, outre leurs personnes, leur matériel, c'est-à-dire trois bateaux à vapeur, dont, paraît-il, ils ne savaient plus que faire. Il s'agit de la navigation transatlantique ; que viennent-ils offrir au gouvernement ? Trois bateaux à vapeur employés au cabotage.
Indépendamment de cela, on offre au gouvernement deux autres bateaux à vapeur, et même peut-être un troisième, pourvu que le gouvernement garantisse l'intérêt et l'amortissement du capital de 6 millions de francs.
Messieurs, d'après les calculs qui vous ont été présentés hier par l'honorable M. Osy, et dont je conteste formellement l'exactitude, il était impossible, à la société d'exploiter, à l'aide du subside qu'elle demandait, ses deux ou trois bateaux à vapeur transatlantiques, outre ses trois bateaux à vapeurs européens.
D'après le compte présenté hier par M. Osy, la seule exploitation du British-Queen coûterait par année 650,000 francs au trésor ; et l'honorable M. Osy venait proposer, au nom de la société Anversoise, l'exploitation d'abord de 3 bateaux à vapeur pour la navigation du cabotage, et puis de 3 bateaux à vapeur pour la navigation transatlantique ; mais en ne comptant que 200,000 fr. pour chacun des trois bateaux à vapeur transatlantiques, vous arrivez aussi à la perte de 600,000 fr. qui vous a été signalée hier comme une si grande calamité.
Le gouvernement n'adhéra pas aux propositions de la société Anversoise ; cependant il les examina avec beaucoup d'attention. Au surplus, la société n'insista pas sur ses propositions, pas plus que les autres sociétés. La crise politique arrivant, toutes les offres furent retirées, et il n'y eut pas lieu pour le gouvernement d'examiner ultérieurement la valeur des diverses propositions.
Le 5 août, par une espèce de hasard heureux qui fut accueilli par nous avec joie, un négociant américain, nommé Colden, muni des meilleures recommandations, vint faire des offres au ministère. Le gouvernement s'avança assez loin avec lui ; des statuts parfaitement combinés furent arrêtés. Nous avions l'espoir d'arriver à un arrangement très avantageux avec ce négociant. Malheureusement il ne put tenir les promesses qu'il avait faites, et au mois de janvier le gouvernement se trouva en présence de la loi qui lui accordait les fonds nécessaires pour encourager la navigation transatlantique, sans aucun moyen d'exécuter cette loi.
Ce fut alors qu'on apprit que la société anglo-américaine, possesseur du British-Queen et du Président, était sur le point de se dissoudre, et était disposée à céder ses deux navires.
Quant à moi, je dois dire que je considérai comme un heureux événement la nouvelle donnée de la vente possible des deux navires. Mon honorable collègue, M. Liedts, qui, il faudra bien le reconnaître, a conduit toute cette affaire avec autant de prudence que de patriotisme ; mon honorable collègue, M. Liedts, s'abstint d'abord de faire des propositions pour l'acquisition des deux steamers ; il chercha les moyens d'attirer en Belgique la société anglaise. La société ne recevant pas de subside du gouvernement britannique, et se trouvant dès lors dans une position défavorable vis-à-vis la compagnie Cunard, qui était subventionnée, la société pouvait être amenée à s'établir en Belgique, où on lui accorderait le subside qu'on lui refusait en Angleterre. Toutefois la société anglaise ne voulait pas s'établir en Belgique.
Restait dès lors le dernier moyen, l'acquisition des bateaux ; moyen extrême, et selon moi moyen le plus heureux qui se soit présenté pour l'exécution de la loi du 29 juin 1840.
Qu'avait dit M. le ministre Liedts dans son rapport ?
« …………………………………………. »
Qu'ajoutait M. Liedts ?
« …………………………………………… »
La question de temps était en effet ce qui devait dominer le gouvernement dans l'exécution de la loi. Eh bien, dans l'acquisition des bateaux à vapeur, la question de temps était résolue de la manière la plus avantageuse an pays. Au lieu de consacrer deux ou trois années à laisser construire des bateaux à vapeur dont rien d'ailleurs n'assurait la bonne navigabilité ; au lieu de perdre deux ou trois ans à créer la route, on achetait en quelque sorte une route toute faite, on entrait en possession immédiate d'un moyen de transport, et cela à une époque où la France était encore à négocier avec les armateurs pour l'établissement de sa navigation ; à une époque où d'autres pays étaient encore à former des projets, c'est-à-dire qu'on avait une avance de deux ou trois années sur tout le continent européen.
Quelles objections pratiques pouvait-on faire contre l'acquisition des deux navires ? Quel avait été le but de la loi ? De transporter des ports belges aux Etats-Unis hommes et marchandises, marchandises surtout ; eh bien, les bateaux à vapeur qu'il s'agissait d'acheter convenaient précisément à ce transport : à la différence des autres bateaux à vapeur, ils transportaient des voyageurs et des marchandises. Etaient-ce des navires inconnus ? Ces navires étaient éprouvés par la meilleure des expériences ; ils avaient marché, ils avaient fait des traversées très heureuses, qui avaient eu un grand retentissement en Europe, et nul doute que si ces navires avaient pu arriver aux Etats-Unis sous pavillon belge, la Belgique en aurait retiré la plus grande utilité. De quelque manière qu'on envisage la question, l'on doit reconnaître que c'était pour nos produits industriels une magnifique enseigne que les deux bateaux à vapeur dont le nom était connu déjà dans le monde entier, la British Queen et le Président.
Je dis que ce moyen extrême et auquel on a eu recours, après avoir épuisé tous les autres, était, suivant moi, le moyen le plus avantageux qui se soit présenté, et, pour mon compte, je l'ai accepté comme une véritable bonne fortune. Mais si l'on n'eût pas employé ce moyen, si on eût négligé l'occasion d'acheter les deux bateaux à vapeur, qu'eût-il fallu faire ? Se croiser les bras, ne pas exécuter la loi. C'est un rôle très commode pour un ministère qui n'aurait pas à cœur les intérêts du pays, qui craindrait d'engager sa responsabilité ; mais pour des ministres qui ont à cœur les intérêts du pays, pour des ministres qui ne craignent pas d'engager leur responsabilité, quand le bien du pays est en jeu, il n'y avait pas à hésiter, et, pour mon compte, je me félicite d'avoir pris part à un acte qu'on a tant blâmé depuis.
Messieurs, l'engagement même a-t-il été fait légèrement ? N'a-t-on pas procédé avec les précautions les plus minutieuses ? N'a-t-on pas fini par faire perdre patience à la société anglaise, qui a déclaré en dernier lieu qu'elle n'entendait plus se soumettre à aucune espèce de modification.
La plus grave des objections qui ait été faite contre l'acquisition des deux bateaux à vapeur réside dans le mode de paiement. Eh bien, il suffit de lire les pièces qui ont été imprimées et distribuées pour se convaincre qu'à cet égard encore l'ancien ministère avait agi avec le plus grand scrupule, qu'il avait toujours cherché à se renfermer dans les termes de la loi. Il suffit de lire les instructions envoyées à notre ambassadeur à Londres, M. Van de Weyer. En voici un extrait :
« ……………………………………. »
Voilà quelles étaient les instructions du ministre de l'intérieur. Comment étaient-elles comprises par M. Van de Weyer ? Ecoutez M. Van de Weyer lui-même. La société anglaise cherchait à obtenir ce qu'elle a obtenu depuis de M. le ministre Nothomb. Elle demandait un payement au comptant. Voici ce que répondait M. Van de Weyer :
« ……………………………………. »
L'on vient dire : mais ces obligations que vous promettiez à la société anglo-américaine, la cour des comptes ne les aurait pas visées. Qui vous dit que ces obligations n'eussent pas été faites de manière telle que la cour des comptes les eût visées ? Le gouvernement se réservait de procéder régulièrement, de faire des obligations que la cour des comptes eût pu viser, si tant est qu'il soit dans ses attributions de les viser. Si ce mode de paiement n'avait pas pu s'introduire régulièrement, le gouvernement serait venu demander à la chambre de substituer un autre mode de paiement. Et je ne crains pas de le dire, dût M. le ministre de l'intérieur m'accuser encore de puritanisme légal, il ne serait jamais entré dans ma pensée de puiser dans le trésor, connaissant d'ailleurs sa situation, une somme aussi considérable en dehors des limites de la loi.
Enfin, messieurs, on a blâmé le système de bateaux à vapeur acquis par le gouvernement. On a dit qu'ils sont trop grands, qu'il faut des bateaux d'un moindre tonnage. Entendons-nous, que voulons-nous faire ? En établissant une ligne de navigation transatlantique, que voulons-nous favoriser ? Voulons-nous favoriser le commerce, le transport des marchandises, ou seulement le transport des voyageurs ? Si vous ne voulez transporter que des voyageurs et des lettres, comme le fait la ligne de navigation anglaise subventionnée par le gouvernement, ce sont des navires de 12 à 1400 tonneaux qu'il faut avoir. Si au contraire on veut transporter des marchandises, il faut des navires d'une capacité plus grande ; il faut qu'ils puissent transporter en même temps marchandises et voyageurs. Car il ne suffit pas d'envoyer des marchandises en Amérique, la marchandise ne se vend pas seule, il faut dans le principe surtout que le commerçant l'accompagne, il faut qu'il aille reconnaître les goûts et les modes, et les prix qu'on peut obtenir il faut que les relations entre les personnes s'établissant avant que les relations entre les choses existent. Favoriser le transport des choses et des personnes vers l'Amérique, tel était le but de la loi du mois de juin. Ce n'est qu'avec des bateaux du tonnage du British Queen qu'on peut atteindre ce but ; de telle sorte que si ce bateau n'était pas acheté et qu'il s'agît de procéder à l'exécution de la loi en faisant construire des bateaux ou en traitant avec une compagnie pour leur construction, ce sont des bateaux de la dimension du British Queen et du Président, qu'il faudrait faire construire ou renoncer au système qu'on a voulu introduire par la loi de juin 1840.
La section centrale s'est donné beaucoup de peine pour deux choses ; d'abord pour trouver l'ancien ministère coupable, et en second lieu, pour trouver le ministère actuel innocent. J’ai reconnu là, messieurs, les liens qui existent entre certains membres de la section centrale et le ministère actuel. Aussi je ne leur en veux pas. J'ai bien souvenir de certaine irritation politique de l'opposition de l'année dernière. Comme je suppose que cette irritation n'existe plus je ne puis penser que le blâme qu'on veut exprimer ait trouvé source dans cette irritation.
Mon ancien collègue M. Liedts, a démontré hier d'une manière tellement péremptoire que le précédent ministère était irresponsable des actes qui ont suivi sa retraite, que le ministre actuel n’a eu rien de bon, de raisonnable à lui répondre. Il a démontré que le contrat du 17 mars renfermant l'acquisition des deux bateaux à vapeur, était resté à l'état de projet de la part du cabinet antérieur, qu'aucun acte définitif n'avait été posé par ce cabinet. Cela n'empêche pas la section centrale de déclarer l'acquisition de deux bateaux à vapeur un acte de mauvaise administration.
Il y a une accusation beaucoup plus forte sur laquelle j'attends du rapporteur de la section centrale une franche explication.
La section centrale a vivement recherché les motifs de la précipitation que l'ancien cabinet aurait mise, suivant elle, à conclure cette affaire ; elle en a parcouru plusieurs ; elle s'est demandée si c'était l'intérêt du commerce, le dévouement du ministère au pays, toutes raisons secondaires pour la section centrale, qui avaient pu entraîner le gouvernement à conclure cette affaire aussi promptement : non, a-t-elle pensé ; ce ne sont pas des motifs d'intérêt général qui l'ont dominé, ce sont des motifs d'un autre ordre, c'est-à-dire d'intérêt particulier. Si ce n'est pas là ce que votre phrase veut dire, elle n'a aucun sens. J'attends de M. le rapporteur une explication sur ce point.
Du reste la section centrale a-t-elle critiqué la préférence donnée à la société formée par trois négociants d'Anvers sur la société dont l'honorable M. Osy est directeur ? Non. A-t-elle critiqué le prix de l'acquisition ? Non. La solidité des navires ? Non. Leur marche ? Non. La double destination qu'on voulait leur donner ? Non. A-t-elle critiqué le luxe de précautions prises pour s'assurer de la navigabilité des navires ? Non encore. A-t-elle mis en doute la moralité, la capacité des directeurs chargés de l'exploitation ? Non encore une fois. Cependant, sans avoir pu trouver matière à blâmer sur ces points essentiels, elle a résumé son opinion dans un blâme formé contre l'ancien cabinet qu'elle a accusé de mauvaise gestion, qu'elle a accusé de s'être laissé guider par des motifs d'intérêt personnel.
J'ai dit, messieurs, que bien que j'acceptasse pour ma part tout ce qui a été fait par l'ancien cabinet, aucun acte définitif n'avait été posé par lui. En effet, qu'y a-t-il dans cette affaire ? L'achat du British Queen. A qui appartient cette acquisition ? Au ministère actuel ; lui seul en a la responsabilité ; comme lui seul en aura l'honneur, s'il réussit.
J'ai été vraiment peiné et c'est avec une espèce de sentiment de pitié que j'ai vu un ministre descendre à tout ce que la chicane a de plus pointilleux pour rejeter sur d'anciens collègues un acte qu'il aurait dû avoir à cœur de défendre et de prôner ; car, s'il a posé cet acte, c'est qu'il a cru sans doute qu'il était utile au pays.
Voici ce qui est arrivé : A l'époque où le ministre donna ordre d'acheter, il était entièrement libre de le faire ou de ne pas le faire. Cela a été démontré à profusion par mon honorable collègue, M. Liedts. Mais à cette époque, il y avait un certain éclat sur le projet de navigation transatlantique. Les mauvaises passions ne s'étaient pas emparées de cette affaire, une auréole populaire la couronnait. Rien de plus simple dès lors que l'acquisition du Brit**ish Queen par le ministre Nothomb.
Plus tard, et peut-être grâce au système d'abstention observé dans cette affaire par le nouveau cabinet, les mauvaises passions prévalurent ; de toutes parts il s'éleva non pas des risées et des cris d'indignation, ainsi que l'a dit M. Osy, mais des accusations et des articles de journaux, et particulièrement de journaux dévoués au ministère qui attaquèrent avec force cette opération, en ayant bien soin de ne pas l'attribuer au ministère protecteur ou protégé, mais de dire : c'est encore une des malheureuses œuvres du ministère précédent.
Alors, en suivant cette belle impulsion, voyant que certaine rumeur s'était fait jour même dans cette chambre, et que l'on voulait faire un grand éclat de l'affaire du British Queen, le ministre de l'intérieur présenta à la chambre un rapport qui, pour parler familièrement, pouvait se résumer de la manière suivante : le British Queen a été acheté ; c'est un malheur ; mais je m'en lave les mains. Mes prédécesseurs ont cru bien faire ; (je ne sais pas, cependant si on va jusque-là, de rendre hommage à nos intentions), c'est un acte de mes prédécesseurs, j'ai dû le subir. C'est une question de bonne foi.
La section centrale, abondant dans le système du ministre de l'intérieur, vous le présente même dans une position tout à fait pitoyable. Il a subi, vous dit-elle, une contrainte morale ; il a été opprimé par une violence morale. En quoi consiste cette contrainte morale ? Dans une faculté qu'il s'était formellement réservée, non seulement dans un contrat, mais dans deux contrais, de prendre ou de refuser la British Queen.
Quoi ! la convention de mars 1841 contenait une clause résolutoire ; elle portait que si l'un des navires faisait naufrage ou subissait de fortes avaries, vous étiez libre de n'en prendre aucun. Par votre convention spéciale d'avril, relative non plus au Président et à la British Queen réunis, mais à la British Queen seule, il vous était permis de ne pas prendre au 24 mai la British Queen**, au 24 mai votre silence annulait complètement le marché, et vous vous dites dans l'obligation morale de prendre ce que vous étiez en droit de ne pas prendre. Je savais que les susceptibilités du ministère allaient fort loin dans les questions morales. Mais il a dépassé mon attente ; je ne l'aurais pas cru aussi moral qu'il s'est montré.
M. le ministre vient de dire que nous aurions ratifié (ce qui est vrai) le contrat du mois de mars, et que nous l'aurions ratifié nécessairement pur le British Queen seule, par ce motif : c'est que nous avions fait un contrat avec la société Anversoise. Mais que promettions-nous à cette société ? Lui apportions-nous le British Queen ? Non, nous lui apportions deux bateaux à vapeur. C’était là l’idée dominante du ministère. Ni dans la loi, ni dans le rapport à l’appui, ni dans la longue période où l'on s'est occupé de l’exécution de la loi, il n'a été question d'un seul bateau à vapeur ; toujours il s’est agi de deux au moins. Au trois avril, ce sont deux bateaux à vapeur qu’on met à la disposition d'une société et non le British Queen.
On dit qu'il ne fallait pas faire usage de la clause résolutoire, que si l'on en avait fait usage, il aurait fallu subir un procès devant les tribunaux anglais en supposant que la société anglaise eût été assez mal avisée pour intenter un procès à un gouvernement qui aurait voulu faire usage d'une faculté que lui réservait formellement le contrat, il fallait subir les chances du procès. Il eût fallu, ne fût-ce que pour confondre les prétendues malédictions des commerçants anglais ; car n'a-t-on pas été jusqu'à dire que vous auriez été mis au ban de l'Angleterre, si vous n'aviez pas ratifié le contrat !
M. le ministre s'est retranché derrière notre envoyé à Londres. Sous le rapport de l’honneur et de la loyauté, M. Van de Weyer est un juge que j’accepte bien volontiers, ceci soit dit en passant. Mais que dit M. Van de Weyer ? Il écrit au ministre de l'intérieur qu'il est tenu par la bonne foi à prendre la British-Queen. Mais à quelle époque ? ce n’est pas à la suite de la convention du 17 mars, mais à la suite du contrat d’avril. Voici un extrait de la lettre de M. Van de Weyer :
« J’ajouterai que le gouvernement du Roi, après avoir obtenu des délais, après avoir proposé et obtenu un mode de paiement, après avoir ainsi fait encourir à la compagnie et des frais considérables et de nouvelles pertes, était, à mes yeux, moralement obligé de ratifier le contrat ; que si l’on s’en tenait à la lettre de cet acte et au strict droit, il était sans doute loisible au gouvernement de refuser sa ratification. »
Ainsi c’est après qu’il a été obtenu de nouveaux délais, après qu’il a été introduit des modifications dans le contrat primitif, quant au mode de payement, que M. Van de Weyer croit que la bonne foi oblige à acquérir la British Queen. Il s’agit là d’actes nouveaux du ministère actuel, et non de l’acte primitif. Dans tous les cas, je ne pense pas que M. Van de Weyer ait écrit que la convention conclue par lui sous l’ancien ministère obligeait moralement le gouvernement à acquérir la British Queen seule. Mais si telle avait été l’opinion de M. Van de Weyer, je n’aurais pu l’admettre ; je pense qu’il aurait poussé beaucoup trop loin le scrupule dans cette circonstance.
Je regrette d’avoir eu, en quelque sorte, à récriminer contre le ministre de l’intérieur. J’aurais voulu que cette affaire pût être exclusivement examinée au point de vue de l’intérêt général, au point de vue de l’utilité. Si M. le ministre de l'intérieur, se pénétrant mieux de sa position et de ses devoirs, eût exposé l’affaire sous ce point de vue, s’il se fût présenté à la chambre avec l’acte posé par lui, s’il fût venu défendre ouvertement cet acte, s’il l’eût fait défendre par la presse au lieu de laisser sans réponse des attaques qui l’ont entouré de défaveur, il eût renfermé la discussion dans la question d’utilité générale. Mais ce n’est pas l’esprit qui a présidé à la rédaction du rapport du ministère, pas plus qu’à la rédaction du rapport de la section centrale.
Une affaire qui aurait dû être très bonne, il y a quelque mois, est devenue boiteuse et peut-être mauvaise, parce qu’on l’a présentée comme une nécessité fâcheuse qu’on subit, et parce qu’au lieu de la présenter comme un acte de haute utilité, on est venu demander grâce et faire amende honorable. Ce n’est pas ainsi qu’on assure le succès d’une entreprise à laquelle toute l’opinion publique s’était d’abord ralliée. Aujourd’hui, si l’entreprise ne réussit pas, si les prédictions que les uns avec joie, que d’autres avec peine font sur les résultats de l’entreprise, viennent à se réaliser, je dis que M. le ministre de l'intérieur aurait concouru à ce résultat.
Du reste le mal n’est pas, je l’espère, irréparable Je sais que M. le ministre Nothomb a de l’activité et à plusieurs égards l’envie de bien faire ; je lui ai toujours rendu et je lui rends encore justice sous ce rapport.
Mais pour tirer parti de l'affaire, pour qu'elle ne soit pas désespérée, il faut se mettre résolument à la tête et non pas marcher à la queue. Pour ma part, j'aurais repoussé, avec plus d'énergie qu’il ne l’a fait, les accusations qui sont parties de la bouche même de ses amis.
Je m’étonne, par exemple, que M. le ministre de l'intérieur n'ait pas eu un mot de réponse à faire à M. Osy, qui l'a publiquement accusé de dilapider le trésor public. Je m'étonne que M. le ministre des finances n'ait pas réfuté l'honorable M. Osy signalant les abus les plus graves dans la comptabilité des receveurs de l'Etat.
M. Le ministre des finances (M. Smits) - Je répondrai.
M. Rogier. - Si vous subissez de la part de vos amis de pareilles accusations, qu'aurez-vous à subir de la part de vos adversaires ?
Quant à moi, je me trouve très embarrassé vis-à-vis des conclusions de la section centrale. La section centrale annonce que l’affaire est mauvaise, la présente comme désastreuse, et cependant propose de la continuer. Le gouvernement avait en mains une somme de 5,600,000 fr., pour établir convenablement un service de bateaux à vapeur vers les Etats-Unis. On lui enlève la moitié de cette somme. Deux bateaux à vapeur étaient reconnus nécessaires pour faire convenablement le service ; le service devra être fait avec un seul. M. Osy a déclaré positivement que si l'on vient dans un an demander de nouveau des fonds, la chambre les refusera.
Eh bien, l’entreprise, présentée sous ce point de vue, si elle n’est pas désespérée, devient extrêmement chanceuse. Je désire beaucoup, pour ma part, qu’elle réussisse. Je m'efforcerai, selon mes moyens, à favoriser le succès de l'entreprise. Mais je crois que ce serait un grand mal que de restreindre à un an les moyens de la continuer. Si vous rapportez la loi du 29 juin 1840, si vous adoptez la proposition de la section centrale, le gouvernement ne peut organiser qu’un service incomplet et précaire.
Pourquoi restreindre le crédit voté l'an dernier ? On dit qu'il suffira de faire un appel aux sociétés qui se contenteront de l'abandon du navire pour continuer le service. Or, dans le rapport de la section centrale, il est dit qu'il est impossible, dans l'état actuel des choses, de trouver une société qui veuille se charger du service. Ainsi le gouvernement ne pourra, avec l'offre de son navire, trouvé une société. Après avoir voté une loi généreuse, une loi d'utilité générale, n’allez-vous pas en détruire l'effet moral et peut-être l’effet matériel ?
Je sais qu’il y a réaction dans cette chambre ; et sous certains rapports, je m'associe à cette réaction ; il y a une réaction contre les dépenses ; je crois que la situation du trésor exige que le pays procède avec économie ; mais il faut prendre garde que cette réaction ne nous mène trop loin. Il ne faut pas que cette réaction aille jusqu'à détruire une entreprise conçue entièrement dans l'intérêt du pays, et qui peut si grandement concourir à développer sa prospérité intérieure en lui donnant un grand relief à l’étranger. .
J'attendrai des explications ultérieures pour me prononcer quant aux conclusions de la section centrale. Je réserve mon vote.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je regrette que l'honorable préopinant se soit livré à mon égard à des sorties personnelles aussi violentes ; elles étaient au moins inutiles.
Mais à mon tour, je lui demanderai qui des premiers dans cette chambre, le premier peut-être, a critiqué l'acte par lequel le ministère actuel a maintenu l'achat de la British-Queen ? N'est-ce pas lui qui, au commencement de la session, a critiqué cet acte, en ayant principalement en vue le mode de payement ?
M. Rogier. - Je n'ai critiqué que le mode de payement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous avez critiqué cet acte et cette critique de votre part était un fait très grave, parce qu’au dehors de cette chambre on a pris le change sur vos intentions. Il fallait, vous membre du ministère précédent, associé directement ou indirectement à cette affaire, vous abstenir. Je vous ai supplié, on voudra bien se le rappeler, de vous abstenir d'attendre le jour où les faits seraient connus, et de ne pas créer des préventions réciproques.
Lorsque j'ai cherché à obtenir de la chambre qu'elle voulût bien maintenir au budget de l'intérieur l'annuité de 400,000 fr., ai-je été soutenu, comme j'espérais pouvoir l'être, par l'honorable préopinant ? Non ; et cependant il regrette que la foi ne soit pas purement et simplement maintenue.
Eh bien, je dis que si la loi du 29 juin 1840 n’est pas purement et simplement maintenue, si aujourd'hui la section centrale présente un autre moyen de solution, c'est parce que je n'ai pas obtenu l'allocation au budget de la somme de 400,000 fr. Le temps aurait régularisé la situation. Aujourd'hui on ne peut plus compter sur le temps. Il faut que la situation soit régularisée par un acte de la chambre.
Je n'ai jamais attaqué, ni fait attaquer le système de navigation transatlantique, j'ai voté et sérieusement voté pour la loi du 29 juin 1840. J'ai dit déjà à plusieurs reprises depuis l'ouverture de cette session, qu'il ne fallait pas donner à cette nouvelle discussion une portée qu'elle ne devait pas avoir. La loi est votée ; il faut respecter le principe de la loi ; tout ce dont il peut s'agir c'est du système d'exécution.
A entendre l'honorable préopinant, le ministère actuel dirige la presse, ou au moins une partie de la presse belge. Je ne sais sur quoi on se fonde pour lui attribuer ce rôle.
Messieurs, l'acte véritablement nouveau, par lequel le ministère a innové, c'est le mode de payement. Je répéterai à la chambre ce que j'ai eu l'honneur de lui dire. Je regarde l'exécution du premier mode de payement comme impossible. Je l'aurais regardé comme dangereux, s'il avait pu se réaliser, et, dans tous les cas, comme onéreux. Il aurait fallu remettre des obligations échelonnées sur 14 années, et ces obligations, la compagnie, ayant besoin de se dissoudre, aurait dû les vendre. On donnait à cette compagnie des actions 5 p. c. à 100, tandis qu'aujourd'hui nos fonds sont à 103 et que déjà l'été dernier ils approchaient du pair. Nous aurions même dû lui accorder une certaine somme pour couvrir les risques de l'agio. De plus, naturellement, sur ces obligations ainsi échelonnées, on devait supporter cet intérêt.
Tout cela a été évité par le nouveau mode de payement. J'ai avoué, et dès le premier jour, que ce mode de payement était irrégulier ; mais le premier ne l'est pas moins. Si la chambre veut, avec l'honorable préopinant, en revenir au premier mode de payement, j'y consens. Des offres me sont faites en ce moment. On reprendra le premier mode ; la somme sera restituée au trésor ; mais alors une maison de banque fera son profit de ce premier mode, et à l'heure qu'il est, ce sera une nouvelle charge de cent mille fr. pour le trésor.
Maintenant, messieurs, quelle est la véritable portée du projet qui vous est présenté ? Ce projet alloue au gouvernement 400,000 fr., mais les alloue comme l'exigent les circonstances où nous nous trouvons. Le prix d'acquisition a été payé. Au lieu de l'être au moyen d'obligations échelonnées sur 14 années, il l'a été au comptant ; le trésor a fait l'avance ; il faut lui restituer la somme.
Pour la lui restituer, il faut supporter un emprunt au moyen de bons du trésor, lequel emprunt doit être couvert par une somme prélevée sur l'annuité de 400,000 fr. Cette somme, on la prélève par un article du projet de loi ; c'est-à-dire qu'on réserve une somme de 150,000 fr., laquelle somme figurera désormais au budget de la dette publique.
D'après les calculs que j'ai faits, une somme de 150,000 fr. réservée au budget de la dette publique, doit amortir, tout en faisant le service des intérêts, le capital d'acquisition en 14 années.
Dans toutes les hypothèses, messieurs, avec le premier mode de payement ou avec le second, la somme tout entière de 400,000 fr. ne restait plus disponible. Dans toutes les hypothèses, il fallait prélever sur cette allocation une certaine somme, pour amortir les obligations et payer les intérêts, ou bien pour amortir le capital avancé pour le trésor. Dans l'une et l'autre hypothèse l'annuité de 400,000 francs ne restait donc plus entière, et c'est en quoi, dans la dernière partie de son discours, l'honorable préopinant semble être à côté des faits.
Si le contrat du 17 mars 1841 avait reçu son exécution, c'est-à-dire si le Président n'avait pas péri, la somme de 5,600,000 fr. se trouvait réduite, pour les frais d'exploitation, à 2,000,000 fr., échelonnée sur 14 années, et il aurait fallu distraire de cette somme de 5,600,000, celle de 3,600,000 fr., et même plus, avec les intérêts, pour couvrir les frais d'acquisition.
Je dis donc que les propositions de la section centrale ne portent pas atteinte à la loi du 29 juin 1840. Au point où en sont arrivées les choses, il n'est pas possible d'exécuter autrement cette loi. On l'aurait pu, si on avait purement et simplement porté au budget la somme de 400,000 francs ; on aurait laissé au temps le soin de rembourser le trésor. Mais c’est ce qu'on n'a pas voulu ; j'ai fait des efforts pour l'obtenir ; je n'ai pas été secondé, comme je l'avais espéré.
Je crois donc que sans inconséquence, sans ôter au système de la navigation transatlantique le prestige dont son idée a été entourée, nous pouvons accepter les propositions de la section centrale.
Je donne cette explication, pour qu'on ne donne pas de nouveau à l'adhésion du gouvernement une portée qu'elle n'a pas ; pour que de nouveau on ne dénature pas nos intentions.
Le gouvernement conservera donc à sa disposition une somme de 250,000 francs pour exploiter un seul navire. Si cet essai est heureux, il trouvera très facilement à former une compagnie, et dès à présent, après le vote qu'il attend des deux membres, il fera l'appel nécessaire. Il n'attendra pas la fin de l'année pour faire cet appel, Dans tous les cas il sera rendu compte des opérations à la chambre, et je ne doute pas que cet essai, quel qu'il soit, ne soit convenablement apprécié par vous.
M. Rogier. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Messieurs, au commencement de cette session, un honorable député d'Anvers signala son début dans cette chambre par une attaque très violente contre l'affaire dite British Queen. En attaquant cette affaire en termes très acerbes, l'honorable député d'Anvers me l'attribuait, à moi personnellement ; et il signalait surtout comme très irrégulier le mode de payement. Il disait qu'on avait puisé dans les caisses de l'Etat la somme nécessaire au payement, et il critiquait violemment ce mode de payement.
Je me bornai à dire que l’acte que l'honorable M. Osy reprochait à l'ancien ministère était le fait du ministère actuel. Voilà ce que je me bornai à répondre, et je défie qu'on trouve dans mon discours une seule phrase de blâme contre l'opération elle-même.
Un second reproche que m'adresse M. le ministre de l'intérieur, c'est de ne pas l'avoir soutenu dans la discussion de son budget, lorsqu'il s'agissait de maintenir la somme de 400,000 francs à l'article commerce et industrie.
Mais, autant que je me le rappelle, la discussion ne fut pas longue sur cet article ; M. le ministre de l'intérieur consentit en quelque sorte lui-même à l'ajournement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je l'ai combattu pendant deux heures.
M. Rogier. - Il est possible que M. le ministre de l'intérieur ait combattu l'ajournement pendant deux heures, mais enfin cet ajournement n'impliquait pas du tout, dans l'intention de ceux qui ont voté, et surtout de ceux qui, comme moi, ont voté contre, le retrait de la loi du 29 juin 1840. On a seulement ajourné la discussion du chiffre ; il n'a pas du tout été entendu qu'on retirerait la loi du 29 juin 1840.
La section centrale vient au contraire substituer un mode tout nouveau ; elle vient vous proposer le retrait de la loi de 1840, et voilà la proposition que je combats, que je dois combattre, et que je reproche à M. le ministre de l'intérieur de ne pas avoir combattu.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si j'ai bien compris l'honorable membre, il a regretté que les 400,000 fr. ne restassent pas à la disposition pleine et entière du gouvernement. Je lui ai déjà répondu, en faisant l'observation qu'il était impossible que le gouvernement eût la libre et entière disposition de cette somme, parce que dans toutes les hypothèses, quel que soit le mode de paiement que vous adoptiez, il faut bien en défalquer une certaine somme pour couvrir le capital d'acquisition, à moins de supposer que le trésor public doit supporter une dépense de 400,000 fr. en vous faisant cadeau du navire à exploiter (Assentiment.)
Voilà ce qu'il faudrait supposer.
Je le répète donc, il n'y a aucun reproche à me faire de mon adhésion à cette proposition, c'est la seule chose faisable au point où nous sommes arrivés. Il faut évidemment prélever sur les 400,000 fr. de quoi payer le navire, et cette position est beaucoup plus belle que ne l'eût été celle du ministère précédent dans le cas de l'exécution de la convention du 17 mars 1841, c'est-à-dire dans le cas de l'exploitation des deux navires. Aujourd'hui 250,000 fr. restent libres sur l'annuité des 400,000 fr. ; il suffit de prélever sur cette annuité 150,000 fr. pour amortir en 14 ans le capital d'acquisition du navire unique. Si les deux navires, au contraire, avaient été livrés, il aurait fallu prélever le double de cette somme, et il ne serait plus resté que 100,000 fr. pour l'exploitation des deux navires.
Je n'ai pas récriminé ; je me suis toujours abstenu même d'examiner la convention du 17 mars 1841, je l'ai toujours acceptée avec les calculs qui ont été faits, mais si j'avais voulu récriminer, j'aurais examiné, à mon tour, cette convention, et j'aurais établi qu'avec le système qu'elle renfermait, le gouvernement eût été placé dans la situation la plus précaire. Aujourd'hui, nous n'avons à défalquer des 400,000 fr. destinés à la navigation transatlantique, qu'une somme de 100,000 fr., et 250,000 fr. restent disponibles pour l'exploitation d'un seul navire, Si l'exploitation du navire n'exige pas cette somme, on pourra étendre le service.
M. David. - Dans les différents discours qui ont été prononcés dans cette enceinte, j'ai aperçu la crainte que certaines paroles tombées de cette tribune et qui ont peut-être toutes les vertus, excepté celles de l'impartialité et du sang-froid que donne le désintéressement, que les paroles prononcées, dis-je, à cette tribune aient de l'écho au-dehors, et fassent péricliter notre navigation transatlantique.
Eh bien, messieurs, je n'ai point cette crainte. Un vote solennel et une forte majorité viendront, j'espère, démentir ces appréhensions.
Je le dirai franchement, je ne vois ni patriotisme ni amour du bien public dans ces prophéties et ces accusations, qui viennent ainsi démolir nos plus chers intérêts, en invoquant dérisoirement comme remède, la revente de la British Queen. Voilà bien, j'espère, la dernière limite de l'exagération ! Et après l'éloge qu'on a eu soin d'en faire, c'est tout au plus si on acceptait ce navire, qui après tout renferme pourtant un bien riche mobilier comme argenterie, cristaux, etc., etc., au prix du vieux fer et du bois à brûler.
Non, messieurs, au lieu de devenir les instruments de notre propre ruine, nous avons une autre tâche à remplir. Le navire est maintenant acheté et payé. L'homme qui aura le plus mérité du pays sera celui qui suggérera les meilleurs moyens de l’utiliser, celui qui l'élèvera le mieux une confiance si injustement ébranlée et non celui qui l'aura coulé bas dans les bassins d'Anvers.
Il ne faut donc point sacrifier la British Queen à la peur. Je dirai tout à l'heure pourquoi je pense même qu'aucun autre navire ne pouvait nous convenir autant que celui-là.
Ce que M. le ministre de l'intérieur pourra faire de mieux pour rétablir une confiance que neuf voyages accomplis avec autant de bonheur que de promptitude, devaient pour toujours lui avoir acquise, ce sera d'invoquer non pas seulement, comme on l'a dit, le concours et le contrôle des ingénieurs belges, mais encore celui des ingénieurs étrangers.
Il faut que des ingénieurs allemands, français, hollandais, viennent à leur tour expertiser le navire et déclarer franchement ce qu'ils en pensent, si vous voulez, après les accusations accablantes dont elle a été l'objet, que la British-Queen transporte toute autre classe de voyageurs que celle des malheureux émigrants, qui eux-mêmes sont dignes de toute notre sollicitude.
Le mal qu'on a fait à la British-Queen est grand, aussi faut-il que sa réhabilitation soit éclatante. Ce navire est destiné à recevoir des passagers de toutes les nations voisines. Il y a donc intérêt pour elles de savoir pertinemment, par l'organe de leurs propres ingénieurs, si l'on peut confier sa vie à la British-Queen**.
Si la Belgique n'emploie pas ce moyen, il faudra bien des voyages heureux pour déraciner l'erreur, le préjugé que notre premier bateau transatlantique n'offre pas de sécurité.
Encore une fois l'examen par des ingénieurs belges seulement ne sera pas plus concluant aux yeux des étrangers que ne l'a été pour nous l'examen par un des premiers et des plus respectables corps de la nation anglaise, l'amirauté. Il faut donc que chacun ait, autant que possible, son apaisement.
Messieurs, je dois le déclarer, je tiens infiniment à ce que nous exécutions la loi sur la navigation transatlantique à vapeur, et je vois que si aujourd'hui nous condamnons le British-Queen, pour longtemps cette loi, si féconde en germes de prospérité, est perdue pour nous.
N'oublions pas, messieurs, que l'absence d'une marine marchande nous empêche presque de fonder des établissements commerciaux à l'autre rive de l'Atlantique. De là, difficulté sérieuse pour établir des relations régulières et entreprendre des opérations dont le résultat puisse se circonscrire dans un laps de temps limité. Il fallait passer pour un terme très long entre les mains de correspondants qui faisaient toutes nos affaires par l'intermédiaire de la navigation anglaise, ce qui le plus souvent causait de longs et coûteux retards et décourageait les industriels.
La navigation décrétée devait donc obvier à ce premier inconvénient. La régularité dans les voyages, qui avec deux navires pouvaient avoir lieu à peu près 8 fois par an, mettait New-York à 15, 18 jours d'Anvers, et cette navigation pouvait aisément être considérée comme un puissant acheminement vers des affaires directes et complètes entre nous et les Américains.
La loi adoptée et promulguée, le gouvernement s'occupa immédiatement de son exécution. Il s'empressa de traiter pour les deux navires Président et British Queen, afin de commencer immédiatement les voyages et transporter nos produits vers des rives qui faisaient d'incalculables consommations auxquelles nous concourrions à peine et presque toujours indirectement.
Alors, messieurs, on n'accueillit pas cette affaire par un cri d'indignation, comme on le disait hier ; on la considérait, au contraire, comme un vrai hasard, une bonne fortune, quand la fatale disparition du Président vint mettre le monde en émoi et bouleversa tout à coup les opinions. Alors la conquête de la veille devint une défaite, l'or devint du plomb.
Néanmoins un des arguments les plus spécieux des détracteurs de la British Queen**, était celui-ci : « Si l'Angleterre avait trouvé ses navires bons, elle ne les eût pas vendus. »
Aux yeux vulgaires et pour quiconque connaît les Anglais, cette phrase semble en effet très concluante : on a vendu ces navires, donc ils ne valaient rien !
Eh bien nous ne croyons point à cette raison et pour deux causes que nous allons développer :
L’une, c'est que le prix a été longuement débattu et que l'on a fait tout ce qu'on pouvait pour obtenir les navires à moins, sans y réussir.
L’autre, c'est que la situation des deux peuples n'étant pas la même, .nous sommes tentés de croire que même si les Anglais les trouvaient trop grands pour leur navigation, ils pouvaient encore être excellents pour nous qui n'avons aucun intérêt à en employer d'après le système Cunard, et voici pourquoi :
D'abord je prierai la chambre de croire que ma défense dans cette circonstance roule sur la conviction que j'ai que l'affaire a été irréprochablement menée d'un bout à l'autre. Ce point de départ admis, voici pourquoi je pense qu'on peut avoir raison en Angleterre et tort chez nous.
Que les Anglais, dont les rapports avec les Etats-Unis sont journaliers, trouvent un grand steamer trop peu rapide, cela est naturel. Ils ont tant d'affaires que le navire qui transporte promptement le voyageur et les lettres n'a pas besoin, pour ainsi dire, de rendre d'autres services. La rapidité, voilà sa seule destinée : traverser l'Océan en 11 ou 12 jours, voilà sa mission. Si des marchandises attendent là sur tous les docks, pour être expédiées, il y a des milliers de voiles qui ne prennent ni la poste ni les voyageurs, et qui viendront compléter les transactions entamées par le paquebot qui a eu des ailes.
Mais, messieurs, en est-il de même chez nous ? n'est-il pas bon que la navigation que nous avons décrétée concourre à faire un peu de tout ? à transporter lettres, voyageurs et marchandises ? N'a-t-elle pas été établie pour ainsi dire uniquement pour frayer la voie à l'avenir ?
Si, dans plusieurs années, quand le but primitif aura été conquis et que nous serons en Amérique assis comme convives au festin de l'industrie européenne, nous pourrons aviser à d'autres améliorations. Nous dirons même que la réussite de nos premières tentatives assurée, ce n'est plus au budget que l'on aura besoin d'avoir recours, pour stimuler les armateurs, les spéculateurs, les industriels ; l'intérêt particulier viendra rapidement prendre part à la moisson que l'Etat aura préparée par d'heureuses semailles.
Mais jusque là ne faiblissons pas, ne jetons point du haut de cette tribune des paroles de découragement sur tous nos essais : nous avons depuis quelque temps fait diverses tentatives qui n'ont point eu de succès : des traités de commerce avortés, manqués au moins pour le moment, cette même navigation votée il y a un an et incessamment reculée, tout cela est affligeant, je l'avoue, mais ne l'est que par notre impatience.
Je le dis hautement dans cette chambre : nous sommes trop pressés. Nous oublions que nous n'avons que dix ans d'existence indépendante, et qu'en dépit de l'immense concurrence que nous trouvons partout et toujours, nous avons fait plus de chemin pendant cette période qu'on n'en eût fait autrefois en un siècle.
Pour tout ce que nous tentons, la chambre et le pays veulent absolument des résultats immédiats. Nous l'avons vu pour les chemins de fer, nous l'avons vu pour les traités de commerce, pour les lois de douane, pour les associations industrielles ; on prétend recueillir, non point à la sueur de son front, comme se font les victoires fructueuses, mais à l'instant même et sans avoir fait arriver la matière du succès à maturité. Ce n'est point ainsi que doivent agir les jeunes nations.
Notre navigation transatlantique est une entreprise nationale. Elle a derrière elle la protection spéciale du gouvernement, et le trésor public, pour garantir cette protection. Elle est le lien naturel entre la Belgique productrice et les grands foyers consommateurs des deux Amériques. Nos chemins de fer et leur rapidité attireront forcément tous les transports qui demandent l'économie du temps, et je ne concevrais pas que la chambre concourût, par une sorte d'indifférence, à ce que cette loi, que je considère comme un des meilleures que notre petit royaume ait jamais faites en sa faveur, je ne concevrais pas, dis-je, que la chambre d'aujourd'hui eût perdu pour une si noble idée son enthousiasme de 1841.
M. Hye-Hoys**.** - Messieurs, j'ai fait partie de la minorité qui a voté contre la loi du 29 juin 1840, non que je ne voulusse pas de la navigation transatlantique par bateaux à vapeur entre la Belgique et les Etats-Unis, mais parce que le cabinet d'alors ne voulait pas d'une navigation entre les deux pays par navires à voiles. Il s'en est suivi que l'amendement de l'honorable M. Dumortier a été rejeté, amendement qui tendait à comprendre les deux systèmes à la fois, dont je partageais l'opinion, parce qu'il me paraissait plus sage et plus prudent, pour notre jeune Etat, de commencer par une navigation protégée de navires à voiles ; il est probable que déjà, à cette époque, l'ancien cabinet était en négociation avec quelques personnes d'Anvers pour une navigation exclusive de bateaux à vapeur. Il est résulté de là, messieurs, que l'on a mis tant d'empressement à acquérir ces deux colossaux steamers, nonobstant que l'opinion publique, outre-mer, était très défavorable à l'égard de ces deux bâtiments ; et, en effet, pendant mon séjour en Angleterre, j'ai été plus d'une fois dans l'occasion d'entendre raisonner sur l'achat de la British Queen fait par le gouvernement belge ; et toujours, je suis fâché de devoir le dire, d'une manière si désavantageuse, qu'on ne m'a laissé d'un espoir d'une exploitation favorable pour le pays.
Me trouvant à Liverpool, je suis allé à bord de la Britannia et de la Caledonia qui sont deux des quatre beaux steamers construits par la société anglaise, pour la navigation transatlantique entre Liverpool et Halifax ; ces navires qui ne laissent rien à désirer par leur bonne construction ne sont chacun que de 1,200 tonneaux, ayant une force de 450 chevaux ; tandis que la British Queen de 1862 tonneaux, n'a qu'une force de 500 chevaux, et devrait en avoir une, dans cette proportion, d'environ 700. Mais on ne prétend pas que cette proportion soit strictement nécessaire ; toutefois on considère comme un grand défaut à la British-Queen de ne pas avoir au moins une machine de 600 chevaux. C'était l'opinion des capitaines de ces deux navires que j'ai vu à Liverpool, qui, sans contredit, messieurs, sont compétents pour en juger ; comme c'était précisément à l'époque du départ de la British Queen pour Anvers, on en causait beaucoup en Angleterre, et l'opinion générale était que le gouvernement belge avait fait un très mauvais achat, parce que l'exploitation en sera onéreuse pour l'Etat, comme elle a été aux premiers propriétaires.
Etant à Manchester, un mécanicien des plus distingués, et qui connaissait parfaitement bien la construction de ce bâtiment, m'a dit que l'on s'était trompé de beaucoup quant à la force de la machine, qu'il lui en fallait une de 600 à 650 chevaux.
Arrivé à Anvers, je suis allé voir la British Queen**, et la personne qui se charge d'expliquer le tout aux visiteurs , qui a fait plusieurs fois le voyage, et qui ne manque certainement pas d'en dire tous les avantages, est convenu cependant sans hésiter, qu’il était fâcheux que le navire n'eût pas une machine d'une centaine de chevaux de plus, mais qu'il n'y avait pas moyen d'y porter remède.
Le Président qui a péri si malheureusement, et dont la machine à vapeur était encore plus disproportionnée, grand de 2,560 tonneaux, n'avait qu'une force de 540 chevaux, et avait en outre le défaut d'être d'une trop longue construction.
Il est connu en Angleterre qu'une société fait construire 14 bateaux à vapeur de 1, 700 tonneaux pour la navigation des Grandes-Indes ; j'en ai vu deux à peu près achevés, ayant chacun une force de 600 chevaux ; vous voyez qu'ici, messieurs, il y a une juste proportion avec les quatre beaux steamers de Liverpool à Halifax.
Et certes, on ne dira pas que ces 14 bateaux à vapeur ne sont pas destinés pour le transport des marchandises comme pour les voyageurs ; mais ils sont encore construits dans un autre but, c'est qu'en cas de guerre avec la France, par exemple, le gouvernement anglais a le droit de les réclamer, moyennant une juste indemnité.
Du reste, vous, voyez, messieurs, que dans les bases proposées par le ministère lui-même, il y est dit que les bateaux seront de 1400 tonneaux au moins, et les machines de 450 chevaux au moins.
Que dans les propositions de M. Colden, il est dit aussi, que les vaisseaux seront d'un port de 1400 tonneaux ayant une machine d'une force de 450 chevaux au moins, et il y ajoute, de plus, que, dans le cas où, ce qui est probable, la société jugerait convenable de faire des navires de 1800 tonneaux ou plus, la force des machines sera augmentée en proportion.
Il me semble qu'il en résulte évidemment, que le corps du bâtiment de la British Queen**, est trop massif en proportion de la machine à vapeur, et vraiment trop grand pour un pays comme le nôtre, pour pouvoir l'exploiter avantageusement.
Maintenant que la section centrale propose de rapporter la loi du 29 juin 1840, j'y donnerai volontiers mon assentiment, et je ne doute pas qu'il n'y ait presque unanimité dans la chambre pour adopter la proposition.
L’achat de la British Queen**, et le paiement qui en est suivi, étant des faits accomplis, il faut maintenant choisir entre deux maux. Ou revendre la British Queen**, ce qui probablement ne se fera pas sans une grande perte, à moins qu'on rencontre des amateurs qui partageraient l'opinion favorable de l'ancien ministre de l'intérieur, ou bien l'exploiter avec toutes ses conséquences en y ajoutant encore une somme de 250,000 fr. que le gouvernement croit suffisante pour parer à toutes les éventualités d'une année d'épreuve.
J'écouterai avec attention la suite de la discussion, espérant qu'il en résultera une proposition, qui nous retirera au mieux possible de cette déplorable affaire pour le pays.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) présente un projet de loi tendant à autoriser l'achat d'un bateau à vapeur destiné à compléter le service de passage d'Anvers à la Tête de Flandre, et un projet de loi sur la police maritime.
- La chambre ordonne l'impression de ces projets et les renvoie à l'examen des sections.
M. Le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, la révision de quelques calculs qui reste à faire ne permettra pas au gouvernement de présenter le projet de loi sur les sucres avant la semaine prochaine. En attendant, le Roi m'a chargé de présenter trois projets de lois ; le premier tend à fondre dans une seule loi toutes les lois qui existent sur les distilleries et de porter le droit sur les genièvres de 60 centimes à 1 franc ; le deuxième projet tend à modifier la loi sur l'abonnement pour la vente des boissons distillées ; le troisième tend à accorder un crédit au gouvernement, qui a été condamné dans une contestation avec la commune de Petit-Rechain.
- Sur la proposition de M. Demonceau, ce dernier projet est renvoyé à la commission permanente des finances ; les deux autres projets sont renvoyés à l'examen des sections. Ils seront tous imprimés et distribués.
La séance est levée à 4 heures.