(Moniteur belge n°341, du 7 décembre 1841)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Renesse procède à l'appel nominal à midi un quart.
M. Kervyn donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; il est adopté.
M. de Renesse présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le conseil communal de Bouchaute et les administrations des poldres, situés dans cette commune, demandent la construction du canal de Zelzaete. »
Renvoi à la section centrale qui a examiné le projet.
« Des négociants et boutiquiers de la ville de Thuin demandent que la chambre adopte des mesures répressives des abus du colportage. »
Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi présenté.
M. Wallaert. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le président.- Il ne peut pas y avoir de fait personnel dans la lecture des pièces.
M. Wallaert. - C'est pour une chose qui s'est passée à une séance antérieure.
M. le président. - M. Wallaert trouvera facilement l'occasion de s'expliquer dans la discussion des budgets de l'intérieur ou de la justice. Je l'engage, à ne pas soulever un incident qui dérangerait l'ordre de nos travaux.
M. de Brouckere. - Il faudrait éviter qu'on pût demander la parole pour un fait personnel à propos de ce qui se serait passé à une séance précédente.
M. Wallaert. - Je ne puis consentir à attendre qu'autant qu'on ne conteste pas mon droit.
M. de Brouckere - Messieurs, je n'ai voulu demander la parole au moment où l'honorable M. Wallaert demandait à s'expliquer sur un fait personnel qui est relatif à ce qui s'est passé dans une séance antérieure, parce que je concevais son empressement à s'expliquer sur ce fait. Cependant je crois devoir faire observer qu'en général on ne peut pas demander la parole pour un fait personnel après que la séance dans laquelle on a été attaqué est passée, parce que sans cela on viendrait relever un fait personnel huit jours ou quinze jours après. Toutefois, comme je viens de le dire, je conçois l'empressement de l'honorable M. Wallaert à s'expliquer sur une imputation dont il a été l’objet ; mais la discussion du budget, soit la discussion générale, soit la discussion des articles lui fournira l'occasion de demander la parole et de présenter telles explications qu'il jugera convenables. Je pense qu'il ne devrait pas insister pour le faire maintenant.
M. Wallaert. - Je ne veux pas laisser peser aussi longtemps sur moi une accusation semblable.
M. Rodenbach. - Lorsque l'honorable M. Verhaegen a prétendu que mon honorable ami Wallaert avait fait un sermon électoral, j'ai dit que c'était faux. Je connaissais le caractère de modération de mon collègue et ami. Je me suis permis de dire que c'était une fausseté et j'ai fait observer que M. Wallaert était absent;
M. Verhaegen m'a répondu : Il lira le Moniteur. Donc il a le droit de répondre.
Quand on a fait planer une calomnie sur un honorable collègue, on doit comprendre son empressement à faire voir qu'on l'a calomnié d'une manière indigne.
M. de Brouckere. - L'honorable M. Rodenbach affecte de prendre le change sur mes paroles, car j'ai dit que je comprenais l’empressement de M. Wallaert à s'expliquer sur le fait qui lui a été imputé. Mais je suis persuadé qu'il n'insistera pas pour prendre la parole cinq minutes plus tôt. Je demande que la discussion du budget soit reprise. Tout à l'heure, à propos de cette discussion, M. Wallaert pourra donner toutes les explications qu'il voudra.
M. Wallaert. - J'attendrai.
M. de Brouckere - Je demanderai à la chambre un congé de quelques jours. Je suis chargé de présider plusieurs commissions dont les travaux sont extrêmement actifs et intéressent tout le pays, Il est impossible que d'ici a quinze jours j'assiste régulièrement aux séances ; cependant, en demandant un congé, mon intention n'est pas d'en profiter entièrement. J'assisterai aux séances quand cela me sera possible ; je veux seulement expliquer les absences que je serai forcé de faire pendant quelques séances du mois de décembre.
- Le congé est accordé.
M. Meeus. - Messieurs, j'avais demandé la parole à la séance de samedi pour répondre à l'honorable M. Pirmez, qui avait combattu les idées que j'avais émises par rapport à notre système monétaire. Je crains, messieurs, que dans notre dernière séance, où je me suis cependant expliqué assez longuement sur notre système monétaire, je n'aie pas été encore assez concluant. Puisque l'honorable M. Pirmez m'en a fourni l'occasion, vous me permettrez de reprendre les choses de plus haut. D'abord, qu'il me soit permis de vous le demander, lorsqu'en 1831 , vous avez fait une loi pour établir un système monétaire en Belgique, ce que vous avez voulu, sans doute, vous avez voulu qu'il y eût une monnaie nationale ; sans doute vous n'avez pas voulu que la loi que vous votiez fût une lettre morte.
Cependant il y a un fait sur lequel j'attire toute votre attention : c'est que dans l'état actuel l’hôtel de la monnaie peut être mis à louer. On n'y travaille pas, on ne peut pas y travailler. Rien, messieurs, que l'énonciation de ce fait doit déjà attirer toute l’attention du gouvernement et des chambres ; car, encore une fois, vous avez voulu quelque chose en adoptant la loi de 1831 (dont je ne me rappelle pas la date). Eh bien, ce que vous avez voulu n’existe pas, ne peut pas exister. Si, par exemple, quand vous avez décrété la loi sur les chemins de fer, vous y aviez stipulé des conditions telles que l'exécution de ces chemins eût été impossible, vous vous seriez empressés de refaire la loi, si tant est que vous voulussiez encore des chemins de fer. Eh bien, il en est de même pour le système monétaire ; vous avez fait une loi qui est sans exécution possible.
Dès lors, messieurs, ou il faut refaire la loi, ou bien, avant de refaire la loi, il faut aborder franchement la discussion de la question de savoir si, par exception dans le monde entier, la Belgique n'a pas besoin d'avoir de système monétaire ; si alors que toutes les nations ont un système monétaire particulier, vous irez seuls risquer de suivre le système d'une nation voisine, ou pour mieux dire de n'avoir pas de système à vous.
Si on veut mettre cette question à l'ordre du jour, elle est belle à discuter. Mais tant que la loi, que vous avez voulu efficace, existera et qu'elle sera cependant sans efficacité, permettez-moi de le dire, c'est un non-sens que de laisser les choses dans l'état où elles se trouvent.
Messieurs, pourquoi faut-il à chaque nation un système monétaire ? par les mêmes motifs que depuis l'origine des sociétés, il a fallu des moyens d'échange faciles pour les transactions journalières. On est convenu dès l'origine des sociétés de prendre pour type des échanges, la marchandise la plus facile à transporter, la marchandise la plus précieuse. On y a apposé l'effigie du souverain, et par ce privilège, on l’a mise à la portée de tout le monde et pour la vérification de la valeur intrinsèque, et pour forcer chacun à la recevoir en échange des choses qu'il vend.
Le besoin d'une monnaie, dans tout pays, se fait tellement sentir, qu'il n'y a pas bien longtemps vous vous plaigniez tous de ce que le cuivre manquait en Belgique ; vous avez insisté pour que le gouvernement belge fît frapper du cuivre national en quantité suffisante pour servir aux transactions journalières. On a frappé du cuivre pour une somme assez forte, et, pour le moment, je ne suis pas fâché de le dire en cette occasion, on se plaint de nouveau que le cuivre manque.
Pourquoi faut-il du cuivre ? Parce qu’il y a des objets de détail qu'on ne peut payer qu'avec une monnaie de petite valeur. Mais ce qui est vrai pour le moins est vrai pour l'intermédiaire. Comment, en effet, voulez-vous payer l'ouvrier ? Malgré le système de 1831, vous n'avez pour toute monnaie, en Belgique, précisément que l'or hollandais, c'est-à-dire la monnaie qui existait sous l'ancien royaume des Pays-Bas, monnaie qu'un moment on a voulu tarifer, et que fort heureusement on n'a pas tarifée, car je me le rappelle à cet instant même, qu'un jour l’honorable M. Seron montait à la tribune pour faire la proposition formelle de tarifer les pièces de dix florins. Dans son système, il disait : C'est une chose absurde que nous ayons un système monétaire et que nous ne tarifions pas les monnaies étrangères. Je l'arrêtai et le priai de remettre sa proposition au lendemain.
L'honorable M. Seron a dû se rendre à mes arguments : Ne voyez-vous pas, lui disais-je, qu'on a fait en 1831 une loi sans efficacité, qui n'apportera pas une pièce de 5 francs de plus dans le, pays que s'il n y avait pas de loi. .Puisque nous n'avons qu'une loi inutile, par la force des choses, il faut que nous nous servions des pièces de dix florins ; si nous ne les avions pas, ou si nous allions les tarifer, il en résulterait une perturbation dans les transactions journalières. L'honorable M. Seron, convaincu par ces observations, a retiré sa proposition ou plutôt il ne l'a pas faite.
Eh bien, aujourd'hui que, par suite de tous les motifs que j'ai fait valoir à notre dernière séance, les pièces de 5 francs sont tellement rares, qu'en vérité il n'est plus possible d'en trouver, je demande comment il sera bientôt possible de pouvoir, à la fin d'une semaine, payer les ouvriers qui auront gagné l'un 5 fr., l'autre 6 fr., l’autre 10 fr., peu importe la journée, mais qui auront gagné à la fin de la semaine, 10, 12, 15 fr. Donnerez-vous à ces ouvriers une pièce d'or ? Mais ils vous diront : Je ne puis pas au moyen d'une pièce payer mon boulanger, payer ce dont j'ai besoin pour ma famille, il faut me donner une monnaie avec laquelle je puisse en définitive pourvoir aux transactions journalières.
Nous en sommes arrivés si près de ce point, messieurs, que dans le Hainaut, par exemple, dans la province de Liége, où l’on a constamment été habitué à recevoir de la monnaie française, on ne sait déjà plus aujourd'hui comment faire pour envoyer de Bruxelles ou d'Anvers les sommes nécessaires pour pourvoir au paiement des journées des ouvriers. C'est encore là un fait que je livre à l'appréciation des membres qui appartiennent aux deux provinces dont je viens de parler.
Eh bien, messieurs, tout ce que je viens de dire ne suffit-il pas pour vous prouver qu'il nous faut nécessairement un système monétaire qui, au moins sous ce point de vue (qui n'est qu'un point de vue secondaire), permette que les transactions de chaque jour ne soient pas entravées.
Maintenant, messieurs, je reviens à des considérations beaucoup plus fortes, beaucoup plus essentielles, ce sont celles que j'ai eu l’honneur de faire valoir dans la séance précédente. J'ai eu l'honneur d'appeler votre attention sur ce point, qu'il est essentiel que toute nation ait, dans son intérêt commercial, dans son intérêt financier, dans l'intérêt de ses transactions industrielles, un bon système monétaire.
J'ai appelé votre attention sur ce qui s'est passé en Angleterre, et sur ce qui s'y passe maintenant ; j'ai appelé votre attention sur ce qui se passe en France et sur ce qui s'y est passé depuis la chute de l'empire. J'ai dit que l'Angleterre, malgré la balance commerciale, qui est en sa faveur, malgré le monopole industriel qu'elle exerce presque dans le monde entier, j'ai dit que l'Angleterre lutte de crise en crise et qu'elle ne sait aujourd'hui comment mettre fin à ces crises. Je vous ai montré la France, malgré les commotions politiques qui viennent compromettre à tout moment son commerce ; je vous ai montré la France luttant avec succès contre toutes les crises financières, ou pour mieux dire, n'en ayant pas eu une, depuis la chute de l'empire.
M. Pirmez. - C'est tout simple.
M. Meeus. - Oui, c’est tout simple, parce que, la France a un excellent système monétaire et que l'Angleterre en a un mauvais ; parce que le système monétaire de la France l'a mise à l'abri de ces enlèvements subits de son numéraire, tandis que le système anglais met l'Angleterre à la merci du commerce étranger, l'expose à voir par l'agiotage dans les fonds publics, ou bien au moyen des transactions entre le nouveau et l'ancien monde, l'expose à voir enlever en quelques jours tout l'or qui se trouve déposé à la banque d'Angleterre. Voilà pourquoi c'est simple.
La France a adopté le système d'argent, le meilleur de tous ; l'Angleterre a adopté le système d'or, qui n'est pas mauvais en lui-même mais qui ne convient pas à sa position. Remarquez bien que ce système d'or ou d'argent n'est pas le résultat d'un principe certain. Il a été la conséquence de la force des choses. Quand les hommes veulent poser un principe à leur manière, un principe qui ne dérive pas de la nature, qui soit contraire à la nature, presque toujours tout ce qu'ils écrivent n'est qu'une lettre morte.
On a bien écrit en France : Tant d'argent vaut tant d'or ; on a écrit en Angleterre : Tant d'or vaut tant d'argent ; mais la nature n’a pas voulu qu’il puisse en être ainsi ; la nature n’a pas établi une proportion entre l'or et l'argent, et celle que les hommes ont établie à une époque peut avoir été bonne pour cette époque, elle peut même avoir été bonne pendant quelques années ; mais, après il s'est trouvé qu'un seul des deux systèmes a prévalu, c'est-à-dire que dans tel pays l'argent a continué seul à servir aux transactions, tandis que l'or, malgré son titre, est retourné à l'état de marchandises, et qu'ailleurs, au contraire, c'est l'argent qui est retourné à l'état de marchandise, tandis que l'or est resté dans les transactions, Voilà ce qui est arrivé ; voilà pourquoi la France a ce qu'on appelle le système d'argent, tandis que l'Angleterre a le système d'or.
Eh bien, messieurs, il est très essentiel, dans mon opinion, que l’Angleterre change son système, si elle ne veut pas rester constamment dans les crises où elle se débat depuis la chute de l'empire. Il est trop facile d'enlever chez elle une masse d'or en peu de jours, et lorsque cela a lieu, la confiance est ébranlée.
Créez un établissement aussi colossal que vous le voulez, vous n'en créerez certes pas un plus colossal que la banque d'Angleterre. Eh bien, messieurs, voyez la banque d'Angleterre, obligée tantôt d'élever son escompte à 6 p. c., tantôt d'aller demander des secours en France, faute de pouvoir suffire aux transactions journalières. Cependant l'Angleterre est le pays du crédit par excellence, c'est le pays où un billet de banque semble valoir tout autant que de l'or, où sous l'empire, quoiqu'on ne les remboursât pas et quoiqu'une loi en eût fait du papier monnaie, les billets de banque n'ont jamais perdu, si ma mémoire est fidèle, plus de 7 ou 8 p. c. L'Angleterre a cet avantage, qui n'existe pas sur le continent, que l’on y a foi au papier de circulation, et que personne n'y songe à demander le remboursement de ses billets, alors même que l'or manque à la banque d'Angleterre. .
Messieurs, dans mon opinion, il faut, pour la Belgique, un système monétaire d'argent, il faut un système monétaire tel que l'exportation de notre numéraire ne puisse pas se faire instantanément, ne puisse se faire que par suite de combinaisons commerciales, par suite de combinaisons financières, ce qui est nécessairement un obstacle à ce que le numéraire sorte d'une manière tellement rapide qu'il puisse en résulter une crise.
Quand on doit exporter l'or ou l'argent pour le refondre, cela ne se fait que lentement ; avant qu'une certaine quantité d'or ou d'argent soit refondue en pays étranger, souvent le cours des fonds publics, le cours des changes a tellement varié qu'on fait revenir le même numéraire qu'on avait envoyé d'abord pour couvrir ce que l'on devait à l'étranger.
Je vais maintenant, messieurs, aborder quelques-unes des objections de l'honorable M. Pirmez. Je dois convenir que l'honorable M. Pirmez, lorsqu'il a fait le rapport dont il nous a parlé, a eu le talent de couper des phrases qui vraiment présentent des idées très spécieuses, mais qui n'ont guère de fond. C'est de la théorie. Je me suis aussi un peu amusé à lire les auteurs qui ont traité des systèmes d'économie sociale, mais je suis loin d'être toutefois partisan de leurs principes. Ces messieurs, trop souvent, voient les choses en l'absence des besoins de la société, ils ne les voient que d'une manière théorique et souvent tout ce qu'ils écrivent tombe, dans la pratique.
Je commencerai, messieurs, par répondre à une question faite par l'honorable M. Pirmez.
« J'ai demandé la parole pour prémunir le gouvernement contre une idée qu'a émise l'honorable M. Meeus et qui, par suite de l'autorité qu'il doit avoir en pareille matière, pourrait influer sur la décision du gouvernement. »
D'abord, messieurs, qu’il me soit permis de dire que je n'ai la prétention d'exercer aucune espèce d'autorité. J'ai une conviction profonde et je manquerais en définitive à mes devoirs, si, lorsque l'occasion s'en présente, je n'insistais pas sur un point que je regarde comme capital pour les intérêts matériels du pays.
« Cette idée, ajoute l'honorable M. Pirmez, a déjà été émise ; à plusieurs époques on a invité le gouvernement à avoir un système monétaire particulier ; on a dit que cela empêcherait les crises d'argent. Pour moi, je crois, au contraire, que le système qu'on propose ferait venir les crises d'argent en Belgique, et que si nous avons été préservés de ces crises jusqu'ici, ou au moins si elles n'ont pas eu toutes les influences fâcheuses qu'elles auraient pu avoir, c'est que nous avons pu avoir recours à des monnaies étrangères. Je vous le demande, si nous avions eu un système monétaire à nous, si nous avions eu un argent belge, ce qui serait arrivé lors de la suspension de la banque de Belgique. Votre crise aurait été bien plus forte qu'elle n'a été, puisque vous n'auriez eu aucun réservoir de numéraire derrière vous pour faire face aux besoins, tandis que vous avez la France avec ses immenses réservoirs de numéraire, où dans les choses d'argent vous pouvez toujours aller puiser. »
Je prie l'honorable M. Pirmez de vouloir bien dire ce qui nous empêcherait d'aller puiser dans ces vastes réservoirs, alors que nous aurions un système monétaire particulier.
Sous le royaume des Pays-Bas on avait tarifé les pièces de 5 fr., cependant les pièces de 5 fr. ne nous ont jamais manqué et la raison est fort simple, c'est que c'est là pour la Belgique une monnaie commerciale qui vaut souvent plus que sa valeur nominale. Soyez donc tranquilles, vous pourrez toujours puiser à ces grands réservoirs, dont vous parlez. Et si à l'époque de la suspension des paiements de la Banque de Belgique nous avions eu un système monétaire, il est pour moi très douteux d'abord que cette suspension eût eu lieu ; mais alors même que l'événement eût eu lieu, l'existence d'un système monétaire en Belgique n'eût point empêché le Société générale d'aller puiser à Paris des pièces de 5 fr. qui seront toujours accueillies ici avec faveur puisqu'en raison de leur titre et du change sur Paris, elles deviennent une véritable marchandise pour nous, parce qu'aujourd'hui on les a achète tous les jours pour les envoyer à Paris. Et prenez-y garde, messieurs, on a été à cette époque puiser dans ce vaste réservoir, mais il a fallu pour cela des ressources tout extraordinaires ; si ces ressources, par une extrême prudence, n'avaient pas existé, qu'eussiez-vous donc fait ? La confiance venant à manquer, chacun de nous prenant ses écus, qu'eussiez-vous fait sans monnaie nationale ? Mais la crise eût été immense. Et elle a déjà été assez forte.
Ne vous y trompez donc pas, messieurs ; un système monétaire particulier convenable à la situation du pays, n'empêchera pas que, selon que le change nous l'indiquera, nous n'ayons recours, pour nos relations commerciales, ou aux pièces de 5 francs, ou à l’or français, ou à l'or hollandais, ou aux pièces de 10 florins. C'est le change qui indiquera les nécessités du commerce. Aujourd'hui nous n'avons pas de système à nous.
M. Pirmez. - C'est-à-dire, nous avons tous les systèmes de l'Europe.
M. Meeus. - L'honorable M. Pirmez me dit : Nous avons tous les systèmes de l'Europe.
M. Pirmez. - Et je ne demande pas autre chose.
M. Meeus. - Commercialement, je ne demande pas non plus autre chose. La France a, comme vous, tous les systèmes ; l'Angleterre a comme vous, tous les systèmes, en ce sens que lorsque le change le commande, les pièces de cinq francs, et même les pièces de 20 francs, les frédérics de Prusse, les pièces de10 florins, les ducats russes, toutes les monnaies, enfin, apparaissent dans le conflit financier, soit à la bourse de Londres, soit à la bourse de Paris, selon que les transactions financières, commerciales, le réclament.
Mais ces nations, tout en recevant les monnaies étrangères, c'est-à-dire, en en faisant usage dans le commerce, ont un système monétaire particulier pour les transactions intérieures du pays ; système qui chez les unes, comme j'ai eu l'honneur de le dire, les met à l'abri, jusqu'à un certain point, des crises financières, et qui chez les autres, parce qu'il est mauvais, active au contraire les crises financières. . .
« Dans le temps, dit M. Pirmez, où il s'est agi de la refonte des anciennes monnaies, on a émis cette idée que la monnaie manquait. J'avais été chargé du rapport sur ce projet, et sur cette question j'ai écrit quelques lignes que je demanderai la permission de lire. Je me bornerai à la partie où j'ai traité la question des crises d'argent. Il s'agissait d'un achat de 27.600 kil. d'argent fin, et l'on disait qu'il serait probablement très difficile au directeur de la monnaie de se procurer ces 27,600 kilo. »
Messieurs, ce qui est certain, c'est qu'on disait alors une chose sans fondement. Je dis qu'il était impossible de soutenir logiquement que 28 mille kilogrammes d'argent étranger pussent jamais amener une crise monétaire en Belgique.
Que sont 27 mille kilogrammes d'argent, je vous le demande ?
J'ignore la valeur actuelle du kilogramme ; mais je sais qu'elle varie de 218 à 220 fr. Quelquefois, il est vrai, on paie une prime. Admettons donc le prix de 225 fr.. Multipliez ce chiffre par 27 mille, et vous arriverez à une somme qui ne devait effrayer personne ; d'autant plus que le directeur de la monnaie devait faire venir cet argent fin, pour, à l'aide de cet argent fin, rendre à la circulation six millions environ de vieilles monnaies qui étaient hors de la circulation. Il faisait donc venir l'argent par somme de cent ou deux cent mille francs à la fois et mettait peu de temps après un million en circulation.
Franchement, je respecte les craintes d'alors ; mais, je le répète, elles étaient sans fondement. .
« Le gouvernement, dit l'honorable M. Pirmez, pourrait-il d'ailleurs augmenter selon sa volonté la quantité de monnaie circulante ? Non,. car pour y parvenir, il ne faudrait rien moins que détruire la confiance qu'ont les habitants de la Belgique, soit les uns envers les autres, soit envers les étrangers. L'idée de confiance, de crédits, repousse l'idée de circulation de la monnaie métallique. Vouloir l'existence d'un grand crédit et en même temps une grande circulation de numéraire, c'est une contradiction, c'est demander qu'il fasse jour et nuit en même temps, Le crédit fait disparaître le numéraire, c'est la défiance qui le rappelle. »
Mais, messieurs, comprenons-nous. Le crédit qui n'est pas autre chose qu'une expression de la confiance, le crédit ne s'accorde qu'à une condition ; c'est qu'il s'appuie sur la vérité.
A l'aide du crédit, on est arrivé, dans les temps modernes, à d'heureuses combinaisons pour faciliter les transactions ; ainsi les banques ont été créées sur le continent. Il en existait très peu avant la révolution française. Ces banques ont émis des billets. Mais, messieurs, pourquoi a-t-on eu confiance ? Pourquoi aujourd'hui encore y a-t-on confiance ? Ce n'est qu'à une condition ; c'est que le jour où, par suite des transactions commerciales, ou par suite de frayeur, ou par suite d'événements politiques, ou par suite de crise financière, on voudra retirer les valeurs que les billets qu'on possède représentent, on puisse aller échanger ses billets contre de l’or ou de l'argent. Voilà, messieurs, en définitive, à quelles conditions le crédit se forme. Mais si les établissements qui émettent ces billets ne trouvent plus moyen, en continuant leurs opérations, de conserver dans leurs coffres les sommes suffisantes pour répondre à cette confiance, à ce crédit, que font-ils ? Ils restreignent leur crédit, et dès lors il y a perturbation.
Encore une fois, j'en appelle à l'Angleterre. La banque d'Angleterre, depuis 1822, a vu constamment diminuer la circulation de ses billets. Bien loin que le numéraire chassât les billets, comme le prétend M. Pirmez, c'est parce que le numéraire diminuait que les billets diminuaient. Et aujourd'hui que fait la banque d’Angleterre ? Voyant que constamment, par nécessité, pour couvrir les transactions avec l'étranger, elle voit retirer l’or qu'elle a dans ses coffres, au lieu d'accorder encore aux négociants et aux industriels son escompte à 5 ou 5 1/2 p. c., elle l’élève à 6 p. c. Et que s'ensuit-il ? Il s'ensuit de la perturbation. Aussi depuis quelque temps chaque correspondance d'Angleterre annonce quelque faillite dans les provinces, souvent à Londres même.
Ce qui est essentiel pour le crédit d'un établissement financier, c'est que le taux de l'intérêt ne subisse pas de grandes variations.
Si les billets chassaient l'argent, comme le dit l'honorable M. Pirmez, et plus loin il donne une comparaison : Je suppose, dit-il, cent millions de billets à ordre ; on émet cent millions de numéraire, et vous chassez cent millions de billets.
M. Pirmez. - Je n'ai pas dit cela.
M. Meeus. - L'honorable M. Pirmez prétend qu'il n'a pas dit cela. Je vais vous lire le passage de son discours auquel je fais allusion.
« Supposons, pour donner un exemple, dit M. Pirmez, un nombre au hasard ; supposons qu'outre la monnaie métallique, cent millions de billets ordre se trouvent dans la circulation en Belgique. Ces billets, comme le numéraire, ne servent qu'aux échanges. Pourrait-on bien se figurer que la quantité des échanges restant la même il fût possible d'augmenter la quantité du numéraire, sans supprimer une égale quantité de billets à ordre, de faire entrer, par exemple, dix millions de numéraire dans la circulation, sans en retirer pour dix millions de billets ? Certes, cela ne serait pas praticable, puisque les billets et le numéraire remplissent les mêmes fonctions, ils ne peuvent exister simultanément, il faut donc que les billets, c'est-à-dire le crédit disparaisse, pour que le numéraire que le gouvernement fabriquerait trouvât place dans la circulation. »
Eh bien, c'est ce que je viens de dire ; mais moi, je prétends tout le contraire. Que vous manquiez de numéraire et que vous en fassiez entrer pour dix millions dans le pays, vous allez augmenter le nombre de billets ; car le nombre de billets qui servent aux échanges augmente et diminue à raison de l'intérêt.
Si l'industriel obtient aujourd'hui l'escompte de son papier à 4 p. c., eh bien, il fait entrer dans son prix de revient, pour lutter contre l'étranger, le prix auquel il obtient de l'argent. Si ce prix diminue, il trouvera encore moyen d'augmenter les affaires et de lutter plus efficacement contre l'étranger, Mais ce prix ne diminuera qu'à une condition ; c'est qu'il y ait dans le pays une masse de numéraire suffisante pour faire face à tous les besoins. Or, je dis que sans un système monétaire ou avec ce que vous appelez votre système, aujourd'hui vous n'avez pas en Belgique de quoi avoir cette masse de numéraire nécessaire pour pouvoir, avec confiance, vous livrer à des escomptes, à des transactions a bas intérêt.
Et je reviens encore à ce que je vous disais tout à l'heure. Si cela n'était pas vrai, pourquoi l'Angleterre devrait-elle augmenter constamment le taux de ses escomptes ? Cela est palpable pour quiconque veut réfléchir. Dire après cela que le nombre des billets chasse le numéraire, c'est là une assertion par trop extraordinaire. Eh ! mon Dieu ! depuis 1790 il a été créé dans le monde entier deux fois plus de billets qu'il n'y a de numéraire ; et cependant la masse de numéraire est devenue aussi 2 ou 3 fois plus grande qu'elle ne l'était à cette époque. Une chose se lie à l'autre ; le nombre de billets d'un établissement n'augmente qu'à une condition, c'est qu'il y ait dans ses caisses de quoi pouvoir répondre à la confiance, au crédit.
Une banque qui fait les affaires avec sagesse doit avoir au moins un tiers en numéraire de la somme de ses billets émis. Eh bien, messieurs, quand, faute d'avoir du numéraire, quand, faute d'avoir une monnaie à vous, vous voyez, par suite d'opérations financières, disparaître le numéraire, que peut dire une banque ? Elle ne peut faire qu'une chose, c'est de diminuer instantanément le crédit qu'elle accordait aux industriels, aux négociants.
Je suppose un moment, et cela peut arriver bientôt , remarquez-le bien, je suppose que le change sur Amsterdam vienne à changer. Il est aujourd'hui en perte de ¼ p. c. ; nous l'avons connu jusqu'à 2 et 3 p. c. avance à d'autres époques. Eh bien, messieurs, si, par suite d'opérations faites dans les bourses d'Anvers et de Bruxelles, si, par suite de ventes considérables de fonds publics faites dans ces bourses par des banquiers de Paris ou d'Amsterdam, il fallait faire de fortes remises à l'étranger, à l'instant même il sortirait une masse de numéraire du pays ; alors on viendrait demander aux établissements financiers l'échange de leurs billets, et au bout de quelques jours ce manège fort naturel, qui viendra par la force des choses, éclairerait les administrations de ces établissements financiers ; force leur sera d'élever l'escompte à 5 ou 6 p. c. ou peut-être même refuser entièrement de prêter. Eh bien, je le demande, messieurs, n'y aura-t-il pas alors une crise ? Si, tout à l'heure, la Société générale venait dire : Je n'escompte plus ; je ne prête plus, parce qu'en définitive, je n'escomptais, je ne prêtais au public que parce que, à son tour, il prenait mon papier ; le public ne prend plus mon papier, n'importe pour quelle cause ; il retire l'argent qu'il m'a donné en dépôt ; eh bien, à mon tour, je ne puis plus escompter.
Cela, messieurs, ne pourra plus arriver lorsque vous aurez un système monétaire à vous. Et pourquoi cela n'arrivera-t-il plus ? Je vais vous le dire. Cela n'arrivera plus, parce qu'alors on ne pourra plus, du jour au lendemain, nous enlever votre numéraire ; car le numéraire qu'on vous enlèverait, il faudrait le refondre pour lui donner une valeur à l'étranger. Or la refonte d'une monnaie, c'est une affaire de longue haleine, et lorsqu'on s'aperçoit que le numéraire s'exporte pour la refonte, on peut prendre à loisir des mesures pour éviter une perturbation ; on a du temps devant soi, et alors il n'y a pas d'inquiétude, alors les établissements financiers, loin de restreindre leur crédit, comme ils savent qu'en définitive il faut aider le commerce, et qu'on peut l'aider sans risque, alors, dis-je, les établissements financiers, loin de diminuer l'escompte, peuvent même quelquefois l'étendre davantage.
Je ne veux pas, messieurs, en dire davantage sur cette question, qui n'est pas à l'ordre du jour ; j'ai voulu attirer l'attention du gouvernement ; j'ai voulu attirer l'attention des chambres sur ce point, parce que j'ai la conviction profonde que des crises d’argent sont à craindre en Belgique si l'on n'y fait attention ; je vous l'ai dit dans la dernière séance, dès que nous en serons arrivés à la conclusion de nos différends avec la Hollande, il se fera des ventes considérables de fonds hollandais transférés sur le grand-livre de la dette belge, ces ventes se feront sur les marchés belges ; je ne dis pas que par la suite ces fonds ne se placeront pas à Paris et à Londres, mais au moment même où le transfert aura été opéré, ce sera sur les marchés belges que les fonds dont il s'agit trouveront leur placement, car les possesseurs de ces rentes n'auront pas confiance, parce que ce seront des ventes transférées, ils n'auront pas, au moins, tant de confiance que nous Belges. Dans le principe ces rentes se vendront peut-être à 2 ou 3 p. c. au-dessous du cours de nos fonds actuels, et alors les Belges ne manqueront pas de les acheter, et dès ce moment l’or hollandais dont nous nous servons maintenant, sortira du pays. Eh bien alors, messieurs, il y aura une crise, si cela se fait sur une échelle un peu forte. Il y aura encore une crise dans un temps plus éloigné, et je crois qu'il est de mon devoir de bon député de le dire dans un temps plus éloigné, alors que la Société générale cessera d'exister, il y aura une crise. Or, ce temps n'est pas très éloigné, c'est en 1849. Eh bien, à cette époque, j'en suis certain, on ne remplacera pas un établissement aussi colossal, et si vous en voulez le motif, je vais vous le dire en quelques mots d'abord : on ne donnera plus une dot de 60 millions environ pour constituer un semblable établissement, on ne trouvera pas en outre une somme de plus de 30 millions qui forme le fonds de réserve de la Société générale, ce qui fait ensemble 90 millions ; vous n aurez pas non plus un actionnaire étranger qui a lui seul prenne 25 millions. Eh bien, messieurs, quand la Société générale cessera d’exister, une crise sera inévitable si vous n'avez pas un système monétaire.
Je le déclare, depuis 1830, ce n'est pas une fois, mais six à sept fois, à ma parfaite connaissance, qu'il est dû à la Société générale qu'il n'y a pas eu de crise d'argent. En 1832, alors qu'il semblait que tout était au mieux, ce n'est qu'à l'aide de 30 millions que la Société générale a fait venir' de Paris, qu'elle a empêché une commotion qui était devenue inévitable sans cette ressource.
Il est peu d'établissements, messieurs, qui puissent faire cela. Faisons donc une bonne fois notre compte avec l'avenir et soyons prudents.
Je suis parfaitement d'accord avec l'honorable M. Pirmez, que le gouvernement ne doit pas aller battre monnaie outre mesure ; non certainement, il faut qu'il ne le fasse que dans certaines limites, dans des limites en rapport avec les besoins du pays, et, comme j'ai eu l'honneur de le dire en commençant, pour pourvoir aux transactions journalières, pour pouvoir payer nos menues dépenses (passez-moi cette expression). Il faut de plus battre monnaie à des conditions telles que notre or ou notre argent ne puisse pas être enlevé d'une manière tellement subite qu'une crise puisse en résulter en quelques jours sans qu'on ait le temps de prévenir cette crise.
Maintenant on me dira, comme on me l'a dit dans la dernière séance : « Nous avons saisi parfaitement votre raisonnement, mais vous n'avez pas conclu ; quel système voulez-vous ? » Après que j'eus parlé, quelques-uns de mes honorables amis sont venus près de moi me dire : « Vous avez dit là d'excellentes choses, mais vous n’avez pas conclu. » Non, messieurs, je n'avais pas conclu parce que la conclusion de ce que j'ai dit me semblait frappante pour tout le monde : Il nous faut un système monétaire différent du système français, soit par le poids, soit par le titre, c'est ce qui n'importe pas de discuter pour ce moment. Le gouvernement recherchera ce qui convient le mieux à la Belgique, il aura soin de consulter les hommes qui connaissent cette matière, il s'éclairera probablement de l'avis des chambres de commerce, et je terminerai en le demandant au gouvernement, puisque cette question me paraît n'être pas suffisamment comprise.
Le gouvernement, que risque-t-il de s'éclairer des lumières des chambres de commerce ? Il est fort facile, me semble-t-il, de mettre la question à l'ordre du jour ; qu'elle soit traitée par les chambres de commerce, qu'elle soit traitée par les journaux, que chacun en un mot apporte le tribut de ses lumières.
Je sais, messieurs, que l'on m'objecte (et je veux, puisque je me la rappelle, répondre à cette dernière objection) ; on dit : Mais tandis que tout tend à l'uniformité, en fait de système monétaire, pourquoi nous Belges, irions-nous adopter un système particulier ? Messieurs, il en est du système monétaire comme du système de commerce, comme de tout autre système : quand toutes les nations voudront s'entendre et confondre leurs intérêts, détruire les barrières qu'elles se sont créées les unes contre les autres, certainement je ne pense pas qu'alors la Belgique doive rester en arrière ; mais tant qu'elle voudra seule, isolément, donner l'exemple, qu'elle prenne garde de se tromper, qu'elle prenne garde de se faire un tort considérable à l'avantage des autres nations. Tous ceux, en définitive, qui ont intérêt à l'étranger à pouvoir facilement profiter des transactions avec la Belgique, vous prêcheront ces doctrines. L'Angleterre, par exemple, envoie partout des hommes très éclairés pour ses intérêts, qui disent aux autres nations : « La liberté commerciale, c'est un principe aujourd'hui, il faut le reconnaître, c'est un progrès qu'il faut adopter. » Entre-temps, cependant, l'Angleterre renforce journellement sa ligne de douanes, et, pour le dire en passant, comme je l'ai dit dans la séance précédente, elle livre annuellement à la Belgique pour 65 millions de plus de marchandises que nous ne lui livrons, c'est-à-dire, que depuis dix ans elle nous a pris pour une demi-milliard de numéraire, tout en prêchant des doctrines très libérales.
Eh bien, messieurs, il en est de même en fait de système monétaire ; notre système actuel convient parfaitement aux nations qui vendent plus que nous ne leur vendons ; ces nations trouveront toujours des raisons pour nous engager à conserver ce système, mais gardons-nous de tomber dans des pièges qu'elles peuvent nous tendre.
Donnons la main (je suis le premier à y consentir) à toutes les améliorations sociales qui peuvent se répandre sur la face du globe ; mais n'allons pas témérairement prendre l'initiative d'améliorations qui pourraient en définitive tourner à notre préjudice, alors que personne ne veut nous seconder.
On dit, et cette objection s'est emparée beaucoup trop des esprits, on dit : « Mais le système monétaire français est le meilleur. » J'en conviens, messieurs, oui le système monétaire français est le meilleur, et pour ma part, je suis prêt à m'en servir, à la condition que l'Allemagne, que l'Angleterre, que toutes les autres nations s'en servent également.
Mais si nous devons l'adopter seuls, nous serons nécessairement les dupes.
Je termine en priant le gouvernement de prendre en considération les dernières observations que je viens de faire. La lumière ne nuit jamais : les chambres de commerce peuvent donner d'utiles conseils. Si leurs avis sont contraires à mon opinion, soyez-en persuadés, messieurs, mon amour-propre n'en sera pas froissé ; je ne veux avoir ici d'autre autorité, en cette matière, que celle d'une conviction profonde : j'ai dû communiquer à la chambre mes opinions parce que de même que j'ai prédit dès 1823 que l'Angleterre marcherait de crise en crise, à raison de son système monétaire , j'ose prédire de même que si la Belgique continuait de rester dans la voie où elle est engagée, elle marchera bientôt également de crise en crise : c'est ma conviction profonde.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, la question des monnaies est certainement une question trop importante pour ne pas mériter toute l'attention du gouvernement ; aussi s'entourera-t-il de tous les renseignements, de toutes les lumières qui lui sont nécessaires pour la traiter, et l'apporter devant vous quand elle sera arrivée à maturité.
M. Mercier - Messieurs, quelques mots de réponse avaient été promis aux observations que j'ai cru devoir soumettre à l'assemblée sur le budget des voies et moyens, ou plutôt sur notre situation financière en général.
Au lieu de rencontrer mes observations, M. le ministre, sous l'apparence d'une réfutation, a répondu à des objections que je n'ai pas faites, et a parlé de choses dont il n'avait pas été question le moins du monde dans mon discours ; je dois ajouter qu'il est tombé dans de graves erreurs, que je signalerai tout à l'heure.
Qu'avais-je dit en effet sur le chiffre de 22 millions 500 mille francs de la dette flottante, qui ait pu provoquer les observations de M. le ministre ? J'avais seulement, au sujet de ce chiffre, exprimé l'opinion que le non-emploi de 1,500 mille francs de crédit sur chacun des exercices 1840 et 1841 pouvait être exagéré ; j'admettais cependant le chiffre de 22,000,000 francs présenté par M. le ministre dans le budget des voies et moyens. J'avais seulement fait remarquer qu'il y avait quelques crédits supplémentaires à réclamer encore de la chambre, et que ces crédits devaient naturellement augmenter le chiffre de la dette flottante.
Comment M. le ministre répond-il à cette observation ? Il fait une revue rétrospective et prétend trouver une excessive exagération dans le chiffre du découvert, que j'ai signalé dans la situation du trésor présentée au mois de novembre 1840 ; ce qui assurément n'avait rien de commun avec le chiffre de 22,500,000 fr. dont je ne contestais pas les éléments.
M. le ministre veut bien me faire observer qu'il faut respecter les comptabilités closes et définitivement arrêtées par la cour des comptes ; où donc ai-je contesté un seul chiffre des comptabilités closes ? C'est en vain que je cherche le motif de cette observation.
Mais en prétendant à tort que j'avais exagéré l'insuffisance du trésor, M. le ministre a commis lui-même l'erreur la plus grave.
D'après lui, la situation du trésor que j'ai présentée en novembre 1840, accuse un déficit de 18,445,000 fr., tandis qu'après l'approbation définitive des comptes de 1838 il a été permis d'établir de la manière la plus positive que ce découvert se bornerait à 9,777,000 fr.
Il fait ensuite ressortir l'énorme différence de 8.678,000 fr.
M. le ministre ne s'est donc pas aperçu que mon chiffre de 18,445,000 fr. comprenait les cinq millions dont la dette flottante a été réduite, en vertu de la loi du mois de juin 1840, taudis que le chiffre de 9,777,000 ne les renferme plus. Voilà donc deux éléments qui ne peuvent être comparés eu aucune manière. Ainsi disparaît l'énorme différence que M. le ministre a signalée et qu'il avait cru découvrir.
Je regrette d'autant plus que de telles observations aient été produites, que la manière dont je m'étais exprimé ne semblait pas devoir en provoquer de semblables, puisqu'elles n'avaient aucun rapport avec le chiffre de 22,500,000 fr. ; du reste, pour se convaincre de cette erreur, .M. le ministre n'a qu'à recourir à la situation du trésor eu 1840, il y lira, page 10 : « Le résultat de la situation qui précède établissant un excédant de dépense de fr. 18,455,806 72.
« L’émission de bons du trésor pour le prêt accordé à la banque de Belgique s'élevant à fr. 4,000,000
« Ensemble : fr. 22,455,806 72 »
« Et la loi des voies et moyens de l'exercice 1840, en date du 29 décembre 1839, n'ayant autorisé une émission de bons du trésor que de fr.18,000,000
Il y aurait, en conséquence, à augmenter les bons du trésor d’une somme de fr. 4,455,806 72.
La loi du 26 juin 1840 ayant affecté une somme de 5,038,533 fr. 69 c., destinée à éteindre une valeur égale aux bons du trésor, cette somme, retranchée de celle de 22,455,806 fr. 72 c. réduit l'émission, pour l'année 1841, à 17,417,273 fr. 03 c.
Il faut donc distraire de la somme de 18,455.806 fr. 72 c. le chiffre de 5,038,533 fr. 69 c., ce qui la réduit à 13,417, 273 fr. 03 c. ; la différence avec le chiffre de la situation actuelle n'est donc que de 3,640,000 fr.
Elle provient de quelques circonstances dont je vais faire part à la chambre, sans citer tous les chiffres qu'on ne suit que difficilement. D'abord il est rentré au trésor sur le prix de vente des domaines, une recette en sus des prévisions du mois de novembre, de 1,680,000 fr. ; mais c'est là une recette tout à fait extraordinaire, qui a été affectée à la réduction d'une partie de la dette flottante. Voilà ce qui explique déjà la moitié de la différence.
J'ajouterai que le département de la guerre, qui avait annoncé ne pouvoir laisser qu'un million de crédits sans emploi, en fournit deux qui viennent concourir à diminuer la dette flottante ; enfin M. le ministre suppose que des crédits jusqu’à concurrence de 1,000,000 fr. resteront disponibles sur chacun des exercices 1840 et 1841. Or, je dois déclarer que lorsque j'ai présenté la situation du trésor au mois de novembre 1840, je n'ai pas cru devoir présenter une économie de 1,00,000 francs sur le même exercice ; j'ai cru devoir m'en abstenir d'autant plus que le budget de la guerre ne devait être complété qu'à la fin de l'année, et que dès lors il me paraissait probable que ce département pouvant facilement apprécier ses besoins, il ne laisserait pas de crédit sans emploi ; j'avais, en outre, la persuasion que sur le budget de la même année, il y aurait des crédits supplémentaires à demander, et notamment pour les intérêts de la dette flottante. Cependant je ne conteste pas que M. le ministre, ayant été en position d'examiner les choses au point de vue actuel, a pu trouver une réduction de 1,500,000 francs sur le budget de 1840.
D'un autre côté, de nouveaux crédits ont été demandés par M. le ministre et viennent toute compensation faite, réduire de 2 millions la dette flottante qui figure au budget des voies et moyens de l'exercice courant.
Voilà, messieurs, la différence qui existe entre la situation du trésor qui vient de vous être présentée, et celle qui a été arrêtée au mois de novembre 1840.
Maintenant j'en reviens aux observations que j'avais faites et qui portaient sur les crédits supplémentaires qui ont été demandés ou qui doivent l'être. En effet, deux crédits supplémentaires vous ont déjà été proposés, l'un par M. le ministre des travaux publics, de 817,000 fr. et l'autre par M. le ministre de la justice de …. J’ai dit qu’il restait des demandes d'autres crédits supplémentaires à faire pour les intérêts de la dette flottante de 1840 et de 1839 et que ces différentes sommes et d'autres en partie indiquées pourraient entraîner une certaine augmentation dans le chiffre de la dette flottante et la faire porter à la même somme que celle que présente la loi actuelle.
J'ai répondu, dans la séance de samedi dernier, à une autre partie du discours de M.. le ministre des finances, lorsqu'il crut signaler une autre prétendue erreur. J'ai prouvé dans la dernière séance que l'insuffisance de 4,415,000 fr. en présence de laquelle nous nous trouvions en 1840, existait réellement. Si M. le ministre, après la réfutation que j'ai faite, persistait à soutenir que cette insuffisance est exagérée, je donnerais de nouvelles explications dont il résulterait qu'à l'époque dont il s'agit nous étions en présence de l'insuffisance que j'ai signalée, et que si j'avais connu les faits qui se sont accomplis depuis, j'aurais même dû les porter à un chiffre plus élevé. Il me serait très facile de le prouver, au moyen de calculs que, pour ne pas abuser des moments de la chambre, je ne présenterai qu'autant que M. le ministre conteste mes premiers chiffres.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, l'honorable M. Mercier, dans le premier discours qu'il a prononcé sur le budget des voies et moyens, avait établi le chiffre de la dette flottante à peu près comme moi, c'est-à-dire, à 22 millions ; mais il y est arrivé par d'autres moyens, J'ai fait des efforts pour rectifier ses calculs, et bien déterminer l'importance et la nature de notre dette flottante. Or, d'après la situation du trésor, arrêtée au 1er septembre dernier, le découvert du trésor, au 1er janvier 1842, ne sera réellement que de 9 millions. Mais la chambre se rappellera qu'elle a décidé dans la dernière session que dorénavant les intérêts de la dette constituée seraient payés jour par jour et non d'après les annuités échéant dans le cours d'un exercice, c'est-à-dire que chaque exercice devra porter les intérêts de la dette constituée depuis le 1er janvier jusqu'au 31 décembre. J'ai mis cette décision à exécution et il en résulte qu'un nouveau crédit de 8 millions sera nécessaire, pour satisfaire à l'obligation qui a été imposée par la chambre ; ces huit millions joints aux neuf millions (je néglige les fractions), formeront conséquemment un découvert de dix-sept millions.
Au découvert, il faut ajouter les quatre millions avancés à un établissement, ce qui élève le chiffre à 22 millions. Il résulte de ces faits que le découvert réel du trésor, et je prie la chambre de bien s'en convaincre, ne s'élève réellement qu’à neuf millions. Maintenant j'ajouterai que je crois n'avoir rien dit de désobligeant pour M. Mercier, en relevant divers calculs qu’il a présentés. Je n'ai pas la situation du trésor de 1840 sous les yeux, il est possible que, de mon côté, j'aie commis une erreur en ne tenant pas compte en lieu et place de la somme de cinq millions venue en déduction du dernier emprunt. Mais toujours est-il qu'entre nos deux évaluations il y aurait encore dans cette hypothèse une différence de trois millions. Quoi qu'il en soit, il est de fait que le découvert réel n'est que de neuf millions, qui s'accroîtra des huit millions demandés pour payer la dette par exercice et jour par jour, plus des quatre millions prêtés à un établissement financier.
Voilà la vraie situation financière quant à la dette flottante ; elle n’est pas autre.
M. Osy - Je prends la parole pour répondre à l'honorable M. Pirmez, qui a tâché de mettre le gouvernement en garde contre l'opinion émise par l’honorable M. Meeus, qu'il serait également temps de faire la révision de la loi monétaire.
Il est sûr que, par notre système actuel, vous pouvez voir le pays dépourvu d'espèce métalliques, car sans les sacrifices que le pays a été obligé de faire de temps en temps et sans la refonte des anciennes monnaies, on n'aurait presque pas frappé des espèces d'argent dans le pays (pour l’or il ne faut pas du tout y penser), tandis que si vous aviez adopté dans le temps le système or, comme nous l'avions avant la révolution, il se serait présenté, depuis 10 ans, de fréquentes occasions de battre monnaie pour des particuliers et sans le moindre sacrifice pour le pays, mais il fallait adopter, tout en faisant des pièces de 10 et 20 fr., les mêmes proportions pour titre et poids que les pièces de 10 fl. Il y a à peine un an qu'une grande maison de ce pays a trouvé occasion de nous importer pour près de 8 à 10 millions de florins de pièces de 10 florins qu'elle a fait frapper à Utrecht et qu'elle aurait fait frapper de préférence à Bruxelles, parce que c'était avec de l'or en lingots et des pièces d'or d'Allemagne, et il aurait économisé de grands frais de transport.
Les occasions, par la situation du change sur Londres et l'Allemagnes, peuvent se représenter encore souvent, et on sera toujours obligé d'avoir recours aux hôtels de monnaies des pays voisins, tandis que nous aurions par préférence attiré ces affaires et nous aurions des espèces du pays, tandis que maintenant vous n'avez que de l'argent étranger, et comme vous l'a si bien démontré l'honorable M. Meeus, il peut se présenter des circonstances que ces espèces étrangères, tant or qu'argent, pourront être exportées en même temps. J'engage donc le gouvernement à prendre cet objet en mûre considération, et tout en approuvant la révision de l'assiette des impôts de ne pas négliger d'avoir un bon système monétaire.
Certainement, la balance commerciale est encore avec la France en notre faveur, mais si les restrictions pour l'exportation de nos toiles continuent sans que le gouvernement prenne des mesures de réciprocité, dans peu d'années nous perdrons encore sur ce point, et la balance pourrait bien être contre nous.
L'emprunt de 86 millions aurait dû faire refluer des espèces sonnantes dans nos caisses ; mais pendant que ces opérations se faisaient, le change sur Paris est toujours resté élevé et nos pièces de 5 francs s'exportaient, comme on vous l'a dit, parce que nous étions obligés de faire venir de Paris des valeurs sur l'étranger pour payer des marchandises que nous recevions des entrepôts d'Europe, tandis que si nous avions des droits protecteurs pour recevoir des marchandises des pays de production, vous n'en payeriez qu'une partie en espèces ou en papier sur l'étranger, puisque ces pays de production vous prendraient en payement une grande partie de vos objets d'industrie, et il s'établirait un échange avantageux, tandis qu'en faisant venir des sucres, café, coton et autres produits coloniaux des entrepôts d'Europe, vous les payez argent comptant sans aucune réciprocité. Il est donc plus que temps que les principes de M. l'abbé de Foere, que je partage en grande partie, soient mis à exécution, et l'enquête vous prouve que notre système commercial actuel est très vicieux et tout à fait au détriment de notre commerce, de notre industrie et surtout de notre navigation.
En deux mots, il faut que notre pavillon soit protégé, tant pour des importations des pays de production que des entrepôts d'Europe.
Ensuite les arrivages des pays de production, par pavillon même étranger, doit avoir des avantages sur les arrivages des entrepôts d'Europe, et de cette manière vous pourrez espérer d'établir un commerce d'échange. Je ne vous parlerai que d'un seul exemple.
On calcule que, depuis le mois de septembre nous avons reçu de la Hollande au delà de 80,000 balles de café ou près de 10 millions de 1/2 kil., soit une valeur de près de 5 millions de francs, et ces cafés ne paient pas plus de droits d'entrée que ceux que j'irais chercher au Brésil, à St-Domingue et même à Batavia ; pour les premiers il ne vous faut que quelques jours, et ainsi un déboursé de fonds qui ne dure que peu de temps, tandis que pour les autres importations lointaines il me faut 6 à 12 mois, ainsi grand débours d'argent, et en courant de grands risques de trouver au retour de mes navires de grandes variations dans les prix. Ne dois-je pas avoir de préférence par des droits protecteurs, d'autant plus que ces affaires lointaines favorisent nos exportations, et une partie notable du capital reste dans le pays, comme fret d'assurance, sans calculer l'argent qu'on dépense pour la construction et l'armement des navires belges, et qui donne de la valeur à vos forêts, vos fers, chanvre, etc., et toute la main-d'œuvre.
Ensuite les arrivages des entrepôts d'Europe peuvent être faits directement par les consommateurs, ou au moins par le dernier entremetteur, le boutiquier, tandis que les arrivages directs, donnent beaucoup d'occupation à vos ports de mer et à tous vos intermédiaires avant d'aller à la consommation.
En protégeant donc les arrivages directs, une grande partie des capitaux reste dans le pays et les exportations augmenteront notablement, et de cette manière vous exporterez beaucoup moins de numéraire, et ayant un système monétaire or, vous aurez au moins toujours des espèces dans le pays, tandis qu'avec le système monétaire actuel et surtout à cause de votre système commercial actuel, la balance commerciale sera toujours contre vous et vous devez finir par voir épuiser vos caisses.
Je me réserve, lors de la discussion du budget de l'intérieur, de vous parler de la protection accordée aux fabricants de coton ; le système était bon en principe, mais il a été exécuté d'une manière vicieuse, parce qu'il y a eu du favoritisme, ce qui a été également le cas pour la navigation transatlantique, qui vous a menés à faire une opération tout à fait contraire aux lois existantes et à doter le pays de charges tellement lourdes, que vous en serez effrayés lorsque je vous démontrerai par des calculs, quand il en sera temps.
Je ne veux pas finir sans insister, comme le fait la section centrale, pour tâcher de sortir du mode vicieux de régler nos discussions financières.
En nous assemblant vers la mi-novembre, nous ne pouvons pas, comme il conviendrait de le faire, commencer par les budgets de dépenses ; et si même le gouvernement voulait nous appeler un mois plus tôt, il serait obligé de le faire tous les ans, et comme c'est une prérogative royale, nous n'avons rien à imposer ; mais ayons le courage de voter une seule fois deux budgets de dépenses dans la même session, par exemple, au mois de mars avant de nous séparer, les budgets de dépenses pour 1843, et ainsi, pour la suite, vous n'auriez qu'à voter les crédits supplémentaires si le gouvernement n'avait pas pu, neuf mois d'avance, prévoir toutes les dépenses, et ensuite les voies et moyens ; et seulement vers la fin de nos sessions les budgets de dépenses pour l'année suivante.
Je préfère de beaucoup ce moyen à celui de demander au gouvernement de nous assembler plus tôt, ou au projet présenté dans le temps par mon respectable et digne ami, M. Verdussen, que nous devons tous regretter de ne plus voir siéger ici.
J'espère que M. le ministre des finances nous présentera aussi, avant la fin de la session, une loi de comptabilité, pour que nous soyons assurés que toutes nos recettes et dépenses soient constatées par la cour des comptes et qu'aucune dépense ne puisse se faire sans son visa.
Je voudrais que la cour ait non seulement le contrôle des détails de votre budget, mais aussi le contrôle sur l'emploi des fonds de l'amortissement, des fonds de retraite, des cautionnements et des consignations, et que nous pussions retourner chez nous tranquillement après chaque session, sans avoir des craintes qu'on puisse, d'une manière ou d’autre éluder les budgets, comme il paraît que cela a eu lieu pour l'achat d'un bateau à vapeur, et sans que la cour des comptes en ait eu aucune connaissance, car j'ai à ce sujet pris mes en l'enseignements auprès de la cour, qui devrait être notre sauvegarde contre des dépenses dont nous ne voulons pas. Si nous n'avons pas sous peu une bonne loi de comptabilité, je déclarerai tout haut, et après avoir lu avec attention les observations réitérées de la cour des comptes, que ce que nous faisons ici est véritablement inutile, si MM. les ministres peuvent trouver moyen d'éluder nos votes.
Vous ne vouliez seulement que favoriser une navigation transatlantique, et vous devenez acquéreurs et exploiteurs ; il n'y a au budget qu'une somme pour favoriser une compagnie, mais dans notre système vicieux on trouve moyen de toucher au trésor contrairement à vos intentions.
Vous fixez des traitements, et on trouve moyen de les augmenter par des cumuls ou sur plusieurs allocations des budgets. Voyez encore à ce sujet les observations de la cour des comptes.
L'art. 139 de la constitution nous oblige de faire une loi pour la responsabilité ministérielle. Le grand grief de la révolution contre l'ancien gouvernement était que les ministres n'étaient pas responsables, et cependant, nous voilà dans la 1le année depuis le nouveau régime ; vous n'avez pas de loi de responsabilité, et si jamais ministère devait être mis en accusation, et être pécuniairement responsable, c'est celui qui a osé vous entraîner à une dépense énorme et qui peut avoir les suites les plus graves pour vos budgets futurs.
J'ai entendu un membre de l'ancien ministère faire de graves reproches, pour des arrêtés pris en vertu de la loi de 1822 et d'avoir diminué par arrêté des droits sur nos canaux et rivières. Il est certainement très douteux que ce soit inconstitutionnel, mais cela vous prouve qu'il y a des hommes qui savent faire des reproches à leur prochain sur un abus peut-être, mais qui ne regardent pas de près lorsqu'ils sont au pouvoir, sur des actes que je pourrai nommer non seulement un abus de pouvoir, mais une telle faute qu'on devrait en faire un acte d'accusation. Lorsque nous serons au budget de l'intérieur et que nous aurons examiné avec attention le dossier que M. le ministre a déposé au bureau samedi, je me flatte que la chambre aura assez de fermeté pour que de pareils abus ne puissent plus se renouveler.
Nous sommes tous d'accord qu'il existe un arriéré dans nos finances, mais lors de la liquidation avec la Hollande, il nous rentrera beaucoup de fonds que nous avons votés comme les fonds pour sa caisse de retraite, intérêts des fonds en Hollande, anciens cautionnements et principalement notre part dans l'exercice des redevances annuelles.
Ainsi, de fortes sommes, que nous votons encore comme extraordinaires cette année, ne se reproduiront plus ; et si nous adoptons l'amendement de M. Smits, présenté l'année passée et qui est de toute justice, je ne crains pas de dire que la loi d'indemnité, que nous attendons avec une juste impatience, ne dérangera pas notre bilan à venir. Ainsi je ne crains pas le déficit futur dont ou a voulu nous effrayer.
Pour. ce qui est des prévisions portées au budget des voies et moyens, je conviens que ma section, avant de les adopter m'a chargé, comme son rapporteur, de prendre des renseignements pour nous assurer si effectivement nous pouvions les admettre ; les renseignements donnés à la section centrale m'ont entièrement rassuré, et, si comme nous devons tous l'espérer, nous pouvons continuer à avoir la paix et la tranquillité ; je suis persuadé que les prévisions de M. le ministre seront plutôt dépassées, et j'ai fait partie de la majorité de la section centrale, pour vous proposer l'adoption du budget présenté.
J'ai entendu, dans la discussion générale, prononcer le mot de complaisance de la section centrale ; ayant été de la majorité, je dois dire que nous avons examiné toutes les observations de la minorité avec la plus grande attention, et je ne doute pas que nos collègues ne nous rendent cette justice. Pour moi, je ne suis d'aucun parti, je n'ai pas cherché ni désiré revenir dans cette enceinte, aimant trop la tranquillité et mon intérieur ; mais je n'ai pu refuser cette nouvelle marque de confiance de mes concitoyens, et je leur promets de faire tout ce qui dépendra de moi pour tirer le moins mauvais parti possible de notre situation actuelle ; comme député, je ne conçois que les choses et pas les hommes. Si le ministère actuel marche dans une voie qui me promette la justice pour tous et des moyens de ramener quelque prospérité, et surtout de l'ordre, sans me donner des inquiétudes pour la régularité de notre comptabilité, il aura mon appui ; mais s'il s'en écarte, et quoiqu'il y ait dans le ministère un de mes amis, l'homme que nous estimons tous dans la ville qui m'a nommé, je ne penserai pas à notre amitié, et mon devoir passera sur toute considération d'affection.
Je ne suis pas du parti catholique ni du parti libéral, et mon drapeau ne sera jamais que celui de la moralité, de l'ordre et de la prospérité. J'ai dit.
M. Rogier - Messieurs, l'honorable préopinant, dans un discours où il s'est attaché à beaucoup de matières différentes est revenu à plusieurs reprises sur l'affaire très importante connue sous le nom de British-Queen. A cette occasion il s'est livré à des récriminations très sévères contre l'ancien cabinet. Il a été jusqu'à dire que la conduite d'un certain ministre, dans cette circonstance, mériterait de provoquer de la part de la chambre une mise en accusation. Comme le ministre qu'il a indiqué est celui qui avait dénoncé dans la séance d'avant-hier, ce qu'il considérait comme une illégalité dans un arrêté ministériel, je suis obligé de prendre la parole pour répondre au député de l'arrondissement d'Anvers.
Messieurs, cette affaire ne concerne en aucune manière le département que j'avais l'honneur de diriger. Elle a été traitée exclusivement par le département de l’intérieur dont l’ancien chef n’est pas présent à la séance : Elle a été commencée sous son ministère et terminée par le ministère actuel. Je regrette que l'honorable député de l'arrondissement d Anvers n’ait pas attendu l'examen des pièces qui sont déposées sur le bureau et que, dans son empressement à accuser, il ait perdu de vue que son accusation tomberait non sur l'ancien cabinet, mais sur le nouveau, si tant est qu'il y ait matière à accusation, ce que l'examen consciencieux des pièces démontrera.
L'honorable député d'Anvers blâme surtout la manière dont on aurait procédé à la liquidation de l'achat du British-Queen. Quant au mode de paiement employé, l’ancien ministère y est totalement étranger. Si donc à ce propos il y a une accusation à lancer contre quelqu'un, c'est contre le nouveau ministère et nous contre l'ancien.
Je suis heureux, du reste, que dès le début de cette session l'occasion se soit présentée de m'expliquer ouvertement sur cette accusation. Je sais que des calomnies ont été insinuées à diverses reprises contre les membres de l'ancien cabinet , et contre moi en particulier. L'origine m'en est connue, et je la méprise. Je m’en suis expliqué devant les calomniateurs eux-mêmes.
Il est étrange qu'un député qui, pour la première fois, est appelé à prendre la parole dans cette enceinte, après être resté muet pendant dix ans, on sait pourquoi, pousse la légèreté jusqu'à se livrer à des accusations contre l'ancien ministère pour un acte auquel ce ministère est étranger. Du reste, les pièces sont déposées sur le bureau ; la chambre en fera un examen consciencieux ; et quand la discussion arrivera, nous sommes prêts à défendre ce qui a été fait par nous dans l'affaire du British-Queen. Le reste appartient au ministère actuel qui, je n'en doute pas, est en mesure de défendre ce qu'il a fait.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je regrette à mon tour que l'honorable préopinant, tout en disant qu'il ne fallait pas anticiper sur cette discussion, ait de son côté signalé à la chambre comme un acte appartenant entièrement au ministère actuel, le mode de paiement de la British-Queen. Il a été fait modification au mode de paiement, mais cette modification n'est qu'une amélioration. Et les reproches qu'on veut adresser au nouveau mode s'adressent également à l'ancien.
M. Rogier. - Vous étiez libre de le changer.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Un changement complet, c'était impossible. Du reste, n'anticipons pas sur cette discussion, ne créons pas réciproquement des préventions. Le jour de la discussion viendra, toutes les pièces seront connues ; et cette discussion, de part et d'autre, nous l'accepterons franchement.
M. Osy. - Si j'ai parlé de l'achat du bateau à vapeur, ce n'était pas pour revenir sur cette affaire. Mais dans le rapport sur le budget actuel, il est parlé de comptabilité ; j'ai voulu appeler l'attention de la chambre sur la nécessité d'y introduire une réforme, parce que j'ai vu une inexactitude de deux millions, sur laquelle la cour des comptes n'a pu me donner aucun renseignement.
Quant aux reproches que j'ai articulés contre l'affaire du British-Queen , je ne dis pas si ces reproches s'adressent à l'ancien ou an nouveau cabinet. Ce que je sais, c'est que l'achat est le fait de l'ancien cabinet. Pour ce qui est du payement. je ne puis pas dire si cela retombe sur l'ancien ou le nouveau. Je me réserve d'en parler quand nous aurons examiné les pièces.
Si je ne suis pas venu depuis dix ans, c'est parce que j'aime le repos. Je suis étonné que M. Rogier m'en fasse le reproche.
M. Dumortier. - Parmi les questions traitées incidemment et à propos du budget des voies et moyens, il en est deux sur lesquelles je demanderai la permission de présenter quelques observations, Ce sont les questions concernant le système monétaire et la légalité des deux arrêtés.
Messieurs, mon opinion, quant à la question monétaire, vous est connue. Je l'ai déjà défendue dans cette enceinte. Quand nous votâmes, en 1831, la loi monétaire, j'ai soutenu qu'il fallait à la Belgique un numéraire qui lui soit propre ; que sans cela nous serions exposés aux crises les plus graves. Malheureusement ce système n'a pas été adopté. Je, vois avec plaisir qu'on y revient aujourd'hui, et que ce sont ceux-là même qui ont combattu mon opinion alors qui viennent la défendre maintenant.
Je le répète, le seul moyen d'empêcher les crises, c'est de vous créer un système monétaire particulier, une monnaie propre. C'est d'ailleurs ce que toutes les nations ont compris. Il n'est aucune nation qui, voulant avoir un commerce à elle, des affaires à elle, n'ait senti la nécessité d'avoir un système monétaire à elle. Si une nation se trouve dans une situation particulière, où le besoin d'un système monétaire propre se fasse surtout sentir, c'est la Belgique qui, par ses réclamations commerciales, exposée à être appauvrie chaque année par le système qui nous régit.
Je ne partage pas l'opinion de l'honorable député de Charleroy qui pense que le meilleur système repose sur ce principe, que crédit et argent sont deux idées opposées. Je crois que c'est là une grave erreur, il n'y a pas d'argent sans crédit, et il n'y a pas de crédit sans argent.
Le pays où il y a le plus de crédit est celui où il y a le plus de valeurs monétaires, et là d’où la valeur monétaire se retire il y a crise. Ce sont là des choses qui peuvent être contestées dans les ouvrages théoriques de Say et autres, mais qui sont prouvées par les enseignements historiques.
Quant à nous, notre système est simple. Si nous n'avions de relations commerciales qu'avec la France, comme la balance commerciale est en notre faveur, nous aurions toujours une masse d'argent. Mais nous subissons la réaction de trois actions différentes. La Belgique a une balance commerciale en sa faveur avec la France. La France a une balance commerciale en sa faveur avec l'Angleterre et l’Angleterre a une balance commerciale en sa faveur avec la Belgique. Il en résulte que la France a toujours bon en Angleterre et que la Belgique y a des dettes. Pour les payer elle tire sur la France ; comme le montant de ce qui lui est dû ne suffit pas, elle est obligée d'envoyer ses écus pour la différence ; voilà comment vous vous trouvez, et vous vous trouverez toujours sans argent. Un système monétaire semblable à celui de la France doit invariablement amener la ruine du pays.
Il est une considération qu'on perd de vue. La Belgique n'a jamais vu plus d'argent qu'en 1832 et 1833. Pourquoi cela ? Parce qu'alors vous avez effectué plusieurs emprunts à l'étranger, qui ont amené une grande quantité de capitaux dans le pays. Mais depuis lors les choses sont changées. Chaque année le numéraire est sorti du pays, D'un autre côté, le traité du 15 novembre vous importe une dette de 10 millions.. Ces 10 millions que vous payez à la Hollande, vous en appauvrissez le pays, l'intérêt et l'amortissement de votre dette que vous payez également à l'étranger sont encore une somme dont vous appauvrissez le pays chaque année. Enfin, si vous continuez à suivre le système monétaire français, il arrivera bientôt, par la force des choses, que vous n'aurez plus d'argent dans le pays pour vos transactions commerciales.
Dans un pareil état de choses, que faut-il faire ? Il est évident qu'il faut au plus tôt se créer un système monétaire qui vous soit propre.
Que si nous ne le faisions pas, inévitablement nous nous trouverons, dans quelques années, sans aucune représentation de valeurs, sans argent, puisque l'on exportera toujours notre numéraire ; tandis que si vous avez un système monétaire qui vous soit propre, les échanges s'opéreront par un autre moyen que par les valeurs monétaires. Il y a urgence à porter une nouvelle loi monétaire car si elle n'est portée avant un an ou deux, une crise financière est inévitable. Aussi longtemps que le pays sera sans valeur monétaire, il est impossible que les affaires reprennent en Belgique. J'invite donc le gouvernement à examiner la chose avec maturité et avec promptitude, et à présenter une loi dans cette session, car il y a vraiment urgence si nous ne voulons voir ruiner le pays.
Maintenant j'ai quelques observations à faire relativement aux deux arrêtés dont il a été question dans la dernière séance : celui sur les canaux et celui sur les fils ; vous le savez, par l'un de ces arrêtés, le gouvernement a réduit le droit sur les canaux ; par l'autre, il a augmenté les droits sur les fils de lin. Ainsi, d'une part, le gouvernement a abaisse les droits perçus par le trésor public ; d'autre part, il a élevé les droits perçus par le trésor public.
Ceci est très grave, surtout à la suite de la déclaration de M. le Ministre de l'intérieur, que, quant à l'arrêté sur les fils, il n'admet pas qu'il y ait doute. Pour moi, je n'admets pas qu'il y ait doute à l'opinion contraire à celle de M. le ministre de l'intérieur. Que porte la constitution ? Elle porte :
« Art. 112. Il ne peut être établi de privilège en matière d'impôts. Nulle exemption ou modération d'impôt ne peut être établie que par une loi. »
Je crois qu'il est impossible de voir des termes plus clairs que ceux-là. Il faut donc nécessairement qu'une loi intervienne pour diminuer l'impôt. S'agit-il d'une augmentation d'impôt ? La constitution est formelle.
Elle porte : « Art. 110. Aucun impôt au profit de l'Etat ne peut être établi que par une loi. »
Lors donc que le gouvernement augmente ou réduit les impôts, il fait ce que la loi seule peut faire. Ainsi les arrêtés qui ont été pris sont manifestement inconstitutionnels.
Maintenant je n'examine pas si la question est, oui ou non, intéressante pour l'industrie. J'aime à croire que ces arrêtés sont fort intéressants pour l'industrie. La question n'est pas là. La question est de savoir si le gouvernement avait le droit de prendre les arrêtés. Dans mon opinion, le gouvernement n'avait pas ce droit. Si la question est aussi claire que le dit M. le ministre de l'intérieur, comment depuis 10 ans les ministres n'ont-ils pas tiré parti de la disposition de la loi de 1822 ? Ceci est très simple : c'est que la constitution a abrogé cette disposition ; car l'art. 168 de la constitution abroge expressément toutes les dispositions qui y sont contraires ; et quand cette abrogation ne serait pas expresse, elle n'en serait se pas moins incontestable.
Il est donc évident que la disposition de la loi de 1822 a été abrogée par la constitution. Que, s'il y a doute, relativement au texte de la constitution. je vous rappellerai ce qui s'est passé au congrès, à l'occasion de la disposition dont il s'agit. Le projet de constitution avait effectivement admis le système invoqué par M. le ministre de l'intérieur. Le projet de constitution portait :
« Art 15. Nulle exemption ou modération d'impôt en faveur de l'agriculture, de l'industrie, du commerce et des indigents ne peut être établie qu'en vertu d'une loi. » .
Vous voyez que les rédacteurs du projet de constitution, au nombre desquels était M. Nothomb, entendaient accorder au gouvernement le droit de modérer les impôts en faveur de l'agriculture, du commerce, de l'industrie et des indigents. Qu'a fait le ce congrès national ? On voit par le rapport qu'a fait M. de Theux, au nom de la section centrale du congrès, que cette section centrale a adopté la rédaction suivante : « Nulle exemption ou modération d'impôt ne peut être établie que par une loi, » parce qu'elle a voulu que la loi seule réglât ces questions. Elle n'a pas voulu qu'on pût laisser au gouvernement le droit de modérer les impôts. Elle a craint qu'une petite puissance, entourée de grandes puissances qui exercent une grande influence sur le ministère, ne fût exposée à des réductions de tarif. C'est pourquoi on n'a pas voulu que le pouvoir législatif pût autoriser le gouvernement à augmenter ou abaisser les droits. La modification introduite dans la rédaction, par la section centrale du congrès, prouve bien que telle a été son intention. Je tenais à m'expliquer sur ce point ; car nous ne devons jamais sacrifier les droits que la constitution a consacrés. C'est pour nous un devoir de léguer à nos successeurs la constitution telle que nous l'avons reçue ; et ce serait manquer à ses devoirs que de laisser passer sans réfutation les principes qu'a émis M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le gouvernement a des devoirs à remplir ; pour les remplir il faut qu'il sache exactement quels sont ses droits. Je me félicite donc de ce que, par les arrêtés du 17 et du 26 juillet dernier, deux grandes questions vous seront. enfin déférées. Ces questions vous seront présentées de bonne foi ; c'est dans un but incontestable d'utilité publique que les deux arrêtés ont été proposés au Roi.
M. Dumortier – Je n'ai examiné la question qu'en droit ; je n'attaque pas les intentions.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je le sais.
Vous êtes appelés, messieurs, à résoudre ces deux questions ; il est urgent qu'elles le soient.
Il faut que la position du gouvernement vis-à-vis de l'industrie soit connue. Il faut que le gouvernement sache ce qu'il peut et ce qu'il ne peut pas. Il faut que le gouvernement sache de quelle manière il doit remplir ses devoirs et s’il peut les remplir.
L'honorable préopinant interprète les art. 110 et 112 de la constitution d'une manière bien rigoureuse. Selon lui, le pouvoir législatif ne peut déléguer au pouvoir exécutif le droit de réduire les péages ou d'augmenter des droits de douanes ; il admet l'impossibilité constitutionnelle de cette délégation. En effet, si l'art. 9 de la loi de 1822 a été abrogé par la constitution, quand même le législateur voudrait, par une disposition formelle, accorder une délégation au gouvernement, il ne le pourrait pas constitutionnellement.
Pour les péages, je crois qu'il y a doute. Dès lors, le gouvernement pouvait faire l'essai qu’il a fait et qui doit cesser au 1er janvier. L'expérience de cinq mois, qui a été faite, et dont les résultats ont été constatés, donne des éléments d'appréciation qui permettent de discuter l'art. 4 du budget des voies et moyens.
Si l'impossibilité constitutionnelle de déléguer au gouvernement le droit de fixer, d'augmenter ou. de réduire les .péages existe réellement, comme vient de le dire l’honorable préopinant, comment le gouvernement depuis cinq ans est-il autorisé à fixer les péages du chemin de fer ? Car ce sont bien là des péages.
M. Delehaye. - Le gouvernement y est autorisé par la loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Sans doute. Mais si vous admettez avec M. Dumortier que les art. 110 et 112 de la constitution doivent être entendus en ce sens qu'il est impossible de donner au gouvernement le droit de fixer, d'augmenter ou de réduire les péages, la loi concernant le règlement du tarif du chemin de fer ne peut exister constitutionnellement ; en un mot, il faut, par une loi spéciale, fixer en détail le tarif du chemin de fer ; Or, ce sont des arrêtés, pris en vertu d'une délégation du pouvoir législatif, qui, jusqu'à présent, ont déterminé ces péages.
Ainsi, je trouve des précédents que nous consacrons à chaque session, et qui portent atteinte à cette prétendue impossibilité constitutionnelle de délégation.
J'ai déjà dit que, quant à l'arrêté sur les péages, le péril n'est pas bien grand, puisque cet arrêté cesse ses effets au 1er janvier.
Quant à l'arrêté du 26 juillet, je n'en discuterai pas le fond. Quant à la question de légalité, je suis forcé de soutenir que l'article 9 de la loi de 1822 est encore en vigueur et qu'il n'est pas incompatible avec la constitution. D'ailleurs, cette seconde question vous est aussi soumise ; vous la déciderez en vous occupant de la loi sur l'entrée des fils ; vous fixerez alors définitivement la position du gouvernement.
L’honorable membre nous dit que ce serait une loi extrêmement dangereuse que celle qui consisterait à autoriser le gouvernement à augmenter le tarif des douanes.
Harcelée, dit-il, par de puissants voisins, une petite puissance serait amenée à réduire à chaque instant le tarif des douanes.
Remarquez-le bien, messieurs ; il ne s'agit pas de réduction, il s'agit précisément d'augmentation au tarif des douanes. L'art. 9 de la loi de 1822, que malheureusement je n'ai pas sous les yeux, autorise-t-il le gouvernement à faire acte de faiblesse, messieurs ? Non, il autorise, au contraire, le gouvernement à faire acte de puissance vis-à-vis des gouvernements étrangers. L’art. 9 autorise le gouvernement, dans quelques cas, à augmenter le tarif des douanes et même à aller jusqu'à la prohibition. C'est donc un acte de puissance que le gouvernement est autorisé. à faire par la délégation du pouvoir législatif. Jamais il n'est autorisé à réduire.
Le gouvernement précédent a fait un mémorable usage de ces dispositions. C'est un acte très connu et dont vous n'avez fait cesser les effets que dans les derniers temps.
Ainsi, messieurs, les craintes de l'honorable préopinant, de voir le gouvernement faiblir devant les puissances étrangères, ces craintes n'existent pas. Au contraire, ceux-là même qui, au point de vue constitutionnel, admettent l'interprétation de l'honorable membre, devraient regretter de ne pouvoir doter le gouvernement d'une loi comme celle de 1822.
On objecte qu'il n'a pas été fait usage de cette loi depuis dix ans ; peut-être aurait on dû en faire usage, si chaque fois que l’un ou l’autre des gouvernements voisins faisaient des changements à son tarif, on avait répondu immédiatement par un acte de représailles, peut-être depuis quatre ans nous n'aurions pas vu la France apporter à chaque session deux ou trois changements à son tarif ; changements qui se font toujours à la fin des sessions de ses chambres, c'est-à-dire quand la session est close en Belgique.
Il n'y a donc pas de motifs politiques pour refuser ce droit au gouvernement. Au contraire, il faudrait le lui accorder, s'il n'existait pas, et l'engager à faire ainsi acte de puissance vis-à-vis des gouvernements étrangers chaque fois qu'on vient changer les tarifs à notre désavantage ; il faudrait répondre coup sur coup.
M. Pirmez. - J'ai demandé la parole pour répondre quelques mots à l'honorable M. Meeus. .
Il vous a dit qu'il était nécessaire que la Belgique eût un système monétaire ; mais il me paraît qu'il aurait dû nous apprendre ce qu'il entendait par là, et c'est ce qu'il n'a fait en aucune manière. Il nous a dit : Consultez les chambres de commerce, elles vous diront ce qu'il faut faire ; elles vous donneront des idées pour établir ce nouveau système. Mais, je le répète, il ne nous a dit en aucune manière ce qu'il entendait par système monétaire. Il nous a donné à entendre que ce pourrait être le système français ; eh bien ! le système français, nous l'avons. Il vous a donné à entendre que ce pourrait être le système de toutes les nations voisines, dans ce sens que les monnaies de toutes les nations qui nous avoisinent, ou d'une partie de ces nations, seraient tarifées. Eh bien ! si c'est là ce que l'on veut, si on veut donner aux monnaies étrangères un cours légal en Belgique, je n'y vois aucun inconvénient.
Mais si on entend qu'on établira un système monétaire extraordinaire, c'est-à-dire que l'argent belge seul sera légalement perçu, je crois que les crises d'argent seront extrêmement à craindre avec ce nouveau système. Je citerai pour exemple la crise qui a eu lieu à l'occasion de la banque de Belgique. .
Si la monnaie prussienne eût été tarifée, vous eussiez été chercher de l'argent en Prusse pour rembourser les billets de banque. Mais cette monnaie n'ayant pas de cours légal en Belgique, le porteur de vos billets de banque et de tous les titres qu'on pouvait présenter, l'aurait refusée si vous la lui aviez présentée, bien que par sa valeur intrinsèque cette monnaie prussienne pût solder le porteur des billets. Eh bien, si la pièce de cinq francs n'est pas légalement notre monnaie, elle ne nous sera pas plus en aide que le thaler prussien. Mais si votre intention est d'admettre légalement les monnaies des pays qui nous environnent, nous sommes parfaitement d'accord ; les crises d'argent ne sont plus si à craindre.
L'honorable M. Meeus, dans la comparaison qu'il a faite de la France et de l'Angleterre, corrobore tout ce que j'ai avancé avant-hier sur les crises d'argent et le crédit. Il vous a dit que les crises existaient souvent en Angleterre et point du tout en France, et qu'il y avait beaucoup de numéraire en France et fort peu en Angleterre. Cela est vrai. Mais la raison en est que le crédit n'a pas été porté au même degré, bien loin de là, en France qu'en Angleterre. La France est un grand pays, un pays riche, où, par conséquent, les échanges sont très nombreux. Mais le crédit, la confiance n'y est dans aucune proportion avec la masse d'affaires qui s'y fait. Et c'est parce que le crédit n'est pas fort développé, c'est parce qu'une multitude de transactions qui se feraient en Angleterre sur le crédit ne s'y font pas, que la masse d'argent y est très considérable, et que les crises d'argent n'y sont pas à craindre, ou au moins ne le sont qu'à un degré extrêmement moindre.
Dans les pays où le papier sert de monnaie, c'est qu'il y a du crédit, de la confiance. Mais dans les pays où cette confiance ne règne pas au même degré, il faut de l'argent pour représenter ce papier. C'est uniquement parce qu'il y a absence de crédit qu'il y a de l'argent, et s'il y avait du crédit, cette existence de numéraire serait absolument impossible.
On vous a dit qu'il y avait de la difficulté à se procurer des pièces de cinq francs et que nous avions une grande quantité de pièces de dix florins, et on a ajouté qu'un honorable membre, qui n'est plus dans cette chambre, avait reconnu qu'il ne fallait pas tarifer les pièces de 10 florins, parce que nous manquions déjà de pièces de 5 fr. et qu'en diminuant la valeur légale des pièces de 10 fr., nous nous exposions à manquer aussi de ces pièces. Mais c'est précisément parce que les pièces de 10 florins ne sont pas tarifées qu'il nous manque des pièces de cinq francs. Ceux qui ont des pièces de 10 florins ont maintenant intérêt à nous les donner. Mais diminuez la valeur de ces pièces de manière qu'on ait plus de profit à vous fournir des pièces de cinq francs que des pièces de 10 florins, alors les pièces de 10 florins disparaîtront et les pièces de 5 fr. reparaîtront, mais cette mesure n'augmentera ni ne diminuera la quantité de numéraire qui se trouvera dans le pays.
L’honorable M. Meeus vous a dit que c'était une chose étrange, de supposer que le directeur de la monnaie aurait eu de la difficulté à se procurer 27,600 kil. d'argent. Mais mon intention a été de dire qu'il aurait eu de la difficulté à se procurer cet argent à assez bon marché pour fabriquer de la monnaie sans perte. Ainsi, par exemple, si les Français se procurent plus facilement que nous les métaux précieux, si, par leurs procédés, ils fabriquent la monnaie à meilleur marché que nous, il y a impossibilité pour le directeur de la monnaie de fabriquer sans perte, puisqu'il doit mettre les pièces de cinq francs en concurrence avec celles qui se font en France.
Messieurs, je vous ai dit que moins, dans un pays, le crédit est grand, plus il y a de numéraire. Pour vous en donner une nouvelle preuve, je vous dirai qu'il est évident qu'après la suspension de paiement de la banque de Belgique, il y a eu beaucoup plus d'argent monnayé dans le pays qu'auparavant. Et pourquoi ? C'est qu'avant l'événement le crédit existait, et qu'après l'événement il n'existait plus ; et alors vous avez dû aller chercher force chariots de numéraire à Paris. Mais à la réapparition du crédit, de la confiance, tout ce numéraire a dû de nouveau disparaître devant le papier.
L'honorable M. Meeus vous a dit que nous étions menacés d'une crise financière. Si cela est, je le déplore, mais j'ai la conviction que cela ne provient pas de notre système monétaire, qu'il y est totalement étranger. D'ailleurs, l'honorable M. Meeus n'a aucunement expliqué comment notre système monétaire pourrait amener cette crise.
Quant aux services qu'a rendus la société générale lors de la crise de la Banque nationale, je les reconnais, et il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas le faire.
M. Coghen – Messieurs, j’avais demandé samedi la parole, pour répondre aux attaques dont a été l’objet notre système monétaire. Appelé ailleurs par d’autres devoirs, je n’ai pas pu me trouver ici à l’ouverture de la séance, et je regrette de ne pas avoir pu entendre le discours de mon honorable ami M. Meeus, que j’écoute toujours avec beaucoup d’attention et d’intérêt, parce que les paroles qu’il prononce partent d’une haute intelligence financière.
Messieurs, je crois que tout le mal qu'on éprouve dans le pays ne provient nullement de la loi monétaire, car si cette loi était mauvaise, elle serait déjà abandonnée en France, où elle existe depuis plus de trente ans et où elle continuera à exister.
Mais le mal pour la Belgique n'est pas là. Il est dans la défectuosité de votre tarif de douane.
La balance commerciale est en voire défaveur de 63 millions de francs pour l'année 1840 ; vous devez solder à l'étranger ces 63 millions de fr. après que la balance de vos échanges de marchandises a été opérée. Vous devez payer à la Hollande 10 millions pour votre part dans la dette publique ; vous avez les péages sur l'Escaut ; les loteries étrangères vous enlèvent une forte somme.
Si maintenant je parle des douanes, de ces 63 millions de différence, ce chiffre est encore au-dessous de la réalité, car il est certain qu'à l'entrée on ne déclare pas tout ; ce chiffre devrait donc être majoré encore d'une somme très considérable ; tandis qu'à la sortie les droits étant insignifiants, les déclarations se font avec plus d'exactitude. D'un autre côté, la fraude s'opère en Belgique par toutes les frontières ; mais j'admets que la Belgique fraude également à l'étranger beaucoup d'objets, et qu'il peut y avoir compensation sous ce rapport. Les Belges possèdent à l'étranger beaucoup de biens ; nous avons également en notre possession beaucoup de fonds publics étrangers ; mais l'étranger a aussi beaucoup de biens en Belgique et une grande partie des emprunts contractés depuis 1830 se trouve encore entre les mains des étrangers ; vous devez payer annuellement l'intérêt et l'amortissement de ces emprunts ; c'est encore autant d'argent qui sort du pays.
Maintenant, quel que soit votre système monétaire, si chaque année vous devez, du chef de la balance de vos entrées et de vos sorties de marchandises, commencer à solder 63 millions de francs, chiffre, comme je l'ai déjà dit, qui devrait être encore majoré, je demanderai de quelle manière vous paierez ce solde à l'étranger ? Vous ne pouvez évidemment le faire qu'en écus.
Si vous admettez maintenant un système monétaire propre à la Belgique, qu'en arrivera-t-il ? Si vous mettez la valeur nominale de vos monnaies au-dessus de leur valeur intrinsèque, si, par exemple, votre franc ne représente en France que 96 centimes, il en résultera que vous devrez donner ici en Belgique 104 fr. pour recevoir 100 fr. à Paris. Les arbitrages, les changes qui s'établissent toujours sur la valeur intrinsèque des monnaies, rétabliront l'équilibre, et on vous enlèvera aussi bien votre numéraire, quel qu'en soit le titre, pour solder la balance commerciale qui est en votre défaveur. Je ne vois pas, moi, de possibilité physique de solder autrement qu'en espèces l'excédant de vos importations, quel que soit, votre système monétaire.
Si la France n'avait pas la balance commerciale en sa faveur, il est évident que cette nation serait dans la même position que la Belgique, c'est-à-dire que la balance trouverait peut-être d'abord son système monétaire mauvais ; mais elle reconnaîtrait bientôt que le mal réel qu'elle éprouverait n'est pas l'effet de la loi monétaire, mais bien le résultat du système vicieux de la loi douanière.
Jusqu'ici la Belgique a été fortement occupée de questions politiques ; elle n'a pas pu s'occuper sérieusement des questions qui touchent le plus près à son existence, je dis à son existence, parce que la marche que l'on suit aujourd'hui doit nécessairement amener une épouvantable crise, et cette crise ne se fera pas seulement sentir sur les valeurs industrielles, mais les propriétés devront nécessairement en éprouver le contrecoup. En effet, si l'argent se raréfie dans le pays, les propriétés foncières doivent perdre de leur valeur.
Ce qui est urgent, messieurs, c'est de s'occuper sérieusement de protéger notre industrie, de faire en sorte que le pays ne demeure pas tributaire de l'étranger ; en protégeant, vous rendrez l'étranger tributaire de la Belgique, car celui qui peut produire pour un marché qui lui est assuré peut produire à meilleur compte et peut par conséquent plus facilement exporter ses produits chez les autres nations,
M. Dumortier - J'ai demandé la parole, messieurs, pour répondre aux observations qui ont été présentées par M. le ministre de l'intérieur. M. le ministre de l'intérieur s'est particulièrement étendu sur la possibilité constitutionnelle de déléguer au gouvernement le pouvoir de modifier les lois de douanes. Je répondrai en deux mots à M. le ministre sur cette question constitutionnelle, car je n'examine que celle-là, la question d'opportunité est une autre question, dont je ne m'occuperai pas, au moins en ce moment ; mais, en ce qui concerne la constitutionnalité, je dirai que la constitution a tellement voulu que la loi dût elle-même prononcer sur les modérations d'impôts que l'article 114 dit à propos des pensions, qu'aucune pension ni gratification ne peut être accordée qu'en vertu d'une loi ; là la constitution a voulu que le gouvernement pût exécuter la loi et c'est pour cela qu'elle a dit en vertu d'une loi. Mais elle s'est expliquée d'une manière, tout autre en ce qui concerne l'impôt.
« Mais, dit-on, c'est un malheur que depuis 10 ans le gouvernement n'ait pas fait usage de l'art. de la loi de 1822, dont il s'agit. » Pour mon compte je ne vois pas quel malheur il y a en cela.
Voici 10 ans que nous marchons et nous n'avons pas eu à nous plaindre de ce que cet article n'ait pas été appliqué. Quant aux péages sur le chemin de fer, la question s'est présentée lorsque la loi sur ces péages a été discutée ; la question de constitutionnalité a été posée alors, et on a dit que les péages dont il s'agissait ne devaient pas être considérés comme un impôt, mais comme le revenu d'une exploitation.
Il en était de même des produits de la houillère de Kerkraede ; vous vendiez la houille qui en provenait plus cher ou à meilleur marché, suivant le cours de cette marchandise, ce n'était pas non plus un impôt. C’était le produit d'une exploitation confiée au gouvernement, de même que les péages du chemin de fer.
Je ferai cependant une observation sur la délégation qui a été donnée au gouvernement en ce qui concerne le chemin de fer ; cette délégation n'avait été donnée que pour six mois ; après ce laps de temps les chambres devaient régler elles-mêmes le tarif ; la loi le dit en termes exprès. Or, je pense que le moment est arrivé où la législature doit user de ce droit qu'elle s'est réservée. Il importe que l'on ne puisse pas chaque année élever ou diminuer les péages du chemin de fer, il importe que dans un bref délai cela soit fixé d'une manière permanente.
En ce qui concerne les lois de douanes, je reconnais qu'il est des circonstances où le gouvernement peut désirer, avoir la faculté de prendre des mesures urgentes ; mais dans ces circonstances je ne trouverais pas mauvais que le gouvernement fît ce qui serait nécessaire dans l'intérêt du pays et qu'il vînt ensuite se présenter aux chambre pour demander un bill d'indemnité. Certes, je serais toujours disposé, à accorder un bill d'indemnité au gouvernement, lorsqu'il aura pris une mesure exigée par les intérêts de l'industrie.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je persiste à croire que les droits de douanes, qui doivent être considérés comme des droits protecteurs de l'industrie, ne forment pas un impôt proprement dit, non plus que les péages.
Du reste, les deux questions dont il s'agit seront examinées avec soin dans un très bref délai ; l'une à l'occasion du projet de loi sur les fils, l'autre dès que vous vous occuperez de la loi spéciale qui remplacera l'art. 4 du projet que nous discutons.
M. Delehaye. - Ce que je reproche au gouvernement, messieurs, c'est de ne pas avoir été assez loin. Lorsque le ministère prend sur lui une mesure de la nature de celles dont il s'agit, il doit le faire sous sa responsabilité, et il doit alors servir les intérêts du pays. Eh bien, je dis que dans cette circonstance il a complètement méconnu ces intérêts. Rappelez-vous, messieurs, que dans la dernière session c'est M. Dolez, je crois, qui a soulevé le premier la question. M. Dolez invitait le gouvernement à diminuer les droits de navigation en faveur des houilles expédiées en Hollande. Je partageais l'opinion de M. Dolez, mais je demandai que la diminution eût également lieu en faveur des houilles destinées aux Flandres et du pays tout entier.
Eh bien, messieurs, la diminution a été accordée pour les houilles exportées en Hollande et elle ne l'a pas été pour les autres. Qu'en résulte-t-il ? Il en résulte que la Hollande est placée dans une position plus avantageuse que les Belges. Or, je le demande, messieurs, est-il conforme aux principes d'une bonne économie sociale de fournir à une nation rivale la houille qui est une des matières premières les plus indispensables à l'industrie, de fournir la houille à une nation rivale à des conditions plus avantageuses qu'on ne la fournit aux industriels et aux consommateurs du pays ?
M. Rodenbach. - Et la France aura le même avantage que la Hollande.
M. Delehaye. - L'observation est très juste. Quand le canal de l'Espierre sera achevé, quand les travaux commencés sous l'administration de l'honorable M. Nothomb seront arrivés à leur fin, la France recevra, ainsi que la Hollande, nos houilles à meilleur marché que les Flandres. .
Eh bien, j'aurais voulu que le gouvernement poussât la réduction plus loin. Ce qu'il a fait à l'égard de la Hollande, il aurait dû le faire aussi au profit de la Belgique.
M. Desmet - Il est certain, messieurs, que la loi de 1822 autorisait le gouvernement à prendre des mesures exceptionnelles ; mais si, comme on le dit, le gouvernement avait besoin d'un bill d'indemnité, je lui donnerais volontiers un semblable bill, car il a agi sous l'empire d'une impérieuse nécessité et il a bien fait. Si depuis longtemps le gouvernement avait pris une mesure semblable on n'aurait pas été dans le cas de se plaindre comme on l'a fait. Notre commerce n'est pas protégé. Cette année encore, le lin est tellement cher que nos malheureuses fileuses ne peuvent presque plus s'en procurer, il serait bien à désirer que le gouvernement eût pris également une mesure relativement à la sortie du lin....
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La loi de 1822 ne nous autorise pas à changer les droits de sortie.
M. Desmet. - Je crois qu'il serait bon, lorsque nous votons une loi de douanes, d’ajouter que dans l'intervalle des sessions le gouvernement pourra prendre telles mesures qu'il jugera nécessaires dans l'intérêt du pays.
Messieurs, comme j'ai la parole, je dirai un mot de l'objet en discussion, c'est-à-dire des revenus du trésor.
Depuis quelques jours, j'ai entendu demander dans cette enceinte des majorations d'impôt, contre le gré du gouvernement. C'est une chose tout à fait étrange de voir des membres de la chambre venir demander que les impôts soient augmentés.
Messieurs, on n'apprécie pas assez l'importance de la majoration des impôts. Ces majorations ne froissent pas seulement les contribuables, mais ils portent encore atteinte à votre économie politique. Des majorations d’impôts sur les accises, par exemple, ne nuisent-elles pas à l’industrie ? ne provoque-t-elle pas par là l’entrée des produits étrangers ? Majorer les impôts, c’est toucher au commerce et à l’industrie. Ces majorations sont donc dangereuses.
Messieurs, on s'est plaint du peu de monnaie qui existe en Belgique, on a dit que la monnaie sortait du pays, et on a cru que ce fait était dû à cette circonstance, qu'on ne battait pas monnaie. Mon opinion à cet égard est celle-ci : la raison de ce fait doit être cherchée dans votre tarif. Si vous accordiez une protection suffisante à votre commerce, vous n'auriez pas à vous plaindre de la sortie du numéraire.
Messieurs, j'ai été fort heureux d'apprendre que toute la chambre commence à voir clair dans cette question, et qu'elle est convaincue qu'il faut une protection efficace pour le commerce et pour l'industrie.
A cet égard, je partage tout à fait l'opinion de l'honorable M. Osy, et en cette occasion je me trouve heureux de retrouver cet honorable député dans cette enceinte, où il a toujours défendu les intérêts du pays.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, j'ai demandé la parole, surtout pour répondre à un passage du discours de l’honorable M. Osy, à l'égard des observations faites par la cour des comptes sur la gestion des deniers publics et sur la nécessité d’avoir une loi de comptabilité.
Les observations de la cour des comptes, ont fixé toute mon attention. J’y ai cependant remarqué quelques erreurs dans ce sens, par exemple, que la cour des comptes avait accusé mon département d’avoir négligé la rentrée de certains revenus ; j'ai fait faire des vérification, et j’ai trouvé que les recettes à faire avaient été obérées ; mais je n'en reconnais pas moins la nécessité de prévenir ces observations, et je pense qu'il est impossible de les éviter complètement sans une bonne loi de comptabilité. Je m'occupe de cette loi, et je pense pouvoir la présenter sous peu. (Marques d'assentiment.)
Je crois en effet, avec l'honorable M. Osy, que toutes les recettes et dépenses de l’Etat doivent, autant que possible, passer par le contrôle de la cour. Cela souffrira, il est vrai, quelques difficultés pratiques : les chemins de fer, entre autres, ont des receveurs spéciaux ; ces receveurs jouissent d’un traitement fixe, et s'ils devaient verser directement dans la caisse des domaines, par exemple, il en résulterait un double emploi, parce que les receveurs de l’enregistrement, étant payés par voie de remise, il y aurait deux traitements à payer par l’Etat. Quoi qu’il en soit, une loi de comptabilité est indispensable, et j’espère, je le répète, pouvoir vous la présenter bientôt.
M. Demonceau, rapporteur. - Messieurs, si je devais résumer cette discussion générale sur tous les points qui ont été traités par les divers orateurs que vous avez entendus, je ne serais pas sitôt au bout de ma tâche ; je tâcherai donc de me restreindre à ce de qui concerne particulièrement le budget des voies et moyens.
Je ferai cependant quelques observations sur la discussion à laquelle on s'est livré à propos des deux arrêtés publiés au mois de 1 juillet dernier, et à propos de l'article 4 du projet de loi présenté par le gouvernement et annexé au budget des voies et moyens.
La question constitutionnelle, soulevée par l'honorable M. Dumortier, est une question très délicate et qui mérite de fixer toute l'attention de la chambre.
Quant à moi, je ne suis guère disposé à émettre en règle générale l'opinion opposée à celle de l'honorable M. Dumortier ; cependant, je dois l'avouer, des précédents, et je pourrais en citer plusieurs ; des précédents, dis-je, ont été posés par la chambre, et ils contrarient singulièrement l'opinion que l'honorable M. Dumortier a développée.
La. section centrale vous a proposé de faire une loi spéciale de l'art. 4 annexé au budget des voies et moyens. C'est précisément, parce qu'aux yeux des membres des sections qui ont examiné la question, la question était très grave et devait être examinée sous toutes ses faces, que la section centrale vous propose de faire une loi spéciale de cet article du budget des voies et moyens. Ici nous avons été unanimes, et j'en appelle à quelques-uns de mes honorables collègues de la section centrale ; ils vous diront qu'eux-mêmes, délégués par les sections, ne savaient ce que les sections avaient délibéré sur ce point, parce que plusieurs sections ne s'en étaient pas occupées. D'un autre côté, le gouvernement, il faut le dire, avait négligé de donner les véritables motifs justificatifs de ce projet de loi.
Ainsi, d'une part, le gouvernement doit nous communiquer les détails explicatifs de son projet de loi ; de l'autre, ce projet doit être examiné attentivement, et, croyez-moi, messieurs, ce serait compromettre le sort du budget des voies et moyens que de vouloir faire paraître cette loi à l’occasion de ce budget ; car, par cela seul que cette loi ferait partie du budget des voies et moyens, il pourrait se faire que quelques-uns de nos honorables collègues dussent. voter le rejet du budget des voies et moyens. D'ailleurs, nous avons constamment défendu ce système, et la chambre s'en est parfaitement trouvée.
Messieurs, je passe maintenant au vœu émis par la majorité de la section centrale, pour que deux budgets de dépenses soient votés pendant la session actuelle, c'est-à-dire que nous voterions le budget des dépenses, avant notre séparation, pour l'exercice de 1843 et qu'à l'ouverture des chambres, nous voterions le budget des voies et moyens pour le même exercice.
Quelques-uns de mes honorables collègues ont soutenu que dans cette circonstance un texte de la constitution contrarie la proposition que nous avons faite. Nous ne sommes pas entrés dans de longs développements pour justifier cette proposition ; mais si on lit attentivement le texte de la constitution qui se rapporte à cette question ; si surtout l'on prend connaissance des motifs qui ont porté le congrès à adopter cette disposition, telle qu'elle est, vous aurez la conviction, messieurs, à supposer même que nous votions deux budgets de dépenses dans la même session, qu'il n'en résulterait pas que nous ne voterions pas en réalité le budget de l'année suivante.
Du reste, je vous demande, messieurs, la permission de vous lire ce que la section centrale du congrès a dit, en présentant l'article dont il s'agit.
Voici comment s'est expliqué l'honorable rapporteur de la section centrale du congrès :
« La troisième section (du congrès) voulait faire fixer au premier lundi de septembre le jour de la réunion des chambres, afin qu'elles eussent le temps d'arrêter les comptes et de régler le budget de l'année suivante ? »
Voici maintenant l'opinion de la section centrale ; et vous verrez que l'opinion de cette section centrale, par un hasard qui m'était inconnu lorsque j'ai émis cette opinion au sein de la section centrale, il y a deux ans, et lorsque je l'ai renouvelée cette année ; que cette opinion, dis-je, marche parfaitement d'accord avec la manière de voir que nous avons exprimée.
Voici, en effet, comment la section centrale du congrès s'exprime :
« La section centrale a été d'avis de fixer le jour de la réunion des chambres au deuxième mardi de novembre, et l'on a répondu à l'argument de la 5e section qui demandait la réunion au premier mardi de septembre : que ce serait seulement dans le cours de l'année suivante qu’on pourrait régler le budget de l'année subséquente. Par exemple, les chambres se réunissent le deuxième mardi du mois de novembre de l'année 1831 ; ce ne sera que dans le courant du mois de février 1832 qu'on pourra régler le budget de l'année 1833. » (Rapport fait en séance du 7 janvier 1831.)
Si mes souvenirs ne me trompent pas, l'honorable M. Duvivier, qui était ministre des finances en 1833 ou 1834, vous a présenté le budget des dépenses, avant notre séparation, session de 1834 (c'est à l'instant que ce souvenir me revient à l'esprit, et je ne crois pas me tromper). Dans l’opinion de l’honorable M. Duvivier, procédant, sous l'impression de ce qui s'était passé au congrès, il y avait donc possibilité constitutionnelle à voter le budget des dépenses de l'année suivante avant notre séparation ; et il s'était borné, je pense, au budget des dépenses, sans parler du budget des voies et moyens.
Messieurs, je ne m étendrai pas beaucoup sur la loi de comptabilité qui, selon moi, est d'une nécessité absolue, si l'on veut dirige convenablement les finances de l'Etat.
La cour des comptes, messieurs, a renouvelé à bon droit ses observations qui cesseraient immédiatement, si l'on se décidait à accomplir enfin la promesse qui a été faite en 1839.
Alors, messieurs, l'honorable collègue qui était à la tête du ministère des finances, nous avait promis pour la session de 1839-40, une loi de comptabilité. Si cette loi nous était présentée tout de suite, il serait de la plus haute importance qu'on s'en occupât immédiatement, car il est toujours fâcheux que la cour des comptes, qui résiste d'abord aux ministres, finisse par céder en faisant des protestations. La cour des comptes doit savoir à quoi s'en tenir vis-à-vis des chefs des départements qui ordonnancent les paiements.
Voici la position où nous nous trouvons. Le gouvernement nous a présenté des lois des comptes. Le gouvernement les prétend exacts. Vous les avez renvoyés à la commission des finances dont j'ai l'honneur de faire partie. Nous nous sommes réunis souvent. Nous n'avions qu'un moyen de remplir convenablement notre mandat, c'était de faire un rapport sur toutes les parties des comptes soumis à notre examen. Nous avons voulu connaître l'opinion de la cour des comptes. Nous ne pouvons assurer, a-t-elle dit, que les recettes qui figurent dans les comptes sont les véritables recettes de l'Etat. Voilà ce qu'a déclaré la cour des comptes dans un rapport très bien motivé ; en ajoutant qu’elle n avait pas de moyen de le contrôler.
Comment voulez-vous que la commission des finances puisse vérifier des comptes, quand la cour des comptes elle-même n'a pas pu le faire ?
Je saisis cette occasion pour justifier la commission des finances de l'espèce d'inaction dont on l'a accusée quelquefois. Je puis assurer qu'elle s'est occupée avec beaucoup de zèle de son mandat et vous connaissez maintenant le motif qui l'a empêchée de vous présenter un rapport ; elle a voulu s'instruire pour vous instruire ensuite et rien de plus.
Messieurs, la situation du trésor a été présentée sous différentes couleurs, suivant que nous avions tel ministre ou tel autre. Heureusement pour le pays, messieurs, la comptabilité est restée la même. Si parfois on a atténué ou exagéré les découverts, la comptabilité reste, cela suffit. D'après le contrôle que j'ai fait, voici la véritable situation.
Je le déclare en conscience, j'ai vu des documents nombreux émanés de tous les ministres qui se sont succédé au ministère des finances ; et la situation présentée par le ministre actuel, pour ceux qui connaissent les affaires du pays, peut bien subir un changement en 1841 ou 1842, mais doit être admise pour exacte quant à présent. Il n'y a donc pas nécessité de pourvoir à la dette flottante pour une somme supérieure à celle demandée, et je déclare que peut-être cette somme sera plus que suffisante pour faire face aux besoins.
Quant au moyen de faire disparaître la dette flottante, nous l'avons déjà indiqué à la dernière séance, et M. Meeus l'a fait avec plus de clarté encore que moi. Nous avons à recevoir une somme considérable lors de la liquidation de nos différends avec la Hollande et avec la Société générale. L'honorable M. Meeus a confirmé ce que nous avons dit, à savoir que nous avons à recevoir en recettes ordinaires notre part de l'indemnité due par la Société générale au trésor belge de 1831 jusqu'à 1841. Supposez que cette somme n'arrive qu'à la moitié de celle que la Société générale s'est engagée à payer à l'Etat, ce sera assez pour combler la moitié et plus de la dette flottante. Vous voyez qu'il ne faut pas s'effrayer de l'avenir. Je ne vois qu'une seule cause d'effroi pour l'avenir, c'est la manie de trop dépenser. Tâchons, messieurs, de mettre le plus grand ordre dans nos dépenses. Ne dépensons pas trop ; faisons le nécessaire, rien que le nécessaire. Pour moi, l'on me trouvera toujours du côté de ceux qui désirent les économies.
Ce n'est pas d'aujourd’hui que j'entends dans cette enceinte des collègues prétendre que nous mangeons nos capitaux sans produire des capitaux. C'est là une erreur que je voudrais voir disparaître des esprits. Je voudrais que les collègues qui croient que nous avons détruit tant de capitaux depuis 1830, jetassent un coup d'œil sur ce que nous avons fait ; ils trouveraient qu'au lieu de détruire des capitaux, nous en avons créés ; ils trouveraient des millions en faveur de l'opinion que je défends en ce moment ; en un mot, que les capitaux créés sont supérieurs aux capitaux détruits ou dépensés.
Si l'honorable M. Cools avait lu la réponse que j'ai faite à M. de Brouckere en 1839 sur ce point, il aurait vu que si nous avons détruit des capitaux, nous en avons acquis. Mais pour en revenir au budget en discussion en ce moment, examinons quels sont les capitaux qui figurent au budget. Savez-vous ce qu'on peut considérer comme capitaux figurant au budget ? Les capitaux du fonds de l'industrie et les fonds provenant des domaines vendus en 1822 et 1840. Les capitaux du fonds de l'industrie figurent en recettes pour 215,000 fr. Savez-vous à combien s'élèvent les capitaux du fonds de l'industrie ? Quatre millions environ sont dus par la maison John Cockerill. De ces 4 millions 2,400,000 fr. sont garantis par hypothèque et privilège et le surplus consiste en créances personnelles. Les autres capitaux dus par différentes personnes s'élèvent à 2,343,000 fr.
D'après les calculs que j'ai faits, en supposant qu'on ne porte que 213,000 francs annuellement au budget, vous en avez pour 28 ans au moins. Ainsi, d'ici à 28 ans vous pouvez recevoir chaque année 213,000 francs.
Pour les capitaux provenant de la vente des domaines, la somme en est à peu près aussi élevée. Mais la somme répartie par annuités est beaucoup plus forte, elle s'élève à 5 millions et demi environ, non compris ce qui figure au budget de cette année. Répartissez cette somme sur quatre exercices, vous aurez la somme portée cette année à peu près. Ainsi, pendant quatre ans encore, nous aurons une somme égale à peu près à celle qui figure au budget actuel.
Je n'ai pas besoin d'indiquer l'emploi de ces capitaux, car si l'on voulait diviser le budget en recettes ordinaires et en recettes extraordinaires, il faudrait également diviser le budget des dépenses en dépenses ordinaires et en dépenses extraordinaires ; et en faisant la balance entre les dépenses et les recettes, vous trouveriez quatre millions en faveur des dépenses extraordinaires, dépenses couvertes néanmoins par les recettes ordinaires.
Je n'ai pas besoin d'indiquer quelles sont ces dépenses. On sait que le chemin de fer présente depuis longtemps un déficit. Cependant vous ne direz pas que nous avons mal employé les capitaux du chemin de fer. Quelque opinion qu'on puisse avoir sur le chemin de fer, ne peut-on pas espérer d'en tirer un revenu supérieur au revenu actuel ?
Les emprunts de trente et de cinquante millions, et le dernier emprunt ont été employés à la construction du chemin de fer, à l'achat de canaux, à la construction de routes, à l'achat des actions du chemin de fer rhénan, etc., etc. La dette publique est grevée de l'intérêt de tous ces emprunts.
Cependant le chemin de fer ne produit pas la moitié de ce qu'il devait produire pour couvrir les intérêts des capitaux empruntés pour son achèvement. C'est naturel. Il n'est pas entièrement construit ; vous n'avez pas toutes les recettes qui doivent en provenir et que vous aurez quand il sera terminé.
Le chemin de fer ne figure au budget que pour 7,700,000 fr. J'espère bien qu'il n'est pas un membre de cette assemblée qui prétende qu'il ne produira pas au-delà.
Sa construction coûtera 125 millions. Calculez ce capital à 5 p.c. vous trouverez que le chemin de fer grève la dette publique de 6,250,000 fr. Ne soyez donc pas étonnés que votre budget des dépenses soit très élevé.
M. Rogier. - Il n'y a pas 90 millions de dépensés.
M. Demonceau - 125 millions sont affectés au chemin de fer et réalisés ; l'intérêt est à charge du trésor. N'avez-vous pas réalisé tout l'emprunt ?
M. Rogier. - Oui, mais on en a employé une partie à d'autres besoins.
M. Demonceau - Tous les fonds votés pour achever le chemin de fer réunis s'élevaient au moins à 125,000,000 ; ils sont dans les caisses de l’Etat, l'intérêt est à la charge de la dette publique. Il est impossible de contester de pareils calculs. Je ne dis pas que ce soit une mauvaise affaire, mais quand l'administration du chemin de fer sera conduite comme une bonne administration doit l'être, nous aurons certainement plus de ressources.
D'honorables collègues ne sont pas d'accord sur la question de savoir si, en déduisant la dette flottante, nous avons fait une bonne ou une mauvaise opération.
Ainsi l'honorable M. Delehaye, que je regrette de ne pas voir en ce moment à son banc, a soutenu que la situation de notre dette n'a pas été améliorée par la dette flottante. Il a eu raison, mais pourquoi ? Parce qu'on a emprunté à 39 pour cent pour rembourser cette partie de la dette flottante, qui aujourd'hui peut se négocier à moins de 5 pour cent.
Voici, l'opération :
Pour rembourser une somme de 5,038,533 fr. 69 c., nous avons dépensé au moins une somme de 5,391,211 fr. 4 c. ; nous avons donc fait une perte de 352,677 fr. 35 c. Nous vous avions dit, lors de la discussion de la loi relative à l'emprunt, que le gouvernement nous proposait de faire une mauvaise opération ; nous nous sommes opposés à ce qu'on empruntât pour rembourser la dette flottante. Mais la majorité de la chambre ne l'a pas voulu ainsi. Que pouvons-nous y faire, nous membres de la minorité ? Accepter le fait accompli, et ne pas récriminer ; c'est le seul moyen de faire convenablement les affaires du pays. Pour moi, la majorité fait loi. Je n'adresse aucun reproche à ceux qui ont voulu qu'on remboursât 5,038,533 francs de bons du trésor par l’emprunt ; c'est-à-dire un emprunt par un autre emprunt plus onéreux. Mais je leur dis cependant qu'ils ont augmenté le capital de notre dette de 352,677 francs 35 cent, dont l'Etat doit payer l'intérêt à 5 p. c.
Tout ce que je pourrais dire encore devant ou pouvant se reproduire dans la discussion des articles, je bornerai là pour le moment mes observations.
M. Rodenbach renonce à la parole.
M. Wallaert. - Dans cette discussion générale, il s'est agi de menées électorales, de sermons électoraux, etc. Je dois m'expliquer sur ce qu'il y a eu de personnel pour moi dans cette discussion. Je ne dirai que quelques mots ; et je ne jetterai pas d'irritation dans la chambre. Je suis obligé de donner un démenti formel à l'honorable M. Verhaegen, au sujet de la portée qui a été donnée aux paroles qui me sont attribuées dans le Journal de Bruges, et de déclarer que mes paroles n'avaient aucunement trait aux élections de juin dernier ; elles ont été dénaturées par le correspondant de ce journal. J'ose espérer que mes honorables collègues de cette chambre me croiront plus véridique que le correspondant anonyme du journal, qui a été cité, et que l'honorable M. Verhaegen me rendra justice.
M. Verhaegen. – Je suis arrivé à la séance, parce qu'on m'avait annoncé que l'honorable M. Wallaert voulait répondre aux quelques mots de mon improvisation qu'il veut bien s'appliquer.
Je rappellerai d'abord à l'honorable M. Wallaert que ce que j'ai dit, était en réponse à une attaque dirigée contre mes amis politiques ; dans cette réponse, il est vrai, j'ai cité des faits ; mais j'ai indiqué la source où je les avais puisés ; en rapportant des paroles qui seraient sorties de la bouche d'un honorable collègue, revêtu d'un caractère spirituel, j'ai dit que c'était dans le Journal de Bruges que j'avais recueilli ces renseignements. J'ai ajouté que cette assertion n'avait pas été démentie. Je suis donc resté dans le vrai.
L'honorable M. Wallaert prétend aujourd'hui que les paroles consignées dans le Journal de Bruges n'ont pas la portée qu'on leur donne.
M. Wallaert - Et qu'elles ne sont pas exactes.
M. Verhaegen. - Et qu'elles ne sont pas exactes. Cependant l'honorable membre ne nie pas les paroles que lui prête le Journal de Bruges, il dit seulement qu'elles ne se rapportent pas aux élections de juin.
M. Doignon - Et qu'elles sont dénaturées.
M. Verhaegen - Permettez ; n'en disons pas plus que n'en dit l'honorable M. Wallaert. Je n'ai pas d'ailleurs à répondre à l'honorable M. Doignon.
M. Rodenbach. - M. Wallaert a donné un démenti formel à ce qui a été dit.
M. Verhaegen - Je n'ai à répondre ni à M. Doignon ni à M. Rodenbach. Je réponds à M. Wallaert. C'est pour cela que je suis venu à la séance. Cet honorable membre vous a dit que ce que le correspondant de Thourout écrit au Journal de Bruges n'est pas exact, ou bien n'a pas la portée qu'il lui donne. Il y a un moyen de se mettre d'accord ; qu'il nous dise donc, M. Wallaert, quelles sont les paroles qui ont été prononcées ou qu'il nous explique la portée de celles dont il reconnaît s'être servi.
L'article du Journal de Bruges que j'ai cité n'a pas été démenti et cela a dû me suffire, Moi, je ne demande pas la censure ; j'admets la liberté de la presse, je l'admets de la manière la plus illimitée. Tous les jours j'en subis les conséquences, et je ne me plains pas ; on méprise les injures, mais si un journal rapporte des faits faux ou inexacts, celui que ces faits concernent a le droit de réclamer ; ce droit est écrit dans la loi ; s'il n'en use pas, il doit s'imputer les conséquences de son silence.
M. Wallaert. - Je ne m'attache jamais à donner des démentis à ce qu'on dit d'inexact dans les journaux. Si certaines personnes devaient démentir tout ce qu'on écrit sur leur compte dans les journaux, je crois qu'elles seraient occupées du matin au soir et qu’elles n'auraient jamais fini. Je donne maintenant un démenti formel à ce qui a été dit ; je dis que mes paroles ont été inexactement rapportées, qu'elles ont été dénaturées, qu'elles n'avaient pas le sens qu'y a attaché M. Verhaegen, puisqu'elles n'avaient pas trait aux élections.
M. Rodenbach. - L'honorable M. Verhaegen a dit que lorsqu'on était accusé injustement on devait répondre. Je ne suis pas de cet avis. La moitié de la chambre a été attaquée dans le Méphistophèles**, par des pamphlétaires. Est-ce que les membres de la chambre doivent répondre à des libelles, à des pamphlets, à de faméliques auteurs !
Je dis que ce serait se déshonorer ; il n'y a aucune réponse à faire à de vils écrivains mercenaires.
M. Verhaegen. - Je n'ai pas à m'occuper du Méphistophelès**, qui est bien en état de se défendre lui-même. Je n'ai pas à m'occuper non plus ni de l'Ami de l'Ordre ni du Nouvelliste de Bruges, Je ne m'abaisse pas jusqu'à répondre aux injures et aux dégoûtantes attaques dont je suis tous les jours l'objet de la part de ces deux journaux de province, mais si un jour ils osaient m'attribuer des faits faux ou inexacts, j'userais de mon droit, et, dans toute son étendue.
En définitive, le démenti de M. Wallaert ne s'adresse pas, et ne peut pas s'adresser à moi. S'il le juge à propos, il peut démentir ce qu'a dit le Journal de Bruges, sauf à celui-ci sa réplique ; moi, je n'ai fait que rapporter les assertions de ce journal.
Mais puisqu'on parle ici de démenti, à mon tour, je dirai que nous avions à donner un démenti , un démenti formel à toutes les imputations malveillantes, je dirai même calomnieuses dont notre opinion a été l'objet.
M. Mast de Vries. - Quand il s'agit de démenti aux journaux, je crois pouvoir dire que personne n'a montré combien il en fait peu de cas, comme je l'ai montré ; personne n'a été l'objet d'attaques aussi odieuses ; je n'y ai pas répondu, je les méprise ainsi que ceux qui les ont publiées.
M. Verhaegen. - Je demande la parole, car c'est vers moi que se tourne M.. Mast de Vries.
Ce que vient de dire M. Mast de Vries est au moins très imprudent : Un journal de province m'avait attribué, à moi, certaine allégation qu'il est inutile de rapporter, mais qui paraît être en rapport avec ce que M. Mast vient d'avancer : j'ai donné à ce journal un démenti formel ; et ce journal a été obligé de se rétracter, en disant qu’il s’était trompé ; je me suis contenté de cette rétractation qui me vengeait suffisamment.
Je n’ai plus rien à ajouter à la réponse qu’a provoquée M. Mast de Vries.
M. Dubus (aîné) – On a cité comme des autorités des articles de journaux, des articles anonymes ; ces articles, on les a cités comme autorité, comme preuves, contre un collègue et contre un collègue absent et on lui a dit : Pourquoi n’avez-vous pas démenti ?
Il n’a pas démenti parce qu’il n’était pas présent à la séance. Ainsi je n’admets pas l’excuse de M. Verhaegen. Je lui dirai : Puisque vous voulez invoquer contre un collègue un article anonyme de journal, vous deviez attendre que ce collègue que vous vouliez attaquer fût présent à la séance.
M. Wallaert - J’ai cru devoir donner un démenti formel au Journal de Bruges ; j’ajouterai que je crois pouvoir donner également un démenti formel à l’honorable M. Verhaegen.
M. Verhaegen - Ce sont des mots, et rien de plus.
- La discussion générale est close.
La séance est levée à 4 heures et demie.