(Moniteur belge n°70 du 11 mars 1841)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi un quart.
M. de Villegas donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.
« Le sieur Porphire Ruyant de Cambronne, né en France, domicilié en Belgique depuis son enfance et y marié à une dame belge, demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Ignace Michalowsky, capitaine commandant la quatrième batterie d’artillerie, à Tournay, né en Pologne, demande la naturalisation. »
- Même renvoi.
« Des négociations, armateurs, courtiers, commissionnaires de la ville de Bruges demandent le renvoi à la commission d’industrie de la chambre de toutes les pétitions relatives aux toiles et aux lins, et adressent des observations contre ces pétitions. »
Sur la proposition de M. de Langhe, la chambre ordonne l’insertion de cette pétition au Moniteur et le dépôt sur le bureau pendant la discussion de la loi sur la matière.
« Des commerçants, agriculteurs et autres habitants notables d’Iseghem (district de Roulers) demandent qu’il soit établi un droit suffisant sur la sortie des lins et étoupes et à l’entrée des fabricats étrangers.
M. Rodenbach – Messieurs, la pétition dont on vient de présenter l’analyse est signée par les contribuables les plus importants de la ville d’Iseghem (district de Roulers). Ce district est le centre de la fabrication de la toile. Comme l’honorable député d’Ypres l’a proposé pour la pétition de la ville de Bruges, où l’on ne fabrique pas de toile, je demande que la pétition soit insérée au Moniteur, et déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la sortie du lin.
M. Devaux – Je ne demande pas la parole pour m’opposer à la proposition de l’honorable M. Rodenbach ; je désire que toutes les pétitions soient insérées au Moniteur ; mais la pétition de Bruges m’ayant été remise, avec prière de la déposer sur le bureau, je dois dire que Bruges fabrique des toiles, et que la pétition est signée par 50 négociants, armateurs et courtiers, qui ont surtout fait valoir, contre le droit sur la sortie des lins, les intérêts de l’agriculture, ceux du commerce et de la navigation d la ville de Bruges.
M. Rodenbach – Je conçois que les courtiers et marchands de Bruges, qui expédient hebdomadairement une grande quantité de lin en Angleterre, aient un autre intérêt que celui que les pétitionnaires d’Iseghem. Cependant je ne m’oppose pas à l’insertion de la pétition dans le Moniteur, je désire que la chambre puisse voir le pour et le contre ; mais, je le répète, la ville de Bruges n’est pas le centre de l’industrie linière ; c’est au contraire là que l’on exporte la quantité la plus considérable de lin.
« Cinquante-deux négociants et marchands de Dinant demandent des mesures répressives des abus de colportage. »
M. Pirson – Messieurs, l’année dernière et cette année encore, il est arrivé de France chez nous des marchandises par voiture ; elles provenaient de magasins de négociants qui étaient en faillite. Ces marchandises ont été vendues à l’encan d’après les formalités indiquées par la loi, et cependant les mesures qui ont été prises n’ont pas atteint le but que voulait la loi. Quand les syndics des créanciers sont arrivés, on avait déjà vendu pour 40 à 50,000 francs de marchandises.
Ce n’est pas tout, il n’y a pas longtemps que nous avons vu des marchands colporter arriver avec des voitures entières ; ils n’ont pas fait de vente à l’encan. Ils ont étudié la loi, ils ont fait une espèce de bazar ; ils ont étalé des masses de marchandises avec l’indication des prix ; ils ont seulement annoncé qu’ils vendaient à 100 p.c. au-dessous du cours. En 15 jours de temps, ils ont vendu pour plus de 100,000 francs de marchandises, et à mesure qu’une voiture était vendue, une autre la remplaçait.
Je ne pense pas que ces marchandises viennent de négociant faillis, mais il est possible que des spéculateurs en grand, comme il y en a peut-être en Angleterre, veuillent détruire nos manufactures et vendre dans ce but à 100 p.c. de perte.
Ce fait s’est passé à Dinant et à Ciney ; je crois que les mêmes colporteurs sont en ce moment près de Namur, de manière qu’il y a quelque chose d’urgent à faire pour prévenir un abus qui tend à renverser la fortune de tous nos négociants en détail.
Je pense que la pétition pourrait être renvoyée à la commission qui a dernièrement déposé son rapport sur le projet de loi interprétatif de la loi relative aux ventes à l’encan. Cette commission examinerait s’il n’y a pas lieu de prendre quelques mesures.
M. Delehaye – On vient de faire allusion à un rapport que j’ai eu l’honneur de déposer récemment sur le bureau, relativement au projet de loi interprétatif de la loi sur les ventes à l’encan. Je dois faire remarquer que la mission de la commission se bornait à l’interprétation de la loi ; la commission n’avait pas à s’occuper d’un examen autre que celui qui était soulevé par la proposition elle-même. Cependant, je dois dire que dans l’opinion des membres de la commission, il n’y a pas possibilité de supposer une vente quelconque qui ne tombe directement dans les dispositions de la loi. Je pense donc que si la chambre mettait le rapport de la commission à l’ordre du jour immédiatement après ceux qui y sont déjà, on pourrait prévenir les abus du colportage qu’on signalés.
M. de Renesse – Messieurs, j’appuie le renvoi demandé par l’honorable M. Pirson ; je crois qu’il y a lieu de provoquer des mesures répressives contre les abus du colportage ; il y a une plainte générale qui s’élève dans tout le pays contre ce commerce. Si ces abus continuaient, ils porteraient un coup funeste au commerce régulier des villes et communes. Aussi je suis informé qu’une réunion générale de délégués des commerçants de la Belgique a été convoquée à Bruxelles, pour aviser aux moyens de prévenir les funestes conséquences du colportage ; que des pétitions seront adressées à la chambre et au gouvernement pour provoquer des mesures propres à donner toute garantie au commerce régulier et honnête des villes et campagnes contre le tort considérable que lui cause le colportage. Je pense que la commission qui a été chargée d’examiner la loi interprétative sur les ventes à l’encan pourrait utilement examiner les réclamants des commerçants de Dinant, ainsi que toutes les pétitions qui ont rapport au colportage, et faire un prompt rapport à la chambre.
M. Desmet – Certainement, le colportage est nuisible au bon commerce ; mais, comme vous l’a fait remarquer l’honorable M. Pirson, il y a ici plus que colportage, il y a introduction dans le pays de tissus étrangers de toute espèce. Or, si vous n’avez d’autres moyens pour prévenir ces abus que les mesures contre le colportage, vous ne pourrez pas arrêter l’introduction de ces marchandises étrangères ; toutes mesures autres que l’estampille et la recherche seront insuffisantes.
M. Pirson – Messieurs, si la chambre était disposée à mettre très prochainement à l’ordre du jour la discussion du projet de loi interprétatif de la loi sur les ventes à l’encan, je demanderai que la pétition restât déposée sur le bureau pendant cette discussion.
- La chambre décide que le projet de loi dont il s’agit sera mis à l’ordre du jour ; elle ordonne ensuite le dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion de ce projet.
« Le sieur Catteau, milicien de la classe de 1841, se plaint d’une erreur qu’il prétend exister dans la loi du 8 janvier 1817 sur la milice, dont il est victime. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. le président – Les sections ayant autorisé la lecture de la proposition qui a été déposée hier sur le bureau par M. Donny, la parole est à M. Donny pour donner cette lecture.
M. Donny (à la tribune) donne lecture de sa proposition, ainsi que des développements à l’appui.
- La prise en considération de la proposition de M. Donny est mise aux voix et adoptée.
Sur la demande de son auteur, la chambre en ordonne le renvoi à la section centrale du budget des voies et moyens, qui sera chargée de l’examiner comme commission spéciale.
M. Delehaye – L’année dernière, plusieurs membres de la chambre au nombre desquels je me trouvais, ont fait une proposition tendant à établir l’estampille. Cette proposition a fait l’objet de l’examen des sections et a été renvoyée à une section centrale. Jusqu’ici, je ne sache pas que cette section centrale ait pris une résolution. L’objet de cette proposition est très important, puisqu’elle doit avoir pour résultat d’augmenter les ressources du pays en prévenant la fraude. Elle a aujourd’hui plus d’à propos que jamais. Je prie M. le président de vouloir bien convoquer la section centrale et de l’engager à nous présenter son rapport.
M. le président – Je vais rendre compte des travaux de la section centrale. Lors de sa dernière réunion les ministres de l’intérieur et des finances ont été appelés dans son sein. Plusieurs membres ont demandé différents renseignements. M. le ministre de l'intérieur a fait parvenir les renseignements qu’on lui avait demandés. Nous attendons ceux qui ont été réclamés du département des finances ; aussitôt qu’ils mes seront parvenus, je ferai convoquer la section centrale.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je ferai déposer le dossier dès aujourd’hui sur le bureau du président.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, le gouvernement avait espérer que la nécessité de faire face aux dépenses de l’Etat aurait fait surmonter quelques répugnances à voter certaines augmentation d’impôts de consommation. Le vote émis dans la séance d’hier relativement au droit sur le café, nous a donné la conviction que la chambre, à plus forte raison, ne serait pas disposée à adopter l’augmentation de l’accise sur la bière. Le cabinet a donc résolu de proposer au Roi, momentanément absent de la capitale, de retirer la partie du projet de loi des voies et moyens qui concerne ce droit.
Vous vous rappelez que j’ai signalé, dans le discours à l’appui du projet de loi des voies et moyens, la suppression du contrôle des farines, comme une cause essentielle pour laquelle l’accise sur la bière ne donnait pas un produit plus considérable. Depuis lors je n’ai cessé de chercher le moyen de contrôler l’emploi des farines dans la cuve matière. Plusieurs ont été produits. Ils sont soumis à un mûr examen et feront l’objet d’expériences dans différentes usines, et s’il en est qui soient réellement praticables et efficaces, un projet de loi vous sera soumis pour en autoriser l’application. Il en résulterait une forte augmentation du produit de l’accise sur la bière. Quant à présent, je demande l’ajournement de cette partie du projet, en attendant qu’un arrêté royal puisse être pris pour retirer les articles qui y sont relatifs.
M. le président – M. le ministre des finances propose l’ajournement du projet relatif à l’augmentation de l’accise sur la bière.
M. de Mérode – Messieurs, lorsqu’il s’est agi de se montrer généreux, de voter des dépenses pour payer des consuls, créer des bateaux à vapeur communiquant avec l’Amérique, faire les frais d’une exposition pour l’industrie, etc., les bancs qui sont à ma droite étaient bien garnis ; maintenant qu’il s’agit de trouver les moyens de solder les dépenses votées, ces mêmes bancs sont en grande partie déserts, et de là pourtant est parti le reproche adressé à des membres siégeant sur d’autres bancs, de taquiner l’administration en lui disputant divers crédits dont elle démontrait l’utilité. Quant à ceux-ci, je ne sais s’il en est parmi eux qui croient pouvoir, sans grave détriment pour la chose publique, plonger le pays de plus en plus dans les déficits. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’une majorité a voté les dépenses, et qu’on ne la rencontre plus pour voter les recettes équivalentes. Il y a là inconséquence évidente. Maintenant, le ministère aussi recule devant sa tâche, et substitue à ses propositions, dont le résultat serait productif, des projets vagues dont l’effet est absolument incertain et inconnu. C’est là un fâcheux état de choses qui tournera nécessairement au détriment des contribuables que l’on ménage d’une manière si funeste à leur avenir.
M. le président – Que proposez-vous ?
M. de Mérode – j’ai fait mon observation dans l’espoir qu’elle amènera des votes plus conformes à ce que j’appelle le bon sens en matière de finances. Je ne sais ce qu’on proposera sur les sucres, mais j’aurais voulu que M. le ministre des finances continuât à soutenir jusqu’au bout les propositions du gouvernement. S’il eût échoué, il eût au moins rempli son devoir. Maintenant, il abandonne l’augmentation qu’il avait demandée sur la bière, sans nous proposer rien de connu en remplacement de la recette à laquelle il renonce. Voilà ce dont je me plains, et c’est un motif très légitime de prendre la parole.
M. de Brouckere – Je n’ai rien à dire sur le fond de l’espèce de petit discours que vient de prononcer M. le comte de Mérode. Mais comme il a signalé nos bancs comme plus déserts que ceux sur lesquels il siège, j’ai pris la parole pour protester contre cette accusation. Il suffit de compter les membres qui sont sur nos bancs pour voir qu’ils sont aussi bien garnis que ceux sur lesquels est assis l’honorable membre. Ce qui est vrai aujourd’hui est vrai en tout temps ; et je ne crains pas de défier M. le comte de Mérode de prouver qu’il y a moins d’empressement de ce côté-ci de la chambre que de l’autre, quand il s’agit de donner au trésor les ressources dont il a besoin. Que l’honorable membre revoie l’appel nominal de la dernière séance, il verra que ce que je dis est vrai.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – L’honorable comte de Mérode nous fait le reproche de ne pas remplir jusqu’au bout ce qu’il appelle notre devoir. C’est avec la plus entière abnégation que j’ai soutenu les propositions d’augmentation d’impôt, parce que c’était une nécessité. Maintenant que, dans notre séance d’hier, un des principaux objets susceptibles de procurer une ressource au trésor a été écarté, je ne vois pas pourquoi je viendrais faire perdre un temps précieux à la chambre en la forçant de discuter une autre augmentation contre laquelle je sais qu’il existe une opposition plus forte qu’à l’égard du café ; croyez-le bien, le courage ne nous manquera pas pour défendre nos proposition avec énergie lorsqu’il y aura quelque chance de succès, mais nous ne voulons pas établir une lutte que le vote d’hier a prouvé devoir être inutile.
M. de Mérode – Je demande la parole pour un fait personnel. On ne peut pas mieux employer le temps qu’en s’occupant des affaires du pays, et c’est bien des affaires du pays que je vous ai entretenus, car rien n’est plus important que d’équilibre les recettes et les dépenses. Souvent on constate des séances entières à discuter des choses moins importantes. On m’a reproché d’avoir parlé de certains bancs comme étant moins garnis quand il s'agit de voter des recettes que quand il s'agit de voter des dépenses. Ce que j’au dit est très vrai ; il y a des membres qui étaient ici pour voter les dépenses, et qui n’y sont plus pour voter les recettes. M. de Brouckere s’y trouve et s’y trouvait hier ; ainsi ce n’est pas à lui que je m’adressais. Il a même voté l’impôt sur le café.
Un membre – Il n’a voté que l’amendement.
M. de Mérode – Soit, l’amendement. Cet amendement devait rapporter cinq à six cent mille francs au trésor. Ceux qui ont voté contre ont enlevé cette recette au trésor. Je n’ai pas fait de compliment aux membres des autres bancs qui ont rejeté la majoration, car je leur ai dit : Comment voulez-vous qu’on administre si vous refusez les ressources nécessaires ? Mais il est un fait certain, c’est qu’ils ont été plus difficiles à voter les dépenses que les autres. Malgré cette différence, si on avait adopté toutes les économies qu’ils proposaient, il n’y aurait pas eu moyen d’équilibrer les recettes et les dépenses. Il aurait fallu pourvoir au déficit. C’est ce que personne n’a voulu faire. Je me plains de cela. En parlant 5 ou 6 minutes pour engager la chambre à suivre une autre voie, je ne crois pas lui faire perdre de temps.
M. le président – En parlant cinq ou six minutes vous faites parler d’autres membres.
M. de Brouckere – Je tiens à constater que nos bancs ne sont pas plus déserts que les autres. Nous sommes moins nombreux qu’à d’autres séances, cela est vrai ; mais c’est aussi vrai pour les autres parties de la chambre que pour celle-ci.
L’ajournement proposé par M. le ministre des finances est mis aux voix et adopté
Le seul amendement introduit dans ce projet est confirmé.
On procède ensuite à l’appel nominal sur l’ensemble du projet.
Il est adopté à l’unanimité des membres qui ont répondu à l’appel. En conséquence, il sera transmis au sénat.
Les membres qui ont répondu à l’appel nominal sont : MM. Brabant, Cools, de Behr, de Brouckere, Dechamps, de Florisone, de Garcia de la Vega, de Langhe, Delehaye, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Muelenaere, de Potter, de Puydt, de Renesse, Desmaisières, Desmet, de Theux, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Doignon, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Hye-Hoys, Jadot, Kervyn, Lange, Lebeau, Leclercq, Lys, Maertens, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Metz, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Pirson, Puissant, Raikem, Raymaeckers, Rodenbach, Rogier, Scheyven, de Baillet, Sigart, Simons, Thienpont, Trentesaux, Troye, Ullens, Van Cutsem, Vandenbossche, Vandensteen, Vanderbelen, Verhaegen, Vilain XIIII et Fallon.
M. le président – La discussion est ouverte sur la proposition de la section centrale à laquelle MM. Mast de Vries et de Renesse se sont ralliés, et qui est ainsi conçue :
« Foin, 1,000 kilog. 5 fr. à l’entrée, 50 c. à la sortie.
« La majoration des droits n’est pas applicable aux foins importés des parties détachées du Limbourg et du Luxembourg.
« Le gouvernement prendra les mesures propres à éviter tout abus à cet égard. »
M. le ministre des finances se rallie-t-il à cette proposition ?
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Le gouvernement ne peut se rallier à une proposition, par les considérations présentées dans le rapport de M. le ministre de l'intérieur au sénat, en insistant particulièrement sur cette observation, que nous exportons plus de foin qu’on n’en importe chez nous, que le droit est moins considérable dans d’autres pays, qu’il est le même en Hollande, et que si l’on augmente le droit dans la même proportion dans les pays où nos exportations ont lieu, la mesure proposée aura les conséquences les plus fâcheuses.
M. Mast de Vries – La seule objection que M. le ministre peut faire, c’est qu’une partie des foins s’exporte de Belgique. S’il en est ainsi, si la Belgique exporte des foins, cela prouve qu’elle n’a pas besoin d’en recevoir. La proposition que j’ai eu l’honneur de faire repose sur ceci : en Hollande, on produit le foin à des frais moindres qu’en Belgique ; on nous envoie une grande partie de foins, et le chiffre des importations n’est pas exact, parce que la douane n’a aucun intérêt à le vérifier.
Le cultivateur paye 5 francs d’impôt foncier pour produire mille kilogrammes de foins, et le cultivateur hollandais introduit la même quantité de foins, moyennant un droit de 50 centimes. C’est contre cet état de chose qu’il s’est élevé de toutes parts des réclamations, que des pétitions ont été adressées à la chambre. Il y a un rapport de la commission d’industrie qui demande un droit de 5 fr. Je ne sais pas pourquoi on voudrait l’admettre.
Il y a une observation faire sur le chiffre des exportations. Si l’on a intérêt à réduire le chiffre des importations, le chiffres des exportations est plus qu’exact, parce qu’on a intérêt à en contester l’exactitude.
Il me semble donc qu’il n’y a aucune bonne raison à opposer à la proposition que j’ai eu l’honneur de faire.
M. de Langhe – Ainsi que je l’ai dit, il est extrêmement dangereux de voter légèrement des modifications du tarif des douanes, parce que, presque toujours, dans une question de douane, il y a plusieurs intérêts opposés. Ici le cas se présente. L’honorable M. Mast de Vries vous a dit qu’il ne s’agit ici que d’un intérêt. Mais nous avons vu, par le rapport de M. le ministre de l'intérieur au sénat, qu’il s’agit de plusieurs intérêts ; de sorte que la proposition, au lieu d’être en faveur de l’agriculture, est contre ses intérêts ; car si quelques producteurs de foins peuvent y gagner, il y a les petits fermiers, qui ont besoin de foins pour nourrir leurs bestiaux, et qui, loin d’y gagner, en souffriront.
Pour ce qui concerne la Hollande, si elle nous importe des foins, nous y en exportons aussi ; il y a même une légère différence en faveur de l’exportation. On doit s’attendre à ce que la Hollande prenne des mesures de représailles. Ainsi les exportateurs perdront d’un côté ce que l’on gagnera d’un autre.
On semble révoquer en doute nos exportations en foins. Mais je puis affirmer que la partie du pays que j’habite exporte une partie notable de ses foins. Je crois donc que nous avons intérêt à maintenir nos exportations, et que nous avons également intérêt à maintenir les importations là où elles sont nécessaires pour l’alimentation du bétail. Ce droit de 5 francs ne rapporterait rien au trésor ; car il arrêterait l’entrée des foins ; c’est d’ailleurs ce que l’on veut. Qu’arriverait-il ? Que la Hollande n’importerait plus en Belgique, et que la Belgique n’exporterait plus en Hollande. Or, ce serait une perte notable pour ceux qui ne produisent pas et qui ont besoin de foin pour la nourriture de leur bétail. C’est sous ce rapport que l’agriculture perdrait à l’adoption de la proposition plus qu’elle n’y gagnerait.
Ce n’est pas ainsi que l’on doit décider des questions de douanes ; ces questions demandent un mûr examen. J’ai vu avec regret la section centrale dire, dans le dernier paragraphe de son rapport, que le rapport de M. le ministre de l'intérieur au sénat n’avait produit sur elle aucun effet ; il en a produit beaucoup sur moi et m’a fait désirer l’ajournement. Sinon, je voterai contre le projet de loi.
M. Desmet – En entendant l’honorable préopinant reconnaître que nous avons trop de foins dans le pays, puisque nous en exportons ; mais nous devons surtout empêcher les arrivages des foins de la Hollande, parce qu’il ne nous arrive de ce pays que de mauvais foins de marécages…
M. de Langhe – Il en a de bons et de mauvais.
M. Desmet – Du foin des polders zélandais dont on ne veut pas en Hollande, et dont on se sert en Belgique pour gâter, par des mélanges, le foin de notre cavalerie ; ce qui a occasionné des maladies et une grande mortalité dans les chevaux de l’armée. Le projet de loi tend à faire cesser cet abus et à procurer un avantage à l’agriculture.
On nous dit que tout ce qui tient au tarif des douanes demande de mûres réflexions. Mais, messieurs, voilà quatre ans que cet objet est sur le tapis. Pour moi, je considère la proposition de l’honorable M. Mast de Vries comme avantageuse pour l’agriculture. Je voterai pour son adoption.
M. Delehaye – L’honorable M. de Langhe est opposé à la proposition, parce qu’elle peut nuire aux propriétaires de prairies. Je lui répondrai que le conseil de la Flandre orientale (la province où il y a le plus de prairies et où elles sont les plus riches) a accueilli cette proposition à l’unanimité. Dans les observations que l’honorable membre a soumises à la chambre il y a quelque chose qui m’a étonné. Il ne veut pas des droits élevés d’importation. Cependant il dit que nous exportons ; cependant si nous exportons, c’est que nous avons trop de foin. Or, dans un pays qui produit assez pour exporter, n’est-ce pas un bon système que d’empêcher l’importation ? C’est un principe d’économie politique de défendre l’importation des objets dont il y a un excédant.
Il y a un autre motif qui m’engage à admettre la proposition de l’honorable M. Mast de Vries, c’est que tous les foins qui nous viennent de la Hollande sont très malsains. Consultez les experts, c’est à la mauvaise qualité de ces foins qu’ils attribuent les maladies qui ont affecté le bétail de ce pays.
M. Metz – Je m’oppose au projet de loi présenté par l’honorable M. Mast de Vries par plusieurs motifs : le premier, c’est que sous l’apparence trompeuse d’une augmentation de ressources pour le trésor, ce que je recherche, le résultat serait que nous ne recevrions rien ; car je crois, avec l’honorable M. de Langhe, que le but avoué et certain du projet de loi est d’empêcher l’introduction des foins en Belgique.
Sous un autre rapport encore, je repousserai le projet de loi ; c’est que je le considère plutôt comme défavorable à l’agriculture, que comme lui offrant quelque avantage. Le foin est une matière première pour l’éleveur de bétail, comme la laine est une matière première pour le fabricant de draps. Il faut donc suivre pour cette industrie la règle que l’on suit pour toutes les autres ; il faut favoriser l’entrée des matières premières.
On dit que le foin importé est de mauvaise qualité, c’est une preuve que l’on en a un besoin indispensable.
Le foin est une de ces matières pondéreuses et encombrantes qui ne peut se transporter d’une frontière à l’autre ; on ne peut donc dire que ce qu’il y aura d’excédant d’un côté satisfera aux besoins qui se font sentir d’un autre côté ; car ce n’est qu’à une distance rapprochée qu’on peut aller chercher les foins dont on a besoin. C’est par application de ce principe que malgré la richesse de la Belgique en charbon vous avez autorisé l’entrée des charbons étrangers dans le Luxembourg ; par la raison que la frontière du Luxembourg ne peut s’approvisionner de charbons ni à Charleroy ni à Mons, et qu’elle doit dès lors les aller chercher à proximité.
C’est ainsi que, dans certaines localités, on a besoin du foin de la Hollande ; si vous ne laisser plus arriver le foin dans le pays, ces localités n’en auront plus du tout.
Voyez comment cette observation est justifiée par ce qui a lieu pour les grains, par exemple : l’arrondissement de Verviers se croirait perdu, s’il devait venir chercher son grain à quelques lieues seulement sur le marché de Liége. Il demande avec instance et obtient de conserver les grains du Limbourg ; dans le Luxembourg belge, on serait exposé à une espèce de disette si l’on ne pouvait recevoir les grains de la partie cédée, parce qu’en raison des distances qui nous séparent du marché de la Belgique, nous ne pourrions recevoir les grains que surchargés de frais de transport qui en augmenteraient démesurément la valeur.
Voilà les considérations qu’on doit peser, outre celles qu’a fait valoir l’honorable M. de Langhe et qui tiennent aux rapports de bon voisinage avec la Hollande. Car nous exportons autant de foin en Hollande qu’elle en importe chez nous, ce qui me ferait croire que le foin n’est pas à meilleur marché dans ce pays que dans le nôtre.
Du reste un motif qui me paraît péremptoire, c’est que le foin de la Hollande est de première nécessité pour les éleveurs de bestiaux qui se trouvent sur la frontière. S’ils ne peuvent plus élever leur bétail en Belgique, ils devront aller le chercher en Hollande. Je préfère qu’on puisse élever le bétail dans le pays et qu’on aille chercher le foin en Hollande.
M. de Brouckere – Messieurs, depuis plusieurs jours, nous discutons des projets qui ont pour objet d’augmenter les revenus du trésor, et au milieu de cette discussion on lance une proposition qui a un tout autre objet. Car, remarquez-le bien, et nous avons l’aveu même de ceux qui se déclarent les défenseurs du projet, si vous admettiez la proposition qui vous est soumise, il n’en entrerait pas un centime de plus dans les caisses de l’Etat ; le projet, s’il était converti en loi, n’aurait d’autre résultat que d’empêcher l’entrée du foin en Belgique.
Ce n’est donc pas une loi fiscale qu’on propose, mais une loi de protection, et nous n’étions pas occupés à discuter des lois de protection, mais simplement des lois fiscales.
Le projet n’a donc pas le mérite d’être opportun. Cependant, si ce qu’on demande était d’un grand intérêt pour le pays, ou au moins pour une notable partie du pays, ce ne serait pas un motif pour que nous ne dussions pas adopter le projet en discussion. Mais on a beau dire qu’on demande partout un impôt sur le foin, cela n’est pas exact. Vous en avez la preuve sous les yeux. Il résulte, en effet, d’une lettre adressée par M. le ministre de l'intérieur au président du sénat que les chambres de commerce et les commissions d’agriculture ayant été consultées sur une proposition parfaitement analogue à celle dont nous nous occupons, des quatorze chambres de commerce, neuf se sont prononcées contre, et des huit commissions d’agriculture, cinq ont été contraires à l’augmentation du droit à l’entrée des foins. Il n’est donc pas juste de dire qu’on réclame de toutes parts une loi qui vienne protéger les propriétaires de prairies et de pâturages ; car ce sont les seuls qu’on veut protéger. Une semblable mesure n’est réclamée que dans quelques localités.
On vous a dit, messieurs, à l’appui de la proposition, qu’un vœu avait été émis à l’unanimité par le conseil provincial de la Flandre. Je crois qu’on aurait de la peine à prouver cela. Il est très vrai qu’une proposition a été faite dans le conseil provincial, et qu’il n’y a pas eu d’opposition. Si on appelle cela unanimité, il y a eu unanimité. Mais la vérité est qu’il n’y a pas eu de vote. On a fait une proposition et on ne s’y est pas opposé ; ce n’est la là ce qu’on appelle un vote à l’unanimité.
Du reste, cela peut être intéressant pour quelques cultivateurs des Flandres, mais cela ne l’est pas pour la généralité du pays.
Je crois qu’en général les propriétaires de prairies n’ont pas besoin de protection, et si j’avais besoin d’un argument pour soutenir ma thèse, je la prendrai chez mes adversaires eux-mêmes.
Que vous dit-on ? Qu’on n’introduit pas du bon foin dans le pays. Eh bien ! il est certain que si on n’introduit que du mauvais foin, ceux qui en produisent du bon auraient la préférence. Je ne crains pas l’entrée de mauvaises marchandises, parce que les mauvaises marchandises ne trouvent pas d’acheteurs.
On vous a dit que la Belgique produit beaucoup plus de foin qu’il n’en faut pour sa consommation, et on a trouvé là un argument décisif, pense-t-on, en faveur du projet.
Mais M. le ministre des finances vous a déjà répondu que si vous alliez prendre une mesure de cette nature en Belgique, vous en provoqueriez une semblable à l’étranger, et que vous feriez une perte considérable si, par mesure de représailles, on allait frapper nos foins à l’entrée dans les pays voisins, attendu que nous exportons plus de foin que l’on en introduit chez nous.
Par ces considérations, je voterai contre le projet qui ne me paraît avoir ni le mérite de l’opportunité ni celui d’être avantageux au pays.
M. de Langhe – La plupart des raisons que j’avais à alléguer contre le projet ont été produites par les honorables MM. Metz et de Brouckere, de sorte que je ne les répèterai pas.
Mais je répondrai à ce qu’on vous a dit de la contradiction apparente dans laquelle seraient ceux qui soutiennent que nos exportations sont beaucoup plus considérables que nos importations et qui prétendent qu’il ne faut pas empêcher les importations.
Tout le monde sait que le foin est une matière pondéreuse, d’un difficile transport, de sorte que si on en a souvent trop sur un point, on en a trop peu sur un autre, et que certaines localités ont besoin d’importer, tandis que d’autres ont besoin d’exporter. Voilà ce qui répond à ces contradictions apparentes.
On vous a dit que le foin qu’on importait était de mauvaise qualité, qu’on n’en voulait pas, qu’on cherchait à le faire passer pour le service de la cavalerie. Mais il me semble qu’il doit y avoir des inspecteurs qui examinent les foins, et que ceux qui sont de mauvaise qualité ne doivent pas être admis. Je crois même qu’il y a des pénalités très fortes contre les fournisseurs qui présenteraient de mauvais foins. D’ailleurs, on peut dire qu’il y a aussi du mauvais foins en Belgique ; il ne faut pas aller en Hollande pour en trouver.
On vous a dit que les Hollandais produisent le foin à meilleur marché que nous. Je ne sais comment cela est possible ; il me semble que la contribution foncière est aussi élevée en Hollande qu’en Belgique et, par conséquent, le travail de la fenaison doit coûter plus cher. Il me semble donc que tout étant égal ailleurs, le foin doit coûter plus cher en Hollande que dans ce pays.
Au reste, je ne dis pas qu’il ne faut pas adopter une légère protection pour le foin. Peut-être le droit actuel de 53 centimes est insuffisant. Mais aller de 53 centimes à 5 francs, c’est une transition qui me paraît un peu brusque, et qui ne peut être admise sans mûr examen.
Je crois que le gouvernement est à même de prendre de bonnes informations là-dessus et que chaque membre de la chambre ne peut le remplacer à cet égard ; de sorte que j’attendrai qu’il ait pris les informations nécessaires, et s’il vient nous faire une proposition, je l’examinera avec soin. Mais en attendant, je demanderai l’ajournement ou je voterai contre la proposition.
M. Mast de Vries – Il ne s’agit plus d’ajournement, les membres qui veulent l’ajournement voteront contre le projet.
Messieurs, on vous a dit que si nous imposions des droits sur les foins, nos importations dans les pays voisins pourraient s’en ressentir, parce qu’en France (car il s’agit surtout de la France), on pourrait mettre des droits analogues. Mais n’est-il pas évident que si la France reçoit de la Belgique six millions de kilog. de foins annuellement, c’est qu’elle en a besoin, de sorte que si elle frappait d’un droit, c’est elle-même qu’elle frapperait. Mais il n’en est pas de même en Belgique ; avons-nous besoin des foins étrangers ? Non, certainement.
On a mis en doute ce que nous avons dit, que les foins hollandais n’étaient pas aussi bons que les nôtres. Cela n’est pas étonnant, c’est que nos honorables contradicteurs ne se trouvaient pas aux grands cantonnements des troupes. Mais je sais que différents procès-verbaux ont été dressés pour les mauvais foins qu’on voulait faire passer dans les bons.
Du reste, le droit, tel qu’il existe aujourd’hui, est l’ancien droit hollandais, et le gouvernement hollandais n’avait pas à craindre les importations de foin. Il a mis un droit parce qu’il fallait en mettre un. Mais la question telle qu’elle existe n’est pas la même pour la Belgique. Il faut une protection réclamée par différents propriétaires, par des villes. Depuis 1837, il y a encore eu différentes pétitions adressées à la chambre, parce qu’on croyait que le projet allait être discuté.
Maintenant on dit que lorsque le projet sera adopté, il ne procurera pas de ressources au trésor. Mais nous ne prétendons pas qu’il n’entrera plus du tout en Belgique de foins hollandais ; il faut qu’il en entre ; le foin qu’on recueille sur les bords de l’Escaut ne peut se vendre en Belgique. Il faudrait, pour que toute exportation cessât, un événement extraordinaire, un cas de guerre, et si vous vous trouviez dans cette position, soyez certains que la Hollande refuserait la première de laisser entrer des foins chez vous.
M. de Brouckere – Lorsqu’on défend une mauvaise cause, il est bien difficile de trouver de bons arguments, et l’honorable préopinant vient de le prouver.
Nous avons dit que si on augmentait le droit sur les foins à l’entrée, il y avait à craindre qu’on n’en fît autant dans les pays voisins. Que nous a répondu l’honorable préopinant ? Il nous a dit : la France reçoit de nous 6 millions de kil. en foin, et si elle reçoit 6 millions de kil. de foin, c’est qu’elle en a besoin ; donc, si elle mettait un droit, ce serait contre elle-même.
Il résulte du raisonnement de l'honorable préopinant que quand on reçoit du foin, c’est qu’on en a besoin. Dès lors, si nous en recevons en Belgique, c’est que nous en avons aussi besoin.
Ma conséquence est juste, ou votre argument est complètement faux, et je crois que c’est votre argument qui est faux.
On répète encore que beaucoup de propriétaires attendent avec impatiences les résultats de cette loi ; je le conçois ; je conçois qu’elle sera favorable aux propriétaires de prairies ; mais tous les Belges ne sont pas propriétaires de prairies, et il ne faut pas sacrifier l’intérêt général à quelques propriétaires. Ce sont encore l’intérêt du propriétaire et celui du consommateur qui sont en présence, et je n’hésite pas à me prononcer pour le consommateur.
M. Dubus (aîné) – Dans la section centrale, messieurs, je me suis prononcé en faveur de la proposition de l'honorable M. Mast de Vries ; je crois donc devoir motiver mon vote. Je persiste à penser qu’il y a lieu d’accueillir cette proposition. On a parlé, messieurs, comme s’il s’agissait d’un droit prohibitif. Sur ce point je dois d’abord rectifier les idées qui ont été mises en avant.
D’après les calculs qui ont été fournis à la section centrale, il ne s’agit nullement d’un droit prohibitif, mais d’un droit sagement protecteur de la production du pays ; et je crois qu’en thèse générale, toutes les productions du pays doivent être protégées par notre tarif. Le droit proposé revient à 8 p.c. de la valeur moyenne. Or je demande s’il y a lieu de se récrier contre un droit de 8 p.c.
Quant à ce qu’on a dit des importations et des exportations, il est une considération qui a aussi frappé la section centrale. Les exportations se font toutes sur une frontière et les importations se font toutes sur la frontière opposée ; dès lors l’argument que l’on a tiré de cette circonstance que nous exportons plus de foin qu’il n’en est importé, cet argument s’évanouit, car l’exportation qui se fait sur la frontière française est sans influence en faveur de la production qui a lieu dans les provinces qui confinent à la frontière hollandaise. Ainsi, remarquez bien, messieurs, que c’est des provinces qui confinent à la frontière hollandaises que nous sont arrivées les réclamations, et je ne pense pas que nous puissions avec justice refuser de faire droit à ces réclamations, parce qu’il y a exportation sur la frontière française.
Il a paru à la section centrale que cela explique aussi pourquoi il y a dissentiment entre les diverses chambres de commerce et commissions d’agriculture ; les chambres de commerce et les commissions d’agriculture des provinces qui confinent à la France n’ont pas senti la nécessité du projet de loi, parce qu’en effet de ce coté les producteurs n’ont pas à craindre l’importation, qu’au contraire ils exportent ; mais il en est autrement des chambres de commerce et des commissions d’agriculture des provinces qui confinent à la Hollande. L’on a fait remarquer une circonstance qui est, en effet, remarquable, c’est que le conseil provincial de la Flandre orientale, à l’unanimité, a réclamé la protection sous prétexte que nous exportons en France ; mais qu’est-ce que cela fait aux provinces voisines de la Hollande, si leur production souffre de l’importation du foin hollandais ? Il faut être juste envers tout le monde ; quand une réclamation est fondée, il faut l’accueillir parce qu’elle est fondée et ne pas la rejeter parce que d’autres n’y ont pas intérêt.
Je pense, messieurs, que la proposition est justifiée par les circonstances que je viens de rappeler. Il y a des importations de la Hollande ; ces importations nuisent à la production des provinces voisines de la Hollande ; eh bien, l’on propose un droit qui n’est que de 8 p.c. ; certainement, si, comme on le dit, il y a des besoins dans d’autres localités, on y paiera bien ce léger droit de 8 p.c., car il n’est pas une seule espèce de marchandise qui ne paie, non pas un droit de 8 p.c., mais des droits beaucoup plus élevés. Je le répète donc, si l’on a réellement besoin de foins étrangers dans certaines localités, un simple droit de 8 p.c. n’empêchera pas l’importation ; dans tous les cas, la loi proposée tend à consacrer une mesure sagement protectrice de la production du pays.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je crois devoir faire remarquer à la chambre que l’opinion de l'honorable préopinant repose sur une erreur de fait. D’abord l’honorable membre pense que toutes nos exportations de foin se font par une même frontière et les importations de foin étranger se font par la frontière opposée. Eh bien, messieurs, c’est là une erreur. Comme on peut le voir par le tableau du commerce de 1838, nous exportons plus de foin en Hollande que la Hollande n’en importe chez nous. Il suffira donc que la Hollande prenne une mesure de représailles non seulement pour que la loi proposée soit inefficace, mais pour qu’elle nous soit nuisible. Du reste, je demanderai à la chambre si l’on se plaint en Belgique de ce que le foin n’y est pas à un prix assez élevé, si au contraire nous n’entendons pas très souvent des plaintes en sens opposé. Dès lors, je ne vois pas, messieurs, pourquoi l’on prendrait des mesures dont l’effet serait d’élever encore le prix du foin.
M. Metz – J’entends dire, messieurs, que le conseil provincial de la Flandre orientale a voté à l’unanimité une demande tendant à obtenir le droit que réclame aujourd’hui l’honorable M. Mast de Vries ; d’après ce que me disent des personnes qui semblent bien informées, ce vote aurait eu lieu simplement par assis et levé, et sans discussion.
M. Delehaye – Je demande la parole.
M. Metz – Du reste, messieurs, quant il en serait autrement, cela ne pourrait en rien modifier mon opinion, car il suffirait, selon moi, qu’une seule province eût un besoin absolu de foins étrangers pour la nourriture du bétail, cela suffirait, dis-je, pour nous empêcher de prendre une mesure qui puisse priver cette province de foins qui lui sont nécessaires.
J’ai surtout demandé la parole pour faire ressortir le peu d’importance de la proposition qui nous occupe. D’après le tableau de nos exportations et de nos importations, il entre en Belgique trois millions de kilog. de foins, dont 1,500,000 viennent de Hollande. Nous exportons par contre 6 millions de kilog., dont 3 millions en France 1,500,000 kilog. en Hollande et 1,500,000 kilog. en Prusse. Eh bien, la valeur totale du foin qui s’importe en Belgique s’élève à 78,000 francs, par conséquent la valeur de la partie qui nous arrive de Hollande et seule nous occupe, s’élève à 39,000 francs. C’est donc pour empêcher la minime importation de 39,000 fr. en valeur, que l’on veut s’exposer aux conséquences fâcheuses que peut avoir l’adoption du projet de l’honorable M. Mast de Vries, c’est-à-dire la réciprocité d’un droit prohibitif dans les pays qui nous avoisinent et à la privation des foins indispensables dans certaines localités.
Je ne partage pas du tout l’opinion de l'honorable M. Dubus (aîné), que le droit dont il s’agit n’est pas un droit prohibitif. Que l’honorable M. Mast de Vries nous le dise franchement, sa pensée est évidement d’empêcher l’introduction du foin étranger, ou son projet est inutile ; ce foin dit-on, sert principalement à la nourriture des chevaux de notre cavalerie. On a même dit que ce foin est de mauvaise qualité, qu’il est nuisible ; mais il y a sans doute dans l’armée des officiers chargés de veiller à ce que les chevaux ne reçoivent pas une nourriture malsaine, c’est à eux de faire leur devoir et ce n’est pas par une loi de douane que l’on doit prendre des mesures relatives à cet objet.
Je dis donc que la pensée de l’honorable M. Mast de Vries est purement et simplement d’empêcher l’importation du foin étranger. Eh bien, messieurs, je m’élève contre un semblable système parce qu’il y a des localités dans le pays qui ont besoin de ce foin pour nourrir le bétail. Le foin est une matière pondéreuse, encombrante, qui ne peut se transformer à une grande distance. Où voulez-vous donc que les provinces qui ne produisent pas de foin en quantité suffisante pour leurs besoins, où voulez-vous qu’elles aient chercher le foin qui leur manque ? il faut avant tout laisser aux agriculteurs le moyen d’élever leur bétail ; J’aime beaucoup mieux, et je le répète, qu’on aille chercher du foin en Hollande que du bétail. Or, il y a des localités où on ne pourra plus élever de bétail, si vous empêcher l’entrée du foin étranger.
M. Jadot, rapporteur – L’opinion de la section centrale étant principalement basée sur le rapport de la commission d’industrie qui examine la question en discussion, je vais rappeler le passage de ce rapport qui en contient les motifs. (Il en donne lecture.)
Je vais ajouter, pour répondre à ce qu’a dit un des honorables préopinants, que la proposition n’avait pour but que de protéger quelques localités, que la section centrale a envisagé l’adoption du projet comme un moyen d’ajouter aux ressources du trésor ; je tenais à faire connaître cette circonstance à la chambre.
M. Desmet – On a parlé, messieurs, du tableau de nos importations et de nos exportations, mais nous ne connaissons pas ce qui résulte de ce tableau, je voudrais savoir ce que nous exportons en Hollande et ce que la Hollande importe chez nous.
Veuillez, messieurs, bien avoir égard à ceci : d’abord les deux Flandres ou du moins la Flandre orientale demande un droit d’entrée sur le foin. Il est constant que le conseil provincial de la Flandre orientale, à l’unanimité, a émis un vœu dans ce sens. Un député de la province du Hainaut, l’honorable M. Dubus, vient d’appuyer la proposition de l'honorable M. Mast de Vries, qui est, lui, député de la province d’Anvers, et c’est surtout la province d’Anvers qui a intérêt à ce que le droit proposé soit adopté, car c’est dans cette province qu’il entre le plus de foin hollandais. Je vois donc que de toutes parts on réclame le droit dont il s’agit.
L’honorable M. Metz nous dit que certaines localités ont besoin de foin étranger pour la nourriture du bétail ; mais qu’il cite ces localités. Je connais, moi, des contrées où l’on ne veut pas du foin hollandais, où l’on préfère donner du trèfle sec aux bestiaux, parce que le foin hollandais est de mauvaise qualité.
Savez-vous, messieurs, à quoi l’on emploie le foin hollandais ? On le donne aux chevaux de la cavalerie. On exporte le bon foin et on nourrit nos chevaux de cavalerie avec du mauvais foin venant de Hollande. Il faut réellement porter remède à cet état de choses.
Remarquez, messieurs, que les prairies dans notre pays paient des contributions très élevées. Ces contributions sont tellement élevées que dans certaines localités, le long de l’Escaut, par exemple, le foin que produisent les prairies rapporte à peine de quoi payer les contributions.
Du reste, messieurs, il ne s’agit que d’un faible droit de 8 p.c. Je crois que vous ne pouvez pas refuser cette protection à la production indigène.
M. de Brouckere – Je veux uniquement, messieurs, relever un argument que vient de mettre en avant l’honorable M. Desmet. Voici le raisonnement de l'honorable membre : « M. Delehaye, député de la Flandre orientale, demande un droit sur le foin étranger ; donc la Flandre orientale demande un droit sur le foin étranger ; l’honorable M. Dubus (aîné), député du Hainaut, appuie la proposition de M. Mast de Vries, dont la province du Hainaut demande l’adoption de cette proposition ; l’honorable M. Mast de Vries, auteur de la proposition, est député de la province d’Anvers, donc la province d’Anvers demande aussi que le foin étranger soit frappé d’un droit. » Avec cette argumentation neuf députés représentent le royaume et tout le reste de la chambre peut garder le silence en présence de ces neuf députés. Je crois, messieurs, que l’honorable M. Mast de Vries est au-dessus de l’esprit de localité que lui prête l’honorable M. Desmet ; je crois que si M. Mast de Vries nous présente sa proposition, c’est parce qu’il la considère comme étant favorable aux intérêts du pays. L’honorable M. Mast de Vries ne nous a pas dit qu’il nous fait sa proposition dans l’intérêt de la province d’Anvers ; la province d’Anvers n’est pas plus en cause ici que les autres provinces. Ce qui est vrai, c’est que la Flandre orientale a demandé ce droit, et de ce que deux ou trois députés l’appuient, on en conclut que le pays désire la mesure. J’ai déjà dit que des quatorze chambres de commerce, neuf se sont prononcées comme et de huit commissions d’agriculture, cinq se sont également prononcées contre. Voici la preuve que la majorité de ceux qui représentent les intérêts agricoles et les intérêts commerciaux est contraire à la mesure.
M. de Puydt – Messieurs, j’ai écouté cette discussion avec beaucoup d’attention ; j’ai remarqué qu’il n’y avait qu’un seul argument qui fût resté debout : c’est celui relatif à la consommation de foins étrangers par la cavalerie de l’armée. D’après ce qu’a dit un honorable préopinant, il n’y a que la cavalerie de l’armée qui consomme du foin étranger dans le pays. Ce foin est de mauvaise qualité, et la mesure a pour but d’empêcher que notre cavalerie ne consomme ce foin.
Il est à remarquer que depuis plusieurs années, à chaque discussion du budget, on a adressé le même reproche au ministre de la guerre, on est venu dire que les chevaux de notre cavalerie étaient nourris de mauvais foin. M. le ministre de la guerre a toujours protesté contre cette allégation qu’on n’a jamais pu étayer d’aucune preuve. Eh bien, s’il est vrai que ce soit uniquement à cause du mauvais foin dont on nourrissait les chevaux de notre cavalerie, qu’on propose le projet de loi, il me semble qu’il serait beaucoup plus simple de prendre une mesure administrative par laquelle on interdirait à notre cavalerie la consommation de ce foin, que de faire une loi de douane.
M. Lys – Messieurs, malgré l’importance du foin étranger, le foin est encore très cher en Belgique. Il n’y a point d’exception dans la proposition pour le droit d’entrée des foins, il en résultera que si vous établissiez des droits sur l’importation des foins, on pourra aussi établir des droits sur les foins que vous exportez. Or, on est d’accord que nous exportons plus de foin qu’on n’en importe chez nous, ainsi, messieurs, si on use de réciprocité, la Belgique en souffrira.
On se plaint de l’importation du foin hollandais ; mais si certaines localités de la Belgique reçoivent du foin de la Hollande, c’est qu’elles en ont absolument besoin. D’ailleurs, la Hollande importe beaucoup moins de foin en Belgique que la Belgique n’en importe en Hollande. En effet, la Hollande, en 1837, a importé 1,039,515 kil. de foin, tandis que notre exportation en Hollande a été pour la même année de 1,693,566 kil. ; en 1838, nous avons importé en Hollande 1,784,340 kil., tandis que nous n’avons reçu de la Hollande que 1,386,359 kil. ; donc, différence en faveur de la Belgique : pour 1837, de 654,051 kil., et pour 1838, de 397,781 kil. Il est donc prouvé par des chiffres que la Belgique importe plus de foin en Hollande que la Hollande n’en importe en Belgique.
L’honorable M. de Brouckere a déjà répondu à un argument de l’honorable M. Mast de Vries. L’honorable M. Mast de Vries a dit que si la France reçoit du foin, c’est qu’elle en a besoin. Eh bien, il est facile de rétorquer cet argument, comme l’a fait l’honorable M. de Brouckere : si nous recevons du foin de la Hollande, c’est que nous en avons besoin.
Il ne faut pas non plus venir considérer le foin comme production du pays, destinée à l’exportation. Comme l’a fort bien prouvé l’honorable M. Metz, le foin est une matière pondéreuse dont le transport est extraordinairement difficile. Quand on a besoin de foin, on ne peut en prendre que dans la localité voisins. Il en est de même des étrangers qui viennent s’approvisionner de foin chez nous.
Dès lors, le projet de loi qu’il propose, pourra peut être faire quelque bien à certaines localités, mais il fera beaucoup de mal à un plus grand nombre d’autres localités.
M. de Muelenaere – Messieurs, l’exploitation des prairies constitue dans plusieurs provinces de la Belgique une branche importante d’agriculture ; dès lors, je ne vois pas pour quel motif on refuserait, en cas de besoin, à nos foins, la protection qu’on accorde à d’autres produits. Mais pendant cette discussion, je me suis demandé si la proposition de l’honorable M. Mast de Vries était opportune, si elle était urgente. Le prix de nos foins es-il actuellement avili ? je ne le pense pas ; je crois qu’en général les fourrages sont mêmes à des prix élevés. Je me suis demandé aussi si, quant aux foins, nous avons à redouter la concurrence étrangère. Or, d’après les renseignements fournis par le gouvernement, il me semble que sous ce rapport, nous n’avons pas à craindre la concurrence dans le moment actuel, car aujourd’hui l’exportation des foins est beaucoup plus considérable que l’importation. Dès lors, quoique je sois généralement disposé à appuyer toutes les mesures qui tendront à favoriser d’une manière convenable l’agriculture, je crois cependant qu’à défaut de renseignements ultérieurs, il serait peut-être dangereux dans le moment actuel d’accorder une protection aux foins, lorsque cette protection n’est pas commandée par les circonstances.
Toutefois, je suis aussi de l’avis de quelques honorables préopinants, que la plus grande partie du foin qui s’introduit de la Hollande en Belgique est en général un foin de mauvaise qualité, et je regrette de devoir dire que j’ai appris de différents côtés que ce foin est plus particulièrement destiné à la nourriture des chevaux de notre cavalerie.
Pendant plusieurs années, il y a eu dans notre cavalerie une mortalité réellement effrayante et qui a été préjudiciable aux intérêts du trésor. Eh bien, les experts eux-mêmes m’ont affirmé que la mauvaise qualité du foin avait peut-être contribué à cette mortalité. Mais je pense aussi que ce n’est pas au moyen d’un projet de loi qu’il convient de remédier à cet inconvénient ; car, comme l’a dit un honorable préopinant, il y a aussi en Belgique de mauvais foins qu’on pourrait ainsi de préférence vendre dans ce but. C’est dès lors par une mesure administrative qu’il doit être obvié à cet inconvénient et non par une modification au tarif des douanes.
- Personne ne demandant plus la parole, on passe à l’appel nominal sur l’article unique du projet de loi.
64 membres prennent part au vote.
Un membre (M. de Mérode) s’abstient.
33 répondent oui.
31 répondent non.
En conséquence, le projet de loi est adopté ; il sera transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM. Brabant, de Garcia de la Vega, Delehaye, Demonceau, de Potter, de Puydt, de Renesse, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Theux, Doignon, Donny, Dubus (aîné), Eloy de Burdinne, Hye-Hoys, Jadot, Kervyn, Manilius, Mast de Vries, Peeters, Raikem, Rodenbach, Scheyven, Simons, Ullens, Vandenbossche, Vandenhove, Vandensteen, Vanderbelen, Vilain XIIII, Zoude.
Ont répondu non : MM. Coghen, Cools, de Behr, de Brouckere, de Langhe, de Foere, de Muelenaere, de Puydt, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Fallon, Lange, Lebeau, Leclercq, Lys, Maertens, Mercier, Metz, Nothomb, Pirson, Puissant, Raymaeckers, Rogier, de Baillet, Sigart, Trentesaux, Troye, Van Cutsem et , Verhaegen.
M. de Mérode déclare s’être abstenu, parce que son opinion n’était pas fixée sur l’utilité ou les inconvénients de la mesure.
M. le président – Viendrait maintenant la discussion des dispositions de budget des voies et moyens, relatives aux sucres ; la section centrale s’est réunie ce matin. Je pense qu’elle pourra arrêter son rapport dans la journée de demain ; il y aurait lieu dès lors de suspendre provisoirement la discussion sur cet article.
Je prie la chambre de fixer son ordre du jour de demain.
Vous avez fixé à l’ordre du jour, sur la proposition de M. Delehaye, le projet de loi interprétatif de la loi relative aux ventes à l’encan. On pourrait mettre ensuite en discussion le projet de loi relatif à la nomination d’un troisième juge d’instruction dans l’arrondissement de Bruxelles, le projet de loi sur l’entrée des machines, le projet de séparation de communes dont M. d’Hoffschmidt a fait le rapport, un projet de loi et des feuilletons de naturalisation.
- La chambre décide que l’ordre du jour sera ainsi fixé.
M. Demonceau – Je demande que la séance de demain soit à 2 heures, afin que la section centrale puisse terminer ses travaux.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à 3 heures.